Culianu, IP - « Démonisation du Cosmos » et dualisme gnostique (1979)

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    Ioan Petru Culianu

    Dmonisation du Cosmos et dualisme gnostiqueIn: Revue de l'histoire des religions, tome 196 n1, 1979. pp. 3-40.

    Rsum

    Aprs avoir pass en revue la formation et le dveloppement de l'ide grecque d'une eschatologie cleste, l'auteur s'arrte plus

    longuement sur la reprsentation de l'Enfer cleste, en critiquant l'opinion selon laquelle Hraclide du Pont serait l'auteur de cette

    doctrine. Le centre de son analyse concerne la formation d'un certain nombre de concepts, de thories et d'images qui

    convergent vers l'laboration, l'poque des Tannates, d'un "prdualisme" juif qui, ce titre, pourrait expliquer la

    dmonisation du cosmos dans le climat religieux des premiers sicles aprs J.-C. et mme les racines du dualisme

    gnostique. Dans tout cet ensemble de doctrines prsentes dans le judasme tardif, celle des anges des peuples lui parat

    fondamentale pour rendre compte de la gense des puissances hostiles du monde cleste, qui, associes d'autres entits

    malfiques (Satan, etc.) ou terribles (l'ange de la mort), aboutissent la formation des "archontes" gnostiques.

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    Culianu Ioan Petru. Dmonisation du Cosmos et dualisme gnostique. In: Revue de l'histoire des religions, tome 196 n1,

    1979. pp. 3-40.

    doi : 10.3406/rhr.1979.6884

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1979_num_196_1_6884

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_4421http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1979.6884http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1979_num_196_1_6884http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1979_num_196_1_6884http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1979.6884http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_4421
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    DMONISATION DU COSMOS ET DUALISME GNOSTIQUE

    Aprs avoir pass en revue la formation et le dveloppementde Vide grecque une eschatologie cleste, Vauteur s'arrte pluslonguement sur la reprsentation de VEnfer cleste, en critiquantV opinion selon laquelle Hraclide du Pont serait V auteur de celledoctrine. Le centre de son analyse concerne la formation d'uncertain nombre de concepts, de thories et d'images qui convergentvers l'laboration, l'poque des Tannates, d'un prdualismejuif qui, ce titre, pourrait expliquer la dmonisation ducosmos dans le climat religieux des premiers sicles aprs J.-C.et mme les racines du dualisme gnostique. Dans tout cet ensemblede doctrines prsentes dans le judasme tardif, celle des angesdes peuples lui parat fondamentale pour rendre compte de lagense des puissances hostiles du monde cleste, qui, associes d'autres entits malfiques (Satan, etc.) ou terribles (l'angede la mort), aboutissent la formation des archontes gnostiques.Le changement qui a lieu, pendant l'hellnisme et l'poque

    romaine, dans les perspectives cosmologiques, anthropologiquest eschatologiques de la priode classique a t l'objetdes recherches de prestigieux savants comme M. P. Nilsson,W. Nestle et E. R. Dodds1. Le nouveau Zeitgeist comporte la

    1. Cf. M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, Miinchen, 1950,vol. II ; W. Nestle, Griechische Religiositt (1930-1934), tr. it. Storia dliareligiosii greca, Florence, 1973, pp. 337 ss. ; E. R. Dodds, Pagan and Christianin an Age of Anxiety, Cambridge, 1965, chap. 1.Cette recherche, dans ses grandes lignes, a t conduite Milan (1973-1976).Que le lecteur veuille nous excuser d'avoir utilis nombre de traductions italiennes, en vue d'une rdaction finale en italien. Le temps ne nous a pas permisde chercher les indications bibliographiques dans les traductions franaisesexistantes.Revue de l'histoire des religions, n 3/1979

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    4 loan P. Culianutranscendance radicale de la divinit, la multiplication dessystmes d'intermdiaires entre celle-ci et le monde, le thmepresque unitaire de l'eschatologie cleste2.A partir du Ier sicle apr. J.-C, l'eschatologie cleste secombine avec la dmonisation du cosmos3, qui connat sonexpression triomphante dans les diffrents systmes gnostiquesappartenant soit au type syro-gyptien (sthien), soit autype iranien4.

    Entre les premiers tmoignages qui attestent, au ve sicleav. J.-C, la propagation des ides concernant les rapportsmes-astres et ceux qui, au Ier sicle apr. J.-C, nous informentdu caractre dmoniaque attribu aux sphres astrales, il fautplacer (entre le ive et le 11e sicle av. J.-C) l'apparition d'unereprsentation intermdiaire : l'Enfer cleste.Pour pouvoir discuter l'origine et les formes assumes parla dmonisation du cosmos il faudra d'abord s'occuper del'eschatologie cleste et de l'Enfer hellnistique qui, ayantquitt son emplacement traditionnel dans les entrailles de laterre, est localis maintenant soit quelque part dans les cieux,soit, plus prcisment, dans la zone sublunaire.

    Ces trois problmes, cause de l'ampleur des matriauxmis en cause, ncessitent chacun une discussion spare, sansoublier pourtant leur enchanement historique et phnomnologique naturel. L'Enfer cleste et, ensuite, ce qu'on aappel dmonisation du cosmos ne sont rendus possiblesque par l'eschatologie cleste ; de mme, la reprsentationd'un Enfer astral, si elle n'explique pas tout fait la dmonisation u cosmos, forme nanmoins un anneau intermdiaireimportant entre le premier et le dernier membre de notre sriede phnomnes.1. U eschatologie cleste, mme si elle reprsente un motifde plus ancienne date, ne s'impose qu'avec les mythes de

    2. Cf. Hans Jonas, Gnostic Religion, Boston, 19632, pp. 31-42.3. Cf. J. Kroll, Gott und Hlle. Der Mylhos von Descensuskampfe (1932),reprod. anast., Darmstadt, 1963, pp. 58-59.4. Cf. notre c.r. du livre cit de H. Jonas (n. 2 supra) paru en trad, ital.,dans Aevum, 1975, 49, 5-6, pp. 586-587.

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    Dmonisation du cosmos 5Platon5. Son origine et ses transformations ont donn lieu d'innombrables discussions, que nous allons rsumer dans lespages suivantes.La premire allusion, en Grce, l'immortalit cleste,semble tre l'pitaphe des guerriers tus en 432 Potide : L'ther a reu leurs mes, la terre leurs corps 6. Des ides analogues apparaissent dans les vers faussement attribus charme, connus par Euripide7 et dans La Paix d'Aristophane(reprsente aux Dionysies de 421 )8. Enfin, tout un complexemythique et idologique rpandu au ve sicle met en rapportl'me humaine, immortelle ou non, avec les hauteurs clestes9,

    L. Rougier10 a soutenu l'hypothse de l'origine pythago-5. Rp., 613 e - 621 d ; Phdon, 107 - 114 ; Gorg., 523 a - 527 Sur lesmythes de Platon, v. en gn. : P. Frutiger, Les mythes de Platon. Elude philosophique et littraire, Paris, 1930 ; P.-M. Schuhl, La fabulation platonicienne,Paris, 19682 ; J. A. Stewart - G. R. Levy, The Myths of Platon, London, I9603(livre largement dpass). Pour le Phdre, cf . L. Robin, La thorie platoniciennede V Amour, Paris, 19642, par. 32 ss.6. Ajp (Jtiv ^ 8, >[ Se x^wv. Cf. F. Cumont, Luxperptua, Paris, 1949, p. 146.7. La poussire la poussire, le souffle en haut ; cf . L. Rougier, Lareligion astrale des Pythagoriciens, Paris, 1959, p. 84 ; F. Cumont, op. cit., p. 46 ;W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism (tr. angl. revue etamplifie de Weisheit und Wissenschaft : Studien zur Pythagoras, Philolaos undPlaton, Numberg, 1962), Cambridge Mass., 1972, p. 361.8. Pax, w. 832-837 ; cf . Rougier, p. 85 ; Cumont, p. 146 ; Burkert,p. 360, n. 52.9. Selon Burkert, p. 360, dans ce complexe se rangent : 1) l'originedivine et le retour de l'me au ciel (probablement le Safxcov d'Empdocle, ap.E. R. Dodds, The Greeks and the Irrational (1951), tr. it . / Greci e V Irrazionale,Florence, 1973, pp. 200-201) ; 2) la divinisation des toiles (dont l'origine seraitbabylonienne) et les catastrismes (d'origine gyptienne) (cf. Heraclite^fr. A 15 Diels-Krantz = Macrob., in S. Scip., I, 14 , 19 : (animam) scintillamstellaris essentiae. Cf. J. Flamant, Macrobe et le no-platonisme latin la findu IVe sicle, Leiden, 1977, p. 508 et discussion de la source de Macrobe, ibid.,pp. 508-511. Mais quelle est la valeur de cette doxographie macrobienne ?) ;3) le rapport entre la lune et l'esprit des dfunts (cf. infra, n. 48-50 et 55) ;

    4) l'ascension cleste (pour Burkert, d'origine iranienne) (mais cf. dj Parm-nide, fr. 16 D.-K., ap. A. Dieterich, Eine Mithrasliturgie (19233), reprod. anast.,Darmstadt, 1966, p. 197 : II voyage sur un char tir par des chevaux, guids parles Hliades, vers la lumire, par la porte de Dik, l o les chemins du jour et dela nuit se sparent, et il reoit l-bas, de la Vrit mme, sa rvlation ). Enfin,pour les ides sur la nature igne ou arienne de l'me chez les physiologuesioniens, chez Parmnide, Hippasus, Leucippe et Dmocrite (Burkert, p. 362)et probablement chez Empdocle (Dodds, p. 200, n. 2), cf . infra, n. 26-32.10. L. Rougier, L'origine astronomique de la croyance pythagoricienne enVimmorlalii cleste des mes, Le Caire, 1933. L'auteur a repris exactement lesmmes vues dans l'uvre de vulgarisation scientifique cite supra, n. 7. Nosrfrences concerneront toujours ce deuxime livre plus rcent.

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    6 loan P. Culianuricienne de la croyance en l'immortalit astrale des mes. La rvolution scientifique pythagoricienne aurait t la dcouverte de l'astronomie gomtrique, qui va consister montrerqu'on peut rendre compte de toutes les particularits desmouvements apparents des plantes, en combinant un petitnombre de mouvements circulaires et uniformes dont chacunest aussi simple et rgulier que la rvolution diurne du Cieldes fixes n. Cette dcouverte aura comme rsultat la projection des trajectoires des plantes sur des sphres, tandis quepour l'astronomie babylonienne, ces trajectoires taient copla-naires. Le mrite des pythagoriciens aurait t de poser leproblme des distances moyennes des plantes par rapport laterre12, problme qui trouvera une solution par le computscientifique d'Eudoxe de Cnide (n c. 408), auteur du systmedes sphres homocentriques rform par Callippe de Cyziqueet intgr par Aristote sa physique13. L' astronomie gomtrique des pythagoriciens portait une thorie dualistedu monde, l'opposition substantielle entre le monde clestedes mouvements circulaires uniformes et le monde sublunairedes mouvements rectilignes acclrs. Les corps sublunairessont des mixtes sujets la corruption, tandis que les corpssupralunaires sont forms de feu ou d'ther incorruptible14.L'me, apparente aux astres, est d'origine supralunaire etd'essence igne15. Tombe du ciel par suite d'une faute originelle (ici Rougier n'exclut pas l'influence orphique sur lepythagorisme)16, l'me rintgrera sa patrie cleste aprs lamort physique17. Enfin, les pythagoriciens auraient connuaussi la doctrine de la mtensomatose, l'ide d'un purgatoiresublunaire, etc.18.La thse de L. Rougier, approuve en gnral par

    11. Rougier, p. 27.12. Ibid., pp. 28-34.13. Ibid., pp. 36-37.14. Ibid., pp. 49-53.15. Ibid., pp. 61-64.16. Ibid., pp. 67-70.17. Ibid., pp. 64-65.18. Ibid., pp. 71 s. et 78 s.

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    Dmonisalion du cosmos 7P. Boyanc19, a t critique par F. Cumont20, lequel ne niepourtant pas l'existence, dans le pythagorisme, de tout cecomplexe mythique et idologique mis en vidence par Rougier;Cumont observe tout simplement que le dogme de l'immortalitleste , propag en Grce par les pythagoriciens, estd'origine iranienne21, tandis que l'ordre chalden des plantes, emprunt dj par Archimde, serait ainsi que sonnom l'indique d'origine babylonienne22 ; ce dont on nesaurait douter, et-il jamais exist en terre msopotamienne23.Les discordances entre l'ordre gyptien de Platon etl'ordre chalden ont t rcemment expliques par J. Flamant comme inhrentes au mme systme, savoir la thorie hliosatellitique dont Hraclide du Pont pourrait trel'auteur. Un passage de Platon {Tim. 38 ) et un autrede l'auteur de YEpinomis (Philippe d'Oponte, d'aprsJ. Bidez) (986 ss.) pourraient toutefois indiquer que

    19. P. Boyanc, Etudes sur le Songe de Scipion, Bordeaux-Paris, 1936 ;Id., La religion astrale de Platon Cicron, REG, 1952, 65, pp. 312-349, surtout317-319 et 325-326.20. Cumont, pp. 142 ss.21. Cumont, pp. 147-148. Encore plus, les doctrines auxquelles Rougieraccordait nanmoins une individualit orphique , sont considres comme pythagoriciennes par Cumont (ibid., p. 154). Cela n'est pas du tout surprenant : Une attitude minimaliste envers la tradition orphique fait rapidementaugmenter l'importance du pythagorisme (Wilamowitz, Thomas, Linfortti,Long...), tandis que l'hypercritique envers les pythagoriciens fait peupler JaGrce dorphotlestes (Burkert, p. 125).22. Cumont, pp. 178-179.23. L'ordre plantaire, qu'on a considr comme d'origine chaldenne ,semble driver tout simplement du comput grec scientifique de la distancemoyenne des plantes par rapport la terre, en raison de la dure respective deleurs rvolutions (cf. F. Boll, . Bezold, W. Gundel, Siernglaube und Stem-deutung. Die Geschichte und das Wesen der Astrologie (19662), tr. it . avec l'introd.d'E. Garin, Soria delVastrologia, Bari, 1977, p. 61 : Cette vision du monde est,dans ses traits essentiels, hellnique. D'aprs Fr. Xaver Kugler, Sternkundeund Sterndienst in Babel, vol. 2, 1 : Ntur, Mythus und Geschichte als Grundlagenbabylonischer Zeitordnung, Munster in Westf., 1909, pp. 77-90, l'ordre desplantes pendant la priode no-assyrienne-sleucide (Lune, Soleil, Jupiter,Mercure, Saturne, Vnus, Mars) ne concide pas avec l'ordre grec, tandis quel'ordre babylonien tardif (sptbabylonisch) mettait les plantes en rapport avecleurs influences , en les partageant ainsi en deux groupes, l'un positif. (Marduk, Istar-Sarpanitu, Nab) et l'autre ngatif (Ninib, Nergal). Euxodede Cnide aurait pu s'inspirer, toutefois, du modle cosmique des sphres concenrtriques babyloniennes (cf. H. Bietenhard, op. cit., infra, n. 149, pp. 14-15),-.-Dans ce cas, le systme serait, en partie, inspir par les Chaldens , maisl'ordre plantaire mme ne cesserait pas d'tre grec.

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    8 loan P. Culianucette hypothse n'tait pas trangre Platon lui-mme.

    W. Burkert dtruit les thses de Rougier, tout en accentuant les influences orientales, mais surtout l'apport desreprsentations archaques. Parler d'une rvolution pythagoricienne qui aurait succd la religion homrique luiparat a dangerous oversimplification . Chez Homre, lamaison obscure de l'Hads concide avec l'Elyse et l'apothose d'Hrakls. L'association dieux-ciel est archaque24.L'ide de l'origine divine de l'me et de son retour au ciel esttrs rpandue et prcde Pythagore. La divinisation desastres est chez soi Babylone, les catastrismes le sont enEgypte, l'ide de l'ascension cleste l'est en Iran25. Enfin,l'immortalit et l'essence igne de l'me ne sont pas des trouvailles pythagoriciennes. L'me est immortelle pour Anaxa-gore26 et les crivains mdicaux27, elle est de feu , comme lesoleil et la lune, pour Parmnide et Hippasus28, pour Heraclite29 et mme pour Leucippe et Dmocrite30, tandis que pourAnaximne31, elle est forme de air divin qui entourel'univers32.

    En conclusion, au ve sicle a lieu en Grce le dbut decristallisation d'un complexe mythique archaque concernantle rapport mes-corps clestes. Ce processus n'est pas l'uvreexclusive des pythagoriciens. Ce n'est que dans les dialoguesplatoniciens que l'eschatologie cleste assume une importance

    24. Burkert, p. 359 : The association of gods and sky is primeval andseems self-evident. 25. Ibid., p. 360. Cf. supra, n. 9. Ici Burkert paye le tribut la religions-geschichtliche Schule, peut-tre plus qu'il ne le fallait.26. Aet., IV, 7, 1.27. Hippocr., Carn., 2.28. 28 A 45 D.-K.29. A 15 D.-K. ; cf . supra, n. 9.30. Leucip., A 28 ; Dmocr., A 101-102 D.-K.31. Anaximen., fr. 2 ; cf . Empd., fr. 2, 4 ap. Dodds, p. 200, n. 2.32. Burkert, pp. 361-362 : That the human soul has a very close relationshipo the sky and the stars, and even that it comes from heaven and returnsto it, is thus a generally held belief in Ionian yvaioXoylcc, at least from the timeof Heraclitus and Anaxagoras. In the garb of cixnoXoyia, and in materialist phraseology, what starts as a doxa continues to exert its influence sometimeswith more emphasis on salvation of the soul, and sometimes with more ongeneral thought of microcosm and macrocosm : man is made of portions of thecosmos, and in death like returns to like.

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    Dmonisation du cosmos 9capitale, tandis que le, monde environnant des mystrescontinuera encore utiliser l'ancienne reprsentation d'unHads souterrain unique pour tous les trpasss33. lLes mythes eschatologiques de Platon situent l'Enfer dansle gouffre du Tartare qui traverse la terre sphrique et immobileu centre de l'univers34. Le ciel est rserv l'existenceheureuse du philosophe, dont l'me a rcupr par l'exercicedu dtachement les ailes perdues lors de l'vnement funestede la descente dans le corps35. Il y a deux zones clestes o sonexistence continue aprs la mort : l'une sur la surface de laterre (la Vraie Terre ou les Iles ariennes des Bienheureux36), o il jouit de l'impondrabilit et d'autres facultsspciales, par exemple du contact direct avec les dieux37, etl'autre situe plus en haut, l o l'on contemple directementet immdiatement les essences hyprouraniennes, les ides38.

    On a voulu voir, dans le mythe d'Er du Xe livre de laRpublique, des influences iraniennes39 et babyloniennes40,mais les preuves l'appui de ces thses restent assez maigres41.

    33. L'origine cleste et chthonienne est accentue dans les lamelles orphiques : Petelia, fr. 32 a, Comparetti et Kern, 1 17 D.-K. : tox efxai Opavou acTepoevro et axap Ijjloi yvo opdcviov ; Turii, 32 = 1 18 ,7 D.-K. : fjtepxoO S'l7r6av mais dans le vers suivant, Persphon estappele xQovioc (3aaiXeia.. 34. Rp., 613 d - 621 d.35. Phdre, 246 ft .36. Gorg., 526 ft .37. Phdon, 107 -114 38. Phd.y 114, cf . Tim., 41 ds.39. J. Bidez, Es ou Platon et VOrient, Bruxelles, 1945, pp. 43 ss. ; Cumont,p. 148.40. Cumont, ibid. ; le fuseau d'Anank a t aussi compar par P.-M. Schuhl des reprsentations babyloniennes (op. cit., pp. 71-78).41. Au in6 sicle, Colots, lve d'Epicure, affirme que de Platon neserait autre que Zoroastre (ap. Procl., in Plat. Remp., II, 109, Kroll). MaisZoroastre, ce temps, est un personnage mythologique purement fictif, auquelon attribue des traits appartenant d'autres figures lgendaires ou myth

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    10 loan P. CulianuLa synthse platonicienne dpasse de loin la somme de seslments singuliers. Enfin, maints motifs platoniciens prexistent,ous une forme ou une autre, dans le folklore archaque42et dans les spculations des prsocratiques43. Il n'y a pas deraisons suffisantes pour aller chercher leur origine en Orient,ni pour attribuer Pythagore et aux pythagoriciens le mriteexclusif d'avoir labor une eschatologie cleste.

    > . 2. Le problme de l'origine de la reprsentation d'un Enfercleste reste encore ouvert, mme aprs les recherches quidsignent Hraclide du Pont comme son auteur probable.On ne peut pas juger de l'influence souterraine de celui-ci,seulement sur la foi de quelques tmoignages tardifs, tandisqu'il y a toujours, sinon des certitudes, au moins des soupons,concernant le rle du stocisme dans le dplacement vers le 'haut de l'Hads souterrain. Posidonius ne saurait toutefoistre l'auteur de cette doctrine.

    ** . Les transformations de l'Enfer cleste, du point de vuephnomnologique (sinon historique), sont moins douteuses.On peut distinguer un Enfer plac quelque part dans les cieuxd'un Enfer situ sur la terre et/ou dans la zone sublunaire.Tandis que le premier n'est qu'une des consquences, plus oumoins importantes, de ouranisation totale de l'eschatologie,le deuxime reprsente la rsultante des ides conjugues del'immortalit cleste et de la dvalorisation de l'existenceterrestre.

    , Cette dernire assumption fait partie intgrante du dua-plus proche du pahl. Zaratust (Bidez-Cumont, vol. I, p. 6). A cela il faut ajouterd'autres traditions concernant Z. : Jewish tradition made Abraham Zara-thustra's teacher in astrology. Alexander Polihistor knows the identificationof Z. with Ezekiel, thus making Pythagoras the latter' s disciple. Z. was alsoidentified with Nimrod (sometimes confused with his father Cush, his uncleMizraim, or his grandfather Ham), Seth, Balaam, and Baruch. For the Syrianwriters of the middle ages, Z. was of Jewish origin, and from them this notionpassed over to Palestina (David Winston, The Iranian Component in theBible, Apocrypha, and Qumran, HR, 1966, 5, 2, pp. 184-185). J. D. P. Boltona raison de se mfier devant toutes ces donnes sans aucun rapport rel avec lerformateur religieux iranien et d'affirmer (p. 151) que l'identification de Colotsne prouve, en soi, absolument rien. 42. Burkert, pp. 364 ss. 43. Cf. n. 25-32 supra.

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    Dmonisaiion du cosmos lisme platonicien44, mais il y avait eu avant Platon et il yen aurait eu aprs des gens pour lesquels la terre tait unevalle de larmes. Empdocle, qui dfinissait le monde comme un pays inconnu o demeurent le meurtre et la colre etquantit d'autres misres 45, ne doutait pas, comme Euripide46, que cette vie n'tait que mort et que la mort ouvraitl'accs la vraie vie. Les savants essaient encore de distinguerce qu'il y a d'orphique dans cette ide et ce qu'il y a de pythagoricien. Parmi les trois thmes dominants qui la constituent^seulement le dernier est srement d'origine orphique47 :a) le monde sublunaire sujet au changement et la corrup

    tionb) le corps, gele de l'me ;c) le pch (ou faute) qui explique la situation de dchancede l'homme.a) La thorie de l'origine pythagoricienne de la sparationentre le monde sublunaire et le monde supralunaire48 a perdu

    44. Crat., 400-403 ; Gorg., 492 e ; Rp., 514 a ss., etc.45. Empd., 118 D.-K., ap. W. . Guthrie, Orphe et la religion grecque,tr. fr., Paris, 1956, p. 190 ; Guthrie se rallie timidement l'opinion de Wila-mowitz (p. 213, n. 6) et d'E. Maass (Orpheus. Untersuchungen zur griechischenrmischen altchristlichen Jenseitsdichtung und Religion, Munchen, 1895, p. 95}selon lesquels Empdocle parlerait ici de l'Hads (souterrain). Selon Ronde,Bignone, Kranz, Jaeger, Dodds, etc., le fragment concerne la terre comme lieud'ex:il pour le daimon (Dodds, p. 201 et , d'aprs lui, Burkert, p. 134).46. Il s'agit du clbre vers cit par Platon dans Gorg., 492 e (cf. Guthrie,p. 264, U. Bianchi, Prometeo, Orfeo, Adamo, Rome, 1976, p. 74). A cette citationsuit celle d'un sage qui dit : Nous sommes morts maintenant, et le corps estnotre tombeau , mettre en rapport avec Crat., 400 o la doctrine du [-crjfjia est attribue certains (rtv) sans aucune spcification, tandis qu'oi fjLcp* 'Opcpa l'on attribue la drivation de oJjia de ccoeiv (Dodds, p. 189,n. 4) et l'ide d'une certaine faute (Rougier, p. 69). Dans le Gorgias, aprs lesage se prsente un italiote (donc, un orphique, selon Bianchi, ibid.) quivoque une autre doctrine. Ces deux passages semblent justifier la sparationentre pythagoriciens et orphiques (Cumont, p. 248). La doctrine du [-5[ serait, dans ce cas, pythagoricienne (discussion dans Burkert, pp. 125-129).47. Cumont, pp. 244-245 ; Rougier, pp. 67 ss. ; Dodds, pp. 205 s., etc.48. Rougier, pp. 49 ss. et 80 s., au fond accept par Cumont, pp. 175-177.M. Dtienne, La notion de Daimon dans le pyihagorisme ancien, Paris, 1963,avance l'ide d'une dmonologie lunaire pythagoricienne, en interprtantassez arbitrairement les tmoignages dont il donne cependant un excellentrecueil (cf. F. E. Brenk, In Mist Apparelled. Religious Themes in Plutarch'sMoralia and Lives, Leiden, 1977, p. 139, n. 30).

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    12 loan P. Culianutout crdit. Elle n'appartient, fort probablement, qu'Aristote49.

    Un clbre acousma pythagoricien chez Jamblique noustransmet la croyance selon laquelle les Iles des Bienheureuxseraient le Soleil et la Lune50. La reprsentation d'un purgatoire tmosphrique des mes dsincarnes a t aussi attribue aux pythagoriciens51, qui considraient l'air commepeupl de dmons52. Il aurait fallu le traverser53 pour rejoindreles lieux de batitude cleste.

    W. Burkert observe que l'Hads pythagoricien ne sauraittre cleste. Les Iles des Bienheureux ne sont pas une partiede l'Hads, elles en sont fort loignes 54. Mais il accepte, engnral, l'authenticit de Vacousma, en laissant ainsi les portesouvertes aux hypothses de la mythologie slnienne despythagoriciens55. Celle-ci ne nous intressant pas directement

    49. Cumont, p. 177.50. Jam., VP, 18 (82) : Ti ariv ai (xaxpcov vjooi; ^Xio, osX^vtj. Cetacousma, qui n'est donc pas vieux du tout, prouverait, selon Cumont, p. 147,que les pythagoriciens connaissaient ide de l'immortalit luni-solaire, emprunteaux Indo- Iraniens , savoir aux Mages... dont ils ont connu les doctrines .Sur la Lune comme Ile des Bienheureux : Castor de Rhodes (sec. ier av. J.-C.) ;Plut., Quaest. Rom., 76 (282 a) ; de fac, 29 ; Porph. ap. Stob., I, 49, 61 ; Serv.,ad Aen., VI, 640 et 887. En gnral, la lune n'est qu'une tape intermdiairesur la route solaire (Plut., de facie, 29 (944 ) ; Amat., 20 (766 b) ; Porph.ap. Stob., I, 49, 55). Seulement dans le Comm. Bern. Luc, 9, 9 (qui reflte lesides de Posidonius ?), la lune et le soleil ont le mme rle : l'me rentre insuam sedem, hoc est in solis globm lunae (cf. Burkert, p. 364, n. 75).51. Rougier, pp. 78 ss. ; Cumont, pp. 175 ss. 52. D. L., VIII, 32 : svoa TrvTa tv pa ^ e{X7rXcov.53. Ce topos apparat dans la cathartique dionysiaque (Serv., ad Aen.,VI, 741 ; Juv., III, 485 ; Clem. Al., eel. prophet., 25 ; Serv., ad Georg., I, 165),chez Virg., Aen., 740 ss. ; Cic, T'use, I, 42 ; Cornutus, 59 ; Aug., CD, XIV, 3 etchez les no-platoniciens (Porph. ap. Stob., Ed., I, 49, 60 ; Macrob., in S. Scip.,I, 11 , 6). Cette doctrine du passage travers les lments obtint une largediffusion et jouit d'une faveur durable. On en peut relever les traces dans lesmystres d'Isis et les papyrus magiques d'Egypte, dans les livres gnostiques etle manichisme. D'autre part elle s'est conserve dans les apocryphes chrtiens,et les byzantins n'en avaient pas perdu le souvenir (Cumont, p. 211). II estsuperflu de l'attribuer Posidonius (ibid., p. 176), comme il est superflu de luiattribuer la nouvelle religion solaire (cf. M. Laffranque, Poseidoniosd'Apame, Paris, 1964 ; H. Grgemanns, Untersuchungen zum Plularchs DialogDe facie in orbe lunae, Heidelberg, 1972, pp. 17-18). Enfin, son origine pythagoricienne est tout aussi douteuse.54. Burkert, p. 364.55. Qualits des Slniens : ils sont quinze fois plus grands que les hommes,n'ont pas besoin d'excrter, etc. (Aet., Plac, II, 30, 1). Il est difficile d'attribuerune origine pythagoricienne aux passages de Plutarque concernant le rle

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    Dmonisation du cosmos 13dans ce contexte, soulignons simplement le fait que la distinction entre une zone incorruptible au-del de la lune et unevalle de larmes en de de l'astre nocturne semble driverdu systme des sphres homocentriques et de la cosmologiearistotlicienne. Pourrait-on assigner une telle tripartitiondu cosmos (Hads souterrain, purgatoire arien, Iles clestesdes Bienheureux), tripartition qui aurait prfigur celle dePlaton, une origine pythagoricienne56 ? Les tmoignages l'appui de cette hypothse sont, on l'a dj vu, peu nombreuxet douteux.

    Une autre ide tenue pour pythagoricienne57, originaireeschatologique de la lune, ainsi qu'ont fait, sous l'influence de G. Mautis[Recherches sur le pythagorisme, Neuchtel, 1922), de P. Boyanc (Les deuxgnies personnels dans l'Antiquit grecque et latine, Rev. de Philol., 1935, 79 ,pp. 189-202) et de F. Cumont (dernire formulation dans Lux perptua,pp. 172 ss.), G. Soury (La dmonologie de Plutarque, Paris, 1942) et M. Dtienne(op. cit.).Dans de genio Socr., 591 b-c, le retour dans le cycle mtensomatique a lieusur la Lune, qui spare ainsi deux zones cosmiques : celle de Hads sublunaireet celle des tages suprieurs. L'univers est quadripartite : le dernier tage (px?)de la Vie), ouvert sur le monde invisible (des ides platoniciennes) est administrpar la Parque Atropos Yarch du Mouvement, administre par Clotho, estcouple Yarch de a Gnration (Lachesis) par l'intermdiaire du vo, dans leSoleil. Enfin, la Gnration est couple la Corruption (Destruction), c'est--dire au monde sublunaire, par l'intermdiaire de la

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    14 loan P. Culianuventuellement de l'Inde, d'o elle aurait rejoint la GrandeGrce travers la Perse58 (o elle n'a pas laiss de trace...),est celle de la mtensomatose. Au dire de Diogne Larce,Xnophane, la plus ancienne source sur Pythagore, l'attribue celui-ci59. Elle apparat chez Pindare60, Empdocle61, Hrodote62, Platon63. On l'a attribue aux orphiques64 et aux Egyptiens 65. Pour W. Burkert il pourrait s'agir d'unedoctrine d'Italie mridionale, due au remaniement de l'or-phisme par Pythagore lui-mme66. Quoi qu'il en soit, la mtensomatose prsuppose une conception pessimiste de la vieterrestre, conception illustre aussi par le dualisme platonicien. En termes anthropologiques elle implique presquencessairement une doctrine du corps comme prison de l'me(antisomatisme), mais n'entrane pas automatiquement l'autremotif dualiste, c'est--dire la transformation en pur enferdu monde naturel (anticosmisme).

    b) On a distingu, dans le clbre passage platonicien surle a

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    Dmonisation du cosmos 15aux orphiques l'usage de ce jeu de mots et son interprtation68.Ceux auxquels on en a attribu la vraie paternit sont lespythagoriciens69.c) A la littrature orphique appartient srement en proprel'ide d'un pch 70 qui a caus la situation de dchance del'homme. Il y a dj des allusions au pch chez Empdocleet Pindare71, mais il serait risqu de les mettre directement enrapport avec le -mythe orphique du dpeage de Dionysosenfant par les Titans, sur lequel les renseignements ne remontentas au-del du sicle72. En tout cas, Dodds a dmontrque Platon tait au courant de ce mythe73. Les 7uaXat,ol GsoXoyoi xal {xavTei de Philolaus74 ne sauraient tre que les orphiques,qui soutiennent que l'me est ensevelie dans le corps causede la punition de certains pchs [Bit xiva Tifwopiac)75.

    Une telle doctrine de la rupture ngative d'une situationprimordiale implique ncessairement le dualisme76 (par exemple68. Ainsi Bianchi, Prometeo, p. 136, qui retient distinction de Dodds.Cf. aussi Bianchi, L'orphisme a exist, Mlanges d'histoire des religions offerts Henri-Charles Puech, Paris, 1974, pp. 129-137, cit. pp. 131-132 : Le ^-^ne saurait tre refuse aux orphiques. 69. Rougier, p. 69 ; Cumont, p. 154.70. Que Bianchi (Pch originel et pch antcdent , RHR, 1966, 170, 2,pp. 117-126) appelle pch antcdent , pour le distinguer de la doctrinechrtienne du pch originel. 71. Ap. Plat., Mn., 81 b ; mais Bianchi, Prometeo, p. 68, pense qu'il n'ya pas d'arguments suffisants pour voir ici une allusion au mythe orphique.72. Papyrus de Fayyum (Gurob) ; cf . H. Jeanmaire, Dionysos. Histoire duculte de Bacchus, Paris, 1951, pp. 379-405. La brve version de la thogonieorphique dans VArgonautika I, vv. 495 ss.) de l'Alexandrin Apollonius de Rhodesne fait aucune allusion aux Titans. La version d'Eudme de Rhodes est aussidu m6 sicle (cf. Guthrie, pp. 94-98).73. Dodds, pp. 206-208, surtout 206, n. 4 (o il commente le passage desLois, 70 1 c) et 207, n. 1-2. L'allusion platonicienne ty;v Xsyo^VTjv roxXaivTVravixTjv cpaiv n'aurait pas de sens si le genre humain n'tait pas issu des

    Titans. Olympiodore (in Phaed., 84, 22 ss.) attribue Xnocrate (fr. 20)l'ide d'un rapport entre la doctrine du corps-prison, Dionysos et les Titans,( ] cppoup... de, Ssvoxpanqc, Tiravix) cmv xal el ivuaov 7roxopu

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    16 loan P. Culianula chute de l'me 77 est une des formulations centrales dudualisme .platonicien).

    La doctrine de la mtensomatose, avec ses variantes78 etses corrlations dualistes79, a un effet immdiat sur les reprsentations de l'Enfer. En effet, du point de vue logique,l'Enfer pourrait tre considr dsormais comme superflu,puisque c'est maintenant l'existence terrestre qui en joue lerle80. Mais cela n'arrive pas toujours : chez Platon, l'Enfersouterrain continue exercer son rle en tant que lieu depunition temporaire ou permanente des pcheurs et desdamns81.

    Le motif de l'Enfer cleste n'existe pas chez Platon. Ilpourrait toutefois driver de l'eschatologie cleste platonicienne, remanie par Xnocrate82, Crantor83 ou par Hra-clide du Pont84. Ce dernier, laiss pendant longtemps dansl'ombre par les deux premiers, a obtenu rcemment le succsque, de son vivant, il parat avoir vainement poursuivi85.Toute une poque a fait du moyen-stocien Posidoniusd'Apame (c. 130-46 av. J.-G.) sinon l'auteur, du moins le propagateur du motif de l'Enfer cleste86. La physique stocienne

    77. Dont la cause reste imprcise ; Tim., Ala : l^ va-poq ; Phdre, 248 :ti ouvTUxia78. Cf. Cumont, pp. 199 ss., qui distingue entre mtensomatose et palin-gnsie ; la dernire dsigne une suite de transmigiations spares par desintervalles , comme chez Platon {Rp., 615; Phdre, 249 e). Cf . Burkert,pp. 133-135.79. Pour simplifier notre expos, considrons que les doctrines du crtofAoc-

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    Dmonisation du cosmos 17s'accorde mal, en effet, avec l'ide d'une eschatologie souterraine87 : l'me tant un souffle ardent, elle a une tendancenaturelle s'lever vers les hauteurs clestes. Le philosopheclectique Posidonius, matre de Cicron, aurait combin lesdonnes stociennes avec le pythagorisme platonicien de sonpoque. et les vieilles croyances astrales de l'Orient 88.Certaines vues de F. Cumont ont t acceptes par K. Rein-hardt89, certaines autres en ont t critiques90. Mais R. Jones91et surtout P. Boyanc92 ont donn le coup de grce aux spculations concernant le mal connu Posidonius93.L'hypothse qui prvaut aujourd'hui remplace une lgendepar une autre : ayant renonc la candidature de Posidonius,on a invit Hraclide s'asseoir sur ce sige prilleux opersonne n'a rsist longtemps. On lui attribue notamment latransformation de l'eschatologie platonicienne, la substitutionl'Enfer souterrain d'un Enfer cleste.

    Hraclide, n Hracle du Pont entre 388 et 373 av. J.-C,aurait frquent l'Acadmie en 364 ou plus tt. Ayant manqu,en 338, la succession de Speusippe, il rentre chez lui pourruminer son insuccs94 et essaie de se consoler en obtenant dumoins l'admiration de ses concitoyens. Dans ses ambitionsmgalomanes il n'pargnera aucune supercherie, mais nerussira pas vaincre leur incrdulit. Bref, ses efforts afin depasser pour un dieu, de son vivant95 ou seulement aprs samort96, chouent lamentablement.

    Un trait hracliden perdu97, contenant les histoires de87. Sext. Emp., adv. math., I, 71 ; VI, 69 ; Cic, Tusc, I, 17 , 40.88. Cumont, Lux perptua, p, 161,89. K. Reinhardt, Kosmos und Sympathie, Mtinchen, 1926.90. Ibid., pp. 308-376, o il critique l'ide que Posidonius aurait t l'intermdiaire entre Platon et Cicron.91. R. Jones, Poseidonius and Solar Eschatology, Class. Phil., 1932, 27,pp. 113-131.92. P. Boyanc, Etudes, pp. 78-104.93. Ce qui a entran l'autocritique de Cumont, Lux perptua, p. 162, n. 4.94. Il tait encore vivant autour de l'an 315 : cf . Bolton, p. 172.95. D.L., V, 91.96. D.L., V, 90.97. Les opinions sur le titre du dialogue varient. Pour Bolton, si nous l'avonsbien compris, il pourrait s'agir du Pri iou apnou lui-mme.

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    18 loan P. Culianucataleptiques clbres comme Hermotimus de Clazomne,Epimnide de Crte, Ariste de Proconnse, Abaris et Pythagore98, serait la base de la conception de l'Enfer cleste".Dans ce dialogue, Hraclide met en jeu un personnage fictif,appel Empdotimus, dont le nom drive d'Empdocle et Hermotimus100.Parmi les tmoignages concernant la doctrine hracli-denne expose par Empdotimus, il y en a trois qui dsignentcelui-ci (ou Hraclide lui-mme) comme l'auteur du motif del'Enfer cleste :1) Philopon, ad Arist., Meteor., I, 8 : Empdotimus auraitappel la Voie Lacte voie des mes qui traverse l'Hadsdans les cieux 101 ;2) Olympiodore, in Plat Phaed., 238, affirme que, selon Empdotimus, le royaume de Pluton (Hads) comprend tout cequ'il y a au-dessous de la sphre du soleil ;3) Numnius, ap. Procl., in Plat. Remp., II 129 Kroll, attribue Hraclide lui-mme la croyance que les mes habitent

    la Voie Lacte.Proclus raconte aussi102 une histoire attribue Clarquede Soles, sur la mort apparente d'un certain Clonymusd'Athnes. Son me, libre du corps, s'lance dans les espaces

    sidraux, d'o elle contemple sur la terre en bas des places dediffrentes formes et couleurs et des rivires qu'aucun mortelne peut voir . L-bas le rejoint un Syracusain, un autre cataleptique. Ils voient les mes qui sont juges et punies et purifies l'une aprs l'autre sous le contrle des Furies . Ilsrentrent sur terre et se mettent d'accord pour se chercher etse reconnatre en chair et en os.J. D. P. Bolton croit trouver dans ce passage un tmoignage irrfutable concernant l'Enfer cleste. Puisque Clarque

    98. Bolton, p. 156.99. Ibid., p. 152.100. Observation faite dj par Rohde ; cf . Bolton, p. 152.101. xh yXa tuv t6 v "Ai5t]v t>v sv opavwSi102. Procl., in Plat. Remp., Il, 113, Kroll.

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    Dmonisation du cosmos 19est le contemporain d'Hraclide, il aurait subi l'influence desvues de ce dernier103. Deux lments du rcit attribu Clar-que semblent, au premier abord, incompatibles avec l'Enfersouterrain : les rivires qu'aucun mortel ne peut regarder (mais qui se trouvent sur la terre !) et surtout la punition etpurification des mes. Considrs pourtant dans l'ensemble del'eschatologie platonicienne, ces lments n'ajoutent rien auximages des grands mythes du Xe livre de la Rpublique et duPhdon (107 ss.). Le jugement des mes auquel Er assistea lieu dans une zone situe entre les bouches du ciel et les bouches de la terre , tandis que leur rincarnation s'effectuedans le Pr du Milieu (de l'univers, d'aprs Zeller ; peut-trela surface mme de la terre qui, par rapport aux crevasseshabites par le genre mortel, joue le rle d'une zone cleste).Lors du tirage des sorts concernant leur destine sur la terre,quelques-unes des mes sont punies , dans le sens qu'ellesfont un mauvais choix. Egalement, aprs le tirage des sorts,les mes sont purifies par de terribles chaleurs et des froidspouvantables, jusqu' ce qu'elles rejoignent la plaine dsertede Lth. Il faut encore rappeler qu'Er ne peut pas voir legouffre du Tartare et que les fleuves infernaux ont desdbouchs sur la terre. Ainsi, le rcit attribu Clarque nesemble introduire rien de nouveau par rapport Platon : lavision de la terre d'en haut, et ti ocvw6$v, n'est qu'une copiedu passage du Phdon, 110 b.

    Chez Plutarque, l'Enfer parat cleste (l'ambigut de lalocalisation de ses rcits est bien connue), mais il y a lieu desupposer que, lui aussi, il n'a pas tout fait renonc l'Enfersouterrain. Thespsius-Aride de Soles104 et Timarque deChrone105 witnessed the fate of the dead in the Hades inthe air 106. Et pourtant, une voix mystrieuse instruit lejeune cataleptique (dans de genio Socr.) sur le sort des malfai-

    103. Bolton, p. 151. Cf. aussi Burkert, p. 367, qui analyse les fr. 93-94(Wehrli) d'Hraclide.104. Plut., de sera num. vind., 567.105. Plut., de genio Socr., 21 ss. (589 fss.).106. Bolton, p. 149.

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    20 loan P. Culianuteurs punis dans le Tartare que, selon le topos platonicien dela Rpublique, le visionnaire ne peut pas voir directement.Mme si Plutarque a opr, en gnral, un transfert vers lehaut du schma infernal platonicien107, il n'y a aucune raisonde supposer que le Tartare ici n'est pas le gouffre souterraintraditionnel.

    En conclusion, il est bien possible qu'Empdotimus, lepersonnage d'Hraclide, ait t le porte-parole de la thoriede l'Hads cleste. Mais il est tout fait improbable queClarque ait partag lui aussi les vues de son collgue. Enfin,l'obissance aux modles platoniciens reste trs forte dans lestextes de Cicron108, Snque109 et du trait pseudo-aristotliciene mundo110, cits par Bolton. Ainsi, l'influenced'Hraclide sur la transformation des vues religieuses de sontemps et des sicles venir reste imprcise, mais en tout casassez mdiocre.

    3. Aprs ce bref aperu de l'tat de la question l'heureactuelle il nous reste encore prsenter quelques documentsconcernant l'eschatologie et l'Enfer clestes partir del'poque romaine et de suivre la graduelle dmonisation du cosmos jusqu'aux systmes gnostiques.L'eschatologie cleste se substitue en gnral l'eschatologiehthonienne. Mais, tout comme chez Platon, elle n'estpas exclusive : l'Enfer souterrain continuera jouer un rleimportant ct de l'Enfer cleste.

    - Les divinits telluriques des mystres deviennent clestes.Persephone n'est pas la seule subir cette mtamorphose111 ;le mme sort choit Cyble112, tandis qu'Attis devient une

    107. Par exemple, le Styx est plac dans la zone sublunaire (de genio, 591 c;cf. Brenk, p. 140).108. S. Scip. (de ., VI) ; Tase. Disp., I, 44 s.109. Dial., VI, 25.110. De mundo, 39 1 a (ier sicle apr. J.-C).111. Plut., de facie, 27, 2 (942 e) : Persphon est reine lunaire : 7) 8' IvazkrpTi xocl tSv 7rspt

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    Dmonisaiion du cosmos 21divinit solaire113. Mais l'Hads souterrain existe encore auvie sicle, quand Damascius rve qu'il est transform en Attisdans les entrailles de la terre114. Dans le passage fort commentd'Apule115 sur l'initiation de Lucius aux mystres d'Isis, ilparat que le myste descend dans l'Hads pour remonter auciel aprs s'tre purifi en passant travers les lments 116.Osiris et Sarapis, ' divinits des mystres chthoniens117, setransforment en dieux clestes118. En certains cas, le passagedes dieux mystriques en dieux ouraniens ou hyprouraniensest d une influence juive119.

    La tradition de l'Enfer souterrain, avec ses clichs littraires, manque de crdibilit, d'o l'abondance d'interprtationsllgoriques120. Virgile, qui garde le dcor conven-contact de l'orphisme, du mazdisme, du judasme, la conception phrygienne del'au-del s'tait sublime. L'influence directe des spculations astrologiquesavait dtermin une nouvelle conception de l'me et de ses fins dernires. L'meest d'essence arienne et divine. Mon corps est cendre , lisons-nous sur latombe d'un zlateur d'Attis mais mon me fut emporte par l'air sacr (CIL,III, 6384 : corpus habent cineres, animam sacer abstulit ar). Cette me, quiaspire aux espaces d'en haut, prend son essor vers les rgions suprieures d'oelle tait descendue. Elle a hte de prsenter la Mre de toute vie la moissondes vertus (Jul., Or., V, 169) qu'elle a cueillie sur cette terre et qui rjouit ladivinit. Par-del les portes du ciel, dans les habitacles de l'empyre, la GrandeMre l'accueille comme un enfant qui revient d'un lointain voyage. 113. Arnob., V, 42; Macrob., Sat., I, 21, 9; Mart. Cap., II, 192; Jul.,Or., V, 168 ; Procl., Hymn. Sol., 25. Cf. Cumont, p. 264.114. Cf . D. M. Cosi, Salvtore e salvezza nei mistei di Attis, Aevum, 1976,50, 1-2, p. 67.115. Apul., Met., XI, 21..116. Cumont, p. 265.117. . Ibid., p. 167.118. Sarapis est un grand dieu cosmique (Zeo Sapam "HXio [

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    22 loan P. Culianutionnel, la gographie immuable du royaume des ombres ,dtruit pourtant la validit de ces reprsentations. Il parle de la purification, l'ascension, la transmigration des mes 122.Les Enfers sont localiss dans l'atmosphre et l'me y estpurge lors de la traverse des zones de l'air, de l'eau pluvialeet du feu123. Il n'y a pas de concordance sur la place de l'Enferarien : selon quelques auteurs, il s'agit de la partie la plusbasse de l'atmosphre, hante par les dmons mauvais124,selon d'autres de toute la zone sublunaire125. Alourdie par lepoids de ses pchs, l'me cleste retourne en proie auxvents126. Le rle de la lune dans ces complexes eschatologiquesdevient fondamental. C'est l-bas que se produit la scissionentre la raison (vou) et l'me (/1*)) laquelle se dissoutlentement dans le royaume de Persephone127. Le Styx, quidlimite ce royaume, s'tend depuis la sphre lunaire jusqu'la terre ou au plus profond du Tartare128. La lune dans sonpassage absorbe les mes purifies et repousse celles qui nemritent pas encore d'accder l'existence cleste129. Entant que cratrice et rceptrice des mes, en tant que rgionde la deuxime mort qui, tt ou tard, porte la psych laquitude de l'existence lmentaire, enfin, en tant que lieu dejugement du bien et du mal, (la lune) a, en effet, une grandeinfluence sur la vie humaine, qui voit en elle l'piphanie de sesmeilleurs espoirs, le but de ses nostalgies les plus secrtes 130.

    Certaines autres thories, que F. Cumont tient pour(Sisyphe ; Lucr., III, 978 ss. ; Macrob., in S. Scip., I, 10 , 7 s.), le pcheur plein vde remords ou l'amoureux jaloux (Titye), l'homme qui craint l'avenir (Tantale),le malchanceux (Ixion), etc. (Lucr., III, 1003 ss.).121. Cumont, p. 212.122. Ibid., p. 213.123. Aen., VI, 740 ss. : Aliae panduntur inanes, etc.124. Cic, Tusc, I, 42 ; Cornutus, 59 ; Aug., CD, XIV, 3.125. Macrob., in S. Scip., I, 11 , 6 : Inter lunam terrasque locum mortis etinferiorum vocari.126. Porph. ap. Stob., Ed., I, 49, 60.127. Plut., de fac, 94 1 ss. ; cf. supra, n. 111.128. Plut., de genio, 591 ; il parat que l'Enfer souterrain, rserv auxgrands coupables, subsiste encore chez Plutarque, du moins dans ce trait.129. Ibid.; cf . n. 107 supra.130. J. J. Bachofen, Die Unsterblichkeitslehre der orphischen Theologie,dans Gesammelte Werke, Basel-Stuttgart, 1958, vol. VII, p. 34.

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    Dmonisalion du cosmos . 23 aberrantes 131, mais qui prendront une norme importance partir du Ier sicle apr. J,-C.132, ne faisaient commencer le sjourdes justes qu'au-dessus de la sphre des toiles fixes, et tendaient jusque-l les preuves purificatoires des mes, soit quecelles-ci fussent brles par les feux du soleil et laves parles eauxde la lune133, ou bien qu'elles dussent passer travers les cerclesplantaires, entre lesquels onrpartissait les quatre lments 134.

    Sans trop insister sur ces dernires reprsentations, surlesquelles il y aura lieu de revenir, essayons d'esquisser un breftableau de la situation de l'Enfer dans la littrature apocalyptiqueuive et judo-chrtienne. Les textes oscillent en gnralentre la croyance en un Enfer souterrain et la croyance enl'Enfer cleste.Selon l'Hnoch thiopien (11e sicle av. J.-C), les mortshabitent la terre, le monde infrieur et l'Enfer, et parmi eux les Justes et les Saints 135. Au Jugement dernier, dit unautre apocryphe, Satan sera vaincu, les paens seront puniset les idoles seront dtruites. Isral s'lvera, vaincra l'aigleromain, et Dieu le recevra dans les cieux, tandis que ses ennemisresteront en Enfer136. Comme chez Philon137, l'Enfer est situ icisur la terre. C'est la place o vivront les paens, tandis qu' Isralcontinuera son existence eschatologique dans le saint ther .

    Toujours dans 1 Hen., le patriarche visionnaire, guid parl'archange Uriel qui," dans, une des listes anglologiques del'apocryphe138, s'occupe du monde humain et du Tartare,

    131. Cumont, p. 212.132. Selon. F. Cumont, ibid., elles sont restes sans influence tendue sur lescroyances eschatologiques . . ,133. Jam. . Lyd., mens., IV, 148 ; Philopon., in Meteor., 117 ; Lactant.Placid., Theb., VI, 860.134. Macrob., in S. Scip., I, 2, 8 ss. ; Procl., in Tim., II, 48, 15 , Diehl(cf. Cumont, ibid.).135. 1 Hen., 39, 4 ; 62, 8. Trad, dans R. H. Charles (d.), The Apocryphaand Pseudepigrapha of the Old Testament (1914), reprod. anast., vol. II, Oxford,1964, pp. 163-281. Selon J. T. Milik, 1 Hen., 6, 36, date du nie s. av. J.-C.136. Apoc. Mos., 10 , 9 s. ' >137. Phil., Vita Mos., I, 217. 138. Premire liste : Uriel, Raphael, Raguel, Michael, Saraql, Remiel(20, 11) ; le chap. 40, 9-10 parle de quatre archanges seulement (Michael,Raphael, Gabriel, Phanuel).

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    24 loan P. Culianutandis qu'ailleurs139 il a justement la fonction de veiller surles sept toiles qui ont pch et sur la prison des anges, o ilsseront enferms pour toujours 140, arrive un horrible dsert et voit sept toiles comme des montagnes ardentes . Uriellui explique qu'il s'agit des sept toiles qui n'ont pas coutles ordres divins et n'ont pas paru aux termes prescrits. Ellesdevront expier leur faute pendant dix mille ans141. Un deschapitres concernant le Jugement parle de sept montagnes demtal qui paratront devant le Messie et fondront devantlui comme la cire chauffe par le feu , en tombant sanspouvoir142.

    D'aprs l'Hnoch slave (ier sicle apr. J.-C), il y a unEnfer souterrain143, un Enfer au nord du troisime ciel, etdeux autres lieux de punition, l'un au deuxime ciel, o lesanges dchus attendent le Jugement144 et l'autre au cinquimeciel145. L'Enfer au troisime ciel est compltement dpourvude lumire ; mme les flammes du feu infernal sont sombres.Les pcheurs sont prouvs par une succession de feu et deglace, des anges les percent avec leurs armes.Dans l'Apocalypse de Pierre (11e sicle) dcouverte Akhmim, connue auparavant seulement travers les allusionsdes auteurs ecclsiastiques146, l'aptre-visionnaire est portdans un lieu lointain au-dessus du monde147, o il contempleles joies du Paradis. L'Enfer est probablement situ quelque

    139. 1 Hen., 21, 7-10.140. 1 Hen., 21, 10.141. 1 Hen., 18 , 12-16. Les toiles punies ( " opavo SeSsjjtivouxai pp4(Jt.(Jtivoupt xaio[iivou) dpendent probablement d'un modlebabylonien (les sept mauvaises toiles , vraisemblablement celles des Pliades :Boll-Bezold-Gundel, pp. 18-19). Selon A. Dieterich {Nekyia. Beitrge zurErklrung der neuentdeckten Petrusapokalypse, Leipzig, 1893, pp. 219-220,n. 3), leur origine serait grecque (Plut., de exil., Il ; de Is. Os., 48 ; Hippol.,VI, 26).142. 1 Hen., 52, 2.143. 2 Hen., 40, 12 (trad, dans Charles, vol. II, pp. 425-469).144. 2 Hen., 10, 1-5 ; 7, 1-3.145. Ibid., 29, 4.146. Clem. Al., Eel. proph., 41, 48 et 49 ; Method., Sympos., II, 6 ; Maca-rius Magn., IV, 6-7 et 16.147. Ap. Ptri, 15 , dans Dieterich, Nekyia, p. 4, 30 s. : (AsytcrTOV x&TOUTOU TOU

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    Dmonisation du cosmos 25part dans les deux146, comme dans l'Apocalypse grecque deBaruch (11e sicle)149.

    Dans un Midrash150, le Gehinnom est l'une des premireschoses que Dieu a cres, avec la Thorah, le Trne, le Gan'Eden (Jardin du Paradis), la pnitence, le sanctuaire d'enhaut et le nom du Messie. Le Paradis est la droite du Seigneur,l'Enfer sa gauche.

    Il y a des reprsentations tardives beaucoup plus complexes. Dans le Midrash Knen, l'univers tout entier estform de sept sphres concentriques. Chacune d'elles estforme, en haut, d'une hmisphre cleste et en bas d'unehmisphre terrestre 151. La rdaction oublie le ciel Wilon152,auquel aurait d correspondre la terre Cheled. Au ciel Raqi'acorrespond la terre Thabel, au ciel Shechaqm la terre Arqa,au ciel Zebl la terre Yabasha, au ciel M'n la terre Charaba,au ciel Makn la terre Adama, au ciel 'Araboth, li au brasdroit du Seigneur tout-puissant, la terre infrieure entourepar la grande mer o rside le monstre Lviathan. Chaqueterre est forme de sept parties. Le Gehinnom, qui se trouvedans la terre Arqa, a aussi sept compartiments : Sheol,Thahthith, Abaddn153, la fosse de la corruption ou desdchets, la fange, la porte de la mort, la porte de l'ombre dela mort. Les anges destructeurs y jugent les sclrats. Chaquecompartiment a les dimensions d'un voyage pied de ladure de cinq cent ans en longueur, paisseur et hauteur154.

    148. Ap. Ptri, 21 ss., dans Dieterich, pp. 4, 43-46 et ss. Les pcheurs sonttorturs par des anges (oi xoXocovts &yyskoi), fouetts par des esprits mauvais([jiacmofxsvoi fou 7veu[xaTcov tovtjpuv), etc. Les chap. 21-35 de l'apocryphes'emploient dcrire les classes de pcheurs et leurs punitions.149. Gr. Bar., 3-9, ap. H. Bietenhard, Die himmlische Well im Urchristentunund Sptjudentum, Tubingen, 1951, p. 208. L'Enfer serait un serpent immense autroisime ciel (4 , 4) ou du moins le ventre du serpent (4, 6).150. Midr., in Ps. 90.151. Bietenhard, p. 39.152. La liste des cieux, selon Resh Laqish (bChag., 12 a) est la suivante :Wilon (du lat. velum), Raqi'a ( firmament ), Shehaqm (de shhaq, hacher ;au troisime ciel il y a les moulins clestes qui broyent la manne), Zebul( demeure ) , M'n (de 'un, habiter ) , Mkn (de kn, soutenir ). Discussiondans Bietenhard, pp. 8-9, Cf. aussi 3 Hen., 17 , 3.153. Sur la figure d'Abaddn, cf. Kroll, pp. 35-39 et 77. 154. Bietenhard, pp. 37-41.

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    26 loan P. CulianuPour H. Bietenhard, la cosmologie sous-jacente cette reprsentation est d'origine babylonienne155, mais elle rappelleaussi la thorie grecque des deux hmisphres156 et de Yhypo-geion ou culmination infrieure du soleil157. C'est l qu'on placele Tartare158, et les dieux mmes sont organiss en couples,de sorte qu' chaque dieu suprieur corresponde un dieuinfrieur159. Ces spculations sont de date ancienne, ainsi quele calcul des distances de la terre au ciel et respectivement auTartare, calcul qui intresse dj Hsiode160. Mais la multiplication par sept indique probablement une origine babylonienne161.

    A travers ces donnes, nombre d'ides distinctes sur lalocalisation de l'Enfer se font valoir : l'Enfer plac quelquepart dans les cieux, le purgatoire atmosphrique, l'Enfersublunaire, enfin cette thorie de la dmonisation des sphresastrales, qui deviendra dominante aprs le Ier sicle apr. J.-C.En relation plus ou moins directe avec le purgatoire atmosphrique et l'existence des dmons ariens, quelques textesapocalyptiques parlent de la dmonisation du ciel. Levicontemple au premier ciel, qui est sombre, toutes les actionscoupables des hommes162, tandis que la vision de Paul a un'caractre plus complexe : Je regardai le firmament et je visla puissance. Il y avait l-bas l'oubli qui trompe et attire lescurs des hommes, l'esprit de dtraction, l'esprit de fornication, l'esprit de la fureur, l'esprit de l'insolence. L-bas setrouvaient aussi les princes du mal... Je regardai et je vis lesanges impitoyables, aux visages pleins de colre et aux dentsqui dpassaient de leurs bouches. Leurs yeux brillaient commel'toile du matin l'Orient. De leurs cheveux et de leurs155. Ibid., 37.156. Ps.-Plat., Axioch., 371 (ier sicle av. J.-C).157. Arist., de caelo, B, 2 (285 a 10).158. Cumont, p. 193.159. Lact. Placid., Theb., TV , 527.160. Theog., 720 ss. : Une enclume d'airain tomberait du ciel durant neufjours et neuf nuits avant d'atteindre le dixime jour la terre, et de mme... dela terre durant neuf jours et neuf nuits avant d'atteindre... le Tartare. 161. Cf . Bietenhard, pp. 15-16.162. Test. Levi, 3,1.

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    Dmonisalion du cosmos 27bouches sortaient des tincelles de feu 163. Il s'agit des anges qui n'ont pas cru la misricorde du Seigneur et n'ont pasespr en lui , gards par les splendides anges de la Justice164. L'me du Juste est aide dans son ascension par ceux-ci,par son ange gardien et par l'esprit. Les puissances du malviennent son encontre, mais la laissent passer, puisqu'ellesn'y trouvent rien de consubstantiel, rien qui leur appartienne.Le Juste arrive ensuite devant Dieu, et Michel le conduit auParadis. L'me de l'impie subit un sort diffrent165 ; intercepte par la puissance et les forces de l'erreur, de l'oubli,de la murmuration qui cooprent avec celle-ci, elle succombe cause de la ressemblance eux-mmes que les reprsentantsdu mal trouvent en elle, cause de sa consubstantialit avecceux-ci. Dieu la consigne, enfin, l'ange Tartaruc, surintendantux tourments, pour qu'il la chasse dans les tnbresexternes, l o il y a les pleurs et les grincements de dents,pour qu'elle y reste jusqu'au jour du Jugement 166.En vitant la discussion sur les dmons (anges) impitoyables qui torturent les mes des pcheurs167, nous concentrerons notre attention sur leur prsence au ciel. Dans unecatgorie de textes, les mes sont purges en de du ciel. Leciel n'est pas contamin par la prsence des mes punies et deleurs bourreaux. Une autre catgorie est forme par les textesqui situent l'Enfer dans une zone cleste isole par rapport

    163. Apoc. Pauli, 11 , ap. L. Moraldi, Apocrifi del Nuovo Testamento,Turin, 1971, vol. , pp. 1855 ss.' 164. Apoc. Pauli, 12.165. Ibid., 15 s. ' .166. Ibid., 17 s. Les tnbres externes sont ici, vraisemblablement,l'Enfer situ au-del de l'Ocan qui entoure la terre (ibid., 31 s.). On en parleaussi dans les crits gnostiques (Pistis Sophia), o cette zone est divise endouze compartiments de punition (xoXacei Tafueai) gards par des archontesaux formes fantastiques et aux noms bizarres. On peut en sortir par l'intercessiond'un Juste qui doit clbrer le plus haut mystre de l'Ineffable pour l'me temporairement damne. Monte jusqu' la Vierge psychostatique de lumire etmarque par son sceau, l'me pourra rentrer dans le cycle mtensomatique,obtenant ainsi une nouvelle possibilit de se sauver. Le terme grec pour mten-somatose est ici metangismos (pp. 160, 3 et 161, 33, Schmidt), qui revient dans lemanichisme, ct du syr. tashpk et du lat. revolutio (cf. H.-Ch. Puech, Lemanichisme. Son fondateur, sa doctrine, Paris, 1949, p. 179, n. 360).167. Cf. Dieterich, Nekyia, pp. 46-62 et 162-213.

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    28 loan P. Culianuau reste, de sorte que le prestige du ciel n'en est pas amoindri.Au contraire, dans les derniers textes cits, se fait jour l'ide(typiquement judaque) d'une lutte permanente entre lesanges clestes (cf. ci-dessous, 4). Cette progression del'Enfer ne saurait tre de nouveau attribue l'influence desspculations d'Hraclide, dont seulement quelques rudits serappelaient les bizarreries. La nouvelle conception du mondequi se fait jour au Ier sicle tait dicte par un norme bouleversement idologique l'intrieur de l'Empire romain, bouleversement dont les causes doivent tre cherches en Palestine. L'hypothse de l'origine iranienne de la dmonisationdu cosmos (soutenue par la religionsgeschichtliche Schule ,par F. Cumont et mme par des savants plutt favorables lathorie de l'origine juive du gnosticisme, comme R. M. Grant)nous parat largement dpasse.

    Les rcits des ascensions clestes, trs frquentes notrepoque, s'inspirent des catabases archaques : l'ascensionn'est qu'une descente l'envers168. L'Iran n'a pas t leberceau de l'ide de l'ascension, ainsi que la religionsgeschichtliche Schule , depuis W. Anz, l'a soutenu169. Le schemecosmologique trois cieux non plus n'est pas typiquementiranien170 : on le rencontre, parmi d'autres, Babylonemme171, o les catabases des dieux et des hros n'excluentpas l'ascension aux cieux172. Au ier sicle apr. J.-C, le dplacement de l'Hads dans l'atmosphre, dans la zone sublunaireou dans le ciel rend impossible la descente dans les entraillesde la terre. En certains cas, les schemes des catabases seconservent, mais il s'agit maintenant de la descente sur laterre d'un salvator salvandus1 d'origine ouranienne et de son168. Dieterich, MilhrasliL, pp. 196 ss.169. W. Anz, Zut Frage nach dem Ursprung des Gnostizismus. Ein religions-geschichtliches Versuch, Leipzig, 1897, tu, XV, 4, pp. 84-88.170. W. Bousset, Himmelsreise, pp. 38-58, spc. 45 et 57-58.171. Selon A. Jeremi, le ciel babylonien peut avoir entre 3 et 10 sphres, l'exception de 6 ; cf. Bierenhard, p. 14.172. Sur les voyages clestes d'Etana et Adapa, cf. P. M.-J. Lagrange,Etudes sur les religions smitiques, Paris, 19052, pp. 390-393.173. Cf . Colpe, Die religionsgeschichtliche Schule (frlant 78), Gttingen,1961.

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    Dmonisalion du cosmos 29ariodos au ciel. Toute psychanodie singulire suivra le modlede cet acte sotriologique, l'me sera sauve par la connaissancede la voie qui lui a t rvle par le salvator1. Le contenupratique ou existentiel de la gnose est l175.Le systme du monde partir du Ier sicle est dict parune conception unitaire concernant les reprsentations dumonde infrieur , qui comprend maintenant l'entire rgionau-dessous des toiles , en tant que rsidence du mal , des archontes mauvais176. L'ascension du salvator salvandusou du gnostique travers les sphres dmonises est unedescente l'envers, d'autant plus que, dans cette image dumonde, le royaume des morts est lui aussi chercher, engnral, dans les sphres astrales 177.Un texte de Firmicus Maternus178 nous prsente le Christ quidescend incognito sur la terre, o rgne le mal, ut humanumgenus a Mortis Iaqueis liberaret, vere omnia ista sustinuit, ut cap-tivitatis durae iugum tolleret... clusit ianuas sedis infernae etdurae legis necessitatem calcata Morte prostravit... frgit claustraerptua, et ferreae fores Christo iubente conlapsae sunt, ecceterra contremuit et fundamentm suorum stabilitate concussopraesentis Christi numen agnovit 179. Aprs avoir vaincu laMort, le Christ monte au ciel : Cognoscitur statim a custo-dibus caeli Filius Dei. II s'crie : Tollite portas qui praeestisillis et extollite vos, portae aeternae, et introibit rex gloriae 180.

    174. Cf. H. Jonas, Gnosis und sptantiker Geist, Gttingen, 1954, vol. II, 1,p. 17.175. Id., Philosophical Essays : From Ancient Creed lo Technological Man,Englewood Cliffs nj, 1974, pp. 264 ss.176. J. Kroll, pp. 58-59. Si les croyances babyloniennes ont jou un rledans la synthse astronomique grecque du ve sicle, elles sont restes maintenanttrop loin en arrire pour qu'on puisse soutenir que infrisation du mondeprovient des croyances babyloniennes iranises . Sur iranisation , cf . lacritique de la religionsgeschichtliche Schule faite par C. Colpe (n. 173, supra),H.-M. Schenke (Der GottvMensch in der Gnosis, Gttingen, 1962) et G. Quispel(maintenant dans Gnostic Studies, Istanbul, 1974-1975, 2 vol.).177. Kroll, ibid. 178. Firm. ., err., 24.

    , 179. J. Kroll, p. 64, considre que l'pisode de la lutte de trois jours avecla mort est d'origine folklorique.180. Ps. 23 (24), 7-10 : tojXoc o apxovre ^wv xat ^ 7wXaialvioi xal sasXeasxai ( tj Sotq. J. Kroll, p. 67, observe : So

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    30 ' loan P. CulianuBien qu'antrieur du point de vue chronologique, l'apo

    cryphe judo-chrtien Ascensio Isaiae (ier sicle)181 est plusproche des textes vraiment et proprement gnostiques que lepassage de Firmicus. L'ascension du prophte aurait eu lieupendant la vingtime anne du rgne d'Ezchias, avec leconcours d'un ange-guide (6, 1 ss.). Les sept cieux sont desmondes purs de lumire, o l'existence mme des ombres estinconnue. Le premier, ou firmament, est le thtre du combatque les lgions dmoniaques de Sammal se livrent entre ellesdepuis la Cration jusqu' la Parousie (7, 9 ; 10, 29-31). Etainsi qu'il est l-haut, il est aussi sur la terre ; car ce qui est icisur la terre est l'image de ce qui arrive au firmament (7,11 s.). Dans chacun des premiers cinq cieux il y a un angeassis sur un trne, avec des troupes d'anges sa droite et sagauche (9, 4). Les anges du ct gauche sont infrieurs auxanges du ct droit. Au sixime ciel, les anges ne forment plusqu'un seul chur (8, 7-16). Au septime ciel il y a le trne deDieu et le trne prpar pour Isae (7, 21 ss.). Ce dernier tageest peupl par d'innombrables anges et par les Justes depuisAdam (9, 8). Il y a des trnes et des couronnes qui attendentla passion et l'ascension de Jsus-Christ pour leur tre confrs(9, 12). Un regard de Dieu transforme Isae en ange182. Isae,dans la tradition de crivain cleste (comme Hnoch etBaruch)183, est invit lire dans les livres de la destine dumonde les vnements futurs (9, 19-23).knnen wir denn auch einmal sehen, dass das auf die extatischeavoSo des Gnostikers bezogen worden ist , ce qui est une simple ptition deprincipe. En tout cas, le motif des portes, douaniers, passeports, mots depasse, etc., est trs rpandu dans le gnosticisme et hors du gnosticisme (cf.Cumont, pp. 299-300).181. E. Henneke, W. Schneemelcher (eds), Neutestamentliche Apocryphen,Tubingen, 1964, vol. II, pp. 454 s. ( Fleming- Dneusing) ; Moraldi, vol. Il,pp. 1797, n. 5 ; Bietenhard, pp. 215-29.182. Asc. Is., 9, 30. Cf . i Hen., 71 , 11. Sur la transformation d'Hnoch enl'ange Mtatron, cf . Targ. Ps.-Jonathan, in Gen., 5, 24 et surtout 3 Hen., 4, 6(d. Odeberg, 1928).183. Sur la tradition de crivain cleste , cf . n. 182 supra et Jub., 4, 23 ;2 Hen., 22 ss. ; Test. Abrah., 10 , 8-11, 3 o il s'agit encore d'Hnoch. Mtatroncomme crivain cleste apparat dans bChag., 15 a. Selon Odeberg, Bousset etGressman, son nom drive de meator, crivain . Bietenhard, p. 149, prfrel'tymologie ( (tov) 8pvov, tandis que G. Scholem observe que, dans ce

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    Dmonisaiion du cosmos 31Comme couronnement de son exprience visionnaire, Isae

    voit l'ascension future de Jsus au septime ciel, aprsl'accomplissement de l'uvre du salut (9, 14-18 ; 10, 7-11,40). Il entend la, voix du Pre qui envoie le Fils jusqu'auxanges du royaume des morts , mais lui dfend d'aller en Enfer(10, 8). Les. morts occupent par consquent deux placesdistinctes : les Justes le dernier des cieux, les impies l'Enfersouterrain. Le royaume des morts n'est que ce monde-ci, laterre. Il s'agit, on l'a vu, d'un topos platonicien qu'on retrouvechez Cicron, Snque, Philon (n. 13 av. J.-C), etc.Aprs le cinquime ciel, le Christ dpose la lumire degloire (Sa) et devient pareil chaque classe infrieured'anges, pour ne pas tre reconnu (10, 11). Si seulement le dieu de chaque monde le savait, il tendrait sa main et letuerait. Il s'agit donc d'une contradiction assez frappanteentre la neutralit des anges clestes dans certains chapitreset leur caractre mauvais dans d'autres parties du texte. Unmotif typiquement gnostique s'est superpos ici sur unecroyance non dualiste.

    Enfin, Jsus devient pareil aux habitants de la terre (8,9 s.). La voix de Dieu retentira jusqu'au sixime ciel, et leFils dtruira l'archonte et les anges et les dieux qui gouvernent ce monde (10, 12), avec une justification tout aussitypique du gnosticisme sthien : Car ils m'ont menti etm'ont dit : Nous seulement et personne hormis nous (10, 13),II s'agit, videmment, d'une allusion l'orgueil doubl d'ignorancedu dmiurge gnostique et de ses archontes184. A chaqueporte des cieux, Jsus doit donner l'ange gardien le mot depasse, pour ne pas tre reconnu (10, 24). L'incarnation estdcrite selon la doctrine doctiste courante dans les milieuxcas, le * de la transcription en hbreu ("intt^u) serait superflu. Il prfrel'hypothse d'un nom secret compos selon les rgles de la rptition, avec laterminaison -rn qui, avec -on, est trs frquente dans ce cas (cf. Adirorn, etc.)(Die judische Mystik in ihren Hauptstrmungen, Zurich, 1957, chap. II, 7 ;Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talrnudic Tradition, New York,1960, p. 22).184. Cf., sur la stupidit et la fanfaronade du dmiurge gnostique, mon art.La passione di Sophia..., Aevum, 1977, 51, 1-2, spec. p. 150.

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    32 loan P. Culianugnostiques185. Aprs la rsurrection, Jsus reste encore longtemps (545 jours) sur la terre186. Ensuite il remonte sa placehabituelle au septime ciel (11, 23).Pour ne rappeler que le parallle gnostique le plus saisissant, le schma de la catabase-anabase du sauveur parmi lescieux dmoniss est identique ou presque dans la doctrine desOphites d'Irne187. Sophia annonce la venue de l'on Christ travers la voix de Jean-Baptiste et prpare l'homme Jsusafin que l'entit pneumatique Christ puisse trouver un vasmundum dans lequel pntrer, uti per flium eius Jalda-baoth foemina a Christo annuntiaretur (Jaldabaoth est lefils abortif de Sophia et le chef des archontes mauvais). Descendisse autem eum (se. Christum) per septem coelosassimilatum fliis eorum dicunt et sensim eorum vacuassevirtutem. II s'agit d'une descente protiforme qui assureau Christ l'incognito, tout comme dans YAscensio Isaiae.

    La brche ouverte par le salvator salvandus gnostiquedans les cieux dmoniss reprsente le modle de la voie parlaquelle pourra s'chapper l'me de l'adepte aprs la mortphysique.De nombreux textes multiplient les obstacles de la psy-chanodie. La soi-disant liturgie mithriaque 188 nous rvlequelques formules magiques qui fonctionneront comme motsde passe devant les gardiens des portes clestes, mais leurquantit est trs modeste par rapport aux sceaux (nomset formules) contenus dans les crits gnostiques (Pisiis Sophia,les deux Livres de Jeu)189 ou dans la mystique juive190. Lesaventures des mes parmi les maiaraias mandens semblent,

    185. Cf. U. Bianchi, Docetism..., dans J. M. Kitagawa, H. Long (eds),Myths and Symbols. Studies in Honor of Mircea Eliade, Chicago-London, 1969,pp. 265-274.186. Asc. Is., 9, 16 , cf. Iren., I, 30, 13 et l'pisode similaire dans PistisSophia (. Schmidt, Gnostische Schriften in koptischen Sprache aus dem CodexBrucianus, Leipzig, 1892, tu VIII, 1-2, trad. pp. 278 ss.).187. Iren., I, 30 , 12.188. Cf . A. Dieterich, cit. supra, n. 9.189. Cf. n. 186, supra.190. Cf. Scholem, Jewish Gnosticism, pp. 31-34.

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    Dmonisation du cosmos 33par comparaison, un jeu d'enfant191. Un texte hermtiquenous prsente un modle cosmologique familier192, versiondmonise193, etc.Le livre de J. Kroll, Gott und Hlle (1932), est prcieuxpour avoir recueilli quantit de matriaux concernant lescatabases et anabases archaques. La thorie de Kroll reflteles ides communes de son temps, exprimes par toute la religionsgeschichtliche Schule , tandis que les textes mmescontredisent parfois cette orientation univoque qui retrouvepartout des croyances iraniennes ou (babyloniennes) ira-nises . La catabase/anabase d'une entit cleste (ou lapsychanodie, ce qui revient au mme) rpte les schemes desdescentes archaques aux Enfers. Que l'on adopte ou non unecosmologie scientifique (comme, par exemple, dans l'hermtisme), c'est toujours dans le mme cadre dmonis quel'ascension se droule : portes, gardiens terribles, douaniers,pages et dclarations, passeports et mots de passe, dpouillementet fouilles.

    Il ne faut pas ncessairement en conclure qu'il s'agitd'influences orientales, notamment babyloniennes. Ainsi quel'eschatologie cleste a pu se former en Grce indpendammentde l'Orient, partir d'un hritage archaque, les motifs rappels ci-dessus semblent s'tre dvelopps eux aussi partirdes catabases archaques, des enseignements des mystres,des doctrines dualistes orphico-pythagoriciennes, combinesavec tout un mlange de platonisme, stocisme, doctrinesastrologiques adaptes l'esprit scientifique grec, etc.Toutes ces croyances ont profondment influenc la litt-

    191. Cf. W. Brandt, Das Schicksal der Seele nach dem Tode nach mandischenund parsischen Vorstellungen (1892), reprod. anast. avec une postface deG. Widengren, Darmstadt, 1967, pp. 1-15.192. Cf. supra, n. 23.193. Poimandres, 25-26, pp. 15-16, Nock-Festugire ; cf . avec le texteparfaitement homologue sur la descente de l'me chez Macrobe, in S. Scip.,1, 12 , 13-14, p. 50, 11-24, Willis. Nous allons considrer ultrieurement ceproblme; qu'il suffise de dire ici que les ouvrages de M. A. Elferink (1968)et de H. de Ley (1972) sur la descente de l'me chez Macrobe n'abordent pasdirectement ce texte, tandis que J. Flamant, op. cit., pp. 557-562 offre unesolution comparative satisfaisante. rhr 2

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    34 loan P. Culianurature apocalyptique judo-chrtienne et la mystique juivedu Trne (merkbh)lu. Mais nombre de motifs dmontrentqu'il y a eu aussi une influence en sens inverse : le prdualismejuif a laiss des traces ineffaables dans toutes ces spculations,en fournissant ainsi une contribution essentielle la formationdu dualisme gnostique.

    4. Sans partager l'optimisme des savants qui retrouventdans les cercles juifs htrodoxes (minm) une doctrine dualiste qui explique la formation mme du gnosticisme195, nouscroyons que le judasme labore, partir au moins du Ier sicleapr. J.-C, des reprsentations prdualistes qui, combines auxdoctrines dualistes de vieille souche grecque196, justifientl'apparition du dualisme gnostique sans devoir encore recourir la thse de l'influence iranienne197. La thse bien connue deR. M. Grant198 trouve des appuis textuels assez solides queson auteur mme ne lui a pas donns (lui aussi il a recouru,d'ailleurs,, au passe-partout hermneutique de son poque, savoir le rle du mazdisme dans la formation du gnosticisme).En tudiant les matriaux religieux judaques partir desTannates, il est possible de suivre la formation d'une doctrineprdualiste partir d'lments plus anciens que les deuxpremiers sicles apr. J.-G. La cohrence interne de cette doctrine semble exclure l'hypothse d'une influence trangredterminante.

    194. Pendant la dernire tape de son ascension dcrite par les GrandsHekhalolh, le plerin extatique discute avec les gardiens Domi'l et Qaphsi'laux portes du septime palais (hekhal) et leur prsente des noms magiques deDieu qui ne sont que des vocables grecs dforms ; Domi'l rpond au mystique : 'Apicmrv jfxpav, piaTTjv ex^v (= tj^v), cpsvov ar; fxsov, eprjvT].Les Grands Hekh., 18 , mentionnent Domi'l avec le nom TDTTTU^Silcompos par les noms des quatre lments en grec, ^p, -p\> uSwp, 7a>p (Scholem,Jewish Gnosi. p. 33).195. Ceci est l'opinion de Grtz, reprise par Scholem et accepte parBlETENHARD, p. 159.196. Cf. Bianchi, Prometeo, p. 151.197. Soutenue par toute la religionsgeschichtliche Schule, rendue clbre parle livre de Reitzenstein, Das iranische Erlsungsmysterium, Bonn, 1921, critique par Colpe, Schenke, Quispel, etc. (n. 176).198. R. M. Grant, Gnosticism and Early Christianity, New York-London,1959, p. 34. Il soutient que le gnosticisme reprsente la raction de milieux juifsdus la catastrophe de 70, mais ne nie pas la contribution du mazdisme laformation du gnosticisme.

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    Dmonisalion du cosmos 35La figure de l'ange Mtraton199 est intressante surtout en

    rapport avec l'histoire du voyage cleste d'Acher (Elish'a b.Abuya)200 : Acher voit le trne de Mtatron et croit qu'il y adeux dieux. Il devient, par consquent, un hrtique201. Dansl'Hnoch hbreu202, qui fait partie de la littrature hekhalo-tique203, l'histoire se complique avec la punition de Mtatron :Acher a t induit en erreur par le fait que l'ange ne s'est paslev du trne la prsence de Dieu204. Peut-tre une doctrinedilhiste existait-elle dj dans les cercles des minm, deshrtiques qu'Acher rejoint205, mais le dithisme n'est pasdualisme. L'hypothse de Grtz, accepte par Scholem etBietenhard, selon laquelle ce rcit contiendrait dj l'allusion une doctrine gnostique, ne semble pas tenir compte de ce fait.

    Mtatron porte aussi le titre de Prince du monde 20e, eten cela il a pour compagnon Satan mme, appel ailleurs Prince du monde lui aussi207. D'o provient-il, cet appellatifet qu'est-ce qu'il signifie exactement ?

    Satan, Beliar, Belial, 'Azaz'el, le diable, cette force subordonne Dieu du Livre de Job, devient, dans le judasmetardif, une force active du mal. Mais il n'est pas l'antagonisteou le rival de Dieu : le dualisme est effleur, jamais accept.Satan est un ange dchu, un de ceux qui ont forniqu avecles filles des hommes208. C'est une puissance destructrice209, . 199. Cf . supra, n. 183. . 200. bChag., 15 a ; Bietenhard, pp. 149-150 ; Scholem, Jiid. MysL, chap. IL201. Ibid.202. 3 Hen., 16.203. Sur la littrature hekhalotique, cf. Scholem, Jewish Gnost., pp. 5-9.204. Bietenhard, pp.' 154-155. '205. Ibid., p. 159.206. 3 Hen., 10 , 3 ; 14 , 1 ; 48, 9 .207. Cf . R. M. Grant, Les tres intermdiaires dans le judasme tardif,dans U. Bianchi (d.), Le origini dello gnosticisme, Leiden, 1967, p. 150.208. Jub., 4, 22 ; 5, 1 ss. ; 2 Hen., 7. Dans 1 Hen., 6, deux cent anges conduitspar Samazz et vingt dcurions convoitent les filles des hommes. La mtallurgie,la magie et l'astronomie sont des sciences diaboliques, enseignes aux hommespar les diables Azzl, Armrs, Barqijl, Kkabl, Ezql (Araqil, Sham-sil), Saril. Plusieurs traditions se rencontrent ici, notamment celle des angesmtorologiques -et cejledes anges astraux, dans une perspective dmonise .1 Hen. est le texte le plus antique appartenant la littrature apocalyptiquejuive.209. Cf . Grant, cit. supra, n. 207. " '

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    36 loan P. Culianula tte d'une arme dmoniaque que Dieu, sa prire, n'a pasvoulu compltement anantir210. Il est le procureur qui agitcontre les intrts d'Isral devant Dieu, tandis que les avocatsd'Isral sont l'archange Phanul211 ou Michal mme.

    Dans le 3 Hn., 26, 11 , Sammal est le prince angliquequi conduit la puissance terrestre de Rome. Avec Dubbil,l'archonte des Persans, et Satan lui-mme, il est l'un desprocureurs contre Isral.Dj dans le Deui., 32, 8 il est question des anges despeuples. Tandis que les autres peuples sont conduits par desimples anges, seul Isral se trouve aux ordres directs deDieu212 ou de l'archange Michal. Cette dernire traditionapparatra dans Dan., 10 , 13 : Michal lutte contre les angesdes Persans et des Grecs. L'ide d'une lutte entre les anges despeuples, prsente aussi dans Is., 24, 21-23, semble la vraiereprsentation prdualiste dont l'volution a men au dualisme gnostique.Dans le Talmud babylonien on affirme : Tu ne trouverasaucun peuple qui soit puni sans que sa divinit soit punieavec lui 213. Les Juifs ont vu, lors de la traverse de la merRouge, les anges des Egyptiens qui, vaincus, prenaient lafuite214. Quand les peuples sur la terre se font la guerre, leursprinces dans les cieux se font la guerre eux aussi 215. Selonle R. Mer (c. 150), les anges qui montent et descendent dansle songe de Jacob (Gen., 28, 10-22) sont les anges des peuples216.Le R. Hama b. Hanina (. 260) donne une lecture en clpolitique l'pisode de la lutte de Jacob avec l'ange (Gen., 32,22-29). Jacob aurait combattu contre l'ange d'Edom (Rome)217.Ensuite, l'ange de Rome s'identifie Satan mme, sous lenom de Sammal. Dans 3 Hn., 26, 12, Sammal est aussi

    210. BlETENHARD, p. 210.211. 1 Hen., 40,7.212. Jub., 15 , 31.213. bSukkha, baraitha in Ex., 12 , 12.214. Mekiltha, in Ex. 15 , 1, cit par Bietenhard, p 111,215. Emek hammelek, 173.216. Peshiqta, 15 1 a.217. Bietenhard, p. 113.

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    Dmonisation du cosmos 37l'ange de Rome, tandis que dans un autre passage il est indiqucomme chef de tous les anges des peuples, qualit qui luiconfre le titre de Prince du monde 218.Le titre de Prince du monde , qui n'a rien de ngatif ensoi, dsigne justement la fonction de chef des anges des peuples.Selon Schlatter, l'attribution l'ange de Rome de ce titren'est que la consquence du fait que la puissance imprialeromaine avait occup tout le bassin de la Mditerrane. Larsistance juive contre Rome et les perscutions des juifs etdes chrtiens expliquent pourquoi l'ange d'Edom (Rome)s'identifie Satan, le chef des anges mauvais.

    Une autre transformation a lieu : vers la fin des Tannates,le Prince du monde n'est plus, dans l'interprtation rab-binique, Satan ou l'ange le plus fort des nations, mais l'angequi domine l'entire vie de la nature219. Selon Maarechethhaelohulh, 26, les anges des peuples sont aussi les seigneursdes plantes et des toiles, travers lesquelles ils rgnent surles peuples. Les anges des peuples confrent aux nations lesmes des hommes qui y natront 220. L'analogie avec le gnosticisme s'impose de soi221.Une autre reprsentation s'ajoute, enfin, celle-ci : l'angeexterminateur, l'ange de la mort, qui porte lui aussi, chezle R. Eli'ezer b. R. Jos Haggelili (c. 150), le titre de cosmo-crator222. Il s'appelle Sammal et son nom, par une fausseetymologie, est driv de sam (l, poison de Dieu , car il estfigur comme porteur d'une pe suintante de poison223.Abaddn est un autre de ses noms224. Dans un martyrologecopte, l'ange Muriel aurait t associ par Dieu la Cration225,

    218. 3 Hen., 14 , 2 et 30, 2.219. BlETENHARD, pp. 115-116.220. Ibid., p. 113, n. 1.221. Ibid., pp. 115-116.222. Ibid., p. 116.223. Ibid., p. 116, n. 1.224. Apoc, 9, 11.225. Le martyrologe fut publi par Wallis-Budge en 1914 ; cf . Moraldi,vol. II, pp. 1913 ss.

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    38 loan P.. Culianuclans le mythe bien connu du plongeon cosmogonique.226.Avec la terre apporte par Muriel, Dieu a cr le protoan-thrope Adam. Aprs la chute d'Adam, Muriel a t nommseigneur de l'humanit (plnipotentiaire) : Ton nom seraterreur dans la bouche de tous, on t'appellera Abbatn,l'ange de la mort. Ta renomme et ton image seront associesaux pleurs, au dsespoir, aux angoisses de tous les vivantsjusqu' ce qu'ils aient rendu l'me... Abbatn a sept ttesprotiformes, l'aspect d'une roue de feu, le regard qui scruteles coins du monde les plus loigns. Personne ne meurt sansl'avoir vu, mais les Justes (chrtiens) ont le privilge de lecontempler sous une semblance bnigne. Sa fte est clbrele 13 Hathor (9 novembre).Le trait copte n'est pas gnostique, mais la figure d'Abba-tn rappelle celle du dmiurge gnostique et de ses archontes,l'hebdomade maligne des cieux. L'essence ultime de l'angeexterminateur Abbatn, compte tenu de sa manifestationcomme Muriel lors de la Cration, est celle d'un dmiurgertrickster, d'un antagoniste de Dieu dont la figure arrive dufond des ges227.Le titre de Prince du monde , qui appartient au chef desanges des nations, passe l'ange de Rome parce que Rome aconquis tout le monde connu. Mais l'ange de Rome s'identifieaussi Satan, puisque Rome est une puissance mauvaise. Parconsquent, Satan se voit attribuer le titre de Prince dumonde . Par la suite, les anges des peuples deviennent angesastraux et anges de la nature. Le titre de Prince du monde, perd sa signification originelle limite, et indique dsormais lechef des esprits qui rglent la vie de la nature. Le mme mot monde reoit ainsi une signification plus large, entirement ou presque) ngative, car le seigneur du monde estSatan. Le prdualisme juif passe ainsi au dualisme gnostique.

    5. Conclusion. On a suivi les vicissitudes, en Grce, de226. Sur le mythe du plongeon cosmogonique , cf. M. Eliade, De Zamolxis Gengis-Khan, Paris, 1970, pp. 100-130. - '227. Cf . mon art. cit., supra, n. 184, p. 149, n. 1. . .. .

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    Dmonisation du cosmos 39l'eschatologie cleste, l'apparition le l'ide d'un rceptacleouranien des mes et d'un Enfer cleste, la dmonisation progressive du monde terrestre, de l'atmosphre, des cieux.On est arriv la conclusion que l'eschatologie clestedans les uvres de Platon ne provient pas d'laborationspythagoriciennes et ne prsuppose pas ncessairement uneinfluence iranienne. Elle drive plutt d'une couche decroyances archaques sur les rapports mes-astres et des premires thories sur la nature igne ou arienne de l'me.

    La gnralisation de l'eschatologie cleste, le transport del'Enfer aux cieux ne sauraient tre l'uvre exclusive d'Hra-clide du Pont, dont l'influence sur l'esprit de l'hellnismesemble plutt limite. Au contraire, l'incompatibilit entre ladoctrine animologique stocienne et l'ide d'une descente del'me aux Enfers a d jouer un certain rle dans la formationde cette nouvelle synthse.

    La dmonisation du cosmos , phnomne dominant partir du Ier sicle apr. J.-C, bien reprsent surtout par lessystmes gnostiques, s'explique par la gnralisation de l'eschatologie cleste, par l'extension aux cieux du purgatoire arienet par l'influence des doctrines dualistes orphico-pythagori-ciennes et des motifs prdualistes juifs.Les anges clestes des peuples, qui deviendront, vers la findes Tannates, responsables de tous les phnomnes physiques(donc de la nature ainsi que de l'histoire), subissent une dmonisation vidente cause par l'occupation romaine etrenforce probablement par la chute du Temple. Leur chefdevient fatalement l'ange de Rome, puisque Rome est lematre du monde. Enfin, Rome est une puissance mauvaiseet, par consquent, Satan mme devient l'ange d'Edom. Illui choit, en tant que chef des autres anges des nations, letitre de

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    40 loan P. Culianunouvelles thories scientifiques. L'astrologie a eu aussi sonrle important jouer dans ces transformations.

    Les doctrines dualistes grecques, sous leur forme archaqueorphico-pythagoricienne ou sous la forme qu'elles assumentdans l'ontologie platonicienne (origine hyprouranienne etchute de l'me dans ce monde-ci), ont incontestablement jouun rle de premier ordre dans la nouvelle synthse. Elles ontconstitu probablement le catalyseur souterrain du climatdualiste qui caractrise cette priode.

    loan P. Culianu.

    L'auteur ne saurait passer sous silence la reconnaissance qu'il doit auxr Mircea Eliade, Ugo Bianchi, Michel Meslin et Maarten J. Vermaseren pourleurs indications, suggestions et mme corrections effectives dans la matireet le style de cet article. Les indications bibliographiques qui nous ont tdonnes par le Pr Gilles Quispel nous sont parvenues malheureusement troptard pour pouvoir tre utilises. Nous ne lui en sommes pas moins reconnaissantet esprons pouvoir les intgrer dans un travail de plus longue haleine que noussommes en train de rdiger.