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Colloque International OH 2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001 International Symposium OH 2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001 De la cosmogonie au cycle de l’eau : une histoire des idées From cosmogony to the water cycle: a history of ideas Michel DETAY Ondeo, 18 Square Edouard VII - 75316 Paris Cedex 09 (France) [email protected] Didier GAUJOUS Eau et Force, 300 Rue Paul Vaillant Couturier - 92000 Nanterre (France) [email protected] Résumé Le cycle de l’eau tente de rendre compte du fonctionnement de l’hydrosphère au sein d’un objet unique et compliqué, la Terre, où les milieux de l’atmosphère, de la surface du sol et du sous-sol entretiennent des relations complexes avec d’autres cycles physiques, géochimiques et biologiques. Depuis sa formation, il y a quatre milliards et demi d’années, la Terre a évolué vers son état actuel. Les océans existaient déjà il y a trois milliards huit cent millions d’années et leur volume avait atteint plus de 90 % du volume actuel à la fin de l’Archéen. Ainsi le cycle de l’eau a, lui-même, une histoire, d’autant plus digne d’intérêt que, sous sa forme actuelle, c’est une science très jeune. De nombreuses branches des sciences naturelles sont donc intimement liées au cycle de l’eau. À travers un rappel des théories scientifiques ou mythiques expliquant la formation de l’univers et de la Terre, nous proposons une reconstitution de l’évolution historique des idées, concepts et outils qui se sont développés depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Nous distinguons quatre périodes : de l’Antiquité au Moyen Âge : du mythe à la mécanique aristotélicienne. du XV e à la fin du XVII e siècle : un nouveau monde. Premiers développements dans la compréhension de l’origine des sources avec Léonard de Vinci, Bernard Palissy et Agricola, et de la mécanique des fluides avec les travaux de Pascal. de la fin du XVII e au XVIII e au siècle : émergence des sciences de l’hydrologie. C’est avec la contribution de Pierre Perrault sur le bilan hydrologique et d’Edmund Halley sur l’évaporation, que la science de l’hydrologie est née. depuis le XIX e siècle : vers le modèle actuel. Les nombreuses controverses doctrinales qui ont animé la scène hydrologique internationale depuis le XVIII e siècle mettent en perspective l’évolution des idées. De nos jours, si l’on ne discute plus les traits généraux fondateurs de l’hydrologie moderne, il ne subsiste pas moins des divergences aux interfaces des différentes disciplines (hydrologie, hydrogéologie, hydraulique, limnologie, sciences de l’atmosphère et de l’espace, chimie, physique, biologie…). Bien que le cycle de l’eau soit appréhendé dans son ensemble, au- © Université de Bourgogne 1

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Colloque International OH2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001 International Symposium OH2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001

De la cosmogonie au cycle de l’eau : une histoire des idées

From cosmogony to the water cycle:

a history of ideas

Michel DETAY Ondeo, 18 Square Edouard VII - 75316 Paris Cedex 09 (France)

[email protected] Didier GAUJOUS

Eau et Force, 300 Rue Paul Vaillant Couturier - 92000 Nanterre (France) [email protected]

Résumé

Le cycle de l’eau tente de rendre compte du fonctionnement de l’hydrosphère au sein d’un objet unique et compliqué, la Terre, où les milieux de l’atmosphère, de la surface du sol et du sous-sol entretiennent des relations complexes avec d’autres cycles physiques, géochimiques et biologiques. Depuis sa formation, il y a quatre milliards et demi d’années, la Terre a évolué vers son état actuel. Les océans existaient déjà il y a trois milliards huit cent millions d’années et leur volume avait atteint plus de 90 % du volume actuel à la fin de l’Archéen. Ainsi le cycle de l’eau a, lui-même, une histoire, d’autant plus digne d’intérêt que, sous sa forme actuelle, c’est une science très jeune. De nombreuses branches des sciences naturelles sont donc intimement liées au cycle de l’eau.

À travers un rappel des théories scientifiques ou mythiques expliquant la formation de l’univers et de la Terre, nous proposons une reconstitution de l’évolution historique des idées, concepts et outils qui se sont développés depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Nous distinguons quatre périodes : de l’Antiquité au Moyen Âge : du mythe à la mécanique aristotélicienne. du XVe à la fin du XVIIe siècle : un nouveau monde. Premiers développements dans la

compréhension de l’origine des sources avec Léonard de Vinci, Bernard Palissy et Agricola, et de la mécanique des fluides avec les travaux de Pascal.

de la fin du XVIIe au XVIIIe au siècle : émergence des sciences de l’hydrologie. C’est avec la contribution de Pierre Perrault sur le bilan hydrologique et d’Edmund Halley sur l’évaporation, que la science de l’hydrologie est née.

depuis le XIXe siècle : vers le modèle actuel. Les nombreuses controverses doctrinales qui ont animé la scène hydrologique

internationale depuis le XVIIIe siècle mettent en perspective l’évolution des idées. De nos jours, si l’on ne discute plus les traits généraux fondateurs de l’hydrologie moderne, il ne subsiste pas moins des divergences aux interfaces des différentes disciplines (hydrologie, hydrogéologie, hydraulique, limnologie, sciences de l’atmosphère et de l’espace, chimie, physique, biologie…). Bien que le cycle de l’eau soit appréhendé dans son ensemble, au-

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delà des écoles de pensée, il reste mal maîtrisé. Les étapes de la domestication de l’eau sont loin d’être achevées. Notre compréhension de phénomènes globaux, comme El Niño, demeure partielle. Par ailleurs, à une échelle plus locale, l’impact sur le milieu naturel et le devenir des pollutions dans l’hydrosystème constituent un enjeu majeur pour le vivant.

Enfin, l’eau fait partie de l’histoire du cosmos. L’étude des glaces extraterrestres fournit un moyen de mieux appréhender l’histoire du système solaire. L’histoire du cycle de l’eau n’est pas terminée. La connaissance et la quantification du cycle de l’eau représentent une des grandes aventures de l’esprit humain.

Abstract

The water cycle tries to explain the functioning of hydrosphere at the heart of a single and complicated object, the Earth, where the atmosphere, sub-surface and underground have complex relations with other physical, geochemical and biological cycles. Since the formation of the Earth, 4.5 Gy ago, it has evolved to its present state. The oceans already existed 3.8 Gy ago and with a volume reaching more than 90 % of their present volume at the end of the Archeozoic period. The water cycle therefore has itself a history, all the more interesting in its present form that it is a very young science. Various branches of natural sciences are therefore closely linked to the water cycle.

Calling to mind all of the mythical or scientific theories which explain how the Earth and the universe were formed, we propose to reconstitute the historical evolution of the ideas, concepts and tools which have been developed since the Antiquity period to the present. We have divided it up into four periods:

from Antiquity to Middle Age: from myth to Aristotelian mechanics. from the Middle Age to the end of the XVIIth century: a new world. First

developments in understanding the origin of sources with Leonardo da Vinci, Bernard Palissy and Agricola, and hydraulic thanks to the work of Pascal.

from XVIIIth to the last century: emergence of hydrology. Thanks to the contributions of Pierre Perrault (1611-1680) on the hydrology appraisal and Edmund Halley (1656-1742) on evaporation, the science of hydrology was born.

from the last century: to the present model. Various doctrinal controversies which brought the international hydrologic scene

to life since XVIIIth century put the evolution of ideas into perspective. Nowadays, if the founding general features of modern hydrology are no longer discussed, divergence to the various discipline interfaces still exist (hydrology, hydro-geology, hydraulics, limnology, atmospheric and spatial atmosphere sciences, chemistry, physics, biology…). Although the water cycle is generally understood beyond the various schools of thought, it has not yet been fully mastered. The domestication stages of water are far from finished. Our understanding of the global phenomena, such as El Niño, remains partial. Moreover, on a more local scale, the impact on the natural environment and the future of pollution in the hydro-system represent a major stake for life forms.

Finally, water is part of the history of the cosmos. Studying extraterrestrial ice provides a means to better understand the history of the solar system. The history of water cycle is not finished. Understanding and quantifying the water cycle is one of the great adventures of the human mind.

* * * 1. Théories mythiques

Les Égyptiens pensaient que le monde était sorti d’une grande masse liquide appelée Noun. « Au commencement le monde était un désert océanique. Le dieu de lumière apparut sous la forme d’un œuf brillant, qui flottait sur la

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nappe aquatique ». En Inde, Brahmânda, l’Œuf du monde, est couvé à la surface des Eaux. Dans certaines allégories tantriques, l’eau figure prâna, le souffle vital. Chez les Grecs, les eaux primordiales (Oceanos) limitent l’univers. « L’univers était dans l’obscurité, avec de l’eau partout, sans aurore, sans clarté, sans lumière », dit un texte maori (Nouvelle-Zélande). Selon les Rig Veda (Inde) : « Il y avait au début l’obscurité. Tout était en eau ». L’Asie tient l’eau pour le « chaos » originaire, « la source de toute chose et de toute existence ». La cosmologie babylonienne représente l’eau sous deux aspects : océan d’eau douce (apsû) sur lequel, plus tard, flottera la terre et la mer salée. Selon une version huronne (Canada) : « Au début, il n’y avait que l’eau : un vaste océan peuplé d’animaux aquatiques ». « Au début, quand il n’y avait que de l’eau, Dieu et le « premier homme » se mouvaient sous la forme de deux oies noires au-dessus de l’océan primordial », dit une légende sibérienne. Dans la tradition judéo-chrétienne, on trouve dans la Genèse : « La terre était sans forme et vide. L’obscurité s’étendait à la surface des profondeurs et l’esprit de Dieu se mouvait sur l’étendue des eaux ».

À ces cosmogonies correspondent les qualités fabuleuses qu’on attribue à l’eau. L’eau est une composante essentielle de la vie et, en tant que telle, cristallise toutes les passions. Source de vie, moyen de purification, centre de régénérescence, l’eau hante les cultures humaines. Lao-Tseu (IVe ou Ve siècle avant J.-C.), maître du Tao enseigne que l’eau est l’emblème de la vertu suprême. Dans la Bible, de nombreux passages relatent son importance pour les tribus d’Israël. Abraham et Isaac étaient avant tout célèbres pour leur faculté de trouver de l’eau en creusant un puits.

Mais, en marge de ce rôle vital, l’eau est intimement associée à des phénomènes mystiques et inexplicables. Dans tel passage de la Bible, c’est Jésus-Christ qui crée une fontaine pour laver sa tunique près du sycomore de Matarea ; dans tel autre, c’est Saint Pierre qui fait jaillir une source à travers les murs de la prison de Mamertine afin de baptiser deux soldats romains.

Parmi les penseurs ioniens du VIe siècle av. J.-C., Thalès de Milet (v. 625-547 av. J.-C.), imagine que l’eau de mer poussée par les vents monte dans le sol et les montagnes pour créer les sources, le dessalement provenant de la filtration. Il supposait que la Terre flottait sur l’eau et expliquait ainsi les tremblements de terre par l’agitation de cet océan souterrain. Il considérait que « l’eau est la cause matérielle de toutes choses » et ambitionnait de métamorphoser les connaissances dispersées en un savoir rationnel et cohérent, débarrassé de la tutelle des magies. Démocrite (v. 460-370 av. J.-C.) pense également que les tremblements de terre sont dus à l’eau. « Une partie de la Terre est concave, et il s’y accumule une importante masse d’eau. De cette partie de la Terre sort une substance subtile et plus liquide que tout le reste, qui, lorsqu’elle est repoussée par la pression d’une masse d’eau qui s’abat par-dessus, exerce une pression sur la Terre et la fait trembler ».

C’est dans le Tartare [Platon (428-348 av. J.-C.)], le plus profond des abîmes de la troisième terre, rempli d’eau et descendant jusqu’au centre de la terre, que convergent toutes les eaux, celles de l’Océan et celles des fleuves. Du

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Tartare ressortent trois courants : le Pyriphlégéton d’où sortent les manifestations volcaniques chargées de vapeur, le Cocyte qui se jette dans le lac du Styx et l’Achéron qui donne naissance aux sources et aux fleuves.

Parmi les Présocratiques, Héraclite (v. 550-480 av. J.-C.), pensait que l’eau provenait du feu : « En se condensant, le feu s’humidifie ; et, en se resserrant plus encore, il engendre l’eau ; et quand l’eau se cristallise, elle se change en terre. Telle est la route descendante. À rebours, la terre se liquéfie, d’elle naît l’eau et de celle-ci les autres éléments ». Il ramène presque toutes choses à l’évaporation à partir de la mer. C’est la route montante. Des exhalaisons naissent de la terre et de la mer, les unes claires et pures, les autres obscures. Le feu se trouve alimenté par les exhalaisons claires et pures, l’humide par les autres.

Ainsi, l’eau, comme tous les symboles, peut être envisagée sur deux plans

rigoureusement opposés, mais nullement irréductibles, et cette ambivalence se situe à tous les niveaux. L’eau est source de vie et source de mort, créatrice et destructrice. 2. Théories scientifiques 2.1. Du mythe à la mécanique aristotélicienne

L’Antiquité est marquée par une intense créativité dans le domaine des idées, aussi bien sur les plans philosophique, mathématique, astronomique que géographique. Sur le plan de la connaissance scientifique générale, toute l’époque est profondément marquée par la pensée d’Aristote (v. 384-322 av. J.-C.).

La vision générale du Monde est dépendante de la mécanique aristotélicienne, qui affirme la subdivision entre le monde supralunaire (domaine des astres et de l’éternité) et le monde sublunaire (domaine de la génération et de la corruption), et qui repose sur la théorie des lieux et des mouvements naturels des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.

La première trace de l’origine atmosphérique de l’eau souterraine est attribuée à Homère, aux alentours du premier millénaire avant J.-C., dans l’Iliade (livre 21). Bien plus tard, Thalès (v. 625-547 av. J.-C.), Anaxagoras (500-428 av. J.-C.), Hérodote (484-425 av. J.-C.) et surtout Platon (350 av. J.-C.) soulignèrent l’importance de l’évaporation et des pluies comme étant probablement à l’origine des fleuves et des sources, mais ces philosophes étaient surpris par la taille des rivières en comparaison du faible volume des précipitations. Aristote fut le premier à subodorer les modalités du cycle de l’eau entre l’air et la Terre, sans pour autant appréhender la nature même du phénomène et du stockage souterrain. Aussi, malgré quelques avancées réelles dans ce domaine, deux hypothèses prévalaient quant à l’origine des eaux de sources. La première supposait que l’eau de mer était amenée par l’intermédiaire de

fleuves souterrains jusqu’aux montagnes pour y être purifiée avant de ressortir au niveau des sources : « Cette eau amère se filtre, perd son sel,

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remonte vers les sources des fleuves où se rassemble toute la matière humide et de là, coule en flots adoucis à la surface du sol » explique Lucrèce en 50 avant J.-C.

La seconde faisait intervenir des phénomènes de condensation au sein de cavernes souterraines froides ; l’humidité ainsi formée rejoignait les sources.

Marcus Vitruvius, aux environs de l’an XV avant J.-C., parvint à concevoir

correctement le processus dans son ensemble et imagina que l’eau de pluie et de la fonte des neiges pouvait s’infiltrer dans le sol dans les contrées montagneuses pour réapparaître plus loin, au niveau des sources : « C’est dans les lieux creux qui sont en haut des montagnes que l’eau des pluies s’amasse et que les arbres, qui y croissent en grand nombre, y conservent la neige fort longtemps, laquelle se fondant peu à peu, s’écoule insensiblement par les veines de la terre et c’est cette eau qui, étant parvenue au pied des montagnes, y produit des fontaines ». Quasiment à la même époque, Lucius Annaeus Sénèque reprit la théorie d’Aristote tout en déniant la réalité de l’infiltration de l’eau dans le sol.

Le Dominicain français Vincent de Beauvis (né en 1190) reconnut que la condensation d’un air chaud ascensionnel le long d’un versant montagneux pouvait provoquer des précipitations. La théorie du cycle de l’eau venait de naître, mais ces idées beaucoup trop avant-gardistes pour l’époque devront attendre de nombreuses années avant d’être réinventées.

Les conclusions de Sénèque selon lesquelles l’eau de pluie serait une source insuffisante pour expliquer le débit des sources furent acceptées pendant plus de mille cinq cents ans. 2.2. Du XVe à la fin du XVIIe siècle : un nouveau monde

La période de deux cents ans comprise entre 1450 et 1650, peut apparaître, après le Moyen-Âge, comme une nouvelle époque d’innovation et de créativité dans le domaine des idées et de la connaissance. Ce renouveau se fait le plus souvent avec une opposition forte contre le point de vue aristotélicien. Les références classiques en sont l’apparition du système copernicien (1543), des lois de Kepler (1609-1619) et de la mécanique de Galilée (1632). Tout ceci se concrétisant, en fin de période, avec la grande synthèse mécanique de Descartes. Dans le domaine de l’eau et de la Terre, l’époque est marquée par une interprétation neuve des observations anciennes. Léonard de Vinci, Bernard Palissy et Agricola, posent les jalons du développement de la géologie grâce à leurs propos sur la signification des fossiles, la minéralogie et l’origine des sources.

Léonard de Vinci (1452-1519), génie de la Renaissance, recherchera avec obstination dans la nature les forces mécaniques primaires, le Prime Motore. Ses observations sur les vortex, sur les mouvements ondulatoires et sur la continuité sont remarquables. S’il réaffirme le principe du cycle de l’eau : « Depuis tant de temps que le Tigre et l’Euphrate ont déversé par les Monts d’Arménie, on peut croire que toute l’eau de l’océan a, de multiples fois, passé par ces bouches… Si

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bien qu’on peut conclure que l’eau va des fleuves à la mer et de la mer aux fleuves », le mécanisme de ce dernier chemin lui reste obscur : « Si l’eau qui vient des cimes vient de la mer, pourquoi peut-elle s’élever en ne pénétrant dans la terre qu’avec difficulté et temps ? Pourquoi l’eau qui confine à l’air qui résiste moins ne s’élève-t-elle pas ? ». S’il n’apporte pas toujours les réponses, ce touche-à-tout brouillon et génial pose en tous cas les bonnes questions.

Agricola (Georges Bauer, 1494-1555), père de la minéralogie, décrira en détail l’action érosive des rivières et leur rôle dans la morphogenèse des montagnes. Malgré une forte culture scolastique, il saura écarter avec propos les idées reçues des auteurs classiques et privilégier l’observation et l’approche expérimentale dans les sciences.

L’apport de Palissy (1509-1589), quant à lui, ses opinions sur les sources sont exposées dans son ouvrage « Discours admirables de la nature des eaux et des fontaines, tant naturelles qu’artificielles ; des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux ; avec plusieurs autres excellents secrets des choses naturelles, etc. », paru en 1580. Les arguments de Palissy pour réfuter l’alimentation des sources par la mer sont très sensés et pour lui la solution ne fait aucun doute : seule la pluie peut être à l’origine des eaux qui sortent de la terre. Il faudra cependant attendre un siècle avant que son idée soit pleinement reconnue grâce aux travaux de Perrault en 1674.

2.3. La fin du XVIIe et le XVIIIe siècles : émergence des sciences de l’hydrologie

Cette période est placée sous le signe de la mécanique et des mathématiques. Les principaux contributeurs sont Huygens, Leibniz, Newton, Euler et Pascal, dont les travaux permettent le développement de la mécanique des fluides parallèles à la mécanique des corps solides. Dans l’Univers Horloger, la question de l’origine des sources reste pourtant longtemps ouverte. L’opinion de Palissy n’a pas été reprise, et de grands penseurs comme Descartes, Kircher, Kepler et même Sténon continuent à supposer l’existence de canaux souterrains. L’hypothèse de communications internes entre la mer et les sources provient de l’idée, habituelle à l’époque, que l’eau de pluie ne tombe pas en quantité suffisante pour alimenter les sources et les rivières et que, par conséquent, un approvisionnement souterrain est nécessaire pour pallier le déficit en eau. Cette idée est dénoncée par Pierre Perrault (1608-1680), frère du fabuliste, dans son ouvrage « De l’origine des fontaines », en 1674. Perrault veut montrer directement que le volume des pluies suffit amplement pour expliquer le débit des rivières. Pour se faire, il estime le débit de la Seine un peu en aval de sa source, la surface du bassin-versant et le total des pluies tombées au cours de l’année. Il reconnaît lui-même que ses estimations sont grossières, mais elles sont suffisamment significatives pour pouvoir conclure « qu’il ne faut donc qu’environ la sixième partie de ce qui tombe d’eau de pluie et de neige pour faire couler cette rivière continuellement durant une année ». Contrairement à l’expérience commune, l’alimentation interne n’est pas nécessaire. Le calcul de Perrault est confirmé en 1686 par celui du physicien Mariotte (1620-1684) qui l’étend à tout

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le bassin amont de Paris et montre que le volume des pluies est huit fois plus grand que l’écoulement. Ces calculs apportent donc une justification quantitative aux propos de Palissy. Ils ne seront pas remis en cause en dépit de la persistance chez certains de l’idée des canaux internes.

Edmund Halley (1656-1742) publia plusieurs études sur l’évaporation en mer Méditerranée et son influence sur le débit des fleuves, apportant ainsi une donnée importante aux travaux des deux scientifiques français.

À son tour, La Metherie détailla, en 1791, les modalités de l’infiltration, de l’évapotranspiration et du ruissellement.

Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) présente à l’Académie un mémoire sur la composition de l’eau à la suite d’une étude menée dans les Vosges dans lequel il détruit les thèses de Van Helmont sur la transmutation de l’eau en terre, avant de démontrer, en 1783, le caractère composé de l’eau ; l’histoire de la chimie de l’eau peut alors commencer. Les équations du mouvement des fluides visqueux seront établies dans les années 1820 par Navier et Cauchy.

2.4. Les XIXe et XXe siècles : vers le modèle actuel

Au cours de la première moitié du XIXe siècle, de nombreux géologues et ingénieurs français ont contribué à l’étude des eaux souterraines. Parmi eux, H. Darcy (1856) fut le premier à aborder le problème sur le plan mathématique en établissant une relation entre la vitesse d’infiltration, la perméabilité des terrains et le gradient hydraulique. De nos jours, la loi de Darcy reste l’équation de base de l’hydrogéologie quantitative.

Toutefois, les concepts liés à la nature et au mouvement des eaux souterraines restèrent fortement influencés par la théorie de C.R. Van Hise selon laquelle « une grande mer souterraine réglait la distribution de l’eau ». Aujourd’hui encore, la nature exacte de la distribution de l’eau dans le sous-sol échappe au grand public et nombreux sont ceux qui imaginent de grandes rivières ou lacs souterrains qui collectent et permettent la circulation des eaux.

Durant la seconde partie du XIXe siècle, les scientifiques français, allemands ou américains entre autres, ont commencé à accumuler les données d’observation afin de définir des règles générales sur lesquelles viendront s’appuyer les principes de l’hydrogéologie.

Les lois qui gouvernent la circulation des eaux souterraines dans les formations alluviales ont été déduites expérimentalement par G. Hagen (1839), J.L. Poiseuille (1840-1842), A. Hazen (1892) et C.S. Slichter (1899). J. Dupuit (1863), puis A. Thiem (1906) ont défini les lois qui régissent le flux d’entrée d’eau dans un puits. P. Forchheimer (1886) fut le premier à introduire le concept de surfaces équipotentielles et leur relation avec les lignes de flux d’eau.

Au début du XXe siècle, certaines sciences ont pris un essor remarquable, telles que la chimie, la physique ou la bactériologie et leur impact sur l’hydrologie est majeur.

C.V. Theis (1935) développa une équation pour décrire le flux d’eau dans un puits, en régime transitoire. Cette équation était basée sur une analogie avec

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les flux de chaleur. Quelques années plus tard, C.E. Jacob reprit la formulation de Theis sur le plan purement hydraulique.

Par la suite, la contribution la plus notable en ce qui concerne l’analyse mathématique de la circulation des eaux souterraines fut sans aucun doute celle de M. Muskat (1937).

La seconde moitié du XXe siècle a vu fleurir d’innombrables méthodes d’investigation et d’interprétation des données relatives à la connaissance de l’hydrologie. Un pas supplémentaire a été franchi plus récemment avec la généralisation de l’usage des données satellites et radar, des ordinateurs et des modèles de simulation mathématique.

Avec le développement des ordinateurs et des satellites, tout semble enfin maîtrisé en hydrologie. Il y a bien, tel le grain de sable dans la mécanique bien huilée du déterminisme, des points de résistance. Ainsi, l’eau, d’ordinaire si facile à mettre en équation à l’échelle macroscopique, résiste encore à toute analyse mathématique à travers ses « turbulences ».

Werner Heisenberg, sur le point de mourir, aurait déclaré qu’il poserait à Dieu deux questions : pourquoi existe-t-il la relativité, pourquoi existe-t-il la turbulence ? « Je suis persuadé qu’il saura répondre à la première question », aurait-il ajouté.

Et c’est en cherchant à répondre à la deuxième question que l’homme de la fin du XXe siècle donnera naissance aux idées les plus révolutionnaires : Edward Lorenz, et son effet papillon, René Thom et ses catastrophes, Benoit Mandelbrot et ses fractales, Mitchell Feigenbaum et sa découverte de l’universalité des invariances d’échelle, Ilya Prigogine et ses structures dissipatives. Et, au final, l’univers renaît du chaos. 3. Les étapes de la domestication de l’eau

Au tout début, les hommes se contentaient de puiser l’eau dans les rivières, mares ou sources. Cette « cueillette » avait ses limites, imposées par le climat ou la topographie. C’est la raison pour laquelle les groupements humains s’organisaient près des lieux humides et se déplaçaient de point d’eau en point d’eau. Aujourd’hui encore, dans les contrées désertiques d’Afrique, l’existence de certains peuples est étroitement liée à l’eau.

Bien plus tard, afin de pallier les insuffisances dues aux caprices des climats ou simplement pour compléter les ressources directement disponibles en surface, les hommes ont commencé à creuser pour chercher ou recueillir l’eau potable. Les premières cités crétoises (2 000 ans avant J.-C.) utilisaient des puits et citernes alimentés par les précipitations.

La première tentative de gestion de l’eau fut sans doute l’invention de l’irrigation. Sept ou huit mille ans avant J.-C., des hommes ont essayé de domestiquer les grands fleuves tels que le Nil, l’Euphrate, le Tigre ou l’Indus.

Les premières traces d’une irrigation contrôlée ont été retrouvées en Asie Mineure, dans la partie inférieure du Tigre et de l’Euphrate. Les Mésopotamiens

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parvenaient à irriguer des terrasses situées à huit cents mètres au-dessus du niveau du fleuve grâce au système du Chadouf (utilisé encore de nos jours dans certaines contrées africaines). Ainsi, Babylone était le centre d’un gigantesque système d’irrigation qui distribuait l’eau sur huit cent mille hectares. Si, comme on le prétend, l’histoire du monde civilisé débute à Sumer, c’est probablement à l’eau que l’on doit cette naissance.

Un système complexe et ingénieux de puits et de galeries creusés à la main, les ghanats (également connus sous les noms de ganats, kanats, kariz ou foggaras), datent de trois mille ans avant J.-C. Cette technique a probablement émergé en Iran avant de se généraliser en Afrique, en Asie et en Europe du sud. Notons que des ghanats ont également été découverts en Amérique du Sud. Dans certaines parties des zones sahariennes ils répondent au nom « d’ouvrages Perses ». En Iran, on dénombre environ cinquante mille ghanats avec une longueur de tunnel de près de trois cent cinquante mille kilomètres qui permettent d’approvisionner en eau environ 75 % de la population et couvre entre le tiers et la moitié des besoins en eau de l’agriculture.

Vers le IIIe millénaire avant J.-C., les Égyptiens avaient construit tout un système de digues afin de pallier les insuffisances des submersions naturelles liées aux crues du Nil. Un office de l’eau a été créé, responsable des mesures, du contrôle et de la répartition des débits en fonction des surfaces à irriguer. En ce sens, l’Antiquité égyptienne est le premier et le seul exemple historique de gestion globale d’un fleuve. Il faudra attendre le XXe siècle pour retrouver une démarche comparable. Si l’on excepte sa dimension spirituelle, l’exemple égyptien illustre la nécessité que l’on retrouve aujourd’hui encore, d’un pouvoir central fort pour assurer la gestion collective et patrimoniale des ressources en eau.

On peut citer également les travaux des Perses en matière d’alimentation en eau. Leurs réalisations sont restées célèbres à l’image de certains canaux construits en l’an 800 avant J.-C. pour amener l’eau dans les cités de Nineveh ou d’Hamadan. Ces canalisations atteignaient communément plusieurs kilomètres de long. La technique des canaux fut introduite en Égypte vers 500 avant J.-C. par Admiral Scylox. Il construisit un réseau de canaux d’environ cent cinquante kilomètres de long afin d’irriguer plus de trois cents hectares de plaine. Certaines contrées iraniennes ou afghanes utilisent encore ce système.

Il y eut ensuite un progrès considérable du temps de la civilisation grecque, et surtout romaine. À cette époque, l’eau devint un bien de consommation courante et l’on vit se développer de nombreuses adductions d’eau collectives. L’Europe méditerranéenne garde encore la trace des aqueducs construits par les Romains. Le premier aqueduc « l’Aqua Apia » date de 312 avant J.-C. Il a suivi de peu la canalisation d’un affluent du Tibre qui deviendra le principal collecteur d’eaux usées. Ainsi, l’assainissement a souvent accompagné les progrès de l’adduction d’eau potable. Si l’eau était, la plupart du temps, distribuée aux fontaines publiques, il arrivait que certaines maisons bénéficient d’une alimentation directe.

Des décrets réglementaient l’entretien des aqueducs et les modalités de la distribution et du paiement de l’eau. L’organisation romaine est, dans son

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principe, comparable à celle qui règle aujourd’hui la distribution de l’eau de la plupart des collectivités, c’est-à-dire : responsabilité communale, investissements décidés par les responsables locaux, services publics gérés par un budget autonome, obligation de résultats.

En matière de protection, les Romains furent encore des précurseurs. C’est

en l’an V avant J.-C. que le consul Quinctius Crispus édicta, pour la première fois, une loi qui rappelle les règles qui régissent l’établissement des périmètres de protection actuels des forages.

« Si un terrain, dans le présent ou dans l’avenir, contient dans ses limites des canaux, conduits, arches, tuyaux, tubes, châteaux d’eau, bassins des aqueducs publics qui sont amenés ou seront amenés à Rome, que personne dans ce terrain ne puisse rien placer, construire, enclore, planter, disposer, labourer, semer, etc. ». Certes, cette loi avait pour but la sauvegarde de l’infrastructure plutôt que

la protection de la qualité de l’eau ; néanmoins elle est le premier exemple de tentative de réglementation à proximité d’un ouvrage d’eau.

Après la décadence de la civilisation romaine, la période moyenâgeuse s’avère être une époque de transition. Bien que les témoignages écrits concernant cette époque soient rares, on peut considérer que durant le Moyen Âge, de nombreux acquis relatifs à l’adduction d’eau et à l’assainissement furent perdus, du moins en Europe occidentale.

Pourtant, l’eau demeura le vecteur économique de l’urbanisation préindustrielle. La plupart des historiens s’accordent à dire que la ville médiévale prit peu à peu l’économie comme base de son développement. Dans ce cadre, les métiers de la rivière (tanneries, moulins, teintureries, etc.) occupaient une place prépondérante. À notre époque, dans de nombreux pays africains, le puits est encore le centre d’activité du village.

Malgré le rôle essentiel tenu par l’eau dans de nombreux secteurs de la vie courante, il fallut attendre le XIXe siècle pour assister de nouveau à une réelle politique de gestion de l’eau, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Dans les années 1800, il y avait à Paris environ trente mille puits privatifs, de qualité douteuse. En 1850, les maisons n’étant toujours pas desservies en eau courante, des porteurs assuraient la livraison à domicile de l’eau des fontaines publiques. Au cours des quarante années suivantes, le Baron Haussmann lança un vaste programme de modernisation du système d’eau et d’assainissement dans la capitale. En 1890, la plupart des immeubles parisiens sont alimentés en eau courante. Les effets de cette politique sur la santé publique, et notamment les épidémies de choléra, sont spectaculaires (Tableau 1).

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Années des épidémies 1832 1849 1854 1865 1866 1873 1884 1892 Nombre de victimes pour 100 000 hab.

2

345

1

861

732

354

289

46

44

29

Tableau 1. Mortalité due au choléra à Paris au XIXe siècle.

À cette époque, la création de compagnies privées de distribution d’eau est à l’origine d’une des particularités de la gestion de l’eau en France : la délégation du Service Public.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, sous les effets conjugués de deux facteurs — la reconstruction et la relance économique — on assiste à un développement important des réseaux d’adduction d’eau potable en milieu rural et des réseaux d’assainissement dans les villes. En 1945, 30 % des communes rurales étaient desservies en eau potable, en 1960, elles étaient voisines de 90 %.

Parallèlement à cela, on assiste à une prise de conscience collective de la précarité des ressources en eau, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. À la suite des formidables essors urbains et industriels, les quelques exemples de pénurie observés dans certaines régions dans les années 1950 et surtout l’évidence de la pollution des eaux superficielles dans les années 1960 ont montré les limites du système en vigueur. Il devenait alors indispensable, pour la poursuite du développement économique, et avant même les considérations écologiques, qui suivront plus tard, d’améliorer la gestion de l’eau : ce fut en France le but de la première loi sur l’eau, datée de 1964.

Dès lors, les efforts se multiplient dans le développement de l’assainissement et de l’épuration. Mais le modèle hygiénistes utilisé ne tarde pas à être remis en question. La persistance, voire l’amplification des inondations en zone urbaine, le problème du rejet par temps de pluie et les difficultés d’implanter les systèmes traditionnels d’assainissement dans les zones du monde à faibles revenus amènent à l’émergence d’une nouvelle hydrologie urbaine, sous l’impulsion de Pr. Murray Mac Pherson aux États-Unis et en France de plusieurs écoles prestigieuses (B. Chocat, M. Desbordes, J.-C. Deutsch).

Aujourd’hui, l’exploitation et la distribution de l’eau deviennent des axes prioritaires dans toutes les politiques d’aménagement. La gestion des ressources est moins l’affaire d’une institution unique que d’un travail de partenariat entre les politiques, les administrations, les universitaires, les représentants des usagers, associations, industriels et des sociétés spécialisées (Ondeo, Vivendi...).

Au niveau mondial, la situation peut se schématiser suivant la figure 1 et le tableau 2. Un fait troublant révélé par cette carte est que les zones soumises à des crises hydriques sont souvent celles des implantations humaines les plus anciennes : « croissant fertile », vallée de l’Indus, vallée du Nil, Chine du nord, steppes de l’Asie centrale. De là à en déduire que l’Homme est l’artisan de sa propre pénurie hydrique, il n’y a qu’un pas.

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À ces disparités géographiques viennent s’ajouter des variations

temporelles. À l’échelle mondiale, ces variations ont été récemment reliées au phénomène El Niño. Nous avons montré comment l’index ENSO (El Niño South Oscillation), calculé par la NOAA. en Californie, pouvait être corrélé à des phénomènes hydrologiques locaux, telle l’alimentation du bassin d’Angat (Figure 2), unique source qui alimente en eau potable l’agglomération de Manille (Philippines).

Figure 1. Ressources en eau Vs. densité de population

Précipitations faibles (< 500 mm/an)

Précipitations fortes (> 500 mm/an)

Population dispersée (< 10 hab/km2)

Gestion de ressources localisées (puits)

Problèmes de pollution et de conflits d’usage

Population dense (> 10 hab/km2)

Situations de crises, risques de guerre de l’eau

Zones de forêts. Terres d’avenir ?

Tableau 2. Typologie des problématiques de ressource en eau

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INFLENCE OF "EL NINO" ON ANGAT INFLOW

0

20

40

60

80

10019

64

1966

1968

1970

1972

1974

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

AN

GA

T IN

FLO

W (C

MS) -4

-3-2-101234

EN

SO IN

DE

X

Angat Inflow Jan n+1/Aug n+1 ENSO Index Dec.n/Jan n+1

Figure 2. Influence d’El Niño sur les apports dans le lac d’Angat

Ainsi, ce phénomène mondial a été, lors de sa dernière occurrence en 1997-1998, à l’origine d’une baisse du niveau de ce réservoir (Figure 3), telle que l’alimentation en eau de cette métropole de douze millions d’habitants a été fortement perturbée, et a failli être interrompue (voir courbe de remplissage XX), ce qui aurait provoqué une crise majeure dans l’histoire de l’hydrologie et de l’humanité.

Angat water level

150,0

160,0

170,0

180,0

190,0

200,0

210,0

220,0

janv-9

4

mai-94

sept-

94

janv-9

5

mai-95

sept-

95

janv-9

6

mai-96

sept-

96

janv-9

7

mai-97

sept-

97

janv-9

8

mai-98

sept-

98

met

er

critical level actual level

Figure 3. Niveau historique d’Angat Vs. Niveau critique.

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Le phénomène El Niño reste aujourd’hui largement inexpliqué et

imprévisible. Aussi, malgré la sophistication des modèles mis en œuvre, aucun scientifique sérieux ne peut aujourd’hui prétendre l’évolution du climat et des ressources en eau à échéance de quelques dizaines d’années.

Figure 4. L’Europe lors de la dernière glaciation

Pour réflexion, nous rappelons sur la carte en figure 4 la situation en Europe il y a environ douze mille ans, lorsque le pergélisol couvrait la moitié nord de la France. C’était hier, et peut-être demain. 4. L’eau dans le cosmos

L’eau fait partie de l’histoire du cosmos. Elle contribue à nous raconter l’histoire des événements qui, après quinze milliards d’années (15 Ga) d’évolution, sont responsables de l’émergence des êtres vivants. Il a fallu de nombreuses générations d’étoiles, des collisions de galaxies, des explosions de supernovæ, des chocs d’astéroïdes pour engendrer les éléments chimiques qui ont permis l’apparition de la vie au sein d’un univers aquatique. Le miracle de la vie n’est pas qu’elle soit apparue il y a trois milliards et demi d’années sur Terre, mais qu’elle ait pu apparaître quelque part dans l’univers. C’est, comme le fait remarquer H. Reeves, qu’elle était déjà « en puissance » au moment du Big Bang, dans la forme des lois qui régnaient sur la matière chaotique et incandescente.

L’eau nous est à tous familière : océans, lacs, fleuves, précipitations sont présents en abondance sur la quasi-totalité du globe. L’eau façonne les paysages,

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conditionne les climats ; elle est synonyme de vie et représente une composante essentielle de chaque être vivant.

L’eau est l’un des quatre éléments qu’Aristote considérait, avec le feu, l’air

et la terre, comme constituants de l’Univers. Aujourd’hui on estime qu’un à dix millionièmes de la masse de l’Univers visible serait sous forme d’H2O. On la trouve sous forme de vapeur ou de glace dans l’atmosphère de certaines étoiles, dans les nuages moléculaires, dans de nombreux satellites de glace du système solaire, dans les comètes et les planètes du système solaire.

Parmi les corps célestes renfermant de l’eau et gravitant autour du Soleil, les comètes sont restées inchangées depuis plus de quatre milliards d’années et certains satellites glacés des planètes géantes se sont figés depuis leur formation il y a trois milliards huit cent millions d’années. L’eau, ou plus exactement la molécule H2O, se retrouve dans le cosmos essentiellement à travers des glaces extraterrestres sous états solides de l’eau dont la plupart n’existent pas sur la Terre (nous connaissons dix formes cristallines de glace et une sous-forme amorphe). L’étude des glaces extraterrestres fournit aux scientifiques un moyen de mieux appréhender l’histoire du système solaire.

L’origine des glaces remonte à la nébuleuse primitive qui a donné naissance à notre système solaire. Au cours du refroidissement de la nébuleuse, des molécules comme H2O, CH4, NH3 et CO se sont formées. Quand le refroidissement a atteint 100 °K (-173°C), ces molécules se sont condensées, notamment sous forme d’hydrates formant ce que les astrophysiciens appellent des glaces.

Ce qui est exceptionnel sur Terre, c’est l’existence d’eau à l’état liquide. La Terre est le seul point connu de l’Univers où l’eau se retrouve à l’état liquide. On considère cependant qu’il y aurait peut-être une planète sur un million qui pourrait contenir des océans, soit au moins deux cent mille puisqu’il y a deux cent milliards d’étoiles.

Quelle est l’origine de l’eau sur la Terre ? Plusieurs hypothèses ont été avancées :

Une origine cométaire, car on pense que les planètes internes ou « telluriques » (Mercure, Vénus, la Terre et Mars), formées à partir d’un matériau solide (roches silicatées et présence de fer) essentiellement « sec », ont été bombardées par une multitude de noyaux de comètes. Ces comètes contenant jusqu’à 20 % d’eau auraient apporté à la Terre des éléments légers et l’essentiel de son eau. Les comètes, nées à l’extérieur du système solaire dans le nuage d’Oort ou la ceinture de Kuiper (objets transneptuniens), auraient été mobilisées par des perturbations gravitationnelles des planètes géantes Jupiter et Saturne. Ces collisions avec des comètes seraient ainsi indirectement responsables de l’apparition de la vie sur Terre (théorie de la panspermie). Ces événements sont maintenant relativement rares, le dernier en date correspond vraisemblablement à un fragment de la comète de Encke

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qui a explosé en Sibérie « météorite de la Toungouska » en 1908, mais ils se produisent toujours, comme le prouve la chute de la comète Schœmaker-Lévy 9 sur Jupiter en juillet 1994, ou le passage de la comète Hyakutake C/1996 B2 en mars 1996.

L’étude des météorites et des micrométéorites — qui représentent les matériaux naturels les plus anciens, les plus primitifs, dont nous disposions — vise à identifier le rôle qu’elles auraient pu jouer dans l’apparition de la vie sur Terre. Certaines micrométéorites contiennent des grains interstellaires présolaires, plus vieux que le Soleil. Comme elles sont très enrichies en matière carbonée, elles pourraient avoir joué un rôle important dans la synthèse des molécules prébiotiques sur Terre, donc dans l’apparition de la vie, à une époque où leur flux était beaucoup plus intense que de nos jours (Figure 5).

-200 -100 0 100 200 300 400

10 000

1 000

100

10

1

0,1

0,01

0,001

0,0001

GLACE EAU

VAPEUR

Jupiter

Uranus Pluton

Mars

Terre

Vénus

Mercure (face

Température en ° C

Pre

ssio

n en

atm

osph

ère

Figure 5. Position des planètes du système solaire dans le diagramme des phases de l’eau, d’après National Research Council, 1991. La nébuleuse serait passée par une phase initiale très chaude. Lors du

refroidissement, les éléments lourds et réfractaires, les silico-aluminates métalliques, se condensent en premier pour former, autour de 1 000°C, des grains solides. L’eau aurait participé à la formation de silicates hydratés constitutifs de ces grains solides initiaux. Ils se seraient ensuite agglomérés pour former des corps de taille kilométrique qui deviendront les planètes telluriques. C’est lors de leur accrétion rapide en corps de dimension planétaire que l’eau constitutive aurait été libérée sous forme de vapeur à

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l’occasion d’impacts ou lors de dégazages volcaniques. L’eau était donc enfouie en faible proportion (1 %) dans le matériau solide, et s’est dégazée comme telle.

C’est cette deuxième hypothèse, ou « théorie de la condensation de la

nébuleuse protosolaire », qui prévaut actuellement. La plupart des astrophysiciens estiment que le système solaire résulte de l’isolement et de l’évolution d’un nuage de gaz et de poussière au sein de la Galaxie il y a quatre milliards six cent millions d’années. Les gaz dominants, hydrogène et hélium, existaient dans la Galaxie depuis sa formation. Cependant certains éléments, plus lourds, comme le carbone, l’azote et le fer, auraient été formés dans d’autres étoiles et introduits dans le nuage protosolaire à la suite d’une ou plusieurs explosions de supernovæ. Ainsi le Soleil et son système seraient une seconde génération d’étoiles. Sous l’action de la gravité, la nébuleuse se serait effondrée sur elle-même. Cette nébuleuse est constituée de gaz chaud dont la composition est globalement celle du Soleil, puisqu’il représente à lui seul 99,8 % de la masse du système solaire. Le point de départ est le disque protosolaire, tournant sur lui-même qui, en se contractant, établit un fort gradient thermique entre le centre et les bords du disque protosolaire. Le disque chaud émet de la lumière, perd de l’énergie et se refroidit. Lorsque la température du gaz atteint la température de condensation, des particules solides vont se former, suivant la séquence de condensation de H. Urey. Ces composés vont se condenser, non pas en liquide, mais en solide, car la pression est ici très faible. La nébuleuse se charge donc en grains solides de poussière. Ce sont ces grains (des condensats) qui, en s’accumulant, vont donner naissance à des objets solides de plus en plus gros, des météorites aux planètes. Le calcul des équilibres chimiques fait apparaître une succession de composés solides : à 1300°C, ce sont les oxydes riches en titane, aluminium et calcium ; vers 1050°C, le fer métallique se condense massivement ; vers 950°C, le premier silicate (olivine), puis les pyroxènes ; vers 800°C, les feldspaths plagioclases et le sulfure de fer ; vers 0°C, l’eau se condense en glace. Suite à ces condensations, on a alors non plus un gaz, mais un mélange de gaz et de poussière. Lorsque la densité de ces dernières est suffisante, elles vont s’agglomérer pour donner naissance à des objets solides, les fameux planétésimaux qui, par accrétion, ont donné corps aux planètes. Le refroidissement conduisant aux condensats n’est pas uniforme sur tout le disque. Les régions situées aux frontières de l’espace intersidéral sont plus rapidement froides que les régions proches du protosoleil. Il y aura donc, au niveau de Mercure, des grains solides composés de fer, d’oxydes d’aluminium et d’un peu de silicates, alors que dans l’environnement terrestre, on trouvera du fer, de l’olivine et des serpentines, silicates riches en eau. Entre les deux, Vénus, analogue à la Terre, sera sans eau. Tel est en substance, le scénario de planétogenèse que l’on imagine aujourd’hui.

Les résultats du programme Apollo ont confirmé, au cours des années 1960, que les planètes s’étaient constituées par étapes successives, par accrétion. La gravitation a condensé les éléments synthétisés dans le milieu interstellaire et

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les poussières cosmiques se sont rassemblées en particules de plus en plus grosses pour arriver à former des planétoïdes de la taille de la Lune. Comme le fait remarquer R. Kirshner : « L’encre de cette page, l’air que nous respirons, nos os et notre sang nous ont été légués par les premières générations d’étoiles ». À mesure que les planétoïdes grossissaient, leur nombre et les impacts diminuaient. Selon G. Wetherill, il faudrait cent millions d’années pour qu’un planétoïde de dix kilomètres de diamètre atteigne, par accrétion, la taille de la Terre. Des travaux récents de l’Institut de Physique du Globe de Paris ont montré que l’âge des météorites du système solaire est de quatre milliards cinq cent soixante millions d’années et que la Terre, si elle a bien commencé à se former à cette époque, a grossi pendant environ 120 à 150 Ma. C’est à la fin de cette époque, entre quatre milliards quatre cent millions et quatre milliards quatre cent cinquante millions d’années, que la Terre a atteint sa taille actuelle, formé son atmosphère et isolé son noyau interne.

Sur la Terre, la surface s’est refroidie à une température où l’eau a pu se condenser sous forme liquide (bien au-dessus de 0°C). On imagine que l’eau recouvrait alors la quasi-totalité de la surface de la planète. Le gaz carbonique, très abondant dans l’atmosphère primitive, s’est alors dissout dans l’eau et a précipité sous forme de carbonate de calcium (CaCO3). Actuellement le carbonate de calcium résulte principalement de l’activité biologique, mais, pendant l’Archéen, les carbonates ont pu se former par des réactions non organiques. En effet, le rapide dégazage de la planète a libéré d’énormes quantités d’eau du manteau, créant les océans et le cycle hydrologique. Le CO2 aurait ainsi disparu progressivement de l’atmosphère terrestre et l’important effet de serre, dont il était responsable en empêchant le rayonnement infrarouge de s’échapper vers l’espace, aurait diminué. La température de la Terre se serait alors équilibrée et aurait ainsi permis l’apparition de la vie, dans l’eau, il y a au moins trois milliards d’années. La vie n’envahit les continents que beaucoup plus récemment (cinq cents millions d’années), lorsqu’il y a eu assez d’oxygène dans l’air pour que se constitue une pellicule d’ozone (O3) empêchant le rayonnement ultraviolet solaire d’atteindre le sol.

Actuellement on estime que le volume d’eau présent sur Terre est constant depuis un milliard d’années. Les estimations des volumes d’eau restent relativement incertaines quant au volume d’eau souterraine dont la valeur oscille entre 7.1015 m3 et 300.1015 m3. Dans un bilan global, il faut également prendre en compte l’eau contenue dans le manteau, constitué essentiellement de silicates métalliques, qui possède environ 0,3 % de son poids en eau, soit une ou deux fois le volume actuel des océans. Dans l’état actuel des connaissances, on estime que les apports d’eau juvénile, provenant du manteau au niveau des dorsales océaniques, compense la photodissociation et donc la perte d’eau dans la haute atmosphère.

Dans le système solaire, la sonde spatiale américaine « Pioneer Venus », qui a traversé et analysé l’atmosphère de Vénus, a permis de mettre en évidence l’existence passée d’une couche d’eau d’au moins vingt mètres, mais qui pourrait atteindre trois kilomètres comme sur la Terre. Pour Mars (situé à 1,5 ua du

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Soleil), il semble qu’il y ait eu, dans le passé, au moins six fois plus d’eau qu’aujourd’hui. On voit clairement des traces d’érosion fluviale sur le sol martien. Actuellement, l’eau sur Mars est nécessairement à l’état solide, la température moyenne de la planète étant de -53°C. Il est vraisemblable que les cinq sixièmes de la masse d’eau présente historiquement sur Mars ait été vaporisée, photodissociée par la lumière solaire. Le reste serait gelé dans les premiers kilomètres de sol. En effet, il semble que la morphologie induite autour de certains cratères d’impact évoque des déplacements de boue (pergélisol fondu par l’impact).

La position de la Terre dans le système solaire est fondamentale. Placée un peu plus près du Soleil (à 0,95 ua au lieu de 1 ua), la Terre recevrait 10 % d’énergie solaire en plus et elle connaîtrait le sort de Vénus. Placée à 1,03 ua, elle serait complètement glacée, les océans gelant jusqu’au fond.

Enfin, l’énergie dissipée par le Soleil augmente de 1 % en cent millions d’années ; ainsi, dans un milliard d’années, le flux solaire ayant augmenté de 10 %, l’eau liquide aura, d’après certains auteurs, définitivement disparu de la Terre...

Mais le système est plus complexe qu’il n’y paraît. Une hypothèse intéressante, connue sous le nom de Gaia, consiste à comparer la terre dans son ensemble à un être vivant qui évolue et s’adapte à son environnement. Le scientifique de l’atmosphère, James Lovelock, en travaillant sur un projet de la NASA sur la recherche de vie dans d’autres planètes, arriva à la conclusion que la composition de l’atmosphère et des océans terrestres était différente de celle que laissait prévoir les seules physique et chimie. Cette singularité de la Terre a pour origine l’action biochimique des êtres vivants, qui ont commencé leur œuvre il y a trois ou quatre milliards d’années. Depuis ces premiers temps, la luminosité du Soleil a augmenté d’environ 25 % ; or, il semble bien que des conditions climatiques favorables, à peu près constantes, aient été maintenues pendant cette période grâce aux processus géodynamiques et géo-bio-chimiques autorégulateurs : c’est Gaia.

In fine, la Vie fait partie intégrante de l’Univers, elle représente une composante forte de son évolution, à l’échelle de notre planète comme à celle de toutes celles qu’elle a pu coloniser, parmi les deux cent mille planètes à océan déjà citées.

L’image antique de l’Univers assimilé à un organisme en développement, rejetée par celle de l’Univers Horloger du XVIIIe siècle, revient sur le devant de la scène et est progressivement admise par la communauté scientifique 5. Conclusions

De cette rétrospective, où l’histoire de l’eau se conjugue à l’imparfait avec l’histoire des hommes et des idées, quelles conclusions tirer ?

Sans doute, d’abord beaucoup d’admiration pour les intuitions de l’esprit humain, qui, dès l’Antiquité, ont permis d’imaginer, avec en définitive beaucoup

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Colloque International OH2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001 International Symposium OH2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001

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de pertinence, les liens fondamentaux entre l’Univers, les océans, l’eau, la vie et la mort. Ayant perdu en Grèce sa sagesse originelle, l’Homme réussira ensuite à conceptualiser, donc à dominer, la nature, à la mettre en équation. Mais la Grande Horloge de l’Univers ne saura pas résister aux grandes idées du XXe siècle. Albert Einstein, Werner Heisenberg, Edward Lorenz et René Thom, en introduisant les concepts de relativité, d’incertitude, de catastrophes ou de chaos, nous rappellent à plus de modestie. Hans Jonas nous interpelle sur notre responsabilité vis-à-vis de notre mère nature, dont James Lovelock nous assure qu’elle n’est quand même pas sans défense.

Qu’elles seront les avancées du nouveau siècle ? Forcément imprévisibles.

Mais, en tous cas, plus que jamais, la gestion de l’eau paraît aujourd’hui liée à celle de l’humanité. L’eau est devenue le facteur limitant de l’espèce humaine. Qu’on le veuille ou non, les nouveaux enjeux de l’hydrologie sont aujourd’hui globaux et planétaires. Et dans l’étude des eaux souterraines de Mars, de l’océan d’Europe ou de la neige des comètes, l’hydrologie deviendra, au cours de notre XXIe siècle, interplanétaire et cosmique.