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S E P T E N T R I O N

SOUS LA DIRECTION DE

STÉPHANE SAVARD et JÉRÔME BOIVIN

De la

REPRÉSENTATIONà la

MANIFESTATIONGroupes de pression et enjeux politiques

au Québec, XIXe et XXe siècles

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À Éloïse,Pour son soutien et son amour.

Et à Francine,Pour son combat de tous les jours.

À Sophie,Avec qui le temps s’arrête,

Malgré cette vie sous pression.

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INTRODUCTION

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Les groupes de pression au Québec : faire œuvre de défrichage

Stéphane Savard et Jérôme Boivin

« Gouverner, c’est gérer les pressions »– Elmer Eric Schattschneider

L e 24 mars 2012, des images d’une manifestation « historique » coordonnée par les principales organisations étudiantes du Québec et regroupant quelque 200 000 personnes dans les

rues de Montréal contre la hausse des droits de scolarité à l’université tournent en boucle à la télévision1. La veille, c’était les syndiqués d’Aveos2, rattachés à l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, qui attiraient l’attention des médias tandis qu’ils étaient rassemblés devant l’Assemblée nationale à Québec pour réclamer l’intervention du gouvernement3. Deux jours plus tôt, la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique faisait parler d’elle au moment où s’ouvraient les audiences publiques sur le controversé projet d’Hydro-Québec d’installer des compteurs d’électricité

1. Pour plus d’information sur la manifestation : Louis CHAPUT-RICHARD, « Ce n’était que le début », Le Devoir : http://www.ledevoir.com/societe/education/345843/ce-n-etait-que-le-debut, consulté le 24 mars 2012.

2. Aveos est un fournisseur de services de maintenance, réparation et révision pour l’industrie aérienne ayant récemment cessé ses activités sans préavis.

3. LA PRESSE CANADIENNE, « Des syndiqués d’Aveos en mission à Québec, d’autres manifestent à Dorval », Radio-Canada : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2012/03/21/001-aveos-vers-quebec.shtml, consulté le 22 mars 2012.

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intelligents, qu’elle juge dangereux pour la santé et qu’elle entend combattre en mobilisant la population4.

Ces exemples pourraient se multiplier. Selon le politologue André Bernard, c’est par milliers que se comptent aujourd’hui les groupes de pression au Québec5. Ceux qui font l’objet d’une couver-ture médiatique en occupant la place publique à grands coups de manifestations ne sont en fait que la « pointe de l’iceberg ». D’autres, plus nombreux encore, œuvrent en coulisse ou dans les commissions parlementaires, par exemple, sans nécessairement faire de bruit. Médiatisés ou non, il n’en demeure pas moins que ces groupes de pression font partie du paysage politique québécois et qu’ils en sont même devenus d’importants acteurs6. En témoignent d’ailleurs les mesures législatives mises en place depuis 1988 par les respon-sables politiques pour baliser le « lobbying7 », l’une des principales stratégies adoptées par ces groupes.

4. Louis-Gilles FRANCŒUR, « Installations de compteurs “intelligents” – Les audiences publiques débutent sur fond de manifestation », Le Devoir : http://www.ledevoir.com/politique/quebec/345406/installations-de-compteurs-intelligents-les-audiences-publiques-debutent-sur-fond-de-manifestation, consulté le 22 mars 2012.

5. André BERNARD, La vie politique au Québec et au Canada, 2e édition, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2000, p. 136.

6. Jean-Dominique GIULIANI, Marchands d’influence : les lobbies en France, Paris, Seuil, 1991, p. 56.

7. En 1988, le Parlement fédéral entérine la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes. Cette mesure législative se voit amendée en 1995 alors qu’un code d’éthique s’assure désormais d’éviter les conflits d’intérêts en instaurant des règles de transparence et de confidentialité. Entre 2002 et 2010, plusieurs amendements à Loi sur le lobbying sont votés. Ces derniers visent à préciser davantage le terme « lobbyisme », à étendre les pouvoirs du Bureau du directeur des lobbyistes (qui devient le Commissaire au lobbying en 2010) ou encore à imposer des restrictions plus grandes sur les titulaires de charges publiques en fonction ou ayant quitté leur poste. Au Québec, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme est adoptée par l’Assemblée nationale en 2002. Assez contrai-gnante, elle restreint l’étendue de l’encadrement en appliquant l’obligation d’enregistrement à certaines catégories d’organisations, mettant ainsi en place une règle de transparence sélective. Voir, entre autres, Raymond HUDON, « Lobbying et politiques publiques » dans Stéphane PAQUIN, Luc BERNIER et Guy LACHAPELLE (dir.), L’analyse des politiques publiques, Québec, Presses de l’Université de Montréal, 2010, p.  193-228 ; Michaell RUSH, « Targeting the Lobbyists v. Targeting the Lobbied : Controlling Lobbying in Britain and Canada », British Journal of Canadian Studies, vol.  15, nos  1-2, 2002, p. 46-48.

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Projet de recherche et thématique du collectif

Pour autant, en tant qu’objet d’étude, les groupes de pression n’ont que peu attiré l’attention des praticiens de l’histoire au Québec. « Pour les historiens, souligne d’ailleurs Jean Garrigues, auteur d’un collectif sur les groupes de pression en France et aux États-Unis, l’étude en soi de la pression est longtemps restée terra incognita, malgré un certain nombre de travaux fameux […] qui abordent de façon plus ou moins transversale cette question. Il y a donc là un champ d’études extrêmement ouvert8. » Répondre à l’absence d’une étude des groupes de pression dans la longue durée pour le Québec, tel fut le point de départ du projet de séminaire9 qui est à l’origine du présent collectif. Au cœur de notre préoccupation historienne : faire œuvre de défrichage en abordant l’histoire des groupes de pression dans la province depuis le xixe siècle jusqu’à nos jours.

Cet ouvrage collectif couvre donc plusieurs champs d’action et domaines d’activité des groupes de pression au Québec. Nous pensons par exemple au travail de représentation qu’ils ont effectué dans des dossiers aussi divers que les moyens de transport, l’envi-ronnement, la santé, les questions linguistiques, les enjeux culturels, etc. Chacun des textes ici proposés prend la forme d’une étude de cas qui met en lumière aussi bien la diversité des raisons d’être et des façons de faire des groupes de pression observés que la trans-formation de leur inscription dans les champs social et politique.

Un ouvrage de la sorte renferme plusieurs limites. La plus évidente est l’impossibilité de couvrir tous les groupes de pression et l’ensemble de leurs interventions. On nous reprochera peut-être ainsi de ne pas avoir touché à l’histoire des groupes autochtones, des groupes d’affaires, des groupes syndicaux, des groupes féministes, etc. Malgré tout, nous nous sommes assurés que les sujets présentés et le traitement auquel ils ont eu droit aient une certaine unité de

8. Jean GARRIGUES, « Introduction », dans Jean GARRIGUES (dir.), Les groupes de pression dans la vie politique contemporaine en France et aux États-Unis de 1820 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 10.

9. Séminaire intitulé « Les groupes de pression au Québec, xixe et xxe siècles », sous la direction de Jérôme Boivin et Stéphane Savard, qui s’est déroulé à l’Université Laval (Québec) les 10 et 11 mars 2010.

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ton. Aussi une ligne directrice a-t-elle guidé ces études : celle d’un objet – un ou plusieurs groupes de pression – peu ou pas observé dans une perspective historienne. En d’autres mots, ce livre n’aborde pas l’histoire de certains regroupements, car elle a abondamment été traitée dans l’historiographie québécoise récente10. Il s’attarde plutôt à défricher l’étude d’autres groupes qui méritent eux aussi leur place dans une histoire des groupes de pression au Québec.

Présentation des textes

Cet ouvrage collectif réunit quatorze contributions inédites et originales. Précédées de quelques réflexions conceptuelles (Jérôme Boivin et Stéphane Savard) et suivies d’un épilogue (Martin Pâquet), elles ont été regroupées en cinq parties qui témoignent chacune d’un champ d’action des groupes de pression.

Intitulée « Transport et environnement », la première partie compte trois textes. Celui d’Ivan Carel porte sur les groupes cyclistes et leurs revendications dans le Québec de la fin du xixe siècle et dans celui de la fin du xxe – groupes qu’il compare dans le temps et défend comme porteurs des idéologies de leur époque. Étienne Faugier, quant à lui, s’intéresse au Club automobile de Québec de 1912 à 1948, de son passage de « groupe d’intérêt » à « groupe de pression » aux stratégies qu’il met de l’avant pour influencer les décideurs politiques dans le domaine de l’automobilisme. Enfin, Stéphane Savard traite de la question de l’énergie au Québec et de l’action des groupes verts entre 1972 et 1997, alors que ces derniers se mobilisent pour contester le choix de certains projets et prennent la parole pour promouvoir la protection de l’environnement.

La « santé » est au cœur de la partie suivante. François Guérard se penche d’abord sur les associations d’hôpitaux dans la province, de leur création à leur fusion (1926-1966). Concentrant son regard sur leur travail de pression, il montre comment elles en sont venues à s’unir pour mieux se faire entendre. De son côté, Denis Goulet explore les voies empruntées par les médecins omnipraticiens et

10. À ce sujet, nous référons le lecteur à notre texte « Pour une histoire des groupes de pression au Québec » dans le présent ouvrage.

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les médecins spécialistes québécois, entre 1961 et 1991, pour défendre leurs intérêts professionnels et faire valoir leur conception des soins de santé. Représentant aujourd’hui des centaines de milliers de malades, l’association Diabète Québec est finalement étudiée par Jérôme Boivin, qui s’interroge sur l’évolution de ses interventions pour réhabiliter et protéger les diabétiques d’ici depuis sa fondation (1954) jusqu’au début des années 2000.

Deux articles sur les « francophones » forment la troisième partie. Dans le sien, Marcel Martel examine les efforts de la Gendarmerie royale du Canada pour surveiller les groupes de pression favorables à l’unilinguisme français au Québec des années 1968 aux événements qui entourent l’adoption de la Loi sur la langue officielle (appelée communément loi 22) en 1974. Pour sa part, Michel Bock aborde les liens qui existent et les combats qui ont cours entre la Fédération des francophones hors Québec et les gouvernements québécois de 1976 à 1991.

Les « minorités ethniques » font l’objet de l’avant-dernière partie. Premier de trois, le texte de Gillian Leitch étudie l’histoire des associations anglo-britanniques de Montréal au temps des rébellions (1830-1840). Valérie Lapointe Gagnon, quant à elle, s’intéresse plutôt aux Ukrainiens du Canada et aux indépendantistes québécois dans le contexte de la Commission royale d’enquête sur le bilin-guisme et le biculturalisme (1963-1971). Avec Pierre Anctil, enfin, le Congrès juif canadien et ses (ré)actions face au Québec issu de la Révolution tranquille (1969-1990) sont présentés.

Ouvrant la partie finale (« socioculturel »), la contribution de Karine Hébert porte sur les luttes menées par différents groupes pour la conservation du Château Ramezay à Montréal entre 1893 et 1932. Suit l’article de Pierre Lanthier sur la vie associative dans les milieux urbains du Québec en dehors de la métropole et de la capitale, des années 1900 aux années 1960. Fermant la marche, Jules Racine St-Jacques traite du financement de l’éducation supérieure au Canada, de la mise en place de la Commission royale d’enquête sur les arts, les lettres et l’avancement des sciences (1949-1951) au dépôt du rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes consti-tutionnels (Commission Tremblay, 1953-1956) et aux liens distendus qui (dés)unissent les universités québécoises à ce moment.

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Remerciements

Ce collectif étant issu d’un séminaire, nous souhaitons ici remercier l’ensemble des participants et des participantes (professeurs, cher-cheurs, doctorants de plusieurs universités du Québec et de l’On-tario) pour leur enthousiasme et leur professionnalisme, ainsi que les partenaires qui ont permis de tenir l’événement : la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression fran-çaise en Amérique du Nord (CEFAN), la Chaire Concordia d’étude sur le Québec (CCEQ), le Centre interuniversitaire d’études québé-coises (CIEQ), la Chaire de recherche sur l’histoire de la franco-phonie canadienne, le Département d’histoire et la Faculté des Lettres de l’Université Laval, l’Association des étudiantes et étudiants de l'Université Laval inscrits aux études supérieures (AÉLIÉS) et Zone Coopérative de l’Université Laval. Pour ses conseils judicieux et pour avoir accepté d’écrire l’épilogue du présent ouvrage, nous tenons également à exprimer notre gratitude à Martin Pâquet. Finalement, nous voulons adresser un merci particulier à Sophie Imbeault et aux éditions du Septentrion pour leur appui indéfectible au projet depuis ses débuts jusqu’à son achèvement.

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Pour une histoire des groupes de pression au Québec : quelques

éléments conceptuels et interprétatifs

Jérôme Boivin et Stéphane Savard

« Tout groupe de pression est un groupe d’intérêt, mais non l’inverse »

– André-J. Bélanger et Vincent Lemieux, 2002

A u xixe siècle, alors que l’Occident s’industrialise et passe à la démocratie libérale, les groupes de pression sont d’abord mal vus des autorités qui, suivant certains principes de la

philosophie politique de l’époque1, condamnent les « corps inter-médiaires ». Cela ne dure toutefois qu’un temps. Progressivement, celles-ci « prennent l’habitude de les consulter, de traiter avec eux2 ». Cette reconnaissance institutionnelle aidant, leur présence en poli-tique devient grandissante, voire « importante au début du xxe siècle3 ». Puis, avec le passage du régime de laisser-faire à celui de l’État-providence, elle se fait sentir encore davantage alors que plusieurs s’associent afin de promouvoir leurs intérêts dans ce

1. Principes selon lesquels entre les citoyens d’un côté et les autorités de l’autre, il n’est pas souhaitable qu’il y ait d’intermédiaires.

2. Jean MEYNAUD, « Groupes de pression et politique gouvernementale au Québec », dans André BERNARD (dir.), Réflexion sur la politique au Québec, Montréal, Sainte-Marie, 1968, p. 78.

3. Guillaume COURTY, Les groupes d’intérêt, Paris, La Découverte, 2006, p. 46.

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contexte politique en pleine transformation4. Depuis lors, les groupes de pression constituent une « réalité incontournable » des sociétés démocratiques5 et intéressent nombre de chercheurs.

La science politique, plus que toute autre discipline, a donné ses lettres de noblesse aux groupes de pression comme objet d’étude en sciences humaines et sociales et, plus précisément, la science politique américaine, qui en a produit les travaux fondateurs. Avec Arthur Bentley et son livre The Process of Government (1908)6, elle se penche sur les « groupes » et le rôle qu’ils sont susceptibles de jouer dans le processus politique, cherchant ainsi à établir « une adéquation entre trois composantes : le groupe, les intérêts qu’il défend et les activités auxquelles il se livre7 ». Vingt ans plus tard, elle s’enrichit des réflexions d’Edward P. Herring sur le travail de représentation au Sénat et à la Chambre des représentants des États-Unis8. Puis, avec The Governmental Process (1951)9 de David B. Truman – lequel s’attache à mieux comprendre les raisons pous-sant les individus à s’unir et à agir pour influencer les pouvoirs publics10 –, elle donne à la recherche son véritable coup d’envoi qui, dès lors, franchit les frontières géographiques pour atteindre l’Europe et disciplinaires pour être également menée par la sociologie.

À partir de ce moment, les études sur les groupes de pression ou groupes d’intérêt – concepts parfois interchangeables – se multiplient. Sans cesse grandissant, l’intérêt qu’ils suscitent ne se

4. Léon DION, Société et politique : la vie des groupes, t. 1, Fondements de la société libérale, Québec, Presses de l’Université Laval, 1971, p. 173.

5. Jean-Dominique GIULIANI, Marchands d’influence : les lobbies en France, Paris, Seuil, 1991, p. 56.

6. Arthur BENTLEY, The Process of Government : A Study of Social Pressures, Chicago, University of Chicago Press, 1908, 501 p.

7. André BÉLANGER et Vincent LEMIEUX, Introduction à l’analyse politique, Montréal, Gaëtan Morin, 2002, p. 240.

8. Edward P. HERRING, Group Representation before Congress, Baltimore, The John Hopkins Press, 1929, 309 p.

9. David B. TRUMAN, The Governmental Process. Political Interests and Public Opinion, New York, Alfred A. Knopf, 1951, 544 p.

10. Le succès de David B. Truman proviendrait « autant de sa capacité à dire académiquement ce que tout un chacun savait déjà qu’à fournir une théorie alternative au paradigme marxiste ». Voir Guillaume COURTY, op. cit., p. 7.

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D E L A R E P R É S E N TAT I O N À L A M A N I F E S TAT I O N18

développe cependant pas partout à la même vitesse. En France, par exemple, rares sont les auteurs qui chercheront à pénétrer ce champ « déserté, marginal et marginalisé11 ». Ainsi, hormis les travaux de Georges Lavau et Jean Meynaud12 – qui, en brossant un portrait des groupes de pression, de leurs caractéristiques et de leurs modes d’intervention, font œuvre de défrichage pour la communauté scientifique francophone –, peu de recherches sont menées avant le milieu des années 1990 – si ce n’est l’ouvrage de Jacques A. Basso13. Publiant Sociologie des groupes d’intérêt (1994), Michel Offerlé le fait d’ailleurs bien remarquer : « Ce qui frappe tout d’abord le lecteur, écrit-il à cet égard, c’est le décalage […] qui existe entre une littérature anglo-saxonne proliférante et un domaine français laissé largement en friches14. » L’équilibre s’étant quelque peu rétabli depuis suivant l’engouement de plus en plus marqué pour le sujet15, il n’en demeure pas moins, aujourd’hui encore, un certain retard – sinon un retard certain.

Au Canada et au Québec, la situation évolue différemment. Tandis qu’au début des années 1970 Léon Dion déplorait le « peu d’études sur les groupes d’intérêts » – remarquant au passage « que sociologues et politologues les [ont] en horreur16 » –, à la fin de la décennie suivante Dominique Boivin soutient au contraire qu’elle est « abondante cette littérature17 ». De fait, ce qui manque alors

11. Michel OFFERLÉ, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1994, p. 12.

12. Georges LAVAU, « Note sur un Pressure Group français : la Confédération générale des petites et moyennes entreprises », Revue française de science politique, vol. 5, no 2, 1955, p. 370-383 ; Idem, « Political Pressures by Interest Groups in France », dans Henry W. EHRMANN (dir.), Interest Groups on Four Continents, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1958, p. 60-95 ; Jean MEYNAUD, Les groupes de pression en France, Paris, Armand Colin, 1958 ; Idem, Les groupes de pression, Paris, Presses universitaires de France, 1960, 127 p.

13. Jacques-A. BASSO, Les groupes de pression, Paris, Presses universitaires de France, 1983, 127 p.

14. Michel OFFERLÉ, op. cit., p. 12-13.15. Il suffit d’un rapide coup d’œil à la bibliographie du livre de Guillaume Courty

pour remarquer le nombre important d’ouvrages d’auteurs français parus depuis le milieu des années 1990. Voir Guillaume COURTY, op. cit., p. 108-112.

16. Léon DION, op. cit., p. 306.17. Dominique BOIVIN, Le Lobbying ou le pouvoir des groupes de pression, Montréal,

Du Méridien, 1987, p. 177.

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surtout, ce ne sont pas des études de cas – plutôt nombreuses –, mais des « travaux théoriques qui [les] appuient18 ». Étant de ceux-ci, Pressure Group Behavior in Canadian Politics (1975)19, édité sous la direction d’A. Paul Pross, est ainsi l’un des premiers à entreprendre une réflexion conceptuelle en lien avec les groupes de pression, motivé par le désir de mieux comprendre le système politique canadien en général et le processus d’élaboration des politiques publiques en particulier. Par la suite, devant « l’importance acquise assez soudainement par ces organisations » – importance dont témoignent « l’attention et la préoccupation des théoriciens, prati-ciens et hommes politiques » de l’époque pour celles-ci –, l’Institut d’administration publique du Canada décidera de leur consacrer son 14e Colloque national (1982), duquel elle publiera les actes20. Au fil des ans, plusieurs autres contributions, dont la plupart émanent de la science politique, s’ajouteront21.

La production scientifique canadienne et québécoise sur les groupes de pression ou d’intérêt sera également l’œuvre de chercheurs d’autres horizons, notamment de la discipline historique. Dès les années 1970, certains historiens s’intéresseront effectivement à eux,

18. Hugh G. THORBURN, Les rapports entre les groupes de pression et les gouver-nements dans le système fédéral canadien, Ottawa, Commission royale sur l’union écono-mique et les perspectives de développement du Canada, 1985, xviii-167 p.

19. A. Paul PROSS (dir.), Pressure Group Behaviour in Canadian Politics, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1975, 196 p.

20. A. Paul PROSS, « Résumé des discussions », dans A. Paul PROSS (dir.), Gouverner sous pression : les groupes d’intérêts spéciaux, Toronto, Institut d’administration publique du Canada, 1982, p. 183.

21. Par exemple André-J. BÉLANGER et Vincent LEMIEUX, « Les mouvements et les groupes », dans op. cit., p. 221-258 ; André BERNARD, « Les groupes de pression et les lobbies » dans La vie politique au Québec et au Canada, 2e édition, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2000, p. 121-145 ; Raymond HUDON, « Lobbying et poli-tiques publiques », dans Stéphane PAQUIN, Luc BERNIER et Guy LACHAPELLE (dir.), L’analyse des politiques publiques, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, p. 193-228 ; Raymond HUDON, « Les groupes d’intérêt : réalité en mutation et interprétations renouvelées », dans Réjean PELLETIER et Manon TREMBLAY (dir.), Le parlementarisme canadien et québécois, 4e édition, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, p. 253-303 ; Guy ROCHER, « Les groupes de pression », dans Introduction à la sociologie générale, 3e édition, Montréal, Hurtubise HMH, 1992, p. 512-518 ; Miriam SMITH (dir.), Group Politics and Social Movements in Canada, Peterborough, Broadview Press, 2008, 378 p. ; Idem., A Civil Society ? Collective Actors in Canadian Political Life, Toronto, University of Toronto Press, 2009, 224 p.

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tel Louis Chevrette travaillant sur les Ultramontains de la fin du xixe  siècle22. Plus récemment, Michel Sarra-Bournet s’est penché sur les groupes d’affaires canadiens-français de la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 196923. De leur côté, Marie Hammond-Callaghan et Matthew Hayday ont tourné leur regard sur les mouvements sociaux et les groupes d’intérêt qui ont émergé au Canada depuis la première moitié du xxe  siècle24, alors que Sean Mills a étudié l’agitation sociale et politique à Montréal lors des années soixante25. D’autres, enfin, sont pour leur part venus enrichir nos connaissances sur différents groupes issus du syndicalisme et du féminisme26.

Cela dit, malgré l’ensemble de ces travaux, aucun ouvrage analysant dans la longue durée les groupes de pression au Québec et les transformations qu’ils connaissent avec le temps n’a jusqu’à présent été réalisé – à l’instar de celui qui a été dirigé par Jean Garrigues et intitulé Les groupes de pression dans la vie politique contemporaine en France et aux États-Unis de 1820 à nos jours27.

22. Louis CHEVRETTE, « Aspects de la psychologie du groupe de pression ultra-montain canadien-français (1870-1890), Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 25, no 2, 1971, p. 155-189.

23. Michel SARRA-BOURNET, « Entre le corporatisme et le libéralisme : les groupes d’affaires francophones et l’organisation socio-politique du Québec de 1943 à 1969 », thèse de doctorat (histoire), Ottawa, Université d’Ottawa, 1995, 453 p.

24. Marie HAMMOND-CALLAGHAN et Matthew HAYDAY (dir.), Mobilizations, Protests and Engagements. Canadian Perspectives on Social Movements, BlackPoint, Fernwood Publishing, 2008, 264 p.

25. Sean MILLS, The Empire Within : Postcolonial Thought and Political Activism in Sixties Montreal, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2010, 303 p.

26. Béatrice CHIASSON et autres, Histoire du mouvement ouvrier au Québec : 150 ans de luttes, Montréal et Québec, CSN-Centrale de l’enseignement du Québec, 1984, 328 p. ; Fernand HARVEY, Le mouvement ouvrier au Québec, Montréal, Boréal Express, 1980, 330 p. ; Jacques ROUILLARD, Histoire de la CSN, 1921-1981, Montréal, Boréal Express et CSN, 1981, 335 p. ; Idem, Histoire du syndicalisme au Québec : des origines à nos jours, Montréal, Boréal, 1989, 515 p. ; Jean-Claude TARDIF, Le mouvement syndical et l’État, entre l’intégration et l’opposition : le cas de la CEQ, 1960-1992, Québec, Département des relations industrielles (Université Laval), 1995, 210 p. ; Marie LAVIGNE et autres, Travailleuses et féministes : les femmes dans la société québécoise, Montréal, Boréal Express, 1983, 430  p. ; Jocelyne LAMOUREUX, Michèle GÉLINAS et Katy TARI, Femmes en mouvement : trajectoires de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS), 1966-1991, Montréal, Boréal, 1993, 259 p.

27. Jean GARRIGUES (dir.), Les groupes de pression dans la vie politique contem-poraine en France et aux États-Unis de 1820 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.

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Table des matières

INTRODUCTION 9

Les groupes de pression au Québec : faire œuvre de défrichage 10Stéphane Savard et Jérôme Boivin

Pour une histoire des groupes de pression au Québec : quelques éléments conceptuels et interprétatifs 16

Jérôme Boivin et Stéphane Savard

TRANSPORT ET ENVIRONNEMENT 41

Les cyclistes : du progrès moderne à la révolution écologiste 42Ivan Carel

À la croisée des chemins : le Club automobile de Québec comme cheville ouvrière de l’automobilisme (1912-1948) 74

Étienne FaugierLes groupes verts et la question de l’énergie au Québec : émergence d’une prise de parole citoyenne, 1972-1997 100

Stéphane Savard

SANTÉ 135

Les associations d’hôpitaux au Québec, 1926-1966 136François Guérard

Naissance et développement des groupes de pression dans le domaine médical : des sociétés aux fédérations de médecins, 1961-1991 165

Denis Goulet

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« À la défense des diabétiques ! » Diabète Québec comme groupe de pression, 1960-2000 194

Jérôme Boivin

FRANCOPHONES 213

« La police de la langue » : la Gendarmerie royale du Canada et les groupes de pression favorables à l’unilinguisme français au Québec, 1968-1974 214

Marcel MartelLa Fédération des francophones hors Québec devant le gouvernement québécois (1976-1991) : groupe de pression ou compagnon d’armes ? 234

Michel Bock

MINORITÉS ETHNIQUES 275

Entre les tensions et les groupes de pression : les Britanniques de Montréal au temps des rébellions 276

Gillian I. LeitchUne commission aux voix discordantes : la commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton et l’exercice de pression des Ukrainiens et des « séparatistes » québécois, 1963-1971 292

Valérie Lapointe-GagnonLe Congrès juif canadien face au Québec issu de la Révolution tranquille, 1969-1990 314

Pierre Anctil

SOCIOCULTUREL 341

Entre champ d’intérêt et objet de pression, le patrimoine. Les luttes pour la conservation du Château Ramezay, 1893-1932 342

Karine Hébert

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Associations et groupes de pression dans les villes moyennes québécoises de 1900 à 1960 366

Pierre LanthierUne fragile union : les universités québécoises et le financement fédéral de l’éducation supérieure, 1949-1956 388

Jules Racine St-Jacques

ENVOI 427

Du temps des groupes de pression 428Martin Pâquet

PRÉSENTATION DES AUTEURS 439

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cet ouvrage est composé en adobe garamond pro corps 12selon une maquette de pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en septembre 2014sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagnypour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion