Daisy Dashwood Nurse certifiée - fnac-static.com
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Gwenaële Barussaud
Nurse certifiéeDe si charmants bambins
Gwenaële Barussaud
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Fleurus
Gwenaële Barussaud
Nurse certifiéeDans leur château normand, monsieur et madame de Grandville sont désespérés : leurs charmants bambins,
Godefroy et Charlotte, multiplient les bêtises et font fuir les gouvernantes.
Heureusement, la célèbre école de nurses anglaises, la prestigieuse Perfect Children’s Academy,
a promis de leur envoyer une demoiselle à la hauteur de la situation, l’excellente Daisy Dashwood.
Avec ses diplômes fl ambant neufs et son réputé fl egme britannique, Daisy Dashwood semble dotée de toutes
les qualités requises. Mais il ne faut jamais sous-estimer l’incroyable résistance des enfants français….
Caprices en pleine rue, batailles de mottes de terre, odeurs de camembert, pianiste myope et dressage de marcassin réussiront-ils à déstabiliser la jeune nurse anglaise ?
14,90 € France TTCwww.fleuruseditions.com
Daisy Dashwood
Le majordome
Charlotte de Grandville
Godefroy de Grandville
La cuisinière
Le jardinier
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Illustration de couverture et cabochons : Pauline Duhamel
Direction : Guillaume ArnaudDirection éditoriale : Sarah MalherbeÉdition : Claire Renaud, assistée de Sanandra CollardDirection artistique : Élisabeth HebertDirection de fabrication : �ierry DubusFabrication : Axelle Hosten
Composition et mise en pages : Text’Oh !
© Fleurus, 2016Site : www.fl euruseditions.comISBN : 978-2-2151-3247-9Code MDS : 652 551
Tous droits réservés pour tous pays.« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »
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De si charmants bambins
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– M iss Dashwood ! Miss Dashwood !
On tambourinait à la porte. Daisy Dashwood alla
ouvrir, non sans curiosité. Elle était très étonnée : on
était le premier jeudi du mois, c’est-à-dire le free Thursday,
jour de congé pour toutes les élèves de la célèbre école de
nurses londonienne : la Perfect Children’s Academy. Qui
donc pouvait bien frapper à la porte de sa chambre ce
matin-là à dix heures ? Daisy était un peu contrariée. Elle
Chapitre un
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avait beau être l’une des meilleures élèves de l’académie,
l’une des plus sérieuses et des plus assidues, elle espérait
bien pouvoir s’échapper quelque temps des murs de
l’école pour profiter un peu de ses heures de liberté
mensuelles. N’importe quelle autre élève un peu rusée
ou un peu moins sérieuse se serait tue, aurait fait la
« morte ». Mais Daisy Dashwood était consciencieuse :
elle ouvrit.
Une servante rougeaude et essoufflée se tenait sur le
seuil :
– Miss Dashwood ! Mrs Stenford a demandé à vous
voir.
– Comment ? s’écria Daisy. Mrs Stenford veut me
voir ?
– Oui, elle dit que c’est très urgent ! Elle vous attend
dans son bureau ! ajouta la servante, qui détala aussitôt
dans le couloir.
Daisy demeura un instant sur le seuil, fort déconcertée
par cette apparition. Mrs Stenford était la directrice très
respectée de la Perfect Children’s Academy. Il ne lui était
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pas coutumier d’envoyer chercher ses élèves dans leur
chambre, encore moins un jour de congé. Qu’est-ce que
cela signifiait ?
Tandis qu’elle parcourait les longs corridors qui
menaient au bureau de la directrice, Daisy chercha quels
motifs de mécontentement elle avait pu donner à ses
professeurs. Elle n’en vit aucun. Lundi, elle avait parfai-
tement réussi le test « Je me fais obéir des enfants les plus
insupportables sans crier ni user d’instruments comme le
fouet ». Mardi, elle s’était révélée l’une des meilleures à
l’atelier « J’invente des jeux de plein air pour aérer les
poumons des enfants des villes en évitant de maculer
leur toilette de taches d’herbe ». Mercredi, elle avait
montré une inventivité sans pareille pour « Enseigner les
bonnes manières en s’amusant, sans passer pour une
affreuse rabat-joie », cours réputé pour être un des plus
difficiles du cursus des nurses. Non, vraiment, Daisy
avait beau passer et repasser dans sa tête les occupations
des derniers jours, elle ne trouvait rien qui expliquât sa
convocation soudaine dans le bureau de Mrs Stenford.
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Néanmoins, ce ne fut pas sans trembler un peu qu’elle
frappa à la porte.
– Entrez, Miss Dashwood, je vous attendais !
Mrs Stenford était une directrice exemplaire. Fonda-
trice de la Perfect Children’s Academy, elle avait longtemps
travaillé au service des rejetons du duc de Cornouailles,
cousins éloignés des enfants de la reine Victoria elle-
même. Quoiqu’elle fût naturellement modeste, personne
n’ignorait sa prestigieuse expérience au sein de la famille
royale et on murmurait dans les couloirs qu’elle avait été
décorée par la reine pour services rendus à l’Empire
britannique. Mais surtout, ce qui impressionnait les
élèves de l’académie, c’était sa parfaite connaissance
de l’éducation et ses qualités pédagogiques hors pair.
Mrs Stenford maîtrisait tous les types d’enfants : les déso-
béissants, les coléreux, les maniérés, les hypocrites, les
paresseux, les menteurs, les gourmands, les agités : il
n’était pas un seul bambin dont elle ne venait à bout, pas
une colère qu’elle ne savait désamorcer, pas une dispute
qu’elle ne pouvait apaiser. Et tout cela dispensé sur un
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ton toujours égal, avec le sourire, sans jamais montrer le
moindre signe d’impatience ni d’exaspération. Elle avait
rédigé un ouvrage remarquable que chacune des élèves
recevait en cadeau d’adieu à la fin de ses études : Le guide
de l’éducation parfaite à l’usage des nurses qui veulent se
faire obéir et aimer des enfants, tout en satisfaisant leurs
parents. On pourra objecter que le titre était un peu long
et difficile à mémoriser, mais cet ouvrage était une mine,
une véritable bible ! Il répondait à toutes les questions
que pouvaient se poser les nurses débutantes, résolvait
tous les problèmes rencontrés et dispensait de merveil-
leux préceptes. Cela justifiait largement qu’il eût un titre
long comme le bras et qu’il pesât le poids d’une enclume.
– Miss Dashwood, depuis combien de temps êtes-vous
élève à la Perfect Children’s Academy ? demanda Mrs Sten-
ford en observant son élève par-dessus ses lunettes.
– Bientôt trois ans madame.
– C’est cela, trois ans… Cela signifie qu’il ne vous reste
plus que quelques mois d’étude à accomplir chez nous…
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– Oui, madame. Je quitterai l’école en juin, si vous me
jugez apte à devenir nurse.
– Voyez-vous, Miss Dashwood, il est des situations où
les études demandent à être un peu… raccourcies,
dirons-nous.
Elle adressa à son élève un large sourire. Daisy était
dubitative : elle ne voyait vraiment pas où Mrs Stenford
voulait en venir.
– Vous ne voyez pas ? demanda Mrs Stenford, comme
si elle pénétrait dans les pensées de son élève.
– Non, madame.
– Eh bien voilà, expliqua la directrice en dépliant une
lettre manuscrite. J’ai reçu hier une demande bien parti-
culière. Il s’agit d’une famille très respectable qui a un
besoin urgent de nurse diplômée. Jugez vous-même.
Et, ajustant ses lunettes, Mrs Stenford lut :
« Je connais suffisamment la réputation de votre très
prestigieuse école, réputation qui s’est répandue bien
au-delà de la Manche, pour ne pas douter que vous
saurez nous envoyer au plus vite une gouvernante à la
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hauteur de la situation. Cette demoiselle devra avoir les
nerfs solides, de l’autorité, un certain sens de l’humour ;
mais je vous sais assez experte en la matière pour sélec-
tionner la nurse la plus à même de dresser… (ici
Mrs Stenford toussa, se racla la gorge et reprit) d’éduquer
nos charmants bambins. Croyez que nous vous serons
éternellement reconnaissants de la rapidité de votre
réponse… »
– Il semblerait qu’il y ait urgence, effectivement,
remarqua Daisy, décontenancée.
– N’est-ce pas ? C’est pourquoi j’ai décidé d’accélérer
votre formation, déclara Mrs Stenford.
Puis, fixant son élève dans les yeux, elle ajouta sur un
ton solennel :
– Miss Dashwood, vous êtes un de nos meilleurs
éléments. Vous avez obtenu d’excellentes notes dans
toutes les matières. Cette famille a besoin de vous.
– Certainement, mais…
– Dès demain, vous quitterez votre classe. Pendant
trois semaines, je vous dispenserai des cours particuliers
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pour vous permettre d’acquérir les dernières connais-
sances qui manquent à votre formation. Si vous êtes aussi
vive et intelligente que je le suppose, vous pourrez partir
accomplir votre mission à la fin du mois.
Daisy Dashwood demeurait interdite. Bien sûr, elle ne
voulait pas décevoir Mrs Stenford. Mais enfin, tout cela
lui semblait très précipité. Elle avait encore beaucoup de
choses à apprendre, par exemple comment combattre la
peur du noir ou des fantômes, comment maîtriser un
enfant qui se roule par terre dans une boulangerie, et que
faire si deux enfants se battent à coups de maillet pendant
une partie de croquet. Mais Mrs Stenford semblait consi-
dérer que la situation de la famille qui s’était adressée à
elle était plus urgente que le cours sur « les probabilités
de dérapage au cours des jeux de plein air ». Et Daisy ne
voulait surtout pas la décevoir. Après tout, Mrs Stenford
savait tout. Elle était la plus à même d’apprécier ce qu’il
fallait faire.
– Eh bien, qu’en dites-vous, Miss Dashwood ? demanda
la directrice avec un sourire engageant.
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– Je… je ne sais pas trop. Je ne m’attendais pas à cette
proposition… Naturellement, je ferai ce que vous me
demanderez, bredouilla-t-elle, confuse de ne pas éprouver
plus de reconnaissance.
– Allons, allons ! Pas de fausse modestie, Miss
Dashwood ! Le devoir vous appelle ! Songez que si je
vous ai choisie c’est parce que j’ai toute confiance en vos
capacités. Et puis, ajouta la directrice, je n’oublie pas que
vous avez obtenu les meilleures notes au cours de fran-
çais ce trimestre…
Daisy ouvrit des yeux ronds. Elle ne comprenait pas
très bien le rapport… ou plutôt elle craignait de le
comprendre.
– La maîtrise de la langue de Molière, reprit Mrs Sten-
ford, est un atout non négligeable pour travailler au
service d’une famille française.
Daisy faillit tomber de sa chaise. Une famille française ?
Voilà un détail qui lui avait échappé… Ce qui ne lui
échappait pas en revanche, c’était la dangerosité de la
situation. Travailler en France ? Ce pays où l’on coupait
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la tête des rois, où l’on mangeait des grenouilles et des
fromages tout bleus qui sentaient les pieds ? Daisy blêmit
d’un seul coup. Elle n’eut pourtant pas le loisir d’ex-
primer sa crainte car déjà Mrs Stenford se levait et l’invi-
tait à quitter son bureau. Sur le seuil, la directrice lui
tendit la main et serra la sienne chaleureusement.
– Miss Dashwood, je vous remercie mille fois d’avoir
accepté ! Vous verrez, les Grandville sont des gens char-
mants… Je suis sûre que leurs enfants vont vous a-do-rer !
– Les connaissez-vous, madame ? demanda Daisy.
– Oui, oui… enfin, vaguement. Disons que ce sont de
vieux amis, esquiva Mrs Stenford.
Cette parole rassura cependant Daisy. Si les Grandville
étaient des amis de Mrs Stenford, ce ne pouvait pas être
de mauvaises gens. Pas de ces « sans-culottes coupeurs de
tête », ni de ces « sauvages qui préfèrent l’odeur du vin
rouge au parfum délicat du thé ». Des amis de Mrs Sten-
ford… Ce devait être des personnes exquises, courtoises
à l’extrême, songeait-elle en s’éloignant du bureau. Quel
honneur pour elle ! Mais quelle responsabilité aussi ! Il
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s’agissait d’être à la hauteur. Et comme Daisy Dashwood
était toujours amusée par les nouveaux défis, elle redressa
son col, releva son petit menton volontaire et, apercevant
dans un miroir du couloir son frais minois parsemé de
taches de rousseur, elle lança en français – avec un léger
accent tout de même : « À nous deux, charmants bambins
de France ! »
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La route qui menait du Havre au château des Grand-
ville était fort cahoteuse. Daisy Dashwood, qui oscillait à
chaque secousse de la carriole, avait toutes les peines du
monde à demeurer droite et à ne pas s’écraser sur les
cagettes de pommes qui se trouvaient derrière elle, ou
pire, sur la blouse noire du cocher à moustache qui était
venu la chercher au port.
Chapitre deux
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L’homme, robuste, avait de grosses mains calleuses qui
tenaient ferme les rênes des deux chevaux. Il n’était guère
bavard et Daisy, qui avait d’abord voulu lui être agréable
en vantant la beauté des vergers en fleurs, en avait été
pour ses frais. Elle ne s’en était pas formalisée pourtant,
devinant que cet être rustique devait être trop habitué à
la campagne normande pour en saisir les charmes. Et
puis surtout, elle avait décidé de placer ce voyage sous le
signe de l’optimisme et elle n’entendait pas laisser un
cocher désagréable ébranler sa confiance. C’est qu’elle
était prête à saisir son nouveau poste à présent ! Trois
semaines de cours particuliers avec la grande Mrs Sten-
ford, des leçons, des exercices pratiques, des conseils et
surtout le fameux Guide de l’éducation parfaite à l’usage
des nurses qui veulent se faire obéir et aimer des enfants,
tout en satisfaisant leurs parents – 3 850 grammes au fond
de sa valise, ça vous leste d’une inébranlable confiance en
vous-même ! Daisy était sûre d’elle et désireuse de
commencer sa mission, qu’elle entendait bien réussir.
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Rien n’aurait pu l’ébranler. Rien… pas même la
grimace du cocher au moment où elle s’était présentée
en le gratifiant de ce qu’elle jugeait comme son sourire le
plus charming :
– Daisy Dashwood de la Perfect Children’s Academy !
– Dashwood ? Pas un nom, ça… avait grommelé
l’homme en saisissant la valise avec aussi peu de soin que
s’il se fût agi d’une caissette de pommes – alors que la
valise de Daisy contenait tout de même le précieux guide
de Mrs Stenford.
Daisy avait mis cette remarque sur le compte de leur
différence de culture, voire de civilisation. Dashwood…
Ce nom-là n’était sans doute pas courant en Normandie,
où les gens portaient plutôt des noms d’arbres :
Beauchêne, Dutilleul, Duverger, l’état civil ressemblait
au catalogue d’un horticulteur local ! Tandis qu’un
Dashwood, bien sûr, ne se plantait pas en forêt ni au
fond d’un parc.
À présent, emportée par la carriole sur les chemins de
terre, Daisy souriait à sa nouvelle destinée (ce qui n’est
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pas forcément facile quand on risque à chaque seconde
de s’échouer parmi des pommes). Elle était ce que l’on
peut appeler une « beauté anglaise » : elle avait les cheveux
roux, les yeux clairs et le teint pâle, parsemé de taches de
rousseur. Elle était vêtue avec élégance d’une robe de soie
rose pâle avec une cape et tenait à la main une ombrelle
de la même couleur. Elle avait longtemps hésité avant de
choisir son chapeau. Quoique les chapeaux à voilette
fussent fort à la mode en cette année 1858, elle doutait
de l’effet qu’ils produiraient sur les enfants. N’y
verraient-ils pas un paravent, une façon de se protéger ?
La voilette risquait-elle de mettre entre les enfants et elle
de la distance, pire, de la méfiance ? Elle s’était beaucoup
interrogée là-dessus. Puis elle avait consulté le guide de
Mrs Stenford, mais la grande pédagogue avait totale-
ment omis de parler de la voilette. Dans le sommaire, à
la lettre V, on trouvait : « Violence », « Vie de famille »,
« Voler de ses propres ailes », « Vomitif efficace en cas
d’ingestion d’une bille », mais il n’y avait pas de place
pour la « Voilette ». Daisy Dashwood en avait déduit que
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Mrs Stenford ne devait guère s’être encombrée de souci
de chapeau et que, à son exemple, elle devait se consacrer
à l’essentiel. L’ingestion d’une bille, sans doute, était plus
importante que le choix d’un couvre-chef. Aussi avait-
elle délaissé la voilette pour une simple capeline de coton.
À présent, on avançait au trot sur une route sinueuse,
sous l’œil impassible de grosses normandes – c’est le nom
que l’on donne aux vaches dans cette belle région. Daisy
leur sourit d’un air aimable. Les bovins continuèrent de
mâchonner leurs brins d’herbe paisiblement. Sous la
capeline de coton, dans sa tête bien ordonnée défilaient
inlassablement les mêmes mots, échappés de la lettre de
monsieur de Grandville, et qui tournaient en boucle
depuis presque un mois maintenant : « autorité », « sens
de l’humour », « urgence », et surtout l’épouvantable
« dresser ».
– Alors comme ça, vous allez vous occuper des marmots
du patron ?
– Sorry ? « Marmots » ? répéta-t-elle sans comprendre.
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Elle se retourna vers son interlocuteur. Le cocher –
moustache épaisse et casquette vissée sur le crâne – n’avait
guère parlé depuis le port du Havre où il était venu la
chercher.
– Les marmots, reprit l’homme, les enfants quoi !
– Oh ! Oui ! répondit-elle, ravie d’apprendre un mot
nouveau. Je vais m’occuper des « marmots », c’est pour
cela que l’on me fait venir d’Angleterre !
– Ah… soupira l’homme, bourru. Et pourquoi l’An-
gleterre ?
– Mais voyons monsieur, répondit-elle, persuadée que
c’était là une vérité universelle, c’est en Angleterre que
sont formées les meilleures nurses ! Je suis diplômée de la
Perfect Children’s Academy, une école de gouvernantes
très réputée. Songez que cette école a formé la gouver-
nante des cousins des enfants de la reine Victoria elle-
même !
Cette remarque laissa le cocher de marbre. L’éducation
des neveux de Sa Majesté d’outre-Manche ne semblait
pas le préoccuper à l’excès.
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– M’est avis que pour s’occuper de ces canailles-là tous
vos diplômes de l’académie ne vous seront point utiles…
– Comment cela ? demanda Daisy, inquiète.
– Bah, vous verrez vous-même ! soupira l’homme en
haussant les épaules. Mais si vous voulez mon opinion,
pour garder la place, il vaudrait mieux sortir de quelque
école de dresseur… ou de dompteur.
– Oh shocking ! murmura Miss Dashwood.
Cette fois, Daisy était réellement choquée par la
remarque du cocher. Elle mit cela sur le compte de sa
rusticité. Sans doute était-ce là un de ces hommes de la
campagne incapables de dissocier l’élevage et l’éduca-
tion, et prodiguant à leurs vaches les paroles tendres
qu’ils n’auraient point employées avec leurs propres reje-
tons. Mais tout de même… Lorsqu’elle fermait les yeux,
elle se voyait, tenant d’une main un fouet et dans l’autre
deux enfants en laisse prêts à jaillir dans le public…
« Attention mesdames et messieurs, voici Daisy
Dashwood dans son époustouflant numéro de domp-
teur ! » Et, tandis qu’elle faisait claquer son fouet sur le
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sol d’un air menaçant, les enfants sautaient dans des
cercles enflammés.
Comme cette vision l’effrayait un peu, elle voulut
détendre l’atmosphère et tenta une pointe d’humour :
– Mais pour que je sois un vrai dompteur, monsieur, il
faudrait me prêter votre moustache !
L’homme lui décocha un regard aussi noir que sa
moustache. Diable ! Et dire que monsieur de Grandville
avait exigé une nurse dotée d’un sens de l’humour. Appa-
remment, le maître n’avait pas eu les mêmes critères pour
recruter son cocher… Elle adressa à celui-ci un petit
sourire crispé et, soucieuse de rétablir le dialogue,
demanda :
– Et monsieur et madame de Grandville, comment
sont-ils ?
– Ma foi, comme tous les maîtres… ni plus ni moins…
Voilà qui n’avançait guère Daisy. Elle avait pourtant lu
moult romans dans lesquels les jeunes gouvernantes en
apprenaient long sur les maîtres par quelque indiscrétion
du cocher ou de la cuisinière… Il faudrait donc tout
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miser sur la cuisinière pour avoir des informations, cela
lui promettait de solides indigestions, d’autant que la
cuisine française…
– Remarquez, ils ont bien du mérite, reprit le cocher. Si
le Bon Dieu m’avait envoyé des gamins comme les leurs,
j’aurais revendu la marchandise illico sur le marché !
Voilà une remarque qui était de nouveau fort shocking
pour une nurse diplômée de la Perfect Children’s Academy
et rompue à la pédagogie de Mrs Stenford : les enfants
n’étaient pas des betteraves, encore moins des porcelets
qu’on vendait le dimanche à la foire, et même les moins
propres d’entre eux méritaient plus d’égard, c’était en
tout cas ce que proclamait Mrs Stenford dans tous ses
ouvrages. Pourtant, Daisy cacha sa consternation.
L’homme reprit :
– Enfin, vous verrez bien par vous-même, ce que j’en
dis, moi… Simplement, ajouta-t-il sans quitter la route
des yeux, j’aimerais bien que, cette fois, vous restiez plus
longtemps que les précédentes…
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Daisy fut véritablement touchée par cette délicatesse.
Voilà comment étaient sans doute les hommes de ce
pays-ci : ils se montraient d’abord rudes, sans finesse, et
puis, au détour d’une phrase, ils révélaient la bonté de
leur cœur, leur gentillesse.
– Comprenez bien, reprit l’homme, j’en ai ras la
casquette de faire tous les dix jours le chemin jusqu’au
Havre pour aller chercher une nouvelle gouvernante.
C’est pour ça que, je vous le répète, si vous pouviez rester
un peu plus longtemps… C’est que j’ai les haies à tailler,
moi !
Daisy, douchée, se contenta de répondre d’une voix
sèche :
– Ne vous inquiétez pas, monsieur le cocher, je compte
bien rester ici pour toujours.
Ils ne se parlèrent plus pendant le reste du trajet. Dans
la tête de Daisy, il régnait une grande confusion. Avec
son esprit raisonnable et logique, elle tentait de remettre
dans l’ordre les affirmations du cocher : « Tous vos
diplômes de l’académie ne vous seront pas utiles… Il
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vaudrait mieux être dompteur… Des marmots comme
ça, je serais allé les revendre immédiatement… Une
nouvelle gouvernante tous les dix jours… » Et toutes ces
phrases accrochées les unes aux autres comme des wagons
formaient un ensemble assez effrayant, une sorte de train
fantôme qui roulait librement dans son esprit. Si les
précédentes gouvernantes étaient parties si vite, quelle
pouvait en être la cause ? Avaient-elles été renvoyées ?
Avaient-elles elles-mêmes donné leur démission ? Et
pour quelles raisons ? Elle aurait laissé longtemps ce petit
train tournicoter dans son cerveau et y promener ses
pensées décourageantes si elle n’avait soudain songé que,
parmi les précédentes gouvernantes, aucune ne sortait de
la Perfect Children’s Academy, aucune probablement
n’avait lu une ligne de Mrs Stenford, et que ceci suffisait
amplement à expliquer leur échec…
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Achevé d’imprimer en septembre 2016par Legoprint, ItalieN° d’édition : 16176
Dépôt légal : octobre 2016
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Gwenaële Barussaud
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Gwenaële Barussaud
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a promis de leur envoyer une demoiselle à la hauteur de la situation, l’excellente Daisy Dashwood.
Avec ses diplômes fl ambant neufs et son réputé fl egme britannique, Daisy Dashwood semble dotée de toutes
les qualités requises. Mais il ne faut jamais sous-estimer l’incroyable résistance des enfants français….
Caprices en pleine rue, batailles de mottes de terre, odeurs de camembert, pianiste myope et dressage de marcassin réussiront-ils à déstabiliser la jeune nurse anglaise ?
14,90 € France TTCwww.fleuruseditions.com
Daisy Dashwood
Le majordome
Charlotte de Grandville
Godefroy de Grandville
La cuisinière
Le jardinier
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