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lèges — document — extraits — abrégés — fragments — florilèges — document — extraits — abrégés — frag- L’anthropologue Michel Fromaget en nous conseillant la lecture de cet opuscule de François Cheng, souhaitait nous avoir « apporter une fraction au moins de ce que vous en attendiez ». Or, outre l’intérêt des points soulevés dans son message dont il sera question une autre fois, ce n’est pas une fraction, mais – à travers de livre de François Cheng Cinq méditations sur la Beauté – un pan entier de ce que notre correspondant qualifie de « sujet aussi capital que la tripartition », vient s’ajouter en bonne place aux réflexions accumulées sur ce sujet… Dans son « très beau livre », en effet, François Cheng apporte une pièce maîtresse – en même temps connaissance, mise en œuvre et application – nécessaire à la (re)fondation du paradigme ternaire. À partir de la beauté, c’est un niveau complet qui est établi ; étage ultime – ou premier – occupé par la trilogie : le vrai (ou beau) et le bien (ou bon), couple animé par notre ternarité intime : mémoire-intelligence-volonté. En Chine : le souffle Yin, le souffle Yang et le souffle du Vide médian… se retrouve dans le Tao auquel ce sage nous initie. Dans le même temps, il nous indique la voie et la manière d’un dialogue interculturel fécond. Aussi ai-je consacré à ce livre plus qu’une simple recension, afin de proposer à nos lecteurs ce qui m’a semblé le plus éclairant en regard de la tridimensionnalité de l’ordre du monde – à commencer par l’homme lui-même, en son être et en sa manière d’être – qui nous tient tant à cœur. livre – qui maintient la parenthèse communisme dans un silence assourdissant – revêt une im- portance telle en regard de notre objectif – se dévouer à la cause des intermédiaires (ceux du vide médian) – que nous dérogerons à notre ligne éditoriale qui prévoit de limiter à deux, quatre ou au maximum six pages… la longueur de nos interventions. M.M. (*) Études explicitant (❊❊ ❊), illustrant (❊❊) ou étant en rapport avec ()… le paradigme ternaire. Cinq méditations sur la Beauté de François Cheng, par Michel Masson ❊❊ ( * ) La poésie est dans le regard, et la beauté dans le paysage, car, ici, seul “le regard” nous appartient. Mettre «la vraie création artistique à la place suprême, au-dessus même de la pure spéculation philosophique… ». Classement : 4Ca10 version 1.0 • 10/ 2008 Réseau-Regain (reseau-regain.net) 1/9

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L’anthropologue Michel Fromaget en nous conseillant la lecture de cet opuscule de FrançoisCheng, souhaitait nous avoir « apporter une fraction au moins de ce que vous en attendiez ». Or,outre l’intérêt des points soulevés dans son message dont il sera question une autre fois, ce n’estpas une fraction, mais – à travers de livre de François Cheng Cinq méditations sur la Beauté – unpan entier de ce que notre correspondant qualifie de « sujet aussi capital que la tripartition », vients’ajouter en bonne place aux réflexions accumulées sur ce sujet… Dans son « très beau livre », eneffet, François Cheng apporte une pièce maîtresse – en même temps connaissance, mise en œuvreet application – nécessaire à la (re)fondation du paradigme ternaire. À partir de la beauté, c’est unniveau complet qui est établi ; étage ultime – ou premier – occupé par la trilogie : le vrai (ou beau)et le bien (ou bon), couple animé par notre ternarité intime : mémoire-intelligence-volonté.

En Chine : le souffle Yin, le souffle Yang et le souffle du Vide médian… se retrouve dans le Taoauquel ce sage nous initie. Dans le même temps, il nous indique la voie et la manière d’un dialogueinterculturel fécond. Aussi ai-je consacré à ce livre plus qu’une simple recension, afin de proposerà nos lecteurs ce qui m’a semblé le plus éclairant en regard de la tridimensionnalité de l’ordre dumonde – à commencer par l’homme lui-même, en son être et en sa manière d’être – qui nous tienttant à cœur.

livre – qui maintient la parenthèse communisme dans un silence assourdissant – revêt une im-portance telle en regard de notre objectif – se dévouer à la cause des intermédiaires (ceux du videmédian) – que nous dérogerons à notre ligne éditoriale qui prévoit de limiter à deux, quatre ou aumaximum six pages… la longueur de nos interventions. M.M.

(*) Études explicitant (❊�❊ ❊), illustrant (❊�❊) ou étant en rapport avec (❊)… le paradigme ternaire.

Cinq méditations sur la Beautéde François Cheng, par Michel Masson

❊�❊ (*)

La poésie est dans le regard,et la beauté dans le paysage,

car, ici, seul “le regard” nous appartient.

Mettre «la vraie création artistique à laplace su prême, au-dessus même de lapure spéculation philosophique… ».

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Dès la riche introduction de l’éditeur (1),nous apprenons qu’il nous « faut revenirà l’essentiel, c’est-à-dire à la vérité cru-

ciale du "centre"… – [cruciale, c’est bien le mot !]–, à la relation qui unit les êtres… ».

Par le biais des remerciements adressés auxpersonnes qui ont mis une salle à sa disposition,nous savons aussi que les riches pages de cegéant petit livre ne sont pas seulement la trans-cription de la pensée de leur auteur, maisqu’elles sont aussi le résultat de soirées… doncd’une pensée ouverte.

Ce livre, en effet – aspect capital – est large-ment voué à la "vie ouverte" à laquelle, tout aulong de ses réflexions, François Cheng nous in-vite et nous incite. "Ouverture" à laquelle, partouches délicates successives, il nous initie à tra-vers cinq méditations.

L’auteur, chinois d’origine, est – il ne s’encache pas – le résultat d’un métissage culturelissu de la copulation spirituelle entre l’Orient etl’Occident… sans qu’à aucun moment il ne soitquestion de savoir qui commence, qui est supé-rieur ou qui l’emportera. Il ne lui vient pas nonplus à l’idée de séparer absolument les trois com-posantes de sa musique : la mélodie, le rythmeet l’accompagnement… car, n’en doutons pas,c’est bien, à travers l’art, de l’harmonie univer-selle dont s’agit ?

Or, Il n’y a de poésie que savante, aime àm’avertir un ami de longue date. Comment résou-dre le paradoxe de ce mariage dépareillé entre lesavant et le poète ? Tout simplement, en redon-nant son véritable sens au mot savant, sans le ré-duire, comme le fait notre époque ma té ria liste quine prend en compte que la partie “basse” destrois composantes de l’être, en excluant l’âme parla dénaturation de l’esprit (le souffle) qui l’unit aucorps… et, pour cette raison, exclut le mystère,et la véritable poésie qui est la fine pointe de nostentatives de le percer…

Le savant, en effet, au-delà de l’accumulationde savoirs, est celui dont l’âme est apte à prendreen compte cette part qui échappe à la pensée ex-clusivement discursive et raisonneuse… car, le vé-ritable savant est aussi un sage. Quant au poète,les “cinq méditations” que nous offre FrançoisCheng, nous apprendront ce qu’il est par ce qu’ilfait : sa manière d’être médiateur.

C’est certainement la grande leçon de cepoème en cinq parties, d’avoir su réunir la pen-sée discursive, linéaire, démonstrative que sontdevenues la pensée occidentale, et celle, intui-tive et symbolique… en un mot poétique… del’Orient.

Loin d’y voir deux visions opposées, FrançoisCheng révèle leurs vertus respectives, les fruitsde l’union de leur complémentarité, et la capa-cité qu’elles ont de nous acheminer où ni l’un nil’autre ne peuvent conduire séparément.

Première méditation

Dès la première méditation, notre savantconfirme : l’aventure humaine se trouve« Entre ». Dans cet interstice réside le mystère dela relation entre les « deux extrémités de l’uni-vers vivant : d’un côté le mal, de l’autre labeauté.» (p.13)… explicitant par là la prémissede l’aphorisme de Dostoïvievski « La beautésauvera le monde ».

Mais aussitôt une question se pose : « Unebeauté qui ne serait pas fondée sur le Bien est-elle encore belle ? » ; un peu plus loin, notre sagey adjoindra la vérité : “La beauté n’est-elle pasla splendeur du vrai ?”. Mis en fonction, ces troisfondamentaux réalisent une unité dont le beau– plus précisément, l’esprit de poésie – serait lecœur battant entre le vrai et le bien, comme lesavoir-faire unit le savoir au faire.

La première beauté – qui s’impose à nous, etnous «appelle» – est, nous dit-il, le paysage…L’art vient ensuite et avec lui son plus beau fleu-

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ron : la femme : « vénus grecques, modèles deBotticelli, du Titien, et, plus proche de nous, deChassériau, d’Ingres… »

Mais l’auteur, inquiet, entend les questions :« d’où parlez-vous ? de quelle légitimité vous ré-clamez-vous ? » ; il ne répond pas, comme ilpourrait le faire « je suis académicien, et auteurd’une quantité d’ouvrages… cela me confère unecertaine autorité » ; non, il suggère timidement,que « du fait de mon exil [dès l’âge de vingt ans],je suis devenu un homme de nulle part ou alorsde toutes parts. Je ne parle donc pas au nomd’une tradition… moins encored’une métaphysique pré-affirmée,d’une croyance préétablie ». «…Letravail que je dois effectuer consisteplutôt à creuser en moi la capacitéà la réceptivité…, posture d’ac-cueil : être « le ravin du monde »…, et non de « conquête ». De fait,nous verrons tout au long de ses mé-ditations-comtemplations que lesoutils mentaux employés sont – tourà tour, en parallèle, en simultané ouen coïncidence – d’ascendance orientale ou oc-cidentale.

Deuxième méditation

Dans sa deuxième méditation, François Chengentreprend de nous instruire sur la pensée chi-noise, et plus particulièrement sur le Tao. Et là,surprise… On nous trompe ! On nous fait croireque le Tao est un parangon de dualité… on nousescamote le principal : son caractère n’est pasduel, mais essentiellement ternaire. Et cela dèsl’écriture et la manière de figurer les notions sousforme d’idéogrammes élémentaires qui, conca-ténés, confèrent un sens profond au signe-mot,et par là au signifié. Cette étymologie du sens dé-voile le secret de l’âme chinoise, directement etconstamment rattaché à la beauté par le signe. Le

“b.a. ba” chinois est iconographique, il va direc-tement aux sens… d’où découlent une compré-hension ouverte à tous – et non au seul savant –car plus directement liée au graphisme… partant,à la tridimentionalité du Vrai-Beau-Bien… Lapoésie du signe fait « reliance ».

Le sens profond est à fleur de l’écriture chi-noise, donc de sa pensée ; plus près du sens dans« les trois acceptions du mot “sens” en français :sensation, direction, signification », ce qui ne vapas sans influer sur la manière d’être du taoïste,

plus directement lié à la beauté …donc au vrai et au bien. Beauté « re-levant de l’être et non de l’avoir… »,car « la vraie beauté ne saurait êtredéfinie comme moyen ou instru-ment, [car,] par essence, elle est unemanière, un état d’existence. »(p. 35)

On pourrait ici remarquer que labeauté est si intimement liée au bienet au vrai qu’elle parait être dans lepaysage… Il est donc prudent de ne

pas confondre le mot beauté avec ce que nouspourrions nommer l’esprit de poésie qui, par leregard – entre le sujet et l’objet de sa contempla-tion – répond à son « appel ».

Notre auteur prend ici l’exemple de la rose« qui se manifeste dans tout l’éclat de sa pré-sence… Entre le ciel et la terre s’effectue alors unva-et-vient que symbolise la forme même des pé-tales… en un geste d’offrande ;… cependantqu’un poète écrit “sans souci d’elle-même, nidésir d’être vue ”»… Invitation « à l’accueillir etnon à la cueillir ».

…Il est impossible de rendre en quelque motl’intérêt de la deuxième partie de cette médita-tion où il est question de création, de cause, deconnaissance, de mourir sans périr, d’éphémèreet d’éternité… de Bergson et de la durée, de Lao-Tzeu (le fondateur du taoïsme) et de longue vie,

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de Claudel et d’éternité… Lire ne suffit pas, il fautméditer ces textes ; ils nous invitent à l’humi-lité… et à l’ouverture.

Troisième méditation

Avec cette troisième partie, qui m’a beaucouptouché, il est question des niveaux constitutifs dece « qui a trait à l’humain ». Le corps se présented’emblée comme « parmi les multiples ni-veaux… » ; il constitue une perspective qui« nous éveille à d’autres types de beauté, venusde l’esprit et de l’âme ».

Le visage – paysage choisi – est un aveu : lereflet, souvent lucide, parfois cruel, du regardporté sur soi, ou de celui des autres… qui tradui-sent notre époque et le bain existentiel dans le-quel nous sommes immergés… visage stigmatisépar les irradiations « venues de l’esprit et del’âme »… ici clairement distingués… mais ail-leurs, si ce n’est confondu, du moins parfoismêlés de manière inextricable.

Notre auteur, toujours à la recherche des fac-teurs de la beauté, décèle en effet que « parmiles multiples niveaux qui constituent l’être hu-main, deux, au moins, sont reconnus par tous, àsavoir le physique – cette beauté qui relève del’avoir – et le mental, régit par l’esprit… Cettedernière part, le spirituel, est sans doute la pluscontroversée ; elle peut être prise pour un niveauen soi. À son propos, on sera amené à parler del’âme ». Un peu plus loin il insiste : « Revenonsà l’homme et à ses différents niveaux de consti-tution », ou encore : « cette perspective éthiquenous éveille à d’autres types de beauté, venus del’esprit et de l’âme »… Nous voici de plain-piedavec notre vision tripartite de la création entière,et, par là, de la constitution de l’être humain …la forme poétique en plus, sans doute…

Un regret cependant (p. 63), celui de l’évoca-tion, dans un même paragraphe, de l’évolutionde la femme des cavernes… jusqu’à Mona Lisa

(archétype discutable). La mise en parallèle, dud’un visage assombri et fermé par la haine (sic),et celui éclairé et ouvert par la bonté, est gênantepar le rapprochement qu’elle induit. Car, n’est-cepas, rien n’interdit de pressentir qu’au contrairela beauté-bonté des premières femmes… parti-cipa à l’essor de l’humanité. Pourquoi la beauté– certes selon des canons différents et dépourvusd’artifice – serait-elle le résultat d’une l’Évolutionà la merci de mutations chaotiques… et non unétat originel ? ∞Allons-nous, venons-nous ou retournons-nous

à la beauté ? qui peut répondre de façon péremp-toire à ces questions ? Bien entendu, rien en cebas monde n’est linéaire et régulier ; s’il y a eudes variations dans la beauté des visages – sansparler de la beauté trompeuse du diable, et horsdes fluctuations des canons et des modes – pour-quoi iraient-elles nécessairement vers la perfec-tion… et non vers son rétablissement aléatoire ?

Si, sur ce sujet, l’on se réfère à la Bible, il estpermis d’imaginer que la beauté fut donnée dèsle départ… Beauté, que l’homme, abusant de saliberté, saccage ou restaure au grè du respect desconditions de “la longue vie… ouverte” ; varia-tion en dents de scie dont personne ne connaîtl’issue, mais force parfois d’admiration par lesquêtes, les conquêtes et les reconquêtes dontl’auteur nous parle si bien.

La Quatrième méditation…

…est consacrée au double regard sur labeauté vue d’Occident et de Chine.

En Occident l’aventure intellectuelle – si cen’est spirituelle – commence à l’Est, avec « leBanquet de Platon qui montre comment l’Éros,l’Amour, s’élève du sensible vers l’intelligible…jusqu’à son terme : la contemplation de labeauté absolue ». La longue période chrétiennequi suivit célébra, à sa manière, « la beauté, lu-mière des idées », « la beauté, splendeur du

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vrai ». Augustin, Dante, Pétrarque prolongentcette voie qui conduit au « triomphe de labeauté », qui, c’est le moment de le redire, estl’autre nom de la vérité ; car, comme a pu direBoileau : « Rien n’est plus beau que le vrai ».

…«Du côté des Allemands…» retenons sim-plement l’injonction de Hölderlin : « il faut ha-biter poétiquement le monde ».

––––––––––…« Ces pensées… tendent à forger une fon-

cière manière d’être », que la Chine traduit à samanière… poétique. Zhuangzi, au IVème siècleavant notre ère, fait remarquer qu'« entre Ciel etTerre , il y a grande beauté » et que « la nature ale pouvoir de transmuter le flétri et le pourri enmerveille ». Car « L’homme véritable… purifiéde l’intérieur, est capable d’entrer en commu-nion totale avec la sphère infinie de l’univers, eny effectuant le shen-you ou « randonnée spiri-tuelle ». (p.88)

« Confucius est plus préoccupé de l’homme ensociété »…, pour mettre en pratique le ren,« vertu d’humanité », il prône le li, rituel, et le yuemusique et poésie, la relation adéquate… le sensde la mesure et de l’harmonie… Par-delà ces liensintimes, entre l’homme et le monde où le bien etle beau sont unis, il exhume la triade confu-céenne : Ciel-Terre-Homme. Dans cette relationà trois, l’homme représente comme un chaînon –un composant – indispensable… « La voie hu-maine doit procéder du Ciel et de la Terre… ».Mais « il se peut que les confucéens aient tropfait confiance à la nature humaine…» fait cepen-dant remarquer François Cheng. (p. 89)

Nous arrivons ici à un développement qui res-semble étonnamment à notre manière tridimen-sionnelle d’expliciter l’ordre du monde dontnous sommes si peu à prôner la congruité.

Notre sage, lucide, remarque que « La culture chinoise, par sa durée, a véhiculé beaucoupd’avatars et d’éléments sclérosés qu’il ne faut pashésiter à mettre de côté » ; mais, ajoute-t’il « sa

meilleure part réside en une certaine conceptionet une certaine pratique de la vie, et égalementune certaine expérience de la beauté . » (p.94)

« La cosmologie chinoise est fondée sur l’idéedu Souffle, à la fois matière et esprit. À partir decette idée du Souffle, les premiers penseurs ontavancé une conception unitaire et organique del’univers vivant où tout se relie et se tient. », « LeSouffle primordial se divise en trois types desouffles qui agissent concomitamment : le souffleYin, le souffle Yang et – [ce que les caricaturesoccidentales ne disent pas] – le souffle du Videmédian. EntreEntre le Yang, puissance ac tive, et leyin, douceur réceptive, le souffle du Vide origi-nel – a le don de les entraîner dans l’interactionpositive, cela en vue d’une transformation mu-tuelle, bénéfique pour l’un et pourl’autre »(p.95), …[aussi, dans le cas où cette tri-ple action déborde l’interpersonnel].

Il fallait donner cette citation entière, afin quepuisse être faite la comparaison avec ce que nousappelons la relation synaptique ; laquelle s’établitpar l’intermédiaire d’une zone médiatrice quiloin de séparer, unit les tenants et aboutissantsdes phénomènes existentiels. Zone frontalière ha-bitable, lieu de passage, de retournement, de ma-nœuvre… des agents transmetteurs que sont lesintermédiaires authentiques. Car, ici, le “vide”,loin de correspondre au néant, « est le lieu où cir-cule et se régénère le Souffle ».

Il y a lieu de lire attentivement les trois consé-quences que nous livre François Cheng pourcomprendre l’importance de cette représentationqui, une fois baptisée, est à même de transformerle monde. En effet – prenons ici à notre comptecette réflexion qu’affectionnait un autre sage,Gustave Thibon – “La signification des idoles (lesreprésentations iconographiques que l’on se faitdu monde) ont changé du tout au tout depuisl’advenue du vrai Dieu…”, car, si « la BonneNouvelle » n’abolit pas, elle accomplit…

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Que l’on n’aille pas considérer cette assertioncomme une réflexion personnelle et annexe, car,à l’évidence, cette représentation cosmologiquequi nous arrive de Chine a trop de ressemblanceavec la pensée chrétienne authentique pourqu’elles n’aient pas toutes deux une o ri gine com-mune…

––––––––

Dans la deuxième partie de cette quatrièmeméditation nous faisons un pas de géant « versl’idée d’une beauté impliquant un entrecroise-ment entre une présence qui s’offre à la vue, etun regard qui la capte… » (p.101) Ici, FrançoisCheng demande : « n’y a-t’il pas une beauté ob-jective ? Faut-il qu’un regard la capte pourqu’elle existe ? »… En quoi consiste ce« chiasme », ce « renversement de perspec-tive » ? Et il répond : « tout se passe comme sil’univers, se pensant, attendait l’homme pour êtredit ».

Ne risque-t-on pas ici – à la suite de poète Li Poou du peintre Shiato, lorsqu’ils affirment respecti-vement : «Nous nous regardons sans nous lasser »,« nos tête à tête n’ont point de fin » ou encore dupeintre André Marchant « J’ai senti certain jour quec’était les arbres qui me regardaient” »… – de nousaventurer dans un pan théisme romantique, voire unanimisme régressif et irréfléchi… ?

Non, car cette tentation s’éloigne quand l’au-teur nous met en face de la réalité en nous de-mandant « de vérifier la proposition selonlaquelle toute vraie beauté… comporte entre-croisement et interaction, c’est-à-dire des ren-contres à plusieurs niveaux ». (p.105). À peineplus loin, il insiste « Une rencontre est plusqu’une addition… », et conclut « La beauté dumonde est un appel… et l’homme, cet être delangage, y répond de toute son âme. »

Comme on le voit le regard est au centre dela quête de la “beauté”, car « la combinaison ‘re’et ‘garder’ est riche de connotation. », car, « Au

niveau supérieur, une autre rencontre se produit,lorsque cette scène est captée par un regard »…qui « entraîne une nouvelle rencontre située surun autre plan, celui de la mémoire ».

Cependant, remarquons à nouveau, que l’em-ploi du même terme « beauté » pour désigner etqualifier : non seulement l’ensemble du phéno-mène “beauté”, ses deux pôles, et le moteur deleur mise en dynamique… mais aussi la résul-tante de leur fécondité… – les quatre élémentsconstitutifs de ce tétragramme existentiel – ne fa-cilite pas la réflexion. Ne convient-il pas de nom-mer, par des mots divers, les composantes duphénomène beauté, afin de distinguer le sujet,l’objet, le cœur et le fruit – le tenant, l’aboutis-sant, le tiers-inclus… et la résultante – animantses deux pôles. Ainsi qu’il est fait…

- dans notre formule :

La beauté est dans le paysage, et la poésie dans le regard,

- dans celle d’Augustin : L’aimant, l’aimé, l’amour,

- ou dans celle qui distingue : Éros, philia et agapé…

…trois termes doivent, en effet, distinguer, àchaque étage, les trois moments syntaxique de ladynamique beauté/vérité… Soit, pour la beautédu paysage : la posture du sujet regardant, et lapoésie de son regard. À chaque domaine sestermes ; que soit considéré le temporel, le spiri-tuel ou le sacré; le corps, l’esprit ou l’âme; la mé-moire, l’intellect ou la volonté; le politique, lereligieux ou les intermédiaires… sachant qu’au-cun de ces constituants n’est absolument séparé,autonome ou indépendant… mais en relationconstitutive…

Dans ce contexte, si leurs éléments consti-tuants ne sont pas pris en compte pour ce qu’ilssont (et non pour ce que nous voudrions qu’ilsfussent)… la beauté comme la vérité, restentcertes ce qu’ils sont, mais perdent pour ainsi dire

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leur raison d’être… si rien ni personne ne ré-pond, comme il convient, à leur « appel ».

Cinquième méditation

On quitte à regret la quatrième méditation quirecèle bien d’autres ouvertures… pour arriver àl’ultime segment de notre randonnée au pays dela Beauté… où d’autres révélations vitales et pas-sionnantes nous attendent.

Cette dernière partie correspond si bien à lavision de l’ordre du monde et de l’homme sur la-quelle nous travaillons à notre manière, que nouslaisserons davantage encore la parole àFrançois Cheng.

Si les chapitres de ce livre étaient ti-trées, ce dernier aurait pu s’intituler “Laphilosophie de l’art, en Occident et enChine”. Politesse bien ordonnée com-mençant par l’Autre ; ce sera donc del’Occident dont il sera d’abord question.

Après avoir constaté que : « Vers lafin du XIXe siècle déjà, et tout au longdu XXe siècle, plusieurs facteurs se sont conju-gués pour changer [la] donne… [et l’établisse-ment] d’une « modernité » basée sur l’idée de« la mort de Dieu » (p.119), notre sage affirmequ’« en dépit de l’impression générale d’un dé-chaînement dans « le bruit et la fureur », le fild’or du beau ne s’est pas tout à fait interrompu. »(p.120) Ici comme ailleurs, qu’en termes retenusces choses-là sont dites !

« L’art authentique, affirme François Cheng esten soi une conquête de l’esprit ; il élève l’hommeà la dignité du Créateur… ».

En revanche, même si l’intention est de nousménager, considérer : « depuis les Grecs jusqu’aurationalisme de l’âge moderne en passant parDescartes… la séparation comme étape néces-saire », et « la démarche dualiste… comme desacquis positifs… » (p…125), laisse dubitatif.

Quelques paragraphes plus loin, cependant,notre auteur précise : « C’est seulement auXVIIIe siècle qu’un vrai renversement de ten-dance se fait jour, au profit d’un art où s’accentuede plus en plus l’inspiration subjective et indivi-duelle ». (127)

« Selon Kant, le goût est “ la faculté de jugerle beau”. Le goût est donc un jugement, dont l’é -tude va lui permettre de donner quatre définitionsdu beau : “Le beau est l’objet d’une satisfactiondésintéressée ” ; “ Est beau ce qui plaît universel-lement, sans concept ” – c’est-à-dire qu’on ne

peut pas prouver la beauté, maisseulement l’éprouver ; “ Le beauest la forme de la finalité d’unobjet en tant qu’elle y est perçuesans représentation de fin ” – c’est-à-dire qu’une œuvre d’art ne visepas une fin utile ; et enfin, “ Estbeau ce qui est reconnu sansconcept comme l’objet d’une sa-tisfaction nécessaire ” – c’est-à-direque chacun de nous doit y êtresensible. ». Quatre définitions que

François Chang juge « insuffisantes …, pour ap-préhender l’ébranlement de l’être… lorsque ledésir et l’esprit de celui-ci sont aux prises avecla beauté. »… insatisfactions auxquelles il don-nera plus avant la réplique.

« Réagissant à son maître Kant, Fichte assureque jusqu’à un certain degré nous pouvonsconnaître la « chose en soi », dans la mesure oùcelle-ci est à la base même de l’esprit connais-sant de l’homme. Exaltant le sujet réfléchissantqui puise en lui-même les ressources de laconnaissance, il bâtit un système qui finit par de-venir un idéalisme absolu où il n’y a d’autre réa-lité que le moi. »

« Réagissant à son tour à son maître Fichte,Schelling parachève en quelque sorte l’intense jeudialectique qui s’est joué sur trois générations.Schelling est pénétré de l’importance du sujet

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connaissant, agissant, créant. Il sait aussi qu’unsubjectivisme sans « garde-fou » verse dans l’arbi-traire et conduit à une voie contraire à la vérité dela vie. »

« L’essentiel de la pensée de Schelling setrouve exprimé dans son ouvrage Système del’idéalisme transcendantal, publié en 1800. Ilmet la vraie création artistique à la place su -prême, au-dessus même de la pure spéculationphilosophique… »… Et François Cheng conclut :« Schelling est à mes yeux, parmi tous les pen-seurs occidentaux, celui dont la vision sur l’artest la plus proche de celle qui nourrit les pein-tres-lettrés chinois. Malheureusement, la penséede Scheffing sera vite éclipsée par celle de soncondisciple Hegel dont le génie va tout balayersur son chemin. »

« L’équilibre fragile fondé sur le respect quel’homme porte à l’Autre – la Nature ou l’Universvivant – et sur l’échange sincère et équitable aubénéfice des deux interlocuteurs sera rompu parle système trop écrasant de Hegel. »

« Si nous admettons, surtout en art, que l’es-sentiel est ce qui naît entre les interlocuteursselon le principe de vie en vue d’une transfor-mation commune, alors la dialectique hégé-lienne n’est pas à proprement parler« dialogale » ; elle ne suit pas un vrai mouve-ment ternaire. » (p.133)

Après Hegel, dans le domaine de la penséeesthétique… Nietzsche exalte l’énergie vitaled’inspiration dionysiaque »…

…«Paradoxalement – ou heureusement –,durant cette même période, les artistes, eux, etsurtout les Impressionnistes, ont d’instinct com-pris la nécessité de renouer l’authentique dia-logue avec la Nature. Un Pissarro, un Monet, unVan Gogh, un Gauguin, un Renoir, un Sisley,chacun à sa ma nière, est allé au bout de sa vi-sion, vivifié par les ressources inépuisablesd’une Nature retrouvée ». (p.134)

« Sans nullement chercher à le comparer auxautres, j’insisterai cependant sur le cas de Cé-zanne qui me semble être allé le plus loin dansle sens de la profondeur ». « Chez Cézanne, labeauté est formée de rencontres à tous les ni-veaux. »… «Indéniablement, l’œuvre de Cé-zanne est la plus proche de la grande voie dupaysage en Chine. Elle a assez d’envergure pourêtre le lieu de jonction où les deux traditionspeuvent se reconnaître et se féconder, dans laperspective d’un commun renouvellement… »(135)

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«À côté de la tradition artistique occidentalecaractérisée par son développement continuel,et par la longue réflexion théorique qui l’accom-pagnait, je ne vois guère que la tradition artis-tique chinoise qui lui soit comparable. Durantprès de trois millénaires, la Chine a connu unecréation artistique d’une remarquable conti-nuité… », « Cela surtout dans le domaine de lapoésie, de la calligraphie et de la peinture. Cestrois arts entretenaient des rapports orga-niques… »… «Ces trois arts-en-un ont porté sihaut l’expression de l’esprit humain que les Chi-nois ont fini par les considérer comme la formesu prême de l’accomplissement de l’homme. » (P.142,143)

Et c’est ici que François Cheng répond à Kant :« Observant cette tradition spécifique, je seraistenté de paraphraser Kant, mais en l’inversant, endisant que la connaissance du beau est univer-selle et avec concept, qu’elle est désintéresséemais avec finalité. Car, curieusement, c’est dansla théorie poétique, et plus encore dans la théoriepicturale, toutes deux nourries d’expériences pra-tiques, que la pensée chinoise a engendré le plusgrand nombre de notions dont certaines, de por-tée générale, sont de véritables concepts. »(p.143)

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Page 9: de François Cheng , par Michel · PDF fileDès la première méditation, notre savant confirme : l’aventure humaine se trouve «Entre ». Dans cet interstice réside le mystère

« Dans le cadre li mité de la présente médita-tion, je me contenterai d’évoquer les trois notionsfondamentales que sont le yin-yun, « interactionunifiante », le qi-yun, « souffle rythmique », et leshen-yun, « résonance divine ». Celles-ci, liéesde façon organique et hiérarchique, constituentles trois niveaux, ou les trois degrés, d’un critèreà partir duquel la tradition chinoise se proposaitde juger de la valeur d’une œuvre, et par là, dela vérité du beau en général. » (p.144)

«… À partir de l’idée du qi, « souffle », à lafois matière et esprit, les premiers penseurs chi-nois ont avancé une conception unitaire et or-ganique de l’univers vivant où tout se relie et setient. Le Souffle constitue l’unité de base, et dansle même temps, il anime continûment tous lesêtres de l’univers vivant, les reliant en un gigan-tesque réseau de vie en marche appelé Tao,« Voie ». Au sein du Tao, le fonctionnement duSouffle est ternaire, en ce sens que le Souffle pri-mordial se divise en trois types dont l’interactionrégit l’ensemble des vivants, à savoir le souffleYin, le souffle Yang et le souffle du Vide médian.Le souffle Yang incarnant la puissance active, etle souffle Yin incarnant la douceur réceptive ontbesoin du souffle du Vide médian – qui, commeson nom l’indique, incarne le nécessaire espaceintermédiaire de rencontre et de circulation –pour entrer dans une interaction efficace et, dansla mesure du possible, harmonieuse. » (p.145)

« Cet aperçu nous rappelle, si besoin est, que,dès le départ, la pensée chinoise dominante – le« Vide médian » chez les taoïstes, le « Milieujuste » chez les confucéens – a cherché à dépas-ser le dualisme. Aujourd’hui nous voyons plusclairement ce qui a manqué à la pensée chi noiseet ce que la Chine doit apprendre de [?] l’Occi-dent. En revanche, du côté de la théorie esthé-tique – concernant le beau, et plusparticulièrement la création artistique – la Chinesemble avoir connu une grande précocité. Cettepensée ternaire a compris très tôt que la beauté

est, précisément, de nature ternaire… Et l’œu-vre de beauté, toujours née d’un « entre », est untrois qui, jailli du deux en interaction, permet audeux de se dépasser. Si transcendance il y a, elleest dans ce dépassement-là. » (p.146)

« Toujours à propos de l’esprit ternaire, il està remarquer que dans la tradition rhétoriquechi noise, puis dans celle de l’esthétique, les no-tions ou figures vont souvent par paire. Formantcouple dans un binôme, du même type que parexemple « Yin-Yang », « Ciel-Terre », « Mon-tagne-Eau », le binôme est l’expression mêmede la ternarité, puisqu’il exprime l’idée queporte chacune des deux figures, mais aussil’idée de ce qui se passe entre elles. » (p.147)

C’est ce que l’Occident n’a pas compris !

Au travail !

Ces larges extraits d’un texte d’une rare profon-deur, sont loin d’épuiser le sujet ; ils auront, je l’es-père, persuadé nos lecteurs de l’intérêt de ce livre.La sagesse trois fois millénaire de la Chine,confirme l’urgence qu’il y a à investir les troisétages des trois domaines existentiels occupéspar la trilogie formée par : le vrai (ou beau) et lebien (ou bon), couple animé par ce qui est rai-sonnable (la raison).

Une fois acquise la tournure d’esprit corres-pondant à ce que nous dit François Cheng de laBeauté, et, par delà, du Vrai, du Bien et du Bon,chancun de nous pourra l’appliquer à sa vie in-time, familliale, scolaire, culturelle, et profession-nelle, mais aussi sociale et politique, spiriruelleet religieuse. Pour cela, ouvrons à ce paradigmeretrouvé… notre corps, notre âme et notre esprits– notre mémoire, notre raison et notre volonté –… nous verrons ainsi grandir notre capital de sa-voir, savoir-faire et faire.

M.M.

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