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Côte d’Ivoire, - IGT, Institut de Géographie Tropicale
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- Côte d’Ivoire
Sous la direction de Céline Yolande KOFFIE-BIKPO
Côte d ’Ivoire,50 ans d ’ indépendance
Permanence, mutationet/ou évolution des territoires
Pour un grand nombre de pays africains issus de l’empire colonial français, l’année 2010 marque le cinquantenaire de leur accession à l’indépendance politique. La proclamation de l’indépendance par Félix Houphouët-Boigny, le 7 août 1960, signe l’entrée de la Côte d’Ivoire dans le concert des nations souveraines. Cette indépendance ouvre tous les possibles, y compris ceux des complexités de la géopolitique internationale.
La Côte d’Ivoire s’est appuyée pour son développement sur la promotion de l’agriculture, des ressources naturelles et humaines, dans le cadre d’une vaste politique d’aménagement du territoire appuyée par une planification quinquennale régulière. Cela a produit des résultats encourageants qui ont fait d’elle la locomotive de la sous-région ouest-africaine.
La volonté de rattraper son retard sur le développement s’est illustrée par d’ambitieux programmes d’éducation, de formation de cadres, d’industrialisation, d’urbanisation et de création d’infrastructures, dont le résultat a été l’accession de la Côte d’Ivoire au rang des économies intermédiaires.
Depuis 1980, le pays subit une vague de crises économiques et sociopolitiques qui amène à s’interroger sur son devenir. L’Institut de géographie tropicale de l’université de Cocody-Abidjan a choisi de revenir cinquante ans en arrière afin d’offrir une relecture de l’histoire ivoirienne en utilisant les méthodes et les techniques propres à la géographie. Cette analyse permet de mettre en évidence les permanences, les mutations et les évolutions que l’on peut observer à différentes échelles : nationale, régionale et locale, afin de répondre à la question : comment les politiques de développement, dans leurs relations au territoire, après un demi-siècle d’indépendance, ont-elles évolué ?
Céline Yolande Koffie-BiKpo, géographe, maître de conférences à l’université de Cocody-Abidjan, développe des recherches sur la sécurité alimentaire et la pêche.
35 €ISBN : 978-2-296-99210-8
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Côte d’Ivoire, 50 ans d’indépendance
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com [email protected]
ISBN : 978-2-296-99210-8 EAN : 9782296992108
Sous la direction de Céline Yolande KOFFIE-BIKPO
Côte d’Ivoire, 50 ans d’indépendance
Permanence, mutation
et/ou évolution des territoires
COMITE SCIENTIFIQUE ET DE LECTURE
Aloko-N’guessan Jérôme (Université de Cocody - Abidjan)
Atta Koffi (Université de Cocody - Abidjan)
Basset thomas (University of Illinois at Urban - Champaign)
Biémi Jean (Université de Cocody - Abidjan)
Corlay Jean-Pierre (Université de Nantes - France)
Koby Assa (Université de Cocody - Abidjan)
Pottier Patrick (Université de Nantes - France)
Robin Marc (Université de Nantes - France)
Yapi Diahou (Ecole Normale Supérieure - Abidjan)
Jean-Luc Piermay (Université de Strasbourg)
Affian Kouadio (Université de Cocody - Abidjan)
Alger Jean-Francis Ekougoun (Université de Bouaké).
EDITORIAL
En 1960, un grand nombre de pays africains issus de l’empire colonial français accédaient à l’indépendance. L’année 2010 marque pour ceux-ci, le cinquantenaire de l’accession à l’indépendance politique. La proclamation de l'indépendance par Félix Houphouët-Boigny, le 7 aout 1960 signe l’entrée de la Côte d’Ivoire (colonie française depuis 1893) dans le concert des nations souveraines. Cette indépendance quoique porteuse d’espoir ouvre tous les possibles y compris ceux des complexités de la géopolitique internationale.
La Côte d’Ivoire s’est appuyée pour son développement sur la promotion de l’agriculture, des ressources humaines et naturelles, dans le cadre d’une vaste politique d’aménagement du territoire appuyée par une planification quin-quennale régulière. Cela a produit des résultats encourageants qui ont fait d’elle la locomotive de la sous-région ouest africaine.
La volonté de rattraper le retard sur le développement s’est illustrée par d’ambitieux programmes d’éducation, de formation de cadres, d’industria-lisation, d’urbanisation et de création d’infrastructures, dont le résultat a été l’accession de la Côte d’Ivoire au rang des économies intermédiaires.
Depuis 1980, le pays subit une vague de crises économiques et socio-politiques qui amène à s’interroger sur son devenir. L’Institut de Géographie Tropicale de l’Université de Cocody-Abidjan a choisi de se déporter cinquante ans en arrière afin d’offrir une relecture de notre histoire en utilisant les méthodes et les techniques propres à la géographie. Cette analyse permet de mettre en évidence les permanences, les mutations et les évolutions que l’on peut observer à différentes échelles : nationale, régionale et locale. Les relations entre développement et géographie sont privilégiés, et peuvent se résumer comme suit : comment les politiques de développement dans leurs relations au territoire après un demi-siècle d’indépendance ont-elles évolué ?
Le champ à explorer est vaste. Ce sont principalement les questions géophysique, climatique, maritime, halieutique et environnementale ; de même que les questions de régionalisation et d’urbanisation.
Il s’agit de mettre en évidence, dans une perspective diachronique, la relation entre territoires, identités et développement durant le premier demi-siècle d’indépendance.
Treize contributeurs ont pris part à la rédaction de cet ouvrage collectif subdivisé en cinq grandes parties :
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La géographie physique Le transport maritime et le développement La pêche dans la sécurité alimentaire Les études régionales Les études urbaines
Par KOFFIE-BIKPO Céline Yolande Maître de Conférences,
Institut de Géographie Tropicale Université de Cocody
SOMMAIRE
EDITORIAL ........................................................................................................ 7 LISTE DES SIGLES, ACRONYMES ET ABREVIATIONS .......................... 11 GEOGRAPHIE PHYSIQUE .......................................................................... 15 LA GEOGRAPHIE DES PAYSAGES ET LES SAVANES IVOIRIENNES : UNE RECHERCHE VIEILLE DE 35 ANS, UNE PROBLEMATIQUE ET DES PERSPECTIVES DE RECHERCHE ACTUELLES .......................... 17
Zuéli KOLI BI PLUVIOMETRIE ET FORET EN COTE D’IVOIRE DEPUIS 1960 : INTERACTION CONSEQUENTE OU HASARDEUSE ? ................................. 37
Pauline Agoh DIBI KANGAH, KOLI BI Zuéli, COULIBALY Barakissa TRANSPORT MARITIME ET DEVELOPPEMENT ................................ 51 LE PORT D’ABIDJAN : BILAN ET PERSPECTIVES POUR L’ECONOMIE IVOIRIENNE ET OUEST-AFRICAINE .................... 53
Jean Bidi TAPE, Atsé Alexis Bernard N’GUESSAN, Fatoumata KONE BILAN ET PERSPECTIVES DE LA FILIERE CAFE-CACAO EN TRANSIT PAR LE PORT DE SAN-PEDRO (COTE D'IVOIRE) ............ 77
N’guessan Hassy Joseph KABLAN, Seydou OUATTARA LA PECHE DANS LA SECURITE ALIMENTAIRE ............................... 117 LA PECHE MARITIME EN COTE D’IVOIRE : BILAN ET PERSPECTIVES ............................................................................ 119
Céline Yolande KOFFIE-BIKPO MIGRATIONS ET EXPLOITATION HALIEUTIQUE DANS LE SUD-OUEST DE LA COTE D’IVOIRE : DES GERMES AUX CONFLITS EPISODIQUES .......................................... 151
Kouman Koffi Mouroufié
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DYNAMIQUE DES POLITIQUES PUBLIQUES PISCICOLES IVOIRIENNES DEPUIS 1955 : APPROCHE SOCIO-GÉOGRAPHIQUE ... 179
Joseph P. ASSI KAUDJHIS ETUDES REGIONALES ............................................................................. 201 LE PLAN PALMIER ET LES MUTATIONS DES TERROIRS RURAUX EN PAYS ÉBRIE : ETUDE DE CAS DANS LA ZONE D’ÉLOKA (SUD-EST DE LA COTE D’IVOIRE) ............................................................. 203
KOFFI–DIDIA Adjoba Marthe LA REGION DE BOUNA A L’EPREUVE DE SA DEMARGINALISATION 50 ANS DURANT .......................................................................................... 221
Bébé KAMBIRE L’EVOLUTION AGRICOLE DANS LE NORD-EST IVOIRIEN DE 1960 A 2010 .............................................................................................. 249
Julius Koffi ETUDES URBAINES ................................................................................... 263 CINQUANTE ANS D’INTELLIGENCE TERRITORIALE EN COTE D'IVOIRE : POLITIQUE URBAINE, RESULTATS ET ENJEUX POUR DEMAIN ............................................................................................. 265
Mamoutou Touré DEVELOPPEMENT URBAIN EN COTE D’IVOIRE : QUEL BILAN APRES CINQUANTE ANS D’INDEPENDANCE ? ............ 303
Akou Don Franck Valéry LOBA LES TRANSPORTS COLLECTIFS URBAINS D’ABIDJAN : DU CONFORT A LA GALERE DES USAGERS ......................................... 323
KASSI-DJODJO Irène CONCLUSION GÉNÉRALE ......................................................................... 337
LISTE DES SIGLES, ACRONYMES ET ABREVIATIONS
AFVP : Association Française des Volontaires de Progrès AGRIPAC : Agence Agricole du programme d’Action Commerciale ANADER : Agence Nationale d’Appui au Développement rural ANADER : Agence Nationale d’Appui au Développement Rural ANADER : Agence Nationale d’Appui au Développement Rural
APDRA-CI : Association Pisciculture et Développement Rural en Afrique Tropicale-Côte d’Ivoire
ARECA : Autorité de Régulation du Coton et de l’Anacarde ARCC : Autorité de Régulation du Café et du Cacao ARSO : Autorité pour l’Aménagement de la Région du Sud-ouest BAD : Banque Africaine de Développement BCC : Bourse du Café et du Cacao BNDA : Banque Nationale pour le Développement Agricole BSIE : Budget spécial d’Investissement et d’Equipement CAF : Coût, Assurance et Fret CCFD : Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement CDS : Comité De Suivi de la commercialisation CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CESPPCC : Comité d’Examen et de Suivi des Projets et Programmes de la filière Café-Cacao
CFA : Communauté Financière de l’Afrique CFAO : Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest CFDT : Compagnie Française de Développement des Textiles CGFCC : Comité de Gestion de la Filière Café-Cacao CIDT : Compagnie ivoirienne de développement des textiles CIMP : Comité Interministériel des Matières Premières CIRAD : Centre de Coopération Internationale et Recherche Agronomique CNDJ : Centre National de Documentation Juridique CNO : Centre, Nord et Ouest CNRA : Centre National de Recherche Agronomique CNS : Comité National des Sages
COCOPAGEL : Coopérative de Commercialisation des Produits Agricoles et d’Elevage
COOGES : Coopérative Générale de Sépingo COPABO : Coopérative des Producteurs agricoles de Bondoukou COOPEX : Coopératives Exportatrices
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CSSPPA : Caisse de Stabilisation et de Soutien des Prix des Productions Agricoles (CSSPPA). Le langage courant utilise souvent Caistab ou la Caisse ou encore Caisse de Stabilisation.
CTFT : Centre Technique Forestier Tropical DCGTx : Direction et Contrôle des Grands Travaux DDA : Direction départementale de l’Agriculture DPH : Direction des Productions Halieutiques DPMR : Projet de Développement de la Pisciculture en Milieu Rural DREN : Direction Régionale de l’Education Nationale FAC : Fonds d’Aide et de Coopération
FAO : Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture
FASR : Facilités d’Ajustement Structurel Renforcé F.CFA : Francs de la Communauté Financière Africaine
FDPCC : Fonds de Développement et de Promotion des activités des producteurs de Café et de Cacao
FGCCC : Fonds de Garantie des Coopératives de Café et de Cacao FIMR : Fonds d’Investissement en Milieu Rural FOB : Free on Board ou Franco à bord FRC : Fonds de Régulation et de Contrôle Café-Cacao Google : Moteur de recherche en ligne (internet) GVC : Groupement à Vocation Coopérative Hab. / km2 : Habitants au kilomètre carré IGT : Institut de Géographie Tropicale INADES : Institut Africain pour le Développement Économique et Social INS : Institut National de la Statistique IRD : Institut de Recherche pour le Développement IRHO : Institut de Recherche des Huiles et Oléagineux MINA : Ministère de l’Agriculture MINAGRA : Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales Nouvelle CAISTAB : Nouvelle Caisse de Stabilisation ORSTOM : Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer PAA : Port Autonome d’Abidjan PAS : Programme d’Ajustement Structurel PAPPE : Projet d’Appui à la Profession Piscicole dans l’Est PASP : Port de San Pedro PDM : Programme de Développement Municipal PIB : Produit Intérieur Brut PMEX : Petites et Moyennes Entreprises Exportatrices PNASA : Programme National d’Appui aux Services Agricoles PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement PPCO : Projet d’Appui à la Profession Piscicole du Centre-Ouest RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat RNA : Recensement National de l’Agriculture SCOA : Société Commerciale de l’Ouest Africain SIP : Société Indigène de Prévoyance SOGHEFIA : Société de Gestion et de Financement de l’Habitat SODEFOR : Société de développement forestier
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SODEPALM : Société pour le Développement du Palmier à huile SODERIZ : Société pour le Développement de la Riziculture SICOGI : Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière. UNIVIBO : Union des GVC de Vivriers de Bondoukou USAID : United States Aids ZEE : Zone Economique Exclusive ZKB : Zone Kolodio-Bineda
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LA GEOGRAPHIE DES PAYSAGES ET LES SAVANES IVOIRIENNES : UNE RECHERCHE VIEILLE
DE 35 ANS, UNE PROBLEMATIQUE ET DES PERSPECTIVES DE RECHERCHE
ACTUELLES
Zuéli KOLI BI, Maître de conférences Université de Cocody-Abidjan,
Institut de Géographie Tropicale
Introduction C’est en 1975 que les premières connivences se sont développées entre
géographes, pédologues, botanistes et géomorphologues autour de la notion de paysage et de son intérêt scientifique. Aux limites des sciences de l’homme et des sciences de la nature, les géographes en Côte d’Ivoire ont entrepris un inventaire du territoire ivoirien, avec comme objectif, récolter et organiser une base de données sur le milieu naturel et sa dynamique.
Une série de recherches méthodologiques ont été initiées, d’abord dans les régions forestières du sud-ouest, avec l’ouverture d’un front de colonisation pionnière agricole. Ensuite, on a étendu les recherches vers les savanes, ces écosystèmes fragiles et fragilisés par les feux de brousse, la baisse de la pluviosité et la quasi-saturation des finages de la zone dense de Korhogo.
La savane ivoirienne : ce sont près de 180 000 km2 de terres ouvertes et changeant au gré des saisons. Des terres comprises entre approximativement les 8° et 11° de latitude nord, drainées par un réseau hydrographique à mailles de plus en plus larges flanqué de vallées à fond larges ou de galeries forestières plus ou moins continues.
La savane ivoirienne : une mosaïque en construction/destruction de paysages naturels ou humanisés qui expriment des diversités, avec quelquefois des oppositions bien tranchées.
La savane ivoirienne : finalement mal connue et succinctement abordée par une géographie ivoirienne manquant de référentiel et d’outils conceptuels et méthodologiques. La savane ivoirienne est cependant le terrain sur lequel, pendant 35 ans, les formes d’analyse paysagère se sont montrées utiles à engranger de la connaissance.
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Cinquante ans d’intelligence territoriale en Côte d'Ivoire :
politique urbaine, résultats et enjeux pour demain
Mamoutou Touré, Institut de Géographie Tropicale, Côte d'Ivoire
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Résumé – La polarisation actuelle des activités et des hommes au profit d’Abidjan est le fait
d’un réseau urbain souche, inspiré de la théorie de la base exportatrice, dont les liens
fonctionnels constituent un facteur prépondérant de disparités régionales. Pour faire pièce à
cette accumulation différentielle dans l’espace national, les pionniers de l’indépendance de la
Côte d’Ivoire formalisent un réseau urbain dans lequel les villes de l’intérieur sont des pôles
de développement par l'implantation d'industries, supposées polarisatrices et animatrices du
développement économique. Cinquante ans après, la subtile combinaison entre la production
agricole extensive et les pôles urbains n’arrive toujours pas à corriger la méridionalisation du
peuplement ivoirien. Cet article révèle que le réseau urbain ivoirien est porteur à sa naissance
de gêne de disparités régionales. La solution des pôles industrialo-urbains dans les villes de
l’intérieur a produit des résultats non négligeables, mais encore trop partiels pour renverser les
tendances à la concentration vers le littoral. Curieusement, la tendance actuelle est au
renforcement de l’aimant abidjanais et peut-être au maintien du réseau urbain souche,
aujourd’hui inadapté.
Mots-Clés : Côte d'Ivoire, développement, villes, réseau urbain, polarisation, planification.
Introduction
Au moment où la Côte d'Ivoire fête son cinquantenaire, une question centrale est au centre de
tous les débats : qu’avons-nous fait des cinquante années d’indépendance ? Dans le domaine
de la planification, on peut répondre d’emblée que les leaders ivoiriens ont pensé et construit
la Côte d'Ivoire indépendante sur deux piliers majeurs. Le premier pilier est le modèle agro-
exportateur colonial reconduit dès l’indépendance. Il permettait d’agrandir la base de création
de la richesse nationale, certes ; mais il favorisait aussi la polarisation des activités autour
d’Abidjan dont les premiers signes apparaissent une quinzaine d’années après l’indépendance.
Fort du constat des limites de la base exportatrice dont il reconduit le modèle à
l’indépendance, la création de villes comme pôles moteurs est une des solutions, retenues au
milieu des années soixante par l’État ivoirien, pour tenter de résoudre les problèmes posés par
la polarisation des activités autour d’Abidjan. Un demi-siècle plus tard, les résultats obtenus
sont pour le moins ambigus. A l’émergence d’un réseau de villes intérieures modernisées,
lieux privilégiés de l’emploi moderne et l’emploi informel, s’oppose l’agglomération
abidjanaise comme pôle économique et démographique majeur du pays. Comment moduler ce
système urbain macrocéphale qui n’est pas sans lien avec les disparités régionales ? C’est à
cette lancinante question que les Ivoiriens devront répondre sans doute à l’échéance du
centenaire.
2
La connaissance des liens fonctionnels - qui déterminent en définitive l’identité du réseau
urbain ivoirien et les forces motrices sous-jacentes - est un premier élément de réponse de la
nécessaire réflexion à mener sur le sujet.
Pour cerner le processus de construction de l’espace ivoirien et sa gouvernance, cet article
s’appuie sur le nouveau concept de l'intelligence territoriale. C’est une approche systémique
d'un territoire visant à comprendre la mise en réseau de ses acteurs pour son développement
durable. En pratique, cela s’est traduit par des collectes de données statistiques et factuelles
sur l’évolution contemporaine de la Côte d'Ivoire, la confrontation et le recoupement des
points de vue des acteurs locaux ou nationaux, pour une meilleure lisibilité de la cohérence
des diverses actions politiques appliquées. Le concept est polysémique et comprend trois
définitions selon que l'on est issu d'un domaine d'expertise géographique, aménagement
public ou économie. L’analyse est faite à partir de la définition géographique du terme, à
savoir la conduite intelligente d'un territoire dans son développement par rapport à son
contexte social, géographique, ses ressources et son organisation spatiale.
La première partie étudie le contenu des choix politiques et économiques qui ont présidé à la
naissance du réseau urbain et apprécie le pouvoir structurant de ce réseau souche. La seconde
partie s’intéresse aux questions de départ posées aux leaders ivoiriens, aux problématiques
sous-jacentes et aux solutions proposées. Après l’analyse rétrospective, la troisième partie fait
un zoom sur le réseau urbain actuel après une trentaine d’années de croissance, apprécie les
résultats atteints au regard des objectifs de départ et fait un point des alternatives actuelles
proposées.
1. Le réseau urbain souche, facteur de disparités régionales
11. Des villes intérieures de productions agricoles et de ravitaillement
Un réseau urbain se singularise par la présence de diverses relations qui sont marquées par des
rapports fonctionnels permanents entre, d’une part, les unités urbaines et d’autre part, entre
celles-ci et les milieux ruraux qui les entourent (Y. Lacoste, 1972). Dans le cas spécifique de
la Côte d'Ivoire, la formalisation de cette toile d’araignée a commencé avec la mise en valeur
de la colonie de la Côte d'Ivoire sous-tendue par la théorie de la base économique qui induit
celle des économies d’agglomération.
Selon la théorie de la base économique, ce sont les activités exportatrices qui assurent la
croissance des villes du fait de son « effet de multiplicateur urbain » (Denise Pumain, 2010).
Les moteurs du développement local reposent en partie sur les emplois et sur les revenus que
les activités implantées sur le territoire considéré tirent de leurs exportations hors de ses
limites. Les activités exportatrices, dites « de base », renvoient aux activités agricoles et
industrielles dont le marché est national voire mondial ; la consommation de la zone n'en
représente qu'une faible fraction dans l'immense majorité des cas. L'hypothèse faite est donc
que ne joue, pour ces activités, aucun « effet de proximité ». Les autres activités sont alors
dites « induites » par la présence des premières et de leur main-d’œuvre dès lors que cette
dernière réside sur le même territoire. La théorie de la base économique attribue donc la
croissance urbaine à la demande extérieure. Et celle des économies d’agglomération la lie à
un ensemble d’avantages créés par les fonctions de commandements de la localité considérée.
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L’insertion de la Côte d'Ivoire dans le commerce international par l’appareil administratif
colonial n’est pas sans rappeler ces fondements théoriques de la base économique et des
économies d’agglomération.
L’activité de base de la Côte d'Ivoire est l’agriculture d’exportation. La formalisation de cette
activité remonte à l’époque coloniale au moment où pour les besoins de soutien de la guerre
de 1939-1945, Dakar1 décide que les planteurs des colonies françaises d'Afrique de l'Ouest
augmentent la production de certaines cultures, dites prioritaires. Il s'agit principalement du
café, du cacao, de l'arachide, des palmistes et de l'huile de palme. En Côte d'Ivoire, la
primauté est accordée aux cultures d'origine forestière, le café et le cacao en tête.
Le choix de l’arboriculture forestière est allé de pair avec la pose de la trame urbaine
ivoirienne au fil des différentes phases de la pénétration coloniale (fig. 1). Les modalités de
cette mise en place des villes ont été identifiées par L. Atta Koffi (1975) et revoient à trois cas
de figure : principalement, l’installation de campements militaires à proximité du village
indigène, les deux entités fusionnant plus tard pour constituer le noyau de la ville ;
accessoirement le déplacement de gré ou de force du village indigène sur un nouveau site jugé
sécurisant et plus accessible ; et rarement la création de nouvelles localités de toutes pièces
comme Agboville.
En plus de ces villes coloniales, de nouvelles villes sont créées après l’indépendance, certes.
Mais c'est principalement du déploiement de l'appareil administratif colonial que résulte le
réseau urbain souche dont hérite à l'indépendance le nouvel État ivoirien. Or, le semis urbain
colonial avait une double fonction. La première consistait à assurer le contrôle politique et
administratif du territoire par un maillage hiérarchisé (postes, chefs-lieux de subdivision,
chefs-lieux de Cercle, capitales) ; chaque élément de ce système urbain témoignait de
l'emprise et du contrôle du colonat. La seconde fonction assignée aux villes était économique
et c’est cette fonction qui cristallisait l’essentiel de l'économie urbaine, chaque ville est avant
tout un rouage de l’économie de traite (P. Kipré, 1985). En fonction du produit dominant de la
région, les villes sont spécialisées dans la commercialisation d'un ou de deux produits
primaires, quelques-unes assurant le rôle de redistribution soit à l'échelle du Cercle soit à
l'échelle de la région économique où, par exemple, sont implantées les factories d'une même
maison de commerce. La ville coloniale était avant tout un centre d'évacuation de produits
primaires et pondéreux. Les conditions d'établissement et de développement des villes
coloniales sont donc étroitement liées à l'évolution des systèmes de collecte dans les relations
villes et campagnes, des circuits de redistribution et des moyens de transport.
1 A cette époque, la Côte d'Ivoire fait partie de l'AOF qui comprend alors 8 territoires : le Sénégal, la Mauritanie,
le Soudan, la Haute-Volta, le Niger, la Guinée Française, la Côte d'Ivoire et le Dahomey. Ces territoires administrés par un gouverneur général sous le conductorat d’un gouverneur général résidant à Dakar.
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Figure 1 : Le réseau urbain ivoirien souche colonial (1843-1933)
La conséquence de cette organisation des villes autour d’une seule fonction économique et
une hiérarchisation des rôles, c’est l'émergence de certaines localités comme « carrefours »
dominants d’entreposable et d’évacuation des productions. Il s’agit en l’occurrence, des
« carrefours » du cacao (Abengourou, Agboville, Dimbokro), du coton (Bouaké), de la cola
(Man, Daloa), de l'huile de palme (Dabou, Lahou, Sassandra) et du bois (surtout les ports).
P. Kipré (1985) a bien montré le renforcement du poids de ces localités dans la hiérarchie des
villes coloniales, très tôt repérables dans la nouvelle économie émergente entre 1920 et 1940.
Les progrès des voies de communication dynamisent cette économie urbaine. Ils portent sur
l'ouverture de nouvelles routes prolongeant les linéaires établis pendant les années de
conquête ; ils se font aussi à travers l'aménagement de plusieurs voies à partir de 1933 pour
désenclaver les régions, faciliter les échanges interurbains et surtout assurer l'accès aux lieux
d'exportation. Précisément, la première nécessité de l’ouverture des routes vraiment
commerciales, ainsi que le rappelait fort opportunément le Gouverneur Reste en 1933, était de
Source : carte réalisée à partir de l’exploitation des informations fournies par Kipré P. (1985) et PTT (1975
5
mettre largement l'intérieur du pays en communication facile avec ses accès maritimes (cité
par P. Kipré, 1985).
Or c’est ce modèle territorial réglé dont héritent les dirigeants du nouvel État ivoirien (M.
Touré, 2008). Ces derniers vont poursuivre la politique agro-exportatrice, gage de la
croissance amorcée dans les années 1950, les choix fondamentaux faisant de l'agriculture le
moteur de la croissance. Pour l’essentiel ces choix se résument à une politique d’ouverture
fondée sur l’appel du capital humain et financier, le renforcement d’Abidjan comme pôle
économique national et principalement la reproduction du schéma agricole extensif du quart
sud-est du pays. Ce modèle élargit la base de création de la richesse nationale nécessaire à
l’édification et au fonctionnement du pouvoir d’État et de tout son appareil. En outre, il se
fonde sur des opérations de modernisation agricoles (A. Dubresson, 1987) qui associent
cultures d’exportation et agriculture de subsistance à travers le pays (Penouil M., 1983).
L’aménagement du port de San Pedro et le développement autour de celui-ci des exploitations
agricoles modernes de palmiers, d’hévéas et la mise en exploitation de la forêt de l’ouest
relèvent de cette volonté d’imiter le modèle de développement du Sud-Est. En comblant le
vide démographique, il s’agissait aussi d'y réaliser une extension de l'économie caféière et
cacaoyère, le but étant d’élargir l’espace de création de richesse.
La mise en exploitation de la forêt du Centre prolonge cette volonté d'imiter le modèle de
développement du Sud-Est. Il s’agissait d’aménager la vallée du Bandama autour
d'exploitations agricoles de type moderne, basées soit sur les plantations de caféier et de
cacaoyer, soit sur la pêche ou la motorisation, etc. A terme, cette opération d’envergure devait
permettre de vivifier l’économie d’une région à fort potentiel humain mais où les migrations
étaient fortes.
Dans la même logique, on rencontre une volonté de reproduire dans le nord du pays, le même
schéma de développement. Il s’agit principalement des régions d’Odienné, de Korhogo et
dans une moindre mesure de la région de Bouna. Ici, les obstacles ne sont plus simplement
humains, ils sont également d'ordre naturel et climatique. Les mêmes types de cultures ne
pouvant pas être valorisées dans le Nord, il a fallu recourir, en suivant les conclusions des
experts de la SEDES (1965), à la culture du coton en association avec la gamme de vivriers
locaux puis la canne à sucre et à l’élevage.
Inséré dans une économie de plantation de plus en plus monétariste, le paysannat bénéficie
d’un encadrement efficace pour assurer le bon fonctionnement de l'économie d'exportation ou
la notion de plantation est désormais symbole de richesse. La création et la multiplication des
sociétés d'États créées autour des principales spéculations agricoles au Nord comme au Sud
justifiaient ce soutien au monde rural. Cet apport au monde rural a ainsi permis d'assumer une
triple fonction de services indispensables à la production agricole : la distribution et l'entretien
des intrants ; la collecte de produits commercialisés et d'échanges avec les produits
manufacturés et corrélativement la création de circuits monétaires pour favoriser la
redistribution.
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Encadré n°1 : Étapes de densification de l’appareil administratif ivoirien
Pendant la colonisation
Les premiers Cercles de la colonie sont créés en 1896 ; le maillage colonial s'affine à partir des années 30 où un nombre
important de subdivisions sont créées. Hiérarchisée, la centralité coloniale se décline en cercles (administrés par les
commandants), eux-mêmes composés de subdivisions dirigées par des chefs de subdivisions. Les cantons créés en 1934
avaient pour mission d'impliquer les autorités locales traditionnelles à la gestion des affaires modernes. Les départements et
les sous-préfectures sont apparus en 1956, dans le sillage de la Loi-cadre.
Dans la Côte d'Ivoire indépendante
- 6 grands départements et 107 sous-préfectures en 1965 ;
- 26 départements et 159 sous-préfectures en 1975 ; en 1976, 3 nouveaux départements sont créés, ce qui porte le nombre de
départements à 29 ; le nombre de sous-préfectures restant inchangé.
- 34 départements et 162 sous-préfectures en 1984 ; 15 nouveaux départements ont été créés en 1985, portant à 49 le nombre
de préfectures ivoiriennes. Les départements comprenant une seule ancienne sous-préfecture feront l'objet d'un découpage
ultérieur.
Les conflits de leadership ont justifié la création de 10 régions administratives en 1991, l'énoncé des motifs (décret 91-10 du
16 janvier 1991) obligeant les ministères à n'implanter leurs services régionaux que dans les chefs-lieux de ces régions.
Le découpage régional de 1991 qui renoue avec une ancienne vision d'aménagement du territoire renforce et diversifie les
échelles de la centralité :
- en 1991, il existe 10 régions, 50 départements et 183 sous-préfectures ;
- en 1996, sont créées 2 nouvelles régions, 5 nouveaux départements et 3 nouvelles sous-préfectures ; ce qui porte les régions
à 12, les départements à 55 et les sous-préfectures à 186 ;
- depuis l'année 2000, il existe 19 régions, 59 départements et 186 sous-préfectures.
Parallèlement, le maillage territorial ivoirien s'est enrichi de territoires communalisés (par opposition aux territoires non
communalisés). Le mouvement s'est accéléré entre 1980 et 1985 avec l'augmentation du nombre de communes de 36 à 135.
Après une phase de ralentissement consécutive au durcissement de la crise économique au milieu des années 80, l'embellie
économique de 1994 a permis à l'État de généraliser quasiment le déploiement communal à tous les chefs-lieux de sous-
préfecture. De 135 en 1985, le nombre de commune à passe 196 et dépasse à ce jour 1 000.
Depuis l'élargissement récent du nombre de communes, marqué par la création de 61 nouvelles communes en 1996, plus de
la moitié de la population ivoirienne vit sur le territoire d'une commune.
En parallèle, inspirés par les réformes territoriales coloniales réalisées entre 1899 et 1959, les
dirigeants ivoiriens procèdent à la densification régulière de l’appareil administratif
matérialisée par la mise en place d'une structure administrative de plus en plus fine depuis
l'indépendance (Encadré 1) ; et ce, non sans une préoccupation constante d'avoir un contrôle
permanent sur les administrés (Asseypo A. Hauhouot, 2002).
Après la promotion d’une agriculture d’exportation selon les potentialités de chaque région
sur fond d’un rapprochement de l’État des citoyens, le deuxième élément justificatif de la
théorie de la base économique est la recherche d’une ouverture maritime pour vendre les
productions locales à l’extérieur et accumuler des devises importantes.
12. Abidjan : chef-lieu de colonie et porte atlantique
La volonté d’ouvrir un exutoire maritime peut se résumer en deux idées simples. D’une part,
la recherche et la création d’un point d’ancrage des activités de base ; d’autre part, le
positionnement d’une porte maritime comme interface des activités de base et des activités
induites.
La recherche d’un point d’ancrage est observable surtout au niveau de l’instabilité de la ville
capitale. Le besoin de faire souche sur un site salubre et sécurisé explique l’abandon successif
7
des deux premières capitales (Grand-Bassam et Bingerville) pour une implantation définitive
sur le site d’Abidjan en 1934 sur recommandation du génie militaire français, en l’occurrence
la mission Houdaille.
Parallèlement, s’il y eu recherche et création d’un chef-lieu de la colonie, il y a aussi eu une
volonté manifeste d’ouvrir des débouchés maritimes pour relier le nouveau territoire aux
industries métropolitaines. En l’absence de port en eau profonde et malgré l'obstacle de la
barre, l’aménagement des wharfs dans plusieurs régions côtières a permis de résoudre
localement le problème de transbordement des passagers et des marchandises ; en
l’occurrence, à Assinie, Grand-Bassam, Grand-Lahou, Sassandra et Tabou.
Les nombreuses études du génie militaire français2, retiennent Abidjan dont la position
stratégique en fait un site portuaire privilégié. Le site de plateau est composé de baies le plus
souvent bordées de collines et s'enfonçant de plusieurs kilomètres dans l'intérieur des terres.
Ces caractéristiques en font un exutoire tête de pont du chemin de fer devant relier le littoral
ivoirien au Niger. Les recommandations de la mission Houdaille sont pour ainsi dire claires :
[Elle] sera mise en communication avec la mer par un chenal de 800 m à travers la lagune et
par un canal de 2 km creusé vers le point appelé Trou-sans-fond" (cité par G. Rougerie,
1964). Après l’échec du percement du cordon face au trou abyssal en 1907, le projet fut repris
en 1919 mais loin du petit village de Petit-Bassam. Après les ralentissements dus à la Seconde
Guerre mondiale, le canal de Vridi relie, le 23 juillet 1950, l’océan atlantique à la lagune.
Avec ce port, Abidjan connait une croissance extraordinaire et organise un réseau urbain où se
développent les premières unités de conditionnement des produits tropicaux vers l’extérieur.
Depuis, la ville va bénéficier de nombreux équipements dans le cadre d’un projet urbain
volontariste qui a réorienté dès 1960 les principes et actions de l’urbanisme colonial3 et
affirmé l’option de l’habitat pour tous les ivoiriens, dans toutes les villes et pour tous les
quartiers.
Pour les concepteurs du modèle, Abidjan est avant tout une vitrine qui doit présenter une
image moderne inspirant confiance aux investisseurs : projets d’urbanisme prestigieux,
structures d’accueil modernes et transformation de l’habitat (quartiers, CBD), efforts
d’équipement et mise en place des grandes infrastructures font partie intégrante de la stratégie
de développement (Koby Assa Th., 2006). Des ouvrages perçus par beaucoup comme de pur
prestige, lors de leur réalisation, ont été en réalité le moteur du développement de la capitale.
Le palais de la présidence a illustré le vieil adage qui veut qu’on ne prête qu’aux riches
(journées mondiales de l’urbanisme en 1969). Le plateau, par son site de promontoire et sa
position au centre de la ville, symbolise, par son architecture d’avant-garde, le dynamisme
économique de la Côte d'Ivoire.
2 Les missions d'études du chemin de fer ivoirien ont été effectuées sur plusieurs sites, notamment : sur le cours
inférieur du Bandama, (projet Marchand pour Grand Lahou (1896) ; projet Thomasset et Mission Houdaille (1898) ; sur le cours inférieur de la Comoé : projets Binger et Houdaille pour Grand-Bassam (1896) ; site d’Abidjan : projet Capitaine Crosson Duplessis pour Petit-Bassam et Mission Houdaille (1896).
3 Soucieux avant tout de faire une ville assainie pour les européens et les évolués.
8
Avec la présence du port, Abidjan devient un puissant aimant drainant des flux importants de
populations grâce aux mouvements migratoires nationaux internationaux. La ville d'Abidjan
qui ne comptait que 46 000 habitants au sortir de la Seconde Guerre mondiale en compte 66
fois plus à peine un demi-siècle plus tard. Chaque année, elle reçoit environ 30 000 nouveaux
citadins et pendant « les vingt glorieuses » (1960-1980), elle en recevait davantage soit une
moyenne de 130 000 personnes par an. Abidjan, deuxième cité ouest africaine après Lagos,
présente aujourd’hui tous les caractères d’une véritable métropole : forte croissance
démographique, concentration des activités économiques et polarisation de l’espace national.
Pour résumer la structure souche du réseau urbain ivoirien, on peut dire que la théorie de la
base économique s’est traduite en Côte d'Ivoire par l’affirmation d’une activité de base :
l’agriculture d’exportation. Celle-ci a permis la création de richesse dans le pays et
corrélativement les activités induites autour des pôles de production. Ces derniers acheminent
leurs productions vers le port à Abidjan dans le quart Sud-est du pays autour duquel se noue
l’essentiel des activités économiques d’exportation. Abidjan devient alors la tête de pont d’un
réseau urbain, largement calqué sur l'héritage du semis colonial, où les villes sont à la fois des
instruments de contrôle territorial de l’État et des pôles administratifs relais de
l’acheminement des produits agricoles vers le port abidjanais.
Au fond, l’armature urbaine ainsi mise en place est composée de deux blocs de villes reliés
par des fonctions urbaines très précises : une ville primatiale à la fois point d’ancrage
administratif et port maritime ouvert sur le commerce international ; et un semis de villes
intérieures qui sont avant des rouages du système de traite et de contrôle du pouvoir d'État
mais aussi pourvoyeuses des productions agricoles et de main-d’œuvre. Un facteur explique
donc les germes de polarisation dans le dispositif urbain ivoirien : c’est la nature des liens
fonctionnels existant entre les villes qui exclut la concurrence entre une ville hégémonique et
de gros bourgs agricoles de province.
Naturellement, au moment où ce schéma est mis en place par le moule colonial, il n’existe pas
encore de polarisation du développement. D’abord, les points d’accès de la colonisation ne
sont pas stables. Les villes capitales se sont déplacées de Grand-Bassam à Bingerville puis à
Abidjan. Ensuite, les ressources du pays étaient essentiellement agricoles et recherchées, tous
azimuts, à travers le pays. Enfin, l’industrialisation dans ses premières phases était étroitement
liée aux ressources naturelles, soit de la forêt, soit à l’introduction des premières industries de
substitution aux importations, par exemple dans le domaine textile. Mais ces industries
n’étaient pas nécessairement situées autour d’Abidjan.
C’est à la fin des années soixante qu’apparaissent les premiers signes de polarisation de
l’activité économique suivis du développement des inégalités régionales. Ces évolutions
inquiétantes sont clairement exprimées à divers niveaux par les pouvoirs publics. Deux
exemples permettent d’illustrer ces inquiétudes.
D’abord l’intervention de Tiécoura Diawara, Ministre du Plan, au Ve Congrès du PDCI-RDA
en octobre 1970 : « il appartient aux pouvoirs publics de mettre en œuvre les actions
correctrices afin d'éviter que s'aggravant, elles [les disparités] en viennent à mettre en cause
9
l'équilibrage du corps social, voire à provoquer à terme un blocage de la croissance elle-
même » (cité par A. Dubresson, 1989).
Ensuite, le Président Félix Houphouët-Boigny justifiant l’intérêt du plan 1976-1980, écrit
dans ce premier document formel sur la stratégie des pouvoirs publics ivoiriens : « le clivage
qui était en train de s’opérer entre une Côte d'Ivoire urbaine et forestière, bénéficiant quelles
que soient ses tensions propres, d’un rythme et des retombées des progrès de l’économie
moderne et une Côte d'Ivoire rurale et de savane à la recherche de nouvelles raisons de mieux
être, pouvait conduire à remettre en cause l’unité nationale et les harmonies acquises (cité par
SCET IVOIRE et al., 1983).
C’est donc quinze ans après l’ouverture du port d’Abidjan comme exutoire maritime que les
pouvoirs publics ivoiriens prennent la mesure des effets pervers du modèle extensif et s’en
inquiètent. Ils prennent ainsi date pour mettre en place des actions pragmatiques de correction
des disparités émergentes. Quelles sont alors les réponses publiques proposées pour faire face
aux problèmes de la polarisation économique ?
2. Aménagement et solutions à la question de la polarisation
21. Problématiques de la construction de l’espace économique ivoirien
Pour une meilleure intelligence des solutions publiques proposées aux problèmes de
polarisation économique, il n’est pas inutile de faire un rappel cursif de l’identité de la Côte
d'Ivoire au moment de l’indépendance puisque c’est de cette identité que découlent les
questions majeures du développement.
Pour bien comprendre la situation de la Côte d'Ivoire à l'indépendance, rappelons qu'au sortir
de la colonisation, la Côte d'Ivoire est un pays à dominante rurale. L’agriculture occupe une
place importante dans le système de production avec un nivellement des fonctions régionales
autour d'activités agro-exportatrices et principalement de l’arboriculture (café, cacao, palmier,
coton etc.). Les villes existantes sont en réalité de gros bourgs de collecte et d’évacuation des
productions. Elles ne sont pas assez actives pour entraîner des fonctions urbaines de
développement rural et régional. Globalement, l'ossature du réseau urbain s’organise autour
de pôles démo-économiques.
En pleine mutation, le pays dispose d’équipements de base en voie de modernisation. Le port
répond déjà aux exigences du trafic maritime et il assure l’essentiel des transbordements. Le
chemin de fer et les routes constituent un réseau de distribution et d'évacuation qu'il s'agit
seulement de parfaire. Si la production exclusivement agricole s'est accrue, les méthodes la
rendent vulnérable, trop sensibles aux circonstances naturelles ou extérieures. Le système
économique se caractérisait par la faiblesse des investissements productifs dans la colonie et
par le niveau élevé des bénéfices réalisés par ses promoteurs au détriment des producteurs
ivoiriens.
Malgré ces germes de changements introduits dans les systèmes productifs traditionnels, à
l'indépendance, il n'y a pas de différence de nature entre les régions ivoiriennes. Certes,
quelques villes forestières du Sud-est et Abidjan se sont enrichies au milieu des années
cinquante avec le boom du binôme café-cacao (H. Labouret, 1941). Mais, la majorité des
10
unités administratives du pays sont encore, à degrés divers, enclavées et sous-équipées.
Partout, prédomine encore l’économie de subsistance. Les interconnexions entre les
économies régionales sont faibles, les échanges locaux de courte distance étant la règle.
Chaque région avait son propre système productif et ses modèles d’autoconsommation. Il était
impossible d’échanger des produits vivriers dans un environnement à faible revenu et ayant
un niveau d’urbanisation insuffisant.
C’est de l’appréciation objective de ce tableau géographique d’un pays à vocation agricole et
la recomposition des sociétés traditionnelles de base que résultent les principales
interrogations posées aux leaders ivoiriens à l’indépendance. Le plan 1958-1962 résume bien
ces interrogations de fond : que faut-il retenir des périodes antérieures ? Que faut-il intégrer
dans le nouveau cycle de développement ? Quelles innovations faut-il apporter à l'économie
nationale, basée sur l'agro-exportation, afin d'accroître la valeur ajoutée du travail des paysans
et de pourvoir à une répartition juste des fruits de la croissance ? Compte tenu de
l'affaiblissement des solidarités sociales traditionnelles, quel rôle l'État social doit-il jouer
pour accélérer le passage des « nations tribales » à la Nation ? Comment faut-il redistribuer
les fruits de la croissance dans le cadre de la lutte contre les disparités régionales de
production ?
Ces interrogations majeures ont sous-tendu de manière décisive les options stratégiques du
développement ivoirien4. Le postulat de base était de stimuler de nouvelles conditions de
croissance et de progrès humain dans les régions en fonction de leurs potentialités en créant,
prudemment des ruptures indispensables aux sociétés traditionnelles et amplifier les échanges
avec l’extérieur comme imposé par le moule colonial.
Au plan international, le maintien d'une relation organique avec la France figure au centre de
la stratégie ivoirienne du développement. Les dirigeants ivoiriens conçoivent la dépendance
institutionnelle envers la France comme une garantie politico-juridique essentielle pour que la
Côte d'Ivoire puisse attirer massivement des capitaux privés français. Il s'agit également
d'éviter toute remise en cause de l'aide publique non négligeable que le pays reçoit de la
France. Une fois l'aide de la France jugée satisfaisante, la Côte d'Ivoire pourrait ainsi prendre
la relève du développement et de l'unité africaine dans un contexte marqué par les
indépendances en chaîne5.
La conscience de ne pas être un acteur autonome sur la scène internationale est affirmée et
assumée au grand dam des adeptes, le leader ghanéen en tête, d’une Afrique socialiste et
soucieuse d’une indépendance totale.
4 Les objectifs de développement du Plan définis sur la base de ces interrogations sont : moderniser et diversifier
l'agriculture ; accroître le revenu sensible des producteurs ; améliorer les équipements de transport ; intensifier et diversifier la production industrielle par une série de mesures dont l'accès à l'énergie hydroélectrique est l'une des conditions. Le Plan prévoit en outre, une série d'actions de promotion sociale. Sont concernés en particulier, l'éducation, la santé, l'habitat et l'hydraulique villageoise pour un budget de réalisation de 27 milliards financés de moitié par la Côte d'Ivoire.
5 Voir à ce propos, les déclarations du Président Félix Houphouët-Boigny lors de la célébration du deuxième
anniversaire de l'indépendance en 1962.
11
Au plan économique interne, l’option en faveur du développement du secteur primaire avec
l’agriculture comme axe prioritaire est clairement affichée dans une société symboliquement
perçue à l’époque comme une société de planteurs.
Le choix libéral du nouvel État ivoirien se double d’une approche du développement
résolument volontariste soutenue par la planification utilisée pour une meilleure coordination
des actions dans une stratégie globale. Mais l’efficacité de cet instrument n’est pas encore
garantie. Les informations léguées par l’administration coloniale sont incertaines et
fragmentaires. Elles ne constituent pas encore une base satisfaisante susceptible de permettre
aux pouvoirs ivoiriens de mener à bien les engagements définis (A. Yapo Pergaud, 1979).
Les premiers pas de la planification ivoirienne sont donc prudents et encadrés par
d’importants travaux de recherche pour une meilleure connaissance des réalités internes et
appuyer les prises de décision sur les politiques de développement à court, moyen ou long
terme. Les études et enquêtes régionales à objectifs multiples (1962-1966) ont ainsi constitué
un premier cadre de réflexion globale qui a permis de fixer, à la fin de l’année 1966, des
perspectives décennales 1960-1970 de développement économique, social et culturel pour la
période 1960-1970. Pour l’essentiel, ce premier cadre porte les opérations d'envergure et
sectorielles menées dans le cadre de la reproduction extensive (principe de créer un nouveau
port afin de désenclaver et mettre en valeur le Sud-ouest et choix du site) ; le principe de
lancer des opérations intégrées de développement rural à l'aide des sociétés d'État afin de
réduire les inégalités de revenus Nord-Sud.
Si la planification est bien amorcée, l'absence de problématique socio-économique des
premières études - plus descriptives qu’analytiques (H. Lhuillier, 1967 : G. Ancey, 1975) -
limitait la compréhension des situations régionales, dont les logiques d'ensemble sont peu
connues.
Pour un meilleur éclairage sur ce point, le schéma d'analyse théorique de modèle de
croissance et de développement régional de J. C. Perrin (1967) au sein de l’ORSTOM est testé
autour de Bouaké entre 1967 et 1971 et reposait sur l'importance des facteurs de polarisation
et de hiérarchisation entre milieux. Il renvoie à une organisation de l'espace national en sous-
ensembles différenciés et hiérarchisés par régions : zones homogènes, cellules de base et par
milieux urbain, semi-urbain, rural entre lesquels devaient se réaliser la diffusion et
l'amplification des effets de développement. Ainsi structurée et polarisée par un centre urbain,
une région peut-elle déboucher sur un processus cumulatif de croissance lorsque des
investissements moteurs articulent entre eux les différents éléments (Encadré 2).
12
La région de Bouaké semblait répondre aux critères ainsi retenus ; c'est pourquoi il fut décidé
qu'elle servirait de terrain expérimental pour l'approfondissement et la quantification de ce
schéma théorique initial (G. Ancey et M. Pescay, 1983).
L'étude a révélé que "du point de vue de la polarisation, la région de Bouaké est un cadre
spatial dépourvu de contenu économique réel et potentiel". Les formes d'organisation
régionales sont "plus apparentes que réelles" ; elles rendent improbable l'induction d'effets
réciproques entre les divers milieux trop cloisonnés et la formation d'un processus cumulatif
de croissance à un échelon autre que national. Le marché est "étroit" et "partagé entre "une
multitude d'intermédiaires" alors qu'une "dépendance globale de l'extérieur", accentuée par
des fuites, limite la chaîne des effets au niveau régional. Par ailleurs, la sujétion des villes de
l'intérieur à des options relevant du pouvoir de décision national (ou supranational) est perçue
comme la source d'un manque à gagner au niveau global de la collectivité. Les conclusions
montrent que le modèle n’est pas valide à Bouaké et en fin de compte difficilement applicable
en Côte d'Ivoire, à moins que l’État aménageur prenne le relais (Encadré 3).
Encadré n°2 : résumé du schéma d'analyse théorique de J. C. Perrin (1967)
Il repose sur les notions de "niveaux d'organisation et de milieux de diffusion".
Le premier niveau est celui de la "région économique" organisée autour d'un "pôle industriel urbain". La région doit
répondre aux conditions suivantes :
- Aptitude à fixer dans ses limites géographiques les déplacements de la population qui en est originaire et les activités
nécessaires à cette population.
- Existence d'un marché potentiel de consommateurs finaux suffisamment large.
- Liaison entre des pôles de développement ruraux spécialisés et au moins un pôle urbain entre lesquels se produisent des
effets de diffusion.
- Un réseau dense de communications internes.
À un niveau inférieur se situe "la zone économique", véritable cadre des interventions techniques, dominée par son "pôle
semi-urbain". La zone économique est un ensemble homogène et spécialisé.
Enfin, un troisième niveau de médiation entre les agents individuels et le pouvoir central est la "cellule économique de base"
dotée d'un "pôle semi-rural" où se fixent certains services administratifs et un embryon d'activités secondaires et tertiaires.
Deux milieux sont "inducteurs" : le milieu urbain et le milieu rural faisant l'objet d'investissements exogènes (grosses unités
industrielles exportatrices en milieu urbain, "opérations" en milieu rural ...) quoique le milieu urbain soit également le siège
d'effets induits "d'accélération". Les deux autres milieux sont totalement "induits".
Synthèse réalisée à partir des travaux de G. Ancey et M. Pescay, 1983, p. 17.
13
Les recommandations de l’ORSTOM au contenu fortement géo-aménagiste sont reprises dans
les Plans 1971-1975 et 1976-1980. Elles permettent surtout d’affermir la réflexion en mettant
en avant les questions de structuration de l'espace national. En témoignent les différents plans
quinquennaux qui prennent le relais dans la structuration de la pensée et des actions.
22. Polarisation économique et mise en place des pôles urbains
Le Plan quinquennal 1971-1975 ouvre la phase d'affermissement de l’aménagement du
territoire dans la continuité de la reproduction agricole extensive, matérialisée par plusieurs
programmes de développement rural à travers le pays (techniques agro-pastorales et
aménagement de zone). Les objectifs du Plan 1971-1975 sont clairs : le progrès consistait à
développer le potentiel économique (avec une implication accrue des Ivoiriens) et poursuivre
la croissance économique amorcée, mais aussi à assurer une meilleure répartition des fruits6
de cette croissance et favoriser une promotion humaine accélérée.
Le territoire national est désormais structuré en régions géographiques et économiques au sein
desquelles existent des zones homogènes de développement qui sont définies en unités. Dans
ces sous-espaces « homogènes de développement » seront entrepris des « investissements
publics multisectoriels » privilégiant la mise en valeur agricole autour de grands équipements
« structurants » dans le cadre d'une programmation cohérente. Des opérations de
développement en cours de réalisation ou annoncées témoignent de ce changement introduit
par le Plan 1971-1975. Depuis 1969, deux grandes opérations de développement régional sont
lancées, au Centre (construction du barrage de Kossou) et au Sud-ouest du pays (réalisation
du port de San Pedro), et confiées à des Autorités, ARSO et AVB, à compétence régionale
pour assurer l'agencement de l'espace et la coordination des actions ; en 1974-1975, le
complexe sucrier, de Ferké 1, est prévu dans le Nord ivoirien et confié une société d'État, la
6 Selon les termes de la DATAR (1974) et repris par le Président Houphouët dans son discours du 6
e congrès du
PDCI en 1974.
Encadré n°3 : Propositions de l'ORSTOM après l'étude pilote de Bouaké (1967-1969)
Les recommandations mettent en avant une idée majeure : si le modèle ne sied pas au contexte ivoirien a priori, de même
que le mouvement se prouve en marchant, la région n’est que ce que l’on en fait. L’essentiel est de concentrer les
investissements sur certains espaces et de coordonner les actions de manière volontariste. Elles se résument comme suit :
Ne pouvant fonder le développement régional sur un processus de croissance animé de l'intérieur, la première tâche du
planificateur devra être de susciter la formation de régions polarisées du point de vue économique, mais aussi politique
(décentralisation de la décision) et technico-administratif. Il convient d'éviter autant que possible la multiplication des
découpages territoriaux.
Les investissements doivent être concentrés autour d'un nombre restreint de centres moteurs et de grandes opérations
qui définiront ainsi leur propre espace de développement.
À l'intérieur de cet espace, certaines fonctions (production, encadrement, distribution, approvisionnement, formation,
crédits, etc.) à satisfaire dans le cadre des projets d'opérations mis en œuvre, devront se localiser dans des centres
urbains ou semi-urbains qu'il importe peu de hiérarchiser en une typologie déterminée a priori.
La coordination des investissements et la définition des fonctions afférentes à une opération intégrée majeure telle la
mise en valeur du Sud-ouest, l'aménagement de la vallée du Bandama ou l'organisation d'Abidjan nécessitent
l'élaboration de véritables schémas directeurs à long terme.
Une fonction de coordination générale, entre les différentes opérations qui doivent s'inscrire étroitement dans l'appareil
de planification, ne peut être remplie que sous le contrôle du ministère du Plan. Celui-ci a d'ailleurs pour rôle de susciter
éventuellement d'autres projets qu'il estimerait nécessaires à une meilleure efficacité de ces opérations.
Synthèse réalisée à partir du texte de G. Ancey et M. Pescay, 1983, p. 20.
14
SODESUCRE ; le Plan 1971-1975 reprend à son compte le programme de réanimation des
villes du chemin de fer par la création de grands complexes textiles dont les premières études
ont débuté en 1968.
En parallèle aux travaux de réflexion prospective et ceux du Plan 1976-1980, sont réalisées
des études d'aménagement du territoire distinctes. Les apports de ces études ont été
partiellement utilisés dans les travaux de planification proprement dits. Il s'agissait d'études de
schémas-directeurs d'aménagement. Ceux-ci étaient conçus comme les instruments privilégiés
de prise en compte tout à la fois des réalités régionales et des perspectives à long terme, de
coordination et d'intégration des projets et actions de développement. Le mouvement ayant
été lancé dès 1972 avec les schémas-directeurs de l'AVB et l'ARSO, le ministère du Plan, à
travers sa nouvelle Délégation de l’aménagement du territoire et de l’action régionale
(DATAR) a engagé un programme d'études visant à couvrir progressivement l'ensemble du
territoire national et à déboucher sur un schéma national de synthèse7. Cet objectif est repris et
confirmé par le Plan 1976-1980. Les travaux d'études réalisés dans ce cadre sont sériés en
trois types principaux (1983) :
Le premier concerne « les études lourdes » allant jusqu'au projet complet de schémas-
directeurs régionaux : ce fut le cas pour les deux autorités d'aménagement régional : l'AVB
pour la région Centre et l'ARSO pour la région du Sud-ouest. Les travaux d'étude sont réalisés
avec leurs propres moyens et l'appui de consultants, et s'échelonnèrent de 1972 à 1976. Dès le
départ, jugés nécessaires à l'orientation et à l'encadrement des opérations importantes et
actions engagées, ils étaient inscrits comme tâche essentielle dans les statuts même de ces
sociétés ;
Le second renvoie à des « études plus légères » pour les autres régions (au sens du découpage
des FRAR), lancées directement sous le conductorat de la DATAR et réalisées
essentiellement par des équipes de techniciens du Bureau d'étude national de l'époque
(BNETD). Elles allaient jusqu'à un balayage d'options alternatives de développement et
d'aménagement à long terme, ou à des esquisses de schémas-directeurs. La couverture de
l'ensemble des régions fut réalisée progressivement de 1973 à 1977 ;
Le troisième type est l'étude de synthèse du schéma-directeur national8 réalisée en 1977 et
1978 par les techniciens de la DATAR en collaboration avec des consultants extérieurs. Ces
synthèses sont composées d’un « Livre Blanc » ou « Bilan diagnostic national » (du point de
vue de l'aménagement du territoire), d’un « scénario tendanciel » à l'horizon 2000 et d'un
« scénario alternatif volontariste ». Tous ces documents visent à combattre les déséquilibres
inter et intra régionaux.
7 La réalisation du schéma de synthèse sera possible grâce à des études régionales : "bilans diagnostics
régionaux" (septembre 1978- août 1980) ; "consultations départementales" remplaçant les "consultations régionales".
8 La réalisation du schéma de synthèse a été possible grâce à des études régionales : "bilans diagnostics
régionaux" (septembre 1978- août 1980) ; "consultations départementales" remplaçant les "consultations régionales". Pour plus de détails, voir G. Ancey et M. Pescay, 1983, p. 59-90.
15
Réalisés pendant la même période, le Recensement national agricole ou RNA9 et le
Recensement national de la population de 1975 (résultats provisoires disponibles en 1977)
visaient davantage à renouveler les données statistiques régionales dont le « sérieux
vieillissement » avait été souligné en 1974 au début des travaux préparatoires du Plan 1976-
1980 (G. Ancey et M. Pescay, 1983, p. 49).
Les résultats des groupes de réflexion prospective de 1973 (Encadré 4) enrichis par les
travaux connexes du ministère ivoirien du plan permettent ainsi un affinement de la réflexion
en cours et donnent un coup d'accélérateur à la stratégie de l'aménagement engagée par le
Plan 1971-1975. On retrouve dans le chapitre 22 du Plan 1976-1980, dont la monture rappelle
les conclusions des groupes de réflexion de 1973, les problèmes majeurs d'aménagement du
territoire ont été regroupés autour de quatre points essentiels : le constat d'un double
phénomène de concentration et de disparités ; l'insuffisante maîtrise de la croissance urbaine
d'Abidjan ; d'importants mouvements migratoires ; une dynamique globale du développement
tendant au renforcement des déséquilibres des problèmes précédents.
Encadré 4 : Propositions stratégiques des groupes de réflexion prospective de 1973
Il s’agit d’une grande concertation ouverte dont les débats ont porté sur les thématiques suivantes : agriculture, industrie,
activités tertiaires, emploi-éducation-formation, type de société, urbanisation et aménagement du territoire (spécialisation
horizontale). Et les échanges ont abouti à plusieurs scénarii et des recommandations sur le type de société souhaité par les
Ivoiriens et les moyens d'y parvenir résumés ci-après :
Option majeure :
- en opposition aux tendances lourdes à la concentration dans le sud forestier et le pôle unique d'Abidjan, nécessité d'une
politique volontariste d'aménagement du territoire visant à une répartition équilibrée des hommes, des équipements et des
activités, ainsi qu'à une mise en valeur des potentialités des différentes régions ;
Options complémentaires :
- concentration des moyens sur un petit nombre de pôles, capables d'impulser le développement régional et de
contrebalancer le poids excessif d'Abidjan ;
- recherche d'une conciliation entre les contraintes de l'urbanisation et les valeurs ou les modes de vie spécifiquement
africains (réalisable surtout au niveau des villes moyennes de l'ordre de 10 000 à 50 000 habitants) ;
- construction d'une société calquée sur la famille ivoirienne traditionnelle, mais ouverte sur la modernité, c'est-à-dire
nataliste, soudée, solidaire, cohérente et généreuse ;
- réduction de la part relative de la population étrangère qui représente plus du tiers de la population résidante totale et
l'ivoirisation des emplois dans l'agriculture, l'industrie et le commerce ;
- élaboration d'un nouveau code domanial pour empêcher les étrangers et les Ivoiriens nantis de confisquer les terres en
créant de véritables "latifundia". Cette proposition fait suite au constat de conflits fonciers sporadiques dans le pays,
notamment dans le Sud-ouest, depuis l'ouverture des grands chantiers.
Moyens essentiels d'un aménagement volontariste du territoire regroupés en 5 types d'actions :
- freinage de la croissance d'Abidjan
- structuration de l'espace national à travers la promotion d'une armature urbaine hiérarchisée à deux niveaux principaux :
pôles régionaux de développement et villes moyennes
- décentralisation effective des pouvoirs de décision
- effort accru de l'État en faveur des régions
- organisation de la concertation entre les différents protagonistes du développement
Viennent ensuite s'ajouter des propositions détaillées concernant les pôles de développement et les principales voies de
communication "structurantes" (Nord-Sud et Est-Ouest).
Synthèse réalisée à partir des textes de G. Ancey et M. Pescay, 1983, p. 40 et de Asseypo A. Hauhouot, 2002, p. 98.
9 Réalisé dans les aires forestières du Sud en 1973 et dans les zones de savane en 1974. Les premiers résultats
sont publiés en 1976.
16
Avec le Plan 1976-1980, les opérations sectorielles ou intégrées (ARSO et AVB) continuent
toujours à élargir le marché intérieur à travers un équipement agricole soutenu. Mais le volet
agricole est complété par une structuration de l'espace avec la mise en place d’une hiérarchie
des pôles et axes en vue de la structuration de l’espace urbain national à l’horizon 2000
(fig. 1).
Figure 2 : Les principaux pôles urbains ivoiriens selon le Plan 1976-1980
17
Le système urbain hiérarchisé ainsi défini comprend cinq niveaux : Abidjan, 4 pôles
d’équilibre, 32 autres agglomérations dont 9 zones d’appui d’Abidjan et 23 satellites des pôles
d’équilibre, 4 pôles d’équilibre secondaire et 4 autres villes moyennes, qui constituent le cadre
de l’action volontariste d’investissements publics. A chaque pôle, il est également octroyé des
objectifs généraux à long terme et opérationnels à court et moyen termes. Les moyens ou
systèmes de moyens à mettre en œuvre pour réaliser les objectifs opérationnels comportent
également deux niveaux : les moyens communs à tous les objectifs ayant donc un caractère
stratégique et les moyens se rattachant plus particulièrement à l'un ou l'autre des objectifs. Le
modèle déployé est résumé par A. Koby (1997) comme suit : 2 pôles d'équilibres majeurs à
vocation internationale (Abidjan et San Pédro), 4 pôles d'équilibres principaux (Bouaké,
Korhogo-Ferké et Man) et 4 pôles d'équilibres secondaires (Abengourou, Bondoukou, Daloa,
et Odienné).
Ces pôles sont appréhendés comme des lieux spécifiques de réalisation des investissements
publics sous forme d’actions intégrées ou non. Il est notamment espéré que ces réalisations
favorisent la croissance et sa diffusion par un ensemble d’effets d’entraînement régionaux
impulsés à partir des villes. Les échanges ainsi provoqués ou contrôlés sont canalisés le long
des principales routes interrégionales. Des programmes d’équipement des pôles d’équilibres
et de réalisation des réseaux de transport et de télécommunications sont élaborés, et une
batterie de mesures institutionnelles visant à mettre en place une régionalisation des actions de
développement sont proposés. Il s’agit principalement du découpage régional, avec des
alternatives laissées ouvertes à l'arbitrage politique ; de la grille d'équipement correspondant à
ce réseau urbain, en fait une stratégie d’investissement dans les villes (ou SIVI) ; des voies de
communication à mettre en place pour relier les pôles afin de susciter une synergie entre eux,
et de la hiérarchie et le rôle à long terme des différentes agglomérations (Koby Assa, 1997).
L’objectif de ce nouveau dispositif urbain marqué par de nouveaux stimulateurs intérieurs
était clair : infléchir la tendance à la polarisation au Sud dont les effets persistent et
s’aggravent et éviter les surcoûts exorbitants résultant de la croissance d’Abidjan.
Certes d’autres plans quinquennaux et études prospectives suivront le plan de 1976-1980.
C’est le cas du Plan 1981-198510
qui engage la mise en valeur des richesses du sol et du sous-
sol et ouvre les perspectives à l'énergie, aux mines et à l'industrie. C’est aussi le cas de l’étude
nationale prospective Côte d'Ivoire 2025 (1997) qui vient faire des propositions dans un
contexte de récession et d’évolution politique pour renverser la tendance à la stagnation et au
déclin et amorcer une seconde phase de croissance forte, durable et équitable. Mais sur le fond
ces travaux ultérieurs ne modifient pas le dispositif urbain mis en place. Le Plan 81-85 prévoit
de le renforcer par l’implantation d'industries dans les villes de l’intérieur. Mais à cette
époque la planification est considérée comme un luxe dont on peut se passer en période de
mauvaise conjoncture économique et ses conclusions ne sont pas exécutées11
. L'Étude
10
La rédaction de ce plan a été possible grâce à l’apport d'autres travaux préparatoires, à savoir : l'analyse des comptes économiques régionaux, l'étude des contraintes de l'industrialisation dans les régions et les bilans diagnostics régionaux détaillant la situation de chaque département selon un canevas assez directif.
11 Dans le Plan 1981-1985, une bonne partie du préambule du chapitre relatif à l’Aménagement du Territoire et
le Développement Régional est, du reste, consacrée à justifier l’existence de la planification régionale.
18
prospective nationale (1995) ne fait pas siennes les options polarisatrices ; mais faute d'être
appliquées, les options polarisatrices restent à ce jour inchangées.
Pour conclure sur ce bilan de la l’aménagement du territoire, on peut dire d’emblée qu’en
s’inscrivant dans la logique productiviste imprimée par le système colonial, les pouvoirs
publics optent pour une approche volontariste et progressive. Ils reconduisent le modèle
agricole extensif organisé entre une ville portuaire et des provinces productrices, ce qui a
permis aux leaders ivoiriens à étendre la base de l’accumulation et l’organisation du pouvoir
d’État. Le constat des disparités régionales dès la fin des années soixante-dix et la
méconnaissance générale des réalités socio-économiques du pays les obligent à penser
autrement le développement. D’une part le modèle agricole extensif n’est pas abandonné,
d’autre part on s’est donné le temps de s’approprier la problématique du développement du
pays. Ce dernier point s’est matérialisé par la collecte de données régionalisées puis
l’élaboration de plans quinquennaux amendés par des études connexes qui se sont succédés
depuis le milieu des années 60. La stratégie, qui s'est formalisée avec le troisième Plan
quinquennal (1976-1980), s’est appuyée sur une vision à long terme (horizon 2000) de la
structuration d’un espace économique national centrée sur des pôles urbains. Le but était de
contrebalancer le poids d’Abidjan par des actions vigoureuses en favorisant l’émergence de
pôles urbains intérieurs forts. La solution ainsi proposée est en réalité une subtile combinaison
entre la théorie des pôles et celle de la base. Quels en sont les résultats cinquante ans plus
tard ?
3. Croissance du réseau urbain, tendances actuelles et enjeux
31. Un réseau urbain macrocéphale
La réalité aujourd’hui, c’est que le réseau urbain ivoirien a une structure monocéphale des
lustres après son implémentation. Même si les taux d’urbanisation sont loin d’être uniformes
dans le pays (fig. 2), les 5% d’urbains des années quarante ont pris du volume avec une
moyenne nationale de 43% en 1998. Et le taux d'accroissement moyen annuel de la
population urbaine situé entre 4% et 8% de 1975 à 1998 (contre 10% au cours la décennie
1955-1965) reste encore important. Certes, la majorité de la population demeure encore rurale
en 1998 (58% de ruraux contre 42% d’urbains) mais pas pour longtemps ; à l’horizon 2018,
on devra compter 64% de citadins, ce qui laisse penser que dans les lustres à venir plus de
deux habitants sur trois résideront en ville. En clair, les masses de populations concernées
deviennent considérables.
19
Figure 3 : Taux d’urbanisation en Côte d'Ivoire en 1998
Corrélativement les villes ivoiriennes de tailles différentes se sont multipliées (54 à
l'indépendance et plus de 200 aujourd'hui), les localités de 100 000 habitants accueillant
régulièrement au moins 50% des Ivoiriens entre 1975 et 1998 (tableau 1).
Tableau 1 : Population urbaine ivoirienne selon la taille en 1975, 1988 et 1998
TAILLE DES VILLES
(En millier d'habitants)
POIDS DES CITADINS SELON LES CATEGORIES DE VILLES
1975 1988 1998
Population
urbaine
Poids des
villes
%
Population
urbaine
Poids des
villes
%
Population
urbaine
Poids des
villes
%
4 à 10 140 412 7 87 960 2 126 515 2
10 à 50 778 484 36 1 112 495 26 1 040 163 16
50 à 100 111 125 5 433 903 10 941 344 14
Plus de 100 1 393 999 65 2 842 751 67 4 281 588 68
TOTAL IVOIRIEN 2 156 501 100 4 231 360 100 6 529 138 100
Tableau réalisé à partir des premiers résultats du recensement national de 1998, août 2000.
Il s’agit en l’occurrence de 8 agglomérations : Abidjan et Bouaké depuis 1975 (2% du total
des villes mais accueillaient 52% des urbains). En 1988, il existe 5 villes de plus de 100 000
20
habitants. Dans l'ordre croissant, il s'agit de Yamoussoukro (106 786 habitants), Korhogo
(109 445), Daloa (121 842), Bouaké (329 850), et Abidjan (1 929 079). En valeur relative, ces
villes accueillent la majorité des urbains ivoiriens soit plus de 2 urbains sur 3. À ces villes
s'ajoutent 3 nouvelles villes de plus de 100 000 en 1998 : Gagnoa (107 124), Man (116 657)
et San Pedro (131 800).
Certes, ce dynamisme urbain a permis de moderniser le pays à travers diverses actions
volontaires de développement et d’équipement des villes. Citons quelques exemples à titre de
rappel. Les programmes d’équipements collectifs de base (écoles, dispensaires, centre de
santé, marchés, lotissements, foyers polyvalents, logements de fonction etc.) financés par les
Fonds Régionaux d’Aménagement Rural (FRAR) et les Fonds d’Investissement et
d’Aménagement Urbains (FIAU). Les programmes d’urgence en faveur du Nord. Les
programmes de commémorations des fêtes tournantes de l’indépendance. Les programmes de
promotion humaine, d’électrification de l’habitat rural, programmes routiers de
désenclavement des sites habités. Les divers projets agricoles et agro-industriels et les grandes
opérations intégrées de développement régional (AVB et ARSO).
Dans tous les cas de figure, les stratégies d'investissements dans les villes (SIVI) qui ont sous-
tendu la mise en place de ces équipements se sont appuyées sur deux logiques : d’une part, la
concentration « d'équipements structurants » en plus des services publics (transports,
télécommunications, énergie, services aux entreprises) dans quelques villes (selon une liste
évolutive) où un effet induit important est attendu à court terme ; d’autre part, tous les
« équipements non structurants » (santé, éducation, édilité, etc.) sont répartis sans a priori et
selon des normes minimales, quelle que soit la ville.
Les villes de Côte d'Ivoire ont ainsi subi une profonde mutation en une vingtaine d’années.
Elles ont été reconstruites, l’habitat de type rural y a souvent disparu et les équipements se
sont multipliés. Au milieu de la décennie 1970-1980, L. Atta Koffi (1975) avait distingué
assez nettement six types de centre urbain issus des grandes phases de l’évolution récente du
pays, à savoir : les villes à passé colonial, les comptoirs de la côte, les postes administratifs,
les villes du rail, les villes du café et du cacao et les villes de l’après indépendance12
. Mais
aujourd’hui, cet exercice n’est plus aisé. Les paysages urbains ivoiriens ont changé. On peut
même parler d’une uniformisation.
En considérant les activités urbaines, toutes les villes ivoiriennes sont dotées d’un minimum
d’activités spécifiques nécessaires à leur fonctionnement quotidien. Il s’agit d’abord des
services municipaux (voirie, éducation, police ou administration) ; ensuite une pléthore de
petits métiers informels de services et de production (commerce, transport et professions
libérales) ; enfin quelques activités industrielles dans certaines localités. Toutes ces activités
font vivre les villes et leur donnent la capacité d’offrir des services aux populations locales.
Les équipements administratifs publics et para-publics et les activités inventoriés dans la ville
de Bonoua en août 2010 sont illustratifs du standard des équipements de cette urbanisation
administrative et tertiaire des villes ivoiriennes. Située à une soixantaine de kilomètres
d’Abidjan la commune a connu une urbanisation rapide marquée par une forte croissance
12
A ces 6 générations de villes, on peut ajouter les villes de la crise après 1980.
21
démographique depuis 1975. Estimée à 17 000 habitants en 1975, avec un taux moyen de
croissance de 2,8%, la population urbaine a doublé en moins d’un quart de siècle (1988-2010)
passant respectivement de 21 000 à plus de 42 000 habitants (RGPH, 1998). Parallèlement la
ville a bénéficié de tout l’appareil administratif public et parapublic (fig. 3 et fig. 4).
Figure 4 : Équipements administratifs et para-publics de Bonoua en août 2010
22
Figure 5 : Principales activités dans la ville de Bonoua en août 2010
N
B
C
Bounoua
LATI
G-IG
T, 20
10C
0 560m
BEGNERI
BRONOUKRO
MIMBI
KOUMASSI
MIMBI EXTENSION
Salon de coiffure
Mécanique
Electricité
Vulcanisateur
Briquetierie
Coordonnerie
Tapisserie
Atelier de froid
Limite de quartier
Voie revêtue
Voie non revêtue
Atelier de couture
Blanchisserie
Bonoua
Source: Inventaire terrain en août 2010
23
Pour autant, ce dynamisme urbain nous met en face d’un réseau urbain macrocéphale qui
n’est pas sans lien avec le réseau urbain souche. Il est net qu’en 1998, un réseau urbain
hiérarchisé a émergé et s’est renforcé dans la ligne imprimée par les actions volontaristes de
l'État. Mais depuis au moins 1975, la population urbaine se concentre pour l'essentiel dans la
moitié Sud du pays, où sont localisées 2 villes sur 3 avec le dynamisme et le poids
prépondérant de la ville d’Abidjan dans la hiérarchie urbaine. L’évolution du poids des
urbains abidjanais montre bien que les villes de l'intérieur13
du pays ont participé au moins
autant que la métropole ivoirienne à la vague d'urbanisation (fig. 3).
Figure 6 : Évolution du semis urbain ivoirien entre 1975 et 1998
13 Le terme désigne communément l'ensemble des villes ivoiriennes par opposition à la métropole abidjanaise.
24
Mais le poids démographique d'Abidjan s'est particulièrement renforcé dans le même temps
par rapport aux autres centres urbains. Il est passé de 32% en 1960 à 44% en 1998, soit 17%
de la population ivoirienne et près de 50% des urbains ; et ce, malgré le ralentissement
constaté en 1998 et la stagnation du poids des urbains depuis 1975 autour de 40% (tableau 2).
Tableau 2 : Poids d’Abidjan dans la hiérarchie urbaine (1912-1998)
Dates
INDICATEURS DEMOGRAPHIQUES DE LA VILLE D'ABIDJAN
Population Taux d'accroissement
moyen annuel en %
% dans la population
ivoirienne
% dans la population
urbaine totale
1912 1 400
+12
0,3 21
1920 5 370
3 29
1934 17 000
1945 46 000
+10,1 1950 50 000
1955 120 000
1960 180 000 +12,2 7
32
1963 254 000 33
1970 550 000 +11,6
10 38
1975 951 216 14 44
1988 1 929 079 4,5
17 46
1998 2 993 440 20 46
Tableau réalisé à partir des premiers résultats du recensement national de 1998, août 2000.
Ce déséquilibre est à mettre en rapport avec la localisation des activités industrielles entre les
villes et qui marque la prédominance d’Abidjan (Tableau 3).
Tableau 3 : Répartition des localisations des industries avant 1960 et de 1960 à 1985
Industrialisation et urbanisation en Côte d'Ivoire, p. 156-157, extrait de la thèse de Yapo Pergeaud, 1982, p. 173.
Au sortir de la décennie 1950-1960, Abidjan accueillait déjà près de 44% des industries du
pays contre à peine 9% à Bouaké, seconde ville du pays en taille démographique. Après
l’indépendance, le déséquilibre industriel s’est accentué malgré les efforts de régionalisation
des unités industrielles menés dans le cadre des politiques de création de villes intérieures
fortes industriellement. Les régions situées à plus de 100 km de la ville portuaire ont accru
leur parc industriel passé de 15 à 29% mais concomitamment, le parc abidjanais s’est étoffé
avec plus des 2/3 du parc industriel du pays.
Date de création
VILLES
Abidjan Bouaké
Régions à
moins de
100 km
d’Abidjan
Régions à
plus de
100 km
d’Abidjan
A* B* Total
Avant 1960 43,6 9,2 15,5 3,5 25,1 3,1 100
1960 - 1970 72,5 3,4 5,0 15,3 - 3,8 100
1970 - 1974 71,8 12,1 - 16,8 100
1974 - 1978 57,5 7,4 12,1 23,0 100
1978 - 1958 64,2 2,7 4,2 28,9 100
25
En clair, l'espace socio-économique a continué à se dessiner humainement et
économiquement en fonction d'Abidjan ; et la dynamique de l’agglomération abidjanaise n'a
pas ralenti celle des régions circumpolaires où résident 78% de la population en 1998 contre
22% en zone de savane.
Après quarante ans de tentatives de réduction des disparités régionales, et de restructuration
de l'espace autour de pôles de développement dans l'intérieur du pays, la Côte d'Ivoire
apparaît toujours marquée par les mêmes déséquilibres internes : comme à la fin des années
60, la croissance a continué de se faire à partir et au bénéfice de la région forestière et
d'Abidjan. Les facteurs de localisation ont donc joué en faveur de la capitale, l'agglomération
abidjanaise qui accueillait 90% de l'appareil de production national contre 10% pour le reste
du pays14
.
Toujours hautement stratégique après plus de cinquante ans de bons et loyaux services, le port
d’Abidjan concentre la majorité des activités économiques du pays et l’une des premières
portes d’entrée de l’Afrique de l’Ouest par voie maritime. Sa plateforme qui s’étend sur
plusieurs milliers d’hectares, est au cœur de la dynamique de relance ivoirienne. Le port
représente 78% du tissu industriel du pays, il génère 45% des emplois directs et indirects, et
80% des recettes douanières sont tirées des activités portuaires. En 2009, le volume global du
trafic a atteint 24 millions de tonnes (+9% environ par rapport à 2008) et devait dépasser les
25 millions de tonnes en 2010, une croissance due en grande partie à la hausse du trafic des
produits pétroliers (Chiffres de la Direction générale du port autonome d’Abidjan, 2010).
Des dizaines d’industries métallurgiques, agroalimentaires, chimiques, pétro-chimiques et
électriques, ainsi que de nombreux entrepôts de matières premières agricoles prêtes à l’export
implantés sur la zone industrielle du port contribuent au dynamisme de ses activités et à
l’ambiance de la ruche qui y règne. Les filiales des plus grands armateurs mondiaux (Maersk,
Bolloré Africa logistic, MSC etc.) sont présentes dans le port d’Abidjan, qui sert de base
logistique sur le continent à la plupart d’entre elles.
Si les capacités manufacturières de la Côte d'Ivoire restent concentrées autour d'Abidjan et sur
le littoral, on est bien obligé d’admettre qu’au bout du compte, la solution des pôles urbains
n’a pas encore permis de régler la question de la « nature cumulative des déséquilibres » dans
le pays : les disparités régionales et la croissance non maîtrisée d'Abidjan perdurent.
Récemment, la liste provisoire, des Ivoiriens majeurs recensés en vue des prochaines élections
laissent transparaître cette réalité : Abidjan accueille un tiers des potentiels votants contre 3%
à Bouaké (au centre) et 6% à Korhogo au Nord (Commission électorale indépendante,
septembre 2010).
Pourtant ces problèmes sont un secret de polichinelle. Ils sont connus. Ils ont été identifiés
récemment par les études préparatoires de la nouvelle politique nationale d’aménagement du
territoire (ou PNAT) qui a repris ses activités en 2006 depuis l’arrêt des plans quinquennaux
au milieu des années quatre-vingt.
14
C’est du reste cette situation qui a permis à l'économie ivoirienne d'être viable alors que la moitié Nord est occupée par les rebelles depuis le 19 septembre 2002 (Présidence de la République, 2003).
26
32. Vers un renforcement paradoxal de la macrocéphalie ?
Les études bilan menées dans le cadre de la PNAT par le ministère ivoirien du plan ont
identifié cinq problèmes majeurs de l’aménagement du territoire et les raisons qui les sous-
tendent (encadré 5).
Encadré 5 : Appréciation et justification des problèmes de l’aménagement du territoire relevés par le document pré-
bilan du ministère du plan
1. La double concentration des activités économiques et des hommes en forêt et à Abidjan :
la culture du binôme café-cacao en zone forestière qui offre des potentialités intéressantes en matière d’agriculture et
d’exploitation d’agrumes ;
la présence d’infrastructures et des services publics à Abidjan et les opportunités d’emplois ;
la politique volontariste héritée de la colonisation privilégiant les infrastructures de rentabilisation des ressources
agricoles et minières ;
2. Le surpeuplement des aires forestières, la rareté des terres, les conflits fonciers et l’érosion des sols
la dynamique du modèle de développement basé sur l’exploitation extensive des ressources naturelles (terre) et humaines
(main-d’œuvre) ;
3. L’inégalité et l’iniquité de traitement des régions dans la répartition des investissements et équipements publics
lacune de la gouvernance s’expliquant notamment par une faible rationalité de la localisation des investissements et
équipements publics et un surdimensionnement des équipements ;
4. L’armature urbaine inappropriée
la faiblesse de la politique d’industrialisation dans les villes de l’intérieur (agricole et minière)
la localisation de certaines unités industrielles
5. Le fort taux de natalité
les besoins de main-d’œuvre familiale
la prévention du risque, notamment la forte mortalité et l’assurance vieillesse
la faible appropriation du planning familial
6. L’inadéquation entre les stratégies de développement agricoles et les besoins de la population
absence de débouchés et l’étroitesse du marché local
le manque d’organisation des filières des produits vivriers
Source : Ministère du Plan et du développement, 2006, Rapport général de l’Atelier de réflexion sur le pré-bilan de
l’aménagement du territoire, Bassam du 12 au 13 septembre 2006, 10 p.
Si on met en parallèle ces constations récentes et les piliers qui assurent la dynamique de fond
de l’espace ivoirien, trois observations majeures peuvent être faites.
Premièrement, le réseau urbain censé régler le problème de l’accumulation différentielle dans
l’espace est pour ainsi dire inefficace, faute d’une timide politique d’industrialisation des
villes de l’intérieur ; deuxièmement, la concentration des hommes et des activités perdurent
dans les aires forestières et beaucoup plus à Abidjan ; dans un contexte de forte natalité, ces
régions vont sans doute accueillir encore le stock démographique puisqu’Abidjan offre
beaucoup plus qu’ailleurs des opportunités d’emplois et des services publics et parapublics ;
troisièmement, le modèle agricole itinérant de mise en valeur de l’espace national par
l’arboriculture d’exportation (café, cacao, coton etc.) n’est plus performatif. Certes, ce modèle
permet à la Côte d'Ivoire de gagner de l’argent ; mais le capital foncier est devenu rare et les
terres, le plus souvent mises en valeur en dehors des règles juridiques sont aujourd’hui
sources de multiples tensions à travers le pays en cours de règlement. Toute chose qui permet
de dire que le modèle agro-exportateur n’est plus adapté à un aménagement volontaire et
serein du territoire.
27
En clair, la subtile combinaison entre la théorie des pôles et celle de la base économique est
devenue caduque pour le futur développement ivoirien. La Côte d'Ivoire se retrouve dans une
situation inédite où elle devra repenser les deux piliers de sa structure spatiale (le modèle
agricole et le modèle urbain).
Dans ses vues, il faut être réaliste. Il ne s’agit pas de remettre en cause la trame de fond du
territoire ivoirien (agriculture extensive et pôles urbains). A tout le moins, à moyen ou long
terme, les pouvoirs publics ivoiriens devront, d’une part, trouver des alternatives ou additifs
au modèle agro-exportateur ; d’autre part,renforcer le niveau d’équipement des villes de
l’intérieur en infrastructures et superstructures dans un souci d’équité.
A en croire les sources officielles, le futur modèle agricole sera autant agro-exportateur et
beaucoup plus vivrier. Pour sortir du spectre de la dépendance alimentaire, la Côte d'Ivoire a
déjà pris date pour assurer son autoconsommation. Le projet riz est illustratif de ce
changement de cap qui permettra une cohérence entre les stratégies de développement
agricoles et les besoins de la population (L. Gbagbo, 2009).
Pour ce qui est du modèle urbain, il n’y a pas de solution en vue pour l’instant, sinon le
renforcement paradoxal de l’agglomération abidjanaise. En attendant la mise en place d’une
armature urbaine multipolaire dans lequel les villes de l’intérieur seront de vrais pôles
industrialo-urbains et pouvant faire contrepoids aux villes du littoral, Abidjan continue de
renforcer sa position de tête du réseau.
Le renforcement de la suprématie d’Abidjan est surtout repérable au niveau du projet de
« Grand Abidjan », présenté officiellement en novembre 2009. Porté conjointement par le
ministère ivoirien des Infrastructures et de l’Urbanisme et le Bureau national des études
techniques et de développement (BNETD), l’objectif principal du projet est de moderniser en
profondeur la grande métropole du pays pour accélérer son développement économique et
accueillir 10 millions d’habitants en 2035, contre 4 millions actuellement.
Le grand Abidjan, c’est d’abord la formalisation d’une nouvelle aire métropolitaine réunissant
les trois capitales historiques du pays : Grand-Bassam, Bingerville et le vieil Abidjan et
s’étendra à l’Ouest en direction de Jacqueville et Dabou-Sikensi.
C’est ensuite la modernisation du port d’Abidjan et son extension sur le site de l’île Boulay
situé entre le port actuel et l’océan atlantique. Sont notamment prévues dans le nouveau
quartier portuaire de l’île Boulay, la construction d’un terminal à conteneurs de 3 000 mètres
de quai, d’un aéroport, d’un quartier administratif, d’une marina, de complexes immobiliers et
hôteliers ainsi que la création d’une zone franche. L’île sera reliée à la commune de
Yopougon par un pont sur lequel est prévue une ligne de tramway. Ce programme de 100
milliards de FCFA sera couplé avec la réalisation d’une seconde zone industrielle portuaire et
d’une deuxième raffinerie. La direction générale du port en appelle aux investisseurs
susceptibles d’être intéressés par ses projets de développement. En attendant, elle a décidé
d’accélérer le plan d’investissement du port en lançant un emprunt obligatoire sur le marché
financier ouest-africain, dans le but de collecter 25 milliards de FCFA.
Le grand Abidjan, c’est enfin la mise en place d’équipements d’envergure internationale dans
la nouvelle aire métropolitaine avec la création de la zone franche à Grand-Bassam dans la
28
périphérie d’Abidjan. Cette zone franche qui accueille le village des technologies de
l’information et de la biotechnologie (VITIB) est dédiée aux activités d’entreprises
technologiques de toutes tailles, de la PME à la multinationale. Baptisé « Parc Technologique
Mahatma Gandhi », VITIB est une zone économique spécialisée destinée à la fabrication et à
l’exportation de produits et services issus de la biotechnologie ou des TIC, soutenus par la
recherche.
VITIB ambitionne de devenir un pôle d’excellence et de compétitivité internationale : un hub
de la biotechnologie et des TIC en Afrique. Il offre, sur un espace de plus de 800 hectares, un
cadre propice à l'activité d’entreprises technologiques et/ou au développement de projets
d'entreprises à fort potentiel. VITIB Academy, le site pilote, s'étend sur 60 ha et est déjà
opérationnel avec en son sein une douzaine d'entreprises hébergées. A terme, ce sont plus de
50 000 emplois directs qui seront créés sur le site de cette future technopole de 820 hectares.
Loin d'infléchir les tendances naturelles du modèle urbain, la modulation des bases
conceptuelles du modèle urbain n’a pas commencé. Dans le même temps Abidjan renforce
son processus de métropolisation, donc sa capacité de domination du réseau urbain. Ces
tendances ne sont manifestement pas en phase avec les objectifs récemment déclinés par la
« déclaration » du ministère ivoirien du plan dans le cadre de la nouvelle politique
d’aménagement du territoire15
ou PNAT (Encadré 6).
Encadré 6 : Les six objectifs de la nouvelle politique d’aménagement du territoire
1. Édifier une Côte d'Ivoire plus forte et solidaire, plus attractive et compétitive, avec un marché national, sous-régional,
régional et mondial, dans lequel chaque localité du pays optimise dans la complémentarité, ses avantages comparatifs ;
2. Assurer la cohésion du territoire en veillant à corriger les disparités régionales, à réduire les inégalités spatiales et à
sauvegarder l’environnement ;
3. Exprimer la solidarité nationale au profit des territoires les plus défavorisés ou confrontés à des mutations socio-
économiques ;
3. Encadrer la croissance des zones dynamiques contribuant à renforcer le potentiel national ;
4. Assurer l’exploitation rationnelle des ressources et des potentialités là ou elles se trouvent, et cela au service du
développement national, régional et local ;
5. Favoriser un développement durable.
Source : Ministère du Plan, mars 2006, Déclaration de politique nationale d’aménagement du territoire du territoire de la
république de Côte d'Ivoire, 16 p.
Depuis 2000, de grands travaux présidentiels sont actuellement en cours à Yamoussoukro. Il
s’agit notamment de la création d’une zone administrative et politique (ZAP) d’une trentaine
kilomètres carrés et organisée autour de la « voie triomphale », une avenue de 7 km de long
pour 120 m de large. Sur ce site sont en construction, le palais de la présidence, de la
primature, l’assemblée nationale et le sénat, le pôle ministériel, la Cour suprême et autres
15
La déclaration a été adoptée en conseil de ministres en mars 2006 et diffusée le 29 juin 2006 au cours d’une cérémonie organisée à l’Hôtel Ivoire.
29
instances judiciaires et administratives majeures. A ces grands chantiers il faut ajouter le
prolongement de l’autoroute du Nord16
.
Ces grands travaux dénotent de la volonté des pouvoirs publics ivoiriens à accélérer le
processus de transfert de la capitale à Yamoussoukro. Et avec, la délocalisation d’une partie
des fonctions urbaines d’Abidjan dans le centre du pays. Mais avant que la zone
administrative et politique de Yamoussoukro n’accueille les institutions de la République,
Abidjan change de visage et consolide ses ambitions de grande métropole. Ces évolutions se
font peut-être sous le regard charmé des autres villes de l’intérieur mais sous le regard craintif
de l’observateur averti qui y voit la reproduction du modèle urbain ancien du reste inadapté.
Conclusion : leçons de l’intelligence territoriale ivoirienne pour lutter contre les disparités et les enjeux
pour le centenaire
Contrairement à l’idée d’un pilotage à vue du développement ivoirien sur fond d’un
pragmatisme exagéré, cette étude a révélé l’existence en Côte d'Ivoire d’une intelligence
territoriale. En effet, une relecture approfondie et croisée du corpus documentaire du
ministère ivoirien du plan laisse transparaître une conduite intelligente du développement
national à partir de l’appréciation réaliste du contexte social, géographique, des ressources et
de l’organisation spatiale héritée de la colonisation.
En pratique, l'intelligence territoriale se traduit par la continuité avec la logique productiviste
imprimée par le système colonial à travers une approche volontariste et reposant sur le modèle
itinérant et agro-exportateur. Élargir la base de l’accumulation, lancée dans le Sud-Est, par le
déploiement à différents pas de temps de projets agricoles d’envergure. Parallèlement aux
nombreuses actions intégrées, dotées de gros moyens, plus discrètes mais nombreuses, les
opérations sectorielles (plans palmier, cocotier, hévéa, coton, sucre, soja, etc.) concourent au
même but de promotion régionale dans toutes les campagnes ivoiriennes, notamment dans le
Nord ivoirien où ces actions prennent une ampleur particulière.
La fin de la décennie 1960-1970 marque un changement de cap. Au modèle de production
assis sur l’arboriculture d’exportation est associé un autre deuxième modèle qui intègre les
questions de diffusion spatiale de la croissance. Il s’agit de la politique des villes au travers
des pôles urbains à différents niveaux d’échelle : des pôles à vocation internationale, des pôles
principaux et des pôles secondaires. Cette articulation apparaît alors comme une démarche
pertinente pour tenir les objectifs nationaux de production agricole et faire face aux disparités
émergentes matérialisée par la trop grande influence d’Abidjan dans le réseau urbain souche.
La subtile combinaison entre modèles de production et structuration de l’espace est le résultat
d’un long processus depuis l’indépendance d’appropriation de la problématique de
l’aménagement du territoire dans un pays dont les réalités socio-économiques sont peu
connues. Cela se traduit par la collecte de données régionalisées suivies de plans
quinquennaux amendés par des études connexes menées depuis le milieu des années 60. C’est
véritablement le troisième Plan quinquennal (1976-1980) qui concrétise le modèle
16
Sur ce point, voir l’exclusif inséré dans le quotidien Fraternité Matin du 5 août 2010, n°13723 sous le titre « Côte d’Ivoire 2000-2010. Dix ans de grands travaux », 50 p.
30
productiviste et urbain. Ce montage entre le souci de produire et de structurer l’espace
ivoirien avait un double objectif : continuer la croissance en modernisant la production
agricole, mais assurer une répartition équitable des fruits de la croissance par l’atténuation du
poids d’Abidjan dans le réseau urbain en insufflant une dynamique aux villes intérieures par
des actions en faveur de l'agriculture et de l'industrie. Ce qui permettra, à terme, d’atténuer les
disparités régionales de production.
La combinaison est heureuse au bout du compte : elle a permis à la Côte d'Ivoire de garantir
l’équilibre de sa balance commerciale et a bouleversé la physionomie des villes du réseau
urbain souche. Les stratégies d'investissements dans les villes (ou SIVI) ont permis de créer
de nouvelles villes (San Pedro et Yamoussoukro) et de renforcer l’équipement urbain des
pôles d’équilibre comme Korhogo, Bouaké, Gagnoa, Daloa, Abengourou, Odienné,
Bondoukou, etc. Aujourd’hui toutes les villes ivoiriennes sont dotées d’un minimum
d’activités spécifiques nécessaires à leur fonctionnement quotidien.
Pourtant, la combinaison n'a pas encore résolu la question de la meilleure répartition des
hommes et des biens puisque les tendances montrent que le poids économique d’Abidjan et
des régions circumpolaires tendent à se renforcer. La réduction de certains écarts Nord-Sud,
revenus et équipements, n'a nullement empêché la poursuite des mouvements migratoires vers
les forêts et les villes méridionales. Ce sont les régions forestières les plus riches qui
fournissent les plus forts contingents de néo-citadins, particulièrement à la métropole
abidjanaise, dont la fulgurante croissance est devenue une véritable obsession pour les
pouvoirs publics. En 1998, la métropole ivoirienne concentre le cinquième des 15 millions
d'habitants, près de la moitié des 6 millions d'urbains du pays et catalyse la majorité des
activités économiques, soit environ 90% de l'appareil manufacturier du pays en 2003.
Ce qui est en revanche moins vrai, c’est que la nature intrinsèque d’un espace économique
national réglé entre des villes agricoles intérieures et une ville exutoire maritime n’a pas
changé, faute d’une politique d’industrialisation marquée dans les villes de l’intérieur. Il y a
certes eu une urbanisation, mais celle-ci reste pour l’essentiel une urbanisation administrative
et tertiaire ainsi que le témoignent les récentes études dans la ville de Bonoua. En considérant
la fonction urbaine c'est-à-dire le rôle joué par la ville au sein d’un espace plus vaste, on
relève que l’économie urbaine est portée par le secteur primaire qui occupe 55% de la
population active contre avec 32% pour les services et 14% pour les activités industrielles
(Enquêtes terrain, août 2010). Les productions dominantes (ananas, palmiers à huile, hévéas)
sont acheminées vers le port d’Abidjan pour être vendues sur le marché international. Malgré
l'expansion urbaine, la polarisation des ressources a continué au profit de l’agglomération
abidjanaise qui a largement bénéficié à l'entonnoir que constitue le système urbain centré sur
la capitale économique, Abidjan. Celle-ci apparaît ainsi comme un lieu privilégié de
manifestation de la croissance économique générale, bénéficiant d'une accumulation
préférentielle des moyens de production, des services et des hommes.
La tendance actuelle laisse l’impression que le problème de la polarisation donne toujours lieu
aux mêmes remèdes. Pendant que la nouvelle politique de l'aménagement du territoire
reconnaît que le réseau urbain est inadapté à cause du poids important d’Abidjan dans les
31
emplois, services et industries, les grands projets en cours depuis au moins 2000 renforcent le
pouvoir d’attraction et de rétention de l’aimant abidjanais.
L’inquiétude est d’autant plus légitime que l’État n’a pas les ressources nécessaires pour se
lancer dans une politique d’aménagement du territoire avec les coudées franches. La crise
militaro-politique qui perdure depuis septembre 2002 a freiné brutalement la croissance de la
Côte d'Ivoire et une partie des ressources disponibles est mobilisée pour les besoins de la
sortie de crise. Au sortir de l’élection présidentielle prévue pour le 31 octobre 2010, le débat
sur la pertinence du réseau urbain actuel devra être au cœur de la nouvelle politique
d’aménagement du territoire.
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