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  • 1Cours de philosophie

    Sries technologiquesEric Delassus

    1. Qu'est-ce que la philosophie?

    1.1 Introduction : La question de savoir ce qu'est la philosophie est une question difficile dans la mesure o il s'agit

    dj d'une question philosophique au sujet de laquelle les avis des philosophes eux-mmes sont di-vergents. Cependant, il semble difficile galement de dbuter son ducation philosophique sansavoir une ide, mme vague, de ce que peut tre la philosophie. C'est pourquoi, avant d'aborder laphilosophie d'un point de vue purement philosophique, nous l'aborderons selon un angle la foishistorique et tymologique.

    1.2 Analyse tymologique du terme mme dephilosophie

    L'acte de naissance de la philosophie se situe dans la Grce antique au V sicle avant JsusChrist avec Socrate, personnage nigmatique et fascinant dont nous reparlerons bientt. Cela dit,avant Socrate il y avait dj des penseurs qui grce leurs talents et la profondeur de leur r-flexion avait acquis une clbrit et une notorit incontestable. C'est d'ailleurs l'un de ces penseurs,Pythagore qui appela ``philosopho'' (amis de la sagesse), ceux qui s'intressaient la nature deschoses. Et, en effet, le mot philosophie lui-mme vient du grec ancien, de ` p`hilosophia'' qui secompose de ``philein'' (aimer) et de ``sophia'' (sagesse), la philosophie est donc l'amour de la sa-gesse.

    La question est donc maintenant de savoir ce que signifie ces termes. Le terme d'amour dsigneici un dsir, une aspiration quelque chose et donc si le philosophe aspire la sagesse c'est quecelle-ci lui manque, qu'il ne la possde pas, le philosophe n'est donc pas un sage.

    Mais qu'est-ce que la sagesse ? Le mot sagesse ne signifie pas seulement ici la vertu propre quifait preuve de mesure et de modration dans ses actes, il ne s'agit pas simplement de la sagesse pra-tique propre celui qui par exprience sait comment s'orienter dans l'existence.

    La sagesse pour les grecs anciens dsigne principalement la science, c'est--dire le savoir en gn-ral, cependant ce savoir n'est pas tranger la notion de vertu telle que nous l'employons prsent,dans une certaine mesure la sophia dsigne une science qui nous rend meilleurs, et qui donc en con-squence nous rend plus sage, c'est--dire plus savant et plus vertueux.

    Le philosophe est donc, non pas le possesseur de la science et de la vertu, mais un homme enqute de vrit qui cherche mieux comprendre ce que sont les choses pour devenir meilleur, plusvertueux, au sens o la connaissance de la vrit nous permettrait de mieux nous raliser en tantqu'tre dou de conscience et de raison.

  • 2C'est d'ailleurs ce que rechercher Socrate, celui que l'on considre comme le pre fondateur de laphilosophie et dont nous allons maintenant parler en abordant la philosophie d'un point de vue plushistorique.

    1.3 Les origines historiques de la philosophies. Si donc, c'est Pythagore qui le premier employa le terme de philosophie, c'est un autre personnage

    tout aussi mystrieux et mythique qui fut l'initiateur de la dmarche qui inspire jusqu' nos jours laphilosophie occidentale. Si ce personnage, Socrate (-469, -399), est mystrieux, c'est qu'il n'a laissaucun crit, il n'est connu que par ses dtracteurs (ceux qui le critiquaient) ou par ses disciples (ceuxqui ont suivi son enseignement et ont pris modle sur lui dans leur vie).

    Parmi ses dtracteurs ont trouve par exemple Aristophane qui dans une comdie intitule ` L`esNues'' prsente Socrate comme une tre ridicule et proccupe par des questions de peu d'intrt.

    Parmi ses disciples on trouve principalement Platon qui en fit le personnage centrale de tous sesouvrages composs sous forme de dialogues.

    L'apologie de Socrate Le Criton Le Phdon

    Dans ces trois dialogues philosophiques de Platon, nous pouvons trouver des renseignementsconcernant la vie et la mort de Socrate.

    1.3.1 Le personnage de Socrate L'image de Socrate laisse par les diffrents tmoignages favorables ou hostiles de ses contempo-

    rains est celle d'un homme d'apparence trange et originale qui parcourait les rues d'Athnes vtugrossirement la diffrence de tous ceux de ses contemporains qui avaient la prtention d'ensei-gner un quelconque savoir. Au gr de ses rencontres, Socrate discutait avec ceux de ses concitoyensqui tait curieux de connatre son avis sur diffrents sujets qui touchaient le plus souvent les valeursmorales.

    De ses ides, nous ne connaissons que trs peu de choses, il ne nous reste que l'exemple d'unemthode de rflexion fonde sur le dialogue et ayant pour but, non pas d'inculquer telle ou telle ide,mais de faire en sorte que chacun devienne son propre juge.

    Ainsi Socrate examine les thses de ses interlocuteurs et met en vidence leurs insuffisances etleurs faiblesse.

    A la diffrence des orateurs politique et des sophistes Socrate ne cherche pas dfendre une thsepar tous les moyens, son but n'est pas de convaincre son interlocuteur, mais de susciter en lui inter-rogation et rflexion1.1

    La philosophie telle que Socrate la cultive n'est donc pas tout d'abord expression d'une penseacheve, elle est d'abord examen par soi-mme de ses propres penses, et mise l'preuve de ce quel'on pense ou de ce que l'on croit penser, afin de juger si le contenu des thses auxquelles on adhreest conforme ou non au principe mme de la raison et ne contient aucune contradiction. De ce pointde vue la philosophie se caractrise par un effort de cohrence de la pense avec elle-mme.

    Cet effort Socrate l'accomplit dans la cit avec ses concitoyens par la discussion, le dialogue dontles thmes principaux taient les notions morales dont il fallait rechercher la dfinition afin d'en d-terminer le sens et l'essence1.2 .

    L'une des formules les plus clbres de Socrate est celle dans laquelle il affirme

  • 3``Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ; tandis que les autres croient savoir cequ'ils ne savent pas.''

    Cette formule paradoxale s'adresse surtout au conformisme intellectuel1.3 de la grande majoritdes hommes qui se satisfait d'opinions1.4 sans fondement et aux sophistes qui dans la Grce antiqueet plus particulirement Athnes, prtendaient tout savoir.

    Ainsi pour l'homme du commun comme pour le sophiste qui le flatte et cultive les opinions toutest toujours objet de certitude, pourtant si l'on tente d'approfondir le contenu de l'opinion celle-ci setrouve confronte ses faiblesses et sa fragilit.

    Aussi force de toujours remettre en question les opinions bien tablies, Socrate finit par dran-ger ses contemporains au point qu'ils lancrent contre lui des accusation qui donnrent lieu un pro-cs l'issue duquel il fut condamn mort. L'apologie de Socrate est un ouvrage dans lequel Platonprsente la plaidoirie que pronona Socrate pour sa dfense.

    Ainsi en -399 Socrate meurt g de 71 ans condamn par ses concitoyens qui l'accusaientd'impit1.5, il n'aurait pas honor les dieux de la cit et aurait voulu en introduire de nouveaux, etd'tre un corrupteur1.6 de la jeunesse.

    1.4 La philosophie comme discipline derflexion et comme mthode.

    Plutt qu'une matire (un savoir constitu) la philosophie est une discipline de rflexion.

    1.4.1 Discipline Ce terme de discipline peut en effet se comprendre en deux sens.

    comme un domaine du savoir (discipline scolaire) comme une rgle de conduite, une direction suivre.

    La philosophie est une discipline au sens o elle est recherche d'un savoir, interrogation mthodi-que de la pense sur elle-mme, rflexion ncessitant une stricte rigueur intellectuelle.

    1.4.2 Rflexion tymologiquement ce terme dsigne l'action de se tourner en arrire. Dans le domaine intellectuel, il s'agit du retour de la pense sur elle-mme, d'une interrogation de

    l'esprit sur le contenu de ses penses, d'un examen de ses propres penses par le sujet : sont-elles co-hrentes ? ne contiennent-elles pas quelques contradictions caches ? Il s'agit donc en quelque sorted'un dialogue avec soi-mme.

    La philosophie n'est donc pas un savoir, mais un cheminement vers le savoir, une aspiration ausavoir qui ne peut tre satisfaite que par le respect d'une mthode.

    1.4.3 Mthode tymologie : mta = vers et odos = chemin Une mthode est donc un cheminement orient vers un but. Il s'agit donc, dans le domaine de la

  • 4recherche, d'un ensemble de procds et de rgles qu'il faut suivre avec ordre et rigueur pour parve-nir au rsultat que l'on s'est fix (la connaissance de la vrit).

    Cela dit une mthode n'est pas une recette, un ensemble de rgles qu'il faudrait suivre mcanique-ment et qui permettraient de faire l'conomie de la pense personnelle. Un effort de rflexion, de ju-gement est toujours ncessaire et fondamental pour bien appliquer cette mthode, pour l'adapter auxproblmes spcifiques que l'on doit traiter.

    1.5 Conclusion La philosophie ne se dfinit donc pas comme un savoir constitu, mais comme la recherche du

    savoir, on ne peut donc la dfinir de faon dfinitive et univoque dans la mesure o elle est la d-marche indfinie de la conscience s'interrogeant sur elle-mme.

    La dmarche philosophique suppose donc une prise de distance par rapport soi-mme et parrapport au monde et la nature, elle est l'exercice mme de la pense dans une inquitude, un ques-tionnement permanent dont l'origine est l'tonnement.

    tonnement : du latin attonare : ``tre frapp du tonnerre'' - branlement moral, stupfaction face l'inattendu ou l'extraordinaire. - branlement intellectuel face ce qui ne peut donner lieu une explication immdiate.

    "C'est en effet l'tonnement qui poussa les premiers penseurs aux spculationsphilosophiques (...). Or apercevoir une difficult et s'tonner, c'est reconnatre sapropre ignorance."

    Aristote, Mtaphysique, A, 2

  • 52. La nature

    2.1 La Nature - Analyse polysmique Variation autour des diffrents sens du terme de nature. Le terme de Nature est souvent compris au sens de campagne, pour l'homme ordinaire se prome-

    ner dans la campagne quivaut se promener dans la nature. Cependant il n'est pas certain que la campagne soit si naturelle que nous le pensons, en effet les

    champs sont cultivs, les forts sont entretenues partout o nous allons l'homme est intervenu pourmarquer la nature de sa prsence et la transformer.

    Or ce qui est naturel signifie d'abord pour nous ce qui est premier, originel, n'appelle-t-on pas na-ture d'une chose son essence, ce qu'elle est fondamentalement ; est donc considr comme naturel cequi est l'tat brut et n'a encore subi aucune transformation, or l'environnement, la campagne sontcomme tous les lieux habits par l'homme des zones de notre plante qui ont perdu leur aspect origi-nel parce qu'elles ont t travailles par l'homme.

    Cependant si la campagne voque pour nous la nature ce n'est pas sans raison, car si la campagnenous parat plus proche de la nature que la ville, que le milieu industriel et urbain, c'est parce qu'ellecontient l'une des composantes essentielles du monde naturel, c'est--dire la vie, qui est beaucoupplus luxuriante dans ce milieu que ce soit sous sa forme animale ou vgtale.

    Le monde urbain est quant lui un monde d'artifice, c'est--dire un univers o tout est le produitdu travail et de la culture humaine, o tout rsulte de l'ingniosit de l'homme. Bien entendu si l'arti-fice s'oppose la nature il ne lui est pas pour autant totalement tranger puisqu'il en est lui-mmeissu en tant que matire, l'artifice est avant tout de la nature transforme (qui a chang de forme).

    L'artifice c'est la nature transforme et obissant aux dsirs humains, c'est la substitution d'un or-dre culturel un ordre naturel, c'est la ncessit sociale, culturelle et historique qui se substitue lancessit physique qui ne nous convient pas toujours.

    Car en effet la nature n'est pas seulement un univers bucolique et champtre, la nature peut aussitre violente et impitoyable, comme c'est par exemple le cas, lorsque les hommes sont victimes decatastrophes naturelles.

    Si en effet la nature est vie, puissance cratrice, gnratrice (la desse mre, la mre nature), cetteforce pouvant faire preuve de prodigalit peut aussi faire preuve de cruaut et devenir destructrice l'gard des tres mmes qu'elle a engendr. Si la nature est vie elle est aussi mort et souffrance, si lanature peut tre prodigue et gnreuse elle peut aussi tre aride et rigoureuse, la scheresse ou lespluies diluviennes sont aussi des phnomnes naturelles.

    La nature prsente donc un caractre ambivalent, elle nous parat aussi bien un lieu de paix qu'unlieu de peine et de souffrance, elle est l'objet de notre nostalgie, toutes les civilisations ont connudes mouvements de retour la nature qui sont d'ailleurs par nature vous l'chec, car elle est aussice dont paradoxalement l'homme s'loigne par nature. En effet l'homme est tre de culture, il est laconscience de soi qui, issue de la nature, s'en loigne tout en ayant toujours besoin d'y tre reliepour que son existence puisse maintenir l'quilibre fragile qui lui donne sens.

    N'est-il pas curieux en effet que parmi les problmes philosophiques traditionnels l'un des plus re-battus concerne la question de savoir comment vivre en accord avec la nature, ce qui laisse supposerque chez l'homme, mme cela ne peut se faire naturellement, c'est--dire spontanment en laissant

  • 6s'exprimer cette puissance originelle, cette voix premire que nous n'entendons pas. S'interroger sur la nature c'est donc tout d'abord s'interroger sur l'homme, sur le caractre probl-

    matique de l'existence humaine qui est la fois nature et culture sans pour autant tre artifice,l'homme n'est ni un robot ni un automate, il est esprit, l'esprit qui issu de la nature se ralise commerflexion, c'est--dire comme processus de retour sur soi et de distanciation par rapport soi-mmeet son origine.

    2.2 Introduction : Qu'est-ce que la nature ? Pour la plupart d'entre nous, le terme de nature est souvent compris comme un synonyme de celui

    de campagne, se promener dans la campagne ou dans la nature a pour beaucoup d'entre nous peuprs la mme signification.

    Cependant une telle opinion ne va pas sans poser problme : la campagne est-elle en effet si natu-relle que cela ? Si l'on y rflchit bien, l'on s'aperoit qu'elle est dj de la nature transforme, modi-fie par l'homme.

    Or prcisment l'ide de Nature2.1correspond galement ce qui est premier, originel, au senstymologique, Nature la mme origine que natre ; ainsi est naturel, ce qui a la forme de ce quivient de natre, ce qui n'a donc pas t modifi, transform par une intelligence et une volont ext-rieure.

    Or qui dans la nature est en mesure de transformer la Nature, sinon l'homme lui-mme ? C'est pourquoi la question de la Nature est philosophiquement fondamentale, car s'interroger sur

    la Nature, c'est s'interroger sur l'homme lui-mme, sur la place qu'il occupe dans la Nature. L'homme est-il dans la nature un tre comme les autres, ou y occupe-t-il une place particulire ?

    2.3 En quel sens faut-il comprendre quel'homme occupe une place particulire dans laNature ? 2.3.1 La dimension naturelle de l'homme

    L'homme peut sembler au premier abord tre un tre vivant comme les autres, c'est un animal ap-partenant la catgorie des mammifres et il doit pour survivre rpondre tous les besoins qu'un or-ganisme doit satisfaire. D'ailleurs les thories de l'volution mettent en vidence ses origines anima-les. Si l'homme ne descend pas du singe comme le laisse entendre une vulgarisation simplificatricedu darwinisme, il n'empche que nous partageons des origines communes avec cette espce.2.2

    Cependant la question qu'il faut ici poser est celle de savoir si cette dimension naturelle del'homme recouvre ce qui fait sa spcificit, ce qui fait son humanit ?

    2.3.2 La spcificit de l'homme dans la nature En effet s'il on analyse ce qui fait l'humanit de l'homme, on va s'apercevoir que la plupart des ca-

    ractres qui le distinguent des autres espces animales sont des caractres acquis et non totalementinns, c'est--dire des caractres qui ne se dveloppent pas naturellement, spontanment, mais lasuite d'un apprentissage, le langage, la station debout et la marche sont des aptitudes qui bien que

  • 7reposant sur des capacits naturelles de l'homme, ne se dveloppent que si on les cultive, c'est--diresi le milieu extrieur exerce sur l'individu une influence qui dterminera son comportement.

    Cette ide a d'ailleurs t exprim par Jean Jacques Rousseau dans le texte que nous allons main-tenant tudier.

    2.3.3 La perfectibilit (tude d'un texte de Jean JacquesRousseau

    "Mais, quand les difficults qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelquelieu de disputer sur cette diffrence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualittrs spcifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'estla facult de se perfectionner ; facult qui, l'aide des circonstances, dveloppesuccessivement toutes les autres, et rside parmi nous tant dans l'espce, que dansl'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie,et son espce, au bout de mille ans, ce qu'elle tait la premire anne de ces mille ans.Pourquoi l'homme seul est-il sujet devenir imbcile ? N'est-ce point qu'il retourneainsi dans son tat primitif, et que, tandis que la Bte, qui n'a rien acquis et qui n'a riennon plus perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme reperdant par la vieillesseou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilit lui avait fait acqurir, retombe ainsiplus bas que la Bte mme ? Il serait triste pour nous d'tre forcs de convenir, quecette facult distinctive, et presque illimite est la source de tous les malheurs del'homme ; que c'est elle qui le tire force de temps, de cette condition originaire, danslaquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant cloreavec les sicles ses lumires et ses erreurs, ses vices et ses vertus le rend la longue letyran de lui-mme et de la Nature."

    Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes (1755).

    Gallimard.

    2.3.3.1 Explication

    La question traite ici par Rousseau est celle de la diffrence entre l'homme et l'animal, selon lui,si en de nombreux points la question est difficile rsoudre, il en est un qui ne fait aucun doute etqui permet de marquer la diffrence essentielle entre l'homme et l'animal, c'est la facult de se per-fectionner qu'il nomme perfectibilit.

    Cette facult permet l'homme d'acqurir des facults qui n'apparaissent pas initialement et spon-tanment en lui, ces facults ne naissent qu' la suite d'une stimulation extrieure, que si elles sont,comme l'crit Rousseau, suscites " l'aide des circonstances".

    2.3.3.1.1 1partie

    Dans un premier temps (du dbut "... la premire anne de ces mille ans"), Rousseau commencepar vacuer tous les autres points au sujet desquels la question de la diffrence entre l'homme etl'animal pourrait porter discussion

    "Mais, quand les difficults qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelquelieu de disputer sur cette diffrence de l'homme et de l'animal,...",

  • 8pour ensuite affirmer que le seul caractre distinctif qui ne fasse aucun doute est "la facult de seperfectionner".

    Cette facult Rousseau la dfinit ensuite de la manire suivante : "facult qui, l'aide des circonstances, dveloppe successivement toutes les autres, etrside parmi nous tant dans l'espce, que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, aubout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espce, au bout de mille ans, cequ'elle tait la premire anne de ces mille ans."

    Il convient donc pour bien comprendre en quoi consiste cette facult d'expliciter prcisment cha-que lment de cette dfinition.

    "facult qui, l'aide des circonstances, dveloppe successivement toutes les autres"

    Ici Rousseau insiste sur le fait que cette facult permet de dvelopper en l'homme des facults quine se manifestent pas en lui naturellement, ds la naissance, mais qui n'apparaissent qu'en fonctiondes situations et des besoins auxquels il se trouve confront.

    En quelque sorte l'homme possde en lui de nombreuses facults sous forme de potentialits,mais celles-ci ne se dveloppent pas ncessairement, elles ne le feront que si les circonstances le de-mandent, c'est--dire, si le milieu extrieur exige une telle volution.

    La perfectibilit est donc en quelque sorte "la facult des facults", la facult qui permet le dve-loppement de toutes les autres, la facult qui conditionne toutes les autres.

    Cette facult " rside parmi nous tant dans l'espce, que dans l'individu", c'est--dire qu'elle rendpossible aussi bien l'volution de l'humanit toute entire (l'espce), que celle de chacun d'entrenous (l'individu).

    Cette facult est donc celle qui permet une volution propre l'homme et dont aucun animal n'estcapable, ce qui explique que, seul (nous ne parlons pas ici de l'animal domestique qui volue grce l'homme), l'animal est incapable de progresser ("un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'ilsera toute sa vie, et son espce, au bout de mille ans, ce qu'elle tait la premire anne de ces milleans."), alors que l'homme est quant lui en mesure de se transformer et de s'adapter aux diverses si-tuations qu'il peut rencontrer.

    2.3.3.1.2 2 partie

    Cependant, si la perfectibilit est dfinie comme la facult permettant le progrs de toutes les au-tres, l'argument utilis par Rousseau dans la seconde partie du texte, pour justifier son existence,peut sembler contradictoire. En effet Rousseau crit : "Pourquoi l'homme seul est-il sujet devenirimbcile ?", il semblerait que la capacit de l'homme se perfectionner se trouve atteste, confir-me, par sa capacit devenir imbcile. L'imbcillit est pourtant une imperfection, comment unetelle imperfection peut-elle tre considre comme un gage de perfectibilit ?

    C'est que prcisment la perfectibilit n'est pas la perfection, elle est mme plutt le signe de l'im-perfection humaine ; si l'homme a besoin de se perfectionner, d'acqurir de nouvelles facults, n'est-ce pas parce qu'il est imparfait ? Un tre parfait, n'a, quant lui, aucune raison d'voluer, de se par-faire.

    De ce point de vue, l'animal est peut-tre, en un certain sens plus parfait que l'homme, dans lamesure o il est parfaitement adapt par la nature son milieu.

    En revanche, c'est parce que l'homme est inadapt, imparfait qu'il doit sans cesse acqurir de nou-velles qualits, mais le problme vient ensuite de ce que ces qualits tant acquises, elles ne s'inscri-vent pas dfinitivement dans la nature de l'homme, elles ne deviennent pas un composant essentielde son tre et donc il risque tout moment de les perdre.

  • 9"N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son tat primitif, et que, tandis que la Bte, quin'a rien acquis et qui n'a rien non plus perdre, reste toujours avec son instinct,l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilitlui avait fait acqurir, retombe ainsi plus bas que la Bte mme ?"

    2.3.3.1.3 3 partie

    C'est pourquoi dans la dernire partie du texte Rousseau insiste sur le caractre corrupteur decette perfectibilit, car au lieu de rendre l'homme ncessairement meilleur, elle peut aussi contribuer le rendre mauvais, le dnaturer, lui faire perdre son innocence originelle :

    "Il serait triste pour nous d'tre forcs de convenir, que cette facult distinctive, etpresque illimite est la source de tous les malheurs de l'homme ; que c'est elle qui letire force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jourstranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant clore avec les sicles ses lumires etses erreurs, ses vices et ses vertus le rend la longue le tyran de lui-mme et de laNature."

    En effet en dveloppant sa perfectibilit, l'homme s'est en quelque sorte laiss enivrer par la puis-sance qu'il peut exercer sur le monde et sur lui-mme et en est arriv parfois se rendre plus mal-heureux que ne l'avaient rendu les raisons qui l'avaient initialement conduit mettre en uvre denouvelles facults.

    2.3.3.1.4 Conclusion

    Ainsi l'homme ne nat pas achev, il doit cultiver, pour s'adapter son milieu, toutes les facultsque la nature a laiss en sommeil en lui, cette perfectibilit le rend certes plus puissant que les autrestres vivants, mais elle le rend aussi plus libre, c'est pourquoi Rousseau nous met ici en garde contreles effets destructeurs de cette facult qui rend l'homme capable du meilleur comme du pire.

    "c'est elle qui le tire force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle ilcoulerait des jours tranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant clore avec lessicles ses lumires et ses erreurs, ses vices et ses vertus le rend la longue le tyran delui-mme et de la Nature."

    2.3.4 L'homme, tre social D'autre part l'homme est un tre social et la diffrence des autres animaux vivant en socit sa

    vie en collectivit ne rpond pas un instinct2.3 social grce auquel les relations entre individus s'or-ganisent naturellement. L'homme, lui, doit organiser sa vie en socit selon ses propres rgles, c'estd'ailleurs ce qui explique la diversit des formes d'organisation sociale, des murs et des coutumesselon les peuples et les civilisations.

    2.3.5 L'homme, transformateur de la nature En dernier lieu ce qui rend particulier, pour ne pas dire singulier, le rapport de l'homme la na-

    ture, c'est le fait qu'il transforme la nature par son travail au moyen de la technique. On peut certescomparer le travail de l'homme l'activit de l'animal qui utilise certains matriaux naturels pour fa-briquer ce dont il a besoin (l'oiseau qui construit son nid, par exemple), mais l o l'homme se diff-rencie radicalement de l'animal, c'est dans le fait qu'il fasse voluer les techniques qu'il met enuvre ainsi que les produits de son activit (l'habitat humain a volu au cours de l'histoire, ce quine se constate pas chez l'animal).

  • 10

    2.3.6 L'homme se distancie de la nature On peut donc constater que l'homme est un tre qui prend par rapport la nature et par rapport

    sa propre nature une distance, un recul que ne prennent pas les autres vivants qui eux n'ont qu' selaisser guider par leurs tendances naturelles pour s'accomplir et se raliser. L'homme au contraire nepeut vritablement tre lui-mme que s'il transforme ce qu'il est et le monde qui l'entoure, c'est en cesens qu'il est un tre de culture.

    2.4 L'homme en tant qu'tre de culture 2.4.1 Faut-il opposer nature et culture

    On pourrait tre tent d'opposer Nature et Culture en assimilant ce qui est culturel et ce qui est ar-tificiel, comme si tout ce qui fait l'humanit de l'homme n'tait qu'artifice, c'est--dire pure fabrica-tion de l'homme sans aucun soubassement naturel. Or les choses sont beaucoup plus complexes.L'homme n'est pas un robot, il n'est donc pas pur artifice et sa culture n'est pas totalement trangre la nature, elle est plutt le chemin propre l'homme pour raliser sa nature sous une diversit deformes possibles.

    Si l'on prend le terme culture dans son sens le plus strict, on s'aperoit qu'il n'y a pas loin de laculture l'agriculture, en effet l'agriculture consiste prendre soin d'une plante en lui offrant lesmeilleurs conditions pour son dveloppement afin qu'elle ralise sa nature la perfection. De mmela culture humaine consiste prendre soin de l'homme pour qu'il dveloppe toutes les possibilitsqui sont en lui naturellement2.4 .

    2.4.2 La culture comme accomplissement de la nature del'homme

    La culture dsigne donc le processus par lequel l'homme ralise toutes les possibilits qu'il pos-sde naturellement, tre humain signifie donc ncessairement se cultiver pour acqurir toutes les fa-cults qui sommeillent en nous2.5 . Peut-tre, peut-on mme aller jusqu' dire qu'il y a chez l'hommeun devoir de culture, devoir pour les parents d'duquer leurs enfants, donc de leur transmettre l'hri-tage des gnrations prcdentes pour qu'il s'intgre la socit dans laquelle ils sont ns et qu'ilsdveloppent toutes leurs facults, devoir pour l'adulte de continuer cultiver ses comptences entout domaine pour accomplir son humanit. Le respect de l'humanit, c'est--dire la reconnaissancede sa valeur suprme ne passe-t-il ncessairement par ce devoir de culture.

    2.5 Conclusion : L'homme est donc le seul tre qui dans la nature soit en mesure de se distancier de la nature et de

    sa nature, le seul qui soit en mesure d'agir sur la nature, au risque parfois de la dtruire, mais qui nepeut pas pour autant vivre naturellement ce qui n'aurait pour lui gure de sens.

    La question se pose donc de savoir quel doit tre son rapport la nature, doit-il la considrercomme un simple moyen, comme un objet qu'il peut utiliser sa guise pour accomplir son humanitou doit-il au contraire la respecter ?

  • 11

    2.6 Annexe 2.6.1 L'volution de l'homme

    LES ORIGINES DE L'HOMME

    Selon la bible (Adam et Eve) l'homme serait une crature faite l'image de Dieu2.6. Selon la biologie (Darwin)2.7 l'homme est un primate et un bipde.

    PB. L'homme est-il un animal comme les autres ou son humanit rsulte-t-elle d'un dpassementde son animalit?

    - Les thories de l'volution remettent-elles en cause la spiritualit de l'homme? Quelques chiffres Relativement la vie de notre plante l'histoire de l'homme reprsente une dure peu importante

    sur le plan chronologique. Systme solaire : 5 milliards d'annes Apparition de la vie : 3 milliards d'anne Rgne animal :

    700 millions d'anne (ponges, hydres, mduse,...) 400 millions d'anne (premiers vertbrs) 65 millions d'annes (dveloppement des mammifres)

    L'homme 6 4 millions d'annes ==> l'australopithque 3 2,5 millions d'annes ==>premiers outils en pierre 2 millions d'annes ==> Homo Habilis 1,5 millions d'annes ==> Homo erectus ==> domestication du feu 500 000 ans ==> Homo-sapiens 80 000 ans==> Neandertal (premires spultures intentionnelles) paralllement 38 000 ans ==> Cro Magnon environ - 25 000 ans ==> Homo sapiens sapiens ( progrs technique rapide, diversit cultu-

    relle, dveloppement de l'art.) Le genre Homo serait donc apparu en Afrique de l'est il y a environ 2 millions d'annes. Condition de ce dveloppement :

    La station debout ==> libration des mains et dveloppement du cerveau. Sparation de la population en diffrentes populations qui auraient migr sur d'autres conti-

    nents. Les premires graphies L'origine des langues remonterait 50000 ans, si toutefois l'on admet (et c'est de plus en plus le

    cas) d'une part l'origine unique de l'homme, d'autre part sa localisation en Afrique de l'Ouest. Les premires manifestations graphiques de l'homme sont reprsentatives (art rupestre, dcoration

    de poteries ou d'armes, signes traduisant un langage gestuel). Les premiers signes arbitraires

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    Les premiers signes arbitraires remontent 30000 ans environ. Ils sont destins compter (corde-lettes nuds, btons encoches) ou identifier des objets. Le plus souvent pictographiques , cessignes ne composent pas des systmes complets d'criture ; ils ne reprsentent pas tous les objetsqu'un langage est capable de dsigner. Par contre, ils sont indpendants de la langue parle (maispas toujours de la culture) ; ils peuvent thoriquement tre compris par tous.

    La premire criture L'criture relle remonte 4000 ans, selon les pigraphistes . C'est l'criture analytique Sum-

    rienne. L'homme aurait donc vcu longtemps avant de songer consigner son savoir pour les gn-rations futures...

    Car c'est l le principal intrt de l'criture : transmettre les connaissances de faon autrementplus fiable que par la mmoire, dans le temps, bien sr, mais gographiquement aussi.

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    3. La technique

    3.1 Introduction : Qu'est-ce que la technique ? Comme la plupart des notions celle de technique prsente un caractre polysmique qui rend ex-

    trmement difficile sa dfinition. Par technique on peut dsigner des objets, l'outil ou la machine sont des objets techniques, un

    marteau, un appareil electro-mnager, un ordinateur, etc. Mais le mot technique dsigne galement des procds, des mthodes qui ne font d'ailleurs pas

    toujours intervenir des objets extrieurs l'homme, certes il faut une certaine technique pour utiliserun outil ou une machine, mais on parlera galement en matire de commerce, de technique devente ; en sport ou dans l'art chorgraphique le seul outil dont dispose l'homme est son propre corpset l'on parle galement de technique dans ces domaines.

    D'autre part ce terme renvoie une ralit plus vaste, une certaine organisation des savoirs etdes savoir-faire, ainsi dans notre lyce la majorit des filires proposes sont qualifies de techniqueou technologiques, notre monde contemporain est lui-mme souvent dfini comme celui du rgnede la technique.

    Mais si ce mot est souvent utilis pour caractriser notre poque, il n'en est pas moins vrai qu'il aune histoire qui remonte l'antiquit et que la ralit de la technique a depuis longtemps tonn lephilosophe qui s'est interrog sur le sens de la technique.

    tymologiquement ce terme provient du grec ancien et dsigne toute activit de l'ordre de la fa-brication, de la production ou de la construction, en ce sens la techn grecque ne fait pas de diff-rence entre le beau et l'utile et ne se diffrencie pas de l'art. Le mot art, quant lui vient du latin et alongtemps t considr comme synonyme de technique (ne parle-t-on pas, par exemple, de l'art ducordonnier ?), l'artiste a d'ailleurs longtemps t considr comme un artisan.

    La question se pose d'ailleurs de savoir pourquoi ces disciplines qui taient autrefois confondues(art, magie, ou artisanat c'est--dire la discipline technique proprement dite) se trouvent aujourd'huiconsidres comme distinctes ?

    Cependant si l'on voulait caractriser en quelques mots tout ce qui relve de la technique on pour-rait dire qu'appartient au monde de la technique tout ce qui concerne la mise en uvre de moyens envue d'une fin, pour produire des objets en transformant la nature, pour rsoudre les problmes prati-ques que nous rencontrons dans l'existence ; tout ce qui relve de l'utile.

    La question laquelle nous sommes donc conduits, lorsque nous entreprenons de rflchir au su-jet de la technique est celle de la valeur de l'utile, qu'est-ce qui est vraiment utile ? l'utile est-il cequi a le plus de valeur pour nous ? devons-nous comme bon nombre de nos contemporains succom-ber au mythe de l'efficacit ?

    3.2 La technique est-elle le propre del'homme ?

    L'homme est-il le seul tre vivant pratiquer une activit technique ? A pratiquer une activit parlaquelle en se dtachant de la nature, il la transforme, en transformant par l mme ses propres con-ditions d'existence ? N'est-ce pas entre autre une activit par laquelle l'homme se diffrencie de

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    l'animal ? Cependant, nous rtorquera-t-on l'animal lui aussi transforme la nature, l'animal lui aussi fabrique

    des objets pour rpondre ses besoins, l'oiseau construit son nid, l'abeille ou la fourmi travaille, enquoi ces activits sont-elles diffrentes du travail humain ?

    Si l'animal bien qu'agissant sur la nature n'exerce pas proprement parler une activit technique,c'est principalement parce qu'il ne rompt pas dans son activit avec le rapport immdiat qu'il entre-tient avec la nature, l'activit animale reste une activit instinctive en totale continuit avec la na-ture, s'intgrant pleinement dans un processus naturel. L'animal ne prend pas ses distances par rap-port la nature, c'est pourquoi d'ailleurs, s'il transforme la nature, il n'est pas pour autant en mesurede transformer les moyens par lesquels il la transforme, c'est pourquoi il n'y a pas chez l'animal deprogrs technique. Ainsi, mme les animaux suprieurs qui utilisent des "outils" (le singe qui se sai-sit d'un bton pour faire tomber les fruits d'un arbre) ne conservent pas cet objet afin de le rutiliserdans une autre occasion ou de le perfectionner.

    L'homme en revanche par son activit technique s'carte, se distancie de la nature comme s'il vou-lait en devenir le matre, c'est d'ailleurs pourquoi les anciens interprtaient de manire tragique lanaissance de la technique. Par la technique l'homme aurait voulu galer les dieux et serait devenupar l l'artisan de son propre malheur. Ainsi peut-tre, est-il permis d'interprter dans ce sens le my-the de Promthe auquel fait rfrence Platon dans un dialogue intitul le Protagoras.

    3.2.1 Le mythe de Promthe " Il fut jadis un temps o les dieux existaient, mais non les espces mortelles.

    Quand le temps que le destin avait assign leur cration fut venu, les dieux lesfaonnrent dans les entrailles de la terre d'un mlange de terre et de feu et deslments qui s'allient au feu et la terre. Quand le moment de les amener la lumireapprocha, ils chargrent Promthe et pimthe de les pourvoir et d'attribuer chacun des qualits appropries. Mais pimthe demanda Promthe de lui laisserfaire seul le partage. "Quand je l'aurai fini, dit il, tu viendras l'examiner." Sa demandeaccorde, il fit le partage, et, en le faisant, il attribua aux uns la force sans la vitesse,aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes ceux-ci, les refusa ceux-l,mais il imagina pour eux d'autres moyens de conservation : car ceux d'entre eux qu'illogeait dans un corps de petite taille, il donna des ailes pour fuir ou un refugesouterrain ; pour ceux qui avaient l'avantage d'une grande taille, leur grandeur suffit les conserver et il appliqua ce procd de compensation tous les animaux. Cesmesures de prcaution taient destines prvenir la disparition des races. Mais quandil leur eut fourni les moyens d'chapper une destruction mutuelle, il voulut les aider supporter les saisons de Zeus : il imagina pour cela de les revtir de poils pais et depeaux serres, suffisantes pour les garantir du froid, capables aussi de les protgercontre la chaleur et destines enfin servir, pour le temps du sommeil, de couverturesnaturelles, propres chacun d'eux ; il leur donna en outre comme chaussures, soit dessabots de corne, soit des peaux calleuses et dpourvues de sang ; ensuite il leur fournitdes aliments varis suivant les espces, aux uns l'herbe du sol, aux autres les fruits desarbres, aux autres des racines ; quelques uns mme il donna d'autres animaux manger ; mais il limita leur fcondit et multiplia celle de leurs victimes, pour assurerle salut de la race.

    Cependant pimthe, qui n'tait pas trs rflchi, avait, sans y prendre garde, dpenspour les animaux toutes les facults dont il disposait et il lui restait la race humaine pourvoir et il ne savait que faire. Dans cet embarras, Promthe vient pour examiner le

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    partage : il voit les animaux bien pourvus, mais l'homme nu, sans chaussures nicouverture, ni armes, et le jour fix approchait o il fallait l'amener du sein de la terre la lumire.

    Alors Promthe, ne sachant qu'imaginer pour donner l'homme le moyen de seconserver vole Hphastos et Athna la connaissance des arts ainsi que le feu : carsans le feu, la connaissance des arts tait impossible et inutile ; et il en fait prsent l'homme. L'homme eut ainsi la science propre conserver sa vie. "

    PLATON, Protagoras, trad. E. Chambry, Garnier Flammarion Ainsi aprs avoir donn le feu aux hommes, Promthe est-il vou au destin tragique d'tre en-

    chan sur le sommet du Caucase o un aigle lui dvore le foie pour l'ternit. Mais si prcisment le mythe de Promthe prsente un caractre tragique, cela n'est-il pas d la

    ncessit pour l'homme de s'carter de la nature, mme si cette dmarche lui est pnible, afin de seraliser pleinement comme homme ?

    N'est-ce pas en effet la technique qui dfinit l'homme ? L'homme ne se dfinit-il pas, plus exacte-ment, en tant que technicien qu'en tant qu'esprit cherchant connatre le monde ? L'homme n'a-t-ilpas d'abord cherch agir sur le monde avant de le connatre ? Les premires marques d'humanit,les premiers signes par lesquels on reconnat qu'un squelette issu de la prhistoire est celui d'unhomme et non d'un singe, ne sont-ils pas des outils se trouvant aux alentours de cet anctre ?

    Pour cette raison d'ailleurs le philosophe Henri Bergson a dfini l'homme comme tant homo fa-ber (l'homme qui fait) avant d'tre homo sapiens (l'homme qui sait) :

    "Si nous pouvions nous dpouiller de tout orgueil, si, pour dfinir notre espce, nousnous en tenions strictement ce que l'histoire et la prhistoire nous prsente comme lacaractristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-tre pasHomo sapiens, mais Homo faber. En dfinitive, l'intelligence, envisage dans ce qui enparat tre la dmarche originelle, est la facult de fabriquer des objets artificiels, enparticulier des outils faire des outils et d'en varier indfiniment la fabrication."

    H. Bergson, L'volution cratrice, 1907, PUF Cependant si l'homme est avant tout artisan et technicien avant d'tre savant, il convient de s'in-

    terroger de nos jours au sujet des rapports entre sciences et techniques qui sont de plus en plustroits, au point mme d'ailleurs que la science apparat comme tant de plus en plus au service de latechnique.

    3.3 Science et Technique. De nos jours, il n'est pas rare d'entendre aprs qu'ait t ralis une prouesse technique, qu'un

    nouveau pas a t franchi dans le progrs scientifique. Si une telle manire de s'exprimer a tendancea devenir banale, c'est en raison de l'troite collaboration qui s'tablit actuellement entre science ettechnique, cependant n'est-ce pas malgr tout un abus de langage ?

    En effet, si les sciences se constituent tout d'abord avec pour fin de rpondre la curiosit natu-relle des hommes, c'est principalement parce que, comme l'crit Aristote ds les premires ligne dela Mtaphysique, "Les hommes dsirent naturellement connatre." (ce quoi semble d'ailleurs s'op-poser Bergson), que les sciences ont vu le jour et se sont dveloppes.

    La technique, quant elle se constitue tout d'abord en vue d'une finalit pratique, il ne s'agit paspour elle de connatre le monde, mais d'agir sur lui, de le transformer, de le soumettre nos besoins

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    et nos dsirs. D'un cot, nous avons donc une discipline thorique, la science et de l'autre une discipline prati-

    que, la technique, d'un cot la valeur fondamentale de la recherche est la vrit, de l'autre celles del'action sont l'efficacit et l'utilit ; ce que veut le technicien c'est avant tout produire un effet sur lemonde qu'il dsire modifier.

    Il est donc difficile de parler de la science comme si elle tait par nature tourne vers l'utilit oude la technique comme d'un prolongement ncessaire et systmatique de la connaissance scientifi-que.

    Nous pouvons d'ailleurs prciser en rfrence l'histoire, que pendant longtemps science et tech-nique ont chemin cte cte sans jamais se rencontrer, que l'ide selon laquelle la technique seraitune application de la science est radicalement fausse, c'est d'ailleurs ce que fait remarquer le philo-sophe contemporain J. Ellul dans un ouvrage crit en 1954 et intitul La technique ou l'enjeu du si-cle : "Sous l'angle historique, une simple remarque dtruira la scurit de ces solutions : histori-quement, la technique a prcd la science, l'homme primitif a connu des techniques. Dans la civili-sation hellnistique, ce sont les techniques orientales qui arrivent les premires, non drives de lascience grecque. Donc historiquement ce rapport science-technique doit tre invers."

    Ce ne sont pas en effet les civilisations dans lesquelles la science s'est le plus dveloppe qui ontconnu le plus important progrs technique et l'inverse ceux qui inventaient de nouvelles techni-ques se souciaient peu d'expliquer scientifiquement l'efficacit des procds qu'ils concevaient etqu'ils utilisaient. Un constat empirique, une explication parfois magique leur suffisait. Commel'crit trs justement le philosophe Alain :

    "L'inventeur de l'arc n'avait aucune ide de la pesanteur, ni de la trajectoire ; et mmequand il perait son ennemi d'une flche, il croyait encore que c'tait un sortilge quiavait tu l'ennemi. Nous n'avons, de ce genre de pense, que des restes informes, maisqui rendent tous le mme tmoignage. Et cela conduit juger que la technique quoiquergle sur l'exprience, et fidlement transmise de matre en apprenti, n'a pas conduittoute seule la science, et qu'enfin inventer et penser sont deux choses." (in Propos 1,Pliade, p. 995).

    Ce n'est qu' partir du XVII sicle que les sciences et les techniques vont commencer cheminerensemble permettant ainsi une plus grande rationalisation et aussi une meilleure efficacit de latechnique, cette dernire offrant la science, comme en change, des instruments d'observation etde mesure de plus en plus performants.

    Ainsi cette troite collaboration entre science et technique contribue nous rendre, pour repren-dre la formule utilise par Descartes dans le Discours de la mthode, "comme matre et possesseurde la nature.", la technique ne peut-elle pas de nos jours aller jusqu' agir sur le vivant. Cela doit ce-pendant nous rendre d'autant plus vigilant, car les hommes sont dsormais devenus les dpositairesd'une puissance qu'il est difficile de matriser sans s'interroger sur les valeurs des fins poursuiviespar la technique.

    3.4 Technique et valeurs Ces immenses progrs des sciences et des techniques qui vont jusqu' rendre possible une "bio-

    technique" font natre chez certains d'entre nous une fascination qui n'a d'gal que les inquitudesnouvelles qu'une telle puissance peut faire natre.

    Il n'est plus aussi certain aujourd'hui que, comme on a pu le croire au dbut du sicle dernier, pro-grs technique et bonheur aillent de paire, la technique parce qu'elle appartient de faon pleine et en-tire la sphre des changes et de la production peut tout autant tre un outil de libration qu'un

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    moyen d'alination, les machines peuvent pargner l'homme un travail pnible comme elle peu-vent rduire son autonomie dans le travail, comme ce fut le cas lorsque furent mises en place lespremires chanes de production industrielle.

    De mme la matrise de l'homme sur la nature lui fait parfois oublier qu'il doit, au moins par pru-dence, tre attentif la prservation de son environnement de faon ne pas rendre de plus en plusdifficile sa survie sur la plante et conserver son milieu naturel une richesse biologique et esth-tique dont il aime apprcier le spectacle.

    Face cette fascination des hommes pour la puissance dont ils se croient dtenteurs, il convientde ne pas oublier que la technique ne concerne que l'univers des moyens dont nous disposons et queces moyens ne doivent en rien nous imposer notre manire d'tre et d'agir, qu'ils ne contiennent pasen eux-mmes une fin laquelle nous ne pourrions chapper.

    Il ne faut pas en effet se contenter de poser la question "comment faire ?", il faut aussi poser laquestion "pour quoi faire ?".

    Il ne faut pas, pour reprendre les formules de Kant qui distingue dans la Critique de la raisonpratique l'impratif technique et la loi morale, se contenter d'obir l'impratif hypothtique qui estsimple calcul des moyens en vue d'une fin, il faut surtout avoir le souci de se conformer un imp-ratif catgorique qui consiste comme le prcise Kant dans Les fondements de la mtaphysique desmurs :

    "Agis de telle sorte que tu traites l'humanit aussi bien dans ta personne que dans lapersonne de tout autre toujours en mme temps comme une fin, et jamais simplementcomme un moyen."

    3.5 Conclusion Il est donc ncessaire dans le cadre d'une rflexion philosophique sur la technique de s'interroger

    sur la question des fins que l'homme poursuit l'aide des moyens qu'il peut inventer grce son in-gniosit, le progrs technique ne doit pas nous aveugler et nous ne devons pas nous laisser entra-ner par une volont dmesure de puissance sur la nature, la prouesse technique n'a en elle-mmerien de respectable si elle ne contribue pas rendre les hommes plus libres et plus sages.

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    4. Qu'est-ce que l'uvre d'art ?

    4.1 Introduction S'il est difficile de dfinir ce qu'est un uvre d'art, c'est principalement en raison de ce qu'il ne

    suffit pas pour la dfinir de se rfrer tel ou tel caractre objectif, comme on peut le faire pour d-finir ce qu'est un objet naturel ou utilitaire. Pour dfinir une uvre d'art nous devons galementprendre en considration l'effet qu'elle produit sur nous, le sentiment qu'elle nous inspire, dfinirune uvre d'art, c'est d'abord exprimer un jugement de got.

    Tout tableau, tout morceau de musique, tout texte n'est pas une uvre d'art, il ne suffit pas d'ali-gner des vers pour crire un vritable pome, de mme qu'il ne suffit pas de dposer de la peinturesur une toile pour crer une vritable uvre picturale. Ainsi, si nous savons tous ce qu'est l'art, iln'empche qu'il nous est souvent difficile d'expliquer pourquoi nous qualifions tel objet d'uvred'art et pas tel autre, une rflexion sur l'art se doit donc de dbuter par une rflexion sur le jugementesthtique.

    4.2 Le jugement de got Avant toute chose l'uvre d'art est d'abord un objet matriel cr par l'homme, mais la diff-

    rence de l'objet technique elle n'est pas cre dans un but purement utilitaire. Cependant il n'est pasabsolument certain que les premiers artistes aient eu pleinement conscience de la diffrence fonda-mentale sparant leurs uvres de celles des artisans. Ainsi, si nous voyons dans les dessins des grot-tes de Lascaux un produit de l'art, parce que nous y reconnaissons la manifestation de l'esprit hu-main dans ce qu'il a de plus profond, et en raison de l'motion esthtique que cela nous procure, ilest peu probable que les contemporains de ces uvres les aient interprtes de la mme manire.Cependant, ce qui fait que nous qualifions ces objets d'uvre, c'est qu'ils ont un sens allant au-delde leur simple fonction initiale, c'est que leur fin n'est pas de satisfaire un quelconque besoin mat-riel de l'homme.

    Ce qui donne tout d'abord son sens l'uvre d'art, c'est principalement la satisfaction qu'elle nousprocure du fait de sa forme, ce que nous appelons communment sa beaut. Il convient donc de r-pondre prcisment la question : "Qu'est-ce que le beau ?" pour expliquer ce qu'est l'uvre d'art.

    Et nous commencerons tout d'abord par diffrencier le beau de l'agrable.

    4.2.1 Le beau et l'agrable Comme nous l'avons prcis auparavant, l'uvre d'art est tout d'abord un objet matriel et sensi-

    ble, puisque c'est par les sens que nous entrons en relation avec l'uvre d'art, nous serions tents depenser que la satisfaction qu'elle nous procure relve du plaisir sensible. Or ce qui procure du plaisiraux sens relve de l'agrable, peut-on assimiler le beau et l'agrable?

    D'agrable, nous qualifions tout objet susceptible de flatter immdiatement nos sens en rpondant un dsir, voire mme un besoin physiologique, ainsi il est agrable de boire de l'eau frache lors-que l'on a soif ou de s'installer dans un fauteuil confortable lorsque l'on est fatigu. Peut-on compa-rer de telles satisfactions celles que procure l'uvre d'art ? L'exprience du jugement esthtiquesemble prouver que non.

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    En effet si le beau tait comparable l'agrable comment pourrions nous expliquer que nous ap-prcions dans une uvre la reprsentation de scnes pnibles, pouvant exprimer la souffrance hu-maine et pouvant procurer un sentiment d'angoisse par exemple. Sauf considrer que l'amateurd'art est un pervers complet, il est extrmement difficile d'expliquer une telle chose.

    Ainsi, par exemple, comment expliquer que nous puissions apprcier et trouver beau ce pome deBaudelaire qui nous dcrit une charogne, le cadavre en putrfaction d'un animal dont le spectaclepourrait nous tre insoutenable dans la ralit et n'aurait donc rien de plaisant.

    UNE CHAROGNE Rappelez-vous l'objet que nous vmes, mon me,

    Ce beau matin d't si doux : Au dtour d'un sentier une charogne infme

    Sur un lit sem de cailloux, Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,

    Brlante et suant les poisons, Ouvrait d'une faon nonchalante et cynique

    Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

    Comme afin de la cuire point, Et de rendre au centuple la grande Nature

    Tout ce qu'ensemble elle avait joint; Et le ciel regardait la carcasse superbe

    Comme une fleur s'panouir La puanteur tait si forte, que sur l'herbe

    Vous crtes vous vanouir. Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

    D'o sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un pais liquide

    Le long de ces vivants haillons. Tout cela descendait, montait comme une vague,

    Ou s'lanait en ptillant; On et dit que le corps, enfl d'un souffle vague,

    Vivait en se multipliant. Et ce monde rendait une trange musique,

    Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique

    Agite et tourne dans son van4.1. Les formes s'effaaient et n'taient plus qu'un rve,

    Une bauche lente venir,

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    Sur la toile oublie, et que l'artiste achve Seulement par le souvenir.

    Derrire les rochers une chienne inquite Nous regardait d'un oeil fch,

    piant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lch.

    Et pourtant vous serez semblable cette ordure, A cette horrible infection,

    toile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion !

    Oui ! telle vous serez, la reine des grces, Aprs les derniers sacrements,

    Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.

    Alors, ma beaut ! dites la vermine Qui vous mangera de baisers,

    Que j'ai gard la forme et l'essence divine De mes amours dcomposs !

    LES FLEURS DU MAL De mme le tableau de Rembrandt intitul le Buf corch s'il nous inspire une intense motion

    esthtique, ne peut proprement parler tre qualifi d'agrable. Si l'uvre d'art nous procure une satisfaction c'est donc qu'elle s'adresse une autre partie de

    nous-mmes, notre esprit plus qu' nos sens, qu'elle ne satisfait en nous aucun intrt sensible, cequi fera d'ailleurs dire Kant dans La critique de la facult de juger esthtique :

    "Le got est la facult de juger d'un objet ou d'un mode de reprsentation par unesatisfaction ou une insatisfaction dgage de tout intrt. L'objet d'une semblablesatisfaction s'appelle beau."

    En effet plus que son contenu, ce qui nous touche et qui nous intresse dans l'uvre c'est saforme, la manire dont les couleurs sont agences sur le tableau, dont les sons sont ordonns dans lemorceau de musique, il y a l un jeu de l'esprit qui nous intrigue par son mystre.

    Mais l'uvre d'art ne peut non plus se rduire sa simple forme elle nous touche galement parson sens et sa signification, non pas que l'art ne soit qu'un moyen pour transmettre un message, maisil est plutt ce en quoi et par quoi forme et contenu sont ce point unis qu'en lui s'exprime une vri-t que le langage ordinaire ne peut formuler, qu'en lui transparat un aspect de l'tre qui ne peut tredit.

    Il y a semble-t-il dans l'uvre d'art et le jugement de got un mystre irrductible tout discourset toute dfinition. Ainsi le beau par lequel nous qualifions l'uvre d'art ne peut absolument pastre dfini partir de critres objectifs, aucune dfinition conceptuelle du beau ne peut tre formu-le. Emmanuel Kant crit d'ailleurs dans la critique de la facult de juger Esthtique que :

    "le beau est ce qui plat universellement sans concept"

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    Cependant si le jugement de got n'est dtermin par aucun intrt sensible, ni dtermin par au-cun concept, il n'empche que lorsque nous jugeons de la valeur d'une uvre tout se passe comme sicette dernire formait elle seule un tout, une unit, mme si n'tant pas un objet utile elle ne pour-suit aucune fin (l'uvre d'art ne sert rien, elle contient en elle-mme sa propre fin, elle est elleseule sa propre fin), tout se passe comme si elle ralisait pleinement ce qu'elle est, comme l'outilparfait qui ralise pleinement sa fonction, c'est pourquoi Kant dira galement du beau qu'il est

    "la forme de la finalit sans fin."

    En dernier lieu nous pouvons galement remarquer propos du jugement de got qu'il nous sem-ble toujours que la beaut que nous accordons bien qu'tant le rsultat de l'effet qu'elle produit surnotre subjectivit est comme une qualit de l'objet lui-mme, indpendante de notre jugement per-sonnel. En effet si aucun intrt sensible et personnel n'est satisfait par l'uvre nous ne pouvonsporter un jugement sur l'uvre qu'en supposant que tout le monde, que tout homme quel qu'il soit nepeut que juger comme nous jugeons, c'est pourquoi Kant dira du beau qu'il est

    "l'objet d'une satisfaction ncessaire."

    C'est pourquoi, toujours selon Kant le jugement de got est un jugement singulier, il n'est ni unjugement par lequel je dfinis un caractre objectif d'un objet en lui appliquant un concept (lorsqueje dis que cette table est rectangulaire, j'applique l'objet table le concept de rectangle), ni un juge-ment personnel se fondant sur la complexion particulire de ma sensibilit, il s'agit de ce que Kantnomme un jugement rflchissant, je reconnais dans l'uvre d'art quelque chose d'universel, mais jen'applique pas l'universel au particulier, c'est plutt l'objet particulier qui voque en moi quelquechose d'universel, que je perois comme devant valoir pour tout homme jugeant ma place.

    Il nous faut cependant pour terminer voquer un problme qui peut-tre n'est pas suffisammentdvelopp chez Kant, celui de savoir si le beau est la seule valeur esthtique possible. En effet, lors-que nous contemplons une uvre d'art, mme si nous ne parvenons pas la considrer comme belle,il n'empche qu'en celle-ci nous apparat un aspect du rel, de l'tre, que la ralit quotidienne nouscache et qui se rvle par la reprsentation.

    4.3 Art et vrit Ainsi si nous prenons l'exemple d'une nature morte, qui finalement ne reprsente que des objets

    qui dans la ralit quotidienne ne prsentent aucun caractre spcifique qui puisse nous mouvoir ounous procurer une satisfaction esthtique, ces objets reprsents se mettent soudain exister d'unautre manire, ils ne sont plus ce qu'ils sont habituellement, ils sont plus que ce qu'ils sont habituel-lement. De ce point de vue il nous est permis d'affirmer avec Henri Bergson le rapport troit qui unitl'Art et la Philosophie :

    "La philosophie n'est pas l'art, mais elle a avec l'art de profondes affinits. Qu'est-ceque l'artiste ? C'est un homme qui voit mieux que les autres car il regarde la ralit nueet sans voiles. Voir avec des yeux de peintre, c'est voir mieux que le commun desmortels. Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, nous ne le voyons pas, parce quece que nous voyons, ce sont des conventions interposes entre l'objet et nous ; ce quenous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnatrel'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodit la vie. Mais celuiqui mettra le feu toutes ces conventions, celui qui mprisera l'usage pratique et lescommodits de la vie et s'efforcera de voir directement la ralit mme, sans rieninterposer entre elle et lui, celui-l sera un artiste. Mais ce sera aussi un philosophe,avec cette diffrence que la philosophie s'adresse moins aux objets extrieurs qu' lavie intrieure de l'me."

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    Dans ce texte Bergson montre effectivement que l'artiste comme le philosophe a un rapport parti-culier la vrit, l'artiste est celui qui cherche voir la ralit "nue et sans voile", c'est--dire totale-ment dgage des dterminations que nous accolons aux objets du fait mme de l'usage que nous enfaisons. La question qui se pose nous maintenant est donc celle de savoir ce qui fait que l'artisteest ce point capable de nous procurer cette motion esthtique et de nous mettre face l'tre mmedes choses par le moyen de la reprsentation. Cette capacit, c'est ce qu'il faut nommer le gnie.

    4.4 La question de la cration artistique Avant d'aborder la question de la cration artistique proprement parler, il convient de dfinir

    plus prcisment le sens du verbe crer, crer signifie tout d'abord, donner l'tre, produire quelquechose de nouveau qui n'existait pas avant l'acte mme de cration. La question qu'il nous faut donctout d'abord nous poser est celle de savoir ce que cre l'artiste et en quoi consiste son pouvoir decration? Il cre une uvre et cette uvre est une au sens strict car elle est unique, elle est originaleet manifeste un style qui est propre son crateur. C'est d'ailleurs, en partie cela qui fait le paradoxede l'uvre d'art dont nous avons dj parl propos du jugement de got.

    4.4.1 Le paradoxe de l'uvre d'art L'uvre d'art est toujours l'uvre d'un individu particulier et c'est la prsence de cette puissance

    de crer qui lui est propre et qui nous satisfait, nous charme et nous ravit dans son uvre ; maiscette uvre dpasse la particularit mme de son crateur en ce que prcisment elle nous touche etsatisfait en nous autre chose que notre particularit ou individualit.

    Comme nous l'avons dj soulign le jugement de got qui peut tre port sur une uvre n'est paspurement personnel, mais touche en nous ce qui dpasse la simple subjectivit particulire, il relved'une universalit subjective. Je dirai en effet face une uvre d'art "c'est beau" et non "a meplat". Ce que je juge beau me procure un sentiment d'unit, d'harmonie, d'ordre, mais cet ordresemble inexplicable, indmontrable, comme s'il obissait une rgle ne pouvant tre formule.Comme l'crit Alain dans le Systme des beaux arts :

    "Ainsi la rgle du beau n'apparat que dans l'uvre et y reste prise, en sorte qu'elle nepeut servir jamais d'aucune manire, faire une autre uvre."

    Cette capacit de l'artiste crer une uvre selon une rgle singulire est indissociable de cequ'elle ordonne, cette capacit de crer, d'engendrer, de gnrer dans un mme acte l'uvre et la r-gle qui prside son unit est le gnie, talent que dfinit Kant dans le texte que nous allons mainte-nant lire et commenter :

    LES BEAUX-ARTS SONT LES ARTS DU GNIE. Le gnie est le talent (don naturel), qui donne les rgles l'art. Puisque le talent,comme facult productive inne de l'artiste, appartient lui-mme la nature, onpourrait s'exprimer ainsi : le gnie est la disposition inne de l'esprit (ingenium) parlaquelle la nature donne les rgles l'art. Quoi qu'il en soit de cette dfinition, qu'ellesoit simplement arbitraire, ou qu'elle soit ou non conforme au concept que l'on acoutume de lier au mot de gnie (ce que l'on expliquera dans le paragraphe suivant), onpeut toutefois dj prouver que, suivant la signification en laquelle ce mot est pris ici,les beaux-arts doivent ncessairement tre considrs comme des arts du gnie. Toutart en effet suppose des rgles sur le fondement desquelles un produit est tout d'abordreprsent comme possible, si on doit l'appeler un produit artistique. Le concept desbeaux-arts ne permet pas que le jugement sur la beaut de son produit soit driv d'unergle quelconque, qui possde comme principe de dtermination un concept, et par

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    consquent il ne permet pas que l'on pose au fondement un concept de la manire dontle produit est possible. Aussi bien les beaux-arts ne peuvent pas eux-mmes concevoirla rgle d'aprs laquelle ils doivent raliser leur produit. Or puisque sans une rgle quile prcde un produit ne peut jamais tre dit un produit de l'art, il faut que la naturedonne la rgle l'art dans le sujet (et cela par la concorde des facults de celui-ci) ; end'autres termes les beaux-arts ne sont possibles que comme produits du gnie. On voitpar l que le gnie : 1 est un talent, qui consiste produire ce dont on ne sauraitdonner aucune rgle dtermine; il ne s'agit pas d'une aptitude ce qui peut tre apprisd'aprs une rgle quelconque; il s'ensuit que l'originalit doit tre sa premireproprit ; 2 que l'absurde aussi pouvant tre original, ses produits doivent en mmetemps tre des modles, c'est--dire exemplaires et par consquent, que sans avoir teux-mmes engendrs par l'imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesureou de rgle du jugement; 3 qu'il ne peut dcrire lui-mme ou exposer scientifiquementcomment il ralise son produit, et qu'au contraire c'est en tant que nature qu'il donne largle; c'est pourquoi le crateur d'un produit qu'il doit son gnie, ne sait pas lui-mme comment se trouvent en lui les ides qui s'y rapportent et il n'est en son pouvoirni de concevoir volont ou suivant un plan de telles ides. ni de les communiquer auxautres dans des prceptes, qui les mettraient mme de raliser des produitssemblables. (C'est pourquoi aussi le mot gnie est vraisemblablement driv de genius,l'esprit particulier donn un homme sa naissance pour le protger et le diriger, etqui est la source de l'inspiration dont procdent ces ides originales) ;4 que la naturepar le gnie ne prescrit pas de rgle la science, mais l'art; et que celan'est le cas que s'il s'agit des beaux-arts.

    Kant, Critique de la facult de juger.

    4.4.1.1 Commentaire :

    4.4.1.1.1 INTRODUCTION :

    4.4.1.1.1.1 Thme :

    Dfinition du gnie

    4.4.1.1.1.2 Thse :

    "Le gnie est le talent qui donne les rgles l'art."

    En tant que talent le gnie ne peut rsulter d'une acquisition, d'un apprentissage et provenir de latransmission d'une rgle pouvant tre extraite de l'uvre. Il est donc l'origine mme de la rgleprsidant l'unit de l'uvre, l'artiste cre donc dans un mme acte la rgle et l'uvre. (Cela ne si-gnifie pas pour autant que le gnie cre sans rien apprendre et sans effort, comme tout ce qui est na-turel en l'homme le gnie se cultive).

    4.4.1.1.1.3 Problme :

    Qu'est donc cette rgle qui ne peut tre formule ? Comment expliquer sa constitution dans l'es-prit de l'artiste ?

    Par la nature : "Le gnie est la disposition inne de l'esprit par laquelle la nature donne les rgles l'art."

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    Le problme auquel nous allons donc tre confront est celui du rapport entre l'art et la nature. Nature : Domaine de la rgularit physique, mcanique dans laquelle tout obit des lois,

    des rapports que l'entendement peut saisir de manire objective, les lois de la nature que lessciences peuvent formuler.

    Art : Activit de l'esprit qui apparat prcisment comme se dtachant des mcanismes natu-rels pour produire une satisfaction subjective. Comment donc la nature peut-elle produire cequi la dpasse ?

    4.4.1.1.1.4 Enjeu :

    Quel est le vritable statut du gnie ? N'y-a-t-il de gnie que dans l'art ? (CF. la dernire phrase dutexte )

    "Le gnie ne prescrit pas de rgle la science, mais l'art; et que cela n'est le cas ques'il s'agit des beaux arts."

    4.4.1.1.2 DVELOPPEMENT :

    4.4.1.1.2.1 1 - Dfinition du gnie.

    "Le gnie est le talent (don naturel), qui donne les rgles l'art. Puisque le talent,comme facult productive inne de l'artiste, appartient lui-mme la nature, onpourrait s'exprimer ainsi : le gnie est la disposition inne de l'esprit (ingenium) parlaquelle la nature donne les rgles l'art."

    Il semblerait que la nature dispose certains esprits la cration artistique, la nature est donc iciprsente comme puissance cratrice, gnratrice du talent et du gnie. Elle est considre commene se rduisant pas une puissance physique et matrielle puisqu'elle est prsente comme ce quidispose l'esprit, tout se passe un peu comme si la nature disposait d'un pouvoir mystrieux de pro-duire le beau, non pas seulement sous sa forme naturelle, mais sous une forme plus spirituelle parl'intermdiaire du gnie qu'elle engendre. On peut donc dire que ds le premier paragraphe de cetexte le problme est dj pos et il se trouve d'ailleurs prcis dans le second paragraphe qui dfinitles beaux arts comme

    "les arts du gnie".

    4.4.1.1.2.2 2 Aucune autre activit de l'esprit ne fait appel au gnie.

    "Quoi qu'il en soit de cette dfinition, qu'elle soit simplement arbitraire, ou qu'elle soitou non conforme au concept que l'on a coutume de lier au mot de gnie (ce que l'onexpliquera dans le paragraphe suivant), on peut toutefois dj prouver que, suivant lasignification en laquelle ce mot est pris ici, les beaux-arts doivent ncessairement treconsidrs comme des arts du gnie."

    Ni la science, qui consiste extraire la rgle de l'objet et formuler une loi, ni la technique, quiconsiste utiliser la rgle en vue d'une fin utilitaire ne font appel au gnie. Tout ceci trouve son ex-plication dans le 3 paragraphe.

    4.4.1.1.2.3 3

    "Tout art en effet suppose des rgles sur le fondement desquelles un produit est toutd'abord reprsent comme possible, si on doit l'appeler un produit artistique. Leconcept des beaux-arts ne permet pas que le jugement sur la beaut de son produit soit

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    driv d'une rgle quelconque, qui possde comme principe de dtermination unconcept, et par consquent il ne permet pas que l'on pose au fondement un concept dela manire dont le produit est possible. Aussi bien les beaux-arts ne peuvent pas eux-mmes concevoir la rgle d'aprs laquelle ils doivent raliser leur produit. Or puisquesans une rgle qui le prcde un produit ne peut jamais tre dit un produit de l'art, ilfaut que la nature donne la rgle l'art dans le sujet (et cela par la concorde desfacults de celui-ci) ; en d'autres termes les beaux-arts ne sont possibles que commeproduits du gnie."

    Si l'art a quelque chose voir avec la technique, c'est parce qu'il relve de la production, et en cesens tout produit artistique suppose une rgle dterminant sa production. Rgle

    : Formule indiquant la voie suivre pour produire un objet en fonction d'un certain nombre deconditions le rendant possible.

    Exemple : Un outil ne peut tre fabriqu que selon une rgle le dfinissant, prcisant sa fonction etdterminant sa taille, le matriau utiliser ainsi que sa forme. La rgle peut donc treformule objectivement et abstraitement, c'est--dire spare de l'objet partir du conceptduquel elle est tire.

    Concept : Dfinition gnrale de l'objet.

    Mais ce qui vaut pour la technique ne vaut pas pour les beaux arts : "Le concept des beaux arts ne permet pas que le jugement sur la beaut de son produitsoit driv d'une rgle quelconque, qui possde comme principe de dtermination unconcept..., "

    Seul le gnie permet la cration artistique. Autrement dit le gnie est la condition de possibilit del'uvre d'art. L'uvre d'art ne peut rsulter d'un concept, d'une dfinition , puisque ce qui dfinitl'uvre d'art, c'est prcisment sa singularit, son unicit; mais elle ne peut non plus provenir du purhasard, d'aucune rgle car sinon rien ne rendrait possible cette unit

    "...sans une rgle qui le prcde un produit ne peut jamais tre dit un produit de l'art. "

    Il faut donc que la nature permette cette synthse du particulier et du gnral qui rend possiblel'uvre d'art, sa singularit

    "par la concorde des facults de celui-ci"

    Quelles sont ces facults? L'imagination :

    Facult permettant de se reprsenter le particulier L'entendement :

    Facult permettant de se reprsenter le gnral C'est cette accord mystrieux qui est rendu possible par la nature dans le gnie.

    4.4.1.1.2.4 4

    De cette ncessit de supposer le gnie comme condition de possibilit de l'uvre d'art Kant endduit les diverses caractristiques, les proprits du gnie. L'originalit

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    : Ce qui n'a pas son pareil, ce qui provient d'une origine unique. En tant que producteur de lapropre rgle de l'art, il ne peut en tre autrement (Il n'y a d'art vritable que dans la cration etnon dans l'imitation.)

    L'exemplarit : L'absence de rgle pouvant tre formule ne signifie pas pour autant que n'importe quelleproduction puisse tre considre comme uvre d'art. L'originalit ne doit pas conduire l'absurdit - ce qui ne provient d'aucune rgle et n'a aucun sens. Pour viter cet cueil lesproduits de l'art doivent tre considrs, non comme des modles imiter, mais comme desexemples suivre - ce qu'il faut galer en qualit, les notions de mesure et de rgles renvoyant ce quoi le gnie peut tre compar.

    Le naturel : Le gnie n'est pas totalement matre de son talent, celui-ci a t dpos en un esprit particulierpar la nature, autrement dit l'individu doit se sentir dpass par ses propres capacits et sesproduits ne lui appartiennent pas en propre.

    Le gnie est le propre des beaux arts : La science et les arts mcaniques font principalement appel l'entendement et procdent parconcepts en dgageant les lois de la nature et en les appliquant ou en les utilisant selon unemthode pouvant tre formule indpendamment de l'acte mme de dcouvrir ou d'inventer.(discutable, car l'imagination cratrice n'est pas totalement absente de la dcouvertescientifique dans l'mission d'une hypothse.)

    4.5 Conclusion En dfinissant ainsi le gnie comme un talent mystrieux rsultant d'un don de nature permettant

    de produire un objet dont l'unit semble dpasser les lois mme de la nature, Kant ne nous met-ilpas en face de ce qui fait le caractre sacr de toute uvre d'art dans la mesure ou celle-ci nous pro-cure un sentiment de dpassement et d'lvation. De mme que l'artiste

    "ne peut dcrire lui-mme ou exposer scientifiquement comment il ralise son produit"

    et se sent investi d'un don qui le dpasse, celui qui contemple l'uvre se sent par elle reli unordre suprieur dont l'uvre serait l'image, un absolu, c'est--dire ce qui est soi-mme son propresens - ce qui n'est reli rien d'autre que soi pour tre pleinement.

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    5. L'histoire

    5.1 Introduction Les diffrents sens du mot HISTOIRE:

    HISTOIRE : rcit HISTOIRE : Science qui tudie le pass humain. HISTOIRE : La ralit historique

    5.1.1 Les diffrents problmes que pose la notion d'histoire :

    5.1.1.1 a) A propos de l'histoire comme science

    5.1.1.1.1 Problmes pistmologiques (lis a la connaissance)

    5.1.1.1.1.1 - Problme de la vrit historique

    Comment savoir ce qui s'est rellement pass ?

    5.1.1.1.1.2 - Problme de l'objet de l'histoire

    Qu'tudie rellement l'historien ?

    5.1.1.1.2 Problme mthodologique

    Les diffrentes mthodes pour comprendre et expliquer l'histoire.

    5.1.1.2 b) A propos de la ralit historique

    5.1.1.2.1 Problmes poss par la philosophie de l'histoire

    5.1.1.2.1.1 - Problme du sens de l'histoire

    5.1.1.2.1.2 - Pourquoi l'humanit volue-t-elle ?

    L'histoire est-elle oriente vers une fin prcise ? L'homme peut-il agir sur l'histoire pour en dterminer le cours ?

    5.2 La connaissance du pass 5.2.1 L'histoire comme science : La construction du faithistorique.

    Aussi paradoxal que cela puisse paratre le fait historique est construit par l'historien, cela ne si-gnifie pas que l'historien invente l'histoire et tire le fait de son imagination, cela veut dire que le fait

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    historique provient d'une reconstitution du pass par l'historien. En effet, la particularit de la science de l'histoire tient en ce que l'objet de celle-ci ne peut tre

    observ directement par l'historien lui-mme. Le pass tant par dfinition ce qui n'est plus, le tra-vail de l'historien consiste donc reconstruire le pass, reconstituer les faits historiques partirdes traces du pass qui subsistent dans le prsent, ces traces constituent le premier objet auquel s'in-tresse l'historien et qu'il tudie en dtail.

    Il s'agit de documents crits (administratifs ou littraires), de vestiges (poteries, outils, uvresd'art, monuments...), d'crits d'historiens anciens (ex : Thucydide V sicle av. J.C. : La guerre duPloponnse ; J. Csar : La guerre des gaules).

    Cela-dit il n'est pas toujours possible de faire confiance ces tmoignages qui peuvent tre erro-ns, les faits peuvent avoir t falsifis ou enjolivs en raison d'intrts personnels ; si le narrateurest partie prenante de la situation qu'il relate. Le narrateur d'un vnement peut mentir ou se trom-per, le rdacteur d'une lettre peut transformer ou cacher certains faits son correspondant, etc.

    La tche de l'historien consiste donc mener une enqute (un peu comme un dtective) afin dedcouvrir ce qui s'est rellement pass. Cette enqute constitue la critique historique, un travaild'analyse et de critique des documents et de toutes les traces relatives un fait ou une situation afinde reconstruire le pass partir de recoupements.

    (EX : Ce qu'on lit dans un texte se confirme lorsque l'on retrouve certains vestiges et que l'ontrouve d'autres rcits concordant, par contre il peut y avoir contradiction entre certains documents,ce qui implique que certains sont faux.)

    Mais l'histoire ne se limite pas la reconstruction et au rcit des faits, l'histoire moderne est deve-nue une science et n'est plus un simple genre littraire.

    5.2.2 La science de l'histoire comme reconstruction explicativedu pass

    5.2.2.1 La notion d'vnement

    L'histoire littraire consiste raconter le pass en accordant certains faits plus d'importance qu'd'autres ; ce sont ces faits que l'on qualifie d'vnements. vnement

    : Fait qui est jug plus important, plus marquant, voire plus dterminant qu'un autre ( ex: lemassacre de la St Barthlmy, la prise de la Bastille )

    L'histoire moderne va, au nom de ses prtentions scientifiques rejeter la notion d'vnement et nevoir en elle qu'un terme dsignant certains faits spectaculaires qui ne sont en ralit que des mani-festations superficielles de causes plus profondes : il n'y-a donc pas d'vnements qui soient forte-ment dterminants. L'histoire comme explication du pass, l'histoire scientifique moderne se refused'ailleurs tre une simple histoire vnementielle, elle se prsente avant tout comme une histoireexplicative du pass recherchant les causes profondes qui ont dtermin l'volution d'un peuple oude l'humanit une poque donne. Les vnements ne sont que l'cume, la manifestation de cescauses profondes ; d'autre part les "vnements" ont un autre inconvnient, ils masquent par leur as-pect spectaculaire d'autres faits qui sont aussi des objets pour l'historien. La science de l'histoire nes'intressera pas seulement aux faits politiques et militaires, elle tudiera galement l'volution artis-tique, scientifique , technique, de mme qu'elle pourra s'intresser aux habitudes quotidiennes(murs, coutumes, rgles de politesse, etc.)

  • 29

    5.2.2.2 La question de la mthode en histoire

    Pour illustrer par un exemple les mthodes utilises par les historiens modernes pour expliquer lepass nous citerons un ouvrage de l'historien franais Fernand Braudel :

    L 'histoire du monde mditerranen l'poque de Philippe II d'Espagne (I527 I598)

    Dans cet ouvrage, avant de s'intresser aux vnements F. Braudel tudie les diffrents ordres decauses et de facteurs qui ont dtermin l'volution du monde mditerranen cette poque. Il distin-gue donc 3 temps historiques correspondant aux rythmes d'volution des diffrents ordres de causesintervenant pour dterminer l'volution historique des peuples et de l'humanit.

    Un temps gographique : volution des rapports de l'homme avec son milieu Un tempe social : volution conomique et migration de population Un temps individuel : Histoire des vnements et des actions des individus, les grands hom-

    mes,etc... La science de l'histoire n'est donc pas un simple rcit du pass, mais une recherche des causes qui

    ont dtermin le pass, le problme est donc de savoir quels sont les types de causes qui jouent unrle prpondrant dans l'histoire ; sont-ce des causes purement humaines comme par exemple la vo-lont des grands hommes ; des causes plus impersonnelles comme les conditions gographiques,conomiques, etc. ?

    Comment toutes ces causes s'articulent-elles les unes par rapport aux autres ? Il semble que les historiens ne puissent rpondre ces questions sans procder une rflexion

    philosophique (explicite ou implicite) sur le sens de l'histoire, il suffit pour confirmer cela d'obser-ver les divergences d'interprtation propos d'une mme priode (par exemple la rvolution fran-aise), selon que l'historien sera chrtien et spiritualiste ou marxiste et matrialiste. La comprhen-sion de l'histoire ne peut donc aboutir que si l'explication de type scientifique s'accompagne d'unerflexion philosophique sur le sens de l'histoire.

    5.3 La philosophie de l'histoire 5.3.1 La question du sens de l'histoire

    L'histoire ne peut en effet se limiter la simple connaissance du pass humain, elle se dfinit ga-lement comme un processus d'volution de l'humanit, c'est une telle conception de l'histoire quiverra le jour la fin du XVIII sicle avec un auteur comme G.W.F. Hegel5.1 pour qui l'histoire sedfinit comme un dveloppement cohrent des socits humaines depuis les formes les plus primiti-ves jusqu'aux tats modernes les plus complexes et structures et qui tendent trouver leur accom-plissement dans la dmocratie librale et un capitalisme teint de social-dmocratie.

    Il y aurait un sens de l'histoire, une signification et une direction de l'histoire puisque celle-cis'orienterait vers une certaine fin, la ralisation de l'tat de droit.

    Mais avant d'aborder la question de la fin de l'histoire essayons tout d'abord de comprendre pour-quoi les hommes ont une histoire, pourquoi ils ne vivent pas comme les autres tres naturels dans unternel recommencement.

    5.3.2 Pourquoi les hommes ont-ils une histoire ? Selon Hegel l'origine de l'histoire humaine il y a le besoin ressenti par chaque conscience hu-

    maine d'tre reconnue par une autre conscience, besoin qui ne peut trouver de rponse que dans le

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    conflit et l'opposition des consciences. C'est ce processus qui est dcrit par Hegel dans un texte ex-trait de la phnomnologie de l'esprit qui se nomme la dialectique du matre et de l'esclave.

    5.3.2.1 La dialectique du matre et de l'esclave

    Dans ce texte Hegel nous dcrit la situation hypothtique dans laquelle pourrait se trouverl'homme primitif qui n'aurait jamais rencontr un de ses semblables. Cet homme n'aurait qu'uneconscience partielle de lui-mme dans la mesure o il ne ressentirait qu'une impression subjectived'exister qui demanderait tre confirme par une preuve objective.

    C'est cette preuve qui va lui tre fournie par la rencontre d'un de ses semblables. Face un trequi lui ressemble, mais dont l'humanit est encore incertaine, il va adopter une attitude de provoca-tion afin de tester la capacit de ce semblable mettre sa vie en jeu pour dfendre sa dignitd'homme, pour s'affirmer comme conscience. Si aprs cette provocation il s'enfuit c'est qu'il n'estqu'un animal pour qui ne compte que la survie du corps, si au contraire il accepte le combat, va sedrouler une lutte mort l'issue de laquelle le vainqueur va se faire reconnatre par le vaincu, nonpas en lui tant la vie, mais en le rduisant en esclavage afin qu'il reconnaisse la suprmatie du ma-tre.

    Ce rcit symbolique nous dcrit la source du processus historique par lequel l'humanit conquiertprogressivement sa dignit et sa libert.

    Il peut en effet sembler curieux que la conqute de la libert dbute par la violence et l'esclavage,mais c'est prcisment parce qu'elle commence ainsi que l'histoire va se construire comme un che-minement vers le rgne de la justice.

    En effet la relation matre esclave ne va offrir au vainqueur qu'une illusion de reconnaissance.Comment tre reconnu par un tre dont on nie l'humanit et la conscience en le rduisant l'tatd'objet, ``d'outil anim'' pour reprendre une formule d'Aristote ?

    C'est d'ailleurs au bout du compte l'esclave qui devient plus libre que le matre et qui par son tra-vail matrise le monde et rend le matre dpendant de lui.

    Il faut donc pour que l'humanit s'accomplisse parvenir une reconnaissance mutuelle de toutesles consciences dans le cadre d'une organisation de la socit instaurant une galit morale et politi-que des hommes entre eux.

    C'est ce type d'galit que mettent en place les dmocraties librales qui donnent chacun lesmme droits et les mmes devoirs dans le cadre d'un tat dans lequel, pour paraphraser J. J. Rous-seau, ``ce ne sont pas des hommes qui obissent d'autres hommes, mais des citoyens qui obissent des lois.''

    5.3.2.2 L'aspect dialectique de l'histoire

    Si l'on peut ainsi voluer de la violence vers le droit et la libert, si mme pour souligner un para-doxe encore plus tonnant la violence peut produire son contraire c'est parce que le processus histo-rique est dialectique, il obit ce que Hegel nomme "la ruse de la raison".

    Il y a selon Hegel une Raison qui domine l'histoire est qui utilise les passions humaines pour par-venir ses fins, ainsi la recherche de l'intrt individuel sert l'intrt gnral et les ambitions dme-sures des grands hommes de l'histoire contribuent le plus souvent au dpassement de la situationprsente pour atteindre un stade suprieur de l'histoire humaine.

    Autrement dit la guerre peut aider construire la paix et la violence peut participer l'avnementdu rgne du droit.

    Cela ne peut se comprendre qu'en affirmant le caractre dialectique de l'histoire humaine.

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    L'histoire tant le domaine du devenir, elle a longtemps t considre comme celui de l'irrationa-lit, le devenir tant mlange d'tre et de non-tre, il tait considr comme relevant ncessairementde la contradiction et de l'incohrence. Ce que d'ailleurs le spectacle de l'histoire confirme puisquecelle-ci est le thtre de nombreuses violences, guerres et souffrances. Il n'est donc pas venu l'es-prit des hommes et des philosophes en particulier que l'histoire puisse avoir un sens, il faut attendrele sicle des lumires puis la rvolution franaise pour que cette ide germe dans les esprits.

    Auparavant l'histoire avait toujours t considre comme le domaine de la dcadence et de l'alt-ration des tres, c'est par exemple ce que laisse entendre Platon dans le Livre VIII de La Rpubliquelorsqu'il expose sa thorie de la dgnrescence des gouvernements, ou Machiavel dans le discourssur la premire dcade de Tite Live lorsqu'il expose une conception cyclique de l'histoire.

    Seul un auteur avait dans l'antiquit envisag positivement le devenir, il s'agit d'Hraclite, penseurprsocratique qui dfinissait l'harmonie comme l'union des contraires.

    C'est d'ailleurs en rfrence Hraclite que Hegel laborera sa philosophie de l'histoire et insiste-ra sur la logique dialectique qui prside la rationalit historique. Cette logique consiste en ce que,au cours de l'histoire, les termes opposs se dpassent pour donner naissance un troisime termesuprieur aux deux premiers. Tout comme dans un dialogue authentique, o deux avis contrairessont confronts pour que chacun puisse progresser dans la pense et approcher de la vrit, dans laralit historique la ngation d'une situation par une autre entrane l'apparition d'une troisime situa-tion suprieure aux deux prcdentes, la synthse n'tant pas l'addition ou un compromis de la thseet de l'antithse, mais un dpassement de leur opposition pour donner naissance quelque chose denouveau.

    5.3.2.2.1 Exemple :

    un processus de type rvolutionnaire (la rvolution franaise) Affirmation de la thse = L'ancien rgime Ngation de la thse ou antithse = destruction de ce rgime par l'acte mme de la rvolution Ngation de la ngation ou synthse = Fin de la rvolution et instauration d'un nouveau r-

    gime fond sur d'autres principes

    5.4 Conclusion La fin de l'histoire ou le rgne du droit

    C'est donc dans le cadre de ce processus dialectique que l'histoire qui s'initie dans la violence valentement progresser vers la constitution d'un tat dans lequel tout sera ordonn par la Raison, l'tatde droit, tat dans lequel les structures politiques et juridiques permettront une vritable reconnais-sance mutuelle des hommes entre eux.

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    6. Le droit

    6.1 Introduction "J'ai le droit", que signifie cette expression ? Deux significations peuvent tre retenues pour dfinir et expliciter le sens de cette expression,

    tout d'abord "avoir le droit" c'est tre autoris, par la loi en vigueur l'intrieur de la socit dans la-quelle on vit, faire quelque chose, mais il est galement possible de considrer qu'on a le droit defaire ce que la loi interdit lorsque l'on juge que celle-ci est injuste. Ainsi d'un cot il y a la loi del'tat, celle qui est crite et conserve dans des codes contenant l'ensemble de la lgislation d'un payset de l'autre il y aurait la loi suprieure celle qui exprime l'essence mme du juste et de l'injuste etque l'on percevrait en notre con