CR The Saints of Cornwall
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Nicholas Orme, The Saints of Cornwall, Oxford University Press, Oxford, 2000, 24 X 16
cm, 302 p., cartes.
Le professeur Nicholas Orme de l’université d’Exeter (Grande-Bretagne), dont les
spécialistes de l’hagiographie bretonne ont tous consulté la savante édition du manuscrit de
Nicholas Roscarrock1, vient de donner, à la suite de ses précédents travaux sur l’histoire
religieuse et ecclésiastique du Devon et du Cornwall, une précieuse nomenclature commentée
des saints du Cornwall.
L’ouvrage dans sa forme est un modèle du genre : après la préface — dans laquelle l’auteur
souligne que le qualificatif « celtique » est trop vague, ou du moins trop large, pour s’appliquer
à l’hagiographie locale, essentiellement « britonnique » — et les remerciements — qui
s’adressent en particulier au chercheur breton Bernard Tanguy — la première partie de
l’ouvrage (p. 1-45) permet successivement au professeur Orme : a) de tracer les grandes lignes
de l’histoire du Cornwall au Haut Moyen Âge ; b) de dresser le bilan documentaire de
l’hagiographie cornique ; c) de mesurer l’apport du matériau hagiographique à l’histoire
religieuse et ecclésiastique du Cornwall, depuis les origines jusqu’à la Réformation ; celle-ci fait
l’objet d’un bref examen et, plus rapidement encore, la période qui couvre jusqu’à nos jours.
Puis l’auteur donne quelques éléments de conclusion. La seconde partie de l’ouvrage (p. 57-
259) consiste en un dictionnaire alphabétique des saints du Cornwall. L’énumération des
sources manuscrites (p. 261-266) et des différents titres de la riche bibliographie (p. 266-291)
est suivie d’un index (p. 293-302). Entre la première et la seconde partie, on trouve 7 cartes
légendées (p. 46-55) : celle qui porte le n° 6 (p. 54) montre l’extension au Moyen Âge des
« Breton Cults in Cornwall ».
Le cadre géographique retenu par le professeur Orme est celui du Cornwall de l’époque
moderne. A l’intérieur des limites de ce pays, désigné par l’auteur comme « a land of saints »
(p. 1), la prière des fidèles souvent s’élevait au Moyen Âge en direction de thaumaturges locaux,
voire « nationaux » (c’est à dire, appartenant à la communauté britonnique primitive) ; mais,
comme partout ailleurs en terre « celtique », les principaux saints de l’Eglise universelle n’en
ont pas moins joui, dès l’origine, d’une grande vénération, qui n’a jamais faibli. Ainsi, au lieu
d’opposer les deux sphères d’une même dévotion populaire, l’auteur a choisi d’en souligner la
proximité en insérant indistinctement dans son dictionnaire les noms de tous les saints ayant
reçu un culte en Cornwall, qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories. Il nous
semble qu’il s’agit là d’une démarche relativement innovante, dont les prochaines études
hagiographiques concernant la Bretagne à l’époque médiévale pourraient également s’inspirer.
1 Nicholas Roscarrock’s Lives of Saints : Cornwall and Devon, Exeter, 1992 (Devon and Cornwall Record Society,
New Series, Vol. 35).
a) L’organisation chrétienne primitive n’est pas bien connue en Cornwall au travers des
témoignages annalistiques ou diplomatiques : quelques indices permettent de conjecturer
l’existence vers le milieu du IXe siècle d’au moins un siège d’évêché (à Bodmin et/ou à
Saint Germans ?) ; et un prélat du nom de Conan est attesté en 931.Mais cette autonomie
épiscopale ne se prolongea pas au delà du milieu du XIe siècle, souligne le professeur
Orme, époque à laquelle le siège de Saint Germans fut uni à celui de Crediton (en
Devon) pour donner naissance au diocèse dont Exeter devint le chef-lieu.
b) Outre les attestations procurées par les cartulaires, le Domesday Book, les registres des
évêques d’Exeter, ce sont principalement les documents liturgiques ou para-liturgiques
qui, nous explique le professeur Orme, permettent de mesurer l’importance relative du
culte rendu à chacun des différents saints de Cornwall. Toute une partie de cette
documentation est constituée par des vitae, qui sont les « biographies » de ces
personnages. Les plus anciennes sont continentales et concernent des saints largement
honorés en Bretagne (Samson, Paul Aurélien, Guénolé) ; l’auteur mentionne ensuite les
vitae des saints Brieuc, Ké, Maudez, Mélar, Budoc, Mériadec, qu’il range
indistinctement parmi les ouvrages « composed in Brittany after 900 » (p. 13), et la vita
de saint Guigner (= Gwinear), dont il pense qu’elle a été composée vers 1300 par un
breton pour un public breton, peut-être à partir d’une vita cornique aujourd’hui perdue.
A partir de la seconde moitié du XIe siècle la documentation s’enrichit de vitae d’origine
« galloise » : celles des saints David, Cadoc, Carantoc, Cybi, Keyne. D’Angleterre enfin
parviennent les deux vitae de saint Neot et celle de sainte Sidwell. Autant d’exemples
qui montrent que, pour une grande partie, le matériau hagiographique de Cornwall a été
« importé » sous une forme élaborée. Les vitae corniques, à l’exception de la première
vita de saint Petroc, du milieu du XIe siècle, ne remontent pas au delà de 1200 (vitae de
saint Nectan, de saint Piran et de saint Rumon) ; encore les deux dernières constituent-
elles de véritables plagiats de vitae plus anciennes, respectivement celle de l’irlandais
Ciaran de Saighir et celle du breton Ronan. Tout un pan de la littérature hagiographique
du Cornwall a disparu : sont ainsi attestées mais aujourd’hui perdues les vitae des saintes
Nonn, Breage, et Ia, celles des saints Elwen et Paternus. Cependant, ces pertes sont
partiellement compensées par la compilation de Jean de Tynemouth (vers 1325-1350),
par les notes des « antiquaires » Worcester (en 1478) et Leland (vers 1540) ; et, de la fin
du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, par les travaux successifs de Norden, Carew,
Roscarrock, Wilson, Lhuyd, Willis, Hals, Tonkin, Borlase. Le professeur Orme rend un
hommage critique mais appuyé à ces précurseurs, sans oublier les deux grandes figures
de la renaissance des études hagiographiques en Cornwall au XXe siècle : le chanoine
(anglican) G. H. Doble et l’érudit C. Henderson.
c) En s’efforçant de mesurer leur apport à l’histoire religieuse et ecclésiastique du
Cornwall, le professeur Orme est amené à souligner combien le traitement des sources
hagiographiques est délicat pour finalement conclure, après d’autres, que l’intérêt
historique des vitae et des traditions folkloriques que ces textes ont fixées vaut
essentiellement pour l’époque de leur composition. Autant dire qu’à l’exception de celle
de saint Samson, pour laquelle l’auteur adopte la datation « moyenne » (vers 750) du
professeur Flobert, et de celle de saint Paul Aurélien, composée en 884, les vitae ne nous
apportent aucun témoignage direct sur l’organisation chrétienne primitive chez les
Bretons insulaires. Comme en Bretagne continentale, sont donc largement mises à
contribution l’archéologie et la toponymie ; il convient de remarquer à ce propos que, si
le Cornwall recèle de nombreux toponymes formés, comme en Bretagne, avec le préfixe
lann-, il n’y a qu’un seul exemple d’un nom de paroisse qui incorpore le préfixe plu- : il
s’agit de Pelynt, qui était Plunent en 1086 et qui est formé avec le nom de saint ou sainte
Nunit (p. 207). A partir du milieu du IXe siècle, les sources annalistiques et
diplomatiques deviennent de plus en plus abondantes : elles attestent l’importance,
évidemment très ancienne, du culte des saints de l’Eglise universelle en Cornwall ; elles
montrent la volonté institutionnelle de substituer les cultes des saints locaux par ceux de
saints « romains ». Mais ces sources témoignent aussi de l’intérêt très prononcé des rois
anglo-saxons pour les saints « britonniques », intérêt partagé dans une moindre mesure
par les Normands puis les Angevins après la Conquête ; elles montrent également que les
évêques d’Exeter ont souvent encouragé en Cornwall le maintien de cultes rendus à des
saints « locaux ». Le professeur Orme souligne le rôle joué à cet égard par le prélat Jean
de Grandisson (1292-1369) qu’il serait vain cependant, et surtout anachronique, de
présenter comme un promoteur de l’hagiographie cornique. A partir de 1536, la
Réformation a proscrit, ici comme ailleurs en Grande-Bretagne, les manifestations de la
dévotion populaire (vénération des reliques, fêtes patronales et pèlerinages) ; si les
églises paroissiales furent maintenues pour servir à l’exercice du culte, chapelles et
monastères connurent une désaffection presque totale. Pour autant, le souvenir des saints
« locaux » ne s’estompa que très lentement : il fut assez durable en tout cas pour être
récupéré par les « antiquaires » du début du XVIIIe siècle, comme objet d’attention
scientifique, dont l’intérêt ne devait plus faiblir par la suite. Le Professeur Orme conclut
cette première partie en relativisant la spécificité cornique pour ce qui touche au culte
des saints ; là encore, ce constat peut être appliqué à la Bretagne où certaines pratiques
dévotionnelles parmi les plus « populaires », les plus « typiques » et les plus
spectaculaires apparaissent surtout comme les manifestations du courant idéologique
issu de la Contre-Réforme.
Le lecteur en parcourant les différentes notices du dictionnaire alphabétique qui constitue la
seconde et la majeure partie de l’ouvrage fera ample moisson d’informations sur l’hagiographie
cornique ; compte tenu des liens qui ont existé jusqu’à la Réformation entre le Cornwall et la
Bretagne, particulièrement en ce qui concerne le culte des saints, ces informations s’avèrent
particulièrement profitables pour le chercheur qui travaille la matière hagiographique bretonne.
Il est évidemment hors de question d’en donner ici le détail et nous nous contenterons de
quelques brèves remarques. (1) Notons tout d’abord que certaines notices sont plus développées
que d’autres : on peut en déduire qu’elles concernent les saints les plus importants du
« panthéon » cornique, au premier chef Petroc, mais aussi Cadoc, Carantoc, Nectan, Neot,
Piran. Gwinear (= Guigner), Melor [=Mélar] et Winwalloe (=Guénolé) ont également droit à un
traitement privilégié. (2) A la question du professeur Orme sur saint Armel, honoré dans l’église
de Stratton où il est attesté pour la première fois en 1512 (p. 66), nous pensons pouvoir répondre
qu’il s’agit bien d’un culte introduit tardivement depuis la Bretagne : le vecteur du culte de saint
Armel en Cornwall, mais aussi en Angleterre, n’est autre que le parti tudoriste venu au pouvoir
au moment de l’accession au trône du roi Henri VII ; ce dernier en effet avait passé la majeure
partie de sa jeunesse en exil en Bretagne. (3) La notice sur saint Cadoc (p. 79-82) a bénéficié de
l’article de B. Tanguy (Etudes Celtiques, t. 26, 1989, p. 159-185). (4) Mais celle sur saint
Carantoc (p. 83-85), qui intéresse particulièrement l’hagiographie léonarde, ignore le travail
récent d’André Delalonde (BSAF, t. 123, 1994, p. 489-510) : en tout état de cause, il faudra
reprendre et démêler l’écheveau des influences réciproques entre certains textes insulaires et
plusieurs compilations qui figurent dans le bréviaire imprimé de Léon de 1516. (5) Soulignons
avec le professeur Orme que saint Cybi « is a rare case of Brittonic saint being credited with
Cornish birth » (p. 100). (6) A propos de saint Dedymin (p. 104), pourquoi ne pas envisager un
rapprochement avec Didyme ? (7) En ce qui concerne saint Gwinear [= Guigner] (p. 136-138),
l’auteur suppose qu’il a existé une ancienne vita cornique dont s’est inspiré Anselme pour sa
propre composition. Anselme serait en fait un breton continental, écrivant pour ses
compatriotes : c’était déjà l’opinion de G.H. Doble ; quant à la vita, rédigée à partir « de brèves
notules » (brevibus notulis), il faut rappeler ici l’hypothèse de B. Tanguy (Mélanges J. Charpy,
1991, p. 578) sur « un texte composite, amalgamant sans doute deux Vies de saints, celles de
saint Fingar alias Guengar et de saint Guigner ». (8) Pour saint Piran (p. 220-223), on dispose
d’une vita qui est l’adaptation, pour ne pas dire le plagiat, de la vita du saint irlandais Ciaran de
Saighir, à moins que ce ne soit le contraire. (9) Curieusement la biographie du saint breton
Sezni, telle que la rapporte Albert Le Grand, paraît avoir été à son tour démarquée de la vita de
saint Piran ; mais le professeur Orme émet l’intéressante hypothèse que la tradition bretonne est
plutôt issue de la vita perdue d’un saint Sithney cornique(p. 236-237). (10) En ce qui concerne
saint Rumon (p. 226-227), plus personne n’ignore que sa vita est un emprunt presque littéral,
effectué après 1120, à celle du breton saint Ronan ; quant à celle-ci, elle est, à notre avis,
fallacieusement datée du Xe siècle par le professeur Orme. La datation de la vita de saint Ronan
peut être désormais déterminée avec assez de précision : antérieur à 1219 puisque l’hagiographe
y déplore que la Cornouaille soit privée de toute relique de saint Corentin, ce texte est
certainement postérieur à 1127 ; sinon Gurheden, qui a composé vers 1124 1127 le cartulaire de
Quimperlé (H. Guillotel, Actes du colloque de Locronan, 1995, p. 182), n’eut certainement pas
manqué de l’intégrer à sa compilation, comme il l’a fait pour les vitae de sainte Ninnoc et de
saint Gurthiern. Or si la vita de saint Ronan a effectivement été connue à Sainte-Croix de
Quimperlé, c’est postérieurement à l’époque à laquelle a travaillé le compilateur du cartulaire.
Du même coup l’attribution proposée par H. Guillotel, à savoir Bernard de Moëlan, et la
datation qui s’en déduit, c’est à dire les années 1159-1167, quand Bernard occupait le siège
épiscopal de Quimper, se trouvent singulièrement confortées. Mais il y a, nous semble-t-il, une
autre possibilité : que la vita de saint Ronan ait été composée, tout comme l’ouvrage primitif sur
saint Corentin, par l’évêque Robert, qui siégea à Quimper jusqu’en 1130. Cette identification est
suggérée par la parenté stylistique de la charte-notice et de la charte données par ce prélat aux
années 1118-1126 (BSAF, t. 32, 1905, p. 249-252 ), ainsi que de la charte de 1124 (BSAF, t. 24,
1897, p. 102) avec les ouvrages hagiographiques mentionnés. (11) Il faut signaler que le P.
Grosjean a donné une édition de la vita de saint Senan, évêque irlandais telle qu’elle figure dans
le bréviaire imprimé de Léon de 1516 et dont s’est servi Albert Le Grand pour composer une
notice sur saint Sané. Cette vita est un abrégé en prose de la vita rythmica publiée pour la
première fois par J. Colgan en 1645 ; elle n’a absolument rien de breton et Albert Le Grand s’est
simplement contenté d’ajouter à la biographie de son héros « la tradition qu’on en a en la
paroisse de Plousané ». (12) A propos de sainte Senar (Sinar), nous sommes très réservé sur
l’identification avec sainte Azénor proposée par le professeur Orme (p. 233) : comme l’a montré
B. Tanguy (Mélanges Y. Le Gallo, p. 470), Azénor est un nom d’origine « française », acclimaté
dans l’aristocratie bretonne vers la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle ; ce nom a remplacé
celui, autochtone, d’Enori que portait dans la légende la fille du roi de Brest. (13) L’histoire de
sainte Sidwell (p. 234-235) reproduit l’essentiel de celle de sainte Juthwara de Sherborn ; mais
le professeur Orme a omis de souligner que la légende bretonne de sainte Haude était elle aussi
démarquée de celle de sainte Juthwara. (14) Pour les critiques modernes, les leçons consacrées à
saint Sulian dans le bréviaire de Léon de 1516 résultent, là encore, de la combinaison tardive
d’une vita bretonne avec un texte insulaire relatif à saint Tysilio ; mais il reste à préciser les
raisons et les circonstances de cette combinaison, antérieure au travail de compilation dont
résulte le texte du bréviaire puisqu’elle figure dans le cahier de notes de Pierre Le Baud (vers
1460-1480).
Terminons en signalant que l’abondante bibliographie contient de nombreux titres empruntés
à des chercheurs français : dans l’ordre alphabétique, A.-Y. Bourgès, A. de Courson, Cuissard,
H. D’Arbois de Jubainville, M. Debary, F. Duine, P. Flobert, R. Fawtier, E.C. Fawtier-Jones,
D.-B. Grémont, J. Irien, A. de La Borderie, R. Largillière, R. Latouche, H. Le Gouvello, Albert
Le Grand, G.A. Lobineau, F. Lot, J. Loth, Y.M.Lucas, L. Maître (avec P. de Berthou), B.
Merdrignac, F. Plaine, L. Rosenzweig, B. Tanguy ; ce dernier a largement contribué en outre à
l’ouvrage par de multiples « private informations » signalées par le professeur Orme. On aurait
aimé bien sûr que la liste des titres empruntés à B. Merdrignac et à B. Tanguy fût plus longue ;
que fussent cités les travaux de G. Bernier, L. Fleuriot, P. Guigon, H. Guillotel, F. Kerlouégan,
G. Le Duc, P. Riché, E. Vallérie, et de bien d’autres chercheurs qui voudront bien nous excuser
de ne pas tous les mentionner ici … Mais l’ouvrage tel qu’il se présente offre toutes les
garanties de la rigueur scientifique et de l’honnêteté intellectuelle dont sont empreints les
différents travaux du professeur Orme.
André Yves Bourgès