De la neuro-anatomie à la physiopathologie en passant … · Pitié-Salpêtrière, Paris....

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Ce que l’épilepsie nous a appris… Patient H.M. Activation ou levée d’inhibition Inhibition Déjà vu, vécu Dreamy state Amnésie La Lettre du Neurologue Suppl. 1 au Vol. XV n° 2 - février 2011 | 9 SUPPLÉMENT Session mémoire et épilepsie De la neuro-anatomie à la physiopathologie   en passant par la clinique Présentation de S. Dupont* * Unité d’épileptologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Commentaire Les connaissances sur les réseaux corticaux sous- tendant la mémoire épisodique ont beaucoup évolué depuis Papez, grâce entre autres à la neuropsycho- logie et aux observations menées chez l’homme, et notamment chez les patients épileptiques. Il existe depuis longtemps des arguments cliniques en faveur d’une intrication entre réseaux épileptogènes développés précocement au sein du lobe temporal et réseaux neuronaux physiologiques sous-tendant les processus mnésiques. L’un des exemples illustrant le mieux cette intrication est la survenue de phéno- mènes dysmnésiques expérientiels (ou dreamy state) dans les épilepsies du lobe temporal. Une autre illus- tration des interactions entre réseau épileptogène et réseau neuronal supportant la mémoire est la survenue d’une amnésie postcritique ou critique. À ce titre, le syndrome d’amnésie transitoire épilep- tique est hautement spécifique et révélateur. Ce syndrome touche des patients d’âge moyen (50 ans et plus) et se présente comme des épisodes isolés d’amnésie durant 20 à 30 minutes. La longueur de l’épisode peut parfois s’avérer trompeuse et ne pas faire évoquer d’emblée un épisode épileptique, mais permet d’écarter un ictus amnésique qui, par définition, dure beaucoup plus longtemps. Le diagnostic repose sur la répétition de ces épisodes stéréotypés, sur l’atteinte élective de la mémoire pendant les crises et sur l’association éventuelle à d’autres signes cliniques, quant à eux hautement évocateurs d’épilepsie, comme des automatismes oro-alimentaires ou des hallucinations olfactives. .../...

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Ce que l’épilepsie nous a appris…

�� Patient H.M.

�� Activation ou levée d’inhibition

�� Inhibition

Déjà vu, vécu Dreamy state

Amnésie

La Lettre du Neurologue • Suppl. 1 au Vol. XV n° 2 - février 2011 | 9

SUPPLÉMENT

Session mémoire et épilepsieDe la neuro-anatomie à la physiopathologie  en passant par la cliniquePrésentation de S. Dupont*

* Unité d’épileptologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Commentaire

Les connaissances sur les réseaux corticaux sous-tendant la mémoire épisodique ont beaucoup évolué depuis Papez, grâce entre autres à la neuropsycho-logie et aux observations menées chez l’homme, et notamment chez les patients épileptiques. Il existe depuis longtemps des arguments cliniques en faveur d’une intrication entre réseaux épileptogènes développés précocement au sein du lobe temporal et réseaux neuronaux physiologiques sous-tendant les processus mnésiques. L’un des exemples illustrant le mieux cette intrication est la survenue de phéno-mènes dysmnésiques expérientiels (ou dreamy state) dans les épilepsies du lobe temporal. Une autre illus-tration des interactions entre réseau épileptogène et réseau neuronal supportant la mémoire est la

survenue d’une amnésie postcritique ou critique. À ce titre, le syndrome d’amnésie transitoire épilep-tique est hautement spécifique et révélateur. Ce syndrome touche des patients d’âge moyen (50 ans et plus) et se présente comme des épisodes isolés d’amnésie durant 20 à 30 minutes. La longueur de l’épisode peut parfois s’avérer trompeuse et ne pas faire évoquer d’emblée un épisode épileptique, mais permet d’écarter un ictus amnésique qui, par définition, dure beaucoup plus longtemps. Le diagnostic repose sur la répétition de ces épisodes stéréotypés, sur l’atteinte élective de la mémoire pendant les crises et sur l’association éventuelle à d’autres signes cliniques, quant à eux hautement évocateurs d’épilepsie, comme des automatismes oro-alimentaires ou des hallucinations olfactives.

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Ce que l’épilepsie nous a appris…

Oubli accéléré chez 24 patients avec amnésie épileptique transitoire (groupe AF+ : avec plainte, groupe AF– : sans plainte)

Délai (mn)Po

urce

ntag

e d’ou

bli

100908070605040302010

0 1 10 100 1 000 10 000 100 000

PatientsTémoinsAF+AF–

30 mn

1 sem.2 sem.

�� Critères diagnostiques des amnésies épileptiques transitoires : – antécédents documentés d’épisodes répétitifs d’amnésies épileptiques transitoires – fonctions cognitives, autres que la mémoire, normales pendant ces épisodes – arguments pour le diagnostic d’épilepsie fondé sur les données suivantes• anomalies épileptiques sur l’EEG• association de signes cliniques évocateurs

(mâchonnement, hallucinations olfactives)• réponse claire aux médicaments antiépileptiques

Localisation radiologique du foyer épileptique dans les amnésies épileptiques transitoires

A B

C

�� Amnésie autobiographique�� Oubli accéléré�� Amnésie topographique

En pratique… et l’épilepsie frontale ?

Études portant sur la mémoire des patients opérés d’une épilepsie du lobe frontal Joaquin M. Fuster

Étude Fonction mnésique évaluée Groupes (n) Résultats dans l’épilepsie du lobe frontal

Résultats dans l’épilepsie du lobe temporal

Smith et Milner (1988)

Estimation de la fréquence de survenue de dessins abstraits

FLE 23 (15D/8G)TLE 47 (29D/18G)CTR 22

Déficits FLE droite et gauche Pas de déficit

McAndrews et Milner (1991)

Ordre temporel des items verbaux présentés

FLE 16 (8D/8G)TLE 36 (18D/18G)CTR 20

Déficits FLE droite et gauche Pas de déficit

Leonard et Milner (1991)

Mémoire kinesthésique (dépendant du feedback périphérique) : 1. Encodage 2. Rappel immédiat/différé

FLE 26 (18D/8D)TLE 36 (20D/16G)CTR 16

Déficits FLE droite et gauche (résections larges) : 1. Encodage 2. Rappel différé

Pas de déficit

Lacisa della Rocchetta et Milner (1993)

Mémoire verbale : 1. Rappel libre 2. Rappel indicé 3. Interférences

FLE 20 (8D/12G)TLE 51 (25D/26G)CTR 12

Déficits FLE gauche : 1. Rappel libre 2. Utilisation d’indices 3. Interférences

Déficits TLE gauche (large exérèse hippocampique) : 1. Rappel libre

Petrides (1985) Mémoire associative avec apprentissage de : 1. Appariements spatiaux arbitraires 2. Appariements non spatiaux arbitraires

FLE 29 (14D/15G)TLE 55 (26D/29G)CTR 20

Déficits FLE droite et gauche Déficits TLE droite (large exérèse hippocampique) : 1. Association de paires spatiales

(large exérèse hippocampique) 2. Association de paires non spatiales

Smith et Milner (1984)

Mémoire visuelle : 1. Rappel immédiat/différé

de localisations 2. Rappel de scènes

FLE 20 (13D/7G)TLE 34 (17D/17G)CTR 17

Pas de déficit Déficits TLE droite (large exérèse hippocampique) : 1. Rappel immédiat/différé de localisations 2. Rappel de scènes

Pigott et Milner (1993)

Mémoire visuelle : 1. Détails figuratifs 2. Composition spatiale

FLE 12 (7D/5G)TLE 53 (25D/28G)CTR 15

Pas de déficit Déficits TLE droite (large exérèse hippocampique) : 1. Rappel de détails figuratifs 2. Composition spatiale

FLE : épilepsie du lobe frontal ; TLE : épilepsie du lobe temporal ; CTR : contrôles : D : droite ; G : gauche.

10  | La Lettre du Neurologue • Suppl. 1 au Vol. XV n° 2 - février 2011

13es Journées françaises de l’épilepsieSUPPLÉMENT

Qu’est-ce que la “synergie” ?

�� Additivité : la réponse à la combinaison des 2 médicaments est similaire à la somme des réponses obtenues avec chaque médicament pris isolément

�� Supra-additivité : synergie

Ce concept s’applique à l’efficacité et à la tolérabilité (ED50-TD50)

Méta-analyse des études  expérimentales

�� 107 études publiées

�� 536 expériences, dont 157 exclues pour défaut méthodologique

�� 54 % des expériences ont rapporté des inter-actions synergiques

�� Mais seulement 65 études optimales, dont 27 avec évaluations des concentrations intra-cérébrales

La Lettre du Neurologue • Suppl. 1 au Vol. XV n° 2 - février 2011 | 11

SUPPLÉMENT

Conclusion

La clinique permet de mieux comprendre le fonctionnement et le dysfonc-tionnement des réseaux mnésiques et d’orienter ainsi la recherche sur de nouvelles pistes. En contrepartie, la recherche permet d’attirer l’attention sur de nouveaux acteurs méconnus de ces réseaux mnésiques (comme le cortex préfrontal) et d’aider la clinique à mieux appréhender certains déficits habituellement non diagnostiqués, car méconnus. ■

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Les critères diagnostiques reposent sur la mise en évidence d’anomalies épileptiques sur l’EEG et sur la bonne réponse au traitement antiépileptique. L’imagerie est en règle générale normale et, dans le cas contraire, elle montre toujours des anomalies hippocampiques. Fait intéressant, même si les épisodes d’amnésie transitoire disparaissent sous traitement, les patients continuent de se plaindre de leur mémoire avec notamment un oubli accéléré, des troubles mnésiques autobiographiques et topographiques.

Parallèlement, la connaissance sur la mémoire a également évolué grâce à l’imagerie fonctionnelle qui a pointé le rôle primordial du cortex préfrontal en association avec le fonctionnement de l’hippo-

campe et des cortex parahippocampiques. D’ailleurs, plusieurs études portant sur des patients souffrant d’épilepsie frontale (chirurgicaux ou non) montrent l’existence de déficits mnésiques parfois aussi invali-dants que ceux des patients souffrant d’épilepsie temporale.

S. Dupont

Conjuguer les antiépileptiques :  existe-t-il de meilleures options ?Point de vue pharmacologiquePrésentation de P. Ryvlin*

* Neurologie fonctionnelle et épilep-tologie, TIGER et CTRS Inserm IDEE, institut des épilepsies de l’enfant et de l’adolescent, Lyon.