Culture à l’ère du numérique. Cultiver l’offre légale, désherber le terrain des...

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ACCES A LA CULTURE ET FINANCEMENT DE LA

CREATION A L’ERE DU NUMERIQUE

La disposition des consommateurs à payer pour une offre

légale de qualité comme garantie d’un

financement sain et vertueux de la culture

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Résumé

Lors des débats du milieu des années 2000 liés à la transposition de la directive

européenne de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, une idée

fausse avait conduit à l’élaboration de mauvaises mesures. Cette idée fausse, véhiculée

par les industries culturelles, était que dans un environnement où se développait la

disponibilité des œuvres culturelles numériques sur internet, les consommateurs,

« pirates » par nature, se détournaient de l’offre légale pour adopter des pratiques illicites.

Dès lors, et au lieu de mettre en place des mécanismes visant à améliorer une offre

légale particulièrement pauvre, différentes mesures répressives ont successivement été

mises en place, aboutissant en bout de chaine à la création de la HADOPI. Par ailleurs, au-

delà de ces mesures, des réflexions sur le financement de la culture et de la création se

sont développées, visant à développer des mécanismes, ou dévoyer des mécanismes déjà

existants, afin de fournir de nouveaux revenus au milieu culturel.

L’UFC-Que Choisir a constamment souligné le manque de pertinence de cette logique

d’ensemble en mettant en avant que la décroissance des revenus du secteur culturel

tenait non pas à l’absence de disposition des consommateurs à payer pour les œuvres

culturelles, mais à l’incapacité des industries culturelles à adapter leurs offres dans un

environnement bouleversé par le développement du numérique.

Dix ans après le vote en France de la loi DADVSI et alors qu’une réforme fondamentale du

cadre législatif européen se profile, l’UFC-Que Choisir a décidé de porter un regard

approfondi sur l’évolution des comportements consuméristes en termes d’achats culturels

dans l’univers numérique et de les mettre en perspective avec l’évolution de l’offre légale.

Il ressort de cette analyse que l’offre légale, portée par des services innovants promouvant

un nouveau mode d’accès à la culture, le streaming, s’est globalement améliorée. Cette

amélioration a eu deux conséquences majeures.

Tout d’abord les consommateurs ont très largement adopté ces nouveaux services : la

croissance soutenue des revenus du streaming audio (+ 350 % entre 2010 et 2015)

souligne l’appétence des consommateurs pour ce mode de consommation et offre à

l’industrie musicale un relais de croissance alors que les supports physiques poursuivent

leur déclin. Cette appétence se traduit également sur les œuvres cinématographiques et

audiovisuelles puisqu’aujourd’hui on peut estimer le nombre de foyers disposant d’un

service de vidéo à la demande avec abonnement à 1,5 million. Ainsi, l’existence d’un

consentement à payer pour une offre légale de qualité à un tarif abordable est plus que

jamais démontrée.

Ensuite, et corolairement à la première conséquence, on peut noter une décroissance des

pratiques illicites qui prouve que les consommateurs – contrairement à l’image qu’on

voudrait en donner – ne sont pas substantiellement attirés par l’illicéité gratuite en

matière de culture.

Ces éléments permettent de souligner l’existence d’un fort potentiel de croissance des

industries culturelles – pour peu que les freins persistants au développement plus poussé

de l’offre légale soient levés – et qu’à ce titre la rémunération de la culture et son

financement sont tout à fait aptes à être assurés par les revenus tirés de la

consommation directe des œuvres culturelles par les consommateurs. Dès lors, la

recherche de revenus complémentaires par la taxation des consommateurs perd de sa

légitimité.

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C’est ainsi que partant de la proposition d’instaurer une taxe sur les objets connectés du

rapport Lescure (2013), nous démontrons son manque de pertinence, qui plus est dans un

environnement marqué par une inefficience du considérable financement public de la

culture en France (20 milliards d’euros par an).

De plus, le dévoiement de la redevance pour copie privée en France, considérée à tort

comme une rémunération, du législateur aux ayants droit, est plus que jamais injustifié.

Alors qu’une juste refonte du mécanisme de la redevance pour copie privée semble

exclue en France, il serait inacceptable que la Commission européenne, qui doit présenter

à l’automne 2016 un projet de révision de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans

la société de l’information, privilégie le statu quo sur l’exception pour copie privée, au

détriment de son indispensable harmonisation, que ce soit sur la définition du préjudice

économique ou encore une méthodologie commune pour le calculer.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’UFC-Que Choisir, partisane d’un financement sain

et vertueux de la culture, et soucieuse de la préservation des droits des consommateurs

dans l’univers numérique demande :

- Au gouvernement de lancer un audit sur le financement public de la culture en

mettant l’accent sur son efficacité par rapport aux besoins réels des industries

culturelles et à la demande des consommateurs ;

- A la Commission européenne de profiter de la révision à venir de la directive

2001/29 pour harmoniser l’exception pour copie, notamment en définissant une

méthodologie objective de détermination du préjudice subi par les ayants droits

en raison de la pratique de copie privées ;

- L’extension du principe de l’épuisement du droit de distribution (c’est-à-dire la

capacité pour l’acheteur d’un bien culturel de le donner, le prêter ou encore le

vendre) à toute œuvre culturelle numérique acquise dont la copie est rendue

impossible par la présence de mesures techniques de protection.

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Table des matières

RESUME ................................................................................................................................. 3

TABLE DES MATIERES ......................................................................................................... 5

I. CONSOMMATION D’ŒUVRES CULTURELLES SUR INTERNET : UNE FORTE

CROISSANCE DE LA CONSOMMATION LICITE ET UNE BAISSE DES PRATIQUES NON

AUTORISEES ......................................................................................................................... 6

1. LA CONSOMMATION DES ŒUVRES CULTURELLES POUSSEE PAR LE NUMERIQUE ................... 6

2. COMPORTEMENTS ILLICITES : QUAND L’EXPLOSION ANNONCEE FAIT « PSCHITT » ............... 15

II. TAXE SUR LES OBJETS CONNECTES : UNE JUSTIFICATION PLUS QU’INCERTAINE

POUR UN IMPACT SUR LE POUVOIR D’ACHAT DES CONSOMMATEURS PLUS QUE

CERTAIN .............................................................................................................................. 21

1. UN « TRANSFERT DE VALEUR » BASE SUR UNE FAUSSE LOGIQUE ....................................... 21

2. LES CONSOMMATEURS, VERITABLES PAYEURS… CONTRE L’ESPRIT MEME DE CETTE TAXE .. 28

3. AVANT TOUTE AUTRE TAXE, UN INDISPENSABLE AUDIT SUR L’ADEQUATION ENTRE LES

BESOINS DU MONDE DE LA CULTURE ET SON FINANCEMENT PUBLIC .......................................... 30

III. REDEVANCE POUR COPIE PRIVEE : UNE NECESSAIRE CLARIFICATION DE LA

NOTION DE PREJUDICE DOIT ETRE FAITE AU NIVEAU EUROPEEN ............................. 34

1. MALGRE L’ETUDE DE L’UFC-QUE CHOISIR DE 2014, LES LIGNES N’ONT PAS BOUGE AU

NIVEAU FRANÇAIS ................................................................................................................ 34

2. UNE INDISPENSABLE HARMONISATION EUROPEENNE ...................................................... 36

CONCLUSION ET DEMANDES DE L’UFC-QUE CHOISIR.................................................. 44

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I. Consommation d’œuvres culturelles sur internet : une

forte croissance de la consommation licite et une baisse des

pratiques non autorisées

Si le déclin des supports culturels physiques entamé dans les années 2000 se poursuit et

se traduit au global par une chute de la valeur du marché de la culture (en le réduisant ici

à la musique, à la vidéo et au livre1), une vision optimiste de l’avenir du secteur culturel

peut être adoptée. En effet, si on fixe l’attention sur les dépenses des consommateurs

pour les œuvres dématérialisées, leur dynamisme actuel peut légitimement être

considéré comme susceptible de faire croître les revenus globaux du secteur culturel dans

un avenir proche.

L’objectif de cette partie est double. Il s’agit tout d’abord de mettre en lumière à la fois ce

dynamisme et les obstacles qui se dressent pour qu’il se prolonge durablement. Il s’agit

ensuite de s’intéresser aux comportements illicites des internautes, exercice qui permet

de battre en brèches les idées reçues faisant systématiquement de l’internaute un pirate

en puissance.

1. La consommation des œuvres culturelles poussée par le numérique

a) Musique : une croissance massive des revenus du numérique tirée par le

streaming

Au cours des années 2000, pendant ce qu’on a pu appeler la « crise du disque », la filière

musicale, et au premier chef les maisons de disques, ont expliqué cette chute du marché

physique par l’appétence des consommateurs pour les comportements illicites et la

gratuité. A l’opposé de cette vision erronée du comportement des consommateurs, l’UFC-

Que Choisir mettait en évidence l’incapacité de l’industrie du disque à tirer profit de

l’émergence du numérique pour développer des offres innovantes à des prix justes. Sans

juger obsolète le marché physique, l’association considérait que les freins à la mise en

place d’une offre légale numérique attractive ne permettraient aucunement un retour à la

croissance du marché physique. L’UFC-Que Choisir considérait au contraire indispensable

que les industries culturelles s’attachent à favoriser l’émergence de cette offre légale

numérique attractive, seule à même de leur offrir un relais de croissance durable compte

tenu de l’appétence des consommateurs pour la culture et ses nouveaux modes de

diffusion, ainsi que par le maintien d’une disposition à payer pour la culture dans le cadre

de la transition numérique.

Aujourd’hui, force est de constater que la croissance des ventes numériques valide cette

approche de l’UFC-Que Choisir. Cette croissance des ventes se traduit par une croissance

impressionnante du chiffre d’affaires du marché numérique de la musique enregistrée de

73 % de 2010 à 2015.

1 Nous ne traitons pas dans cette partie du jeu vidéo, qui constitue un bien culturel. Nous introduirons les

dépenses des consommateurs associées à ce secteur dans la deuxième partie du document.

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Téléchargement sur internet : un échec prévisible

De longue date, l’UFC-Que Choisir a mis en lumière trois freins à l’adoption par les

consommateurs de l’offre numérique en matière de musique : les prix élevés, la présence

de mesures techniques de protections (MTP), et la pauvreté du catalogue.

En termes de catalogue, le temps a permis de le rendre relativement attractif et

satisfaisant. Le catalogue d’iTunes, service d’Apple, peut servir de référence pour

l’attester. Le nombre de morceaux disponibles était de 10 millions début 20092, il est

aujourd’hui de 30 millions3 (même s’il ne s’agit pas que de références uniques).

Ce progrès ne suffit cependant pas à masquer la persistance des autres freins au

développement du téléchargement licite.

L’équivalence tarifaire globalement constatable entre les albums sous format physique et

sous format numérique ne pouvait et ne peut toujours en aucun cas trouver une

justification auprès des consommateurs. En effet, la valorisation des œuvres numériques

est moins importante pour les consommateurs que celle des œuvres sous format

physique.

Pendant une bonne partie des années 2000, la présence de MTP sur les œuvres

numériques empêchant d’en faire des copies ou encore de permettre leur interopérabilité

aboutissait à rendre leur valeur d’usage inférieure à celle des œuvres sous format

physique. Par la suite si l’abandon des MTP s’est généralisé, il a eu pour contrepartie une

2 http://www.nextinpact.com/news/77349-itunes-store-atteint-25-milliards-telechargements-musique.htm

3 https://support.apple.com/fr-fr/HT204951

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hausse des tarifs des œuvres numériques poussée par les maisons de disques4. Bien

évidemment, cette hausse des prix n’a pas participé à l’attractivité du numérique, qui plus

est alors que les consommateurs ne peuvent en aucun cas accepter une équivalence

tarifaire entre numérique et physique quand les frais associés au numérique paraissent

bien moindres que sur le physique (absence des coûts de production du CD, baisse des

coûts de distribution, etc.).

Un autre élément justifie que les consommateurs rejettent le bienfondé de cette

équivalence tarifaire : l’absence de valeur d’échange du bien numérique. Effectivement,

alors qu’un consommateur qui achète un CD conserve la possibilité de le vendre ou

encore de le troquer, il en est privé lorsqu’il s’agit d’une œuvre numérique. Cette

asymétrie légale due à l’existence de l’épuisement des droits de distribution du support

physique et son absence pour l’œuvre numérique pose un réel problème en termes de

droits des consommateurs qui se répercute sur le refus par ces derniers des prix de la

musique numérique en téléchargement5.

Dès lors, la présence des marqueurs de l’échec6 dans l’offre de musique numérique au

téléchargement ne pouvait qu’aboutir à son rejet par les consommateurs et explique ainsi

que les ventes d’œuvres musicales via les téléchargements ne se substituent pas aux

ventes de supports physiques.

Streaming : un mode de consommation payant qui répond à une demande

La croissance des revenus des ventes numériques est tirée par les revenus du streaming

dont la croissance de 350 % en 5 ans impressionne. Il est notable que la croissance de ce

chiffre d’affaires est principalement tirée par l’offre de streaming avec abonnements (il y

en aurait 3 millions en France7) quand les revenus du streaming tirés de la publicité sur

les offres gratuites diminuent. Aujourd’hui le streaming tire 79 % de ses revenus des

abonnements contre 60 % en 2010. Ce succès du streaming appelle plusieurs

commentaires.

Tout d’abord la croissance relative des revenus tirés par les abonnements par rapport à

ceux tirés des offres gratuites contre publicité permet de considérer que l’offre gratuite

peut être perçue comme étant une promotion de l’offre payante.

Ensuite, et surtout, ce succès permet de mettre en évidence l’existence indéniable d’un

consentement à payer des consommateurs pour la culture sous format numérique.

Autrement dit, l’image du consommateur « pirate » non désireux de payer les contenus

culturels, savamment entretenue par l’industrie culturelle, perd de sa substance pour se

heurter à la réalité.

4 http://www.zdnet.fr/actualites/apple-abandonne-le-tarif-unique-sur-itunes-39391379.htm

5 Au-delà de l’aspect monétaire, il conviendra d’indiquer également que cette asymétrie affecte la capacité

d’un consommateur à prêter l’œuvre numérique, ce qui retire à l’œuvre numérique le lien social qu’elle peut

être dans l’univers physique.

6 Pour ne pas charger davantage la barque, on fera ici l’impasse sur la qualité sonore au global inférieure de

la musique numérique à celle fournie par CD qui affecte à l’évidence son attractivité, à minima pour les

consommateurs les plus mélomanes. Si certaines plateformes proposent la vente d’œuvres musicales

numériques d’une qualité égale à celle du CD, leur monétisation les rendant excessivement chères ne peut

cependant emporter l’adhésion du public.

7 http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/12/21/32001-20151221ARTFIG00119-plus-de-trois-

millions-de-francais-abonnes-a-de-la-musique-en-streaming.php

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Les offres du marché (et non de marché) structurées autour du prix psychologique de

9,99 € par mois rencontrent ainsi un succès certain auprès des consommateurs qui au-

delà du constat que cette tarification correspond à la disposition des consommateurs à

payer pour cette offre, met en lumière que les consommateurs sont prêts, pour certains, à

adopter un mode de consommation de la musique qui les prive de la propriété de l’œuvre.

Une bonne dynamique à favoriser qui ne pourra pas reposer uniquement sur le streaming

La hausse importante du chiffre d’affaires de la musique enregistrée sous format

numérique ne parvient pas encore à compenser la baisse du chiffre d’affaires du marché

physique (- 52 millions d’euros entre 2014 et 2015). Elle souligne cependant qu’en

tendance les revenus du numérique supplanteront à brève échéance ceux du physique :

une dynamique de croissance des revenus globaux du secteur de la musique est en

marche.

Même si le modèle du streaming pourra tirer profit de la dynamique de croissance du taux

d’équipement en smartphone, passé de 17 à 58 % entre 2011 et 20158, conjuguée à

l’augmentation régulière des enveloppes de données utilisables dans les forfaits mobiles,

il ne pourra cependant constituer le seul vecteur de croissance durable du secteur. D’une

part il existe une limite naturelle au nombre de souscriptions à un service de streaming ;

d’autre part tous les consommateurs n’accepteront pas d’inscrire leur comportement de

consommation de musique digitale dans un modèle les empêchant de se constituer un

patrimoine musical dématérialisé.

Aussi, nécessairement, le secteur de l’industrie culturelle se doit de repenser les

modalités de commercialisation des musiques téléchargeables, qui à terme déterminera

la capacité du marché de la musique à retrouver ses sommets du début des années

2000.

b) Vidéo : en réalité, un marché numérique en forte hausse

Le lecteur cherchant à connaitre l’évolution des revenus de la vidéo à la demande aura

vraisemblablement l’idée de se référer aux données publiées par le CNC.

8 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE-

ARCEP_nov2015.pdf

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Ce lecteur serait pourtant dans l’erreur s’il comptait bâtir à l’aide de ces données une

réflexion pertinente sur les tenants des évolutions présentées : en effet, les informations

fournies par le CNC sur le chiffre d’affaires de la vidéo à la demande par abonnement

(SVOD) relèvent de la fiction. Ces statistiques n’embrassent que parcellement le marché

de la SVOD puisqu’elles n’intègrent pas les acteurs du marché les plus importants,

comme Netflix ou CanalPlay9. Dans ces conditions, il n’est évidemment pas aisé de jauger

avec pertinence les sommes réellement dégagées par les activités de SVOD et de juger

plus généralement l’évolution du budget dégagé par les consommateurs pour acheter ou

louer sur les plateformes l’accès à une œuvre audiovisuelle numérique.

La réalité est que les chiffres publiés par le CNC ne rendent pas grâce au dynamisme de

l’adoption par les consommateurs des services de SVOD.

Ce marché est dominé par deux acteurs : CanalPlay et Netflix. Le premier revendiquait en

septembre 2015 plus de 700.000 abonnés payants, chiffre ayant doublé par rapport à

celui évoqué 18 mois auparavant10. A peu près à la même période, des analystes

avançaient que Netflix, après moins d’un an de présence en France, compterait 750.000

abonnés11 !

Compte tenu du nombre important de services de SVOD12, on peut donc estimer à au

moins 1,5 million le nombre de consommateurs abonnés à l’un de ces services. Dès lors,

compte tenu des prix du marché oscillant autour de 10 euros par mois, on peut estimer

qu’à nombre d’abonnés mensuels constant, les consommateurs dépensent aujourd’hui

9 http://www.zdnet.fr/actualites/quelle-est-la-taille-reelle-du-marche-francais-de-la-svod-39822986.htm

10 http://www.zdnet.fr/actualites/canalplay-a-plus-de-700000-abonnes-payants-39824396.htm

11 http://www.lesechos.fr/17/08/2015/lesechos.fr/021266524036_netflix-compterait-750-000-abonnes-en-

france.htm On notera l’arrivée sur le marché à la fin de l’année 2015 du service de SVOD ZIVE, proposé par

SFR/Numericable. Bien que l’opérateur prétende être le numéro 1 de la SVOD en France, le véhicule de

commercialisation du service permet de douter que cela traduise en appétence du public pour ce service

particulier (cf. http://www.clubic.com/pro/entreprises/sfr/actualite-794018-sfr-zive-revendique-numero-un-

svod-sans-preuve.html)

12 Cf. http://www.offrelegale.fr/sites-et-services/categorie/vod-svod/mode_acces/abonnement. On notera

une actualisation incertaine de cette liste dans le sens où Pass M6, qui y est référencé, est un service

aujourd’hui fermé.

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180 millions d’euros par an pour ce type d’offre. A nouveau, l’image du consommateur

non disposé à payer son accès aux œuvres culturelles se trouble.

Une bonne dynamique de l’offre cinématographique et audiovisuelle dématérialisée à

entretenir

Ce succès de la SVOD, bien que récent et prometteur, ne saurait en lui-même assurer une

croissance soutenue des revenus de l’industrie cinématographique et audiovisuelle

engendrés par le numérique. D’une part il n’est pas acquis que la croissance du nombre

d’abonnements à la SVOD se poursuive au rythme actuel. Qui plus est, elle trouvera

nécessairement un plafond. Ce relais de croissance des revenus numériques que

constitue la SVOD devra ainsi, du point de vue de l’industrie culturelle, nécessairement

être amplifié et de plus trouver un complément. Or de nombreux freins brident aujourd’hui

le développement de l’offre légale.

Des freins en termes de catalogue pour la SVOD

Le succès des offres de SVOD pourrait ne pas se prolonger en raison de l’attrait limité de

ces offres pour les consommateurs en termes de catalogues disponibles sur les

plateformes, que cela concerne aussi bien les films que les séries.

La chronologie des médias constitue un premier frein pour la construction d’un catalogue

frais d’œuvres cinématographiques pour les services de SVOD.

En effet, cette chronologie des médias impose qu’un film ne puisse être proposé à la

diffusion sur une plateforme de SVOD qu’à partir du 36ème mois après sa sortie en salle.

Le consommateur soucieux de pouvoir consulter des œuvres cinématographiques

récentes ne pourra ainsi qu’être déçu en consultant les catalogues desdites plateformes.

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Le rapport de la mission Lescure13 préconisait ainsi en 2013 d’avancer la fenêtre

d’exploitation des films sur la SVOD à 18 mois, sans d’ailleurs que ni les discussions entre

les professionnels ni la loi ne viennent acter ce qui constituerait incontestablement un

progrès. Cela étant, la chronologie des médias ne constitue qu’un frein qui une fois levé

ne garantit pas pour autant la disponibilité des œuvres sur les catalogues des plateformes

de SVOD. A titre d’exemple, on aura bien de la peine à trouver un succès en salle de

201214 au catalogue de CanalPlay15.

Le cœur du problème concernant l’attractivité des œuvres cinématographiques se trouve

donc dans la contractualisation de l’exploitation des droits entre producteurs et diffuseurs.

Si on peut admettre que les diffuseurs de SVOD puissent ne pas voir l’intérêt économique

d’acquérir les droits d’œuvres peu attractives pour une majorité de consommateurs

(même s’il existe un intérêt pour accroître le nombre d’œuvres au catalogue, qui constitue

un outil de marketing), on comprend bien entendu qu’il existe un attrait par ces diffuseurs

pour les œuvres récentes et ayant connu un succès au cinéma.

Les blocages sont à trouver dans les comportements des détenteurs de droits en amont

de la chaine, qu’il s’agisse des diffuseurs ou des producteurs dont on comprend qu’ils

privilégient les fenêtres d’exploitation potentiellement les plus rémunératrices.

… et en termes de prix pour le paiement à l’acte

On peut voir dans cette réticence des acteurs du cinéma et de l’audiovisuel à rendre

disponible les œuvres sur la SVOD un désir de ne pas phagocyter le marché de la VOD à

l’acte. Or cette volonté ne correspond visiblement pas aux attentes des consommateurs

qui d’après les chiffres du CNC, en faisant l’hypothèse qu’ils reflètent l’état du marché de

la VOD à l’acte, dépensent de moins en moins pour ces services. Une des raisons que l’on

peut apporter concerne le prix prohibitif de ces œuvres, tout du moins en ce qui concerne

le téléchargement où les prix sont généralement plus élevés que ceux du marché

physique16. On retrouve ainsi un problème déjà identifié pour la musique. Compte tenu de

ce prix, on comprend ainsi que les consommateurs préfèrent se tourner vers la

consommation à la location qui d’après les chiffres du CNC augmente assez fortement.

On notera enfin qu’au-delà du prix, il existe de réels problèmes de discontinuité de l’offre

en VOD17, sur la location particulièrement, qui s’expliquent par les gels de droits

généralement imposés par les diffuseurs de la télévision payante ou gratuite sans

justification économique avérée18.

Pour les séries, les progrès de l’offre légale

Les séries télévisées créent une demande forte du public. Cette demande s’explique bien

évidemment par des moyens toujours plus importants mis par les producteurs de

contenus pour faire des séries de véritables œuvres de grand spectacle qui suscitent

13 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000278.pdf

14 https://fr.wikipedia.org/wiki/Box-office_France_2012

15 http://www.canalplay.com/recherche/

16 Une référence aux offres de la Fnac est à cet égard particulièrement parlante. A titre d’exemple, alors que le

DVD du film Avengers (2012) est vendu par la Fnac à 9,99 euros, sa plateforme de vidéos à la demande

propose le film entre 13,99 euros et 16,99 euros, selon la qualité de la définition de l’image (prix relevés le 10

mai 2016). On précisera que la différence de prix pour des œuvres plus ancienne est généralement moindre.

17 Cf. https://www.fnacplay.com/aide#chronologie

18 Cf. rapport Lescure.

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souvent une addiction auprès des téléspectateurs. Cette addiction, recherchée par les

producteurs, entraine logiquement un désir d’immédiateté quant à l’accès à ces œuvres.

A l’ère du digital, ce désir est encore accru par la connaissance des dates de diffusion des

nouveaux épisodes à l’étranger, aux Etats-Unis particulièrement où sont produits les plus

grands succès mondiaux. Les consommateurs ne peuvent plus considérer acceptable la

diffusion d’une série en France 1 an après sa diffusion aux Etats-Unis.

A cet égard il doit être souligné que les diffuseurs tendent à intégrer l’attente des

consommateurs. A titre d’illustration, la disponibilité des épisodes de Game of Thrones,

série la plus populaire du moment, sur la chaine OCS en version originale sous-titrée en

français 24 heures seulement après leur diffusion aux Etats-Unis constitue un progrès de

l’offre légale. Encore, la diffusion récente en français de la saison 10 de X-Files sur M6

seulement un mois après sa diffusion originelle aux Etats-Unis mérite d’être soulignée19.

Ces progrès ne sauraient néanmoins masquer des limites plus générales à l’expansion de

la VOD des séries en France qui peine à convaincre aussi bien en termes de prix de vente

que de fraicheur des catalogues (que cela soit dû au prix d’accès des ayants droits à leur

catalogue, ou des pratiques d’exclusivités qui assèchent le marché de la VOD20).

c) Livre numérique : le dynamisme du livre numérique freiné par des prix prohibitifs

Alors que la demande des consommateurs pour la musique ou la vidéo dématérialisée ne

peut se démentir, elle reste assez faible concernant le livre numérique, la lecture étant

intimement liée à la relation physique entre le lecteur et l’ouvrage. Ainsi, en 2015

seulement 8 % des français déclaraient lire des livres numériques (contre 4 % en 2011) et

20 % ne le faisant pas, envisageaient de le faire à l’avenir (contre 16 % en 2011)21. Cette

faiblesse est d’autant plus remarquable que contrairement à la musique et au film, les

contraintes techniques à la lecture de livres numériques sont plutôt faibles22.

La croissance du nombre de lecteurs de livres numériques se traduit bien entendu par une

croissance logique du marché aussi bien en valeur (+ 18 % entre 2013 et 2014) qu’en

volume (+ 13 % entre 2013 et 2014)23, mais l’attrait au global faible du livre numérique

ne laisse pas présager une hausse durable.

Au-delà du caractère relationnel entre l’œuvre et le lecteur, les tarifs des livres

électroniques pourraient expliquer ce désamour pour le livre numérique. Si les tarifs des

livres numériques sont généralement entre 20 et 30 % en-deçà des livres papier, ils

19 Notamment au regard des courts délais pour effectuer le doublage si on considère la limite à la célérité que

posait le rapport Lescure en indiquant que « en cas de doublage, le délai de trois mois entre la diffusion en

version originale (VO) sur une chaîne étrangère et la diffusion en version française (VF) paraît à première vue

difficilement compressible ».

20 Cf. http://www.nextinpact.com/news/97557-pourquoi-vod-series-en-france-a-tant-mal-a-convaincre.htm

pour une explication claire de ces phénomènes.

21 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE-

ARCEP_nov2015.pdf

22 Par exemple car on peut noter une indépendance entre la qualité du réseau internet et le téléchargement

des livres numériques, quand par exemple l’utilisation d’un service de streaming nécessite un accès constant

à internet avec une bonne qualité de service.

23 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/livres-l-envolee-du-numerique-ne-compense-pas-la-baisse-du-

papier-896579.html#

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restent cependant à des niveaux élevés24, d’autant plus si on considère qu’en l’état des

règles du droit d’auteurs, le consommateur ne peut pas tirer un revenu de la vente d’un

livre numérique quand il le peut avec un livre. Qui plus est, les prix des livres numériques

restent plus élevés que les livres de poche, ce qui reste un frein encore plus important à

l’adoption.

De plus, il est notable que non seulement les prix des livres numériques sont élevés, mais

qu’ils le sont généralement davantage qu’à l’étranger comme cela a pu être illustré par

des prix relevés sur Amazon dans différents pays25.

Comment expliquer ces tarifs prohibitifs, d’autant plus au regard de l’absence de frais liés

à l’impression de l’ouvrage ? L’explication tient en l’existence d’un régime dérogatoire au

principe de libre fixation des prix, le prix unique du livre26. Ce régime permet aux éditeurs

d’imposer aux revendeurs le prix de vente des livres, aussi bien physiques que

numériques.

Cette cherté du livre numérique est d’autant plus dommageable que l’élasticité-prix de la

demande semble particulièrement élevée27.

24 Les tarifs constatables oscillent autour de 15 euros pour un livre numérique dont la version papier n’est pas

disponible en livre de poche. On est ainsi loin du tarif acceptable par les lecteurs tournant autour de 7 €,

comme le signalait un éditeur : http://alliance-lab.org/archives/1072?lang=fr#.VthU0PnhAkU

25 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/pourquoi-les-livres-numeriques-sont-ils-si-chers-869411.html

26 Cf. http://www.sne.fr/enjeux/prix-unique-du-livre/ pour une compréhension des fondements originels de ce

régime.

27 Telle qu’elle est avancée par Amazon tout du moins :

http://www.amazon.com/forum/kindle/ref=cm_cd_tfp_ef_tft_tp?_encoding=UTF8&cdForum=Fx1D7SY3BVS

ESG&cdThread=Tx3J0JKSSUIRCMT.

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S’il n’est pas question ici de remettre en cause le principe du prix unique, du point de vue

consumériste, une question doit se poser sur son adaptabilité au numérique, à fortiori s’il

a pour objectif d’accroitre la marge opérationnelle des éditeurs28.

On notera également que l’attrait pour le livre numérique est d’autant moins important

qu’il existe une certaine captivité des consommateurs liée à la présence fréquente, et non

justifiée techniquement, de mesures techniques de protections empêchant les

consommateurs de consulter sur des supports de lecture différents les œuvres acquises29.

Dès lors, on comprendra que les consommateurs soient peu enclins à consommer en

masse des livres numériques sur un écosystème numérique fermé30.

Ainsi, cette section a montré que malgré la persévérance de freins structurels au

développement d’une offre légale de qualité (prix élevés, catalogues manquant de

fraîcheur, etc…), les consommateurs ont sensiblement augmenté leurs dépenses en

œuvres culturelles dématérialisées, notamment grâce à l’innovation permettant la mise

en place de nouveaux modes de consommations.

2. Comportements illicites : quand l’explosion annoncée fait « pschitt »

Le « piratage » comme arme de justification des mesures répressives

L’UFC-Que Choisir a toujours défendu le développement d’une offre légale attractive, aussi

bien en termes de coûts, de qualité des catalogues proposés aux consommateurs, que de

modalités d’accès – modalités devant nécessairement tirer profit de l’innovation permise

par le numérique – et expliqué qu’une partie importante des comportements illicites

provenait de la faiblesse de cette offre légale.

Cela étant, la position majoritaire au sein de l’industrie culturelle a été de prendre appui

sur l’existence des comportements illicites pour plaider pour des mesures répressives,

savamment portées dans différents projets de loi présentés à la représentation nationale.

Cet appel à la répression fait toujours partie de la stratégie de cette industrie.

A titre d’exemple, la Fédération nationale des distributeurs de films indiquait en 2014 que

« les données statistiques sur la pratique du piratage en France […] attestent du caractère

particulièrement alarmant du phénomène dans notre pays » et demandait au

gouvernement de « prendre toute la mesure des dégâts causés par le piratage massif des

œuvres sur internet et à […] endiguer enfin son développement31 ».

Il est notable que ces demandes prennent appui sur la lecture de données élaborées à

l’initiative de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ci-après réduit au

moins anxiogène ALPA) et du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ces

données actualisées ayant encore récemment été reprises par différents articles de

28 http://www.slate.fr/story/61805/livre-numerique-15-euros

29 Une étude menée pour le compte de l’European and International Booksellers Federation conclut qu’il

« n’existe aucune raison technique ou fonctionnelle de ne pas utiliser et établir [une] norme unique de format

interopérable (ouvert) du livre numérique » : http://www.syndicat-

librairie.fr/images/documents/interoperabilite_formats_livre_numerique_pdf_16641.pdf

30 Un consommateur achetant un livre électronique sur le site de la Fnac ne pourra ainsi que le lire sur la

liseuse vendue par l’enseigne.

31 http://www.fndf.org/filemanager/Actualites/Communiqu%C3%A9%20FNDF%2004.07.2014.pdf

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presse32 pour évoquer l’augmentation de la consultation des sites « hors la loi » par les

internautes.

Sans aller jusqu’à considérer que les données élaborées par les tenants de l’alarmisme

permanent sont partialement lues par ces derniers, on peut admettre qu’elles méritent

une lecture dépassionnée.

Or cette lecture des données à laquelle nous avons procédé permet d’identifier – sans

même qu’il soit nécessaire en amont de porter un regard critique sur la méthodologie

utilisée pour les élaborer –que la prétendue explosion du piratage ne correspond pas à la

réalité.

Une diminution relative de la consultation des sites liés à la contrefaçon

La récente étude effectuée par Médiamétrie pour le compte de l’Association de lutte

contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) en coopération avec le CNC et TMG regorge de

données qui, nous allons le démontrer, ne traduisent pas les maux qu’ils prétendent

identifier.

L’évolution du nombre d’internautes ayant consulté au moins une fois par mois un site

dédié à la contrefaçon audiovisuelle est tendanciellement en hausse sur la période

32 http://www.lesechos.fr/16/09/2015/lesechos.fr/021332829152_piratage---14-millions-d-internautes-

vont-sur-des-sites---hors-la-loi--.htm ou encore http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/07/07/32001-

20150707ARTFIG00170-10-millions-de-francais-frequentent-les-sites-de-streaming-et-de-telechargement-

illegal.php

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considérée dans l’étude de l’ALPA. Au global, de 2009 à 2014 le nombre de ce type de

consultations a crû de 18,5 %, soit une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 3,4 %. Si

elle n’est pas négligeable, cette hausse reste cependant à un niveau modéré, qui reste

quoi qu’il en soit loin de caractériser une explosion du nombre de consultations de site

dédiés à la contrefaçon.

De plus, cette hausse, pour qu’elle puisse correctement caractériser le comportement des

consommateurs, doit nécessairement prendre en considération la hausse du nombre

d’internautes.

Ce graphique permet d’identifier la continuité de l’augmentation du nombre d’internautes

au cours des dernières années. Suivant, logiquement, la hausse du nombre

d’abonnements à internet33, le nombre d’internautes a ainsi augmenté de 27,8 % en 5

ans.

Cette hausse importante du nombre d’internautes comparée à celle du nombre

d’internautes accédant à des sites aboutit à rejeter l’idée selon laquelle les internautes

ont de plus en plus recours à la consultation de sites dédiés au téléchargement ou au

visionnage non-licite d’œuvres culturelles. En effet, la part des internautes qui en France

consultent au moins une fois par mois des sites liés à la contrefaçon audiovisuelle

décroît : en 2009, cette part était de 31,1 % ; elle était en 2014 de

28,8 %.

33 Référence ARCEP nombre d’abonnements de 2009 à 2014

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Qui plus est, il est remarquable que cette diminution relative se déroule alors que la

notoriété des sites permettant, à titre principal ou non, le téléchargement illicite d’œuvres

ne semble pas décroître, d’autant plus que les articles de presse faisant référence au

téléchargement illicite ne se privent pas d’indiquer aux consommateurs le nom de ces

sites.

Consulter n’est pas fauter : l’exemple du peer to peer…

En plus de constater que les actes de consultation des sites qualifiés de liés à la

contrefaçon télévisuelle sont en baisse relative, il faut signaler que la consultation de ces

sites ne constitue pas un acte illicite – et c’est une bonne chose – et qu’elle n’aboutit pas

nécessairement une consommation effective illicite d’œuvres culturelles.

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L’objectif premier de ce graphique que nous livre l’ALPA est très probablement de mettre

en exergue les résultats positifs liés à la mise en place et à la pratique de la Hadopi. De

manière factuelle – en prenant l’hypothèse d’une constance de la part du nombre de

téléchargements mensuels du top 10 des films par rapport au nombre total de

téléchargements mensuels couplée à l’hypothèse de moyens constants dédiés à

l’observation des flux – il est constatable que la baisse des téléchargements non licites en

P2P entre janvier 2011 et décembre 2014 est de 83,2 %. Cette diminution du nombre de

téléchargements est donc majeure, sans d’ailleurs que puisse être définitivement tranché

l’effet direct de la réponse graduée sur cette diminution, qui ne doit cependant pas être

marginal.

Le graphique ci-dessus repris offre au lecteur une seconde information d’ampleur, fruit de

l’analyse comparée des deux courbes qui le composent. En effet, cette chute massive du

nombre de téléchargements en P2P prend place dans un environnement où le nombre de

visiteurs uniques mensuels sur ce type de sites est relativement constant sur la période,

de l’ordre de 6,5 millions par mois. L’information à tirer de ce fait est qu’il n’existe pas sur

la période considérée de corrélation entre le nombre de visiteurs sur les « sites liés à la

contrefaçon audiovisuelle » et le nombre d’actes de téléchargement. A fortiori, aucune

relation de causalité ne peut être établie entre la consultation d’un site et le

téléchargement d’une œuvre s’y trouvant.

D’après les ayants droits, cette baisse du nombre de téléchargements sur les réseaux

P2P, seuls surveillés dans le cadre de la réponse graduée, serait surcompensée par la

hausse du téléchargement direct (DDL) et par celle du visionnage en streaming. Or cette

assertion doit être considérée avec prudence.

…invite à lire avec prudence les données sur le téléchargement direct et le streaming

illégaux

Concernant le téléchargement direct (DDL) des œuvres illicites (œuvre uploadée sur un

cyberlocker), les données de l’ALPA34 font apparaitre une baisse tendancielle du nombre

de visiteurs uniques mensuels de 2011 à 2014 des sites qui les proposent (-10,3 % sur la

période). Sur cette période, le nombre de visiteurs uniques qui s’adonnent au

téléchargement35 est quasi systématiquement inférieur à 50 % ; il est de 46,3 % à la fin

de l’année 2014. Le nombre de visiteurs uniques procédant à au moins un

téléchargement baisse encore plus que le nombre de visiteurs uniques accédant aux sites

de DDL puisqu’entre janvier 2011 et décembre 2014 il diminue de 12,4 %.

En prenant en compte l’accroissement du nombre d’internautes, cette baisse est encore

davantage caractéristique d’une contraction des comportements non licites des

consommateurs concernant le DDL qui ont baissé de 21,2 % entre 2011 et 2014 !

Le streaming constitue un troisième mode de consommation non licite d’œuvres

culturelles et de divertissement. Contrairement à ce qui a été observé concernant le P2P

et le DDL, la récente étude de Médiamétrie financée par l’ALPA souligne que le recours à

34 Cf. https://cdn.nextinpact.com/medias/etude-alpa-2014.pdf

35 Téléchargements effectués sur les sites dédiés à la contrefaçon, sans qu’avec certitude puisse être établie

l’illicéité de l’ensemble des actes de téléchargement.

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la consultation de ce type de sites n’est pas en décroissance. De juillet 2011 (référence la

plus lointaine pour laquelle nous disposons de données) à fin 2014, et compte tenu de la

hausse du nombre d’internautes, en moyenne les consultations par visiteur unique se sont

accrues de 14,9 % : fin 2014, 13,1 % des internautes consultaient des sites de streaming

dédiés à la contrefaçon.

Là également, consultation d’un site dédié au streaming non autorisé n’équivaut

cependant pas à consultation d’une œuvre qui y est proposée. En effet, 63,1 % des

personnes qui consultent ce genre de sites ne consomment pas de vidéos. En

conséquence, la part des internautes qui consomment des vidéos en streaming est de

4,8 %. Il ressort de cette donnée que si la pratique du streaming non licite ne peut pas

être qualifiée d’epsilonesque, elle n’en demeure pas moins relativement marginale.

Nous avons vu qu’entre 2009 et 2014 les internautes ont réduit leur consultation des

sites liés à la contrefaçon (audiovisuelle) de 7,4 %, traduction d’une appétence globale en

décroissance pour ces sites, tous modes de consommation confondus (P2P, DDL,

streaming).

Mais plus important encore, l’analyse des données disponibles permet de mettre en

évidence que le niveau de consultation des sites liés à la contrefaçon ne correspond en

rien à la pratique d’actes illicites, et doit alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de

prendre en considération avec précautions les arguments employés par l’industrie de la

culture.

Au global, cette partie a permis d’identifier l’existence d’une disposition forte des

consommateurs à accéder légalement aux œuvres culturelles sur internet qui prend appui

sur un développement de l’offre légale. Cependant, de nombreux freins à une croissance

encore plus soutenue doivent être levés : indispensable modération tarifaire pour les

œuvres disponibles au téléchargement, chronologie des médias à réellement ancrer dans

l’univers numérique ou encore gestion saine et cohérente des exclusivités pour les séries

télévisées.

Cette augmentation des dépenses culturelles numériques des consommateurs, si elle ne

compense pas encore les pertes constatées sur les ventes physiques, permet d’envisager

sereinement l’avenir des auteurs, artistes, mais également producteurs de contenus.

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II. Taxe sur les objets connectés : une justification plus

qu’incertaine pour un impact sur le pouvoir d’achat des

consommateurs plus que certain

L’un des éléments marquants du rapport de la mission Lescure36 publié au printemps

2013 était la proposition visant à instaurer une taxe sur les appareils connectés

(smartphones, téléviseurs, ordinateurs…). Si après avoir animé un temps le débat public

l’hypothèse de mettre en place cette taxe n’est plus affirmée aujourd’hui par l’exécutif, il

reste tout à fait envisageable qu’elle puisse se manifester à nouveau dans l’avenir. Il

apparaît en conséquence indispensable à l’UFC-Que Choisir d’interroger dans le cadre de

sa présente étude la pertinence d’une telle taxe en sondant ses fondements, tels qu’ils

sont présentés par la mission Lescure, d’identifier les impacts que la mise en place d’une

telle taxe aurait sur le pouvoir d’achat des consommateurs, mais au-delà, d’une manière

plus générale, de préciser les conditions qui devraient être remplies pour qu’une nouvelle

taxe destinée au monde de la culture et pesant sur le pouvoir d’achat des consommateurs

puisse obtenir leur assentiment.

1. Un « transfert de valeur » basé sur une fausse logique

Le rapport Lescure, ambitionnant d’être correcteur de déséquilibres, propose aux pouvoirs

publics l’instauration d’une taxe appliquée aux appareils connectés visant à corriger un

transfert de valeur des contenus culturels vers les industries numériques. Or cette

prétendue légitimation découle d’une lecture biaisée des dépenses des ménages qui

méritent d’être correctement exposées.

a) Dépenses en biens et services culturels vs dépenses d’accès aux contenus et

dépenses en équipements technologiques : des ordres de grandeur à préciser

Pour défendre l’idée selon laquelle il existe un transfert de valeur allant des contenus

culturels vers les produits permettant de les consulter, le rapport s’appuie en premier lieu

sur une étude réalisée par Ernst & Young pour le compte de la Hadopi sur l’évolution des

pratiques de partage et le panier moyen de consommation de biens culturels de l’ère pré-

numérique à nos jours (1980-2011)37, et en particulier sur le graphique reproduit ci-

dessous.

36 http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_lescure/index.htm

37 http://hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/HADOPI-Rapport-08-mars-2013.pdf

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L’étude Ernst & Young / Hadopi constate que sur la période considérée (1980-2001), « les

dépenses directes en biens culturels connaissent une croissance faible qui se traduit par

une baisse relative de leur part dans le panier des ménages. On observe parallèlement

une augmentation exponentielle des dépenses en équipement technologiques et une très

forte croissance des dépenses d’accès ».

La mission Lescure, relayant une idée véhiculée dans ladite étude, en tire la conclusion

que les tendances constatées illustrent un « transfert de valeur [qui] s’opère entre les

biens culturels […] et les dépenses en équipements technologiques et accès aux biens

culturels ».

A première vue, les courbes du graphique présenté supra laissent entendre l’existence de

deux principales tendances. D’un côté, une croissance particulièrement marquée des

dépenses des ménages pour tout ce qui permet l’accès aux contenus culturels

(abonnements pour l’accès à Internet notamment), mais également une croissance

exponentielle, depuis le début des années 2000, des dépenses pour les équipements

technologiques permettant de les « lire » (ordinateurs, smartphones…). D’un autre côté, le

graphique laisse apparaître une tendance moins flatteuse pour les dépenses en biens et

services culturels, caractérisées par une croissance molle de 1980 à 2006, puis, par la

suite, par une légère décroissance.

L’impression ainsi donnée est que les biens et services culturels sont les parents pauvres

du secteur culturel, vu comme étant la somme des trois postes considérés ici. Ceci est-il le

reflet fidèle de la réalité ? Le choix opéré par Ernst & Young / Hadopi de prendre en

compte les données « volumes aux prix chaînés de l’année précédente » en base 2005

doit être interrogé car cela ne permet pas de comparer la « ventilation » fidèle des

dépenses faites par les ménages pour une année donnée. En ayant cet objectif, la prise

en compte des dépenses courantes est préférable.

L’UFC-Que Choisir s’est donc intéressée à l’évolution des dépenses courantes des

ménages pour la culture, de 1980 à 2014 – puisque des données sont désormais

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disponibles pour 2012, 2013 et 2014, en faisant appel aux informations de l’INSEE

relatives à l’évolution de la consommation des biens culturels, à celle des équipements

technologiques et à celle pour l’accès aux contenus culturels. Ces catégories n’étant pas

normalisées dans la nomenclature de l’INSEE, les items retenus par Ernst & Young /

Hadopi ont été ici conservés à une exception près.

L’étude Ernst & Young / Hadopi se refuse d’inclure dans les dépenses pour les biens (et

services) culturels, les dépenses de consommation pour diverses activités créatives

(théâtre, musées…), alors qu’il est bien entendu nécessaire d’intégrer cette variable dans

le champ d’analyse38. Or il ne s’agit pas d’un petit poste de dépenses culturelles pour les

ménages. En effet, en 2014 il a représenté plus de 4,5 milliards d’euros.

38 On notera ainsi que fort logiquement, dans les statistiques sur la culture que publie le Ministère de la

Culture et de la Communication, ce dernier prend en compte ces dépenses dans la catégorie « dépenses en

biens et services culturels ».

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Ce graphique illustre les évolutions, sur longue période, des sommes réellement engagées

par les ménages et offre des informations fiables sur les dépenses culturelles qu’ils

effectuent.

Plusieurs faits saillants méritent d’être évoqués :

i. Les dépenses des ménages pour les biens et services culturels sont

systématiquement, année après année, supérieures à celles engagées pour

les équipements technologiques ;

ii. Les dépenses pour l’accès aux contenus culturels ont dépassé celles pour les

biens et services culturels en 2003, mais depuis 2010 l’écart entre ces deux

postes diminue ;

iii. Loin d’être caractérisées par une croissance exponentielle depuis le début des

années 2000, les dépenses des ménages en équipements technologiques

présentent deux tendances bien distinctes : une hausse régulière jusqu’en

2007 puis une diminution depuis lors ;

iv. Depuis 2007, la baisse des dépenses des ménages en équipements

technologiques est plus importante que celle des dépenses en biens et

services culturels : entre 2007 et 2014, la baisse annuelle moyenne des

premières est de 2,31 % contre 1,41 % pour les secondes.

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25

Ces éléments permettent donc de relativiser l’existence d’une ruée continue des ménages

vers les dépenses qui permettent l’accès aux biens culturels et, cela est encore plus vrai,

pour les équipements technologiques.

On précisera également que la mission Lescure fait référence à deux autres études pour

appuyer son idée de transfert de valeur. La première des deux est une étude de Coe-

Rexecode datée de février 2008 qui souligne qu’à l’échelle mondiale le chiffre d’affaires

des producteurs de contenus a crû moins rapidement entre 2003 et 2008 que celui des

équipementiers, des opérateurs télécoms, et des plateformes de services et autres

intermédiaires (Amazon, Google…) : la mission Lescure précise ainsi que « le chiffre

d’affaires des producteurs de contenus était, en 2003, plus de 12 fois supérieur à celui

des intermédiaires, en 2008, le rapport n’est plus que de 1 à 4 ». La seconde est une

étude d’Arthur D. Little, réalisée pour le compte de la Fédération Française des

Télécommunications publiée en octobre 2012, qui indique que les revenus du top 30

mondial des fournisseurs de contenus ont augmenté de 10 % entre 2006 et 2011 quand

celui du top 30 mondial de l’ensemble des catégories considérées39 a augmenté de 49 %.

La mobilisation et les résultats de ces études appellent deux commentaires.

Tout d’abord, si l’analyse de données mondiales n’est pas à priori d’un intérêt nul, elle

reste cependant d’un intérêt limité puisqu’une référence à des indicateurs de

consommation en France reste bien plus pertinente pour justifier l’application d’une taxe

donnée en France.

Ensuite, et c’est là le cœur du sujet, il réside un problème méthodologique fondamental

dans la façon dont la mission Lescure interprète les données à sa disposition. Le point

commun des trois études que ladite mission prend en considération est de véhiculer l’idée

selon laquelle la révolution numérique est moins profitable aux contenus culturels qu’aux

autres acteurs du numérique. Le problème méthodologique que nous évoquons réside

dans la conclusion que tire la mission Lescure de ces tendances : elles dessineraient un

paysage caractérisant un transfert de valeur au détriment de l’industrie culturelle. Ce

transfert de valeur n’est cependant en rien démontré.

b) De l’art de vouloir corriger un non-transfert de valeur

Parler de transfert de valeur c’est considérer que, tel le principe des vases communicants,

ce qui est dépensé par les ménages pour les équipements technologiques et pour l’accès

aux biens culturels ne l’est pas pour les biens culturels eux-mêmes. La validité de cette

relation causale ne va pas de soi et, de plus, ne résiste pas à l’analyse des

comportements de consommation des ménages.

Des concordances riches d’enseignements

Pour que l’idée même d’existence d’un transfert de valeur au sein des trois grands postes

des dépenses culturelles ou connexes – tels qu’ils ont été considérés ici – soit admissible,

il est nécessaire au préalable de montrer qu’il existe au sein de ces dépenses des

variations dans leur ventilation. Un regard sur l’évolution de cette ventilation depuis 2000,

39 Plateformes de services, fournisseurs de contenus, équipementiers grand public, équipementiers réseaux et

opérateurs réseaux.

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qui précise ce que laisse entendre le graphique proposé à la page précédente, permet de

tirer plusieurs leçons intéressantes.

Un premier constat à dresser est qu’il existe bel et bien une diminution de la part des

dépenses en biens et services culturels dans le total des dépenses culturelles et connexes

des ménages, puisqu’entre 2000 et 2014 cette part passe de 42,3 % à 37,8 %. Si

l’augmentation de 2,4 points de cette part entre 2009 et 2014 ne saurait masquer sa

baisse substantielle sur l’ensemble de la période considérée, elle traduit cependant une

inversion de tendance qui mérite d’être soulignée.

Un deuxième constat est celui de la hausse particulièrement marquée des dépenses

permettant l’accès aux contenus culturels qui, dans l’ensemble des dépenses culturelles

et connexes, passent de 33,8 % à 39,3 % entre 2000 et 2014. Contrairement à ce qui se

passe pour les dépenses en biens et services culturels, cette part tend cependant à

diminuer depuis 4 ans.

Enfin, un troisième constat est celui d’une baisse relative des dépenses en équipements

technologiques qui passent de 23,9 % à 22,9 % en 2014 avec, comme pour les dépenses

en biens et services culturels, une tendance haussière au cours des dernières années

(depuis 2011).

Ces trois constats permettent de souligner qu’il est difficile de justifier une taxe sur les

appareils connectés par l’existence d’un transfert de valeur des biens et services culturels

vers les équipements technologiques, étant entendu que la part de chacun de ces deux

postes dans l’ensemble des dépenses culturelles est en décroissance.

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Cela étant, l’idée pourrait être émise qu’il existe un transfert de valeur des biens et

services culturels (et dans une moindre mesure des équipements technologiques) aux

dépenses qui permettent l’accès aux contenus culturels ; or ce serait commettre une

erreur fondamentale : assimiler concordance et causalité.

Dépenses culturelles et connexes : de nombreuses dynamiques autonomes

L’une des idées que le terme « transfert de valeur » véhicule est qu’il existe chez les

consommateurs une propension à arbitrer entre les trois postes des dépenses culturelles

et connexes. Or rien ne permet d’affirmer l’existence de tels arbitrages.

En premier lieu, il est nuisible d’omettre la prise en compte des éléments conjoncturels

dans l’analyse de l’évolution des dépenses culturelles et connexes.

L’évolution de la part des dépenses culturelles et connexes des ménages dans leurs

dépenses totales depuis 2000 met en exergue plusieurs informations essentielles :

i. Une continue et légère baisse de la part des dépenses en biens et services

culturels ;

ii. Une tendance analogue en ce qui concerne les dépenses en équipements

technologiques ;

iii. Une chute très marquée depuis 2010 de la part des dépenses permettant

notamment l’accès aux contenus culturels qui succède à une période

haussière ;

iv. Plus largement, une forte baisse depuis le milieu des années 2000 de la part

de l’ensemble des dépenses culturelles et connexes.

Le lecteur notera la concordance entre cette forte baisse et le surgissement en 2008 de la

crise économique. Cette crise n’impacte évidemment pas de la même manière les trois

grands postes, différemment sensibles à la conjoncture et aux nécessités de la vie

quotidienne.

Par exemple, les dépenses permettant notamment l’accès aux contenus culturels sont

aujourd’hui majoritairement pré-engagées et indispensables à une majorité de

consommateurs (communications téléphoniques, relations sociales, échanges

d’informations dans le cadre du travail, etc.). L’environnement conjoncturel défavorable à

partir de 2008 n’a donc eu qu’un impact marginal sur « l’effet volume » de ce type de

dépenses pouvant être qualifiées de contraintes. En réalité, « l’effet prix » joue à plein pour

expliquer la baisse de la part de ces dépenses. Notamment, la baisse des prix des forfaits

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mobiles grâce à l’arrivée de la quatrième licence mobile est le facteur qui explique cette

baisse40.

A contrario, les dépenses en biens et services culturels tout comme les dépenses en

équipements technologiques sont à l’évidence plus sensibles à la conjoncture. Non pré-

engagées, elles dépendent de l’évolution du revenu disponible une fois les dépenses

contraintes déduites.

La part des dépenses pré-engagées dans les dépenses de consommation finale passe de

31,4 % à 34,2 % entre 2000 et 2014. Cette croissance soutenue de la part des dépenses

pré-engagées est principalement la conséquence de l’explosion des dépenses des

ménages pour le logement, l’eau le gaz et l’électricité qui ont crû 41,4 % plus vite que les

dépenses de consommation totales des ménages sur la période41.

Dans un environnement marqué par une baisse du pouvoir d’achat des ménages (- 2,2 %

entre 2007 et 2014 d’après l’INSEE), les dépenses non-contraintes sont celles qui sont le

plus rognées par les consommateurs. A ce titre, la baisse des dépenses en biens et

services culturels, mais également de loisirs, possède une explication conjoncturelle qui

doit modérer l’idée de l’instauration d’une taxe structurelle.

En plus de montrer que les données macroéconomiques ne valident pas l’idée d’un

transfert de valeur des biens et services culturels vers les équipements technologiques,

l’étude de l’UFC-Que Choisir met donc en évidence que les dynamiques propres des

différentes dépenses culturelles et connexes ne permettent pas de valider les hypothèses

qui font fi des divers facteurs exogènes au secteur culturel et connexe qui influencent

leurs évolutions.

2. Les consommateurs, véritables payeurs… contre l’esprit même de cette

taxe

a) Un impact direct sur le pouvoir d’achat des consommateurs : une illustration par la

redevance pour copie privée

Au-delà d’une interrogation sur la validé des postulats émis pour justifier l’application

d’une taxe sur les appareils connectés, il est nécessaire de se pencher sur les

conséquences concrètes qu’aurait son instauration. Cette taxe sur les appareils connectés

(sur les appareils étant directement connectés à Internet ou indirectement via un autre

appareil) toucherait un nombre relativement important de produits : téléviseurs,

smartphones, consoles de jeu, tablettes, liseuses, ordinateurs portables ou de bureau,

etc…

Une question mérite d’être tranchée : qui des équipementiers technologiques (Apple,

Samsung…), des distributeurs (Amazon, Fnac, Pixmania…) ou des consommateurs

paierait cette taxe ? Plusieurs scénarios sont à priori envisageables :

40 Voir l’étude de l’UFC-Que Choisir sur le secteur de la téléphonie mobile parue en avril 2014 :

http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1be23ef5fc1ca2542bbb96692d1

591ff.pdf

41 Nos calculs d’après les données de l’INSEE.

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29

i. Que les équipementiers abaissent le prix HT des biens qu’ils vendent aux

consommateurs directement ou via un distributeur pour que le prix TTC, une

fois appliquée la taxe sur les appareils connectés, ne soit pas modifié par

rapport à celui qui prévalait avant l’application de la taxe ;

ii. Que les équipementiers maintiennent le prix HT et que les distributeurs

prennent en charge le produit de cette taxe en abaissant leurs marges ;

iii. Que ni les équipementiers ni les distributeurs ne modifient leurs

comportements en matière d’élaboration des prix et qu’en conséquence, via

une hausse du prix des objets tombant dans le champ de la taxe sur les

appareils connectés, les consommateurs soient ceux qui s’acquittent

effectivement du produit de ladite taxe.

Le taux de 1 % envisagé pour cette taxe sur des produits dont les prix constatables sur le

marché peuvent osciller de près de 100 à plus de 1 000 euros aboutit à ce que cette taxe

représente, environ, de 1 à 10 euros par produit. Or, l’expérience de la redevance pour

copie privée permet de souligner la probabilité que ces montants soient intégralement

répercutés sur les prix et donc que cette taxe soit directement payée par les

consommateurs et non, indirectement, par les équipementiers et les distributeurs.

En effet, l’UFC-Que Choisir a mis en évidence dans une étude publiée en novembre 201442

que ce sont les consommateurs, et non les industriels ou les distributeurs, qui payent la

redevance pour copie privée. Il paraît à l’évidence inenvisageable qu’il en soit autrement

pour la taxe sur les appareils connectés (a fortiori car il s’agit d’une taxe et non d’une

redevance prélevée en premier lieu sur les industriels/importateurs comme c’est le cas

dans le cas de la copie privée).

En conséquence, l’application de cette taxe aboutirait à la situation paradoxale que son

fondement, « faire contribuer les fabricants et les distributeurs de matériels au

financement de la création », ne serait en aucun cas réalisé : les consommateurs seraient

les réels payeurs de cette taxe, ce qui est un nouvel élément venant la discréditer.

Un véhicule inadapté pour percevoir la rémunération pour copie privée

Une idée émise par le rapport Lescure est de faire de cette taxe le relais pour percevoir la

redevance pour copie privée, qui ne serait plus en conséquence en lien direct avec la

pratique de la copie privée propre à un produit donné à une capacité donnée, mais

proportionnée au prix de vente du matériel.

Au regard de l’importance pour l’UFC-Que Choisir que les sommes perçues par les ayants

droit en raison de la pratique de la copie privée soient strictement corrélées au préjudice

réel qu’ils subissent, l’association juge qu’une taxe touchant indifféremment les produits

qui contiennent les copies privées est inadaptée.

42

http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe

e31f0.pdf

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30

La taxe sur les appareils connectés, qui pèserait fort probablement non pas sur les

équipementiers mais sur les consommateurs, ne peut par définition en aucun cas remplir

l’objectif de faire contribuer ces équipementiers au financement de la création. En

conséquence, l’UFC-Que Choisir, soucieuse de garantir aux consommateurs que leur

pouvoir d’achat ne soit pas injustement grevé, s’oppose à ce qu’une taxe sur les appareils

connectés, telle qu’elle est présentée dans rapport Lescure, soit mise en place.

Cela étant, le fait que les consommateurs soient les réels payeurs de cette taxe pourrait

ne pas arrêter ses promoteurs, enclins à apporter de nouvelles ressources au monde de la

culture, d’où qu’elles proviennent. Aussi, il n’est pas inutile de se pencher sur la finalité

même de cette taxe afin de déterminer si à cette aune elle peut cependant se targuer

d’une certaine justification.

b) Faut-il (ré)compenser l’absence d’adaptation de l’industrie de la musique au

numérique ?

Bien que les fondements évoqués dans le rapport Lescure pour justifier la taxe qui y est

proposée ne brillent pas par la robustesse qui leur est pourtant prêtée, il est convenable

de dépasser cette faille analytique pour s’interroger plus largement sur l’opportunité de

mettre en place une taxe sur les appareils connectés sous l’angle de sa finalité. Le produit

de cette taxe, qui abonderait un compte d’affectation spéciale, aurait vocation à soutenir

« la transition numérique des industries culturelles », et en particulier le secteur de la

musique. Il serait notamment question d’apporter des aides financières aux majors de la

musique (Universal, Sony et Warner) pour qu’ils numérisent les fonds de leurs catalogues

et élargissent ainsi l’éventail des œuvres légalement disponibles.

Si l’objectif d’une vaste numérisation des œuvres phoniques est en soi louable, le fait

qu’une taxe dédiée autorise sa réalisation la plus rapide possible ne manque pas

d’étonner. En effet, il est difficilement concevable que les consommateurs financent une

opération qu’une industrie de la musique qui n’aurait pas tardé à prendre le tournant du

numérique aurait de longue date dû prendre à sa charge, dans la perspective de pouvoir

monétiser dans l’univers numérique les nouvelles œuvres numérisées.

Si néanmoins cette finalité devait être partagée par le gouvernement, alors il serait

indispensable qu’une réflexion préalable sur l’opportunité de faire appel à une nouvelle

source de financement soit entreprise. En effet, il existe déjà un grand nombre d’outils qui

participent au financement de la création, ou au monde de la culture plus généralement,

et contraignent l’observateur à s’interroger sur la nécessité de solliciter un énième levier

de financement du monde de la culture.

3. Avant toute autre taxe, un indispensable audit sur l’adéquation entre les

besoins du monde de la culture et son financement public

En juillet 2012, juste avant le lancement des travaux de la mission Lescure – et anticipant

qu’un penchant pour la taxe ne manquerait pas de se manifester – l’UFC-Que Choisir

demandait la mise en place d’un « audit approfondi sur le financement de la culture. En

effet, il serait inacceptable de créer de nouvelles sources de financement sans connaître

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au préalable l’ensemble des revenus de la culture (leurs provenances et leurs

affectations), mais aussi les besoins réels du secteur »43.

Près de quatre ans après cette légitime demande, force est de constater qu’aucun audit

public sur l’efficacité du financement de la culture en France n’a été réalisé même s’il

convient d’indiquer que plusieurs publications sont depuis venues éclairer la situation –

sans toutefois atteindre la complétude attendue par l’UFC-Que Choisir. Notamment, la

Cour des comptes a publié en 2014 un rapport particulièrement intéressant – que nous

allons mobiliser par la suite – sur les soutiens à la production cinématographique et

audiovisuelle en soulignant leur «efficacité économique incertaine ». Si ce rapport

constitue une excellente base pour répondre à notre demande, il se limite à un secteur –

certes le plus gourmand en financements publics – sans mesurer ses besoins réels alors

que cela est indispensable. Aussi, si la participation de la puissance publique au

financement de la culture est désormais relativement bien établie44, il est toujours

malaisé de déterminer dans quelle mesure ces ressources correspondent à des besoins

clairement identifiés.

a) Un important financement public…

Le financement public de la culture est polymorphe. Il passe bien évidemment par les

crédits alloués à différents ministères, au premier chef desquels le ministère de la Culture

et de la Communication. Il passe aussi par différentes taxes affectées ou encore par les

dépenses fiscales. Il passe également par les différentes collectivités territoriales.

L’ensemble de ce financement pèse pour un peu plus de 20 milliards d’euros en 2014.

43 http://www.quechoisir.org/telecom-multimedia/communique-lancement-de-la-concertation-sur-l-acte-ii-de-

l-exception-culturelle-francaise-la-plateforme-chere-copie-privee-veillera-a-ce-que-pierre-lescure-fasse-plus-et-

tellement-plus-encore

44 Sans pour autant que le poids du secteur culturel dans l’économie française n’ait été clairement établi.

Même si de nombreux rapports se sont intéressés à la question, ils ne convergent pas vers une unique et

fiable estimation de ce poids. Les groupes d’intérêts se sont emparés des résultats les plus spectaculaires –

provenant de rapports commandés par leur soin pour plaider pour le maintien de « l’exception culturelle

française ». Pour une analyse critique de ces rapports, on consultera à profit l’excellent papier du Professeur

Patrick Messerlin :

http://gem.sciences-

po.fr/content/publications/pdf/audiovisual/Messerlin_FrenchAudiovisualPolicy092014_FR.pdf

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32

Bien évidemment, cette sommation45, si elle offre une vision relativement exhaustive du

financement public de la culture et de la communication, ne permet pas de cadrer

finement le financement de la culture en tant que tel. En fixant l’attention uniquement sur

les dépenses directes et indirectes de l’Etat pour la culture et la communication et

excluant dans ce cadre les dépenses de personnel, c’est la somme de 10 milliards qui est

consacrée en 2014. Divers programmes ventilent l’utilisation de ces sommes parmi

lesquels le patrimoine, ou encore l’aide à la création qui se monte, pour le seul ministère

de la culture et de la communication, à 747,2 millions d’euros.

A travers ce financement public de la culture, c’est en grande partie le contribuable qui

est sollicité (celui d’aujourd’hui et celui de demain en raison du déficit public qui nécessite

un recours à l’emprunt) via l’impôt. L’acte de consommation lui-même participe à ce

financement de la culture : il s’agit des revenus tirés des taxes fiscales affectées au

domaine de la culture.

Comme indiqué supra, elles représentent 848 millions d’euros en 2014 qui proviennent

de 10 taxes ou redevances, dont les principales sont la taxe sur les services de télévision

(498,5 millions d’euros) et la taxe sur les entrées en salles de cinéma (148 millions

d’euros) qui financent toutes deux le Centre national du cinéma et de l’image animée

(CNC). Si la première est majoritairement assise sur les recettes publicitaires des chaines

de télévision (et donc fait très minoritairement participer les consommateurs) la seconde

est directement liée à l’acte consumériste puisqu’elle est assise sur les revenus tirés de la

billetterie de cinéma (au taux de 10,72 % en métropole).

L’objet n’est pas ici d’interroger dans le détail la pertinence de l’ensemble des postes de

dépenses en matière culturelle, ni même de chiffrer la façon dont les différentes taxes

affectées touchent directement le pouvoir d’achat des consommateurs. Il est d’indiquer

45 On notera que cette sommation peut aboutir à un double comptage des ressources publiques consacrées à

la culture au regard de l’existence de subventions de l’Etat vers les collectivités territoriales (non estimées).

Cela étant, le chiffre total que nous évoquons constitue probablement une sous-estimation si on considère

qu’il ne tient pas compte du financement de la culture assuré dans les communes de moins de 10.000

habitants et qu’il laisse de côté la problématique du régime d’assurance chômage spécifique aux

intermittents du spectacle.

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33

que les ressources financières de la culture sont larges et d’en tirer la conséquence qu’il

convient avant de mettre en place de nouveaux dispositifs fiscaux de se demander si ceux

déjà existants sont nécessaires et efficaces.

b) … pour une efficacité contestable

Si cette interrogation sur la nécessité et l’efficacité de certains financements publics de la

culture se justifie dans le cadre général d’une réflexion sur la bonne utilisation des deniers

publics, elle s’appuie cependant sur des critiques émises par la Cour des comptes sur les

aides publiques venant soutenir la production cinématographique.

Dans un rapport daté d’avril 201446, la Cour des comptes note ainsi à la fois l’explosion

des aides directes à la production cinématographique et audiovisuelle entre 2002 et

2012 (+ 87,8 %), la redondance entre différents dispositifs d’aides, une inflation des coûts

de production des films alimentée par le système de soutien, ou encore l’existence d’un

manque de transparence des conditions de financement. Elle appelle également à mettre

fin à « la surenchère vaine et coûteuse » des dispositifs fiscaux conçus pour attirer et

maintenir sur le territoire national des productions cinématographiques et télévisuelles.

Au-delà même de ces critiques, c’est l’absence de définition des besoins du secteur

cinématographique et audiovisuel qui est pointée du doigt par la Cour des comptes. Or,

comme cela est demandé par l’UFC-Que Choisir, un panorama clair et exhaustif de ces

besoins est indispensable, que cela concerne le cinéma et l’audiovisuel en particulier, ou

le monde de la culture en général.

Pour l’UFC-Que Choisir, une condition nécessaire à l’instauration d’une nouvelle

contribution des consommateurs au financement de la culture est la démonstration

préalable de l’impossibilité de réallouer des ressources existantes, inefficaces, voire

indûment, employées. L’UFC-Que Choisir réitère donc sa demande d’un audit de

l’efficacité du financement public de la culture qui ne saurait omettre la détermination

des besoins réels du secteur.

Partant de la demande formulée dans le rapport Lescure de mettre en place une taxe sur

les appareils connectés, cette partie de l’étude de l’UFC-Que Choisir a permis d’identifier

les nombreux éléments qui aujourd’hui justifient que les consommateurs ne s’y associent

pas. Le principal obstacle qui émerge d’un point de vue consumériste est bien entendu le

fait que les consommateurs seraient les véritables payeurs d’une taxe dont le dessein

originel est pourtant de faire contribuer les fabricants d’équipements technologiques au

financement de la culture. Sans même avoir eu à juger la pertinence générale de ce mode

de financement de la culture, il a été ici démontré qu’une bonne lecture de l’évolution des

dépenses des consommateurs ne permet pas de valider l’hypothèse d’un transfert de

valeur des industries culturelles aux équipementiers technologiques causé par l’évolution

des comportements consuméristes.

Plus largement, cette partie a permis de souligner que compte tenu des doutes sérieux

sur l’efficacité des ressources substantielles permettant le financement des politiques

culturelles en France, une nouvelle taxe culturelle grevant le pouvoir d’achat des

consommateurs ne saurait être mise en place sans qu’au préalable le bienfondé d’une

réallocation de ressources déjà existantes ne soit objectivement démenti. Pour cela, l’UFC-

46 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000197.pdf

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Que Choisir demande la mise en place d’un audit sur l’adéquation entre les besoins du

monde de la culture et le financement public de la culture, et sur l’efficacité du

financement public de la culture.

Enfin, et en lien avec la précédente, cette partie a permis de souligner que pour l’UFC-Que

Choisir la rémunération de la culture doit être en lien direct avec l’acte de consommation

des œuvres culturelles. Ce légitime positionnement vient rappeler la nécessité de ne pas

considérer la redevance pour copie privée comme une rémunération, comme c’est

aujourd’hui le cas en France47, mais bien à rappeler son caractère indemnitaire.

III. Redevance pour copie privée : une nécessaire

clarification de la notion de préjudice doit être faite au niveau

européen

Attendue de longue date par l’UFC-Que Choisir, la révision de la directive 2001/29/CE du

Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains

aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (ci-après la

« directive Société de l’information ») est aujourd’hui l’une des ambitions affirmées par la

nouvelle Commission européenne. Cette révision, qui doit aboutir à une proposition

législative de la Commission d’ici à la fin de l’année, s’inscrit dans sa stratégie pour un

marché unique numérique en Europe48. Dans ce cadre, et alors que le gouvernement

français a fait siennes les positions des ayants droit, il apparait indispensable à l’UFC-Que

Choisir de faire entendre la voix des consommateurs pour qu’elle pèse dans les

négociations.

1. Malgré l’étude de l’UFC-Que Choisir de 2014, les lignes n’ont pas bougé au

niveau français

En 2014 l’UFC-Que Choisir publiait une étude sur la copie privée49 mettant en évidence le

scandale constitué par l’organisation de la redevance pour copie privée en France et y

listait les indispensables réformes à réaliser pour que les consommateurs puissent

adopter un regard bienveillant sur cette redevance. Or le cours des événements au niveau

français depuis cette publication permet non pas d’envisager une évolution positive du

mécanisme de la redevance pour copie privée, mais au contraire son évolution au

détriment des consommateurs.

a) Bref rappel des faits saillants de notre étude sur la redevance pour copie privée

47 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025001493&categorieLien=id

48 http://ec.europa.eu/priorities/digital-single-market/docs/dsm-communication_fr.pdf

49

http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe

e31f0.pdf

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L’étude sur la redevance pour copie privée publiée par l’UFC-Que Choisir en novembre

2014 a mis en lumière la singularité de la France dans l’environnement européen. Cette

singularité tient en ce que les consommateurs français sont, et de loin, ceux qui au sein

de l’Union européenne sont le plus mis à contribution dans le cadre de la collecte de cette

redevance50. Ainsi, en 2013, les revenus collectés en France par les Sociétés de

Perception et de Répartition des Droits (SPRD) au titre de la redevance pour copie privée

étaient, par habitant, 5 fois supérieurs en France à la moyenne européenne (hors France).

Remontant la chaine des causalités, l’étude montrait successivement que ce haut niveau

de prélèvements était la conséquence de l’application de barèmes très élevés sur les

biens assujettis (disques durs externes, clés USB, smartphones…), elle-même directement

liée à la méthodologie non-objectivée de détermination des barèmes au sein d’une

commission construite pour favoriser le poids des ayants droit, et par suite la réalisation

de leurs volontés.

A l’aune de ces constats l’UFC-Que Choisir demandait alors une réforme en profondeur de

la commission copie privée en France.

b) Depuis cette étude, les craintes d’une aggravation de l’impact du

dysfonctionnement de la redevance pour copie privée en France

Postérieurement à la publication de cette étude, et au regard de la situation de blocage

d’alors de la commission chargée d’établir les barèmes de la redevance, les pouvoirs

publics se sont saisis du sujet de la redevance pour copie privée.

En premier lieu une mission de médiation a été lancée par le ministère de la culture pour

évoquer les conditions de déblocage de la commission copie privée51. En second lieu une

mission d’information a été lancée à l’occasion des 30 ans de la redevance pour copie

privée52. Si au global les conclusions des travaux menés relayaient les écueils du mode

d’organisation de la redevance pour copie privée soulignés par l’UFC-Que Choisir, une

certaine pusillanimité était constatable dans les propositions de réformes du système.

Notamment, aucune modification du mode de gouvernance de la commission ni

proposition de refonte radicale de la méthodologie d’élaboration des barèmes n’était

proposée53.

C’est ainsi sans surprise que le projet de loi Liberté de la création, architecture et

patrimoine présenté en Conseil des ministres en juillet 2015 n’a pas jugé utile de

s’intéresser à la copie privée. Cela étant les ayants droit ont pu constater sans déplaisir

que lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat certains

parlementaires intéressés, par la question, ont su relayer leur demande

d’assujettissement du cloud. Autrement dit, et bien que le texte soit encore discuté au

50 On précisera que le constat que nous émettions alors ne caractérise pas la situation en 2014, où la

perception par habitant en Allemagne dépasse, de façon très peu marquée, celle en France (cf.

http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_1037_2016.pdf). Il s’agit vraisemblablement d’une

situation qui toutes choses égales par ailleurs ne se constatera plus en 2016 puisque les barèmes en

Allemagne ont été revus à la baisse.

51 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Propriete-litteraire-et-

artistique/Commission-pour-la-remuneration-de-la-copie-privee/Communiques-de-presse/Remise-du-Rapport-

Mauguee-sur-le-fonctionnement-de-la-commission-copie-privee

52 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2978.asp#P114_5078

53 On précisera ici que le cahier des charges fixé par le ministère de la culture à la médiatrice imposait à cette

dernière de penser à droit constant et restreignait en conséquence fortement sa capacité à émettre des

propositions d’évolutions structurelles concernant le fonctionnement de la commission copie privée.

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parlement, la voie prise par le système de la redevance pour copie privée ne la mène pas

vers une amélioration qui le légitimerait, mais vers une amplification de son

dysfonctionnement au seul préjudice des consommateurs.

Sans aller jusqu’à acter l’impossibilité structurelle de faire favorablement évoluer la

situation de la redevance pour copie privée en France, l’UFC-Que Choisir ne peut que

constater que cette évolution légitime, pour se faire rapidement, doit être imposée à la

France par l’échelon communautaire.

Sans surprise, cette demande de l’UFC-Que Choisir n’est pas partagée par le

gouvernement français. Les « propositions des autorités françaises pour la modernisation

du droit d’auteur dans le marché unique numérique », exprimées dans une note54 datant

d’avril 2015 et donc visant à s’inscrire dans la réflexion de la Commission européenne qui

planche sur une proposition législative, soulignent notamment qu’il ne paraît pas justifié

d’harmoniser l’exception en matière de copie privée. Parallèlement, ces autorités plaident

pour que « toute réouverture du cadre législatif applicable [soit] étayée sur des faits ». Du

parallélisme de ces deux propositions nait la cohérence boiteuse de la position que prend

le gouvernement français à Bruxelles. En effet, comme l’a montré l’étude de l’UFC-Que

Choisir les faits étayant la nécessité de réellement harmoniser l’exception pour copie

privée sont légion. La révision européenne doit impérativement avoir lieu.

2. Une indispensable harmonisation européenne

La dérive du mécanisme de la redevance pour copie privée en France est la conséquence

de l’incapacité de l’Union européenne à l’avoir réellement encadré au niveau européen. Or

ce déficit d’encadrement doit aujourd’hui être comblé dans le cadre de la révision de la

« directive société de l’information » et le nouvel encadrement souhaité doit prendre appui

sur une vision claire du préjudice économique pour les ayants droit né de la pratique des

copies privées.

a) Les manques de la directive « société de l’information » concernant l’exception

pour copie privée

La faillite actuelle de la redevance pour copie privée en France – faillite du système, pas

celle des ayants droit – découle de l’incomplétude de la directive « société de

l’information » dont les silences ont dû être comblés à de nombreuses reprises par la

Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans le cadre de recours préjudiciels initiés

par différentes juridictions d’Etats membres. Elle est de plus la conséquence d’une

certaine latitude laissée aux Etats membres sur trois éléments :

i. l’opportunité de mettre ou non en place dans leur législation l’exception pour

copie privée ;

ii. lorsqu’elle est mise en place, la nécessité ou non de compenser

financièrement cette exception ;

iii. lorsqu’il y a une compensation, sur les modalités de détermination et de

recouvrement de cette compensation.

Si aujourd’hui l’introduction de l’exception au droit exclusif pour copie privée est

largement répandue à l’échelle européenne, il demeure plusieurs éléments qui viennent

dessiner de multiples paysages quand il s’agit de compenser financièrement cette

54 https://cdn.nextinpact.com/medias/note-modernisation-droit-d-auteur-fr.pdf

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37

exception. Cette hétérogénéité est initiée par la directive DADVSI, notamment dans son

considérant 35 :

« Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent

recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate

pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la

détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle

compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à

chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice

potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas

où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par

exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou

séparé pourrait ne pas être dû. […] Certains cas où le préjudice au titulaire du droit

serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement ».

Il est ici remarquable qu’il n’existe pas d’obligation de paiement liée à l’introduction de

l’exception pour copie privée ce qui laisse une marge interprétative dans chaque Etat

membre comme d’ailleurs récemment rappelé par la CJUE dans son arrêt dans l’affaire

C-463/1255 (dit « arrêt Copydan »). Ainsi, sans d’ailleurs savoir sur quelles bases (nous y

reviendrons), charge à chaque Etat membre de déterminer s’il existe un préjudice pour les

ayants droit lié à l’introduction de l’exception pour copie privée.

Cette liberté laissée aux Etats membres se manifeste par des décisions non similaires au

sein de l’Union européenne quant aux modalités d’application de l’exception pour copie

privée. A titre d’illustration, le Royaume-Uni laisse la liberté aux consommateurs de

réaliser des copies privées tout en considérant que le préjudice que cette pratique

occasionne aux ayants droit est si minime qu’aucun mécanisme de compensation ne

saurait être justifié. Dès lors aucune redevance pour copie privée n’existe au Royaume-Uni

alors qu’elle existe dans les autres pays de l’Union européenne.

Dans ces autres pays, les modes de prélèvement de la redevance pour copie privée sont

très variés. Généralement, ce sont les consommateurs, via leurs actes d’achat de supports

accueillants ou pouvant accueillir de la copie privée, qui sont mis à contribution. Les

produits assujettis à la redevance pour copie privée (RCP) ne sont pas uniformément

retenus et ses modes de fixation sont variables selon les pays : soit forfaitairement, soit

proportionnellement au prix du bien via l’application d’une taxe. En Espagne la redevance

est prise en charge par l’Etat, ce ne sont donc pas les consommateurs mais les

contribuables qui sont mobilisés56.

Ces situations multiples engendrent des fortes disparités sur les prix des biens permettant

notamment le stockage de copies privées comme l’a illustré l’étude susmentionnée de

l’UFC-Que Choisir sur la copie privée dont nous reproduisons l’un des éléments marquants.

55

http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=162691&pageIndex=0&doclang=FR&mo

de=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=165597

56 Il est notable qu’en Espagne ce système est venu remplacer en 2012 un système analogue à celui existant

en France. Cela n’a pas été sans conséquence sur les sommes collectées par les ayants droit puisque par

rapport à l’année précédente, elles ont chuté de 90 %. Ceci est la parfaite illustration de la malléabilité, dans

un lieu donné, de l’estimation de la « compensation équitable » selon que son payeur soit ou non le

consommateur.

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Cette étude mettait en évidence que les différences de prix HT constatées en Europe sur

des produits assujettis dans certains pays à la RCP (pays à niveaux de vie comparables à

celui en France) s’expliquent quasi exclusivement par la divergence des redevances

appliquées à ces produits.

Or la CJUE, dans un arrêt du 21 octobre 2010 dans l’affaire dite « Padawan »57 précise que

la directive « société de l’information », en étant notamment fondée sur l’article 95 CE vise

« à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur résultant de la

diversité des législations des Etats membres ». Il mérite donc d’être souligné que ces

différences marquées de prix, ne pouvant pas ne pas avoir d’effets transfrontaliers, sont

un élément majeur de distorsions de concurrence.

Ce qui surprend, c’est que ces différences dans l’application de l’exception pour copie

privée prennent appui sur une notion de « compensation équitable » qui devrait être

communément comprise au sein de l’Union européenne, comme l’a souligné l’arrêt

Padawan :

« La notion de « compensation équitable » […] est une notion autonome du droit de

l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme dans tous les Etats membres

ayant introduit une exception pour copie privée ».

Seulement, cet arrêt de la CJUE ne manque pas de contradiction interne puisque la CJUE

ajoute que cette interprétation se fait « indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci

de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même

directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de

cette compensation équitable » tout en affirmant par ailleurs que les Etats membres ne

sont pas libres de préciser les paramètres de la « compensation équitable » « de manière

incohérente et non harmonisée ». La contradiction naît de ce que l’absence

d’harmonisation et les incohérences de l’exception pour copie privée sont endogènes à la

liberté laissée aux Etats membres dans la fixation des paramètres.

57 http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=83635&doclang=FR

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S’il existe à l’évidence des sensibilités différentes dans chaque pays membre de l’Union

européenne concernant la mise en place et l’intensité d’une politique culturelle, favorisant

à la fois la création et l’accès des citoyens à la culture, rien ne justifie que ces sensibilités

différentes affectent l’appréhension commune du préjudice subi par les ayants droit au

regard de la pratique de la copie privée, et par capillarité celle de la « compensation

équitable ». La réglementation européenne doit donc strictement encadrer la latitude

laissée à chaque pays dans l’application de l’exception pour copie privée.

L’UFC-Que Choisir appelle à une harmonisation de l’exception pour copie privée à l’échelle

européenne précisant les modalités communes de détermination de la « compensation

équitable ».

La « compensation équitable » devant réparer un préjudice affectant réellement les ayants

droit au regard de la pratique de la copie privée, il est nécessaire, pour déterminer la

méthodologie visant à préciser son niveau, d’appréhender finement la notion de

préjudice, ainsi que, le cas échéant, les déterminants de sa valorisation.

L’absence préjudiciable d’une définition législative du préjudice

L’UFC-Que Choisir a toujours défendu le droit des consommateurs à réaliser des copies

privées tout en admettant qu’un préjudice occasionné aux ayants droit en raison de la

pratique pouvait justifier qu’une compensation financière soit obtenue par ces derniers. A

cet égard, l’association n’a cessé d’appeler les pouvoirs publics à préciser, sur la base

d’une analyse objectivée, la notion de préjudice.

Si « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », force est alors de

constater qu’en France, depuis l’introduction de la redevance pour copie privée il y a

trente ans, les malheurs de la redevance pour copie privée s’accumulent. En effet, il est

constatable et regrettable qu’aucun texte législatif n’ait jamais défini la nature du

préjudice censé être réparé par les consommateurs.

Cela étant, à défaut d’être gravée dans le marbre législatif, le marbre administratif fait –

indirectement – apparaitre une définition du préjudice.

En effet, dans une décision58 datée du 17 juin 2011, le Conseil d’Etat considère, en

confondant au passage rémunération et compensation, que :

« la rémunération pour copie privée doit être fixée à un niveau permettant de produire

un revenu, à partager entre les ayants droit, globalement analogue à celui que

procurerait la somme des paiements d’un droit par chaque auteur d’une copie privée

s’il était possible de l’établir et de la percevoir ».

Autrement dit, le préjudice pour les ayants droit peut être défini comme provenant de leur

incapacité à pouvoir négocier directement avec les consommateurs le droit de ces

derniers de réaliser de la copie privée.

Il convient d’indiquer qu’une autre interprétation de la notion de préjudice a été faite au

sein même du Conseil d’Etat. Dans le cas de l’affaire jugée, le rapporteur public jugeait

58 http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-

une-communication-particuliere/CE-17-juin-2011-Canal-distribution-et-autres

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ainsi que « Le préjudice pour les auteurs naît de ce qu’au lieu d’acheter leur œuvre, elle est

copiée »59. Autrement dit, le préjudice est vu comme correspondant à la perte de chance

sur le marché primaire qui découle de l’exception pour copie privée.

Il est notable que cette approche rejoint celle qui avait été exprimée lors des débats

parlementaires en France en 1985 autour de la proposition de loi instaurant la redevance

pour copie privée. Le sénateur Charles Lederman notait ainsi « La prolifération des copies

privées […] crée un préjudice aux auteurs, compositeurs, musiciens, réalisateurs en les

privant […] des ressources qu’ils auraient pu tirer des ventes de leurs produits »60. Cette

considération est également partagée par l’avocat général de la CJUE M. Maciej SZPUNAR

qui dans ses conclusions dans le cadre de l’affaire C-470/1461 indique concernant la

copie privée que « [le] préjudice [pour les ayants droit] se présente sous la forme d’un

lucrum cessans, la copie privée limitant potentiellement le nombre d’exemplaires

vendus ». Critiquant la première approche que nous avons évoquée, il ajoute que « si le

titulaire de droits pouvait réclamer à l’utilisateur un paiement quelconque, l’on ne serait

plus dans l’hypothèse d’une exception au monopole dudit titulaire, mais dans celle d’une

exploitation normale de ce monopole ». Autrement dit, l’analyse de l’avocat général va à

l’encontre de la position adoptée en France par le Conseil d’Etat.

On voit ainsi que la détermination de la notion de préjudice n’est pas une simple joute

sémantique ; elle a un impact concret sur la quantification du préjudice.

En effet, dans le cas de figure où le préjudice correspond à l’impossibilité pour les ayants

droit de négocier avec les consommateurs leur capacité à réaliser de la copie privée, la

détermination de « la compensation équitable », si tant est qu’elle ait une réelle valeur

juridique, se doit de prendre en compte l’estimation faite par les ayants droit et les

consommateurs de la valeur de la copie privée. Dans le cas de figure où la copie privée

est vue comme correspondant à une perte de chance, c’est la seule estimation faite par

les consommateurs de la valeur de la copie privée qui importe, étant entendu qu’une

copie privée n’est pas nécessairement un substitut à un achat.

L’UFC-Que Choisir appelle les autorités européennes (Commission européenne, Parlement

européen, Conseil européen) à tirer profit de la révision de la directive « société de

l’information » pour établir une notion précise du préjudice lié à la pratique de la copie

privée à la fois claire et conforme à la nature juridique de l’exception pour copie privée.

En tout état de cause, et en l’état du flou actuel sur la notion de préjudice, nous voyons

que les seuls acteurs systématiquement impliqués dans la détermination de la valeur du

préjudice sont les consommateurs. Pour pallier l’absence de normes législatives, à la fois

française et européenne, quant à la définition du préjudice, il convient donc de se baser

sur les différents facteurs qui affectent la valorisation de la copie privée par les

consommateurs.

b) La transformation digitale remodèle la valorisation du préjudice économique

59 Voir compte rendu de la séance du 11 mai 2012 de la Commission copie privée :

http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/40476/324647/version/1/file/CR+du+11+m

ai+2012.pdf

60 http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1985/04/s19850402_0065_0094.pdf

61

http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=173583&pageIndex=0&doclang=FR&mo

de=req&dir=&occ=first&part=1&cid=739075

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Le passage de l’univers physique à l’univers numérique entraine des aménagements du

champ d’application des droits. Notamment, il est remarquable que l’épuisement du droit

de distribution en place dans l’univers physique s’épuise dans l’univers numérique. Ainsi,

un consommateur n’a pas le droit de revendre d’occasion une œuvre musicale numérique

alors qu’il peut le faire avec un CD62. Cette asymétrie de droit – qui pourrait s’expliquer,

sans nécessairement trouver une justification, par la capacité des consommateurs à

dupliquer indéfiniment et sans perte de qualité une œuvre numérique donnée – permet

de souligner l’existence d’une transgénèse liée au passage du physique au numérique.

Indiscutablement, cette transgénèse affecte l’exception pour copie privée.

Une valorisation de la copie privée bouleversée par l’émergence du numérique

La valorisation d’une copie privée par les consommateurs, si elle devait avoir lieu,

reposerait sur plusieurs paramètres.

D’un point de vue consumériste, la copie privée peut-être perçue comme :

- Une assurance contre la dégradation ou la perte de l’œuvre originellement

acquise ;

- Un potentiel substitut à l’achat d’une œuvre (si elle est enregistrée lorsque l’œuvre

est diffusée à la télévision ou à la radio) ou un potentiel substitut à un achat de

l’œuvre sur un autre support que celui contenant originellement l’œuvre.

Perçues ainsi, les justifications à la copie privée éclairent la notion protéiforme de

préjudice.

Cela étant, l’intérêt ne s’arrête pas à la seule notion de préjudice, mais, une fois celle-ci

arrêtée, se prolonge à un questionnement sur la valorisation de ce préjudice étant

entendu que seul un préjudice clairement monétisable saurait justifier une

« compensation équitable ».

La valorisation de la copie privée comme correspondant à une assurance contre la

dégradation ou à la perte de l’œuvre originellement acquise n’est pas aisée, dans le sens

où il s’agit de s’interroger sur une négociation qui dans les faits n’existe pas. Cependant,

la copie ayant lieu, il est pertinent de juger la valeur monétaire de cette copie telle qu’elle

est considérée par les consommateurs.

Si cette valeur est fonction croissante du prix du bien original, elle est surtout fonction

croissante de la probabilité de dégradation ou de perte du bien. Ainsi, plus un

consommateur jugera probable la dégradation ou la perte du bien, plus il jugera élevée la

valeur de la copie (en proportion du prix original).

La valorisation de la copie privée comme correspondant à un éventuel substitut à l’achat

d’une œuvre suppose de connaitre, parmi les consommateurs pratiquant la copie privée

d’une œuvre, la proportion de ceux qui à défaut de copie privée auraient acheté l’œuvre

copiée sous une autre forme (ou l’auraient acheté tout court dans le cadre d’une copie

d’une œuvre radiodiffusée ou télédiffusée).

62 On notera cependant que la CJUE, dans son arrêt dans l’affaire C-128/11 (http://eur-

lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62011CJ0128:FR:HTML) juge qu’un logiciel peut être

revendu d’occasion par la personne qui l’a originellement acquis. Pour que l’effectivité de ce droit se

manifeste, la Cour juge cependant indispensable que le revendeur ne dispose plus d’une copie originelle. Si tel

devait être le cas, la logique voudrait que la valeur de toute œuvre numérique sur le marché de l’occasion

tende vers 0.

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On voit bien qu’au global, la valorisation d’une copie privée suppose la connaissance de

trois paramètres : le prix sur le marché de l’œuvre copiée, l’estimation par le

consommateur de la probabilité de dégradation ou de perte du bien initialement acheté,

et enfin la proportion dans laquelle les copies effectuées se substituent à un achat sur le

marché qu’auraient réalisés les consommateurs.

Ces éléments dressés, apparaît la difficulté consistant à déterminer la valeur des deux

derniers paramètres, ce qui peut justifier que pour pallier cette absence d’information, les

ayants droit soient impliqués dans le processus de détermination de la compensation

équitable.

Cela étant, il est notable ici que la transition vers le tout numérique affecte

considérablement la portée de ces deux paramètres.

La probabilité de dégradation ou de perte de l’œuvre initialement achetée est en effet

nulle. Une ligne de code ne se dégrade pas dans le temps, et dans l’hypothèse où un

support contenant l’œuvre est perdu, l’œuvre peut être téléchargée à nouveau, sans

surcoût, sur la plateforme à partir de laquelle elle l’a été initialement63.

Quant à l’effet de substitution, il est quasi absent dans le numérique. En effet, la copie

d’une œuvre acquise sur une plateforme ne se substitue en rien à la même œuvre

disponible sur une autre plateforme. Tout juste peut-on considérer que, sur le papier, cet

effet de substitution est susceptible de jouer sur les œuvres télédiffusées. Cela étant,

compte tenu de la chronologie des médias il est difficile de défendre l’idée selon laquelle

la copie des œuvres télédiffusées a un réel impact sur le marché primaire. Par ailleurs,

concernant les séries, leur disponibilité en replay (même si pour un temps limité), ne peut

que raisonnablement les exclure du champ de la redevance pour copie privée.

En conséquence, l’évolution vers le numérique redéfinit profondément la notion même de

« compensation équitable » qui perd de sa pertinence à mesure que se développe la

numérisation de l’accès aux œuvres. La révision de la directive « société de l’information »

se doit de tenir compte de cette évolution concernant la valorisation économique de la

copie privée.

De plus, la compensation équitable étant d’après la directive « société de l’information » la

contrepartie du préjudice subi par les ayants droit du fait de la pratique de la copie privée,

et la compensation équitable étant d’après l’arrêt Padawan une notion autonome du droit

européen, alors le préjudice subi ne peut pas ne pas être une notion non autonome du

droit européen. Or aujourd’hui les lectures du préjudice divergent au niveau des Etats

membres, chose que même le principe de subsidiarité ne saurait justifier.

Pour l’UFC-Que Choisir, la valorisation du préjudice doit principalement reposer sur la

valeur accordée par les consommateurs aux copies privées qu’ils effectuent. La révision

de la directive « société de l’information » doit donc tenir compte de la valorisation

économique de la copie privée à travers ce prisme mais également veiller à ce que la

compensation équitable découlant de cette valorisation soit harmonisée à l’échelle

européenne.

Une articulation entre contractualisation et compensation à redéfinir

63 Evidemment, en cas de faillite de la plateforme où l’œuvre a été achetée ceci n’est plus possible. Mais la

concentration du marché autour de quelques acteurs puissants rend cette configuration de moins en moins

probable.

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La digitalisation de la consommation des œuvres culturelles modifie la relation entre

ayants droits et distributeurs, les modalités d’exploitation des œuvres pouvant en effet

être contractuellement définies entre ces acteurs. Cette contractualisation peut

notamment avoir des implications concernant la copie privée puisque celle-ci peut y être

inclue. Dans son rapport64 de médiation sur la copie privée, Antonio Vitorino notait

d’ailleurs qu’il est habituel que les actes de reproduction soient une composante des

accords de licence.

La contractualisation de la copie privée peut avoir deux vertus principales. Premièrement

elle peut être une assurance pour le consommateur de pouvoir réaliser des copies,

sachant que cette contractualisation oblige l’absence de mesures techniques de

protection rendant impossibles les copies. Secondement, elle peut permettre de

contractualiser la compensation pour copie privée.

Seulement, actuellement, et contrairement à ce que l’intuition pourrait laisser croire, la

contractualisation de la copie privée ne sort pas du champ de la redevance pour copie

privée les copies réalisées sous licence. En effet, la CJUE, dans sa lecture de la directive

« société de l’information », a jugé dans son arrêt65 dit « VG Wort » dans les affaires jointes

C-457/11 à C-460/11, que cette contractualisation est sans effet dans un Etat membre

qui a mis en place dans sa législation interne l’exception pour copie privée ; la logique

juridique est qu’à partir du moment où l’exception pour copie privée dispense la personne

réalisant une copie privée de demander en amont l’autorisation des titulaires de droits, le

fait que ces titulaires autorisent contractuellement la copie est sans effet.

En termes économiques cela pose un problème évident puisque si les copies de l’œuvre

acquise sont contractualisées, elles sont ainsi partie intégrante de la monétisation par les

ayants droit de l’exploitation de leurs œuvres auprès des distributeurs. Autrement dit, les

consommateurs sont susceptibles de payer à deux reprises pour la réalisation d’une

même copie. L’anomalie doit être juridiquement corrigée.

Dans le cadre de la révision « société de l’information », l’UFC-Que Choisir demande que la

législation européenne acte que toute copie privée réalisée en application d’une

possibilité contractuellement établie soit exclue du champ de la redevance pour copie

privée.

Prenant appui sur le constat de l’incapacité de la France à procéder aux réformes de la

redevance pour copie privée afin de légitimer le mécanisme auprès des consommateurs,

cette présente partie a permis de souligner la nécessité de réformer la copie privée au

niveau européen. Soulignant la nécessité de strictement corréler la redevance pour copie

privée au préjudice réellement subi par les ayants droit du fait de la pratique pour copie

privée, cette partie a ainsi fixé les lignes directrices d’une réforme européenne de la

directive « société de l’information » permettant l’encadrement de la compensation

équitable au titre de l’exception pour copie privée.

64 http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/levy_reform/130131_levies-vitorino-

recommendations_en.pdf

65

http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=138854&pageIndex=0&doclang=FR&mo

de=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1150120

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Conclusion et demandes de l’UFC-Que Choisir

Etablissant un état des lieux de la qualité de l’offre légale d’œuvres culturelles dans

l’univers numérique, notre étude permet de souligner que malgré la persistance de frein à

une amélioration davantage marquée – prix encore élevés pour le téléchargement,

catalogues de la SVOD perfectible, présence de DRM sur les livres numériques – l’offre

légale est aujourd’hui bien plus conforme aux attentes des consommateurs que par le

passé.

Comme l’UFC-Que Choisir l’a toujours soutenu, il existe une relation de causalité forte

entre l’état de l’offre légale et son adoption par les consommateurs. Dès lors, il n’est pas

surprenant que les consommateurs adoptent massivement les nouveaux modes de

consultation des œuvres culturelles, cette adoption se traduisant notamment par une

hausse particulièrement marquée de chiffre d’affaires du marché numérique de la

musique enregistrée ces dernières années (+ 73 % entre 2010 et 2015). Par ailleurs, la

décroissance des comportements illicites sur internet que nous avons identifiée constitue

une conséquence logique de ce progrès de l’offre légale. Il existe une disposition forte des

consommateurs à payer pour le contenu culturel, et il ne tient qu’à l’industrie de proposer

une offre légale encore plus attractive pour que le dynamisme de croissance des revenus

tirés du numérique soit le moteur d’une croissance des revenus de l’ensemble du secteur.

Ainsi, la juste rémunération de la culture et son financement pouvant être assurés par les

actes consuméristes, pour peu que les industries culturelles participent encore à

l’amélioration de l’offre légale, la recherche de revenus complémentaires par la taxation

des consommateurs perd plus que jamais de sa légitimité.

C’est ainsi que partant de la proposition d’instaurer une taxe sur les objets connectés du

rapport Lescure (2013), nous avons démontré son manque de pertinence, qui plus est

dans un environnement marqué par une inefficience du considérable financement public

de la culture en France (20 milliards d’euros par an).

De plus, le dévoiement de la redevance pour copie privée en France, considérée à tort

comme une rémunération est plus que jamais injustifié. Alors qu’une juste refonte du

mécanisme de la redevance pour copie privée semble exclue en France, il importe que la

Commission européenne, qui doit présenter à l’automne 2016 un projet de révision de la

directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, avance s’agissant

de l’exception pour copie privée, pour définir clairement le préjudice économique mais

aussi fixer une méthodologie harmonisée pour le calculer.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’UFC-Que Choisir, partisane d’un financement sain

et vertueux de la culture, et soucieuse de la préservation des droits des consommateurs

dans l’univers numérique, demande :

- Au gouvernement de lancer sans délai un audit sur le financement public de la

culture en mettant l’accent sur son efficacité par rapport aux besoins réels des

industries culturelles et à la demande des consommateurs ;

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- A la Commission européenne de profiter de la révision à venir de la directive

2001/29 pour harmoniser l’exception pour copie, notamment en définissant une

méthodologie objective de détermination du préjudice subi par les ayants droits

en raison de la pratique de copies privées ;

- L’extension du principe de l’épuisement du droit de distribution (c’est-à-dire la

capacité pour l’acheteur d’un bien culturel de le donner, le prêter ou encore le

vendre) à toute œuvre culturelle numérique acquise dont la copie est rendue

impossible par la présence de mesures techniques de protection.