Culture pour la promotion de la culture comme vecteur … · Le projet Med-Culture Project est...
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Unité d’assistance technique du programme Med
Culture
pour la promotion de la culture comme vecteur du
développement humain, social, et économique
dans le sud de la Méditerranée
Contrat EuropeAid: ENPI/2013/335-088
Rapport Tunisie
Par Walid Mtimet1
1 Ce rapport est basé sur le rapport réalisé par Julie Jeantet pour la Commission européenne en 2014. L’auteur a
synthétisé certaines parties et en a complété d’autres, en proposant son point de vue, pour s’inscrire dans le
format proposé pour l’ensemble des rapports pays commissionnés par Med Culture.
Clause de non-responsabilité
La présente publication a été élaborée avec le soutien de l’Union
européenne. Le contenu de la publication relève de la seule
responsabilité de l’unité de l’assistance technique de Med Culture et
ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue
de l’Union européenne.
Le projet Med-Culture Project est exécuté par le Consortium dirigé par
HYDEA S.p.A. (Italie) qui comprend également TRANSTEC SA (Belgique),
l’INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL (France) et la COMMISSION ROYALE
DU FILM (Jordanie).
Table des matières
1. Contexte et introduction…………………………………………………………….1 2. Objectifs, stratégies et gouvernances…………………………………………….3 3. Législation et financement………………………………………………………....5 4. Institutions, acteurs de la société civile et infrastructures……………………..11
4.1 Analyse SWOT du secteur culturel……………………………………..……21 5. Formation et éducation…………………………………………………………….21 6. Pratiques non professionnelles et publiques……………………………………25 7. Conclusions et recommandations………………………………………………...27 8. Annexes……………………………………………………………………………..31
1
1 Contexte et introduction La Tunisie est le plus petit pays du Maghreb en terme de superficie (163 610
km2) et sa population en 2013 est de 10 886 000 habitants (INS). De par sa
position géographique, le territoire a été la cible de nombreuses civilisations
colonialistes et expansionnistes. En effet, la Tunisie a d’abord été
phénicienne, ensuite romaine, chrétienne avant de devenir vandale puis
byzantine, arabe, ottomane. Pour finir, elle a été sous le protectorat français
officialisé le 12 mai 1881 par le traité de Bardo. L'indépendance fut signée en
1956 au bout de 75 ans. Il s’ensuit alors une proclamation de la république et
la désignation de Habib Bourguiba en tant que président le 25 juillet 1957. Un
amendement de la constitution lui octroie la présidence à vie le 18 mars
1975. C’est en 1987 qu’il quitte le pouvoir, destitué par son Premier Ministre
Zine El Abidine Ben Ali. Ce dernier obtient 99,3 % des voix durant les élections
de 1994. Il sera réélu en 1999, en 2004 et en 2009.
Face à une révolte populaire déclenchée par l'immolation de Tarek Bouazizi
(dit Mohamed) à Sidi Bouzid, le président Zine El Abidine Ben Ali a fui le pays
le 14 janvier 2011. La Tunisie fut ainsi l’instigatrice du « printemps arabe ». Cela
dit, le revers de cette période « postrévolutionnaire » s'est caractérisé dans un
premier temps, par une grande instabilité politique, qui s'est poursuivie
jusqu’aux premières élections libres qui se sont déroulées le 23 octobre 2011.
La victoire d’Ennahdha est en partie due à ce contexte de confusion
politique et à un discours identitaire, qu'elle a alimenté sans rencontrer une
véritable opposition.
En 2015, et selon le ministre des Finances Slim Chaker, (Tunisie numérique du
5/1/2016) le contexte socio-économique demeure très incertain dans cette
Tunisie puisqu’il annonce que « les dettes de la Tunisie sont passées de 26
milliards de dinars en 2010 (plus de 11 milliards d’euros) à 41 milliards de dinars
en 2014 (plus de 18 milliards d’euros) (…), soit environ 58% d’augmentation en
quatre ans ». Le taux de chômage a atteint 15,4% au cours du deuxième
trimestre 2015 (INS), touchant 28,6% des jeunes diplômés. Le Grand Tunis
(Tunis, Manouba, Ariana et Ben Arous) arrive en première place,
comptabilisant 195 000 chômeurs, suivi par le centre Est (84 600), le Centre
Ouest (74 400), le sud Est (73 400), le nord Est (63 400), le nord ouest (62 700) et
le Sud-Ouest (51100). Elle subit également de récurrents conflits sociaux et un
environnement international peu favorable (avec notamment la situation en
Libye et l’atonie de l'économie européenne). Sa croissance économique a
subi un net ralentissement puisqu’elle ne dépasse pas 2,8% en 2014 contre
3,5% prévu précédemment suite au ralentissement de l’activité industrielle.
C’est la 4e année consécutive de croissance faible (2% en moyenne par an)
et une première dans l’histoire économique tunisienne, qui n’a jamais connu
une période aussi longue de croissance faible.
Notons cependant que l’IDH demeure rassurant. En effet, il est de 0,721 en
2015 classant la Tunisie à la 96ème place sur 187 pays et au 10ème rang des
pays arabes. La Tunisie devrait donc atteindre la plupart des objectifs du
2
millénaire pour le développement (OMD)2 malgré des inégalités sociales et
régionales qui constituent un défi à relever par le pays.
Ce n’est que trois ans après la « révolution », qu’une nouvelle constitution a
été adoptée (26 janvier 2014) symbolisant un grand pas en faveur du
processus démocratique. Cette constitution garantit le droit à la liberté
d'expression, d'opinion, le droit à créativité et permet de participer à la vie
culturelle et de jouir des arts. Cependant, beaucoup d’agressions et de
condamnations ont été recensées à l'encontre des artistes. Auparavant
politiques, les causes des entraves sont devenues d'ordre religieux ou moral.
Aussitôt après l'élaboration de cette constitution, un nouveau gouvernement
dirigé par le Premier Ministre Mehdi Jomaâ a été élu par l'Assemblée
nationale constituante le 29 janvier 2014 succédant au cabinet dirigé par
Ennahdha. Le critère de sélection n'accordait le poste de ministre qu'aux
technocrates indépendants.
C'est dans ce contexte que Mourad Sakli a accédé au poste de Ministre de
la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine. Dans sa conférence de presse
donnée le 11 mars 20143, il a annoncé les trois axes de sa politique culturelle
pour l'année :
La contribution à l’instauration d’un climat propice aux libertés,
stimulant la créativité dans les divers domaines culturels et artistiques.
La démocratisation de la culture, à savoir le droit pour tous de
bénéficier et de participer à la vie culturelle.
L’incitation à la décentralisation progressive des différents secteurs
culturels.
Par la suite, il y a eu deux remaniements ministériels, et la nouvelle ministre de
la culture Sonia Mbarek (nommée le 12 janvier 2016) artiste de musique,
professeur universitaire et doctorante en droit n’a fait aucune déclaration au
moment de sa nomination pour annoncer son programme.
En outre, la scène culturelle indépendante est caractérisée par des
changements profonds depuis janvier 2011, suite aux changements des lois
liées à la vie associative. Par exemple, une plateforme qui porte le nom de
jamaity (mon association) a vu le jour en janvier 2014. Cette plateforme
regroupe 1936 associations (www. jamaity.org) en janvier 2016, ainsi que les
appels à projet et les financements disponibles. Cette initiative, créée par des
acteurs émergents pour soutenir leurs collègues, facilite le travail des acteurs
culturels.
Par ailleurs, pour encourager le secteur privé, le ministre de la Culture a publié
en janvier 2016 un guide pour le mécénat culturel.
Un des grands enjeux de la scène culturelle indépendante d’aujourd’hui est
2 - Dans le rapport sur le suivi des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies, « Huit
objectifs pour 2015 ». 3- « Mourad Sakli présente la stratégie du Ministère de la Culture pour l’année 2014 », dans tuniscope.com, le 11 mars
2014.
3
l’occupation de l’espace public, qu’il n’était pas possible d’investir depuis
des décennies. D’après le centre IFEDA (Le centre d'Information, de
Formation, d'Etudes et de Documentation sur les Associations IFEDA, créé en
2000), le nombre d’association tunisienne en septembre 2015 a dépassé
18143, et celles-ci ont effectué un travail colossal pour récupérer cet espace
convoité par les islamistes.
Enfin, la vague de liberté a donné naissance à des activités à l’intérieur du
pays comme le théâtre de poche du Kef (nord ouest de la Tunisie), un
espace culturel privé nouvellement fondé par des jeunes artistes à Bizerte
(nord), et d’autres.
2 Objectifs, stratégies et gouvernances Aux lendemains de l’indépendance, la culture en Tunisie a été rattachée à
une réforme du système éducatif. En effet, elle a été attribuée a un
Secrétariat d’Etat aux affaires culturelles et a l’information crée en 1961. En
1964, soit trois ans plus tard, la création du Ministère de la Culture et de la
Sauvegarde du Patrimoine marque la volonté de l’État de prendre en charge
l’action culturelle nationale. (Décret n° 96-1875 du 7 octobre 1964, puis dans
le décret n°2005-1707 du 6 juin 2005).
C’est durant les années 1970 que la politique culturelle de la Tunisie a
commence a être influencée par les courants de pensée qui ont marque les
orientations des organisations internationales et régionales telle que
l’UNESCO. C’est ainsi qu’une nouvelle perception de la culture est apparue,
comprise comme un instrument de développement et de prolongement
stratégique du projet de société . La capitale du pays (Tunis) a été désignée «
Capitale culturelle régionale » en 1997 par l’UNESCO. La Tunisie a d’abord
ratifie la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Ensuite, dote d’une coalition en faveur de la diversité culturelle le 15 février
2007, le pays a ratifie la Convention sur la protection et la promotion de la
diversité des expressions culturelles.
L’administration du Ministère de la culture répond a un effort de
rationalisation et d’organisation, délimitant les domaines d’intervention de
l’Etat dans la culture en Tunisie. Notons également la priorité accordée au
patrimoine, auquel s’ajoute l’action culturelle, les arts scéniques (arts
dramatiques), les arts audiovisuels, et le livre qui sont dotés d’une direction
générale. Aujourd’hui, cette administration est appelée a s’ouvrir vers
d’autres champs, tels que la pluralité et la diversité culturelle, la relation avec
les médias, la relation avec la société civile, les industries culturelles, le
financement prive de la culture, les nouveaux réseaux de la culture et de sa
diffusion.
La politique culturelle en Tunisie s’inscrit dans un processus de
décentralisation. Une première vague a été initiée en 1970 et a été poursuivie
4
en 1992 avec la création de 264 délégations régionales de la culture, qui
travaillent en coordination avec les comités culturels locaux.
En 2013, on recense en Tunisie plus de 225 maisons de culture réparties sur
l’ensemble du territoire (dont 26 dans le gouvernorat de Tunis). Par ailleurs,
nous pouvons rajouter 12 complexes culturels, 381 bibliothèques publiques, 6
centres d’arts dramatiques et scéniques, 19 instituts de musique et de danse.
Notons cependant que la centralisation demeure très forte. En effet, le
pouvoir décisionnel de la capitale reste déterminant et le potentiel
patrimonial des régions n’est ni valorisé, ni suffisamment exploité. Il en résulte
une disparité Nord/Sud et Est/Ouest. On perçoit nettement la grande
disparité culturelle entre les tissus urbains (Nord, Nord-Est) qui sont
culturellement plus dynamiques et les zones rurales (Sud et Ouest). Ce
contraste est encore plus marqué depuis la ‘’révolution’’ de 2011. Notons
également le manque d’équipements culturels, les faibles ressources
humaines, le peu de moyens financiers et le déficit des formations. Nous
pouvons rajouter le fait que les structures et les établissements, qui constituent
un maillage fort du territoire, ont dû se détourner de leurs activités sous l’ère
Ben Ali. Enfin aucune des structures nommées ne peut assurer sa fonction de
décentralisation et de démocratisation de la culture. Leur autonomisation est
au cœur des objectifs de la constitution de 2014 (Art.131)
Une politique publique dédiée aux festivals et au patrimoine
La politique publique du MdC tunisien privilégie l’évènementiel et en
particulier les festivals : plus de 700 festivals sont recensés sur tout le territoire,
dont 400 sous tutelle totale ou partielle. Ces festivals peuvent être une
conversion d’anciennes fêtes profanes, agraires ou religieuses (festivals
régionaux), ou de nouveaux festivals ouverts aux expressions contemporaines
(festivals nationaux). L’Etat en a fait la vitrine de sa diversité culturelle et la
met de plus en plus au service du tourisme culturel (comme les festivals de
Tozeur, de Dougga, du Sahara de Douz). Les festivals peuvent contribuer à
l’attractivité des régions et mettre en avant leur patrimoine pour en faire des
destinations touristiques potentielles. Au cœur de cette stratégie, le
patrimoine occupe en effet depuis les années 1970 une place primordiale.
Nous avons pour preuve, l’Institut national du Patrimoine : avec un budget de
1 490 000 TND en 20134, il est l’établissement public tunisien le mieux dote . Le
ministère de la culture et le Ministère du Tourisme sont réunis dans ce cas pour
soutenir ces évènements.
Le revers de cette politique culturelle serait la standardisation. Autrement dit,
il s’agit de mettre l’accent sur la dimension commerciale au détriment de la
dimension artistique de l’évènement dans le but d’attirer davantage de
publics. Bien qu'elle soit à encourager, la démocratisation de l’accès a la
4 - Selon un document transmis par le MdC sur le budget 2013 des Etablissements publics administratifs (EPA).
5
culture ne devrait pas minorer la réflexion sur la programmation quant à la
qualité artistique. Par exemple, le poste de directeur artistique est souvent
absent des comités d’organisation des festivals tunisiens.
Par ailleurs, de l’avis tous les acteurs consultés, les festivals en Tunisie souffrent
en général d’un manque de structuration a moyen et à long terme. Dénués
d’objectifs et de lignes programmatiques clairs, mal adaptés a leur format et
a leur environnement, ils souffrent d’un manque d’anticipation,
d’organisation et de continuité d’une édition a l’autre ; des besoins en
formation concernant la direction de projet et de communication culturelle
ont été évoqués pour y pallier.
3 Législation et financements
A - législation
Un cadre législatif ancien
Au niveau législatif, les décrets de loi qui encadrent le secteur datent pour
beaucoup des années 1960, pour les plus anciens, et surtout des années
1980. Il en est de même pour les statuts des établissements publics et des
festivals dirigés par le Ministère. Cette non-actualisation cause un manque de
souplesse administrative, des difficultés à nouer des partenariats et freine le
rayonnement économique et artistique que beaucoup d'acteurs
(institutionnels et non-institutionnels) déplorent.
Le non-respect des lois de la propriété intellectuelle
Le nouveau Ministre de la Culture a fait de l’encouragement de
l’investissement prive dans la culture une des priorités de sa politique, en
particulier a travers le respect et la promotion de la propriété intellectuelle,
non appliqués en Tunisie.
L’OTPDA (Organisme Tunisien de Protection des Droits d’Auteurs : Loi n°94-36
du 24 février 1994, relative a la propriété littéraire et artistique, modifiée et
complétée par la loi n°2009-33 du 23 juin 2009) est l’établissement a
caractère non administratif en charge de sauvegarder les droits moraux et
patrimoniaux des auteurs (adhérents), dans les différents domaines littéraires,
artistiques et scientifiques. A cet effet, il délivre les autorisations nécessaires a
l’exploitation des œuvres et assure le recouvrement des droits dus aux
auteurs. Il doit également participer a l’enracinement de la culture du droit
d’auteur. Un récent décret (n°2013-2860 du 1er juillet 2013) a ajoute la gestion
des droits voisins aux missions de l’OTPDA.
Cependant, l’application défaillante de la loi de la propriété intellectuelle en
Tunisie est due à de multiples causes conjoncturelles et structurelles. D’une
part, nous pouvons noter l’absence de culture des droits d’auteurs et donc
d’éthique, peut être imputable au contexte local de piratage généralise ,
contre lequel pourtant un arsenal juridique a été déployé depuis 2009, avec
la Brigade économique, les Douanes et le Ministère de l’Intérieur, dont
l’OTPDA n’est qu’un maillon. D’autre part, il faut noter le manque de moyens
6
humains, techniques et financiers. Avec 470 000 TND de budget alloue en
2013 par le ministère de la culture et 280 000 TND de fonds propres, il dispose
d’une faible marge de manœuvre.
Voici les étapes lancées par le ministère de la culture depuis début 2014 dans
cette perspective :
Organiser une campagne de sensibilisation sur l’importance de la
propriété littéraire pour la diffusion de la culture de la sauvegarde de la
propriété intellectuelle (printemps 2014).
Multiplier les interventions de terrain d’agents qualifiés et assermentés
pour sanctionner les contrevenants (septembre - décembre 2014).
Développer la coopération avec les organisations et instances
internationales spécialisées (2016).
B – financements et budget de la culture
Le budget dédié a la culture en Tunisie a double en 10 ans (2003 a 2013),
mais a baisse de 2012 a 2013.
Ce budget n’excède pas 0,64% du budget général de l’Etat en 20135, mais a
connu un taux relativement constant depuis 10 ans, entre 0,7 et 0,8%.
Comparativement aux autres pays du Maghreb, l’Algérie avec un taux de
0,53%, et le Maroc avec 0,23%, la Tunisie consacre une partie importante du
budget de l’Etat a la culture. Ce budget ne peut répondre néanmoins que
partiellement aux besoins d’une population jeune (18,9% de 15-24 ans et
28,4% avec les 25-29 ans en 2012 d'après l'INS). Sa répartition reste aussi très
inégale selon les domaines.
Répartition du budget national par établissement public en Tunisie en 20136
Établissements publics Montant alloue par l’État
en TND
% sur Budget
national
L’Institut national du Patrimoine
(INP)
1490000 0,055%
La Bibliothèque nationale 1420000 0,050%
Le Centre national de la
Communication culturelle
550000 0,020%
L’Institut national de la Musique 240000 0,010%
La Troupe nationale des Arts
populaires
200000 0,010%
5 - Amar Kessab et Dounia Benslimane ,« Etude comparative sur certains aspects des politiques culturelles en Alge rie,
en Tunisie, au Maroc et en Egypte », El Mawred El Thaqafy, 2011, p.15 6 - chiffres des subventions tires du document du MdC « Budgets 2012-2013 EPNAS Etablissements publics a
Caractère non administratif et EPAS Etablissements publics a Caractère administratif ».
7
Les Commissariats régionaux a la
Culture
12640000 0,47%
Le Centre des Musiques arabes et
méditerranéennes (CMAM)
1 124 000 0,042%
Le Théâtre national tunisien (TNT) 1 077 000 0,040%
L’Organisme tunisien de Protection
des Droits d’Auteur (OTPDA)
470 000 0,017%
Le Centre national de Traduction 998 000 0,037%
Le Centre national du Cinéma et
de l’Image
170 000 0,006%
Après les commissariats régionaux, ce sont dans l’ordre, l’INP, la Bibliothèque
nationale, le CMAM, le TNT et le Centre National de Traduction qui sont les
institutions publiques les plus soutenues par l’Etat.
Le cinéma : aides publiques et faible soutien des privés
Malgré une aide publique favorable, la Tunisie connait des problèmes
économiques dans ce secteur. Le cinéma est dirigé par la Direction générale
des Arts scéniques et des Arts audiovisuels et la Direction des Arts audio-
visuels (ministère de la culture). Il est le secteur le plus soutenu par l’Etat après
celui consacré aux évènements culturels. On le voit nettement grâce au
montant des crédits publics (de l’ordre de 5,5 M TND en 2013) et la création
du Centre national du Cinéma et de l’Image en 2012. L’Etat accorde a titre
de subvention une moyenne de 500 000 TND pour chaque long-me trage
produit (35% du coût global et 70% pour un court- métrage). Le budget
moyen d’un film est de 2 millions TND, ce qui permet d’évaluer la faiblesse du
budget annuel de l’Etat attribue au secteur.
Il existe deux commissions de soutien a la production :
Aide a l’écriture, a la production ou a la finition d’un long métrage ou
court-métrage (Décret n° 2001-717 du 19 mars 2001) pour une diffusion
dans le circuit commercial. La commission de sélection est composée
de gens du métier et d’un membre du ministère de la culture. Elle se
réunit une fois par an. Parmi les critères d’attribution, nous avons : la
qualité artistique, le chemin de financement, avec la garantie de
retombées économiques, renommée du réalisateur détenteur de la
carte professionnelle.
Aide aux producteurs non subventionnés (lors de la précédente
commission) : achat des droits du film pour une diffusion dans un circuit
non commercial, tels que maisons de culture, associations (ciné clubs),
écoles, universités, ambassades tunisiennes a l’étranger ; c’est une aide
dédiée a l’encouragement du cinéma tunisien. Parmi les critères
8
d’attribution, notons-la : qualité artistique et l’importance du contenu.
Malgré ces aides publiques, la production demeure faible et se heurte au
refus du soutien des banques et des privés. Seuls 5 a 6 longs-métrages et 25 a
30 courts-métrages sont produits en moyenne par an en Tunisie. Malgré le
nombre élevé des maisons de production (500 selon le ministère de la
culture), beaucoup de réalisateurs peinent a ficeler leur budget. D’après les
acteurs culturels, l'une des raisons serait le manque de coproductions en
amont des projets et le peu d’engagement des investisseurs étrangers et
locaux. En réalité, deux ou trois producteurs réputés se partagent le marche
tunisien, aussi limite soit-il, grâce notamment a leur maitrise de la
postproduction de l’image et du son, et de la distribution des films lucratifs
étrangers. La télévision nationale, en grand déficit financier, a également
cesse de soutenir le cinéma tunisien depuis une dizaine d’années. Les
banques font preuve de peu souplesse à l'égard de ce secteur dont elles ne
maitrisent pas le modèle économique.
Le CNCI a été créé en 2012 (Décret n°212-753 du 2 juillet 2012) et suscite de
nombreuses attentes. Cet organisme a signe une convention de partenariat
avec le CNC France en 2013, visant a développer la coopération
cinématographique entre la France et la Tunisie. Fethi Kharrat a été nommé
directeur de la CNCI en juin 2015. Sa révision des textes législatifs concernant
la subvention et la diffusion des films tunisiens, qui datent des années 60 et 80,
a donné une bouffée d'oxygène au secteur. L’aide à la production pour 2015
a dépassé 3 982 000 dinars (1,794 millions euros).
Les arts dramatiques : Un cadre législatif a revoir
La législation ancienne qui encadre les arts dramatiques en Tunisie (1989) est
a adapter a l’évolution du secteur afin de favoriser la création de lieux de
répétition, de production et de diffusion pour les nouvelles générations,
notamment les diplômés de l’Institut d’Art dramatiques (ISAD) de Tunis et du
Kef qui sont les deux principales formations en art dramatique publics, qui
sont sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement supérieur. Le mode de
financement de l’aide a la production et les critères de sélection sont
régulièrement mentionnés comme étant des obstacles a la liberté de
création des artistes tunisiens. De même que l’aide a la création est très
limitée et ne permet pas l’émergence de nouvelles formes ou de nouveaux
projets a moyen et long terme.
La Direction des arts scéniques est en charge de coordonner l’aide publique
des arts dramatiques en Tunisie. Avec un budget annuel de 3,2 millions TND
en 2014, c’est un domaine artistique bien soutenu par l’Etat
comparativement aux autres. Depuis les années 1980, le paysage s’est ouvert
aux initiatives privées (Décret n°89-399 du 24 mars 1989) 7. La nouvelle loi sur
7 - De cret n°89-399 du 24 mars 1989, fixant les conditions d’obtention et de retrait de l’accord du Ministre des affaires
culturelles pour la création de structures professionnelles de production et de diffusion des arts dramatiques.
9
les associations a également encourage cette mutation (cf. 3.3.a.). Les
compagnies théâtrales sont passées de 10 en 1987 a plus de 150 aujourd’hui.
Le Théâtre national tunisien (TNT) et 6 centres d’art dramatique sont sous la
tutelle publique, gérés par des responsables nommés par le MdC, avec une
mission de production, de diffusion et de formation.
Les mécanismes de soutien, régis par une commission annuelle (composée
de représentants du MdC ; des établissements publics, du secteur prive et de
syndicats) sont les suivants :
Aide a la production : estimation d’un projet avant sa réalisation. 1/3 ou
2/3 du coût global de la production peut être pris en charge. Cependant,
les subventions sont octroyées a la compagnie une fois que la pièce a été
jouée et approuvée par la commission.
Aide a la diffusion : achat du projet finalise , pour une diffusion dans le
circuit public, établie par le MdC mais organisé par les compagnies ;
environ 15 a 20 représentations sont prévues pour les « meilleurs »
spectacles, en fonction des subventions octroyées précédemment. L’aide
de l’État se concrétise a hauteur d’un montant allant de 20 000 a 40 000
TND en moyenne, sachant que le coût d’un spectacle varie entre 2 000 et
9 000 TND selon l’ampleur du projet.
Aide au fonctionnement et a l’équipement d’espaces théâtraux et
d’associations.
Une première œuvre doit avoir un minimum de 15 représentations pour
pouvoir être soutenue dans sa diffusion.
Le livre : le manque d’une structure opérationnelle du Livre
Au ministère de la culture, la Direction générale du livre encadre deux autres
directions : la Direction des Lettres, et celle de la Lecture publique. Les
professionnels ont émis le souhait de voir apparaître une structure
opérationnelle de type « centre national du Livre » ce qui permettrait de
mieux encadrer le secteur et d’étudier en permanence la situation du livre
avec la production de données détaillées et fiables. D’un point de vue
politique, l’Etat tunisien a encouragé le Livre. Pour ce, il a libéralisé son
importation, subventionné sa production locale (avec la compensation du
prix du papier) tout en contrôlant l’activité éditoriale jusqu’a ce que l’édition
privée commence a émerger dans les années 1990, et contribue a diversifier
la production. Ainsi, depuis les années 2000, une myriade de maisons
d’édition francophones s’est implantée en Tunisie (Apollonia, Alif-les éditions
de la Méditerranée, Simpact, Alyssa, L’Arbre...) éditant de 1 000 a 4 000
ouvrages par an.
Arts plastiques : Un soutien public a la création très limite
Le soutien de l’Etat aux arts plastiques se traduit essentiellement par l’achat
d’œuvres d’art dont l’arbitrage est confie a une commission du ministère de
la culture. La Commission achète des œuvres deux fois par an, auprès des
galeries agréées par le ministère de la culture (56 au total), et les entrepose
dans un dépôt qui a l’heure actuelle est loin de remplir les conditions requises
10
pour la conservation d’œuvres d’art. Près de 7 000 œuvres non cataloguées
sont stockées depuis 40 ans dans un bâtiment trop étroit, en très mauvais
état, dont certaines sont déjà endommagées. Le personnel en charge de
cette réserve n’a pas la formation adéquate pour s’occuper de la
conservation. 400 œuvres inconnues du public ont été exposées par la
Direction des Arts plastiques, pour la première fois en 2012, dans plusieurs lieux
de Tunis. Une deuxième exposition a eu lieu en 2014 pour des œuvres
acquises en 2013. Aussi des associations porteuses de projets en arts
plastiques peuvent être subventionnées, (la subvention par association atteint
maximum 5 000 TND ; 10 000 TND exceptionnellement et nécessite aussi
l'accord d'une commission avec l’accord final du Ministre). Ces subventions
sont imputées au budget du Ministère et non des directions artistiques.
Musique et danse : des disciplines peu soutenues par l'État
La musique et la danse en Tunisie sont les arts les moins soutenus pas l’Etat qui
leur accorde un budget annuel de 550 000 TND en 2013. 100 000 TND ont été
attribués a la danse contre 50 000 TND en 2010. Ce constat contraste avec le
dynamisme de ces deux secteurs animés d’un nouveau souffle depuis 2011.
La Direction de la Musique et de la Danse soulève le besoin de :
• Une réforme législative des lois et décrets concernant la carte
professionnelle (Loi n°69-32 du 9 mai 1969) qui n’est plus du tout
représentative des formes artistiques actuelles de la musique et danse en
Tunisie et le diplôme des enseignants de musique qui ne tient pas compte de
l’ISM (aujourd’hui sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement et de la
Recherche) et de la sortie de nombreux étudiants avec une maitrise ou a la
rémunération des enseignants (Décret n°89-605 du 7 juin 1989) 8 avec un taux
de l’heure supplémentaire encore fixe a 1,199 TND par exemple.
Une réforme statutaire des conservatoires (au nombre de 19 dans tout le
pays, comptant au total 5 000 élèves environ selon le MdC) qui n’ont pas
de statut, de même pour les orchestres de référence, symphonique, la
troupe nationale de la musique, la troupe nationale de danse populaire et
les festivals.
Toutefois l’art chorégraphique montre un début de reconnaissance
institutionnelle avec la légitimation du folklore plutôt que la danse
contemporaine, mal comprise et réduite a une confidentialité culturelle et
économique souvent problématique pour les artistes qui de plus, n’ont pas
de statut.
La précarité des entreprises culturelles comme obstacle à l’engagement des
banques
L’accès et la diversification des sources de financement des projets culturels
dépendent ainsi de l’impulsion des investissements privés dans la culture, des
apporteurs de fonds marchands ou non marchands. À cause de la crise
8 - fixant le taux de l’indemnité pour heures supplémentaires octroyées aux enseignants de musique et aux personnels
de l’inspection pédagogique du Ministère de la Culture.
11
économique et de l’incompréhension des modèles commerciaux, les
banques sont une piètre alternative. Elles considèrent les projets culturels
comme étant trop risqués pour être financés dans le cadre d’une opération
marchande.
Rareté du mécénat culturel
Malgré les incitations fiscales existantes, le mécénat culturel est rare en
Tunisie. Il y a bien l’avantage « d’une prime d’investissement immatériel et
d’une prime d’investissements technologiques prioritaires » au lancement
d’une entreprise. La loi permet également aux promoteurs de reporter les
paiements des cotisations salariales lorsqu’ils engagent du personnel, des
réductions sur l’impôt a payer et des exonérations fiscales liées a la formation.
Il semble néanmoins que cela ne soit pas suffisant pour convaincre
davantage d’entreprises a s’engager en faveur de la culture et des artistes.
Un autre dispositif existe : le Ministère des Finances tunisien a signe une
convention avec l’OIF depuis 2004 pour la gestion d’un fonds de garantie qui
prend en charge une partie du risque de l’établissement de crédit finançant
un projet culturel, réduisant ainsi son risque de perte auprès de l’entreprise
éligible au fonds. Celui-ci a été délégué a l’organisme de gestion du Fonds
national de Garantie tunisien : Tunis Re, société d’Etat de réassurance, basée
a Tunis.
Par ailleurs, le Mdc a publié en janvier 2016, un nouveau guide pour le
mécénat culturel.
4 Institutions, acteurs de la société civile et infrastructures
A - Institutions internationales
Depuis 2007, la coopération entre l’UE et la Tunisie est financée au titre de
l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), pour l’octroi de
subventions/dons, ainsi que dans le cadre du nouveau mandat de la
Banque européenne d’investissement (BEI), pour l’octroi de prêts. Plus de
160 millions d’euros ont été engagés en 2011. Suite aux changements
politiques survenus en Tunisie et pour renforcer la coopération dans les
secteurs de la société civile et des médias, dans la consolidation de l’Etat
de droit et le processus électoral, dans le développement régional et local
et dans les réformes sociales la somme a été doublée. Depuis les
évènements de 2011 survenus dans la région, la priorité de la coopération
méditerranéenne est d’appuyer la transition démocratique de nombreux
pays. Les organisations internationales et professionnelles jouent un rôle
important dans la culture en Tunisie et de ce fait, ont une certaine
responsabilité dans le fonctionnement de l’écosystème culturel.
Deux programmes spécifiquement dédiés à la culture concernent la Tunisie :
- Le programme régional Med Culture approuvé par la CE fin 2012,
mis en œuvre à partir de 2014.
- Le nouveau programme bilatéral EU-Tunisie, le seul dédié
12
spécifiquement à la culture dans la région, opérationnel en 2016,
offrant de grandes opportunités pour le secteur culturel en Tunisie.
Par ailleurs, une douzaine de centres culturels des États membres
développant une coopération culturelle bilatérale sont actifs en Tunisie.
Citons les principaux :
L’Institut français de Tunis (IFT) est l’acteur principal de la coopération
culturelle bilatérale. La Médiathèque Charles de Gaulle a Tunis a ouvert
en 2015. L’Institut a deux antennes a Sousse et a Sfax, ainsi que le centre
de recherche sur le Maghreb, l’IRMC. Il conduit et appuie de nombreuses
actions culturelles en Tunisie.
Le Goethe Institut, très dynamique en Tunisie, a aussi infléchi ses
orientations depuis 2011. Il est désormais plus ancre dans des partenariats
complexes avec les acteurs locaux, sélectionnés selon des critères précis,
et dans la mise en place de programmes de formation profitables au
secteur culturel a long terme.
Le British Council travaille avec des partenaires de toutes les régions de
Tunisie pour offrir des opportunités d’apprentissage de la langue anglaise,
pour partager les idées créatives du Royaume uni. La jeunesse, les cultures
émergentes et les projets aux financements croisés sont ses axes de travail
privilégies.
L’Institut italien de Culture diffuse et soutient quelques évènements mais
offre surtout des bourses universitaires, des cours et stages de langues.
L’Institut Cervante s développe essentiellement des actions musicales qui
s’intègrent a des festivals déjà existants (Jeunes Virtuoses, Festival de la
Medina, Octobre musical...).
Le réseau EUNIC (Union européenne des Instituts nationaux de Culture),
qui rassemble différents centres culturels européens, est coordonne
aujourd’hui par le British Council. Il est notamment en charge de la mise
en œuvre du programme bilatéral EU- Tunisie.
D’autres organisations internationales sont présentes sur le plan culturel en
Méditerranée et particulièrement en Tunisie, dont :
• L’UNESCO : Des actions sont menées en Tunisie avec la culture comme point
d’accès au développement, en particulier encouragées par l’UNESCO et la
Commission nationale tunisienne pour l’éducation, la science et la culture
implantée a Tunis qui, sous l’égide du Ministère tunisien de l’Education,
coordonne l’ALESCO et l’ISESCO. Sept sites tunisiens sont inscrits au patrimoine
mondial culturel de l’UNESCO (et un au patrimoine naturel), dix sont en cours
d’étude.
• L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : En Tunisie, elle se
manifeste a travers une aide a la mobilité des artistes, a la formation des
comédiens (Centre arabo-africain de formations et de recherche théâtrale
du théâtre El Hamra), a la production audiovisuelle et aux industries
culturelles. Elle a notamment cré un fonds de garantie pour cautionner a
hauteur de 70 a 80 % les prêts des institutions bancaires consentis aux
13
entrepreneurs, qui est géré en partenariat avec le Ministère des Finances et la
société d’assurance tunisienne Tunis Ré .
Des réseaux et fonds professionnels
Le secteur culturel et artistique a mis en place des réseaux et outils de soutien
a la coopération culturelle pour faciliter les projets internationaux et renforcer
la professionnalisation, notamment par la mobilité . Les opérateurs culturels
tunisiens peuvent notamment bénéficier de financements ou de programmes
de formation de :
• Young Arab Theater Found (YAFT) : crée en 2000, le YATF se met au service
des artistes émergents et indépendants qui résident et travaillent dans le
monde arabe, avec pour objectif a long terme de favoriser et de soutenir la
viabilité de la scène artistique indépendante du monde arabe.
• L’organisation Al Mawred Al Taqafhi : Basée au Liban, elle vise a soutenir la
création artistique dans le monde arabe et a encourager la coopération et
l’échange culturel entre les intellectuels et les artistes dans le monde arabe et
a l’étranger. Elle a contribue a développer la réflexion sur la politique
culturelle de la Tunisie et la formation des opérateurs culturels a travers
l’organisation d’ateliers et de formations.
• The Arab Fund for Arts and Culture (AFAC) : Son objectif est de croiser et
diversifier les financements, préserver l'indépendance financière culturelle et
également d’accroître le nombre de donateurs et d’encourager le mécénat
culturel, encore rare dans la région.
Notons également le Fonds Roberto Cimetta (France, soutenu par la
Fondation européenne pour la Culture), le Fonds Prince Claus et la Fondation
Doen (Pays-Bas), le Safar Fund (Jordanie), l’association Marcel Hicter
(Belgique), ou le réseau Arterial (base en Afrique du Sud), entre autres, qui
soutiennent aussi le développement du secteur en Tunisie, que ce soit par la
mobilité des biens culturels et des artistes ou la formation.
B – La société civile tunisienne
Le terme « société civile » est quasi nouveau en Tunisie. D’ailleurs l’un des
problèmes majeurs dans la coopération euro-tunisienne sous le régime Ben Ali
était le manque des ONG et des associations culturelles puisque la majeure
partie des acteurs culturels tunisiens étaient des sociétés de production a
cause des difficultés qui caractérisent le travail associatif.
Depuis janvier 2011, et suite à la rectification des lois qui concerne le travail
associatif, le nombre a dépassé les 18000 associations en septembre 2015
(IFADA). Cependant, malgré cette croissance des acteurs de la société civile,
la Tunisie vit toujours avec un déséquilibre en terme de nombre d’associations
d’une région à une autre :
Nord Centre Sud
10131 4791 3221
D’après les chiffres d’IFADA (décembre 2015)
14
Les régions de l’intérieur Les régions côtières
6481 11662
D’après les chiffres d’IFADA (décembre 2015)
Les associations culturelles sont classées en deuxième position, derrière les
associations des écoles et d’éducation représentant 18,04% des associations
(IFEDA 2015). Par ailleurs, le nombre d’ONG internationales opérant en Tunisie
ne dépasse pas 129.
La période Postrévolutionnaire a vu se développer de nouvelles structures et
des organismes autrefois minorés voire inexistants. Parmi ces structures nous
pouvons évoquer le cas des ONG et des espaces culturels privés. Leur
nombre est en constante hausse depuis 2011. En effet, il était rare qu'une
association obtienne un visa lui permettant de pratiquer légalement une
activité culturelle ou artistique en Tunisie avant la révolution, ce qui explique
le statut juridique habituel des acteurs culturels tunisiens (entreprises a but
lucratif). La conséquence de cette plus grande permissivité a amené des
artistes avant-gardistes à renouveler les formes et les esthétiques artistiques
tunisiennes en organisant des manifestations de Street art ou de break dance
comme c’est le cas pour le festival « Meeting Graffiti » organisé par
l’association Kif-Kif en mars 2012. Le développement des tags est d’ailleurs
révélateur du renouvellement artistique qu'a amené cette multiplication des
associations. Autrefois sévèrement puni par la loi conservatrice, ce nouveau
mode d'expression a été mis en valeur par de nouvelles expositions.
Le festival de musique du monde « Mousiqa Wassalem » (musique et paix), qui
a vu le jour en 2012 est le meilleur exemple ‘‘d’agitation’’ culturelle, puisqu’il
a regroupé la scène musicale alternative du monde arabe, ce qui est rare en
Tunisie.
Toutefois le nombre en constante hausse des associations artistiques depuis
2012 renforce la disparité Nord/Sud et la centralisation déjà prégnante. En
effet, ces pratiques nouvelles sont en vogue dans les cœurs urbains et sont
inexistantes dans les zones rurales. Un nouvel objectif consisterait à proposer
ces formes esthétiques nouvelles, via une médiation culturelle efficace, aux
personnes qui ne participent habituellement pas à la vie artistique locale. En
effet certains reprochent aux formes traditionnelles leur élitisme et pourraient
manifester un intérêt nouveau et un regard neuf quant aux activités avant-
gardistes que proposent ces nouvelles associations.
Voici quelques exemples de la disparité Nord/Sud :
Centres culturels étranger basés à Tunis
- Centre culturel saoudien.
15
- Centre culturel allemand (institut Goethe).
- Centre culturel belge (wallonne).
- Centre culturel britannique (British Council).
- Centre culturel espagnol (institut Cerventes).
- Centre culturel français (IFT).
- Centre culturel grec.
- Centre culturel italien (Dante Alighieri).
- Centre culturel russe.
- Centre culturel de la ligue des états arabes (ALESCSO).
Espaces culturels indépendants
Nom Ville Région MAD’ART Carthage Nord
AGORA La marsa Nord
CINE VOG Le kram Nord
EL HAMBRA La marsa Nord
ESPACE 77 Gamarth Nord
ETOILE DU NORD Tunis Nord
L’ARTISTOU Tunis Nord
EL HAMRA Tunis Nord
ELMAKHZEN Tunis Nord
ELTEATRO Tunis Nord
MASS’ART Tunis Nord
LANG’ART Tunis Nord
LE RIO Tunis Nord
LE MONDIAL Tunis Nord
LE MAJESTIC Bizerte Nord
MINERVA Sbitla Centre
LE PHOENIX Chemama Centre
CENTRE CULTUREL INTERNATIONAL Kasserine Centre
LA GROTTE DES ARTS- ALTHIBUROS Le kef Nord
THEATRE DE POCHE DU KEF/ ACT Le kef Nord
ETOILE DU NORD Tajerouine Nord
ZANDALA Sousse Centre
KENE Bouficha Centre
HANG’ART Gafsa Sud Source : association Rideau Rouge pour les arts de la scène
16
C - Le cadre public national et institutionnel
Trois instances nationales publiques s’occupent du domaine patrimonial en
Tunisie, sous la tutelle du Ministère de la culture :
La Direction générale du Patrimoine récemment créée, comprend la
Direction de la Sauvegarde et de la Valorisation du Patrimoine,
matériel et immatériel et la Direction des musées.
L’INP de Tunis (Institut National du Patrimoine) est une institution
scientifique et technique (Décret n°26-1609 du 26 juillet 1993) chargée
d’établir l’inventaire du patrimoine culturel, archéologique, historique,
civilisationnel et artistique, de son étude, de sa sauvegarde et de sa
mise en valeur. L’INP entretient des relations de coopération avec
plusieurs organisations internationales concernées par le patrimoine tel
que l’UNESCO, l’ALESCO, l’ICOMOS, l’ICCROM9, entre autres, et est
également engage dans plusieurs réseaux euro-méditerranéens et
relations bilatérales avec des institutions universitaires et culturelles de
divers pays.
L’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle
est quant a elle un opérateur économique avec pour mission officielle
la mise en valeur du patrimoine archéologique et historique et sa
gestion. Elle arrête et exécute ainsi les programmes de mise en valeur
du patrimoine (une soixantaine de sites, monuments et musées),
organise les manifestations a caractère culturel avec les divers 9 - International Council of Monuments and Sites, International Council of Museums, Centre international d'e tudes
pour la conservation et la restauration des biens culturels.
Espaces culturels par région
Nord Centre Sud
17
partenaires, délivre les autorisations nécessaires a l’organisation
d’activités a caractère culturel, ludique ou commercial qui se
déroulent dans l’enceinte des espaces « relevant de sa tutelle. » 10 Sa
mission de mise en valeur patrimoniale connaît en réalité un déficit
structurel de mise en œuvre, en partie du a des problèmes internes de
stratégie et d’organigramme. Le coup porte par les évènements de
2011 au secteur touristique a de plus entraine une baisse importante du
budget de l’Agence, passant de 15 millions de TND en 2009 a 4 millions
en 2014.11
A l’échelon local, sous la responsabilité de l’INP, les inspections régionales du
patrimoine sont chargées du constat et du contrôle continu de l’état du
patrimoine dans chaque circonscription territoriale comprenant plusieurs
gouvernorats.12
Dans la capitale, l’Association de Sauvegarde de la Me dina (ASM) de Tunis
est également très active. Elle se fixa pour objectifs, entre autres, de
réhabiliter l’image de la vieille ville et de redéfinir son rôle dans
l’agglomération tunisoise. (Atelier d'architecture et d'urbanisme et missions
dans la Médina)
Aujourd’hui le secteur patrimonial semble souffrir d’une crise importante, liée
a une carence de spécialistes, de formations universitaires, de juridiction
adéquate ou de moyens financiers suffisants pour une sauvegarde et une
mise en valeur réussie du patrimoine. Une stratégie nationale claire en termes
de législation, de responsabilité institutionnelle et de ligne budgétaire est
attendue.
Le tourisme culturel comme horizon d'attentes
La question n’est pas nouvelle au sein des ministères et a fait l’objet d’études
depuis les années 1990 dont les conclusions restées sans effet sont devenues
rapidement caduques. Il semble que le manque de continuité et de
coopération entre les services des différents ministères, et au sein du même
ministère, ait eu raison de ces velléités politiques. Il est pourtant admis que la
diversité culturelle du pays est une clef de relance pour l’économie
touristique. Nous avons d’une part le tourisme balnéaire, (devenu tourisme de
masse, « bas de gamme »), qui n’est plus rentable, suite aux troubles
sécuritaires des régions du Sud. Par ailleurs, le tourisme de sante
(thalassothérapie, chirurgie esthétique) reste un tourisme de niche. Par
conséquent, le tourisme fonde sur l’exploitation du patrimoine culturel
matériel et immatériel du pays représente l’avenir et un levier de
développement régional et de création d’emplois.
Le cadre public
Au niveau de l’administration publique, l’action culturelle est dirigée par la
10 - Site de l’AMVPPC. 11 - Selon les propos recueillis. 12 - Site de l’INP
18
Direction générale de l’action culturelle (la Direction des études et de la
promotion de l’action culturelle et la Direction des institutions de l’action
culturelle). Parmi ses fonctions, il y a : le suivi du réseau des maisons de
culture, l’inventaire des besoins a l’échelle du pays (national et régional),
l’évaluation des projets (contenus et projets pilote), l’accès a la culture pour
toutes les catégories sociales et tranches d’âge, et l’élargissement de la
participation a la vie culturelle, l’enrichissement des activités culturelles des
Tunisiens vivants a l’étranger13.
Les maisons de la culture ont pour principaux objectifs 14:
Participer a l’essor de la production culturelle nationale par la découverte
incessante de nouveaux talents dans tous les domaines de l’activité
culturelle,
Développer une conscience culturelle et un besoin accru de savoir chez le
public,
Enraciner les gens dans leur environnement en leur faisant découvrir les
multiples facettes de leur histoire et de leur identité .
Cependant les résultats obtenus par les maisons de culture sont loin d’être a
la hauteur des objectifs escomptés15.
Un réseau hétérogène au niveau territorial, statutaire et financier
Aujourd’hui, le réseau national est compose de 211 maisons de culture et de
14 complexes culturels sur 185 délégations, ce qui représente 70,7% de
couverture territoriale (79 sur 264 délégations n’en ont pas). Depuis 1963
(date de la première maison de culture), leur construction reflète les
disparités des modes opératoires. Certaines ont investi des bâtiments
existants, d’autres ont fait l’objet d’études pour leur conception ex nihilo.
Plusieurs statuts, plus ou moins clairs, induisent plusieurs budgets : les maisons
de culture de Catégorie 1 avec un budget de 15 000 TND/an, celles de
Catégorie 2 au budget de 13 000 TND/an, les maisons typiques et les
complexes culturels, plus grands, qui avec un budget annuel de 42 000 TND,
se trouvent dans les grandes villes. En 2013, deux nouveaux projets de
maisons ont été lancés et 10 sont en état d’étude.
Leur gestion administrative et financière n’est pas non plus unifiée, car
certaines dépendent des délégations régionales tandis que d’autres sont
rattachées à des comités culturels. Cependant, une nouvelle législation
prévoit de remplacer celle datant de 198316. En mai 2012, un projet de décret
a été présenté par le MdC, confère le statut d’établissement public
administratif et plus d'autonomie de gestion à ces établissements17
13 - Site du MdC 14 - Document transmis par l’équipe de la Direction générale de l’Action culturelle 15 - étude est encore en cours de validation au Cabinet. Un Expert UNESCO a également réalise une étude sur ces
maisons de la culture, dans le cadre d’une étude plus large sur le thème de « la culture, comme moyen de
développement économique », en 2011. 16 - Cf. Décret n°83-1084 du 17 novembre 1983 portant sur la réorganisation du Ministère des Affaires culturelles, avec
un article concernant les Maisons du peuple et de la culture et de l’animation 17 - A l’occasion d’un colloque national des directeurs des maisons de la culture, organise sur le thème : «
19
Evolution des données relatives aux institutions de l’action culturelle.
Milliers de TND 2008 2009 2010 2011 2012 2013
TOTAL BUDGET ALLOUE 5 182 5 426 6 497 8 069 8 803 8
762
1-MAISONS DE CULTURE
Équipements culturels 900 990 1 090 1 200 1 600 1
700
Équipements fixes 400 400 800 900 1 000 1
000
Équipements informatiques 450 350 350 770 700 511
Entretien 1 200 1 320 1 652 1 800 2 000 2
000
Frais de gestion 2 190 2 324 2 560 3 349 3 453 3
491
2-ADMINISTRATION 42 42 45 50 50 60
En six ans, le budget alloue aux maisons de culture en Tunisie a régulièrement
augmente de plus d’un tiers.
Nbr de
Maisons de
Culture en
2013
%
Gouvernorat avec > 20 : Tunis 26 11,5
Gouvernorats avec > ou = 10 : Monastir-Mahdia-Sfax-
Kairouan-Beja-Le Kef 75 33,4
Gouvernorats avec 10 a 5: Ben Arous-Bizerte-Nabeul-
Jandouba- Sousse-Gabes-Siliana-Medenine-Gafsa- Sidi
Bouzid-Tataouine-Tozeur-Manouba
114 50,7
Gouvernorats avec < 5 : Zagouan-Kebili-Ariana 10 4,4
Total 225 100
Perspectives de l’action culturelle dans le contexte de la transition démocratique », a Monastir, mai 2012
20
L’examen du tableau précédent appelle les remarques suivantes :
Le Grand Tunis abrite la majeure partie des maisons de culture soit 26 et
11,5% de la totalité , confirmant la forte centralisation culturelle de la
Tunisie.
6 gouvernorats abritent 33,4% des maisons de culture soit 75, qui se
situent, hors mis le Kef, sur le bassin côtier.
14 gouvernorats abritent 50,7% des maisons de culture soit 114 et
constitue la forte moyenne du territoire régional accordant entre 5 a 10
maisons/gouvernorats.
3 gouvernorats abritent 4,4% des maisons de culture soit 10, dont le
gouvernorat du Sud Kebili avec seulement 4 maisons de culture, prouve
encore la disparité Nord/Sud du pays.
Des maisons de culture fermées sur elles-mêmes
Comme nous le soulignions plus haut, les maisons de la culture souffrent d’un
grave déficit de fréquentation, surtout des jeunes qui en sont pourtant les
premiers ciblés. On leur reproche un décalage croissant entre
l'environnement social et culturel des jeunes et les activités proposées.
Dans ce sens, un besoin d’études sur les pratiques culturelles actuelles de la
jeunesse tunisienne et des autres publics a été clairement identifie par les
acteurs culturels rencontrés. Les évènements de 2011 ont montré le rôle que
ces maisons pourraient jouer au niveau de la compréhension des libertés sur
la globalité du territoire que nous avons vu très hétérogène. Une ouverture
aux différents partenaires et acteurs du secteur socio-culturel (société civile,
organisations internationales, institutions...), local et national, ainsi qu’une
meilleure utilisation des technologies de communication, leur donneraient les
moyens d’agir plus efficacement dans le tissu social.
Les problèmes de ressources humaines et techniques de ces maisons
Les animateurs culturels ne sont pas assez formés aux spécialités qu'ils
exercent : conception et suivi de projet, communication, travail avec
le public etc., pour répondre aux objectifs.
Le manque d’équipement de son et de lumière, entre autres, mais
aussi d’instruments de musique.
Le manque d’ouvriers spécialisés, agents de l’Etat pour l’accueil du
public et l’entretien des maisons de culture (intérieur / extérieur).
Une mauvaise répartition des ressources humaines.
En 2015, un projet de formation développé par la structure El Mawred El
Thaqafy, basée au Caire, en partenariat avec le ministère de la Culture
tunisien, a permis de favoriser les rencontres entre les directeurs de ces
maisons de culture et les opérateurs culturels et artistes de ces territoires, avec
l’objectif de stimuler les échanges et les collaborations autour de l’utilisation
de ces lieux.
21
4.1 Analyse SWOT du secteur culturel
5 Formation et éducation Le cadre règlementaire régissant le statut des artistes en Tunisie repose
essentiellement sur l’octroi de la carte professionnelle, fondée sur une Loi
n°69-32 datant du 9 mai 1969 et un Décret n°70-141 du 27 avril 1970 « fixant la
composition et le fonctionnement de la Commission de la Profession d’Artiste
». Or tous les genres artistiques ne bénéficient pas d’une carte professionnelle.
Elle existe pour les arts dramatiques (Décret n°89- 397 du 15/03/1989), la
musique et la danse (loi n°69-32 du 9/05/1969). Les artistes, les créateurs et les
Forces Faiblesses Opportunités Menaces
1 – secteur
dynamique
2 – Nombre
important
d’acteurs
culturels de la
société civile
3 – pratiques
culturelles
existantes
4 – infrastructure
culturelle de
base existante
5 – situation
géographique
(ouverture sur
l’Europe, monde
arabe et
l’Afrique)
6 – Histoire riche
pour le
développement
de tourisme
culturel
traditionnel
1-Absence de
structure de
recherche et de
prospection.
2-Manque de
collaboration
Intersectorielle et
Interministérielle.
3-Politique
culturelle en
manque de
stratégie globale.
4 -Manque de
projets à long
terme.
1 - La création
d’une cellule de
prospection du
secteur culturel
public et privé.
2 - La réalisation
d’études
scientifiques et
techniques sur les
mutations
culturelles en
Tunisie.
3 – La création ou
l’appui d’un projet
pour réaliser une
base de données
sur le secteur
culturel en Tunisie
4 – La formation des
cadres du Ministère
aux politiques
culturelles et à la
direction de projets
culturels (stratégie,
management,
Communication)
1 – Manque
d’études
qualitative et
quantitative du
secteur culturel.
2 – Risques de
bouleversements
radicaux de la
société via
l’influence des
financements
directs et
indirects.
22
intellectuels bénéficient avec cette carte professionnelle d’un régime spécial
de sécurité sociale (Décret n° 2003-894 du 21 avril 2003, fixant les procédures
et modalités d’application de la loi n° 2002-104 du 30 décembre 2002 relative
au régime de sécurité sociale des artistes, des créateurs et des intellectuels).
Le taux de cotisation est fixe a 11% d’un revenu dont le plancher est égal a
deux fois le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti18) avec un
régime de 48 heures par semaine rapporte a une durée d’occupation de 2
400 h/an.
Hormis les fonctionnaires, la plupart des artistes travaillant en dehors de ce
système, sans contrat, sans protection sociale et fiscale, instaurent un marche
parallèle et entraînent des questions d’ordre déontologique. Le plus souvent,
les artistes ne connaissent pas le peu de droits qu’ils ont. Par ailleurs, le soutien
a la création est faible dans la politique publique. Les lois anciennes ne
reconnaissent pas les nouvelles formes artistiques (du hip hop a la danse
contemporaine, arts pluridisciplinaires, etc.) et ne permettent pas l’aide a la
première création. Les artistes sont ainsi poussés a chercher, à court terme, le
soutien des organisations internationales ou des privés.
A - Une plate forme pour la cinéphilie.
La FTCC (fédération Tunisienne des Cinéclubs) est une institution tunisienne
reconnue depuis les années 50. Elle fait circuler le cinéma dans les zones
rurales, les écoles, les maisons de culture grâce a des « ciné-bus ». Aujourd’hui
nombreux sont les cinéastes qui se forment dans les écoles de cinéma locales
(ou a l’étranger), dans les deux écoles publiques, l’ISAC et l’ISAMM (Institut
supérieur des Multimédias de La Mannouba) et les 3 écoles privées, l’ESAC,
Ecole supérieure de l’Audiovisuel et du Cinéma de Gammarth, l’EAD, Ecole
d’Art et de Décoration créée en 1993, et l’EDAC, Ecole des Arts et du
Cinéma. Seuls 39 clubs perdurent en 2014.
Du côté de la création, en 2011, le ministère a reçu 108 projets de films
candidats pour être sélectionnés par la commission d’aide a la production,
contre une quarantaine l’année précédente. En dépit des blocages, la
créativité des jeunes cinéastes n’a pas faibli.
B - Le manque de formations aux métiers de la scène.
L’ISAD offre une formation a l’art du comédien à théorique et pratique après
le bac, avec une sélection sur concours. Une licence appliquée aux arts de
la marionnette est en cours d’élaboration pour septembre 2014 (en
partenariat avec le Centre national des Arts de la Marionnette). Un projet
d’Ecole d’application des Arts scéniques ou master professionnel est prévu
pour la rentrée 2014, porte par le TNT et l’ISAD Tunis, en partenariat avec l’IFT.
Pour répondre au manque de formations locales dans les arts et métiers de la
scène et de recherche théâtrale, et a la difficulté d’aller se former a
18 - En juillet 2012, le SMIG est passe de 300 a 320 TND par mois. Le salaire annuel moyen en Tunisie, selon les chiffres
du Ministe re des Affaires sociales, en 2012, est de 6 535,4 TND, soit 544 TND par mois.
23
l’étranger, le Théâtre El Hamra a lance avec le « Centre arabo-africain de
formations et de recherches théâtrales » trois niveaux de formations axés sur
l’art dramatique, la dramaturgie et la mise en scène, ouverts a des candidats
du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest et du Monde arabe. Depuis 13 ans, le
centre a forme 317 artistes, operateurs culturels et techniciens.
A l’heure actuelle, il n’y a pas de formation publique en mise en scène,
scénographie ou écriture dramatique en Tunisie.
Pour les arts dramatiques, l’accès a la profession est conditionne a certains
critères : le demandeur de la carte doit être un artiste ou un technicien
professionnel ; il doit être titulaire d’un diplôme supérieur en arts dramatiques
ou avoir une expérience professionnelle d’au moins cinq productions
théâtrales professionnelles ; et le théâtre doit être son unique moyen de
subsistance.
C - le livre
La formation aux métiers du livre est assurée par l’Institut supérieur de la
Documentation de Tunis (formation en documentation, bibliothéconomie et
archivistique) et une licence est délivrée a Sfax, dont le master reste encore
en projet. Le Centre africain de Formation a l’Edition et a la Diffusion
(CAFED)19 est notamment base a Tunis depuis 1991 et bénéficie depuis sa
création du soutien de la Francophonie.
D - les formations en musique et danse
Les ISM (Instituts Supérieurs de Musique à Tunis, Sousse, Sfax, le Kef, Gabès,
Gafsa) sont désormais sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement supérieur
et de la Recherche et donc soumis a la réforme LMD pour s'adapter aux
standards européens. De l’avis des acteurs rencontrés, le niveau général a
beaucoup baisse durant l’ère Ben Ali. La plupart des étudiants sortant
trouvent des postes dans l’enseignement artistique.
Au CMAM (Centre des Musiques arabes et méditerranéennes) et a l’ISM Tunis,
des formations ponctuelles a l’appui de master class et d’échanges sont
également délivrées grâce a des partenariats avec des institutions ou les
services de coopération des Etats Membres. Par ailleurs, faute de formation
musicale professionnelle, les étudiants sont souvent amenés a partir a
l’étranger.
E - art et design
D’après les professionnels rencontrés, la formation en art et design en Tunisie,
bien qu’assise sur une vingtaine de structures publiques et privées, pâtit d’une
formation trop théorique ou académique.
F - Formation en médiation culturelle /gestion de projets/ politiques culturelles
Trois expériences académiques ont été mises en œuvre en termes de
formation en médiation et en management culturel en Tunisie :
19 - CAFED est un programme de formation permanente dans les me tiers du livre dont le principal objectif est de
contribuer a doter l’Afrique francophone de cadres autochtones compe tents pour promouvoir une production
endogène du livre, en particulier le livre scolaire.
24
La première formation dans les métiers du management culturel en Tunisie a
vu le jour en septembre 2005 à l’institut supérieur d’art dramatique de Tunis,
elle était destinée à former des directeurs de production pour le théâtre ainsi
que dans le domaine de l’événementiel. Malheureusement, cette
expérience a pris fin en juin 2010 suite aux divers problèmes d’insertion sur le
marché de travail.
Une autre expérience a pris le relais à l’institut supérieur de la musique sous
forme d’un master professionnel en management culturel, cette formation
universitaire existe encore.
La troisième formation académique est celle de l’institut Bourguiba, en
médiation culturelle. Cette dernière vise à former des médiateurs pour les
galeries d’art ainsi que le tourisme culturel.
Par ailleurs, le nombre d’étudiants en médiation culturelle par rapport au
nombre total d’étudiants en art ne dépasse pas le 5% (échantillon ISAD Tunis
en 2010).
A coté de la formation académique tunisienne, l’IFT et le Goethe institut
organisent tous les ans des formations pour les jeunes managers culturels.
En ce qui concerne le marché du travail, la plupart des espaces culturels sont
dirigés par des artistes et non pas par des administrateurs. Par ailleurs, les
activités confiées aux gestionnaires culturels sont généralement redondantes,
standardisées et réduites au strict minimum (Réseau virtuel, réseaux sociaux,
affiches, articles de journaux, passage à la télé ou à la radio) d’ou la décision
de réduire l’effectif et se limiter au staff technique qui est primordial pour les
structures d’art vivant. De fait, les opportunités en termes d’employabilité
semblent a priori assez faibles.
Par ailleurs, peu d'actions culturelles sont mises en œuvre pour promouvoir le
produit artistique (travail avec les scolaires, ateliers pratiques, intervention de
l'artiste dans un cadre extra-théâtral, conférences dans des lieux non
théâtraux...) ce qui limite le marché du travail aux institutions publiques
(ministère de la culture) et aux espaces prives qui n’ont pas de budget pour
recruter.
G - Formes artistiques alternatives ou émergentes
Certains modes d’expression artistique sont apparus ces dernières années,
encouragés par le contexte de libération « postrévolutionnaire » et les
nouvelles problématiques soulevées. Le Groupe d’Intervention du Théâtre de
l’Opprime (GITO) a choisi de jouer dans les villages ou les régions délaissées
du pays pour aller a la rencontre des populations éloignées de l’art. Dans le
même sens, l’association tunisienne des Diplômes et des Instituts d’Art
dramatique de Tunis et du Kef, créée en mars 2011, poursuit une mission de
laboratoire théâtral dans les régions marginalisées du Nord et du Sud de la
Tunisie.
Cette implication passe aussi par l’occupation de l’espace public jusque la
confisque par l’Etat. On a assiste , surtout de 2011 a 2013, a une explosion de
formes, photographies, graffitis, danse, performances, textes, surgissant dans
25
la rue, devenue a la fois nouvel espace de représentation et lieu d’expression
démocratique.
Le projet Dream City monte par l’association Art Rue est a ce titre exemplaire.
Ses ambitions artistiques et culturelles enlevées ou soulevées n’en sont pas
moins politiques et sociales, cherchant a sonder les transformations en cours
de l’histoire tunisienne. Ce festival multidisciplinaire d’art contemporain
installe quelques jours dans la Me dina de Tunis « fait le pari de la proximité , du
territoire, de l’Art pour tous, de la jonction magique entre les catégories
sociales. », comme l’intitule son édito. Le public est invite à déambuler et a
découvrir ou a participer a des œuvres d’artistes tunisiens et internationaux
dans les espaces extérieurs et intérieurs de la vieille ville.
6 Pratiques non professionnelles et publics Les événements de 2011 ont modifié l’échiquier national en faveur de la
société civile qui a connu un mouvement de libération sans précèdent. On a
pu constater une libération de la parole, de l’expression et une effervescence
dans certaines activités culturelles de portée nationale et internationale,
notamment a travers les festivals, les nouveaux lieux culturels ou de projets «
alternatifs » portés par une société civile jeune suscitant une demande
accrue des publics. Le diagnostic sur la sociétés civile Tunisienne élabore
dans le cadre de la mission de formulation du programme d’appui a la
sociétés civile en Tunisie20, commande par l’UE en mars 2012, témoigne de la
profonde transformation que la révolution de 2011 a provoque dans la «
société civile ».
Les procédures administratives de création d’une association ont été
considérablement simplifiées depuis 2011. Parmi les organisations de la
société civile qui existent en Tunisie, 70% sont considérées comme des «
associations culturelles » ou étant actives dans le secteur culturel.
En revanche, le tissu associatif souffre de son atomisation et de sa grande
disparité sur le territoire tunisien avec Une forte concentration des
associations culturelles dans le gouvernorat de Tunis.
Par ailleurs nous pouvons rajouter à l'absence d’accessibilité des formes
artistiques en régions, la faible présence des productions tunisiennes sur la
scène internationale. D'après l’artiste et chercheur Mohamed Ben Soltane, «
la Tunisie enregistre une absence notable sur la scène régionale et
internationale par rapport a ses voisins marocains, algériens et égyptiens»21 .
Feryel Lakhdar, quant à elle, affirme que les artistes tunisiens ont du mal a «
affronter un monde de l’art contemporain international difficile a percer et
dont ils ignorent les codes et les usages »22 .
20- http://eeas.europa.eu/delegations/tunisia/documents/projets/rapportdiagnostic_stecivile_mars2012_fr.pdf 22 - Mohamed Ben Soltane, «Art en Tunisie: vers une visibilite en devenir», tunisieartsgalleries.com, septembre 2010.
23- ibid.
26
A- Le cinéma : des problèmes d’exploitation et de distribution
Actuellement, seulement 25 salles de cinéma sont encore en activé en
Tunisie, contre environ 200 dans les années 70. Certaines ont une jauge
extrêmement limitée et sont donc peu exploitables. Cette très forte
diminution est due a des multiples facteurs relatifs a la désaffection du public.
Notons, en premier lieu, une programmation en décalage par rapport aux
sorties internationales et la concurrence d’internet et du piratage. En second
lieu, le public déplore la mauvaise qualité de projection, le manque de
confort des salles et la disparité artistique entre Tunis et les autres villes. Face à
la désertion des salles, et la chute des recettes de guichets le marché
cinématographique peine à financer la production. Par conséquent, les
producteurs tunisiens sont contraints de réunir 65% de leurs budgets. Pour
répondre a cette situation, une relance de la production a été initiée en 2009
par le MdC, mais a dû s'interrompre face à l’instabilité politique qui a suivi.
Les nombreux festivals de cinéma sont tre s fréquentés ce qui peut sembler
paradoxal au vu de ce qui a été dit précédemment. Parmi les plus grands
festivals, on peut noter : les Journées cinématographiques de Carthage, le
Festival international de Hammamet, le Festival du film documentaire a « Doc
a Tunis », le Festival d’Ulysse Films internationaux, a Djerba, le Festival du
Printemps de Sousse, le Festival de Cinéma amateur de Kelibia qui attire plus
de 2 000 spectateurs par soirée.
B - Une forte demande des publics
Pour répondre a une forte demande des publics, les acteurs rencontrés ont
tous évoqué le besoin d’espaces théâtraux nouveaux et bien équipes.
Malgré le nombre de festivals théâtraux, internationaux, nationaux, et
régionaux (pas moins de 300 dans tout le pays), avec le plus connu, les
Journées théâtrales de Carthage qui a plus de 30 ans, l’offre est insuffisante
dans les régions.
C - La baisse de fréquentation des musées
De récentes statistiques ont montré une baisse de fréquentation des musées
par le public étranger et local. Ce secteur marque un déficit en personnel et
ne pratique pas de véritable politique stimulante manque d'où une
attractivité réduite. Habib Ben Youne s directeur de la division de
développement muséographique a l’INP se déclare pour « une réforme de la
gestion des muse es et la promulgation d’un décret spécifiant surtout la
nature des collections, l’autonomie des ressources financières du secteur et la
création de nouveaux postes d’emploi23 ». Le musée du Bardo, fameux pour
l'ampleur de sa collection a été l'objet d'un programme de rénovation de
2009 à 2012, avec les musées archéologiques de Sousse et de Djerba, en
collaboration avec la Banque Mondiale. Malgré sa réorganisation, le nombre
23 - He la Hazghi, « Les musées tunisiens. Conférence de Habib Ben Youne s a Art’Libris. Encore du pain sur la
planche. », dans tunisiartgalleries.com, 7 mars 2011.
27
de visiteurs a baissé depuis 201124.
D - Un faible taux de lectorat
Malgré une forte progression des taux de scolarisation (99% pour les 6-11 ans
en 2013 selon l’INS) et une amélioration générale du pouvoir d’achat en
Tunisie, les habitudes de lecture ne sont pas ancrées dans la population.
Selon l'enquête nationale « Le Tunisien, le livre et la lecture », réalisée par le
MdC en 2010. 22,74% des tunisiens n’ont jamais lu de livres, 77,26% ont lu un
livre et 31,88% ont lu un livre en 2009. Les lecteurs sont surtout des jeunes et les
lectrices sont plus nombreuses que les lecteurs. La principale raison avancée :
le manque de temps. De plus, l’orientation de la population scolarisée est de
plus en plus tournée vers les sciences et techniques au détriment des lettres et
des sciences humaines. Par ailleurs, seuls 13,15% des Tunisiens interrogés dans
l’enquête du ministère de la culture déclarent lire à la bibliothèque, car elles
sont souvent considérées par les étudiants comme des lieux de révision. Un
réseau de 384 bibliothèques publiques en 2012 couvre la quasi-totalité du
territoire national, offrant plus de 34 000 places et 7,4 millions d’ouvrages.
E - Secteur musical en ébullition
L’engouement des jeunes pour les musiques actuelles (hip hop, rock, reggae,
électronique...) est tel que de nouveaux bars-concerts apparaissent25 et de
nouveaux événements voient le jour au niveau régional, national 26 ou
international. 27 Les circuits parallèles et les réseaux sociaux ont servi de
tremplin a l’éclosion de ces acteurs de la musique « alternative » tre s
populaire chez les jeunes générations. Le manque de lieux de répétitions et
d’enregistrement est aujourd’hui de plus en plus manifeste.
7 Conclusion et recommandations Les principales difficultés que rencontrent les artistes tunisiens dans leur travail
sont liées à la précarité de leur situation économique et sociale. La crise
politique et les difficultés économiques actuelles ont conduit à une réduction
importante des dépenses publiques. On a pu constater précédemment une
absence de débouchés, à cause d’une étroitesse voire d’une absence du
marché dans certains domaines : les arts plastiques, le cinéma, etc. Une autre
difficulté pour les artistes est de conserver leur liberté, y compris à l’égard de
ceux qui les parrainent (l’État ou les privés). Ce manque de débouchés
pourrait être comblé via des actions culturelles ou en croisant le secteur
artistique avec d’autres domaines (travail avec des établissements
24 - Le pic de fréquentation a été de 600 000 personnes en 2005. en 2011, l'année de la révolution, seules 130 000
personnes sont venues. Voir l'article : « le nouveau musée du Bardo ouvre ses portes », dans La Presse, 18 mai 2012. 25 - dans la banlieue nord de Tunis, le club électronique le Plug, le Pub rock Plug, le Bungalow, le Carpe Diem. 26 - parmi des initiatives récentes : Festival international des Percussions du Monde a Sousse, le concert de Anouar
Brahem au Kef, Festival de l’Herbe, Mousiqa Wassalem-Rencontre Internationale de Musique alternative de
Carthage, Festival l’Angar. 27 - Les Dunes électroniques organisées par une équipe franco-tunisienne sur le site de Star Wars a Nefta, a attire 10
000 personnes en 3 jours en février 2014.
28
scolaires…). Aussi, les appels à projets peuvent générer une offre et un moyen
de subsistance des artistes tout en élargissant la portée de leurs travaux et
leur rayonnement.
Culture et secteur prive :
Les journées d’études de mai 2013, consacrées aux entrepreneurs culturels et
aux industries culturelles au Maghreb 28 , ont souligné que les industries
culturelles ont été longtemps inexistantes et restent pour l’heure, souvent, au
stade artisanal. Certaines des raisons générales avancées sont « le sous-
développement économique de la région ; manque de structuration des
marchés de la culture et prix élevé, par rapport au pouvoir d’achat local, des
produits culturels ; mainmise, après les Indépendances, de l’État sur les
médias et l’édition, en particulier scolaire ; censure forte et tatillonne dans le
domaine de la production et de la diffusion des biens culturels ; législation
déficiente du droit de la propriété intellectuelle ; carences des politiques
publiques de la culture... ». En tout cas, trois grands types de risques sont : le
risque commercial, la précarité des entreprises du secteur, et la gestion des
droits et le piratage29.
En plus des mesures des répercussions économiques de la culture, il est utile
d’analyser les corrélations entre la « consommation » de la culture et la
participation à la collectivité et le capital social. La culture qui touche
principalement une élite intellectuelle et sociale pourrait contribuer à la
cohésion sociale entre les consommateurs. La création de réseaux renforce
la collectivité, l'identité nationale ou la « connectivité », « l’interaction » : c'est
ce qu'on appelle les avantages économiques indirects (non mesurés par le
marché).
Ces effets fonctionnels, qui reflètent l’incidence de la culture sur la vie et
l’évolution de la société , sont encore peu connus dans leurs natures et leurs
portées ; la recherche tente de créer des outils analytiques permettant de
déterminer la dynamique sociale qui contribue a l’exclusion ou favorise
l’inclusion des personnes dans la société et d'évaluer les corrélations entre les
avantages individuels et collectifs de la participation culturelle. Dans le
contexte européen et international, il est entendu que la culture est un
élément clef et d’une approche localement sensible au développement30.
En revanche, la société civile tunisienne joue un rôle important et contribue à
la vie culturelle « post révolution ».
Le nombre d’actions et de projets portés par des acteurs privés et
indépendants a dépassé les attentes malgré le manque des financements
28 - 24-25 mai 2013, Carthage, organisées par l’Université Paris 13 (Labsic/Labex ICCA), l’IRMC, l’IFT et l’IHEC (Institut
des Hautes Etudes commerciales de Carthage), en partenariat avec l’IFA d’Algérie, et l’IFM du Maroc 29 - Utilisation de fonds de garantie pour la promotion du financement des entreprises culturelles, de Patricio Jeretic,
Agence intergouvernementale de la Francophonie, p.14. 30 - « Study on projects using cultural expressions as a lever for employment, human rights, democracy and other
human development areas », Contract N°2011/281035/1-FWC COM 2011 – Lot 1 – Studies and Technical Assistance
in all Sectors, 18 mars 2014.
29
public et ne fait qu’accroître les ambitions et pousse les jeunes à croire de
plus en plus dans le rôle de la culture comme facteur primordial de
changement et d’amélioration des conditions de vie.
Ces initiatives ont favorisé la création artistique et ont donné naissance à de
nouveaux espaces culturels de toute forme, comme l’espace 77 dans la
banlieue de Tunis avec 1200 m2 dédiés aux arts de cirque dont l’inauguration
a eu lieu le 16 janvier 2016. Des nouvelles formes d’expressions basées sur les
réseaux sociaux et professionnels ont émergé et la production tunisienne est
dynamique. La période postrévolutionnaire a vu se pérenniser des disciplines
artistiques déjà en vogue (productions théâtrales, cinématographiques et
chorégraphiques en constante hausse) et elle a en même temps vu se
développer des esthétiques, des formes et des modes d'expressions
nouveaux (des manifestations de street art, la vague du break dance, les
tags...).
Toutefois la branche culturelle demeure fragile en Tunisie. Cela peut
s'expliquer en partie par cette volonté qui consiste à étendre et rendre
accessibles les œuvres artistiques au plus grand nombre. Cela a abouti,
durant les années 1960, à la création de 225 maisons de la culture. Toutefois,
ces institutions souffrent aujourd'hui d'un flagrant manque d'image. Leur
couverture budgétaire est insuffisante pour leur juste entretien. Leurs
équipements (projecteurs, équipement son et lumière...) est insuffisant pour
garantir la production et la diffusion artistique. Leur image est ternie pour
sensibiliser les masses à découvrir de nouvelles esthétiques. En résumé les lieux
créés dans le but de restreindre la disparité Nord/Sud, et d'utiliser les
disciplines artistiques comme mode d'enseignement, de sensibilisation et
d'éveil culturels sont en réalité délaissés et éloignés de leur but originel.
Actuellement, la centralisation demeure trop prégnante et les tentatives
visant à élargir la culture au plus large public se sont avérées soit peu
concluantes, soit inaccomplies. L'objectif actuel serait de les catalyser en leur
offrant un intérêt renouvelé, une main d'œuvre plus grande, et un budget
conséquent.
D'autres raisons expliquent également cette trop grande fragilité du secteur
culturel tunisien. Nous pouvons à ce propos rappeler la carence dans
l'application des lois concernant la propriété intellectuelle. En effet celles-ci
ne garantissent pas le respect des droits d'auteurs. En plus du peu de
ressources humaines et financières de l'OTPDA (organisme tunisien de
protection des droits d’auteurs), cette situation a conduit au désistement des
entreprises et industries culturelles privées, à l'absence notable d'un réel
marché de la musique puisqu'il n'y a pas de lois garantissant la juste
exploitation des œuvres. Aussi le piratage récurent des œuvres est une
conséquence directe de cette défaillance.
Par ailleurs, notons pouvons souligner un réel manque d'efficacité des
formations artistiques qui, de l'avis des personnes interrogées, donne la
primauté aux réflexions théorique en négligeant l'apprentissage par l'exercice
30
pratique. C'est ce qu'affirme Mohamed-Ali Kammoun en déclarant, à propos
des formations professionnelles de la musique que « l’enseignement de la
musique en Tunisie encourage plutôt les formes occidentales écrites et a
tendance à négliger les pratiques actuelles ». Par ailleurs, ces formations sont
aussi peu nombreuses que diversifiées. Notons le cas des formations
dramatiques qui se limitent à l'ISAD (à Tunis et au Kef). Par conséquent, un
grand nombre d'étudiants se forment à l'étranger en justifiant leur choix par
l'effectif trop important des institutions de formations Tunisiennes ou en
reprochant aux dites institutions leur faible diversité de formations. Certaines
formations sont au contraire inexistantes et font l'objet de vives
recommandations des professionnels. C'est le cas des métiers du livre qui,
faute de formations adéquates, ne sont pas déterminés, définis ou délimités
et se focalisent trop sur l'optique de la rentabilité.
Enfin les échanges et formations entre les institutions tunisiennes et
internationales constituent un objet de perfectionnement, de diversification
et de renouvellement de l'enseignement artistique tunisien.
S'il est difficile d'accéder à une bonne formation artistique, l’insertion
professionnelle l'est tout autant. Cela est conforme à une situation et un
contexte global que rencontre la Tunisie depuis la révolution. En effet, en
2014, 31,9% des chômeurs sont des jeunes diplômés. Par ailleurs, une fois
munis de sa carte professionnelle, l'artiste ne bénéficie aucunement d'un
régime d'assurance chômage. Aussi l'état ne procure pas d'aides à la
première création, obligeant les nouveaux artistes à trouver par eux mêmes
les moyens de leurs productions. Cela ne leur donne aucune garantie quant
à leur pérennisation et à leurs moyens de subsistance futurs.
Par ailleurs, l'état ne reconnaît pas l'émergence de nouvelles formes
artistiques (Hip-hop, street art.…) et se montre peu disposé à les
subventionner ou les encourager. Cette reconnaissance est pourtant
nécessaire, voire primordiale afin de garantir une émergence artistique, un
renouvellement des formes et surtout la garantie pour chaque artiste de ne
pas avoir à subir des critères esthétiques et génériques de sélection. L'initiative
indépendante doit être soutenue par l'état ce qui permettrait aux artistes de
l'avant-garde de ne pas avoir à chercher leurs moyens de productions
auprès des promoteurs privés en n'ayant aucune garantie quand à leur
subsistance future.
Enfin la médiation culturelle doit offrir un accompagnement efficace du
public afin de lui faire prendre conscience de cette diversité artistique
postrévolutionnaire. Cet accompagnement doit répondre à un double
objectif : En plus de fidéliser le public habituel, il doit se tourner vers le non-
public et réduire le nombre de tous ceux qui se disent non-concernés par ces
modes d'expression. La publicité demeure encore trop peu exploitée. À titre
d'exemple, nous pouvons citer le secteur du livre en Tunisie qui n'affiche
aucune campagne de promotion ou d'affiches publicitaires. Aussi le réseau
virtuel est à promouvoir puisqu'il s'est déjà avéré efficace quant à sa
31
capacité indéniable à sensibiliser et interpeller le plus grand nombre. Les
plateformes numériques peuvent être un moyen efficace pour rendre les
œuvres plus accessibles, ce qui réduirait le problème de la distance et de la
disparité Nord/Sud. En effet le numérique représente un axe, encore peu
exploité, capable de faciliter l’accès à l'art via la reproductibilité technique
et pourrait devenir un pilier de la décentralisation.
Pour conclure, l’avenir de la culture en Tunisie s’avère prometteur avec les
acteurs indépendants qui ne cessent de se multiplier malgré la conjoncture
économique et politique difficile et notamment dans les régions
défavorisées. En effet, l’un des objectifs postrévolutionnaires est d’étendre le
rayonnement culturel vers ces régions défavorisées. Il s’agit de développer les
publics et d’œuvrer pour une véritable démocratisation de la culture afin
sortir de son cadre élitiste.
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