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CIAT-Numérisation Promenades dans Les Campagnes d'Haïti AGRiCULTURE, INDUSTRIE, LÉGENDES RELJGJONS, SUPERSTiTIONS La Pla.ine de la. Croix des Bouquets dite : " Cul de Sac " i789-f928 PAU CANDELON RIGAUD Membre de la d'Histoire et de Géographie d'Hait/ Membre titulaire de la Sociétê Astronomique d• Fr11nce L'ÉDITION FRANÇAISE UNIVERSELLE 17, RUE DE LA ROCHEFOUCAULD, 17 PARIS

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Promenades dans

Les Campagnes d'Haïti AGRiCULTURE, INDUSTRIE, LÉGENDES

RELJGJONS, SUPERSTiTIONS

La Pla.ine de la. Croix des Bouquets dite : " Cul de Sac "

i789-f928

PAU

CANDELON RIGAUD Membre de la Soci~té d'Histoire et de Géographie d'Hait/

Membre titulaire de la Sociétê Astronomique d• Fr11nce

L'ÉDITION FRANÇAISE UNIVERSELLE

17, RUE DE LA ROCHEFOUCAULD, 17

PARIS

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Promenades dnns

Les Campagnes d'Haïti

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DE CJ::T OUVRAGE IL A ÉTÉ TIHÉ

10 EXEMPLAIBES

SUR PUR FIL LAfo"U)IA

N UMtHOTÉS DE 1 A ti)

1

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L'Auteur - Ses Compagnons

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EN GUISE D'INTRODUCTION

f .'omme suite à ~tre ·ouvrage intituU « PROIIBNADBS DANS LBS

'·'ti.<; DB PORT-AU-PRINCE », nous publions ces notes auxquelles " ,,Ls avons donné ~titre de :

rWIMENADES DANS LA PLAINE DE LA CROIZ-DES BOUQUETS (CUL·DB-SAC) RA/Tl

1189-1927

r:e nouvel ouvrage pourrait êtr~ le tome deuxième du premier, . '' ce sens qrt'il tient à ce.lui-ci, non seulement par la forme adop­/,:<J dans la classification des faits, mais par certains événements 'ftti ont eu les habitations de la plaine pour berceau et dont les ·léveloppements se sont prddaits dans les rue~ de Port ·au-Prince.

Dans la présentatio.n des }ails' nous aVÔilS observé la meil~ !.:are bonnefoi. Nous les ·avons retracés tei~ qu'ils sont enrègis~ rrés dans Fhistoire, ou transmis par la tradition. Le carnct~re ·lu paysan y a tÎouvé sa place, comme certaines donné~s. ~ur les mœurs et les habitudes de la population ~es camp~gnes~ i>dr nos recherches personnelles, nous avons découvert dàiis les bu~.çon~, certains fruits savoureu:x; que nous avons dépo~és dans unp_~nier rustique, modestement tressé par n~us. · · .

Nous les offrons ~ notre aimable lecteur.

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8 DA!IS LBS CAMPAG!IBS D'B.UTI

Il est incontestable que de nos jours. la question agraire sem­ble êlre le motif clan mouvement des esprits, qui se raidissent vers des résolutions dans le but d'aboutir à un engagement de notre pays sur t&ne route nouvelle, semblable à la voie que par­courent d'au.tresjeunes peuples par le changement du programme de leur équilibre économique.

Ce but par lui-mime est élevé ; et les résultats en seraient cer-tains, si les éléments qui doivent y conduire existaient chez nous.

Ces éléments indispensables sont les suivants : 1° L'argent à un taux cl intérêt normal. 2o L'eau en qtcantitA suffisante pour le bon maintien des cultu­

res et le développement des terres arides. 3" Un programme d'enseignement pratique et à éducation tech­

nique. qui sont les jaclet,rs essentiels auxquels se subordonnent (emploi intelligent et rationnel de l'ar{lent, et l'usage de reau aux fins d'une production.

En effet ce sont les connai~su11ces acquises da11s les champs qui faciliteront fœuV/'e du cullivateur. Ce sont elles qui permet­tront à 11olre jeunesse de suivre avec sacc~s la belle carrière vers laquelle les tendances s'affirment ; car, déjà, c'est avec peine que l'on trouve un simple ,çentier où la concurrence n'a pas Jtabli la lutte sans cesse grandissante chez nous.

En disant la lutte, uous n'envisageons point la concurrence er1lre haïtiens : ce serait là une erreur. Celle lulle esl pltts im­portante encore. étant donné que les jeunes gens de tons les pays, de toutes les races. qui, ne trouvant point à emploi chez eux, choisissént les pays encore jeunes, comme le nôtre, pour y met­tre e11 pratique l'instruction reçue des leurs.

fileur a élé dil : Allez au loin chercher votre pain ... Ils sont partis : el t'nergiquement, consciencieusement, ils marchent à la conquête de ce pain.

En ce temps où les nécessités de la vie réveillent les intelligen­ces mdormies. nolts connaissons beaucoup de jeunes hommes qui ont cherché dans le travail de la terre un radeau de salltl.

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EN GlliSB D'INTRODVCTIO:t

t.Juelqaes-üns font partie da personnel des grandes compagnies ''!Jricoles, où ils vivent ht>areux, parce qu'ils travaillent. Le la­,,.,tr sérieux auquel ils se /iJJrent, leur enseigne : l'activité. la JlllfiClaatité, fordre, et attssi la justice, parce qu'ils la doivent ·llt:C hommes placés sous lew· dire~tion. Il y en a qui sont deve- · •ut.~ des mattres dans les différentes branches de la grande cul. ture, el qui lransmellent leurs connaissances aux nouveaux ve­tms dans la carrière. D'autres sont engagés dans des elltreprises· ,,,.il,ées où illettr a été cortfié lf!. gestion de g,·ands intérêts.

l'lusieurs e;J:emples confirment que ceu:x: qtti sont dans les ··hnmps sont les moins e:cposés aux riglleurs du lemps. A,lors que ,f,uzs les oilles, la faim frappe l'homme, les labor,~rettrs se gri­"·nt de l'air pur, et dorment heurelt;x; après le labeur de la jour-

l>ans les~campagnes, après les orages d·une nuit, le joar re­t•rend son cours, sûr el tranquille : le ciel, par l'éclat de la lu:­""ère, donne espoir à tou.~, et semble se charger de consoler les ,,las profondes misères.

Au:x: jeil.~tes gens qui orzl'quitté les 1•illes pour diriger leurs ,,,.ces vers les sillons à ensemencer, nous disons: Soyez l'homme· ./,· .çacr~Jice qui etwisage lotliottrs le devoir. La récompense potLr ""tts ... peut-être ! liais toute la gloire {JOIIr le pays à la prospé­' ilé dttqtLelvous arirez contribué parle travail.

Actuellement, vous élesdes arbustes. Si vos racines se dt!l•elop· ,,,·nt dans le sol, demain vous dimiendréz des arbres forts. dont /,·s cimes serMt peut-être fouettée.~ par les orage.ç. !If ais selon­,."fre endurance, les cime$ se red,;esserotLl poltr demeurer tou­'"urs face au soleil:

llappelez vous.. que 11 DieiL donne toujours leur pdlure aux p·e· lt/s des oiseaux. »

l~ntrons maintenant clans les champs où nous reprendrons no&· !•t'Lites causeries.

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CHAPITRE PREMIER

ITINÉRAIRE ET VUE D'ENSEMBLE

Jc'rédéric Marcelin, en rappelant dans un de ses livres les h:tbitudes de l'ancienne population de Port-au-Prince, a écrit, •rue, jusqu'en 1880, quand une pal'tie s'organisait pour Je Bois de Chêne, à Turgeau, ou. dans la \'allée de Uourdon, dès la veille on retenait des chevaux et des ânes pour le transport •ks personnes et des victuailles. Le lendemain, l'on assistait :, la messe de quatre heures, afin de pouvoir se mettre en n•ule de bon matin. Marcelin n'exagérait pas, puisqu'à cette ··poque, il fallait plus d'une heure de cheval pour parcourir !r~ étroits sentiers qui séparaient Pol't-au-Prince de Pétion­\ ii le. Les campagnards montés sur des ânes, et même le , i(·nx Chabaud, y mettaient une demi jou mée:

~;n 1875, un certain jour, nous étions en villégiature dans

'• famille Sievers, à Pétion-Ville, quand on vit arriver sur 1.1 place d:armes, une voiture à deux roues, conduite par \lontbrun Elie. La· cu1·iosité fut grande, l'enthousiasme con­.idérable, autant qu'il le fut ces jours-ci, quand pour la première fois, une automobile osa franchir les rampes de Kenskoff. En retournant en ville, la voiture de Montbrun Elie •ersa, et Montbrnn Elie se cassa une jambe.

Aujourd'hui, en moins de quinze minutes, la même dis­t:mce peut être franchie. On part du qnai de Port an-Pr:ince

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DANS LKS CAMPAGNt.;S D'BAITI

à midi, on déjeune chez soi à Pétion-Ville, et à deux heures, on est de retour à sou travail, pour reprendre la même' route à cinq heures, à la fermeture des affaires. Le soir, on peut laisser· sa maison à sept heures et demi avec sa famille. pour le Cinéma, et sans aucun inconvénient, même par temps de pluie, remonter la rampe des mornes à onze heures.

Comme on le voit, tout a bien changé en moins de quinze ans. L'invention de l'auto a effacé les distances; et la cons­truction et l'entretien des routes publiques se sont imposés comme voie de conséquence.

Depuis bientôt ciuq ans, les ca mions automobiles sont en trés en ligne. servant au transport des bourgeois, des ouvriers, des paysans, des ma té riaux de construction, des denrées venant de Pétion-Ville. et des marchandises achetées de Port­au-Pr·ince. Aussi. ceLte gran.le voie de communication qui fut naguèr·e un sentier de 10 pieds de largeur, est en ce mo­ment large de 40 pieds, nivelée autant que possible. malgré les bouleversements provenant des pluies et du roulage intense.

Pour la parcourir, nous demanderons à nos compagnons de route de ne prendre ni camion, ni auto, mais d'enfourcher le brave petit cheval archaïque dont la lenteur et l'endurance permetleul aux voyageurs de jouÏl', en flânant, des agréments du paysage.

Car, au lieu d'aborder la Plaine du Cul-de-Sac par la voie ltabilucllf', le Portail Nord de Port-au- Prince, nous ferons comme Mahomet, nous irons à la montagne pour gagner la pbdne. Cet itinéraire paradoxal et charmant plaira sûrement à cr:ux qui sont de vrais amateurs d"excursions.

Il y a encore à ce choix bien d'autres raisons judicieuses. Toul d'abor·d. nous voulons vous faire voir à vol d'oiseau en un émouvant r·accourci panoramique ce Cul-de-Sac si célèbre qui contribua tellement à la splendeur de Saiut-Domingue.

Ensuite, nons voulons vous faire faire connaissance avec

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ll'fi!IIÉI\AIB.B BT VUE D'EII'SEMBLB 1.3

•~~ sites où prennent naissance les cours d'eau qui vont •pp11rter la fertilité et l'abondance à la plaine et en faire ce ·pw le Cul-de-Sac est el a été.

En passant par cette grande voie de communication, voyez L' nombreuses et superbes villas qui la bordent, depuis le ''·"'l de La~ue jusqu'au pied du Gros-Morne 1 Chaque jour, "'""nouvelle construction en maçonnerie, entourée de balcons • 1 de galeries de luxe, semble sortir d'un terrain, où un '""is auparavant ne se trouvaient que des buis~ons et des

'""c:es sauvages. Il est donc possible de dire, sans l"ien exagérer, qu'à l'heure

,, lnelle, "un grand boulevard se forme, reliant les quais de l',.l"l-au-Prince à la place de l'Eglise de Pétion-Ville. Cette • ,j,~ comprend de l'Ouest à l"Est, la rue Dantès Destouches, t •• ,·rnne John Brown, la route du Gros-Mome; elle va sans

. h;1ugement dans la direction du Solcillevaut, avec des cour­: .. ·s presqu'insignifiantes, ne créant aucunes bifurcations im­,.,.rtantes pouvant détruire l'harmonie de la ligne dwile.

t:·rst un boulevard offrant des vues pittoresques comme il ' r·n a peu ailleurs ... Que J'on dépense pour celte voie ! \;: randi:;se:r.-la encore dans ceri aines de ses pat·tics ; détruise?.

;, ' courbes en établissant autant que .possible les lignes ol~tliles; Mgagez la vue sm· la -vallée ; faites un rond-point

"' Gros-Morne. où les voitures pounout stationner, offrant ,.lus de sécurité à cèux qui s'y arrêteront pour jouir du grand l':onorama de Port-au-Prince. Dans dix ans ce sera un bou­

'·' a rd à la E:plendeur duquel les tom·isles les plus exigeauts ;11110nt rien à redire. :. nèlons-nous un moment· au Gros-Morne. Descendops de

· i.nal, et approchons-JJOus de la rampe qni côloic.le vide. c:<•mme point de ''ue, nous avons de,·ant nous toute la

•;df,"·" de Bourdon, la ville de Port-au-Prince et la mer. Ce "l'crl:e panorama peut être comparé à un gigantesque éven­

•.. :!. (i)ant pour base le poiul où nous sommes, mesurant

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ti DA'S LRS CAMPMmS D'BA>T< l <Jilelques mètres, taudis que sa grande largeur, s'étendanéj au loin, n•présente un demi cercle ayant plus de iO li'eue d'étendue.

En effet, deux lignes de montagnes encadrent la vallée~

Quoique ayant une même origine, ces lignes s'éloignent l'un : de l'autre, graduellement, jusqu'à se perdre dans le lointain.' C'est dans l'intervalle qui existe entre les deux montagne$ que Port-au-Prince repose dans toute sa beauté tl'Opicale. A : centre de la grande Cité, comme si un peintre l'y aurai placé est le superbe et blanc palais national, au milieu d'un quadrilatère formé par d'autres palais.

Au delà de la ville, au delà des églises, des nombreuses villas placées au flanc des coteaux, c'est la me·· splendide, confondant le bleu dt ses eaux avec le bleu d. ciel.

Enfin, dans le lointain, au milieu des teintes d'une variét' infinie, l'ile de la Gonave ressemble à une grosse houpp violette flottant dans l'espace.

En selle 1

A peine avons-nous dépassé le rond-poiul du Gros-l\·forn que nous appercevons déjà Pétion-Ville. Ses groupes d maisons reposent comme des nids sur le flanc de la mon lagne. Sa belle et grande église au clocher élevé domin les mornes qui sont à ses pieds et semble mettre sous s' protection la plaine du Cul-de-Sac.

Au sud de la· route, de l'autre côté de la vallée de Bour~on . .

sont les établissement el les champs de tabac de la fabriqu. de cigarettes la «Nationale.11 Cet établissement agricole n date que de d·eux ans, déjà ses plantations ont donné le· meilleurs résullats. Souhaitons qu'avant longtemps toutes le· terres disponibles de l'endroit ~oient couvertes de sillons semblables à ceux qui s'y voient déjà, méthodiquement tracé par la scieuce.

Nous voici à Pétion- Ville, après avoir parcouru l'avenue de

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ITIIIÉBA.IR.E BT VUE D'BIIISIKBLB

cc Soutes 1, où depuis un siècle, les spéculateurs achètent le café du paysan dans des balances primitives, dont les poids ont horreur du supplice de l'étalonnage. Les soutiers ne s'en~ richissent pas ; mais ils sont les vaillants, gardiens de la vieille routine.

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-:! ., .,

CHAPITUE Il J ~:~ ,, ï

::J

PETION-VILLE J J ·:!

j Nos compagnons de route nous demanderont cncor·c, sans)

doute, pourquoi stationner longtemps à Pétion-Ville. puisque.:·

Je but principal de notre excursion est le '' Cul-de-Sac~ ,, .· A celte ques.tion nous répondrons que beaucoup d'éléments\

formant la base du travail dans la plaine tirent leurs origines.·:~

de la montagne : les ri viè~·es vie~~en l de,;. hautes nllées, comm~~f~ la masse des paysans. qm, par 1 economre ct l'endurance, sont::: les propriétaires des terres des anciens grands domaines, au-~

jou rd 'lmi morcelés. ·~1 Il e:;l donc uc.\cessaire de séjourner dans la montagne pot~r_·:.

étudier l'é'roluliou de la masse pay!'anue : on y -verra certaÏlles;. parlicnlaritrs qui habitueront aux cboscs de Ja plaine. :~

Après avoir 'r·i~ité les momes, si Je cœur vous en dit. nous y::J ff!'lerons. Sans descendre dans la plaine, nous ferous quand\J

·' même lrs excur~ions annoncées. De loin, et de haut. vous fe~1 rez cor111ais~:;ance avec les champs, les bourgs, leurs églises, les:,~ g t:llidt'S manufactures, anciennes et modernes. Vous vern:z de~ vos yeux, tout l'ensemble de la grande plaine, et vous vous~ bab ituet'<"Z à la couleur des champs de cannes selon les nuances] de chaque espèce. J

Nous pounions vous évite< par œ moyen d'iniHation, lc1

1 -~

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PETION•VILLB t7

• •oiiiiÏS que présentent leS petitS SentierS OÙ ('On barbotte, OÙ ; .,,. s'accroche aux ronces des buissons.

1 \'nus n'irez pas, mais vous verrez tout de vos yeux, avons­.. •us dit). Ces deux avis paraissent se contredire : C'est en effet,

1 .11arloxal, mais, ne soyez étonnés de rien, puisque nous som­. ,, ~ Mjà non loin de la plaine, où tout est mystère, où les

l'" ras-loi » règnent sur les choses : Les Bafiotés, les Moundé-,. les Doquilas. 1

llientôt, on aura le mot de l'énigme .

• • •

C'est le Président Pétion qui, vers t810, transforma un ha­""·au de dix toits de chaume appelé'' La Coupe 11 en 110 champ ,,,. rc:r.raite pour le cas - possible à l'époque- où une inva­

o•nl de Port-au-Prince se ferait du côté de la mer.

Co·lte idée n'a été qu'une amplification de celle de Dessalines

111i avait pensé à l'importance strat1!gique du secteur en cous­I••IÏsant le fort Jacques à Kenskoff, afin de dominer les mornes • 1 ks vallées de la région.

l.n température agréable de l'endroit, rsitué à 360 mètres 1 :ollitude ; l'air sain, et l'eau des sources attirèrent à la

1 :oupe 11, des malades. des convalescents. et petit à petit, des • n:dlles entières y venaient passer la saison d'été.

Ln bourgade devint un bourg auquel on donna le nom de '" fondateur: <c Pétion 11, et plus tard, cc Pétion-Ville», quand hourg fut devenu une ville.

Vers HHO, M. l'abbé Taillandier, hartien. d'origine, avait .;u;u le pt·ojet de régula1·iser la situation du clergé par un

'.; HtconJat avec Rome. l\eveuu en Haïli avec le titre de Préfet \ poslolique et le droit exclu(;if de uomme1· les curés, il ne put •·11lendre avec le Gouvernement qui ne voulait pas accorder

'"'t'telle autorité en dehors de sa participation. !•IIOMBJIAPB8 P.t.IIS LBS CUIPAGIIBI D'HA.lTI 2.

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i8 JJ..\:'lS LES CAMPAGNES n'n.\ITI

Le P. Taillandier quitta le pays et ne tarda pas à moul'ir en France.

Il était dans ses projets d'établir cu Haïti des frères et des religieuses, qui s'occuperaient de l'instruction. Un séminaire établi à « Pétion ,, préparerait les jeunes haitiens désireux d'entrer dans les ordres religieux.

Ce u' est que sous GeiTrard qué le noble projet du P. Taillan­dier reçut sa consécration par la signature d'un Concordat, qui organisa le clergé tel qu ïl est actuellement, el dota le pays des écoles dirigées par les différentes congrégations religieu­ses, au x quelles les familles doivent toute leur reconnais­sance.

Le grand bâtiment qui sert actuellement d'habitation au curé de Pétion-Ville était dans le plan du P. Taillandier. Il devail être érigé dans le but de servir au noviciat des jeunes haïtiens.

C'est peu d'années après la signature du Concordat que l'ad­ministration de la cure de la commune de P3tion-Ville fut con- . . fiée aux Pères du Saint-Esprit.

Le bâtiment en question devait servir de<< Grand Séminaire,,, alors que le cc Petit Séminaire » serait à Port-au Prince. Ce plan ne put être réalisé que dans sa seconde partie.

Les premiers curés de Pétion-Ville furent: Le P. François, le P. Runtz. C'est sous l'administration du P. Rnnlz que fu­rent jetés les bases de la belle Eglise qui fait aujourd'hui l'ad­miration des voyageurs les plus difficiles. Elle fut commencée en t884-, et achevée dix ans plus tard, grâce à la patience infa­tigable du clergé .de l'endroit.

Aujourd'hui, des écoles congréganistes apportent à Pétion­Ville un élément de civilisation qui a eu tout son effet sur la population des mornes. Plus de quatre-cents enfants les fré­quentent: ils sont vêtus convenabl~ment, et ont autant de te· nue que ceux de n'importe quel autre centre. Ces écoles sont dirigées par les Frères de l'Instruction Chrétienne, les Dames .de Saint-Joseph de Cluny et les Filles de la Sagesse.

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PBTIO!f-VILLB

l·:n 1880, Pétion-Ville était déjà une ville d'été, qui servait , 1·· refuge aux familles de la Capitale à l'époque de la canicule.

1 ln y comptait de superbes résidences : celles qui longent •··ujours le grand chemin de la source, le beau parc de Brutus ..... iut-Victor, o.ù tous les manguiers des Antilles étaient culti­·. :., ; celui de d'Aubigny, où ses amis de la ville se réunissaient , ha que dimanche ; le petit château de Boisrond-Canal. où nous ~~ ,..>ns connu des joua·s d'illusions ; l'hôtel Chabaud_

Ces deux dernières et belles constructious furent détruites ,., 1889.·par un chef d'armée, sous le triste prétexte que ces 1111IUeubles gênaient la défense du village contre l'envahisse­"'cnt d'une aa·mée du Nord qui marchait sur Port~au-Prince. route la pa1·tie Est-Nord de Pétion-Ville eût le même déplo­

rable sort.

L'ancien hôtel Chabaud s'élevait dans l'angle de l'emplace­lllent vide qui est en face de l'hlltel actuel, que dirige l'aimable d bonne Mlle Eugénie Gaba·iel.

Plusieurs Port-au -Princiens de haute distinction ont laissé la capitale depuis plus de trente ans pour se fixer définitivement ~ Pétion- Ville et à KenskoiJ : Par exemple, notre vil'!il a mi Ed­

mond Miot. que l'on appelle aujourd'hui : '' l'homme de la Montagne. ,,

Vers 1886, !\1. Octave Francis, qui depuis long lemps habi­tait Pétion- Ville, s'était associé aux frères Demeuran, pour y {:tablir une usine à café. Une machinerie à vapeur actionnait l'usine. qui décortiquait les cel'ises, et préparait les fèves. Des séchoirs à vapeur y étaient installés. Cet. établissement dut en­Lrer en liquidation quelques années plus tard. Des vestigt's de l'établissement existent encore : elles sont la propriété de M. Weber Francis. héritier d'Octave Francis.

Une briqueterie fut aussi inaugurée dans Pétion-Ville par Grand-Jean Guillaume : elle a été de peu de durée. (;e l'ut une erreur de la part de Grand-Jean Guillaume, l'endroit n"ofTrant aucun élément approprié à une telle industrie~

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20 D.\NS LES CAMPAGNBS o'HUTI

Aujourd'hui, la ville de Pétion n'est plus la « Coupe » d'au­trefois, quoiqu'elle soit toujours une coupe d'agréables jouis­sances par les multiples agréments qu'elle offre à ceux qui peuvent y séjourner.

Ses rues sont bordées de centaines de chalets luxueux où tous les conforts sons réunis. L'eau y est distribuée à domicile. Les aulos, les camions y apportent une activité incessante. qui reud sa place centrale aussi mouvemeutée qu'une rue de Port­au· Prince.

Un nouvel hôtel de premier ordre, établi par notre cama rade André Faubert, est 1~ rPndez vous des amis du grau 1 air, qui

vieuneut de la grande ville où l'on étouffe, y passer qu~"lqnes. heures. Des touri:strs y viennent am;si, au cours de leurs pro­menades dans la montagne. Bonne chauce, André !

Il y a même des chev au x de bois sur la grande place. L'autre jour, nous avons vtl. à califourchon, s11r les petits chevaux. des dames à cheveux blaucs. Parmi elles. nous avons distingué une charmante parente, qui hattuit son chPval avec un petit fouet, en disar~t houe 1 hnue ! Ma parente avait pour compagues. éga­lement à c.alifourchou. ou à l'américaiue, d'autres dames dis­tinguées, portant des du•veux blancs.

L>e quoi est fait le commerce de l'endroit, nous dt>rrtalldPra­l-on? Une activité relativf' existe chf'z les boutiquit>rs qui re­veudeut aux campagnards des article::; de toutes sortes prove­nant de Port-au-Prince. Ces campagnards, assez nomhn~ux, alimentent ce petit comtuerce qui vil an jour le jour. Pétion­Ville est une comm11ne qui comprend ,Jans sajuridiclion to•lles les sections de la grande montagne, depuis Furcy. K~>n-kntT, jusqu'au morue la Selle. La même cottlfnune s'arrête au Gros­Morlle. à l'OnPst, el i1 Pernier, au Nord. Meyotte et lt•s autres endroits situés à i'E~t. SOill également de celte COIIllllllllf'.

Eufaut, nous s0111111es allé::; à Forey avec les Pères d11 Sémi­naire. Ils disaient que malgré toutes les recherches, toutes les observations faites par eux, il leur avait été impossible de dé-

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PBTfOl'f•VJLLE !t

, ou ni r 1 'oiseau, l'anolie ou l'insecte, ··qui lançait des notes si harlltOUÏeUSeS dans }es hautes forêts de l'endroit. Je ne me SUiS l'lu~ occupé des « Musiciens » de la montagne depuis mon j•·uuc âge. Aussi, suis-je encore à me demau"der si l'on .a décou­Hrl le bardeailé.ou non ailéde ces solitudes.

Tous les produits maratchers que consomme Port-au-Prince: .-1111111, laitue, car~tte, bette1r~ve, etc., venaient.autrefois exclu­•iv•·ment de Kenskofl'etde Furcy. Aujollrd'hui d'autres centres o·u produisent également. Mais les pêches elles fraises sont r•·slées la spécialité de ces deux coins exquis des Sourçailles.

KenskotT, l~i:-olé, esl devenu un faubourg ·de Pétion-Ville, o·ornme Pétion•Ville est un faubourg de .Port-au-Prince. De jolies et spacieuses résidences y ont été c~mstruites. l}hôtel De-. r<'Îx, construit.~ l'europeenne, avec chauffage pour les mois· d'hiver, où l'on trouve de. tout, reçoit confortablement les voyageurs.

Des notes et impressions d'un villégiaturiste de Furcy, dans h! Bulletin de fObservatoire du Petit SAminaire, a détaché ~s points suivants, que nous prenons la liberté de reproduirJ à notre tour, persuadés qu'il nous serait impossible de peindre les Jieux avec autant d'exactitude et ~'élégance de style.

u l?urcy, à mon a-vis, est avec Kcnskofl', la plus belle villé­" giature des environs de Port-au-Prince. La grandeur du Pa­<< norama de La 1)elle, la fratcheur du site 'à .1.500 mètres d'al­<< titude, la. solitude de ces mornes ~u mili~u des terres, << cette double échancrure sur les cbatnes de l'Est et du Sud, u qui permet une vue sur le golfe de_ Léogane et la mer des Ca­<< raïbes, ce plateau élevé en tertre au milieu d11 Grand Cirque « qui domine les vallées de la Momance et les amuents de la <c Grande RiV·i~re, ces çascades malheure!Jsement un peu mai­<t gres qui grondent au pied des mornes Brouet et Thébav,~. « voilà qui plalt ~ l'âme, fait du bien au corps après qu'une << ànnée de travail ·mental -vous a tenu dans la fournaise de << Port-au-Prince. »

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DAftS LES CAUPAGNBS D'BAITI

Dans un moment, nous vous ferons consulter une carte où sont indiquées les différentes positions occupée par le Trou Coucou, proche des limites de Saltrou, de La Selle, de la Nou­velle Tourraine, de Furcy, Kensk.off, Lamotte, Duval, Méyotte, Dupont, Diègue, Mayaman, Caron, etc. La rivière<< Momance,, qui se jette dans la Plaine de Léogane, de même que la Grande Rivière ou Riviére Grise, et la Rivière Blanche, qui arrosent le Cul-de-Sac, tirent leur origine des profondeurs des vallées de la haute montagne appelée tt Trou Coucou 11, quatrième section, à l'Est. D'apr~s les Pères du Séminaire et d'autres excul·sion­nistes, ces vallées du Trou Coucou sont si profondes qu'il est impossible d'en voir la base qui disparaît dans l'obscu­rité.

On reconnatt la présence des eaux qui y circulent par le bruit formidable qu'elle font, en se heurtant, sans doute, aux grosses roches du fond.

La végétation du haut de la montagne est luxuriante par la fraîcheur et l'humidité venues des eaux, malgré l'espace qui l'en sépare.

·L'eau de Caron alimente la Rivière Froide. Les vallées de ces régions et celles du Morne La Selle pro­

duisent abondamment le café. Le transport de cette denrée se fait en plus grandes quantités par Pétion-Ville, qui en achète une bonne partie, d'où l'établissement de nombreuses soutes de spéculations qui animent le marché du lieu.

Duval, Méyotte et les autres bourgs des environs possèdent une population qui s'est toujours distinguée par sa tenue, ·sa correction et son amour du travail.

Depuis le temps de la colonie jusqu'à nos jours. nos plus habiles travailleurs de pierre, nos meilleurs ouvriers maçons, viennent de Méyotte. Ils sont très recherchés par les architectes de Port-au-Prince. Les travaux exécutés par eux dans les maisons de Pétion· Ville et de partout, se distinguent par le placement des pierres taillées au milieu

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PBTIOI'f· VILLIE

ft., la maçonnerie, et du godt qu'ils emploient dans ces tra- · U11X.

1\ons ne tournerons pas le dos à la 1< Coupe »,l'enchanteresse, A 1\enskoff et Furcy, san!' parler un petit peu de cette royale­fhe qui s'appelle le café.

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CHAPITRE Ill

LE CAFE

SES ORIGINES ; SON INFLUENCE ; SES CONSOMMATEURS

Au sujet du café. nous allons commencer par le commence­ment, en faisant connaître ses origines. Au fur et à mesure, nous parlerons de son influence, de sa popularité et-de l'amour toujours constant des 11mateurs pour la grande fève.

Chaque jour, l'on déguste avec délice le nectar qui vient du ' café. Priais combien sont-ils, les consommateurs qui se sont donné la peine de connaitre son histoire, wn pays d'origine, la découverte de ses vertus, sa propagation dans le monde depuis des siècles, l'expansion de son influence dans les chau­mières comme dans les palais. Avec effort, chacun a glané dans le champ des connaissanc('s humaines. Nous avons par­couru l'histoire d('s peuples ; l'histoire de l'art. des révolu­tions. des races, des grandes guerres, celle des religions. Nous avons observé l'immortalité des dogmes, en même lemps que nous observions la fragilité des principes philosophiques, de­puis Socrate, jusqu'aux grands penseurs de notre temps. Nous savons lous que notre existence natiouale dépend du café que nous exportons ; que c'est lui qui, depuis cent ans, acquitte nos dettes ; que c'est lui qui permet à notre peuple d'avoir son pain de chaque jour. Cependant, combien sont-ils, demandons-

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LI CAPB

uons encore, ceux qui ont lié connaissance avec les auteurs qui •mt renseigné sur les étapes faites par la célèbre fève à travers le monde. Ils doivent être peu nombreux, ceux qui ont lu : lialand, Roquefort, le P. Bouhourd, Saint-Lambert, Thévenot, 1\cssons, de Jussieu, Castel, Fontenelle, les beaux ve1·s de Ddille sur lecafê, Mustapha Ben AU, Loudon, Ben Alma, sur l'origine en Turquie des établissements appelés (t Café », parce 'lu'on y vendait la suave liqueur, le P. Péron, etc., ainsi que lr.s Mémoires de·I'Académie des Sciences et le Dictionnaire des 1 )ri gin es.

Si des personnes de valeur intellectuelle sont questionnées 'ur l'origine du café, leur réponse sera qoe c'est à Déclieux qu'on doit· l'acclimatation des premiers plants de café dans les .\ ntilles ; et beaucoup ajouteront que l'on devrait ériger une statue à Déclieux ... Deux points, et ce sera tout: ou bien on ajoutera encore: Déclienx, à bord du vaisseau, s'était privé de sa ration d'eau pour sauver les plants de café.

Tout en recommandant les ouvrages que nous venons de citer, nous ajouterons que les Encyclopédies, comme les au­tr.nrs sont d'accord sur l'origine du café, qui est venu de Tur­'lnie. Les mots, « Café " en français et (t Colfee ,, en anglais, .Jérivent' de « Calmé •>, nom que les Tnrcs donnent à la bois­son que l'on tire de cette plante.

Ce n'est pas à nous qu'il revient d'ouvrir une conférence sur lîmportante q.uest.ion du café ; de son influence sur le com­mPrce mondi~l· : étant de passage dans la montagne, nous vous rapoell~rons seulem~nt le rôle qu'il a exercé dans notre pays, comme le prindpal élément de notre évolution écono­mique;

LE CAFE ET LA DIME

L'histoire ancienne raprorle que Abraham ayant combattu pour Sodome accorda la dtme à Melchisedeck sur les terres ,(istribuées aux soldats: ce qui faisait dire à Voltaire (Eh bien,

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26 DANS LES CAMPA.GlfBS o'uAITI

Messieurs, faites-moi combattre pour Sodome, mais ne prenez pas le blé que j'ai semé).

S11int Augustin a prétendu que les terres ayant été données aux prolétaires, la dtme qu'ils payent est la compensation de ce hel acte de charité

Charles Martel s'étant emparé des biens ecclésiastiques pour distribu!~r à ses soldats, les évêques ne consentirent à sacrer sou fils Pépin le Bref. qu'a condition de restituer en parlle le~

biens confisqués en rélablissant la dîme sur les récoltes au bénéfice des anciens propriétaires.

En cherchant encore dans l'histoire, on y trouvera que, du n• siècle jusqu'en t189, les biens de la noblesse et du ~tergé étaient de deux sortes :les biens fonciers proprement dits, et les impôts qu'ils prélevaient sous le nom générique de dîme, consistaient dans le prélèvement annuel d'un dixième, quelque­fois plus, sur les récoltes : blés, grains, vins et toutes boissons, foi us, fruits et produits généralement quelconques.

A son tour, notre histoire prouve que Pétion et Boyer, ainsi que leurs illustres collaborateurs, avaient étudié à rond le passé de la propriété et de la dime à travers les âges.

En efTet, dès l'arrivée de Pétion, à la présidence de notre jeune Hépublique, son grand cœur pensa aux soldats qui avaient contribué au renversement du système colonial. Les terres des colons étant confisquées, il était naturel et légitime que la dis­tribution en fut faite à ceux qui avaient donné la liberté au pays.

Le plan suivant fut arrêté : L'ancienne classe des petits blancs, qui ne pouvait avoir

accès dans les graudes plaines, où l'industrie sucrière avait établi un roulement d'affaires inabordable aux fo1·tunes moyennes, s'était retirée dans les montagnes pour se spécia­liser dans la petite culture. A cette époque, comme de nos jours, la culture de la canne à sucre représ(~ntait la Grande Culture. Les petits blancs étaient donc devenus petits colons. Leur principale ressource était dans la plantation du café.

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LB CAFÉ 27

Ln ce temps-là, ce produit était rare en Europe et fort re­f.,·rt:hé. Le Brésil et les côtes d'Afrique n'en cultivaient pas ., nre, comme de nos jours.

'lr, o: le petit blanc » ayant quitté le pays, c'étaient les terres 1.·. petits qui devaient revenir aux petits.

':~~ raisonnement fut suivi par nos administrateurs du • •ups, qui adjugèrent aux valeureux de l'Indépendance, les 1 t•Ls domaines des petits blancs de la montagne.

':~~tte première distribution ayant eu lieu sous le titre de Don \ otional, il fut dit aux nouveaux propriétaires: l'Etat vous a ! ·unédes terres; mais vous devez à l'Etat une dîme, qui coro­t· ·••sera l'acte sublime accompli en votre fneur.

I.e petit soldat répondit: Faites-moi combatt1·e pour Sodome, .... ,is ne prenez pas le grain que j'ai semé.

llue fut pas écouté, et le fameux système du monopole -nnut lejour. Ce système était celui-ci : Seul, l'Etal avait le monopole de

1 'portation du café, par l'intermédiaire d'agents nommés par h1i. Tous étaient de grands commerçants, autrement appeléi r~rrniers généraux. Une dlme de dix pour cent était prélevée ·.11r le café exporté. Ces dix pour cent venaient en déduction .lu prix payé au paysan, commejusqu'à nos jours les 3 dollars 1·· •lroit sont compensés sur le prix d'achat.

Le monopole a duré de Pétion à Salnave, avec des intermit­'"nr.csentre tO, 5 à !0 pour cent, toujours prélevés en nature,

Voilà quarante ans que le café paie un droit de 3 dollars par . l1aque iOO livres ; lesquels droits viennent en réduction du l'' ix donné aux paysan. C'est donc cette classe du peuple qui l'"' te toujours le lourd fardeau de nos dettes, de notre luxe l••1dgétaire, et de nos emprunts.

1 :ependant, aucun effort n'a été fait pour' l'augmentation de '' production du café.

Il y a plus de cent·ans que la moyenne de la production est " liU millions de livres.

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28 DANS LBS C.UIPAGNES D'BUTJ

Ce n'est que ces jours-ci qu'une prime de tO centimes a été·. offerte par pied de café, comme encouragement pour chaque· nouvl'l arbre planté. II faudra cinq ans avant de pouvoir cons~; taler les résultats de cette mesure salutaire.

En f9t3, M. Etienne Mahon, Ministre des Relations Exté{ rieu rf's, ayant signalé la possibilité d'écouler une partie de: notre café sur le marché cubain, notre chargé d'affaires à la, Havaue fut chargé de lier la conversation avec le gouverncmen~ cubain sur l'idée d'un projet de réciprocité.

LI' but du projet était la rentrée à C'uba de nott·e café sur la: base d'un tarif minimum el, en t·éciprocité, le sucre cubain:: entrerait en Haïti dans des conditions adéquates. :

Le principe de celle entente ne rencontra pas d'oppo8ition· de la part du gouvernement cubain. Après les premières con~ ver:-ations, l\1. Cosme de la Foniente. alors Ministre d'Etat~~ à on ua à notre chargé d'affaires, le conseil de sonder l'opinion~~ des ~rands importateurs cubains. \

Le projl't haïtien fut agréablement reçu dans les différente~.; branches du commerce de la Havane. Ir~ démar·ches ayaut ét~ divulguées pa1· la pt·esse locale, une sPule objection fut souleÎ vée : c'était l'importation en Haïti dPs cigares et cigaretll's fa] briqu~s à Cuba Jans drs mêmes coml itions que le sucre cubai~ et le café d'Haïti. L'article tabac ou tabac fabriqué n'ayaut pa~ été prévu dans le projet de nolre Gouvernement, M. lligau& s'était trouvé dans la nécessité de se référer aux instru1'lion~ de Port-au Prince avant de continuer les conversations relative~ ., à l'affaire. :

Il s'était même rendu aux E.-U., dan!\ le but de mettre M. Du~ vi vif'!'. notre représentant à Wa~hinglon, au courant de quel~ ques dillicultés -se rappo1·tant peut-être, au dit projf't, ..J

quand M. Rigaud apprit la chute du Gouvernement de Miche~

Oreste. DPpnis cette époque, ce n'est qu'en ce moment que la ques~

tion semble vouloir renaître. ·.'

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LB CAPÉ 29

Qu'est-ce qui avait élé fait après le retour de M. Rigaud en llaïti ~Et que compte faire actuellement notre gouvernement~ '·~~st-ce pas le moment ou jamais de chercher l'écoulement de ••••s cafés, partout où celte denrée pourra bénéficier. des avan­'·•;!es à obtenir sur la base d'un tarif minimum.

Voici un tableau qui donnera une idée de l'importance du · .tfé dans notre vie économique.

Le chifi're total de nos exportations pendant l'exercice t 925-~li, s'élève à or 19.400.000 (dix-neuf millions, quatre cent mille lnllars).

« Ce chiffre représente la totalité brule de nos produits d'ex­i"'rtation; non pas la valeur·. des droits de douane. »

Nous décomposons le chiffre afin de faire ressortir la place ·•usidéo•·able que le café occupe : elle représente les deux tiers lo· la masse des produits exportés du pays :

CAFÉ 15.399.899 dollars Co·rol'f 1.99:t000 LoG WOOD 53.t..5Hi ))

SuCRE 376.53~ ))

CACAO t84-.:W8 ))

DIVERS A.IITICLBS 916.343 Il t9 .(.03.498

- ·-----Total : CAFÉ i5.399J)!:I9

To.lal : A.onss f>I\ODUITS 4.003.5\.19.

C'est donc sur le café que toutes les obligations du pays re­l •111bent. Il en a toute la charge. Aussi, depuis centaus, jus­l".à nos jours, ésl·il imposé à outrance, sans espoir d'uneamé­lt••rnlion, tout le temps que la monoculture existera chez nous

111,; un développement sél'ieux des autres produit:~. 1.~ café ne mérite pas un tel sort, parce qu'il est le pèrenour­

'" ier de toul un peuple par l'argent qu'il produit, en même !··tr•ps qu'il apporte la joie et l'activité partout où on le con­"IIIIDle.

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J

î l ao DANS LES C.o\IIPAGNBS o'HAITJ

Le café, ce fils sacré du soleil, a loujours été, à la table du pau-j v re, ce qu'il est au banquet des riches, sans distinction de rangs., Il s'appelle: Majesté 1 cependant, s'offrant et se donnant à tous;; il établit l'équilibre social partout où il exerce sa munificence.) Depuis déjà des siècles. il a été le fondateur de la Société de1 Nations. Il avait inspiré Wilson qui l'aimait et le consommait! beaucoup. 1

Le café est adoré des vieux, aimé des enfants, il en devient l'ami, quand, dans leurs tasses, pleines de sa bonne liqueur,; ils trempent la mie ... "de leur pain du matin. '

·;j Nous reproduisons ici les beaux vers par lesquels Delille

chante les louanges du café : ,J

C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur Sans altérer la tête. épanouit le cœur ; Aussi quand mon palais est émoussé par l'âge, Avec plaisir encor je goûte ton breuvage. Que j'aime à préparer ton nectar précieux ! Nul n"usu1·pe chez moi ce soin délicieux.

Sur le réchaud brûlant moi seul, tournant ta grain!\ A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ; Moi seul, contre la noix qu'arment ses dents de fer, Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer ; Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde Infuse à mon foyer ta poussière féconde, f)ni tour à tour calmant, excitant tes bouillons Suis d'un œil attentif les légers tourbillons. Enfin, de ta liqueur, lentement reposél', Dans le vase fumant la lie est reposée,

A peine j'ai senti ta vapeur odorante, Soudain de ton climat la chaleur pénétrante, Hé veille tous mes sens, sans trouble, sans chaos, Mes pensers plus nombreux accourent à grands flob. Mon idée était triste, aride, dépouillée ; Elle rit, elle sort richement habillée ; Et je crois, du génie approuvant le réveil, Boire dans chaque goutte un rayon de soleil.

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CHAPITRE IV

LE MORNE « LA SELLE »

lia in tenant que par nos faibles moyens nous vous avons mis , " courant des origines de Piéton- Ville, des progrès successi­. 111ent et patiemment réalisés sur ce beau plateau; que nous

.... us parcouru avec vous différentes parties de la grande mon­·•:, 11e, nous ne devons pas nous en éloigner sans nous rappeler

., '"~c'est le Morne u La Selle 11 qui Sel'vait de refuge aux escla-.. , marrons du Cul-de-Sac, quand le fouet des commandeurs

, 1 la tyrannie des maitres mettaient ces esclaves en fuite: c'était ,,, fond des mornes que ces malheureux êtres humains allaient .u:her leurs détresses pour s'habituer à cette grande chose qui .1ppelle la liberté. Ces hommes noirs, deyenus des gibiers sauvages, comme

.. ,, les nommait, étaient abattus à coup de fusil par les blancs, • l'i<llld ils ne périssaient J>aS SOUS la dent des dogues lancés •près eux pu Caradeux, ce colon féroce, plus féroce que ses . hiens.

C'est par leur résistance dans les vallons et les forêts du llnrue « La Selle 11 que les esclaves s'enhardirent et passèrent 1.~ la défense à l'offensive. C'est dans ces lieux retirés, que

1 nntenle se fit entre eux, et que commença la petite guerre, .l.mt le résultat rut la grande révolution contre les tyrans de "aiut-Domiugue.

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32 DANS LES C.UII'AGKBS D'B.UTI

• • • En descendant vers la place Boyer, située au bas de Piéton·

Ville, il ne faudra pas y passer sans vous arrêter dans la maison. d'un aimable ami, où nous trouverons une carte de toute la région du Morne u La Selle. » Cette carte, qui est l'œuvre d'un amateur, n'a jamais ·été publiée quoiqu'elle soit complète, au point de vue des renseignements qu'elle contient dans toutes ses parties.

Dans ce petit Musée de la place Boyer, se trouvent des docu­ments précieux pour ceux qui s'intéressent à l'Archéologie. Quoique ne se rapportant point au but que nous poursuivons, ces documents démoutrent combien les choses du passé sout respectées et précieusement conservées dans les milieux où la grande civilisation a fait son œuvre.

Nous trouverons donc chez notr·e ami IL C. Staude, des pho­tographies sur grands parchemins, qui reprodui~ent des aïeux, j anciens Ministres calviui:;tes, dout les traits el les costumes' sont conservés depuis trois cent-cinquante ans sur les vitraux de c1•rtains temples en Allemagne.

Si les aïeux des Staude av~ïent vécu à l'époque de la Révoca- ·. tion de l'Edit de Nantes, on pourrait supposer que, comme beawoup de Français, ils avaient émigré. Mais leur arbre gé·· néalogique remonte à 1527, alors que l'f:dit est de Hil:\0 ... Ce qui donnerait lieu à cette supposition est le nom :Saint-Ande en français, semble fe même uom que StaiH1e en allemand.

La tenue officielle reproduite dans les photographies est la.: simarre noire, ressemblant à la robe des juges, appelée u robe': du Palais. »

Le fait d'avoir été le Ministre d'un culte qui propageait une doctrine di:>sidente à l'époque où vécurent les Staude, devait être une haute distinction revenant aux hommf~S de valeur. Ils furent des apôtres, qui durent souffrir en professant une doc­trine différente de celle de la majorité.

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J'OI<T AU l'JU:\(:1>:

Cathédrale - Palais National Champ de Manœuvres

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AGRICULTURE

Champ d'Ananas

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LB. IIIOBIIIB « L.\ SBLLB » 33

'.lue les Staude .aient été les disciples de Luther ou ceux de r:oolvin, peu importe: le mérite existe dans le rang distingué •ruïls ont occupé dans un temps où les questions de doctrines 1" ••aleversaient l'Europe. .

Abusant de l'hospitalité de notre ami, nous passerons sur la ,,.,.,.;.1sse de sa maisor;, où vous 'Verrez t~ut l'ensemble du Cul­d•·-Sac. C'est nécessaire avant nos promenades dans cette plaine • .. ,·, Yous tenez à vous rendre, malgré les grandes fatigues qui '"us y attendent.

La voilà, cette belle plaine, dans toute son étendue de :!1 mille carreaux de terre. Elle s'offre à vos regards, du Nord

"u Sud ; de l'Està l'Ouest, bornée par les montagnes, les étangs d la mer. Vous devez voir et admirer ce panorama exception­uel, où tout peut être montré du doigt, au fur et à mesure que le-s )'eux en feront le tour.

Cette vue générale voùs habituera aux choses que nous visi­terons en détail.

Nous ne sommes pas le diable, qui, ayant amené Thom me ~~~~ haut de la montague lui a dit: « Admirez, obéissez ; tout vous sera donné. 11

Nous vous disons simplement : 11 Si vous obéissez aux lois du travail, une part de ce· que vous voyez là-bas, un jour, vous re­,.;cndra. 11

PIIO~IEIU.DBI D.l!IS LBS CAJIPAGIIal D'BAITI 3.

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CHAPITRE V

LE CUL-DE-SAC

A l'époque où notre île était une colonie, les domaines d'ou­tre-mer de la France fournissaient au Budjet de la Métropole, ses principales ressources.

Saint-Domingue était la plus riche des colonies françaises de la mer des Caraïbes, et la plaine du Cul de Sac- plus vaste que les autres plaines du pays- était le grenier de Saint-Do­mingue.

c·est dire toute l'importance de cette plaine au point de YUe sconomique: son influence sur le marché d'exportation du pays, comme sur les marchés étrangers, qui sollicitaient la réception des denrées coloniales, malgré le système du Mono­pole l~xclusif par lequel la France garantissait à son commerce et à son industrie la consommation des produits, tout le temps qu'il y avait nécessité d'empêcher la vente en dehors de sou terri toi re.

Dans une de nos conférences faite à la <c Société d'Histoire et de Géographie 11, nous avons longuement expliqué les rouages du <c Monopole Exclusif Il, et les causes de l'influence des colo­nies sur le commerce de la métropole.

Le préjugé de couleur n'était pas la vraie raison de la forte opposition que les pbilantropes avaient rencontrée de la part des nobles, des grands planteurs et de leurs amis ; les arma-

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LE CUL·DB-UC

r··rrr·s qui possédaient neuf cents vaisseaux sur la ligne des tro-­l'i'l'res, des accapareurs de produits coloniaux, et des indus· 11 im;; mais bien la fameuse et éternelle question de l'or, du'. ,:rain, de l'intérêt. Autrement dit: l'esclavage et le préjugé de · ,.,rJcur n'ont été dans le passé que le corollaire de l'impérieuse· •i••cstion économique. ,)

L'émancipation des esclaves, aurait fait de ces martyres, des. ''"mmes qui réclameraient des droits; d'où la cessation du tra­,,.iJ gratuit et forcé ; et, comme voie de conséquence, celle des­profits illicites désormais défendus par la morale de la loi.

Pendant les plus brillantes époques de la colonie, le sucre· l•·rré ou brut, appelé_ cassonade, rellrésentait à lui seul 60 0/0 "" la masse des produits exportés. l.es taxes et impôts et toutes h autrescontribd-tions prélevées à Saint-Domingue étaient re­présentés pour un tiers (t /3) des revenus de lu Couronne de France.

Aujourd'hui, c'est le café. qui occupe le premier rang dans l"s mêmes proportions de tiU 0/0.

Une fois que nous serons eu route dans les sentiers des ha· hitations de la plaine, il nous sera iJ;npossible de donner les • rmseignements indispensables à votre préparation, à votre initiation. si, préalablement, nous ne remontons le cours des l~mps. ou si nous ne revoyons pas ensemble le passé des diffé­n~uts éléments avec lesquels vous allez vous familiariser.

LA CANNE A SUCRE

La cauue à sucre dont la culture s'est généralisée en plain&· du Cul de-Sac, n'est pas originaire de Saint-Domingue bien 'lue l'ou cite toujours uue variété du pays, sous le nom de o:anue d'l·laïli. C'est cerlaiuement la sélection de l'ancienne· o::trme colouiale impor-tée dans le pays. En effet le premier es­paguul qui plai1ta de la canne à sucre à Saint-Domiugue fut

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36 DAlfS LBS CAMPAGNES D'RAITI

Pierre de Alienza(d'après de Rosny) oud'Arranca(d'aprèsChar­leroix). Il introduisit la canne à sucre dans l'Ile en t5t8.

Le premier qui en tira du sucre fut un catalan, Michel Valles­tero, châtelain du bourg de la Vega.

Mais le premier qui lw mit en œuvre industriellement fut un nommé Gonz.alès de Velosa, qui fit venir des mattres ouvriers de l'isle de Palme, et fit fabriquer un moulin à canne sur le bord de la Rivière de Ni gua. (Rosny).

Ce n'est qu'en t 724 que la canne fut introduite dans la plaine du Cul·de-Sac. La grande sécheresse habituelle à celle plaine fit recourir 1 l'arrosage : les premiers travaux d'aménagement des eaux a'en suivirent.

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CHAPITRE VI

LE SUCHE

A part la canne à sucre, le Cul-de-Sac n'a jamais eu l'initia· Li H~ d'autres grandes cultures depuis la colonie jusqu 'à nos .l"urs. C'est dire quelle était l'importance du sucre dans les l{randes opérations d'échanges. jusqu'à la révolte des esclaves . . o\ lui seul, le sucre absorbait 80 •J. -les sucreries ayant été dé­truites, et les relations commerciales n'ayant plus eu la même iulensité avec l'ancienne métropole- ce rut la fabrication de l'alcool, pour la consommation locale qui absorbait sO "/.des cannes cultivées.

Aujourd'hui, il y a un retour vers le sucre, dont la moyenne cl"absortion de canne grandit vertigineusement chaque année d1~puis dix ans, aux dépen:l! de l'alcool.

Plus loin nous parlerons de l"alcool. de son passé, de son Atat présent, et de l'avenir qui lui est réservé .....

Les plus beaux domaines du Cul-de-Sac : les meilleures ter­res et les mieux arrosées, étaient en possession de ce que l'on appelait : la classe des Marquis. Cadets de grandes ramilles, ils aaient venus avec la protection des leurs. faire fortune dans les colonies. A Saint-Domingue, et surtout dans le Cul-de-Sac, ils s'étaient groupés dans le haut de la plaine, où la solidarité existait entre eux par le voisinage de leurs terres, de leurs ate­liers, et de leurs demeures privées.

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~38 DANS LBS CAMPAGNES n'HAITI

A part le comte de Noailles, ils étaient les Marquis de Cara-i deux, de Fieu riau, de Rocheblanche, de Chateau blond, de:,! ·saint-Amand, de Vaudreuil, de Ségur, de O'Gorman, de Dol­·nay, de Jumécourt, de Borgella, de Laferronay.

Quelques bourgeois occupaient les terres de deuxième classe: \,

Par le travail des nègres, et la fertilité du sol, la prospérité' -de ces grands planteurs avait atteint le maximum de ce qu~ l'amour de l'or peut souhaiter. Le monde était ébloui par ces richesses qui sortaient du sol de Saint-Domingue.

Un peu d'indigo, un peu de bois de teinture, et de café ve­naient de la colonie. Le principal facteur de la grande prospé~ rité était le sucre.

De ce qui précède, il ne faut point déduire que le sucre fut· un enfant gâté et choyé à cause des services qu'il rendait aux -riches et pauvres.

Prenons le sucre au début de sa longue existence, afin de ' mieux comprendre son rôle à travers les âges : bienfaiteur des' palais où son goût fait toujours naf.tre la joie, il fut cependant un des éléments d'une révolution qui renversa une monarchie; ·On en aura l'explication plus loin.

Cette substance concrète, friable et douce est connue dP.puis~;; les temps les plus reculés. Par des notes patiemment colla-' tionnées au cours de nos lectures, nous pouvons citer les écli­vains qui depuis mille ans ont donné des aperçus relatifs au, ·!Sucre déjà reconnu comme substance alimentaire. Ils sont~ ·Paul Eginête, qui dit que tous les médecins grecs ont désigné_ le sucre sous 1e nom de sel indien. Les Chinois ont connu l'art:

-de cuUiver ce roseau précieux, oo canne, et d'en extraire le su-· Cre, près de deux mille ans avant que cette plaute fut connue: ·en Europe. La canne à sucre fut tra'nsportée en Arabie à la fin·. du xm• siècle, d"après l\1. de Humboldt ; de là elle passa en Egyple où l'on fit du sucre en abondance. Vers la fin du·

.. xrv• siècle, on la pot·la en Syrie, en Sicile ; le sucre qu'on en

.-.tirait était gras et noir. La canne fut culti\'ée aux Canaries, et

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LBSUCBB 39

loir·ntôt le sucre qui en provenait fut préféré dans le commerce " lous les sucres de ce temps-là. Après la découverte de l' Amé­ru1uc, cette plante fut transportée à Saint-Domingue, où elle •r· r!'produit par boutures.

La longue guerre que la France soutint contre l'Angleterre , .. ·udant le gouvernement impérial, avait élevé très haut le prix du sucre des colonies. L'habitude, qui faisait de cette denrée ,.., rangère un besoin réel et jourualier, donna lieu à diverses lr·ulatives pour remplar.er cette production coloniale. Le sucre ,.lail demandé à toutes les productions de la terre; le gouver­nl'ment donnait des primes pour toutes les découvertes de ce ;..:r~nre. M. Prévost, M. Fouquet, chimistes, firent des essais, et rr·c;urent des primes d'encouragement. Mais de toutes les dé­··nuvertes, il ne reste aujourd'hui que la fabrication des sucres de betterave : c'est Margraff, chimiste prussien qui s'est le pre­Illier occnpé d'extraire le sucre de cette plaute. Le Comte Chap­tal, M:\1. Mathieu de Dombasle et Crupel Delisse ont puissam­ment secondé cette industrie à son début. Le duc de Raguse fut un des premiers à fonder à Châtillon un Hablissemcnt pour la fabrication du sucre de bellerave. Selon Anderson, c'est en l'année 1759 que, pour la première, il est rait mention de raffi­neries de sucre en Angleterre. Vers f 806, Benjamin Delessert IJpporta des perfectionnements très utiles dans l'art de• raffiner le sucre de betterave, par l'établissement de .fourneaux écono­miques dans ses usines de Passy. A l'occasion d'une installa­tion nouvelle de raffinerie, l'Impératrice Joséphine, en jetant une betterave dans un pressoir dit spirituellement à ce produit avant de le lancer: cc Va te faire sucren, d'où l'origine du mot: cc Va te faire S'l;lcrer. n

• • • En t793, jusqu'en t798, les émeutes des faubourgs de Paris

furent provoquées en partie par la rareté des produits coloniaux,

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40 bA.ftS LBS C.UIPAGftES D'HAITI

principalement le sucre, que les accapareurs retenaient en dép&t, el qu'ils revendaient à des prix excessifs, tellement exa­gérés que le peuple ne pouvait s'en procurer. Ce ne f~t pas là certainement la vraie cause du renversement de la Bastille et de la prise des Tuillel'ies; mais il est incontestable, d'après les historiens que la faim, l11 misère, la rareté des produits de grande consommation contribuèrent à déclancher les ter­ribles événements qui renversèrent la Monarchie des Bour­bons.

Comme nous l'avons dit plus haut, les denrées des colonies devaient passer par dix-sept douanes en payant autant de taxes d'octroi avant d'aboutir à Paris.

La Convention fut tonchée des souffrances du peuple. En conséquence, elle prit la résolution d'unifier le tat'if des douanes, de réduire les taxes, priucipalement les droits d'octroi.

Peudant ces jours difficiles, le sucrt> joua un rôle relative­ment important, autant dans les faubourgs qu'au sein mème de la Converition.

Suivons donc la marche des évéucm,~nts, où nous retrouve­rons le sucre à tous les carrefours.

Cett\ disette du sucre provoquait la mise en circulation de nombreuses et quelquefois siugulières recettes pour s'en passer ; le plus simple était de le re•uplacer par du miel, ou même de s'en pa!iser tout à fait. C'est ainsi que, le ~0 jan­vier. Manuel annonça aux Jacobins que la section de la Croix-1\ouge avait pris l'eugagement : « devnnt l' AssembiP.e Natio­nale de se sevrer de sucre " et Manuel ajoutait, dan~ un lan­gage plus imagé que délicat : « si Lous les citoyens voulaient env••yer fait·e du sucre à tous les acca parNJrs, ils seraient bientôt obligés de vendre leur sucre à un prix raisonnable,,, Louvet ]ui succédant. s'exprima ainsi :

« Vous avez entt>ndu la proposition de Manuel : Les plus redoutables ennemis d'un peuple qui veut être libre, ce sont

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LESVCRB 41

lo~s habitudes molles et elféminées ; voulez-vous anéantir vos "'llternis ~ accoutumez-vous à diminuer la somme cie vos hf'soins. Je demande que nous prenions tous l'engagement lormel de nous priver· de sucre et de café, et que demain Iourte la Capitale eu soit instruite. 11

Mais Collot d'llet·bois protesta ; ''Je suis fort étonné. dit il, que ce soit un homme de lettres.

'lui ait fait cette proposition, caa·les personnes· qui travaillent de Cabinet ne peuvent passer la nuit qu'avec des tasses de .:afé. Eh bien ! messieurs. j'eu prendrai sans sucre. 11

Les Jacobins adoptèrent la motion de Louvet et arrêtèrent •pa'clle serait sign~e inciividuellement par chadm des mem­bres puis affichée dans tout Paris.

Dès le lendemain. partout dans Paris on lisait des affiches olan!ï le genre de celles-ci !

<< A défaut de sucr·e. les accaparetli'S s"accapareront des vases de nuit. Alors Louvet dira : il n'en faut plus ; les vasPs de nuit, c'est du luxe. Si l'Assemblée vote celle motir)n, les passants verront les fmumes tout faire pal' la fenêh·e ».

11 Soyez hommes, Français ! et craignez qu'on ne flise de \Ons: Ils sont des enfant.:; qui ne peuvent se passer ftp, sucre sans pleurer; c'est pour P.ru: un si gra111l sacrifice qu'il leur faut un serment pour s'y ré~oucl re. ,>

Ou encore : u Notre Père qui êtes an Palais des Tuilet·ies, que votre nom

~oit enfin béni, que votre règne revienne, que votre volonté ~oit faite. Donnez-nous aujourd'hui le sncre quotidieu dont nous manquons ; par·donrwz.oous nos offenses, si faire se pP.ut. comme nous vous 1>ardonnons vos fautes, et délivrez-nous des Jacobins et des Conventionnels. Ainsi soit-iL 11

Pl\EPAR.\ l'lON DU SUCRE

Quand, au cours des promenades que nous allons faire dans la plaine, nous passerons sur les grandes habitations qu~ nous

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'

-4.2 DANS LES CUIPAGNES u'n.HTI ;~ .avons citées, et même sur celles qui sont aujourd'hui en corn--~ plet état d'abandon, faute d'eau pour leur redonner leur an-'~ cienne prospérité, vous y verrez des tourelles en maçonnerie 1 de 20 à 25 pieds de haut, en vétusté, sans toit. En pénétrantj .dans ces ruines, vous constaterez que chaque tourelle portej encore de grosses poutres transversales auxquelles so11 t fixés des crocs en fer. Celle petite construction s'appelait<< égou~-

1 toir » : C'est là qu'on suspendait le sucre nouvellement fa-; briqué et mis en sac ou dans des paniers pour égoutter le sirop j qui y tenait encore. D autres avaient des poutres plus rappro-; chées pour recevoir les barriques percées qui contenaient le j sucre.

Cette fabrication primitive du sucre terré se faisait comme suit:

Durant la période coloniale, le travail du sucre se réalisait à feu nu dans des équipages composés de quatre chaudières.·.

Un dernier récipient, chaudière ou bac, servait à refroidir' la masse cuite appelée cristallisoire ; la masse restait quelques. jours avant de pas~er dans les récipie11ts percés qui devaient la recevoir pendant l'égouttement du sirop dans d'autres chau­

dières placées en dessous. Ce sirop recueilli servait à la distillation du Tafia. Ces sortes'

de dépôts subsistent sur l'habitation Caradeux, où on peut les. voir.

Le sucre imparfaitement débarrassé du sirop était appelé:, • cassonade. » C'est sous cette forme qu'il était expédié en Eu.:: rope pour être -vendu.

La première sucrerie à ,·apeur installée dans le Cul-de-Sac,, en 1875, fut l'œuvre de M. Cutts, américain, ancien capitain~ de voiliers, qui se fixa en Haïti, et y vécut au milieu de la sym~ patlJie générale. Celte industrie ne dura pas longtemps. faute de cannes en quantités suflisantes par manque d'eau dans une région où se trouvent les meilleures terres de la plaine.

Vers 1891 fnt installée l'usine de O'Goman, sous l'initiative

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LE SUCllB

priv&l du général B. Prophète; ensuite les usines de T. Au-1:ustc, à ChAteau-Blond, ay11nl sous sa dépendance les vastes , harnps de cannes de plusieurs grandes habitations.

Il y a eu également dans le pays, sans réussite notable, lusine de Périgny dans le Sud ; celle de T. Jn. Gilles, et de Il.• yeux dans le Nord ; Monrepos à Carrefour.

l'oules ces petites usines sucrières ont fermé, ou ont plu• .. u moins suspendu leurs travaux.

Les usines de Château-Blond, qui avaient continué la fabrica-1 ion du sucre jusqu'à ces temps derniers, ont également fermé kurs ateliers après avoir passé des contrats avec la Haytian \ merican Sugar' Co., par lesquels les dites usines ne doivent plus continuer à fonctionner. Deux nouvelles petites usines viennent d'être établies par MM. Alfred Vieux el Laroche (Cul­de-Sac) el Arcahaie.

En passant à Hasco, nous ferons de notre mieux pour don­ner quelques renseignements sur ce grand établissement ins~ tallé chez nous depuis dix ans. ·

Actuellement, les pays producteurs de sucre de canne sont les suivants :

(L'importance de la production de chaque pays correspond ~ son classement).

t. Cuba. 2. Inde. 3. Java. 4. Hawaï. 5. Philippines-Porto-Rico-Brésil. 6. Australie. 7. Formose. 8. Chili-Pérou-Sto-Domingo. 9. Réunion-Natal-Mexique. t O. Nev-Orléans-Trinidad•Barbade-Venezuéla-Nicaragua. tt. Haïli-les Iles sous le Vent-Jamaïque. La différence entre la production de Cuba et celle d'Haïti

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DA.ItS LBS CAII.PAG!tBS D'HAIT!

peut subir la comparaison suivante : une pièce de nickel, !0 cts., et la tête d'une pelite épingle à attacher le linge.

PRODUCTION DU SUCJlE DE BETTERAVE :

t. Allemagne-Autriche. 2. Etats-Unis du Nord -France. 3. Italie-Russie-Belgique-· Hollande. 4. Danemar·k -Pologne-Suède. 5. Angleterre.

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CHAPITRE VII

LE CUL-DE-SAC

~:t maintenant, en route pour le Cul-de-Sâc, Pendant que le pas relevé de nos petits chevaux nous amène vers l'habitation " Frères li, j'ai à vous raconter un souvenir déjà vieux de dix ans.

Ce ravin qui longe la grand'route que nous parcourons, ,·:1rrête à un carrefour appelé <t Carrefour Soissons. 11

Ver·s fin décembre t9·l5, M. Griff. fondateur et ancien Prési­dent de la Haytian American Sngar Co., nous demanda de raccompagner à Pétion-Ville. A notre arrivée dans ce boUI·g, M. G rifT ordonna à son chauffetn· de regagner Port-au-Prince, d d'aller l'attendre sur la route de Chancerelle dans l'après­Ill idi.

Ne connaiss~Jit point son plan d'excursion, l'ordre du vieil­lard nous intrigua. Il nous invita à le suivre dans un ra"Vin dont le point de départ est sur la route de Pétion-Ville ll .\lé yolle. En parcourant ce ra-vin dans sa longueur, direction ~ ord, des notes furent .prises sur le débit des petites sources '1 ue nous y rencontrions.

A la bifurcation de la route 11 Frères-Soissons », où le ravin s'arrête, M. Grift' changea de direction. Il traversa le chemin, contourna un sommet placé à l'ouest où jaillit une forte source d'un débit supérieur à celui des autres.

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46 DA!fS LES CAIIP.lGNilS n'U.UTI

Allant toujours dans la direction ouest, nous laissâmes suc­cessivement derrière nous, à notre gaoche : Pétion-Ville, Gros­Horne, le morne Saint-Antoine. A l'endroit appelé<< Maïs-Gâté 11,

nous nous engageâmes dans un autre ravin qui nous conduisit au pied d'une colline. Ayant franchi cette petite élévation, nous eûmes devant nous le terrain plat de Chancerelle - très , boisé alors- qui s'étend jusqu'aux salines du rivage. Il était quatre heures de l'après-midi.

I.e lendemain Catinat Fouchard fut chargé de faire l'acqui­sition de 30 carreaux de ces terres, J compris le petit morne.

C'est l'emplacement où s'élèvent aujourd'hui les grandes usines de la Hasco, ainsi que ws maisons et l'hôtel qui sont sur le monticule d'en face : Hascoville.

On nous pardonnera cette digression qui nous a éloignés du sujet: elle était nécessaire, devant faire entrer dans le pro-, gramme de nos promenades les moindres détails pouvant .·• compléter l'ensemble de ce que noui auroni à voir dans le Cul-de-Sac.

• ••

Nous reprenons la route de Frères ... Nous voilà à l'entrée du village- car Frères n'est pas seulement une habitation agricole, mais un groupement de plus de cinq cents personnes qui J habitent. On trouve là plus de deux cents maisons, une grande distillerie, une chapelle et un grand bâtiment d'école.

l'assolls deux petits cours d'eau, et arrêtons-nous devant la grande demeure des propriétaires.

« Frères n ! La célèbre habitation << Frères », appartient aux enfants du général Boisl"Ond-Canal.

Il faudrait beaucoup de pages, si nous devions dire tous lessou­venirsqui nous attacheut personnellement à ce beau domaine, à. la vieille maison de famille qui s'y trouve encore, où nous avons vécu de la vie intime du général Boisrond-Canal.

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LB CVL·DE-SA.C

Frères est d'une contenance de t20 carreaux. L'habitation avait été donnée au colonel Jean Dugotier par

1.· président Pétion. A la mort du colonel, le pa·rtage du bien tu L fait entre Léger Dugotier et Troissous Dugotier.

u Frères 11 a apparlenu à Jean- François Lespinasse, et plus. Lu·d au président Geffrard avant d'être vendu à Boisrond-Ca­ual.

Cette habitation possède le plus fort moulin hydrl!uliquede la plaine. Il est actionné par l'eau d'un bassin qui date de la co­I•Hiie. Ce réservoir est de t20 pieds de long sur environ 80 de Lu·ge. Il a 5 pieds de fond à la prise d'eau et plus de ~0 à la dé­··harge. Son débit par canal du moulin est de trois à cinq mille litres par minute selon la force motrice nêcessaire.

La roue du moulin a ~0 pieds de diamètre: les rôles sont forts el expriment le jus de la canne au point que la bagasse rst pulvérisée entièrement.

La distillerie de Frères est réputée pour l'excellente qualité cie son alcool. Le cc Cabicha-Boisrond » a fait époque.

Nous avons déjà dit que le général,Canal faisait à Frères du sucre ronge exportable.

Après le travail de la journée, Boisrond se reposait sous sa \"éranda dans un grand hamac. Souvent, il nous racontait ses. raits d'armes. Toutes ces grandes choses étaient dites tranquil­lc~me-ut cornme si le général dormait : en parlant, il avait les yeux fermés, et quelquefois, la voix était si basse que souvent jo dus me pencher vers lui pour entendre ce q•t'il disait.

C'est ainsi que j'ai su des détails sur la prise de Port-au­l'rince en t869; sur la lutte soutenue par lui, Canal jeune, Sénécal l<'oncaud, Calice Carrié et les hornmes de son atelier contre uu régiment de la Garde du Palai.-; placé sous les ordres de Boileau Laforest, qui re~te à Pétion-Ville. en envoyant le r"égi ment à Frères pour se saisir de la personne de Boisrond­Canal. I.e général Canal et ses compagnons se battirent contre une troupe vingt fois plus forte et mieux. armée, depuis leur·

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48 DAI'IS LKS CAIIIPAG!I'ES D'HUTI

départ de « Frères,, jusqu'à leur arrivée à Turgeau à la légation:' l ~ des E.· U. ,,

:•! Un jour, je demandai à Boisrond des explications sur cette :~

légende d'après laquelle il serait invulnérable ; que les balles·:~ ne pouvaient l'atteinilrl'!, et qu'il pouvait disparattt·e sous l'eau.:~ au~~i longtemps qu'un poisson. , :{

Sa réponse fut celle-ci : A la pd se de Port-au-Prince, je fus ,;j atteint au Fort Touron par une balle froide en pleine poitrine. j Le projf'clile n'ayant percé que mon linge, je le pris, le tendis ;~

<)

atu sold11ts qui m'entouraient. De là cette légende dïnvuJuéra-:j

hilité. :.î

Quant à la question de vivre dans l'eau, continua-t-il. c'est·'~ une farce que je joue aux paysans quand je veux m'amuser. rj Une d~>s sources qui alimentent le grand bassin vient d'une:~ petite grotte dont la porte est cachée pa1·la profondeur de l'eau.· qui cu sort. En entra ul clans l'eau, toul le corps disparaît; mais:· on u'a qu'à passer la tête par le tmn pour que, de l'autre côté,.·~, à l'iutérieur de la grolle où l'eau est Lasse, l'ou respire à l'aise.,'? en levant un peu la tête. En restant dix minutes à plat v('ntre:; dam: celte position, on devient uu pobson pour ceux qui igno-:·~ reut le truc. ]

Pourquoi, demandais-je encore, une a ut re fois à Bois1·ond/i~ avez-vous risqué ma vie, alors que je n'avais que 25 ans, eu mej faisant accompagner un cabroucl à hœufs chargé d'a nnes,:· .. J lesquelles éta ieu t dissimulées sous quelques sacs de sucre.J Comme on était en pleine révoluliou, si le convoi av~tit été] pris, c'en était fait de moi. Pourquoi m'avl'!z-vous remis à cette.:·:! même époque uue lettre pour le général Mirvil, cornllHlllflant'~ de la Croix des llouqnets. Je me souviens - ai-je ajouté -\1 qu'après avoir lu votre missive, le général me regarda lougue~·:~ meut avant de me demander si je savais ce que contenait la;:~

lettre. Ayant répondu qus je n'eu savais rieu, il me cougédia·~ en disant : « Boisroud est imprudent ~ Pour toute réponse·J vous lui direz que je suis son ami. » ;~

'

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LB CUL-DB·SAC 49

Sortant de sa léthargie coutumière, ouvrant les yeux, et se :·cdressant dans son hamac, le général Canal répondit à nos :1nestions par ces paroles :

« Ils ne sont pas nombreux, ceux à qui j'ai fait faire ces cho­,,~s-là. Ayant remarqu.: chez vous un tempérament hardi, j'ai .-oulu vous éprouver, et vous habituer à exécuter mes ordres ,ans avoir de renseignements à vous donner sur leur nature. >>

J'ai élé heureux de cette marque de confiance .... que je crois :n.-oir justifiée, sans aucun reproche, dans des circonstances en.~ ::ore plus périlleuses.

Le géuéral Boisl'Ond-Canal, ancien président d'Haïti, est mort le 7 mars t 905, âgé de i3 ans.

Deux des fils èe Boisrond-Canal, Saint-Martin et Manneville ont étudié dans des raffineries d'Allemagne, d'où ils sont sor­tis brevetés. Le troisiilme fils, Jules. s'est acquis dans l'admi­nistration de Frères toute l'expérience nécessaire à sa noble profession de cultivateur et de distill&teur.

PEHNIER

Le carrefour de Pernier est célèbre. C'est là que se faisaient les premières réunions des esclaves marrons et des au tres es­claves pour combiner le système de guerilla qui devait enta­mer l'influence jusque-là absolue des colons du Cul-de-Sac.

Etant au carrefour de « Pernier », nous devons visiter le ré­servoir qui alimente les habitations de la partie sud de la Grand~-Rivière, depuis Pernier, Soissons, Moquette, Fleuriau, jUsqu'à l'Etoile, sur la grand'route de Port-au-PI'ince. Sans apercevoir-le canal qui alimente ce 1·éservoir, il existe cepen­dant. C'est le grand syphon qui traverse la rivière dans toute sa largeur, mettant en communication ledit réservoir avec le bief ou canal qni reçoit l'eau du Bassin Général.

Ne pou va nt traverser la rivière là où nous sommes. nous .al­lons reprendre la route du Carrefour de Pernier qui nous con-

PllOIIBKADBS DAI& LBS CUIP-'.GKBS D'BA l'Cl ••

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50 DAI'IS LBS CAMPAGI'IES o'nAITI

duira à Soissons et Moquette. De Moquette nous pourrons tra-. vet·ser sur la rive di'Oite.

Ce carrefour de Pernier est célèbre. Nous nous y arrêterons un moment 'pour donner un aperçu de ce que l'histoire en dit:

(( t 79 t ))

Le t 5 mai ti9f, la Cons ti tu an te décrète que les hommes de , couleur nés de pères et de mères libres jouiraient de tuus les droits politiques. Les colons se saisirent de celte occasion pour calo111nier l'Assemblée Nationale de France ; ils publièrPot qu'elle voulait livrer la colonie aux Anglais en y excitant la guerre civile. Ce fut le 3{1 juin que la nouvelle du décret du 15 mai arl'Ïva au Cap. Tous les préjugés coloniaux se soulevèr('nt aussitôt: les planteurs renièrent ouvertement la l"raucc, rt fi­rent des préparatifs militaires, pour s'opposer à l'exécution du projet.

Les hommes de couleur, indignés de l'injustice constante des blancs à leur égard, ne (louvaient rester plus longl<'mps pai­sihles SflCCtatcur~ de .toutes ces luttes. Ils se réunirent secrèLe­ment dans la plaine du Cul-de-Sac, suivant lïmpulsiou d'un des leurs, nommé Pinchinal, vieilia•·d instruit, élevé en Europe. La promesse faite par 13la11chelaude de oc pas exécute•· le de­cret du 15 mai, avait achevé de les exaspérer. A la voix de l'in­cl•inat, les affranchis s'établirent ouvertement au Mireb1llai~. et d..-mandèrent mais en vain l'exécution du décret du b tuai à Blauchclande qui traita leur pétition d'absurde et de crillli­oPIIt~. C'est alors que la municipalité de Port au-l'riuce dé­sanua ceux qui étaient en ville, et les en chassa. Ils allèrent campet· sur 1 habitation « Diègne ,,, à la Charbonnière. à quel­que~\ minutes de Pétion-Ville, d'où ils expédièrent partout des émbsaires afin de donnet· de l'unit.; à leur insurrection. Ceux de Mirebalais viureut se joindre à eux. Pinchinat. ainsi que .\u-·· toi ne Chanlatte, demeuré dans ce bourg, dirigeait les opérations de l'assemblée générale dont il était le président. Les alfran-

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LK CUL-DB·SA.C 5t.

c:hi~ s'organisèrent en compagnies et en escadrons. Daguin fut uommé major-géuéral, Pierre Café et Marc Borno, comman­dants ; les principaux capitaines fur·ent Aubrant, Doyon, Fes­sic~r. Pétion, Lahas tille ; Jean- Baptiste lloyer fut nommé porte­•'·t~ndard. Ils donnèrent la liberté à trois cents esclaves noirs et mulâtres dont ils formèrent plusieurs compagnies ~ous la dé­uomination de « Suisses. 11 Les suisses étaient des noirs et des

mulâtres esclaves, domestiques des blancs.

Le capitaine génch·al BP-a11vais se fit donner pour licuteuant Lambert. noir libre. plein d'expérience, ayant fait avec lui la

guerre de l'indépenrlauce américaine.

Les nouveaux couréolérés étaient assez bien armés : ils por­

taient des coutea11X: de chasse, des lances, des piques, des sahrPS, des épées ; ils étaient la plupart montés, soit sur des muids, soit sur des chPv:uix: Ils ven a ienl de s'organiser. quand ils upprirent qu'un escadron de la milice blanche. composé des lu1bitants du Gr·anli Jond, desceudait au l,ort-au-Priuce, com­

mandé par un colon blanc nommé Jean- l<'rançois Lc:;piun!>se. Sur le champ, Beauvais demnucla cinquaute hommes de bou ne volonté p0111' aller à la rencontre des blaucs. Toute la pelite armée se présenta. Il fut contt"aint d:en choisir lui-rnêrue cin­quante. el se mit en marche à leur tête. II rencontra les plan­leurs à la tc Coupe" sur l'habilatinnu ~~rette ».le 30 amît 1 iilt,

à l'entrée du chemin qui condu iL au Port-au-Prince. à l"E•udroit où se Lron'e actuellement la maison Léon ~eau. Là, s'engagea 1111 combat de cavalerie. Les blancs, après avoir perdu trois hommes, prirent la fuile, blessés la plupart. Le succès des

hommes de couleur n'était pas douteux ; ils étaient animés de la fureur du désespoir. le cœur soutenu pa a· la justice de leurs droits, el déterminés à vaincre ou à moua·ir, les blancs. de leur

côt~. ne s'attendaient pas à cette attaque ; Pt la snrpa ise qu'ils éprouvèrent de se voir assaillis par leurs aiTrltnchis jusqu'alors

si humbles devant eux, ne contribua pas peu à leur défaite.

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DANS LES CUIPA.Gl'IES o'HAlTI

Après ce combat, les hommes de couleur manquant de vivres, à Diègne, se retirèrent à Métivier.

Les petits blancs de Port-au-Prince, en voyant entrer en ville les habitants du Grand Jond, couverts de sang, ne purent cori­tenir leur fureUI· ; ils ne dem<mdaient que vengeance contre les hommes de couleur.

Dans la nuit du fer au 2 septembre (1791) la Garde Nationale composée de blancs, cent hommes d'artillerie avec six pièces de campagne, commandés par Praloto, deux cents bommes des régiments d'Artois et de Normandie, et deux cents matelots de la station, sortirent du Port-au-Prince et pénétrèrent dans la plaine du Cul-de-Sac. Les matelots étaient chargés de sacs des­tinés à être remplis de têtes de mulâh·es, pour lesquelles on leur avait promis quatre-vingts gourdes par tête. L'armée blanche s'arrêta à Pernier où elle campa.

Pendant cet intervalle, les hommes de couleur résolurent de se rendre au (c Trou Caïman 11, au pied des montagnes du Mi­

. rebalais. afin de se mettre plus facilement en rapport avec leur assemblée générale. Ils marchèrent sur trois colonnes, la plu­part à cheval, sans ordt·e. caracolant, riant et chantant.

Beauveais et Lambert leur défendirent d'attaquer les blancs. La première colonne avait déjà laissé loin derl'Ïère elle l'habi­tation Pernier lorsque Aubrant, qui commandait celle du cen­tre. revint sur ses pas et exhorta Do yon, chef de l'arrière-garde, à attaquer. Doyon lui répondit que Beauvais et Lambert leur avaient défendu de combattre. Aubrant, sans répliquer, re­tourna au galop, à la tête de sa colonne, pénétra à Pernier et demanda aux officiers d'Artois et de Normandie, s'ils voulaient toujours être les instruments de la tyrannie. Les blancs, indignés de son audace, se précipitèrent sur lui ; il les arrêta en abat­.tant l'un d'eux d'un coup de pistolet, et le combat commença aussitôt.

C'était le 2 septembre. La colonne du centre soutint sans &'ébranler le feu le plus vif. Aux détonations de l'artillerie de

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LE CUL·DE-SAC

l'raloto, l'avant-garde et l'arrière-garde des affranchis accouru­,,•nt au secours d'Anbrant. Les blancs, enfoncés de toutes parts, taillés en· pièces, perdirent toute leur artillerie. La fureur des . OJ(franchis fut portée à son comble, quand ils virent les sacs qni devaient être remplis de leurs têtes; presque tous les ma­telots furent impitoyablement égorgés.

Pendant la déroute, un officier du bataillon d'Artois allaito: êtr·e victime de la rage des vaiuqueurs, lorsqu'un jeune hom me · de couleur s'élança au d~vant des sabres et des épées, et s'écria: Grâce aux vaincus 1 ne souillons pas notre victoire par des ac­les de cruauté! Le blanc fut sauvé. Ce jeune homme était Pé­lion, le ·principal fond~teur de la République d'Haïti, qui dé butait daus la carrière militaire par une noble action.

Soissons et Griffin. placés sur la rive gauche de la grande Ri­,·ière ainsi que Coupon, (ce dernier sur l'autre rive) appartien­IICnt aux héritiers de l"homme qui s'appelait Démosthène Les­pinasse. Petit propriétaire au Pont Bedet, M. Lespinasse sut. travailler rudement au point de lai_:>ser ce groupe de belles pro­priétés à ses enfants, qui sont dignes du père par leur endu­rance au travail ct leur excellente éducation. Leur distillerie esl de premier ordre et fait bien marcher leur commerce d'al­cool. Cette distillerie est à Soissous. Le moulin de Griffin est activé par la force hydraulique, de même qu1~ celui de Coupon. Le moulin de Soissons est à vapeur.

Moquette a une plantation relativement difficile par l'eau in­suffisante pour ses te nes. Son moulin a été transporté ailleurs.

Traversons Moquelle dans tou te sa largeur. Passons la grande Rivière, ct retournons au Bassin Général par le grand chemin· de Ja rive droite, pat· la route de Tapage, Trois lligoles et La­ferronay.

IlH\IGATION Gf:Nf~RA LE DU CUL-DE-SAC

Bientôt, nous ferons connaissance avec le Bassin Joly, en vi-· silant le haut de la plaine.

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54 D"I'IS LBS C"IIIPA.GliES D'BA.lTI

Quoique beaucoup moins grand, d'une importance relative­ment faible. s'il faut comparer ce bassin au premier grand ré­servoir. que nous visitons actuellement. il est sujet aux mêmes règlements que le précédent pour ce qui concerne l'irrigation.'

La Gr·ande Rivière al'l'ose au maximum environ 8,000 (huit mille carreaux de tcne). tandis que le débit de la Rivière r

Blanchequialimcntc le Bassin Joly. étant beaucoup plus faible. son maximum d'arros;~ge alleint dillicilemenl 3.000 carreaux:.

En voyant sur une carte qne les propriétés X, Y, Z. sont de 600, 400, 300 carreaux, il ne f~nt pas en déduire que toutes ces terres reçoivent l'eau ries ri vi ères. Souvent un domaine de 600 cal'l'eaux ne reçoit que de quoi en iniguer :200, un autr~ de 400: seulement assez d'eau pour 50 ou même 30 carreaux.

En résumé. le Cul-de-Sac se compose d'nue superficie géné­rale de 39.000 (trente neuf mille carreaux de terre). Les deux rivières, ainsi que les cinq ou six sources. qui y donnent leurs eau~·- oj/iciellemenl mesurrJes permettent à peine d'éten­dre les grandes cultures à 13.000 carreaux.

A la date du 20 mars 19:.!7, la lla$CO occupaitdansle Cul-de­Sac 6 .. UO carreaux de terre (six mille quatre cent quar·ante car­reaux). Sur cette masse 500 carreaux ne sont pas même con­venablement anosés par l'eau des rivières. (Arrivé au chapitre très intéressant de Hasco. nous i ml ir1uerons par quels moy ena ingénieux et coûteux cette Compagnie a pu arriver· au dévelop­pement progressir de ses cnltu'res dans le·Cul-de-Sac).

Lf's bassins sont munis de portes d'eau pa desquelles les eaux sont transmises dans les canaux, dont chacun a une destina­tion spéciale, qui aboutissent eux-mêmes à des écluses inter­médiaires.

Les écluses intermédiaires sct'Yenl à une denxième. une troisième distribution, selon leur éloignement du grand bas­sin génér·al ; et c'est par ces petits bassins également pourvus de portes, que l'eau des habitations est règlemeutairement par­tagée selon la dimension de chaque porte.

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LE CUL• DB· SAC 55

Certes, on a déjà dépensé pour des travaux d'irrigation d'as­sez fortes valeurs, tant pendant la période haïtienne de notre histoire que depuis l'occupation américaine. Mais tontes ces dépenses ont eu pour but de maintenir en parfait état des ou­vrages plus qne centenaires ou de les rétablir.

Au point de vue administratif, il n'en est pas comme au point de vue technique. Il y a quelques notables changements à signaler.

l'ar le fait dn morcellement excessif de la plaine, le pro­blème de la répartition des eaux devint si compliqué que l'Etat fut obligé d'intervenir pom le •·ésoudre.

Avant cette intervention, quand un propriétaire vendait une partie de son domaine, il indiquait corn ment et à quelle pé· rio,le cc•lte partie devait êtreano~ée. Nécessairement, les inté­rêts cie c:c propriétaire on ses caprices présidaient seuls à ce travail. L'équité n'y entrait pour rien.

Pour les règlements de succession, il y avait nn peu moins de fantaisie, et le partage de l'eau suivait d'assez près celui des tcnains. Quel que fnt le mode de répartition adopté, pour son exécution. les bénéficiaires s'en remellaitmt à un cc chef de ca­nal n de leur choix, lequel avait aussi pour mission de rait·c en­tretenir les canaux et les ouvragesd'ar"t selon lè vœu de l'ar­ticie 17 du CÇ)de rural ainsi libellé : <c Toute propriété ayant en cc commun un système d'irrigation contribuera proportion­« nrllerncnt à la surface, à la construction et au maintien du <c dit système, conformément aux prescriptions d&la loi. ll

Cette fonction de chef de canal passait pour être honorifique, mais loin de là. Ce ronctionnaÎI'e par mille trucs et mille abus s'appropriait toujours l'eau de quelques administrés pour l'ar· rosage de son jardin et arrivait ainsi à se payer un salaire très important beaucoup plus important que ne le croiront ceux qui ne s'occupent guère d'agricultm·e ou qui ne ft·équentent poiqt nos campagnet:.

Les contestations relatives à la répartition des eaux étaient

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l 56 DA.NS LES GA.MPAGNE3 n'HA.ITI -- :j

jugées, selon leur gravité et selon l'importance des adversaires, parle chef du canal, les officiers militaires ou les juges de paix.

En t 913, sous le gouvernement de M. Michel Oreste, u!le loi vint proclamer un principe absolument équitable pour la ré­partition des eaux : «Tous les fonds ruraux de la Hépublique <t ont, proportionnellement à leur étendue, un droit égal à se '' servir des distributions d'eau faites ou à faire par le gouver­(t nement ,. (art. 5).

Cette même loi en son article 6, déchargeait les propriétaires des travaux d'entretien ou de pet·fectionnement des canaux et des ouvrages d'art. Mais elle ne rentra malheureusement en exécution qu'à partir de t920, après qu'on eut établi à la Croix des Bouquets un bureau de contrôle d'irrigation char-gé en même temps d'établir le cadastre des habitations arrosées. La réparti lion des eaux se fit alors sur la base d'un arrosage par quinzaine (360 hP.ures) et en suivant le plus près possi­ble l'ordre des parcelles, afin d'éviter les pertes de temps et d'eau pendant la transmission de cette dernière.

Quelques temps après l'exécution des premiers horaires, ce bureau de contrôle mit fin d'une façon absolue à l'en­tretien par corvée des canaux de la rivière Grise. Ces ca­naux embrassent environ 8000 carreaux de terre limités à l'Ouest par le coursier de Pernier et à I'Fst par deux subdivi­sions du coursier de Dumée qui se terminent l'une à Pérat, l'autre à la Serre. Les eaux du coursier de Pernier arrivaient autrefois jusqu'A Saint-Martin, c'est-à-dire à l'entrée de Port-au­Prince, après un parcours d'environ -12 kilomètres.

La Rivière Grise prend sa source aux environs du Morne la Selle. Après avoir parcouru une grande courbe dont la con­vexité est. prétend-on, tournée vers l'Est, elle arrive dans la P. C. S. entre les habitations Pernier et Dumée, puis traverse les habitations Hoche-Blanches, Soissons, Mocquet, Fleuriot, Santo, Marin, Fouju, etc., pour aller se jeter à la mer. Peo.danl

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t.B CUL-DB•SA.C 51

les pluies, son débit est excessivement élevé et elle est trans­rormée en un torrent vraiment dangereux ; ainsi en sep~

tembre 1926, ce débit a atteint cinquante mille litres à la

seconde.

Le premier ouvrage permettant d'utiliser les eaux de cette· rivière date de t730. C'était un canal construit par M. Joseph

Ricord pour permettr1e d'arroser l'habitation Marin. Longtemps après cette tentative, en 1784, commença l'exécution d'un vrai

système d'irr~gation. Ce système prend naissance à l'arrivée des eaux dans la partie haute de la plaine, à l'endroit où se trouve

le barrage de dérivation et d'élévation communément appelé· <1 bassin général. ,

BASSIN GF.:N~:RAL

C'est en pratiquant une ouverture dans la niviè•·e Gris<-, sur ln propriété de M. Dubois que M. Ricord fut le premier à établir le système des surabondances dans la gmnde ri vi ère

en i730. ~n t74t, M. Dumée, gendre de M. Dubois, déposa une de­

mande en indemnité de 3.000 livres par chnqne intéressé il l'eau tirée de la G1·ande Rivière, ainsi que pour le passnge O(' leur canal sur sa propriété. Les intéressésnommèt·ent M. O'Gor­man leur syradic avec mandat de les défendre. Les administra­teurs Larnage et Maillart, invoquant le principe de la servi­tude des canaux: dans uné des conditions des concessions dn Roy dans le but d'étendre la culture, et profitant en outre du

consentement préalable de M. Dubois, repoussèrent les pr·éten· tions de M. Dllmée par le jugement du 22 janvier t7.t2.

Vu le nombre c•·oissant des intéressés, une digue fut autori­sée en i 75-1.

Le 12 avril1758, les intéressés furent convoqués et la distri­bution générale et méthodique des eaux fut décidée. M. Lan­grené fut nommé Syndict de la distribution.

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58 DANS LBS CAMPAGNES D'HAITl

Le premier projet Langrené, exigeant 3 millions, et soumis à MM. de Saint-Rome et Bompar, fut écarté.

J<:n aYl'il 1760, le Ministre des colonies ordonna - vu l'im­portance de la distribution - de s'en remettre à M. Du moul­er-au, ing~nieur, qui, dès le 23 janvier 176-', fut charg.'l de··

jang~r la grande Rivièr·e et de faire le plan de la distr-ibution. Le Tribunal-Terrier adopta le pmjet Du rnoulceau le 1 t jan­

vier tï71. et le:> administrateurs l'approuvèrent le 2~ mai sui-·

vaut. Mais certaines difficultés provoquèrent une assemblée d'habitants le 28 mars 1773, et M. Le Franc de Saint-Han hie,

architecte-juré et entrepreneur, fut désigné pour exécuter

les travaux avec M. Merlin comme Directeur.

Le 10avrillecontrat fut signé par devant notaires, elles travaux furent corn rnencé;; en novem brc t779.

En 1776, .M. Saint-Jianlde s'était fait décbar·ger des travaux· .. ;

de su bd ivislon. ··.:·

On signale qu'en 1784, les travaux étaient terminés. Et de-puis 1794, 7.9H8 carr<~aux dépcndaut de cinquante-huit snct·e- .. ··:

ries jonissaient de la distribution des eaux, avec 4- ligne:s :\{4,' .1

par carreau. ·' Ce barrage mesure environ 3 m. r /2 de hautem· sur euviron .. ·;

60 mètres de longueur. Heconstmit en Hll B avec nn profil modifié :, par· les ingénieurs de la D. G. T. P., il coustitne le quatrième-~ banage exécuté en travers de la rivière, l!."s précédents ayant ..

été successivement emportés en 1785, HH6, t8ï8. L'accident de septembre 1878 a été pr·évn par lïngéuienr

.Ma!< ting dans un rapport pnblié en janvier de la même année au bulletin du Conseil d'arrondissement, et l'ingénieur l.afo- ,:

re~ trie dans la suite fit un rapport publié au Monilellr du·.

f9 août t880 où il attribua ces différents accidents à un défauf :

de fondation.

Une seule chose différencie le système réfection né aetuel des''·,, prl>cédents, c'est le syphon de Pernier,leqnel mesure 150 mètres ,.

. '' .~ de long et t mètre de diamètre. Il reçoit les eaux à Du mée ef.:

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LI: CUL-DB·U.C 59

les conduit à Pernier en les faisant passer successivement aux altitudes.

Actuellement, soixante-cinq bassins de répartition partagent les eaux de la rivière Grise entre les habitations : Dumée, 1) rouillard, ;Dasny, Roches. Blanches, J;lierrou, Dieudon, Pérac, Oaulnay, JumécQurt. Borgella, Juan, Digneron, Laferronay, Cota rd-Bourgogne, Noailles. Santo, Beudet, etc., sur la rive Est, et surla ri~eOuest: Pernier, Soissons, Bauduy, Greffin. Mocquette, Chateau-Blond, l<~leuriau, etc.

Le système de la Rivière Blanche comprend moins de bassins - à peu près 20. - Cette rivière est aussi à régime torrentiel. Elle débouche dans la P. C. S. au haut de l'habitation Lamar· delle aprés avoir suivi sur une certaine longueur un cours à peu près parallèle à celui de la 1\ivière Grise.

Elle· est encaissée entre des berges abruptes sur 5 à 6 km. A l'installation du bureau d'irrigation de la Croix des Bou­quets. il n'existait sur les habitations tributaires de la Rivière Blanche que des vestiges des anciens travaux. Les partiteurs notammentavaient disparu. Il n'en restait que six alimentant les habitations Massau, Turbé, Pérac, La Tremblay, Vau­dreuil, Lépine et Boen, sur la rive droite. Sur la rive gauche, il n'en .existait plus un seul. Par contre on y rencontrait une quantité innombrable de saignées qui, chaque jour, donnaient lieu à une infinité d'abus. Pendant que le bureau de la Croix des Bouq.uets tentait des efforts inouïs pour arriver à la dispa­rition aussi bien. des abus que des saignées qu'il remplaçait par des partiteurs en maçonne·rie. des étndes se poursuivaient en vue de la préparation ·d'uu projet de rérection de canaux et bassins de la Rivière Blanche. Ces études prirent fin en décem­bre t\123 et le projet fut exécuté en t925.

Ce qui permit de supprimer une perte de 58 o/o provenant des canaux simplement fouillés dans un lit de gravier. !.'an­cien bassin Joly a été annulé, et le point de départ de la cana­lisation est.maintenant un barrage de dérivation placé à la cote

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60 DANS LES C.\MP.A.GI'IES D'H.\ITI

225 au-dessus du niveau de la mer et calculé pour résister à une lame déversante de 64 mètres cubes à la seconde. Il a 85 centimètres de hauteur sur 4-5 m. de longueur. Il a été cons­truit en maçonnerie de grosses roches calcaires, dures, recou- , vertes d'une chemise de beton. Ce système comprend 8 km. près de canaux en maçonnerie, 20 km. de canaux sans revête­ment et un syphon inversé de 170 m. de longueur en projec­tion horizontale surf m. 05 de diamètre intérieur, de fm. 35 de diamètre extérieur. Ses extrémités sont aux cotes 202.65 et t98 et son point le plus bas à 196,25. Le coût de la réfection a été approximativement de 34-0.1100 gourdes.

Le système d'Irrigation de Beaugé (Despuzeau) et ceux des eaux de la basse plaine n'ont pas du tout été transformés.

Pendant la période française, la superficie arrosée de la P. C. S. était de f 3.000 carreaux, soit du liers de cette plnine dont l'étendue est à 39.000 carreaux. Nous estimons que la si- ; tuation n'a guère changé depuis. Les canaux d'irrigation que .~

1

nons avons mentionnés et ceux que nous avons passés sous si- \ lence limitent une superficie de 20.000 ca neaux près et un peu 1

plus de la moitié de ces 20.000 carreaux est actuellement cul­tivée. Mais les produits ont pent-être dégénéré, soit parce que les débits des rivières et l'importance des pluies ont diminué,. J

soit parce qne les terres, n'ayant jamais été engraissées, ont perdu de leur ferlilitê. ,· '

SURABONDANCE

Ce qui s'appelle surabondance est un trop plein d'eau laissé dans la rivière que les riverains emploient dans des canaux pri- i vés cœusés par eux-mêmes avec l'autorisation de la mun ici pa­lité.

·l J !j 1

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CHAPITRE VIII

LE BLOC CENTRAL

Nous comprenons dans ce grand bloc, les habitations sui­vantes, qui se touchent, sans éparpillement, depuis la monta­gne de Dumée, 'à l'Est; la Grande Hivière, au Sud ; la Croix des Bouquets, à l'Ouest ; et les monticules de Peyrac, an Nord.

Elles sont: Dumee, Drouillard, Dasni, Roches-Blanches, Tapage, Cou­

pon, Noailles, Cotard, Laferronnay, Laferme-Blanchard, Dieudon, Duval, Trois-Rigoles, etc.

Une ligne de voie ferrée apparlenant à Hasco, passe au mi­lieu de ce bloc. Cette ligne privée est reliée à la P. C. S. à la Croix des Bouquets, Son point terminus est à Dumée. Elle ne sert qu'au transport des cannes de la Compagnie.

Comme les consorts Auguste sont les principaux proprié­taires dans le grand bloc, que nous désignerons sous le No.-1, nous ajouterons aux grandes terres de Roches-Blanches et de Digneron, celles de Chateaublond, Fleuriau, Caradenx, Du­mornay, qui leur appartiennent également. · Les usines sucrières de Chateaublond, ainsi que les diffé­rentes distilleries des Auguste ne fonctionnent plus depuis plusieurs années par suite d'un accord entre M. René T. Au­guste et ses co-intéressés, et d'un second contrat entre M. R. T. Auguste et M. T. C. Brignac.

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62 DAKS LBS CAMPAGIJE& D 1HAITI

M. T. C. Brignac exploitant les te1·res des Auguste, vend par contrat toute sa production de canne à la Hasco, qui le sou­tient économiquement.

En raison des conditions arrêtées entre les deux parties (Au­guste, puis entre T. C. Brignac et la Sugar) nous avons fait fi gu- · rer les terres des Auguste, soit environ 800 carreaux, dans les 64-4-0 de la Sugar, étant donné que ces terres sont en travail pour compte de la Sugar.

Ces observations étant produites, entrons maintenant dans le détail du bloc No.-1.

Dumée : Cette habitation appartient depuis plus de 10 ans à M. Edouard Laroche : elle se compose de 600 carreaux en· viron, dont 450 en monta·gne, et 150 en canne à. sucre.

Après une entente de di.x années avec la Sngar sur la base du: Contrat à participation, autrement dit de 5 OJO, l'entente a. pris fin en janvier t9:27. Aujourd'hui M. Laroche est libre dei disposer do ses terres. Il a monté à Dumé une petite usine su- ; crière pour y travailler ses cannes et celles du voisinage.

Cette usine est d'une capacilé de t3o tonnes par 2.t heures,. avP-c les appareils les plus moJeroes et le:~ plus perfectionnés.

Les chaudières sont de 800 chevaux vapeur el sont alimentées directement par des transports de bagasse. Le rendement est de 7 à Ill 0/0 de sucre. La moyenne des cannes de Duméc en' sucrose et de pureté s'élève à 16• et YO•. L'usine peut doue fa­briquer de 150 à ~00 sacs de tOO livres de sucre par 24 heures.

Il .Y sera installé des filtres à charbon el revi~ifieur, ce qui -donnera nn sucre demi l'affiné, en n'allant qu'à moitié du pro­cédé de raffinage.

A ~ec Du mée, Mocqnette et Jonc, l'usine peut travailler,. comme cannes personnelles. tO mille tonnes environ. Par rli• , vers contrats, M. Laroche s'est assuré tO autres milles tonnes.

Par ces ententes, l'usine accorde aux contracteurs la valeur: de la moitié du sucre produit, et elle lui laisse la faculté d'ache-

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LI!: BLOC: CENTIIAL 63

11·r d'elle la moitié d~ la mélasse produite à raison de 8 gallons la tonne roùlée, et à 5 cts. le gallon.

M. Laroche espère produire en tO mois 25 et 30.000 sacs de

~nere blanc, type plantatioit white. Avant longtemps, uue distillerie moderne· sera installée à

llumée.

Les llabital~ons dépendant de l'usiné sont Dumée : 800 car­

reaux, dont f50 en cannes, Moquette t:lO carreaux, 80 en canne, Jonc 4;)0, {00 en canne.

Notre passage anjou rd"hui à Du mée à titre d'excursionniste,

nous rappelle une époque -· pas lointaine - où nous avions à \·oyagPr dans le quartier. Notre amour passionné de l'esthéti­

'Pie, du beau, du luxe confortable. de l'esprit délié et dt>licat,

de la bonne table nous portait soilvP.nt à pousser Je trot de

110lre cheval ve_rs la haie vive. non loin de laquelle se trouve

encore la véranda set·v~nt de salle à man.~er aux La roch~. D'ac­

c:ord avec noull, notre cheval intelligent, ralentissait :sou Ill­lure ou acçélérait son galop, de telle sorte qu"il était toujours

Yers la petite haie à midi sonna;zt. Nous étions heureux de sa­

luer Mme Laroche, eu lui disant que nous passions chez elle,

rien que pour lui donner des nouvelles de ses chers amis, [\eine et \taxi Caze. De même que B~rge rac, nous n"acceplious

ljll"Uil VCrre d'eau et Un raisin_; mais. toujours le Verre d'P8ll

eondnisait au muscat servi dans des verres fins, et le rai,;i rl

uous retenait à la table des Laroche, où la nappe a le parfum

des jasmins.

Nous n'étions nullement responsables de ce geste de midi.

Chaque fois, nous accusions notre monture - intelligente

hèLe- d"avoir compris que la course au loin, jusque chez nous,

pour notre repas, serait longue et fatiguante, et que ... ce serait les bons mets en moins.

A celte table accueillante, nous observions une délicate fleur,

qui faisait son éclosion au milieu des autres fleurs ; au milieu

des lys et des roses. En souvenir de ces fleurs que j'adore, je

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DA.NS LES CA.liiPA.GIU!S D'B.UTJ

prie Mlle Marie Laroche, que j'ai vue enfant, de bien vouloir admettre l'affection d'un vieil ami de sa famille, et d'un admi­rateur de la beauté.

• ... Maintenan.t que notre promenade nous a réunis à Dumée,

que nous avons vu les beaux champsde canne aussi bien tenus qu'un salon, Je bâtiment de l'école construit par Laroche pour les enfants de l'endroit ; que nous avons salué le Directeur de l'habitation, le brave et intelligent Dasnis, approchons plus près de la résidence pri véc.

Au-dessus de la table à manger, voyez-vous ces trois tam­bours de form semblable, mais étrange, qui sont suspendus dans le sens de leur longueur~ Eh ! bien, il y a là tout un mys­tère, lequel m'a été dévoilé, non par Edouard, mais par sa charmante et indiscrète épouse.

Voilà .ce quP-j'ai appris: De ces trois tambours- a dit Mme Laroche- le plus grand.

est l' Assotor ; les deux au tres en sont les valets. Aux heures de~ cérémonies, c'est le premier qui gronde, faisant entendre sa, voix dans les ravins les plus profonds de la montague. Les pe1 Lits donnent la réplique aux sons impressionnants sortis des entrailles du grand maître. Ils viennent tous les trois d'un Houmfort, d'où je les ai personnellement achetés fort cher.

C'est que - continue Mme Laroche- quand on vit au mi­lieu des champs, loin de la civilisation des villes, il faut adop­ter et servir les rites. Moi, dit-elle avec force, comme transfi-• gurée - (en effet elle l'était), moi, je suis affiliée à trois rites; le ~loundélé, le Bafioté, le Doquila ...

Arrivée à cette partie du mystère, Mme Laroche s'arrêta. Je dus la prier de continuer. Avec bonne grâce elle reprit les aveux qui me faisaient frémir en pensant qu'une personne de son' rang pouvait s'occuper de telles horreurs.

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Villages des Ilauls-Pial<~aux:

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LB BLOC CBI'fTRA.L 65

.le fus vite d~barrassé de mon cauchemar en apprenant ce 1•ri va suivre:

Le Moundélé- explique Mme Laroche - est le r~te du tra­.ail; le Bafioté, celui de l'hospitalité, et le Doquila, celui de 1,, bonté et de la charité.

Aux heu_res du travail -a-t-elle ajouté - c'est Moundélé •1ui appelle les hommes. Quand un voyageur ami arrive, c'est Bafioté qui prévient Edouard ; et quand il faut faire urie œuvre de chariléau profit des nécessiteux de notre région, c'est le ,.,on de Doquila qui provoque les réunions.

Et voilà dévoilées les arcanes de la religion que nous avons aééc! 11

Immédiatement, sans réfléchir aux conséquences, sans même avoir peurd'une excommunication, je me fis inscrire par le Papa Edouard comme adhérent aux trois rites.

On trouve à Dumée: comme ailleurs, les ruines de l'an­cienne prospérité coloniale; aqueduc du moulin ; dép6ts sou­terrains, ou maga~in à sucre, etc.

En laissant Du mée, on entre à Drouillard-Daphnis quïl faut distiuguer au Grand-Drouillard. Cette propriété est .morceU:e, en lots de 5 à fO carreaux, où il y a des plantations de canne et plusieurs gnildives.

Rocheblanche, Digneron, font partie du bloc des Tancrède .\ugnste. Ces deux grandes et superbes habitations où le tra­vail des moulins et de la distillation a été ~rrêtée (corn me a Caradeux, Fleuriau~ Cha~eaublond, Dumornay) ont subi une grande transformation sous l'habile et vigilante direction de M. Brignac qui est secondé par M. Lambert comme Direct~ur général des dites habitations. C'est dans ces champs que j'ai rencontré unjourun jeune américain qui venai.t d'a.r~iver dans Ie p~s. Lui ayant demandé pourquoi il s'isolait dans cette im­mensité de canne, il me répondit: « J'aime Robinson Crnsoé n. Aujourd'hui M. W.-J. Moutégut est le chef d'un district de

PI.OK81U.DB6 D.\1118 LBS C4KP4GftBS D'HA.ITI 5.

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66 DA.N8 LES GAMPA.GNBS o"UA.ITI

vingt-huit habitations, qu'il dirige avec compétence pour le compte de la Hasco.

LE UBA OU CANNE JAPONAISE

Cette canne ne tire pas son origine du Japon comme on croit ; elle vient du Mexique, prétend-Olt. C'est peut-être sa petite dimension qui lui a valu ce no rn de japonaise, parce que, au Japon tout est petit. mignon, sauf le courage, la har·diesse, l'énergie, l'amour du sol natal, l'intelligence, la bravoure du soldat qui touche au fanatisme.

La Uba ayant été piaulée sur pre:-;que la totalité des terres des Auguste, l'année 11J~7 a donné une récolte de plus de 4-0.1100 (quarante mille tonnes) Celle quantité doit revenir à la Hasco ; ce qui mettra la récolte go~térale de celle-ci pour la même année, à environ t80.01JO touu~>s.

En présence d'un tel résultat, uous devons retenir votre attention, non seulemeut sur le beau succès du moment, mais sur les crnintes que ce succèt~ lui-mêrue filit naitre.

La Uba est déjà petite, la plus pP-lite espèce connue en Haïti (la canne créole étant plus forte). ::ion jus est moins r·iche en saccharine que le jus des autres caunes. Cependant si elle a une matul"ité convenable, sa transformation eu sucre ne pré­sente aucun inconvénient sàieux. Sa distillation est sati:-.fai­saule ; elle donne uu résultat en alcool qui ne laisse rien à dé­siret·.

Il est toujours bon - au tant q ne possible - de moud re celle petite canne avec les autres fortes ca nues de façon à mieux garantir le jus.

La crainte éprouvée à son égare! vient de sa vertiginense croissance, donl le résulta l ne peut être que l'absorption de la terre dans un délai encore inconnu de nous, mais qui ne peut aller· au delà de quatre à cinq ans.

Que la terre soit pierreuse, marécageuse ou blanche, peu im-

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LB BLOC CEI'TR&L 67

porte ! La Uba y pousse avec facilité. Si les terres sont bonnes, hien arrosées, elle atteint plus de 30 tonnes par acre, ou 90 lonnes par carreau. C'est merveilleux, si l"on veut envisager la queslion au point de vue du rendement immédiat. Mais, par une observation de chaque année, une grosse question semble donner de l'inquiétude aux planteurs.

Il est reconnu que la force de production de la Uba - déjà inquiétante - diminue successivement après la deuxième, la lroisième récolte. Qu'en sera t-il après la quatrième repro­duction ~

La grande question est là, avec toutes les craintes qu'elle comporte.

1• Est-ce l'a'bsorption de la terre par les grandes quantités pro­duite~ ~ Uans ce cas, meilleure est la terre, plus grande doit être son appauvrissement par le grand travail auquel elle est sujelle.

2• Celte décroissance est-elle une des caractéristiques de l'es­pèce~

3• Que les récoltes soient abondantes ou non, il est observé que partout la canne diminue proportionnellement au nombre d'anuéell qu'elle a en terre.

4• Ap1·èl! 4 ou 5 années la replantatiou sera-t-elle obliga­toire ~

5" Faudra-t-il laisser la terre en repos pendant une année~ Dans ces cas, et au point de vue écortomique. quels seront les

résullats comme compensation entre les rendements pendant quatre au11. et les frais .considérables nécessité1t par les replan­tations périodiques, augmentés du non travail des terres pen­dant un temps plus ou moins long selon la qualité des terres.

Les cas sont Jiéjà prévus par la Hasco, qui n'avait pas eu lïmp1·udence de planter toutes ses terres en Uba ; mais seule­meut là où les terres sont mauvaises et sont mal arrosées. La canne japonaise est considérée par llasco comme supplément, el non pa• comme la base de ses cultures. ·

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·-68 DAIIS LEB CA.IlPAGNES D'HAITI

C'est pourquoi, partout où elle peut remplacer la Uba par d'autres cannes telles que la ILB.C., cette Compagnie s'empresse de le faire.

Puisque nous sommes en plein champ, au milieu des cannes, sans nu arbre pour nous abriter. nons de\'Ons vous demander de patientet· un pen. C'est que le soleil n'est pas doux comme la canne. Gagnons l'all~e de bordnre et abl'itous-nous sous l'ombre avare d'un bayarhonne pour bavarder un peu.

Plusieurs espèces de ce roseau ont été introduites dans le pays par le Haytian Sugar Co. (Hasco). saus résultats positifs. La seule canne qui. déjà, a donné sati~faclion et promet pour l'avenir, est celle qui port~'\ pour la Compagnie, comme nom, les initiales de M. R. B. Childs. vice président de la Sugar Co.

La R. B. C. actnelle. est la 11 Mme Candelon »parce que ·.celle canne fnt importée de la Jamaïqne par Mme Candelon­

Rigaud et plantée à la Serre, d'où elle s'est répandue dans d'autres centres de culture.

C'est par la R. B. C .. qni est d'une culture facile, quoique d'une grosseur normale. que la Uba sera remplacée. Sa moyeune est de :~0 tonnes à l'acre, on 90 à 100 an cam~au.

La cristalline, dbjà es!layée, ponr laquelle il faut beaucoup moins d'eau, la R. Il. C., et d'antres espèces nouvellement im­portées sont bonnes. Mais la vraie canne d<· rendement HÛr eu saccharine, est la vieiHe canne d'Haïti. Ou peut également comp­ter sur la canne de Java nouvellement introduite dans le pays.

Par la négligence coupable de nos plauteurs, l'espèce dite. ·canne d'Haïti était pre~qne perdue pas la maladie, puisque au­. cuu effort n'avait été fait dans le sens de la sélection pour re­nouveler les forces de cette canne.

Des boutures étaient prises dans des champs vieux de 10, de t5, de iO ans. En conséquence, les reproductions étaieut de ·plus en plus chétive~. au point que la Hasco. qui employait la

·charrue, la plantation méthodique, scientifique, l'arrosag~

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LB BLOC CENTRAL

.·ltoruiant. ne pouvait obtenir de cette canne qu'un faible rcn-· o!o·rnrnt de 45 tonnes par carreau. Par la sélection de l'espèce, lo·s boutures étant pl'Ïses actuellement dans des champs spé-' ';u1x. !"espoir est venu de détruire la maladie, dont la bonne· .·anne d'Haïti est atteinte.

Cette maladie est le tl Moisac » ou u Mosaïque. » Le nom· 'icnt des nuances variées qu'elle doone à la canne. Les meil­lrurs chimistes consultés -même ceux de l'Institut Pasteur­ote soot pas d'accord sm· la nature du mal. Les uns prétenclent •tue c'est un acide pénétrant, el donnent comme preuve, les . laches rouges (on vin) qui sout daus la canne atteinte. D'autres préteudent que cette poudre noire qui recouvre la canne est raite de mici'Obe!:l tellement pelits, qu'aucun instrument ne peut en déterminer le_genre. Cette seconde opinion vient d'un. méla11ge de cette pond re dans un bouillon de culture avec les microbes de Janin. Ces derniers ont été détruits par leur con­tact avec la pouclt·c de ca une. Les études sont poussées pins avant dans le sens d'une solution définitive.

Tous les vieux planteurs. tons ceux qui ont plus de vingt années dans la canière, résidant dans I'One~t. le Nord ou le· Sud, ont trouvé exagéré ce chilfre cie 80 000 carreaux elon né par notre iritimc ami M. Chal"les Vorbe, comme terres plan­tées en canne à suct·e dans toute la république. D'après les estimations les plus autorisées, ce chiffre ne peut dépasser 40.000 ca neaux.

Il comprend les superficie en pleine culture du Cul-de-Sac, de Léoga~1e, Arcahaie, Jér~rnie, CayPs, Cap, A.rtibonite, le&. hauts plateaux de Hinche et de l.a:;cahobas.

Cette appréciation, qui semble être au-dessus de la vérité,

peu~ être détaillée comme suit: Les trois plus g1·andes plantations du Cul-de-Sac et de tout

le pays, sont celles de Ilaytian Sngar Co., des Auguste, des Lespinasse. Ces trois plantations réunies ne représentent pas-9.000 carreaux de terre plantés.

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70 DA.NS LES CAMPAGNES D'HAJTI

En mettant 5.000 autres carreaux pour les grandes, petites ou moyennes plantations de Port-an-Prince, Léogane et l'Ar· cahaie, il ressort, que l'Ouest, qui est le centre le plus impor­tant de la culture de la canne, atteint difficilement 16.000 car­reaux. Pour les Cayes, nous voulons être indulgent en por­tant 5.000.

LE CAP ou l'LAINE DU NORD.

JÉRÉMI.I!.

ARTIIIONITE ••

5.000

500 500

Tout le reste du pays (culture à l'Etat de 5 tonnes l'acre) iO.OOO.

La canne cotJVenablement plantée doit donner une moyenne de 30 tonnes à l'acre. Résultats obtenus à Barahona et à Cuba.

Il est difficile d'apprécier un champ de canne avec les yeux.

La vue de l'ensemble porte à l'exagération. Par exemple, restez à Pétion-Ville, et ''oyez ces beaux champs qui s'étendent au loin dans la plaine. Il semble que tout y est unifié, que tout·. y est prospère. C'est en les parcourant, comme nous venons de le faire. que l'on peut se rendre compte des grands vides. qui s'y trouvent par les mauvaises terres, la rareté de l'eau, et d'autres éléments nuisibles à la croissance générale desjardins .

• .. . Le soleil décline. RPprenons notre marche à travers champs. Le mouvE.'rnent qui existe achJellement dans ce grand bloc

N• 1 donne une idée de l'activité qui s'y déployait du temps dE.' 1~ colonie. Ce centre est facilité par la bonté du sol, où ne se trouvent ni pierres, ni terres blanches ou tuffeau, pas plus que les marécages ou terrains de sources. Pas de monticules gênant l'arro~<age, qui est plus facile que partout ailleurs par la régu­larité des eaux, et leur abondance en raison du voisinage du

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LB BLOC CBI'ITR&.L 71

l~assio Général et de la Rivière permeltant l'établissement des u surabondances. ,,

Par·tout où nous passerons sur ces vasles terres, vous y verrez des ruines encore solides; des fondations de somptueuses rési­dences, des tourelles à égouttement de sucre, des acqueducs de 20 pieds d'élévation. dont les cintres permettent encore la circulation des cabrouets char·gés de cannes. Ces aqueduc11 ser­vaient à l'alimentation des grands moulins à eau tel que ceux de Frères, de Roche-Blanche, etc.'

On peut voir à l\ocheblanche, les traces du village des es­claves. Les ruines de Digneron sont imposantes. Cette habi­tation fait penser aux grands efforts de !\t. Eug. Nau, agrc:mome breveté de l'Ecole d'Agriculture de France, pour y introduire des cultures variées : ses eflorts de plus de vingt ans, durèrent jusque vers 1889. M. Nau a laissé beaucoup de notes sur le Cul-de-Sac. Ce travail utile a disparu d'après ce que nous a dit un membre de sa famille.

Moreau de Saint-Méry. et la tradition elle-même, rapportent que la fortune la plus considérable de Saint Domingue était celle de M. de ·Caradeux. Son siège principal était à cc Cara­denx ,, ; mais sa puissance s'étendait sur tout le rayon central de la plaine, où il était pr·opriétaire.

Il eut pour gendre: MM. de Fleuriau, de Ch&leaublond, de Rocheblanche, à qui il donna en dot les grands domaines qui por·tent leurs noms.

Caradeux fut méchant. Sa cruauté envers ses esclaves est proverbiale. Il les faisait déchirer par des dogues qu'il dressait dans ce but inhumain, quand il ne faisait pas passer ces pauvres gens au supplice des verges jusqu'à la mort.

ludépendammeot de t<On grand r&le dans la plaine, M. de Caradeux avait une influence considérable dans les affaires publiques. Son préjugé inflexible, non seulement contre les

·nègres esclaves, mais contre tout individu de sang mêlé, avait fait de lui le principal adversaire des droits réclamés par les

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72 D.\NS LES CAMPAGNES D'liAIT(

affranchis. Il avait à sa solde la classe des petits blancs qu'il employait aux plus tristes besognes: assassinat, pillage, per­sécution. Praloto, le fameux Pralolo, capitaine dans la milice de Port-au-Prince, était le principal ouvrier de ses œuvres.

On voit encore sur l'habitation Caradeux la plate forme de la tourelle d'où, toute la journée, une sentinelle surveillait le travail des esclaves dans les champs. La moindre lassitude, le moindre repos, étaient signalés el immédiatement redressés à coups de fouet.

Le cruel Caradeux n'est pas mort à Saint-Dominguc. Au mo­ment de la grande revanche, il s'était r·éfugié dans le Sud de Cuba, où l'on a gardé certains souvenirs du monstre.

Châteaublond a été le théâtre des nobles efforts d'un haïtien de grande valeur, qui a dépensé pendant trente années. son in-· telligence, son activité, secondées par son désir· d'introdn ire des changements Jans l'industrie à l'état rudimentaire du pa .vs.

Imitant l'exemple donné par M. B. Prophète à O'Gorman, M. Tancrède Auguste installa à Châteaublond, une usine su­crière qui eut son époque de prospét·ité. Tous les beaux et grands domaines qui formaient autrefois l'apanage du cruel Caradeux passèrent sous son administration.

L'usine do Châteaublond, comme celle de O'Gonnan avait adopté le système des turbines, des évaporateurs, des clariûca­teurs, pour la fabrication du sucre amené à rétat de sucre blanc.

(Arrivé à O'Gorrnan; nous donnerons ce procédé de fabr-ica­tion, puisque, en toute conscience led roit d'aînesse appartient à cette usine, plus vieille que celle de Château blond).

Dumomay. aujourd'hui en pleine culture de canne, a été le théâtre des grands effol'ls de ~!. Louis Clouchet. nn français très sympathique, trrs aimé, qui y avait fait une grande plan ta ti on de tabac. Clouchet est mort t>.n Haïti, après un séjour de pins de trente ans dans le pays. Il y a laissé une intéressante famille.

L'habitation Noailles, autrefois propriété du comte de Noail­les, a passé successivement à plusieurs maîtres. Elle esl anjour-

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LB BLOC CBftTR.lL 73

.!"hui divisée en deux lots de .t.O carreaux chacun. Un lot ap­p:.rticmt à M. Georges Lacombe, et l'autre aux héritiers Ah­rends, qui ont affermé leur part à la Hasco.

Georges Lacombe. très actif au travail. conduit très bien son petit domaine. Il vient d'y établir une bonne distillerie.

La Hasco a essayé de rétablir à Noailles le système des de­moitiés, annulé par elle sur ses autrt-s domaines. Nous avons personnellement constaté que le résultat est négatif. Malgré la bonne terre, et la forte quantité d'eau qui arrose Noa.illes, les •le-moitiés ont donné en 19'!5-1926, une moyenne de 25 tonnes de cannes par carreau, alors que les plus mauvaises planta­tions de la Compagnie en donnent 45 par carreau.

Tapage est ur1 des jolis petits coins de la plaine. Proche de· la riviP.re. tout y est frais et vert ; tout inyite à y séjolll'ner. Le nom de Tapage, doit venir du bruit qnc fait l'eau sur les galets, ou du vrai tapage que font les lessiveuses par lenr rire. en ra­contant leurs amour·s. Je m'y suis souvent arrêté- à aucune fin, croyez moi s'il vous plalt - que pour écouter ces histoi­res d'amour.

• ••

En t79t, les combattants de Pernier avaient passé par Trois­Rigoles, comme nous venons de le faire. Ils avaient gagné les. hauteurs de Palmiste .Clair, où nous irons bientôt .

• • •

Lafenonay : Ce bien apparltent aux héritiers Bien-aimé Ri­vière. Le domaine est de t50 carreaux, cultivés par Hasco. de­puis près de dix ans, par contrat à participation. Après beau­coup d'efforts, les cultures de Laferronay semblent douner sa­tisfaction.

' Rien de particulier aux terres de Laferronay ne doit arrêter

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DA!'fS LES CAMPAGNES o'H.UTI

l'attention. Comme dans tout le secteur, le sol est bon ; les champs sont bien tenus et bien arrosés. L'ancienne cour des ateliers est semée de vestiges prouvant l'ancienne prospérité de l'endroit; vieille tour, vieux murs, anciens ponts en maçonne­rie larges et solide,:;; encore du luxe dans la vétusté des vieil­les choses qui fot·ment l'ensemble des ruines.

Urte particularité digne d'attention existe dans la grande et confortable maison qui sert de résidence au représentant de la .: Hasco dans le district de Laferronay.

Si c'est le soir que l'on arrive pour la première fois dans. cette maison, un grondement souterrain, venant des fondations de la demeure, éveille la curiosité. La nuit, le bruit est plus fort. Parfois, on a l'illusion d'être à bord d'un grand steamer, dont l'hélice remue l'eau de la mer.

Le lendemain, votre hôte, qui s'était tu sur l'effet, vous con­duira voir la cause.

Dans la CO\Jr tenant à la maison, en amont de celle-ci, est ·; :une grande cascade pwduite par les fortes eaux d'un aqueduc qui. autrefois, alimentait un grand moulin. Sans qu'on ait dé­tourné les eaux, la maison a été construite sm· la fosse elu mou­lin profonde de -10 pieds, et sur le canal de transmi8sion qui sort du bâtiment en aval de celui-ci Ce sont les eaux qui vont au dehors, et qui roulent avec force sous le parquet de la mai­son. qui donnent les illusions décrites plus haut.

Cette demeure originale a la vertu de toujours posséder des hôtes charmants. A part, M. Emile Woolley, qui l'habite de-· puis trois ans, nous y avons connu M. llimmel, prédécesseur de Woolley dans les mêmes fonctions. Parlant couramment le français, quoique né aux Etat-Unis où il avait constamment , vécu .. \1. Himmel était aimé et respecté dans le Cul·cle·Sac. Ayant trouvé un avancement à Baharona, il s'y était rendu. Peu dP. temps après il fut assassiné, étant assis à son bureau.

Aujourd'hui, c'est Emile Woolley qui m'offre l'hospitalité,-. ~ua nd les hasards de mon service me conduisent à Lafenonay.

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LB BLOC CBNTI\AL 75

Quelle joie d'être en si bonne compagnie pendant deux ou trois jours.

Quoique Emile soit de mon âge; q!!e sa moustache, très four­nie. soit restée naturellement nohe. alors que la mienne a pré­maturément blanchi, nous f~mes cependant des amis d'en­fance, alors que sa famille et la mienne habitaient l'ancien quartier du Bois·de-Chêne. où il n'y avait que quatre maisons depuis le pont Saint-Géraud jusqu'à l'église du Sacré-Cœur. Lui et moi, ses frères et mora frère Ernest, nous étions les seuls ga­mins de ce quartier alors éloigné de la ville.

Woolley a beaucoup voyagé comme moi. Nous avions rem­pli nos carrières loin l'un de l'autre.quand.après trente ans de séparation, nous fûmes tous deux parmi les trois premiers haïtiens appelés à donner leur collaboration à la fondation de Haytian american Sngar Co. Lui. dans les grandes cultures, moi, dans la branche administrative.

Donc, depuis onze ans, nous nous rencontrons souvent. Quand je suis à sa table à Laferronay, le soir, après les rudes travaux de la journée, nous causons du passé, et du présent. A propos du présent, et de no11 onze années de services, il m'a dit dernièrement: tl Es-tu sœur A.nne 't ,, A. mon grand regret, j'ai d'Il lui répondre : <<Oui, comme toi, je suis sœur Anne. » Nous nous sommes compris en nous prodiguant mutuellement des consolations.

M. Rmile Woolley est un expert en agronomie. Il fut pen­dant longtemps directeur de la grande et importante ferme de Bayeux, dans le Nord.

Ap1·ès avoir procédé à l'installation et à la culture des princi­paux champs de la Sugar Co .• il est fixé à Laferronay depuis trois ans, comme chef du district de Laferronay de Borgella, de Canière, de Noailles, el des vasles terres de Peyrac.

M. Woolley ne s'est pas seulement spécialisé dans la culture de la canne.

A Bayeux, où il a passé neuf ans, où la culture tropicale était

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DAftS LES CAMPA.GIIBS D'HAITI

pratiquée, il s'occupait surtout de la culture du cacao ; de la greffe du cacao ; et de toutes les autres sortes de greffes qui pouvaient améliorer les autres plantes du pays. Il s'était spécialisé surtout dans la culture du caoutchouc, et dans la pré­paration de la gomme coagulée de celte plante. Egalement dans la plantation du camphre, du poivre, de la canelle, la muscade, etc.

Ne trouvant pas un champ suffisant au développement de ses connaissances, il s'est adonné à la culture de la canne.

Toul dernièrement, on a eu l'occasion d'apprécier les légu• mes cultivés par M. Woolley. Leur beauté peut supporter la concunence avec les produits de la Californie. La beauté de ses tomates, par exemple, a fait la joie des amateurs.

Les tet'res qui complètent le Bloc no 1, depuis la Croix-des­Bouquets à l'ouest, jusqu'au cancfour de Pierroux à l'est sont: Cotard, la fermè Blanchard. Dicudon, Pierroux. Célicourt et Danis sont des petites terres situées entre Dumée el Jonc.

Morcelés par lots de deux, de 5 à tO carreaux. ces lots sont plantés de canne, de patates, maïs, échalolles, etc.

Ou y voit de nombz·eux petits moulins à traction animale et des petites guildives de peu d'importance. La canne pousse assez bien da us ce quartier ; mais. nulle part, le petit paysan ne se décide à remuer la terre avec la charrue, alors qu'il c:;t té­moin des résultats profitables là où le travail par la charrue a préparé la terre. ,

Aussi, il est facile en passant dans les champs, de distinguer· les cannes méthodiquemen 1 plantées et recevant des soins cons­tants, de celles qni sont livrées à elles-mêmes depuis leur mise en terre. jusqu'à leur récolte. Leur arrosage -même là où il y a de l'eau - est fait avec paresse et négligence. Souvent, l'eau destiuée à un petit champ va dans le chemin, sans la présence de quiconque dans le champ, pour rectifier le courant.

Un nouvel embranchement de la ligne ferrée de la Sugar, part du Carrefour de Pierl'Oux-Dumée, pour aboutir à Peyrac.

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LE BLOC CBIITRA.L 77

Nous avons fini avec le grand bloc n° t qQi a été visité- au­iant que possible- dans ses moindres détails.

Passons maintenant au Bloc II. - Les chevaux étant fati­:.;ués, nous stationnerons au Bassin Joly, où nous complèterons 110:> renseignements sur l'irrigation.

Avant de quitter ce bloc n° t, nous devons produire quelques nbservations au sujet de l'administration de 1\L Brignac, qui ')ccupe da us ce centre parcouru, un rôle de grande importance par sa direction sur 950 carreaux de terre.

D'une corpulence massive, M. Brignac est d'une intelligence déliée qui lui a permis de s'assimiler au milieu où il exerce son autorité. Blanc pur sang, américain de naissance et de na­tionalité, il descend de parents français.

Il pal'le le créole peut-être mieux que beaucoup d'haniens. L'alfcction des paysans pour Brignac est proverbiale. Nous avons personnellement vu des travailleurs, sortant du bas de Jacmel, traverser l'arrondissement de Port-au-Prince, pqur s'employer sous ses ordres.

Son prix: n'est pas plus élevé ; il ne fait la concurrence à au­cun des antres groupes. Sou travail marche à son entière sa­tisfaction, sans protestation ni d'un côté ni de l'autre.

Cc résultat est obtenu par l'attention que lui et son auxi­liaire haïtien, M. Lambert, mettent à faire marcher le vaste service de toutes les habitations sans aucune exploitation des travailleurs parleschefs de service. La justice est une· pour tous ; la sollicitude pour tous ; pas de brutalité, pas de mé­pris.

Qnand Brignac et Lambert commandent, ils sont obéis, puce que les hommes savent qu'ils seront apréciés el payés selon le mérite de chacun.

Voilà ce que nous avons appris des travailleurs eux.m~mes, qui épronvent du plaisir à rendre hommage à M. Brignac :

<< Brzgnac ce négre, disent-ils. ))

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CHAPITHE IX

BLOC II

La formation du bloc II comprend ; Jonc, Turbé, Lamothe, Jacquet, Joly, Lan•ardelle, Le Hoy, Daugé.

Lagijonderie, Joue par corruption, est une des dernières propriétés placées sur la ligue t<:st du Cul-de-Sac. Un peu après•; c'est la montagne. Ce dornaiue a été acheté des héritiers de Mme Vve Anselme Prophète par M. Louis de Pescaye.

Jonc est d'une conteuance de aoo carreaux, dout 60 sont convenablement arro~és. L'intention de notre ami Pes­cay., est de garder pour lui-111ème les terres arrosées et de mor­celer le reste situé dans la plaine ou dans la montngne.

La propriété est bien plantée ; elle peut suffire eu grande partie à l'alimentation du moulin à vapeur qui s'y ti"Ouve. Elle, est arrosée par le bassin Jaly qui reçoit les eaux de la rivière Blanche.

Marceau. Turbé, Lamothe, Jacquet, etc ... sont de bonnes ter­res, passablement anosées où aucune grande cuiLure n'est. raite ; la division de ces terres s'y oppose. Il y a dans tout ce rayon desjardins de cannes, des banaueries, beaucoup de pe­tites guildives, et des moulins à tractiou animale. des grou­pements de maisons couvertes en chaume où vivent des popu­lations de commerçants ambulants, d'éleveurs, de planteurs,: de spéculateurs en de mées, etc., etc.

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BLOC Il 19

Lamardelle est un excellent centre, où les cannes viennent bien. La propriété placée à la tate de la ri-wière Blanche est abondamment arrosée. Plus au centre, ce serait un domaine de grande importance. Mme Norruil Sambour en est la pro­prietaire. Il fut la propriété de M. de Lamardelle, Procureur général à Port-an-Prince. l\1. de Lamardelle dut s'enruir en F1ance en t 790. après la suppression du Conseil Supérieur ou Cours de Justice du Cap. Il dut fuir l'irritation des colons du Nord.

En tournant Je dos à Lamardelle, on passe à Joly, jolie petite propriété de 30 carreaux. qui porte bien son nom.

L(~ Bassin de distributiou, appelé Bassin Joly mérite que nota; JIOUs y arrêtions ut1 moment. Si le système de l'arrosage de la plaine, tel que nous l'avons p·résenté an grand Bassin Général, vons a intéressé, c'est ici que nous complèterons nos renseignements. Par eux, vous saurez qu'elle est l'importance que les cultivateurs attachent à l'arrosage des terres; quel est le01· marty.re quand les pouvoirs publics ne daignent pas s'en occuper.

Lne nuit sans eau- qnand toute une section en est privée­est un événement important, pouvant entr:liner de graves inci­dents en tm les planteurs en amont de la rivière qui détournent les eaux à leur profit, et ceux en aval, dont la ruine est certaiue si nne action énergique de leur part, n'arrête le délit de vol d'ea11.

li:; sont armés, ces payl\ans. quand ils partent de chez PuX,

allant reprendre leurs droits, sans l'aide de l'autorité locale, qui s'y mm1trc indifférente quand elle ne donne pas le mauvais exemple en mettant son pouvoir à voler l'eau elle-même.

Il y a moins de deux ans, le Bassin Joly, où se fait le partag-e des eaux de la Rivière Blanche, a été convenablement réparé. Les portes du bassin sont aujmu·d'luii rétablies ; la canalisation a été améliorée; un partage plus équitable des eaux est ·actuel­lement pratiqué là où pendant vingt·cinq ans le désordre le plus épouvantable régnait en maitre.

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80 DAMS LES C.oUlPAGI'ES D'HA.ITI

Par suite de la nouvelle réglementation, les eaux ont aug­menté ; elles arrivent en assez bonne quantité sur les habita­tions les plus éloignées du Bassin, où auparavant il n'y avait pas de quoi désaltérer les poules même de ces habitatioris.

Puisque nous remontons vers le passé, j'en appelle à votre patience si vous désirez connailre toutes les parties qui forment l'histoire générale de cette plaine. Et si vous pensez qu'il y a de la passiou dans mes récits, vous pourrez, dans les courses que nous allons faire, invoquer le témoignage de chaqu~ ha­bilant que vous rencontrerez s1.1r votre chemin.

L'affaire du c1 Bassin Joly » a plus d'importance qu'on ne peut le croire. Elle a été la cause de la ruine totale de plus de 2000 (deux mille) carreaux de terre situés en terrain plat, sans exception dans le lot, elles sont toutes de la terre arable. riche · et cultivable.

De 1910 à t.920, si grande était l'exaspération causée par là . misère des lieux, depuis Turbé, Vaudreuil, La Serre, que, san$ ·0:

cesse. des pétitions étaient adressées aux Pouvoirs Publics. Tous les efforts des propriétaires du bas de la plaine étaient systé- .. matiquernent contrariés par les personnages qui avaient intt>r·êt; à ne pas voir l'Etat reprendre en mains la répartition équitable:: des eaux de la Rivière Blanche. l'ersonncllemeut, je fus chargé_:: par plus de trente petits et grands propriétaires d'exposl·r leur cas de plus en plus désespéré. Je m'adressai donc au Ministre· des travaux publics ...

A ces mots :Ministre, et h·avaux publics, vous semblez vous impatienter. vous surtout, Mesdames. J<:ncore un peu d'efforts sur vous même pour entendre des vérités, parce que vous ne devez pas rentrer à Port-au-Prince avec la conviction que· tout est facile dans la profession de cultivateur.

J'eus donc à exposer au Ministre ce qui suit : ·' - « Les luttes auxquelles se livrent depuis plus de vingt an/1

nées les planteurs de canne au sujet de la distribution des eaux':· de la H.ivière Blanche, viennent de recommencer, avec plus

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BLOC Il St

d'intensité encàre, si c'était possible, depuis que la forte séche­resse étend ses ravages sur la partie basse de la plaine.

u Les victimes d'autrefois, qui sont celles d'hier, seront les mêmes demain, si les Pouvoirs Publics ne prennent pas la ferme résolution d'être justes énvers tous ceux, qui, au même Litre, ont un droit d'arrosage sur la dite Rivière Blanche. Cette question d'eau, ayant été l'objet de toutes les plaintes, de toutes les prières, de toutes les réclamations, de la part de ceux dont les intérêts sont lésés depuis de nombreuses années, vous ne devez pas ignorer, je pense, Monsieur le Ministre, combien une plus longue hésitation du côté de l'Etat, peut conduire à la ruine totale, toutes ces belles terres qui s'étendent depuis le bas O'Gorman jusqu'à la '' Serre 11: La réfection du Bassin Joly, ou la créa,tion des portes dans les bassins intermédiaires, une distribution équitable des eaux de la riviè•·e entre les habita­tions qui y onl droit, constituent à l'heure actuelle, une néces­sité absolue. qui s'impose plus que jamais. C'est dans l'attente la plus justifiée, que les propriétaires osent compter, une fois de plus, sur une prompte solntion de cette question d'eau. Si, par le plus grand des malheurs, ce résultat était de nouve.au retardé, ce serait alors la l'lline inéluctable, contre laqueliP. il n'y aurait plus de luttes possibles Les canx de la Rivière Blanche doivent servir à l'alimentation des habitations suivantes : La Mardelle, o·Gorman, Peyrac, Juan, Boè11e, La Tremblay. Vau­dreuil, Lépine, la <1 Serre 11, plus deux ou trois petites terres dont j'oublie les noms. Autrefois, toutes ces propriétés étaient pourvues d'eau d'une façon suffisante pour leurs cultures. Toute la région était florissante : les plus fortes sucreriP-s se trouvaient àVaudreuil et à la Serre. Aujourd'hui, ces habita­tions sont ruinées, leurs champs de canne, faute d'eau, n·exis­tent plus.

11 Cependant, il est reconnu que la ltiviè•·e Blanche, peut répoudre aux exigences des cultures sur tontes les propric'•tés plus haut citées. La cause du mal provient des abus qui se re-

I'ROHBJ.uoas D.\IIS LIB CAIII'AGIIBB D'H&ITI 6,

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82 DANS LES CAMPAGNES o'UAiTI

nouvellent perpétuellement vers le haut de la plaine; où de fortes surabondances ont été ouvertes en amont du Bassin Joly. Je cite Le Roy, qui n'a aucun droit sur la Rivière Blanche ; Bauger, dont la porte du bassin est de douze pouces. et qui, à elle seule, absorbe plus d'eau que toutes les terres du bas de la plaine. Depuis dix ans. ies propriétaires de Peyrac, Boène, la Tremblay, Vaudreuil et la Serre. n'ont cessé de réclamer contre ces abus. Au fait, rien n'a été entrepris pour soulager la misère de cette intéressante région. Il est à remarquer que le côté injuste de cet abancfon, c'est que, entre temps. toutes les ;;atisfactions ont été accordées a11x habitations relevant du Bassin Général; toute la sollicitude de 1 Etat a été vers cette par­tic de la plaine. Ce n'est, certes, pas dommage ; mais, en fin de compte, pourquoi cet abandon des autres agriculteurs, qui ont droit aux même a ltentions.

11 Pour me résumer. je suis persuadé que si certains travaux étaient entrepris sur le cours de la di le Bivière Blanche, le par­tage des eaux pourrait s'y effectuer équitablement, et, bientôt, la prospérité renaîtrait dans celle malheureuse région comme par le passé. 11

Pour toute consolation, le Ministre me répondit par une fin de non recevoir dont ma mémoire a conservé l'agréable tour­Imre. La voici dans toute sa grâce :

-cc Je vous autorise à dire que j'ai reconnu dans la récla­mation des Messieurs du Cul-de-Sac un caractère sérieux. Mal­gré !"urgence du cas. je leur donne le conseil de compter sur l'avenir. Pour le moment rien à faire.

11 Vous voyez., continua le Ministre. comment je réponds vite à tou tes ces choses qui absorberaient le Gouvernement s'il fal· lait s'en occuper: Un homme d'Etat cl oit être franc et bref dans ses réponseg eL ne pas stationner dans les profondeurs verba­les, où la sonorité oratoire donne lieu à des espérances v ai nes. »

Sur ce, je m'empressai de fuir eu disant au Ministre: tt Par-

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BLOC Il

don, sire ; l'avenir n·est pas à nous. Cependant je me réserve· de faire connattre votre réponse à la postérité. >>

Ma foi, n'était-ce pas le Secrétaire d'Etal qui avait raison en. parlant de l'avenir, puisque c'est vingt ans plus tard que les-­planteurs obtinrent satisfaction, après que leur ruine avait été complète.

La distribution des eaux de la Rivière Blanche se fait par le· Bassin Joly et les bassins intermédiaires comme je vous l'ai. expliqué pour le Bassin Général. C'est le même règlement pour les deux rivières.

Les renseignements suivants sur les débits de la Rivière Blan­che et du Canal de Dumaée vieunent du Bulletin Hydrographi­que de la Direction Générale des Travaux Publics :

RIVIÈRE BLANCHE A LA GORGE

Règle verticale de jauge scellée au rocher-sur la rive gauche­de la rivière jusqu'au Ujuillet '19~3. date de l'achèvement du contrôle artificiel en béton et de l'installation de la nouvelle· jauge en amont du contrôle. Un enregistreur automatique a été· installé le 15 mars t924.; depuis il est fait usage des nouvelles données ;

Débits extrêmes : Hauteurs de jauge el débits extrêmes rap-portés pour l'année 1923- i 6:!4- :

Maximum t.-!6 le :-1 octobre t92i (débit 41 M. C. P. S.). Minimum 215 le 3 octobre t9:U (débit 74.0 M. C. P. S.). Débits extrêmes : Hauteurs de jauge et débits extrêmes pour

l'anuée 1~26 sont:

Maximum2 m. t3 hauteurle7 sept. t926 (Débit tOO M. C. P. S.). Minimum 0 m. :H5 huuteur, 20 mai 1926 (Débit 0.98--­

M. C. P. S.).

ce~ deux tableaux font ressortir les bons effets obtenus dans. les clébits de 19~6 sur tiU3 par les sérieuses réparations effec--­tuées au Bassi~ Joly.

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DANS LBS CA.MPA.Gl'IBS D'BA.ITI

La loi de t 9t3 sur l'irrigation est abusive, injuste, en ce sens que celui qui possédait 60 carreaux de terre et qui ne recevait de l'eau que pour 30 carreaux, s'était trouvé dans l'obligation de baser son travail sur 30 carreau:~: seulement, et de vendre la différence sans aucun droit d'eau.

La loi de t 913 ordonne ceci : « le droit d'eau des 30 carreaux réservés n'est pas spécial à ce lot ; il sera partagé entre les 60 carreaux. » Mais, comme les 30 carreaux divisés par lots de l, ~. 3, .f., doivent être arrosés en ne payant aucune taxe, c'est le grand lot de 30. qui seul, paiera la dime ; par conséquent c'flst ce lot qui contribuera à l'entretien, à la réparation, à la garde du canal alimentant les 60 carreaux.

C'est une obligation forcée appelée à détruire les intérêts de la culture relativement importante, partout où une industrie a été jointe à cette culture.

BASSIN GF.NÉRAL

CANAL DE DUMAY

Maximum, année 1923-192.{., 2.00, 19 octobre (débit 230 M. C. P. S.).

Minimum le 2 juin (débit 3i0 l\1. C. P. S.). Maximum, année t 9:!6, t m. 225 hauteur dejauge(débit 5.83

M. C. P. S.). 1\-linimum: pas de courant. Par ces chiffres indiquant les débits des deux rivières on

peut se rendre compte de la proportion des terres arrosées par chacune d'elles :

Les 8000 carreaux de la Rivière Grise correspondent au dé­bit de cette rivière, qui est de 5.85.

Et les 2000 arrosés par la Rivière Blanche proportionnée à son débit qui est de 1.

Ce canal que vous voyez au flanc de ce monticule placé à l'Est, est le canal de Le Roy qui n arroser Beaugé.

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BLOC II 85

En principe cette prise d'eau n'aurait pas dû exister, parce que, à moins d'un droit établi avant la fondation d'un bassin génêr'~l de distribution, aucune prise ne peut être faite en amont du dit bassin comme cela l'a été pour Beaugé.

En allant plus à l'Est nous entrerons dans la commune de Gan thier où nous n'avons l'Ïen à faire. Aujourd'hui, envoyons simplement un souvenir à la mémoire du P. Caze qui passa trente et un ans à Gan thier, et nos bons souhaits à son succes­seur, le P. Le Moulee.

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CHAPIRRE X

BLOC III

. Le bloc Ill peut s'appeler le bloc o·Gorman, en ce sens que -.ce domaine est le plus connu, le mieux cultivé de la région, et que pendant près de trente années son rayonnement s'étendait

·sur toute la partie Nord-Est du Cul-de-Sac par l'industrie su­. crière dont elle était le siège.

Ce bloc Ill n'a de l'importance que par son étendue qui re­, présente plus de 2.500 carreaux de terre, dont peut être 500 .. sont dans un état de culture relativement satisfaisant.

De la Mar·delle à O'Gorman, nous passerons par des forêts ··de Bayonde, du Campêche, au milieu de buissons épais, où les habitants font l'élevage de troupeaux de cabris, où se trouvent de nombreux villages aux maisons en chaume. Nous allons

'traverser· de grandes étendues désertiques où il ne sera pas nécessaire de s'arrêter faute de pouvoir rencontrer un champ

·convenablement planté. C'est que nous entrons déjà dans la partie aride du Cul-de­

. Sac, où l'eau est rare, où les pluies sont moins fréquentes que . dans la zone qui s'étend du Bassin Général jusqu'à la mer.

Les ob:<ervations quotidiennement faites à Hasco au moyen dei5 pluviomètrt.S placés dans le Cul-de-Sac. permettent d'éta­blir la moyenne des pluies dans chaque zone. et de faire des

··corn pa raisons suggestives.

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BLOC III 87

Consultez ce petit tableau. Il vous permettra d'avoir une idée exacte du régime des pluies dans le Cul-de Sac. Il est basé sur les quantités de pluies accusées par le~ pluviomètres ·placés sur les deux points extrêmes de la plaine : Du mée et Cous tard.

Années Du MÉE Moyenne COUSTARD Moyenne

:19~0 ,, , HO 0/0 » )) St 0/0 t921 )) )) 1 tO 0/0 )) )) 65 0/0 t922 )) , t 10 ll/0 » )) 64 0/0 t923 )) » U5 0/0 )) )) 79 0/0 t92' )) )) H7 0/0 Il )) 73 0/0 f!J~5 )) li i30 0/0 Il » 84- 0/0 1926 )) )) t05 0/0 li )) 74 0/0

----MOYENNE GÉNÉRALE i 15 0/0 li )) 75 0/0

D'après nous, et à la snited'une étude personnelle des lieux, la cause de celte rareté des pl nies dans la partie Nord du Cul­de-Sac, vient de la situation de cette grande zone dans le cou~ raut d'air établi par le vide des étangs entre les deux monta­gnes Sud-Est et Nord-Est, dont le rapprochement dans le tond de la plaine, forme ce que l'on a appelé un Cul-de-Sac.

Ce couloir formé par le voisinage des deux montagnes, et de l'espace relativement étroit qui existe entre eux, est un passage pou1· les vents qui viennent des plaines de la partie de l'Est. De ce fait, la formation des nuages est difficile. Les nuages sont chassés vers le Sud où ihnenconlrent la chatne du morne l'Hôpital, depuis Pétion-Ville jusqu'à Gressier, se condensent et se précipitent en pluies, dont bénéficie la partie Sud .de la plaine, appelée la "Petite Plaine. ,

Plus de 10.000 carreaux de terre du Cul-de-Sac sont placés dans le rayon malheureux. depuis le bas de Gauthier, Marine­ville, Thomazeau, Drouillard Grande Plaine, Bouc en Brou, Bonrepos jusqu'aux sources puantes.

A part les petites eaux de la Rivière Blanche, suffisant à

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88 DaNS LBS CAMPAGNES o'HUTI

peine pour 2000 carreaux, et les ruisselets de Psalmiste Clair et de Despuzeau, aucune ressource en eau ne peut soulager la misère de nos lieux.

Nous avons aniicipé, en vous parlant de certains end mits, dont nous sommes encore éloignés. Nous y passerons bientôt, mais rapidement puisque nous y serons en plein bois .

• ••

Rentrons à O'Gorman, en passant au milieu des cannes de Descloches, qui ali mentaient l'usine sucrière avant la fermeture de cdle-ci. Cette usine travaillait également les cannes de Beaugé. de Haut-Boen, de Despuzeau, de Mme Benjamin, et même celles de Cotin.

La portion principale de O'Gorman qui a toujours été bien cultivée forme deux lots : O'Gorman Prophète, O'Gorrnan Du­vigneau. Celte propriété a beaucoup de ressources en eau, ce qui a toujours permis de bien maintenir ses cultures.

La célèbre habitation O'Gorman, pwpriété du grand colon de ce nom est complètement morcelée. Les deux portions principales sont celles de: Lys Du vigneau, 32 carreaux ; héri­riliers 13. Prophète seulement U carreaux ; Mme Georges Ca­zeau 30 carreaux.

La fermeture de l'usine de O'Gorman a donné lieu à l'instal­lation (sur toutt>s les petites terres qui vendaient leurs cannes à !"usine) de multiples petits moulins (à bêtes) pour la rabrica­tion du sirop. Ce sirop est vendu aux distillateurs d'alcool. ou aux revendeuses qui alimentent les marchés de la ville.

L'éloignemeut des grands centres, el la difficulté du trans­port de la canne ont nécessité ce dernier moyen.

L'usine fut fondée en 1885 par le général Brenor Prophète, qui, jusqu'à sa mort, a su conduire son industrie avec r,;uccès, à tel point qu'aucune concurrence n'avait pu arrêter la marche de ses travaux. Aujourd'hui l'usine O'Gorman est fermée.

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BLOC III 89

Est-ce provisoirement, définitivement, nous l'ignorons_ En tout cas, il est regrettable de voir disparaitre un élément de travail si important et qui fut essentiellement haïtien.

Le général Prophète a été le premier à introduire dans le Cul-de-Sac le raffinage de sucre à grain's turbinés. Son exemple fut avantageusement suivi à Châteaublond. par l'ancrède Auguste ; mais, c'est au général Prophète à qui revient le mé­rite d'avoir été le premier à lancer le pays dans une voie nou­velle.

Nous avons déjà vu comment les colons fabriquaient le sucre noir ou terré appelé cassonade. Comment Boirond-Canal obte­nait le sien qui était du sucre rouge. ~ous avons omis de ()arler d'un sucre blanc. mis eu pains par M. l~ugène Nau pendant son passage à Digneron. Son procédé est resté inconnu.

Anssi devrons-nous saluer chaque fois que nous pa.;serons devant ces établissements qui représentent l'effort courageux de deux Haïtiens.

Voici des détails sur le travail pratiqué à O'Gorman ct Clil­teaublond :

La canne passe au moulin pour être broyée. Ensuite dans le défécaletlr, -un appareil servant à faire remonter lPs Ïlllpu­retés à la surface de l'appareil, qui se présentent sous la for·me d'un gâteau de quatre pouces.

Dans le jus ajouter de la chaux-vive. Cette chan x: est cou trô­lée par· ln papier lottrnesul qui permet de reconnaître la quantité d'acide que contient le jus ·-et qni permet de donner la dose de chaux: pour annihiler l'acide

Ceci fait, on attend tm quart d'heure pour· laisser n~pos~>r le jus, el on ferme lava pern·.

A près cette opération, qui est d'une réelle valeur, ou ou v re le robinet de décharge, elon laisse couler lentement le jus clans l'appareil appelé évaporateur,

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90 DANS LES CAMPAGNES o'HAlTI

De là au clarificateur, qui se charge de récolter le reste d'im­pureté qui se trouve dans les premiers jus.

Alors on fait cuire dvec les deux serpentins à vapeur jusqu'à arriver à concurrence de vingt degrés de cuisson.

Ce même jus est débarqué dans un autre appareil ou réser­voir d'attente afin d'être expédié par une pompe dans un autre appareil appelé vacuum, pour la cuisson.

LE TRAVAIL DI FFI CI LE

Le vacuum est composé de trois pl'Ïncipaux serpentins. La première charge montée dans le vacuum doit recouvrir

le premier serpentin, qui lui-même entre en action, et se charge de faire l'évaporation, et resserre les jus pour arriver à la gra­nulation. ·

D'une deuxième charge prise avec précaution, le second ser­pentin doit travailler avec le serrage des jus. Du deuxième on arrive au troisième, d'où on commence à former les grains ou cristallisa ti on du jus.

Ces trois opérations permettent de remplir l'appareil jus­qu'au dessus de la dernière lunette qui représente la charge complète du vacuum.

Il se trouve adapté à l'appareil une baguette appelée seringue, qui permet de suivre la formation des cristaux jusqu'à cuisson complète.

Alors, dans ce cas, le cuiseur ferme ses clefsdevapeur, et se dispose à ouvrir la clef de culasse pour laisser tomber et re­cueillir le sucre qui se présP.nte sous forme de Moscarado.

Dans le vacuum se cristallise ce produit, qui est transvasé dans un nouvel appareil appelé « malaxeur. »

Le malaxeur broie les boules formées dans la cristallisation puis dans le centrefugal ou turbine, qui doit recevoir sa charge selon sa dimension.

La turbine mise en marche avec la vitesse de 2000 à

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BLOC III 9t

SOOO tours à la minute, dégage la mélasse qui adhère encore au grain, et qui passe par les toiles métalliques appelées ta­mis. En laissant sortir la mélasse, le sucre reste adhéré contre la chemise.

Alors on purge le tuyau de vapeur qui pénètre dans la tur­bine pour sécher le sucre .....

Puis ensuite on dépose le sucre dans un autre p;Jtit appareil où on le mélange, le soir surtout, avec de la fleur d'oranger, avant de dire << bonne nuit, à tout le monde. »

Vous pouvéz maintenant vous rendre compte de la différence qui existe entre les procédés d'autrefois et ceux d'aujourd'hui.

1

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CHAPITRE XI

BLOC IV

En laissant O"Gorman, où prospéra durant des années l'in­dustrie sucrière pendant la période haïtienne, nous entrons dans un centre représentant plus de 5000 (cinq mille carreaux de terre).

Il ne faut pas vous attendre à rencontrer dans cette vaste étendue quoique ce soit de l'ancienne colonie, ni rien de bien captivant résultant du travail sous notre ancienne adminbtra­tion indépendante.

Tout ce vaste quartier avait été condamné par Moreau de Saint-:\-féry comme inutilisable. Notre opinion personnelle sur ces lieux arides confirme le jngement de Moreau de Saint-Méry, qui fut l'auteur le mieux: renseigné sur les éléments qui ser­vaient de base à la pmspérité de Saint-Domingue.

En mettant Despuseau dans le bloc, nous ferons une excep­tion en sa faveur.

Propriété de 250 carreaux de bonne terre, elle est bien ar­rosée par les sources appelées << Sources Despuseau. »

Cette portion fut extraite de la grande habitation Beaugé par le l-'résident Pétion, et adjugée comme c)on national au Colonel Despuseau. Aujourd'hui ce sont les héritiers Despu­seau Daumec qui en sont toujours les propriétaires.

Il y a à Despuseau un bassin de distribution en pierres de

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BLOC IV 93

taille, datani de la Colonie, qui n'a jamais eu à subir une ré­paration importante.

Ce domaine est planté en cannes ; et sa partie basse touchant à Collin et Coustard, est tellement fertile, que les cannes y viennent sans arrosage.

Les terres de l'endroit appartenant à Mme Benjamin pré­sentent le!! mêmes avantages, contrairemen~ à celles de Cottin qui sont placées plus haut.

Collin est divisé èo deux portions : Bigio et Lilavois. Il a été essayé sur la première partie plusieurs cultures sans

grand succès : canne, coton. etc : La portion Lilavois est affermée par 1~ Hasco : les cultures

y sont difficiles comme dans l'autre portion. Tout ce terraiu est arrosé par la p'etite source de Palmiste Claire, qui ne don­ne pas un débit suffisant.

Rappelez-vous que c'est dans cet endroit retiré, Palmiste Clair, situé sur la route de Gauthier et de Fond Parisien que les combattants de Pernier s'étaient retirés en t79t.

Nons voilà à Coustard où nous rencontrerons la ligne de la P. C. S., se dirigeant vers Thomazeau.

Co!lstard possède 400 carreaux, dont seulement 150 ont pu être mis en canne par la Hasco depuis dix ans.

Les terres y sont blanches, peu arrosées. JI y pousse cepen­dant.une herbe excellente po.ur la nourriture des animaux. Cousta1·d peut entretenir trois cents à quah·e cents bœufs, qui y se l'Out à l'aise et bien nourris. C'est 1~ que la Hasco possède un plus grand nombre de bœufs, tous gras et forts.

Les vents du Nord sont épouvantables dans cet endroit,. où toute culture demande des soins spéciaux.

Aussi, voyez•vous venir~ nous un Monsieur sons un grand chapeau, dont les rebords sont agités par le vent jusqu'à lui masquer la fignre 'f C'est le grand chef du district .le plus dif­ficile de la compagnie : très êloigné de la ville, la vie y est exemplairement dure. Ce cavalier qui ressemble à un homme

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94 DA.t'IS LBS CA.MPAG!'IBS o'HUTI

des pampas, se nomme « Dumas Rigaud 11, Commandant de Coustard, Per, Merceron, et Cottin. Je vous le présente comme un exemple d'ordre et de discipline. Homme du monde, il se plaît cependant dans ces lieux perdus où le devoir le retient.

Mon cher cousin Rigaud n'a pas seulement aft"aire aux terres arides et aux vents desséchants ; il a encore sous sa direction ce fameux centre de Cottin, redoutable par cette terrible ma­ladie qui est la « boussarole. >>

La << boussarole 1> est une lèpre noire qui ne fait pas de plaie et ne ronge pas. Elle donne à la peau une épaisseur anor­male, et une couleur noire grisâtre, sans reflet, qui repousse. Chose curieuse, cette maladie est localisée à CoUin seulement et ne s'est jamais répandue ailleurs : les habitations les plus voisines de Cottin en sont préservées. LP. mal est guérissable, puisque plusieurs personnes atteintes en ont été guéries par le Dr Léon Andain. Quelle est !"origine de ce fléau ~ on l';.a•\ore. Pourquoi est-il localisé ~ on n'en sait rien.

Ce mal ne date pas d'hier, il a été de tous les temps. J'ai été propriétaire de Cottin, où j'ai travaillé, comme Du­

mas-Rigaud, comme Cassagnol, Lebon, Menaos, Les Lilavois,. et de nombreux employés qui n'étaient pas de la localité. Tous nous sommes partis de là sans avoir jamais eu aucun symp­tôme laissant des doutes sur notre santé qui fut toujours ex_ cellente.

Seuls les gens nés dans l'endroit sont susceptibles d'en être atteints.

Nous vous prions, Mesdames, de ne pas avoir peur de la « boussarole 11 quoique nous soyons à Collin. Je vous y amène, non pas pour vous faire voir une végétation luxuriante ; mais pour vous faire connaître l'endroit où était une cloche vieille de plus de deux cents ans appelée« la cloche qui transpire».

Depuis des temps très reculés, à chaque vendredi Saint -rien que ce j!lur-ll\ - une foule im meuse allait cons ta ter ce cas fort curieux que nous-mêmes nous avons vu. C'était une

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BLOC IV 95·

grosse et belle cloche portant le millésime de 1680, qui était dans une cahute où l"on donnait dix sous pour entrer. On voyait la cloche en transpiration abondante : des gouttes de sueur sor­laient de la cloche et descendaient jusqu'A terre.

Quand j'achetai Cottin, la cloc~e y était toujours, et chaque vendredi saint la transpiration revenait.

Voulant pénétrer ce mystère, qui, d'après moi, n'était qu'un truc employé pour faire de l'argent, j"interrogeai les princi­paux habitants de !"endroit. Tous me firent la même réponse : ((Nous ne savons rien; mais la cloche transpire,>. Voulant pous­ser plus loin mes investigations, je voulus déplacer la cloche. Ce jour là, ce fut une émeute ; j'eus contre moi plus de deux cents personnes venues de toutes les habitations voisines pour s'opposer à mon projet. Ces temps dèrniers, la cloche a disparu. Enlevée probablement la nuit pour orner une église de province nouvellement construite. Quant au fait - truc o~ non - il a existé. Je certifie l'avoir constaté.

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CHAPITRE XII

BLOC V

En laissant Collin, nous allons tomber en plein désert de Sahara, où aucune végétation n'existe : rien que des cactus et des bayahondcs rabo11gris sur plus de ~000 carreaux de terres blanches, sablonneuses et brûlées. Cela se nomme 11 Santo ; Grande Plaine. »

Il nous faut y passer cependant pour côtoyer l'étang et nous rend re il Thomazeau.

Le soleil y est chaud: mettez vos ·moùchoirs sous vos cha­peaux; enfoncez les chapeaux; consolidez-vous sur vos selles pour que le vent qui fait rage. dans l'endroit ne vous emporte pas comme des plume!!.

L'J<~tang ! Nous voilà au bord de l'Etang. Aujourdhui vous êtes libres, ô mesdames; de mouiller vos

petits pieds dans cette masse liquide, ·que vous désiriez tant voir de tout près. Vous pourriez même vous y baigner, :si parmi les messieu~s ne se trouvai.ent des jotir~Jali~tes, quf font fœu­vredu Temps, et qui ont l'œil malin du Matin .. Ces ,grands en­fants s'attachent trop à la forme des choses.:ils e'xagèreut sou­vent ce qu'ils ont vu. Pensez donc à leur 'Joie exubérante -après les courses dans la montagne- si vous exposieicl'autres gorges et d'au tres pitons à décrire 1... Un autre jour, nous re­viendrons au bain.

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LA IIUBA

ou Canne japonaise

USER
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remplasez
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BLOC Y 97

A propos de l'Etang, la nature avait perdu toute sagesse en mettant à cette place ces eaux saumâtres inutilisables alors que tout près•d:èlles, t5.000 carreaux de terre meurent de soif. Pas­sons vite à côté-de ces eaux. Eloignons-nous aussi rapidement que possible de ce grand réservoir, qui ne sert qu'à la joie des baigneurs.

• ••

En laissant le désert de cc Santo li nous passserons à cc Sire n, où il y a un peu plus·de végétation ; à Manneville, Marit>-Ga­lante, Du tille, Duval, J>ériigeau, Lagonderie, et vingt autres petites terres qui entour~nt les cc Eaux-Gaillées l> autrement ap­pelées cc Trou-Caïman. »

• • •

Thomazeau : Si nous sommes à Thomazeau. ce n'est pas à cause de la v·égétation qui s·y trouve. Ce district est aride, n'étant alimenté qué par quelq~es petites sources qui viennent de la montagne à la base de laquelle est si tué Tho mazeau.

Ce bourg est plutôt un centre de commerce. où se fait un mar­ché assez important de denrées d"~xportation te~Ie~ que: café, coton, cire, peaux, etc... De nombreux spéculateurs y sont à demeure, comme ii' en vient d'autres pour les maisons de commerce de Port-aù-Prince.

Malgré les fortes alTaï res-qui y sont constamment traitées, l'as­pect du bourg est pauvre. La raison en est .que les principaux spécwlateurs qui bénéficient des avantages de la place, sont de passage; leurs profits sont dépensés ailleurs.

Il y a, à Thom(lze~u, u~è église ~onvenable, une cure, deux écoles ; c'est le point terminus de la ligne P. C. S., éla­blie sur 4::2 kilomètres, de Port-au-Prince à ce bourg, en pas­sant par la Croix des Missions. Croix-des-Bouquets, Pout Beu-

PRoMan.t.oss DA.ftS LBS CA.IIPA.GftBS D'H.I.ITI 7.

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98 DANS LBS CAMPAGNES D'HAITI

det, avec stations à la Serre, Vaudreuil, Coustard. Le tarif trop élevé de celle voie ferrée contrarie son trafic. Elle reçoit de l'Etat une indemnité annuelle, en dehors de laquelle son fonc­tionnement serait impossible.

Tho mazeau touche à Manneville, où une forte source se perd dans l'Etang.

Au delà de Manneville, vers la montagne, et au bord de l'Etang est Glore. C'est là que les frères Peters avaient établi une scierie, dont les portes sont aujourd'hui fermées. Emile et Hermann Peters, qui sont cependant de vaillants lutteurs, n'ont pas eu plus de chance que les autres hommes de bonne volonté qui ont es~ayé de lancer le pays dans une voie nou­velle, celle de 1'1 nd us trie.

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CHAPITRE XIII

BLOC VI

En laissant Thomazeau pour aller vers le ce!!tre de la plaine, ct sa partie Ouest, nous passerons à côté des 11 Eaux Gai liées. »

Les caux ont disparu depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui les te nes de la grande Mare sont bien cultivées. On y fait de la culture maraîchère et de la canne à sucre. ll est à souhaiter que ce fond reste toujours dans l'état actuel plutôt que d'être envahi par les caux torrentielles qui en avaient fait un dépôt insalubre.

Le I:>i:;h·iet VI n'a aucune importance au point de vue des cultures par un man11Ue d'eau, qui est presque total. On n'y reuconlre que des terres dépouillées, où de pauvres. animaux broutent un gazon desséché.

Cependant ce district se compose -d'une quantité très impor­tante de terres qui représentent la moi Lié de la portion Nord­Ouest du Cul-de-Sac, (voir cette partie sur la carte du Cul-de­Sac). Pour en déterminer la quantité exacte il faudrait recourir aux titres de plus de quatre à cinq cent personnes inconnues qui habitent loin du Cul-de-Sac. A l'occasion d'uneadjudication d'une partie de Montet on s'est trouvé en présence dè plus de soixante héritiers. C'est dire ce qui eu serait du reste. C'est par plusieurs milliei'S de carreaux qu'il faut estimer cette masse formant un agglomé1·at de terres noires, de sol argileux, pier-

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'·tOI) D.UIS LES CA.IIIPAQXES D'B.UTI

--reux, salins, où des sources sulfureuses, ferrugineuses, sortent -de la montagne voisine. ·

A Balan, où M. Joseph Geffrard a fait de grands efforts pour inaugurer un établissement balnéaire. se trouvent des sources. au pouvoir curatif desquelles de nombreuses guéri-sons ont été obtenues. '

Les autres terres portent les noms suivants : Jeannot, Petite :pJace, Halte, Drouillard, Démnlceau. !tendez-vous, Halte Boen. -Laferrière, Drouillard grande Plai_ne, Bois O'Gorman, Cham­brun, Lafétrière, Bas Merceron, Bas Vaudreuil, Corail Cesselès. Balan, Haut Montet, dit Bon Repos, Halle Latan.

Le centre de ce bloc déset·tique a toujours été le rendez­vous des malandrins, des dévaliseurs. des voleurs d'animaux. Sur le rebord des sentiers on voit de nombreuses fosses de voyageurs assassinés.

C'est ce vaste quadrilatère qui, depuis longtemps. et jusqu'A. ces jour.,;-ci, fournit le bois à brûler à toutes les guildives et • . us1nes de la plaine, aux boulangeries de la ville. aux chemins de fer; qui pourvoit à l'immense consommation de la Hasco. Aussi y rencontre-t-on des équipes de bûcherons armés de haches, de manchettes, qui volent le bois, partout où les pro­priétaires ne peuvent affirmer leurs droits. En cas de réclama­tion ce sont des rixes sanglantes qui en résultent ; témoin, la ·récenle mort de Nevers Constant, et celle d'un voleur de bois tué par un jeune employé de la Sugar pour sa légitime dé­fense.

La fameuse ravine Broue-en-Brou, dangereuse dans les cas ·de débordement des rivières et des sources, traverse ce Bloc dans toute sa longueur, de l'Est à l'Ouest.

En passant dans ces vastes forêts de bayahonde, observez "que c'est là que se fabrique toute cette grande quantité de charbon que consomme le Port-au-Prince. Tenez ; voyez-vous ·des mottes de terre qui s'alignent. Ce sont des bouts de bois •.de trois pieds que l'on croise jusqu'à en former un échafaud

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BLOC VI

,, 11 bas duquel on laisse un intervalle où mettre le feu. Quand · 1 ,··chafaud est formé. ayant 3 pieds de bau t sur 6 à t 0 de large, on recouvre le tout avec de la terre. C'est le bois ainsi . nmsommé qui donne le charbon de bois.

A l'époque de la « variole », le hasard m'ayant conduit vera . une vieille cahute où vivait une femme avec cinq petits orphe­lins, et voyant que les enfants, maintenant bien portants, avaient deR traces de la maladie, j'ai demandé à la mère· r:omment elle avait fait pour les guérir tous du terrible fléau. -C'est avec des bains de petits concombres ramassés dans les­bois qu'elle leur avait donné la vie. C'est le cas de dire que la. natme prévoit tout, et que Dieu étend sa protection sur les faibles et les déshérités.

SECHEHESSE. COUPE DE BOIS

Beaucoup de personnes out émis des opinions sur la grande· question de la coupe des bois. D'après elles c'est la disparition des arbres qui contrarie la formation des nuages ; d'où le manque de pluies ; et comme voie de conséquence, la dimi­nution des eaux de ri vi ère.

D'après nous, il y a dans cette façon de voir les choses, . un fond de vérité, en même temps qu'il y a quelque exagé­ration.

Les coupes de bois qui se font dans le Cul-de-Sac ne s'excer­cent pas dans de hautes futaies provoquant le rassemblement·: et la condensation des nuages. Ce sont des bayahondes sans hauteur, arbres secs, et sans feuillage, qui sont abattus. Leur action sur les pluies d(lit être nulle, d'autant que ces arbres­sont cians les tèrrains plats de la· plaine, loin des sources, loin des vallées où coulent les rivières.

Là où le principe de la conservation des forêts doit être­admis, où une surveillance inflexible devrait être observée, c'est dans la montagne; c'est à l'origine des sources, et sur·

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f02 DANS LES CAMPAGNES D'BA.ITI

le parcours des rivières. Ce sont les bois neufs, coutume criminelle qui ravage par l'incendie les arbres centenaires, les plus beaux, les plus grands ; les buissons, les herbes, les gazons, dont les racines conservent reau des pluies pour la distiller, et la distribuer graduellement.

A défaut de ces éléments, les eaux des pluies s'en vont dans les lits des rivières en torrent ; produisent des débordements, qui passent, sans que rien ne reste dans ces multiples petits réservoirs formés par les racines profondes des grands arbres.

C'est sur l'habitation Bon-Repos, que se trouvent les sources appelées << Source-Balan. n M. Joseph Geffrard en est actuelle­ment le propriétaire. Il y a établi une station balnéaire qui a donné déjà la santé à beaucoup de malades. M. Geffrard_. homme de beaucoup d'initiative, compte faire de celle station un centre charmant, où les malades trouveront tout le con­fort moderne.

Les eaux de ces sources forment un bain de boue (végéto­minérales sulfureuses). mélangées d'humus formé par les feuilles des mangliers, ou palétuvier, de tannin provenant des racines de ces mangliers. Ces eaux spécifiques des maladies de la peau descendent dans le sol et reparaissent au pied des montagnes placées au Nord-Ouest de la plaine du Cul-de-Sac à l'endroit appelé <<Source Puante. ,,

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CHAPITRE XIV

BLOC VII

Ouvrez la carte du << Cul-du-Sac n. vous verrez que, après le Bassin Général, nous sommes descendus à Châteaublond pour remonter à Dumée, Jonc. l'Etang, Thomazeau, le Bloc V, le Bloc VI, d'où nous nous avançons vers le centre de la plaine par le Bloc VII. Nous avons donc fait le tour de la plaine, du Sud vers le Nord-Ouest. Du Nord-Ouest nous retournons vers l'Est pour entrer bientôt à la Croix-des-Bouquets, où nous devrons nous reposer assez longtemps pour causer du passé et du présent, en passant en revue les grands événements qui ont eu pour théâtre ce centre du Cul de-Sac.

Le Bloc VII ne peut subir aucune comparaison avec le précé· dent. Il est composé de vasles terres très morcelées, autant qu'il possède de grands domaines d'un seul tenant : de 200 à 400 car­reaux. Ce centre est civilisé. On y voit des villages dont la te­nue est coquette. De nombreuses familles respectables les habitent.

Sous le rapport des cultures, ce quartier n'a pu atteindre un grand développement toujours par le manque d'eau. C'est le point terminus où des gouttelettes coulant lentement dans les canaux aboutissent, venant du Bassin Général ou de la Rivière Blanche, après un parcours de t5 à 20 kilomètres.

Aujourd'hui, c'est dans ce Bloc, difficile sous le rapport de

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t04 DA.NS LES CA.MPA.GNES n'HA.ITI

l'arrosage, que les plus louables manifestations se produisent au point de vue agricole.

D'abord, c'est<« Montet », où l'initiative de M. Davis a in­troduit de fortes cultures de coton.ll1algré les ennuis des pre­mières années, M. Davis persiste en donnant plus d'extension à ses plantations, déjà grandes et coûteuses.

C'est M. Freeman, ou l'Etat, qui a établi à«< Montet •> une plantation de pile ou sisal de plus de 60 carreaux. Une usine à décortiquer la pite y est déjà installée avec un puits arté­sien pour le fonctionnement de l'usine. L'inauguration de cette usine, installée par ~lM. W.-H.Barbour et Pierre Anselme, a eu

lieu le t7 octobre 1927. C'est Hasco qui a fait de ces vastes déserts appelés • Des­

sourcP.s », Pascher, Lilavois, des champs de cannes donnant déjà 20.000 tonnes par récolte. Pendant sept ans, la lutte a été terrible à Dessources où la terre calcinée, déshydratée, endur­cie par la fabrication du charbon, ne donnait que des cannes rabougries, à feuilles jaunes. Par un drainage général des 600 carreaux appartenant à la Compagnie, les difficultés son~ aujourd'hui vaincues.

A défaut d'eau de rivière, la Hasco a installé dans le centre de Dessources : neuf puits artésiens, dont deux à vapeur, et sept à nappes jaillissantes. Après Dessources viennent Le· meilleur, Le Roux, Dujour, Savanne Blond, où l'eau manque pour les bonnes terres qui s'y trouvent. Pont Beudet est délaissé depuis que le marché aux bestiaux a été transféré à la Croix­des-Bouquets. Voici la maison où ont été tués par les cacos les jeunes Laforestrie, Priee, Poyo.

Les mêmes efforts ont été faits par la Hasco à la« Morinière» où quatre puits arrosent les champs, qui sont en plein dévelop­pement. <« Lamorinière » appartient à M. Léo Souffrant, qui l'a affermée depuis dix ans à la Sngar.

Un tronçon de voie ferrée relie Dessources à la station de la P. C. S. placée à la << Morinière. >>

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BLOC VII t05-

« La Serre »- - De la<< Morinière », passons chez sa voi­,iuc appelée «La Serre, la malheureuse.

Ce grand domaine est composé de 388 carreaux se tenant lous sans éparpillement. Terrain plat sans monticule. C'est la dc~rnière propriété recevant les eaux de la Rivière Blanche, qui 1·n arrosent une partie relativement faible comparativement à la quantité des terres. Une surabondance venant de la Rivière <:ri se aide périodiquement les cultures de l'habitation.

Le sort de ce vaste domaine est bizarre par la mauvaise d1ance qui s'est attachée à toutes les entreprises qui y furent ôta blies.

En 18i5. 1\f. Félix Duthiers, en association avec le capitaine Cutts, amél'icain qui avait habité Haïti pendant longtemps, créait à la<< Serre n la première sucrerie à vapeur connue dans le pays.

Dans nos précédentes explications, nous n'avons pas parlé intentionnellement de cette usine, qui n'a pas eu une existence pouvant arrêter l'attention. Elle fut fermée deux ans après son installation, en ruinant M. Cutts qui en avait été le com­manditaire. Le reste de la machinerie est encore dans la cour centrale de la« Serre. »

Vers 1905, M. Normil Tambour acheta la propriété des héri­tiet·s Louis Fannis.

Après de fortes dépenses pour une installation moderne d'un· moulin à vapem et d'une grande distillerie, il vendit le bien à Mme Candelon Rigaud.

En 1916, Mme Rigaud passa un contrat avec la Hay tian Sugar Co., pour lequel le revenu en sucre devait être partagé avec la Compagnie, les frais de transport et de fabrication à la charge de celle-ci, et les frais faits par la Compagnie pour les cultures à la charge de 1\fme Rigaud.

La Compagnie avait l'entière administration de la Serre.

Aprbs six ans de gestion, Mme Rigaud n'étant pas satisfaite

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106 DANS LES CAMPAGNES o'H.UTI

de l'administration de ses intérêts par la Compagnie, demanda la résiliation du premiet· contrat.

Une deuxième Convention survient par laquelle Mme Rigaud afferma à la Compagnie la moitié des terres, en exploitant elle­même l'autre moitié. La Compagnie avancerait à Mme Rigaud les fonds nécessaires à la mise en travail dtJ hien ; les avances remboursables à chaque récolte.

La Compagnie n'étant pas satisfaite, à son tour, de l'admi­nistration de Mme Rig~ud, suspendit toute avance d'argent, détourna les eaux d'un puits artésien qui arrosait les champs de la Serre.

Il en est résulté un très grand procès, qui est encore devant les Tribunaux au moment où nous passons sur l'habitation. Il y a, à la Serre, une jolie chapelle qui est l'œuvre de Mme Ri­gaud.

Saluons, et éloignons-nous de La Serre 1> la mal~eureuse .

• • •

Bellanton est séparé de la Serre par les rails de la P. C. S. Cette grande terre de Bellanton est très divisée. C'est une des habitations les plus morcelées de la plaine. Toute sa partie Nord est inculte par manque d'eau. Il y pousse des arbres et un excellent pâturage pour les moutons. La partie Sud étant mieux arrosée par le Bassin Général, on y fait de bonnes plan­tations de canne.

La route de Bellanton n'est pas un grand chemin de plaine; -c'est plutôt une rue qui conduit de la Croix-des-Bouquets à Vaudreuil. Des centaines de maisons la bordent sur les deux façades. Il y a des villages dans les terres intérieures où vivent de nombreuses familles.

Bellanton n'est pas habité seulement par des cultivateurs. C'est un bourg où l'on trouve des hommes de valeur: tels que médecins, des commerçants en denrées, des commerçants en

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BLOC VII f07

bœufs et el) mulets, des ~ildiviers, des entrepreneurs de cou­pes de bois. des fournisseurs de canne, des charrons, cordon­niers, tailleurs, des mai tres et maitresses d'école.

Pendant de longues années nous avons vécu dans ce milieu comme chez nous, entouré de l"affection de tout ce monde de "Bellanton et de la Serre. De loin nous envoyons nos bons sou­venirs à M. et Mme Alexandre Théophile, à la famille de Jules Souffrant, à celle de Joute Tannis. Joute Tannis fut pendant longtemps la gouvernante de notre maison. Propriétaire elle­même à la Serre, elle est la fille du Général Louis Tannis, an­cien Commandant de l'Arrondissement de Jacmel, et plus tard de celui de Port-au-Prince.

C'est dans les bois de Bellanton que furent pendus, en t79t, cinq esclaves parmi les premiers révoltés du Cul-de~Sac.

Ce bois de Bellanton nous rappelle de bien tristes souvenirs.

Il n'y avait pas longtemps que nous avions acheté la Serre de M. Normil Sambour, homme politique très en vue, ancien Préfet de l'Arrondissement de Port-au-Prince, quand un jour revenant de la ville et passant par le bois de Bellanton, nous y rencontrâmes Sambour à cinq heures du soit· qui se rendait chez lui à La Mardelle.

Nous lui annonçâmes les mauvais bruits qui circulaient sur son compte er1 l'engageant à passer au moins la nuit à la Serre. Malgré notre persistance il tint à monter à la Mardelle. Il nous pressa la main, et partit. Ce fut pour la dernière fois que nous eûme11 à le voir.

Le le.ndemain, la nouvelle de son arrestation nous arrivait à six heures du matin.

Un mois pl~s tard, il était exécuté à Port-au-Pr·ince.

Un soir que notre servicP. nous avait retenu à la l\forinière, nous étions déjà au lit à neuf heures, quand nous entendîmes frapper discrètement à notre porte. C'était un de nos anciens gérants de la Serre qui venait nous prévenir que depuis la soi-

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t08 DA.NS LBS CA.MPA.GNBS D'H.UTI

rée il y avait des << cacos » (f) dans les parages de Dessources, qu'il était dangereux de rester isolé à la Marinière. Ecoutant ses conseils, nous nous dirigeAmes par les champs de cannes pour gagner le bois de Bellanton, et entrer à la Croix-des-Bou­quets. Arrivés dans le bois de Bellanton, nous entendîmes un son de clarinette. Nous étant dirigé dans la direction d'où venait la musique, nous y trouvâmes un jeune gardien de la grande Pompe de la Marinière, qui P.tant seul cherchait à se distraire. Ayant appris de nous la présence des cacos, il se leva et s'éloi­gna. Au loin nous entendîmes un air triste qui avait remplacé l'air gai de la clarinette. Il jouait toujours de son instrument, tout en se retirant.

Cet air triste au milieu de la nuit nous donnait froid à l'âme : L'isolement, les grands événements de l'heure, notre pays 1 J'avoue que nous eûmes peur. Le lendemain, nous apprîmes l'assassinat à Pont-Beudet de Poyo, Laforestrie et Priee.

{l) Cacos, réYoltés contre l'occupation américaine.

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CHAPITRE XV

BLOC VIII

Après la Serre, la Morinière, Bellanton, un petit bloc peut être formé avec les terres qui longent la même route sur la partie Est de cette route.

Ce sont les habitations : Vaudreuil, Lépine, Dévareux, Cu­villy, Digneron, Bobin, Cauière, d' Argou t.

Vaudreuil est un très grand domaine de plus de 500 car­reaux. Arrosé par la Rivière Blanche, l'eau suffit à peine pqur tOO carreaux. Aussi cette propriété a perdu sa grarlde prospé­rité d'autrefois.

Sous la Colonie, Vaudreuil fut le domaine de M. de Vau­dreuil. Devenu plus tard la propriété du président Boyer, elle passa à la famille Faubert. Changeant suscessivement de mal­tres, M. Joseph Prophète en fit l'acquisition. Aujourd'hui, ce sont les héritiers de Brenor Prophète qui en sont les proprié­taires.

La Rivière Blanche donnant un plus fort débit depuis la ré­paration du Bassin Joly et de sa canalisation, de grands efforts sont faits par Louis Prophète, Du,rand, Winsor Bellegarde, pour remettre le domaine dans son ancien état.

Lépine est aussi arrosé par la Rivière Blanche. La Hasco en occupe une partie. Le reste est morcelé.

Dévareu~, Cuvilly, Digneron petite place, Bobin, Canière,

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HO DANS LES C&.MPAGNES D'B.UTI

d'Argout, sont mieux cultivées, recevant beaucoup plus d'eau par la Grande Rivière. Canière (Hasco), Bobin (Alexandre Théo­phile), d' Argout font de bonnes plantations de cannes. La spé­cialité des a.utres terres divisées est de produire des échalottes qui sont très bien vendues.

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CHAPITRE XVI

BLOC IX

Perr·ac. propriété de M. Exumé Bmtus, surnommé Brave, et plus connusous ce nom, est ~ffermé à la Sugar· Co. depuis neuf ans. C'est une vaste terre, dont une partie est en montagne (peu élevée et inculle) et le reste en plaine. La partie haute ar­rosée par la Grande Rivière est inculte étant mal arrosée à .:anse de sa grande distance du Bassin Général. La Compagnie a condem;é tous ses efforts sur la partie basse, mieux arrosée par la Rivière Blanche.

Il y a en ce moment de superbes champs de cannes à Perrac. La Sugar avait installé à Perrac un puits artésien qu'elle a dû

l"crmer·. le débit ne compensant pas les frais~ En quittant Perrac nous vous pl"Ïons de retenir dans votre

mémoire le nom de M. Exumé Brutus, ou plutôt celui de Brave, que vous entendrez citer sur d'autres habitations qui lui appar­tenaient, et que, à sa mort, l'année demière, il a léguées à ses rnfants.

Exumé llrutus fut le prototype de l'homme parti de peu qui ;t suivi les échelons qui conduisent à la prospérité par la mé­thode raisonnée de l'économie et de l'endurance. Dans un mo­numt, à notre arrivée à Borgella, nous parlemns de cette vie de Ltheur qui fut celle de Brave; et prenant comme exemple sa lulle contre les difficultés de l'existence dans sa première jeu-

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H2 DA.l'IS LES CAMI'AGNSII D'BAITI

nesse, nous vous offrirons une petite conférence sur les sujets suivants : le partage de la propriété après 1804- ; descente du petit paysan dans la plaine ; l'association des grands pi'Oprié­taires avec les colons partiaires ou de moitié ; la possession des grands domaines par les de-moitiés ; mœurs des paysans ; dis­tinction entre les deux groupes qui composent actuellement la classe paysanne.

La Tremblay est une terre morcelée, où il y a quelques plan­tations de canne. C'est là que se trouve le dernier bassin de dis­tribution des eanx de la Rivière Blanche arrosant La Tremblay, Vaudreuil, Lépine, La Serre. Duval est une petite ter-re très fertile. Les fortes habitations du Bloc sont: Jurnécourt, appar­tenant à M. Constantin Mayard, notre sympathique parent et .ami ; Daulnay, Borgella, Canière et Michaud aux héritiers Exumé Brutus. .dorgella et Canière sont affermées à la Sugar Co. D'Aulnay et Jumécourt, où les-vastes plantations de canne sont de toute beauté, font partie des terres d'une petite société fondée entre trois à quatre personnes. M. Sedan Villejoint en a la haute direction. La guildive et le moulin de Dorgella sont .affermés à cette société.

Une grande partie de d'Argout appartient à un charmant homme, M. Annulysse Cadet. Le moulin et la guildive sout ad­ministrés par son fils, notre ami Augustin Cadet.

Arrêtons-nous à Borgella pour la petite conférence plus haut promise.

Non loin d'ici nous avons quitté l'habitation 11 Jumécourt. 11

Son ancien propl"iétaire, Hanus de Jumécourt fut Maire de la Croix-des-Bouquets en t 793.

S"étant affilié aux colons appelés 11 Contre-Révolutionnai­res ,, , qui voulurent remettre la Colonie aux Anglais plu tôt que' de se soumettre à l'autorité de l'Assemblée Nationale, c est Ju­mécourt qui refusa de donner lecture, en sa qualité de maire. de la Croix-des-Bouquets, de l'acte par lequel la Grande As sem-

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BLOC IX H3

blée avait décrété en mai t.794 l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies françaises.

Notre mission au milieu de vous nous oblige à signaler les faits et à chercher les rapprochements qui peuvent exister entre eux. Voici Jn cas existant entre deux faits, dont l'un appartient déjà à l'histoire alors que l'autre est en marche pour y avoir sa

1 . \ pace.

L'habitation de Jumécourt fut la propriété de llanos de Ju­mécourt, le colon qui s'était opposé â la liberté des esclaves et aux droits des affranchis.

Aujourd'hui, le propriétaire du même domaine est Constan­tin Maya1·d, que l'on peut classer parmi les haïtiens qui luttent pour le rétablissement des institutions dont la liberté est me­nacée du fait de l'occupation de notre pays par des étrangers.

N'est·ce pas une coïncidence digne d'être notée à travers un siècle et demi d'histoire : Mayard qui, sous une nouvelle occu­pation étrangère lutte aujourd'hui pour la liberté de notre peu­ple par les moyens de conciliation, se trouYe être le possesseur du domaine de Hanus de Jumécourt le champion le plus mar­quant de l'ancienne Société Coloniale Esclavagiste conh·e qui André ltigaud, le propre bisaïeul de notre ami, avait eu à se mesurer jadis, précisément .pour conquérir la liberté et les li­bertés des hommes appelés à constituer pat· la suite la race haïtienne elle peuple haïlien.

Il est bien vrai que f'histoire est un éternel recommencement, que nos morts nous tiennent, et qu'ils nous transmettent avec le sang la tâche parfois pénible, souvenÙngrate, de poursuivre et de défendre l'idêal qui les anima aux époques mêmes les plus reculées.

Jumécourt-Mayard a actuellement une superficie de 60 carreaux, dont une dizaine en montagne.

Elle jouit d'une porte d'eau. La terre y est très bonne ; les cannes bien plantées et prospères, et dans la partie Nord de la propriété les cannes sont en parfaite matul'ité au bout de sept

PROMBNADBS DANS LBS CUIPAGNI!S D'H.U1'1 8.

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DÀL'I'S LES GÀMPA.GNES o'UAITI

mois. Cette même particularité se manifeste dans la partie de Peyrac (ou Perrat) dénommée Boncour-Peyrat .

• • •

Il y a dans l'histoire de notre pays un acte superbe qui a été analysé et jugé diversement par les écrivains.

C'est le partage de la terre. Les Colons ayant abandonné la Colonie, leurs terres furent

confisquées et partagées. Les domaines coloniaux se divisaient en trois catégories : t o Les grandes propriétés appartenant à la noblesse et aux

riches bourgeois. 2° Les propriétés de moyenne grandeur. 3° Les petites terres situées dans la montagne. Pour arriver au partage en faveur des plus méritants, par

don national, trois catégories de bénéficiaires furent établies : t• Les généraux et les grands fonctionnaires de l'ordre civil;

chacun selon son rang et à raison des services rendus à la cause de l'Indépendance.

2° Les officiers et dvils d'un rang moins élevé. 3° Les soldats qui se distinguèrent pendant la grande lutte . .f.o Ensuite, l'adjudication. Les grands domaines des grands colons passèrent donc anx

grands personnages, ou furent achetés par les· affranchis déjà en bonne situation de fortune.

Ce sont les petits soldats qui furent envoyés dans les petites terres de la montagne.

Nous allons donc suivre l'évolution de ce petit soldat qui, tandis que le grand tenancier absentéiste laissait tomber son domaine, et se mêlait aux troubles politiques, se donnait, lui, tout à la terre, acquérant de l'aisance, descendant vers la plaine, et finissant par prendre possession des grandes terres par son travail et son endurance.

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BLOC IX

• ••

H5~

A l'heure actuelle, la grande propriété en terres cultivables­a disparu. Il est impossible de trouver dans tout le départe-· ment de l'Ouest une propriété de 300 carreaux d'un seul te­nant, pouvant recevoir la culture dans ses moindres parties. ll· y a encore en Haïti des propriétés de 500, de t.OOO carreaux, ct davantage, mais, où peut-on les trouver~ Dans les anci-ens plans ou dans,les titres primitifs. Ces sortes de vastes domai­nes sont situés dans la zone de Lascaoobas et de Hinche, c'est­à-dire, sur les hauts plateaux.

Comme nous l'avons constaté en passant sur les terres, les anciens grands colons de l'Ouest s'appelaient de Caradeux, de· Fleuriau, de Château blond, Comte de Noailles, Comte de Vau­dreuil, Vicomte de la Morinière, de Laferronay, de Dumée, de· la Roche Blanche, de Sarthe, de Lépine, de Despinose, de Soisson, de la ftlardelle, de Lérisson, Le Meilleur, de Dolnay, de· Jumécourt.

La grande bourgeoisie rurale possédait : O'Gorman, Frères,. Duval, Duvier, Turbay, Canière, Michaud, Robin, Borgella, etc ...

Et les terres qui ne portaient pas les noms de leurs pro­priétaires étaient : La Serre. Chancerelle, Drouillard, Truitier, Duvier, Marin, Fouju, Santo, etc ...

Les fonds ruraux et des centaines d'autres, formaient la pa­rure, toujours fleurie de la plaine du Cul-de-Sac.

Ces grandes terres étaient devenues après f804, propriétés­de l'Etat ; on les a vues passer en d'autres mains dans toutes leurs superficies.

On a vn une seule fa ua ille présidentielle de la grande époque hériter de quinze, si ce n'est plus, de ces vastes domaines, sans le morcellement d'un seul carreau a l'avantage de qui-· conque.

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H6 DA.NS LES CA.MPA.GNES n'BA.ITJ

Ces domaines revenant à une seule famille partaient de ·: Léogane, par Momance, Merger, Echalotte, en passant par Thor, de Bizoton à Carrefour, Roche Blanche, Laferronay, Vaudreuil, Jameau, etc., etc., etc., dans le Cul-de-Sac.

De même, on a vu toutes les autres grandes terres, sans aucun morcellement, revenir aux premiers grands fonction­naires, ou à d'autres grands bourgeois, qui les ont exploitées· pendant de longues années.

Quelle conclusion tirer de cette possession en masse par quelques-uns ~

L'acquisition avait-elle été faite par don national, ou par des achats à la criée publique ~

Nous ne contestons nullement la légitimité de la possession ; mais ce qui étonne, c'est que, dans le partage, ou les ventes, .. ~ aucun nom plébéien ne figure dans les titres de ces grands et':~,

:•} beaux domaines. J Ce n'est que vers t 860 que les Pierre, les Paul, les Jean, les )l

Couloute, ont commencé à se montrer à l'horizon comme :,1 propriétaires sur les habitations de la plaine. ··~

Ils ont commencé par un carreau dans la partie de la pro- ·:· ~ ;~

priété appelée« Hatte 11, pour descendre petit à petit vers le J

centre où ils possèdent en ce moment tO, 20 et fOO carreaux. ~~ 'l

Le paysan, aujourd'hui propriétaire. est ce même petit l soldat que Pétion avait placé dans la montagne. Devenu u de ::i moitié 11 dans la plaine, ensuite gérant, plus tard propriétaire. , .. de ca brouets et de guildives, ses épargnes prêtées aux maitres, •· ont fini par lui donner la place du maitre.

Avec le temps, ils est devenu homme d'affaires ; sa famille souffre, il souffre lui-mêm~. pour pouvoir déposer dans de nouvelles terres tout ce qui peut lui venir de son travail. L'instruction de ses enfants est chose secondaire, certains paysans estiment même que c'est une calamité, parce que son fils instruit lui sera à charge avec sa famille. Ses filles, si elles :~

l ·~

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BLOC IX tt7'

vont à l'école, épouseront des docteurs, des avocats, qui ab­sorberont tout le fond de la cassette paternelle.

Partout où l'on passe sur les terres morcelées, où se trouvaient jadis les grandes. cultures, on n'y voit que des plan­tations de manioc, de petit mil. de patates :encore du petit rnil, des patates, du manioc, qui viennent selon la volonté du lemps. Nulle part dans l'Ouest la vue ne s'arrête sur une sérieuse plantation de coton ou de maïs, ayant une étendue de 20 à 30 carreaux d'un seul tenant. Les terres sont plantées au gol1t de chacun, sans tenir aucun compte de la nécessité d'adapter une culture spéciale dans telle région, par rapport à la qualité des ter­rains de cette région.

Aucune discipline officielle n'ayant présidé àla formation des centres de cultures, nos campagnes sont livrées à une œuvre stérile, où la bonne volonté peut exister, mais où l'ignorance agit en souveraine sur les hommes et les choses.

Tout est donc livré au hasard, comme nous l'avons vu. Ce qui est encore plus désolant, c'est la paresse de nos

populations rurales. Nous ne parlons pas de celles des mornes, qui constamment travaillent. Dans les plaines ce principe est établi : du moment qu'une récolte a pris fin, la culture qui en a fait l'objet, n'est pas remplacée par une autre culture appropriée à la rlouvelle saison.

La terre est abandonnée jusqu 'à l'année prochaine. Expliquons-nous plus clairement : Les pois, par exemple,

sont plantés en octobre ; ils sont récoltés en janvier. A partir de cette époque, la saison a passé; il n'y a plus à y revenir, c'est la nature qui le commande. En même temps que les poi's, des plantations de maïs étaient faites dans les mêmes champs, au milieu des pois, et le tout était arrosé par les mêmes eaux·.

Les maïs étant récoltés, pourquoi ne pas commencer une nouvelle plantation du même grain, puisque partout son arrosage est possible.

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DI\NS LES CA.liiPA.GNES n'HA.ITI

Ce que nous exposons ici n'est pas relatif seulement aux ,domaines de l'Ouest. Nous sommes persuadés que ces ap­-préciations peuvent se généraliser. Notre opinion est que en dehors de quelques exceptions, tout le reste du pays se trouve dans la même situation.

Nous pourrions citer de nombreux exemples de morcel­•lement, tant dans l'Ouest, que dans le Sud et le Nord. Pour ne pas aller trop loin, nous nous arrêtons dans les deux plaines de Léogâne et de Cul-de-Sac, où le partage de la grande propriété a eu les plus grands effets.

D'après une carte de la Colonie, la grande propiété « Sarthe ·ou Riboule », s'étendait de Drouillard jusqu'à la Croix des Missions. Aujourd'hui cette même propriété est réduite à .35 carreaux. Ses divisions sont : Clapier, Damien. La nouvelle propriété qui s'appelle Damien est elle-même divisée par un lot principal de 30 carreaux, et subdivisée entre plus de v.ingt­

·cinq à trente petits propriétairP.s. Le grand « Santo '' d'autrefois a eu le m~me sort que « Sar­

the 11. Le vaste Peyrac compte plus de soixante-quinze lots, il en est de même de << Marin, Jameau, Du vier, Lerebourg, Mo­léar, Le Roux, Lafétt·ière, Chanlatte, Perrigeau, Marie, Dutille,

•Chancerelle, Haut O'Gorman, etc. »

StH presque toutes ces terres morcelées, on peut voir des ruines rappelant leur ancienne importance.

Au fait, quelles ont été les causes du morcellement de la .grandn proprieté ~

Sans crainte denous tromper, nouscroyons pouvoir les trou­·ver:

t o. - Dans les funestes conséquences de nos guerres civiles. ·nans le dégoût inspiré aux uns et aux antres par l'insécurité . dans les campagnes, d'on l'abandon de cette noble carrière de _grands cultivateurs par les fils des anciens propriétaires.

2°. - Dans la rareté de l'argent, amenant les prêts sur hy­,-pothèques au taux écrasant de 2 • /" 0/0 par mois.

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3•. - Le manque de garantie de la part des autorités même en temps de paix.

Par une simple visite des lieux, il est facile de se rendre compte que ces terres sont divisées par fractions de 5, 10 et 20 carreaux, et qu'elles sont occupées par des centaines d'individus, vrais acquéreurs ou propriétaires d<?uteux.

Il en est de même de presque tous les anciens grands do~ maines situés dans les plaines. Il faul estimer à plus de tO.OOO carreaux, les terres de ces domaines qui ont passé aux paysans rien que dans l'Ouest.

Il a fallu des années pour la division de ces blocs autrefois importants. Que les ventes aient été régulières ou douteuses, comme on le prétend, il n'est pas moins vrai que ce morcel­lement est un fait constant.

Le rétablissement des blocs est-il possible, par la revendica­tion des droits prétendus légitimes~

Nous nous refusons à donner la moindre appréciation sur une question de cette envergure, qui échappe à notre compé­tence.

Ce que nous pouvons en dire c'est que le paysan n'a jamais pris possession du moindre carreau de terre sans l'avoir payé aux notaires, aux l{omrnes d'affaires, ou aux propriétaires. Des ventes simulées, illégales, ont été faites aux innocentes victi­mes. Le paysan a constamment été trompé par les héritiers des anciens grands propriétaires, qui, dans leur désir de jouis­sances, ont sans cesse convoité l'épargne de l'homme des champs.

Bernard Borgella, grand planteur, avocat au Conseil Supé­rieur de Port-au-Prince, devint maire de cette ville au com­mencent de la révolution, et fut ensuite président de l' Assem­blée Centrale de Saint-Domingue, sous le Gouvernement de Toussaint Louverture, dont il était le principal conseiller.

Bernard Borgella fut le'père naturel de notre grand Borgella. Jél'ôme Maximilien Borgella naquit au Port-au-Prince le

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i20 DANS LES CAMPAGNES D'H.UTI

6 mai i773, d'une quarterone. La mère de Maximilien s'appe­lait Cécile Mahotiè1·e.

Maximilien était donc un enfant naturel. Il ne fut pas, et il ne pouvait être reconnu par son père d'après les lois de l'épo­que. Mais quand ses qualités personnelles l'eurent fait distin­guer, quand sa bravoure sur le champ de bataille eut été re­marquée, découvrant alors que son sang n'avait pas dégénéré dans les veines de ce mulâtre, M. Borgella rai1lla assez pour saisir l'occasion de le protéger auprès de Toussaint-Louverture.

Le jeune Borgella qui avait pi'Ïs le nom de son père, rendit à celui-ci affection pour affection.

Il avait un an quand il perdit sa mère. Celle-ci avait une sœur, Fillette la Mahotière, qui prit soin de son neveu avec toute la tendresse maternelle : elle le mit à l'école de bonne heure. En 1783, son pupille ayant atteint sa dixième année, elle quitta le Port-au-Prince pour aller habiter les Cayes. Ellie vou­lait l'y emmener avec elle, mais la grand'mère de cet enfant Olive Lebeau, ne put consentir à l'éloignement de l'orphelin qui lui rappelait une fille chérie. Cohabitant avec un blanc, M. ltier, qui était procureur-général de plusieurs sucreries au Cul-de-Sac, et qui demeurait sur l'habitatipn Lathan, elle le garda auprès d'elle. Le jeune Borgella y passa trois autres années continuant à apprendreàlire de M. Hier qui était son parrain, et qui, à ce titre vénéré dans les colonies, devint son protecteur, un vrai père. Les principes d'honneur de cet homme de bien passèrent au cœur de l'orphelin délaissé par son père na tu rel ; cette éducation de famille y germe avec fruit.

Le début militaire de Borgella eut lieu dans la cavalerie. Nous avons déjà parlé de son baptême de feu à l'occasion de l'affaire de Pernier.

Borgella remplaça André Rigaud à la mort de celui-ci comme Général en Chef de la Partie Septentrionale de la République d'Haïti. Après la réunion du Sud au Gouvernement de Pétion,

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BLOC IX t2f

llorgella eut le haut commandement de la· Partie de l'Est (Santo-Domingo).

Il est impossible de confondre la classe bourgeoise des bourgs, avec les paysans propriétaires.

Cette bourgeoisie n'est pas descendue de la montagne ; elle est originaire des grands centres, et s'est répandue avec le temps dans les plaines.

Tous les enfants de ces familles bourgeoises ont été, et vont <il' école. Ces familles ont donné au pays des hom mes poli ti~ ques de grande valeur ; de grands .distillateurs, .• des direc­teurs de vastes domaines, dont l'honnêteté et l'intelligence ne laissent rien à redire. Ils sont des magistrats, des notaires, juges de paix ou fondés de pouvoir.

Leurs filles sont distinguées, charmantes et instruites, comme celles des grandes villes.

Nous ne voyons donc pas en quoi cette bourgeoisie peut être confondue avec les familles paysannes, qui ont conservé un cachet spécial, parle fait du père, qui se refuse à tont avance­ment des siens, dans la crainte des débours que l'éducation de ses enfants nécessitemit.

Il est certain que dans ces milieux, où l'on rencontre des gens de bien .• il y en a qui sont loin d'a voir atteint un degré con vP.na­ble, sinon de civilisation, mais de moralité : Parmi eux, il s'en trouve qui peuvent rivaliser avec ce que les bourgs des grandes villes, peuvent offrir de mieux perfectionné, sous le rapport de la paresse, du vice, de l'immoralité.

<< LES DE-l\1011'1~ )), OU COLONS PARTIAIRES

Après le partage de la grande propriété, un point très im­portant restait en débat. ·

Quel était le sort de la grande masse des anciens Psclaves, devenus libres, mais pauvres, ne possédant aucun élément de travail 't Cette masse avait assisté à la distributior.1 des ter-

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t22 DAl'IIS LES CAMPAGl'IIES n'HAITI

res aux petits soldats ; mais elle qui n'avait rien reçu, en se­rai t-elle jalouse ~ Serait-ce là l'occasion d'une division entre les propriétaires de cette masse ~

Le génie de Christophe trouva une solution équitable à celte question embarrassante. Le roi fut le premier à prendre l'ini­tiative d'établir sur les domaines de son Gouvernement, le système de l'association rurale par le colonage partiaire, ou de­moitié.

Comme de nos jours, du reste, sans aucun changement dans ·Ce genre d'association entre paysan et propriétaire, cette inno­vation consistait en ceci :

Les propriétaires des domaines ruraux donnent aux de­moitié : 2, 3 à 5 carreaux, selon les aptitudes de chaque homme. La terre reçue du propriétaire est cultivée par le de­moilié selon ses propres moyens. Les produits récoltés sont partagés à 50 ·1. entre les deux associés. Si les produits doivent -êtres manufacturés, ou subit· une transf()rmation quelconque, telle, la canne, le propriétaire mettra son moulin à la dispo­sition du de-moitié. sans redevance. Celui-ci passera la canne à ses frais, fera cuire lui-même le sirop à l'usine du proprié­taire. Le sirop obtenu sera partagé à 50 ./" entre les parties contractantes. Le de-moitié vendra ou non sa part à son associé selon les avantages trouvés. Le sirop devt'a être cuit à 35', 38' Bromé.

Aucun contrat ne lie les parties, qui sont libres de rompre leur association, moyennant indemnité s'il y a lieu. Le Code Rural prévoit et condilionne la rupture. En cas de contestation de part ou d'autres, le Juge de Paix intervient.

Ce système, qui a créé la grande entente dans nos campa­gnes, a été adopté dans l'Ouest, ensuite dans le Sud, toujours sur la base de 50 •f. à moins de certaines conditions spéciales, qui ramènent ces conditions à 20 •f., ou au cinquième.

Le 50 •;. n'a été adopté dans le Sud qu'après la chute de Boyer. Avant les revendications d' Acao en faveur des paysans.

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{23 BLOC IX

c'était la canne à l'état brut qui était partagée, et non pas le sirop. Par ce moyen, presque tout le profit des cultures reve­nait aux propriétaires.

A l'époque de l'esclnage, l'homme aimait la terre, dans l'espoir de la conquérir. Le système du de-moitié a fait naître chez le paysan l'ambition de la possession personnelle. En conséquence, il a travaillé, souffert en économisant jusqu'à l'acquisisition du premier carreau. Parti de là, et sentant la route ouverte, il a délogé les grands propriétaires, qui se sont retirés dans les villes - après la ruine - laissant leurs beaux domaines aux hommes ~ui étaient arrivés chez eux en vareuse, et souvent les pieds nus.

La tradition rapporte que Brave a débuté à << Borgella » -

alors que ce domaine était à la famille de Del va -avec un grand fouet à la main, conduisant les bœufs d'un ca brouet. Quelques années après, il achetait une petite terre à i\Iichaud ; encore quelques années plus ta1·d, il établissait une petite distillerie à Michaud, où il travaillajusqu'à devenir propriétaire de Borgella.

Comme vous l'avez constaté, Drave a fait sucessivement l'acquisition de plus g1·andes terres à Michaud, à Canières, à Savane Blond, tout Dolney, Jumécourt qu'if céda à Constantin Mayard, le grand Perrac, et de nombreu~ immeubles à Port­au-Prince. Il a laissé à ses enfants, à sa mort survenue en t926, de bons et beaux revenus, de toute garantie.

Brave n'a pas été le seul à réusir. Nous connaissons de nombreux anciens travailleurs de la terre, auquels la houe tenue par eux leur a donné ~e solides fortunes de plus de 30 à 40.000 dollars.

• •• Autant que personne, nous sommes autorisés à parler du

tempérament des paysans haïtiens ; de leurs tendances vers le bien ou le mal, de leur soumission, de leur résignation en

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t24 DANS LES CAMPAGNES o'H.UTI

présence du fait accompli. Nos dix années au services de la Hasco nous ont mis dans un contact de tous les jours avec l'habitant.

Dans tout le pays, nous fûmes les premiers à remplir le rôle le plus difficile, le plus périlleux, en même temps que subtil et délicat dans la masse paysanne, dans des groupes détachés, isolés, dans des endroits perdus, dans la famîlle même du paysan, dans sa maison comme dans ses champs, au milieu de ses intérêts les plus chers.

Sur chaque habitation où nous avons dû passer, nous leur avons pris les chaumières, où eux et leurs enfants étaient nés, que leurs grands-pères et leurs pères leur avaient léguées. Ils étaient au nombre de cinquante, de cent dans chaque groupe où nous avions à nous présenter pour y jeter le désespoir, la désolation, le regret par l'abandon des lieux aimés.

Nous avons renouvelé notre œune plus de vingt-sept fois. en dix ans ; nous' couchant chez ces paysans, vivant, mangeant chez ces mêmes gens que nous devions jeter le lendemain à la porte. Si nous vous disons que jamais nous n'avons voulu être armé ; que jamais nous n'avons accepté la présence d'un gendarme là où nous avons eu à passer, vous pourrez pt·endre notre parole en doute. Cependant c'est la vérité ; et nous en appelons à toute la plaine de Léogâne, à toute la plaine du Cul-de-Sac, où nous avons eu, et où nous exerçons encore la même pénible mission.

C'est que pour nous prést:rver de tout mal, nous avons eu sur nous un talisman puissant, que nous vous conseillons d'adopter, messieurs, si l'un. de vous devait remplir le même rôle que nous. Ce talisman, ce secret professionnel, s'est notre grande confiance dans le tempérament loyal du paysan, qui n'assassinera pas celui qui lui dit: me voici 1 frappez si vous le voulez, je n'ai pas de défense contre vous.

J'espère que nous aurons encore la même bonne chance, et que un des ces matins un billet encadré de noir ne viendra pas vous apprendre que nous nous étions trompé.

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BLOC U

• ••

125

Nous vous devons certainement des explications sur ce rôle du diable rempli par nous.

1

Depuis rlndépendance. et depuis l'Institution du système des de-moitié, chaque grande habitation a dd changer dix fois de maîtres. Aucun nouveau propriétaire n'a pu attaquer le système dans son principe même. Par conséquent, -à part quelques cas isolés- les de-moitié sont depuis plusieurs gé­nérations dans les mêmes Jieux : partout où l'initiative privée a des droits.

Senle, une Compagnie Agricole Etrangère a pris sur elle de renvoyer les de-moitié de tolites les propriétés qui entraient dans le cercle de son administration. Il fallait tout changer. Pour la première fois depuis cent ans, il fallait tout remuer ... et qui fut chargé de ce beau travail~ Moi 1 votre fidèle serviteur. Priez Dieu qu'il m'ait en sa sainte garde ...

• • • Avant de commencer notre causerie que nous avons pom­

peusement appelée 11 Conférence », nous aurions dû vous dire que le Colon J. Bernard Borgella fut un des signataires de la fameuse adres~e aux Paroisses de l'Ouest en date du i er jan­vier t 793, émanant des Municipalités de Por.t-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets, établissant un plan de confédération afin de mettre un sceau à l'indissolubilité fraternelle qui devait dé­sormais exister entre tous les hommes libre de la Colonie : blancs, hommes de couleur ou noirs.

A Cil propos Ardouinditde B.Borgella: 11 Dans un telplan on voit déjà l'habileté de l'homme qui porta Toussaint Louverture à donner une Constitution à Saint-Domingue en 1801, dont il fut le principal rédacteur et signataire. n <t B. Borgella, a dit en­core Ardouin, se révèle déjà tout entier en f 793. n

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U6 DANS LES CAMPAGNES D'BA.ITI

• • • Nous devons vous faire observer que le système du de-moi­

tié correspond absolument avec celui du métayage. En dehors du métayage il y a encore le système du colon-par­

tiaire, que l'on confond souvent avec celui du de-moitié ou du métayage. Il n'y a qu'une simple nuance entre les deux condi­tions; cependant cette petite différence peut entraîner de gran­des difficultés.

·voici les deux systèmes : Métayage. - Le métayage, bien conçu, équitablement appli­

qué, est le véritable type de l'association du capital, de l'intelli­gence et du travail. Le propriétaire fournit le capital, le sol; il apporte l'intelligence, la direction. Le métayer donne le travail. Une association sur de pareilles bases doit être fructueuse, pourvu, d'une part, que le maître n'abuse pas de sa situation pour opprimer son métayer, et, de l'autre, que le colon ne cher­che pas à s'attribuer une partie des produits au détriment du propriétaire. Il faut, en un mot, que le maitre soit juste, que le colon soit honnête. Hors de ces conditions, l'association est une lutte acharnée entre les intérêts rivaux. Malgré cet incon­vénient capital, le métayage est le seul système d'exploitation possible, partout où les cultivateurs manquent de capitaux.

Bail à colonage partiaire. - C'est celui qui est fait sous la condition que le fermier partage avec le·propriétaire les fruits dans des conditions déterminées. - (Régi par les règles du bail à ferme ordinaire).

Bail au comptant. - Affermage des terres - comme loyer : u~e quotité des produits.

• •• Nous ne croyons pas nécessaire de redire que le goût de la

possession de la terre s'est développé dans le pays avec la créa­tion du régime de la petite propriété après l'Indépendance.

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BLOC IX U7

Si la possession par don national est l'œuvre des hommes de i80.t., il ne faut pas oublier que Toussaint Louverture eut aussi dans son plan général la formation de ce cadre social, 'lui, depuis plus de cent ans, s'est agrandi srms arrêt jusqu'à ces jours derniers, aux dépens de la classe des bourgeois, 1lits grands planteurs.

Cette dernière classe fut refoulée dans les villes sans secous­ses apparentes, :~ans choc brutal. Par le système· du morcelle­ment partiel, petit à petit, lentement, et avec patience, le paysan remplaça les anciens propriétaires sur une grande par­tie de leurs domaines.

Le sauvetage de la grande propriété est le fait des Sociétés ,\gricoles Etrangères, qui prirent l'administration des gran­lies terres existant encore. Sans cette intervention du capital étranger, qui réalise à son profit, et en grand, ce que le paysan faisait en petit, le morcellement continuerait jusqu'à la dispa­rition de la classe bourgeoise dans nos plaines.

La faute commise par le propriétaire-bourgeois était de vou-· loir continuer le système médiéval. Le médiévisme consiste à vivre en marge de ses affaires, en toute jouissance, comme les seigneurs du Moyen-Age, en confiant les domaines aux mé­tayers sous la direction d'un gérant, infidèle le plus souvent.

Le grand paysan-propriétairejoue en ce moment, non seu­lement un rôle social, mais un rôle politique, ayant une action directe sur nos populations rurales.

Cette influence ne doit inspirer ancone crainte, parce que· le paysan descendu des mornes, a fait une ascension vers un autre sommet, qui l'a élevé au rang des conservateurs. La sauvegarde de ses propres intérêts l'a conduit dans cette voie.

Aussi, est-il inquiet au sujet des réformes annoncées tendant à une révision des lois relatives à la possession de la terre. Il guette au haut de la tour, puisqu'il est u Conservateur >> en­nemi du trouble qui vient des agitateurs aussi bien que de celui venant du pouvoir.

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, 128 DANS LES CAMPAGNES o'nAITI

Actuellement, le paysan-propriétaire renierait Acao, dont le programme. politico-social, réclamant des droils ·au nom des ruraux, n'était .rien de moins que la plate-forme du So­viétisme, avant la lettre.

Aujourd~hui, sur le vieux Continent ... c'est la possession de la terre qui provoque les révolutions.

En Sicile, les Specati ou Famigli di Spesa font la révolution. Les Agraria leur ·t·épondent par des Lock-out féroces ; et les · fascistes, par des lois d'équilibre cherchent l'apa1sement, qui

! :

l

MV~tp~. .

Sur le monde entier le Communisme se propage au nom de -~ la possession. Comme une autre voie lactée sa nappe traverse ·• l'espace, s'étendant du cercle arctique au cercle antarctique. De plus en plus rayonnante, elle offre sa clarté aux regards les plus faibles.

A l'heure ou nous vous parlons, la situation du m·onde- y:; compl'Ïs la nôtre peut se condenser dans une phrase: le mys-' tère des peuples. ..

Le mystère des peuples 1 Qui donc peut deviner ce qui sortira de ce volcan mystérieux';

dont les grondements se prolongent en échos infinis. ·

Quel lendemain ce grand mystère prépare-t-il au monde-~.

<t La possession de la terre en est toujours la grande cause. ll 1'

Où sont-ils les hommes qui pourront remettre aux généra_::" tions qui viennent le récit impat·tial des événements qui se sont accomplis. et l'histoire de tous ceux, non éloignés, qui provoqueront le bouleversement universel.

Autrefois,et il y a peu d'années, un curieux phénomène d'influence se constatait dans le pays.

n'suffisait qu'un homme, d'un rang élevé, plus habile que le paysan, fit un geste, pour que inconsciemment celui-ci se levât et marchât à sa suite dans des sentiers inconnus.

Où le conduisait-on ~ A l'assaut du Pouvoir; au renverse-

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GRANDE CuLTURE

Coupe et récolte des Cannes

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Bassins d'irrigation- Aqueduc

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BLOC n:

ment des fauteuils que les plus malins redressaient en en éloignant les plus méritants.

Quand après l'orgie, le laboureur retournait vers son foyer, la maison n'existait plus, l<t famille était dispersée ; le vieux père avàit -été tué, et les champs avaient été dévastés;

Si, par hasard, le triomphateur voulait bien penser à son humble cotlàborateur. sa faveur suprême était de lui orner les jambes d'une pair~ de bot'tes, avec le titre de Cher de Section

Aujourd'hui. nous dira-t-on. à part tes grandes choses, toutes les autres choses ont-elles clJangé ~

Sic est aux hommes des champs seulement que nous avons à répondre nous leur dirons :

- Vous avez la paix. << Mettez-vous sous son ombre, et travaillez la terre. 11 Que les malheurs bolchevistes nous soient épargnés. Qne le

Gouvernement laisse la tf'rre au paysan qui la cultive, et que les révolutionnaires dorment à jamais dans le linceul du passé.

« Pour nous, c'est le fonds qui manque le moins. Le sol n'a jamais repoussé l'hommt> qui lui offre sa sueur. Que vos re­gards se reposent sur vos champs :s'ils sont beaux vous serez heureux. Ils donneront le pain du corps à vos fils, si les pri­vilégiés leur refusent le paiu de l'esprit.

11 Soyez tranquilles; à l'horizon le scribe veille. Il sait, lui. le scribe, que le monde est un théâtre, où chacun a sou rôle. On y voit: Cromwell; Sganarelle, Œdipe, Roland, Ganelon, ... le Berger.

« Restez dans ce dernier rôle :il est peut-être le plus honnête et le plus beau.

<<Aux scribes qui veillent, au1 théoriciens, aux philosophes qui raisonnent, nous. réclamons le grand honneur de rappeler d'humbles conseils risqués par nous il y a dix ans:

Nous disions ... « Nou!l n'arriverons à la stabilité que par l'as­cension normale des classes, si les classes, elles-mêmes, peu­vent arriver à l'union. Je viens de parler d.e la politique de di-

••oMa•.a.D•• DAIII LBS cu&•.a.aaB8 D'BAJTI G.

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t30 DA!'IS LES CAHP.&.Gl'IES D'BUTI

vision. Vous conviendrez avec moi que c'est à cette politique que nous devons le travail progressif de notre démolition so­ciale, et que c'est pour les avoir twp rebâtis sur des ruines que nos édifices s'en trouveut aujourd'hui si mal assurés. Les faits sont là pour démontrer que nous avons un caractère trop altier, le tempérament trop fier et trop libre pour nous accommoder d'un césarisme omnipotent. Mais à celui qui, en toute loyauté, parlera le langage de la justice et des lois, il ne faudra pas que nous soyons les premiers à montrer le chemin de notre propre despotisme. En cela n'oublions pas que la critique doit être libre ; mais elle doit être désintéressée, noble de sentiments, et que toutes les fois que le public croh·a découvrir la passion au fond du débat, il oubliera de juger l'œuvre qui en aura sou­levé les orages. ,

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CHAPITRE XVII

LA CHOIX-DE~BOUQUET~

Il y a quinze minutes que nous avons laissé l'habitot'ion «<Bor­gella !1 que déjà nos pel ils chevaux. remis de leurs fatigues, nous ont conduits à l'culrée du bourg de la Croix-des-Bou­quets.

Anêtons-nous un peu à d ·A rgoût. propriété de M. Annilus Cadet. où son fils Augustin, aussi aimable que son père, vient de nous oiTrir l'hospitalité. ·

La propriété de ~- Cadet, est voisine du cimetière du bourg. Nous visiterons ce cimetière dans uu moment.

En altenda~t. abritons-nous sous le vaste pa ra sol de ce man­guier, qui préservera le teint de nos compagnes des rayons du soleil. Elles pourront s'asseoir sur les monceaux de feuilles mortes, ou s'y étendre pour mieux se reposer; et si par hasard, elles voyaient un petit serpent se glisser sous la feuillée, elles n'auraient pas à s'en inquiéter: l'espèce n'est pas méchante. Au contraire, la couleuvre de chez nous adore Eve, comme son vieux grand-père, qui joua avec elle au jeu de ... Pomme.

Le domaine où nous sommes a appartenu .à M. lecomte d'Ar­goût, le même qui fut chargé de lever la milice de huit cents cinquante atTranGhis, qui partirent en juin t 778 au secours des américaiÎls qui réclamaient leurs droits à lu liberté. C'est la dette des Etats-Unis d'Amérique à Haïti. Quel américain géné-

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132 DANS LES CAMPAGNES D'HAIT!

'reux viendra faire que les Etats-Unis paient celte dette au moins ,par le respect de nos droits de peuple~

Une heure de repos ... Marchons un peu ...

Le Cimetière: Remarquons une particularité dans ce lieu que ·nous visitons : il n'y a presque pas de fosses dans ce cimetière: rien que des tombeaux bien construits, bien entretenus, comme,

-du reste, dans tous les cimetières de village. C'est q!'le le pay­san a le culte des morts. Il croit à la réincarnation. Le mort doit se lever non pas à la résurrection générale, mais d'un mo­ment à l'autre, pour remercier ou punir ceux qui ont eu la

._garde de son tombeau et de sa mémoire. Peu importe la nouvelle forme sous laquelle le mort re.pa­

raîtra. La métamorphose doit se produire, la nuit surtout, même le jour, dans un endroit isolé, où un seul sera appelé à voir.

Cette croyance est indéracinable quoique j'ai pu personnel­lement faire dans tous les milieux ru raux où j'ai vécu pendant de longues années. C'est elle qui don~e lieu à ce qui s'appelle les veillées. Ces réunions extravagantes qui se font dans la nuit qui suit la mort de quelqu'un, et qui groupent plus de cent à -deux cents personnes venues de ptus de cinq lieues à la ronde, .arrêteront notre attention dans un moment.

Dans ce même cimetière de 1a Croix-des-Bouquets. j'ai ren­~ntré nn riche paysan-proprietaire, mais illettré, qui a donné une forme délicate et poétique à sa croyance dans la métem­psJchose.

- Voyez-vous, m'a-t-ii dit, ce monument que Brave fait éri­,ger, où reposera sa femme d·éjà morte, et lui-même, un Jour. A sa place, je ne le construirais pas. Car, comme moi, Brave -doit toute sa fortune à la terre ... Eh bien J a-t-H ajouté, moi, je nposerai dans la terre. C'est elle que j'ai aimée ; c"es1 elle qui m·a tout donné. Je tiens à ce que mon corps y repose, pour que ma poussière donne des herbes et des 'fleurs.

Souvent, après mes conversations avec les ruraux, j'ai d'ft

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LA. CBOIX-DBS-DOUQliETS t33·

penser à l"origine des cultes ; aux diiTérenles façons de rendre· hommage aux divinités sorties de rimaginalion fruste des pri-­mitifs.

• •• C'est à cette place que furent exécutés les malheureux com­

pagnons du préside-nt Salnave, livrés par les Dominicains en. janvier 1870. Après la chute du Gouvernement de Salnave en· décembre f869, celui-ci fut fusillé à Port-au-Prince, et ses par­tisans ici-même. Tis étaient Alfred de Del va, Erié, Saint-Lucien­Emmanuel. Ulysse Obas, Pierre-Paul· Saint-Jean.

La trad ilion rapporte que pour sauver son frère, le général·. Alexandre de Del va offrit autant d'or que pèserait Alfred de Delva. Cette offre produisit l"effet contraire : elle hâta l'exécu­tion des prisonniers.

Sai·uons et passons ...

Le vieux· mur que nous avons en face de nous représente· l'ancien fort, si redouté, dont parle souvent l"histoire. Un beau.. bâtiment est aujou1·d'hui sur le terrain. lei loge la gend·arme­rie, commandée par un officier d'e mérite, un haïtien toujours. aimable et avenant, le capitaine Kebreau-Devesin. Si le temps nous le permet, nous vous présenterons à lui, persuadés de Ja,. bonne réception qu'il nous fera .

• • • lt..es veillées·.- Puisque nous sommes dans le domaine des­

morts, et que nous a·von.s fait allusion à la « veillée 11 des morts, nous allons v.ous entretenir de cette coutume cente,. · naire. f!JUÏ, d'après nous, a des attaches avec cette croyance au retaur des u esprits ,, parmi nous.

Si par exemple un enfan:l de paysan est malade, la présence· du médecin est moins nécessaire que celu.i d'un -coui, ou d'uQ.

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t34 DANS LES CAMPAGNES o'HAITI

vase quelconque contenant du mals moulu placé sous un arbre non loin de la maison, ou encore. d'mlf' poule morte SIISfH'n(lue quelque part. Le but de ce ge~te enfantin est d'éloigner le mort, qui nuit à l'enfant, pour se vf'nger du père ou d~ la mère. On lui offre des mets pour apaisf'r sa colère.

On cite même le nom du mort, qui fut un parent. dont le tombeau n'est pas encore érigé; ou hien. en souvenir duquel

certaines cérémonies réglPmen lai res n ·ont pas été cél(~brées. l.a veillée est une cies conséquence~ de cette croyauce. Il ne

faut pas que le parent décédé s'en aille en voyage sans la réu­nion de ses amis des deux sexes.

La réunion, souvent nombreuse, doit durer toute la nuit qui précède les funérailles.

L'alcool, le thé, le café. sont servis à profnsion. Il y a le maître ou la maîtresse de chants. Ils commencent

les cantiques, dont les refrains sont chantés par toute l'assis­tance. L'air religieux le plus connu, le pins populaire que l'on entend dans lf's centrf's les plus reculés, est: Grâce Marie grâce; grâce Marie grâce, grâce Marie grâce, pardonnez-nous, pécheurs.

Souvent ce cantique est le Sf'nl connu. Aussi c'est lui qui fait tous les frais de la nuit. qu:md il n'est pas aidé par le: Béni soil à jamais, le Seigneur dans ses bienfaits.

Les romances alternent avec les chants religieux. Pas de méringues, par exemple. Ce qui prouve qu'un certain cachet est observé.

Nous avons entendu chanter dans des endroits très retirés: La Valse des roses. A ct>lle occasion. les ro:;:es pâlissaient et frémissaient de l"usage que la cantatrice en faisait, cependant que dans le milieu elle était admirée pou!" son talent.

La romane!' : u Dis-moi. douce Marie ''· est appréciée: elle est souvent redemandée par les amateurs de bonne musique.

u Jeanne, Jeannelle el Jeanne/on "• reviennent souvent au programme. Ensuite, c'est (( Sous le beau ciel de fllalie-yeu »;

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LA. CBOIX·DBS-BOUQUBTS {35

lt Je vais à chercher le chat pour manger Jacquot n ; « Soleil! Soleil! chauffez le monde 11; << Loin des tangos, des fandangos. des boléros 11, etc.

Une fois, dans une veillée, j'ai entendu dans l'air un bruit d'aéroplane. C'était un " Roi tle Tulé 11 qui passait. Intrigué, je demandai à la chanteuse dans quel conservatoire elle avait étudié. Elle me répondit qu'elle avait été c bonne 11 chez Mme Franck Faubert. Je me rappelai tout de suite la théorie de lïnfluence du milieu. Je me courbai, et mes compliments ne tarirent point, (obligation protocolaire) (t) .

• • • A minuit, les chaises d'une veillée sont retournées les pieds

eli l'air. Tout le monde debout, le chœur entonne: << Azigui manman ho 1 Soleil pas boulette. Zétoiles pas mitraille, morts pas doué peur monté lan ciel 1 1 1 .\zigui 1 Azigui 1 A Bobo. »

Le <• A Bobo 11 se répète au loin indéliniment. Après ce chant, on ne danse pas positivement; mais il y a

un pas rythmé qui simule la danse. Les femmes tiennent leurs robes écartées du corps en prenant les pans des jupes avec les mains.

Ces soirs-là, toute la vie de Petit Malice est passée en revue. Ses nombreuses farces font éclater de rire. Quant à Bouqui, on ne le quitte pas ; c'est le roi de la réunion.

J'ai connu dans le Cul-de-Sac, un ventriloque, qui ventrilo­quai t dans toutes les veillées. La bouche fermée, il parlait et chantait dans sou ventre, des choses tristes ou gaies.

COUTUMES BLAMABLES

Ce tableau que je viens de brosser rapidement n'est relatif qu'aux coutumes établies, et qui n'ont rien de blainê.ble. Toi

(t) Mme F. Faubert est une excellente cantatrice, dont la voix a été ad­mirée même l l'Etranger.

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DANS J.ES CAMPAGNES o'BAITl

1w s1-rail pas le cas, si je devais remuer ceLte marre profonde d l~~""liiP-nlielle, vraie agglomération de mœurs adoptées par la plupart des habitants de nos plaines.

Vous comprenez bien que ce n'est pas en votre compagnie que nous parlerons de choses qui ne peuvent être présentées que dans des publications spéciales, dont la lecture réservée serait signalée en lettres rouges sur la couverture des livres.

Ces livres-là porteraient pour titre : Sérail, Concubinage. Du reste, nos habitudes personnelles ayant toujours été

sages, modérées, ce ne serait que d'après les récits à nous faits par d'au tres, que nous pourrions vous renseigner sur ces grosses choses, que nous sommes les premiers à blâmer; peut être, parce que nous ne les pratiquons pas.

Quoiqu'il en soit. et malgré notre désir de vous éloigner de l'épineuse question à cnuse des points qu'elle comport .. , nous restons dans notre rôle en vous signalant les conséquences so­ciales qui en découlent.

Le concubinage rural peut être comparé à une équation. Le chef de sérail doit résoudre le problème en observant la for­mule d'égalité entre des unités qui dépendent les unes des au­tres. Quoique dépendant les unes des autres, les quantités nu­mériques ne doivent pas se tl'Ouver dans un total, mais dispo­sées en raison inverse du carré des distances.

Si une des unités composant le tout est à la Croix des Mis­sions, les autres doivent être éparses à Thomaseau, Gan­thier, etc ... La paix du chef de la communauté est dans cet ôparpillement des unités.

Corn ment- nous dira-t-on - le maître peut-il suffire à tant d'obligations~ ... Espérant que la question posée soit relative sC'uii'IIIP.IIlaux obligations pécuniaires, nous répondons que là est la q ue::;tion sociale.

Que l'on se figure des dominions autonomes ; libres de leur direction, de leur administration, n'ayant pour obligations qu'une part à tant pour cent à la formation du budget du sou-

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LA Cl\OIX-DBS-BOUQUETS t3.7

verain, et une réception toujours agréable au-dit souverain, quand illui,plait de visiter ses possessions, alternativemen-t,. pour en écarter les conséquences toujours nuisibles de la ja­lousie.

L'homme de la campagne, qui arrive à cet arrangement so­cial, vit heureux :il ne travaHle plus, ses chevaux sont les meil­leurs ; ses coqs de gagaires sont fiers; par leurs cocoricos, ils font se lever l'astre du jour. L'homme passe sa vie à jouer aux dames.

Pousseur de pions, tout son plaisi:r est de faire cochon, ou de rendre une dame vilaine, selon la règle du jeu.

Telle est la vie de certains hommes de la plaine ... Quelle dif­férence avec la dure existence de certains autres, qui, de l'au­rore au crépuscule, peinent, la houe à la main, pour l'acqui­sition d'un premier lopin de terre, où sera le nid servant d'abri aux premiers petits oiseaux, qui, demain, devenus hommes­forts, aideront à l'agrandissement du domaine paternel.

El'jTERREMENT :

Dans la plaine, les enterrements se font comme dans les vil­les : enterrements de pauvre, ou de première classe.

Dans les villes, on a perdu la vieille habitude de pousser des cris, tandis qu'elle persiste dans les campagnes. C'est une oc­casion de manifester sa tendresse à l'homme qui s'en va, ou de prouver sa sympathie à sa famille. Rien de particulier à obser­ver, à part cela, de ce côté là .

• • • Le bourg de la Croix-des-Bouquets occupe le ccntr·e de la

plaine du Cul-de-Sac. Comme le moyeu d'une roue, où vont les rayons, toutes les routes de la plaine y aboutissent. II est traversé par la ligne de chemin de fer de la P. C. S. qui va à. Thomazeau.

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t38 DANS LBS CAMPAGNES n'HAIT!

Autrefois, la Croix-des-Bouquets devait posséder quelques .maisons de valeur, d'nne certaine élégance. Les ruines qui s'y trouvent donnent un aperçu de son ancienne prospérité. Heu­versé par un premier tremblement de terre vers t 750, le bourg/ eut à subir d'autres grands dommages par un autre mouve­ment sismique, trente ans plus tard. ~~n 11:!69, il fut complète­ment incendié au passage des troupes, pendant la guerre civile .entre les cacos et les piquets.

Aujourd'hui la Croix-des-Bouquets est pauvre. Aucune de­meure privée n'attire l'attention, par la bonne raison que les grands propriétaires résident sur leurs terres, où ils apportent tout le luxe de leur vie domestique, qu'ils rendent indépen­dants de la communauté.

Il y a dans le bourg, une église, qui ne peut être achevée -depuis trente ans.

Sur la place centrale, deux petites constructions ont été érigées par l'Etat pour le service public.

Une autre bonne construction vient d'être placée dans le vieux fort servant de résidence à l'officier militaire comman­dant la commune, et derrière l'égli~e. est érigée une bonne maison à étage pour l'école des Sœnrs de Saint-Joseph de ·Cluny, qui compte cent cinquante élèves.

Ce n'est pas la pauvreté de cette petite ville, ni l'indifférence .des pouvoirs publics envers elle, qui doivent nous en détour­ner, n'ayant aucun moyen d'améliorer son sort. Nous y reste­rons pendant un moment pour revoir son glorieux passé, et demander à l'histoire le rôle qu'il eut à jouer pendant la grande époque où nos pères luttaient pour la liberté.

Nous consPillons d'entrer à l'église, pour remercier Dieu .d'avoir protégé nos promenades à travers les routes et les nom­breux sentier·s de la va:ste plaine. Vo&Js constaterez la pauvreté .de ce lieu sacré ; et. comme nous l'esp,•rons, vous ferez appel ,dans les journaux à la sollicitude de l'Etat, à celle de l'initia­tive privée ; à la bonne '•olonté surtout de tous ceux, grands

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1

'

LA CROIX-DES-BOUQUBTS

ou petits, qui ont des intérêts dans la plaine, pour que le sort de ce ~emple soitpHs en considération.

Si M. le Curé - homme charmant, du reste -vous deman.,. dait pourquoi je ne suis pas entré avec vous dans l'église, jè vous autorise à lui dire que c'est dans la crainte de troubler lè silence de l'asile sacré, par mon bavardage : cette manie obsé­dante de donner des renseignements sur tout ce qui s'offre à ma vue.

Cette obsession, qui semble prendre chez moi le ClJractère d'une maladie, a arrêté la sérieuse attention du D• Félix Ar­mand. Lui ayant demandé son avis sur mon cas, il m'a aus­culté le tronc. Le coffre est boit, a-t-il dit. Puis, me pl'~nalit la tête d'une main, et de l'index de l'autre, il frappa sur le crâne trois ·coup maçonniques : un, deux, tl-ois. en répétant, tou­jours trois fois : Sortez pensées.

A la sortie de chaque pensée, le célèbre docteur faisait un geste de la main, comme pour s'en emparer.

Chaque fois, il me posait les questions suivantes : -:-Etes-vous partisan de l'obscurantisme ~ - Non, docteur. - Etes-vous partisan de l'isochromatisme : du grec isos,

égal, et kr6ma, couleur ~ - Non, docteur. Parce que cela ne se peut : les nuances dis­

tinguent les hommes, les uns des autres, comme les choses. :-'- Pra'tiquez"vous l'automatisme~ Caractère de ce qui est

au~omatique ou purement machinal ; ou ce qui obéit machi~ nalement, sans aucune. force d'opposition.

Non, Docteur. Au contraire, je suis un grand ennemi dè l'obéissance passive. de la domination du prince.

C'est très bien continua le do<\,_leur Armand. Vous n'êtes donc pas malade. - Dormez-vous ~ me demanda-t-il encore.

- Non, docteur. L'insomnie me fatigue beaucoup. - Quel est votre fournisseur ~ - Sàda, répondis-je.

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uo D~;,s LES CUIPI\GNES n'H.UTI

- Et votre banquier ~ - Hirch, Lemke et Co. Eh bien 1 cher ami, dites-leur d'acquiter vos comptes et vous

serez guéri de votre manque de sommeil. Quand à la man~e de décrire les chosPS, rien à faire. C'est chronique chez vous. Vous souffrez du Vocabularile qui, faute d'hygiène, aboutira à l'En.­cyclopJdium.

Tel fut le diagnostic du savant docteur. - Vous m'excuse­rez donc de ne pas entrer avec vous dans le temple du Sei­gneur où le silence du recueillement doit être observé par les visiteurs.

LES RELIGIONS

OU PLUTOT : LES CROYANCES, LA SUPERSTITiON, LE FËTlCHlSME.

Nous sommes donc dans le centre même de la plaine do Cul-de-Sac, par notre présence à la Croix des-Bouquets.

Comme nous aurons à passer en revue toute !"histoire de ce Bourg célèbre, il serait nécessaire que nous vous entretenions un peu des religions, afin de mieux vous préparer à compren­dre les croyances, les tendances religieuses de cette population que nous venons de visiter.

Avant d'arriver aux cultes pratiqués dans ce milieu, aux formes employées dans les cérémonies. à la superstition qui -d'après nous- occupent le rôle dominant, nous allons re­monter rapidement l'histoire des religions à travers les âges, chez les différents peuples. •

• • •

En condensant tout ce que les encyclopédistes ont enregis­tré sur les religions, nous sommes arrivés à ceci.

En quelque pays qu'ou se trouve, à quelque époque que ce soit, on trouve des prêtres et des fêtes. des sacrifices el des cérémonies religieuses, dPs temples et des lieux consacrés aux

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L& CBOIX·DES·BOUQUBTS til

croyances. Partout les peuples rendent à un être inconnu, aimé ou craint, des hommages et des honneurs : pour tous leurs besoins, cette puisî;ance est invoquée : les alliances, les mar­chés, se règlent sous ses auspices.

Le sacrifioe humain et l'anthropophagie ont été pratiqués par tous les peuples primitifs. Il ne faut donc pas attribuer cett.e ho nible coutume seulement aux nègres d'Afrique.

Plusieurs auteurs anglais, qui ont profondément étudié la question ont écrit que l'Australie est le centre où de tous les temps, jusqu'à nos jours, l'anthropophagie est obligatoire dans l'exercice du rite de certains cultes. Indépendamment de ce devoir rituel, les Australiens ont un faible particulier pour la chair humaine. La tête par exemple est réservée au chef de la tribu. Cette partie du corps humain est bouillie, pour que le fin gourmet puisse y aspirer les yeux, en appliquant les lèvres sur la cavité des orbites.

Les mêmes auteurs anglais prétendent que chez les Afl'icains, le cannibalisme est provoqué par la faim. Quand une tribu est. acculée par la privation : elle fait la guerre à une autre tribu pour trouver de la chair en immolant les prisonniers. Dans notl'e opulente nature, personne, avons nous déjà dit, n'est ex­posé à mourir de faim en temps normal, et l'homme n'est obligé par l'instinct de conservation à recourir à aucun moyen an ti-naturel pour survivre.

Sans avoir jamais visité 11 Haïti », un français le Colonel Meynier, qui, il n'y a pas longtemps, a donné beaucoup de détails sur les mœurs des peupladesde l'Afrique, dit que leur cri de guerre est : Abobo ce qui veut dire viande. Cil cri est très employé dans nos campagnes. Seulement au lieu d'être un cri de guerre, il exprime plutôt la joie dans les agapes. On le pousse en se donnant de petites tapes sur la bouche. Il n•y a personne parmi nos ruraux à connaitre le sens premier de ce cri d'Abobo donné par le Colonel Meynier.

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U.2 DANS LES CA.MPA.GNES D'HAITI

• • • En cherchant des comparaisons entre nos ruraux et la

moyenne des populations de l'Europe, nous avons déclaré que beaucoup de centres appartenant aux contrées civilisées de l'Europe, possèdent des sujets bien plus en retard que ceux de not1e masse paysanne, sous le rapport surtout des mœurs et du Lempérameut.

En voici uu exemple:

Le 1\ 0 • rln << Temps,,, du 1 t mai 1927, a publié ce qui suit: << Cannibalisme en Europe. n

11 On té~hlgt·aphie de Prague qu'il y a quelque temps la police

tchi·co-slovaque, à la su ile de plusieurs meurtres, arrêtait un cerlaiu 11omure de bohémiens, qui campaient non loin de Mol­clava. Le:; bohémiens étaient accusés d'être les auteurs de ces crimt·s, dont les victimes étaient pour la plupart des contre­bandiers, et chose Îllcro:yable, de les avoir mangés.

L'opiuion publique dPclara stupides les allégations des poli­ciers ; 111ais ceux-ci ont fou mi toutes les preuves des assertions· qu'il::; avauçaient. Les :-quelettes des victimes, sur lesquels il ne restait plus un lambeau de chair, ont lous été retrouvés prh de l'endroit où vivait la caravane, et les vingt-six bohé­mieus 011t avoué. »

Tous les hommes sont l'homme, et les sauvages sont de toutes les races.

Au surplus, en émigrant en Haïti, le vaudou x africain a perdu les trait::; originaux qui forment son essence; il n'a conservé que sou nom, et quelques rares mots rituels dont le sens pri­mitif est perdu même pour les adeptes. Ce n'est plus vraiment qu'un grossier décalque, une odieuse parodie d'es formes exté­rieures du Catholicisme.

Si l'ou veut mettre l'anthropophagie à la charge du Vaudou d'Haïti, nous répondons que cette horreur a disparu dans la

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LA. CROIX-DES-BOUQUBTB

nuit des temps. Depuis soixante-dix années, un seul cas s'est. présenté dans tout le pays. Les coupables furent condamnés et.' t•llécutés aux applaudissements de toutes nos populations. C'est l'affaire connue sous le nom de tt affaire Tante Jeanne. »

Certainement, les premiers esclaves venus des contrées bar­hares, de l'Afrique avaient apporté avec eux les coutumes de lt~urs tribus. Mais longtemps avant notre indépendance, les na-1 ifs de Saint-Domingue, affranchis, ou esclaves nés sur les habitations, avaient commencé la lutte contre ces mœurs bar­bares. contre l'anthropophagie surtout. Ils furent contrariés par les nouvèaux lots d'esclaves importés d'Afrique chaque aunée, au nombre de plus de trente mille. !\lais notez bien ce point, le cannibalisme est un fait contre nature, qui se produit clans tout l'ordre animal, seulement dans des contrées, ou­même dans des circonstances où l'être vivant ne trouve pas une autre espèce sienne, végétale ou animale, pour son alimen-­lalion el sa conservation. Il n'y a pas d'autres explications pour la célèbre affaire du radeau de la Méduse, pas d'autre explica­lion pour le mythe dantesque d'Ugolin, pas d'autre explication. pour l'anthropophagie africaine ou bohémienne .

• •• Or. Haïti c'est un territoire béni où pousse sans semence et

sans culture toutes les plantes nécessaires à la nutrition. C'est. 110 dicton populaire ici, et un fait constant qu'un homme peut ne pas travailler et trouver à se nourrir de u graines de bois. ,,

L'homme en Haïti est soustrait par la générosité de la na­ture à l'horrible instinct de manger son semblable pour se c:onserver soi-même.

L'anthropophagie ne peut exister et n'existe pas en Haiti dU: fait même de la fertilité du sol et de la clémence du climat .

• •• Depuis la période coloniale, deux tendances religieuses se­

sont disputé l'Ame de la population vivant sur ce territoire : le:

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DANS LES CUIPA.GNES D'BAITI

-catholicisme des maîtres français qui imprégna, à leur nais­sance, les affranchis nègres et mulâtres créoles, et d'une autre part, les croyan~es africaines importées et cultivées en secret par les africains bossales emmenés ici à l'âge adulte par les n~griers. (C'est sur la place appelée Croix-des-Bossales que les esclaves étaient vendus à leur arrivée à Port-au-Prince).

Le colon n'ayant jamais eu le souci de donner aucune édu­cation ni morale ni religieuse à la masse esclave, celle-ci resta prise dans sa lourde gangue d'ignorance et de superstition.

Néanmoins, à la longue, le contact des deux races opéra un métissage non seulement au point de vue charnel, mais aussi au point de vue spirituel et au point de vue mystique.

A ces deux derniers points de vue le résultat fut bizarre, d'où sortit la race haïtienne.

C'est ainsi que le Vaudou africain se naturalisa, s'adoucit, s'harmonisa et se christianisa sous l'influence du milieu. Les traditions superstitieuses du continent perdu, se fondirent peu à peu dans des superstitions et croyances purement françaises et romaines.

Les divinités de la tribu africaine devinrent des << saints »,

des cc mystères >> et les rites de l'ancienne religion ne furent plus en fin de compte que des déform~tions de la liturgie catholique.

L'esprit inculte de l'Africain se déprit des lokos ancestraux pour se peupler de << loups-garous "• de cc sorciers n et de << lois >>, tous mots français correspondants à des idéalisations populaires.

A l'heure actuelle, le Vaudou haïtien est un grossier décalque de la mystagogie et de la magie française.

Qui n'a pas lu les pages d'Eugène Aubin, l'ancien ministre plénipotentiaire français, Descos, dans son livre: «En Haïti 9

où il décrit une cérémonie de lois chez la fameuse Mambo Féla, dans les mornes de François, à Piéton-Ville.

Toute cette cérémonie est une parodie dela liturgie romaiM.

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LA. CROIX-DES-BOUQUETS U5

Un bélier revêtu de vêtements d'J<~glise, les hymnes, les litanies de l'Eglise, tout y passe avec un las de mots baroques, vestiges san~ doute, d'anciens cultes africains dont la signification a été complètement perdue par les Haïtiens modernes, mais qui servent bien par leur sens mystérieux à impressionner les âmes simples en plus des abondantes libations de ces réunions.

Dès 1804: même, le Vaudou africain avait tellement perdu de son pre~tige mystique, était tellement considéré comme une simple mystification dont s'étaient servis les marrons pour prépar·er la guerre de l'Indépendance, que Dessalines, africain pur. devenu Empereur, édictait des ordonnances prescrivant la passation par des verges épineuses pour ceux qui corn met­traient le délit de pratiquer les cultes africains.

Et d'ailleurs, maintenant que les explorations permettent de pet·cer à jour les ténèbres de l'Afrique, on sait mieux combien il faut en rabattre de la réputation d'inhumanité et de sauvage­rie des croyances religieuses du continent noir.

Au surplus, le peuplement de Saint-Doruingue s'était fait au moyen d'un tel mélange hétérogène de mille races afrieaines diverses, au hasard de la lraiLe, que souvent ces hommes rrc parlait•rrt pas la même langue. n'avaient par cons~quent ui les mêmes caractéristiques mentales, ni les mêmes mœurs, ni les mêmes croyances et ne pouvaient en somme opposer une mys­tique bien consistante et résistante au Catholicisme romain dogmatique et discipliné.

Leurs croyances fur·ent donc très vagues, et celles qui cons­tituent le fond de l'âme haïtienne actuelle sont des survivancetl purement françaises.

On se rappelle que le journal le cc Temps n, publia il y a de cela deux ou trois ans une note prouvant q ue'la fameuse cc b:s­quetle tombée,,, que les haïtiens cultivés eux-mêmes,ont cru Lou­jours un legs de l'Afrique, nous vient plutôt des campagnes nor­marulcs et picardes où le« bréchet chu,, est jusqu'aujourd'hui connu avec les mêmes remèdes bizarres et efficaces qu'en Ilaïli •.

PIIOIIB~ADBS DAIIS LBS CAIIPA.GIIfi8 D'HAIT! 10.

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f46 DANS LES CAMPAG~ES o·HA.ITI

Nous sommes donc à peu près d'accord avec cet observateur qui a <'·critles cultes tels que le<< Catholicisme romain, le pro­testantisme, l'adventisme ont 0té greffés sur le vieil arbre africain sans e11 avoir absorbé la sève. »

• • • Les primitifs n'examinent point. Il n'y a pas d'examens là

où il u'y a pas de doute. Or. chez les primitifs, il n'y a pas de doute, la croyance ét,!llt absolue.

Chaque peuple du globe, sentant sa faiblesse, chercha une

protection. Les imaginalio!ls inventèrent des dieux auxquels ils

donnèrent des IIOIDs et attribuèrent des rôles. Ain!'i les Homains et les Grecs en rent ceux dout l'hist.oircest

décrite dans la u Mylhol<•gie n, lrisloirc fabuleuse d'une incom­

parable richesse. D'autres contrées enrent des dieux aux cent bra,:, à la face horrible; ou bien des animaux qu'on vP.nhait,

telle bœuf Apis, q•re l<·s Egyptiens considéraient comme l'Px­pression la plus compll!Le Je la divinrlé sous la forme animale; ou Arwbis, figuré avec la tête d'un chacal et le corps d'un

homme. La couleuvre, qui est l'auinwlle plus abject dans la chaîne des êtres, eut ses adorateurs. Les choses inani'mérs fu­rent aussi considérées comme agents de puissances surnaturel­les : les arbres, les pierres sacrées, le gui des Druides. Chez

nous, le mapou et le médecinier sont regardéti, comme tels: Le polythéisme est la religion qui admet la plmalité des

dieux. Cette religion fut celle des Grçcs et des Homains avant

la venue de Jésus-Christ; c'est encore celle d'un grand nombre de peu pl es sauvages d'Afrique et de l' A~ie. Les trois princiranx

systèmes du polythéisme sont: L'idolâtrie par l'adoration de

plusieurs dieux per:sonnifiés en des images ou des idoles gros­sières ; le sabéisme, culte des astres et du feu représeJJtés par les lampes ou des bougies allumées, et le fétichisme, adora­

Lion de tout ce qui frappe lïmagination et à quoi on attribue une puissance.

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I.A CROIX·DES·BOUQUETS

• • •

U7

~ï! f:~llait agrandir le cadre de cette causerie, il nous fau­tlrJit vous parler de Confucius, dont les doctrines son_t tou. jours conservées en Asie, de Doudha, de B.-amha; le~ grands dieux créateurs, les Sages, les Solitaires. Le bouddhisme sur­tout compte en ce moment plus de quatre cent soixante-dix millions d'ahérents en Extrême-Orient.

Il faudrait gravir le Thibet; il faudrait parler de Mahomet et de sa doctrine; de Moïse, de David, du roi Salomon ; du ju­daïsme et de la cabale. Je ne me' sens pas le courage de vous donner le torticolis en vous faisant tourner la tête pour voir si loin denière nous.

Contentons-nous de vous rappeler que si l'homme ayimt ac­quis des lumières, ne supporta plus de morcellement dans la nature divine, le théisme descendit du ciel, ct couvrit la terre de son heureuse influence.

Telle est l'origine et la source de la religion des anciens, vé­ritablement digne de l'homme, dit Hollin, s'il avait pu se te­nir à la simplicité el à la pureté des premiers principes. Tout porte à croire que ce fut clans ces temps où le culte d'un Dieu suprême était universellement établi chez tous les peuples, en Asie, en Europe et en Afrique, q ne la religion chrétienne prit naissance ...

Après la mort du Clu·ist ses doctrines se répandirent comme si Je monde attendait une pluie bienfaisante qui vint ·par les paroles de paix, d'amour, de fraternité, transmises aux hommes par le L<'ils· de Dieu. La mission divine de Jésus fut comprise, de Home, dans la Germanie, dans les Gaules, l'Ibérie, l'Egypte, partout où le dogmati:s111e de Platon et celui de Socrate avaient en vain cherché la pmpagalion des mêmes principes d'amour ct de fralernité.

La fondation du chrislianisme produisit le plus grand bou­leversement qui fut conuu par les hommes de l'Occident.

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us DANS LES CAMPAGI'IEI D'HAITI

L'Orient était re.o;té avec ses croyances, se détachant de l'Eu­rope. Il gardait le théisme avec ses formes par lesquelles il rend t>ncore hommage au seul Dieu dont la puissance inspire le respect universel.

Vous connaissez suffisamment le martyre des apôtres; ce­lui des premiers chrétiens pour que nous n'ayons pas à y faire remonter notre résumP.. Vous savez que l'Eglise de Rome fut la souveraine qui règne en Occident pendant. cinq cents ans.

C'est au seizième siècle que les révolutions doctrinales se produisirent. Les dogmes du catholicisme furent en partie ébranlés par le schismP. de Calvin et de Luther .

• • •

Malg-ré ma promesse d'abréger, et quoiqu'il puisse arriver à Vl)s uerfs, il me faut faire nn retour vers le passé pour vous pré!< en t•·r trois tableaux indispem;~hles au développeruen t de ma thèse sur les croyances des nègres importés à Saint-Do-. mingue.

Premier tableau: Le roi David 11vait convoqué le peuple. devant l'arche :.<ainte pour une céré1nonie religieuse. ;.

Quand ce fut l'heure de la danse. le coryphée ordonna à l'or-... chestre de jouer les instruments: le fifre, la flûte, le fla;.wolet, , l'ocarine, la cornemuse, les tambours, mêlèrent les sons en .. ·; une lHlrmonie excitante. Les danseusl's s'avancèrent, Pl lente-.'· ment. li'S gestes des lllHiiiS et des bras OIIVrÏrent la SPrie delj;.'i

poses plastiques. Bientôt ce fut le tour du ventre. qui, s"Plmtn- ::: lant doucement et graduellement, atll'ignit une vélocilé' de mouvement extraordiuaire.

Le grand roi David présidait. De nos jonrs, en liPu saint, c"eût été une profanation ; lan·

dis qu'au temps de David, ce fut une manifestation de la na­ture, rendant hom mage an gran cl m:1ilre des choses.

Deuxième tableau : Dans une vaste salle, un autel earré,

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LA CB.OIX·DB8•BOUQUB'i'S U9

fait de maçonnerie et de pierres, était dre!llsé, sans aucun autre ornement que des vases sacrés. A côté de l'autel se tenait un homme portant une longue robe de couleur rouge.

D'autres hommes apportèrent un agneau, au flanc duquel l'homme rouge plongea un long poignard. Le sang chaud qui sortit des entrailles de la bêle fut recueilli dans les vases.

Aussitôt, les assistaHts s'avancèrent à tour de rôle; et le grand prêtre, à la robe rouge, versa un peu de ce sang sur la tête et les oreilles de chacun.

Cette scène représente la communion, telle qu'elle se prati­quait dans l'antiquité. Elle se donnait par le contact de la substance avec la peau du fidèle. ·

Où clone se pa~sait cette étrange cérémonie, comportant quelque chose de démoniaque ~

Chez un llougan de chez nous, direz-vous~ Non, cependant. C'était la cérémonie de la scène du temps du grand roi Salomon.

Troisième tableau: << Après avoir pleuré la mort du Llé­« dempteur. Après avoir rappelé les ténèbres qhi couvrirent «la terre, la chrétienté sort de la douleur; les cloches se rd­u niment, les saints se dévoilent. le cri de la joie, l'antique << allelttia d'Abraham et de Jacob fait retentir le dôme des << Eglises. Des jeunes filles vêtues de blanc, et des garçons pa­<< rés de feuillages, marchent sur une route semée des pre­<< mières fleurs de l'année; ils s'avancent vers le temple en ré­« pétant de nouveaux cantiques. Bientôt le Christ descend sur << l'autel pour ces âmes délicates. Le froment des anges est dé­<< pesé sur la langue-véridique, qu'aucun mensonge n'a encore << souillé, tandis que le prêtre boit dans le vin pur, le sang << méritoire de l'agneau » (Génie du Christianisme).

LE VAUDOU

Nous nous attendons à voir se lever une nuée de protesta­tions contre l'opinion que nous allons émettre sur ce culte dénommé« Vaudou. 11

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DA.NS LES Co\MPA.GNES o'HAITI

On protestera, mais cela n'infirmera eu rien la réalité des faits.

~ous avons l'expérience acquise par nous durant de nom­breuses années sur les lieux même où se pratique le culte. Du reste, l'au th en tici té de ce que nous avançons pen t êt•·e contrô­lée n'importe quand par les observateurs de bonne foi.

D'après nous, !"erreur des partisans de l'ésolériqne est une erreur :;ans recom·s en ce qui concerne les mystères criminels du Vaudou en Haïti. Le dieu du mal- prétendent-ils- est puissant. Il délègue à un groupe restreint de disciples le pou­voir de correspondre avec les mauvais esprits; les protègent ou les accaLlent dans lcm·s intôrêts, et leurs aiTectio!ls, selon l'observance par chacun des règles imposées à la communauté.

Par exemple, le refus d'obéit- à 1m sacrificp, commandé par le 11 papa loi •> entraîne nn châtiment relatif à l'imporla!lce du sacrifice.

L'obi:i:<sance doit être passive, si l'on \'Cut courir les chances· d'une protection du di\'11 du Vaudnl!, qui déeidn de cc que doivent faire les mauvais esprits. C'est lui qui lance <:es mau­vais éléments cont.rc ceux qui n'ohéi:;;;ent pas nnx « bocors »

ou papa.

Il est •'vident qu'une telle croyance dans les pouvoirs des fanx dieux: constitne le principe du partage de la puissance divine dans son cs->enee, alors qlle celte puissance est souve­raine ct que tout L1i est soumis immuablement.

• •• DE-pnis quelque temps déjà dans la haute clasï~e des ruraux,

où 1 instmcLion a pénélré,jusqn'anx villages les plus retirés des momes, où le prèlre catholique, et les pasteurs ont pa ru, on commence à reconnaître- si ce n'est pas déjà fait depuis long­temps,- que les bocors, pOSf;CSseur·s des myslèrcs du grand culte Vaudou, ne sont que des apprivoiseurs de couleuvres

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LA. CROIX-DBS-BOUQU ETS t5l

guérisseurs ou empoisonneurs par la connaissance savante des plantes; ventriloques habiles, qui font parler la terrible cou­leuvre, quand c'est le ventre qui parle chez eux. ; magiciens ex­ploiteurs de la faiblesse des superstitieux ; jeteurs de sort; vendeurs d'amulettes à des prix scandaleux.

Tels sont les granris prêtres du Vaudou, et tel est le bagage autour duquel un cercle a été tracé pour paralyser les recher­ches entreprises dans le but de dévoiler le scandale centenaire, qui a fait tant de mal au développement intellectuel des ru­raux, en même temps que ce culte traditionneljcttesur le pays un manteau taché de boue, sur lequel les détracteurs de notre race attirent l'attention du dehors.

Si personnellement, nous avions reçu du ciel la grande fa­veur d'être ventriloques ; si nous connaissions les vertus de notre flore, et si nous savions donner à boire du lait à des rep­tiles inoffensifs, nous eussions l:té « Papa loi ,, d c notre propre initiative, sans auc1me inilialioiL ésolüique donnant droit à celle fonction lucrative, et honteuse.

Dan~ tous les pays du monde; en Europe, en Asie, en Orient,

comme en Afrique, le Vaudou existe. Seulement il e~t d·•guisé sous d'autres noms, qui so~1t :la magic, le f{~Lichisme, la chi­romancie,~l'envoûtement, l'alchimie, la nécromancie, et tant d'autres. L'Inde est le foyer des sciences occultes. Le mesmé­risme a révolutionné le xvme siècle. Les cours royales en étaient saturées. En pleine France. ceux appelés les 11 gué­risseurs» existent encore. Les ruraux ont pleine wnfiance en eux.

La différence est que le rite du Vaudou est grossier ; il s'élale sous un aspect repoussant, qui prouve encore son origine bar­bare. Les autres rites, aussi cabalistiques, font leurs mystères en chambre closé, tendue de noir, où le mal se taille sn part dans le bloc des croyants, comme le prêtre du Vaudou se taille la sienne parmi les idiots qu~ se laissent prendre dans la toile tendue. Et surtout il est l'apanage d'une race dont les

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f5::'. DANS LES CAMPAGNES o'BAITI

maîtres de la civilisation dominante ont décidé de décrier tou­tes les manifestations vitales .

• • • Le catholicisme est la greffe qui a produit le plus de fruits.

La robe noire du prêtre romain a passé de village en village jusqu'aux vallées lrs plus profondes et les plus reculées de nos montagnes. Mais, les racines du grand arbre africain ont-elles été extraites et jetées au vent~ Telle est la question à laquelle nous allons répondre.

• • • Quels sont ceux qui, dans les profondes campagnes. dan~ les

mas~es paysannes, comprennent le catéchisme, ou les œcom­manrlations de la Bi ble~ Si les sacrements des Eglises sont pra­tiqués: Id baptême, le mariage, la cof!lmunion, etc.; si on se conforme aux formes rituelles du cu ILe pour les enterrements, ce n'est qu'une question supedicidle. qui ne s'appuie sur au­cune croyance nou v1•lle, détacha 11 t lï ndi v id u de la vieille croyance à laquelle il reste immuablement fidèle. Du moins il a continué ensemble ces croyances.

La croix pl11ntée cians la cour des<< bocor·s »en offre la meil­leure preuve. A toute croix fixée qu~>lque part est joint un « méàecinié béni. >>Si une bougie est allumée devant cette croix, la même personne allume une au Ire bougie sous le feuillage du p~>tit arbre. Les branches de la C1oix servent de dé~pôt aux défroques du fétichbme ; c'est là que sont suspendues les aruulelles usées; lrs vieilles toiles de deuil, les vieilles robes. de nuances diverses ayant servi aux vœux ordonnés par le « papa loi. >>

Comprenez quelque chose, si vous le pouvez, à cette macé­dei ne de croyances.

Voulez-vous mieux encore~ Entr·ez dans la maison du bocor.

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LA. CROIX-DE!·BOUQOI!TS t5~

appelé<< padre ·11, ou << papa. 11 Dans une pit\ce, c'est l'autel du Vaudou, ayant la forme antique de l'autel du roi Salomon ; carré. en pierres et maçonnerie ; ayant dessus des vases sacrés en terre cuite ; une petite courge ou calebasse entrelacée de colliers multicolores, et montée sur une baquette :ce petit ob­jet est la clochette qui indique les phàses diverses des cérémo­nies. Dans la pièce voisine, qui est la chambre de la manman, est un oratoire, ayant une pf'tite lampe toujours allumée. Des images de saints et saintes remplacent la tapisserie: c'est sainte· Aglaé, sainte Catherine, sainte Altagrâce, etc. Parmi les saints, j'ai déjà remarqué une image qui avait été une réclame com­merciale. M. A rn il saint Horne avait distribué à ses clients, il y a. trente ans, son portra!t, au-dessous duquel était marqué en grosses leltres·: << Saint Rome. 11 C'est ce saint à grande barbe blonde, - qui fut notre ami ; - que nous avons eu le plaisir de retrouver en compagnie des autres saints .

La danse du Vaudoux :

• • •

La danse fait partie du rite. Elle n"a rien de commun avec le prétendu dogme .vandouesque, pui:<que ce n'est qu;une occa­sion de chanter. de battre le tambour, de boire, de rire et de· s'amuser pendant la nuit t>t pendant le jour.

Nous allons vous faire le récit de ce que personnellement nous avons toujours constaté dans ce:< snrtes de bastringues,. ni plus, ni moins :

Les trois tambours: l'as,;otor, et les deux petits annoncent l'ouvel'lure de la danse.

Comme devant le temple de David, un coryphée pr<~side ; un mouchoir noué sur le front lui ceint la tête. Il commande· l'orchestre, aux trois sons uniques. continuellement rérétés ; mais s'allemant de façon à produire un effet inexplicaple sur le système nerveux. L'a:<sotor ne donne que ces trois sons, à­peu près ceci : boum ; dourn; do.

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·{54 DANS LES CAMPAGNES n'HAITI

Les chanteuses contribuent à parfaire la belle musique ; ce sont des cantates qui vont d'accord avec les lamboUI's.

il y a de jolis chants comme celui-ci: << Quinquin lé di ça, Zanfans la yo, Quinquin té di ça, ployé

drapeau. Drapeau fini pitis zanfans ; cé ça Quinquin dil rwus. Pitils zanfans ployé drapeau. ,,

« Les américains nous l'avaient annoncé, mes enfants, pliez les drapeaux. C'est fini les drapeaux. C'est ce qu'avaient dit les Américains. Pliez les drapeaux.. n

(Un de ces jours, écoutez à Parisiana ou à Variétés, le chant de Candio sur Er·sulie : Cela mérite la peine d'être connu comme chant vaudouesqne).

La danse commeuce: les femmes ont les pieds nns; les ro­bes relevées à mi-jambe, soutenues à la taille par des mou­choirs aux couleurs éclatantes ; le buste porte une chemise blanche ouverte su1· les seins.

Les hommes sont régulièrement vêtus, chaussés ou non. Les con pies ne se réunissent pas comme dans le tango, le charles­ton, où les deux personnes Sfl confondent jusqu'à ne former qu'un seul être à deux dos, et à deux têtes, dont l'une se repose, la bouche entre-ouverte, les narines palpitantes, les y .. ux mi­clos, comme dans nn rêve d'or de parfum, rêve où apparatt le paradis de Mahomet.

Les couples du Vaudou ne se touchent pas : les danseurs ,. font Yis-à-vis aux danseuses; les con pies se livrent à des sa­luts, des tournoiements et des pas cad<'ncés.

La danse du ventre- c'est plutôt la partie située à l'anti­pode du ventre qui remue ... avec grâce et nonchalance.

Les femmes qui ont ce qu'on appelle loi, ou qui ont tout simplement l!'op bu, tou ment sur elles-mêmes en frappant for- .!

temenl la terre avec les pieds. Comme tous le~ jeunes hommes je me suis souvent am nsé à. ]

regHnler ces danses sans avoir jamais éprouvé rien de surna-. :·~

tu rel. Je suis toujours parti de ces réunions après avoir mang~

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LA. CROIX· DES-BOUQUETS t55

bu et dansé. même en compagnie de Séphro, Toto, Carmélia, Asséfie. Fifi, Zuliaca, Marie-Jeanne, n'ayant jamais éprouvé que les fatigues ressenties au sortir d'un bal du grand monde.

Voilà, en toute franchise, tout ce que nous savons du Vau­dou. Si quelqu'un vous dit qu'il en sait plus long, vous pour­rez certifier qu'il est du groupe Esotérique. Celui-là est bocor, pour sûr, et croit à des fantasmes de sa mystique mor­bide.

Comme conclusion, disons que la masse est composée de chrétiens mêlant aux rites de la religion des pratiques païen­nes en rapport avec ses connaissances llmiti'es.

L'homme le plus en retard, croit en Dieu. Il sait qu'il y a un grand Dieu, qui existe au Ciel, et qni est le Dieu de bonté. Il-le dit lui-même,. dans ses moments diflieiles : « Bon Dieu bon. Il m'aidera n. Cet homme est donc chrétien.

Mais en même temps, il y a chez lui, le païen, sa foi dans le paganisme, dans les autt·es puissances occultes, c'est de cela qu'il veut se débarrasser en se rapprochant cie n:glise_

Chez le peuple, y aurait-iltw double calcul que l'on pour­rait résoudre par le raisonnement suivant~

11 Adot·ons le bon Dieu, dit lfl peuple. Donnons-lui une part de nos prières, de nos offrandes, en allant à l'Eglise, en fai­sant ce que les prêtres nous disent. Mais, il y a les autres dieux qui sont mauvais, qui nous envoient les malheurs ; il nous faut lenr donner quelque chose pour apaiser leur colère ; pour qu'ils ne fassent pas mourir nos animaux, périr nos récoltes, jeter la maladie sur nos enfants, sur nous-mêmes- Il nous faut donnet· à manger à Maitre-Dleau (maître des eaux) pour que les t·ivières soient abondantes, etc_, etc .. Protégeons la cou­leune pour qu'elle détmise les rats dévastateurs_

11 La Vier·ge Mal'ie, mère de Dieu, est bonne- dit encore la masse- mais il faut qu'elle soit aidée par la Vierge Altagrâce, qui nous aime beaucoup_ >> Le culte à Altagrâce dépasse tout commentaire :il est univer·sel dans le bas peuple.

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f56 DA.NS LES CA.MPA.GNES n'HA.ITI

Voici la mentalité qui existe dans tous ces centres ruraux qus nous venons de visiter.

• •• Malgré tout ce que nous venons de constater en fait de

croyances, de mœurs, de coutumes, n'est-il pas possible de direque les ruraux haitiens représentent les ruraux latins, plutôt que Jes brutes appartenant exclusivement à la race afri­caine; la couleur du pigment et la conformation physique mises à part.

II est inconteslahle qu'un progrès réel se réalise dans nos campagnes les plus reculées. Bi··ntôt une moyenne pourra en être tirée, qui ·subira la cornpar·aison avec la classe moyenne des ruraux des pays les plus avancés du monde civilisé.

Indépendamment de certains facteurs. tels que le type, qui se retrouve encore chez quelques uns, par les grosses lèvres, et le nez large et plat. la co•1leur noire. qui est celle de la ma­jorité; y a t-il une ressNnblance entre la race africaine el la rac:e hartierrne sous le rapport des mœurs, de la psychologie, du tempérament, du caractère doux et avenant. du désir de a'irrstruire, celui d'évoluer. cl'enlrer dans le giron de la race latine en adoptant Sil r·eligiou, sa civilisa lion?

L'homme de l'Orient. qu'il soit Japonais, Chinois, lrrdien, ou Turc, ne devie11t jamais Eui'Opéen. Il y a toujours chez lui la loi du retour.

Quelq1w soit llraïlien qui passe dix années en Europe, il devient français, ou allemand, par les mœurs et l'éducation. Sans le type qui le distingue, il est dilllcile d'établir la natio­nali Lé de cet haïlit•n.

• •• Il y avait à peine dix minutes qu'avait pris fin notre long ba­

vardage sur les manifestations de l'instinct religieux. chez nos

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LA. CROIX-DES-BOUQUETS . t57

paysans, et nous nous disposions à aller prendre un rafraîchis­sement chez notre vieil ami Saul mrvil quand nous avous vu se diriger vers nous une de nos compagnes de route.

Nous eûmes des craintes, parce que avec ses lunettes d'or posées sur un nez fin, et sa robe à la Miss Elliett, notre com­pagne était à nos yeux, une des précieuses de Molière. Nous nous trompâmes :elle fut modeste dans ses demandes.

La petite dame nous dit avec un petit accent anglais char­mant : Pardon, Môsieur, Can de long ... vous avez parlé dans la plaine, vous pas fatigué~- Non, Madame, avons-nous ré­pondu, nous ne sommes pas fatigué, quand de long en large nous nous promenons dans la plaine en causant, Ce dont nous avons peur, c'est notre cas de rouspétance envers Littré et La­rousse, qui, eux, cachent les renseignements dans des feuilles, où il faut aller les chercher, tandis que nous, nous donnons les nôtres au grand jour, au grand soleil, sur les grands chemins, à qui veut les avoir, même à qui ne veut pas les avoir, pourvu qu'on ait eu l'imprudence d'avoir accepté la promenade avec nous .....

Voyez, tenez-vous bien, la causerie va reprendre, non pas, cette fois sur les dogmes et les rites, mais sur· les événements célèbres qui se sont. déroulés à la Croix-des-Bouquets depuis l'époque de la Colonie, jusqu'aux temps modernes .

... HISTOIRE

La troisième révolte des colons de Saint-Domingue éclata â <« Savanne·Blonde >>, touchant à la Croix-des-Bouquets.

De là où nous sommes, nous pouvons distinguer les premiè­res portions du vast~ terrain appelé « Savanne-Blonde. >>

Voilà ce qui s'y passa en octobre 1768. L'ordonnance royale concernant les milices fut enregistrée

au Port-au-Prince le t6 avril t 768. Le Conseil colonial ne con­sentit à remplir cette formalité qu'après avoir déclaré que des représentations seraient faites à .sa majesté sur l'ordonnance

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DANll LES CA!\IPAGNES D'UAITI t58

qu'elle avait rendue pour le rétablissement des milices ; qu'il avait l'espérance que cette ordonnance serait révoquée, parce que l'intention du Roi n'était pas de rétablir les milices ; que les habitants voyaient ce rétablissement avec peine et se porte~ raient à y résislt•r.

Quelq!lesjours après. le prince de Rohan se rendit à la Croix­des Bouquets pour rétablir les milices de cette paroisse. Il ré­clamait l'exécution de l'ordonnance royale, et les habitants n'étaient poiut disposés à s'y prêter. H voulait en outre repren­dre les brevets d'officiers que tenai~nt les affranchis. Les blancs, mulâtres et noirs libres de la Cl'oix-des-Bouquets et du Mire­balais prirent les armes à la 11 Savanne-B.londe. n Trois jours après le major· général marcha contre eux, et ne parvint à ré­duire celte révolte qu'avec difficulté par la force armée .

• • • En 1791, les hommes de couleur de Port-au-Prince, auxquels

étaient réunis quelqur:s-uns des pi'Ïncipaux du Sud poursuivis .. dans leurs paroisses, n'agirent pas avec moins de pmdence dans lt>s préparatiîs qu'il fallait pour arriver à leur orgaui~a­tion militaire. Ils se réunirent secrètement, sans armes, sur une petite habitation de Louise Rateau (femme de couleur pa­rente de Beauvais), située aux environs de cette ville; c'était le 2t août. On y décida de nommer Beauvais chef de l'insurrec­tion; il était alors au Mirebalais.

Beauvais avait fait partie de l'expédition de Savannah et s'y était distingué par sa bravoure. Elevé en France, il y avait reçu mie bonne éducation, et il était doué d'un caractère modéré et de beaux sentiments; ses principes étaient sévères. Le choix fut gérH~ralement appronvé. Il y avait avantage pour la classe des hommes de coulenr d'avoir à la tête de leur armée, à lenr prise d'armes, 1111 lwmme de la trempe de Beauvais, lorsqn'ils avaient Piuchinat poul' présideot de leur conseil politi;Iue; c'étaieti t des conditions de succès.

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LA. CROIX-DES~BOUQUETS t5~

Dans cette réunion chez Louise Rateau, on choisit aussi un lieu pour s~a.Ssembler en at·mes : l'habitation Dièqne située à la Charbonnière, canton voisin du Port-au-Prince, fut désignée­à cet effet. Dans le même te.mps, les membres de· la réuni~n décidèrent d'envoyer avertir Beauvais du choix qu'ils avaient fait de lui, pour qu'il se rendit à Dièque le 26 août, jour fixé pour le rassemblement. Ceux qui eurent l'honneur de remplir ce tt~ mis~ion furent Pétion: Caneau, Ferdinand Des landes, trois jeunes hommes animés d'une noble ardeur pour cette sainte

C8US9·

La prise d'armes du 26 août devait être générale dans les di­verses paroisses de l'Ouest et du Sud, où 'les hommes de cou• leur pourraient l'effectuer ; cet ensemb_~e de circonstances de­vait garantir le succès. I<;n conséquence, Jourdain, Gériti. Bap­tiste, Marmé et Eliacin, Duboc, tous quah·e réfugiés du quar­tier de Nippes par les persécutions des blancs, quittèrent im­médiatement le Port-au Prince. dans la nuit du 21, pour se rendre au Petit-Trou et mettre leur quartier en ·armes au jour convenu. D'autres émissaires furent expédiés en même temps dans toutes les paroisses de l'Ouest voisines de la Capitale, et dans d'autres localités du Sud. Déjà, lés réunions préparatoiœs avaient eu lieu aux Trois- Rigoles et aux Palmistes-Clairs, dans le centre et aux confins de la grande plaine du Cul-de-Sac. Bor­gella s'était trouvé aux Palmistes-Clairs, Toutes ces habitations sont connues de vous, par nos récentes visites .

• ••

Le 7 septembre 1791, un concordat, qui soumettait les par­ties contractantes à l'exécution précise des décrets nationaux, sanctionnés par le roi, sans restriction, ni protestation, en les assujettissant également à l'exécution de celui du i5 mai, s'il arrivait revêtu de la sai1ction royale, fut signé à la Croix-des­Bouquets : les planteurs y étaient représentés ·par : Jumécourt,

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t60 DANS LES CA.MPAG.NES D'BAITI

Lespinasse, Drouillard, Turbé Lamarre ; et les hommes de couleur par : Beauvais, Rigaud, Daguin fils, Barthélémy, Jo­seph Labastille, Daguin ainé, Pierre. Café et Pierre Pellerin.

Pierre Café était le fils.de Coutard, Je planteur; son père ne l'ayant pas reconnu, il prit le nom de Pierre Café.

Un nouveau Concordat fut signé le H du. même mois et en- : core un autr~. le 19 octohre de la même année, sur l'habita- .! ., tion Gourean, par lequel celui du t 1 septembre fut reconuu ~ légal et conforme à la Constitution. :1

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Le surnom de ct Suisse 11 avait été donné aux esclaves qui, ·1

volontairement, s'étaient engagés dans la maréchaussée au 1 mom·ent de la lutte contre les anglais. Nous allons voir l'in-;~ gr a ti tude des blancs envers eux :

Les blancs de Port-au-Prince avaient mis pour colu!ition à, la ratification du concordat elu tt septembre, signé à la Croix­des-BoiHrnets par leurs commissaires, le concours des hom-. mes de couleur à leur pr••jet de séparer S,tiut-Domingne de la· France. Les hommes dt• cou-leur s'y étant refusés et les fré'-;~

gales anglaises qui étaient alors dans le port, étant retournées à la Jam:tïque, les blancs s'é.taient décidés à conclure la paix qui eut lieu à Damien. -\·lais, dm·ant les conférences de G~u~: reau. Caradeux avait t'epris ce projet dans les entretieus par..:: culiers avec Beauvais el Pinchinat. Ceux-ci ne s'y prêtant pas, Caradeux rspéra encon~ les y entr·ainer par toutes les cajole­ries dont il les entoura à leut· eutr(~e au Porl-au7Prince Les:. mulâtres se montrant plus fidèles à la France que le blanc ce· demier résolut de les ameriet· à une autre combinaison non· moins per-fide~etcette fois, il réussit auprès de Beauvais cl d~·; Pi nch ina t:

Pourdér.ider les blarics de Port-au-Prince au concordat du Il septembre, Hanus de Jumécourt leur avait exposé le dnnger:

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Ecole, Eglise, Cimetière de villages

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LA CllOIX-DBS•BOUQUJlT8 t6t

de mécontenter les hommes de couleur qui, au moyen des nè­gres suisses qu'ils avaient dans leurs rangs, pourraient soule­ur tous.les ateliers d'esclaves et occasionner les mêmes rava­ges que dans la province du Nord. Or, pendant les conféren­ces relatives 1· ce concordat, tenues sur la· plaee de la Croix­des-Bouquets, les commissâi-res bla·ncs avaient allégué 'le dan­ger qu'il y aurllità i:etenirees esclaves dans l'armée de couleur, parce qu'ils seraient aux yeui des ateliers dont. ils dépendaient et de tous les autres, un exemple vivant de l'avantage de la &édition. Ces Commissionnaires demandèrent donc qu~ les &uisses fussent remis à leurs maltres respectifs pour les punir aelon qne ces derniers le jugeraient connnabl~. ou qu'ils fus· sent livrés aux tribunaux pour être poursuivis comme coupa­bles de rév-olte .

.Mais les hommes de couleur, et Rigaud principalement, a' opposèrent à l'une et l'autre proposition. Rigaud· demanda formellement que les suisses fussent déclarés libres, par un article du concordat. Les blancs ayant persisté dans leur de­mande, Daguin, un des commissaires de couleur. aussi fou­gueux que Rigaud, dégaina son épée et cria : ft Tambours, battez la. générale. n A ce cri, les blancs déclarèrent renoncer à leurs propositions ; mais ils demandèrent de ne pas consa­crer l'affranchissement des suisses par le concordat. Cette ob­&erva.tion amena un mezzo-termine à l'égard de ces hommes .

• •• L'opinion des historiens impartiaux et des bommes de·

l'époque est qu'on nt~ peut qual~fier d'assassinat ni de crime politiquè le meurtre t~•Halaou, reproèbé aux hommes de Mare Borno. Le fait doit être ph.itat considéré comme un acte de dévouement pour Beauvais et inspiré par les sentiinÈmts d'ami­lié que le chef d'escadron commandant le fort de Bizoton pro­fes!iait pour son grand ami. Marc Borno ne pensait-il pas aussi

PIIOIIBitADBI Do\ltl LBS CAIIIPAGftBI D'BAITI fi.

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t62 DA.NS LES CAMPAGNES D'HAIT!

qu'une vie comme celle de Beauvais était précieuse au pays en vue même des événements futurs ~ Comme le dit Ardouin, Tous:;aint Louverture, Dessalines ct Christophe firent périr des sorciers afl'ic:aius semblables à Halaon, comme des êtres nui­sibles à la trauquillité publique et capables d'entraver la civi­lisation des masses. Dessalines a agi, en 1803, par les mêmes motifs, en faisant périr Lamour Dérance qui, par le fétichisme, lui opposait le plus grand obstacle dans la guerre de l'Indé­

pendance. Or, en ce temps-là, en l'année t793, Beauvais était à la

Croix-des-Bouquets avec une partie de la légion de l'Ouest. Les noirs indi:sciplinés de la plain.e du Cul-de-Sac avaient à leur tête l'un d'eux nommé Halaou qui suivait toutes les pra­tiques des sortilèges africains. Un coq blanc qu'il portait cons­tamment, semblait à la foule lui transmettre les inspirations célestes. Des sorciers secondaires étaient attachés à ses pas et l'aidaient à faire mouvoir ces masses privées de lumières.

Les affranchis avaient des préventions contre Sonthonax quïls soupçonnaient, bien tort, dit Ardouin, d'abandonner la cause de la liberté pour adopter le parti des colons contre­révolutionnaires. De son côté, Sonthonax, eut les mêmes pré­ventions contre les affranchis, craignant qu'ils ne fussent dis­posé::; à trahir en faveu1· des anglais. Il y avait erreur de part et d'autre; mais la division était dans toute sa force entre le Haut Corn missafre et les anciens affranchis.

Ensuite, quant à ce qui concerne Beauvais en particulier, est-ce cet homme de caractère honorable. de modération, que Sonlhonax devait choisir pour sa victime!

Cependant, tel est l'effet des préventions qui surgirent dans les troubles civils contres les hommes qui exercentl'autorité­dit encore Ardouin -que l'on crut généralement au Port-au­Pdnce qu'Halaou avait reçu mission de tuer Beauvais.

Voici la scène qui donna lieu à ce soupçon. (( Halaou vint à Port-au Prince, leU février t 794 ; ses bandes

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L.\ CROIX·DES·IIOUQUETS t63

rormaient une armée. Sonthonax parut devant elle et leur c4ef. Il fut au devant d'Halaou. qui portait son coq blanc. Le repré­sentant de la France le rélicita, ct lui parla mystérieusement, à l'oreille, et l'exhorta à retourner à la Croix. des-Bouquets, après un repas qu'il lui fit servir, et auquel Sonlhonax assista lui­même, en se plaçant à Labie à côté du cher magicien.

Après ce repas, donné au palais dtt Gouvernement, Jlalaou et sa bande se rendirent à la Croix-des-Bouquets.

Tout de suite le bruit se répandit quïlalaou avait reçu des instructions pour l'assassinat de Beauvais.

De son côté Marc Borno, chef d'escadron de la gendarmerie, commandant alors le fort de Bizoton, apprend le bruit qui cirClllait en ville sur le projet de l'assassinat de Beauvais. Ami intime et dévoué de celui-ci, il quitte immédiatem•·nt son poste et se rend au Por·t-au-Prince. Il rencontre Drouillard. un de ses amis, qui lui confirme les appréhensions que l'on a. Marc Boruo se porte, par devoir militaire, auprès de Mont­brun, Commandant de la province : il le trouve avec Pinchi­nat. Ces deux chefs, l'un politique, l"autre militaire, lui com­muniq,ten~ la résolution qu'ils ont prise de faire périr Halaou. Marc Borr1o franchit les trois lieues qui séparent la Croix-des­Bouquets de Port-au-Prince, persuadé que Beauvais est en

grand danger, et qu'il faut le secourir. Que s'était-il passé à la Groix-des-Bouquets à l'arrivée

d'Halaou et de sa bande ~ Beauvais habitait une maison (située sur l'emplacement qui

est en race de l'endroit où nous sommes, formant l'angle sud­ouesC de la place de l'Eglise). Halaou et ses hommes s'y trans­portèrent. et Beauvais, qui ignorait les appréhensions de l'opi­nion générale, en même temps qu'il était incapable de tendre un piège à Halaou, l'invita à pénétrer chez lui, pour lui offrir un rafraîchissement. Halsou, portant son coq blanc, fut suivi par ses sorciers chez Beauvais. Ils étaient tous assis, entourant Beauvais, comme ils l'eussent fail d'un e.risonnier.

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DANS LES CAMPAGl:.ES o'HAITI

Les deux officiers qui avaient précédé Marc Borna n'avaient ·· ·encore rien ordonné ; mais, celui-ci, aussitôt son arrivée, crut imminent le danger qui menaçait Beauvais. Il donna l'ordre à un sergent noir nommé Phellipeaux de pénétrer dans les appartements et de tuer Halaou. L'action de Phellipeaux et des autres soldats fut rapide : Halaou tomba mort. Beauvais resta étonné de ce résultat; il en demande l'explication. C'est alors quïl apprit le danger probable qu'il avait couru, et le motif de ce meul'tre~

Telles sont les explications qui ont été fournies sur cette .• affaire par différents historiens. Nous en avons fait un simple •résumé.

L'intention d'Halaou d'assassiner Beauvais. d'ordre de Son­.·~honax, a-t-elle jamais existé~ C'est là l'énigme. En tous cas, il y a eu coïncidence par la réception, la conversation privée, l'invitation à la table du Gouverneur, la présence d'Halaou

·chez Beauvais deux heures après. Autant de faits qui servent .d'arguments aux défenseurs du crime· politique, s'il y a eu ·•rai ment erreur de la part des amis de Beauvais .

• • •

Nos traditions, dit Ardouin, rapportent que quelques jours i

1lprès, le t8 mars t 793, des bandes de noirs de la plaine du -cul-de-Sac, sous la conduite de l'un d'eux, nommé Bébé Cous­

·-1ard, se portèrent de nouveau dans le bourg de la Croix-des­Bouquets, menaçant sérieusement cette fois l'existence de

·:·Beauvais et de toute la portion de la légion de l'ouest qui était -·-sous ses ordres : ces derniers durent se retrancher dans l'Eglise, -décidés à se défendre courageusement. Mais, pendant qu'ils - s'y préparaient, le fougueux Daguin, que nous avons vu au-, &refois dégainer son épée, sur la place du même bourg. pour -ordonner aux tambours de battre la générale, parce que les ,blancs du Port-au-Prince voulaient que les nègres suisses ren-

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LA. CROIX·DES·MISSIOl'fS

trassen-t sur les habitations de leurs maitres, Daguin s'arme­d'un fusil, va au devant des noirs étonnés et demande à parler· à Bébé Coustard.

Celui-ci pa-rait, et Daguin le tue immédiatement. Cette té­mérité, après la mort si récente d'Halaon, jeta l'épouvante · parmi ces bandes, qui se dispersèrent aussitôt. lilea-uv.ais rt'sla, de nouveau mattre de la Croix-des-Bouquets.

DECEMBRE t802

Pétion, parti de la Petite Rivière, avec une divi:sion, compo­sée d'un batai:llon de la septième, commandé par Marinier, de· toute la dixième demi-brigade, sous les ordres de Geffrard. poursuivant u.ne force de 3.500 hommes,entre au Mirebalaiséva­cné par David Troy et pénètre dans la haute pleine· du Cul-de­Sac, à Thomazeau, et de là se rend à « Lamardelle 11 puis à-· u Jonc 11, d'où il envoie le capitaine Benjamin Noel en recon­naissance jusqu'à 11 Duval. 11 Ce tlernier, culbuté par la Cavale­rie· de la Croix-des-Bouquets.·revint à Jonc dans le plus'grand désordre. Le général Pétion se détermine néanmoins à enlever la Croix-des-Bouquets, voyant que les cultivateurs du Cul-de­Sac ne se décident pas à s'armer pour les français, malgré le· tocsin que faisaient sonner les blancs sur toutes les habita­tions. Il vint s'établir à'' Pierroux. • Le Cul-de-Sac était encore · presque en entier sous la domination française. Lamour Dé­rance n'y avait qu'un seul camp sur l'habitation « Frères. »

Pour n'être pas inquiété par les indigènes, de ce camp, en les-··· quels il n'avait nulle confiance, Pétion envoie aup,rès ::l'eux 11 Jean Philippe Daul >>, à la tête d~un faible détachement de la· dixième, avec mission de leur annoncer qu'il se disposai-t à recounattr·e l'autorité de Lamour Dérance ; il ne faisait eette· .. démarche que pour éviter un choc dont les français seuls elolS­sent pt'ofité. Mais il épiait l'occasion d'arrêter ce chef de ban-· des qui méconnaissait l'aut0-rité d.e Dessalines.

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'66 1., "1 DANS LES CAMPAGNES n'BAITI ;1

Il y avait sur l'habitation « Bédette •> un corps d'observa.·:~ ti on fort de deux cents cavaliers. Un bataillon de la quatre- 1 vingt-sixième européenne de cinq cents hommes, et un es- 1

cadran de gendarmes decent-soixante hommes occupaient le J bourg de la Croix-des-Bouquets, dont le commandement ap- .l partenait à l'adjudant-général Gilbert Néraud. Les troupes.~ françaises de la Croix-des-Bouquets arrivèrent à Pierroux à :l ., huit heures du matin le 9 décembre (f80~). Gilbert Néraud atta-qua par une vive fusillade le général Pétion. Les indigènes, quoique surpris, prirent leur ligne de bataille sous le feu de , l'ennemi. Geffrard, Marinier, Jean-Louis François soutinrent sur tou tf• la ligne le choc des français; ils les contraignirent même à perdre du terrain. Gilbert Néraud commanda à sa cavalerie de charger, mais elle ne put rompre le carré que for­mèrent les septième, dixième et treizième demi·brigades. La • quatre-vingt-sixième. quoiqu'elle eut déployé une brillante valeur, battit en retraite, protégée par la cavalerie. Pétion, profitant de ces avantages, s'élança à la poursuite des français. Ceux ci, honteux de leur retraite, firent volte-face et recom­mencèrent le combat. Des reqforts leur arrivent avec de l'artil­lerie. Le combat devint vif et meurtri•·r. Les indigènes fou­droyés par la mitraille. se retranchent dans la grande case de Pierroux. Leurs cartouches étant épuisées, la mitraille les écrasant, ils abandonnent Pierroux et se rendent à Jonc. De là, Pétion se rendit à la 11 Coupe» où il. rencontra Germain Frère, chef de bandes, à la tête des débris de la onzième demi­brigade ; il fraternisa avec lui. Il y vit aussi quelques jours après, Lamour Dérance, auquel il proposa une entrevue dans la plaine de Léogane. Ceci se passait au milieu du mois de dé­cembre (t802).

La magnifique plaine du Cul-de-Sac, dont les habitations étaient encore florissantes, était presque, dans toute son éten­due, au pouvoir des français. Les postes français se prolon­geaient vers le Nord jusqu'au pont de Si bert ; et le poste le

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L.\ CROIX-DES-BOUQUBTS 101

plus important, au Sud-Ouest, était établi sut." l'habitation « Drouillard »,à une lieue du Port-Républicain, (c'est-à-dire de Port-au-Prince). Au centre de la plaine, à la Croix-des-Bou­quels, bourg alors admirablement fortifié, étaient réunies des forces importantes.

En -1803, durant la guerre de l'Indépendance, Caugé, ainsi que ses héroïques compagnons partit de Léogane pour la plaine du Cul-de-Sac avec les troupes du Petit-Goave commandées par Lamarre, et celles de Léogane sous les ordres de Marion, de Sanglaou et de Mimi Bode. Il pénétra dans les montagnes ct atteignit la Coupe, cl' où il se rendit au Camp Frère. Cangé crut pouvoir enlever la Croix des-Bouquets par un coup de main avec l'espoir qu'après cP-tte conquête les ateliers se sou­lèveraient en masse. Il partit du Camp Frère, marchant en cieux colonnes. Il en commandait une en personne ; l'au­tre était confiée à Mimi Borde. L'action eut lietJ à Borgella et à Jnmécourt. Mimi Borde y fut mortellement blessé. Emporté au Camp Frères, il y rendit le dernier soupir. Il fut enterré au Morne Cadet qui domine l'habitation Frères. C'était un officier de grand courage. Nous avons e11 vain cherché sa tombe au morne Cadet.

MARCHf: AUX llESTIA.UX

Depuis le transfert à la Croix-des-Bouquets du marché de Pont-Becet, il y a dans le bourg une animation intense chaque vendredi. Il s'y fait pour pins de trente mille gourdes d'affaires, par la vente des bœufs de boucherie, des bœufs de travail, des mules, ânes, chevaux, coqs de bataille, cochons, cabris, etc ...

• • • En laissant la Croix-des-Bouquets où l'hospitalité du capi­

taine Devesin, du curé et de son vicaire. du notaire David Jn. Jacques, a été si affectueuse, nous allons nous diriger vers

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10tS D~NS LBS CÂtfPAG~BS D 1R~ITI

l'ouest pour traverser une zone de plus de 5000 carreaux de·· tene sans grandes cultures par manque d'eau; toujours l~ · manque d'eau pour les plus belles terres de la plaine.

Ces grands terrains sont divisés, et la plupart le sont entre les héritiers, qui sont au nombre de cinquante pour 100 car• reaux.

A. notre droite, nous laissons: Beudet, Dujour, Savane Blonde, Ségur. Nous sommes à Santo, où Eugène Carrié a longtemps lut&é, ainsi que Jules Laforestrie, qui a fah de son mieux pour réussir, sans nul profit. A notre droite, de l'autre côté de la Grande Rivière, nous laisserons Goureau, Cazeau, Papeau, où se trouve un peu de canne de petits propriétaires. Lathan abou­tit à la grande route de la Croix-des-Missions. Traversons cette route allant toujours à l'ouest. Nous parcourons encore d'au­tres grandes terres, divisées, et à peine cultivées, toujours sans ;

eaux d'arrosage. Tout ce quartier est tributaire des caprices de ·~,·~ .. la rivière, qui permet ou non, la prise de ses eaux par les su- ~

rabondances. Une partie du groupe appartenant aux héritiers :.·~

Aug. Archer, est occupée par Hasco ; envirQn 35 carreaux 1 sont à M. Edouard Mevs. ~

Nous voilà à Sibert. Arrêtons-nous à ce carrefour. parce que ce nom de Sibert a dû vous rappeler un acte de courage et de dévouement célèbre dans notre histoire.

En t807, l'armée de Christophe rencontra celle de Pétion à Sibert. Malgré toute sa ténacité et sa bravoure, l'armée de l'ouest dût opérer sa retraite. Son chef. le président Pétion, se tenait précisément dans ce carrefour, portant un chapeau à plumet, qui le désignait au feu de l'ennemi. Brusquement, un de ses aides de camp, Courtilien Coutard, se saisit du chapeau et s'en coiffa. Cousta.rd ne tarda pas à être victime de son bel acte de dévouement: il tomba mort au poste d'honneur, en sauvant le Chef de la République, qui put retourner à Port-au­Prince.

Au sud de Sibert sont les belles terres de << Marin n, très

l ~

1

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I.IA. CllOII.·DZ&-BOUQUBTS

divisées ; et encore plus au sud, 50 carreaux de l'habi-· talion « Robert,, appartenant à Lonis Ethearl, le vaillant lut-· teur.

• ••

Nous voila t~Ur les rails du chemin de fer du Nord, qui tra­verse près de tOOO carreaux de terre appartenant en propre à la Sogar Co ...

Nous ferons entrer ces tOOO carreaux dans un bloc unifié­quand nous serons ·à Hasco. Eu attendant, admirez le travail qui a été fait dans ce vaste quartier où des bois seulement croissaient en compagnie des cactus, il y a à peine deux ans. Aujourd'hui plus de dix puits artésiens actionnés à l'électricité· y apportent la prospérité et le travail. ·

Retournons sur nos pas, afin d'ardver à la Croix-des-Mis~­&ions par le grand pont en fer qui relie les deux parties de la· plaine.

Nous laissons Sibert, et nous repassons à Marin. Ce quartier de Marin et de Petit Fouju, est celui des man­

guiers. Chaque carreau de terre est planté de dix à vingt groa manguiers, bien entretenus et bien surveillés. Ces arbres ne sont pas cultivés pour leur ·beauté ou pour"la f'raicheur de leur ombre. C'est ·un élément de commerœ qui rapporte autant. qu'u-n ehamp de cannes ~u de patates.

'Quand les manguiers sont chargés de fleurs, des revendeuses de la ville, Tiennent apprécier le rendement de la récolte pro-_ chaine. Selon les estimations, chaque arbre est loué pour la' saisoo à des prix variant de trente, cinquante jusqu'à cen!t. gourdes.

En supposant qu'une << cour »possède dix gro·s arbre!l, de~t donc un revenu, pour les deux saisons de l'année, varia:nl entre· quatre cent à mille gourdes, selon la qualité des mangues ::. muscat; ca."'Corne, gros-fil, ou autres.

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11.70 DA.ftS LES CUIPAGNBS n'HUTI

LES GAGU:€RES OU GAGEURES

Arrêtons-nous un peu pour écouter ce grand bruit qui se fait à notre gauche. Entendez-vous ces applaudissements, ces jurons formidables, ces appels, ces cocoricos répétés~ C'est que nous sommes non loin d'une gaguère, où ùn combat de coq vient d'avoir lieu.

Jè ne prendrai pas sur moi de vous conduire dans un tel endroit, où moi-même, j'éprouve toujours des soulèvements ·.de conscience à la vue des pauvres bêtes, qui s'entretuent, poussées les unes contre les autres, pour satisfaire la passion du gain chez les amateurs de ce jeu.

Les éleveurs et revendeurs de coqs, suivent une carrière. Les dominicains sont très forts dans cette science et dans ce trafic.

Tout coq de bataille doit être de bonne race, nerveux, cou- .i

.rageux et endurant. Pour maintenir les qualités natives de la bête, il lui faut des soins spéciaux.

Un coq de bataille est gardé non loin de la maison de son maitre. Il est attaché, le jour, à un petit pieux fixé en terre. !

Le cordelet de chanvre qui le retient est assez long pour qu'il puisse se promener autour de son point d'attache.

Ces coqs ne sont pas nourris comme les coqs ordinail'es. On .leur fait suivre une hygiène, qui mesure la nourriture et fixe son espèce. Les soins donnés à ces gallinacés sont spéciaux : on leur coupe la queue à deux pouces du croupion ; les plumes . du cou sont rasées, ainsi que celles de l'arrière-train, de telle sorte que les parties exposées à l'air durcissent et donnent : .peu de prises au bec de l'adversaire. Les éperons doivent être longs, fins à la pointe, et forts à leur attache à la jambe.

Le coq de bataille ne fuit jamais ; il se fait tuer sur place .sans renoncer à la lutte. Trop blessé, trop fatigué, mourant, .n'en pouvant plus, il se couche sur le ventre, en répondant toujours du bec aux coups du vainqueur. Ou bien alors, quand

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LA Cl\OIX-DBS-BOUQUBT8 t7f

il renonce au combat, il parcourt des demi-cercles, les ailes tratnantes; mais la t~te toujours haute, jusqu'au moment où il va s'effondrer contre les parois de la gaguère.

Les parties de coqs sont autorisés les jours fériés et les di­manches, de midi à cinq heures du soir. C'est l'occasion pour les gens de la campagne, et pour beaucoup de citadins, de gagner ou de perdre de fortes sommes, s'élevant souvent de deux à trois milles gourdes.

Je vous donne lecture d'une séance de combat de coqs qui a été publiée dans le No de Noël de 1926 du journal le Temps. Cela vaut mieux que d'aller vous faire constater le fait de visu, ou de vous faire entendre les propos orduriers lancés par les perdants, qui deviennent subitement fous de colère el de décepti011.

NAPOLEON ET WJc~LLINGTON

UN TERRAIN JIOUYBIIENTE

-Déveine 1. .. Quelle déveine ! ... Alexandre Djolcalbace, commissaire du quartier de la Sa­

line, venait encore de perdre ... -Treize coqs, dans un mois ... - Et, cet après-midi, quarante-sept gourdes, trente-trois

centimes 1... Il en était furieux, le bougre : il rageait, vociférait, frappait

du pied et du coco-macaque (1), tour à tour sur l'enclos de la gaguère; déshabillait, sans ménagement, toutes les mamans de la République; menaçait, en jurant par tous les tonnerres de l'Olympe, par toutes les vierges de l'Empirée. (Altagr!ce et les autres) de donner une leçon à ses « persécuteurs» aussi bien qu'à leur<< ruffians» de tuer, de hAcher, de couper, de ... Car, ce n'était pas possible, ça ; el que le tonnerre l'écrasait, il y avait quelque chose dans tout ça.

(l) Gros biton. 1

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DUS LES CAKPA.GNES D'UUTI

Comment... dans l'espace d'un mois ... , seulement un mois 1. .. hein ~ ... treize coqs « antorgés » ..• Non, on aura beau dire ... « gain kichoye nan tout ça. »

-Autrement, paratt-il, Napoléon, le treizième coq, n'aurait pas été de la sorte <1 décbalboré 11. ••

- Regardez-moi donc ca, en appelait maintenant au témai­gnage de tous l"incon:!o-oll8.ble Djolcabace, - cependant que, le coco-macaque sous le bras, ayan.t ramassé le cadavre encore chaud de la victime. il le montrait à l'assistance ; le lui dé­taillait par le menu ; en exaltait les extraordinaires qualités qui, immanquablement, denient en faire un vainqueur à tous les coups.

- Regardez-moi donc ça ... Un coq si bien taillé pour le corn bat!. .. Est-ce que, avec un bec pareil. .. hein P •.• (et ses gros doigts, courts, noueux, avec des ongles larges et ras, faisaient jouer ce « bec 1>, l'ouvrant et le refermant tour à · tour). Est-ce que, avec un pareil bec, on ne saccage pas un adversaire au premier boulva L. Est-ce que de tels éperons ... ,. hein ~ ...

Et devant la pointe extraordinairement effilée de l'un d'eux, il arrêtait, instamment interrogateur un index crochu par l'abus dirait-on. de quelque chère pratique.

- Est-ce que de tels éperons ne vous, foute, décherpillent pas n'importe quel coq au premier patassouel...

Dans un centre interlope comme une cour de gaguère, les gens ayant un fond de moralité trafiquent en fraude pour ne pas se détacher de l'ambiance vicieuse, dont l'influence n'admet pas de distinction. Les femmes qui fréquentent un tel milieu seulement dans le but de profiter de la circulation de l'argent pour y faire le petit commerce d'alcool. sont obligées, le plua souvent, de se joindre à la foule des autres femmes pour atti­rer les buveurs à leurs comptoirs ambulants.

Par exemple, si un bon coup d'éperon met un coq hors do, combat, le vivat est général. Sans distinction, les hommes et

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LA. CBOIJ.·DBS·301:JQUBTB 173

les femmes entrent en scène en répétant te cri de triomplle. et dansant autour de la gaguère. C'est alol's que }es petiœa tables sont prises d'assaut par les filles perones, et les bom•e~, qui les accompagnent. Ils y c006omment : I'e2!celle'J114le goutt4i d'or à 0 rr. 05 centimes, les trois doigts gaiUés ; l·e lafia v.éti­vert, ou a peau de citron, ou 111 liane remontée, appelée « ti· garço11 », lia mabi, le 11 zoco-rllfk...rGicû » demandé par lea fortes gueules.

C'est daos oes sortes de réunioD6 que l'on l'encontre les mau­vais .garçons, port~tus de couteaux: sous leurs palellots, qui passent leurs nuits à gagnel' de ritr~nt an moyell d:es os pi­qués, et à boire de l'alcool frelaté.

Voilà un groupe de 11 girondes » (filles de mauvaise vie), qui entourent des paysannes. vendeuses de mangots ; elles achè­te-nt le11 fruits autant qu'elles en 'VOlent. La vie ·de ces ôftes se passe à s'amuser en compagnie des hommes de bas étage~

La gaguère est l'occasion pour ces filles de picber lieur canas• . &on en compagnie des malandrins. ·

Les girondes 'Yiennent des bouges de la grande ville, et )toni

là où la débauch~ et la bamboche engluent les hommes. Chaque dimanche, les li.lles font appel à la tendresse des ga­

gnants. Les perdants, en colère, les repoussent à cou.ps de bâton ...

Approchons-nous de celles qui sont snr notre !Oute. Ces lar­gues ou girondes sont toutes chaussées de vieux souliers fins, sur lesquels tombent des bas, qui doivent sentir le graillon, laissant à nu des jambes solides, senant de support à dea croupes de pouliches exercées.

Voyez donc comment t•une d·ene se mouche·; elfe presse dia doigt une de ses narines ... puis, chasse avec'ia main, la subs­tance de coryza tombée sur sa robe.

La plus vieille d.es fifles - celle qui paratt noir 24J ans -porte déjà des sillons au cou - signes précurseurs d'on pro;.

chain dépar~ pour l'hôpital. Ses cilr sont arqu6s Btrr un. r~t

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DAI'IS LES CAMPAGII'ES D'BAITI

bas, ou des cheveux crépus et jaunes de chahine, paraissent Î sous un petit foulard bleu noué à la martiniquaise. Sa bouche. · forte, attirante, porte de belles dents, un peu tachées par l'usage du tabac. L'écartement entre les deux incisives lais~e passer par la fente une pointe de langue, qui vibre d'un genre canaille.

Comme contraste, admirez cette grande et belle paysanne, que ses amis appellent Lucie Des frissons alternés parcourent son buste, des épaules à ses larges hanches. Ce frissonnement dévoile l'orage des sens chez cette belle femme.

Disons pour les tilles perdues, une prière aux dieux incon­nus, et passons à autre chose •

• • • Nous traversons le solide pont de la Croix-des-Missions qui

est d'une graude utilité. Par temps de débordement de la ri-·. vière on passe sur les deux rives sans inconvénients et sans;;; aucun arrêt. Si ce n'était ce pont, il serait impossible de voya-: . .'.1

ger, à moins de remonter vers le pont de Tabarre, dont ~a pas-+ serelle étroite DE; peut permettre aux cabrouets à bœufs de le ·lj traverser. ;~

Le pont de la Croix-des-Missions me rappelle une de mes :l farces de jeunesse. Son inauguration eut lieu vers t89t ou ·· i 89~. je crois. La veille de cette fête, étant rédacteur à l'Écho d'Haïli, dirigé par Etienne Mathon, je reçus l'ordre formel de mon chef de me rendre à la cérémonie pour en faire le compte­reudu : Mais, le soir, ayant été invité par des amis à faire l'en- .: terrement de quelques bouteilles, je sortis du Cercle convena- 1 blement maltraité, de telle sorte que le lendemain je dormais · encore au moment où avait lieu la dite inauguration.

Pour me tirer d'affaire -et, plagiaire comme toujours,­je copiai dans un vieux journal, le compte-rendu d'une autre inauguration de pont, en changeant seulement le nom du Mi­nistre discoureur et celui du pont.

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LA. CROI:I:·DES•BOUQUBTS

Tout le truc passa avec forces compliments du bon Mathon. Comme à cette époque nos ponts n'étaient pas solides, j'avais­même ajouté à ma copie cette pensée sublime, qui est encore d'actualité peut-être : Chez nous les ponts sont comme les Cons­titutions : c'est fait pour qu'on pcu&e ci c6M.

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CHAPITRE X Vllf

LA CROIX-DES-MISSIONS

Ce carrefour où se trouve un groupement d'une trentaine de·' ·maisons n'a rien d'important au point de vue commercial. On' y passe pour se rendre dans la plaine, sans s'y arrêter. Il s'y' trouve une chapelle qui est fréquentée les jours de fête, la.: maison du Curé, une petite école rurale, un poste de gendar·.·;; merie, une station de la P.C. S., et c'est tout. ·~

i DAMIEN. - La jolie clôture en petites grilles de fer nouvel-,:

lement posée à Damien, relève le quartier de la Croix-des-Mis.;·', sions en donnant au grand chemin un cachet d'élégance. Ar-·:j rêtons devant la barrière de cette habitation avant d'y péné-·1 trer. Nous deYons Yous entretenir de son passé, qui appartient; à l'histoire.

• ••

Il n'y a pas longtemps- à peine t5 ans- un des princi­paux lots de Damien, environ 30 carreaux, était la propriété: de Mme Joyeuse. Ce lot fut vendu à Mme Camiche, qui faisait travailler ce petit domaine par un procurateur. Il y avait une plantation de canne de bonne qualité. Le moulin à eau servait, non seulement pour les produits de l'habitation, mais il pas­.sait aussi les cannes des champs environnants.

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LA. CROIX-DI!S·MISSIONS. t77

Damien est, d'après nous, le domaine de la petite plaine, qui réunit les meilleures conditions de t1·avail.

Placé à peu de distance de Port-au-PI'ince, à peine 15 mi­nutes en automobile, il est relié par le chemin de fer, dont la station est située à 4.0 pas des clôtures. Les terres de Damien sont excellentes dans toute l'étendue du bloc de 39 carreaux.

Partout où l'on passe dans la plaine, le manque d'eau se fait sentir, tandis que Damien est alimenté par une forte source, celle de Papeau, dont le bassin de distl'ibution est à la Croix­des-Missions, c'est-à-dire à Damien même. Ce bas:!lin, 011

écluse, a sa petite histoire : Jusque en f880, les habitations: Clapier, Sarthe et Drouil­

lard, étaient arrosées par deux sources appelées source << Ma­touba » qui sortaient de terre au nord de la Croix-des-Missions, à peu de distance du lit de la Grande Hivièt·e. Par suite d'un fort débordement de la rivière, les sources disparurent.

En conséquebce, les habitations qui en dépendaient, furent privees d eau, et le moulin de Drouillard cessa de fonctionner.

C'était un désastre, auquel on ne pouvait remédier que par une distribution parÙelle (le l'eau de Damien. En 1882,legou. vernernent du général Salomon s'occupa de la question, et le règlement suivant fut convenu :

to L'eau de la source Papeau, passant pu· l'écluse de la Croix­des-Missions. va directement sur les terres de Damien, selon la force de son débit; sans porte et sans barrage aucun. (Une porte donnant au nord) ouverte dans récluse. alimente Clapier, Sarthe et Dl'Ouillard. La dite porte est graduée de telle sorte que l'eau qui y circule ne trouve comme passage qu'un~ lar­geu•· de un pied environ, et comme hauteur, celle d'une bl'ique placée dans le sens de sa largeur. Cette brique ne doit soute1lir la porte, ni debout, ni placée sur les côtés.

2• Quand le moulin de Damien était en marche, la porte nord devait être fermée, de façon à donner toute la force du courant au dit moulin, qua11d l'eau sortait du moulin. Aujour-

••o .. ••unss DA.BILBI c•BPA.GBEI D'RÀJTI {2,

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t78 DANS LES CAMPAGNES D 1JU.ITI

d'hui que le moulin ne fonctionne plus, l'eau va directement à Drouillard par la porte nord. Un horaire privé en règle la distribution entre les trois ayants droit.

Les affranchis et les blancs ne pouvant s'entendre sur les conditions des différents traités conclus à la Croix-des-Bou­quets, et les discussions se prolongeant sur les articles de ces traités, une réunion eut lieu à Damien, où une entente défini­tive fut signée entre les partis le 23 octobre t793.

Pinchinat fut reconnu président des Commissaires de cou­leur, Caradeux aîné, président de ceux des blancs.

Cet acte fut basé sur les concordats déjà signalés. Il fut con­venu de l'admission des hommes de couleur dans toutes les assemblées, à égalité parfaite avec les blancs, même dans l'as­semblée coloniale. Toutes ces assemblées devaient être re­nouvelées par les élections.

ECOLE DE DAMIEN

Il y a déjà trois ans que l"Etat a fait l'acquisition des terres de Damien.

C'est sur cette habitation, déjà célèbre, que le service technique du département de l'agriculture et de l'enseigne­ment professionnel a été définitivement installé.

L'organisation entièrt> du service technique se divise en quatre départements principaux, qui sont :

Le département de l'administration. Le département de l'enseignement. Le département de la station expérimentale d'agriculture. Le département de syviculture. M. Geo. F. Freeman Sc. D. est le directeur général du dé­

partement de l'administration. Ce grand et beau bâtiment que nous avons devant nous est

l'édifice principal de l'école centrale d'agriculture. La pose de la première pierre du nouvel édifice principal

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LA CRUIX·DES-:I:IISSIONS t 7lt.·

eut lieu le 25 mars t9:25. Ce bâtiment comporte toutes le&­classes.où se font les cours et aussi toutes les chambres de laboratoires pour la chimie, la botanique, l'agriculture et l'en­tomologie. Il y a aussi des pièces pour la bibliothèque, les bu reaux du directeur de la station expérimentale de tous les mem-· bres du personnel de l'enseignement et du personnel technique ...

Voilà où s'arrêtent mes renseignements personnels sur la grande école de Damien.

Ayant deviné que nous serions ici aujourd'hui, j'ai eu la. précaution de prier M. Freeman de mettre à la disposition de notre groupe d'excursionnistes un membre de sou per­sonnel pou1· nous aider par des renseignements plus autorisés. que ceux que je pourrais foumir.

Le délégué de M. Freeman, l\{. X., est un jeune homme de vingt-cinq ans environ. qui nous reçoit avec empressement, et qui se met à notre disposition pour tous les renseignements que nous pourrons lui demander.

Les explications de M. X. sur l'organisation des différents services dans le grand bâtiment conlirment celles déjà don­nées par nous. Il les complète en nous disant que les étudiants de l'école pourront être appelés, quand le moment sera venu· de s'adresser à des hommes spécialement prépa1·és, à la di­rection des entreprises agricoles et industrielles du pays.

En inaugurant l'école d'agriculture, il a été reconnu que· les étudiants n'avaient antérieurement reçu aucune prépara­tion en la matière. Il y aura des étudiants pour les cours su-· périeu1·s, à mesure qu'ils auront vu les programmes des cours inférieurs. Pour cette raison, durant l'année scolaire t924-t925 on avait partagé les étudiants en deux sections, .selon qu'ils avaient déjà vu le programme spécial des cours d;_été de t924,. ou qu'ils se présentaient pour la première fois à l'école. Le· programme des études s'étendant aux deux sections comprend toutes les matières indispensables à la connaissance de la·. science agricole.

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180 DANS LI!:S CAMPAGNES D'HAITI

On a traité dans les conférences sur le café, des caractéristi- . ques de la plante, de ses particularités de croissance, de fruc­tification et des relations de ces dernières avec l'espacement, la hauteur, l'émondage, l'ombre et la culture.

Dans un album nous avons vu les groupements suivants : Etudiants du cours d'agronomie, dans un champ de cannes (( Uba 11. Etudiants observant la coupe et la récolte de la canne à sucre sur une grande plantation commerciale. Un profP.sseur, accompagné de la classe dans un champ de coton indigène. Etudiants de l'Ecole centrale d'Agriculture faisant des études sur le café. Etudiants transplantant dès a~anas, etc ... GroupeS' d'étudiants examinant les types sélectionnés de cheptel, et les types de vaches laitières.

La fer me de Damien contient environ 220 acres de terrain/ (environ 70 carreaux). On en a nettoyé environ 90 acres quf ont été transformés en champ de culture. Le camp. lPs bâ-::·; timenls, les routes, les jardins de denrées et d'école, ainsi que,: les plantations de la section d'horticulture occupent une Hen~ due de ;-!6 acres ; If' reste sert an développement des pâtnrages.

Indépendamment de l'édifice principal, M. X ... :nous a fait voir la vacherie, le dépôt de la grange, les étables pour che­vaux et mules, des baraques diverses pour bœufs, moutons et porcs, etc ..

L'ean de la source Papeau étant insuffisante, on a foré un puits de douze pouces de diamètre. jusqu'à une profondeur de deux cents :pieds. Ce puits donne six cents gallons d'eau par minute. li est muni d'une pompe électrique qui fait monter l'eau pour l'arrosage des terres.

Notre cicerone nous a montré : un tracteur, une machine à ·'• découper le fourrage, une machine à séparer la crême du lait, une herse à disque, une faux mécanique, des chariots, dt>s ca­brouets, des charrues de divers types. Il y a aussi des hert<es, des cultivateurs, des semeuses mécaniques et toutes sortes d'instruments aratoires à main.

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L~ CROIX-DES,IIISSIONS

La ferme nous a dit M. X. rapporte quelque1 venant de la vente des produits. Ces valeu~s se chaque · anQée,. dans le Bulletin du Service T revenus devront augmenter dans l'avenir : mai pas que la station ex péri mentale pou rra subve1 à ses p•·opres besoins, parce que la main~d 'œu vaillance nécessaire des travaux d'expérimentatic dépasse·nt dè beaucoup les ress~urce's ordinaire de •·apport.

Bi~n que chaque département ait un champ b: de rechet·ches, le personnel entier de la station. est obligé de collaborer quand il S~l!git degra:uds · touchent au developpement agricol·e d'.flaïti.

. Grandes cultures :

Dans ce que nous avons vu, et selon les rens• M. X .... on peut classer les cultures qui sont fa en cultures faites sur une grande échelle, pour ser et de fourrage aux animaux, et, cultures faites s échelle, comme ,essais.

Dans les parcelles Oll rangées que VùUS voyez dins, on cultive des va•·iétés dilférentes de denrée de notre visite, (fin 1926), il y en a plus de 55. N descal'l'és de patates a•·achi;des, tomates, mani~ ignames. Le sor:gho,ou petit mil planté, forme un g en Haï.ti. Il pos;;~ède sU•· le maïs l'avantage_ de pot à la séchère~se. Le sor~ho doux, variét~ à sucre l

de l'Etat de l'A,rizonlf (E. u: S.)~ Ce grain se dé façon excell~ntc,.:en dépit :de la s'écb~resse .. Cette e gho. comme fourr,age, .est:une excellente acquisitio elle possède des avantages sur le maïs, en ce qu'E rapidement et est meilleure au goô.t ..

Monsieur X .•.. nous a fait voir des .. carrés de ca1 rentes, provenances : Porto-Rico, J;.ma.ïque,. canr

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18~ DANS LES CAMPAGNES n'HAITI

·n est établi un tableau de leur rendement en tonnes. et de 'leur résistance à la maladie appelée cc mosaïque. l>

Il y a aussi le carré des pois pigeons ou pois congo. Une es­pèce de ces pois venue de Hawaï promet de bons résultats.

Les arachides appelées communément << pistache » en Haïti, -sont plantées avec une variété 1t cosse large, qui a été importée de l'état de Virginie. Les plantes se sont développées d'une .façon excellente.

Coton. - Nous avons demandé à M. X ... ce qui avait ··résulté des soins donnés au coton. Sa réponse fut que la ré­colte de t 925 a été meilleure que celle de i924, et que le meil­leur effet est obtenu contre les chenilles en saupoudrant les plantes d'arseniate de calcium. La station expérimentale a

·entrepris l'établissement de deux champs de coton, l'un de ces .champs se trouve à Bon Repos, et l'autre, celui que nous avons devant nous à Damien. On a impol'té des E. U. douze variétés

·différentes de cotonniers. Toutes ces varietés ont été attaquées ·­par la mosaïque, excepté la << Prima Egyptian. » Cette variété

·de cotonnier est du type« l'ernvianum », qui, comme la va­riété indigène d'Haïti, est immunisé contre la maladie.

Elevage. - Au début de l'année t 925, le département de·' ·l'élevage possédait quelques vaches, une paire de bœufs, quatre \ ·.mules et quatre chevaux. Ce nombre s'augmenta considérable-., ment dans la suite. On a importé depuis : qui11ze baudets, ··

·seize taureaux, quatre vaches, cinq génisses, quinze verrats', ·sept truies, deux boucs angora, six chèvres, dix coqs, cinquante -·poules.

Comme l'un de nous faisait remarquer qu'à part les vaches, .. Jes porcs et les poules, les étables n'avaient pas toute cette .. forte quantité d'animaux, il lui fut répondu par 1\J. X .•. , que les taureaux, les poulains, ont été envoyés un peu partout dans ·

-le pays, surtout dans la plaine centrale de Hinche pour la re­_.prod uction.

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LA. CB.OIX-DES·MISSIOl'IS t83

Comme la nuit venait; nous dt1mes prendre congé de M. X .... ~n le remerciant chaleureusement, et e1n lui demandant de présenter nos civilités à M. Freeman pour son amabilité .

• • •

Nous avions à peine quitté Damien, que l'un de nous de~ manda à un autre compagnon sou opinion sur ce q'u'il avait vu. La réponse fut la suivante : Si chacun devait donner son opinion, il y en aurait eu plus de cinquante, basées sur quoi'! Sur ce que nous avons vu à Damien, où se trouve un simple champ d'expérimentation ~ - Nous parcourons seulement le Cul-de-Sac, alors .que l'œuvre de l'école d'agriculture s'étend dans tout le p~ys.• _:.. Comment peut-on émettre une opinion sur des innovations êparpillées : L'ensemble de i'œuvre et les résultats ne pourront être appréciés qu'après quelque temps seulement sur la vue des résultats. Il faut accorder aux· tra­vaux agricoles, nouvellement entrepris, et à leurs suc~édanés, tels que l'élevage et le reste, un crédit relatif à leur importance,

Attendons donc, et espérons qu'il n'y aura que des félicita­tions à l'adresse de la haute Direction du service technique de l'Agriculture, qni s'est engagée à réaliser un programme, dont l'exécution est seulement à son début .

• • • Voilà « Miss Elliet· » qui me demande pourquoi, dans le

cours de notre voyage, 'je n'ai jamais fait allusion à l'instruc­tion publique sauf~ ~amien.

A cetie grave qû~stioo. je répondrai que le « rire est le propre de l'homme·»-, su~tout d.e la femme, et que je n'ai pas conduit mes amis dans la plaine pour leur donner l'occasion de pleurer.

A Frères, l'école rurale appartient à l'Etat, comme à la Croix-des-Missions.

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t8t. DANS LES CAMPAGNES n'tiAITI

A Thomazeau et à la Croix-des Bouquets, les enfants sont logés dans un intervalle de 20 pieds carrés, où ils étouffent lilléralement. A Dumée, c'est une gaguère qui a été transfor­mée en. école rurale. Partout ailleurs. les classes commencent à onze heures à cause de la grande distance que les eufants parcourent pour s'y rendre.

Les professeurs payés 4 dollars le mois apprennent eux­mêmes à lire couramment afin de pou,·oir mieux répondre aux obligations de lenr charge. Ce sont d'honnêtes citoyens qu'il faut féliciter chaleureusement.

Vous voyez donc. chère Miss Elliett, qu'il valait mieux rire ... Que de larmes verser!. ..

(Il y a dans le Cul-de· Sac, trente-neuf écoles, dont l'effectif est de t.9t 3 élèves, et la moyenne de présence t.z50. -Voir la carte.

• ... En laissant Damien on passe à Clapier, charmant pelit do­

maine di1·igé par le général Coisrond Canal Jne. M. C;111al vend cl1aqne année ses belles cannes à la Sugar Co.

Par Clapier, nous pouvons entrer à Sarthe ou Uiboul. C'est sur cette propriété qu'un ci'Ïme retentissant s'est accompli vers l'ann1~e t8{i5. De mémoire d'homme, jamais un Lei fait n'a été enregistré dans le Cul-de-Sac, ni avant, ni depuis.

M. Hiboul aîné, personnage émineut, était pwpdétair-e de Sa l'the. Ayant remarqué que des vols se renouvelaient dans ses usines, il provoqua une réunion des gens de son atelier, et leur parla sévèrement, en leni' exprimant sa résolution de changer de personnel. La nuit se passa tranquillement ; mais. de bon matin, au moment où M. Hiboul prenait son café, il fut as­sailli à coups de manchette.

Sarthe appartint plus tard à i\1. Florvil Laforest, et devint ensuite la propriété de M. Th. Wiener, qui travailla pendant

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LA CllOIX·DES·MISSIONS t8l)

de nombreuses années sur ce domaine. Il venait de mettre ses­usines sur une base nouvelle de prospérité par leur agrandis­sement, et le renouvellement de son matél'iel de distillation, quand des offres avantageuses de la Hasco lni plurent.

En ce moment, c'est la Haytian Sugar Co. qui est proprié­taire des terres et des usines transformées de Sarthe.

GUILDIVES- L'ALCOOL

Il existe actuellement dans le Cul"de-Sac, plus de soixante­dix guildives.

Le _commerce de l'alcool a toujours été un puissant élément d'affaÎI'es sur nos marchés intérieurs, soit par la veute du tafia ou celle du rhum.

Les plus fortes distilleries du Cu I-de-Sac, après celle de la Hasco (Sarthe), sont : celles de l<'rères, de Soissons. de· Nouilles, de O'Gorman, de llorgella. Cette dernièr·e est f'xploi­tée par n'ne petite société. que dirige M. Sedan Villejoint

Désirant vous donner entière satisraclion sm· la fabrication de l'alcool, nous nous sommes basés sur les ob.servatious que nous avons enregistrées sur le sujet pendant plus de vingt années de pratique dans celte branche de notre prineipale· industrie.

Ces jours-ci, nous avons complété nos observations par une enquête qui s'cs~ éte.ndne partout ou nous avons pu trouver des éléments capables de compléter nos actes sur la qut>stion.

Nous sommes donc en mesure de vous donner l'assurance· que la production de l'alcool dans le Cul de-Sac, avant l'ins­tallation de la distillerie actuelle de .Sarthe, était approxima­tivement de un million de gallons par an, alors que cette· production insuffisante, aurait pu atteindre un chiffre bien plus. élevé.

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186 DA:\'S LES C.\!IIPAGNES n'BAITI

Voici sur qnoi je me base pour émettre cette opinion.

16 La canne est coupée par le paysan indifféremment à 8, 9, fO, et U mois, selon ses besoins d'argent. Or, il est reconnu que la canne de 8 à 9 mois ne réunit pas les conditions néces­saires en matières sucrées pour donner le rendement néces­saire en alcool. Cette récolte anticipée qui se pratique jour­nellement dans nos plaines, ne peut que nuire à la fabl'Îca­tion par une perte sensible dans la composition du jus.

2' Le paysan prend généralement de quatre à huit jours pour la coupe du moind1·e petit champ. L'enlèvement de la canne et son transport au moulin présentent de grandes di­fficultés par manque de moyens pratiques ; d'où résulte un déchet énorme avant la roulaison des cannes.

3° Les petites habitations font moudre leurs cannes dans des moulins à bêtes. Les rouleaux de ces moulins placés à inter­valle d'un pouce au moins, ne réalisent pas la pression néces­saire pour une copieuse extraction du jus. Il s'en perd près de 30 0/0. Le même inconvénient se produit avec les vieux moulins à eaux qui comptent plus de cinquante années. Beau­coup de ces moulins, dit-on remontent à l'époque dela colonie.

Les moulins à vapeur, eux-mêmes, anciens ou nouveaux styles, sont tous à deux rouleaux. Le broyage y est également insuffisant à tel point que la bagasse qui en sort, rend un reste dejusappréciable, par une simple pression de la main.

A ces inconvénients qui résultent de l'ancienne façon de travailler l'on devra substituer les moyens suivants. par les­quels la production future s'augmentera considérablement :

t• L'emploi de moulins perfectionnés pouvant faire rendre à la canne toute sa substance.

2• La coup~ en temps voulu, c'est-à-dire, à un an et ·plus. 3° La roulaison le plus tôt que possible après la coupe. 4° Une composition et une fermentation scientifiques du

jus, ainsi qu'une distillation rationnelle de l'alcool.

Ecoulement.- La vente de l'alcool est absolument facile.

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LA CROIX-DES-MISSIONS i87

dans tout le pays. Souvent les quantités produites ne suffisent pas à la consommation intérieure, surtout à l'époque de la ré­colte du café :les 4000 gallons distillés par la Hasco, chaque 24- heures, trouvent un écoulement assuré et rapide.

Notre alcool n'est pas exporté à cause des droits forts qui le frappe à l'étranger. Seul, le rhum est expédié eri faible quan­tité, quoique sa qualité soit appréciée partout où il est con­sommé. En Haïti, la classe aisée en fait une consommation constante, et l'on peut dire, sans se tromper, que l'étranger résidant ici, lui accorde sa préférence, à toutes les autres bois­sons alcoolisées.

En passant par les cannes de Sarthe plantées par la Hasco dans un terrain transformé parce qu'il est marécageux, nous allons entrer dans le champ du grand Drouillard, où les terres étaient non moins mauvaises que celles de Sarthe. Elles ont été améliorées par de grands drainages qui ont donné pour résultat ces beaux champs de canne au milieu desquels nous nous trou­vons en ce moment.

Drouillard (petite plaine) ou grand Drouillard, est un do­maine de 600 carreaux, dont 150 sont en pleine culture. Le reste des terres placées à l'Est sert à la pâture des nombreux bœufs de trait de la Compagnie.

Drouillard appartient aux héritiers Achille Barthe. La Hasco occupe les terres par contrat à loyer.

Dans l'histoire, cette habitation a une certaine célébrité. Après la défaite de Pétion à Sibert, c'est à Drouillard que

fut établi le quartier général de ChrisLophe faisant le siège de Port-au-Prince. C'est de là que fut dirigé le feu de son ar­tillerie contre la ville, jusqu'à la levée du siège, après de vains efforts pour s'en emparer.

Sous Geffrard, un essai eut lieu· d'une immigration de pay­sans étrangèrs, dans le but de développer l'agriculture. C'est à Drouillard que furent -placés les immigrants. Des haras y fu­rent créés pour l'amélioration de la race chevaline.

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t88 DANS LES CAMPAGNES D'HAIT!

Les champs de Drouillard, comme ceux de Sarthe sont arro­sés par les eaux de la source Papeau passant par la Croix·des­Missions, et par trois puits artésiens qui y ont été placés par la Hasco. Deux de ces puits sont à l'électricité, et un à vapeur.

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CHAPITRE XIX

HASCO

Ce nom original, vif, court, sonore comme un appel de Ty­roliens dans la montagne, est formé par la réunion des lettres majuscules de la 11 Haytian American Sngar Co. >> : IIASCO.

Cette grande Compagnie sucrière a débuté en Haïti vers fin t9t6.

Elle est anonyme. Son siège social est à Washington, De­laware, (E. U.), et son principal établissement à Port-au-Prince.

L'Etat Haïtien et la Hay tian Sugar Co. ne sont liés par a:ucun cont:rat particulier. Elle a obtenu ses licences, et paye patentes et taxes conformément aux lois du pays. Elle bénéficie de l'au­torisation légale de posséder des propriétés en sa qualité de société agricole et industrielle.

Les grandes usines de la Hasco sont établies à 3 kilomètres de Port-au-Prince, à << Chancerelle. »

Ses plantations de canne à sucre sont dans la plaine du Cul­de-Sac, et dans la plaine de Léôgane.

Elle est propriétaire de terres. Elle en occupe d'autres par contrats de bail, ou contrats en association, ou par contrats de vente de canne.

Avec des divers éléments de travail, la Compagnie est ali­mentée en canne par 8000carreaux de terre, qui se répartissent comme suit:

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t90 DA.NS LES CAMPAGNES n'HA.ITI

Plaine du Cul-de-Sac. Plaine de Léôgane.

Total.

6.200 carreaux. 1.800 ))

8.000

La première récolte de la Sngar Co., en f9i8, a été de 58.254 tonnes. Successivement elle a obtenu un rendement su­périeur, chaque année. La dernière récolte de t 926-t9::!i a donné les résultats suivants :

f 79.075 tonnes de canne. Les usines ont produits pour l'exportation : 72.0f i sacs de 305 livres de sucre rouge. Ce qui donne un total de : 21.963.35.5 livres de sucre. Et: t3.066 sacs de 100 livres de sucre rouge: t.306.600 lbs. 48.728 » " 11 " » » blanc : 4.872.800 lbs. La production sucrière totale a donc été pour t U26-27 de : 28.142.755livres de sucre.

Par ce superbe résultat, il est incontestable que la Haytian Sugar Co. est en plein progrès, malgré les tendances des mar­chés de sucre à maintenir à la baisse le prix de ce produit, de­puis bientôt sept années.

STATISTIQUE

(Cours du Sucre de 1919 à 1926)

t 913-2.25-2 1914-2-5.25-2.50 t 915-4-2.50 1916-5.50 3.50 5.50 t 917-3.50-5.50-6.50-5 Hlt8-5 • t9t9-5 • .

1920-25-3.75 1921-5-3-2 1922-3.75 t 923-6-5.50-3.75-5 1924-5.75-5-3-2.50 1925-2.75-2.50-2.25-2 f 926-2-2.50-2.25-2

N.B. - Le fondateur de la H. A. S. Co. fut M. Grieff, dé­cédé l'année dernière. Homme de beaucoup d'énergie, possé-

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H.\SCO i9t

dant toute l'expérience nécessaire, il avait pu en moins d'une· année, établir les usines de Chancerelle ; organiser le travail des ateliers, et mettre en culture une bonue partie des terres. placées sous la direction de la Compagnie.

M. Grieft' avait été remplacé par M. Harris, et M. Harris par M. C. Edgar Elliott, actuellement Président de la Haytiau Cor­poration of America; comprenant la Compagnie du Wharf de P01·t-au-Prince, la Compagnie de l'éclairage électrique de Port­au-Prince, et celle des chemins de fer de la P. C .. S.

<< La H&Jtian-Corporation-of-America ,, a pour Vice-Prési­dent, M. Franz-Von-Schilling.

M. P. Faure est le secrétaire général de la dite corporation .

.. • •

Les premières terres occupées par la Hasco formaient des lots à propos desquels de ll·ès grandes difficultés durent être surmontées. Ces dilficultés furent la cause du retard éprouvé par la Compagnie dans l'extension de ses cultures. Elles peu­vent être énumérées comme suit :

t • Ten·ains placés à de gra~des distances. Des habitations éloignées .les unes des autres, qu'il a fallu relier à la ligne prin­cipale du chemin de fer par des voies spéciales.

L'établissement de ces voies de liaison fut à la charge de la Sugar de même que !"expropriation des terrains sur lesquels elles sont établies.

2° Terres en partie rocailleuses, marécageuses, ou salineuses. Il a fallu les améliorer, et les rendre cultivables apr·ès 3 ou .t, a liS de travaux réitérés par le drainage au moyen de canaux de 6 pieds de fond, sur 12 et 3 de large. Le bouleversement des terres par la grande charrue à vapeur, ou petite charrue à bœufs.

3• Suppléer au manque d'eau par le forage des puits arté­siens.

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192 DAl'I'S LES CAMPAGNES o'H.UTI

4• Soigner, sélectionner la .canne dite d'Haïti, dégénérée par manque de soins, et généralement atteinte de la maladie ap· pelée moisac ou mosaïque.

lm porter d'aut~es espèces de cannes: les acclimater jusqu'à-~ en obtenii: .. JliJ. résultat satisfaisant. . · l

La Compagnie a einployé toutes les méthodes propres à fer· 1 ' 1

tHiser la 'terre partout où elle eut à faire_des cultures. . La pratique et la science ont été employées sur toutes les:

grandes habitations relevant de son administration. Par ce fait, les paysans voisins, et ceux engagés, par Hasco 1

dans ses plantations, sont au courant des méthodes pratiques qu'ils appliquent anjou rd_'hi.Ji dans_ leurs_ j 11 rd in s.

Le système de planter la canne dans des carrés où l'eau d'arrosage et de pluie stationnait, à presqùe-disparn. Les plan·

talions se ~ont par rangées de . ~ix pie~s de .di~t~nce les unes;, des autres, afin 'de permettre la c1rc~lâtum del mr dans touto•.î les parties du champ, eLla circulation de l'eau au pied des 1 cannes, sans former des petits amas d'eau dormante, nuisiblesl à la croissance des jeunes po~sses. · · . 1

Au lieu de iaisser venir les· cannes au milieu des herbes ou'Î autres plantes sa1lvages, ·les paysan·s· sùivent l'exemple <~.,Ha':: 1 Compagnie,: qui tient absolumeiit à la propreté des cha;iipt~ par le sarclage répété ·jusqÜ'à ce que la cimne devenue assez) forte détruise elle-même les mauvaises herbes entourant Sel racines. '

La replan talion période des cannes est essentielle. Si la m~me canne reste en terre après une période de cinq ans, elle per·d do sa force, et, devenue faible, ses: racines poussent hors cli1 sol, sans reproductions devant donner ·lamasse qtii forme le ton· nage désirable. ' . ·

Sur ce~taiiieshabitalions remises à .la C()~p~gnie, il y avait des cannes vieH~es de plus de. ~0 ans, 'àu:,dir~ des vieux pay· sans. La terr~ des champs: éla.ïi d~i:~ .et .i~'p_~rméable comme des glacis. Le pàssage d~ ·la·· ~iiai:~.~é-d~n~''c~· endroits a mi•'

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BUCO t93

au soleil une terre arable de première· qualité pouvant donner des rendements d,e 30 .to.nnes à l'acre,. soit dans les tOO tonnes au carreau;. tand~~ qu~avant •. 1~ réric;lement n'était que 5 à 6 tonnes par.' acre;. !• . . - • . : ·. • ' .

A part le sarclage,;ilfaut aussi le·huttagt- paut"petmettre aux racines de.1l' étend 're pour prod.aire~d~ réj~tons: A ~rès la coupe, il faut la ineUte·daus lea·péti~s. alté~s' ~~O:tte··l~·s :rangée&;, p·our la remettre au pied dés can~~s quand- celles-ci- on& itteint une certaine hau.te.ut.: . · ' :' · · ,

En passan.t:~s,.les, ;champs- de Bas~ •. q:ü~ I!Gml, d~sla grande pl~laertiepu.ia ·B~ella,· Pe;rarid; ·Cqult.iird•, · Dessour­ces. Morio!~~. ~~,j~ von• •ai fait:l'ç,ina•qo~f toUtes ces. particu­larités, de.:mêoie que le·~$ystème d;arr.osage·.;ptf ·grands et. petits canaux; . ~ .. , ,• .. . . ' ,. ~

~ ... • ~ 1 • !· •

.. · .;_ ... •' .. •' ... , • •.• 1.

• .,. •. 1 ,· ·.; .

Le bloc de Hasco dans la petite p~ai~e se com:po.se des . habi­tations suiviuites ~ i>r1lufrïàr~:L .I'Etofte,· Sa~~he~. M~nél~s, Du­vivier, Truitier, ·:v~\Jiir~~Ü petite plafne. Les'blî~~ps que vqus avez vus après 'Fciiij\if· èhiù~ j'e 'vous aï' dit àp1l~rte~;ir' eri; pro­pre à la Conip~giiiiiÇs~~~pèllênt ~ '8ibert, ·s~~~~_rdon, J~~~àu, Koléard, tet.ibbürs~ ~M~rger, D~speréz; lion .. Repos.

Ces huit. hé.~lt~tfons · s~·nt les derniè~es acq'uisitions 'de la Compagnie. ·.EÎI~i;~p~é~e~t~nt u6 .bÏoc'·.te' f:i·2o carreaux.

Tous ces ·térraiiîs .. au'jo~rd;hui. convéii.ablem~nt a trosés et couv_erts de éannè 'en .8-~a1Me ·-pa'rti'e~ êtaienf inèilltes ii y a l peine deux ans. Terres nto:réelt~ès, oà 'aucune eau de ri~iè~es eu de sou rte n~arrivait~ elles -étaient'ooû-vértes'de bois à' brtUér, chétifs et ra-~ugriS.:· Ri~o:·q1Ie l:lès ·ba:~alioiides dans tou te· ce tt~ ~tendue, sans .un'àrbfe> :f~riitier.' bo ::y faisâit'seulement du char­bon pour·~totitti·iiidÙs·f~l~: .Pa~t6ùt;diâé 'ces bois poussaient dea candélabue,s. &pineux; ~es ~~tt.iJ/uii' g~ion. rudé avec des épine• qui s'attachaient aux jambes et au .Oanc des bêtes.

La transfo.r:mation des lieux a été surprenante; grAce aux .ef-PBOJIBIIADBI DABI UIS CAJIPAGBBI D'KAITI 13.

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194 D&l'IS LES CAIIPAGI.'IKS o'R.UTI

forts de la Hasco. Elle a fait de ces vastes quartiers un des plus beaux centres - non seulement de la plaine- mais de la Ré­publique. Ce bloc, part de l'intervalle existant entre la Croix­des-Missions et l'embouchure de la grande rivière. Elle conti­nue le bloc Fruitier-Vaudreuil déjà établi à gauche de la ri­vière, pour s'étendre jusqu'à la route de l'Arcahaie (Pout Cassé). Ayant pour voisins, à l'Est, les terres de Sibcrt, Marin, Fi-Fouju, Bobert.

C'est sur l'habitation << l'Etoile ,, que fut fondée en t870, par les frères Dupré et Labbé Barbancourt, la grande distillerie Bar­bancourt. dont le produit, le Rhum Barbancourt obtint plus de 20 médailles d'or et d'argent dans différentes expositions. en France et ailleurs.

Depuis t 907, à la mort de Duprés-Barbancourt, les usines fu­rent transportées ailleurs par ses héritiers. Les terres de l'Etoile sont rt!slées la propriété de son petit fils, Pierre Liautaud.

Puits artésiens. - Toute celte masse est arrosée par des puits artésiens, actionnés par la force électrique, dont le cou­rant arrive par un réseau de fils sur des pylônes en fer hauts de plus de 25 pieds, et supportés par des socles en maçonne­rie. Des stations intermédiaires renouvellent la puissance élec­trique.

Chaque puits a une profondeur de 250 à 300 pieds.

La quantité d'eau obtenue varie également par puits, selon l'importance du courant souterrain. Il y en a qui donnent 2.250 litres à la minute, et d'autres t .500.

Comme nous l'avons déjà dit à notre passage dans la haute plaine, sur les 6.200 carreaux de terre en plantation pour la Compagnie, il y en a à peine t.OOO, qui soient convenablement arrosés par les eaux de la rivière. C'est par les puits artésiens installés dans le Cul-de-Sac que la Ilasco a pu obtenir une aug­mentation de ses productions.

Quand on pense que chaque forage est soumis aux: chances

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BUCO 195

du hasard, cela donne à réOécbir sur les pertes éprouYées par l'abandon des puits quand la nappe d'eau n'est pas trouvée à une profondeur qui dépasse quelquefois 400 pieds.

Un puits électrique dont le résultat est satisfaisant, collte en moyenne S 3.000 or, pour forage et matériel.

Les premiers puits installés avec pompes actionnées par la vapeur, revenaient en moyenne au double pour le même vo­lume d'eau.

Voici un tableau qui permettra d'avoir une idée du mal qui s'est do nué la Hay tian Sugar Co. avant d'obtenir les cannes qt•e les wagous transportent daus les usines de « Chancerelle » :

Puits installés par la Haytian American Sugar Co. (Hasco) dans le Cul-de-Sac :

P.&YR.\G 1 puits abandonné MÉNÉLA.S { puits électrique L~ Sto;BRB i Il à vapeur MOJUNIÈRE 2 1) Il Il DuvniBR t Il Il

Il t )) 11 gaz VA.UDBBUIL 2 Il ,. 1) t ,. jaillissant FRUTIBR t à vapeur

DBSSOURCES 2puitsà vapeur SIBBRT 3 1) » ))

Dsssouacss 7 puits jaillissant SIBBRT 2 puits abandonné• WBtNt~a-Su.TBE 1 puits à vapeur Il 3 1 électriques ETOILE 2 Il électriques Bo" RsPos t puits électrique DROUILL~BD Il à vapeur BEBtUDOU t )) Il

2 ,. électriques MoLi&.ao 2 • abandonnés Total. 38 PUITS.

Comme on le •oit, sur les trente-huit puits forés par la Com­pagnie, il y en a sept qu'elle a dû abandonner faute de résultat pratique par insuffisance de courants souterrains.

L'établissement des dix premiers puits a eu lieu sous la direc· • tion de M. F. W. Stephen, le même ingénieur qui a procédé 1

l'installation de tous les établissements des Usines'de Hasco.'

Le forage des autres puits, et principalement ceul( actionnée

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'196 IH.NS LES CAMPAGNES o'HAITI

par l'électricité sont l'œuvre de M. V. P. Odoni, l'habile ct ai­mable ingénieur, actuellement directeur de tout le syslèrn• d'irrigation des terres de la Hasco.

Comme vous l'avez constaté à votre passage à Sibert, pr~~­que tous les puits électriques longent la voie du chemin de f<'r du Nord, à traversles terres des habitations: Jameau, Moléarcl, Bernadou, etc.

Transport.- La Compagnie se sert delalignedescherniu, de fer du Nord pour le transport aux usines de Chancercllr.,

·des cannes provenant des habitations placées dans la direction de cette voie ferrée.

Ce sont ces locomotives et les wagons de la Hasco (servant au transport sur les rails de la P. C. S.) qui sont employés sur les rails du chemin de fer du Nord. Cela parait anormal, en ce sens que la voie de la P. C. S. possède un intervalle de rails de 30 pouces, tandis que les rails de l'autre ligne sont à U pouce~.

Cette difficulté a été surmontée par le placement d'un rail ·supplémentaire donnant 30 pouces, en même temps que ln grande voie est restée à 42 pouces. De cette façon les deux cir­

, culations ont lieu sans aucune gène pour les locomotives et wagons à 30 ou 42 pouces d'écartement des roues.

Les cannes venant de la plaine de Léogane et du Cul-de-Sac sont transportées par la P. C. S.

Quoique le matériel servant à ce travail (wagons et locomo­tives) soit la propriété de la Compagnie, le Haytian Sugar pay•

-à l'Etat, une taxe fixe par wagon, qui suivant la contenance et la distance s'élève à une moyenne de 38 cts à f.O cts or par tonne. Avec une récolte de 200.000 tonnes de cannes dont la presque totalité est transportée par la P. C. S., la Hasco verse

.ainsi à la P. C. S. dans les $ 76.000 or pour 5 mois de servict.. La grande question pour nous est de vous donner des ren­

seignements détaillés sur les usines de Chancerelles :sur M

machinerie très compliquée, comme sur la fabrication du ·:IIUCre. Nous déclinons notre compétence en la matière. Du

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BUCO

reste, il nous faudrait Yous mettre sous les :yeux, un volume· plus gros que le nôtre.

Tout ce que nous pouvons faire, c·est de vous offrir le beau· spectacle des usines en pleine marche.

Eu attendant d'J aller, faisons une petite visite aux bAli-· ments longeant l'administration supérieure .

• • • Le personnel de cet office est composé de jeunes hommes,

qui semblent avoir tous le même tempérament: Endurance· au travail ; joyeux caractère, discipline, honnêteté, régularité,. telle est la sélection qui a été faite dans ce milieu.

Les chefs de service de ce bureau sont MM. Fessenden, Au­ditor et James Dick, directeur de la comptabilité.

André Gardère, caissier, est l'homme qui déteste le plus les. billets de banque, tellement il en compte.

Au premier étage, nous parcourons un couloir, où se trou:ve · le carré du président. Passons sur la pointe des pieds pour ne pas être vus par M. Elliott qui vous retiendrait une heure à causer.

En face est M. Pierre Faure, secrétaire général. Le corps est petit chez M. Faure, mais la tête est vaste: toujours en travail, cette tête concentre toutes les affaires de la corporation.

Voilà G. Hébert et Eugène Gregory qui causent. Ces deux. jeunes hommes sont les fils de la gentillesse. Ils sont aimés à· Port-au-Prince, comme ils le sont à Hasco.

Voulez-vous connaltre l'énergie en pel'soune ~Vous Ja trou­verez chez le jeune M. C. Elliott, chargé de l'administration. générale des cultures.

Ce bel homme, à tête de statue antique, aux lignes irrépro­chables, est M. Von Schilling, Vice-Président de la Corpora­tion. Les chiffres n'ont rien enlevé à son amabilité. Voyez: il sourit en vous Yoyant passer, et nous fait un petit salut de la., main.

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tQ8 DA.l'l!l LE! CAIIPAGl'IES n'BAITI

Nous ToilA au carré de& ingénieurs, administré par M. V. l'. Odoni, dont nous avons déjà fait la connaissance, MM. les in· génieurs sont trop absorbés par le calcul des lignes droit~~ f'l des courbes pour s'apercevoir que parmi nous se trouvent df' gentilles et belles dames. Punissez-les, Mesdames, en passnul vite pour n'être pas une fête pour leurs yeux, et rendons-non~ aux usines.

Les grandes usine•. -Nous voici dans les grandes usine~.

Comme vous devez le remarquer, ici, la chaleur vient d'1•u

bas. Il est fort heureux que la mode ait pourvu les dames do culottes .....

Nous sommes en présence de six fourreaux représentant 7:.11 H. P.

L'immense moulin avale ~00 tonnes de canne par 24 heure!~.

Les cannes sont amenées sous la pression des rôles par 111111

chafne sans fin, qui va, sans interruption, les prendre dans ln fosse où les wagons les jettent automatiquement.

Ce moulin marche, marche, broyant toutes les cannes qun la chafne sans fin apporte à sa gloutonnerie. Le jus s'en va 1111

loin, pris et repris dans des turbines, des vacuums, dans dr11

milliers de tuyaux qui le transmettent dans d'autres vacuum:~, dans d'autres turbines, jusqu'à ce qu'il devienne sucre.

Devenu sucre, les tourments du produit continuent. Commn vous le voyez, c'est le passage automatique dans les sacs pur le grand entonnoir. Les sacs sont transportés automatiqu~·

ment dans le grand dépôt, et toujours automatiquement, vont se reposer bien haut sur les autres milliers de sacs, où ils al·

tendent d'aller au dépôt. Pour avoir de plus amples renseignements sur la marcho

de l'usine, il nous faudrait appeler à notre secours M. H. W. Baget, superintendant de l'usine, et le chef ingénieur, J. 1.. Broussard, ainsi que Victor Graeger. Ils sont tous trop occll­pés pour leur demander de s'occuper de nous. Même s'ils ac-

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&ASCO t99

ceptaient, il nous faudrait changer notre simple passage à IIasco !en un séjour prolongé.

Eloignons-nous de la grande fournaise. Allons respirer la brise rafratchissante qui vient de la mer voisine.

Maintenant que je vous ai indiqué le chemin, vous pourrez venir à l'usine, quand, en hiver surtout, vous aurez trop froid à Port-au-Prince.

• ••

Nous voilà sous l'arc de triomphe de Montbrum-Elie. Avant de gagner le Port-au-Prince, j'aurai encore un mot à

vous dire : aux questions qui viennent de m'être posées sur l'œuvre générale de la Hasco, je répondrai que ma conviction est faite sur cet élément de travail, qui évolue depuis dix ans dans le pays par ses propres moyens, sans avoir sollicité au­cune aide ni garantie des pouvoirs publics, sinon celles pré­vues par la législation de droit commun.

Je voudrais bien vous communiquer mes impressions. Mais, comment le faire sur le grand chemin, alors que leur dévelop­pement occuperait encore tout uil volume.

Ce que je peux vous en dire aujourd'hui, c'est que le travail réalisé par la Compag~ie est considérable. Partout il a fallu de l'argent, toujours de l'argent pour la mise en culture des terres, leur développement par l'eau pro.,enant des puits arté­siens établis aux frais de la Compagnie.

Chaque samedi, depuis dix ans, ce sont des sommes de t5 à 20.000 gourdes, qui servent à payer les travailleurs dans le Cul-de-Sac autant qu'à Léôgane. Pendant les ·récoltes, il faut tripler les valeurs : elles se montent parfois à Gdes 50.000 pour les deux plaines.

Aussi, dans chaque centre de paiements, ce sont des mar­chés où des paysannes, des femmes et des jeunes filles des lo­calités environnantes viennent écouler des marchandises de

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!00 DA.NS LBS CUIPAG!ŒS D'BAITI

leur fabrication : chemises, caleçons, pantalons. Des chapeau'. des pipes, du ta. bac, ·de l'alcool, et cent autres objets de pn•. mière nécessité y trouTent une vente sûre et abondante.

Il nous semble que l'éparpillement de ces Cortes valeurs doit apporter, sinon le bien-être, au moins le pain de plusicua jours dans les foyers de ceux qui ont la bonne volonté de trn· vailler. A chaque récolte, 3 à 4-000 hommes au minimum trouvent du travail pendant six mois dans les champs de l" Compagnie.

• ••

Le système, dont on parle d'employer des hommes à Gdc. t par jour, constituerait une perte de temps et d'argent pour la Compagnie. Le contrôle des travailleurs serait un travnil formidable, qui nécessiterait un contrôleur par chaque équipe.

Depuis longtemps, tous les travaux de plantation, et de coupe se font par contrat. Les contracteurs emploient eux­mêmes des hommes sur lesquels la Hasco n'a aucune action. Ce sont les truaux exécutés selon les conditions arrêtées entro les parties qui sont payées chaque samedi. Plus il y a d'acti­vité de la part d'un contracteur, mieux il est payé naturellr.­ment. L'arrosage lui-même se fait par acre, et les canaux sonL creusés et payés selon leur largeur et la quantité de pieds tra­vaillés.

Plus un contracteur touche d'argent, mieux il est apprécie par la Compagnie, qui trouve en lui un auxiliaire de valeur .

• •• Quand on a fréquenté les centres industriels, il y a une re­

marque que l'on peut faire sans se tromper. Par exemple, de bon matin, avant l'heure de la reprise de:~

travaux, parcourez les différents groupes qui attendent. Ou peut indiquer du doigt les jeunes hommes déjà faits à la be-

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BUCO 201

aogne. On les distingue par le développement des mu.scles, par la bonne santé visible sur les visages par le rire, la viv-a­cité dans la démarche, pat un air de hardiesse et de confianee· en soi, une tenue pratique, simple, propre, dégagée de toute· coquetterie ridicule.

D'autres groupes se tiennent à l'écart, à l'ombre des 'mura. ou des arbres, ayant peur du soleil. Ces groupes sont compo­sés d'hommes à têtes d'apaches, porteur.s de couteaux dissi­mulés sous des vestes qui ont servi de siège pendant la nuit. et d'oreiller le jour.

Faibles, détériorés, ne riant jamais ; ils sente11t l'alcool. na. cherchent les zones d'ombre, où ils se réfqgiènt comme dea hibous. Ceux-là sont -les malandrins: joueurs· d'os, noctam­bules comme la punaise, parasites prompts aux maqvais coups.

Que font-ils au milieu des travailleurs-~ -Ils fofit la recrue, partout où ils pensent qu'il y a quelques­

sous de réserve. Ils disent aux autres : Laissez-donc ce travail où vous ne

gagnez rien, quoique suant votre sang. Venez avec nous. Ça vaut mieux chez nous. - En jouant souvent vous apprendrez: le métier. Vous verrez comment nous faisons, contre ceux qui viennent avec les 100 et les 200 gourdes. Vous apprendrez les coups montés en lep eten crap, ou le coup des os tombés. C'est pas contre vous tout ça ; c'est pour les gros qui ont de l'ar­gent. Venez donc ;yoir la vie au lieu de travailler pour les au­tres. 'Quand on devient chef on est l'ami des gendarmes. Ga­rantissez-leur le grog et l'argent de poche, on est alors roi chez: soi. On dort tranquille et content.

Si le malheureux enfant se laisse prendre à ce langage . _perni-· cieux, à tout jamais il ne reviendra plus à l'atelier qu'ila tan$ aimé.

Fort heure~sement, le plus souvent, les recl,"uteurs s'en _vo~t sans captures. Les courageux petits passent, heureux d'entrer· au travail, de peiner pour $6.00 par semaine ...

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202 DA.I!IS LBS C~IIP..\GIIBS D'BA.ITI

En laissant les terres de Hasco, les deux dernières planl11· tions de la plaine sont celles des frères Andain, situées à Drouil· lard (canne) et Chancerelle (coton). Les Andain sont de brnH·~

.travailleurs qui !ont de constants efforts dans le commcl'l·r•, l'industrie et l'agriculture.

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CHAPITRE XX

TABAC, COTON. BANANES

Depuis bientôt quinze ans, deux grandes fabriques de cigarettes sont établies en Halti, dont les produits, coquettement présen­tés, et excellents par la qualité du tabac, contentent les fu­meurs les plus exigeants, à tel point que l'importation des ci­garettes de Cuba, et de la Dominicanie est complètement sus. pendue.

Depuis plus de trente ans, des essais de plantations de tabac, et fabrication de cigares et cigarettes anient été faits par les frères Luders, à Diquini, sans un notable développement de leur travail, tandis que la « Nationale » et la « Manufacture haïtienne de cigarettes » ont envahi le, marché haïtien, et riva­lisent avec les meilleures marques des autres pays.

La plus grande partie du tabac employé par ces fabriques sont de provenance haïtienne.

Non seulement ce p'roduit est cultivé par les fabricants dans leurs propres terres, mais encore, ils en achètent des petits producteurs, dont les plantations s'étendent aYec une progres­sion remarquable dans lea montagnes comme dans les plaines -de l'ile.

Le gros tabac haïtien commence à trouver un notable écou­lement dans le commerce : le tabac venant des Etats-Unis su­bit déjà sa concurrence. La complète disparition de ce produit américain n'est qu'une question de temps.

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!0, D.i.l'(S Ll!S CAIIPAGI'IKS o'HAITI

LA MANUFACTURE HAITIENNE DE CIGARETTES

A peine a-t-on franchi les dernières limites de la plaine, dan• la direction de Port-au-Prince, que déjà, à quelques cent mo\

tres, l'on ·se trouve en présence du beau bâtiment de la manu· facture haïtienne de cigarettes, propriété de M. Pantaléon Gu il baud, son fondateur, et des frères Gébara.

Quoique cet établissement soit situé dans la ville, il doit en· trer dans le cadre de nos renseignements sur la plaine, étnnl donné que sa matière première, qni sert de base à son travail. vient de ce centre de Clllture, et que les relations de Ju fq.

brique sont contractantes avec les planteurs de tabac, dun• toutes les parties du pays où ce produit est cultivé.

La raison sociale Gébara et Co. s'est incorporée à la manu· facture haitienne de cigarettes, le 27 juillet t927. Depuis cctle époque, il a été introduit dans l'établissement une organiMll• tion plus en rapport avec les nouvelles méthodes de traYHil, par lesquelles la production a doublé.

Il y a maintenant dans l'établissement : . Trois grandes machines Standard produisan& !:!50.00() ciga·

rettes en tO heures de travail. Un Chico machine de 60.000 cigarettes en 10 heures. Un Dryer (séchoir électrique) d'une forte capacité. Une Machine à empaqueter pounnt « empocher 11 30.11111

poches de cigarettes en dix heures de temps. Dans la manufacture, il J a entre hommes et femmes 125 ou­

vriers.

MARQUES DE CIGAR~TTES

Il y est fabriqué les cinq marques de cigarettes qui sont: Port-au-Princienne: marque prisée dans toute la République.

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TA liAC·, COTOI(, BAl'I'Al'fES 205

A la main : un nombre limité de formes, parce que le tabac est fort.

Républicaine : faite d'un mélange de Virginie. Par son goût exquis commence à prendre de l'extension.

Favorite : connue de peu de fumeurs. Colon : Cigarette luxueuse et très superieure

faite avec les meilleurs tabacs de Virginie el un mélange de tabac turc.

Les cigarettes républicaines sont déjà lancées sur les mar­chés européens et américains. On espère en faire l'exportation sur une grande échelle.

Quant aux cigarettes colon, présentées dans de• boites luxueuses, comme les Pall-Mall et Murad, elles trou-fent Ull

bon débouché dans les marchés étrangers.

LES ASSOCIES

P. Guilbaud, Fondateur. Antoine B. et Maurice Gébara. La direction est confiée à M. M. Gébara.-Le laboratoire est dirigé par l'un des associés, chimiste, P­

Guilbaud et un expert grec. Les machineries sont sous la di.rection d'un hollandais, ex­

pert mécanicien. M. Guilbaud a été médaillé par l'Exposition de Milan. Par M. le Président Louis Borno, médaille (( honneur et mo­

rite. 11

Par la France. Membre d'honneur de la Société Académique Internationale d'Histoire.

Les frères Gébara, de nationalité étrangère, ont été éleYél chez nous, dans nos pensions. Ils font parti du commerce na­tional depuis leurs jeunes années, militant sans cesse, jusqu'à placer leur maison de commerce au premier rang parmi les plus prospères et les mieux appréciées par la clientèle.

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206 DAI'fS LBS CAIIPAGI'fi!S D'BUTI

Ils sont entrés dans l'industrie depuis peu d'années; et, ra· pidement, ils ont eu du succès. Leur association avec M. Guil· baud est une excellente idée, qui confond en un seul. deux forts éléments, dont le travail en commun est une garantio pour l'avenir.

Voilà ce que dans une conférence,glorifiant le travail national, il fut dit de M .• P. Guilbaud :

« Guilbaud a fait école. Ce progrès mérite d'être noté, :~1

cc l'on pense qu'il date de la grande guerre européenne dur!ul u laquelle le uscaferlati » français nous fit forcément défaut.

11 .M. P. Guilbaud flaira qu'il y avait une mine à exploiter, « et il se mit résolument à la besogne.

n Ceux qui n'ignorent pas les dillicultés inhérentes au début «d'une entreprise, n'exigeront pas qu'on leur relate ce que Ir c1 grand manufacturier endura avant d'aboutir au succès.

« Mais il importe que je vous redise une chose qui ne doil u pas passer inaperçue et qui est le plus beau titre de gloire dl! • M. P. Guilbaud. Dans un milieu où 1-:s fortunes privées sonl 11 loin d'être rarissimes, un homme qui en était dépourvu, cc mû par une volonté inflexible et voyant seul à l'hori7.0II 11 lointain, luire l'étoile du salut national, réalisé par le tra· Il Vail, s'est dresSé inopinément, parmi l'indifférence et J"apR• « thie générale, et, arborant, en guise de drapeau, une feuilln 11 de tabac indigène, il s'est rendu maître d'une situation pc\· « cuniaire pour laquelle la voix sacrée du peuple fait dr.A

« vœux de prospérité. >>

Le quatrième d'une famille de tO enfants, Pantaléon Gu il· baud n'avait que t2 ans, quand il perdit son père; il continua A fréquenter l'école; mais dans ses moments de loisir, son esprll travaillait ; il sentait venir l'inspiration; poussé vers la voce· tion qui germait dans son âme ardente, l'enfant grandissait librement.

Il aimait le grand air et l'espace. Il commença l travailler, et sur la mer toujours agitée de sa ville natale, Jérémit:, l'en·

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TABA.C, CO'fON, BA.IUNBS 201

fant fit des essais, et un beau jour, les Jérémiens virent ayec étonnement le jeune homme faire évoluer un bateau à vapeur qu'il avait façonné de ses propres mains : le voilà mécanicien· à t6 ans ... et il ne devait pas s'arrêta là.

Devenu dang:ereux au·x yeux de l'autorité après avoir fabriqué de la poudre à ca~on pouvant rivaliser avec n'importe quelle poudre venant de l'étranger, le jeune Guilbaud se vit forcé d'abandonner sa ville natale : il était devenu un homme- les épreuves grandissent - il partit pour Cuba où il fut employé dans un atelier et où il sut utiliser au profit de ses patrons, ce qu'il avait acquis par lui-même sans maitre.

Il ne tarda pas àdevenir chef d'atelier et pendant le temps qu'il fit dans l'île voisil}e, toujo.urs guidé p.ar l'intuition, il travailla sans relâche à 8e perfectionner' dans la mécanique et_ finit par concevoir un avenir assuré.

Retourné. à Jérémie, où il devint chef de famille, il décida de se rendre à la capitale tenter le sort. C'est sans un sou vail,. lant, qu'il s'installa modestement dans un quartier retiré de

. ~

la grande ville, et commença à fabriquer en petit dea cigarettes à la main. Il utilisa ses connaissances en chimie, et obtint un produit national par son scaferlati supérieur.

Sa voie étant trouvée, M. Guilbaud marcha dè l'avant. Vous venez de constater le résultat obtenu par cet homme

de valeuc, qu~ nous offrons comme exemple à cette jeunesse~ à qui nous,«Usions au début de notre promenade :

<< A1n ~Ùts des oiseaux Dieu donne la plture. Le travail est « un radeau de salut ! Si aujourd'hui vous êtes des arbustes, << demain •. -qu~nd vos racines seront fixées dans la terre, vous << deviendr~z ,des arbres forts, d~nt les cimes seront pe~;~t·être c fouettées par la tempête ; mais toujours les cimes se red res-<< seront p<)ur faire face au soleil. » '

LE COTON ET LA GRAINE DE COTON

La gousse de coton donne le fil très demandé par les Fila­tures.

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-~08 DA."NS LES c.uiPA.GRBS D'BUTI

Le coton, par suite des grandes expéditions faites à l'étran­ger, est cultivé abondamment en Haïti : L'espèce acclimatée, et la plus commune est le coton blanc, appelé coton d'Haïti. Il pousse partout, tant dans les montagnes que dans les plaines.

A part le fil que donne la gousse du coton, on tire encore de cette gousse des petites graines noires, très recherchées, des· quelles on obtient :

i o Une huile raffinée : huile de table.

2° De la mantègue, fabriquée avec ce qui reste de matière grasse après le raffinage de l'huile.

3o Du savon, avec le résidu venant de la mantègue.

4,• Les graines pulvérisées se vendent comme fertilisateur, 011

engrais. Deux fortes Usines pour la trituration de la graine de coton

150nt installées en Haïti : une à Saint-Marc, l'autre à Port-au· Prince. Leurs affaires sont brillantes.

LA BANANE-FIGUE

Dans les Antilles, comme dans l'Amérique centrale, l'expor­tation de la Figue-Banane a apporté la prospérité dans difT6-rents pays.

En Haïti, où la terre est de toute première qualité, la cul· ture des différentes sortes de bananes n'a jamais dépassé la quantité nécessaire à la consommation intérieure.

Depuis quelque temps, un mouvement semble se produire dans le sens de l'augmentation de la production de la banan!l.

Ces jours-ci, une propagande est faite dans tout le pays par -la<< Caribeau Frading Co Il, en faveur de l'exportation de 11 banane.

Cette grande Compagnie de fruits prend l'engagement d'ache· ter des cultivateurs :

5 millions de régimes de Figue-Banane Gros michel ou ~·1 . .gue baïonnette. Le régime de 9 pattes est le standard ; ceux de

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TABAC, COTON, BAKAftBS !09

moins de 9 ont peu de nleur. En Haïti, le régime de figue­banane atteint toujours la moyenne de t5 pattes par régime.

Par la plantation méthodique, le carreau de terre (3 acres) peut recevoir tOOO plants de bananes.

Actuellement, la banane se vend de 0,50 cs or à $ t ,25 or le régime, selon la quantité de pattes.

En raison de la qualité du sol, et de la .masse de terres li­bres, les experts estiment que le pays peut arriver, en moins de 5 ans, à une production dépassant celle de la .Jamaïque, qui est de 25 millions de régimes par an.

La « Caribeao Frading Co ,, promet son aide financi~re aux planteurs selon les garanties de chaque plantation.

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CHAMBRES DE COMMERCE

A pal't la· Chambre de Commerce d'Haïti, ayant pour Pré­

sident un des principaux Importateurs da pays, M. Edouard

Estève, ü vient d'itre fondé à Paris, une Chambre de Com­

merce Franco-Hai1ienne.

De nombreu:x: personnages haïtiens et français en font

partie.

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RÉSUMÉ

Maintenant que notre longue promenade va prendre fin, if1. est nécessaire de grouper ce que nous avons vu, afin de pouvoir risquer quelques conseils sur la plus grande prospérité de la. plaine.

AUGMENTATION DES EAUX

Vous avez constaté la prospérité des grandes cultures par­tout où les terres sont arrosées. Cette prospérité est relative. à• la quantité d'eau alimentant les terres : là où l'eau est abon­dante ou faible, les cultures y sont développées proportionnel­lement à la quantité reçue. Vous avez également visité les ter­rains arides, où rien ne pousse, sinon les cactus et les bois à:· briHer.

Il est donc inutile de signaler à votre sagacité, que si les Pou-· voirs Publics ont augmenté le débit des rivières qui arrosent le.· Cul-de-Sac, au moyen d'une réfection des canalisations, il est. urgent que de grands efforts soient faits pour l'arrosage des--20 mille carreaux de très bonnes terres qui se perdent dans­cette même plaine.

Si un jour, ces !!0 mille carreaux sont cultivés grâce au sys-­tème des puits artésiens;, l'œuvre ne sera pas celle des proprié­taires hartiens, qui, découragés après une vaine attente de la:­venue des eaux, les auront vendus au fur et à mesure à de&·· prix dérisoires.

LE CAPITAL ARGENT :

Maintenant que nous avons un aperçu du sort réservé au Ca­pital principal, qui est la terre, nous allons passer au capitah argent ..

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212 DANS LES CAMPAGNES D'HAITI

Depuis l'époque du grand partage des terres, jusqu'à':"~ jours ci, les cultures se faisaient sans le capital argent, 1111

moyen de l'association du propriétaire avec le Colon par tin in• (( De moitié. »

Par le temps actuel, et en raison de l'expérience, par une no· tion parfaite de la vérité, l'argent est devenu indispensable 11i • on pense au développement intense de la grande culture.

La nécessité du capital réside dans l'inobservance des métho· des par le Colon, et par son entêtement à vouloir stationrH'r indéfiniment dans la routine.

Autrefois, quand un champ de canne, par exemple, éta il con­fié à un « de moitié >>, et que le travail de celui-ci donnait 30 tonnes au carreau, le propriétaire était satisfait, parce qu'il ignorait ce que sa terre pouvait rapporter.

Aujon rd' hui que les mêmes terres, grâce aux méthodes nou­vellement introduites dans le p:-tys, produisent le double et Jo triple, le propriétaire a les yeux ouverts avec tendance de mar­cher ven; la prospérité par l'adoption des nouveaux systèmes de culture.

De cette opinion émise sur le système centenaire du Colon partiaire il ne faut pas en conclure que ce mode de travail doit être entièrement aboli ; au contraire. partout où des paysans manifestent le désir de se conformer au travail méthodique, ils sont mamtenus sur les habitations, même celles de la Hasco où ils sont employés dans des conditions mieux réglementées, qui présentent des avantages aux deux parties associées,

La nouvelle base de travail en essai est celle-ci :

i 0 Le propriétaire de la terre fait les plantations l ses frai11.

2• Le champ de canne- par exemple- étant scientifiquo-ment planté, il est remis au Colon. qui en aura soin sous la haute surveillance et la direction du propriétaire, jusqu'à la coupe des produits.

3° Le Colon recevra 4 gourdes par tonne de canne, la coupe

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RÉSUMÉ

à s.a charge. Le reste des frais: chargement, transport, e~;,, à la charge du propriétaire.

4• Dans le Cas où le Colon serait dans l'impossibilité d'effec­tuer lui-même la coupe, le propriétaire s'en chargerait, en dé­duisant lesfrais de coupe des 4 gourdes revenant au Colon.

Cet essai a déjà donné satisfaction à la dernière récolte faite sur les tenes des Auguste.

La Hasco en fait aussi l'essai actuellement. Comme on le voit, le pivot autour duquel évoluait le travail

dans nos plaines, estappelé à disparaître. Désorll}ais, il faudra de l'argent si les tendances nouvelles

s'affirment.

Il est incontestable que la gra.Îide culture du coton, des tex• 'tiles. sisal ou autres, et même d~Ue de la' canne à sucre, ne peut être pra.tiquée par les haïtiens qu'autant que le Capital arger1t permette l'engagement des propriétaires terriens da~s · cette voie'ilouve!le.

• •• Une loi vient d'être votée comme supplément à l'ancienne

loi sur le prêt hypothécaire. Celle-ci n'entame en rien les con­ditions de la première ; elle donne plus de garanties aux par­ties contractantes sous le rapport du taux d'intérêt, et du re­couNrement du Capital. Cette loi est donc bonne. Elle était même nécessaire.

Par cette nouvelle mesure, les prêts sur hypothèque se feront à t·t. par mois. Toute obligation souscrite à ce taux, accorde au bailleur la faculté de procéder au recouvrement de son prêt sur un simple commandement de payer, si, à l'échéance du terme." il ne désire pas continuer ses relations avec le débiteur. Celui-ci n'aura droit qu'à un référé en cas de difficulté suda forme.

Les garanties que la nouvelle loi offrent au Capital, pourront

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D-'!'IS LES CA.MPAGlfES n'HAITI

augmenter la circulation de l'argent dans le pays, toul en lih~· rant les prêteurs de ces taux d'intérêts fantaisistes, ùonl lc•a

·conséquences ont toujours été. déplorables.

Espérons que les prêts seront consentis en compte-coru•1ut, <>U à échéances renouvelables si les intérêts sont régulièrernn11t

·payés. Autrement, il y aura des risques, dans le cas où aprr'.~

six mois, ou un an, il faudrait rembourser le capital cnga~o:•'· dans un travail nouvellement organisé. La garantie étant sur.

· fisante, et les intérêts régulièrement servis nous ne voyons p11 ~

pourquoi le bailleur se montrerait exigeant dans le retrait du capital avancé.

.. ••

Un autre système d'emprunt aux cultivateurs pourrait être organisé.

L'idée ne vient pas de nous: elle fut soumise en t892 011

t893 par M. Tancrède Auguste à un groupe d'hommes compl:­tents, qui étaient MM. P. ~- Painson, Pétion Roy, Auguste Es­tève, Hérard Roy, dans une réunion qui eut lieu dans la dt·

. meure de M. Emile Gabriel.

Le projet de M. Auguste fut le suivant:

Le propriétaire d'un domaine de 20 carreaux ou de 50 car­. reaux de terre, ayant pu mettre en culture une partie de son bien, et voulant éviter la lenteur des de-moitiés, désirerait tra­vailler par sa propre initiative, le reste de son domaine. Par

. quel moyen ce propriétaire trouvera-t·il l'argent nécessaire à la réalisation de son projet, dans le cas où il ne voudrait pa~

'hypothéquer ses terres dans des conditions ruineuses~

Le .grand industriel du rayon où sont les champs du culti­vateur, présentant par lui-même les garanties nécessaires. dc·­

vrait pouvoir, avec son aval, trouver les fonds sollicités par c11

. culti valeur.

Les champs seraient visités; la récolte sur pied estimée par

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~·· dSUIIÉ !15

l'industriel, qui en ferait part à la banque, ou au groupe des capitalistes.

L'argent serait versé directement à l'industriel qui le re­mettrait au cultivateur. De ce jour, l'industriel aurait droit de contrôle sur les champs engagés, pour en surveiller la bonne tenue.

A la récolte, les produits sont achetés par l'industriel, au prix du cours, ou à celui convenu à l'annee. ·

Le capital et les intérêts sont remboursés, et le cultivateur -est payé du solde lui revenant, s'il y en a.

Ce système, d'après M. Tancrède Auguste, présentait trois avantages.

fo Le prêt à int.érêt modéré, sans les ennuis des frais du prêt sur hypothèque.

2° L'industriel trouverait un supplément de produits pour la marche de son travail.

2o Le cultivateur; par la garantie de ses récoltes, aurait de l'argent pour le développement de ses terres, au moment où ce besoin d'argent se présenterait .

• •• Aujourd'hui qu'une Société comme la Sugar et d'autres

usines, sont install~es dans n_os plaines, soit pour la fabrica­tion du sucre, ou la trituration des produits textiles, on se de­mande si les capitalistes ne devraient p11.s étudier un tel projet

. . 1

-en vue du plaëemént assuré de leurs capitaux ... Espérons que toutes ces belles perspectives se réaliseront

dans un avenir prochain, si un effort est fait dans ce sens, et ~i cet effort est secondé par notre haute administration, dont les yeux devrai_ent s'ouvrir un jour sur la nécessité de secon­der la t~che ~des faibles qui se courbent sur la t~rre pour en faire sortir leur pain de chaque jour.·

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APPENDICE

LES ANCIENS COLONS

Après ce résumé, nous aurions dô.logiquement mettre fin ;. nos causeries ; vous presser la main, chers compagnons de voyage, en vous remerciant d'avoir bien voulu subir notre !Ja. vardage dans les sentiers et sur les grands chemins du Cul-de­Sac. Cependant, comme nous avons encore deux kilomètres à parcourir· avant d'entrer à Port-au Prince, la maladie qui nous dévore, et qui se nomme communément loquacité, exige qu'avant la séparation définitive, nous vous présentions un document intéressant qui nous fournira d'utiles indications sur les familles françaises qui jadis ont exploité la plaine que nous venons de parcourir.

LES FAMILLES NOTABLES

u Au Cul-de-Sac, les La Foison avaient grande ancienneté dans la plaine: ils étaient devenus La Foison de Rocheblancho avec la sucrerie de Rocheblanche estimée (3.800.000 francs). La Foison Desvareux, La Foison Laboule. Louis de la Foison de Rocheblanche avait épousé Ursule de Caradtux, et par là était apparenté à Jean-Baptiste de Caradeux, propriétaire de l'habi­tation Caradeux (t..t.30.000 francs). Un autre membre de cette famille Caradeux, Louise Aimable avait épousé Charies 13ois­sonnière da Mornay ; elle possédait dans la plaine les sucreries La Boule du Mornay (t .4~~9.000 francs) et Bellevue (t.255.000). François La Foison Desvareux avait en propre la sucrerie de& Varreux aux Petit Bois (750.000).

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A.PPEl'I'DICB

c Les Drouillard sont de même répartis en trois branches : l'une, celle de Vincent Drouillard, ~.400.000 francs) ; elle est alliée aux Chambrun de la Croze, qui ont une cafeterie de t87 .000 francs à la Charbonnière (Pétion-Ville). La seconde branche, celle de Jacques-Joseph Drouillard, et de Laurence Bigot, son épouse, détient les sucreries de la grande Plaine. (1.535.000 francs et 1.426.250 francs); leurs descendants hé· riteront des Gouraud de Bellevue ; la troisième branche, par un mariage avec les Lemaignère (Lemeilleur), descendants des d' Espinose aura sa part dans la succession de ces deux familles.

«A l'encontre des Drouillard, qui n'ajoutent pas de nom à leur patronymique, les Le Meilleur se distinguent les uns des autres par de vulgaires appellations. Il y a Le Mèilleur de Bel­levue ; et les Le Meilleur du Momet. Les premiers ne sortent pas de leur canton de Boucan-Patate (Boucan-Brou) ; les se­conds sont établis à la grande plaine ; leur sucrerie est une desplus riches, et des mieux outillées. Le Meilleur de Bellevue a épousé Laurence de Lépine.

<1 Les filles de Mun sont entrées dans la famille C,~ancerelle

d'Ardennes, propriétaire de la sucrerie Chancerelle (position actuelle des grandes Usines de la Hasco)". Les filles de Glaise de Maison-seule sont héritières de Mme-de Villefort, née de Sibert. propriétaire de Sibert.

«Les Fruitié de Lamentin sont voisins de Volant le Fort (au sud-ouest· de Port-au-Pril!.ce) ; la même famille eut au Cul-de-Sac une autre habitation du même nom de Fruitier· Sucrerie de Fort ( t .073.000 francs).

u Gouraud de Bellevue, dont nous avons parlé, partage 'sa sucrerie avec les de Grieu. Gouraud est estimée à 3 millions.

«Les Manneville, près de l'Etang Saumatre se distinguent entre eux par les simples qualificatifs d'aîné et de jeune.

-u Les Digneron sont au nombre de deux : Dignero.n de Beau­voi<r tient la grande habitation Digneron (2.,00.000). Son frère possède la petite habitation Digneron (8t2.000francs).

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2t8 APPBftDICB

<< Les Roberjot-Lartigue sont héritiers de leur père, et de leur grand-oncle, Charles Bobin, de la sucrerie du Mulceau (t.2t6.000 francs) de la sucrerie Bobin (810.000 francs), IR hutte Moquette.

<< Parmi les vieux noms de la plaine, citons encore : le• Ballan, les Greffin, Robion, Chancerelle, Fleuriau, les Cazerw .(2.500.000) les Lilavois; les Damien de Chandenier (L700.00!1' les Cellier-Soissons ; les de Merceron; alliés des de Motmans (Motmans, plaine de Léogane) ; les Sartre, et les Duvivier tle la Mahoti~re, ces derniers descendants d'un conseiller d'Etat, propriétaire de la sucrerie Corail, dépendance de Jérémie, qui a donné son nom à la ville de Corail. Enfin, les Saint-Martin, possèdent aux portes de Port-au-Prince de vastes terrain~.

<< Les grands noms étaient ceux de Coustard,des Rigaud de Vau­dreuil, des Noailles, du Comte O. Govman, de Saint-Martin, de la Comtesse de Nolivos, propriétaire de l'habitation Le Roux, des deux frères de Ségur, la marquise de la RocQ.efoucauld, propriétaires des habitations Dessources, (/ Argout, de Sa11to {2. U5.000 francs). Montalembert (sucrerie Greffin) le Procu­reur La Mard elle, Han us de J umécourl (Jumécourt et Desclo­ches) (t.OOO.OOO francs)(t),

Ministère des Finances du Gouvernement Français

Etat détaillé des liquidations opérées à !époque da far jan­vier 1828, par la Commission chargée de répartir findemniU attribuée aux anciens colons de Saint-Domingue, en exécution de la loi du 30 avril 1826, et conformément aux dispositions d1 !ordonnance du 9 mai suivant.

(t' Par la Caule du Premier Consul qui envora le général Lecler, en t8()2, avec une armée de 20.000 français, rétablir l'esclavage • Saint-Domingue, apràs que la Convention avait aboli cette iniquité, les affranchis et les escla­ves se révoltèrent, chassèrent l'armée française de l'île de Saint-Doming111, 1t fondèrent en t80i, la nation indépendante, qui est la République d'Qalli.

La belle fortune terrienne des colons fut partagée entre les soldats de l' 1 ndépendance.

Les noms soulignés onl été conservés aux même• habitations comme du temps de la colonie.

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.lPPBRDIC8

Au f•r janvier 1827, les décisions rendues n'étaient qu'au nombre de 94,po'urune soQJmeen valeurcapitalede32.481.628fr. dont le 1 0• pour indemnités.

CROIX DES BOUOUBTS (CuL-DE-SAc)

Les noms en italiques sont ceux que les habitations ont con­servés.

Fleuriaa de Bellevue (Louis-Benjamin). Fieuriau de Fouchelonge (Aimé Paul).

francs

Le Buisson de La .Vorinière (Marie-Eléonore). De Ségur : Comte Louis-Philippe.

:Vicomte Alex-Joseph. Le Meilleur Dumonnet (Pierre René).

169.61~

t0t.t07 213.38.4:

.&.0.500 De Rigaud. comte de Vaudreuil (Joseph-Hyacinthe)

batte et bois debout. Prat Desprez (Claude-Antoine). De la Fremblay (Marie-Anne). Jean Jloquet de Montalet. · Le Meilleur (Vve Chancerel). Le Meilleur de Bellevue (Charles-Laurent). Digneron (Jean-Baptiste). Digneron (de Beauvoir). Sarlre (Joseph). Duvivier la Maliotière. Bernadon (Louis Raymond). Yalembrun de Mallet. Lereb.ourg. Dro.uiilarq (Vince.nt), une, deux, trois habitations. .. ' . .

Damien de Chandenier. t• de' la Foison. de Rocheblan~he (Louis). a• Ursule de Caradeux, son épouse. 3• Le comte Caradeux La Cacaye (ci-dennt Dumai). De Lamardelle (Guillaume-François).

70.200 3.6.400 90.000 84.59g 35.334 35.33.4: 60.350 60.350 20.725 20.250 39 • .&U 4.3.3U 99.,00 .,. ..

!4.0.000 .-35.66{

• 38t.700

f53.000 tO'Z.OOO

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220 APPBimiCE

De Merceron (Joseph). De Peyrac (Jean-Joseph). Bernadon (Louis-Raymond). Le Meilleur (divers héritiers). Micheau (V. Béguyer). Manneville, jeune. Manneville, ainé. Bobin de Malceau. Bouen. D' Espinose. i" Hannus de Jumécourt. 2o Descloches. 3o Marie-Madeleine Cotin. Digneron (Jean-Baptiste).

39.600 258.330

t0.6t4 35.667 38.2511 i .. ut 2.88:.!

35.600 ~~.7011

52. 733..-

94.792

~9.940

N. B. - Voir la carte du Cul-de-Sac annexée au présent volume.

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TABLE DES MATIÈRES

INTIIODVCTION. •

IT_IN.IIIAIBB ET YVE D'BNSBIIBU . ..

P~TION-VILLR •.•.

' , Ul CA/1.1. • • • • . • ! •

LE IIOIINE c LA SELLE "· . . '

POIN,TS D'HISTOIRE

-LBSUëBB •.•••.

•-LI CVL-Dil-{lA.C "·· • • LBS· BLOCS c 1 A IZ ». --.

LA CIIOIX·DES.BOriQVBTS •

LA CIIOIX·DES-IiiSSIONS. •

• 11~co ,., ..... . ''Jt'AB!(C, COTON, BANANES.

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