DANIEL BARTHELET PROFESSEUR E.P.S. - C.R.E.P.S....

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JUDO UNE CERTAINE CONCEPTION DE L'APPRENTISSAGE DANIEL BARTHELET PROFESSEUR E.P.S. - C.R.E.P.S. HOULGATE Judo : Sport dans lequel l'adver- saire, en opposition directe, impose une constante adaptation. Le judo ne peut donc se concevoir qu'en fonc- tion des réactions variables de l'ad- versaire, et compte tenu du règle- ment, alors que la barre-fixe, par exemple, a toujours les mêmes réactions pour le gymnaste ; il en est de même de l'eau pour le nageur. De ces conditions est né un ensem- ble de techniques qui ne sont que des réponses à des situations données (par l'adversaire) ; des possibilités d'action qui supposent, pour réussir, d'avoir dans son jeu les cartes favo- rables (opportunité). Donc, il ne faut pas apprendre des techniques pour les mettre ensuite en pratique, il faut faire l'inverse : Partir des situa- tions de combat et chercher les ré- ponses techniques. Je me suis donc efforcé de faire un bilan des situations de combat que l'observation de débutants, de judokas chevronnés et d'experts per- met de déceler. Elles sont de deux sortes : L'attitude rigide et les bras raides. Les réponses sont d'ordre purement technique. Les déséquilibres, ou opportu- nités ; ou encore, manières pour un combattant de s'organiser sur ses jambes. Les réponses sont de deux types : celles dans lesquelles TORI attaque une ou les jambes d'UKE, celles dans lesquelles il soulève UKE (ce qui est encore une perte d'appuis). Mais, devant la variété des situa- tions qui peuvent se présenter ; de- vant la multitude des réponses pos- sibles, un combattant doit être orga- nisé et c'est là une opération men- tale ; le point de départ de l'action qui va suivre. CLASSIFICATION DES OPPORTUNITES Les déséquilibres peuvent avoir une infinité de directions, il en est de même pour le placement de l'adver- saire mais on peut ramener l'ensemble à quelques cas simples. En effet, l'opposant se déplace ainsi : UN PIED DEVANT L'AUTRE Poids du corps sur jambe avant ou, poids du corps sur jambe arrière. Dans chaque cas, il peut être en déséquilibre avant ou en déséquili- bre arrière. 73 Revue EP.S n°112 Novembre-Décembre 1971. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés

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  • JUDO UNE CERTAINE CONCEPTION

    DE L'APPRENTISSAGE

    DANIEL BARTHELET PROFESSEUR E.P.S. - C.R.E.P.S. HOULGATE

    Judo : Sport dans lequel l'adver-saire, en opposition directe, impose une constante adaptation. Le judo ne peut donc se concevoir qu'en fonc-tion des réactions variables de l'ad-versaire, et compte tenu du règle-ment, alors que la barre-fixe, par exemple, a toujours les mêmes réactions pour le gymnaste ; il en est de même de l'eau pour le nageur.

    De ces conditions est né un ensem-ble de techniques qui ne sont que des réponses à des situations données (par l'adversaire) ; des possibilités d'action qui supposent, pour réussir, d'avoir dans son jeu les cartes favo-rables (opportunité). Donc, il ne faut pas apprendre des techniques pour les mettre ensuite en pratique, il faut faire l'inverse : Partir des situa-tions de combat et chercher les ré-ponses techniques.

    Je me suis donc efforcé de faire un bilan des situations de combat que l'observation de débutants, de judokas chevronnés et d'experts per-met de déceler. Elles sont de deux sortes :

    • L'attitude rigide et les bras raides. Les réponses sont d'ordre purement technique.

    • Les déséquilibres, ou opportu-nités ; ou encore, manières pour un combattant de s'organiser sur ses jambes.

    Les réponses sont de deux types : celles dans lesquelles TORI attaque une ou les jambes d'UKE, celles dans lesquelles il soulève UKE (ce qui est encore une perte d'appuis).

    Mais, devant la variété des situa-tions qui peuvent se présenter ; de-vant la multitude des réponses pos-sibles, un combattant doit être orga-nisé et c'est là une opération men-tale ; le point de départ de l'action qui va suivre.

    CLASSIFICATION DES OPPORTUNITES

    Les déséquilibres peuvent avoir une infinité de directions, il en est de même pour le placement de l'adver-saire mais on peut ramener l'ensemble à quelques cas simples. En effet, l'opposant se déplace ainsi :

    UN PIED DEVANT L'AUTRE Poids du corps sur jambe avant ou,

    poids du corps sur jambe arrière. Dans chaque cas, il peut être en

    déséquilibre avant ou en déséquili-bre arrière.

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  • Exemples. Poids du corps sur jambe avant en

    déséquilibre avant (fig. 1 A et B).

    Réponses : A) SASAE à droite - HARAIGOSHI

    à droite, B) UCHIMATA à droite - IPPON

    SEOI à droite - SASAE à gau-che.

    Poids du corps sur jambe avant en déséquilibre arrière (fig. 2).

    Réponse : OSOTOGARI à droite KO UCHIGARI KO SOTO GAKE Poids du corps sur jambe arrière

    avec deux orientations différentes de déséquilibre (fig. 3 A et B).

    Réponses : A) KO SOTO GAKE B) HIZAGURUMA

    ASHI GURUMA HANE GOSHI.

    LES DEUX PIEDS AU MEME NIVEAU (déplacement latéral à droite ou à gauche).

    Les réponses sont alors : OKURI ASHI BARAI - HARAI TSURI KOMI ASHI - O UCHI GARI - KO UCHI GARI.

    ORGANISATION DES ATTAQUES. Il me semble assez vain, d'appren-

    dre, dans un premier temps de l'ap-prentissage, un grand nombre de tech-niques qui font souvent double em-ploi.

    Ex. : IPPON SEOI - MOROTE - TSU-RIKOMIGOSHI. Leurs principes sont très voisins, leurs opportunités les mêmes. Il est également assez formel de vouloir pratiquer toutes les techni-ques à droite et à gauche car, au fond, l'essentiel est d'avoir une atta-que à droite, une à gauche et ce dans les deux grandes directions de désé-quilibre : avant et arrière : donc 4 at-taques avec possibilités d'enchaîne-ment de l'une à l'autre, ce qui, il faut en convenir, est déjà un judo bien complet.

    Exemples :

    Sur ce tableau à 4 grandes direc-tions, opposées deux à deux, un com-pétiteur relativement à l'aise sur UCHIMATA à droite (1) doit s'entraî-ner à pratiquer UCHIGARI (3) à droite et KO UCHI GARI (4) à droite mais aussi SASAE à gauche (2) pour utiliser son UCHIMATA en confusion.

    De même, HARAIGOSHI conduirait à l'étude de OSOTOGARI à droite, de KOSOTO GAKE et de ASHI BARAI, à gauche.

    PEDAGOGIE. Tout ceci implique une manière de

    procéder dans l'apprentissage. J'ai déjà dit que le judo était un sport d'opposition et que ce serait le déna-turer que de vouloir supprimer cette opposition. Les techniques ne sont pas des recettes à appliquer, mais des réponses à des situations variées.

    Il faut donc partir de l'étude de ces situations.

    Une autre remarque s'impose : le débutant ne peut pas tout apprendre d'un coup. Il faut donc procéder par ordre de priorité et lui donner des techniques qui répondent aux pro-blèmes qui se posent à lui le plus fréquemment et à ses propres diffi-cultés.

    a) les débutants se poussent fré-quemment,

    b) les débutants ont souvent les bras toniques (tendus),

    c) les débutants n'osent pas tourner le dos à l'adversaire.

    SASAE, HIZA GURUMA sont donc bien des techniques de débutants : mais aussi TOMOENAGE (préparation à la chute prévue et contrôlée).

    Un autre souci bien compréhensible est celui de la chute, et d'une ma-nière générale des risques de bles-sures, résultant d'une pratique sys-tématiquement orientée vers le RAN-DORI avec une connaissance technique limitée.

    L'expérience montre que les acci-dents sont plus fréquents sur mau-vaise projection, en étude technique classique, quand UKE est crispé dans l'attente de la chute ; plus fréquents donc que dans des actions rapides, naturelles et spontanées. Dans ces cas, d'ailleurs, pour qu'il y ait chute, il faut généralement que la projec-tion soit bonne.

    Enfin, le RANDORI est une expé-rience qu'il faut faire tôt ou tard et les gens qui se blessent sont souvent ceux qui ne combattent que rarement (inexpérience, crainte). J'entends dire qu'on ne peut combattre sans avoir au préalable « la forme du corps » ; sans avoir une connaissance appro-fondie des techniques, etc. Je ré-ponds que l'analyse technique tradi-tionnelle ne résoud qu'une partie du problème, car elle fait abstraction de la réaction de l'adversaire. Comment s'expliquer autrement qu'on ne puisse « passer en compétition » toutes les techniques, pourtant bien connues et récitées lors des épreuves de cein-ture classiques, ou à l'occasion du KATA ?

    Les flèches à double sens indiquent

    les enchaînements possibles.

    Fig. 1

    Fig. 2

    Fig. 3

    Fig. 4

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  • Photographies de l'auteur

    LES TROIS TEMPS DE L'APPRENTISSAGE.

    Ce préambule un peu long était nécessaire pour fixer un état d'es-prit : la vraie technique est celle qui est assimilée et surtout adaptée au comportement de l'adversaire, en fonc-tion de ses propres possibilités, à un moment donné (lesquelles peu-vent être améliorées par l'entraîne-ment) .

    Voyons comment, dans la pratique, l'apprentissage peut se faire. • Combat-jeu, à genoux.

    But: mettre l'adversaire, qui se dé-fend, sur le dos et l'immobiliser.

    Le professeur ne donne que des consignes sur ce qui est défendu ou dangereux, mais n'indique surtout pas de procédés, afin de laisser l'élève chercher par lui-même (éveil de ses facultés d'adaptation et prise de conscience des réactions de l'adver-saire) . Il dégage avec ses élèves quelques grands principes qui vien-nent d'apparaître (notion d'équilibre, d'appuis, de leviers, de contacts, d'action - réaction etc.).

    Pendant cette période, les débu-tants se font également chuter à par-tir de la position un genou à terre, par action des bras de TORI (type TAIOTOSHI). Si les conditions le per-mettent, des anciens font chuter les débutants par des techniques variées, mais bien contrôlées (bonne projec-tion = bonne chute).

    • Le professeur s'appuie sur les découvertes éventuelles des débu-tants dans leur combat-jeu, à genoux pour introduire des principes techni-ques simples ; exemple : blocage par le pied du genou au sol (HIZA GU-RUMA) : ramassement du genou levé à la main, puis à l'aide d'une jambe en crochet (formes approchées de KO UCHI GARI - O UCHI GARI). Essais en combat-jeu.

    • Les deux étapes précédentes sont très importantes et très enri-chissantes, il faut savoir les faire durer mais cela n'empêche pas de passer pour autant aux étapes sui-vantes, à raison de périodes, cour-tes au début, puis de plus en plus longues.

    Donner le principe des techniques dans lesquelles TORI tourne le dos à UKE (bascule, rotation) en partant bien des conditions favorables à ces attaques et procéder après quelques démonstrations répétées à des place-ments de contrôle. Eviter de faire se projeter les débutants entre eux.

    A partir de là, créer les conditions qui font que la technique du moment deviendra évidente pour le pratiquant.

    JEUX DE DESEQUILIBRE.

    J'ai mis au point une série de jeux pour favoriser la pratique des techni-ques à déséquilibre, soit avant, soit arrière.

    1" Jeu de déséquilibre avant. Un cercle de 2 m à 2,50 m de dia-

    mètre. Règlement.

    SUMO (le vainqueur), est celui qui fait sortir l'autre du cercle (gain 1 point). Mais si l'un des adversaires, en employant une technique, fait chu-ter l'autre à l'intérieur du cercle (gain 2 points), en dehors du cercle (gain 3 points).

    Match en 5 points par exemple. Nota : Le débutant apprend vite

    ainsi à freiner une poussée, puis à affectuer un pas tournant, etc.

    2° Jeu de déséquilibre arrière (fig. 5).

    Même principe de la domination territoriale ; mais chaque adversaire possède un camp personnel dans le-quel il s'efforce d'attirer son vis-à-vis.

    Les débutants se poussent souvent.

    Découvertes techniques à partir du combat-jeu, à genoux.

    Situation aménagée pour éviter des déséquilibres en avant (chasser son adversaire du cercle, ou le faire chuter).

    L'erreur fait aussi partie du jeu. Ici, tenta-tive de sutemi avant sur un adversaire en déséquilibre... arrière ! ...La notion de

    déséquilibre est difficile à assimiler.

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  • Règlement : 1 point quand on attire l'adversaire

    dans son camp. 2 points si on le fait chuter chez

    lui. 3 points s'il chute dans le camp

    de TORI.

    3' Synthèse avant - arrière (fig. 6).

    Il s'agit de créer ici une situation qui fasse apparaître les deux désé-quilibres de manière évidente et répé-tée (prise de conscience).

    Chaque judoka s'efforce toujours d'attirer son adversaire dans son camp ou de le faire chuter comme précé-demment ; mais le couloir est large et, en raison des déplacements tour-nants, les combattants sont amenés à pousser ou à tirer.

    Explications. 1) Donner le principe de tel ou

    tel type de techniques. Attirer l'at-tention sur un ou deux points impor-tants.

    2) Aménager une situation qui rende la technique évidente (opportunité) ; sans supprimer les réactions de l'ad-versaire ; au contraire, en les susci-tant.

    3) Bilan par le pratiquant de ce qu'il a réussi et des échecs.

    4) Apports techniques du profes-seur, ou d'élèves plus gradés (sou-haitable) .

    5) Ayant perçu l'intérêt et l'utili-sation d'une technique, le débutant peut alors l'étudier de manière plus analytique éventuellement (UCHI KO MI).

    EVOLUTION DU SYSTEME

    Après cette prise de conscience, facilitée par la situation de jeu amé-nagée, il faut se rapprocher davan-tage de la réalité. L'adversaire un peu averti ne pousse pas, ne tire pas. Il s'efforce d'être neutre, en équilibre constant.

    Il faut alors apprendre au semi-débutant à utiliser des déséquilibres passagers ; des opportunités fugitives (celles définies en début d'article : poids du corps passant d'un pied sur l'autre).

    1) KAKARI adapté. UKE doit, par exemple, se déplacer

    en gardant le pied droit en avant — chargé le plus souvent — et se dé-fendre à partir de là. TORI guette le moment où ce pied porte le poids du corps ; apprécie le déséquilibre avant ou arrière et porte une attaque correspondante. Il s'efforce d'enchaî-ner suivant les réactions d'UKE (ex. HARAIGOSHI, OSOTO OTOSHI). On peut demander à UKE de se tenir droit, cassé, bras raides ; ou au con-traire, ne lui autoriser qu'une seule prise de mains. On peut également

    faire partir TORI d'une position privi-légiée, telle que main dans le dos, à la ceinture, contact d'IPPON SEOI, etc.

    2) Même travail quand c'est le pied arrière qui est chargé.

    3) UKE n'a le droit de se déplacer que latéralement, sans sauter, etc.

    4) Le professeur, ou un groupe d'observateurs (qui se reposent) font les commentaires qui s'imposent sur ce qu'ils voient sur le tapis ; font le bilan, donnent des conseils.

    5) Ainsi, le judoka apprend à dis-tinguer, dans telle ou telle condition bien précise, les techniques dans les-quelles il est à l'aise. Elles seront le point de départ d'enchaînements étudiés plus spécialement.

    Une action en amenant une autre, le tour de la technique (dans son ensemble) sera fait en trois ou quatre ans ; mais non de manière formelle ; au contraire, au travers de situations réelles, vécues « pour de bon ».

    Je pense qu'une technique réussie en compétition, vaut pour la connais-sance du pratiquant, ce que peuvent valoir 500 UCHIKOMI... et encore !

    CONCLUSION.

    Je n'ai pas parlé de « Techniques », ni de « préparation physique », ni de « mental », ni de je ne sais quel secret appris au Japon. Pour moi, la techni-que n'est que la manière d'utiliser ses qualités, avec le meilleur rende-ment. Elle est donc, inhérente à la connaissance du judo. Ce qui me

    préoccupe, c'est la manière de la faire assimiler, sans transformer le judoka en machine à reproduire.

    Contrairement à ce que l'on pour-rait penser, le processus convient mieux à des adultes qu'à des en-fants, car les premiers sont plus sensibles à une sollicitation de leur intelligence et de leur faculté d'adap-tation personnelle.

    Ayant appris d'emblée à tenir compte de la défense de l'adversaire, ils ne sont pas déçus par la pratique : car enfin, « c'est au pied du mur qu'on voit le maçon ».

    La compétition est alors le prolon-gement naturel de l'entraînement. Elle est de même nature.

    Les accidents sont moins nombreux, car les situations de combat ont été vécues plus souvent à l'entraînement au travers des différents procédés employés.

    D. BARTHELET.

    Les combattants, les observateurs et les arbitres

    Fig. 6

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