Cultures Sans Frontière n°1 - Qu'est-ce que la culture ?

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‘‘ E n ce début d’année 2011, AFS Vivre Sans Frontière a le plaisir de vous présenter un nouvel espace d’échange et de dialogue : Cultures Sans Frontière. Cette revue électronique a été conçue comme une plateforme de partage de connaissances, visant à mettre à profit l’expertise d’AFS Vivre Sans Frontière dans le domaine de l’éducation interculturelle. Association à but non lucratif, AFS Vivre Sans Frontière dispose de plus de 60 ans d’expérience dans l’organisation de séjours de longue durée en France et à l’étranger pour les jeunes. Ces échanges sont conçus comme des opportunités d’apprentissage interculturel, destinées à développer des compétences pour gérer les différences culturelles. Ainsi, cette plateforme doit être envisagée à la fois comme une fenêtre ouverte sur les activités d’AFS, mais aussi sur les expertises d’autres acteurs du domaine de l’éducation interculturelle. En effet, Cultures Sans Frontière se veut critique, et a pour ambition de mettre en perspective les outils et les concepts utilisés dans la pratique de nos activités, afin d’affiner notre proposition pédagogique dans une démarche d’amélioration constante. Ce premier numéro est consacré au concept de culture : comment le définir ? Quels sont les outils pédagogiques à disposition pour le visualiser? Quelles sont les limites de ces outils ? Quels sont les pièges à éviter dans nos pratiques éducatives ? Quels enjeux se cachent derrière la définition et l’usage de ce concept ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans cette nouvelle publication, qui sera, ainsi que les autres, je l’espère, source de réflexion, de débat et d’inspiration pour tous ceux qui partagent l’ambition de contribuer à l’élaboration d’une gestion pacifique des différences culturelles. Anne COLLIGNON Présidente d’AFS Vivre Sans Frontière EDITO mai 2011 01 Entretien avec... MICHEL SAUQUET Je plaiderais plutôt pour l’incitation à une attitude d’«intelligence de l’autre» Spécialiste dans les questions interculturelles, il enseigne à Sciences Po et à l’Ecole Centrale de Paris. CULTURES SANS FRONTIÈRE LA REVUE INTERCULTURELLE D’AFS 2 DOSSIER THEMATIQUE Qu’est-ce que la culture ? 5 DEBAT Le déni des cultures 6 ENTRETIEN Michel Sauquet 8 ACTUALITES AFS à l’international AFS en France Zoom sur A découvrir ’’

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La revue électronique dédiée à l'apprentissage interculturel d'AFS Vivre Sans Frontière.

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Page 1: Cultures Sans Frontière n°1 - Qu'est-ce que la culture ?

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En ce début d’année 2011, AFS Vivre Sans Frontière a le plaisir de vous présenter un nouvel espace d’échange et de dialogue : Cultures Sans

Frontière. Cette revue électronique a été conçue comme une plateforme de partage de connaissances, visant à mettre à profit l’expertise d’AFS Vivre Sans Frontière dans le domaine de l’éducation interculturelle.

Association à but non lucratif, AFS Vivre Sans Frontière dispose de plus de 60 ans d’expérience dans l’organisation de séjours de longue durée en France et à l’étranger pour les jeunes. Ces échanges sont conçus comme des opportunités d’apprentissage interculturel, destinées à développer des compétences pour gérer les différences culturelles.

Ainsi, cette plateforme doit être envisagée à la fois comme une fenêtre ouverte sur les activités d’AFS, mais aussi sur les expertises d’autres acteurs du domaine de l’éducation interculturelle. En effet, Cultures Sans Frontière se veut critique, et a pour ambition de mettre en perspective les outils et les concepts utilisés dans la pratique de nos activités, afin d’affiner notre proposition pédagogique dans une démarche d’amélioration constante.

Ce premier numéro est consacré au concept de culture : comment le définir ? Quels sont les outils pédagogiques à disposition pour le visualiser? Quelles sont les limites de ces outils ? Quels sont les pièges à éviter dans nos pratiques éducatives ? Quels enjeux se cachent derrière la définition et l’usage de ce concept ?

C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans cette nouvelle publication, qui sera, ainsi que les autres, je l’espère, source de réflexion, de débat et d’inspiration pour tous ceux qui partagent l’ambition de contribuer à l’élaboration d’une gestion pacifique des différences culturelles.

Anne COLLIGNONPrésidente d’AFS Vivre Sans Frontière

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n°01Entretien avec...MICHEL SAUQUET Je plaiderais plutôt pour l’incitation à une attitude d’«intelligence de l’autre»

Spécialiste dans les questions interculturelles, il enseigne à Sciences Po et à l’Ecole Centrale de Paris.

CULTURESSANS FRONTIÈRELA REVUE INTERCULTURELLE D’AFS

2 DOSSIERTHEMATIQUE Qu’est-ce que la culture ?5 DEBAT Le déni des cultures6 ENTRETIEN Michel Sauquet8 ACTUALITES AFS à l’international AFS en France Zoom sur A découvrir

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DOSSIER THEMATIQUE

COMPORTEMENTS

VALEURS

CROYANCES

Dans son ouvrage intitulé Un Mythe contemporain : le dialogue des civilisations, Régis Debray donne le ton :

« Commençons par culture, un de ces mots qui ont plus de valeur que de sens, plus d’usage que de clarté et dont on a compté jusqu’à cent définitions possibles ».

La tâche n’est donc pas aisée et nous rappelle le degré de complexité de l’enjeu interculturel. Comment réfléchir aux rapports entre les cultures sans avoir défini au préalable la notion de culture ?

AFS définit la notion de culture comme l’ensemble des valeurs, des croyances et des comportements d’un individu, qui sont le résultat d’une trajectoire de vie, d’une éducation familiale, institutionnelle, et d’une socialisation, et qui sont partagés par un groupe. Ces éléments forment un socle solide et profondément ancré, ils nous fournissent des outils pour appréhender toute interaction. Qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce qui est mal ? Qu’est-ce qui est juste ?

Les réponses que nous donnons à ces questions sont basées sur les valeurs que nous partageons avec un groupe. Notre manière de concevoir l’autorité ou la propriété, ou encore notre conception de l’espace et du temps ont un impact direct sur l’organisation d’une société.

QU’EST-CE QUE LA CULTURE ?

‘‘La culture n’existe pas en tant qu’entité séparée des actions, comportements et croyances de ceux qui partagent une même culture, chacun de nous est donc à la fois élève et professeur vis-à-vis de sa propre culture.Bettina Hansel ’’

Les croyances partagées par un groupe nécessitent également un effort de compréhension pour saisir leur complexité et leur empreinte dans une société : en effet, les légendes, les mythes fondateurs, les différentes conceptions de l’univers et autres cultes font également partie intégrante d’une organisation sociale. Enfin, de nombreux codes régissent nos comportements au niveau personnel, familial ou professionnel et nous donnent des repères au moment d’agir : comment saluer ? Comment s’adresser à son interlocuteur ? Quels mots, quels gestes choisir ? Etc.

2 - MAI 2011 - N°1 I CULTURES SANS FRONTIÈRE

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Un outil pédagogique : le modèle de l’iceberg

À partir de cette définition, AFS Vivre Sans Frontière utilise l’iceberg dans ses supports et activités pédagogiques pour représenter le concept de culture. L’iceberg permet de distinguer des éléments visibles et facilement

repérables de la culture (partie immergée) aux fondements stables qui la composent (partie émergée).

Visuellement très parlante, cette représentation doit toutefois être complétée par les éducateurs qui l’utilisent par l’idée de mouvement afin de ne pas appréhender la culture comme un objet immuable et figé, mais bien comme un processus évolutif.

En effet, les fondements stables de notre culture ne constituent pas un socle figé, permanent. Ils peuvent être remis en question et évoluer tout au long de notre vie en s’alimentant de nos expériences.

Outre ce mouvement sur lui-même, cette évolution constante, le concept de culture doit être considéré parmi un ensemble de cultures, qui entrent en contact les unes avec les autres et qui doivent cohabiter pour prévenir les conflits ou les échecs de communication.

Le choc des icebergs ? La relation à l’Autre au coeur de l’enjeu interculturel

Murielle C. a participé à un programme 1 an en Italie en 1980. Aujourd’hui, avec quelques années de recul, elle nous raconte : « Les familles que j’ai rencontrées durant ce séjour m’ont demandé que je parle de moi, de ma

culture, de mon pays, et là je me suis rendu compte que je ne savais rien. J’ai alors dû faire l’inventaire de mes connaissances “nationales” et de mes opinions que l’on me demandait si souvent. C’est comme ça que j’ai appris à trier ce qui était “vraiment à moi” et ce que j’avais emporté sans regarder si cela me convenait ».

Le témoignage de Murielle nous montre que le contact avec une personne issue de culture différente amène naturellement à se poser des questions sur sa propre culture. Raconter et donner du sens aux traditions, expliquer les rapports entretenus avec sa famille, avec ses amis, avec les institutions. Devoir justifier un point de vue qui nous semblait jusqu’alors universel ou irréfutable, toutes ces actions sont autant d’opportunités de mise en lumière des caractéristiques de notre propre culture.

‘‘Très souvent, s’intéresser à la culture exige de se pencher sur l’interaction des cultures. De nombreux auteurs ont affirmé que s’il n’existait qu’une seule culture, nous ne penserions même pas à la culture. La diversité apparente concernant la façon dont les individus pensent, ressentent et agissent, nous fait précisément prendre conscience de la culture. Par conséquent, on ne peut penser à la culture simplement en tant que “culture”, mais en tant que “cultures”.Tkit n°4, L’apprentissage interculturel, Editions du Conseil de l’Europe, 2001.

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CULTURES SANS FRONTIÈRE I N°1 - MAI 2011 - 3

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Eviter les pièges dans nos pratiques éducatives

Si l’immersion dans une autre culture reste un moyen spectaculaire pour découvrir une autre culture, et apprendre à gérer les différences, il ne faut

pas oublier que l’appartenance nationale n’est qu’une appartenance parmi de nombreuses autres. Le choc culturel peut avoir lieu dans une salle de classe française, composée d’élèves d’origines, de parcours, d’éducation familiale, de valeurs, et de croyances très divers. Accepter l’existence d’autres cultures, d’autres visions du monde et d’autres codes culturels pour mieux communiquer représente donc un enjeu de société indéniable. Cette première étape de prise de conscience est une étape préalable à toute réflexion sur la manière de gérer les différences.

Aussi, il est primordial dans nos pratiques éducatives d’appréhender la culture au-delà de l’appartenance nationale pour préparer au mieux les apprenants à un potentiel choc culturel dans leur vie quotidienne, et éviter des obstacles de communication allant bien au-delà de barrières frontalières étatiques.

Actes des débats du colloque « Les échanges de jeunes face aux défis de l’interculturel », Avril 2008

Régis Debray, Un mythe contemporain : le dialogue des civilisations, CNRS Éditions, Paris, 2007

Bettina Hansel, AFS Long Term Impact Study, Avril 2008

Michel Sauquet, avec la collaboration de Martin Vielajus, L’intelligence de l’Autre, Éditions Charles Léopold Mayer, 2007

Pour aller plus loin

Dans cette situation, pour comprendre ou tout du moins communiquer avec l’autre, les réflexes culturels ne suffisent plus et nous laissent dépourvus. Notre idée de la normalité se trouve remise en cause. La réflexion et le questionnement de nos propres catégorisations s’imposent : où trouvent-elles leur origine ? Comment ces catégorisations nous ont-elles été transmises ? Sont-elles en accord avec notre évolution personnelle ? Sont-elles vraiment justifiées ?

Aussi, la culture doit être envisagée comme un processus alliant transmission et réinvention, combinés dans un mouvement dialectique, alimenté par l’autre et ses différences.

‘‘Ma culture c’est mon “chez-moi-intérieur” ; à présent, il reste peu des vieilleries des débuts. C’est comme une maison qu’on aménage avec les années. Il convient d’y être attentif, de l’entretenir et de régulièrement faire l’inventaire pour jeter ce qui s’avère inutile afin de libérer de l’espace pour ce qui est vraiment important. Et si on se sent bien chez soi, alors on a plaisir à y accueillir les autres. C’est donc effectivement lorsque l’on est bien avec soi-même que l’on est bien avec les autres.Murielle C. participante à un programme 1 an en Italie en 1980.’’

‘‘Ainsi, l’idée toute faite qu’un Chinois et un Français ont forcément plus de difficultés à se comprendre que deux Français entre eux est souvent contredite par la réalité des situations socioprofessionnelles en présence. Il y a peut-être moins de différence culturelle entre un neuropsychiatre italien et un neuropsychiatre thaïlandais qu’entre un chercheur français et un agent technico-commercial français, ou qu’entre un haut fonctionnaire berlinois et un ouvrier agricole de Basse-Saxe.Michel Sauquet, L’intelligence de l’Autre, Éditions Charles Léopold Mayer, 2007

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4 - MAI 2011 - N°1 I CULTURES SANS FRONTIÈRE

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La rentrée 2010 a été marquée par la polémique médiatique autour

de la parution de l’ouvrage d’Hugues Lagrange (sociologue, directeur de recherche au CNRS, professeur de l’Institut des Sciences politiques) intitulé Le Déni des Cultures. Ce livre a suscité de nombreuses réactions principalement du fait de l’approche choisie par son auteur : en effet, si, jusqu’alors, les approches privilégiées pour expliquer les difficultés d’intégration étaient plutôt d’ordre socio-économique, Hugues Lagrange met en avant le facteur culturel et tente de démontrer le poids des origines culturelles dans les violences de certaines banlieues.

Cet angle de vue est alors présenté dans les médias comme un véritable pavé dans la mare, brisant les tabous et le politiquement correct en apportant une vérité difficile à reconnaitre. L’Express ira même jusqu’à définir sa thèse d’«œuvre de salut public, en ces temps d'amalgames, sinon d'aveuglements».1

Pourtant, nombre de chercheurs vont réagir et émettre des réserves tant sur la méthodologie de l’étude que sur les risques de reprise de cette théorie mal, ou trop vite interprétée, à des fins politiques. D’autre part, l’une des controverses principales réside également dans la définition et dans l’usage du concept de culture mis en avant par l’auteur, pointant l’héritage culturaliste plus que novateur de sa thèse. « L’idée qu’à chaque société correspond une culture qui en est le moule et qui détermine une homogénéité de

conduites avec une stabilité des représentations et des attitudes collectives n’est qu’une des théories sociologiques, contestable et contestée, de ce domaine. »2

Le culturalisme est un courant de pensée développé principalement fin du XIXème siècle, et première moitié du XXème, alliant psychanalyse et anthropologie. Le rapprochement de ces deux disciplines représente alors une innovation dans ce champ académique.« Le culturalisme insiste sur le caractère écrasant du facteur “culture” par rapport aux autres déterminants de la vie en société […]. Il postule que le monde est divisé en aires culturelles formant des systèmes relativement clos, au sein desquels se forge la personnalité des individus et que les comportements humains dépendent avant tout du facteur culturel de leur aire propre bien davantage que des facteurs économiques et sociaux. »Toutefois, de nombreuses critiques ont progressivement vu le jour, pour relativiser l’impact de la culture dans nos actions, réflexions et interactions. Ces critiques ont également eu pour ambition de nuancer l’approximation substantialiste de la notion de culture qui ferait des individus des «robots culturels»3, expliquant l’influence de la culture des individus dans leurs actions comme un logiciel programmé et immuable, niant ainsi le droit au changement, la remise en question et l’évolution de chaque culture individuelle. L’anthropologue Arjun Appadurai affirme même que le culturalisme peut être considéré

comme la « mobilisation consciente des différences culturelles au service de politiques nationales ou transnationales […] presque toujours associées à un combat pour une plus grande reconnaissance des États nations existants. »4

La polémique vive qui entoura la parution et la diffusion de cet ouvrage illustre la complexité et l’ambiguïté qui règnent autour de la notion de culture et nous rappelle la prudence nécessaire à tout maniement de ce concept.

DEBAT

LE DÉNI DES CULTURES,OU UN USAGE CONTROVERSÉ DU CONCEPT DE CULTURE

1 L’Express, Le poids des origines ethniques et la délinquance, Septembre 2010.

2 Philippe Poutignat et Jocelyne, Streiff-Fénart, dans La culture des Immigrés et le « courage des chercheurs », Sociologues, chercheurs au CNRS.

3 So interculturally incorrect !Article Chamil E. Mahieddin, participant AFS 1 an Suède, 2003-2004.

4 L’intelligence de l’Autre, Michel Sauquet, 2007

Hugues Lagrange, Le déni des cultures, Le Seuil, 2010.

Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchelli, La violence des jeunes en question, Champ Social Éditions, 2009.

Denys Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Collection Repère, n°205, Paris, La Découverte, 1998.

Pour aller plus loin

CULTURES SANS FRONTIÈRE I N°1 - MAI 2011 - 5

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ENTRETIEN AVEC...

MICHEL SAUQUET

Claire Rozier : Pouvez-vous nous expliquer en quelques lignes votre parcours et les raisons qui vous amènent aujourd’hui à vous pencher sur l’épineuse question de la gestion des différences culturelles ?

Michel Sauquet : J’ai connu mon premier choc culturel en 1973 en quittant l’univers parisien pour l’Éthiopie rurale à 27 ans, après avoir fait des études de sciences politiques et d’urbanisme qui n’avaient strictement rien à voir avec le travail de formation et d’animation que j’étais censé faire dans ce pays. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’à l’époque, cela ne posait de problème à personne, ni à moi ni à l’ONG qui m’avait recruté, tant était forte la conviction qu’une personne d’un pays riche allant travailler dans le tiers-monde faisait forcément œuvre utile. Cette prétention inouïe, je l’ai eue comme les autres, mais les quatre années que j’ai passées en Éthiopie m’ont très vite calmé. Je me suis aperçu, là-bas, que le temps de l’autre n’est jamais le mien, que ses méthodes sont rarement les miennes, qu’il existe chez lui, par exemple en matière agricole, des savoirs transmis de génération en génération, qui, pour n’être écrits dans aucun livre n’en valent pas forcément moins que les nôtres.Ensuite, pendant plusieurs décennies, j’ai travaillé dans des secteurs apparemment très divers – j’ai été cadre associatif, communicateur, éditeur, fonctionnaire international, animateur

de réseaux –, mais toujours confronté à des cultures différentes de la mienne ; non seulement sur le plan géographique avec les nombreux séjours que j’ai eu la chance d’effectuer en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie, mais aussi, et peut-être surtout, sur le plan socioprofessionnel, puisque j’ai été amené à interagir avec des ingénieurs, des chercheurs, des technocrates, des militants dont je ne comprenais pas toujours la logique, les codes, les références culturelles.Tout au long de ce parcours, j’ai travaillé avec des gens formidables de toutes nationalités, mais j’ai été incommodé à bien des reprises par la suffisance – et l’insuffisance – de certains de ces expatriés français dont j’ai d’ailleurs fait partie, persuadés d’être porteurs du meilleur modèle, ou tout simplement incapables d’imaginer que leurs propres évidences ne soient pas celles de l’autre, que l’autre a peut-être, dans ses comportements, des raisons que leur raison ignore. C’est ce qui m’a amené, depuis plusieurs années, à proposer des séminaires de sensibilisation aux enjeux et aux méthodes de l’interculturel, avec une grille de questionnement et une démarche de structuration de l’échange d’expérience. Et chaque fois, dans des cadres universitaires (Sciences Po, École Centrale, Dauphine, etc.) ou humanitaires (Médecins du Monde, Action contre la Faim, etc.) très divers, ces sessions sont pour moi une source

d’apprentissage qui ne se tarit pas, que les participants soient des jeunes en partance pour l’étranger, ou des professionnels porteurs d’une forte expérience. Et lorsque je vois le tour que prend le débat – ou plutôt hélas le non-débat – sur les questions de multiculturalité en France, je me dis de plus en plus qu’il y aurait quelque urgence à stimuler dans le cadre hexagonal, des réflexes de questionnement susceptibles de se substituer aux réactions de peur et de rejet.

C.R. : Comment éviter l’amalgame entre « nationalité » et « culture » ?

M.S. : Je suis toujours effrayé d’entendre que les « Français sont comme ceci, les Chinois comme cela », de voir les terribles classifications par pays, qui trainent encore dans les milieux universitaires, suivant leur degré d’individualisme, de distance hiérarchique, de masculinité…C’est vrai que les uns et des autres nous avons des adhérences fortes à la culture de nos pays d’origine, mais cela n’explique qu’une partie de nos comportements. Avant de déclarer que « les Allemands ou les Argentins sont comme ça», demandons-nous de quelle région on parle, de quelle catégorie sociale et professionnelle on parle, de quel âge, de quel sexe, de quel degré de précarité on parle… La culture est une notion, ou plutôt une réalité très complexe, changeante, métissée, et c’est souvent une

Directeur de l’Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG, Paris) de 2006 à 2010 après avoir travaillé de nombreuses années dans le domaine de la coopération internationale, Michel Sauquet est l’auteur d’une

quinzaine d’ouvrages de fiction et des sciences humaines, dont « L’Intelligence de l’autre », en collaboration avec Martin Vielajus. Ce livre propose une grille de lecture pour appréhender les différences culturelles, aujourd’hui approfondie et retravaillée, et disponible dans la rubrique « Interculturel » du site d’AFS Vivre Sans Frontière.

Spécialisé dans les questions interculturelles, il enseigne à Sciences Po Paris ainsi qu’à l’École Centrale et à Dauphine, et collabore avec quelques organisations humanitaires telles que Médecins du Monde ou Action contre la faim autour de la gestion de la diversité et de la formation des cadres et des volontaires. ©

D.R

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6 - MAI 2011 - N°1 I CULTURES SANS FRONTIÈRE

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combinatoire. Qui d’entre nous n’a qu’une appartenance culturelle ?Maintenant, comment éviter cela ? Peut-être, à travers le regard sur la culture de l’autre, en prenant mieux conscience de ce qui constitue notre propre culture et en cherchant à mieux nous connaître nous-mêmes.

C.R. : Est-il nécessaire de se libérer des préjugés et des stéréotypes pour comprendre une personne issue de culture différente ?

M.S. : Les préjugés et les stéréotypes sont le plus souvent un boulet que nous traînons – amusant de voir que, dans la famille des faux amis, la traduction anglaise de préjugé est prejudice – et pourtant certains estiment qu’après tout, entre l’indifférence et le stéréotype, ce dernier est peut-être préférable dans la mesure où il peut constituer une brèche, une porte d’entrée dans la culture de l’autre, à condition évidemment de le dépasser le plus vite possible. Mais, bien sûr, il faut se méfier des idées toutes faites et se garder de toute généralisation.

Ceci dit, la dernière partie de votre question m’amène à en poser une autre : peut-on vraiment connaître la culture de l’autre ? Un expatrié qui change de pays d’affectation tous les deux ou trois ans peut-il vraiment connaître la culture des différents pays d’accueil ? Un enseignant, un soignant, un animateur qui opère dans des milieux multiculturels qui peuvent compter vingt, trente nationalités d’origines différentes, peut-il connaître la culture de l’autre. Personnellement, je ne le crois pas. Mais il peut, et à mon avis il doit, se poser un minimum de questions sur les représentations que l’autre a de notions supposées communes, mais qui ne le sont pas : son rapport à la tradition, au sacré, à l’identité, au temps, à l‘espace, à l’argent, à la hiérarchie, au risque, aux relations affectives… Il est important de se poser ces questions, car un même mot peut être interprété de mille manières différentes selon les cultures, non pas forcément pour y répondre soi-même, mais pour se faire aider par des médiateurs, des tierces personnes, qui, par leur origine, leur expérience, sont à cheval sur plusieurs cultures. Ces médiateurs peuvent nous aider à passer du stade « Ils sont fous ces gens-là » au stade « Peut-être n’avons-nous pas dialogué suffisamment ! ». Ces médiateurs, ils existent potentiellement partout, mais nous

n’avons pas toujours le réflexe d’y recourir, tant nous sommes persuadés que l’échec d’un projet, d’une négociation, d’une animation en milieu pluriculturel vient nécessairement de l’incompétence, de la nullité ou de la mauvaise volonté de l’autre…

C.R. : L’éducation interculturelle doit-elle être une priorité de l’Éducation Nationale et si oui, sous quelle forme doit-elle être préconisée ?

M.S. : J’imagine mal, en ce printemps 2011, que l’on puisse répondre par la négative ! C’est une urgence absolue, et je pense que certains enseignants n’ont pas attendu de directives de la rue de Grenelle pour pratiquer très intelligemment cette éducation. Il me semble que la priorité doit être de sensibiliser, de questionner, de s’appuyer sur des exemples de différentes attitudes que l’on peut avoir à l’égard de ceux dont la culture n’est pas la nôtre. Il ne peut pas vraiment s’agir, à mon avis, d’une formation « aux cultures », même si bien entendu il faut donner des repères sur les religions, le rapport au vivant, les conceptions des relations affectives, etc. dans les différents univers géoculturels. Il ne s’agit pas forcément non plus d’une formation à la tolérance. Je n’aime pas trop ce mot, parce que, par définition, si l’on doit tolérer quelque chose, c’est qu’on le réprouve, et je pense que l’on peut aller au-delà de cet interculturel au forceps. Je plaiderais plutôt pour l’incitation à une attitude d’« intelligence de l’autre ». Intelligence de l’autre, cela ne veut pas nécessairement dire que l’autre est intelligent – qui suis-je pour en décider ? – cela désigne une posture, par quoi l’on crédite a priori l’autre de n’être pas animé de mauvaises intentions lorsqu’il ne fonctionne pas comme nous, par quoi l’on se dit qu’il y a peut-être à explorer ce qui, au-delà de la partie visible de l’iceberg des cultures, peut expliquer en profondeur ses comportements. Une attitude de curiosité, tout simplement.

C.R. : Quels conseils pouvez-vous donner aux animateurs et travailleurs de jeunesse qui souhaitent utiliser la matrice de questions proposée dans votre ouvrage L’Intelligence

de l’Autre dans leurs pratiques d’éducation interculturelle ?

M.S. : De la démantibuler au plus vite ! De supprimer des questionnements, d’en ajouter d’autres, de la recomposer en fonction du contexte dans lequel ils interviennent. La grille n’est rien d’autre qu’un outil de structuration des échanges entre professionnels et entre jeunes. Je propose une démarche, pas une recette, et je devrais dire plutôt « nous proposons une démarche », puisque dans son état actuel (beaucoup plus complet que ce qu’il y a dans ce livre qui date de 2007), la grille a été discutée, critiquée, complétée par de nombreux groupes d’étudiants ou de cadres du secteur de l’entreprise ou du secteur humanitaire. Ainsi suis-je preneur, puisque cette grille 2011 se trouve sur votre site, de toutes suggestions de vos lecteurs. Et vive Internet qui nous permet de poursuivre ces échanges !

Michel Sauquet - [email protected] recueillis par Claire Rozier

Pour aller plus loin

Michel Sauquet, avec la collaboration de Martin Vielajus, L’intelligence de l’Autre, Éditions Charles Léopold Mayer, 2007.

60 questions pour aborder l’interculturel, Grille d’identification des variables socioculturelles susceptibles d’expliquer les manières d’être et d’agir de l’autre, disponible sur le site d’AFS Vivre Sans Frontière dans la rubrique Interculturel.

‘‘Je plaiderais plutôt pour l’incitation à une attitude d’«intelligence de l’autre».Michel Sauquet ’’

CULTURES SANS FRONTIÈRE I N°1 - MAI 2011 - 7

Page 8: Cultures Sans Frontière n°1 - Qu'est-ce que la culture ?

ACTUALITES

AFS À L’INTERNATIONALUn nouvel outil pour découvrir les activités internationales d’AFS

La fin de l’année 2010 a été marquée par la création d’un nouvel outil publié par AFS Intercultural Programs. Intercultural Link

est une revue électronique trimestrielle, permettant de découvrir les activités de différents partenaires du réseau dans le champ de l’apprentissage interculturel.

Le premier numéro présente les différentes initiatives organisées par les partenaires AFS à l’occasion de l’AFS Day, des activités pour aborder l’apprentissage interculturel de manière ludique lors du dernier Congrès Mondial AFS, et propose un compte rendu sur la conférence annuelle de l’EAIE (European Association for International Education) qui s’est tenue à Nantes du 15 au 18 septembre 2010.

Nous vous invitons vivement à consulter ce nouvel outil sur le site d’AFS Vivre Sans Frontière, dans la rubrique AFS et l’Interculturel.

AFS EN FRANCE

Les 12 et 13 mars derniers, AFS Vivre Sans Frontière a organisé deux journées de formation nationale destinées aux bénévoles souhaitant acquérir ou développer des compétences d’animateurs en milieu scolaire, en

maitrisant les concepts clés de l’apprentissage interculturel et les techniques d’animation. Cette formation a pour ambition de permettre aux bénévoles AFS de mettre à profit leurs compétences d’éducateurs et d’être force de proposition auprès des proviseurs et professeurs souhaitant donner plus de place à l’éducation interculturelle dans leur établissement.

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Des ateliers pédagogiques en milieu scolaire

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8 - MAI 2011 - N°1 I CULTURES SANS FRONTIÈRE

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L’éducation interculturelle à l’école

L’expérience d’immersion de longue durée dans une autre culture représente une opportunité d’apprentissage interculturel. Toutefois, cette méthode n’est pas la seule existante pour permettre aux jeunes de développer

des compétences interculturelles. Dominique Groux nous rappelle en effet que : « […] l’échange n’implique pas nécessairement une rencontre avec l’étranger (de nationalité différente) ; il y a échange éducatif à l’intérieur d’une salle de classe, avec les autres élèves ; dans son propre pays avec des individus différents, par l’origine sociale, par l’appartenance ethnique, religieuse, par la personnalité… Car l’étranger est multiple. » 1

La mise en place d’ateliers pédagogiques sur le thème de l’apprentissage interculturel dans un établissement scolaire est donc un moyen d’offrir au plus grand nombre une opportunité de développer des compétences interculturelles désormais indispensables pour faire face aux enjeux du monde actuel, en combinant des méthodes éducatives complémentaires.

1 Dominique Groux, Éducation à l’altérité par les échanges éducatifs et formation à l’international, dans Échanges Éducatifs internationaux: difficultés et réussites, Editions L’Harmattan, 2002

2 Tkit Apprentissage Interculturel, N°4, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2001

3 Mini-Compendium de l’éducation non formelle, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2007

Reconnaître l’apprentissage non formel et informel : résultats, politiques et pratiques, Publications de l’OCDE, 2010

Articulation de l’éducation formelle et non formelle, Implications pour la formation des enseignants, UNESCO, 1993

Pour aller plus loin

‘‘L’éducation interculturelle place l’autre au cœur des relations. Elle encourage une remise en question permanente des préjugés et de ce que nous considérons comme admis, ainsi qu’une ouverture constante vis-à-vis de l’inconnu et de l’incompris. Dans un processus d’interaction et de découverte mutuelle, tout être humain peut se réaliser – personnellement, socialement et globalement. La relation éducative vise à aider l’élève à prendre des responsabilités dans le but de lui permettre d’être acteur dans la société.2’’

Education formelle et non formelle : des méthodes éducatives complémentaires

Les méthodes utilisées lors des ateliers pédagogiques sont issues de l’éducation non formelle. Située entre l’éducation formelle (donnée dans des institutions d’enseignement dans le cadre de programmes d’étude

déterminés) et informelle (expériences quotidiennes), l’éducation non formelle correspond à un temps de formation déterminé et structuré, centré sur l’apprenant. Elle favorise l’esprit d’initiative et la connaissance de soi : mieux se connaitre soi-même, appréhender ses propres réactions, se positionner, se situer dans un groupe, etc. Elle nécessite la participation active de tous.

Cette formation s’inscrit donc dans une logique de valorisation des compétences d’éducateurs des bénévoles actifs du réseau d’AFS Vivre Sans Frontière, et de partenariat avec l’Education Nationale et les établissements scolaires soucieux de donner plus de place à l’éducation interculturelle dans leurs salles de classe.

‘‘Un aspect frappant de l’éducation non formelle est que les méthodes de travail et les approches en sont souvent plus élaborées et documentées que les éléments et les produits de l’apprentissage. Les méthodes sont actives, interculturelles ou expérimentales, et orientées sur les participants et l’apprentissage par l’action. Les éléments de l’apprentissage peuvent se résumer en termes d’aptitudes et de compétences pour la vie. Exemples : aptitudes à résoudre des problèmes, compétences communicationnelles, flexibilité, conscience et estime de soi, discipline personnelle, gestion des relations, compétences de gestion personnelle, engagement, leadership et aptitudes de négociation. Ces compétences et aptitudes ont en commun le fait qu’elles ne peuvent s’acquérir dans les livres : elles doivent être expérimentées et mises en pratique “dans la vie”.3’’

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La place de l’homme vis-à-vis de la nature

ZOOM SUR

Le 11 mars dernier, le Japon a été durement frappé par un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter. Le plus violent

tremblement de terre de l’histoire de l’archipel nippon à ce jour a entrainé un tsunami qui a dévasté la région de Sendai sur la côte nord-est du pays faisant des milliers de victimes et provoquant à son tour une grave crise nucléaire. Toutefois, les médias, occidentaux en particulier, n’ont de cesse de rappeler le «sang-froid», la «dignité», la « maitrise de soi » dont fait preuve le peuple japonais face à ce cataclysme. Aucune scène de pillage ni de chaos. Les Japonais ne cèdent pas à la panique et les observateurs internationaux s’interrogent. Katsushika Hokusaï. La grande vague de Kanagawa (1831).New York :

The Metropolitan Museum of Art ©, 2000

Chaque année, des milliers de Japonais célèbrent la floraison des cerisiers annonçant l’arrivée du printemps. L’engouement des médias nippons et de tout un peuple pour ce phénomène naturel rappelle cette sacralisation (aux influences bouddhistes et shintoïstes) et cette recherche d’harmonie constante entre l’homme et la nature, conçus comme deux sujets mis sur un pied d’égalité, et devant trouver un terrain d’entente pour cohabiter au mieux. «On voit bien que là l’homme est partie intégrante de la nature. C'est très différent de la culture occidentale et cartésienne. Chez Descartes, l’homme est maître et possesseur de la nature. Au Japon, l’homme est locataire et serviteur, il est tout petit. En Occident, c’est la prééminence de l’homme, du moi, de l’ego, c’est tout à fait différent.»1

Ce rapport à la nature est souvent interprété comme un paradoxe par nombres d’Occidentaux pour qui cette sacralisation de la nature entre en contradiction avec l’urbanisation et la modernisation galopantes de l’archipel. Or dans l’univers culturel japonais, l’homme est un élément d’un cycle au même titre que la nature. Cette conception fait de la nature et de ses démonstrations enchanteresses ou dévastatrices des éléments indispensables au bon déroulement de ce cycle, au même titre que les réalisations humaines. On ne peut donc pas parler de «fatalité» face au cataclysme, qui dénoterait un caractère péjoratif, mais plutôt d’une certaine acceptation de «l’ordre des choses».

Cette situation de crise à laquelle doit faire face aujourd’hui tout un peuple met en exergue le poids de la culture dans la gestion des risques. Le rapport à la nature doit en effet être conçu comme une composante de la culture, et la conception de ce rapport et de la place qu’occupe l’homme vis-à-vis de la nature vont avoir des conséquences directes et concrètes en termes de politiques d’aménagement du territoire, d’urbanisation, de prévention et de gestion des risques.

Le rapport à la nature, une composante de la culture :l’exemple du japon face aux catastrophes naturelles

L’apocalypse dans l’univers culturel japonais

La situation géographique du Japon fait de l’archipel une zone de risque par excellence. L’histoire du pays est ainsi imprégnée de catastrophes naturelles et de périodes de reconstruction après le cataclysme. L’univers

culturel japonais (mangas, cinéma, littérature, peinture, etc.) est nourri de références d’apocalypse, apparaissant comme un risque inhérent à toute vie sur ces terres, et surtout comme un élément inéluctable d’un cycle prédéfini.

L’apocalypse et le cataclysme font en effet partie intégrante d’un cycle : celui de la renaissance et de la reconstruction après la destruction.

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Plus d’informations sur :womenareheroes-lefilm.com

*100 000 dollars et « Un vœu pour changer le monde », c’est la récompense reçue par JR de la part de la fondation TED, organisation philanthropique américaine dédiée à la culture et l’innovation. Se pliant à cette tradition, l’artiste invite la population mondiale à participer à la réalisation d’une œuvre collective baptisée «Inside out». Chacun apportant sa contribution en placardant son autoportrait en grand format à l’endroit de son choix.

A DÉCOUVRIRWomen are heroes, une aventure humaine et artistique

Sorti dans les salles de cinéma en ce début d’année, Women Are Heroes, du photographe JR permet au grand public de découvrir les fruits de trois années de travail axées sur la condition féminine dans le monde.

Ce film présente la démarche et le projet artistique du photographe : investir l’espace public avec une exposition à ciel ouvert se déroulant aux quatre coins du monde et plus particulièrement au Brésil, en Inde, au Kenya, et au Cambodge.

«Les Américains ont la conquête de l’Ouest et les Français la prise de la Bastille. Les Japonais, eux, ont un scénario récurrent : celui d’un cataclysme suivi d’une renaissance. Dans le mythe des origines, la colérique déesse solaire Amaterasu, ancêtre de la lignée impériale, plonge le monde dans les ténèbres avant de lui rendre la lumière. Plus près de nous, le Japon a vu la longue paix de l’époque d’Edo (1603-1868) succéder à deux siècles d’anarchie sanglante ; la modernisation est née de l’irruption terrifiante, en 1853, des canonnières occidentales dans les ports d’un archipel fermé au monde depuis plus de deux siècles ; et l’holocauste de Hiroshima a été le prélude au « miracle japonais » qui a fait du pays la deuxième puissance économique du monde.»2

S’interroger sur le rapport à la nature et les autres composantes culturelles dans la gestion des catastrophes naturelles permet ainsi d’éviter les raccourcis et les jugements de valeur, pour faciliter la compréhension et la communication, et optimiser ainsi la pertinence de la prise de décision et des actions d’urgence.

1 « Les Japonais sont un peuple qui vit avec l’apocalypse », vidéo réalisée par Quentin Girard et Florent Latrive , interview des chercheurs Jean François Sabouret et Jean Marie Buissou, Mars 2011, Libération.

2 L’apocalypse japonaise expliquée à l’Occident, de Jean Marie Buissou, Avril 2011, Le Monde Diplomatique.

La culture japonaise fait de la nature la source de l’ordre social, Interview de Augustin Berque, Août 2001, Libération.

Les Japonais ont peur, les Français paniquent, de Benjamin Pelletier, gestion-des-risques-interculturels.com

Pour aller plus loin

Pour aller plus loinJR, artiste français reconnu, lauréat du convoité prix TED 2011*, installe des portraits gigantesques de « gens du commun » dans les rues de quartiers éloignés des sites touristiques et souvent montrés sous un jour peu flatteur voire misérabiliste par les médias. Les témoignages de femmes, héroïnes ordinaires, véhiculent force, courage, et espoir face à un avenir incertain.

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Au-delà de la thématique choisie, la pratique artistique mise en œuvre dans ce projet nous rappelle l’importance du rôle du regard dans notre manière d’appréhender la différence.

Apprendre à déconstruire le sens imprégné dans nos propres yeux pour comprendre l’autre dans sa réalité : c’est là tout l’enjeu de l’apprentissage interculturel, thème central du second numéro de Cultures Sans Frontière.

Un film à voir ou à revoir.

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Directrice de la publication : Anne CollignonRédactrice en chef : Claire RozierCoordination éditoriale : Natacha Sengler, Myrtille NuryMaquette : François-Xavier Bonnot-Yvernay

Cultures Sans Frontière est une revue trimestrielle électronique gratuite éditée par AFS Vivre Sans Frontière, association de loi 1901, reconnue d’utilité publique.

AFS Vivre Sans Frontière46 rue du Cdt Jean Duhail94 132 Fontenay-sous-Bois CedexFranceTél. : 01 45 14 03 10Fax. : 01 48 73 38 32Email : [email protected] : afs-fr.org

Publication

Cette première parution de Cultures Sans Frontière avait pour ambition de mieux cerner la notion

de culture située au cœur de la problématique interculturelle. Ces éléments vont nous permettre d’apporter un éclairage sur un autre concept dans le prochain numéro : l’éducation interculturelle et les enjeux de cette proposition pédagogique dans le monde actuel.

Aussi, nous verrons que l’expérience d’immersion dans une autre culture représente une méthode d’apprentissage interculturel. Quelles en sont les étapes ? Quel est l’impact d’une expérience d’immersion et comment le mesurer? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans le troisième et dernier numéro de Cultures Sans Frontière de l’année 2011.

Vos contributions et réactions sont précieuses pour faire de Cultures Sans Frontière une vraie plateforme d’échange et de discussions. N’hésitez pas à transmettre vos propositions d’articles à Claire Rozier : [email protected].

12 - MAI 2011 - N°1 I CULTURES SANS FRONTIÈRE

Dans le n°2 deCultures Sans Frontière :

L’apprentissage interculturel

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