Dans La Solitude Des Champs de Coton

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Koltès

Transcript of Dans La Solitude Des Champs de Coton

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    Mise en scne : Jean Pierre Brire Assistante la mise en scne : Marie Crouail

    Comdiens : Le client : Bruno Debrandt Le dealer : Jean Pierre Brire Le troisime homme : Jean Franois Michel (Cie chorgraphique Willy Max)

    Animaux : Uxy et Bambou Maitres-chiens : Cline et Jean Louis Audrain

    Scnographie : Pascale Mandonnet Constructeurs : Hlne Messent et Herv Sonnet

    Conception son : Didier Praudat Rgie son : Ccile Torrente Conception et conduite lumires : Eric Guilbaud Costumes : Pascale Barr Rgie gnrale/Conduite lumire : Thierry Debroas Captation video : Quentin Brire Bordier. Crdit photos : Philippe Dereuder et Jrme Libermann

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    Critique presse la cration : La fragilit et l'incandescence

    Par Franois Vicaire in Thtre en Normandie

    Dans la solitude des champs de coton est l'histoire d'une rencontre entre deux tres, entre deux natures, entre deux intimits qui se cherchent et finiront par se trouver dans la violence de l'affrontement corporel aprs avoir explor toutes les pistes des dcouvertes rciproques qui peuvent se prsenter. Kolts met en scne le jeu de l'offre et de la demande, quelles qu'elles soit, dans un langage flamboyant et pre qui droule toutes les subtilits du rapport de force s'tablissant entre un dealer et son client.

    Il y a entre ces deux personnalits qui se mesurent une vritable recherche de l'autre qui va bien plus loin que les pripties d'une transaction furtive. Il y a l une manire de parade qui oscille entre une violence revendique et une tendresse qui se refuse. Toute la pice tient en quelque sorte dans cette conception dveloppe par le dealer : deux hommes qui se croisent n'ont pas d'autre choix que de se frapper avec la violence de l'ennemi ou la douceur de la fraternit .

    Dans sa mise en scne Jean-Pierre Brire fait parfaitement la part de cette dualit en accentuant l'ambigut que chacun des protagonistes assument.

    Dans un univers trs chichement clair, il fait voluer ses personnages dans le no man's land d'un lieu paradoxalement rchauff par la prsence de chiens qui sont les spectateurs pisodiques et blass de cette histoire d'hommes qui se conduisent pratiquement comme des btes.

    Kolts dans ses indications de mise en scne demandait que le dealer soit jou de prfrence par un comdien noir pour marquer plus encore le dcalage entre les deux hommes. Jean-Pierre Brire n'y souscrit pas vraiment puisque c'est lui qui tient et avec beaucoup de prsence et de force le rle.

    Mais il ne s'carte pas tout fait des intentions de l'auteur en donnant un troisime personnage qui est, lui, de couleur, l'emploi d'une sorte de contre-chant ou de contre-champ, au choix une action dont il est le tmoin muet mais terriblement prsent. Jean-Franois Michel y dploie une belle animalit qui trouve toute sa force dans la sauvagerie brutale d'une danse qui, comme c'est souvent le cas chez Kolts, associe la sensualit la violence.

    Enfin, Bruno Debrandt donne son personnage du client une densit qui tient dans les rvoltes fragiles d'un corch-vif.

    Il y met une flamme rageuse qui vient se heurter sur l'apparente impassibilit de son interlocuteur. Dans ce duel dvastateur, aucun des belligrants ne sort vainqueur. Plac face face, le fort s'alimente aux faiblesses de son adversaire et le faible s'alimente la force du sien.

    La mise en scne de Jean-Pierre Brire respecte cette tragique dualit en lui donnant un ton qui pourrait parfois paratre, surtout dans la mise en route du spectacle, quelque peu convenu s'il n'y avait au fur et mesure que l'action se densifie de beaux clats de souffrances partages qui surgissent et que les comdiens portent leur incandescence.

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    On rencontre parfois des lieux qui sont, je ne dis pas des reproductions du monde, mais des sortes de mtaphores de la vie, ou dun aspect de la vie, ou de quelque chose qui me parait grave et vident, comme chez Conrad par exemple les rivires qui remonte dans la jungle.

    Bernard Marie Kolts cit par Christophe Pellet, en exergue de

    La fort o nous pleurons de Frdrique Vossier / Edition Quartet

    a commencerait comme au plus profond dun songe,

    puissamment prsent et trangement lointain, une sensation

    dpaysante de paysage orphelin. Un endroit connu qui se

    drobe la reconnaissance, par trop de nuit ou pas assez, o

    trainent a et l carcasses dhommes et danimaux dambulant

    sans hostilit. Un lieu laiss pour solde de tout compte, o

    virevoltent en nues grotesques paperasses et archives, au

    milieu de tout ce dont on na pas voulu l-haut, au milieu dun

    tas de souvenirs pourrissants , et dont le ciel serait absent.

    Un homme noir est l, qui ne dit rien autre que sa

    ngritude, une femme maigre peut tre aussi, qui ne dit rien

    autre que sa maigreur.

    On pourrait penser un moment tre entre les pages

    incandescentes dun roman de Faulkner, un autre se dire tiens

    je suis au cur des tnbres et cest Conrad qui jette en vrac ses

    brouillons par les fentres. On finit par deviner dautres

    silhouettes, une, puis deux, homme ou animal qui sait, fouillant

    le sol, tte en terre, groin peut-tre. Massif. Ca prendra la

    parole, une parole, la leur sans doute, pour ne plus la lcher.

    Parleront jusqu plus soif de dsir, de commerce, de ruisseau

    dtable, de petites fiances, de pantalons et de vestes qui

    tombent en pluie dautomne.

    Et a commencerait l : un homme en rencontre un autre. Bon.

    Le premier parle et arrte le second qui nen revient pas. Ca

    cre un lieu, a cre un temps. Ca cre une transaction. Et

    parce quil y a transaction il y aura des transacteurs et ces

    transacteurs joueront la transaction. Cest simple.

    Dans Dans la solitude des champs de coton , un homme dit

    un autre que sil est maintenant, prcisment l, cette heure et

    en ce lieu, cest quil dsire quelque chose quil na pas et que

    cette chose, lui, il peut la lui fournir. Il ne se nomme pas, ne

    nomme pas le lieu, ne nomme pas le dsir ni lobjet du dsir. Il

    ne nomme pas celui qui il sadresse, ne dit rien de lui-mme. Si

    ce nest quil se place dans un temps o lordinaire est la

    sauvagerie.

    Jean Pierre Brire

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    Dans luvre de Kolts, pourquoi Dans la solitude des champs de coton ?

    Ce texte fait partie des textes qui vous choisissent plus que vous ne le choisissez. Je ne voudrais pas quil soit prtentieux de dire a, mais cest pourtant ainsi que se prsentent les choses. Il vient au bout du compte, au milieu dun faisceau de convergences pralables provenant de ma passion de la lecture, du cinma. Ce fut le cas par exemple pour Ambulance que jai mont en 1998, et qui tombait sous le sens aprs mes lectures de LOdysse et dUlysse de Joyce. Javais vu le film Naked de Mike Leigh, je pensais alors en demander les droits pour une adaptation la scne. Jallais Londres pour a, rencontrer Mike Leigh et jai finalement rencontr Grgory Motton que je ne connaissais pas, pour finalement monter une de ses pices : Ambulance .

    Quant Kolts, jy suis venu en remontant les contre-alles. Joseph Conrad tout dabord, Au cur des tnbres et le traitement au cinma avec Apocalypse now , et plus loin encore, des fulgurances de lecture de Julien Gracq, notamment Un balcon en foret , quelques scnes du cinma de Tarkovski dont lnigmatique somptuosit continue susciter en moi dindcryptables rsonnances.

    Dans la solitude des champs de coton simposait -comment dire ?-, comme une ncessit intime, question rcurrente chez moi de la corrlation du thtre, de larchitecture et de la pense. Dire de notre poque le dvoiement du dsir dtre par le dsir de possder, daccumuler, dopposer lun lautre jusqu la ngation, aux portes de lanantissement. Jusqu la folie dun systme de pense sans distinction, sans attache, une machine clibataire qui ne tire jouissance que delle-mme et se mord la queue comme un chien se dvorerait les pattes.

    Jai mis en chantier, de 2009 2010, des approches prambulaires ralises dans les locaux dsaffects de lhpital psychiatrique Evreux. Ca sappelait Plan K. Pour lanecdote, cest ma fille qui ma mis la puce loreille, sur ce que pouvait vouloir dire ce : Plan K, lorsquelle ma demand si javais pens au nom du personnage principal qui sappelle Kaplan-, interprt par Gary Grant, dans le film : La mort aux trousses. O lon voit un homme descendu dun bus en pleine plaine rase, costumecravatesouliersvernisbrushingchicrasdeprs fuyant en perdre haleine une menace crachotante et vrombissante qui lui tombe du ciel.

    Ce Plan K ma permis de mettre lpreuve les intuitions prliminaires la cration de la pice. Notamment le discours de la normalit - la rhtorique de la raison, du pouvoir et du commerce de la parole -, aridit et arrogance, emporte par livresse de sa propre jouissance jusqu son paroxysme, au seuil de la folie du monde.

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    Dans la solitude des champs de coton est un texte dense. Est-il pour autant thtral ?

    On pourrait samuser avec la question de la densit du texte comme de lentendre comme la dansit du texte.

    Dans la pice, deux individus se rencontrent et saffrontent avec la parole. Lun dit tre loffre et lautre est cens tre la demande. Mais de quoi ? Au nom de quelle loi ? Sagit-il dune transaction commerciale ? Mais de quel commerce sagit-il ? Quelles en sont les rgles ? Quel en est la monnaie ? Pour quelle marchandise ? On a l matire intrigue, nigme, affrontement, la fin on attend un vainqueur et un vaincu. Rien de plus classique. Les combustibles sont l pour actionner la machine thtrale. Et lun et lautre nont en bouche aucun mot compliqu, le vocabulaire est loin dtre sophistiqu. En revanche, ils dploient un art de la formulation de la haute voltige, o les rapports dquilibre, bien que travaills, font froid dans le dos -, un art de la combinaison qui fait penser au traitement du geste et de mouvement danss. En cest l que je me place : lampleur du texte, densit, fluidit, font mouvement et paysage la fois.

    Heiner Mller qui a traduit Quai Ouest la demande de lauteur- a dit : Kolts fait avec le langage ce que le cinma fait avec l'image . Lide, me semble-t-il, est fondamentale. Un plan squence semblable au droul incessant que recle lcriture, elle qui est tenue davancer coute que coute. Sans omettre les mouvements internes, multiples et paradoxaux, collisions et conflits, qui en crent le relief et laccroche.

    En exergue de ldition actuelle du texte, chez Minuit, Kolts met cette phrase de Burning Spear: I would like to see the shade and tree where I can rest my head.

    Ce sera en effet le bon endroit do viendra lample et humble droul des choses.

    Un dealer, un client. Quels acteurs ? Dans Plan K, je jouais des fragments du texte du dealer. Je pensais me retirer en vue de la cration, et confier le rle un acteur. Ce devait tre David Ayala avec qui nous avions commenc travailler. Et puis les enjeux du cinma et la pression de ses agents len ont dtourn quelques encablures de la cration. Cruelle et difiante preuve lorsque lon aborde une pice qui met en scne les rapports tumultueux du dsir et du commerce.

    Mais revenons Plan K. Je voulais avoir lexprience physique, organique, mengager dans le courant du texte comme dans le lit dun fleuve. En prouver le dbit, les contre-courants, la morphologie, les profondeurs. Si je ne

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    savais pas prcisment do a venait et o a allait, il me fallait savoir par o a passait. En fait, Plan K tait conu pour tre un laboratoire dexprimentation. Il nest dailleurs pas exclu que a ne nous rserve dautres pistes dexploration. De ces expriences, je tire dinstinct lide que ces deux anonymes, client comme dealer, bougent, respirent, se dplacent en rescaps.

    Bruno Debrandt, qui tait mes cots dans Plan K, endosse le rle du client. Nous nous tions rencontrs dans une pice dEugne Durif : Pas loin dune ternit . Je me prtais jouer une vielle femme tandis que lui faisait le jeune homme. Il a beaucoup travaill ces derniers temps au cinma et la tlvision. Il a jou rcemment le personnage principal dun film : Le repenti , ralis par Olivier Gignard aux cots de Aurlien Recoing et de Carlo Brant.

    Bruno a la facult de mobiliser rapidement une concentration acre, constamment laffut, surtout en eaux dormantes. Car la navigation dans le courant dabondance des phrases de Kolts demande impulsion, rserve et rythme.

    Le rle du dealer, jaime mimaginer quen dautres temps, jaurais sollicit un obstin, un teigneux. Lino Ventura par exemple. Un type dont on se demande en permanence quand va venir la baffe, et dont finalement lattente est plus insupportable que lide mme de la prendre. Je pensais souvent un animal : nocturne, sdentaire, attach un territoire dans lequel il se vautre, le sanglier quand il dboule ventre terre et coupe les trajectoires. Aujourdhui, par un curieux effet boomerang, il me revient de jouer le dealer, et de poursuivre le chemin entam avec Bruno Debrandt dans Plan K. En cho tant de mots-cls qui traversent le texte, tels que lamiti, lhistoire dun lieu et des hommes qui y passent et des hommes qui y demeurent.

    Comment mettre en scne laffrontement des deux hommes ? Laffrontement ne se rduit pas pour moi la seule ide du face--face. Sil y a stratgie de combat dans ce face face, cest plutt mon sens une stratgie de retardement, avec des combinaisons que sont lesquive et lvitement. La fuite est impossible. A cette heure, et en ce lieu, les choses sont ainsi faites que dealer et client ne peuvent aller nulle part ailleurs. Bien que le face--face existe, je privilgierai le jeu de cache-cache, et puiserai aussi dans ses variantes comme les jeux laveugle. Souvent dans les mythologies, jusque dans le cinma commercial actuel, le fait dtre aveugle fait deviner les choses, et du coup, le handicap fait acqurir au personnage une autre perception des situations, un pouvoir particulier. Laveugle voit clair, au-del des choses du prsent, mais ne dit rien clairement. Son langage est celui dune vision. Il a recours aux oiseaux ou aux entrailles danimaux. Vois- tu ce que je veux

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    dire est une expression courante pour dire linsuffisance de la parole. Comme si la parole devait passer par la formation dune image, ou dun prsuppos dimage. Les premiers mots de la pice sont les mots du dealer et il dit : Si vous marchez dehors. Il pose une hypothse qui prsuppose une image, il fait de laction une prsomption. Il ne semble rien avoir sous les yeux qui lui permette de dire a et pourtant il le dit. Il pose la parole comme une supposition dimage. Cest loreille qui dcrypte ce quil entend. Son il coute comme crit Valry, et cest par ce qui lui arrive loreille quil se fait une ide de ce quil y a voir.

    Imaginer le dealer voyant comme un non-voyant, cest crer la potentialit dune intrigue, faire du doute un des motifs du client. Je me souviens dun film avec Audrey Hepburn o une femme aveugle pigeait son agresseur dans son appartement en coupant toutes les lumires. Lhypothse dun pige intense et permanent, pige rhtorique du discours certes, mais pige corporel et spatial li une situation o le client ne saisit rien clairement de ce quon lui veut, dans un endroit o il est entr et il ne voit pas comment en sortir.

    Saisir est en ce sens une notion fondamentale. Entre les deux personnages tout dabord, car il sagira, comme dans un jeu de chat et de souris, dentretenir le doute de la perception et de renverser les nergies physiques. Entretenir le doute de la perception aussi par le traitement du son, la spatialisation et la dissociation entre le voir et lentendre, et arriver se demander qui parle exactement, do vient cette parole et qui sadresse-t-elle. Les corps aussi contribueront cette dyslexie auditive. En contrastant les manires de les mobiliser, entre saisissement et fuite. Le corps du client est pour moi un corps saisi, stupfait, le corps de lhomme qui voit leffondrement arriver, qui se demande sil pourra prendre lascenseur, sil pourra remonter et se remettre niveau, ou sil devra se rsoudre lide de la chute. Le corps du dealer, son centre dnergie, cest celui de lattente. Lattente comme action, imperturbable et lente violence qui fait chair avec le temps. Il a quelque chose l de Kurt, le personnage axial, la clef de vote dans Cur des tnbres de Conrad.

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    Des animaux, des chiens, seront prsents dans le spectacle ? Lorsque jentrevois la prsence danimaux dans le spectacle, ce nest pas uniquement prendre au pied de la lettre le texte de Kolts. Les chiens, que ce soit dans certains films de Tarkovski ou de Bella Tar, imposent une prsence, un regard, une distance toute particulire, trs nigmatique. En fait, les chiens errants, sans attache prcise, on ne peut leur donner ni lieu ni provenance, pas mme dge. Cest idiot de dire ils ne parlent pas, et pourtant ils ne parlent pas. Mais leur silence nest pas muet. Ils exhument une parole de fond peut tre est-ce cela le lointain intrieur auquel fait appel Michaud, inaccessible, indchiffrable et secret. Du cot de la mythologie, on trouve souvent le chien affubl dune fonction de passeur dentre deux rives, entre deux mondes.

    Et puis je pense aussi quil y avait de a dans le tte tte entre lhomme et lanimal : que cherchait Beuys au fond des yeux de son coyote, perch dans un immeuble au cur de Wall Street, avec tout ce que reprsente cet endroit du monde des affaires, du deal permanent, Beuys seul dans une cage face un coyote. Lide quil nait jamais foul le sol amricain et que le seul rapport quil ait incarn, est un rapport entre lhomme et lanimal, dans les tages dun immeuble, en plein quartier o se trament et se ngocient les affaires financires, qui plus est, nourrira sans cesse ce qui se passera entre les acteurs et les chiens.

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    Il y a deux personnages dans le texte. Sur scne, est prsent un troisime homme, noir, personnage muet et presque immobile. Et quand bouge, son nergie est celle dun danseur. Dans Quai Ouest, il y a ce personnage, Abad, seul personnage black, et voil ce quen dit Kolts : Je ne lai pas rendu muet parce que ctait plus facile, bien queffectivement cela le fut, mais parce que cela tait incontournable. Abad nest pas un personnage en ngatif au milieu de la pice ; cest la pice qui est le ngatif dAbad. () Nul besoin quil sache parler, sans doute ; mais lorsquon le met dans un coin, labri, son corps se met dgager de la fume. Cest pour cela quil doit tre choisi. .

    Dans Plan K., Manu de Manok, puis Mani Munga, avaient initi une prsence muette, tapi dans lencadrement dune porte. Je voudrais que cette prsence mette toute cette histoire de la pice, ce commerce infernal dhommes blancs, en ngatif. Que cette histoire finalement se droule sous les yeux dun homme de couleur, bien quil soit tranger aux enjeux du dsir dont il est question, non pas parce quil en est exclu, mais parce que ce temps l nest pas ou plus le sien, et la-t-il jamais t. Peut-tre mme fut-il en son temps un client qui attend que son dsir trouve un nom pour retrouver une parole puise ?

    Il ny a pas de didascalies de Kolts qui situent le lieu o se passe la pice ? Savoir o a se passe nest pas essentiel. Cest savoir ce qui sy passe qui le laissera deviner. En fait, je mimagine qu cet endroit, ce qui se passe naurait jamais du arriver, et que quand a arrive, a doit ncessairement disparaitre. Un peu de la sensation qui vous saisit quand vous vous tes dplac sur un site archologique pour vous faire une ide et quil ny a plus rien voir. Et pourtant vous y tes. Il y a de a dans la chambre des esprances du film Stalker . Il y aura des choses qui tombent, qui volent en clats, comme ces dchets dont les gens se dbarrassent par les fentres des immeubles. Dans Plan K, au troisime tage dun btiment dsaffect du 19eme sicle, dans les vastes espaces vids, nous avons travaill parfois ciel ouvert. Quand on disait par exemple que la nuit tombait, ce ntait pas un mot en lair. On en sentait le poids, la densit, et petit petit sest installe lide intuitive de bleu profond comme lexpression dun dcrochement de vote, le dlitement du ciel en pluie de cendres bleues. Jai rcemment retrouv cette ide dans ce que dit un chaman amrindien qui combat au Brsil la dforestation et la lente destruction des cultures indignes. Son peuple appelle la civilisation blanche, la civilisation de la marchandise. Et il emploie cette expression de la chute du ciel pour dire la menace sur la vie de son peuple.

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    Le client de Dans la solitude des champs de coton est intercepte par le dealer sur un trajet qui le menait dun immeuble un autre. Il est intercept par le dealer qui lui dit : Vous avez raison de penser que je ne descends de nulle part et que je nai nulle intention de monter , quelque part donc un niveau zro, o il ne souhaite pas rester et o rien ne devait ly maintenir.

    Est-ce un cho lattentat du 11 septembre New-York ? A un moment de la pice, le client dit ceci : soyons de simples, solitaires et orgueilleux zros. Et plus : Quest-ce donc que vous avez perdu et que je nai pas gagn ? La surface de la plante est grle de ground zro . Des zones dimpact dont lorigine est perdue, cache ou interdite, comme celle o le stalker mne clandestinement ses visiteurs. Rsultats dattentats ou pas, oubli, ngligence, dmence ou autres, tours et difications sont voues tomber. Et les lieux de disparition deviennent des lieux de curiosits, de pillage, puis de commmoration et de culture. Parfois des lieux de reconstitutions. Toujours des lieux de polmique.

    Noublions pas ce bref change qui termine la pice. Lun dit : Je ne crains pas de me battre, mais je redoute les rgles que je ne connais pas. Lautre rpond : Il ny a pas de rgle ; il ny a que des moyens ; il ny a que des armes. Qui aujourdhui serait le dealer ? Qui le client ? Quest-ce qui dsormais nous permettra de distinguer lun de lautre ? O commence loffre, o finit la demande ?

    Jean Pierre Brire

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    Extraits de textes cits en rfrence :

    Heiner Mller, crivain (a traduit Quai Ouest en 1986). C'est a qui m'a intress chez Kolts. Et l, je n'tais pas exempt de jalousie, parce que a a l'air tellement non-construit. On est en prsence de passages fluides d'un niveau de perception un autre. Ces passages sont absolument fluides et on ne peut pas les situer des points prcis. Et je trouve a extraordinaire. Ainsi le tout a aussi quelque chose de lyrique, quelque chose d'un pome, mais c'est un courant de conscience. Ce ne sont pas des plaques qui sont places l'une ct de l'autre. Ce courant de conscience reprsente la force de ces textes : Kolts fait avec le langage ce que le cinma fait avec l'image.

    Davi Kopenawa

    Fin juin 2010, la Fondation Cartier pour lart contemporain, une rencontre insolite avait lieu entre le chef indien Davi Kopenawa, chaman yanomami, loccasion de la sortie de son livre La Chute du ciel (ditions : Terres humaines/Tristes tropiques), et Raymond Depardon, photographe.

    A la question de Depardon : Pourquoi ce titre : La Chute du ciel? , Davi Kopenawa rpondait: La chute du ciel est une prophtie des chamans. Lune de leurs missions est de maintenir le ciel en place. Si les Blancs dtruisent la fort, envoient des pidmies, si les chamans meurent, alors il ny aura plus personne pour retenir le ciel. Or le ciel est dj malade cause des fumes que les Blancs produisent, ces fumes qui montent dans la poitrine du ciel et commencent ltouffer, le brler. Il est trs fragile. A la mort des chamans, leurs esprits orphelins, en colre, vont le dcouper. Lobscurit va se faire, le tonnerre, la pluie, ne vont plus cesser, et avant quon sen rende compte, le ciel va scrouler sur nous et tout sera fini.

    Don Delillo

    En 2007, paraissait New York, un livre intitul : Falling man , puis en 2008 sous le titre franais : Lhomme qui tombe (ditions : Actes Sud). Soit 6 ans aprs la chute des tours du Word Trade Center. Lauteur, Don Delillo, commence son livre par ces phrases : Ce ntait plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie et de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravas et dans la boue et des gens le dpassaient en courant, avec des serviettes de toilettes contre la figure ou des vestes par-dessus la tte. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dpassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, dsorients et maladroits, avec les dbris qui tombaient autour deux, et il y avait des gens qui se rfugiaient sous les voitures. Le grondement tait encore dans lair, le fracas de la chute. Voil ce qutait le monde prsent. ().

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    William Faulkner, Lumire dAutomne Chapitre V.

    Il se leva. Ses pieds noirs ne faisaient aucun bruit. Il resta debout, au noir, dans ses sous vtements. () Dans ses sous vtements, pieds nus, il quitta la case. Dehors, il faisait un peu plus clair. Au dessus de sa tte, tournaient les lentes constellations, les toiles quils connaissaient depuis trente ans et dont aucune navait de nom pour lui, qui ne signifiaient rien, ni par leur forme, ni par leur clat, ni par leur position. Devant lui, sortant dun bouquet darbres pais, il pouvait distinguer une chemine et un pignon de maison. La maison elle-mme tait invisible et noire. Pas une lumire, pas un bruit () Du travers de la main, il donna, sur le bouton unique, un coup lger, rapide. Quand le vtement lui glissa sur les jambes, la nuit souffla sur lui, souffla doucement ; la fraiche bouche des tnbres, la douce langue froide. Quand il se remit en marche, il put sentir la nuit, comme de leau. Sous ses pieds, il sentait la rose comme il ne lavait jamais senti jusqualors. Il franchit la barrire casse et sarrta sur le bord de la route. Les herbes daout lui montaient mi-cuisse. Sur les feuilles, sur les tiges, la poussire des charrettes qui passaient stait accumule depuis un mois. La route courrait devant lui. Elle tait un peu pale dans lobscurit des arbres et de la terre. La ville stalait dun cot ; de lautre la route montait. Au bout dun moment, une lumire grandit au sommet de la cote et en dessina les contours. Puis, il entendit lauto. Il ne bougea pas. Il resta l, debout, les mains sur les hanches, nu, enfonc mi-cuisse dans les herbes poudreuses. La voiture, dbouchant au sommet de la cote, sapprochait, les phares en plein sur lui. Il regarde son corps sortir, tout blanc, des tnbres, comme une preuve photographique qui marge du bain. Il regarda les phares, droit en face, quand lauto passa. Il en jaillit une voix aigue de femme, un cri perant.

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    Biographies acteurs

    BRUNO DEBRANDT

    Form au conservatoire par Jacques Herbert, il travaille sous la direction de nombreux metteurs en scne sur les scnes prives comme sur les scnes subventionnes.

    Rcemment au thtre aux cots de Michel Bouquet dans lAvare , mis en scne par Georges Werler (2007 -2008), il joue dans de nombreuse pices notamment : sous la direction de Pascal Parsat dans le cadre du Thtre dans le Noir (1994-98). Ludovic Nobileau (Lorenzaccio, le Partages des os de R. Dessaignes, Cendres et Lampions de Nolle Renaude, au T.N.T 1993-1995), Franois Dubos, J.L.Jeener, Michel Lalibert, Eric Andrieu (Dommage qu'elle soit une putain, Romo et Juliette 1995-97), Junji FUSEYA au Thtre du Temps (Yusuru L'oiseau du crpuscule 1997- 2002), Corinne Boijols (Pomme d'Amour La ppinire Opra 1998), Serge Lalou, Aurlia Stammbach ( T'as Tort Totor, Avignon et Charles Dullin 1999), Vronique Vellard (L'histoire en Vrai de J.Serena :Tempte/La cartoucherie 2000), Anita Piccarini (Mde- Thtre National de la Colline 2001, Elonora Rossi, au Mgapobec avec Sophie Rappeneau ( Pas loin d'une ternit) ou Gildas Bourdet au TOP (Sjour pour huit Tadcia 2004).

    Prix d'interprtation en 2003 au festival Jean Carmet pour le film Pense Assise de Mathieu Robin, il tourne sous la direction de Serge Lalou pour son film Entre Nous et dans une dizaine de courts et moyens mtrages.

    Il tourne galement pour la tlvision notamment avec Serge Moati dans Mitterand Vichy , Olivier Guignard dans Le repenti , Henri Helmann dans Cartouche, le brigand magnifique et dans des collections telles que la saison 3 de "Engrenages" ralise par Manuel Boursinhac et Jean-Marc Brondolo, "Marion Mazzano" ralis par Marc Angelo, 1788 et demi ralis par Olivier Guignard.

    Il joue galement dans le tlfilm : La vie en miette , ralis Denis Malleval, daprs Boileau-Narcejac. En dbut 2012, puis en 2013, les chaines publiques diffuseront une nouvelle srie : Can , ralise par Bertrand ARTHUYS, dans laquelle il interprte le rle titre de la srie.

    Enfin en 2011, pour le cinma, il tourne sous la direction de Pierre JOLIVET, le film : Mains armes.

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    JEAN PIERRE BRIERE

    Son exprience de comdien se forge auprs de Chattie Salaman Londres avec Common Stock Theater Company (1975), puis Blanche Salant et Paul Weaver au Centre Amricain Paris (1977 1980), et Daniel Girard, Thierry Bdard et Laurence Fvrier au CDN Comdie de Caen (1985 1988).

    Il complte sa formation avec des stages auprs du Roy Hart, de Stachek Mikovitsa du Thtre- Laboratoire de Wroclaw, de Jacques Fournier au Centre Dramatique de Franche-Comt, Xavier Durringer et Pascal Elso lINEP de Marly-Leroy.

    De 1987 1989, avec le Centre Dramatique National de Normandie de Basse Normandie, il jouera successivement dans Le chemin de Damas puis Le songe de August Strindberg sous la direction de Jean-Pierre Sarrazac, Jean-Yves Lazennec et Michel Dubois.

    Il travaille galement en Basse-Normandie avec Ren Pareja dans La famille Magnifique (1995-1996) de Gilles Boulan, Annie Pican dans Il ne faut jurer de rien dA. de Musset (1997), et Eric Louviot dans Roulette descrocs de Harold Muller (1997), Jean-Pierre Dupuy dans La femme gauchre de Peter Hankle. En Haute-Normandie, il joue Lit nuptial de Sergi Belbel dirig par Denis Buquet (1998), puis Pas loin dune ternit dEugne Durif dirig par Sophie Rappeneau (2002).

    Il joue galement dans ses propres productions, dont Rouge, noir et ignorant de Edward Bond (2001), Le cas Gaspar Meyer de Jean Yves Picq (2003) et Oh les beaux jours de Samuel Beckett (2008).

    Directeur artistique de la compagnie Mga-Pobec Evreux, compagnie conventionne, il conoit et met en scne des processus de cration et de recherche : Racines perdues, Les nuits cubiques, Les appartements suspendus, Sophocle machina memorialis, Plan K Au fil de ces processus la croise de diffrentes disciplines artistiques, il noue des collaborations avec des plasticiens : Dominique De Beir, Alexandra Ruykiewitz, Pascale Mandonnet, des cinastes ou/et photographes : Jean Rault, Philippe Cote, le collectif lEtna, et des auteurs : Gilles Boulan, Ettore Labatte, Frdrique Vossier.

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    Mises en scne rcentes de la compagnie

    2011- Dans la solitude des champs de coton de Bernard Marie Kolts Lne Jacasse de Jean Pierre Brire

    2010- La Leon dEugne Ionesco

    2009- Plan K I et II

    2008- Oh les beaux jours de Samuel Beckett

    2004 2007- Sophocle machina memorialis : A:A, A:O et la Septime Porte, trilogie de Ettore Labbate dipe le Tyran de Hlderlin dans la traduction de Lacoue-Labarthe Les chambres ddipe

    2003- Le cas Gaspard Meyer de Jean Yves Picq

    2001- Rouge, noir et ignorant de Edward Bond

    1999- Ambulance de Gregory Motton

    Plus de dtails, se reporter au site de la compagnie : www.megapobec.com