Culture dentreprise un actif stratgique

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Cultu re Olivier DEVILLARD Dominique REY d’entrepr ise : un actif stratégique Efficac ité et

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Culture

Olivier DEVILLARD Dominique REYdentreprise :un actif stratgique

Efficacit et performance collective

Culture dentreprise :un actif stratgique

Olivier DEVILLARD Dominique REY

Culture dentreprise :un actif stratgique

Efficacit et performance collectiveDES MMES AUTEURS

DEVILLARD O. et REY D, Piloter la stratgie par la culture dentreprise,Les chos tudes, 2007.

DEVILLARD O., Coacher, 2e d., Dunod, 2005.

DEVILLARD O., Dynamiques dquipes, 3e d., ditions dOrganisation, 2004.

Pour contacter les auteurs : [email protected] [email protected]

.

Dunod, Paris, 2008ISBN 978-2-10-053588-0TABLE DES MATIRES

Remerciements1

Introduction3

Ltonnante tranget de la culture dentreprise3

La culture est un objet stratgique3

La culture, sujet de toute crise4

Entretenir sa forme, assouplir sa culture4

Guide de lecture5

PARTIE ILA CULTURE DENTREPRISE

1Portraits de culture11

Auchan13

AFP21

Microsoft28

Renault35

2La culture dentreprise, dterminante et invisible43

Les cinq grands organisateurs de linfra-culture47

Les croyances47

Les valeurs49

Les empreintes54

Le cur de mtier60

Le lien social61

Le mode opratoire culturel65

Le dsir de normes66

Les catgories de normes67

Les normes et les pratiques73

3Les logiques fondatrices de la culture dentreprise77

Lorientation individuelle ou communautaire de la culture78

La relation lincertitude80

VI CULTURE DENTREPRISE

Relation la puissance84

Modes de raisonnement89

Le rapport au monde et lextrieur93

Le dosage humain-production100

Conclusion105

PARTIE IILA CULTURE, FACTEUR CL DE PERFORMANCE

4La culture, support de lefficacit oprationnelle109

La culture dentreprise, source dconomies110

Lefficacit collective, entre coopration et comptition115

Du cloisonnement la transversalit : un chemin trouver117

Lorsquune culture cote cher129

La place laisse au client132

La culture est la source du management134

5Un dterminant des dcisions stratgiques141

Comment la culture influence les dcisions stratgiques143

Un rpertoire de solutions toutes faites146

Comment les dirigeants endossent la culture147

Le refondateur et sa nouvelle stratgie148

La qualit des relais et des systmes dinformation149

6Un facteur dattraction des talents151

De riches interactions151

Un appui pour la professionnalisation155

Les qualits mergentes156

PARTIE IIIUN ACTIF GRER

7Le point aveugle dune culture161

Lhomostasie de la culture162

Le point aveugle est lombre de la culture166

La complexit du point aveugle171

Dunod. La photocopie non autorise est un dlit

8Table des matiresLa limite de validit dune cultureVII173Le vieillissement de la culture dentreprise176Ce qui fait la russite dune entreprise peut aussi causer sa perte178Entreprise performante et usure de la culture179Leffet de choc dans la conduite des changements1809Un actif stratgique grer ?183Limpratif dadaptation183Cultures fortes, cultures volutives188Culture dentreprise et management interculturel19310Fusions-acquisitions :comment russir (ne pas) chouer201La culture en premire ligne des fusions-acquisitions202Des pertes de repre pour les salaris206Le choc des cultures209Pourquoi la culture dentreprise nest pas priseen compte ds le dpart dune fusion-acquisition213Comment se donner les meilleures chances de russir ?21511Un actif stratgique, composante de la valeur221Les facteurs culturels plus forts que les facteurs conomiques222Sensibilit de la profitabilit et de la valeur des styles culturels222Le cot des checs stratgiques224Ce quapporte et conomise une culture pertinente225Coclusion : Et aprs ?Une bote noire dmystifier229229Manager la culture231Des mthodes systmiques et dynamiques232Leadership et mthodes dynamiques233Un pivot pour faire levier234Un capital immatriel235Bibliographie237Index243n

Nos remerciements vont Isabelle Andr sans laquelle cet ouvrage ne serait pas compltement ce quil est. Merci pour ses recherches et inter- views, merci pour ses relectures et rcritures.

REMERCIEMENTSOlivier Devillard Dominique Rey

LTONNANTE TRANGET DE LA CULTURE DENTREPRISE

a culture dune entreprise a cette trange qualit dtre la chose la plus partage et la moins formalise. la fois le bien le plus commun

L tous et celui qui nest dcrit nulle part. De plus, ce qui en est parfois crit nen constitue quune toute petite partie et reprsente souvent plus un dsir de la direction gnrale ou de la direction de la communication quun vrai reflet de la ralit.Dans ce monde qui ne se reconnat que dans la formalisation, linfor- mel nous chappe alors quil constitue la vraie diffrenciation par rapport aux concurrents ; et lune des raisons de ladhsion ou de la non-adhsion du march et des collaborateurs.Ensemble des faons de penser et dagir, ensemble de normes, de rgles explicites ou implicites, systme de cohsion et de cohrence, la culture est la partie immatrielle du capital ; cest le capital immatriel de lentreprise au mme titre que la marque. Au-del de la valorisation des actifs et des technologies, cest elle qui constitue la valeur active relle de lentreprise.Comme liceberg, la culture se voit peu. Mais comme pour liceberg, ce qui merge est surdtermin par tout ce qui nest pas ou peu apparent : lhistoire, les caractristiques du fondateur, le contexte culturel initial (professionnel ou national), les valeurs oprantes, les croyances collectives, cest--dire un ensemble dvidences partages. Ce quon voit, en revan- che, sont les manires de faire, le style de lentreprise, le climat, lorganisa- tion, le systme de rgles, cest--dire le mode opratoire culturel.

LA CULTURE EST UN OBJET STRATGIQUE

4CULTURE DENTREPRISE moins den rester penser que la culture dentreprise se rsume aux valeurs affiches par la direction dans les salles de runion, on doit lenvi- sager beaucoup plus rsolument comme un levier de fonctionnement, un outil de diffrenciation et un moyen de cohsion.

cette condition, elle offre un surplus de performance qui rsulte de la capacit de coopration ou dmulation, du sens de linitiative et de lautonomie, de lengagement personnel et de lefficacit collective, autant daspects largement tributaires de la culture. une poque ou les mots dordre sont dveloppement, prise de risque, subsidiarit, prennit, diversit, la culture de lentreprise et les sous- cultures locales ou professionnelles qui la composent, deviennent des objets stratgiques de pilotage.Des objets qui gagnent tre tudis et, dans la mesure du possible, adapts.

LA CULTURE, SUJET DE TOUTE CRISE

La culture adhre au pass. Sous-estimer cette adhrence, cest soit voir un tat de dysfonctionnement perdurer au-del du temps ncessaire au chan- gement, soit devoir recourir des mthodes de changement trop expditi- ves et donc traumatisantes pour lavenir.Systme subtil, la culture assure la stabilit et lquilibre de lentreprise par de continuelles compensations. Cest la raison pour laquelle la conduite du changement est en gnral si difficile ou si longue. Quon aille trop loin dans un sens et un contre-changement se met en place de lui-mme ou une opposition se cre. Quon mette en place, par exemple, des process trop entachs dune culture nationale forte et les avantages de la diversit fileront entre les doigts, en gnant certaines implantations dans le monde ou le recrutement de dirigeants locaux.Cest pourquoi la culture est toujours ce qui rsiste au changement. Cest son rle que de maintenir ensemble les lments qui font lentreprise. Elle rsiste donc, par fidlit aux formes patines par le pass ( on a toujours fait comme a et a a march ), lagression que constitue pour elle une volution dans laquelle elle craint de perdre son me. Aussi, si lon souhaite obtenir des rsultats rapides, il devient ncessaire de se pencher sur les endroits o lvolu- tion risque de heurter lactif culturel de lentreprise.

ENTRETENIR SA FORME, ASSOUPLIR SA CULTURE

Quand on a ce privilge de pouvoir comparer des cultures, on constate rapidement que certaines sont souples et ouvertes alors que dautres sont

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rigides, fermes ou trop centres sur un seul aspect de lentreprise (leader, production de niche, etc.). En revanche on mesure toutes les adaptations continuelles que doit insuffler une entreprise sa culture quand elle est en croissance. La mondialisation actuelle en donne des exemples chaque jour. On mesure comment des entreprises comme Renault, Thals, Danone sont pousses continuellement assouplir leur culture pour passer dun stade un autre.Cependant, la fois ces entreprises changent et demeurent. En fait tout se passe comme si les spcificits culturelles persistaient tout en souvrant. Renault qui dit avoir appris de Nissan le bien-fond dun fonctionnement par process rigoureux, accepte dy entrer condition de pouvoir se dire que ces process doivent rester assez souples pour pouvoir changer chaque jour. Oui au process, non la rigidification ! Cest--dire que les process eux-mmes, maintenant accepts, doivent pouvoir tre continuellement remis en question et remplacs par dautres, mieux adapts.La culture est un construit si complexe et tellement en rapport avec la performance globale, que lon peut se demander si elle ne mriterait pas un poste corporate de vice-prsident ! Qui, dans lentreprise, mesure et anticipe les effets de la stratgie sur les hommes, de lactionnariat sur lorganisation ou le climat, de certaines volutions sur le niveau dengage- ment des collaborateurs ? Qui prend soin, dans une fusion ou un rachat, de ne pas laisser perdre lactif culturel de lentreprise rachete, vitant ainsi de la voir vide de sa substance au bout de deux trois ans ? Qui mesure les volutions et les formes de la culture, anticipe les conflits entre le systme dordre (faon habituelle de la culture pour maintenir son quili- bre) et de nouvelles rgles, mal comprises ? Qui stimule ou facilite lassou- plissement, llargissement de la culture et pilote les changements dattitudes qui, seuls, conduisent des changements rapides de comporte- ments ou de pratiques ?

GUIDE DE LECTURE

Cet ouvrage est partag en trois parties : une premire qui tente de donner une reprsentation de la culture dentreprise et des lments qui la composent et la diffrencient.

6CULTURE DENTREPRISEUne seconde partie analyse les effets, sur la cohrence de laction collec- tive et la performance oprationnelle, ainsi que sur les enjeux stratgiques, des diffrents traits qui la caractrisent.

La troisime montre comment le modle de russite culturel dune entreprise peut soit voluer, en phase avec son environnement, soit sopposer aux adaptations ncessaires. Point de vulnrabilit notoire dans les fusions-acquisitions, la culture dentreprise est ainsi un actif stratgi- que quil serait judicieux de mieux valuer, et imprudent de ne pas grer avec autant de soin que dautres facteurs majeurs de russite.

Premire partie : La culture dentreprise

Chapitre 1 : Portraits de culture

Nous invitons le lecteur un voyage dans une exposition de cultures ! Il va pouvoir sy tonner de tant de diffrences et de diversit, au travers de descriptions (certes sommaires et limites) des cultures dAuchan, de lAgence France-Presse, de Micosoft et de Renault.

Chapitre 2 : La culture, dterminante et invisible

Ce chapitre dcrit comment linfra-culture (faite de croyances, valeurs, histoire, empreintes nationales, cur de mtier et lien social) traite les logiques prcdentes pour en faire des normes qui produiront leur tour des comportements, des pratiques et des process.

Chapitre 3 : Les six fondements de la culture

Pourquoi la culture ? quoi rpond-elle donc ? Nous dcrivons l six dimensions auxquelles toutes les organisations sont appeles rpondre. Lorientation individuelle ou communautaire, la relation lincertitude, la relation au pouvoir et la puissance, les modes de raisonnement, la rela- tion au monde et le dosage entre lhumain la production. Ce sont l les logiques qui fondent la culture.

Deuxime partie : La culture, facteur cl de performance

Chapitre 4 : La culture, support de lefficacit oprationnelle

Pour une entreprise, la culture nest pas un supplment dme : cest un organe important de cohrence de laction quotidienne, dconomie des contrles et du management. Certains de ses traits ont des effets

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majeurs sur la qualit de son fonctionnement et ses rsultats opration- nels.

Chapitre 5 : Un dterminant des dcisions stratgiques

La culture imprgne aussi le processus de prise de dcisions, de sorte quelle surdtermine, pour le meilleur et parfois le pire, les grands choix stratgiques de lentreprise.

Chapitre 6 : Un facteur dattraction des talents

La culture dentreprise, qui peut mettre en valeur ou au contraire inhiber les qualits de ses membres, est dans lvolution actuelle du march du travail un enjeu de plus en plus important pour attirer et retenir les professionnels de valeur.

Troisime partie : La culture, un actif grer

Chapitre 7 : Le point aveugle de la culture

La russite contient en germe son revers. LOral, Johnson & Johnson, Club Mditerrane, Motorola, IBM, etc.. Toute entreprise traverse des crises plus ou moins profondes qui ont souvent un cot exorbitant. Cest souvent faute davoir pris en compte le point aveugle de leur culture, cet ensemble constitu de lenvers de leurs qualits.

Chapitre 8 : La limite de validit de la culture

Une entreprise qui ne prend pas en considration son point aveugle risque bien de se heurter une forme de limite de validit de sa culture lorsque le contexte change.

Chapitre 9 : Un actif stratgique grer ?

Quels sont alors les capacits dadaptation de la culture et les traits qui facilitent cette adaptation ? Les cultures fortes sont-elles un atout dans ces volutions de plus en plus exigeantes ? Et comment une culture dentreprise est-elle mise contribution et lpreuve par les effets interculturels que la mondialisation amne au premier plan des proccu- pations.

Chapitre 10 : Fusions-acquisitions : comment russir (ne pas)chouer ?

Le taux extraordinairement lev dchecs et de destruction de valeur constat la suite de fusions-acquisitions est souvent imput des diff- rences de culture dentreprise que les directions ne sont pas parvenues effacer ou traiter. Ce chapitre analyse les mcanismes qui caractrisent ces situations, souvent au dtriment de la confiance et de la performance des entreprises concernes, et montre comment il est possible den tirer des principes et dmarches qui rduisent les rsistances et donnent les meilleures conditions de bonne fin sous rserve de respecter les cultures en prsence et den manager la rencontre avec soin pour quelle soit mieux quun tlescopage ou un touffement.

Chapitre 11 : Un actif stratgique, composante de la valeur

Enfin nous tentons de dmontrer en quoi cette culture constitue bien une composante de la valeur, au mme titre que la marque, et de prsenter les premires pistes existantes pour en chiffrer la porte et rpondre ainsi un besoin des financiers et des dirigeants.

Conclusion : Et aprs ?

On voque et on incrimine de plus en plus souvent la culture dentre- prise comme un facteur cl de succs ou dchec. Nous avons cherch dmonter lobjet, et montrer comment fonctionne le mcanisme. Il est alors possible de grer la culture, avec des mthodes adquates, et en sappuyant sur le leadership du dirigeant.La culture porte en elle des facteurs de diffrenciation dcisifs : il serait dommage de ne pas manager un tel actif stratgique

PARTIE I

LA CULTURE DENTREPRISE

1

PORTRAITS DE CULTURE

l existe autant de cultures dentreprise que dentreprises elles-mmes. En fait, la varit des modles culturels semble infinie, tant la richesse

Ides lments constitutifs de la culture permet de combinaisons diffren- tes. On est frapp par les diffrences quil y a entre Danone, Microsoft et Auchan par exemple, qui sont trois grandes entreprises internationa- les. La culture y organise de faon chaque fois trs spcifique les comportements, la communication, les modes de raisonnements, la stra- tgie de dveloppement, lorganisation et donc aussi jusque dans les dtails, la faon dont on reoit les visiteurs, les codes vestimentaires, ladresse du sige social ou le lieu du sminaire annuel deux lieux souvent lis lhistoire de lentreprise. Et cette diversit se retrouve y compris entre socits de mmes secteurs dactivit. Celles-ci peuvent fabriquer les mmes produits, avoir la mme taille et tre aussi dissem- blables que peuvent ltre des individus de deux pays diffrents. Il en est de la culture comme des individus : il ny en a pas deux pareils. Faon- ne partir des mmes lments de base, cest la manire dont interagis- sent ces lments lintrieur dun systme o ils sarticulent, la manire dont ils samplifient et sannulent, se compltent ou sopposent, qui donne corps ce systme de croyances, de valeurs, de normes et de rgles que nous tentons de dpeindre. Ainsi on est tent de faire un parallle entre un individu et une entreprise, entre un caractre et une culture.Cest dans cet esprit que nous avons ralis des portraits dentreprises . Librement esquisss, ils nont dautre prtention que celle dillustrer la diversit des cultures dentreprise. Sans ambition scientifique, il ne sagit pas ici daudits culturels, mais plutt dune description de la culture, dune retranscription de ce que nous avons peru, de manire intuitive et personnelle, des entreprises que nous avons visites.

Ces portraits ont t raliss suite une srie dentretiens que nous avons mens durant plusieurs mois auprs de managers, dirigeants et

collaborateurs internes au sein des entreprises, ainsi qu partir de documents publics.La trame qui nous a servi conduire nos recherches aborde les domaines de premire approche de la culture. Dans notre dmar- che, nous avons tent de connatre lhistoire de ces entreprises, cest-- dire la faon dont la culture sest construite, sous limpulsion ou non dun fondateur , ou encore sous linfluence du produit dorigine. Puis nous avons tudi les premiers lments par lesquels la culture se manifeste : les valeurs sociales ; les valeurs professionnelles ; le mode de dveloppement ; le recrutement et la gestion des carrires ; les comportements ; les conduites relationnelles ; le systme dordre implicite ; le management ; le systme dcisionnel ; la gestion des conflitsCes lments permettent dj de dresser un portrait dans lequel trans- parat ce qui fait la spcificit de chaque organisation. Ils effleurent les aspects plus inconscients de la culture, l o toute description comprend une large part dinterprtation. Cest pourquoi nous insistons sur le fait que ces portraits sont le reflet de visions subjectives, influences elles- mmes par des filtres et des valeurs, et que dautres visions seraient possi- bles. Nous navons saisi parfois quun ou deux traits de culture, parmi tous les traits possibles, car ils nous intressaient particulirement dans notre dmarche de diffrenciation des cultures. Ces portraits ne sont donc pas exhaustifs et ne prtendent pas faire une analyse complte de chaque entreprise.

Portraits de culture13Cette prcaution de lecture nous semble importante, car un systme aussi complexe quune culture dentreprise peut tre observe sous plusieurs angles, sans pour autant quun de ces angles soit plus juste ou plus raliste.

Dunod. La photocopie non autorise est un dlit

AUCHAN

Depuis le premier magasin ouvert Roubaix en 1961, le groupe Auchan na cess de se dvelopper. Il est actuellement prsent dans onze pays et compte175 000 collaborateurs travers le monde.

Chiffre daffaires : 41 milliards deuros.

En France :

Chiffre daffaires : 14,4 milliards deuros.

68 900 collaborateurs.

Une entreprise hors du commun

Auchan est une entreprise hors du commun et fascinante. Pourtant, au premier abord, elle ressemble tout fait une entreprise ordinaire. Les entretiens sy obtiennent facilement, sans conditions particulires et les visiteurs sont reus sans difficult au sige du groupe, Croix, dans la priphrie de Lille. Lieu mythique, le sige du groupe est constitu dun immeuble en brique rouge tout simple et construit dans la tradition des maisons du nord de la France, dans un quartier modeste, prs de la maison de Grard Mulliez, le fondateur dAuchan. Globalement le contact est simple, proche, cordial, sans mfiance et mme agrable. Les collaborateurs parlent ouvertement, sans dtour, avec parfois une imperti- nence envers le fondateur-dirigeant 1 o lon sent poindre laffection. Dj, tout est dit, ou presque : la modestie, lattachement la rgion du Nord et la famille, la convivialit et la place importante de laffect. On est trs loin de cette image de secret que lon accole Auchan et qui fut dailleurs justifie L, on sent les effets tangibles dun travail sur la culture, vers davantage douverture, qui a port ses fruits.

Pourquoi le groupe Auchan est-il fascinant ?

Pourquoi cette fascination ? Plusieurs caractristiques y concourent, mais cest surtout limportance de lempreinte familiale qui est ici hors norme. En effet, Auchan est un groupe de dimension internationale, qui compte cent

1. Les premiers entretiens ont t effectus avant le dpart de G. Mulliez.

soixante-quinze mille collaborateurs, gnre 41 milliards deuros de chiffre daffaires et qui reste depuis le dbut, une entreprise familiale. Elle appartient la famille Mulliez et nest pas cote en bourse. Cette caractristique en soi est dj singulire, mais ce qui lest plus encore, cest que cette famille compte cinq cent vingt personnes ! Auchan, au mme titre que dautres enseignes de distribution, appartient donc aux cinq cent vingt membres de la famille Mulliez, lis par un pacte dactionnaires, au sein dune association, lAFM (association familiale Mulliez) dont lun des articles (autre lment singulier) stipule quil est interdit de vendre ses parts une personne ne descendant pas en ligne directe de Louis Mulliez-Lestienne, grand-pre du fondateur dAuchan. Parce quils prfrent navoir de comptes rendre personne , les Mulliez forment un collectif de propritaires dont les liens du sang lgiti- ment lappartenance au sein dun clan vivant en autarcie.

Qui sont les Mulliez ?

Impossible de parler dAuchan sans parler des Mulliez. Grande famille dindustriels du nord de la France, catholique, spcialise dans le textile, elle entre dans le commerce en lanant la marque Phildar au dbut du sicle dernier et cre trs tt une association familiale pour partager et prenniser les biens de la famille. Cest une famille dentrepreneurs, qui aide ses membres crer des entreprises, ce qui produira Auchan, Dcathlon, Kilou- tou, mais aussi La Redoute, Trois Suisses, Damart, Blanche Porte, Saint Maclou, etc. autant denseignes de la distribution et de la VPC connues dans toute la France et pour certaines, dans le monde entier, dont les noms tirent tous leur origine de rues ou lieux-dits de Roubaix et Tourcoing ! La formule cl qui les unit au sein de leur association est : Tous dans tout, dans les mmes pourcentages et dans toutes les entreprises. Cest depuis ce cur et cet historique que la culture dAuchan sest forge et prennise. Cette spcificit explique bien des traits culturels, comme ce fameux got du secret dont il est question plus haut, et on retrouve bien sr nombre de valeurs familiales dans la culture de lentre- prise. On y retrouve aussi un esprit clanique qui est propre Auchan et dont on comprend lorigine quand on connat son histoire.

Laventure Auchan

Le premier faire rupture avec la tradition textile est Grard. Cest lui qui prendra le risque de la distribution il y a quarante-six ans, en se lanant

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dans laventure Auchan (du nom du quartier roubaisien des hauts champs o il dbuta, dans une usine dsaffecte). Son ambition ? Vendre le plus de produits possible au plus bas prix et au plus grand nombre de clients. Cest cette phrase en forme de slogan qui constitue la gense du groupe, sa formule du succs Et elle est encore sur toutes les lvres, mme si certains ne savent plus do elle vient.Dans cette entreprise, Grard Mulliez importera les valeurs dontAuchan est imprgn, des racines aux branches et qui ont trois origines : les valeurs Mulliez ; les valeurs rgionales (le Nord) ; les valeurs catholiques.Transposes lentreprise, ces valeurs, affiches sur les murs, sont : confiance, progrs et partage (du savoir, de lavoir et du pouvoir) et sont inscrites la fois dans les murs et dans les comportements, depuis le haut de la pyramide jusquen bas. Fortement inspires dune forme de capitalisme social et de la notion de devoir , elles orientent chaque action, tous les chelons. On retrouve concrtement ces valeurs opran- tes dans le fonctionnement : une constante proccupation humaine , cest--dire une attention aux personnes de lentreprise et leurs intrts, avec une politique dintressement ; un modle conomique centr sur le service du client ; un sentiment dappartenance presque protectionniste .Grard Mulliez, qui succde depuis juin 2006 Vianney Mulliez, reste la figure mythique dAuchan. Charismatique, exemplaire, il a rgn sur Auchan en matre absolu, mais lui a aussi donn sa vie. Comme le rappelle O. Meier 1, le rle du fondateur est dune impor- tance cruciale, en raison des croyances et des valeurs quil vhicule, car chaque entrepreneur a en lui des valeurs spcifiques quil entend dfendre dans le cadre de son action professionnelle. Lentreprise peut lui apparatre comme un moyen de raliser ces aspirations . Le cas Auchan en est une bonne illustration.

1. O. Meier, Le Management interculturel, 3e d., Dunod, 2008.

Ce que disait le grand-pre

Dans cette entreprise, il faut donc regarder du ct de la famille pour comprendre la culture. On pourrait penser que le directeur de magasin en Roumanie ou en Chine na que peu de choses voir avec Louis Mulliez, le grand-pre. Et pourtant de nombreux lments du fonctionnement de lentreprise viennent de lui. Il disait : Il faut redistribuer les bnfices et faire vivre la rgion et on retrouve cette forme de capitalisme social aujourdhui, puisque Auchan appartient (en dehors de lAFM) pour 14 % aux employs, et la redistribution des bnfices fait partie des moments de clbration annuels incontournables.Il disait : Au dirigeant laction, au propritaire le contrle : cest exactement ce qui se passe dans les magasins du groupe : le pouvoir est au terrain, entre les mains du directeur de magasin, qui est autonome et dci- sionnaire, mais il est contrl par un Conseil de surveillance, qui fait office de contre-pouvoir et sassure que le patron suit les politiques du groupe.

Un pouvoir dcentralis

Cette forme de compensation des ples de pouvoir est un trait de culture fort de lentreprise. Lorganisation a en effet mis en place des systmes dquilibrage, pour lutter contre sa propre puissance, le gigantisme du groupe et linfluence de la famille dirigeante.Fonctionnant sur un principe de dcentralisation, Auchan laisse une autonomie locale dans la gestion et ladministration des units. Ce fonc- tionnement qui confre un rel pouvoir oprationnel aux dirigeants locaux, est accompagn dun systme de contre-pouvoir assur par ces fameux Conseils de surveillance, composs dactionnaires et demploys extrieurs lunit locale concerne. Le rle de ces Conseils est de garantir la prservation des valeurs et la vision du sige dans le cadre de la gestion et du dveloppement local, autrement dit, de temprer les dcisions des directeurs de magasins ou de rgions quand elles sont trop loignes des positions du groupe.Ce fonctionnement, qui fait preuve dune belle confiance accorde au terrain, est probablement lun des facteurs cls de la russite du groupe et ce qui lui a permis de devenir cette constellation dentreprises interdpen- dantes. Il figure parmi les aspects les plus attractifs pour les collaborateurs qui souhaitent vivre une aventure dentreprise au sein dun grand groupe.

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Cest cet ensemble de traces dhistoire, de famille et de terroir qui est lorigine de cette culture au caractre entier et aux valeurs fortes : le travail, le got de leffort et du travail bien fait, la modestie, le got du secret ou, en tout cas, dune extrme discrtion, le sens trs pouss de lconomie et dune certaine responsabilit sociale et un ct parrain , avec un esprit de clan trs fort.

Les leviers de la culture Auchan

Le pouvoir dacculturation

Le groupe Auchan est lillustration de ce que lon appelle une culture forte. Forte par la profondeur de ses racines, par ses caractristiques assumes et forte par sa qualit cohsive. Mais elle nest pas seulement forte, elle est gale- ment puissante, en ce sens quelle possde un vrai pouvoir dacculturation.Cest ce pouvoir dassimilation qui ressort en premier lorsquon interroge les salaris sur la culture de leur entreprise : Ici, les gens sont piquouss Auchan, un peu clons disent-ils eux-mmes, non sans humour.Une expression qui rvle une identit collective fusionnelle, produi- sant des comportements homognes dont les avantages sont utiliss de manire volontariste. Car tout le monde est conscient que la culture Auchan faonne les individus et chacun en exploite les vertus facilitantes en termes de fonctionnement et notamment de management.

Deux leviers de management

Lhomognit constitue en effet lun des leviers revendiqus par lenca- drement. Elle agit au quotidien en apportant : de la rapidit : aligner les modes opratoires et les conduites relationnel- les rduit les process et fait converger les modes de raisonnement. De cette faon, le fonctionnement sen trouve allg et gagne en ractivit ; de la fluidit : pour les mmes raisons, le fonctionnement global sen trouve facilit ; de la souplesse dans la gestion des ressources humaines : grce des profils interchangeables et des collaborateurs ayant la capacit, dans une certaine mesure, de passer de la gestion la direction des ressources humaines, au commercial, au marketing, cest une vraie polyvalence qui est rendue possible par cet effet de standardisation.

Fort utiliss semble-t-il, ces trois points sont des spcificits du manage- ment la Auchan. Deux autres traits saillants caractrisent ce management : un cadre fort et une grande exemplarit.

Un cadre qui rassure

Lesprit clanique de la culture Auchan et la pression de conformit qui peut peser parfois sur les employs offrent aussi des avantages. Lentreprise propose ainsi un cadre de vie qui produit un effet rassurant chez certains individus. Si on le souhaite, on peut vivre Auchan , manger Auchan , recevoir Auchan , mme le week-end. Comme le reconnaissent certaines personnes interviewes : Quand on entre chez Auchan, on est entran dans cette culture, dabord on est sduit, puis on est form, et un peu embrigad. Il y a un martlement des messages qui faonne les gens. Cet embrigadement , si lon ose dire, est un trait de culture qui est entre- tenu par lentreprise. Pour exemple, et limage des Mulliez qui restent en famille, la gestion des carrires favorise au maximum la promotion interne. Ainsi les dirigeants sont issus de la base, comme le directeur des ressources humaines du groupe qui a commenc en qualit de chef de rayon, et il y a trs peu de recrutements externes au niveau dirigeant. Ces principes, courants dans la grande distribution, et qui font perdurer lesprit maison , sont ici renforcs par la politique des actionnaires qui, en refusant lafflue de capitaux extrieurs, se prmunissent dinfluences ou de rencontre avec des cultures diffrentes.Lesprit de clan se rvle ici particulirement prgnant. Pour certains employs, la vie, cest vraiment Auchan ! Une fidlit qui voque le diri- geant de lentreprise : comme il nous la t racont, La plupart des Mulliez vivent prs du sige. Grard Mulliez a fait construire sa maison dans un lotissement o vivent galement sa secrtaire, son DAf et son contrleur de gestion ! Force est de constater que le groupe exerce un fort attachement sur ses collaborateurs et que le deuil est douloureux pour certains quand il est temps de le quitter.La majorit des anciens dAuchan restent dailleurs nostalgiques de ce cadre qui rassurait. Daprs eux, ils trouvaient dans lentreprise : des valeurs ; une relle redistribution des rsultats ; un lien de loyaut qui devient rare ; limpression dtre dans une famille et de vivre une aventure familiale.

Dunod. La photocopie non autorise est un dlit

Lexemplarit

Un autre trait de culture est lexemplarit, trs forte chez Auchan. Il sagit l dune valeur propre la grande distribution, mais qui est inscrite dans les gnes des Mulliez. Cette histoire permet de lillustrer 1. la fin des annes quatre-vingt-dix, Rob Walton, le fils du fondateur de Wal Mart, n 1 mondial de la distribution, propose Grard Mulliez et lAFM de racheter Auchan pour 100 milliards de francs. LAFM aurait rpondu en substance : Que ferions-nous de tout cet argent ? Eh oui ! Cette anecdote montre que les Mulliez ne travaillent pas pour largent. Ils ont surtout le got de leffort, du devoir et dune responsabi- lit sociale. Tout le monde le sait et Grard Mulliez est clbre dans lentreprise pour son sens de lconomie !Au niveau de lentreprise, on retrouve cette exemplarit : chez Auchan on est fier dannoncer que le forfait repas pour un employ ou pour un dirigeant est le mme.

Quand la culture freine le dveloppement :lexprience amricaine

Une culture dentreprise familiale, fusionnelle, gnrant un fort sentiment dappartenance et privilgiant le recrutement interne, a des particularits qui offrent des avantages, mais elle gnre aussi un fonctionnement qui a des limites et des points de vulnrabilit, comme toute culture. Ceux-ci ont t particulirement rvls dans lchec quAuchan a essuy sur le continent amricain. Simplanter outre-Atlantique tait en effet un projet important pour le groupe, qui souhaita le mener, conformment sa culture de dveloppement organique, en sappuyant sur ses ressources internes. Mais justement en partie cause de ce mode de dveloppement, le projet savra impossible raliser. Les raisons de cet chec sont intres- santes analyser sous langle de la culture.Pour russir, le groupe avait un plan daction en deux temps, comme il nous a t rapport : il devait simposer par la taille en simplantant massi- vement, pour tre lchelle du gigantisme amricain et dans le mme temps se dployer rapidement. Cette stratgie tait bonne, mais elle se heurta la culture sous au moins deux aspects , analyse un collaborateur de la direction des ressources humaines :

1. Le secret des Mulliez .

la volont de ne pas souvrir des capitaux extrieurs, conformment la valeur familiale dautarcie limita les capitaux et par suite lenvergure du dploiement ; quant la rapidit, elle se heurta la nature rebelle des collaborateurs, qui ne surent unifier leurs process, trop habitus fonctionner avec une grande autonomie laisse chacun.Incapable de se dployer de faon massive et uniforme deux modes opratoires anti-culturels, le groupe se retira des marchs amricains et mexicains, peu friands de la diversit la franaise, et en garde en souvenir amer. Selon le mme collaborateur, Auchan a retenu quune culture de lautonomie locale, couple au contrle du capital forme a priori une limite certains dveloppements, mme sil y a une forte impulsion des dirigeants. Nous avons aussi appris, poursuit-il, que lon ne peut pas se dvelopper sans tenir compte de la culture de base. Cette exprience pose de manire trs concrte la question que les entreprises en expansion ne peuvent luder : comment sinterpntrent les options stratgiques et la culture ? Celle-ci est-elle compatible avec le mode de dveloppement choisi ? Des questions se poser avant quelles ne simposent

Lenjeu : se rgnrer

Sortir du vase clos

Selon les propos concordant des personnes rencontres, la culture de lentreprise fait courir un risque majeur celle-ci : Ne plus voir ce qui se passe autour de nous, penser quil ny a que nous qui savons faire ce mtier. Un des dfis dAuchan, dit-on, consiste donc rester ouvert sur le monde extrieur et lutter contre les phnomnes de vase clos et de consanguinit . Des traits de culture dont on connat la valeur (et lorigine !), mais qui produisent des limites pouvant tre pnalisantes, comme nous lavons vu dans laventure amricaine.

Les coups de la culture

Cette proccupation douverture et de souplesse semble aujourdhui cons- tante dans lentreprise. Les volutions de culture sy produisent par coups, de manire plus ou moins volontaire. Elles passent par des prises de conscience qui entranent des changements radicaux. Ce fut le cas il a

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quelques annes, quand le groupe ralisa que sa culture introvertie pouvait tre mal perue et quil dcida de se doter dune direction de la communi- cation pour faire voluer son image et communiquer lextrieur.Elles passent aussi par des chocs avec lextrieur, dont le rachat des Docks de France est une bonne illustration. Cet afflux de sang neuf eut pour effet un choc culturel bnfique.Enfin, comme dailleurs dans lensemble de la distribution, le groupe souhaite ouvrir davantage ses recrutements aux niveaux dencadrements et cherche recruter de jeunes diplms venant de lextrieur.Grce ses revers et ses prises de conscience, lentreprise a appris que toute organisation court de gros risques sociaux si elle ne se modernise pas, si elle ne fait pas bouger les mentalits et si elle reste trop centre sur elle-mme. Cest ainsi que lon peut faire voluer la culture, en changeant des comportements et les pratiques sans perdre les valeurs de base. Aujourdhui cest une des qualits dAuchan que de se remettre en question, et les prochaines tapes restent dcouvrir.

AFP

LAgence France Presse est une agence mondiale dinformation qui sinscrit dans lhistoire de France.

1835 : cration par Charles-Louis Havas de la premire agence dinformation mondiale.

1940 : sparation des branches publicit et information de lagence Havas, qui donne naissance lOFI (Office franais dinformation).

1944 : aprs la Libration, des journalistes membres de la Rsistance donnent lagence son nom actuel.

1957 : nouveau statut de lAFP.

Aujourdhui, lAFP, cest deux mille neuf cents salaris de quatre-vingt-une nationalits diffrentes et 250 millions deuros de chiffre daffaires.

La culture marque par lempreinte professionnelle

Avec lAFP, nous entrons dans un univers part : celui du journalisme, de linformation et de lactualit. Un univers o louverture sur le monde est

vcue au quotidien par les reporters et les personnes qui participent la fabrication et la diffusion des reportages dactualit, mais aussi o, para- doxalement, lesprit corporatiste resserre les rangs au cur d un petit milieu . Premire agence de presse mondiale, fonde par Monsieur Havas en 1835, lAFP fournit linformation des centaines de mdias, depuis les quotidiens nationaux jusquau journal tlvis.

Une mission et un statut dterminants

LAgence France Presse est un bon exemple dentreprise o, contrai- rement Auchan, la culture nest pas incarne. Mme si lagence a t cre par un homme dont le nom est rest clbre, celui-ci nest pas rest un mythe et na pas laiss de traces manifestes. Plus que par un individu, la culture de lAFP est surtout marque par la culture journalistique et la culture syndicale. Elle lest aussi beaucoup par son statut de 1957 qui lui confre une place unique dans le paysage conomique. Il est utile de sattarder sur ce statut pour comprendre la culture. Ni priv ni publique, avec un conseil dadministration o sigent des membres du gouver- nement et des patrons de presse, ce statut influence la culture car il confre des obligations leves lentreprise et un sens du devoir qui sentend dans le discours des journalistes. Selon ce statut, lAFP ne peut en aucune circonstance tenir compte dinfluences ou de considrations de nature compromettre lexactitude ou lobjectivit de linformation ; elle ne doit, en aucune circonstance passer sous le contrle de droit ou de fait dun groupement idologique, politique ou conomique .Par ailleurs, bien que devant statutairement assurer lexistence dun rseau dtablissements lui confrant le caractre dun organisme dinfor- mation rayonnement mondial , il est notable que tant son conseil sup- rieur que son conseil dadministration ne sont composs que de reprsentants franais. Lempreinte nationale est donc galement un lment de culture prgnant.Il ressort de ces composantes une culture marque par le mtier de jour- naliste et la notion de service la franaise 1. Dautres valeurs viennent aussi de son statut, qui en instituant sa mission dinformateur objectif, inscrit lexactitude et lindpendance dans son ADN.

1. En 2003, le chiffre daffaires de lagence slve 242 millions deuros dont 100 millions pour les abonnements de ltat.

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Cette indpendance gnre un esprit individualiste qui marque la culture, mme si dun point de vue syndical, cest laspect collectif qui prvaut On observe l un cheveau complexe et parfois paradoxal, tel quapparat toute entreprise ds quon tente de la dcrire.

Linfluence de la culture mtier

Ltude de lAFP est intressante parce que cette dernire est reprsentative dune culture o cest lempreinte du mtier qui domine. De fait, on retrouve dans cette entreprise une culture du journalisme, ptrie des valeurs de ce mtier : lesprit de corps (on se tutoie, on se tuyaute), la rigueur, lintgrit, une thique sans concessions, la qute incessante du scoop, parfois au risque de sa vie ainsi quune grande tradition syndicale qui dfend des conventions collectives restes longtemps marginales Autant de valeurs qui produisent une culture avec des traits forts, mais aussi un peu rigide, un peu conservatrice, trs attache ses spcificits et donc difficile faire voluer.Cest cet esprit qui rgne lAFP, celui dune corporation, dun collec- tif dindpendants uvrant pour une cause commune et trs fermes sur leurs positions. Des solitaires, des baroudeurs, des hommes et des femmes qui se veulent tous investis de la mission dinformer et qui de ce fait, bien quindpendants dans lme, se sentent appartenir la mme famille des journalistes. Ce dernier point a son importance, il souligne que la force de la culture tient en partie au fait que les employs ont choisi un mtier porteur de leurs propres valeurs. Ainsi les membres de ce collectif poss- dent en commun des valeurs personnelles quils font vivre lintrieur dune mme profession.De par ce partage naturel des valeurs et de par le statut unique qui encadre lactivit, le tissu cohsif est particulirement fort et on sent que cette entreprise fait bloc . Le sentiment dappartenance est fort, confirme la directrice des ressources humaines, et les collabora- teurs sont trs attachs leur entreprise Mais on peut entendre travers les mots quil existe une forme de clivage entre le dedans et le dehors. Ce clivage se ressent souvent dans les cultures fortes et les pna- lise parfois. Dans dautres domaines dactivit, lentreprise pourrait courir le risque de se replier sur elle-mme. Mais ici cela ne semble pas tre le cas. Il semble quau moins deux raisons sont susceptibles de faire contrepoids lAFP :

la premire est que louverture au monde est son mtier et que les agences sont dissmines sur la plante avec une prsence dans cent soixante-cinq pays ; la seconde vient de la politique de gestion des carrires, qui impose pour tout le monde un changement de poste tous les quatre cinq ans, tant pour sassurer que lil du journaliste sur son sujet reste neuf , que pour viter la cration dexperts, de spcialistes ou de stars.Cest la vocation mondiale de lagence et sa gestion des carrires qui assurent le brassage et le mouvement ncessaires pour quilibrer une forme de pesanteur.

Un management par les valeurs : leffet culture

Ltude de lAFP offre un second point intressant tudier, dans sa gestion des hommes et des quipes. bien y regarder, les valeurs sont ce qui dirige le plus srement les quipes de lAFP. Ceci souligne encore limportance des valeurs dans lentreprise et leur impact. Le journalisme vhicule des valeurs fortes et de surcrot lagence est investie dune mission unique. Fournisseur officiel dinformation, elle dfend un label dirrpro- chabilit et se doit de tenir haut son niveau dexigence, dtre le plus impartial possible, le plus prcis dans son information, le plus fiable et le plus rapide. Ainsi et de manire tonnante, cest cet ensemble de valeurs lies la mission de lagence et au mtier de journaliste qui servent manager les personnes au quotidien.On trouve ici un parfait exemple de ce que lAmricain Ronald Burt appelle leffet culture : ou comment la culture peut rduire les cots de fonctionnement. Ronald Burt crit : Thoriquement, une forte culture dentreprise renforce la perfor- mance conomique dune socit en rduisant ses cots, notamment dencadrement. Les convictions, pratiques et mythes communs qui dfi- nissent la culture dentreprise constituent un mcanisme de contrle informel coordonnant les efforts des salaris. Cest vrai, lAFP fonctionne sans avoir besoin de managers, dailleurs le mot mme de management est ignor dans ltablissement.Comment la culture manage-t-elle les personnes ? Concrtement, trois grands aspects du management sont pris en charge par la culture : le sens : tout dabord, ce qui donne du sens et ce qui dirige les gens, cest le mtier et la noblesse de la mission de lAFP. Ainsi les valeurs de cette

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entreprise structurent, au quotidien, le sens des situations et le sens du travail, en sorte que cela facilite la coopration sans avoir recours un manager pour arbitrer et rappeler ce sens ; la fabrication : ensuite ce qui structure la production, cest la logique de fabrication. Depuis le terrain jusqu la page du journal, lorganisation mane naturellement de la culture et du produit, qui impose une segmentation standardise des fonctions dans la chane de production ; la motivation : enfin lAFP est une entreprise laquelle il est valorisant de sidentifier ceci lui permettant dexercer une force dattraction la mettant labri des problmes de motivation du personnel, y compris les non-journalistes. Ce dernier point compte beaucoup, daprs nous, dans cette possibilit de se passer de managers.Leffet culture existe donc bien et la force des valeurs partages par tous permet lAFP de fonctionner et de faire travailler ses quelques trois mille employs sans recourir aux mthodes de management que lon pratique habituellement dans les entreprises de cette taille. Cela confre un style particulier cette organisation, une vitalit, une rapidit, une facilit de communication, mais aussi un souffle de libert et limpression que lentreprise appartient aux salaris comme le souligne la directrice des ressources humaines, qui explique ainsi labsence de leader charismatique.Tout cela forme un cocktail spcial, peut-tre difficile diriger : on remarquera que les prsidents ne restent que deux ans en moyenne

La rvolution culturelle

Un socle immuable

Comme Auchan, lAFP possde ce que lon appelle une culture forte, cest--dire un ensemble cohrent de croyances, valeurs, hypothses et pratiques, que partagent la plupart des membres de lorganisation (Baker, 2002). Fort de cette spcificit, le cur culturel de lentreprise na pas volu depuis sa cration. Lagence conserve son esprit des dbuts et cela malgr les volutions conomiques et technologiques qui ont radica- lement chang le paysage des mdias et de linformation en 50 ans et quelle absorbe sans changer sa culture. Ceci souligne que cest vraiment le mtier, le journalisme, qui agit sur sa culture et non pas les dirigeants, ni les process, ni la technique, ni le march. Contrairement la majorit des

entreprises, lAFP semble insensible ces lments souvent dterminants dans les volutions de culture.Le seul choc culturel enregistr ces dernires annes fut la dcentrali- sation, qui, en 1986, confra aux agences locales le pouvoir de validation de linformation, pouvoir jusqualors dtenu par lagence parisienne. Une crise eut lieu, qui entrana le dpart du prsident de lpoque, puis la dcentralisation entra dans les murs, ce qui permit le dveloppement de lagence par des entits locales plus autonomes, sans altrer la qualit de linformation.Mais sil est vrai que cette entreprise a pu avancer, immuable, travers les annes, sans rencontrer la ncessit de changer et sans crise didentit, il serait erron de croire quelle chappe la pression concurrentielle du march. Aussi cest une rvolution culturelle que lagence doit mettre en uvre aujourdhui.

Le poids de lhistoire

Depuis la disparition de United Press International au milieu des annes1980 et de lagence Tass en 1992, il ne reste que trois agences dinforma- tion de dimension mondiale qui sont par ordre de chiffre daffaires : Reuter, AP et lAFP, seule agence latine . ces deux autres agences, qui sont de vrais concurrents, sajoutent aujourdhui une multitude de petites agences trs pugnaces, souvent implantes uniquement sur le web.Bien quapparente dans lesprit un service public, lAFP se mesure donc bel et bien au secteur concurrentiel, surtout depuis lavnement dinternet et des sites de contenu gnr par les utilisateurs. Si elle na pas eu recours jusqu prsent aux mthodes modernes de management, cela commence poser problme et lAFP se trouve un peu limite par sa culture. Les journalistes, trs attachs leur mission dinformation et lhistoire, ont du mal admettre que le contexte est devenu trs concur- rentiel. Lagence a conscience de son sens historique 1, mais elle se laisse un peu freiner par ce poids ce qui apparat dailleurs comme un trait de culture franais !

1. Ce sont des rsistants qui ont lanc le nom dAFP en 1944, avant lagence sappelait lOFI Office franais dinformation.

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Voici la prsentation que lAFP fait de son entreprise sur le site WEB : lAgence France-Presse produit entre quatre cent mille et six cent mille mots quotidiens. Deux mille trois mille photos et quatre-vingts info- graphies par jour ; lAFP est prsente dans cent soixante-cinq pays avec cinq grandes rgions mondiales ; le label AFP garantit aux clients de lagence une qualit ditoriale qui fait la rputation de lagence depuis 1835.Trois puces rvlatrices de la culture : impossible de trouver des chif- fres sur les ressources humaines ou les rsultats. On mesure combien cette entreprise ne se considre pas comme faisant partie du monde du business !

Rsistances au changement

Davantage de productivit, de ractivit, des changements de modes opra- toires, de techniques et de technologie, cest une vraie rvolution que vit le paysage des mdias et de linformation. Ds lors, si un management par la culture a permis lAFP de fonctionner jusqu prsent, des changements sont aujourdhui invitables : une direction plus muscle avec de vraies mthodes de management et une entre dfinitive dans les nouvelles tech- nologies sont les axes actuels dvolution que tentent de mettre en uvre les responsables. Quils tentent , car ces nouveauts sont accueillies avec mfiance et scepticisme. Lintroduction dun entretien dvaluation annuelle a rencontr dnormes rsistances (sauf auprs de jeunes journalis- tes qui souhaitent voir leur mrite personnel reconnu) car beaucoup de journalistes pensent que cette valuation irait lencontre des valeurs profondes. Quant aux nouvelles technologies, elles changent le mtier en introduisant beaucoup de technique dans linformation et entranent des redploiements de postes qui sont mal accepts car mal compris En fait, tout changement semble poser problme, pas seulement du fait des journa- listes, mais aussi du fait des syndicats, de ltat et du statut de lagence. Cette addition de facteurs produit une pesanteur active que les pouvoirs eux-mmes semblent redouter, ne sachant par o amener le changement.

Garder le centre identitaire

Changer, quand les acteurs concerns ne sont pas conscients de la nces- sit de changer ou nen ont pas le dsir, est difficile, mais pas impossible.

Il faut juste adopter les bonnes mthodes, affirme la directrice des ressources humaines : expliquer beaucoup en amont (la ncessit des entretiens ou des redploiements) ; ne rien faire par surprise et surtout : conserver ce quoi les journalistes sont attachs : les valeurs ! Tels sont les axes stratgiques que la direction a identifi pour mener les volutions. Et de fait, petit petit, des nouveauts sont introduites : des crans multimdias sont installs dans le hall pour donner limpulsion du changement, des accords avec les syndicats sont signs, qui permettent davan- tage de souplesse dans lvolution des carrires, lide de former les journalistes au management prend forme Une rvolution douce se fait, malgr tout.

Les valeurs pivot

Une telle culture nest pas forcment un frein au changement, elle offre au contraire un pivot solide autour duquel se mouvoir. Cest ce que propose Schein (1992), qui soutient quune culture forte est toujours vue comme une force conservatrice, alors quen ralit, ce nest pas parce quune culture est stable quelle est forcment rsistante au changement. Il suggre quune culture moderne devrait tre forte mais limite, cest--dire quelle doit savoir distinguer ses hypothses fondamentales (llment de pivot, vital pour la survie de lorganisation) de tout ce qui est seulement en rapport avec celles-ci (comme les rgles, les comportements, etc.) et quil est possible de faire voluer. Cest le pari de lAFP.

MICROSOFT

Cr en 1975 par Paul Allen et Bill Gates, Microsoft Corporation est aujourdhui prsent dans plus de quatre-vingt-dix pays et compte plus de soixante et un mille collaborateurs.

Chiffre daffaires : 35 milliards deuros. N 1 mondial de la conception, du dveloppement et de la commercialisation de systmes dexploitation et de logiciels pour PC et serveurs.

Lentreprise top model

Il est une ralit incontournable qui place Microsoft au top des entreprises tous secteurs confondus : elle a toujours t et reste toujours n 1 dans son

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cur de mtier et contrle aujourdhui le march mondial dans un secteur stratgique : linformatique bureautique et familial. On ne peut pas ne pas tre impressionn par cette suprmatie construite partir de rien, par cette aventure industrielle qui sest ralise sur lnergie de la vision mgalo du jeune informaticien Bill Gates, qui voulait voir un ordinateur sur chaque bureau de la plante, tournant sous Windows et qui la vu ! Depuis ses dbuts dans les ateliers dAlbuquerque (Nouveau Mexique), Microsoft connat une croissance extraordinaire (elle augmente son chiffre daffaires de plusieurs milliards de dollars chaque anne), elle est devenue lune des trois marques les plus chres du monde et elle est rgulirement classe dans les premires best places to work Belle entreprise trentenaire, riche et puissante, la firme de Redmond est dsor- mais entre dans la lgende du business, tout comme son fondateur mythique, devenu lhomme le plus riche du monde. Elle est une sorte de top model industriel, mme si elle se positionne aujourdhui en challenger et cherche son second souffle pour trouver sa place dans le monde du web.

Le management, vecteur de cohsion culturelle

Un management trs process

Microsoft nen serait pas l sans de vrais partis pris stratgiques, mais aussi managriaux. Et fait notable pour une entreprise prsente dans prs de cent pays, la mme culture dentreprise se retrouve partout dans le monde.Pour assurer cette homognit culturelle, Microsoft mise sur le mana- gement et sur la capacit des managers incarner les valeurs et les rgles de lentreprise et les transmettre. Ainsi, des standards comportementaux sont encourags chez les managers : respect et politesse, capacit tenir le cap, faire grandir, capacit pousser les murs et gnrer lenthou- siasme Cest tout une identit que souhaite prenniser Microsoft. Cest aussi lexcellence qui est ici demande. Une qualit qui est dautant plus pesante quelle est mesure. Les managers sont en effet valus rgulire- ment sur leurs comptences et leurs qualits. Un questionnaire appel management feedback form est rempli par leurs collaborateurs, tous les six mois, partout dans le monde, de faon interne et anonyme. Comptant une quarantaine de questions (par exemple : Mon manager maide-t-il dvelopper mon potentiel ? ) ce questionnaire est pluch par chaque N + 1 et peut donner suite un entretien individuel.

Cette dmarche, qui rvle une culture trs amricaine, peut surprendre en France (voir lAFP). Elle nest pas sans rappeler le cur de mtier trs technique de Microsoft, dans la mesure o elle vise formaliser et stan- dardiser des processus managriaux. Dans lentreprise, elle ne soulve pas de critiques particulires, toute valuation tant perue comme lopportu- nit de grandir. Le slogan de Microsoft est en cohrence avec cet esprit interne : Notre passion : votre potentiel . Mais on peut se demander si cette demande de lentreprise visant lexcellence et le dveloppement pres- que obligatoire, ne cre pas une pression sur ses employs.

Sois parfait , ou la culture du surhomme

Cette notion de perfection signe la culture Microsoft et on la retrouve partout dans le management des hommes. Aux dires de certaines personnes interroges, ceux-ci travaillent avec un niveau dexigence non seulement lev mais aussi permanent, dans tous les domaines : conduite des hommes, relation client, productivit, dveloppement personnel, exemplarit, etc. Si Microsoft senorgueillit de mettre lhomme au centre , elle induit aussi par l quil est sous les feux de la rampe de manire constante, gnrant ainsi une pression usante et une culture du surhomme davantage que de lhomme !Consciente de ses excs et de la pression que fait peser le domaine trs concurrentiel de linformatique sur les paules de ses collaborateurs, lentreprise a mis en place un programme destin prserver lquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle , pour viter les drives de collaborateurs zls. Ce programme a permis ddicter quelques rgles pour obliger les collaborateurs dcrocher en toute srnit, comme linterdiction denvoyer des e-mails le week-end. Ainsi, on observe que la gestion du stress et de limplication donne aussi lieu des rgles crites. On touche ici aux croyances, qui sont une des composantes dterminantes de la culture dentreprise : pour les ingnieurs de Micro- soft, cest la taille de lentreprise qui impose un tel fonctionnement L o dautres entreprises, parfois de taille plus importante encore en termes deffectifs, voluent dans limplicite (Danone, par exemple).

La culture se transmet aussi par les rgles

Chez Microsoft, il existe ainsi un nombre important de rgles qui rgissent la vie de lentreprise et ceci est un trait fort de sa culture. Citons quelques- unes de ces rgles :

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une runion commence lheure. Si 80 % des personnes attendues sont dans la salle, la runion dmarre au bout de cinq minutes ; au Codir, les PC sont ferms pour favoriser lcoute des uns et des autres ; un e-mail ne peut pas solliciter daction dans les vingt-quatre heures ; un appel tlphonique peut en revanche dclencher une action dans les vingt-quatre heuresToutes ces rgles sont crites et respectes. Si ce cadre suscite de lenvie dans certaines cultures orales, il faut prciser quil comporte ses revers : la rduction du sentiment de libert, une plus grande lenteur dans les processus de dcision et dans la concrtisation, le sentiment dinertie et dusine gaz .

Trois ans pour sacculturer

Intgrer les nouveaux arrivants la culture se fait au travers dune proc- dure l encore, explicite et dtaille. Microsoft donne trois ans aux nouveaux venus pour entrer dans la culture maison : la premire anne ils doivent tester, exprimenter, comprendre le fonctionnement ; la deuxime anne ils doivent approfondir leur connaissance de lentreprise ; au bout de trois ans, chacun doit pouvoir devenir force de proposition et bouger les murs . Condamne la rapidit dans un secteur o les inno- vations se succdent, Microsoft est une entreprise mature qui sait aussi laisser du temps au temps pour obtenir le meilleur de ses collaborateurs.

La russite comme valeur oprante

tre win-win !

tre parfait, tre performant, bien sr cest culturel, mais pas nimporte comment. Ici, tout est gagnant-gagnant ( win-win ) Si le client est content, sil se dveloppe, cest bon pour Microsoft : cest gagnant- gagnant. Si le collaborateur est heureux, il travaillera mieux : cest gagnant-gagnant. Que lon adhre ou non, cest lesprit que Microsoft souhaite rpandre et ancrer dans chaque geste. Comment est-ce vcu au quotidien ? Cela fait partie des valeurs dentreprise, affirme lun de ses dirigeants. Et elles sont rcompenses . Il existe en effet un certain nombre de prix : le customer and partenership excellence , attribu ceux qui dveloppent le meilleur partenariat, ou les awards attribus ceux qui ont pris des risques et gagn.

Cest ainsi tout un ensemble de comportements qui sont favoriss par le management et les top managers : esprit de gagne, fair-play et courage, mais aussi : ouverture et honntet ; tenir le cap dans les moments difficiles et faire grandir son quipe en lui offrant la possibilit de prendre des risques et de devenir autonome ; capacit porter sa propre stratgie. Capacit entraner les autres dans sa propre aventure de business, avec la possibilit de fdrer dautres secteurs de lentreprise ; respect des collgues et des clients.Ainsi, les valeurs officielles de lentreprise : Deliver (efficacit), Developp (croissance), Delight (plaisir) sont compltes par des valeurs relles et vcues, incarnes aux plus hauts niveaux par les dirigeants. Pour les colla- borateurs, ceux-ci sont exemplaires et fdrateurs : lnergie de Steve Ballmer, la simplicit efficace de Robbie Bach (dirigeant dune des trois divi- sions de la firme), coupl lexigence : cest le modle de lentreprise, auquel il faut ajouter Bill Gates, fondateur mythique de la firme qui incarne la russite au plus haut point.

Le rapport au monde de Microsoft ? Conqurir !

Si la culture dune entreprise est surtout visible dans sa stratgie de dvelop- pement, celle de Microsoft est avant tout une culture du global, du mondial et bien sr, du n 1. L o lentreprise est vraiment doue, l o rside son gnie, cest bien dans la conqute de nouveaux marchs. Comme se plaisent dire ses dtracteurs, Microsoft ne fabrique pas des logiciels, Microsoft fait du business en vendant des logiciels ! . Et si pour Auchan le dveloppe- ment a toujours t majoritairement organique, Microsoft a au contraire toujours procd par rachats de licences, afflux de capitaux extrieurs, acquisitions de savoir-faire externes, veille, fusions et acquisitions. La strat- gie de Microsoft est assez simple : Une entreprise occupant un domaine que Microsoft dsire conqurir est racheter. Si le rachat nest pas possible, lentreprise est alors considre comme un concurrent supplanter 1. Une stratgie qui force ladmiration car elle demande une tnacit et un acharne- ment hors du commun. De fait, Microsoft est une entreprise dont lhistoire est surtout marque par des procs.

1. http://www.ldh.org/Dossiers/Entreprises/microsoft.html.

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La rdemption

Changement de structure et de comportements

Comme dans les plus grands scnarios de films amricains, aprs avoir conquis le monde, Microsoft se devait galement de grandir en sagesse en apprenant de ses erreurs. Parmi les procs de Microsoft, il en est un qui la fortement impact et la amen repenser sa culture. L encore, on observe que la culture volue par crises, linstar dun individu.Chacun connat lhistoire. En 2000, aux tats-Unis, puis en 2004 en Europe, Microsoft a en effet t condamn pour abus de monopole puis abus de position dominante . Lentreprise amricaine sest vue en effet reprocher cette hargne qui lui a jusquici permis de devenir n 1 et dimposer ses produits. Un reproche public et cinglant, assorti dune condamnation financire, qui la fortement branl.Ces vnements ont marqu un tournant dans son histoire. Agissant comme un catalyseur provoquant une prise de conscience, la condamna- tion de Microsoft a pouss lentreprise se poser la question des obliga- tions lies son leadership, alors quelle stait surtout interroge dans son histoire sur les opportunits lies son leadership. peine condamne, elle a dcid de changer de culture et de comportement global, instituant offi- ciellement dans lentreprise une culture du challenger.

La culture du challenger

Cest un changement volontariste, qui sest accompagn de changements de structure, que Microsoft a souhait mener bien partir de 2004. Une rorganisation des divisions et linvention de trois dimensions ( plateform, business, consumer ) orientent dsormais la production, celle-ci tant soutenue par de nouveaux mots dordre.La notion de challenger est devenue trs importante, concrtisant ainsi le nouveau modus operandi de la firme qui se veut modeste et abandonne son arrogance de n 1 au profit dune attitude plus humble. Dsormais, il est demand aux collaborateurs de se conformer aux comportements de challenger : couter, observer, prendre en considration, innover sans cesse Cest cette culture du challenger, celui qui est juste derrire le n 1, laquelle Microsoft souhaite dsormais sidentifier.Ces changements sont mens comme Microsoft sait le faire : de manire volontariste et formalise, mais aussi de manire globale . Au-

del du caractre trs pyramidal de cette mthode de changement, cette dmarche montre aussi lextraordinaire capacit de lentreprise se remet- tre en question et surmonter les difficults.

Le revers de la culture

Librer les nergies

On le sait, la culture est ce qui produit des normes. Normes qui permet- tent aux sous-systmes de rester cohrents au sein de lentreprise et qui facilitent le fonctionnement aux niveaux humain et production. Micro- soft apparat dans ce champ comme une entreprise complexe, mature, ayant gnr beaucoup de rgles, de procdures et de sous-systmes susceptibles de ralentir le mouvement densemble. Lentreprise formalise beaucoup, elle a la volont dexpliciter toutes ces rgles et utilise une approche techniciste pour se grer, y compris pour conduire le change- ment. ces traits de culture dentreprise sajoute la tendance valoriser le consensus comme mode relationnel et dcisionnel, ce qui est le propre des cultures anglo-saxonnes.Ce sont ces combinaisons qui crent des qualits culturelles et aussi des vulnrabilits. Aux dires de nos interlocuteurs, lenjeu aujourdhui pour Microsoft est de simplifier et de librer les nergies des collaborateurs, de ne pas brimer la crativit par trop de procdures et de bureaucratie. Quand chaque dcision doit tre approuve par vingt personnes, au terme de plusieurs runions, pour prserver le climat et les formes relationnelles convenues, cela a un prix , prcise lun des dirigeants franais. La culture du challenger va obliger Microsoft faire voluer aussi ce ct-l de la culture. On retrouve ici ce que redoute une entreprise comme Danone et ce quelle combat en valorisant des modes implicites de fonctionnement.

Formel ou informel ?

Rapprocher ces deux cultures (Danone et Microsoft) est un exercice qui montre bien les diffrences culturelles et met en relief des faons de russir presque loppos lune de lautre. Lune trs uniforme, trs processe et sappuyant sur le contrle (Microsoft est la seule entreprise de notre enqute qui nous a renvoys la procdure pour obtenir des interviews et qui a souhait relire les articles), lautre htroclite et implicite, sensuelle, jusque dans les normes vestimentaires, qui prne la confiance et la sanction du march.

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On voit bien deux personnalits se dgager, deux modes de rapport au monde. Les deux ont pourtant des points communs : un rapport lexcellence trs exigeant et des rsultats performants

RENAULT

Fond en 1899, Renault est le deuxime constructeur automobile franais avec plus de trente sites industriels travers le monde.

Prsent dans cent dix-huit pays, Renault est un groupe automobile gnra- liste multimarques. Il a acquis une dimension mondiale par : son alliance avec Nissan ; lacquisition du constructeur roumain Dacia ; la cration de la socit sud-corenne Renault Samsung Motors.Renault rassemble prs de cent trente mille collaborateurs. Chiffre daffaires : 40 milliards deuros.

Sur les traces du gnie de Louis Renault

Pour connatre la culture dune entreprise, il faut comprendre son histoire. Celle de Renault est particulirement riche. Elle se mle avec lhistoire de France et avec celle de Louis Renault, petit dernier derrire trois frres, dans une famille o il ne lui a pas t facile de faire sa place. Ce qui nous a intresss chez Renault, cest de retrouver les traces du fondateur dans la culture et il est frappant de constater quune large part de la culture dentreprise rsulte de caractristiques personnelles de cet homme et que sa personnalit marque encore, soixante ans aprs quil en a quitt la direction, le fonctionnement de lentreprise.On peut faire un parallle entre lhomme et lentreprise sur plusieurs points : la passion pour lautomobile ; lesprit de comptition et de challenge ; le dsir dinnovation ; la souplesse dorganisation ; le respect pour les professionnels.

Lhistoire en boucle

En effet, on trouve dj ces caractristiques chez Louis Renault. Que ce soit la passion de la mcanique et des moteurs qui est lorigine de toute son activit ds quil a eu son bac et quil bricolait dans la rsidence secon- daire de ses parents Boulogne (!), non loin de lle Seguin le quil rachtera entirement lot par lot. Ou lesprit de comptition qui commence avec un pari : le 24 dcembre 1898, il rveillonne avec des amis. Sr de sa mcanique, il parie que sa Voiturette peut remonter la pente 13 % de la rue Lepic Montmartre. Dabord incrdules, les amis se rendent lvidence. Non seulement Louis gagne son pari, mais il empoche ce soir-l ses douze premires commandes fermes. Ce nest quun dbut qui se poursuit par une folle srie de courses qui assure sa notorit : Paris-Trouville en 1899, puis Paris-Bordeaux, Paris-Ostende, Paris-Berlin et, surtout, un glorieux Paris-Vienne qui le consacrera en1902. Ds ce moment, lentreprise Renault existe en puissance, y compris laspect comptition et Formule 1, qui contribuent aujourdhui la renomme et limage de la marque. Cest cet tonnant hritage, souvent mconnu ou minimiss par les collaborateurs actuels, que nous souhai- tons mettre en avant pour parler de la culture Renault.

Crateur dautomobiles entre autre

Passion et innovation

Ce qui caractrise cette marque et sans doute la diffrencie le plus est sa passion pour linnovation et tout ce qui est davant-garde, au-del mme des automobiles. Ce trait fort de culture est sans conteste hrit de Louis Renault, gnial inventeur que rien nexcitait autant que la recherche de nouvelles possibilits. Si le slogan de crateur de voiture a t labor ces dernires annes, la culture dinnovations passionnes est prsente depuis toujours. Elle concerne les moteurs, mais aussi lart, la publicit, les avances sociales et bien sr les automobiles.

La saga des modles innovants

Renault depuis un sicle tonne chaque dcade sa clientle en lui propo- sant une petite (ou une grande) voiture que chacun sera fier de possder. On nachte pas une voiture, on soffre un nouveau concept la mode. Citons seulement quelques russites : la 4 CV, la Dauphine, la Renault 8,

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puis la clbre R5 qui reprsentera jusqu 60 % des ventes de lentreprise, la Twingo, avec son succs considrable, enfin la Clio ; puis du ct des grandes lEspace, la Mgane et la Scnic Une production foisonnante couronne du technocentre de Guyancourt, prs de Paris, qui rassemble quelque six mille cinq cents personnes, de lingnierie et du design.Renault est le constructeur qui met le plus en avant linventivit. Il en fait dailleurs son image commerciale, au travers de publicits galement novatrices : La publicit Renault, toujours crative, en allant au plus prt des consommateurs, a travers les dcennies au travers dun ton enjou, ptillant et toujours complice. 1

Amateur dart

Passion pour les moteurs et les modles, bien sr, mais aussi passion pour lart. Lentreprise possde une collection duvre dart exceptionnelle, inaugure en 1967, une poque o cette dmarche tait marginale. lorigine de cette collection, lobjectif ntait pas dacheter des uvres finies, mais de mettre en place une politique de collaboration avec des artistes contemporains intresss par le monde industriel, et dsireux de le reprsenter. Ces artistes appartiennent aujourdhui lhistoire de lart : Arman, Jean Dubuffet, Victor Vasarely, Jean Tinguely, Erro !Avant cela, Louis Renault avait ouvert la voie, en embauchant le photo- graphe Robert Doisneau, qui de 1934 1939, fut un employ de lentre- prise, ayant pour mission de photographier la vie de lusine, les hommes et les machines et de contribuer construire limage de Renault. Cet exemple illustre encore lesprit brillant et le leadership du fondateur et linfluence de son impulsion, bien des annes aprs, sur lentreprise.

Innovations sociales

L aussi faisant preuve davant-gardisme, Renault intgre trs tt limpor- tance des ressources humaines et des droits des salaris. Jean Myon, direc- teur adjoint des relations sociales de lentreprise en 1953, voquait lusage de la direction gnrale, lorganisation gnrale elle-mme et le sort matriel et moral du personnel. Dans son rapport il apparat concr- tement non seulement la professionnalisation progressive des relations

1. culture-buzz.com 22 novembre 2005.

humaines, mais aussi les grandes lignes de ce qui est dsormais entendu comme tant du ressort de la culture dentreprise.Notamment, il est notifi que l on doit toujours sefforcer de faire en sorte que le personnel soit heureux dtre la Rgie, soit fier den faire partie , ainsi, pour lintresser la Rgie, aucun vnement le concer- nant ne doit lui tre cach. Ses succs en comptition automobile notam- ment, ses succs techniques, commerciaux aussi. Il faut les utiliser pour accrotre le dynamisme gnral de lentreprise. On doit sefforcer de faire connatre tous ceux dont parle la grande presse et qui ont des attaches quelconques avec la Rgie (techniciens, coureurs automobiliste, cham- pions dans divers sports, etc.) 1 .Peu aprs, en 1955, Pierre Dreyfus signe le premier accord dentreprise devant assurer le dialogue avec les syndicats, introduit la troisime semaine de congs pays, instaure le paiement des jours fris et la retraite complmentaire. Renault devient une vitrine du progrs social. Lentre- prise sera mme le symbole de la contestation en mai 1968.

Lesprit de comptition et la culture de lenjeu

Aprs la passion pour les moteurs, la cration et linnovation, une autre caractristique de la culture Renault est lesprit de comptition, qui va avec la notion de jeu et de pari. Renault se fixe parfois des objectifs qui sortent de la raison comme on entend dire dans les couloirs. La publicit faite il y a quelques annes prend tout son sens : le a ne marchera jamais slogan phare de cette publicit, est quelque chose qui ne suffit pas faire reculer lentreprise et montre au contraire quelle a besoin de chal- lenges pour avancer. La Logan tait de ce point de vue un exemple de pari peu raisonnable : si peu chre et produite partir dune base industrielle roumaine si bas cots. Quant au nouveau patron, Carlos Ghosn, il sinscrit sans aucun doute dans cet esprit ambitieux en fixant ds son arri- ve des objectifs jamais atteints encore par lentreprise et linjonction de sortir vingt-trois modles dici 2009 ! . Ce geste de C. Ghosn sinscrit dans le prolongement du fondateur : dans les premires annes de lentre- prise, au dbut du sicle dernier, Louis Renault navait-il pas cr quatre- vingt-neuf modles de voitures !

1. La reprsentation sociale de la culture dentreprise. Site Nathalie Diaz.

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En fait, chez Renault court une croyance forte qui veut que pour Renault, le plus grand risque serait de ne pas en prendre 1 ; et il est vrai, comme le souligne un fournisseur du constructeur : Renault a une caractristique majeure : cest une entreprise qui invente en permanence. Elle rinvente toujours ses produits 2. Quant la comptition, si lcurie Renault remporte sa premire victoire en F1 en 1979, avec Jean-Pierre Jabouille, ce nest que la digne relve des frres Renault, qui sadonnaient dj la passion de la course ds leur plus jeune ge.

Management et organisation

La pression de lexcellence

Comment cette culture de linnovation, de la performance, en un mot de lexcellence, impulse par L. Renault, se traduit-elle dans le vcu de lentreprise ? Exerce-t-elle une pression ? De quelle manire joue-t-elle en ngatif question que lon doit se poser quand on tente de comprendre une culture ? Il serait un peu rapide de lui associer les drames humains qui ont mis Renault au-devant de la scne ces derniers mois, mais on ne peut pas non plus ne pas faire cette association. Lexcellence produit certaine- ment une pression. Le constructeur doit augmenter ses ventes de huit cent mille par an ds 2009 et atteindre une marge oprationnelle de 6 %. Des scores jamais atteints par lentreprise, qui, du coup, doit sengager dans une vritable rvolution culturelle 3. Va-t-elle y arriver ? Dans cette nouvelle course folle, latout de Renault est limplication des collabora- teurs et leur attachement la socit. Lattachement des collaborateurs lentreprise, et ceci partout dans le monde alors quon pourrait penser que ce ne serait vrai quen France, est un fait notable de culture, qui rvle toute la place de laffectif. Selon une tude ralise en dcembre 2006 :91 % des salaris sont fiers de travailler pour Renault, tandis que 77 %adhrent la stratgie. Lattachement est chez nous une maladie contagieuse , dit-on la direction des ressources humaines. Mme la CGT-Renault est plus Renault quelle nest CGT ! Mais cet attachement nempche pas les

1. Ch. Midler, Lauto qui nexistait pas, InterEditions, 2004.2. D. Toussaint, Renault ou lInconscient dune entreprise, LHarmattan, 2004.3. Le Monde, 31 octobre 2006.

salaris de juger sans concessions leur entreprise : seuls 47 % en ont une image favorable par rapport la concurrence. Il y a en interne une cons- cience insuffisante des succs de lentreprise , juge la direction de lentre- prise.Cest peut-tre cette exigence couple la sensation intime de ne pas y arriver ( a ne marchera jamais ? ) qui crent ce complexe o est gn- re la pression.

Lempreinte nationale

Enfin, une caractristique majeure de Renault est quil sagit dune entre- prise profondment franaise. Sa culture est marque par lempreinte nationale et les traits de cultures et attitudes caractristiques de lhexa- gone. Citons quelques exemples : le refus du standard ou du process trop fig, ressenti par Renault comme une strilisation, sauf si on est mme de les changer continuellement (!) ; une certaine vision du travail qui valorise les experts et le professionnalisme ; le got pour le dbat. Ne dit-on pas parfois en interne quune dcision nest quune base de dpart pour une discussion ! le sens critique : La contradiction ne gne personne, elle fait partie de nos processus de progression. Dans cette entreprise, le bottom-up a toute son importance ; la souplesse dorganisation. Lentreprise rflchit continuellement son organisation, ce qui constitue une grande souplesse avec rellement une crativit organisationnelle (qui peut coter assez cher) ; la prfrence pour le home made et la mfiance lgard des consul- tants et de tout ce qui nest pas labor en interne

Une conscience sociale incarne par de grands patrons

Dirigeants charismatiques

Laura de Renault est un lment cl de culture. Renault est une entre- prise qui sduit et qui attire. Cest vrai pour les salaris, cest vrai aussi pour les dirigeants, qui ont tous t de grands patrons connus et recon- nus, investissant une part de leur vie dans lavenir de lentreprise, limage de Carlos Ghosn aujourdhui. Cette succession de fortes personnalits aprs le dpart de L. Renault renforce limage prestigieuse de lentreprise.

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Cest Pierre Lefaucheux qui prit la relve en premier et redressa lentre- prise au sortir de la guerre, puis vinrent Pierre Dreyfus (1955-1975), Georges Besse (1985-1986), qui fut abattu devant son domicile par deux jeunes femmes membres dAction directe, Raymond Lvy (1986-1992), puis Louis Schweitzer (1992-2005) et enfin Carlos Ghosn. Le nouveau patron de Renault va poursuivre la modernisation des structures de lentreprise et imposer un plan drastique de rduction des cots. Il va galement rationaliser le systme industriel en redistribuant la production travers les sites et surtout entrer dans la lgende Renault en russissant lalliance avec Nissan. Il est notable que dans cette alliance, C. Ghosn a montr une relle matrise des leviers culturels, puisque cest en sappuyant sur les diffrences culturelles des entreprises franaise et nipponne, et en crant des synergies, quil a su engager la coopration entre les deux firmes.

Des valeurs tournes vers les droits sociaux

Si Renault na pas publi de travaux sur ses valeurs il a en revanche dit deux documents qui en fournissent des contours : un code de dontologie dont les mots forts sont : respect et protection des personnes, respect de la loi et de lenvironnement, loyaut lgard de la clientle, des actionnaires et des partenaires commerciaux ; une Dclaration relative aux droits sociaux fondamentaux . Ici les mots dordre sont : excellence dans le mtier, sduction des produits, internationalisation de lactivit, engagement des femmes et des hommes du groupe, mobilisation des partenaires.On peut y lire aussi : Renault sengage respecter et faire progresser partout dans le monde les femmes et les hommes qui travaillent dans lentreprise, valoriser un esprit de libert, assurer la transparence de linformation, pratiquer lquit et se conformer aux rgles fixes par le code de dontologie de Renault, en cohrence avec la dmarche globale de dveloppement durable, les normes de lOrganisation internationale du travail, les principes universels plus particulirement lis aux droits de lhomme qui constituent le Pacte mondial adopt linitiative des

Nations Unies et auquel Renault a adhr le 26 juillet 2001. On retrouve ici la notion de responsabilit sociale, et autant de valeurs qui rappellent que Renault fut une entreprise dtat.

Du pass vers le futur

Chocs et revers

La culture de Renault aujourdhui nest pas faite uniquement des empreintes du fondateur, mais galement de toute son histoire et des traces quont laisses les russites et les checs. Quatre grands vnements semblent rester dans les mmoires qui contribuent donner les contours actuels de la place de lentreprise : les difficults rptes de Renault pour simplanter aux tats-Unis ; le ratage de lalliance avec Volvo, o lentre- prise a appris, en autre, quil cote cher de sous-estimer les diffrences culturelles et qui entranera la plus forte volution culturelle de la Rgie (dbut de la privatisation) ; la fermeture de lusine de Vilvorde en Belgi- que, qui a constitu galement un choc considrable car elle a contribu faire prendre conscience lentreprise quelle tait mortelle et non pas immortelle comme elle croyait ltre du temps de la Rgie ; enfin le dpart de Billancourt et de lle Seguin, lieu historique des usines Renault.

Lavenir de Renault

Cette histoire et ces traits culturels issus de L. Renault senchevtrent pour produire le prsent. Depuis le gnie crateur de ce dernier jusqu la rus- site de lalliance avec Nissan, dans laquelle lentreprise a montr la souplesse et la subtilit dont elle est capable, ce qui frappe dans cette culture, cest limpression de cohrence mcanique globale que lon peut ressentir tous les niveaux y compris dans la conduite de projets bien sr, mais aussi dans le management des hommes. Ce que lon observe aussi, cest le passage vers une nouvelle re en termes de culture, passage au cours duquel se fossilisent les traits anciens de culture. Dernier grand vnement en date, le dpart de Billancourt est un vritable dracinement et produit une coupure davec le pass qui modifie la culture dentreprise profondment. Il semble ouvrir le chemin sur un nouvel avenir o lon ne se souviendra plus pourquoi on disait la Rgie .2

LA CULTURE DENTREPRISE, DTERMINANTE ET INVISIBLE

La culture cache plus de choses quelle nen rvle (E.T. Hall 1).

a culture dentreprise peut se dfinir comme lensemble des faons de penser et dagir et par consquent, lensemble des faons dorgani-

Lser, de grer et de produire. Plus prcisment, la culture est un systme compos de valeurs oprantes, de croyances, de comportements habituels et de pratiques spcifiques. Ce systme produisant un ensemble de rgles, formalises ou non, connues de tous mais souvent peu conscientes, qui surdterminent les faons de concevoir et de se conduire.M. Lebailly et A. Simon 2 prennent ce sujet un exemple loquent : La culture fonctionne comme la quille dun grand voilier. On la voit si peu quon pourrait en oublier lexistence ; cest pourtant elle qui donne toute sa stabilit au bateau, qui permet lquipage de tenir son cap, cest elle qui facilite la remonte au vent mme par gros temps. Souvent peu explicite lintrieur de lentreprise elle-mme, la culture nest pratiquement pas perceptible pour ceux qui nont pas lexprience dune autre organisation, linstar de la culture nationale pour celui qui nest jamais sorti de son pays. Car ce qui, bien souvent, produit la cons- cience de lexistence dune culture, est le choc qui rsulte de la rencontre avec une culture diffrente.Comment nat une culture dentreprise ? Elle rsulte dun empilement de strates historiques qui se surajoutent. Les premires sont composes des traces laisses par le fondateur et les influences du mtier dorigine, ainsi que les valeurs et croyances partages par les premiers collaborateurs, puis

1. E.T. Hall, Le Langage silencieux, Le Seuil, 1984.

2. M. Lebailly, A. Simon, Anthropologie de lentreprise, Village mondial, 2004.

viennent les diffrents vnements et parfois traumatismes que lentreprise a d traverser.Un site dhumour sur Internet livre cette histoire qui donne une image de la faon dont la culture se dveloppe jusqu devenir inconsciente pour les gnrations suivantes. Mettez cinq chimpanzs dans une chambreAccrochez une banane au plafond et mettez une chelle permettant daccder la banane.Assurez-vous quil ny a pas dautre moyen dattraper la banane que dutiliser lchelle.Mettez en place un systme qui fait tomber de leau trs glace dans toute la chambre (par le plafond bien sr) ds quon commence escala- der lchelle.Les chimpanzs apprennent vite quil ne faut pas escalader lchelle. Arrtez le systme deau glace, de sorte que lescalade na plus soneffet gel.Maintenant, remplacez lun des chimpanzs par un nouveau.Ce dernier va chercher escalader et sans comprendre pourquoi, se fera tabasser par les autres. Remplacez encore un des vieux chimpanzs par un nouveau.Ce dernier se fera encore tabasser, et cest le chimpanz n 6 (celui qui a t introduit juste avant) qui tapera le plus fort.Continuez le processus jusqu ce quil ny ait plus que des nouveaux. Alors, aucun ne cherchera escalader lchelle et si jamais il y en a unqui pour une raison quelconque ose y penser, il se fait massacrer illicopar les autres.Le pire, cest quaucun des chimpanzs na la moindre ide sur le pourquoi de la chose.Cest ainsi que le fonctionnement et la culture dentreprise prennent naissance 1 !

Le langage silencieux

La culture dune entreprise rsulte dun ensemble de valeurs, de normes et de rites labors tout au long de son histoire partir de situations symbo- liques et de personnages devenus mythiques. Cet ensemble donne un

La culture dentreprise, dterminante et invisible451. fautrigoler.com.

Dunod. La photocopie non autorise est un dlit

cadre aux faons de penser, dagir ou de dcider. Selon E. Schein 1, thori- cien reconnu de la culture dentreprise, celle-ci est lensemble des hypo- thses fondamentales qu