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    MAITRISE EN DROITFORMATION CONTINUE2003/2004

    D168HISTOIRE DES IDES POLITIQUES

    APRS 1789

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    INTRODUCTIONGNRALE

    I. LECONCEPTDHISTOIREDESIDESPOLITIQUES

    Le concept dhistoire des ides politiques suppose une successiondides. Les ides sont issues dun long travail de tradition. Il existedes familles dides politiques qui se transmettent de gnrationsen gnrations. Si chaque penseur dispose bien de sa propreidentit, il hrite des traditions et de la famille dides au sein de

    laquelle il sinscrit. Aujourdhui, nous vivons dans socit o latradition se perd, cest la culture du nouveau. Malgr cela, tout chacun a une propension naturelle aller et appartenir un groupe; ce phnomne est identique sur le plan de la pense et des ides.

    II. LECONCEPTDIDE

    Les thoriciens purs forment un premier groupe un peu dconnect

    de la ralit ; la cohrence de leurs modles se suffit elle-mme.Alexis de Tocqueville a t un grand penseur pourvoyeur dides.

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    Une fois mises, les ides ont une vie propre, elles sont autonomessans toutefois conserver de signification constante au fil du temps.La guerre est par exemple une ide qui a t plusieurs fois reprisepar des camps politiques diffrents. Une ide politique peut doncavoir des connotations diffrentes au fil du temps.

    III. LECONCEPTDEPOLITIQUE

    Il faut en premier lieu bien comprendre que la politique nest pas dutout juxtapose avec le monde des ides. Waldeck Rousseau,prsident du conseil sous la IIIme Rpublique, a tmoign de ladiffrence entre la ralit et le monde des ides : un programmenest pas fait pour tre appliqu, ds lors quil est appliqu, il cessepar l mme dexister .

    IV. LECONCEPTDUTOPIE

    LUtopie est le pays de nulle part tel que le dcrivait Thomas More(1478-1535) dans son ouvrage. Le mot est rest dans le langagecourant mais il dsignait la base la rpublique idale que dcrivaitMore comme un nouveau monde ressemblant lAngleterre delpoque, cest--dire divise en conts et peupls de commerantset de marins.

    La vie sociale en Utopie est rgle par un impratif, celui que nul nedoit tre oisif. Lemploi du temps est stricte, tout y est trs norm ycompris les tenues vestimentaires. La question essentielle danscette socit est de savoir quest-ce que le bonheur et comment yaccder.

    Lobjectif de More est de sadresser aux socits traditionnellesstatiques et guides lpoque par linvisible ; lindividu y avait unsens sinscrivant dans une conception socitale de linvisible.LUtopie est en quelque sorte le rve de loccident, croyant enlhomme et bas sur les socits traditionnelles.

    V. LECONCEPTDEMILLNARISME

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    TITRE I

    LES IDES POLITIQUESDE 1789 1848

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    LCHO DE LARVOLUTION FRANAISE1789 1814

    I. LE PRLUDE DE LA CHUTE DE LANCIEN RGIME

    lorigine de cette chute, se situe la conjonction entre loppositionsystmatique des parlements et la faiblesse de Louis XVI quifinalement dbouchait sur limpossibilit deffectuer les rformespourtant ncessaires (dune faon gnrale, les rvolutions sontsouvent le fruit de privilgis insatisfaits). Le dficit croissant desfinances publiques tait considrable, la noblesse et le clerg ontrefuser de contribuer plus : la rvolution est ne de la rvolte desnobles manifestant leur mcontentement politique et nacceptantpas lavnement de la monarchie absolue. La bourgeoisie quant elle esprait lgalit absolue, do le recours la vielle institution

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    des tats gnraux. Cependant, pour pouvoir faire ces rformes, ilaurait fallu sappuyer sur le tiers-tat.

    II. LARVOLUTIONBOURGEOISEDE 1789

    Le conflit souvre sur le problme du vote par ordre ou par tte,problme qui dbouchera sur une vritable rvolution juridique linstigation de Sieys. Le tiers-tat suivi par une partie du clergsomme les privilgis de se runir. Les tats gnraux setransforment en assemble nationale. Le roi opte pour la fermet etordonne la sparation, toutefois, par faiblesse, il ne fit rien etlassemble se proclama ds lors constituante. Une milice fut creet la bastille fut prise. Cherchant jouer lapaisement, le roi semontre avec la cocarde, cependant, la faiblesse du roi quereprsente cette dernire, a acclr la dilution de la monarchie.Une constitution fut labore ainsi que la Dclaration universelledes droits de lhomme et du citoyen de 1789 (DUDH). La fuite du roi Varenne constitua ds lors en un point de rupture.

    III. LARADICALISATIONDELARVOLUTION

    Le 21 septembre 1792 voit le renversement de la monarchie etlavnement de la Rpublique. Les Jacobins prennent le pouvoir. Leroi est guillotin en 1793 ; Saint-Just dira qu on ne gouverne pasinnocemment . La terreur commence en mai 1793 pour finir lafin 1794. Robespierre dirige la France et limine tout ceux qui sursa gauche tentent de le dborder : Danton et les enrags serontlimins. En octobre 1795, Robespierre est limin son tour.Saint-Just fait partie du comit de sret gnral. Bonaparte clos larvolution le 9 novembre 1799 par le biais de son coup dtat.

    Si lon revient un instant sur la rvolution elle-mme, Robespierreapparat comme le mchant alors quil tait beaucoup pluspacifique que ce que lon a cru ; les apparences sont donctrompeuses. Concernant la position de Saint-Just, penser que larvolution est un enchanement inluctable dvnements logiquesest totalement faux ; la situation aurait trs bien pu tre rtablie

    nimporte quel moment.

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    SECTION 1SIEYS OU LA SOUVERAINET NATIONALE

    I. UNEPERSONNALITEXCEPTIONNELLE

    Emmanuel Sieys (1741 - 1848) est un personnage nigmatiquemais trs fin politicien. Il fait carrire dans le clerg commeadministrateur. Avant les tats gnraux, il dicte un ouvrage sur quest-ce que le tiers-tat ; envoy aux tats gnraux, il vadevenir une personnalit trs rapidement. Trs vite, il va galementse murer dans un mutisme complet : le silence du citoyen Sieysest une calamit sans nom . Avec thermidor, Sieys cumul les

    horreurs, il devient directeur, ambassadeur Berlin et va prparerle coup dtat de Napolon. Cherchant une pe, il va tomber sur le

    jeune Bonaparte qui lisolera progressivement. Il prendra sarevanche avec la chute de Napolon et sexilera jusquen 1830.

    II. LANATION

    Sieys appelle sa doctrine lart social soit lart dassurer et

    daugmenter le bonheur des nations. Il se considre comme lesauveur. Une fois sorti de son silence il dira que la politique estune science que je crois achever , toutefois, on peine trouverdans ses crits une quelconque forme dachvement. Le pointcentral de sa pense restera le concept de nation.

    La nation est tout dabord antiroussoiste :

    Sieys pense que Rousseau a confondu la nature et idal. Lasocit et idale, pas le retour linorganisation. La nation est,dans ce contexte, un corps social organis :

    - la nation et librale : elle est compose dindividus indpendantsles uns des autres tout en tant gaux sur le plan juridique. Lanation et plus quune addition, cest une combinaison ;- la nation et mtaphysique : elle est transcendante, cest--direque lindividu ne reprsente pas sa fraction dans la communaut

    mais quil a toujours la nation au-dessus de lui et que celle-ci doitprimer.

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    Sieys est un idologue ; la nation et pour lui une reprsentationintellectuelle. Elle ne se cre pas elle-mme, elle existe par le droitnaturel et juste besoin dune organisation pour fonctionner ; cetteorganisation sappelle la constitution.

    III. LA CONSTITUTION

    Sieys sen attribue la paternit. Le principe dominant de celle-cirepose sur le fait que lensemble des citoyens a le droit de dciderde son gouvernement mais sans mandat exprs. Les assemblesordinaires ne peuvent toucher ce grand pilier de ltat quest laconstitution. Le peuple dlgue pour cela le pouvoir uneassemble constituante.

    Sieys a rempli ses objectifs au-del de ce que recommandaitMontesquieu en prvoyant non pas des pouvoirs mais des fonctions.Ces fonctions sont :

    - la volont gouvernante qui propose des lois et nomme le pouvoirexcutif.- la volont ptitionnaires qui est la voix du peuple en posant ses

    revendications.- la volont lgislative dcide de la formation des volonts.

    Cest sur ce dernier point que Sieys apporte sa pierre angulaire ldifice intellectuel : une volont au-del des volonts, la jurieconstitutionnelle . Il sagit dune innovation certes, mais uneinnovation limite.

    IV. LAREPRSENTATION

    Il sagit l de la nouveaut essentielle de Sieys. Elle soppose Jean-Jacques Rousseau et dpasse la conception de Montesquieu.Elle sarticule autour de deux ides :

    - tout pouvoir est reprsentatif :

    Sieys soppose la dmocratie directe et se fonde pour cela sur

    limage des lettres la poste : est-on plus libre si lon poste soi-mme une lettre pour Bordeaux ou si on la confie la poste

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    conomisant ainsi des ressources ? Sa rponse est simple, lepouvoir peut-tre confi des intermdiaires. Selon Sieys, vouloiragir par soi-mme est une rgression ; la socit est une socitparce quon a des reprsentants. Le peuple doit agir parlintermdiaire de ses reprsentants.

    - le mandat est gnral ce qui est fondamental :

    Les tats gnraux taient revtus dun mandat exprs, ce nestpas les lecteurs mais la nation qui choisit. Le reprsentant sinscritdans le cadre dune mission lgard des lecteurs mais surtoutavant tout une mission lgard de la nation. Chez Sieys lapolitique est reprsentative et le mandat est gnral. La nation

    transcende les lecteurs et le peuple ; il y a ici une opposition aumandat de Rousseau. Cette ide est toujours dactualit, nousfonctionnons encore comme a.

    En rsum, le systme de Sieys repose sur la nation qui existenaturellement et qui a donc tous les pouvoirs. La souverainet estconfie des reprsentants pouvant tout faire lintrieur deslimites fixes par la constitution ; le mandat est gnral et la

    volont des reprsentants et celle de la nation. Sieys a exprimavec le plus de clart la reprsentation tout en tant avaredexplications : notre oeuvre est assez grande pour se passer decommentaires [...] a-t-il dit !

    SECTION 2BABEUF ENTRE UTOPIE EST MILLNARISME

    La terreur est une priode de la rvolution ou une petite dictaturesimpose la France. En 1793, les enrags proclament, dans uneptition signe par labb Roux, la libert est une illusion si uneclasse dhommes peut impunment en affamer une autre ; lgalitnest quun leurre aussi longtemps que les riches, au moyen demonopoles, exerceront le droit de vie ou de mort sur le leursconcitoyens . Les enrags revendiquent donc une pense

    socialiste. Ils seront limins ultrieurement par Robespierre.

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    Joseph Babeuf dit Gracchus (1760-1796) entend en 1796 donner uncomplment de rvolution. Tout comme Saint-Just il est n enPicardie, pays de la jacquerie et des rvoltes paysannes. Ilrencontre en prison un certain Buonarroti, descendant de Michel-Ange, qui en loccurrence a mdit sur le problme de la propritet de la rpartition de la fortune. eux deux, ils vont regrouper etconvertir leur doctrine danciens enrags thermidoriens etrvolutionnaires de gauche.

    I. LEPROGRAMMEBABOUVISTE

    Il sagit dun programme que lon pourrait qualifier de sans droitdauteur . La principale affirmation provient du livre de Buonarroti,publi en 1728 et rdiger par un certain Sylvain Marchal, Lemanifeste des gaux : dans cet ouvrage, on peut voir lespraticiens sopposer aux plbiens Rome. Buonarroti veut montrerque la rvolution politique nest rien sans la rvolution sociale. Plusloin, il affirme que la rvolution franaise nest que lavant-proposdune autre rvolution, celle-ci tant bien plus solennelle : nousvoulons lgalit relle ou la mort !

    Pour eux, la loi agraire et le partage des terres sont rejets carinsuffisants : nous tendons quelque chose de plus sublime etquitable, le bien commun ou la communaut des biens ; la terrenest personne les fruits sont tout le monde ! . Il sagit enralit dun programme communiste, un communisme derpartition. Cette finalit saccompagne de moyens adquats : lepays doit tre divis en rgion qui engloberaient tous lesdpartements contigus ayant une mme vocation conomique

    appliquer un programme prcis labor par une autorit spciale.

    Le parallle avec lutopie rside ici dans la description dun mondeimmobile : le travail est obligatoire pour tous ; 5 ans les enfantssont enlevs leur famille pour aller la maison nationale etdevenir des citoyens modles ; le citoyen modle participe une ouplusieurs des huit activits reconnues officiellement : lagriculture,llevage, la pche, la navigation, la mcanique, le transport, la

    guerre et enfin lenseignement ; Tout travail qui ne donnerait pasun produit communicable tous ne saurait tre tolr ; il ny a

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    pas de signe montaire, ni commerce de dtail : le commercersiduel seffectue ncessairement avec ltranger. Marx qualifierace programme dgalitarisme aseptique et grossier.

    II. LACONSPIRATIONDESEGAUX

    Ce programme est aussi une marche en avant doriginemillnariste, cest une technique dinsurrection conspiratrice. Lesadeptes attendent le salut par le biais du coup de force, lesopposants seront extermins. Le coup de force est justementminutieusement prpar. Pour Buonarroti, des dispositions serontprises pour bloquer les routes et faire pleuvoir les tuiles et lesbriques. Il sagit de deux combats de rue programme pour le 1ermai 1796. Deux bataillons se mutineront mais la trahisonempchera ce fameux jour darriver. Babeuf se suicide etBuonarroti svade pour aller tmoigner devant lhistoire , maison le reverra en 1830 pour orchestrer la conspiration. La doctrinebabouviste a eu un certain succs, plus pour la rvolte quellesuscita que pour son contenu idologique.

    SECTION 3LIDOLOGIE BONAPARTISTE

    I. BONAPARTE : ROUSSEAUISTEETANTI-IDOLOGUE

    Napolon Bonaparte (1769-1821) na que neuf ans quand il lira laNouvelle Hlose de Rousseau. Cest en Corse quil rejoint cedernier alors charg de rdiger un projet de constitution pour lle.Lui-mme admire dans ses compatriotes les forces de la naturequil pare de toutes les vertus. De retour le continent, il retiendra deses rencontres avec Rousseau deux concepts cls :

    Lide dgalit :

    Cette ide dgalit, Napolon la vit dabord dans son fort intrieur,selon la conception quen a Jacques Bainville. Ce dernier dcrit

    Napolon comme un parvenu de lhistoire qui de rien arriva auxplus hautes marches. Napolon confiera je nai pas toujours

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    rgn, avant davoir t souverain, je me souviens davoir t sujet.Je nai pas oubli ce que le sentiment dgalit a de fort pourlimagination et de vif pour le cur . On sent ici toute lintelligencepolitique de Napolon : il va flatter les franais, ce qui expliquera saremarquable longvit politique ; les franais sont trs friands de cegenre de choses.

    Lide de pacte, de contrat social et de souverainet populaire :

    Napolon va marteler ces deux ides jusqu sa chute en 1814 ;celles-ci constituent dailleurs son fonds de commerce politique etcest grce elles quil se dmarquera de lancien rgime. Elles luipermettront notamment de rcuprer les antirvolutionnaires.

    Napolon est proche des Jacobins et de Robespierre en particulier. Ilrevient vite en grce auprs des thermidoriens (politique du coupde force) du fait de la force militaire quil reprsente.

    Napolon est un homme de confiance. Il est au mieux avec lesidologues avec qui il publie les principaux lments du libralisme.Ces derniers croient en un compromis harmonieux pour autant quechaque tre soit libre. Ils considrent quil faut librer les hommesde leurs prjugs par lducation. La question religieuse vatoutefois crer un point dachoppement avec ces derniers.Simaginant trs tolrant, ils croiront la religion catholique unereligion morte l o Bonaparte y verra un instrument de pouvoir.Bonaparte signe en 1801 le Concordat ce qui consolidera sonpouvoir ; ce texte est toujours en vigueur en Alsace Lorraine. Par lasuite, Napolon va peu peu sloigner des idologues pourdevenir finalement un idophobe habit par des vellits

    dpuration.Le contenu de la pense de Bonaparte reste dans tous les casdifficile cerner car il dit agir et penser par stratgie politique ; celanous permet dj de cerner quelque peu le personnage ! Il ne sepose pas la question du juste et du bon, on pourrait dire quil estdot dune mentalit litalienne.

    I. BONAPARTE : ROUSSEAUISTEETANTI-IDOLOGUE

    Le pacte social et la souverainet populaire :

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    Bonaparte entretient la confusion entre les ides de pacte social, desouverainet du peuple et de volont gnrale. Pour lui, il existe unrapport privilgi entre le peuple et lui-mme. Ce rapport semanifeste par des plbiscites exactement comme loccasion delavnement de lEmpire en 1802. Bonaparte entend gouverner seulet par droit populaire : il nest pas lu par les assembles, il nestpas non plus un tyran maintenu au pouvoir par la force arme, il estse dit issu de la souverainet populaire.

    Cette souverainet sinscrit toutefois dans sa conceptionpersonnelle trs particulire dans la mesure o elle nest pasexprime par une assemble reprsentative ni par le peuple ;Napolon soppose ici Rousseau qui estime quant lui que la

    volont gnrale ne peut-tre reprsente. Il soppose galement Sieys qui remet au lgislateur le soin de reprsenter et dexprimerla volont gnrale nationale. En clair, pour Bonaparte, la volontgnrale est le gouvernement. Il serait le seul reprsentant de lanation et de la volont divine ; on est en prsence ici duneconcentration importante des pouvoirs.

    La constitution :

    Bonaparte pense que Montesquieu a eu tort de fixer son analyse surla constitution de lAngleterre. La constitution anglaise nest quunecharte de privilges. tant donn que la Chambre des Communesest la seule reprsenter la nation, elle a eu le droit et la possibilitde simposer. Ce nest toutefois pas possible en France alors que legouvernement concentre toutes les autorits et tous les pouvoirsmanant de la nation. Le systme nest donc pas transposable en

    France.Bien que Napolon tienne fermement les rennes du pouvoir, il suffittoutefois que lempereur tourne les talons pour que cetteassemble reprenne du poil de la bte comme en 1808 suite undiscours maladroit de limpratrice. son retour, lempereurreprend les choses en mains ; il nous dit que le premierreprsentant de la nation est lempereur car tout pouvoir vient deDieu et donc de la nation. Il nous dit que sil devait y avoir un corps

    qui reprsente la nation, celui-ci devrait avoir le pas sur le chef dugouvernement ce qui ne manquerait pas de causer un conflit ; pour

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    djouer ce problme, il ne peut donc y avoir quun seul chef, leproblme est rgl. Napolon revendique lhritage de la rvolutionfranaise mais rappelle quil est empereur, rvolutionnaire maisaussi plus royaliste que le roi !

    III. LEMESSIERVOLUTIONNAIRE

    Napolon a toujours dout de la valeur accorder la volont dupeuple, et ce bien que saffirmant le messie de ce dernier : Lepremier devoir dun prince est de faire ce que veut le peuple,cependant, sa volont est rarement explicite tout comme elle setrouve dans le cur du prince .

    Dans la lettre Jrme, Bonaparte nous dit quil ne faut pas carterle peuple ; le chtiment est le premier devoir du peuple en cas dedfaillance de son reprsentant. Sa conception propre du peuplerejette les monarchies traditionnelles entoures de leurs coutumes ;lui seul sait comment interprter la volont populaire. Son ctmessianique dpasse par consquent le cadre des monarchies.

    Il prophtise que les grands principes rvolutionnaires seront la foi

    et la morale de tous les peuples. Cette perception nouvelle serattachera sa personne quoi quon en dise, parce quaprs tout, ildit avoir fait briller les principes, ce qui nest pas forcment faux !Mme perscut, Napolon renatra par la suite car les franaisadorent. Il nen demeure pas moins que la ralit est pourtant unedictature. Raymond Aron y verra lanticipation et la vision franaisedu fascisme dans ce martlement militaire. Cela aura donn lieu une tradition politique dont le gaullisme fait partie.

    SECTION 4BURKE OU LE REJET DES LINDIVIDUALISME

    N Dublin, Burke (1729-1797) a commenc sa carrire dhommede lettres en prenant le parti des insurgs amricains. Comment a-t-il pu prendre si ardemment le parti de colons amricain ? Il nest

    pas rentr dans une discussion la franaise et a refus de sefourvoyer dans le dbat abstrait des droits des colons. Avait-on le

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    droit de taxer les colons disait-il ? Sans doute, mais lexercice duntel droit ntait pas praticable car inopportun. Dans la continuit decette pense, la notion de droits de lhomme est pour lui une notioncertes fondamentale mais non moins absurde ! Au final, Burke vapasser en revue la rvolution franaise quil va descendre en flche.Selon lui :

    La dpersonnalisation des institutions :

    Lexistence de linstitution gouvernementale ne se fait pas en vertudes droits naturels qui existent indpendamment de celle-ci. Legouvernement est une invention de la sagesse humaine afin depourvoir aux besoins de lhomme organis en socit. Selon lui, la

    rvolution franaise a dpersonnalis les institutions de sorte quecela a conduit empcher la naissance, dans le cur des citoyens,des sentiments damour, dadmiration et dattachementindispensables au fonctionnement de celles-ci.

    La trop grande simplicit des institutions :

    Montesquieu avait un sens de la complexit quil poussait au plushaut point. Burke le rejoint sur ce point en considrant quune telle

    complexit est ncessaire au fonctionnement institutionnel quilconsidre dailleurs comme une science. Dans cet esprit, il setrouve horrifi par la simplicit des institutions franaises tellesquelles ont t redfinies par la rvolution.

    La nouvelle signification du mot nature :

    Le point dorgue de la pense de Burke a t doprer unretournement du mot nature . Pour lui, est naturel ce quiapparat le rsultat dun long dveloppement historique, fruit delhistoire et de lexprience des hommes. Cest pour luifondamental, seul ce qui survit a de la valeur ; le nouveau, surtoutquand il est tout droit issu de labstrait, na pas de valeur. Par lebiais de ses convictions, il va donner naissance au couranttraditionaliste qui perdure et stale jusqu nos jours.

    Lhritage, les prjugs et la table rase :

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    La conception que Burke a de lordre naturel des choses sanctifielhritage et les prjugs au dtriment de la politique dite de latable rase : - lhritage est quelque chose de voulu par la nature :lAngleterre na fait quappliquer la politique ce fonctionnement etcela marche. - les prjugs sont eux aussi naturels en tant quersultat dun processus historique. titre dexemple, il nous dit querien de plus naturel que le prjug de la naissance : la noblesse estfonde sur cela et lide dgalit nest en revanche pas du toutnaturel car toute socit est ncessairement stratifie en classe ; cesont les niveleurs qui ne sont pas naturels. enfin, concernantla notion de la table rase, Burke voit dans lordre naturel unpenchant conserver et amliorer avec talent. La conservation estici essentielle mais avec une adaptation lente, trs lente, voir lalimite de limperceptible. Il oppose donc ainsi la manire anglaiseempirique la politique de remise en cause brutale qu imposer larvolution.

    Ltat de nature et le capital social :

    Ltat de socit politique est ltat naturel de lhomme : il permetdincorporer sanctions et moralit do laberration de devoir

    donner son consentement obir ltat ! Une nation est une idede continuit dans le nom, dans lespace comme dans le temps ; laconstitution nest pas un choix mais une rsultante. Les devoirsenvers la socit ne sont donc pas volontaires. On ne peutfonctionner quavec lide de droits mais en ny incorporantimplicitement lide de devoirs. Selon Burke, la rvolution franaisea induit une perversion dans le raisonnement des gens qui ne peutque provoquer des troubles de faon chronique. L encore, le

    produit de la raison humaine a moins de valeur que le fruit delexprience, cest l la base de la pense contre rvolutionnariste(voir Jacques Bainville).

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    LMERGENCE DES GRANDESTRADITIONS POLITIQUES1815-1849

    Ren Raymond prsente dans son ouvrage Les droites enFrance la naissance des trois droites qui ont jalonn le XIXmesicle et qui se perptuent encore aujourdhui :

    La droite bonapartiste :

    Il sagit dun courant dides sacralisant lhomme fort faisant appel

    au peuple sans intermdiaire ; il faut une connexion directe avec lesconcitoyens. Aprs Bonaparte, Louis Napolon prend le pouvoir en1851 par un coup dtat de lintrieur (ceux qui prennent le pouvoirsont souvent dj au pouvoir) ; lobjectif tait de renverser laRpublique Austerlitz le 2 dcembre. Ce coup dtat aura eu pourconsquence de rendre minoritaire la droite bonapartiste. Seulsquelques dpartements dont fera partie les Alpes de HauteProvence vont se rebeller. Toutefois, ce courant de pense va

    connatre un regain de 1862 1870 avec le Second Empire. Cecourant perdurera jusqu la fin du XIXme sicle, priode

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    laquelle la relve idologique sera assure par le nationalisme. Ladroite bonapartiste existe encore aujourdhui : De Gaulle puis leRPR ont t les reprsentants de ce courant.

    La droite lgitimiste :

    On dit souvent que les franais sont lgitimistes, cest--dire quilsvotent toujours pour les mmes, ceux qui sont dj aux manettesdu pouvoir. Les royalistes sont pour la branche lgitime, lesBourbons, qui reviennent au pouvoir en 1815 par lintermdiaire de

    Louis XVIII, frre de Louis XVI, qui sera remplac par la suite parCharles X. Ce courant croit en un certain nombre de valeurs commele devoir, la religion catholique et la hirarchie naturelle. Cettedroite se retrouvera reprsente aprs le second empire par MacMahon port au pouvoir dans lattente de lhritier lgitime, leComte de Chambord. Lhistoire du drapeau fera capoter les projetsdes lgitimistes. Lensemble de ces forces va se retirerprogressivement de la vie politique en se cantonnant en province ;

    actuellement, on voit cette branche perdurer dans lactuelle FrontNational, mme sil nest pas son courant essentiel.

    La droite orlaniste :

    En 1830, la rvolution renverse Charles X remplac sur le trne parLouis Philippe, roi des franais et non plus roi de France. De lafamille dOrlans, Louis Philippe est arrive au pouvoir grce unecoalition bourgeoise et royaliste. Les orlanistes vont sallier auxrpublicains pour empcher dfinitivement le retour du Comte deChambord. Cette droite est moins claire que les prcdentes car ledosage consistant concilier rvolution, monarchie et rpubliqueest beaucoup plus difficile raliser : cest la recherche delquilibre au milieu, sans vague, tout en cherchant rcuprerlhritage Napolonien. Une fois au pouvoir, il y a instauration dusuffrage censitaire ou bien bas sur les capacit (les diplmes). On

    voit ici arriver la bourgeoisie caractrise par des forces vives, desressources suffisantes et un niveau dinstruction correcte. Il sagit

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    dune droite de notables qui perdure encore aujourdhui au traversdes mdecins, les avocats, les pharmaciens, etc. Ren Raymondnous montre dans son ouvrage quel point cette droite est encorevivace de nos jour, notamment au travers de Giscard dEstaing etplus gnralement des centristes.

    SECTION 1LE LIBRALISME

    Le XIXme sicle est le sicle durant lequel les ides librales serpandent tout autour du monde lexception notable du continentAsiatique. Le mouvement est insparable du mouvement national.

    Trois distinctions doivent toutefois tre faite :

    Un libralisme de progrs :

    Le libralisme qui se rpand durant cette priode est un libralismede progrs la fois moral, technique et de bien tre. Ce libralisme,qui accepte la nation et la monarchie ne se confond pas avec unlibralisme qui refuserait le changement. Cela fait la diffrence

    notable entre le libralisme la franaise et celui la britannique.Les Saint-Simoniens sont radicalement diffrents des libralistestraditionnels : on doit aux premiers des grandes avances quenauraient pas pu raliser les seconds.

    Un libralisme bourgeois :

    Le libralisme qui se dveloppe lpoque doit tre considrcomme une doctrine de la bourgeoisie mme si les frontires

    idologiques ne concident pas tout fait avec celles de la classesociale. En Angleterre, les libraux sont plus anglais que lesbourgeois avec comme objectif de dominer une partie de la plante linstar des Etats-Unis au XXme sicle. Le libralisme franais esten revanche beaucoup plus bourgeois que franais tout comme ilvise essentiellement non pas conqurir mais plutt protger uneclasse sociale comme le ferait un rempart.

    Un libralisme pluriel et polymorphe :

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    Le libralisme est apparu longtemps comme un bloc unique avecnotamment Benjamin Constant qui ne voit en lui quune seule etmme doctrine :

    Jai dfendu quarante ans le mme principe, libert en tout,

    en religion, en philosophie, en littrature, en industrie, enpolitique : et par libert, jentends le triomphe de lindividualit,tant sur lautorit qui voudrait gouverner par le despotisme, quesur les masses qui rclament le droit dasservir la minorit lamajorit. Le despotisme na aucun droit. La majorit a celui decontraindre la minorit respecter lordre : mais tout ce qui netrouble pas lordre, tout ce qui nest quintrieur, commelopinion ; tout ce qui, dans la manifestation de lopinion, ne nuit

    pas autrui, soit en provoquant des violences matrielles, soiten sopposant une manifestation contraire ; tout ce qui, en faitdindustrie, laisse lindustrie rivale sexercer librement, estindividuel, et ne saurait tre lgitimement soumis au pouvoirsocial.

    La conception quen a Benjamin Constant oppose ici le libralisme la monarchie absolue mais aussi la dmocratie entendu comme la

    tyrannie de la majorit : il entend faire respecter les droits de laminorit tout comme ceux de lindividu dans la droite ligne duneconception remontant au XVIIIe sicle. Trs vite pourtant, cetteconception monolithique du libralisme va se scinder en plusieursvariantes et notamment un variante conomique o le libralismeest oppos un tat trop pressant : il faut laisser faire la maininvisible dAdam Smith. De nos jours, le G8, qui comme tout lemonde sait regroupe les 8 pays les plus industrialiss, opre un

    retour au Saint Empire Romano-Germanique caractris par ladualit temporelle / spirituelle : le monde conomique simpose aumonde terrestre !

    I. BENJAMIN CONSTANTOULELIBRALISMEDOPPOSITION

    Benjamin Constant (1776-1836), sil na pas invent le motlibralisme, il en est le thoricien dans sa forme la plus pure. Sil na

    pas dit ce quil pensait, il a toujours su ce quil voulait malgr despositions politiques souvent trs variables (ses dtracteurs lont

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    parfois qualifi de Benjamin lInconstant). Sa clart fait toutefois delui un matre parmi les crivains politiques.

    Dans son ouvrage il crit que le but des anciens taient le partagedu pouvoir social entre tous les citoyens dune mme patrie, cest l

    ce quil nommait libert. Le but des modernes est la scurit dansla jouissance et ils nomment libert les garanties quaccordent lesinstitutions ces jouissances. La premire libert est laparticipation la chose publique, la seconde est celle de la

    jouissance de certains droits mme si lon na pas la majorit. trelibral, cest aussi daccepter lopinion des autres ; il sagit deprserver les droits de la minorit. La dmocratie en elle-mme necomporte pas de composante librale assurant cette protection.

    Pour Constant, ce qui est important est la libert des modernes etnon celle des anciens.

    Les droits de votes ne sont rien sans les garanties institutionnelles.On accorde donc ltat le minimum lui permettant de continuer exister : Benjamin Constant rejette le rgime despotique carlaristocratie est source doppression et de privilges, ce qui estcontraire au dveloppement du commerce et des lumires. Il faut

    rejeter la dmocratie car elle est la manifestation du despotismepopulaire. Face cela, il reste le rgime souverain rgit par laconstitution ; pour lui, ce rgime est essentiellement monarchiqueo la monarchie a deux caractristiques essentielles quil peroitcomme des garanties : la tradition et le pouvoir neutre. Concernantce dernier point, seule la monarchie permet un pouvoir neutre dansla mesure o le roi est un tre part ne pouvant tre mlang lamasse populaire linstar de la monarchie anglaise.

    Benjamin Constant accepte malgr tout la rpublique conditionquelle soit constitutionnelle : entre la monarchie constitutionnelleet la rpublique, la diffrence est dans la forme. Entre la monarchieconstitutionnelle et la monarchie absolue, la diffrence est dans lefond . Cependant, la rpublique de Benjamin Constant nest pasdmocratique. Il ne conoit doffrir la possibilit de voter qu ceuxqui peuvent comprendre. Pour lui, un certain nombre de loisirs

    permettent laccs aux lumires, celles-ci permettant leur tour de

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    comprendre et de pouvoir agir sur le plan politique ; bienvidemment, il sagit pour lui forcment dune minorit.

    II. LELIBERALISME

    Aprs Benjamin Constant, lorlanisme sera lexpression dulibralisme au pouvoir. Mme si cette manifestation seffectue parle biais de la famille dOrlans, cet aspect est largement secondairepar rapport la doctrine. Lcrivain original Emmanuel Beau deLomnie, dans son ouvrage La responsabilit des dynastiesbourgeoises en France , a essay de montrer que depuis larvolution franaise, ce sont toujours les mmes qui on russi conserver le pouvoir. Vu sous cet angle, la rvolution franaise at un vaste transfert dargent et ceux qui sen sont empars(notamment par lintermdiaire de la rcupration des biens delglise) ont construit des dynasties fondes sur le pouvoir parlargent. Seule une clipse de ces familles a eu lieu lors de larestauration, mais le refus dtre cart du pouvoir a abouti lachute de Louis Philippe, soit la chute de la monarchieconstitutionnelle au profit de la bourgeoisie franaise. Cettecoalition arrivant en 1830 est forme par un groupe de 200 000personnes ; tous les manuels nous montrent un grand combatgauche / droite mais en ralit, quil sagisse dhommes de droiteou dhommes de gauche, ce sont toujours les mmes.

    Cette doctrine dite du juste milieu , dont le franais Guizot(1917-1974) a t le doctrinaire, est fonde sur le constat quelintrt gnral se confond avec lintrt de la classe moyenne. Ellese situe entre le peuple pauvre sans instruction et la noblesse dont

    largent fait perdre la raison. Sans tre dpass par le monde, ilssont les garants de lintrt gnral. Il sagit dune oligarchieindustrieuse la mieux arme pour atteindre leur mission dintrtgnral. La chute, en 1848, sexplique par lintgration lente etprogressive de la bourgeoisie dans la noblesse et la ncessaireperte de reprsentativit qui sensuivi ; il faut se souvenir que lagarde nationale tait lpoque essentiellement compose debourgeois.

    III. ALEXISDE TOCQUEVILLEOULADMOCRATIEVUEPARUNLIBRAL

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    Alexis de Tocqueville (1805-1859) est noble tout commeMontesquieu. Libral, issu des lgitimistes il acceptera de servir laMonarchie de Juillet. Il accepte galement dtre, malgr sonpessimisme, un ministre de la Seconde Rpublique. Il combine lesqualits dun analyste politique exceptionnel avec un passage enpolitique assez terne. Il laissera trois ides exprimes dans troisouvrages :

    Linexorable pousse de lindividualisme :

    Dun sjour dun an sur le nouveau continent mergera en 1830 De la dmocratie en Amrique . Son analyse repose sur unevolution que va subir le vieux continent linstar de ce quil se

    produit lpoque en Amrique. Par ce livre, il inaugure une sriede penseurs partis l-bas pour saisir le sens de lvolutionhistorique. Concrtement, il nous dit que le dveloppement dulibralisme saccompagne dune monte inexorable delindividualisme, ce dernier tant un sentiment rflchi et prvisiblequi dispose chaque citoyen sisoler de la masse de ses semblableset se retirer lcart avec sa famille et ses amis. Ainsi reclus, lessujets se construisent une petite socit leur image et ils

    abandonnent volontiers la grande elle-mme. On voit au passageque le sentiment dindividualisme nest donc pas nouveau puisqueapparu en 1830 ! Chez Tocqueville, lindividualisme est dessencedmocratique et se rvle insparable de la dmocratie. Il sagitpour lui dun mouvement de fond tendant lgalisation desconditions individuelles qui progressivement permettent aux gensde se suffire eux-mmes par lclairage qui seffectue : les gensshabituent tre autonomes.

    Lmulation idologique :

    La deuxime ide de Tocqueville est lie assez naturellement lapremire. Celle-ci repose sur le constat que des gens aux conditionssimilaires finissent par avoir les mmes ides : cela dcrit ce quelon appelle aujourdhui le conformisme ! En Amrique, la majorittrace un cercle formidable autour de la pense ; au-dedans deslimites, lcrivain est libre de dire et penser ce quil veut, mais

    malheur lui sil ose en sortir (voir Psychanalyse de lAmrique de Keyserling) : ce qui me rpugne le plus, ce nest pas lextrme

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    libert qui y rgne, mais le peu de garanties que lon y trouvecontre la tyrannie . La dmocratie a son corollaire dans la tyranniede la majorit sans que lon puisse sy opposer. Pourtant, les Etats-Unis ne sont pas une tyrannie et ce pour deux raisons :ladministration dcentralis et la trs grande place laisse auxavocats, les deux formant une sorte de garde-fous.

    Une libert dangereuse :

    Dans la conception de Tocqueville, la libert est donc un dangerpour la dmocratie car il sagit en ralit de la tyrannie du peuple ;on retrouvera par la suite cette mme crainte chez Hayek. Danslouvrage inachev Lancien rgime et la rvolution , Tocqueville

    montre que la centralisation administrative nest pas loeuvre de larvolution mais bien celle de lancien rgime. Cette dernire nafinalement fait quacclrer un processus entam et voulu parlancien rgime lui-mme. Cet tat de fait constitue ladmonstration quil ny a pas de relle volont dmocratique enFrance. De fait, Tocqueville voit de linterventionnisme tatiquepartout, surtout dans la sphre industrielle. Dj lpoque, ilprconise la dcentralisation.

    Tocqueville est un personnage faisant preuve dune tonnantelucidit. Dans louvrage Les souvenirs , crit pendant la SecondeRpublique, il nous confiait : [] mon secret consiste flatter leuramour-propre en mme temps que je nglige leur avis. Javaistrouv que ctait avec la vanit des hommes quon obtient le plusavantageux ; on obtient des choses fort substantielles avec deschoses ne contenant finalement que trs peu de substance. Un plus

    grand secret encore est quil faut mettre en berne sa propre vanit,ce qui nest pas facile, do le fait que cest un art si difficile.

    SECTION 2LE TRADITIONNALISME

    Le traditionaliste est loppos du libralisme.

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    Il recouvre cinq thmes :

    Lexprience et la nature :

    Ce sont l des rfrences courantes chez les traditionalistes. Si chez

    les libraux ces rfrences sont lies lordre conomique etrsultent de la cohabitation harmonieuse de mcanismesdadaptations, chez les traditionalistes, elles sont lies lexprience de lhomme et surtout son histoire.

    La terre, lhritage, le milieu :

    Tous ces thmes ont quelque chose de rcurrents comme le montrela symbolique des arbres : les racine reprsentent le pass, le tronc

    reprsente le prsent et les branches lavenir. Ce que veulent direles traditionalistes, cest quil y a un sens aux choses et quon nepeut faire nimporte quoi.

    Lassociation :

    Il y a l une opposition entre les traditionalistes et les libraux quisont plutt pour lindividualisme. La famille, le rgionalisme, etc.sont des thmes centraux. Le corporatisme est dans cet esprit lamanifestation professionnelle de ces valeurs. Lordre des avocats at cr sous Vichy.

    La morale :

    Si les libraux parlent facilement de vertu et dducation, lestraditionalistes se mfient de lducation et en appellent plutt des valeurs et des hros provenant dlites. La conception

    traditionaliste est lexact contraire de la course aux talents.Lordre :

    Selon la conception traditionaliste, des structures naturellesdoivent peu peu merger, elles seront le fruit de la nature et delexprience des hommes.

    I. JOSEPH DE MAISTREOULEPROVIDENTIALISME

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    Joseph De Maistre (1753-1821) est sujet du royaume de Pimont-Sardaigne. Magistrat, snateur, le comte tait destin vivre unevie digne dans le strict accomplissement de son devoir familial.Pour lui - et encore aujourdhui pour le ministre des affairestrangres, Dominique De Villepinte - la France exerce une sorte demagistrature sur lEurope. Malheureusement, la France a mal utilisles moyens sa disposition, elle a failli sa mission en contredisantsa vocation chrtienne et dmoraliser lEurope avec sesphilosophes.

    Dans ce contexte, il nest pas tonnant de voir, quavec leurscomplices, se sont effondrs les principaux coupables : la grandepuration devait saccomplir, il fallait que les sclrats sentretuent.

    La question des innocents est rgle par De Maistre en disant quily a bien moins dinnocents que ce que lon peut imaginer : Lamort de Louis XVI a vu beaucoup de complices ! Ici, labsence deraction consistant ne pas sopposer doit sanalyser, pour DeMaistre, comme un acte de complicit.

    Le jacobinisme salvateur :

    Dans la pense de De Maistre, le carnage est autant un moyen desalvations quune punition. La France devrait dtre chtie maisdevrait aussi tre prserve afin quelle puisse accomplir samission. La France et la monarchie ne pouvaient donc tre sauvesque par le jacobinisme : cest la purification. Le jacobinisme est iciconsidr comme un bain de sang rgnrant.

    La constitution :

    De Maistre reprend une ide de Burke savoir que vouloir faire uneconstitution est une prsomption ridicule de lhomme car lhommepeut tout modifier mais il ne cre rien. Il ne fait que rassembler desmorceaux pars, fruits de lhistoire de part et dautres. Lhistoireest la politique ce que lhpital est la mdecine (JacquesGainville) : la politique est une exprimentation, la constitution,selon De Maistre, et la solution dun problme dont la nature fournitles donnes.

    Les droits de lhomme :

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    les droits de lhomme sont une carabistouille ! Jai vu au cours demon existence des franais, des italiens, des russes, mais lhomme,

    je dclare ne lavoir jamais rencontr de ma vie ; sil existe, cest mon insu . Pour De Maistre les droits de lhomme sont unefumisterie ; on retrouve ici une ide marxiste.

    Lide de loi gnrale :

    Les soires de Saint-Ptersbourg : dans ce livre, il nous dit quonse plaint du bonheur des mchants et du malheur des justes, cestabsurde ! Cela naurait de sens que si les mchants prospraientpar le mchant et les justes souffraient par le juste. La vrit estque les lois gnrales qui gouvernent le monde valent pour toutes

    les cratures humaines, angliques ou monstrueuses. Tout hommeen qualit dhomme et sujet tous les malheurs de lhumanit ;voici la loi gnrale et en tant gnrale elle est injuste. Ce qui estextrieur lhomme lui est extrieur compltement, il ne prend pasen considration les notions de bien et/ou de mal. Adam Smith nousdit exactement la mme chose savoir que se plaindre est goste ;il devrait y avoir une solidarit naturelle entre les hommes. Cetteide de loi gnrale est anti-individualiste.

    Limpact de politique de De Maistre a t finalement limit. Sonlivre paru en 1797 sera cependant lorigine dune vague normeen tant que manifeste de la contre-rvolution, ouvragepropagandiste de la monarchie. Quand Louis XVIII revient aupouvoir, les virulences de Joseph De Maistre vont faire mauvaiseffet et celui-ci sera finalement le laiss-pour-compte de larestauration. On voit au passage ici quun livre peut avoir un succs

    immdiat tout en devenant par la suite inadapte son poque.

    II. BONALD

    La vision dun systme politico-religieux :

    Bonald (1754-1840) va apporter au niveau de la contre-rvolution lavision dun systme politique et religieux intgr o les deux sontrigidement lis. Il reprend largument de Joseph de Maistre en

    estimant quil fallait que le scandale arriva en tant quil fut lamanifestation du pouvoir populaire. Sagissant de la religion

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    catholique, Bonald pense que la rforme - qui se dfinit comme cequi sest pass au XVIe sicle savoir le schisme protestant suiteaux thses de Luther - est lorigine de toutes les calamits.

    Pour lui, cela sexplique par le fait que cette rforme a conduit

    diviser la socit religieuse et par consquent diviser la socitpolitique. Selon lui, il y a donc un paralllisme entre legouvernement populaire et le culte protestant. Cest la nature, entant quorgane de la socit divine, qui constitue et structure lasocit humaine. La constitution existe mais elle est neutre : ellemane de la nature et est issue de la vie. Ce nest que dans lessocits non constitues que lon doit crire une constitution car lesbases de ces socits sont elles-mmes dfaillantes.

    Une position anti-individualiste :

    Bonald haie profondment lindividu, lhomme na que des devoirset ne devrait pas avoir de droit. Lhomme des devoirs envers lanature humaine, envers Dieu et envers la nature tout court. Le droitdu peuple de se gouverner lui-mme est un dfi toute vrit : unsujet a droit tre gouvern comme lenfant a droit tre nourri.Ltat a quant lui le devoir de gouverner.

    La philosophie du vrai a abouti une poussire dindividus. Il fautrevenir aux nous du moyen-ge. Le nous est tout dabord dansla famille en tant que cellule primaire de la nation et en tant quesocit en elle-mme par le biais de sa trinit : le pre est lepouvoir, unique et indpendant, lenfant et le sujet obissant tandisque la mre et la mdiatrice. Nous pouvons dire au passage quelune des critiques adresses par les socialistes la famille est le

    schma politique autocratique quelle vhicule. Le nous est ensuitedans les mtiers, la corporation des mtiers avec sa filiation dumtier.

    La thorie des pouvoirs :

    La dernire ide de Bonald est celle de la thorie des pouvoirs : ilnest de socit constitue que la monarchie car tout pouvoir est

    ncessairement indpendant des sujets qui sont soumis sonaction ; en effet, dans le cas contraire ces sujets seraient eux-

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    mmes les pouvoirs. Suivant cette analyse, Bonald considre lacommune comme le cadre idal de cette vie sociale lchelonlocal.

    SECTION 3LE SOCIALISME UTOPIQUE

    Karl Marx (1818-1883) a donn ses prdcesseurs socialistes (leterme socialiste nest apparu quen 1831) le qualificatif dutopiste.Pour lui, seule prvaut la science, conformment la veine desides du XVIIIme sicle. La science soppose ici aux rveurs, auxutopistes.

    Attention toutefois car il faut nuancer cette dichotomie : tous nesont pas utopistes ; certains comme Saint-Simon ont bien les piedssur terre. Ce dernier a par exemple consacr une classificationsociale qui lgitime la classe bourgeoise, preuve sil en est de larationalit de son analyse. On placera nanmoins ici Saint-Simondans la catgorie des utopistes pour la simple raison suivante : il avoulu remodeler en profondeur la socit.

    Pour dfinir le socialisme, on se base sur de grandes aspirationsfondamentales : dune part la volont de rorganiser la vieconomique et dautres part laspiration une plus grande justicesociale. ce titre, on peut constater que notre parti socialiste actuelnest pas toujours en phase avec ses ides fondatrices.

    I. SAINT-SIMONOLAPRFIGURATIONMILLNARISTE

    Henri Claude de Rouvroy dit Comte de Saint-Simon (1760-1825) estlarrire petit neveu de Louis XIV. Il est aux antipodes de Babeuf qui il reproche navoir rien compris au nouveau monde industriel quiest en train de natre sous ses yeux. Il est all se battre enAmrique et partage ide que le monde est rgit par des loissimples. Il croit en la science et en la rationalit, ce qui le conduira inventer le terme industriel . Il finira ruin mais trs convaincu

    de son rle salvateur comme en tmoigne son valet qui devait le

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    rveiller tous les matins en lui disant quil a de grandes choses faire aujourdhui.

    Quoi quil en soit, Saint-Simon nous dit trois choses :

    Une doctrine de production :Le saint-simonisme est une doctrine de la production. Si les grandsauteurs avouent difficilement leurs dettes, on ne peut quereconnatre que Marx a une dette envers Saint-Simon. Ce derniersintresse la production et non lchange comme la fait AdamSmith : Marxistes, poujadistes et technocrates, je vais les oublier !Supposons que la France perde ses lites, comme les penseurs, lespoliticiens et autres intellectuels, il ne se passera rien. Par contre, silon perd les chimistes, les inventeurs et autres gens daction, lasituation deviendra trs rapidement grave . Saint-Simon estconvaincus quil faut supprimer les oisifs. loppos de cela, ilentretient le culte du manager, de linventeur, de lhomme quiproduit. On a ici une distinction entre les producteurs et les oisifs ;ce sont les premiers quils qualifient dindustriels, les autres neservent rien.

    Une doctrine de lorganisation :

    Saint-Simon est linventeur de la technocratie quil rige endoctrine. La philosophie du dernier sicle a t rvolutionnaire,celle du prochain devra tre organisatrice. Il laffirme le primat delconomie sur le politique. Il faut, dit-il, substituer auxgouvernements des hommes ladministration des choses. On voitau passage dans ces propos que des 1820 on dtenait le thme de

    notre sicle actuel. Pour Saint-Simon, la classe industrielle et laseule utile. Elle est de plus en plus nombreuses et va saccrotretoujours aux dpens des autres pour devenir finalement la classeunique. Il est surprenant mais logique de voir quil suffit simplementde remplacer la classe industrielle par le proltariat pour retrouverles ides de Marx.

    Saint-Simon voit le dveloppement conomique de lEurope par le

    biais dune lite commerante, ce qui constitue une diffrence avecles autres socialistes. Il nest pas dmocrate et considre que les

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    ingalits sont naturelles voire mme bienfaisantes. Il croitfermement la vertu des lites ; Balzac disait dans son ouvrage Une autre tude de femme quorganiser tait un mot de lempire ;en effet on voit ici les inspirations bonapartistes qui rsidentprioritairement dans une pense dorganisation.

    Un nouvel vangile :

    Le but du Compte de Saint-Simon est damliorer le pluspromptement possible lexistence morale et physique de la classela plus pauvre. Pour lui, il ny a pas de changement de lordre socialsans un changement dans les fondements mme de la proprit. Ilnest pas contre la proprit mais souhaite que celle-ci soit mieux

    utilise au regard de lutilit sociale quon peut en retirer.Pour comprendre cette pense, il faut la resituer dans le conceptdavance vers lge dor. Saint-Simon veut un nouveauchristianisme, une sorte de nouvelle religion qui concilie lautorittemporelle des industrielles et lautorit spirituelle des savants. Ilne faut pas que le temporel soit confi aux savants faute de quoi lecorps scientifique va se corrompre et sapproprier les vices duclerg, ce qui le ferait devenir mtaphysicien, astucieux et despote.

    Concernant lge dor, nos pres ne lont pas vu, nos enfants yarriveront, cest nous de frayer la voie . Saint-Simon a cr unesorte dcole dont un seul tablissement verra le jour. Celui-ci estcaractris par le port dun costume que lon doit boutonner larrire. Il sagit dune communaut mixte, donc en avance sur lesmoeurs de lpoque, destine montrer le besoin et la ncessit delautre ; Saint-Simon veut prouver que lon ne peut vivre seul.

    Au-del de ces quelques points, il nous faut remarquer que le saint-simonisme est lincarnation mme de lesprit franais : on parlepour tous et on sengage dans des travaux pour le bien du monde.Bien que critiquable, cela a tout de mme donn lieu denombreuses et grandes ralisations : les chemins de fer franais, lecanal de Suez, lide dgalit et de communaut avec lAlgrie,etc. Le premier trait bas sur lide dchange avec lAngleterre

    est dinspiration saint-simonisme ; il date de 1860, soit un sicleavant le trait de Rome ! Mme si les dbouchs idologiques sont

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    finalement modestes, les ralisations sur le plan conomique ontt et demeurent fondamentales.

    II. FOURIEROULUTOPIEDU PHALANSTRE

    Charles Fourier (1772-1837) a men la vie mdiocre dun voyageuret dun employer subalterne attendant entre 11 heure et midi lemcne devant laider rformer lunivers. son actif ondnombre plusieurs prophties telles celles o les mers prendrontle got de limonade ou encore larrive prochaine danti-requinsdont la mission sera de faciliter la pche. Au-del des anecdotes, lapense de Fourier repose sur 3 lments :

    Premier lment : la loi de lattraction universelle

    Lutopie que recherche Fourier repose sur la loi de lattractionuniverselle. Le chaos social dans lequel est plonge lhumanit luiparait inconcevable. A quoi bon en effet le progrs technique silhomme nen profite pas. Lhomme est fait pour le bonheur, il fauttrouver la loi qui donnera un sens au monde et vis--vis de laquelletoute socit doit tre organise de faon sharmoniser avec le

    monde. Cette loi cest la loi de lattraction universelle.Pour lui, cette harmonie provient de la passion, passion qui a trefreine dans la socit en consquences de quoi dcoulelabsence dharmonie. Selon Fourier, tout peut servir : lamour dudsordre tout comme la gourmandise qui pour lui rvle le ctnaturelle de lhomme et la prvision quen a fait la nature. Au finalet selon lui, il faut changer la conception des choses pour permettrela passion : cest lattraction passionnelle quil faut laissersexprimer. Tous les hommes doivent tre regroups par mmepassion dans le but de provoquer lmulation.

    Deuxime lment : lanti-industrialisme

    Fourier est un anti-industriel. Pour lui, tout y est vicieux : cest unmonde lenvers car les manufacturiers progressent en raison delappauvrissement des ouvriers . On constate quil sagit l dun

    raisonnement quasi marxiste bas sur la loi de pauprisation.

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    Fourier dteste galement les commerants et ce dune faongnrale : une pomme fut pour moi comme pour Newton uneboussole de calcul. Cette pomme digne de clbrit fut paye 14sous par un voyageur qui dnait avec moi au restaurant Fvrier Paris, or, je sortais dun pays o les pommes de mme grosseursinon de taille suprieure se vendent par 100 pour 14 sous : jesouponnais un dsordre fondamental dans le systmecommercial (Fourier sen prend ici aux petits commerces).

    En revanche, lactivit qui retient toutes ses faveurs estlagriculture. Les utopiste adorent lagriculture et le systmeagricole car ils sont finalement proches de la nature, celle-ci tantpave pour eux de toutes les vertus. Fourier sattachera

    particulirement lhorticulture.

    Dans sa faon de voir les choses, Fourier ne compte pas sur unelite dont il se mfie mais pense au contraire quil est possible derformer par le bas. Il haie les Saint-simoniens et prchera au 19 me

    sicle labolition de la proprit.

    Troisime lment : lutopie en action (le Phalanstre)

    Il sagit de socits clauses composes de 1600 personnes ; lesutopistes sont toujours des gens trs prcis car se considrant lpour fixer un cadre invariable, fig pour lternit. Cet ensemblefonctionne comme une cooprative o tous les membres seretrouvent comme des pseudo actionnaires. Le salariat est bienvidemment aboli mais on retrouve en revanche une participationau bnfice devant conduire naturellement les phalanstriens unecogestion de leur entreprise. Enfin, tous les phalanstriens ont droit

    un minimum vital sans condition de travail ni mme sansjustification dune incapacit quelconque travailler.

    Le quotidien des phalanstriens est lagriculture. Les jours de pluie,ils doivent se rendre dans les manufactures pour continuer travailler labri des intempries. Tous les habitants rsident dansun systme en toile dont tous les btiments sont organiss autourdun centre selon une architecture trs prcise : il est trs

    important de prvenir larbitraire en constructions : chaquefondateur voudra distribuer sa fantaisie. Il faut une mthode

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    adapte (sans quoi on ne pourrait) pas dterminer le planconvenable .

    Dans la conception de Fourier, on retrouve toute la typologie desutopistes essayant de crer un monde harmonieux sorte de refletde lharmonie du monde. Le phalanstre nest toutefois pas unsystme communiste car si Fourrier dteste le dsordre, il admetlhritage et considre comme naturelle tant la richesse que lapauvret. Selon lui, les gens sont diffrents et il est par consquentncessaire de rmunrer le talent ; ainsi ce dernier comptera pour3/12me dans la rpartition idale des revenus dune personne etce ct du prorata de sa fortune pour 4/12me et de son travailpour 5/12me.

    Concernant les autres domaines que le travail et plusparticulirement les rapports humains, Fourier prne un certain

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    nombre de rvolutions absolument scandaleuses pour son poque,et qui restent encore extrmement audacieuses de nos jours. Celui-ci fait lapologie de lomnigymie soit lamour multiple et simultan ;celui-ci prend toutefois conscience que cela peut aboutir deslaisss pour compte et, se proccupant de la misre sexuelle de cespersonnes, envisagera dorganiser un service sexuel gratuit poureux, en crant un corps de volontaires (les bacchantes). On nemanquera pas ici de souligner son souci du dtail !

    Limpact de Fourier :

    Au final, seul son disciple Victor Considrant a tent une expriencede Phalanstre au Texas, mais cela neu pas le succs escompt.

    Plus profondment, on est frapp par les similitudes entre lesystme de Fourier et la religion des Mormons cre par JosephSmith dans les annes 1830. Cest en Utah, o il a t cre la villede Salt Lake City sorte de nouvelle Jrusalem, que Smith donnenaissance cette nouvelle religion forme de toute pice sur labase de principes phalanstriens : philosophie anti-banque, crationde coopratives, rapports sociaux et sexuels, etc. Lanalyse montreque Joseph Smith a recouvert dun verni religieux des structures

    dinspiration fouririste ; les Mormons sont aujourdhui plusieursmillions.

    Fou ou gnie, Fourier prfigurera Freud avec lanalyse delinconscient et des passions comme moteur social. Il puise danslhermtisme (thorie sotrique venue du fin fond de lEgypte lorigine de laquelle se situe Herms, le messager des Dieux) aveclaquelle il partage lobjectif de retrouver lunit perdue ; cette qute

    se manifestera dailleurs dans dautres domaines tels que lalchimieavec notamment lespoir de pouvoir oprer la transformation duplomb en or. Fourier recherchera aussi lharmonie par unecombinatoire de sentiments humains (les passions) pour parjurer lechaos : le phalanstre aura t pour lui l voie menant la lumire.

    Plus gnralement et dans le socialisme, la place de Fourier savremarginale mais aura eu malgr tout le mrite davoir fait avancer larflexion sur plusieurs thmes :

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    -lagriculture (qui sera reprise par Jaurs)- la combinaison entre travail agricole et industriel (repris dans lemanifeste du communisme)- la conception dune rforme par le bas (que reprendra Proudhon)

    Notons sur ce dernier point quil est beaucoup plus vident que cequil ny parait que changer la socit ne peut soprer que si lonchange dj les hommes qui la composent ; ce constat mis dans laperspective du dbat sur la future constitution europenne nemanquera pas de nous faire nous interroger sur lopportunit decette dernire dont lefficacit au regard du fonctionnementcommunautaire ne semble pour certains se rattacher qu laformulation de certaines phrases, voir quau choix de deux ou trois

    mots : les hommes politiques ne changeant pas, il ny a en ralitaucune de raison pour que ce texte ait une incidence srieuse.

    III. PROUDHONOULEMILLENARISMEANARCHISTE

    Laire industrielle a suscit la fois un idal de technocrates et unidal de producteurs. Ds lors, la classe ouvrire avait le choixentre la lutte par le biais de Karl Marx ou la conciliation sous lgide

    de Proudhon.

    Proudhon (1809-1865) est le fils dun tonnelier et dune cuisinire.Cela a son importance car pour comprendre les ides de quelquun,il faut comprendre sa vie et plus particulirement son cheminementde vie. Proudhon a gard les btes dans les champs prs deBesanon. La pauvret de sa famille compromet de brillantestudes. Avant dtre journaliste, il sera longtemps correcteur

    dimprimerie, rle trs important dans llite du 19me sicle o ladiffusion des ides et du savoir passait par lcrit.

    Aprs 1848, celui-ci sera dput : je ny reste ni pour bavarder, nipour approuver la constitution . Il est passionn par lide de

    justice et est rest proche des valeurs de lartisan (voir tableau deCourbet dcrivant Proudhon ouvrage et outils la main avec unenfant). Il est attach lamlioration de la classe ouvrire mais

    reste toutefois un homme de paradoxes : quoi que trs ami delordre, je suis anarchiste .

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    Il attaque les socialistes : il se publie je ne sais combiendvanglistes, je ne veux pas augmenter ne nombre de fous . Ilsoppose Karl Marx qui le considre dailleurs comme undangereux adversaire : Marx se considrant lui-mme commephilosophe et conomiste rpondra louvrage de Proudhon Lesystme de contradiction conomique ou philosophique de lamisre par le sien auquel il donne le titre La misre de laphilosophie .

    Contre la dmocratie :

    Proudhon est contre la dmocratie ; on constate ici une parenttroite et tonnante entre Fourier, Saint-Simon et Proudhon. Deux

    ides sont convergentes :- Proudhon considre que le problme social nest pas du ressortpolitique contrairement ce que lon pense de nos jours. Leproblme social est du ressort de lconomique, Proudhon croit enla primaut de lconomique : lconomie daujourdhui estlconomie politique. Avant de lgifrer, dadministrer, de btirpalais et temples et avant de faire la guerre, la socit travaille,navigue, change, exploite les terres et les mers . Lconomie estimportante, pas les changements politique ; on trouve ici uneparent avec le marxisme ainsi quavec les ides libralesvhicules notamment par Ricardo.

    - Proudhon na plus confiance dans la dmocratie ; il critique lesuffrage universel : religion pour religion, lurne populaire estencore en dessous de la Sainte Ampoule mrovingienne . Dutemps des rois sacrs thaumaturges, intermdiaire divin entre le

    ciel et la terre, lonction avec lhuile tait le signe de linvestiture.Le suffrage universel est une sorte donction ; tout a semble pourProudhon assez fragile. Cela explique que les syndicalistes franaisrestrent fidles la pense proudhonienne en tant que dfiance augouvernement (prfrence par lastronomie syndical par rapport un monde politique faisand et opportuniste).

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    science. La rvolution de 1848 est influence par les saint-simoniens et les fouriristes.

    - le culte du peuple : combattant, le peuple participe la rvolutionavec la bohme, ce milieu interloque entre les oisifs, les tudiants

    plus ou moins attards et les marginaux de tous poils rfractairesau cadre du travail. Sur ce point, les marxistes nexerceront quant eux aucune influence sur la rvolution de 1848.

    Cet esprit de 1848 va dans tous les cas marquer les esprits ; on dirade faon pjorative que Mitterrand avait un esprit quarante-huitard.

    II. LACOMUNEDE PARIS

    Il sagit plutt ici dune lgende. Il sagit de frapper les esprits engrossissant les traits car en ralit, cette priode fut trs courte : du18 mars 1871 au 28 mai de la mme anne. Cest une raction dupeuple de Paris qui ragit de faon pidermique et patriotiquecontre linvasion allemande. Larme franaise sera finalementcrase et cela se termine par la chute de Napolon III quifinalement sexpatriera en Angleterre.

    Les communards dcident de refuser cet tat de fait : il refuse lemysticisme, il refuse lentente avec les allemands et souhaitecontinuer la guerre. Ils rejettent le gouvernement imprialretranch Versailles et dirig par Adolphe Tiers. Ce dernier monta Paris pour faire carrire et se retrouvera dans les ides de

    Talleyrand (1825). Les versaillais craseront finalement lescommunards au mur des fdrs.

    Linfluence de Marx sera nulle, les tendances dgages sont franco-franaise. Cest la suite des enrags, des jacobins et desproudhoniens. En revanche, limpact de la Commune de Paris futgrand sur le marxisme. Marx sattachera trs tt dfinir le moyenpour dtruire la socit politique actuelle et pour dfinir la formedorganisation sociale qui succdera ltat au lendemain delinsurrection proltarienne. Marx dira aussi que le mouvementproltarien devra tre centralis pour viter lanarchie.

    III. LARVOLUTIONDE 1917

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    La rvolution de 1917 constitue une date majeure de lhistoire du20me sicle, elle marque une coupure nette. Quand Lnine dcidede prendre le pouvoir, il sinspire plus des blanquistes (les enrags)que de Marx. Ce coup dtat va opposer des groupes ultra-minoritaires (bataillon des femmes, quelques cosaques, des cadetsde larme) contre les rvolts de larme soit finalement quelquespoignes dhommes se battant dans un monde quasi-indiffrent.

    Il y a toutefois une mystique de la rvolution de 1917 : cettegrande lueur qui sest leve lEst . Il y a la naissance du particommuniste se levant comme une glise et une arme : les chefssont les chefs, ce sont eux qui dcident [] malheurs auxdissidents . la suite de ces vnements senchanera une

    internationale communiste dirigeant dune main de fer depuisMoscou les partis frres.

    SECTION IMARX OU LE SOCIALISME MILLNARISTE

    Karl Marx (1818-1883) est n dans une famille de la haute

    bourgeoisie. Titulaire dune thse en philosophie, il se dirige versles mtiers du journalisme. Il rencontre Engels, fils dun industrieldu textile envoy Manchester pour prparer la succession de sonpre ; tout deux vont laborer la thorie marxiste qui seraformalise par le manifeste communiste de 1848 : proltairesde tout pays, unissez vous ! Tous deux participent la premireinternationale mais ne deviendront toutefois majoritaires qu laseconde avec Guesde et les dirigeants de la sociale dmocratie

    allemande.

    Karl Marx a peu travaill dans sa vie ; il aura travaill en tout 15 ansavant de retrouver laisance matrielle grce deux hritages.Marx est lhomme des renversements ; Hglien il croit au sens delhistoire, cest--dire en la rationalit de celle-ci dans sondveloppement vers une plus grande libert. Marx dit quil fautmettre sur pied lhglianisme, cest--dire le faire tomber de la

    sphre des ides vers plus de matrialit dans le mondeconomique. Lhomme doit projeter dans la matrialit les meilleurs

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    de lui-mme : il sagit l dune rupture avec la conceptiontraditionnelle initie avec la pense de Platon.

    INFRASTRUCTURE

    Le marxisme est la fois une thorie conomique, une thorie

    sociologique et une prophtie : - la thorie conomique reprend lavaleur travail chre Ricardo et privilgie la production surlchange. Il complte et soppose Adam Smith mais rejoint iciSaint-Simon. ; le marxisme est aussi une sociologie car il analysela dynamique des socits et leurs volutions. ; la marxisme estenfin et galement une prophtie porte sur le devenir du mondecapitaliste, une prophtie dessence millnariste.

    I. LANTI-POLITIQUE

    La politique en tant que telle nest aborde que par ricochet. Si elleest base sur la superstructure, elle nest pas lessentiel du dbat,surtout quand elle affirme que lhistoire de toute socit jusqunos jours na t que lutte des classes . Il sagit l dune illusion etMarx ne critique finalement la politique que pour satisfaire savanit.

    Une critique de la politique :

    Pour Marx, la politique est un angle de vision tronqu. Penser quonpeut rsoudre la question sociale en rformant ltat est un nonsens car ltat fait corps avec la socit. Engels a utilis le premierle concept de socit civile en considrant que ltat est diffrentde celle-ci. Pour Marx, les deux sont lis : ltat est le reflet de la

    socit en gnral, telles les deux faces dune mme mdaille. Defait, il ne peut tre une arbitre dans un jeu o il est lui-mme le

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    reflet. La politique na donc aucune ralit indpendante. PourMarx, lesprit politique est quelque chose de myope aboutissant des non-sens si lon sen sert pour rgler les problmes.

    Une critique du socialisme dtat :

    Karl Marx critique en fait un thoricien socialiste, Lassalle, dont lathorie reposait sur le fait que ltat devrait avoir un rle deproduction, de production minire, sous la forme de cooprative etque cela aboutirait changer le monde. Selon Lassalle, ensocialisant la production, on va changer le systme conomique.Marx dit que a na pas de sens car tant que ltat ne sera pas ltatdes proltariens, il ny aura aucun changement.

    Ce qui compte, cest la prise du pouvoir par le peuple, la prise ducontrle de ltat. Les coopratives ne sont quun moyen mais pasune finalit. Pour Engels, la proprit prive ne pourraprogressivement plus exploiter les forces productives. Ds lors, ilfaudra que ltat en prenne le contrle. Cest ce moment l que leproltariat pourra se saisir de ltat afin den finir avec un tatoppresseur : ltat nest ici quun moyen dont il faut prendre lecontrle.

    Une critique de lanarchie :

    Quelle est cette critique ? Marx avait du respect pour les utopistes,cependant, il leurs reprochent leur navet quil situe au niveau dela reconnaissance des phnomnes conomiques ; il souligne 3choses en particulier :

    - leffacement de lindividu devant le groupe : contrairement auxutopistes, Marx pense que si lindividu sefface devant la socit,cela va renforcer lalination et les souffrances.

    la proprit prive : les utopistes proposent de la gnraliser l oMarx et Engels pensent quil faut la supprimer. Ces derniersproposent de substituer la proprit prive de quelques uns unepossession de toute chose par tous.

    labolition de ltat : Marx et Engels veulent imprativement cette

    abolition et ceci sans tenir compte du fait que ltat serait

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    lavnement du communisme avant mme que le capitalisme netombe et quil faille enfin supprimer ltat.

    Une critique du nationalisme :

    Les ouvriers nont pas de patrie. Pour Marx, les antagonismes entrepeuples disparaissent tout comme les nationalismes ; luniformitdes conditions dexistence cre la solidarit. La lutte des classes nepeut videmment se drouler dans le cadre exclusivement nationalmme si, terme, tout sera unifi lchelle mondiale. Lenationalisme na en consquences pas de contenu rel ni raisondtre ; partout on retrouve lexploitation de lhomme par lhomme.

    II. LAMETHODE

    Il existe bien une mthode, pourtant il nest pas facile de la dcrire.Il est toutefois possible de distinguer quatre de ces traitsprincipaux :

    Lalination :

    Le terme provient du latin alienus qui signifie qui appartient

    autrui . Dun point de vue historique, il sagissait initialement delacte par lequel quelque chose nous devient tranger ; par la suite,il sagira de ltat qui en rsulte. Le concept nest pas toujoursngatif, ainsi, Hegel en fera une notion positive car elle est le pointde dpart du processus dobjectivation : lhomme met une distanceentre lui et ses propres crations. Il sagit donc dans ce dernier casdune phase indispensable dans le dveloppement de sa pensevers labsolu et la libert.

    Marx, quant lui, part de lide dalination du travail, ide quilpoursuit jusqu considrer le ftichisme de la marchandise (onpeut dailleurs en profiter pour avoir une rflexion sur nos proprescomportements) : Marx considre quil sagit ici dun pouvoirquexercent les choses sur lhomme alors mme que cest nous quiles avons cr. Ce pouvoir se manifeste par exemple, en cas dedfaut, par de la frustration. Pour en revenir au travail, lhomme est

    dpossd du produit de son travail, ce dernier tant alors vendu

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    comme une simple marchandise. Cette dpossession conduitlhomme finalement devenir tranger lui-mme.

    Le matrialisme historique :

    Les grecs pensaient que lhomme ne devenait homme que quand ilcommenait soccuper des affaires de la cit (lAgora) ; ce quelon appellera plus tard la politique tait pour eux la seule chosevraie et importante. Marx pense exactement le contraire et place letravail au centre de lanalyse.

    Pour lui, les forces productives sont la base de tout. Elles secomposent des moyens de productions auxquels sajoutent leshommes qui les manient. Les rapports de production sont quant eux les rapports qui sinstaurent entre les hommes lors desoprations de production. Ils se composent des formes de laproprit de ces moyens et des formes de rpartition des produits.Les moyens plus les formes forment le mode de production soit cequil appelle linfrastructure : lensemble de ces lmentsconstituent le schma de base (page 28).

    INFRASTUCTURE

    Formes de rpartition

    Dun point de vue dynamique, tout changement danslinfrastructure change la superstructure : le moulin brasengendre la socit antique et lesclavage, le moulin ventengendre la socit fodale, le moulin vapeur engendre quant lui la socit du capitalisme industriel, etc. On voit que selon cettethorie, chaque changement dans linfrastructure entrane unchangement dans la superstructure savoir dans tout ce qui nestpas conomique mais culturel et idologique. On comprend mieuxici la critique marxiste faite la politique qui ne vise qu modifierdirectement la superstructure : elle nest quun leurre.

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    Marx identifie 5 types fondamentaux de rapports de production quisenchanent de manire rationnelle : la communaut primitive,lesclavage, la fodalit, le capitalisme et le socialisme. Tout est icidit, lhistoire est crite et le passage inluctable dun tape uneautre est la fois rationnel et naturel : certains stadesdvolution, les rapports de production rentrent en conflit avec lesforces de production de plus en plus durement jusqu ce quil soitindispensable de changer et passer ltape suivante.

    La lutte des classes :

    Marx est la base un conomiste : il pense que la proprit privedes moyens de production implique la division du travail. Il rejoint

    ici Adam Smith ( La richesse des nations , 1876) dans lide quela division du travail permet lenrichissement par des gains deproductivit. Marx rcupre lapport de cette thorie avec laquelle ilest globalement daccord mais objecte toutefois sur la question dela confiscation des bnfices du travail. Pour lui, lhomme est du faitde cette confiscation alin : les bienfaits de la division luichappant, les propritaires des moyens de production finissent parexclure dfinitivement les propritaires lgitime du travail, ce qui

    provoque inluctablement lapparition des classes sociales.

    Marx nous dit ce propos que lhistoire de toute socit jusqunos jours na t que lhistoire de la lutte des classes ; en effet,selon lui, la lutte des classes est le seul moyen de comprendrelhistoire. Marx nous dit toutefois que la lutte des classes na pastoujours exist mais que si partir de la communaut primitive ellea toujours t l, son intensit a pu varier : aujourdhui, on est

    dailleurs dans un paroxysme car si le but de lhistoire est desupprimer la lutte des classes (sens de lhistoire selon Hegel), leproltariat actuel soppose la bourgeoisie. Notons au passage quedautres classes existent mais celles-ci nont pas de significationrelle au regard des forces de production. Pour Marx, la bourgeoisieest la classe dominante car dtenant les moyens de production. Ledrame de la bourgeoisie est de susciter des contradictions entre lesmodes et les moyens de production, do la mort prvisible et

    inluctable de celle-ci. Le proltariat est loppos la classe

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    domine car dpouille par la bourgeoisie qui tente de lui enlevertout moyen mme dexistence.

    Les lois du capitalisme :

    Selon Marx, celui-ci est amen mourir : oui cest vrai, il y a deslois dvolution que je connais : les dtenteurs des moyens deproduction accaparent la plus-value issue du travail . Lecapitalisme ne peut exister quen se reproduisant une chelle deplus en plus large de faon accumuler toujours plus de capital. Cequil y a, cest quen se dveloppant ainsi, le capitalisme produit sapropre ruine : il stend de plus en plus vite et va de ce fait droitdans le ravin. Les forces fondamentales de celui-ci sont aussi les

    forces de sa destruction.Trois lois gouvernent lvolution du capitalisme : - le capital seconcentre en de moins en moins de mains ; - il y a la cration dunearme industrielle de rserve (les chmeurs) doubl dune baissedes salaires relatifs (la pauprisation) ; - le produit final a tendance baisser.

    Concrtement et de ces lois, Marx dduit que le capitalisme va

    ncessairement subir des crises de surproduction qui sexplique parle fait que si les propritaires prennent de plus en plus de plus-value tout en laissant de moins en moins au proltariat, cesderniers ne pourront plus consommer entranant par l mme lasurproduction (ou crises de sous-consommation arrire). loccasion dune de ces crises surviendra la rvolution.

    Kojeve, philosophe marxiste, a dit que Marx avait raison mais que

    dans les faits, les capitalistes sarrangeaient pour toujours laisserun peu aux autres et en tout cas suffisamment afin que cecipuissent continuer a consommer et viter ainsi limplosion. Marxsoutient en revanche qu lissue de lune de ses crises inhrentesau modle capitaliste, la rvolution, qui se manifestera par lactiondu proltariat, sera loccasion dun changement totaldinfrastructure : il ny aura plus dalination ni de propritprivative de sorte que cela ouvrira la voie du communisme et de la

    libert, ltat disparatra. On notera que la pense marxiste toutcomme le rgime quil propose sont dinspiration millnariste.

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    III. LATRANSITIONOUDICTATUREDUPROLETARIAT

    Le communisme narrivera quaprs une priode de transition : ladictature du proltariat. Pas drle pour tout le monde, cette priodeprparera la venue du communisme (on ne fait pas domelette sanscasser des ufs). Marx na jamais exclu de la violence de la partdun proltariat qui na plus rien perdre. Ce qui est important, cenest pas le support dun parti politique mais celui dune doctrinecommune. Il est se sujet bienveillant lgard de toutemobilisation en faveur de cette crise. Toutefois, linsurrection estpour Marx ni exclue ni ncessaire ; Engels voquera dailleurs quant lui une voie parlementaire. Selon Marx, lAngleterre est lecandidat idal car le plus avanc lpoque dans sondveloppement.

    IV. CONCLUSION

    Marx ne sest pas donn la peine dlaborer des recettes. PourBabeuf, la rvolution passait par un bain de sang purificateur ; pourMarx, celle-ci est inluctable tel un cataclysme marquant la findune poque maudite et laissant apparatre un soleil nouveau olhomme sera enfin libr de sa soif de richesses, fruit dun mal troplongtemps subit. Marx voit le millnium et la construction dune citidale sur la terre telle que dcrite par les vangiles.

    SECTION IILNINE OU LE SOCIALISME DTAT

    Vladimir Illich Oulianov dit Lnine (1870 1924) est issu de la petitenoblesse ; il a vu mourir son frre excut en 1887 la suite duncomplot rat contre le Tsar Alexandre III. Il prfrera lactionpolitique savamment organise la violence. tudiant en droit, il setournera assez vite vers le marxisme. Marx fut surpris de lcho deses ides en Russie quil considrait comme moins avance et doncmoins proche de la rvolution.

    Lnine sest attach donner son clairage sur des points laisssen friche par Marx. Il adhre au Parti Communiste russe et fini par

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    prendre le contrle de celui-ci en 1903 au cot des bolcheviques(bolcheviques = majoritaires ; mencheviques = minoritaires). Cesderniers sont partisans dun marxisme volutionniste, cest--dire,dun marxisme qui chappe la mainmise des hommes. Pour eux,la rvolution doit tre programme de faon imminente.

    Lnine ne fait toutefois pas lunanimit au sein de son propre parti ;Rosa Luxembourg dcrira le parti socialiste dmocrate de la faonsuivante : ceux qui gouvernent en ralit sont une demi-douzainede ttes minentes [] cest une dictature, non celle du proltariatmais celle dune poigne de politiciens .

    Trois points caractrisent la pense de Lnine :

    Une autre vision de la rvolution :

    Lnine rfute lide de Marx selon laquelle la rvolution devraitcommencer par des pays plus dmocratiss et o les murs sontles plus librales. La rvolution doit se propager non pas douest enest mais au contraire, dest en ouest. Le socialisme doit sinstaurerl o le capitalisme est le plus faible et ce pour mieux le terrasser.Peu importe le retard quon va combler par la dictature du

    proltariat, le socialisme sera alors en mesure de se propager.

    Une conception anti-dmocratique :

    Lnine mprise la dmocratie et il ne la considre pas comme lanti-chambre du communisme. Pour lui, il y a une rupture complte,cela na absolument rien voir : la dmocratie parlementaire estpour lui un jeu vici par les riches, cest une dmocratie formellecar elle laisse lessentiel de ct, le politique a pris le pas sur lasuperstructure. Cette conception illustre la diffrence entre libertrelle et libert formelle (voir par exemple en France la pressergionale actuelle qui, sous le contrle des maisons dditionsparisiennes, ne dispose que dune libert formelle, ce qui pose unproblme de dmocratie). Pour Lnine, il ne faut pas se laisser avoirpar les piges de la dmocratie, la rvolution arrivera dans tous lescas.

    La dictature du proltariat :

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    Marx ne lavait pas prcis aussi Lnine complte donc sa pensepar linstauration du coup de force : le proltariat doit dlguer sasouverainet le temps ncessaire pour que soit fait le boulot. Laviolence est ncessaire, lgitime et mme naturelle : le sang doitcouler. Le chef de la dictature doit tre le chef du parti bolchevique.La dmocratie devra y tre suspendue, y compris au sein du particommuniste. Les purges vont donc commencer sous Lnine ; toutest en place sous son rgime, Staline ne fera que continuer.

    Pour Berdiaev, les sources du communisme sont chercher danslorganisation paysanne russe traditionnelle qui explique la facilitdacceptation de ce systme. Le communisme russe reprend unepartie de lhritage populaire ; cest exactement la mme chose

    concernant la politique internationale russe depuis les TsarsRomanoff ; idem pour Moscou dont les qualits de centremessianique et de porte vers loccident seront reprises sous lrecommuniste.

    SECTION IIJAURS OU LE SOCIALISME DMOCRATIQUE

    N Castres, Jean Jaurs (1859-1914) va bouleverser le paysagepolitique franais. Aprs avoir fait carrire avec Jules Ferry, il vapasser au socialisme sans pour autant devenir marxiste. Il serarlu de 1902 jusqu sa mort. Son modle en politique futGambetta dont il respectait galement son art oratoire : Jaurscest une voie sans paratre .

    I. JAURES, UNREVISIONNISTEDUMARXISME

    Une des russites majeures de Jean Jaurs sera dtre arriv rassembler les diffrentes tendances socialistes au sein dun partisocialiste unifi, la SFIO (Section Franaise de lInternationaleOuvrire).

    Parmi celles-ci, on va trouver la tendance du docteur Brousse qui se

    qualifie lui-mme de possibiliste ; il sagit pour lui dabandonner letout la fois et de fractionner le but idal en plusieurs tapes

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    srieuses : il faut immdiatiser nos revendications pour les rendrepossibles do le terme de possibiliste. Cette tendance a donnnaissance au socialisme municipal. On va trouver galement lersidu blanquiste men par Vaillant poursuivant dans la veinebabouviste, la tendance marxiste avec Jules Guesde et enfin lesocialisme indpendant issu dun socialisme modr ou radicaledont lide principale est celle de labsence de rupture avec laRpublique.

    Ce nest pas un contradicteur du marxisme, il veut juste revoircertains points de cette doctrine. Ainsi, Jaurs ne crois pas que leshommes soient rductibles de simples lments mcaniques dansle processus dialectique de lhistoire. Pour lui, les hommes se

    distinguent par leur esprit dont les influences les rendent peurductibles au schma marxiste. Jaurs ne croit pas non plus lapauprisation absolue du proltariat car il pense que ce dernierpeut sorganiser, rsister pour enfin obtenir plus.

    De mme, il pense que dautres voies sont ouvertes que larvolution finale cense conduire la perte du capitalisme. Jaursrfute le caractre inluctable de la lutte des classes : je ne crois

    pas que les plus grands capitalistes ne soient pas effrays par ladisproportion de leur richesses [] . Pour lui, les capitalistes lesplus riches ne sont pas labri dune faiblesse sentimentale qui lesconduira lcher un peu de leurs richesses.

    De faon synthtique, il y a pour Jaurs un moyen dlever la classeouvrire et de ngocier au mieux ses intrts. Laction de Jaurspeut sanalyser au final comme une tentative de contournement du

    marxisme consistant en raboter les points les plus abrupts.

    II. UNSOCIALISMEDECONCILIATION

    Jaurs, nous lavons vu, ne crois pas au caractre inluctable de lalutte des classes. La socit nest selon lui pas divise entre unproltariat et une bourgeoisie fondamentalement dmocratique.Pour lui, toute action dmocratique est une transaction ; la

    dmocratie est une transaction, cest le m