Daily Movies 61 - Mai 2015

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EDITO On va dire que je râle tout le temps (en même temps c’est pas faux) mais les rythmes de sortie des films c’est un petit n’importe quoi ces derniers temps ! Sur ces quatre premiers mois de l'année, il est sorti trois films qu’on peut raisonnablement considérer comme des blockbusters : « Jupiter Ascending », « Fast And Furious 7 » et bien sûr le mastodonte « Avengers, l’ère d’Ultron ». Et lorsqu’on regarde le planning de cet été, la liste des très gros films don- nent le vertige : « Jurassic World », « Terminator : Genisys », « Les Minions », « Magic Mike XXL », « Pan », « Ant- Man », « Pitch Perfect 2 », le reboot de « Les 4 Fantastiques », « Ted 2 », le remake de « Poltergeist », « Mission Impossible : Rogue Nation », « Pixels », et « Welcome Back ». Treize films ! Les spectateurs vont risquer l’indigestion... Autre exemple, 13 films vont sortir au cinéma en mai, contre… 22 en juillet. Avantage : certains petits films auront leur chance en mai (et encore, avec les rouleaux-compresseurs « Avengers » et « Mad Max »…). Inconvénient : des films vont souffrir cet été ! UNE PUBLICATION Yamine Guettari [email protected] Trois ans après avoir assouvi le fantasme absolu des fans de Marvel et cartonné au box-office avec « Avengers », Joss Whedon réunit une seconde fois sa dream team en livrant une suite qui se veut plus sombre et plus proche de l’intimité des personnages. 1bis DAILY MOVIES N O 61 MAI 2015 WWW.DAILY-MOVIES.CH Interview Frédéric Favre s’intéresse au petit monde des coursiers lausannois. 2 Festivals Bienvenue à la première édition du festival genevois Histoire et Cité ! 6 Videoex 2015 : le cinéma expérimental c’est là, et nulle part ailleurs ! Festivals 7 En salles « Dawn » : le Genevois Romed Wyder revient derrière la caméra avec cet intense huis-clos. 3 Ne ratant jamais une occasion pour tenter de rendre le monde plus sûr, Tony Stark tente de mettre au point un système de surveillance absolue et robotisée qui parviendrait à garantir le maintien de la paix. Opérant dans le dos de ses acolytes, Stark voit sa création lui échapper et donne ainsi naissance, à la manière du Docteur Frankenstein, à un monstre infor- matique persuadé que le meilleur moyen de protéger l’humanité n’est autre que de l’anéantir. Voilà donc les Avengers confrontés à une nou- velle menace, d’autant plus redou- table qu’elle s’avère insaisissable car douée d’ubiquité et qu’elle béné- ficie du soutien de deux jumeaux aux étranges pouvoirs. Vous l’aurez compris, la nature de cette menace, nommée Ultron, fait écho à la pro- blématique on ne peut plus contem- poraine des dérives de la surveillance informatique généralisée. Si le premier « Avengers » bénéfi- ciait d’une écriture particulière- ment efficace, cette suite souffre de grosses lacunes narratives. Entre les personnages qui courent après les punchlines ; les séquences intros- pectives censées révéler les plus grandes peurs des héros mais qui resteront inexploitées et un mon- tage qui semble souffrir de nom- breuses coupes ; cette suite déçoit précisément là où son aîné nous avait séduits. Seul le personnage de or parvient à tirer son épingle du jeu en nous décrochant quelques sourires. Alors que le grand méchant ne cesse de revendiquer sa liberté, le film res- semble paradoxalement à un produit formaté privé de toute originalité. Ajoutez à ça de (trop) nombreuses scènes d’action rarement convain- cantes car dépourvues d’enjeu et alourdies par un raz de marée d’ef- fets spéciaux trop visibles et vous achevez la déception. Force est de constater qu’à mesure que l’écurie Marvel et son prési- dent Kevin Feige multiplient les films et appliquent la même recette (surenchère de scènes d’action et ton excessivement décontracté), le caractère fascinant des ces super héros s’estompe et ce qui devait être des figures quasi mythologiques se transforme peu à peu en vulgaires marionnettes. [omas Gerber] Dès que vous voyez le logo ci-dessus, c'est qu'il y a des lots en jeu. COMMENT GAGNER ? En écrivant à [email protected], et en mettant en objet concours + le titre du film. N’oubliez pas votre adresse postale pour participer au tirage au sort ! AVENGERS : L’ÈRE D’ULTRON UNE SUITE DÉCEVANTE ! De Joss Whedon Avec Robert Downey Jr., Chris Evans, Mark Ruffalo Disney / Marvel Sortie le 22/04

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Toute l'actualité du cinéma en Suisse dans le numéro d'Avril de Daily Movies

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EDITOOn va dire que je râle tout le temps (en même temps c’est pas faux) mais les rythmes de sortie des films c’est un petit n’ importe quoi ces derniers temps !

Sur ces quatre premiers mois de l'année, il est sorti trois films qu’on peut raisonnablement considérer comme des blockbusters : « Jupiter Ascending », « Fast And Furious 7 » et bien sûr le mastodonte « Avengers, l’ ère d’Ultron ». Et lorsqu’on regarde le planning de cet été, la liste des très gros films don-nent le vertige : « Jurassic World », « Terminator : Genisys », « Les Minions », « Magic Mike XXL », « Pan », « Ant-Man », « Pitch Perfect 2 », le reboot de « Les 4 Fantastiques », « Ted 2 », le remake de « Poltergeist », « Mission Impossible : Rogue Nation », « Pixels », et « Welcome Back ». Treize films ! Les spectateurs vont risquer l’ indigestion...

Autre exemple, 13 films vont sortir au cinéma en mai, contre… 22 en juillet. Avantage : certains petits films auront leur chance en mai (et encore, avec les rouleaux-compresseurs « Avengers » et « Mad Max »…). Inconvénient : des films vont souffrir cet été !

UNE PUBLICATION

Yamine [email protected]

Trois ans après avoir assouvi le fantasme absolu des fans de Marvel et cartonné au box-office avec « Avengers », Joss Whedon réunit une seconde fois sa dream team en livrant une suite qui se veut plus sombre et plus proche

de l’intimité des personnages.

1bis

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DAILY MOVIES NO 61 ■ MAI 2015 WWW.DAILY-MOVIES.CH

Interview

Frédéric Favre s’intéresse au petit monde des coursiers lausannois.

2 Festivals

Bienvenue à la première édition du festival genevois Histoire et Cité !

6

Videoex 2015 : le cinéma expérimental c’est là, et nulle part ailleurs !

Festivals 7En salles

« Dawn » : le Genevois Romed Wyder revient derrière la caméra avec cet intense huis-clos.

3

Ne ratant jamais une occasion pour tenter de rendre le monde plus sûr, Tony Stark tente de mettre au point un système de surveillance absolue et robotisée qui parviendrait à garantir le maintien de la paix. Opérant dans le dos de ses acolytes, Stark voit sa création lui échapper et donne ainsi naissance, à la manière du Docteur Frankenstein, à un monstre infor-matique persuadé que le meilleur moyen de protéger l’humanité n’est autre que de l’anéantir. Voilà donc les Avengers confrontés à une nou-

velle menace, d’autant plus redou-table qu’elle s’avère insaisissable car douée d’ubiquité et qu’elle béné-ficie du soutien de deux jumeaux aux étranges pouvoirs. Vous l’aurez compris, la nature de cette menace, nommée Ultron, fait écho à la pro-blématique on ne peut plus contem-poraine des dérives de la surveillance informatique généralisée.

Si le premier « Avengers » bénéfi-ciait d’une écriture particulière-ment efficace, cette suite souffre de grosses lacunes narratives. Entre les personnages qui courent après les punchlines ; les séquences intros-pectives censées révéler les plus grandes peurs des héros mais qui resteront inexploitées et un mon-tage qui semble souffrir de nom-breuses coupes ; cette suite déçoit

précisément là où son aîné nous avait séduits. Seul le personnage de Thor parvient à tirer son épingle du jeu en nous décrochant quelques sourires.

Alors que le grand méchant ne cesse de revendiquer sa liberté, le film res-

semble paradoxalement à un produit formaté privé de toute originalité. Ajoutez à ça de (trop) nombreuses scènes d’action rarement convain-cantes car dépourvues d’enjeu et alourdies par un raz de marée d’ef-fets spéciaux trop visibles et vous achevez la déception.

Force est de constater qu’à mesure que l’écurie Marvel et son prési-dent Kevin Feige multiplient les films et appliquent la même recette (surenchère de scènes d’action et ton excessivement décontracté), le caractère fascinant des ces super héros s’estompe et ce qui devait être des figures quasi mythologiques se transforme peu à peu en vulgaires marionnettes.

[Thomas Gerber]

Dès que vous voyez le logo ci-dessus, c'est qu'il y a des lots en jeu.

COMMENT GAGNER ?En écrivant à [email protected], et en mettant en objet concours + le titre du film. N’oubliez pas votre adresse postale pour participer au tirage au sort !

AVENGERS : L’ÈRE D’ULTRON

UNE SUITE DÉCEVANTE !

De Joss WhedonAvec Robert Downey Jr., Chris Evans, Mark RuffaloDisney / Marvel

Sortie le 22/04

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

« CYCLIQUE »- Frédéric Favre, pour ceux qui ne vous connaissent pas, comment vous présenter ?- Je suis né en 1976 à Sion, et suis parti à Genève pour l'Université. C'est en devenant coursier, en marge de mes études de Lettres, que je suis tombé amoureux de la ville, car j'ai commencé à la connaître dans ses moindres recoins, dans son intimité.

- Quel a été votre parcours de ciné-phile ?- Je suis un enfant de la télé. J'ai passé des milliers d'heures devant le petit écran, comme plein de gens de ma génération. Un jour à 14 ans, je l'ai décidé : j'allais faire des films ! J'avais trouvé ma vocation. J'ai une formation d'abord théorique et aca-démique, y compris en cinéma. Je me suis occupé du ciné-club univer-sitaire de 2003 à 2012. En sortant de l'Uni, je voulais tout de suite travail-ler dans le milieu ; j’ai fait des petits boulots sur des tournages, puis de fil en aiguille, je suis devenu assistant-réalisateur dès 2005, pour l'ECAL, et pour Daniel Schweizer, avec qui j'ai travaillé 5 ans.

- Et votre parcours de passionné de cyclisme ?- J'ai bossé de 2000 à 2008 à la Krick Cyclo [ndlr : entreprise vélo-postale genevoise], on a fondé avec cinq potes l'association Roue Libre en 2004 qui a été à l'origine de pleins d'actions festives et politiques décalées, notam-ment la création de l'Autre Salon.

- « Cyclique » est votre film de di-plôme, c’est bien ça ?- Oui. Mais le désir de faire ce film est venu bien avant le master ci-néma. Déjà en 2005 j'en avais posé les premières lignes, mais ça n'a rien

à voir avec le résultat fi-nal évidemment. J'avais juste envie de partager ma vision du travail de coursier, partager toutes ces sensations fortes.

- Le sujet s’est-il imposé de lui-même, de par votre implication dans ce milieu ?- Je distingue le thème et le sujet. Le sujet c'est le monde des coursiers. Le thème du film pour moi, c'est la dif-ficulté de grandir, de faire des choix. Les deux se sont imposés séparément. C’est un conseil d’un ami scénariste qui m’a aidé à faire le lien : « raconte une histoire dans un univers que tu connais bien, que tu aimes, que tu auras plaisir à filmer et que tu filme-ras comme il faut. » Au départ le film était écrit à Genève, pour Genève. Et là c’est Jean-Stéphane Bron qui m’a aidé. Il m’a dit : il faut que tu changes de ville, que tu prennes de la dis-tance. Genève c’est trop proche. Et puis Lausanne, ça c’est un vrai défi, aussi physique ! Alors j’y suis allé, mais pas de gaieté de cœur au départ : j’ai dû affronter pas mal de timidité et de peurs.

- Comment avez-vous trouvé vos trois héros ? - De façon très organique. J'avais dû écrire un scénario complet du film (comme une fiction pure), que j'ai mis de côté pendant le tournage. Je l'ai repris une fois le film fini : on est incroyablement proche au niveau thématique, mais ça prend un tout autre chemin. Je dirais donc qu'on a vraiment fait le film ensemble avec les protagonistes : ils incarnaient exactement les énergies que je cher-chais, les problématiques que je vou-lais raconter, mais je me suis laissé

embarquer dans leur univers, dans leur monde, dans leur réa-lité, qui a dépassé la fiction.

- Il y a une mélan-colie frappante chez ces personnes qui semblent pourtant tellement heureuses au moment d’en-fourcher leur vélo. Conséquence d’une solitude propre aux gens dits « passion-nés », à fond dans leur métier ? - Il y a une mélan-colie et une passion. C'est un film bipo-laire je pense, tragi-comique, et cyclothymique (d'où le titre) ; ça résonne parce que je pense qu'une passion dévorante peut aussi jouer un rôle de refuge, de fuite de la réalité dans une de ses tranches. Ça donne une identité, ça distingue, mais peut aussi isoler des autres. En faisant « Cyclique », je me suis complètement plongé dans ce travail, et je me suis passablement isolé aussi. Même si j'étais à fond avec mes protagonistes.

- Dans le film, le métier de coursier passe dans le regard de certaines personnes pour une forme de passe-temps peu sérieux, voire immature. Une vie de coursier, une vie de chien ? - C'est vrai que je voulais démystifier

un peu le métier de coursier, casser un peu la mythologie qu'on construit tout autour. Parce que je le connais de l'intérieur, je ne voulais pas rester sur l'image d'Epinal. Après, cela devient une petite métaphore de l’existence. Avec ses joies, ses peines… J'ai voulu faire un film sur ma vision optimiste de la vie, mais sans en escamoter le spleen.

- Quels sont vos projets après ce film ?- Je suis en train de développer un nouveau projet qui se passe en mon-tagne. Son titre de travail est « En-cordés »… Je suis en pleine phase d’écriture.

[Pascal Knoerr]

2

Caroline, Raph, Matila sont trois jeunes coursiers à vélo. Le cycle est leur passion et les rues de Lausanne sont leur territoire. Pour son premier film, Frédéric Favre a filmé (et roulé !) au plus près de ses protagonistes,

épousant leur quotidien, captant leurs bonheurs et leur coups de pompe, et dévoilant leur douce mélancolie.

EN SALLES

Alexandre Carole-lyne Etienne Loïc Caporal Klay Rey Valceschini

A Pigeon Sat On A Branch... - - ★★★ - ★★

A Trois on y va - ★★★ ★★ - ★★★★

Avengers, l’ère d’Ultron ★★ - ★★ ★★ ★★★★

Connasse, Princesse des cœurs - ★★ - - -Cyclique - - - - ★★★★

Dawn - - - - ★★

Fast and Furious 7 - - ★★★ ★★ ★★★

Iranien - ★★★★ - - ★★★

La Promesse d’une vie - - - - ★★

Le Talent de mes amis - - - - ★★

Five angry mennotent les films du mois

LA COTATION DE DAILY MOVIES ★★★★★ Chef-d’oeuvre ★★★★ Excellent ★★★ Bien ★★ Bof ★ Mauvais T À éviter comme la mort

De Frédéric FavreAvec Caroline, Raph et MatilaFilmbringer

Sortie le 29/04

UN RÉALISATEUR SE MET EN SELLE

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

CAS DE CONSCIENCE

Le réalisateur/producteur ge-nevois Romed Wyder s’était fait rare depuis son thriller

psychologique « Absolut » en 2004. Il est de retour aux commandes de ce huis-clos intense, suite à sa découverte du roman « L’Aube » (« Dawn ») d’Elie Wiesel. De cette adaptation découle un film psychologiquement riche, qui n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, « L’Armée des ombres » de Melville. En effet, on y retrouve ces résistants confinés dans un univers ascétique et gris, qui se retrouvent à combattre côte à côte malgré leurs différences de caractères et qui sont chaque jour confrontés à des choix moraux compliqués.

Nous sommes en 1947 : la Palestine est sous mandat britannique. Les sionistes se battent pour la créa-tion d’un Etat juif en Palestine et un de leurs membres vient d’être condamné à mort par les Anglais. En représailles, la résistance a kid-

nappé un officier britannique qu’ils essaient d’échanger contre leur ami. Cinq insurgés passent la nuit ensemble, en attendant les résultats de la négociation. Si, à l’aube, les Britanniques pendent leur ami, le plus jeune d’entre eux, Elisha, res-capé des camps de la mort, devra exécuter l’otage. Sauf qu’au début de la nuit il ne le sait pas encore, et que ses quatre compagnons d’armes vont s’employer, chacun à leur manière, afin qu’il surmonte ses conflits de conscience et s’engage pleinement dans la lutte armée. Il y a Gad, le charismatique et pater-nel chef de groupe, Joav l’ancien truand brutal et agaçant, Gideon,

le juif pratiquant, toujours calme et qui tempère Joav, et enfin Ilana, la recruteuse, jouant à la fois la figure maternelle et amoureuse.

Il n’est pas facile de réaliser un huis-clos – ce genre peut vite conduire à l’ennui – mais Romed Wyder a su ménager un rythme satisfaisant, grâce à de bons dialogues et à l’in-sertion judicieuse de quelques flash-backs. De plus, les acteurs jouent chacun très juste et donnent une épaisseur à leurs personnages, le pivot restant Elisha (très bon Joel Basman, que nous avions remarqué dans « Luftbusiness », chroniqué dans le Daily Movies n°2), dont les questionnements résonnent avec ceux du spectateur : l’ancienne vic-time doit-elle devenir bourreau ? On ne peut s’empêcher de faire le paral-lèle avec la situation actuelle des « terroristes » palestiniens…

[Yamine Guettari]

EN SALLES 3

BioRomed WyderGenevoisNé en 1967 à Brigue, il obtient en 1995 son diplôme de la section cinéma des Beaux-Arts de Genève. Il est membre actif du Cinéma Spoutnik et a fondé le collectif Laïka Films avec 5 amis cinéastes en 1993.

Réalisateur-inventeurDans « Squatters », son premier documentaire il filme la vie quotidienne de squats genevois. Univers qu’il retrouve pour sa première fiction « Pas de café, pas de télé, pas de sexe ». Puis il réalise « Absolut », un thriller sur fond de crise financière et de G8. Passionné de technologie, il développe un générateur de widgets en ligne pour la promotion du film.

Producteur impliquéEn 2003, il fonde sa propre société de production Paradigma Films. Depuis 2002, Romed Wyder est membre de la Commission fédérale du cinéma, et entre 2005 et 2008, il fut président de l'Association suisse des réalisatrices et réalisateurs de films.

[Yamine Guettari]

« DAWN »

Couronné par le Lion d’or à Venise, « A Pigeon Sat on a Branch… » clôt ce que

Roy Andersson appelle une trilogie sur le « vivant », sur la condition de l’être humain ; une condition faite plus souvent de petits malheurs, de solitude et de tragi-comédie que de franche rigolade. S’inscrivant dans la continuité de « Chansons du deuxième étage » et « Nous, les vivants », ce troisième film en reprend le style théâtral, les costumes et les décors plus gris et déprimants que jamais, avec mention spéciale pour le lino défraîchi, le mobilier Ikea passé et les éclairages impersonnels. Le ton de cette nouvelle suite de scénettes imbriquées entre elles se veut encore une fois doux-amer, voire carrément triste. Traversé par des personnages qui sont à peu près tous en train de passer à côté de leur existence (mention spéciale aux deux sinistres représentants de farces et attrapes, condamnés à répéter en boucle le même laïus de vente), le film propose une certaine idée de la vacuité de la vie telle qu’elle est

subie par celles et ceux qui en sont les perdants. Il n’y a que les enfants et les jeunes qui semblent échapper, pour un temps, au regard caustique et désenchanté du réalisateur. Qui se fend, et c’est inattendu, de quelques piques politiques par le recours à un surréalisme spectaculaire, instillant une angoisse prégnante dans la seconde moitié du film. Si l’humour, pas toujours noir, détend ici et là une atmosphère sur laquelle plane la fatigue et la mort, on s’amuse un peu moins que dans les deux précédents longs métrages, ce qui fait à la fois la surprise et la déception de cette conclusion à une trilogie au ton tellement scandinave, qu’il vaut la peine de découvrir.

[Pascal Knoerr]

« A PIGEON SAT ON A BRANCH REFLECTING ON EXISTENCE »

Du talent, Alex Lutz et son acolyte Bruno Sanches en ont incontestablement. Depuis

trois ans, le duo enchante le public de Canal + avec la shortcom « Catherine et Liliane », pastille hilarante s’étant ménagée sa place au soleil dans le « Petit Journal » de Yann Barthès. Malheureusement en tentant d’utiliser cette notoriété pour ce premier coup d’essai derrière la caméra, Alex Lutz nous éloigne des dialogues caustiques et piquants auxquels il nous avait habitués. Dans « Le talent de mes amis », Alex et Jeff, collègues de bureau dans une multinationale, sont aussi les meilleurs amis du monde depuis le lycée. Avec leurs femmes respectives, ils forment ensemble presque une famille, qui se fraye un chemin dans la vie, tranquillement, sans grande ambition. L'arrivée de Thibaut, conférencier et spécialiste en développement personnel, ne va pas tarder à mettre à mal leur équilibre pépère, car Thibaut est un ami d'enfance d'Alex et va le pousser à l’imiter en réalisant ses rêves, au risque de perdre l'amitié de

Jeff... Tout comme le titre le laisse entendre, le comique joue la sécurité en s’entourant d’amis, parmi lesquels Tom Dingler (metteur en scène de « Catherine et Liliane »), Audrey Lamy, Julia Piaton, Sylvie Testud… Autant dire, pléthore de rôles secondaires qui viennent se greffer à un scénario déjà confus et aux enjeux plus que limités. Portrait d’une génération ? Plaidoyer pour l’épanouissement personnel ? Le film prend plutôt la forme d’une série de sketches et d’aventures loufoques sans grande originalité. Du film, on retiendra le post-générique, pour nous rappeler que la comédie aurait gagné à être plus débridée, à l’image des deux têtes d’affiches.

[Mariama Balde]

« LE TALENT DE MES AMIS »

De Romed WyderAvec Joel Basman, Sarah Adler, Liron Levo, Jason IsaacsAardvark Film

Sortie le 29/04

D’Alex LutzAvec Alex Lutz, Bruno Sanches, Tom DinglerFrénetic Film

Sortie le 06/05

De Roy AnderssonAvec Nisse Vestblom, Holger AnderssonLook Now !

Sortie le 29/04

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

Le grand George Miller revient à ses amours post-apocalyptiques après avoir secoué le film pour enfants. Du grand spec-tacle avec Tom Hardy, Charlize Theron et p’têt même un caméo du grand Mel !

Sortie le 13/05

Le génial Brad Bird (« Les In-destructibles », « Ratatouille ») s’attaque à la SF en envoyant George Cloo-ney et la jeune Britt Robertson explorer une mystérieuse dimension : Tomor-rowland.

Sortie le 20/05

Ceux qui avaient appré-cié « 2012 » salivent déjà devant ce film catastrophe qui va pulvéri-ser la Califor-nie. Heureusement, Dwayne « The Rock » Johnson veille sur sa famille (les autres peuvent crever !).

Sortie le 27/05 [YG]

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« MAD MAX FURY ROAD » « A LA POURSUITE DE DEMAIN » « SAN ANDREAS »

Mélodie (Anaïs Demoustier) est une jeune avocate talentueuse. Elle fréquente

un jeune couple, Charlotte et Micha qui viennent de s’installer dans une maison. Mais depuis 5 mois, elle est tombée amoureuse de Charlotte et vit un amour caché avec elle. Micha qui se sent quelque peu délaissé par Charlotte ressent un soir où il raccompagne Mélodie, une folle attirance pour elle. Va s’en suivre une histoire compliquée à gérer pour Mélodie, qui balance entre les deux… Bien que le film manque un peu de rythme, il se laisse agréablement regarder et insuffle un vent de fraîcheur et de liberté. Au premier abord, la brillante Anaïs Demoustier était la première

motivation à voir ce film, mais il s’avère que le choix des deux autres comédiens complète un excellent casting, rendant ces personnages attendrissants. Tout au long de l’histoire, on se demande comment une relation à trois peut se développer avec l’épanouissement de chacun des protagonistes, avant une conclusion dont on vous laissera la surprise. [Carole-lyne Klay]

« À TROIS ON Y VA »

Pas facile pour un athée iranien de convaincre quatre mollahs d’aborder différents

sujets avec lui. Mais c’est ce qu’a réussi à faire le réalisateur Mehran Tamadon, non sans mal, car le mollah est d’un naturel suspicieux et tend à refuser de cohabiter avec un mécréant dans une maison, d’autant plus durant deux jours ! Une fois installés les quatre mollahs et le réalisateur débutent leurs échanges, mais avant tout, et ce n’est pas une mince affaire, les mollahs vont vouloir clarifier le mot laïc... Ce documentaire d’une grande valeur pédagogique démontre qu’il y a certaines barrières difficiles

à surmonter. Monté d’une main habile, il sait garder un rythme attrayant et, malgré le sujet sérieux et d’actualité avec l’Iran, laisser le rire à portée. Au final, Tamadon a su faire parler les mollahs sur les libertés individuelles, quant à eux ils ont espéré le faire devenir un grand prédicateur. Chacun son objectif… [Carole-lyne Klay]

« IRANIEN »

EN SALLES

Pas vu mais on y croitTrois films à voir en salle ces prochaines semaines, mais qui n’ont pas encore été visionnés.

Après le petit succès rencontré par la série, c’est son adap-tation cinématographique,

mise en scène par les mêmes réali-satrices, qui paraît sur grand écran. Alors qu’on jugeait plus attendu le portage de « Bref », voici donc « Connasse, Princesse des cœurs ». Cette comédie repose sur le person-nage de la « Connasse », interprété par Camille Cottin, qui est d’ailleurs l’un des – rares – bons points du film. On y retrouve, bien sûr, le concept à la base de la série courte : des caméras cachées qui mettent en scène de pauvres victimes des délires de ce personnage insupportable. Tout commence lorsque Camille Cottin se rend compte que le monde du travail n’est pas fait pour elle. Elle affiche aussi du mépris pour la classe moyenne, les enfants ou les handicapés. Aiguillonnée par l’image qu’elle se fait d’elle-même, elle va tout faire pour rencontrer le Prince Harry d’Angleterre et l’épouser : son but, la célébrité et l’abri du besoin.On rigole… dix minutes. Avec un scénario et un concept pareils,

comment ne pas faire la compa-raison avec le film de Sacha Baron Cohen, « Borat » ? Cependant, là où la comédie délirante de l’Anglais posait un vrai décor pour une bonne dose de rigolade, on se retrouve ici face à une coquille vide. Malgré le bagout de l’actrice et les premières minutes qui font sourire, on arrive bien vite dans un film plat, agré-menté de séquences ridicules voire gênantes. Il ne suffit pas d’être vul-gaire ou politiquement incorrect pour faire une bonne caméra cachée. Là où le concept était bien adapté à un programme court de quelques minutes, on voit bien, dans cette longue adaptation, qu’il y a un cruel manque de contenu.

[Robin Jaunin]

« CONNASSE, PRINCESSE DES CŒURS »

Pour les moins jeunes, Alan Rickman c’est avant tout Hans Gruber, le méchant

de « Piège de cristal », rien moins que l’un des vilains les plus classes de toute l’histoire du cinéma. Pour la génération suivante, c’est le professeur Severus Rogue de « Harry Potter ». L’homme est pourtant aussi un grand acteur de théâtre, une figure éclectique du cinéma et donc également, comme ce film le prouve, un réalisateur émérite. Après « L’Invitée De L’Hiver » en 1997, le voilà à nouveau derrière la caméra. Cette fois, il choisit de raconter l’histoire imaginée autour de la création du fameux « Bosquet Des Rocailles » à Versailles, la salle de bal à ciel ouvert conçue par le jardinier du Roi Soleil, André Le Nôtre. D’après le film, même si le célèbre paysagiste y est bien présent, ce serait à une certaine Sabine De Barra, artiste avant-gardiste, qu’on devrait ce fameux joyau de la culture française. La vérité historique semble être ici piétinée mais peu importe et surtout, tant mieux ! Il y aura toujours des voix

grincheuses pour venir se plaindre que le film trahit l’Histoire de France, en anglais en plus, mais en terme de dramaturgie, l’idée est judicieuse. Le personnage, interprété brillamment par Kate Winslet, donne une touche de modernité à une œuvre qui aurait facilement pu passer pour vieillotte et statique. Sans le talent des acteurs, que le cinéaste met en scène avec une évidente délectation, le réalisateur débutant aurait eu grand mal à dissimuler la simplicité du découpage quasiment réduit à une suite de gros plans traduisant un manque de moyens évident, l’impossibilité de tourner dans des décors réels et la difficulté de les recréer ailleurs. Malgré tout, la sincérité paie et Alan Rickman s’en sort avec classe et honneur. [Etienne Rey]

« LES JARDINS DU ROI »

D‘Alan RickmanAvec Kate Winslet, Matthias Schoenaerts, Alan RickmanElite Films

Sortie le 13/05

De Jérôme BonnellAvec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie VerbeeckAgora Films

Sortie le 20/05

D‘Eloïse Lang et Noémie SaglioAvec Camille CottinPraesens

Sortie le 29/04

De Mehran TamadonAvec Mehran Tamadon et une poignée de mollahsFirst Hand Films

Sortie le 29/04

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015 5

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015FESTIVALS6HISTOIRE ET CITÉ :

FESTIVAL D’HISTOIRE GENÈVE

A l’origine de cette manifestation, Micheline Louis-Courvoisier (di-rectrice de la Maison de l’histoire à l’université de Genève) et Pierre-François Souyri (directeur des Rencontres des Genève Histoire et Cité), qui ont ressenti le besoin de stimuler par un festival multimédia « la compréhension d’une réalité quotidienne partagée, éprouvée par tous ». Convaincus que la pratique de l’histoire est en lien direct avec cette réalité, qu’elle « la met en re-lief, elle l’anime, elle en éclaire les multiples aspérités », ils proposent sur trois jours de prendre le temps de la réflexion, de l’échange, pour sortir des préjugés et des idéologies simplificatrices.

Pour cette première édition, Les Rencontres de Genève Histoire et Cité porteront sur le thème « Construire la paix » et seront en toute logique parrainées par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. Ce choix thématique repose sur plusieurs raisons : parce que 2015 sera le 200e anniversaire du traité de Vienne et de l’entrée de Genève dans la Confédération, mais aussi le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien sûr parce que la Genève internatio-nale est depuis plus d’un siècle au cœur des initiatives pour la paix.

Les meilleurs spécialistes sont donc invités pour dialoguer avec le public et intervenir dans le cadre de confé-rences, tables rondes, cafés histo-riques et littéraires… Les amateurs de lecture se passionneront pour le salon du livre et de la bande-dessi-née historique. Des expositions, des visites de lieux historiques, des ate-liers pédagogiques pour les classes et des sessions de formation conti-nue pour les enseignants compléte-ront ce vaste programme. Et bien

sûr le festival du film historique en présence de nombreux réalisateurs permettra aux cinéphiles curieux de découvrir ou de redécouvrir de nombreux films en lien avec cette thématique

Le cinéma fait histoire, par le regard singulier qu’il pose sur les événe-ments du monde, par l’influence qu’il exerce sur leurs protagonistes. Les Journées du film historique consacrées au thème « Construire la paix » proposent une quarantaine de films qui, selon leur objet (résis-tance, après-guerre, pacifisme, négo-ciation), selon la variété du genre et le mode d’écriture (documen-taires, fictions, animations, archives, reconstitutions) ou selon la mobi-lisation qu’ils provoquent auprès du public, dessinent un portrait contemporain du film historique sur la paix.

La programmation a été pensée selon six modules qui proposent de traiter la question du lien entre cinéma, histoire et paix : le cinéma comme agent de l’histoire et vecteur de paix ; comment construire la paix et comment celle-ci peut être abor-dée différemment selon qu’il s’agisse de fiction ou de documentaire de paix ? ; la paix dans tous ses états et les figures de la paix au cinéma ; les représentations filmiques de Genève ville de paix ; les drôles de paix, ou encore les routes et détours de paix.

Notons dans cette conséquente pro-grammation quelques films à ne pas manquer. « Et maintenant on va où ? », film libanais montrant les stratagèmes utilisées par les habi-tantes d’un village multiconfes-sionnel pour éviter que les hommes importent les conflits religieux faisant rage dans le reste du pays. « Les couleurs de la montagne », film colombien dans lequel des enfants veulent simplement récupérer leur bal-lon de foot tombé dans un champ de mines, tandis que la guérilla investit leur village. « La Grande illusion », le chef d’œuvre de Jean Renoir sur la guerre de 14, plus analyse sociale que film de guerre. « Le juge et le général », documen-taire chilo-américain qui interroge le juge Juan Guzmán Tapia sur son

enquête de six ans sur l’ancien dic-tateur Augusto Pinochet. Enfin le conflit israélo-palestinien prend une place non négligeable avec de nombreuses projections (« Au nom du temple », « Route 181 », « Le Fils

de l’autre », « Dans un jardin je suis rentré », « Fix Me », « Ana Arabia », « When I Saw You »…).

Un festival initié par une université ne saurait oublier d’être pédago-

gique : la jeune génération, sensible aux effets d’image, est invitée aux projections scolaires qui visent à éveiller et stimuler son intérêt tant pour l’histoire que pour les ques-tions relatives à la construction de la paix. Le cinéma déplaçant et transformant les enjeux des pers-pectives historiques, ces journées proposent d’y réfléchir à l’occasion de tables rondes, en présence de réalisateurs, critiques, historiens et journalistes qui invitent le grand public à débattre à la suite des pro-jections. L’Université de Genève, les Cinémas du Grütli, le Département cinéma de la Haute école d’art et de design (HEAD – Genève), le Service de formation continue de l’Etat de Genève sont les partenaires engagés dans ce projet par lequel l’histoire et ses acteurs font aussi leur cinéma.[Yamine Guettari]

http://histoire-cite.ch

Voilà un nouveau projet bien ambitieux à Genève, lancé par l’Université de Genève : un festival d’histoire basé sur des débats, des expositions, des conférences, des émissions de radio, et bien-sûr, ce qui nous intéresse

au premier chef, un large programme de projection de films. Thème de cette première ? Construire la paix !

GenèveDu 14/05 au 16/05

« Tatsumi »

« Le juge et le général »

« La grande illusion »

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015 7FESTIVALSCINÉMATHÈQUE SUISSE : DEMANDEZ LE PROGRAMME !

VIDEOEX 2015

Un programme de fou pour ces mois de mai et juin à la Cinémathèque suisse, sise, rappelons-le, au Casino de Montbenon et parfois au cinéma Ca-pitole pour les grandes séances. Il y a tellement de choses que nous n’aurons probablement pas l’es-pace de tout traiter mais on va faire au mieux (et si j’arrêtais les digressions oiseuses, ça aiderait aussi).

Tout d’abord, et ce n’est à manquer sous aucun prétexte, deux magnifiques rétrospectives vous sont offertes.

La première revient sur le Pape du film noir à la française, celui qui donna ses lettres de noblesse au cinéma de genre pendant la Nouvelle Vague, j’ai nommé Jean-Pierre Melville. L’homme au stetson et aux lunettes noires, qui admirait la puissance des polars américains de Walsh, Mann et Huston, aura su utiliser cette passion pour tourner plusieurs chefs d’œuvre du polar à la française, immédiate-ment reconnaissables. Son style dépouillé – poussé jusqu’à l’épure dans « Le Samouraï » –, ses per-sonnages solitaires luttant pour tenir leur parole dans un monde cruel, les relations d’amitié virile, constituent sa marque de fabrique immanquable. La rétrospective permet de parcourir le meilleur d’une filmographie relativement courte (13 long-métrages au total), mais riche en grands films. « Léon Morin, prêtre » ; « Le Doulos » (que votre serviteur vous avait pointé dans notre rubrique « Il faut l’avoir vu » du n°4 de Daily Movies) ;

l’excellent « Le Deuxième souffle » ; le chef d’œuvre « Le Samouraï » (qui inspira fortement « The Kil-ler » de John Woo et « Ghost Dog » de Jim Jar-musch) ; le tragique « L’armée des ombres »…

La seconde se consacre au chef de file de ce qui fut appelé la Nouvelle Vague taïwanaise, Hou Hsiao-hsien. Il sut renouveler le cinéma chinois dans les années 80 en imposant un style allant à l’essentiel, abordant frontalement des préoccupa-tions contemporaines, tout en proposant de très belles ambiances grâce à la photo de Christopher Doyle (qui deviendra célèbre au travers de sa colla-boration avec Wong Kar-wai). Quatorze films vous seront proposés, montrant l’évolution du cinéaste.

Autre évènement marquant, l’avant-première de « La Sapienza », coproduction franco-italienne, qui s’intéresse, à travers la fiction, au maître tessinois de l’architecture baroque, Francesco Borromini.

Et il y a encore tant d’autres choses ! Si un soir vous ne savez pas trop quoi faire, la Cinémathèque vous attend !

[Yamine Guettari]

www.cinematheque.ch

Hébergé cette année au Kunstraum Walcheturm de Zurich, Videoex est un festival unique en Suisse, consacré au cinéma expérimental avec plus de 150 longs et court-métrages projetés. Il nous offre l’occasion de découvrir des nouveautés et des classiques dans ce domaine naviguant entre les arts plas-tiques et le cinéma traditionnel. Un genre souvent peu connu du grand pu-blic, bien que ses auteurs phares soient autrement plébiscités dans leurs rôles de réalisateurs de films ou de clips musicaux, et bien qu’on puisse assez souvent le rencontrer dans certains musées, faisant partie d’expositions temporaires, ou par le biais d’installa-tions ou de projets spécifiques, comme ceux du Centre Pompidou à Paris ou du Mamco à Genève.

A l’heure où nous imprimons, le co-mité de sélection est encore en train de faire le tri pour la Compétition Inter-nationale, parmi les 1500 contribu-tions reçues de plus de 40 pays. Passez sur leur site à l’occasion pour en savoir plus à ce sujet.

Ce que nous connaissons, par contre, est l’identité du pays invité de cette année. Il s’agit du Portugal, qui ne fournit pas que des marins explorateurs, des footballers à grosse tête et des maçons, mais aussi des artistes fort intéressants. Entre autres le duo contemporain composé de João Maria Gusmão et Pedro Paiva, dont le travail granuleux, brute et énigmatique a été remarqué à la dernière Biennale de Venise. Des films de Pedro Costa, Edgar Pera, Miguel Gomes et Gabriel Abrantes seront aussi projetés. Tout ce programme portugais naviguera entre regards sur le passé (la révolution des Œillets ou les relations avec les colonies) et introspection sur le présent (la place de l’humain dans une so-ciété hyper-médiatisée).

Dans sa Section Spéciale, le Videoex s’attardera sur le travail de l’artiste et réalisatrice Hito Steyerl,

qui représentera l’Allemagne à la Biennale de Venise 2015, et consacrera une rétrospective au réalisateur culte américain d’avant-garde Gregory J. Markopoulos, grande influence du nouveau cinéma américain des années 60. Enfin, la Suisse sera représentée par Elodie Pong et son court « Af-ter The Empire ».

N’oublions pas, comme à chaque édition, les in-dispensables prestations live, mélangeant musique et images avec, entre autres, cette année, le spec-tacle « Yoshtoyoshto » conçu par Franz Treichler des Young Gods et le concert tellurique « Seismik » du Canadien Herman Kolgen.

[Yamine Guettari]

www.videoex.ch

LausanneDu 01/05 au 28/06

ZurichDu 23/05 au 31/05

« L'armée des ombres »

« Millenium Mambo »

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015SWISS MADE8« STUN » : AU CARREFOUR DE LA DANSE,

DE LA MUSIQUE ET DE L’IMAGE

- Comment vous êtes-vous rencontrés et comment est née l’envie de faire « STUN » ?Pascal : Nous nous sommes rencontrés dans un studio de danse. Nous avons de suite échangé sur notre travail et sur nos envies. L'univers de l'un attirant l'univers de l'autre, l'envie de réaliser un film ensemble a vite fait place à un besoin plus concret. « STUN » s'est construit au fur et à mesure de nos échanges. Nous voulions réaliser un film atypique.

- Quel est l’apport de chacun dans le projet ?Nous sommes complémentaires l'un pour l'autre de par nos compétences. Nos envies lorsque nous nous sommes rencontrés, étaient convergentes. Stefa-nia souhaitait réaliser un film mettant en scène l'humain en mouvement et moi je me sentais prêt à filmer l'hu-main, qui jusqu'alors n'apparaît que très rarement dans ses précédents films.

- Pouvez-vous nous expliquer com-ment s’est déroulée la conception du film, du projet au tournage, en pas-sant par la musique et le montage ?La conception de « STUN » est une longue histoire, teintée de passion, de douleur, de surprise, mais c'est sur-tout le résultat d'un lien... Nous avons tourné en Islande et à Hong Kong, où nous nous sommes rendus à deux reprises. Nous aimons beaucoup ces deux lieux, aux ambiances et paysages complètement différents, et diamétra-lement opposés sur beaucoup de plans. Nous les avons réunis dans « STUN » en confrontant l'immensité, la densité, le béton, la nature, la lumière artificielle, les paysages bruts, et leurs forces, sans aucune présence humaine à l'image hormis notre personnage. Concernant le montage du film nous nous concer-tions et nous nous répartissions des parties du film, Stefania ayant principa-lement monté celui-ci.

- Stefania Cazzato, comment vous est venue l’envie de vous lancer dans la réalisation vidéo, qu’est que ce média vous apporte par rapport à la danse ?L'envie d'utiliser la vidéo pour m'expri-mer m'est venue en assistant par hasard à la comédie musicale « Notre Dame de

Paris », début 2000. Il y avait tellement de monde sur scène, entre les comé-diens/chanteurs, danseurs et acrobates, que j'ai réalisé que les 3'000 autres personnes présentes dans le public ne regardaient et ne vivaient pas forcé-ment la même chose que moi... Du coup pendant le spectacle, je rêvassais à de futurs projets vidéos dans lesquels j'emmènerais les gens là où je voudrais, et surtout avec les cadrages que je vou-drais... et la musique que je voudrais... comme dans les films... Ce média m'apporte une accessibilité à un plus large public, ce qui, dans mes projets est une envie récurrente. A mon sens, il m'aide à rendre la danse plus acces-sible...

- Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Goodbye Ivan pour la musique et plus particu-lièrement comment l’utilisation de l’orgue c’est imposé à vous ?Pascal : Mis à part l'esthétique impo-sante et magnifique de cet instrument, nous aimons sa force et sa profondeur qui nous touche et qui nous a immédia-tement fait écho par rapport à certaines images de « STUN ». C'était pour nous un défi que d'intégrer l'orgue au piano, au violon et aux sons électroniques pour la musique de notre film. Pour nous, Goodbye Ivan avait le talent pour relever ce challenge, qu'il a réalisé avec brio. Goodbye Ivan est un composi-teur et multi-instrumentiste de talent. Sa musique est cinématographique, envoûtante et mélodieuse.

- Quelle est la thématique filmique et narrative de « STUN », ou est-ce laissé libre d’accès à chaque spectateur ? Il y a un fil rouge dans notre film et il y a l'histoire de ce personnage. Nous accompagnons le spectateur, mais nous ne le tenons pas par la main, afin qu'il s'évade et qu'il laisse libre cours à son imagination, à son interprétation. Le genre « contemplatif » était le format le plus adéquat à notre sens, et d'autant plus évident, car nous avons pris parti de tout filmer au ralenti, entre 100-200 images/secondes.

- Quelles ont été vos influences sur « STUN » ?Pour l'ambiance, le rythme et l'esthé-tique de l'image, ce sont les films de

Wong Kar Wai, qui nous influencent et nous inspirent beaucoup. Pour la musique, c'est Hans Zimmer, qui a magnifiquement amené l'orgue comme instrument principal dans la B.O. du film « Interstellar », qui nous a donné envie de mettre de l'orgue dans la musique de « STUN ».

- Qu’en est-il de l’ultime volet de votre trilogie, après « Super 8 » et « Nowhere », avez-vous déjà quelque chose en cours ?Non pas pour l'instant, car je me suis investi et concentré sur STUN. Je déve-lopperai ce troisième opus le moment, je me laisse du temps.

- Stefania Cazzato, quels sont vos projets ? Maintenant que vous avez touché à la réalisation vidéo, allez-vous continuer dans cette direction en plus de la danse ?Je compte effectivement continuer à explorer la réalisation. En m'exprimant à travers les images, j'y trouve natu-rellement mon compte, c'est logique pour moi. L'image est un moyen de transmettre des émotions, qui m'ins-pire indéniablement et qui me permet d'intégrer des éléments qui me tiennent à cœur... La musique, le mouvement, et par-dessus tout l'humain...

[Jean-Yves Crettenand]

Depuis « Super 8 », réalisé par Pascal Greco sur une musique de Kid Chocolat, Daily Movies suit ce réalisateur avec intérêt. Après « Nowhere », sa deuxième balade contemplative sur une musique de Goodbye Ivan, et avant de clore cette trilogie avec un nouvel opus que l’on attend avec impatience, Pascal Greco s’associe cette fois à la danseuse Stefania Cazzato pour un nouveau poème visuel et sensoriel toujours contemplatif : « STUN ». Coréalisé avec Stefania Cazzato sur une musique de Goodbye Ivan, « STUN » est réellement… stupéfiant et sera présenté dans le cadre du Mapping Festival au Temple de St-Gervais à Genève les 13 et 14 mai prochain ! Entretien croisé avec les concepteurs de ce projet.

© Cyril Vandenbeusch

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

sa projection et c’est suffisamment rare pour ne pas s’en priver.

[David Cagliesi]

Notre avis

La sortie en DVD et Blu-ray de « La Famille Bélier » est une bonne occa-sion de revenir sur le phénomène provoqué en salle par cet énorme succès publique. Le film n’a rien d’exceptionnel mais pourtant déjà, dès sa première vision, tout portait à croire que cette bluette sym-pathique et sincère susciterait un certain engouement popu-laire. Le film ne repré-sente ni le pire ni le meilleur de la produc-tion française, mais s’octroie quelques saillies émotives ou comiques qui n’al-laient point déplaire aux spectateurs en mal d’émotions simples. La trame est limpide : une jeune fille, unique « bonne-entendant » d’une famille de sourds-muets et douée d’un indé-niable talent musical, se voit forcée de choisir entre une vie à la cam-pagne toute tracée et un destin de future star de la chanson. Coachée par un professeur poliment exotique

qu’interprète un Eric Elmosnino en grande forme, la demoiselle se pré-pare pour la vie parisienne. Le film traite de thèmes profonds et de mo-ments clefs de la vie de famille avec légèreté. La difficile étape durant

laquelle le premier-né quitte le foyer familial et s’émancipe est ici racontée avec autant de simplicité que de franchise, mais l’émotion ne passe pas toujours, la faute peut-être à des acteurs malheureusement pas tous à l’aise. La débu-tante Louane Emera se débrouille certes très bien, mais Karin Viard et François Da-

miens caricaturent un peu trop leurs personnages. Bref, l’ensemble est très mignon, réserve sa bonne dose de rires et de larmes mais reste un peu trop sage pour vraiment sortir du lot. [Etienne Rey]

Notre avis

DVD/BLU-RAY10

Personne ne sait décrire le quotidien comme Mike Leigh. Et surtout per-sonne ne sait comme lui en révéler toute la cruauté, la beauté et la vio-lence. Son dernier chef-d’œuvre ne fait pas exception. Bien au contraire, « Mr. Turner » prend magistralement à contre-pied le genre suranné du biopic, pré-férant devenir un film éblouissant, intimiste et incroyablement hu-main ; et ce malgré un personnage principal antipathique et asocial, mais d’où provient jus-tement toute la nuance et la subtilité du propos.Car, loin d’être un peintre populaire, Jo-seph Turner était une figure tourmentée : romantique et poétique, mais aussi décrié, presque infantile et maladivement solitaire. Un misanthrope qui rejetait tout et tous autour de lui, de ses enfants à ses soi-disant pairs artistes. Il n’était à l’aise que devant sa toile, la palette à la main. La seule chose qui l’habi-

tait était sa quête idéaliste de la par-faite lumière, de l’instant magique durant lequel un paysage lui coupait le souffle. Pour lui, cette quête dépas-sait de loin toutes les préoccupations

terrestres. Mike Leigh se fait donc témoin pri-vilégié et admirateur de Turner, mais sans pour autant le caresser dans le sens du poil. Il n’a de toute façon jamais jugé ses personnages, que ce soit en bien ou en mal. Il nous propose simple-ment le portrait d’un homme qui, à travers son incapacité à vivre en société, ne cherchait qu’à capturer la beauté qu’il voyait. Et opérant de même, Mike Leigh

capture, lui, le splendide intérieur d’une vie aux reflets faussement haïs-sables et nous livre une œuvre sourde, lumineuse et inoubliable. [Florian Poupelin]

Notre avis

La Famille Bélier■ D’Eric Lartigau. Avec Louane Emera, François Damiens, Karin Viard

■ Praesens Films

Mr. Turner■ De Mike Leigh. Avec Timothy Spall, Paul Jesson

■ Pathé Films / 20th Century Fox

Peter Jackson clôt son voyage en Terre du Milieu avec ce troisième opus du « Hobbit ». Le réalisateur aura consacré plus de quinze ans de sa vie à l’adaptation des écrits de Tolkien. Ce troisième épisode aura été de loin le plus décrié de tous, et ce dès l’annonce de séparer ce qui était à la base un diptyque en trilogie. Comment étendre un matériau de base si court en trois films de plus de trois heures chacun ? En prenant un grand nombre de libertés, ce que le réalisateur fait, prenant le risque de perdre une partie de son public en proposant un grand huit numérique défiant les lois de la physique. Il offre cependant de sacrés moments de bravoure, en particulier les duels de la dernière partie du film, attendus depuis le début de la trilogie. Le principal défaut du long-métrage se situe au niveau du montage, qui fait trop fortement ressentir les coupes drastiques, le film ayant été

amputé d’au moins 45 minutes. Peter Jackson persévère dans une imagerie volontairement kitsch au possible, ce qui dessert énormément certaines séquences, particulièrement celle

du Conseil Blanc. On pourrait encore chipoter sur quelques détails imputables au montage, mais c’est bien peu de choses par rapport au spectacle proposé. D’une inventivité visuelle renversante, chaque séquence fourmille de détails qui alimentent le plaisir éprouvé par le spectateur. Si l’on adhère à l’aspect numérique et que l’on passe outre

quelques fautes de goût, le spectacle proposé par Peter Jackson est total. Notons également que le travail du compositeur Howard Shore est magnifique et constitue un bel aboutissement sonore à cette trilogie du « Hobbit ». [Nathanaël Stoeri]

Notre avis

Malgré un ou deux films peu glorieux (comme « Une grande année »), Ridley Scott garde une réputation plutôt respec-table dans le monde du cinéma. Autant chez le public que chez les cri-tiques d’ailleurs, qui se divisent mais trouvent toujours dans son œuvre de nombreuses qualités à défendre. Il faut dire que des films comme « Alien » ou « Blade Runner » semblent avoir à jamais désigné le cinéaste comme une figure mythique du 7ème Art. Du haut de ses 77 ans, le Britannique aligne les blockbusters, fabrique en deux trois tours de mains des thrillers, des péplums, des épopées bibliques, historiques ou spatiales. Il respecte les délais, ne dépasse pas les budgets et souvent, ravit son public. À chaque film pourtant, les spec-tateurs les plus exigeants ou nostalgiques en attendent davantage. Ce n’est donc pas avec « Exodus » que Ridley Scott se

réconciliera avec les plus récalcitrants. Le réalisateur filme les lieux mythiques de la Bible comme il a filmé Rome dans

« Gladiator », à grands renforts d’intérieurs enfumés, d’étoffes vire-voltantes au gré du vent et surtout d’images de synthèse. Le résultat n’est pas totalement déplaisant, offre même quelques scènes spec-taculaires, comme la représentation des sept plaies d’Egypte, mais l’esthétique se répète un peu trop de films en films. Sur le fond, cette interprétation de la vie de Moïse en justi-cier trahi à la tête d’une révolte d’esclaves, a au

moins le mérite de ne pas tomber dans le racolage religieux facilement casse-gueule. C’est du gros spectacle avant d’être un inoubliable chef-d’œuvre. [Etienne Rey]

Notre avis

Le Hobbit : La bataille des cinq armées■ De Peter Jackson.

Avec Martin Freeman, Ian McKellen, Evangeline Lilly

■ Warner Home Video

Exodus – Gods And Kings■ De Ridley Scott.

Avec Christian Bale, Joel Edgerton, John Turturro

■ 20th Century Fox

Alléluia

Fabrice Du Welz est un cinéaste qui dès son premier long-mé-trage, le magnifiquement déran-geant « Calvaire » (2004), a su imposer un univers, une esthé-tique et des thématiques person-nels. Après avoir été confronté à de nombreux problèmes de production sur son premier film de commande, « Colt 45 », un polar sec et violent largement sous-estimé, le réalisateur belge a décidé d’adapter l’histoire vraie du couple de tueurs en série américains Raymond Fernandez et Martha Beck. Les péripéties meurtrières de ce couple, qui ont secoué les États-Unis à la fin des années 40, avaient déjà connu deux adaptations cinématogra-phiques (« Les Tueurs de la lune de miel » de Leonard Kastle en 1970 et « Carmin profond » d’Ar-turo Ripstein en 1996). Au tra-vers d’une histoire d’amour fou et destructeur entre Gloria (Lola Dueñas), une jeune infirmière, et Michel (Laurent Lucas) un gigolo

soudoyant des veuves, Du Welz livre une relecture très personnelle de ce fait divers.

L’atout majeur d’ « Alléluia » réside dans la prestation de ses deux ac-teurs principaux dirigés de main de maître. Lola Dueñas, connue prin-cipalement pour ses rôles espagnols (« Parle avec elle », « Mar Adentro ») et Laurent Lucas, qui retrouve son réalisateur dix ans après « Calvaire », livrent un jeu brut, parfaitement nuancé et remarquable de justesse. La caméra colle au plus près de ces deux acteurs afin de retranscrire au mieux les émotions d’un couple uni par la solitude et la névrose. Tout comme « Calvaire » et « Vinyan », le quatrième film de Fabrice Du Welz est donc une plongée dans la folie de personnages atypiques possédés par un amour extrême. Par sa manière viscérale de concevoir le cinéma et son envie de filmer l’horreur sous une forme poétique, le réalisateur adopte un style à la limite du fantastique et du surréalisme que n’auraient pas

■ De Fabrice Du Welz. Avec Lola Dueñas, Laurent Lucas

■ Wild Side / Dinifan

renié les Brian de Palma et Dario Argento de la grande époque. Le cinéaste belge se per-met même plusieurs ruptures de tons dont un passage très réussi sous forme de comédie musicale.

Du Welz étant un grand militant du support physique, « Alléluia » a entièrement été tourné en pellicule. Le travail sur l'image granuleuse réalisé par Manuel Dacosse (« L'étrange couleur des larmes de ton corps »), le direc-teur de la photographie qui avait la lourde tâche de remplacer Benoît Debie, permet de retranscrire parfaitement une ambiance funeste dans le paysage des Ardennes. « Allé-luia » est une œuvre forte, une propo-sition de cinéma différente qui pour-suit ses spectateurs longtemps après

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

■ De Pierre-Adrian Irlé, Romain Graf et Léo Maillard. Avec Bernard Yerlès, Alexandra Vandernoot, Roland Vouilloz

■ Jump Cut Production / RTS

Coproduite par Jump Cut produc-tion, la série « Station Horizon » s’est terminée sur le petit écran le onze avril dernier, révélant ainsi le final des sept épisodes de la série. Mais pas de panique, le feuilleton est à voir ou à revoir ce printemps dans le coffret double DVD !

La série événement de ce début d’année sur la RTS a pour héros le charismatique Joris Fragnière (Bernard Yerlès), ancien détenu de prison de retour sur ses terres valai-sannes pour renouer avec la com-munauté qui l’a vu grandir. Vingt-cinq ans se sont écoulés et bien des choses ont changé à Horizon-ville : le père Fragnière est mort et

la station-service que tient l’un des fils Fragnière, Charly, est devenue l’objet de convoitise du véreux Ray-mond Héritier (Roland Vouilloz). Si Charly est plutôt docile, Joris, lui, ne laissera pas si facilement tomber son héritage dans les mains de son pire ennemi.

Le nouveau feuilleton de la RTS transforme les très cinégéniques pay-sages valaisans en décors de western : un souffle d’évasion et une démarche plutôt originale dans le panorama de la TV publique romande. « Station Horizon » a profité de la confiance acquise ces dernières années par la chaîne en matière de renouvellement de l’offre », confie Françoise Mayor,

responsable de l’unité fiction de la RTS. Si on est loin de l’irrévérence des séries britanniques, ou – on y revient toujours – des séries améri-caines, la RTS s’est lancée dans un défi plutôt culotté. « Station Horizon », comme toute bonne série qui se res-pecte aborde des problématiques de société… avec trop de gants ?

Avec pour mot d’ordre « L’Amérique en Suisse », la série fait la part belle aux étendues valaisannes et à l’Ame-rican Dream (au-dessus de la sta-tion, les drapeaux valaisan et améri-cain flottent l’un à côté de l’autre). Rappelons que le travail du photo-graphe Yann Gross, « Horizonville », constitue l’inspiration première des

créateurs Romain Graf et Pierre-Adrian Irlé. Entre 2005 et 2008, l’artiste y capture un Valais qui rap-pelle l’Amérique des cow-boys.

Parmi la galerie de personnages, on trouve Nicole (Alexandra Vander-noot), épouse de l’Héritier, son fils Bernard incarné par Baptiste Gillié-ron et l’adorable Axelle (Melissa Aymond), tous aux caractères bien trempés. Bref, un joyeux casting com-posé de valeurs sûres pour jouer les situations humoristiques agrémen-tées d’une pointe de drame qu’offre la série. Forte de son potentiel, cette sai-son un de « Station Horizon » pour-rait donner lieu à une suite.

A découvrir également : l’ECAL et la HEAD font halte à « Station Hori-zon ». Les deux écoles d’art de Suisse romande se sont associées à la RTS, pour un dialogue créatif avec la re-lève du cinéma romand. Retrouvez

treize courts métrages d’étudiants inspirés par l’univers de la série (site internet : www.rts.ch/fiction/2015/station-horizon). [Mariama Balde]

Notre avis

DVD/BLU-RAY 11

■ De François Ozon. Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier

■ FilmcoopiDans le paysage cinématographique français, saturé de comédies formatées, François Ozon est certainement l’un des auteurs les plus intéres-sants. Le plus singulier peut-être, talentueux sûre-ment, mais surtout très prolifique et éclectique : presque tous les six mois, le cinéaste rappelle son indéniable maîtrise du medium. Dans ce conte romantique où l’auteur bouscule encore les idées reçues sur l’amour, la sexualité et la famille, son indéniable savoir-faire éclate déjà dès le brillant prologue. L’intrigue mérite même de ne pas être trop dévoilée pour laisser au spectateur la liberté de s’étonner, de s’amuser ou de s’offusquer. Le film est inclassable, bouscule les genres et a le mé-rite de ne pas pouvoir facilement se ranger dans une case préfabriquée. Au spectateur alors de se laisser conduire par le récit avec le même plaisir que celui que semble avoir pris les deux excellents comédiens principaux. [Etienne Rey]

Notre avis

■ D'Angelina Jolie. Avec Jack O'Connell, Takamasa Ishihara

■ Universal PicturesAprès « In The Land Of Blood And Honey » (2011), le premier long-métrage d'Angelina Jolie en tant que réalisatrice, il y avait de quoi être sur-pris à défaut d'être convaincu, tant le film assumait un jusqu'au-boutisme étonnant pour l'actrice. Avec « Invincible », elle semble poursuivre son in-térêt pour l'Histoire en illustrant la vie de Louis Zamperini, un coureur olympique dont la carrière fut interrompue par la 2ème Guerre mondiale. Comme pour son premier film, Jolie n'hésite pas à confronter son sujet de manière frontale et ne lé-sine pas sur la brutalité des situations. Bien qu'ins-pirée de faits réels, la narration tombe dans une su-renchère d'événements fatidiques, face auxquels on ne peut s'empêcher de soupirer. Malgré l'insistance dramaturgique et le manque de subtilité dont fait preuve la réalisatrice, « Invincible » dresse un por-trait humain hors du commun qui prouve que le jeune acteur Jack O'Connell a tout pour devenir la star de demain. [Loïc Valceschini]

Notre avis

« WILD »

■ De Tomm Moore. Avec les voix de Patrick Béthune, Nolween Leroy

■ Praesens Films

Dans le monde actuel de l’anima-tion, où les gros produits de l’indus-trie hollywoodienne, élaborés pour plaire aux petits comme aux grands, rivalisent avec les productions japo-naises destinés aux plus adultes et au plus exigeants, « Le Chant De La Mer » se positionne comme une sorte d’outsider. Ce deuxième « des-sin animé » du créateur de «Bren-dan Et Le Secret De Kells » impose sa personnalité et son identité car son auteur puise à nouveau dans la mythologie européenne pour mettre

en scène une fable d’inspiration cel-tique très originale. Suite à la dis-parition de leur mère, la fille et le fils d’un gardien de phare de la côte irlandaise, désemparé face à la tâche éducative qui le surprend soudai-nement, vont aller vivre chez leur grand-mère en ville. La plus jeune va se découvrir des pouvoirs surpre-nants. Muette, elle apprend qu’elle est capable par contre de commu-niquer avec les esprits de la nature et qu’elle peut même se métamor-phoser en phoque. Dans le folklore des Shetlands, elle est ce que l’on appelle une « selkie ». Le film joue donc pleinement la carte de la fée-rie et de la poésie, suffisamment en tout cas pour peut-être réussir à

tenir les spectateurs les plus jeunes en haleine malgré un récit et des concepts complexes. Le film se situe tout de même assez loin des schémas manichéens des habituelles œuvres destinées aux enfants. Ce dessin animé leur demandera donc plus de réflexion et peut-être d’accompa-gnement qu’un autre, mais il serait dommage de les priver d’autant de magie. Cette sortie en DVD et Blu-Ray est donc une très bonne occa-sion pour les plus jeunes et leurs pa-rents de découvrir une œuvre plus mature que ce qu’on leur propose généralement. [Etienne Rey]

Notre avis

« LE CHANT DE LA MER »

« STATION HORIZON »

« INVINCIBLE » « UNE NOUVELLE AMIE »

■ De Jean-Marc Vallée. Avec Reese Witherspoon, Laura Dern

■ 20th Century FoxEn littérature comme au cinéma, les road trips sont régulièrement associés à des voyages intros-pectifs et symboliques. « Wild » s'inscrit dans ce registre en dépeignant la (vraie) histoire de Cheryl Strayed, une jeune femme qui décida de marcher la Pacific Crest Trail reliant la Califor-nie à l'Oregon dans le but de purger sa vie et d'entamer un processus de deuil. Le réalisateur de « Dallas Buyers Club » livre un drame rempli de références musicales et littéraires, allant de Simon & Garfunkel à Emily Dickinson. À l'image de la construction dramatique en flashbacks, cet enche-vêtrement intertextuel s'avère un peu poussif et peut agacer certains spectateurs par son émotivité parfois forcée. Toutefois, « Wild » garantit plu-sieurs fulgurances et propose de belles séquences sur ce personnage meurtri avançant sur le che-min de la résilience. Reese Witherspoon livre une prestation honorable et assure ainsi une certaine crédibilité au film. [Loïc Valceschini]

Notre avis

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

■ D’Ana Lily Amirpour. Avec Sheila Vand, Mozhan Marnò, Dominic Rains

■ Praesens

À Bad City, petite ville fantôme américaine tout droit sortie des années cinquante, une jeune fille aux dents longues hante les rues pour sauver les âmes en peine et châtier les moins vertueux. La jeune réalisatrice iranienne, dont ce n’est ici que le premier long-métrage, réussit avec personnalité et originalité un vrai tour de force. Rendre hommage au cinéma de genre américain, et plus particu-lièrement aux films de vampire, tout en leur donnant une nouvelle fraîcheur et en en pervertissant les codes. Tourné en noir et blanc dans des décors respectant une imagerie rappelant les classiques tels que « La Fureur De Vivre », mais parlé en Farsi et très ancré dans la culture iranienne, cet ob-

jet très atypique est peut-être ce qu’on a vu de plus original récem-ment au cinéma. Nul doute que cette talentueuse cinéaste débu-

tante fera encore beaucoup parler d’elle à l’avenir. [Etienne Rey]

Notre avis

■ De Xavier Beauvois. Avec Benoît Poelvoorde, Roschdy Zem, Peter Coyote

■ Praesens

Suite au succès critique et populaire de « Des Hommes Et Des Dieux », qui relatait le massacre de moines trap-pistes dans un monastère algérien, et une filmogra-phie faite d’œuvres particu-lièrement austères, Xavier Beauvois semblait vouloir s’essayer à une certaine forme de légèreté. C’est encore une fois d’un fait divers qu’il s’inspire mais ici, l’énormité du sujet requérait effectivement une bonne dose d’humour. Deux mal-frats, à la vieille de noël et à la suite du décès de Charlie Chaplin, décide de voler sa

dépouille et d’exiger une ran-çon en échange de sa rétribu-tion. Si cette incroyable histoire n’était pas réelle, personne ne blâmerait le sceptique de ne pas trop vouloir y croire. Le film tient donc sur l’incongruité de son sujet et pour la complicité de ses acteurs. Malheureuse-ment, il hésite un peu trop entre la comédie et la peinture sociale sérieuse pour pleine-ment convaincre.

[Etienne Rey]

Notre avis

12Geronimo■ De Tony Gatlif.

Avec Céline Sallette, Nailia Harzoune, David Murgia

■ Agnès B. DVDLe réalisateur d'origine algérienne Tony Gatlif reste fidèle pour son huitième film à sa thématique de prédilection, à savoir le monde à part des Roms, cette source d'inspi-ration ayant donné par le passé des réussites admirables telles que « Latcho Drom » (1993) ou « Gadjo Dilo » (1997). Pour son dernier opus « Geronimo », il rend aussi hommage à la profession d'éducateur, un corps de métier rencontré pendant sa période de maison de correction à son arrivée en France dans les années soixante.

« Geronimo » c'est justement l’éducatrice Gemma, interprétée ici par Céline Sallette (remarquée dans la série « Les Revenants »). Son surnom imagé fait référence au grand chef apache ayant combattu contre les Blancs lors de la colonisation de L'Amérique.

Gemma cherche à apaiser les tensions entre les communautés au sein desquelles elle tra-vaille. Tout va exploser lorsqu'une jeune femme d'origine turque, Nil Terzi (Nailia Harzoune), tente d'échapper à un mariage forcé en prenant la fuite avec son amoureux, un Gitan, dénommé Lucky Molina (David Murgia). S'en suivront des joutes musicales entre les deux clans.

De par son universalité, « Geronimo » touche droit au cœur. Pour l'inspiration, évidemment, il tient tout autant de « Romeo et Juliette » que de « West Side Story », voire « Do The Right Thing » (1989), de Spike Lee, version franco/gitane. Fidèle à lui-même, Tony Gatlif explore avec talent les thèmes qui lui sont chers : marginalité, différence, musique et culture(s). Le couple des amoureux est au centre du récit, mais la vraie révélation vient de Céline Sallette : cette femme de caractère se bat pour les autres pour une autre femme, dans un contexte où souvent les femmes subissent le poids des traditions et du communautarisme. « Geronimo » aborde aussi le sujet de la banlieue, là où les pouvoirs publics peinent à agir à la racine des problèmes qui minent la France contemporaine.

Côté bonus et support, simplement la bande annonce. Dans le cas présent, le film se suffisant largement à lui-même, pour des compléments d'information on peut se référer au site officiel de Tony Gatlif.

[Miguel Gregori – FNAC Rive – Genève]

L’avis du blogeurPlus d’infos sur www.blog.fnac.ch

LA SELECTIONLa Rançon De La Gloire

A Girl Walks Home Alone At Night

DVD/BLU-RAY

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015 13

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 201514 IL FAUT L'AVOIR VU !

■ De Nagisa Oshima■ Avec David Bowie, Ryuichi

Sakamoto« Furyo » n’est pas un film de guerre comme les autres. « Furyo » est un film qui vise plus vers l’intérieur, là d’où viennent les blessures et l’espoir.

CELUI QUI DÉRANGEAITIl y a plus de deux ans, Nagisa Oshima mourrait d'une pneumo-nie. Cinéaste controversé, il remet-tait sans cesse en cause la société dans laquelle il vivait et faisait de même avec les films qu’il réalisait, se réinventant à chacun d’eux. En bref, il dérangeait. Aujourd'hui, la communauté cinéphile lui rend enfin hommage avec une actualité foisonnante : une rétrospective inté-grale dans plusieurs cinémathèques, un nouveau coffret DVD (incluant trois inédits) et surtout la restaura-tion et ressortie en salles d'un de ses films les plus cultes et déstabilisants : « Merry Christmas, Mr. Lawrence », plus connu dans nos contrées sous le titre « Furyo ».

QUAND L’AMOUR REMPLACE LA MORTInnombrables sont les films qui traitent de l'absurdité de la guerre. Mais innombrables sont aussi ceux qui s’arrêtent à l'acte meurtrier et à la destruction identitaire. « Furyo » propose lui quelque chose de diffé-rent, quelque chose de plus profond et de plus inconscient.

C’est ainsi à travers le parcours de l'officier néo-zélandais Celliers, fait prisonnier dans un camp japonais,

que nous découvrons l'étrange rela-tion naissante entre lui et Yonoi, le strict chef de camp nippon. Perdant pied face à Celliers, ce dernier ne sait soudainement plus comment gérer son désir et son autorité, alors que Celliers se bat pour sa dignité, bouleversant ainsi l’ordre du camp et les principes de Yonoi. Entre amour refoulé et rapports de force, les deux hommes essaient chacun de vivre « l’un envers l’autre » : Yonoi s'enfonçant dans l'abus de pouvoir, tandis que Celliers provoque sans cesse l'autorité.

On assiste alors à la confrontation de deux caractères bien connus : l’âme perdue réfugiée dans la vio-lence (Yonoi) et l’être vengeur à l'humanité affichée (Celliers). Mais ce qui va redéfinir ces personnages et surtout enrayer la machine de la haine, ce sont l’émotion et l'amour, deux sentiments venant déstabiliser la violence de la situation. Elles vont ainsi forcer le chemin de la réconci-liation intérieure (la fin de la culpa-bilité pour Celliers, la validation affective et le pardon pour Yonoi), au cours d’une scène magistrale où

l’amour remplace la mort et où les personnages regagnent l’espace d’un instant leur humanité première, celle que la guerre leur avait volée, et celle que la tragédie leur reprendra.

LA PASSION SELON OSHIMA« Furyo » cristallise la thématique maîtresse de l’œuvre d’Oshima : la passion qui révèle la vraie nature humaine. Déjà magnifiquement traitée dans son autre chef-d’œuvre, « L’Empire des Sens », cette passion trouve ici une application plus vaste et plus universelle, grâce au contexte de la guerre et au choc des cultures occidentale et orientale.

Mais même s’il opte pour un réa-lisme plus cru, Oshima se sert de l’onirisme et de l’absurde comme jamais auparavant. Parfaitement do-sées, ces séquences subliment le pro-pos du film, en l’inscrivant dans une certaine éternité. Ce sont d’ailleurs

ces séquences qui marquent le plus les esprits, grâce à leur puissance vi-suelle et rituelle : Celliers qui mime l’acte de se raser, de boire, de fumer, avant d’être emprisonné ; Yonoi qui vient couper une mèche de cheveux de Celliers, enterré jusqu’au cou ; Celliers qui dévore des fleurs de ce-risiers en signe de deuil, etc.

DU TRAGIQUE DE LA POPUne autre grande réussite de « Fu-ryo » est l’utilisation à contre-em-ploi de figures de la culture-pop internationale : David Bowie, su-perstar mondiale ; Takeshi Kitano, comique et animateur célèbre au Japon ; Ryuichi Sakamato, vraie révélation du film, à l’époque pop-

star japonaise. Tous jouent ici sans filet, et certains même pour la pre-mière fois.

Le choix d’Oshima de travailler avec ce casting offre ainsi au pu-blic une nouvelle forme d’empa-thie, celle de découvrir des visages déjà connus et familiers dans un registre tragique, à l’opposé de leur image habituelle. Déstabiliser le spectateur en jouant d’affects hors-film donne alors une puissance inédite au long-métrage, enterrant encore un peu plus le rationnel pour ré-exacerber l’émotionnel. La légendaire musique (chroniquée dans notre rubrique Musique de film page suivante) participe d’ail-leurs pleinement à cet impact.

« Furyo », c’est bien plus que la guerre. C’est la passion, c’est l’humanisme. C’est l’instant rare qui donne un sens à la vie, avant qu’elle ne replonge dans la fatalité. « Furyo », c'est un film dérangeant, poignant et émouvant. C’est ce que Nagisa Oshima laisse derrière lui, un dernier coup-de-poing, un dernier cri de rage, baignant dans une flaque de larmes.

[Florian Poupelin]

« FURYO »

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015

The Guest■ Artistes divers■ J-2 MusicNormalement, les articles de cette rubrique ne se consacrent qu'aux compositions originales et non aux compilations de morceaux préexis-tants. Mais comme les règles sont faites pour être violées, nous nous permettons de revenir sur « The Guest » d'Adam Wingard, dont l'excellente musique tourne en boucle depuis des mois chez les ré-dacteurs du Daily Movies – le lectorat a le droit de savoir à quel point cette B.O. est fantastique. À l'image du film, la musique em-brasse avec passion les années 1980 en mélangeant des morceaux datant de cette époque avec d'autres plus récents qui jouent sur les sonorités de celle-ci. Le résultat est une bande homogène et un peu vieillotte, mais surtout ultra dynamique. Entre les sons élec-tro de Survive (« Hourglass ») et son affinité « carpenterienne », le glam rock de The Sisters of Mercy (« Emma ») et le remix roman-tico-kitsch de « Anthonio » chantée par Annie, la musique de « The Guest » ne fait plus qu'une avec la décennie à laquelle le film rend hommage. Un plaisir semi-coupable qui évite (presque) toujours le ridicule. Indémodable. [Loïc Valceschini]

Notre avis

MUSIQUE DE FILM 15Exodus : Gods and Kings■ Alberto Iglesias■ Sony ClassicalPour son nouveau péplum, Ridley Scott a fait appel à Alberto Iglesias, le compositeur fétiche de Pedro Almo-dóvar. Le musicien signe une parti-tion honnête et incisive, qui plonge le spectateur dans un décor antique. Les premiers titres sont saisissants et les rythmiques très appuyées accen-tuent le coté épique du film. Les sonorités orientales choisies pour le thème de Moïse sont très classiques, mais le compositeur étonne dans l’émotion. Sans tomber dans des sonorités trop attendues, les mélo-dies sont magnifiquement écrites et arrangées (« Goodbyes »). Bien que la bande originale assure les passages de suspense, notamment grâce aux notes frénétiques et dissonantes des cordes (« Loothing », « Hittite Battle »), elle s’essouffle dans sa deuxième partie. En effet, les titres sombrent peu à peu dans les clichés du péplum avec un côté redondant. Toutefois, le final sur « The Ten Commandments » clôt parfaitement « Exodus » avec une progression crescendo intense. Par-fois surprenante, d'autres fois plus convenue, la musique d’Iglesias remplit toutefois son contrat. [Alexandre Caporal]

Notre avis

Furious 7■ Brian Tyler ■ Back Lot Music Existant depuis maintenant plus de quinze ans, la saga « Fast and Fu-rious » ne nous avait jamais proposé un semblant de qualité musicale. Même en passant outre les hits hip-hop et autres chansons de circons-tance, la musique n’y a jamais réellement brillé. C’est donc avec une certaine joie que le score de Brian Tyler vient relever un peu la barre. Les allergiques aux sonorités électroniques peuvent toutefois passer leur chemin, puisque toute la B.O. est un judicieux mais parfois indigeste mélange d’électro et de passages orchestraux. Le thème principal est efficace mais totalement oubliable. Le premier mor-ceau à sortir du lot est le mélancolique « Parting Ways », où la part belle est faite aux violons. Sautons ensuite à « Homefront », tentative réussie d’insuffler un semblant d’émotions à l’ensemble. « The Three Towers » continue dans cette trajectoire et s’avère être le plus beau passage de l’album. Gageons que si Brian Tyler reste aux commandes pour les potentielles suites, il continuera à rehausser le niveau des compositions originales. [Nathanaël Stoeri]

Notre avis

Outlander■ Bear McReary Sparks & ShadowsMalgré ses flamboyantes musiques pour le renouvellement de la série « Battlestar Galactica », Bear McReary reste un compositeur peu connu du grand public. De 2004 à 2009, il aura rythmé de ses scores celtiques et mar-tiaux les aventures de Starbuck et Appolo. Il a par la suite collaboré sur les séries « Terminator » et « Marvel Agents of S.H.I.E.L.D », ou encore le prequel « Caprica ». Avec « Outlander », il prouve que tous les espoirs que nous pouvions placer en lui il y a dix ans n’étaient pas vains, et que sa propension à faire naître l’émotion grâce à la corne-muse est toujours vivace. Les deux grands titres de l’album sont sans aucun doute « The Wedding » et « The Veil of Time » qui le clôturent en beauté. La flûte est très présente, ainsi que les instruments à cordes. On ne peut que saluer la qualité de la mélodie, qui fera frissonner de plaisir n’importe quel auditeur. Une harpe vient agrémenter ce mélange d’instruments pour parvenir à un équilibre parfait qui finit de faire de cette B.O. l’une des plus mémorables de ce début d’année 2015. Un auteur à suivre ! [Nathanaël Stoeri]

Notre avis

The Duke of Burgundy■ Cat's Eyes■ Caroline RecordsPour son nouveau film, Peter Strick-land (« Berberian Sound Studio ») a fait appel à Cat's Eyes, une for-mation constituée de Faris Badwan – chanteur du groupe The Horrors – et de la soprano Rachel Zeffira. Les musiciens parviennent avec brio à dépeindre l'univers si particulier du film qui se situe quelque part entre les années 1960 et 1970. Ethérée, la musique emploie de nombreuses sonorités particulières qui provoquent une étrange fascination. « Door No. 2 » illustre les qualités de cette composition, puisqu'en couplant le clave-cin glaçant à des choeurs intermittents et à des notes jouées aux cordes, le morceau dénote les plaisirs saphiques et sadomasochistes des protagonistes. Cependant, une sensation indéfinissable apparaît progressivement, comme si une ombre menaçante planait sur l'oni-risme de la composition. Le psychédélisme latent se mélange aux sonorités plus pop de la musique et oriente celle-ci vers quelque chose d'insaisissable mais d'assurément hypnotique. À l'image du film donc, qui ne cesse de fasciner. [Loïc Valceschini]

Notre avis

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s Furyo■ Ryuichi Sakamoto■ Milan RecordsSi quelque chose reste encore clair dans votre esprit, après le choc que provoque « Furyo », c'est sûrement les notes entêtantes de son thème principal. À la fois mélancolique et poétique, il traduit parfaitement la beauté douce-amère du film et le hante d'un bout à l'autre, passant du piano au xylophone, et enfin à l'orchestre. S'entrecoupent ensuite des ambiances plus mi-nimalistes et plus oppressantes. Ryuichi Sakamoto, dont il s'agit ici de la première composition filmique, utilise des instruments électroniques, nouveaux à l'époque, et expérimente la froideur de leurs sons pour forcer le contraste créé avec le thème, plus doux et classique. Et c'est dans ce changement, souvent mesuré, par-fois brutal, que réside toute la force de cette composition. On se retrouve alors déstabilisé et étiré entre la passion et la fatalité, deux émotions opposées qui sont sublimées par la voix hantée de David Sylvian dans « Forbidden Colours ». Premier coup de maître de Sakamoto, la musique de « Furyo » est donc, à l'image du film, dérangeante et envoûtante. [Florian Poupelin]

Notre avis

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DAILY MOVIES N°61 – MAI 2015DAILY MOVIES 61 – MAI 2015Daily Media sàrl/Daily Movies, Rue Gutenberg 5, 1201 Genève, +41 (22) 796 23 61, [email protected], www.daily-movies.chImpression : PCL Presses Centrales SA. Création graphique : Jack Caldron. Mise en pages : Delphine Varloud. Directeurs de Publication : David Margraf et Carlos Mühlig. Rédacteur en chef : Yamine Guettari. Rédacteur en chef adjoint : Jean-Yves Crettenand. Responsable Musiques de Films : Loïc Valceschini. Responsable Il faut l’avoir lu/vu : Thomas Gerber. Responsable festivals : Yamine Guettari. Responsable abo/distro : Carlos Mühlig. Corrections : Yamine Guettari, David Margraf, Carlos Mühlig, Thomas Gerber.Internet : Thomas Gerber et Loïc Valceschini.

Remerciements : à tous les annonceurs, collaborateurs, partenaires, abonnés et toutes les personnes grâce à qui Daily Movies existe !

Paraît 9 fois par an.

En coulisses

Disponible dans les Fnac, les cinémas indépendants, les cinémas Pathé, Mediamarkt, etc.

Access point

Au début des années 1980, Norbert Moutier, alias N.G. Mount, tournait en

Super 8, dans la forêt d’Orléans et en conditions amateurs, un slasher 100% français : « Ogroff », rebaptisé « Mad Mutilator » pour une de ses ressorties vidéo. C’était le début, pour ce libraire et critique, puits de science sur le bis et surtout grand trafiquant devant l’éternel de films rares et de bimbeloterie liée au cinéma, d’une glorieuse carrière de cinéaste Z du fond de la poubelle, qui le vit squatter le plus bas des rayons VHS, dans la catégorie invendables. Coup d’essai mais coup de maître indépassable, ce nanar s’impose d’emblée comme le manifeste du film d’horreur français régionaliste.

INDIGENCEOn sait que les ennuis commencent quand le résumé de la jaquette est plus clair que le film lui-même : « Trépané et ayant subi l’ablation d’un œil pendant la guerre, Ogroff le bûcheron fou continue la lutte et massacre sauvagement tous ceux qui pénètrent dans sa forêt » ; autant de

détails (la trépanation, le rapport avec la guerre) qui ne seront guère explicités par le film lui-même, tant l’œuvre en question est obscure et quasiment dépourvue de dialogues. Ce que l’on voit à l’écran : un fou dégénéré et masqué, tuant des gens à la hache dans une forêt, sur un scé-nario réussissant à être à la fois élé-mentaire et confus.

Malgré une certaine ambiance mor-bide, le film croule littéralement sous les effets gore ratés – vous avez déjà vu un mannequin en mousse qui joue mal ? Ce film réussit cet exploit –, les situations absurdes, l’interprétation amateur, les déficiences techniques de tout poil (photo surexposée, cadrages caca, faux raccords à hurler) et l’abs-traction pataphysique d’un scénario écrit sur un kleenex, puis déchiré et jeté aux quatre vents.

Cependant, « Mad Mutilator » est à recommander aux nanardeurs les plus hardcore, tant les réactions de rejet sont possibles chez des sujets au cuir insuffisamment tanné. Le rythme est plus que somnambulique et la petite dizaine de dialogues inaudibles (Ogroff ayant probable-ment aussi tué le preneur de son) peut faire plonger dans la torpeur les spectateurs rétifs. C’est dommage, car nous sommes réellement en pré-sence d’un film hors normes : plus Z que Z, et pourtant film d’auteur de par la passion indéniable qui l’anime. On distingue de nets efforts de la part de Moutier pour créer un personnage de monstre pathétique, crevant de solitude dans sa démence meurtrière et sa cabane pourrie (une scène assez croquignolette le montre en train de se branler avec sa hache), mais cette bonne volonté devient pathétique devant le résultat final.

LES HISTOIRES D’AMOUR FINISSENT MAL…Le développement de l’intrigue se révèle en outre particulièrement peu crédible : une jeune femme décide d’enquêter sur les méfaits du serial killer ; la gendarmerie lui ayant déclaré son impuissance car Ogroff connaît trop bien tous les recoins de la forêt (« Bah oui, ma bonne dame, y’a un tueur fou cannibale dans la forêt ! Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ?). Elle part donc sur les traces d’Ogroff, trouve assez faci-lement son repaire (les gendarmes sont donc des feignants, c’est là le

message profond du film), se fait capturer par le fou, l’attendrit, et finit par coucher avec et devenir sa copine... volontairement !

C’est donc à une version relookée de la belle et la bête que nous assistons, la jeune femme essayant d’apprendre les bonnes manières à Ogroff (en gros, à ne plus tuer les campeurs à la hache). C’est un euphémisme que de dire qu’on n’y croit pas tout à fait, mais la dernière demi-heure va se révéler encore plus psychotro-nique : des zombies sortent de la cave d’Ogroff et envahissent la forêt, puis

la banlieue d’Orléans, tandis que le tueur en série les affronte à la hache. On en reste, au choix, effaré d’ennui ou hypnotisé au dernier degré et ravi devant tant de nawak fumeux.

Pour terminer le film en beauté, on nous offre une guest-star, en la per-sonne de Howard Vernon : en fuite devant les morts-vivants, l’héroïne est prise en stop par un Cardi-nal (Howard, donc), qui se révèle être un vampire. Pourquoi pas ? Au point où on en était, ils auraient pu envoyer Michel Galabru déguisé en éléphant rose, on ne l’aurait même pas remarqué. [Nikita Malliarakis]

Retrouvez l'intégralité de cette critique - et des centaines d'autres -

sur nanarland.com, le site des mauvais films sympathiques.

NANAR, MON AMOUR !16

Prochaines sorties6 mai 2015> The Farewell Party> Un peu, beaucoup, aveuglément> La Sapienza

13 mai 2015> Tapis Rouge> La Tête haute

20 mai 2015> Alphabet

27 mai 2015> L’Ombre des femmes> Sweet Girls

« MAD MUTILATOR »

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