De 189 Marches Du Travail Europeen Et Americain Dans La Crise

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 Document d’études direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques Numéro 189 Janvier 2015 Les marchés du travail européen et américain dans la crise Principaux enseignements du colloque internati onal organisé par la Dares et le Cepremap les 6 et 7 novembre 2014 Karine BRI ARD (Dares ) . Les documents d’études sont des documents de travail ; à ce titre, ils n’engagent que leurs auteurs et ne représentent pas la position de la DARES

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De 189 Marches Du Travail Europeen Et Americain Dans La Crise

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  • Document dtudesdirection de lanimation de la recherche, des tudes et des statistiques

    Numro 189 Janvier 2015

    Les marchs du travail europen et amricain

    dans la crise

    Principaux enseignementsdu colloque international

    organis par la Dareset le Cepremap

    les 6 et 7 novembre 2014

    Karine BRIARD (Dares).

    Les documents dtudes sont des documents de travail ; ce titre, ils nengagent que leurs auteurs

    et ne reprsentent pas la position de la DARES

  • Ce document dtude ralis par la DARES prsente les principaux enseignements du colloque international co-organis par la DARES et le CEPREMAP les 6 et 7 novembre 2014 sur Les marchs du travail europen et amricain dans la crise. Aprs le rsum analytique, sont reprises en synthse les dix-neuf interventions dlivres lors du colloque et du dner-dbat organis par le CEPREMAP le 6 novembre.

    Certains propos sont repris presque in extenso, pour dautres, seule lide gnrale est dgage. Les illustrations sont tires des diaporamas prsents lors du colloque. Ces textes nont pas t valids par les intervenants. Cette prsentation ne les engage donc pas.

    Dans le rsum, les noms signals entre crochets renvoient un intervenant du colloque.

    Lensemble des lments relatifs au colloque programme, dossier du participant et supports des prsentations sont disponibles sur http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-recherches-statistiques-de,76/etudes-et-recherches,77/manifestations-et-colloques-de-la,99/manifestations-et-colloques-passes,688/colloques-2014,2509/2014-les-marches-du-travail,2507/

  • SOMMAIRE RSUM 4 1. Le rle des institutions : les cas des tats-Unis et de la France 1.1 Salaire minimum et emploi en France .. 6

    par Pierre CAHUC

    1.2 Rcession, reprise et flexibilit du march du travail aux tats-Unis, 2007-2013 8 par John SCHMITT 1.3 Discussion ......... 11

    par Agns BENASSY-QUERE

    2. Les effets diffrencis de la crise sur les travailleurs 2.1 Les consquences de laustrit sur les ingalits femmes-hommes :

    les cas de lEspagne et du Royaume-Uni ... 13 par Jill RUBERY

    2.2 Qui souffre durant les rcessions ? Une analyse des marchs du travail amricains durant la crise 15 par Hilary HOYNES

    2.3 Discussion 17 par Christine ERHEL 3. Session plnire et clairages internationaux 3.1 Un avenir menac par lincapacit des marchs du travail, des institutions

    et des politiques surmonter les ingalits et le chmage .. 18 par Richard B. FREEMAN

    3.2 clairages internationaux : des emplois de meilleure qualit pour que la reprise conomique profite tous 21 par Stefano SCARPETTA 4. Le rle des institutions : les cas du Danemark et de lAllemagne 4.1 La flexicurit du march du travail danois pendant la crise .. 24

    par Torben M. ANDERSEN

    4.2 Le march du travail allemand pendant la crise et depuis le milieu des annes 1990 26 par Alexandra SPITZ-OENER

    4.3 Discussion . 27 par Bernard GAZIER

    5. Dner-dbat autour de la prsentation de R. Gordon sur La disparition de la croissance conomique aux tats-Unis 28

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  • 6. volution de la productivit, des salaires, de lemploi 6.1 Le nouveau dilemme entre inflation et croissance . 29

    par Robert GORDON

    6.2 La productivit du travail dans la crise en Europe . 30 par Philippe ASKENAZY

    6.3 Discussion 31 par Ekkehard ERNST

    7. Les rformes et ajustements des politiques de lemploi 7.1 Lnigme de la productivit espagnole pendant la crise 32

    par Laura HOSPIDO

    7.2 Lassurance chmage face la crise aux tats-Unis et en Europe 34 par Camille LANDAIS

    7.3 Discussion 35 par Gilles SAINT-PAUL

    NOTICE BIOGRAPHIQUE DES INTERVENANTS .. 36

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  • RSUM

    La crise qui a clat en 2007 a durement prouv les marchs du travail europen et amricain. Outre son origine, financire, cette crise est singulire par son tendue, touchant tous les secteurs conomiques, y compris les services publics, et par son ampleur, avec une chute brutale et massive des niveaux de production, saccompagnant dans la plupart des pays contrairement aux crises antrieures dune baisse de la productivit du travail.

    Cette crise nest pas pour autant un vnement isol. Elle sinscrit dans des conomies montrant parfois dj des signes de tensions : aux tats-Unis, une baisse tendancielle des taux demploi [SCHMITT, GORDON] ; au Danemark, des problmes de recrutement saccompagnant dune rtention de la main duvre [ANDERSEN] ; en Espagne, le recours important des emplois temporaires [HOSPIDO]. La crise a amplifi les dysfonctionnements prexistants (creusement des ingalits aux tats-Unis et en Europe) et, tout le moins, a rvl les imperfections des politiques menes (hausse brutale du chmage au Danemark et en Espagne, baisse sensible des salaires en Allemagne).

    Si les effets de cette crise sont plus profonds que ceux des crises prcdentes, ils prsentent cependant des similitudes : les mmes groupes dmographiques sont les plus touchs (jeunes, hommes, peu qualifis), aux tats-Unis [HOYNES] comme en Europe [ERHEL], et des problmes dinadquation entre loffre et la demande de travail apparaissent aux tats-Unis [SCHMITT].

    Enfin, la crise engendre elle-mme des changements structurels qui modifient le fonctionnement des marchs du travail. Ces changements, qui altrent la pertinence des modles de prvision [GORDON] et remettent en question les paradigmes conomiques [FREEMAN, ERNST], entravent de fait la dfinition de politiques adquates.

    La crise a eu des effets de nature et dampleur diffrents sur les marchs du travail selon le contexte initial et les institutions. Les institutions expliquent la bonne rsistance de certains marchs du travail, mais les mauvaises performances observes pourraient tre imputables aux politiques macroconomiques.

    Avant la crise, dans la ligne des recommandations des organisations internationales, les pays ont introduit plus de flexibilit dans le fonctionnement de leur march du travail, que ce soit dans les dispositifs et/ou les instances de dcisions.

    - En Allemagne, la dcentralisation des mcanismes de ngociation collective au niveau des entreprises, luvre depuis le milieu des annes 1990, a permis un ajustement de lemploi sur sa marge intensive salaires et heures travailles. Les effectifs en emploi sont ainsi rests tonnamment stables durant la crise, en dpit de la forte chute de production [SPITZ-OENER].

    - Au Danemark, lajustement sest essentiellement opr sur la marge extensive : les rtentions de main duvre davant-crise se sont traduites par un surajustement la baisse de lemploi lclatement de la crise. Le modle de flexicurit a ragi comme attendu, sans augmentation sensible du chmage de longue dure grce lefficacit des politiques de retour lemploi (dsormais dcentralises), mais au prix dune charge importante pour les finances publiques [ANDERSEN].

    - En Espagne, les dispositifs de protection de lemploi ont report lajustement sur lemploi temporaire, de faon brutale compte tenu du recours massif ce type de contrats sur la priode avant-crise. Cependant, lessor tonnant de la productivit du travail espagnole sexpliquerait avant tout par une recomposition sectorielle au profit des industries les plus productives positionnes sur le march international [HOSPIDO].

    - Au Royaume-Uni, lajustement sest ralis la fois par une baisse des salaires et le dveloppement de contrats de courte dure (temps partiel, zro heure ) [RUBERY], avec en parallle la multiplication demplois faible productivit [ASKENAZY].

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  • - En France, lajustement sest essentiellement fait sur lemploi dure limite, avec une forte rotation des contrats dure dtermine, en lien avec leur drglementation partielle. Le raccourcissement de lanciennet dans les emplois concerns et la perte de comptences associe ainsi que le dveloppement demplois faible productivit (auto-entrepreneurs) sont vraisemblablement les principaux facteurs de la baisse de la productivit du travail [ASKENAZY].

    - Aux tats-Unis, la flexibilit du march du travail explique la forte raction de lemploi au dclenchement de la crise, mais pas la persistance du chmage de longue dure indpendamment de lallongement de la dure dindemnisation de lassurance-chmage [LANDAIS] et laccroissement du chmage structurel.

    Les politiques montaires, ainsi que les politiques fiscales aux tats-Unis et les politiques daustrit en Europe, expliqueraient davantage lampleur et la persistance de la crise que le fonctionnement des marchs du travail.

    - Aux tats-Unis, elles seraient la cause de labsence de sursaut de lemploi avec la reprise. En effet, la Rserve fdrale pourrait avoir manqu de clairvoyance et conduit, depuis plusieurs dcennies, un niveau dinflation gnrateur de chmage [GORDON, SCHMITT]. Par ailleurs, lingale rpartition des revenus, au profit du capital et au dtriment du travail, pourrait expliquer la dconnection des rmunrations avec les comptences des travailleurs et lallocation inefficace du travail entre les secteurs [FREEMAN]. Une solution serait ainsi de rquilibrer la fiscalit entre capital et travail et dencourager lacquisition de capital par les travailleurs, en favorisant le partage des profits ou, plus indirectement, en finanant la R&D par limpt.

    - Les pays europens, dont les organes de dcisions en termes de politiques montaire et fiscale sont clats entre les institutions europennes et les gouvernements nationaux, auraient moins de latitude pour faire jouer de faon adquate ces leviers [SCHMITT]. Les politiques daustrit menes en rponse la crise de la dette ont en revanche eu des effets ngatifs sur lemploi public. Elles se sont aussi parfois accompagnes dun dlaissement de certaines politiques sociales comme celles permettant une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, stoppant ainsi la marche vers un meilleur quilibre des rles entre femmes et hommes [RUBERY], au risque de priver la croissance de lapport que constitue lemploi fminin [SCHMITT].

    Au final, la crise met en lumire la difficult trouver UN modle intangible, susceptible damortir par lui-mme les effets de chocs dune ampleur et dune tendue exceptionnelles [FREEMAN, SCARPETTA]. Lefficacit des politiques dpend des contextes conomiques et sociaux (exemple de lefficacit conditionnelle dune politique de baisse des charges [CAHUC]), et des arbitrages doivent tre raliss entre les gains incertains de politiques protgeant lemploi, aidant au retour lemploi et limitant la pauprisation, et le cot de ces politiques sur les finances publiques [ANDERSEN, LANDAIS].

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  • 1 - Le rle des institutions : les cas des tats-Unis et de la France Sous la prsidence de Christel COLIN Chef de service de la DARES

    1.1 - Salaire minimum et emploi en France par Pierre CAHUC (ENSAE-CREST, cole Polytechnique)

    Pierre CAHUC sest intress lefficacit en termes demploi des mesures de baisse du cot du travail sur les bas salaires, en France, en priode de contraction conomique, laquelle fait lobjet de peu dvaluations pertinentes. Pour ce faire, il a examin les effets du dispositif zro charges , mis en place de dcembre 2008 dcembre 2009, consistant exonrer de cotisations patronales les embauches au niveau du Smic dans les entreprises de moins de 10 salaris.

    Il en ressort que :

    - la demande de travail est trs sensible son cot au niveau des bas salaires : une diminution de 1 % du cot du travail a entran un accroissement de 2 % de lemploi (voir figure) ;

    - les baisses de charges sur les bas salaires ne se traduisent pas par une augmentation des salaires ce qui nest pas leffet cherch et correspondrait un effet daubaine , car les entreprises ne se livrent pas de concurrence lembauche sur les emplois bas salaires, pour lesquels loffre de travail est excdentaire (chmage lev des moins qualifis) ;

    - le cot net par embauche de la mesure (exonrations de cotisations indemnits chmage et/ou aides sociales pargnes) est quasi nul.

    Estimation de la demande de travail son cot

    (par diffrence de diffrence)

    Source : Insee, DADS ; P. Cahuc.

    Ces rsultats seraient moins forts si la mesure sappliquait des niveaux de salaires plus levs et/ou dans un contexte de tensions sur le march du travail, car la hausse de lemploi serait partiellement vince par une hausse des salaires. Ainsi, la baisse des charges sur les bas salaires a un effet plus important en priode de crise, lorsque le chmage est lev. De mme, ces effets sont peu transposables des pays o le salaire minimum est nettement plus faible, comme les tats-Unis par exemple.

    En mettant en vidence leffet positif de la baisse de charges sur lemploi en priode de rcession et en y apportant un support thorique le modle dappariement , ces travaux remettent ainsi en question,

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  • pour la France, lexclusivit de lexplication keynsienne selon laquelle cest le faible niveau de la demande de biens qui explique le faible niveau de lemploi.

    noter que la technique dvaluation mise en uvre ne permet pas dinfrer ces rsultats pour lensemble des entreprises, quelle que soit leur taille : llasticit pourrait tre plus faible sur des entreprises de taille plus importante. Le caractre transitoire de la mesure pourrait expliquer le niveau lev de llasticit calcule, mme si les valuations ralises sur des secteurs o les anticipations dembauches sont moins frquentes, comme le secteur des services, donnent des lasticits comparables.

    Rfrences Cahuc P., Carcillo S. et Le Barbanchon Th. (2014), Do Hiring Credits Work in Recessions? Evidence

    from France. IZA Discussion Papers, n 8330, Institute for the Study of Labor (IZA); http://ftp.iza.org/dp8330.pdf

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  • 1.2 - Rcession, reprise et flexibilit du march du travail aux tats-Unis, 2007-2013 par John SCHMITT (Center for Economic and Policy Research Washington DC)

    John SCHMITT a centr sa prsentation sur le rle de la flexibilit dans les performances rcentes du march du travail amricain. Il observe que le march du travail amricain, en dpit de sa grande flexibilit un degr souvent mal apprci depuis lextrieur nest plus la machine crer des emplois laquelle il tait assimil avant 2001, et estime que les problmes de lemploi sont avant tout dus la politique macroconomique, et non au fonctionnement du march du travail.

    Le march du travail amricain est, selon les standards internationaux, trs libral , non rglement et flexible ; plusieurs indicateurs en tmoignent.

    - La faible scurit juridique de lemploi : en cas de licenciement, la loi amricaine nexige aucun pravis, aucune indemnit, aucune justification. Les tats-Unis apparaissent ainsi en bas du classement de lchelle retenue par lOCDE pour valuer la rigueur de la protection de lemploi rgulier (score de 0,3 contre 2,4 pour la France et 2,9 pour lAllemagne).

    - La faible gnrosit de lassurance-chmage (le taux de remplacement est en moyenne de 50 % contre 70 % en France et en Allemagne) et le faible taux de recours (seul un tiers des demandeurs demploi est indemnis).

    - La faible part de la population active couverte par des conventions collectives (13 %, la moins leve des principaux pays de lOCDE), ainsi quun taux de syndicalisation dans le secteur priv particulirement bas (environ 7 %).

    - La faible rglementation du travail : pas dobligation lgale de rmunrer un cong parental, les congs annuels et les congs de maladie ; salaire minimum parmi les moins levs des pays de lOCDE (relativement au salaire mdian) ; faible niveau des prlvements sur le travail

    Malgr ce degr lev de flexibilit, lemploi amricain a enregistr des rsultats mdiocres ces dernires annes.

    - Le taux demploi des femmes, dont la hausse avait port la totalit de laugmentation du taux demploi depuis les annes 1950, a commenc baisser (voir figure ci-aprs).

    - Le nombre demplois et le volume dheures travailles ont fortement baiss dans les deux premires annes de la crise (de lordre de 5 % entre 2007 et 2009-2010) et nont retrouv leur niveau de 2007 quen 2014 ; par comparaison, en France, la baisse a t nettement moins marque (infrieure 2 %) et le niveau de 2007 rattrap ds 2011.

    - La baisse rcente du chmage, qui saccompagne dune stagnation voire dune baisse de lemploi (voir figure), traduit davantage un phnomne de dcouragement des demandeurs demploi quun meilleur accs lemploi.

    J. SCHMITT a ainsi soulign quun des enseignements de la crise actuelle est que la flexibilit externe des tats-Unis tient sa rapidit dajustement du niveau demploi la baisse de la production, mais pas sa hausse, comme cest le cas au Danemark ou en Espagne dans le secteur rgulier .

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  • Taux demploi aux tats-Unis, de 1948 2014

    Source : Bureau of Labor Statistics (BLS).

    Taux de chmage et taux demploi Taux dactivit et taux demploi tats-Unis 2007 2014

    J. SCHMITT doute que les rigidits structurelles du march du travail soient lorigine de la mauvaise performance des tats-Unis, car le march du travail amricain a ragi sur un modle similaire chaque rcession depuis les annes 1950 avec, en particulier, un affaiblissement de lappariement entre les demandes et les offres demploi dplacement de la courbe de Beveridge vers la droite (rfrence aux travaux de DIAMOND & SAHIN1). En revanche, selon lui, un point important et de nature structurelle, presque absent des dbats sur la flexibilit, est la faiblesse des politiques de conciliation entre famille et travail, qui joue particulirement sur lemploi fminin et explique, en grande partie, le retard des tats-Unis par rapport aux autres pays de lOCDE (travaux de BLAU & KAHN2).

    Pour lui, les problmes de lemploi amricain sont en grande partie de nature macroconomique. Il montre ainsi que, au cours des quarante dernires annes, le niveau dinflation est rest au-dessus du niveau requis pour atteindre le taux de chmage de plein emploi (voir figure). Entre 1979 et 2014, les tats-Unis ont ainsi t moins frquemment au plein emploi (11 annes) quen excs de chmage

    1 Diamond P. A. et Sahin A. (2014), Shifts in the Beveridge curve, Federal Reserve Bank of New York, Staff Reports, n 687; http://www.newyorkfed.org/research/staff_reports/sr687.pdf 2 Blau F.D. et Kahn L. M. (2013), Female Labor Supply: Why is the US Falling Behind? American Economic Review, 103 (3): 251-256.

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  • (25 annes). Pour J. SCHMITT, ce constat tmoigne de lchec de la politique macroconomique dans latteinte des quilibres structurels de lconomie amricaine.

    cart entre le taux de chmage effectif et le NAIRU

    aux tats-Unis, de 1949 2014

    J. SCHMITT a conclu son propos en exprimant des inquitudes pour la France et lEurope : en termes de politique montaire, la Banque centrale europenne est apparue moins accommodante que la Rserve fdrale amricaine (en rgle gnrale) ; en termes de politique fiscale, la Commission europenne na pas la capacit dintervention du gouvernement fdral des tats-Unis, et les gouvernements des tats europens ne souhaitent pas ou ne sont pas en mesure dagir ; en termes de politique de change, leuro empche des pays comme lEspagne et la Grce de dvaluer. Si, en Europe, le risque dune stagnation sculaire du march du travail est moins prgnant quaux tats-Unis, la rforme de la politique macroconomique pourrait toutefois mriter une attention plus soutenue.

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  • 1.3 - Discussion par Agns BENASSY-QUERE (cole dconomie de Paris, Universit Paris I, Conseil danalyse conomique) Agns BENASSY-QUERE a, en premier lieu, rappel les effets successifs attendus dun choc ngatif de grande ampleur sur le PIB sur le niveau demploi et le cot unitaire du travail : si court terme, la baisse du PIB saccompagne dune baisse de lemploi, celle-ci doit se traduire, moyen terme, par une augmentation de la productivit du travail et une baisse du salaire rel, ce qui rduit le cot unitaire du travail, et doit permettre, plus long terme, daccrotre le niveau demploi (indpendamment des politiques macroconomiques).

    Les observations sur des priodes plus ou moins longues (une trois dcennies) concident assez bien avec ce schma thorique pour la Finlande, la Core, la Lettonie et les tats-Unis (voir figure). En revanche, en France et en Italie, le cot unitaire du travail ne sest pas ajust la baisse brutale du PIB en 2009 (voir figure) ; en Espagne et en Irlande, lemploi a baiss et ne sest pas redress en dpit dun ajustement la baisse du cot du travail ; en Allemagne, le niveau de lemploi semble ne pas avoir t affect, alors quen Grce, le PIB, lemploi comme le cot du travail ont chut de faon durable.

    Ces comportements diffrencis des conomies interrogent sur le rle des institutions dans les modalits de lajustement : lAllemagne et les tats-Unis sont les seuls pays parmi ceux considrs avoir rcupr leur niveau demploi davant-crise, alors que leurs modles sont trs diffrents. En France, on peut aussi se demander si dautres institutions du march du travail que celles en vigueur auraient permis davoir de meilleurs rsultats face la crise ou si lessentiel est dict par la politique macroconomique.

    volution du PIB, des effectifs en emploi et du cot unitaire du travail

    de 2002 2015 (prvisions) base 100 en 2007

    tats-Unis

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  • France

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  • 2 - Les effets diffrencis de la crise sur les travailleurs Sous la prsidence de Jean-Louis DAYAN Directeur du Centre dtudes de lemploi (CEE)

    2.1 Les consquences de laustrit sur les ingalits femmes-hommes : les cas de

    lEspagne et du Royaume-Uni par Jill RUBERY (Universit de Manchester)

    Jill RUBERY sest attache dcrire et expliquer la rduction des carts entre femmes et hommes en termes demploi et de conditions demploi durant la crise. Dtaillant les cas du Royaume-Uni et de lEspagne, elle montre ainsi que la crise conomique dune part, les politiques daustrit dautre part, ont fait converger lemploi des femmes et des hommes vers plus de prcarit et de moindres rmunrations. En Europe, la crise a affect diffremment lemploi des femmes et des hommes du fait de la sgrgation sectorielle des emplois. Les hommes, trs prsents dans des secteurs particulirement touchs par la crise comme lindustrie manufacturire et la construction, ont subi de nombreuses pertes demploi, des rductions dactivit et des baisses de salaires. Les femmes, davantage prsentes dans les services, ont surtout t touches par les politiques daustrit touchant lemploi public.

    Ces effets de la crise sur le volet de lemploi, conjugus aux volutions socitales et aux modifications des politiques sociales, ont interrompu la tendance davant-crise linsertion croissante des femmes sur le march du travail et un meilleur quilibre entre femmes et hommes.

    Avant la crise, en Espagne et au Royaume-Uni, lemploi fminin tait sur une tendance croissante avec, en Espagne, une croissance soutenue particulirement dans les emplois temps partiel et, au Royaume-Uni, un taux demploi fminin dj lev, une forte proportion demplois temps partiel et, de faon lie, un cart important entre les rmunrations des femmes et des hommes.

    En Espagne et au Royaume-Uni, lentre dans la crise sest accompagne dun affaiblissement de la protection de lemploi et dun accroissement de la flexibilit de lemploi sur plusieurs volets :

    - les conditions de travail : en Espagne, des possibilits ouvertes aux employeurs de les modifier, lautorisation des heures supplmentaires pour les temps partiels, le gel du salaire minimum ; au Royaume-Uni, le dveloppement demplois zro heure et des temps partiels, et la baisse du salaire minimum ;

    - le maintien dans lemploi : en Espagne comme au Royaume-Uni, laffaiblissement des protections contre les licenciements ; au Royaume-Uni, un resserrement des conditions doctroi des indemnits de licenciement ;

    - laffaiblissement des accords collectifs : en Espagne, une primaut donne aux accords dentreprises sur les accords de branche et la non-reconduction automatique des accords ; au Royaume-Uni, la suppression de lextension des accords du secteur public aux agences et oprateurs privs de ltat.

    En Espagne et au Royaume-Uni, pour les femmes et plus encore pour les hommes, cet affaiblissement de la protection de lemploi sest traduit par une dgradation des conditions de travail et de rmunration, et un dveloppement de formes demploi non standard .

    Lemploi public, occup largement par les femmes dans les deux pays, a galement t touch avec, en Espagne, une baisse des salaires, le gel des embauches et un allongement de la dure de travail et, au Royaume-Uni, le gel des salaires, la baisse des embauches et le recours la sous-traitance.

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  • Dans la plupart des pays europens, la participation des femmes au march du travail a augment durant la crise (voir figure), mais cette augmentation apparat lie la ncessit, pour davantage de femmes, dassurer des revenus suffisants pour le mnage (effet de travailleur supplmentaire). En Espagne, le taux dactivit des femmes a augment de 5,4 points entre 2008 et 2012, et plus encore pour les femmes peu qualifies ou ges ; au Royaume-Uni, les transitions vers linactivit des femmes nont pas augment.

    Variation du taux dactivit des femmes et des hommes entre 2008 et 2012 dans les pays de lUE28

    Ces volutions conomiques saccompagnent dune modification des rapports sociaux entre genres. En particulier, avec la crise, se dveloppe le modle dun seul apporteur de revenus au sein des mnages, qui peut tre la mre. Avant la crise, le modle familial dominant tait celui du pre comme principal apporteur de revenus avec, en Espagne, la mre inactive (un tiers des mnages) ou temps complet et, au Royaume-Uni, la mre travaillant temps partiel. Les couples bi-actifs reprsentaient alors la moiti des mnages en Espagne, les deux tiers au Royaume-Uni. Les politiques daustrit menes en Espagne et au Royaume-Uni ont rduit les aides financires apportes aux familles en termes de sant, de garde denfants et dducation, et accru de facto la pression exerce sur les femmes.

    J. RUBERY conclut une convergence des femmes et des hommes durant la crise en termes de niveau demploi et de conditions de travail en raison de la prcarisation de lemploi masculin et de laugmentation de lemploi fminin. Toutefois, pour les femmes, cette volution se fait marche force, par la ncessit dtre sur le march du travail pour scuriser les revenus du mnage. En Espagne et au Royaume-Uni, si lemploi fminin augmente, il saccompagne aussi de plus dinscurit, de sous-emploi et de bas salaires.

    Rfrences Gonzlez Gago E. et Segales Kirzner M. (2014), Women, gender equality and the economic crisis in

    Spain. in Karamessini, M. et Rubery, J. ed., Women and Austerity. Routledge IAFFE Advances in Feminist Economics. Abingdon, 228-247.

    Karamessini M. et Rubery J. (2014), Economic crisis and austerity: challenges to gender equality. in Karamessini, M. et Rubery, J. ed., Women and Austerity. Routledge IAFFE Advances in Feminist Economics. Abingdon, 314-351.

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  • 2.2 - Qui souffre durant les rcessions ? Une analyse des marchs du travail amricains

    durant la crise par Hilary HOYNES (Universit de Berkeley, NBER)

    Hilary HOYNES sest attache mesurer, aux tats-Unis, les effets diffrencis des cycles conomiques sur les mnages, selon leur revenu, et sur les travailleurs, selon leur ge, leur sexe, leur origine ethnique et leur niveau dtudes.

    H. HOYNES montre que, parmi les travailleurs, les cycles conomiques affectent plus fortement les hommes, les travailleurs noirs et hispaniques, les jeunes et les moins diplms, et lexplique par leur plus forte prsence dans certains secteurs particulirement touchs par la crise, comme lindustrie manufacturire ou la construction. Elle montre la relative constance de ces effets de cycle sur les trente dernires annes, malgr les importantes transformations qua connues le march du travail amricain (augmentation de lemploi des femmes et des Hispaniques, dclin du secteur manufacturier). Ainsi, entre mai 2007 et octobre 2009, pic de la crise aux tats-Unis, le taux de chmage de ces catgories a augment dau moins 6 points de pourcentage (de lordre de 9 points pour les hommes noirs et les moins de 25 ans) avec, quelle que soit la catgorie considre, une ampleur de la hausse du mme ordre que celle observe durant la rcession du dbut des annes 1980 (voir figure).

    Effet du taux de chmage global sur le taux de chmage de diffrents groupes dmographiques : comparaison entre la crise du dbut des annes 1980 et la crise actuelle

    diffrenciation par lge diffrenciation par le sexe et lorigine ethnique

    Source : H. Hoynes. Note de lecture : une augmentation de 1 point du taux de chmage global se traduit, pendant la crise (GR pour Great recession), par une augmentation de 2,2 points du taux de chmage des 16-19 ans la barre derreur matrialise lintervalle de confiance 95 %.

    En revanche, H. HOYNES montre que les rformes sociales des deux dernires dcennies, qui ont recentr les politiques de soutien aux mnages sur les personnes en emploi en conditionnant les aides au fait dtre en emploi, ont modifi la sensibilit aux cycles conomiques du taux de pauvret (voir figure). Les plus dfavoriss apparaissent comme les plus affects par la crise, car le filet de scurit qui pouvait les protger lors des crises prcdentes sest affaibli.

    Document dtude 2015 Les marchs du travail europen et amricain dans la crise

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  • Rponse du taux de pauvret aprs transferts au taux de chmage : comparaison entre la crise du dbut des annes 1980 et la crise actuelle

    Source : H. Hoynes. Note de lecture : une augmentation de un point du taux de chmage global se traduit, pendant la crise, par une augmentation de 7,4 % du nombre de personnes en dessous de 50 % du seuil de pauvret (seuil aprs transferts) la barre derreur matrialise lintervalle de confiance 95 %.

    En priode de chmage lev, lassurance chmage a leffet stabilisateur le plus fort, au sens o elle contrecarre laccroissement des ingalits de revenus mieux que des aides conditionnes au fait dtre en emploi telles que la TANF (Temporary Assistance for Needy Families) ou limpt ngatif EITC (Earned Income Tax Credit).

    Rfrences Hoynes H., Miller D. et Schaller J. (2012), Who Suffers During Recessions? Journal of Economic

    Perspectives ; 26(3): 2748. Bitler M. et Hoynes H. (2014), The More Things Change, the More They Stay the Same? The Safety Net

    and Poverty in the Great Recession. Working paper; https://gspp.berkeley.edu/assets/uploads/research/pdf/Bitler-Hoynes-GR-revision-9-2-14.pdf

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  • 2.3 - Discussion par Christine ERHEL (Centre dtudes de lemploi, Universit Paris I)

    Christine ERHEL sest attache mettre en perspective la situation europenne avec la situation amricaine, sagissant des effets diffrencis de la crise sur les travailleurs et des tendances de fond qui se dessinent.

    En Europe et aux tats-Unis, les mmes groupes dmographiques sont les plus touchs par la crise (les hommes, les jeunes). En revanche, par rapport aux tats-Unis, la crise en Europe prsente plusieurs diffrences : outre sa persistance aprs 2010, la crise actuelle semble se dmarquer de la crise prcdente, celle de 1993, notamment par un rle accru du niveau dducation dans le maintien en emploi lemploi des plus qualifis semble ne plus tre reli au cycle conomique, contrairement celui des niveaux de qualification moins levs. Dautre part, mme si une forte variabilit entre tats amricains peut aussi tre observe, les effets de la crise entre les pays europens apparaissent trs contrasts. En particulier, les jeunes sont plus touchs par le chmage dans les pays du sud de lEurope, alors quils sont relativement pargns dans des pays comme lAllemagne ou les Pays-Bas ; les femmes connaissent aussi plus frquemment des priodes dinactivit dans les pays mditerranens. Plusieurs pistes dexplications de ces tendances et diffrences de fond par rapport aux tats-Unis peuvent tre avances : en Europe, le niveau dducation de la main-duvre, notamment des femmes, est globalement plus lev ; la structure de lemploi sest modifie, au dtriment du secteur non marchand en particulier, affectant spcialement les femmes dans les pays o le secteur tait important (Espagne par exemple) ; la polarisation des emplois sest accrue avec, comme aux tats-Unis, des crations demploi concentres sur des contrats dure limite. Le rle des institutions du march du travail dans les effets plus importants de la crise sur certains travailleurs nest en revanche pas tabli pour lEurope, car aucune relation univoque nest mise en vidence entre la protection de lemploi, lassurance chmage, les mcanismes de coordination des salaires et les probabilits de perte demploi ou de sortie du chmage de ces travailleurs. Les politiques de lemploi et les politiques sociales ont subi dimportantes rformes dans tous les pays de lOCDE, en Europe, comme aux tats-Unis, depuis le dbut des annes 1990 (activation, accent mis sur loffre de travail via limpt ngatif (EITC) aux tats-Unis notamment , etc.). Comme aux tats-Unis (voir prsentation dH. HOYNES), ces rformes ont affaibli leffet de stabilisateur automatique du systme de redistribution public. En particulier, les politiques de lemploi sont moins contracycliques que dans les annes 1990 et jouent un rle moins protecteur lgard des plus pauvres. Les politiques de rigueur ont amplifi ces effets (voir prsentation de J. RUBERY), avec des perspectives demploi plus limites pour les femmes, notamment les mres isoles, ainsi que les jeunes et les plus diplms, davantage prsents dans lemploi public. La baisse des budgets saccompagne aussi de moindres ambitions des politiques sociales lutter contrer les ingalits femmes-hommes (mme si les politiques dgalit de genre reste lagenda europen). Toutefois, en Europe, la perspective inquitante de rformes de ltat providence qui mneraient une logique librale sans croissance doit tre nuance au regard de la rsilience dont ont fait preuve les modles sociaux et les politiques de lemploi des pays de lEurope continentale durant la crise, lesquels conservent leurs caractristiques fondamentales3.

    3 Voir Erhel Ch. (2010), Les politiques de lemploi en Europe : quelles ractions face la crise ? CEE, Document de travail, n129 ; http://www.cee-recherche.fr/sites/default/files/webfm/publications/docdetravail/129-politique_emploi_europe_reactions_crise.pdf

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  • 3. Session plnire et clairages internationaux Sous la prsidence de Daniel COHEN Directeur du CEPREMAP

    3.1 - Un avenir menac par lincapacit des marchs du travail, des institutions et des

    politiques surmonter les ingalits et le chmage par Richard B. FREEMAN (Universit de Harvard, NBER)

    Richard B. FREEMAN a port un regard critique sur les politiques menes en Europe et aux tats-Unis durant la crise, cherchant identifier les dfaillances des diffrents courants de pense qui ont conduit mettre en place ces modles, pour proposer quelques pistes damlioration du fonctionnement des marchs du travail. Les dernires dcennies ont t marques par une guerre des modles au cours de laquelle, le meilleur modle a t, successivement, le modle corporatiste nordique et allemand (annes 1970), le modle japonais de lemploi vie (annes 1980), le modle flexible amricain / anglo-saxon (annes 1990 2007), jusqu ce quon voque le miracle allemand dans les annes 2010.

    Dans les annes 1980-90, lOCDE et le FMI ont encourag des rformes visant rendre les marchs du travail plus flexibles, observant le taux demploi lev et les courtes dures du chmage aux tats-Unis, et reprenant lide rpandue que laisser libre cours aux forces du march la main invisible tait la faon la plus efficace de grer une conomie et les marchs du travail limage des marchs financiers.

    La survenance de la crise a soumis les institutions et les politiques de lemploi un vritable test, celui de la rcession puis de la reprise. Aux tats-Unis, le march du travail flexible ne la pas russi : le taux demploi a chut ; la dure moyenne du chmage sest allonge ; les ingalits se sont creuses. Avant mme le pic de la crise, les ingalits se sont accrues aux tats-Unis comme en Europe (voir figure).

    Laccroissement des ingalits de revenus dans les pays de lOCDE coefficients de Gini, comparaison 1985 - 2008

    Source : OCDE.

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  • Alors que les ingalits napparaissaient pas comme une proccupation majeure tant que chacun bnficiait peu ou prou de la croissance, la crise a rappel leur ampleur. Les tats-Unis sont au troisime rang des pays les plus ingalitaires : 1 % de la population dtient plus du quart de la richesse et la part des revenus du capital dans les revenus des 400 cadres dirigeants les plus riches atteint 80 %. En Europe, la part du travail dans la valeur ajoute a chut, plus quaux tats-Unis sur le long terme, et les ingalits de revenus se sont creuses (voir figure). Aucun pays europen na vraiment t pargn avec, dans les pays ayant le mieux rsist, des rsultats en demi-teinte.

    - En Sude, la reprise ferme a t prcde dune forte baisse de la productivit du travail dans le secteur manufacturier ; les ingalits, peu leves avant crise, ont augment ; le ratio dheures travailles par personne est rest plus lev quaux tats-Unis, mais le chmage a augment.

    - Au Royaume-Uni, la part de la population en emploi est reste leve et le chmage relativement faible, mais le PIB na retrouv son niveau de 2007 quen 2014 et les salaires rels ont baiss atteignant leur niveau de 2003.

    - En Allemagne : le miracle allemand faible taux de chmage et taux demploi lev saccompagne dune part importante demplois en activit partielle, de courte dure, de mauvaise qualit, contribuant accrotre les ingalits ; dun ajustement la baisse des dures travailles ; dun taux demploi infrieur celui des tats-Unis ; dune stagnation des salaires rels ; dune productivit modeste.

    Part de lemploi dans la valeur ajoute de 1947 2012

    aux tats-Unis et dans les autres pays de lOCDE

    Source : Bureau of Labor Statistics, Productivity and Costs; OECD.

    Les disparits en termes de profits et de redistribution de ces profits aux salaris auraient pour consquence une allocation inefficace du travail et une dconnection des rmunrations avec les comptences des travailleurs. Pour les tats-Unis, un indice de limperfection du march du travail est la contribution importante des disparits entre les entreprises (estime 2/3) dans laccroissement des disparits de revenus des salaris4. Ces disparits rsulteraient de diffrences en termes de politiques de rmunrations et dembauches du ct de la demande de travail, et de mobilit entre entreprises du ct de loffre de travail, auxquels sajouteraient des chocs de demande et de productivit lis lintroduction de produits ou processus innovants.

    4 Barth E., Bryson A., Davis J. C. et Freeman R. (2014), Its Where You Work: Increases in Earnings Dispersion across Establishments and Individuals in the U.S. NBER Working paper, n 20447; septembre.

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  • Comme raisons aux checs de la politique et des institutions, R. FREEMAN avance au final quatre hypothses : laffaiblissement des institutions du travail flexibles par la politique daustrit mene par les gouvernements, acculs agir ; la croyance en des marchs du travail parfaits ; labsence dides nouvelles post-Keynes, la recherche tant focalise sur les questions de genre, denvironnement, de changement climatique, de scurit alimentaire, et non sur le travail ; et limportance donne la richesse dans les prises de dcisions, qui favorise la conservation des positions dominantes.

    Comme exemple derreur dapprciation, il cite le Portugal, qui a men une politique daustrit et rduit les mcanismes de ngociation collective de branche, avec lide dfendue par le FMI que ces mcanismes constituent un frein la flexibilit des salaires, et lide dfendue par lOCDE, sans preuve empirique claire quils sont une entrave la comptitivit et gnrent des pertes demploi (contrairement la ngociation au niveau de lentreprise).

    Pour R. FREEMAN, les solutions doivent reposer sur la R&D et le changement technologique ; le renforcement du rle des syndicats et de la ngociation collective ; une plus forte taxation des revenus du capital. Comme solution concrte, il propose daccrotre la dtention du capital par les travailleurs et avance deux exemples : la nationalisation des ressources naturelles dont les recettes de lexploitation seraient reverses aux citoyens ; et le financement de la R&D par limpt, de sorte que les citoyens sapproprient le capital des connaissances et des ides mises en uvre dans les nouveaux produits et processus et en retirent les gains par la croissance.

    R. FREEMAN propose quelques principes directeurs pour la mise en uvre de politiques : leur progressivit ; leur cohrence avec les cultures et pratiques nationales ; louverture la varit et lexprimentation ; le soutien des entreprises et des travailleurs ; lincitation plutt que la contrainte ; la rduction des niches fiscales.

    Pour les tats-Unis, ses prconisations sont les suivantes : accorder aux entreprises partageant largement leurs profits avec leurs salaris un statut privilgi dans les marchs publics ; rformer la gouvernance et la dtention dactifs des fonds de pension ; taxer les revenus du capital avec des taux progressifs, infrieurs pour les citoyens modestes ; dvelopper des incitations fiscales la dtention du capital ; rformer le Internal Revenue Code 162(m) qui favorise les cadres dirigeants dans le partage des profits, au dtriment des salaris.

    R. FREEMAN a conclu en rappelant quen Anglais, le terme equity a deux significations qui renvoient, pour lune la justice, pour lautre la proprit, et quil conviendrait de considrer comment il est possible de parvenir davantage dquit dans la proprit.

    Rfrences Freeman R. B. (1998), War of the Models: Which Labour Market Institutions for the 21st Century? in

    The Adam Smith Lecture. Aarhus, Denmark: European Association of Labour Economists; Labour Economics 5(1): 1-24.

    Freeman R. B. (2005), Labour Market Institutions Without Blinders: The Debate Over Flexibility and Labour Market Performance. International Economic Journal RIEJ; 19(2): 129-145.

    Freeman R. B. (2014), Who Owns the Robots Rules the World. JOLE Meetings May; http://www.sole-jole.org/Freeman.pdf

    Freeman R. B. (2007), The Great Doubling: The Challenge of the New Global Labor Market. in Ending Poverty In America: How to Restore the American Dream; NY: The New Press; Chapter 4.

    Freeman R. B., Blasi J. R. et Kruse D. L. (2013), The Citizens Share: Putting Ownership Back into Democracy, Yale University Press.

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  • 3.2 - clairages internationaux : Des emplois de meilleure qualit pour que la reprise

    conomique profite tous par Stefano SCARPETTA (OCDE)

    Stefano SCARPETTA a analys la situation conomique dans les pays de lOCDE, travers trois dimensions cls : le chmage, les salaires et la qualit des emplois. Notant que malgr les progrs rcents, le ralentissement du march du travail reste important dans la plupart des pays durement touchs par la crise, il a avanc des prconisations en termes de politiques macroconomiques et demploi afin denrayer la baisse du pouvoir dachat et la progression du chmage structurel. Les cots individuels, conomiques et sociaux, de la crise sont importants avec des risques dexclusion du march du travail pour les chmeurs de longue dure, plus nombreux, et une baisse du pouvoir dachat, mme pour les personnes ayant conserv un emploi, mais qui ont pu subir un fort ajustement la baisse de leurs salaires.

    Le chmage reste bien suprieur au niveau observ avant la crise dans de nombreux pays de lOCDE (voir figure). Toutefois, la zone euro semble au seuil dune phase de reprise de la croissance en emploi et, aux tats-Unis, la cration nette demplois saffermit. Compte tenu de la progression relativement modeste du NAIRU pendant la crise, la hausse du chmage apparat essentiellement de nature conjoncturelle. La crainte de la progression du chmage structurel, sous-tendue par un niveau lev et persistant du chmage de longue dure, justifie des politiques macroconomiques relanant la demande globale, articules avec des politiques de lemploi levant les blocages structurels daccs aux emplois [linadquation des comptences, par exemple], particulirement pour les jeunes et les chmeurs de longue dure.

    Taux de chmage dans les pays de lOCDE

    Source : OCDE. (a) Mai 2014 pour la Turquie ; juin 2014 pour la Grce et le Royaume-Uni ; juillet 2014 pour le Chili, lEstonie, la Hongrie, lIslande et la Norvge ; septembre pour les Etats-Unis et 2e trimestre 2014 pour la Nouvelle-Zlande et la Suisse.

    Durant la crise, lajustement conomique sest traduit la fois par une modration salariale et un recours plus frquent aux contrats temporaires.

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  • La croissance des salaires sest fortement ralentie au sein de la zone OCDE (la France fait exception), avec une stagnation des salaires rels entre 2010 et 2013, y compris en zone euro (taux de croissance de 2,1 % avant crise), voire des pertes de 10 % 25 % en cinq ans dans certains pays (Grce, Irlande, Slovnie et Espagne). La rmunration a baiss, en termes rels, pour la moiti des travailleurs, et le salaire nominal pour les deux tiers de ces derniers (voir figure), essentiellement travers une diminution du nombre dheures travailles et/ou une baisse des primes. Aux tats-Unis, lajustement salarial sest ralis principalement sur les bas salaires. En revanche, en Europe, grce aux mcanismes stabilisateurs (salaires minimums, aides lactivit, conventions collectives), lajustement salarial sest fait de faon assez uniforme sur lensemble de la distribution, de sorte que les ingalits salariales ne se sont pas sensiblement creuses avec la crise. Les plus faiblement rmunrs restent les plus touchs, mais dans le sens o une variation de revenus a des effets relativement plus importants sur des revenus dj faibles, et parce quils ont plus frquemment subi des priodes de chmage.

    Incidence des baisses de salaires rels en 2010 (part des salaris temps plein en emploi depuis au moins un an)

    Source : OCDE. Adm.: donnes administratives ; a) 2009 pour la Grce ; c) Salaires nets ; d) Moyenne non pondre (hors donnes administratives ; e) 2006-10 pour les tats-Unis, 2008-10 pour lEspagne (donnes administratives).

    La modration salariale peut contribuer la reprise du march du travail par deux mcanismes : un rquilibrage interne par un ajustement des salaires rels, qui peut limiter la persistance du chmage et donc la monte du chmage structurel ; un rquilibrage externe par lajustement des salaires nominaux, qui peut renforcer la comptitivit sur les marchs internationaux et favoriser la demande globale.

    La dvaluation interne suppose un ajustement des salaires, mais aussi un ajustement des prix et une rallocation des ressources entre secteurs. Or, dans les pays qui ont t le plus durement touchs par la crise, les cots unitaires nominaux du travail se sont dj sensiblement ajusts, mais lajustement des prix et la rallocation des ressources au profit des secteurs exportateurs ont t relativement lents. Leffet sur lemploi de lajustement des salaires peut ainsi tarder se matrialiser et la modration salariale produire alors des effets non dsirs, engendrant une baisse de la demande des consommateurs et une spirale dflationniste. Les pertes demplois et, dsormais, les crations demplois, concernent essentiellement des contrats dure dtermine (voir figure). Accepts par dfaut par la majorit des travailleurs, ces emplois dure dtermine apparaissent davantage comme des freins au retour une situation stable sur le march du travail que des points dentre accs limit la formation interne en entreprise et probabilit plus faible dobtenir un contrat dure indtermine par rapport au chmage (en France et en Europe).

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  • Part des emplois dure limite dans les crations demplois (contrats dau plus trois mois)

    Source : OCDE.

    S. SCARPETTA en a conclu que les politiques qui peuvent amener un bon taux demploi sont aussi celles qui permettront au march du travail de sajuster de la meilleure manire. Au moins deux caractristiques apparaissent dans les pays o les marchs du travail ont le mieux rsist la crise : un niveau lev de dialogue social permettant une ngociation des salaires au niveau des entreprises, et des politiques actives du march du travail qui responsabilisent le demandeur demploi et laccompagnent dans sa recherche demploi.

    Il a invit rester vigilant sur laccroissement des ingalits, en termes de qualit de lemploi et de salaires, mme si la dflation salariale dailleurs peu efficace dans la lutte contre le chmage semble atteindre ses limites [et ne plus constituer une modalit dajustement].

    Rfrences OECD Employment Outlook 2014, OECD Publishing; http://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2014-en

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  • 4. Le rle des institutions : les cas du Danemark et de lAllemagne Sous la prsidence de Frdric LERAIS Directeur de lIRES

    4.1 - La flexicurit du march du travail danois pendant la crise par Torben M. ANDERSEN (Universit de Aarhus, CEPR, IZA)

    Torben M. ANDERSEN a analys les ractions du march du travail danois pendant la crise, en cherchant identifier les facteurs luvre dans le modle de flexicurit.

    Le modle de flexicurit danois se caractrise par trois piliers : la combinaison de flexibilit pour les entreprises et de scurit pour les salaris, des incitations la recherche demploi, et la prservation du capital humain. Les rformes du march du travail du milieu des annes 1990 ont cr un quilibre entre assurance et incitation en raccourcissant la dure dindemnisation au chmage, en posant des conditions dligibilit plus strictes, et en dveloppant des politiques dactivation le Workfare. Le Danemark prsente ainsi, par rapport aux autres pays de lOCDE, une protection de lemploi plutt flexible, une assurance chmage gnreuse et des politiques dactivation importantes.

    Avant la crise, lconomie danoise montrait des signes de surchauffe et de demande de travail excdentaire, avec une thsaurisation de la main duvre dans les entreprises pour contrer les problmes de recrutements (malgr larrive de travailleurs trangers), et une pression la hausse sur les salaires due au faible taux de chmage. Lors de lclatement de la crise, par un effet de rattrapage de la priode prcdente, le Danemark a connu une hausse du chmage plus importante que la moyenne des pays de lOCDE, malgr un secteur financier relativement stable et des finances publiques saines.

    Si le chmage a fortement augment, la plupart des priodes de chmage sont restes de courte dure, le taux de sortie du chmage est demeur lev (au plus fort de la crise, 60 % des demandeurs demplois sortent du chmage aprs 13 semaines, 80 % aprs 26 semaines), de mme que la confiance dans le retour lemploi (70 % de trs confiants) et le flux de crations - destructions demplois. Comme dans la plupart des pays, les plus touchs sont les hommes, les jeunes et les moins qualifis.

    Les institutions du march du travail se sont comportes comme attendu : le chmage de court terme reste sensiblement plus lev que le chmage de long terme, et le phnomne de persistance du chmage apparat faible. Les travailleurs jeunes et gs sont davantage touchs, mais le chmage des jeunes reste sensible aux fluctuations conomiques et celui des travailleurs gs, bien que plus durable, ne montre pas de rel signe de persistance endogne (i.e. structurel), si ce nest pour les femmes ges peu ou moyennement qualifies.

    En dfinitive, eu gard la chute de la production, lajustement de lemploi na pas t excessif et les principales caractristiques du march du travail danois ont t conserves : un niveau lev de renouvellement de lemploi, qui permet une rallocation de lemploi entre les secteurs selon les conditions de la reprise, et une courte dure des priodes de chmage. Cependant, le cot des politiques dactivation rend plus aigu la question de leur efficacit.

    Rfrences Andersen T. (2012), Flexicurity Labour Market in the Great Recession: The Case of Denmark.

    De Economist; 160: 117140. Andersen T. et Svarer M. (2012), Active labour market policies in a recession. IZA Journal of Labour

    Market Policy; 1(7): 1-19. Andersen T., Svarer M., Maibom J. et Srensen A. (2013), Do business cycles have long-term impact for

    particular cohorts. IZA Discussion Paper, 7817. Andersen T., Svend E., Hougaard J. et Bergman M. eds., Reform Capacity and Macroeconomic

    Performance in the Nordic Countries, Oxford University Press, paratre.

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  • 4.2 - Le march du travail allemand pendant la crise et depuis le milieu des annes 1990 par Alexandra SPITZ-OENER (Universit Humboldt de Berlin, Institut de recherche sur lemploi IAB, IZA Berlin)

    Alexandra SPITZ-OENER a dcrit comment la flexibilit interne qui dcoule des mcanismes de fonctionnement du march du travail allemand, bass sur la ngociation au niveau de la branche et de faon croissante au niveau de lentreprise, explique les bons rsultats de lAllemagne en termes demploi depuis le milieu des annes 1990, et notamment durant la crise, malgr une forte contraction de la production.

    LAllemagne qui tait vue comme lhomme malade de lEurope au dbut des annes 2000 est devenue, en lespace dune dcennie, la Superstar conomique , avec un taux de chmage infrieur 7 % et des exportations records (environ 50 % du PIB et 8 % des exportations mondiales).

    Pour A. SPITZ-OENER, la principale raison de la transformation de lconomie allemande nest rechercher, ni dans les rformes dites Hartz , ni dans la modification des changes au sein de la zone euro, mais dans la gouvernance des institutions du march du travail, spcifique lAllemagne, qui permet une bonne ractivit la situation conomique.

    Le systme allemand de relations industrielles a pour particularit dtre fond, non sur la loi, mais sur la ngociation entre fdrations demployeurs, syndicats et reprsentants du personnel au sein des entreprises. De multiples aspects relatifs au temps de travail ou aux conditions de travail peuvent y tre abords, mais la fixation des salaires reste le principal objet de ces accords. En Allemagne, le salaire minimum nest pas dorigine lgale, impos par le pouvoir politique et donc potentiellement conflictuel , mais ngoci au niveau des branches, ce qui permet un meilleur ajustement la situation conomique.

    Or, suite la runification de lAllemagne, ces mcanismes se sont profondment modifis : les opportunits de nouveaux marchs et dune main duvre moins coteuse et plus flexible dans les pays dEurope de lest et dEurope centrale, ajoutes au cot de la runification, ont modifi les rapports de forces, poussant les syndicats faire des concessions sur les salaires. partir des annes 1990, les ngociations ont t dcentralises du niveau rgional et de la branche au niveau de lentreprise. Cette dcentralisation de la ngociation, la chute du nombre de salaris couverts par des accords et la multiplication de mesures drogatoires ont eu pour consquence un ralentissement de la croissance des salaires (voir figure ci-aprs) et un accroissement des ingalits salariales dans les secteurs couverts par des accords.

    Outre louverture lEst, la dcentralisation du processus de fixation des salaires a permis aux entreprises allemandes de gagner en comptitivit sur les marchs extrieurs. La comptitivit du secteur manufacturier a, elle, t porte, non pas tant par la pression sur les salaires du secteur lui-mme, qui ont davantage augment que dans dautres secteurs, mais par la baisse des prix des consommations intermdiaires.

    Durant la crise, les industries exportatrices ont t particulirement touches, mais la dcentralisation de la ngociation a renforc la capacit dajustement des entreprises travers des dispositifs de flexibilit du temps de travail (comptes pargne temps, activit partielle), notamment dans le secteur manufacturier o la main duvre qualifie, aux comptences spcifiques, a pu tre maintenue.

    Pour A. SPITZ-OENER, il y a tout lieu dtre optimiste sur les perspectives de lconomie allemande, car si les marchs dexportation ont t durement touchs par cette crise ce qui explique le choc de production connu par lAllemagne, alors dpendante de la demande extrieure , ceux-ci sont de nature se rtablir rapidement. La demande intrieure, elle, na pas baiss.

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  • Rle de la dsyndicalisation dans lvolution des salaires en Allemagne entre 1995 et 2008

    Lecture : le salaire rel des 25 % de salaris les moins bien rmunrs a baiss de lordre de 9 % entre 1995 et 2008 (log(w2008/w1995) = - 0,09). Si la part des salaris couverts par des accords tait reste au niveau de 1995, cette baisse naurait t que de 2 % (log(w2008/w1995) = - 0,02).

    Rfrences Dustmann Ch., Fitzenberger B., Schnberg U. et Spitz-Oener A. (2014), From Sick Man of Europe to

    Economic Superstar: Germanys Resurgent Economy. Journal of Economic Perspectives, Vol. 28(1).

    Mller J. (2010), The German Labor Market Response in the World Recession: De-Mystifying a Miracle. Journal of Labor Market Research, Vol. 32.

    Burda M. C. et Hunt J. (2011), What Explains the German Labor Market Miracle in the Great Recession? Brookings Papers on Economic Activities.

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  • 4.3 - Discussion par Bernard GAZIER (Universit Paris I)

    Bernard GAZIER a mis en perspective les expriences danoise et allemande, toutes deux des exemples de russite, mais pour lesquelles la flexibilit prend des formes diffrentes.

    La flexibilit la danoise consiste en un ajustement externe contrebalanc par des politiques dactivation visant un retour rapide lemploi des chmeurs. La flexibilit lallemande repose, quant elle, sur la ngociation collective avec un ajustement interne portant sur le temps de travail le travail est thsauris et une diffrenciation des salaires.

    Les deux modles se caractrisent par une dcentralisation de certains aspects de la gestion des travailleurs : au Danemark, le Workfare avant la crise et le transfert des politiques actives du march du travail (PAMT) sur les municipalits depuis 2009 ; en Allemagne, les rformes Hartz avant la crise et lessor des ngociations salariales ensuite.

    Sagissant du Danemark, B. GAZIER a demand des clarifications sur plusieurs points : lvolution des salaires et du temps de travail ; le possible dsquilibre de la pression exerce sur les chmeurs, travers les PAMT, en comparaison des salaris ; le Learnfare (i.e. lincitation la formation par un soutien financier) ; la pratique des rotations demplois favorise par des mesures telles que le financement public de congs de longue dure.

    Sagissant de lAllemagne, les questions de B. GAZIER ont port sur la comptitivit hors-prix ; le rle de la runification sur la diffrenciation des salaires et, spcifiquement, le rle du patronat est-allemand, qui peut tre moins soucieux de ngocier afin de prserver son autonomie ; les limites long terme de la modration salariale en Allemagne, en rfrence la mise en uvre dun salaire minimum ; la possible transformation du modle allemand par lrosion de la ngociation sectorielle au profit de la ngociation au niveau des entreprises.

    Sans aborder tous les points soulevs, A. SPITZ-OENER a fait valoir que les rformes Hartz ont conduit un dveloppement des emplois temporaires, ont permis de limiter le chmage de long terme et ont (probablement) contribu amliorer la comptitivit de lAllemagne. Elle a cependant soulign que la transposition de ce dispositif dans dautres pays naurait pas ncessairement les mmes rsultats.

    B. GAZIER a conclu sa discussion par trois questions : - Comment rconcilier les modles allemand et danois (si on exclut lide commune visant dfendre une certaine forme de flexibilit) ? - Quel est le rle des syndicats ? En Allemagne, la diffrenciation des salaires est accepte, il semble dsormais y avoir une volont daugmenter les salaires, mais quen est-il au Danemark ? - Quel avenir pour ces deux modles ; quelles adaptations envisager dans un contexte de croissance durablement ralentie ?

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  • 5. Dner-dbat autour de la prsentation de R. Gordon sur La disparition de la croissance conomique aux tats-Unis

    Robert GORDON a dvelopp lide selon laquelle la croissance conomique aux tats-Unis ne retrouvera probablement pas les niveaux quelle a connus au cours des dernires dcennies.

    Selon lui, plus que le tassement des gains technologiques, ce sont des freins structurels, des vents contraires ceux qui avaient port la croissance des tats-Unis au cours des dernires dcennies, qui vont peser sur la croissance future. R. GORDON en dsigne quatre, pour lesquels des signes ngatifs apparaissent dj : - la dmographie, avec une population qui ne crot plus et vieillit et une volution de la population active elle-mme peu favorable (dpart la retraite des baby-boomers, baisse des taux demploi des jeunes hommes et des femmes sur la dernire dcennie) ; - lducation, dont le niveau stagne ; - les ingalits, qui saccroissent ; - la dette publique, qui saccumule et impose daugmenter les prlvements et/ou de rduire la dpense publique.

    Ces volutions conduisent R. GORDON prvoir, pour les tats-Unis, une croissance durablement ralentie malgr une hypothse prudente de croissance de la productivit reposant sur un rythme dinnovation identique celui des quarante dernires annes.

    Les solutions politiques quil propose pour les tats-Unis sont les suivantes : accrotre la population active en indexant lge de dpart la retraite sur lesprance de vie et en augmentant fortement les quotas dimmigration lgale ; rduire la population carcrale en lgalisant les drogues ; lever le niveau de formation au lyce tout en investissant dans lducation prscolaire afin damliorer lapprentissage de la langue ; revenir aux taux de taxation des revenus du capital et des dividendes davant 1997 ; liminer les niches fiscales qui profitent principalement aux riches ; donner laccs aux soins mdicaux tous les citoyens et non pas seulement aux personnes en emploi.

    largissant son propos hors des tats-Unis, R. GORDON conclut une faiblesse de la croissance future dans tous les pays dvelopps, si les innovations venir sont moins importantes quau cours des quarante dernires annes. Il estime, en revanche, que les pays mergents restent des zones de potentialit de croissance et que certains pays peuvent tre moins affects que les tats-Unis par des vents contraires : le Canada et la Core du fait dune meilleure ducation ; le Japon, la Core, la France et la Scandinavie en raison dingalits moins importantes ; dautres pays, grce une dette moins leve.

    Rfrences

    Gordon R. J. (2012), Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds. NBER Working Paper, n 18315; aot; www.nber.org/papers/w18315

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  • 6. volution de la productivit, des salaires, de lemploi Sous la prsidence de Jean-Luc TAVERNIER Directeur gnral de lInsee

    6.1 - Le nouveau dilemme entre inflation et croissance

    par Robert GORDON (Universit Northwestern)

    Robert GORDON a remis en question lide selon laquelle le taux de chmage dpendrait uniquement de linflation soulignant, dune part, le rle de la demande et de loffre sur linflation (voir figure), dautre part, la ncessit de distinguer les taux de chmage de court et de long terme sur la priode rcente. En effet, les volutions du taux de chmage de long terme sont partiellement dconnectes des volutions du march du travail, car certains demandeurs demploi de longue dure sortent durablement de lemploi (perte de comptences et signal ngatif envoy aux employeurs). Depuis 2009, le taux de chmage de court terme apparat donc comme plus pertinent pour les prvisions dinflation.

    Variations trimestrielles du taux de chmage et du taux dinflation * aux tats-Unis, de 1962-T1 2014-T3

    Source : R. Gordon. * Inflation totale , laquelle inclut les prix des produits alimentaires et de lnergie.

    R. GORDON dfend ainsi lutilisation de la courbe de Phillips augmente Triangle model en retenant les variations du taux de chmage de court terme plutt que celles du taux de chmage global. Ses prvisions de croissance pour les tats-Unis, reprenant les techniques de filtrage de Kalman, sont pessimistes, tablant sur une croissance du PIB comprise entre 1,4 % et 1,8 % lhorizon 2020 (moiti moindre quen 2000), en raison de labsence de reprise de la productivit du travail et de la productivit globale des facteurs.

    Rfrences Gordon R. J. (2013), The Phillips Curve is Alive and Well: Inflation and the NAIRU During the Slow

    Recovery. NBER Working Paper, n 19390, aot; www.nber.org/papers/w19390 Gordon R. J. (2014), A New Method of Estimating Potential Real GDP Growth: Implications for the

    Labor Market and the Debt/GDP Ratio. NBER Working Paper, n 20423, aot; www.nber.org/papers/w20423

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  • 6.2 - La productivit du travail dans la crise en Europe par Philippe ASKENAZY (CNRS cole dconomie de Paris et CEPREMAP)

    Philippe ASKENAZY sest attach, pour trois pays lAllemagne, la France et le Royaume-Uni , donner des pistes dexplication la baisse de la productivit du travail durant la crise. Le cas de lEspagne, seul pays de lOCDE avec lAustralie o la productivit du travail augmente, na t que succinctement abord, car prsent plus en dtail par Laura HOSPIDO dans une session ultrieure5. Depuis le dbut de la crise, la productivit du travail et la productivit globale des facteurs ont ralenti en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, pourtant dots de modles et de politiques diffrents (voir figure). Ces volutions sont dautant plus surprenantes que la productivit stait acclre lors des rcessions prcdentes et que les taux de chmage actuels, bien qulevs, sont tonnamment bas au regard du niveau de lactivit et infrieurs ceux du dbut des annes 1990.

    Croissance annuelle de la productivit horaire du travail dans les pays du G7 (en %)

    Source : OCDE.

    Le ralentissement de la croissance de la productivit pourrait trouver sa source dans les incertitudes lies la crise financire ( lorigine dinvestissements peu productifs), mais il est plus vraisemblable que les rcentes mutations du march du travail et de la main duvre en soient la principale cause. En effet, durant la crise, deux phnomnes ont pu tre observs :

    - dune part, une rtention de main duvre qualifie, perue comme de linvestissement, sans lien avec lvolution de la production, sous leffet de mcanismes diffrents : au Royaume-Uni, le choix dun ajustement la baisse des salaires (pression la baisse par le recours de la main duvre trangre, rosion des salaires rels, affaiblissement des syndicats) ; en Allemagne, les accords signs avant-crise et un apurement (avant-crise) des entreprises les moins productives ; en France, la diminution du cot du travail pour certains emplois (exemple du Crdit impt recherche) ;

    5 Cette prsentation dvoile les premiers rsultats de travaux mens par une quinzaine de chercheurs linitiative du CEPREMAP, qui seront dtaills lors dune confrence le 23 janvier 2015 (http://www.cepremap.fr/evenements/enigmes-productivite-europe/)

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  • - dautre part, une forte progression des emplois faible valeur ajoute emplois zro heure au Royaume-Uni, auto entrepreneurs et emplois de courte dure faible acquisition de comptences en France (raccourcissement drastique de la dure moyenne des CDD, normalisation du CDD dans certains secteurs comme la restauration).

    En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, la rtention des emplois comptences spcifiques devrait atteindre un point de saturation, mais la conservation dun segment demplois non productifs risque en revanche de saccompagner dune perte de productivit horaire. Dans les trois pays, la perspective de reprise progressive de la productivit, en labsence de reprise de la croissance, ne signifierait alors nullement une inversion de la courbe du chmage.

    6.3 - Discussion par Ekkehard ERNST (BIT)

    Ekkehard ERNST a complt les prsentations prcdentes en soulignant certaines caractristiques de la crise actuelle. Il constate ainsi :

    - une augmentation des salaires moins rapide que par le pass en Allemagne notamment qui traduit un ralentissement de la pression sur les marchs du travail ;

    - une forte lasticit de la cration demplois au PIB, due la nature de cette crise, dorigine financire cas des tats-Unis o lon a assist une chute brutale des crations demplois ;

    - une modification de la structure des emplois selon le niveau de qualification, avec une baisse des emplois de la classe moyenne.

    Ces changements sur le march du travail ont des effets potentiellement irrversibles. En particulier, deux signes font craindre une baisse de llasticit de lemploi la croissance :

    - dune part, le point optimal de la relation en U inverse entre la part du travail dans la valeur ajoute et la croissance, a pu tre dpass au vu des baisses observes de la part du travail (voir prsentation de R. FREEMAN) ;

    - dautre part, si les ajustements sur les salaires apparaissent relativement modrs, la baisse des taux dintrt rels incite linvestissement dans des technologies intenses en capital plutt qu la croissance en emplois.

    Sur le plan mthodologique, E. ERNST a soulign que les estimations du chmage structurel ou de la croissance potentielle sont robustes aux techniques destimation utilises (Kalman pour R. GORDON), et que diffrentes spcifications conduisent des valuations proches.

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  • 7. Les rformes et ajustements des politiques de lemploi Sous la prsidence de Luc BEHAGHEL (CNRS cole dconomie de Paris et CEPREMAP)

    7.1 - Lnigme de la productivit espagnole pendant la crise par Laura HOSPIDO (Banque dEspagne, IZA)

    Laura HOSPIDO sest attache analyser la hausse tonnante de la productivit du travail en Espagne durant la crise, et montre que cette volution tient en premier lieu des effets non permanents : la recomposition du tissu productif, la faveur des entreprises les plus productives, et la destruction massive demplois, en particulier demplois temporaires.

    L. HOSPIDO montre quau niveau macroconomique, la croissance soutenue de la productivit espagnole durant la crise rsulte dun effet de composition li la place croissante des entreprises les plus productives, plus qu une croissance gnralise de la productivit des entreprises (voir figure).

    Croissance de la productivit globale des facteurs (PGF) PGF des entreprises* PGF globale**

    Source : L. Hospido. Moyennes mobiles sur 5 ans des taux de croissance annuels. * Moyenne sur lensemble des entreprises considres (anne 2008 exclue) ; ** Moyenne pondre par les parts de lemploi dans la valeur ajoute.

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  • Au niveau des entreprises, la croissance de la productivit globale des facteurs est, quant elle, le rsultat de deux formes dajustement :

    - une flexibilit externe qui a consist dvelopper les changes avec ltranger les entreprises espagnoles ouvertes aux marchs extrieurs apparaissent plus productives et lcart avec les autres entreprises sest creus avec la crise ; la balance des paiements espagnole sest sensiblement amliore durant la crise ;

    - une flexibilit interne qui a consist en une recomposition de la main duvre, essentiellement au dtriment de lemploi temporaire, en raison des capacits limites des entreprises espagnoles procder des ajustements autres que sur le niveau demploi, du fait du systme de ngociation collective extension de tout accord collectif aux entreprises de la branche (et de la rgion gographique) et renouvellement tacite de tout accord non rengoci.

    Les estimations de L. HOSPIDO montrent ainsi, dune part, que la signature dun accord et laccs aux marchs extrieurs sont corrls positivement la productivit globale des facteurs sur toute la priode 1995-2012 ; dautre part, que la productivit globale des facteurs est corrle ngativement la proportion de travailleurs temporaires pendant la priode dexpansion, 1995-2007, mais que cette corrlation sinverse pendant la crise, possiblement sous leffet dune recomposition de lemploi.

    Pour L. HOSPIDO, lvolution contraste de la productivit espagnole, avant et durant la crise, sexplique ainsi par le passage dune phase de multiplication des contrats temporaires, avec une place importante des secteurs faible productivit (construction, vente, commerce de dtail, htellerie et restauration), une phase de destruction massive demplois et daugmentation du poids des entreprises productivit leve.

    Rfrences

    Hospido L. et Moreno-Galbis E. (2014), The Spanish Productivity Puzzle in the Great Recession; http://laurahospido.com/wp-content/uploads/2014/11/TFPNov2014.pdf

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  • 7.2 - Lassurance chmage face la crise aux tats-Unis et en Europe par Camille LANDAIS (London School of Economics)

    Camille LANDAIS a compar les systmes dassurance chmage (AC) aux tats-Unis et en Europe, leurs mcanismes et leurs ractions la crise, et a cherch en tirer des enseignements pour amliorer le fonctionnement de lAC.

    Aux tats-Unis, lAC est caractrise par une dure maximale dindemnisation courte (6 mois) et un taux de remplacement relativement faible (environ 45 %). Les paramtres sont cependant largement dtermins au niveau des tats do une forte variabilit entre les individus. Aux tats-Unis, lAC prsente deux spcificits : lexprience rating qui consiste rendre proportionnelles les cotisations aux licenciements, ce qui conduit les entreprises internaliser le cot du licenciement pour lAC ; et lextension de la dure dindemnisation en cas de dgradation de la situation de lemploi.

    En Europe, mme si les paramtres sont galement trs diffrents selon les pays et peuvent varier selon les caractristiques individuelles (comme lge), la dure dindemnisation est globalement plus longue et les taux de remplacement gnralement plus levs. Les licenciements donnent lieu des cots taxes, cots administratifs et/ou indemnits de licenciement , mais qui ne sont pas lis lassurance chmage.

    Face la crise, ces deux systmes dAC ont ragi diffremment, mais au final leurs paramtres ont converg. Aux tats-Unis, la dure dindemnisation sest allonge via deux mcanismes : lun automatique lextended benefit program qui allonge de 13 semaines la dure dindemnisation en cas de dviation du taux de chmage de plus de 25 % par rapport sa moyenne des trois dernires annes, avec un cofinancement 50/50 par ltat concern et ltat fdral ; un autre mcanisme, discrtionnaire, au niveau de ltat fdral. En Europe, la situation a t inverse, avec une tendance raccourcir les dures dindemnisation en raison du poids support par les finances publiques de la gnrosit des systmes.

    Quelles sont les caractristiques que devrait avoir lassurance chmage pour rpondre de manire optimale en priode de crise ? Trois outils mritent dtre considrs : la contracyclicit ; larbitrage dure dindemnisation / niveau dindemnisation ; lexprience rating [non abord dans la prsentation].

    La contracyclicit se justifierait si le cot de lala moral de lAC6 tait moins lev en priode de rcession. Au niveau individuel, une augmentation de [la dure] de lAC rduit lincitation rechercher un emploi ; en France, on estime7 quune augmentation de 10 % de la dure de lAC augmente de 2 % 4 % la dure moyenne passe au chmage, mais que cet effet est peu sensible aux cycles conomiques. Au niveau du march du travail, une augmentation de la gnrosit de lAC produit deux effets qui jouent en sens inverse : une baisse du niveau demploi, en raison de laugmentation du salaire de rserve des travailleurs, de leur pouvoir de ngociation et donc du salaire moyen ; un affaiblissement de la concurrence pour les emplois vacants, qui augmente la probabilit daccder un emploi. Au niveau macroconomique, cette externalit de lAC sur la recherche demploi rduit le cot de lallongement de la dure dindemnisation de lAC. Ce cot, par nature, reste positif. Il reste savoir si les bnfices de lallongement de la dure dindemnisation de lAC, par exemple en termes de consommation, lui sont suprieurs. Sur ce point, les valuations prcises manquent, mais il apparat que la dure passe au chmage affecte ngativement la consommation et

    6 Autrement dit, le cot li au fait que certains demandeurs demploi rduisent leurs efforts trouver un emploi, sils sont indemniss. 7 Le Barbanchon Th. (2012), The Effect of the Potential duration of Unemployment Benefits on Unemployment Exits to Work and Match Quality in France. CREST Working paper, n 2012-21, septembre.

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  • de faon trs sensible mme lorsque le niveau de lindemnisation est lev (exemple de la Sude), car les capacits de lissage de la consommation, notamment chez les plus touchs par le chmage, sont faibles.

    Outre ces considrations, la contracyclicit lamricaine a trois caractristiques intressantes : la simplicit de son mcanisme automatique, le respect de lindpendance des tats dans la gestion de leur AC, le caractre non permanent des transferts entre tats. De fait, pour C. LANDAIS, ce systme pourrait constituer un premier pas simple et rapide mettre en place vers une union fiscale en Europe.

    Rfrences Landais C., Michaillat P. et Saez E. (2013), Optimal Unemployment Insurance over the Business Cycle.

    Centre for Macroeconomics, Discussion Papers, n 1303, aot; https://ideas.repec.org/p/cfm/wpaper/1303.html

    Lalive R., Landais C. et Zweimller J. (2013), Market Externalities of Large Unemployment Insurance Extension Programs. septembre; http://econ.lse.ac.uk/staff/clandais/cgi-bin/Articles/Austria.pdf

    7.3 - Discussion par Gilles SAINT-PAUL (cole dconomie de Paris, Paris Sciences et Lettres - PSL)

    Gilles SAINT-PAUL a dcrit la situation de lEspagne comme un exemple de cration destructrice ou destruction cratrice dans une conomie capitaliste o la rallocation de lactivit conomique successive lclatement de la bulle immobilire qui na pu tre freine par les taux dintrt, dfinis au niveau de la zone euro a conduit accrotre la productivit globale des facteurs. Au niveau sectoriel, les travaux de L. HOSPIDO semblent tmoigner dun effet positif sur la productivit globale des facteurs de la flexibilit salariale et ngatif de la flexibilit en quantit. Il reste savoir dans quel sens jouent les causalits.

    Sagissant de lassurance chmage, G. SAINT-PAUL estime que lintrt du systme amricain est de faire varier sa gnrosit de faon automatique, ce qui vite les phnomnes de cliquet que lon a pu dplorer en France, qui ont empch de revenir sur des mesures augmentant la gnrosit du systme.

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  • NOTICE BIOGRAPHIQUE DES INTERVENANTS

    Pierre Cahuc est directeur du laboratoire de Macroconomie du CREST-ENSAE et professeur lcole polytechnique. Il est research fellow lIZA (Bonn) et au CEPR (Londres). Il est membre du Conseil danalyse conomique du Premier ministre et du comit dexperts sur le salaire minimum. Il codirige la chaire Scurisation des parcours professionnels (CREST-ENSAE-Sciences Po).

    Page personnelle : https://sites.google.com/site/pierrecahuc/ John Schmitt est conomiste senior au Centre pour la recherche conomique et politique (CEPR) Washington DC. Il a rdig de nombreux articles universitaires et de vulgarisation sur les ingalits et le march du travail, notamment sur le salaire minimum, les syndicats, le chmage, les changements technologiques, lquilibre vie professionnelle - vie personnelle. John Schmitt a co-crit (avec Laurent Mishel et Jared Bernstein) trois ditions de The State of Working America (Cornell University Press) et co-dit (avec Jrme Gauti) Low-Wage Work in the Wealthy World (Russell Sage Foundation, 2010). Ses articles de vulgarisation sont parus dans The American Prospect, The Boston Review, Challenge, Democracy, Dissent, The Guardian, The International Herald Tribune et The Washington Post. John Schmitt a galement travaill comme consultant pour des organisations nationales et internationales, y compris le Centre amricain pour la solidarit internationale du travail, la Commission europenne, la Banque interamricaine de dveloppement, lOrganisation internationale du travail et la Commission conomique des Nations Unies pour lAmrique latine. John Schmitt a t boursier Fulbright lUniversit centramricaine Jos Simeon Caas San Salvador (Salvador). Depuis 1999, il est professeur invit lUniversit Pompeu Fabra de Barcelone. Il est diplm de lcole Woodrow Wilson des Affaires publiques et internationales de lUniversit de Princeton, et docteur en conomie de la London School of Economics (LSE).

    Page personnelle : http://www.cepr.net/ Jill Rubery est professeur en tude compare des systmes demploi. Elle est fondatrice et codirectrice du Centre de recherche sur le travail et lemploi en Europe la Manchester Business School lUniversit de Manchester. En 2006, elle a t lue membre de la British Academy. Ses recherches portent sur lanalyse comparative inter-disciplinaire des systmes demploi, y compris lorganisation des marchs internes du travail, la structure de salaires et les mcanismes de rmunrations, la rglementation du travail et le salaire minimum, les horaires de travail et la protection sociale des travailleurs. Elle est une experte internationale sur les questions relatives au genre et lemploi : pendant quatorze ans, elle a coordonn le groupe dexperts de la Commission europenne sur lgalit, linclusion sociale et lemploi, qui conseille en matire de recherche et de politique lunit galit des chances de la Commission europenne. Elle a galement travaill comme consultant pour lOCDE, lOrganisation internationale du Travail, la Commission conomique pour lEurope des Nations unies (UNECE) et la Banque mondiale. Ses travaux de recherche rcents portent notamment sur la comparaison, en Europe, de la dynamique des modles socio-conomiques nationaux, du dialogue social et des dispositifs de salaire minimum, de lemploi dans le secteur public, et des consquences de laustrit sur les ingalits femmes hommes. Trois ouvrages rcents sur les modles europens demploi : G. Bosch, S. Lehndorff et J. Rubery eds. (2009). European Employment Models. Flux Palgrave ; D. Anxo, G. Bosch et J. Rubery eds. (2010). The Welfare State and Life Transitions. Edward Elgar ; M. Karamessini et J. Rubery ed. (2013). Women and Austerity: The Economic Crisis and the Future for Gender Equality. Routledge.

    Page personnelle : http://www.mbs.ac.uk/research/people/profiles/jrubery

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  • Hilary Hoynes est professeur dconomie et de Politique publique, et titulaire de la Chaire Haas sur les disparits conomiques. Hilary Hoynes est diplme du Colby College et docteur de lUniversit de Stanford. Elle est spcialise dans ltude des programmes de lutte contre la pauvret, les ingalits, lalimentation et la nutrition, et limpact des politiques fiscales et de transferts sur les familles modestes. Ses travaux actuels portent notamment sur lvaluation des effets de la crise sur la pauvret et le rle des filets de scurit pour attnuer les pertes de revenus, en examinant limpact du Head Start (programme dducation complte) sur les rsultats cognitifs et non cognitifs, et en estimant les effets du filet de scurit sociale sur la sant et le travail. Depuis 2011, Hilary Hoynes est co-rdactrice en chef de lAmerican Economic Review. De 2008 2011, elle a t co-rdactrice en chef de lAmerican Economic Journal: Economic Policy. En plus de son poste de professeur, elle est affilie au National Bureau of Economic Research (NBER), au Centre Davis sur la recherche contre la pauvret de lUniversit de Californie, et lInstitute for Fiscal Studies. Auparavant, elle a sig au Comit consultatif national de la Fondation Robert Wood Johnson pour le programme de recherche sur la politique de sant, et au Comit consultatif pour la National Science Foundation au Dpartement des Sciences sociales, comportementales et conomiques.

    Page personnelle : https://gspp.berkeley.edu/directories/faculty/hilary-hoynes Richard B. Freeman est professeur dconomie la chaire Herbert Ascherman lUniversit de Harvard. Il est actuellement co-directeur du programme Travail et vie au travail de la facult de droit de Harvard, et est chercheur senior sur les marchs du travail au Centre pour la performance conomique la London School of Economics. Il dirige le projet sur la main duvre en Sciences et en ingnierie au National Bureau of Economic Research (NBER), et est co-directeur du Centre pour les btiments et villes cologiques de Harvard. Le professeur Freeman est membre de lAcadmie amricaine des Arts et Sciences. Pour lensemble de sa carrire, il a reu le prix Mincer de la Society of Labor Economics en 2006. En 2007, il a reu le prix IZA en Economie du travail. En 2011, il a t nomm Fellow Frances Perkins de lAcadmie amricaine des Sciences politiques et sociales. Les recherches du Professeur Freeman portent sur le march du travail des scientifiques et des ingnieurs, la transformation des ides en innovation scientifique, les marchs du travail chinois, la restructuration des tats providence europens, la rpartition des revenus et lquit sur le march, les formes de reprsentation du march du travail et le capitalisme partag . What Workers Want (2007 2nd edition), What Workers Say: Employee Voice in the Anglo American World (2007), International Differences in the Business Practices & Productivity of Firms (2009), Science and Engineering Careers in the United States (2009), Reforming the Welfare State: Recovery and Beyond in Sweden (2010), Shared Capitalism at Work: Employee Ownership, Profit and Ga