Cours Leçon 3 Juifs chrétiens et musulmans entre antagonismes et ...

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1 THEOLOGIE OECUMENIQUE ET THEOLOGIE DES RELIGIONS Titre : Identités, violences et réconciliations entre : a. Juifs, chrétiens et musulmans, b. catholiques, orthodoxes et protestants. Leçon 3 : Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations (1) Cours conçu par Shafique Keshavjee, professeur ordinaire Assistant : Bruno Gérard COURS Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations Un regard synoptique, une perspective chrétienne Introduction La longue histoire des relations entre juifs, chrétiens et musulmans est chargée et complexe. Les rencontres interreligieuses entre personnes de ces trois traditions se sont heureusement beaucoup développées durant ces dernières décennies. En quête d’amitiés sincères, ces personnes sont souvent confrontées à des souvenirs d’inimitiés tenaces 1 . Les relations interreligieuses se vivent entre hospitalités et hostilités 2 . Les mémoires sont meurtries 3 . Seule une longue et difficile thérapie des conscients et des inconscients, individuels et collectifs, peut progressivement améliorer les relations. 1. Les identités « en bref » 2. Entre antagonismes et réconciliations 3. Trois manières de croire et de vivre Dieu, l’humain et le monde 4. Forces et faiblesses respectives 1 Cf. en Annexe 1 un court exposé pour lequel le rabbin Marc-Raphaël Guedj m’avait sollicité et que j’ai donné le 17 mars 2006 durant une soirée de « repas sabbatique ». 2 Cf. en Annexe 2 un court exposé donné sur ce thème à la Communauté interreligieuse de Suisse, le 26 mars 2006. 3 Cf.en Annexe 3 un message donné à Auschwitz à un groupe composé de rescapés de la Shoah, d’enseignants de Suisse romande, de juifs, de chrétiens et d’autres. A ce temps de mémorial, un rabbin, un prêtre et un pasteur étaient sollicités.

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THEOLOGIE OECUMENIQUE ET THEOLOGIE DES RELIGIONS Titre : Identités, violences et réconciliations entre : a. Juifs, chrétiens et musulmans, b. catholiques, orthodoxes et protestants. Leçon 3 : Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations (1) Cours conçu par Shafique Keshavjee, professeur ordinaire Assistant : Bruno Gérard

COURS

Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations Un regard synoptique, une perspective chrétienne

Introduction La longue histoire des relations entre juifs, chrétiens et musulmans est chargée et complexe. Les rencontres interreligieuses entre personnes de ces trois traditions se sont heureusement beaucoup développées durant ces dernières décennies. En quête d’amitiés sincères, ces personnes sont souvent confrontées à des souvenirs d’inimitiés tenaces1. Les relations interreligieuses se vivent entre hospitalités et hostilités2. Les mémoires sont meurtries3. Seule une longue et difficile thérapie des conscients et des inconscients, individuels et collectifs, peut progressivement améliorer les relations. 1. Les identités « en bref » 2. Entre antagonismes et réconciliations 3. Trois manières de croire et de vivre Dieu, l’humain et le monde 4. Forces et faiblesses respectives

1 Cf. en Annexe 1 un court exposé pour lequel le rabbin Marc-Raphaël Guedj m’avait sollicité et que j’ai donné le 17 mars 2006 durant une soirée de « repas sabbatique ». 2 Cf. en Annexe 2 un court exposé donné sur ce thème à la Communauté interreligieuse de Suisse, le 26 mars 2006. 3 Cf.en Annexe 3 un message donné à Auschwitz à un groupe composé de rescapés de la Shoah, d’enseignants de Suisse romande, de juifs, de chrétiens et d’autres. A ce temps de mémorial, un rabbin, un prêtre et un pasteur étaient sollicités.

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1. Les identités « en bref » 1.1 Le coeur des identités Qu’est-ce « être juif », « être chrétien », « être musulman » ? Ces questions ont donné naissance à des millions de réponses et de textes. Impossible donc en quelques lignes d’y répondre sans caricaturer à l’extrême chacune de ces identités (plurielles et complexes)! L’identité juive 4 L’identité juive s’est construite autour de trois pôles : un Peuple (« Juda »), une Terre (la « Judée ») et un Message (la « Loi juive »)5. Elle est constituée à la fois d’une religion, d’une culture et d’une sensibilité6. Le mot judaïsme dérive d’une racine hébraïque signifiant « rendre grâce » (à Dieu).

L’identité chrétienne L’identité chrétienne s’est construite autour de la figure de Jésus confessé comme le Christ7. Elle est située entre deux pôles : appartenance molle à une culture (« chrétienté ») et adhésion forte à une foi (« christianisme »). Le mot christianisme dérive d’une racine grecque signifiant « être oint » (par Dieu).

L’identité musulmane L’identité musulmane s’est construite en référence à l’expérience de Mohammed. Elle peut exprimer autant l’appartenance à une religion qu’à une civilisation8. Le mot « islam » dérive d’une racine arabe signifiant « se soumettre » (à Dieu)9.

4 La question de l’identité juive est probablement la plus complexe des trois. Etre juif, est-ce appartenir à une même « race » ? Non ! Il y a des juifs blancs et des juifs noirs (cf. les Falashas, ces juifs éthiopiens dont beaucoup ont été rapatriés en Israël). Est-ce avoir une même nationalité ? Non ! Il y a des juifs allemands et des juifs marocains, des juifs israéliens et des juifs non israéliens. Est-ce avoir une même religion ? Non ! Il y a des juifs croyants et des juifs athées, des juifs religieux (pratiquants) et des juifs non-religieux (non-pratiquants) ; des juifs « juifs » et des juifs « chrétiens » (tel Oswald Rufeisen, juif devenu carme et ayant pris le nom de Père Daniel et qui a souhaité en 1962 bénéficier de la nationalité israélienne par la « Loi du retour » -formulée en 1897 au Congrès sioniste de Bâle et adoptée à la Knesset en 1950 selon laquelle quiconque se déclare juif peut recevoir la nationalité israélienne- ; son cas fit grand bruit car les religieux, se référant à la Loi talmudique affirmèrent que seul est juif celui qui est né de mère juive ou s’est dûment convertie au judaïsme ; en 1962 la Haute Cour décide alors que cette Loi ne concerne pas les personnes qui se sont ultérieurement converties au christianisme ; Daniel Rufeisen obtint toutefois la citoyenneté israélienne par naturalisation ; en 1970, sous la pression des partis religieux, la Loi du retour est amendée : est juif toute personne née d’une mère juive ou convertie au judaïsme cf. Les Israéliens, Encyclopédie du Monde actuel, Le Livre de poche, 1976, pp.154ss.) La « question juive » est sans cesse débattue. De manière très critique Marx a écrit : « Ne cherchons pas le secret du Juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le Juif réel. Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. Une organisation de la société qui supprimerait les conditions nécessaires du trafic, par suite la possibilité du trafic, rendrait le Juif impossible. La conscience religieuse du Juif s’évanouirait, telle une valeur insipide, dans l’atmosphère de la société. (…) L’émancipation sociale du Juif, c’est l’émancipation de la société du judaïsme. » (Karl Marx, La question juive, Editions 10/18 ; 1968, pp. 49 et 56). Il est à souligner que Marx a écrit ces pages en réponse à un texte d’un de ses anciens maîtres, Bruno Bauer, qui lui a enseigné la théologie à Berlin dans les années 1836-1840. Ce texte figure dans le livre susmentionné. Pour Marx donc, l’identité juive est une identité illusoire reflétant une société aliénée. L’émancipation de cette société –dominée par l’argent- conduirait à l’émancipation du juif, c’est-à-dire à son évanouissement. Sur ce sujet, cf. de Robert Misrahi, Marx et la question juive, Gallimard, 1972. Selon Sartre, l’identité juive trouve aussi une explication sociale. Dans son ouvrage Réflexions sur la question juive, (Gallimard, 1954) il défend la thèse selon laquelle s’il y a de l’antisémitisme, ce n’est pas à cause des juifs, mais c’est plutôt à cause de l’antisémitisme qu’il y a encore des juifs. Le jour où il n’y aura plus d’antisémitisme obligeant le juif a s’affirmer en tant que juif, il n’y aura plus de juif. Cette explication « réductionniste » est bien évidemment refusée par les croyants, aussi bien juifs que chrétiens…

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Commentaires : Il importe de rappeler immédiatement que chacune de ces trois « identités » s’est construite –et continue de se construire- en rupture/continuité/reprise/antagonisme avec les deux autres. Aucune de ces identités n’existe « en vase clos ». Le christianisme s’est constitué en rupture/continuité avec le judaïsme du premier siècle10 ; l’islam s’est constitué en rupture/continuité avec le judaïsme et le christianisme du 7ème siècle11. Aujourd’hui, comme hier et demain, les conflits, les dialogues et les perceptions mutuelles continueront de déstabiliser et de fortifier les identités des uns et des autres12.

5 Cette perspective est celle proposée par André Chouraqui dans son ouvrage Histoire du judaïsme, PUF, 1979. « L’histoire du judaïsme sera celle d’une trinité : le message, ici, est inséparable du peuple, qui le reçoit et celui-ci ne se conçoit que par rapport à sa terre » (p.5). Précisons immédiatement que le Peuple, le Message et la Terre ont été compris de mille manières par les juifs eux-mêmes, et que c’est précisément cette diversité qui donne la complexité à leur identité. Pour une présentation synthétique et pédagogique de la vocation juive, cf. de Samson Raphaël Hirsch, Dix-neuf épîtres sur le judaïsme, Cerf, 1987. 6 A lire -et à relire !- le beau texte d’Emmanuel Lévinas paru dans l’Encyclopaedia Universalis, DVD, Version 11, 2006, comme « Prise de vue » sur le judaïsme. Ce texte figure dans les Annexes. 7 Cf. la « Prise de vue » sur le christianisme paru dans l’Encyclopaedia Universalis, DVD, Version 11, 2006 de Pierre Liégé. Ce texte figure aussi dans les Annexes. La littérature sur le christianisme est bien sûr monumentale. Pour une somme synthétique (plus de 1200 pages !), cf. l’ouvrage de Hans Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, Seuil, 1999, où il présente le christianisme non seulement dans son extension historique et sa diversité confessionnelle, mais aussi dans sa spécificité et ses ouvertures possibles à d’autres traditions religieuses. Voici comment Hans Küng définit le cœur de l’identité chrétienne : « Ainsi se trouve défini sans ambiguïté le spécifiquement chrétien –la différence non seulement avec le judaïsme, mais avec toutes les autres religions et tous les humanismes : le spécifiquement chrétien, c’est le Christ crucifié et néanmoins vivant ! Et la foi en ce Christ n’est pas une formule vide, pas davantage une simple doctrine. En effet : - La foi dans le Christ se rapporte à une personne historique très concrète : Jésus de Nazareth. C’est lui qui se tient non seulement aux origines du christianisme, mais derrière toute la grande tradition chrétienne bimillénaire : est chrétien qui peut se réclamer du Christ. – La foi dans le Christ ne s’exprime pas seulement dans un message, mais également dans des rites porteurs de sens : dans le baptême en son nom et dans la célébration de la Cène en souvenir de lui. – La foi dans le Christ ouvre en même temps un chemin de vie, une orientation fondamentale, pour le présent et pour l’avenir : Jésus-Christ n’apporte certes, pas une nouvelle Loi, mais il apporte l’amour dont il fait le critère fondamental déterminant pour la vie et pour l’agir, pour la souffrance et la mort des chrétiens » (p.79). 8 Cf. la « Prise de vue » sur l’islam paru dans l’Encyclopaedia Universalis, DVD, Version 11, 2006 d’Olivier Carré. Ce texte figure aussi dans les Annexes. 9 Mohammed Arkoun rappelle aussi qu’islam étymologiquement ne signifie pas seulement « livrer quelque chose à quelqu’un » mais aussi « défier la mort ». « (…) défier la mort en livrant son âme, c’est-à-dire sa vie, pour une noble cause. Ici, livrer son âme, se livrer en sacrifice, par exemple dans un combat pour Dieu, c’est manifester à l’extrême cet élan, ce mouvement qui porte le croyant à accepter sans condition l’appel de Dieu et ses enseignements. Aller vers Dieu, c’est aller vers l’Absolu, vers la Transcendance ; c’est se sentir promu à un niveau supérieur d’existence » (Ouvertures sur l’islam, Paris, J.Grancher, 1992, p.35). Les ouvrages de présentation sur l’islam et sur l’identité musulmane sont très nombreux. Outre celui de Mohammed Arkoun, intellectuel musulman largement ouvert aux valeurs de la modernité, cf. d’un occidental converti à l’islam et plus spécialement au soufisme, Roger du Pasquier, Découverte de l’Islam, Seuil, 1984 ; d’un musulman à la fois traditionnel et moderne (gérant l’héritage des Frères musulmans et l’ouverture à l’Occident), Tariq Ramadan, Les Musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam, Sindbad/Actes Sud, 2003 ; d’un islamologue chrétien, dont l’œuvre est reconnue aussi bien par les musulmans que par les chrétiens, Louis Gardet, L’ISLAM, Religion et communauté, Desclée de Brouwer, 1967. 10 Pour une première analyse de la problématique judéo-chrétienne du premier siècle, cf. de Daniel Marguerat, éditeur, Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Labor et Fides, 1996. 11 Pour une première et rapide présentation de cette problématique, cf. de W. Montgomery Watt, Mahomet, Payot, 1980, les pp.37-50 « L’influence du judaïsme et du christianisme ». 12 Pour une présentation contemporaine et dialoguale entre juifs et chrétiens, cf. de Shmuel Trigano, Pierre Gisel et David Banon, Judaïsme et christianisme, entre affrontement et reconnaissance, Bayard, 2005 ; de Catherine Chalier et Marc Faessler, judaïsme et christianisme, l’écoute en partage, Cerf, 2001 ; pour une présentation des regards respectifs entre musulmans et chrétiens, cf. de Jacques Waardenburg, éditeur, Islam and Christianity, Mutual Perceptions since the mid-20th Century, Leuven, Peeters, 1998.

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1.2. Les différences dans les identités Chaque identité religieuse est plurielle. Pour des raisons théologiques, historiques, culturelles… chaque tradition s’est diversifiée. Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO

Les juifs Branches et courants Conséquence de la dispersion, les juifs se sont trouvés répartis entre ashkénazes, en Europe orientale et occidentale, et séfarades dans le bassin méditerranéen. Le monde religieux juif contemporain répond à une diversité de sensibilités à travers principalement deux courants. Le premier (orthodoxe et traditionaliste) est attaché au respect de l’ensemble des prescriptions de la tradition écrite et orale. Pour le second (libéral ou réformé, et conservateur), les textes de la tradition demeurent une référence essentielle et incontournable, mais plus ou moins susceptibles d’adaptation.

Les chrétiens Branches et courants Pour des raisons historiques et théologiques, la communauté chrétienne se trouve aujourd’hui répartie en trois grandes familles – orthodoxe, catholique, protestante – et six courants principaux : 1. les Eglises orientales (arménienne, copte, etc.) 2. les Eglises orthodoxes (grecque, russe, roumaine, bulgare, arabe, etc.) Ces deux courants sont formés d’églises locales, régionales ou nationales, conduites chacune par un patriarche ou primat, en communion les unes avec les autres. 3. l’Eglise catholique romaine, numériquement la plus importante ; elle assure son unité autour du pape à Rome et des évêques à travers le monde. 4. un quatrième courant : luthérien, réformé, anglican, méthodiste, etc. Rattaché à la famille des Eglises issues de la Réformation (XVIe siècle) qui privilégient la Bible et le rôle des laïques, celui-ci participe au mouvement de rapprochement oecuménique. 5. un cinquième courant : baptiste, pentecôtiste, évangélique, etc. Egalement rattaché à la famille des Eglises issues de la Réformation, ce courant est plus réticent quant au mouvement de rapprochement oecuménique. 6. Il existe enfin un certain nombre de communautés dissidentes, majoritairement mais pas exclusivement dans la mouvance protestante.

Les musulmans Branches et courants Dès la succession du Prophète, l’islam se répartit en deux courants principaux : sunnite et chiite. Les sunnites (90%) se réfèrent à la sunna, la tradition du Prophète et au consensus de la communauté formulé par quatre écoles juridiques reconnues. Divisés en plusieurs tendances, les chiites accordent une grande vénération à Ali et aux descendants du Prophète par sa fille Fatima. L’islam connaît aussi l’orientation mystique des confréries soufies, soucieuses d’une adhésion intérieure à l’islam.

Commentaire : La diversité des identités peut s’expliquer par des enracinements dans des aires géographiques différentes (ashkénazes ou « allemands » et sépharades ou « espagnols » ; Eglises d’Orient ou Eglises d’Occident…) ; par des désaccords sur la gestion du pouvoir au sein de la Communauté (catholiques romains et protestants ; sunnites et chiites…) ou encore par des compréhensions différentes de la relation entre fidélité à la tradition et ouverture à la modernité (juifs orthodoxes et juifs libéraux ; protestants libéraux et protestants évangéliques…).

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1.3. Les différents « poids » des identités Les différences de poids démographiques et de poids culturels entre les traditions juives, chrétiennes et musulmanes sont énormes. Le poids démographique des juifs Parmi les 6'453 millions d’habitants vivant sur la planète, 15 millions seraient juifs, soit 0,23% de la population mondiale13. Pour 1 juif il y a…

Le poids démographique des chrétiens Parmi les 6'453 millions d’habitants vivant sur la planète, 2136 millions seraient chrétiens, soit 33% de la population mondiale. … 142 chrétiens et…

Le poids démographique des musulmans Parmi les 6'453 millions d’habitants vivant sur la planète, 1314 millions seraient musulmans, soit 20% de la population mondiale. 88 musulmans

Commentaire : Les relations entre traditions religieuses sont aussi pétries par leurs « rapports de force ». L’identité d’une personne juive qui se sait environnée de 88 musulmans et de 142 chrétiens, au niveau mondial, n’est pas la même que celle d’une personne chrétienne ou musulmane qui se sait en relations avec des communautés nombreuses à travers le monde. Par ailleurs, les évolutions démographiques des communautés religieuses (croissance lente chez les juifs 1,01% par an ; moyenne chez les chrétiens 1,31% par an ; rapide chez les musulmans 1,93% par an) suscitent aussi des réactions de peurs ou de revendications, selon les groupes et les personnes. Les 5 pays avec le plus de juifs 1. Etats-Unis : 5'915’000 2. Israël : 5'022’000 3. Russie : 717’000 4. France : 607’000 5. Argentine : 395’00014

Les 5 pays avec le plus de chrétiens 1. Etats-Unis : 255 millions 2. Brésil : 167 millions 3. Mexique : 102 millions 4. Chine : 65 millions 5. Allemagne : 63 millions15

Les 5 pays avec le plus de musulmans 1. Indonésie : 180 millions 2. Pakistan : 155 millions 3. Bengladesh : 132 millions 4. Inde : 131 millions 5. Turquie : 71 millions16

Commentaire : Il y a plus de juifs aux Etats-Unis qu’en Israël ; parmi les cinq pays où il y a le plus de chrétiens, trois se trouvent en Amérique et un en Asie ; parmi les cinq pays où il y a le plus de musulmans, aucun n’est arabe.

13 Source : International Bulletin of Missionary Research, January 2005. David B. Barrett & Todd M. Johnson in www.gordonconwell.edu/ockenga/globalchristianity (5/04/2006). 14 Source : www.jewishvirtuallibrary.org qui a repris de www.en.wikipedia.org/wiki/Jews_by_country (5/04/2006). 15 Huibert van Beek, A Handbook of Churches and Councils, World Council of Churches, 2006. Un ouvrage époustouflant qui passe en revue toutes les Eglises appartenant au Conseil Œcuménique des Eglises, et donnant aussi des statistiques pour d’autres. 16 Source : Huibert van Beek et David Barrett, op.cit.

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Alors qu’il n’est pas aisé d’obtenir des statistiques fiables pour mesurer les poids démographiques des trois traditions en présence, il est pratiquement impossible d’en mesurer leurs poids culturels 17 respectifs. Le poids culturel des juifs Religion : Moïse, les prophètes et le Tanakh ; Jésus et le Nouveau Testament (sauf Luc) ; Maïmonide, Martin Buber ; Franz Rosenzweig… Philosophie : Henri Bergson, Edmond Husserl, Emmanuel Lévinas… Sciences humaines : Sigmund Freud, Alfred Adler, Bruno Bettelheim, Claude Lévi-Strauss, Raymond Aron, Roman Jakobson, Noam Chomsky… Physique : Albert Einstein, Max Born, Niels Bohr… Politique : Karl Marx, Trotsky, Henry Kissinger… Arts : Felix Mendelssohn, Gustav Mahler, Marc Chagall, Jehudi Menuhin, Arthur Rubinstein… Littérature et cinéma: Arthur Miller, Woody Allen, Isaac Asimov… Entre 1901 et 2005, les juifs représentaient les 0,3% de la population mondiale et ils ont reçu 22% des prix Nobel (en physique, médecine…)18.

Le poids culturel des chrétiens19 Religion : Jésus et le Nouveau Testament ; Irénée de Lyon à Martin Luther King et Mère Teresa… Philosophie : Augustin à Pascal, Kierkegaard, Jaspers et Ricoeur… Physique : Copernic, Galilée, Newton à Georges Lemaître, Werner Heisenberg et Max Planck… Etc.20

Le poids culturel des musulmans Religion : Mohammed et le Coran ; Rûmi, Ibn Arabî… Langue21 : zéro, chiffre, algèbre, alcool, abricot, magasin, douane, jupe, sucre, tasse, toubib… Philosophie : Ibn Sînâ (Avicenne), Ibn Roshd (Averroës), Al Farabi, Al Razi…22 Sciences : Al-Khâwârizmî (algèbre) ; Ibn al-Haytham (optique)… Architecture : Mosquées à travers le monde ; Taj Mahâl à Agra… Etc.23 Entre 1901 et 2005, les musulmans représentaient les 15% de la population mondiale et ils ont reçu 1% des prix Nobel24.

17 Il est évident que le concept de « poids culturel » est vague, subjectif et indéfinissable. J’entends par là le rayonnement de créativité et d’influence –philosophique, scientifique, artistique…- à portée universalisante hors de sa famille d’appartenance religieuse. 18 Selon le site juif, polémique et apologétique www.masada2000.org/nobel.html, les juifs auraient reçu 169 Prix Nobel jusqu’en 2005 (la liste y est indiquée) … et les musulmans 7. Sur le site officiel www.nobelprize.org jusqu’en 2005 776 prix Nobel ont été distribués. Les juifs en auraient donc reçu 22%. S’ils n’avaient reçu ces prix qu’en fonction de leur poids démographique -0,3% durant le 20ème siècle-, cela aurait signifié l’obtention de …3 prix ! Selon ce même site, sur les 776 prix distribués, 725 l’ont été à des hommes et 33 à des femmes (les 18 restants l’ont été à des organisations) ! De ces chiffres on peut déduire que les juifs sont effectivement surreprésentés sur le plan de leur rayonnement culturel, ou encore que l’institution attribuant les prix Noble est largement pro-juif et misogyne ! 19 La liste serait à la fois trop longue et peut-être trop floue ; en effet à part ceux et celles qui en Occident ont clairement pris distance contre la foi chrétienne, presque tous les créateurs culturels en Occident se situent entre une appartenance « molle » et une appartenance « forte » (Mozart et Bach, Kant et Kierkegaard etc.).

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Commentaire : Il est indéniable que durant l’histoire humaine et le 20ème siècle en particulier il y a une disproportion étonnante entre la faiblesse démographique des juifs et leur rayonnement culturel (la moitié de l’humanité se réclame d’un monothéisme sémitique ; toute la Planète a été marquée –positivement et négativement- par le marxisme ; une bonne partie de l’élite occidentale par la psychanalyse…). Le rayonnement culturel du monde arabe et perse a été immense entre le 9ème et le 15ème siècle. Depuis, il faut bien le reconnaître, ce rayonnement, et celui de la pensée islamique en particulier, a été éclipsé au profit de l’Occident, profondément marqué par le christianisme et l’humanisme, et dont les racines intellectuelles et spirituelles sont certes grecques et romaines, mais aussi juives et arabes…

20 Consulter le Dictionnaire culturel du christianisme, Cerf/Nathan, 1994, où les auteurs ont non seulement essayé d’expliquer les mots de base du vocabulaire chrétien, mais aussi de les éclairer par leurs reprises philosophiques et artistiques chez de nombreux auteurs. 21 Dans les langues européennes, il y a un nombre considérable de mots d’origine arabe –ayant transité parfois par d’autres langues- et qui reflètent ce poids culturel que le monde arabe –musulman et chrétien- a exercé sur l’Occident. Cf. de Mohamed Ben Smail, Dictionnaire des Mots français D’origine Arabe, Tunis, STER, 1994. 22 Sur l’importance de la philosophie islamique et son histoire, cf. le classique de Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964. 23 Pour une présentation très riche sur l’influence de la civilisation arabe sur l’Occident, cf. de Sigrid Hunke, Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Albin Michel, 1963. 24 Cf. note 18.

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1.4. Les différents fondements des identités Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO

Les juifs Fondateur et origine Les trois patriarches : Abraham, Isaac et Jacob sont les pères du peuple d’Israël. Treize siècles avant l’ère chrétienne, Moïse reçoit la Torah (les cinq premiers livres de la Bible) sur le mont Sinaï, après la Révélation des Dix Paroles ou Commandements à tout le peuple d’Israël.

Les chrétiens Fondateur et origine D’origine juive, Jésus de Nazareth a prêché le Royaume de Dieu et guéri des malades au début de l’ère chrétienne. Les chrétiens reconnaissent en lui le Christ ou le Messie, mort sur une croix et ressuscité pour vivre à jamais en Dieu.

Les musulmans Fondateur et origine Muhammad, “le loué”, n’est pas le fondateur, mais le prophète de l’islam, l’envoyé de Dieu. Il a vécu à La Mecque de 570 à 622 de l’ère chrétienne, puis jusqu’en 632 à Médine. Son émigration (hégire) marque le début du calendrier musulman qui est lunaire. Pour les musulmans, Muhammad est le dernier messager d’une lignée qui en compte de nombreux autres, tels que Adam (premier homme et premier prophète), Noé, Abraham, Moïse et Jésus, fils de Marie.

Commentaire : Moïse, Jésus et Mohammed… trois sémites dont les destins ont façonné, et façonnent encore, la moitié de l’humanité ! Trois expériences de Dieu qui ne cessent d’être approfondies, de près ou de loin, par trois milliards d’humains ! Mais chacun, à sa manière, s’est inséré dans une histoire qui les précède et les prolonge. Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO

Les juifs Convictions fondamentales Dieu est un et unique, Il a créé l’univers et tout ce qu’il contient. Il a créé l’être humain à Sa “ressemblance”, le dotant du libre-arbitre et lui assignant le rôle de parfaire la création. Par le don de la Torah, Dieu fait alliance avec Son peuple. L’histoire a un sens, et par son action, l’être humain peut la mener vers son but : l’ère messianique libre de violence et d’affrontements, où régnera la justice pour tous (voir les treize articles de foi de Maimonide).

Les chrétiens Convictions fondamentales Le Dieu unique, créateur de toutes choses, est un Dieu d’amour qui a parlé par les prophètes d’Israël et s’est révélé dans la personne de Jésus-Christ, verbe incarné de Dieu, venu au monde pour libérer l’humanité du mal et de la servitude. C’est le Dieu trinitaire, présent par son Esprit de vie qui inspire les croyant-e-s. Le salut, ici-bas et après la mort, est un don gratuit auquel les fidèles répondent par la foi, la prière et un engagement de toute leur existence.

Les musulmans Convictions fondamentales 4. « Dites : “Nous croyons en Dieu, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, aux (douze) tribus, à ce qui a été confié à Moïse, à Jésus, aux prophètes par leur Seigneur. Nous ne faisons aucune distinction entre eux et à Dieu nous sommes soumis”. » (sourate 2, 136). Un seul Dieu (en arabe Allah) révèle un même message — adapté aux circonstances de l’histoire — à ses prophètes et envoyés dont le dernier est Muhammad. Au pacte primordial qui lie l’ensemble de l’humanité à Dieu correspond la fin dernière, le jugement de Dieu qui fait de la vie un test. Sur la voie qui mène à Dieu — la Vérité — la révélation et la foi sont la lumière et l’orientation.

Commentaire : Au cœur de chaque identité : le Dieu un et unique en relation avec le monde… et unique dans ses relations et sa manière d’être un !

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Treize articles de foi de Maimonide25 Je crois d'une foi parfaite… 1. que le Créateur, béni soit son nom, est le conducteur et le créateur de toutes les choses qui ont été créées ; que lui seul a fait, que lui seul fait, et que lui seul fera tous les ouvrages. 2. que le Créateur, béni soit son nom, est seul, et que rien n’égale son unité ; que lui seul est notre Dieu qu’il a été, qu’il est, et qu’il sera. 3. que le Créateur, béni soit son nom, n’est point un corps, qu’on ne peut comprendre en lui aucune forme de corps, et qu’il n’en a aucune ressemblance. 4. que le Créateur, béni soit son nom, est le premier et le dernier. 5. qu’au seul Créateur, béni soit son nom, il convient d’adresser sa prière et non à d’autre. 6. que toutes les paroles des Prophètes sont véritables. 7. que les prophéties de Moïse, notre maître, sont véritables, qu’il a été le père de tous les savants qui ont été avant et après lui. 8. que toute la Loi qui se trouve en notre pouvoir est celle qui a été donnée à Moïse notre maître, que la paix soit avec lui. 9. que cette Loi ne sera jamais changée, ni que jamais il n’y en aura d’autre de la part du Créateur, béni soit son nom. 10. que le Créateur, béni soit son nom, connaît toutes les actions et les pensées des personnes, comme il est dit : c’est lui qui forma également leur cœur, et qui comprend toutes leurs actions. 11. que le Créateur, béni soit son nom, récompense ceux qui observent ses commandements, et punit ceux qui les transgressent. 12, que le Messie doit venir, et que je dois l’attendre tous les jours, quoiqu’il tarde à paraître. 13. Je crois d’une foi parfaite que la résurrection des morts se fera quand il plaira au Créateur, béni soit son nom, que sa mémoire soit exaltée éternellement !

Le Credo de Nicée-Constatinople26

Nous croyons en un seul Dieu, le Père, le Tout- puissant, Créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.

Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles, Lumière venue de la Lumière, vrai Dieu venu du vrai Dieu, engendré, non pas créé, consubstantiel au Père ; par lui tout a été fait. Pour nous et pour notre salut, il descendit des cieux ; par le Saint- Esprit il a pris chair de la Vierge Marie et il s'est fait homme. Il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, il a souffert, il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures, il est monté aux cieux. Il siège à la droite du Père et il reviendra dans la gloire juger les vivants et les morts ; son règne n'aura pas de fin.

Nous croyons en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié, qui a parlé par les prophètes.

Et en l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour le pardon des péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir.

Amen.

Hadith 2 de An-Nawawî Les quarante hadiths27 Umar Ibn Al-Khattâb (DAS) a dit : « Un jour que nous étions assis auprès du Messager de Dieu (SBDL), voici qu’apparut un homme aux hommes d’une vive blancheur (…) il lui dit : - « Ô Muhammad, informe-moi au sujet de l’Islam. L’Envoyé de Dieu (SBDL) répondit : - « L’Islam est que tu témoignes qu’il n’est de divinité que Dieu et que Muhammad est Son Envoyé ; que tu accomplisses la prière, verses l’impôt social purificateur, jeûnes le mois de Ramadhan et effectues le pèlerinage à la Maison de Dieu si tu en as la possibilité. - Tu dis vrai, dit l’homme. (…) Informe-moi au sujet de la foi. - « C’est, répliqua le Prophète (SBDL) de croire en Dieu, en Ses anges, en Ses livres, en Ses Messagers, au Jugement dernier et de croire dans le Destin imparti pour le bien ou le mal ». - « Tu dis vrai, répéta l’homme qui reprit en disant : Informe-moi au sujet de l’excellence. - « C’est, répondit le Prophète (SBDL) que tu adores Dieu comme si tu le vois, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit ». L’homme dit : - « Informe-moi au sujet de l’heure. Le Prophète (SBDL) répondit : - « L’interrogé n’en sait pas plus que celui qui l’interroge ». L’homme demanda alors : - « Quels en sont les signes précurseurs. - « C’est, dit le Prophète (SBDL), lorsque la servante engendrera sa maîtresse et lorsque tu verras les pâtres miséreux, pieds nus et mal vêtus, rivaliser dans l’édification de constructions élevées ». Là-dessus l’homme s’en alla. Quant à moi, je restai un moment. Le Prophète (SBDL) me demanda : « Ô Umar ! sais-tu qui interrogeait ? Je répondis : Dieu et son Envoyé en savent plus. - « C’est Gabriel, dit le Prophète (SBDL), qui est venu vous enseigner votre religion ». Rapporté par Muslim.

25 Traduction tirée de l’utile Judaïsme, christianisme, islam. Les textes fondamentaux et leurs commentaires, Le Point, Hors-série no1, 1er trimestre, 2005, p.39 (avec des commentaires d’Armand Abécassis, Malek Chebel, Jean Delumeau, Régis Debray…). 26 Cf. COE, Commission de foi et constitution, Confesser la foi commune. Explication de la foi apostolique telle que confessée dans le Symbole de Nicée-Constantinople (381), Cerf, 1993, pp.16 et 17 pour les textes en grec et en français. 27 An-Nawawî, Les quarante hadiths, Paris, Ed. Maison d’Ennour, 2001, pp.10-15 pour les textes en arabe et en français.

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Commentaires : Il n’est pas facile de choisir trois textes fondamentaux qui résument « l’essentiel » des trois identités juive, chrétienne et musulmane ! Ces trois textes n’ont pas la même portée. 1. Celui de Maïmonide (1138-1204) –les treize « iqqarim » ou « racines » énumérés dans son commentaire de la Michnah (Sanhédrin 10,1)- est postérieur aux deux autres textes. Contesté notamment pour n’avoir pas mentionné des principes aussi fondamentaux que le libre arbitre et d’avoir suggéré que seule la partie rationnelle de la personne peut survivre après la mort, il a néanmoins été introduit dans le livre des prières et il est souvent cité comme le texte rappelant la plupart des éléments fondamentaux de la foi juive. 2. Le Credo de Nicée-Constantinople est un texte conciliaire du 4ème siècle qui, dans les milieux œcuméniques contemporains, est devenu le texte de ralliement de la plupart des chrétiens. 3. Le hadith –ou propos de Mohammed- est un texte rapporté directement au prophète de l’islam. Voici le commentaire qui l’accompagne : « Tout comme la Fatiha pour le Coran, ce hadith est la matrice de la Sunna du fait qu’il résume les thèmes de cette dernière et les définit »28. Il est important de mettre en évidence que dans chacune des trois traditions il y a un Message transmis par un Messager et un Message transmis par les disciples sur ce Messager et sur les autres Messagers. Et c’est souvent ce méta-message qui pose problème…29

28 An-Nawawi op.cit. p.14. 29 En fait, c’est plus complexe encore, car chaque Message d’un Messager comporte déjà un Méta-Message (« il vous a été dit, mais moi, je vous dis… » ; « les autres ont dit, mais aujourd’hui Dieu dit… »). Les disciples, par volonté de protéger ce Message, formulent un message sur ce Méta-Message (« Ce Message et/ou Messager est l’ultime… »). Nous avons donc à faire à un méta-Méta-Message…).

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2. Entre antagonismes et réconciliations 2.1. Les antagonismes

2.1.1. Les antagonismes des textes et doctrines irréductibles Affirmations juives Le fils premier-né de YHWH, c’est Israël ! (Exode 4/22). Le Messie n’est pas encore venu ! Jésus a été crucifié !(Il n’est pas ressuscité.)

Affirmations chrétiennes Le Fils unique et bien-aimé de Dieu, c’est Jésus ! (Jean 1/18 ; Marc 1/11). Jésus, c’est le Messie ! Il est le Véritable, il est Dieu et la vie éternelle ! (Jean 1/41 ; 1 Jean 5/20…) « Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? Voilà l’antichrist, celui qui nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils n’a pas non plus le Père ; qui confesse le Fils a le Père aussi » (1 Jean 2/22-23). Jésus a été crucifié par les hommes puis ressuscité par Dieu ! (Matthieu 28 ; 1 Corinthiens 15…). Jésus a annoncé le Paraklètos, l’Esprit Saint consolateur (et non Mohammed) ! (Jean 14/15ss).

Affirmations musulmanes Allah n’a pas de fils ! (Coran 2/116 ; 17/111). Jésus, le Messie, n’est qu’un prophète ! (Coran 5/75). « Ceux qui disent : « Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie », sont impies » (Coran 5/17). « Ils ont dit : « Le Miséricordieux s’est donné un fils ! » Vous avancez là une chose abominable ! » (Coran 19/88s). Jésus n’a pas été crucifié, cela leur est apparu ainsi… mais Dieu l’a élevé à lui ! (4/156s). Mohammed a été annoncé dans la Bible ! (7/157). « Jésus, fils de Marie, dit : « Ô fils d’Israël ! Je suis, en vérité, le Prophète de Dieu envoyé vers vous pour confirmer ce qui, de la Tora, existait avant moi ; pour annoncer la bonne nouvelle d’un Prophète qui viendra après moi et dont le nom sera : Ahmad » (61/6)30.

Commentaires : Pendant 20 siècles, juifs et chrétiens, et pendant 14 siècles, juifs, chrétiens et musulmans se sont disputés autour de l’identité de leurs « fondateurs » ! Les chrétiens ont reproché aux juifs de ne pas reconnaître Jésus crucifié et ressuscité comme le Messie ; les juifs ont rétorqué qu’ils l’attendent toujours et que la plus haute révélation passée, présente et future, c’est celle reçue par Moïse et contenue dans la Torah. Les musulmans ont, avec les chrétiens, reconnu que Jésus était un vrai Messager de Dieu, un prophète, qu’il était vraiment né d’une Vierge et qu’il reviendra à la fin des temps. Mais ils ont refusé d’accepter sa crucifixion, donc sa résurrection, ainsi que sa filialité divine. La plus haute révélation passée, présente et future, selon eux, c’est celle reçue par Mohammed et contenue dans le Coran… 30 Dans Jean 14, il est clairement fait mention du paraklètos, celui qu’on appelle auprès de soi. Or periklutos, mot qui lui est proche, signifie « illustre », sens proche de « Ahmad », le « très glorieux » ! D’où la confusion… Sur ce sujet, cf. la note de D. Masson sur 61/6 dans Le Coran II, Gallimard, 1967.

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2.1.2. Les antagonismes des conflits passés et présents Les conflits entre juifs, chrétiens et musulmans n’ont pas été que doctrinaux ! L’histoire des relations entre eux est grandement marquée par une profonde inimitié, souvent exploitée politiquement. Juifs Leurs mémoires sont meurtries par : L’antisémitisme séculaire (antijudaïsme)31. Les synagogues détruites. L’emplacement du Temple occupé par des édifices musulmans. La Shoah. Les tensions en Israël.

Chrétiens Leurs mémoires sont meurtries par : Les invasions arabes, turques… Les églises détruites par les musulmans. Leur mauvaise conscience. Les minorités chrétiennes brimées dans la plupart des pays « musulmans » (dhimmitude)32.

Musulmans Leurs mémoires sont meurtries par : Les croisades, les colonialismes… Les mosquées détruites par les chrétiens. Leurs humiliations (économiques, politiques, technologiques, militaires…). Les minorités musulmanes mal-aimées en Occident. La « Palestine » occupée par les juifs.

Commentaires : La complexité des relations vient précisément de cette histoire et de cette actualité meurtries. La tâche d’une théologie chrétienne des religions consiste non seulement à comprendre les différends théologiques, mais aussi à compatir aux différentes souffrances. Être chrétien, c’est aussi, à la suite de Jésus, s’efforcer d’exercer un « ministère de réconciliation » (2 Corinthiens 5/19-21).

31 Sur le terrible antisémitisme chrétien au fil des siècles, cf. l’anthologie de F. Lovsky, L’antisémitisme chrétien, Cerf, 1970. C’est la lecture de cet ouvrage qui, en son temps, m’avait profondément stimulé à m’engager dans le dialogue interreligieux. 32 Sur la souffrance des juifs et des chrétiens en terres d’islam, cf. les ouvrages – fouillés et controversés- de l’historienne juive Bat Ye’or, par exemple, Juifs et chrétiens sous l’islam. Les dhimmis face au défi intégriste, Paris, Berg International, 1994 ; et plus récemment Islam and Dhimmitude. Where Civilizations Collide, Fairleigh Dickinson University Press, 2002. La dhimmitude est le statut de « protégés » (« dhimmis ») que les juifs et les chrétiens (mais aussi les sabéens et les zoroastriens, cf. Coran 22/17) sont censés obtenir en échange d’un impôt de capitation. Citoyens de seconde zone, leur sort fut rarement enviable (surtout selon les critères d’aujourd’hui), même si, en tant que minorités, ils avaient souvent bien plus de libertés que les « non chrétiens » en terres de chrétienté.

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2.2. Les réconciliations Même si les antagonismes du passé –et du présent- sont violents, il est important de reconnaître que les efforts de réconciliations du présent –et du passé- sont riches de sens et prometteurs. Une histoire des mémoires heureuses entre juifs, chrétiens et musulmans reste encore à écrire. Voici toutefois une sélection très partiale et partielle !

2.2.1. Initiatives juives * Jehuda Halevi, né en Espagne vers 1075 et mort en 1140, a rédigé un ouvrage intitulé le Kuzari. Sous forme d’un débat, un juif, un chrétien et un musulman se retrouvent devant le roi des Khazars… et tentent de le convertir33. Même si à la fin, c’est le juif qui gagne –à l’image de la conversion du roi des khazars au judaïsme-, l’attitude juive à l’égard des deux autres religions manifeste une ouverture intéressante34. « La sage providence de Dieu envers Israël peut être comparée à la plantation d’une semence de blé. Elle est mise en terre, où elle semble se changer en eau, en pourriture ; et la semence ne peut alors plus se distinguer. Mais en réalité, la semence a transformé la terre et l’eau en sa propre substance, puis elle s’élève d’un stade à l’autre et, en changeant les éléments, produit des pousses et des feuilles (…). Il en est ainsi pour les Chrétiens et les Musulmans : la Loi de Moïse a changé ceux qui sont entrés en contact avec elle, même s’ils paraissent avoir rejeté la Loi. Ces religions sont la préparation et l’avant-propos du Messie que nous attendons, et tous les hommes seront le fruit de la semence de Dieu quand ils Le reconnaîtront et tous deviendront un arbre puissant » (Kuzari IV, 23)35. Si je comprends bien ce texte, Israël, la semence, a besoin de la terre et de l’eau –les chrétiens et les musulmans- pour devenir une plante. De même, les chrétiens et les musulmans, même s’ils ne s’en rendent pas compte, ont besoin des juifs pour être métamorphosés. Et finalement, toute l’humanité, dans le futur, est appelée à une transformation –devenir un arbre puissant- par cette rencontre de la semence, de la terre et de l’eau. Juifs, chrétiens et musulmans préparent ensemble la venue du Messie… * Moïse Maïmonide, né en Espagne vers 1135 et mort en 1204, a écrit : « Pénétrer les desseins du créateur dépasse l’esprit humain, car nos voies ne sont pas Ses voies, et nos pensées ne sont pas Ses pensées. Tout ce que l’on dit de Jésus de Nazareth et de l’Ismaélite (Mahomet) qui vint après lui a servi à préparer la voie pour le Roi Messie, pour disposer le monde entier à adorer Dieu d’un commun accord, comme il est écrit : « Alors je ferai que les peuples aient les lèvres pures pour qu’ils invoquent le nom du Seigneur, pour qu’ils le servent dans un même effort » (Sophonie 3/9). Ainsi l’espoir messianique, la Torah et les

33 Comme quoi lorsque un auteur contemporain imagine un tournoi des religions, avec un sage devant un roi, pas de quoi se vanter, il n’est guère original ! « Ce qui a été, c’est ce qui sera, ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : rien de nouveau sous le soleil » a déclaré l’Ecclésiaste (1/9). Rien de nouveau ? N’oublions pas le bouffon… Disons plutôt alors qu’il y a peu de choses nouvelles sous le soleil ! 34 L’histoire du royaume des khazars est fort intéressante. « Peuple apparenté aux Turcs, qui établit un empire entre la mer Noire et la mer Caspienne du VIIe au Xe siècle, les Khazars nous sont connus par des sources arabes, hébraïques et chinoises principalement. Ils s'opposèrent à plusieurs reprises à l'Empire byzantin et aux Arabes. (…) Ayant connu une extension variable, l'empire khazar s'étendit sur les peuples de la région du Caucase, de la Crimée et de la Volga ; Kiev en fit partie au IXe siècle. Il succomba aux assauts des Russes qui conquirent sa capitale, Semander, en 965. Son histoire en tant que nation était terminée. La grande aventure des Khazars fut la conversion de la dynastie régnante et de la caste noble au judaïsme vers 740. Due peut-être à des marchands juifs venus de Byzance ou à un effort réel de prosélytisme juif, cette conversion est parfois comprise comme une volonté des Khazars d'échapper tant à l'influence islamique qu'à l'influence chrétienne de leurs puissants voisins byzantins et arabes. La judaïsation des Khazars, en dépit de progrès certains, ne s'étendit qu'à une portion de la population, chrétiens, musulmans et même païens conservant leurs institutions et tribunaux reconnus et représentés. Au Xe siècle s'établirent des relations épistolaires entre Hasdaï ibn Shaprut, ministre juif du calife de Cordoue Abd-er-Rahman III, et Joseph, roi des Khazars. Par ailleurs, l'histoire de la conversion des Khazars inspira l'œuvre du grand théologien juif d'Espagne Juda Halévy, qui intitula son traité doctrinal du judaïsme Sefer ha-Kuzari, le Livre du Khazar (un dialogue entre un roi khazar et un sage juif) » (Gérard Nahon, « Khazars », Encyclopaedia Universalis, DVD, Version 11, 2006). Marek Halter a consacré un roman à cette histoire intitulé Le Vent des Khazars, paru aux éditions Robert Laffont. 35 Texte cité par Arthur Hertzberg in « Le judaïsme parmi les chrétiens et les musulmans », article paru dans l’ouvrage collectif sous la direction de Mgr Joseph Doré Christianisme, judaïsme et islam. Fidélité et ouverture, Paris, Cerf, 1999, p.55. Pour une édition française de ce texte, cf. Juda Halévi, Le Kuzari. Apologie de la religion méprisée, Lagrasse, Verdier, 1994.

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commandements sont devenus des sujets familiers, sujets de conversation [parmi les habitants] des îles lointaines et chez beaucoup de monde » (Melakhim XI, 4)36. Juifs, chrétiens et musulmans ne s’entendent pas sur leurs fondateurs respectifs. Soit. Mais, selon ce texte de Maïmonide, si ce n’est pas d’une compréhension commune du passé que viendra la réconciliation, ce sera certainement d’un engendrement commun de l’avenir… Au 20ème siècle, plusieurs auteurs juifs ont grandement contribué à renouveler le regard porté notamment sur Jésus et les chrétiens37. Parmi de nombreux auteurs, j’en mentionnerai quelques uns. * Franz Rosenzweig, né en Allemagne en 1886 et mort en 1929, a laissé une œuvre maîtresse intitulée L’étoile de la Rédemption. Sur le point de se convertir au christianisme, c’est la participation à un office de Yom Kippour en 1913 qui le maintient dans sa foi juive. Sa réflexion qui articule les trois pôles de la Création, de la Révélation et de la Rédemption perçoit la profonde complémentarité du judaïsme et de christianisme. « Devant Dieu, tous deux, juif et chrétien, sont par conséquent des ouvriers travaillant à la même œuvre. Il ne peut se priver d’aucun des deux. Entre eux, il a de tout temps posé une inimitié, et néanmoins il les a liés dans la réciprocité la plus étroite. A nous, il a donné la vie éternelle en allumant dans nos cœurs le feu de l’Etoile de sa vérité. Les chrétiens, il les a placés sur la voie éternelle en leur faisant suivre les rayons de cette Etoile de sa vérité au long des siècles, jusqu’à la fin éternelle. Dans nos cœurs, nous pouvons contempler l’image fidèle de la vérité, mais pour cette raison, nous nous détournons de la vie temporelle, et la vie du temps se détourne de nous. Eux, par contre, suivent le cours du temps, mais ils ont seulement la vérité derrière eux ; certes, ils sont guidés par elle, car ils suivent ses rayons, mais ils ne la voient pas de leurs yeux. Aussi la vérité, la vérité totale, leur appartient-elle aussi peu qu’à nous. Car nous aussi, nous la portons certes en nous, mais pour la voir, nous devons commencer par abîmer notre regard dans notre propre intériorité, et là, nous apercevons certes l’Etoile, mais non… les rayons. Or, la vérité totale supposerait que non seulement on voie sa lumière, mais encore qu’on soit éclairé par elle. Eux, en revanche, sont déjà déterminés pour toujours à voir ce qui est éclairé, mais non la lumière elle-même »38. Quelles que soient les forces et les limites de cette image, Rosenzweig a eu l’immense mérite de développer une riche réflexion qui articule inimitié et complémentarité entre juifs et chrétiens. * Il est impossible ici de ne pas mentionner aussi l’œuvre capitale de Martin Buber (1878-1965) qui commença avec Rosenzweig une nouvelle traduction de la Bible en allemand et l’acheva après la mort de son ami. Sa vision du monde, exposée notamment dans Je et Tu39, eut une influence considérable sur les théologiens chrétiens. Dans son ouvrage Israel and the World. Essays in a Time of Crisis40, Buber évoque aussi la complémentarité entre juifs et chrétiens41. “Pre-messianically our destinies are divided. Now to the Christian the Jew is the incomprehensibly obdurate man, who declines to see what has happened; and to the Jew the Christian is the incomprehensibly daring man, who affirms in an unredeemed world that redemption has been accomplished. This is a gulf which no human power can bridge. But it does not prevent the common

36 Texte cité par A. Hertzberg, op.cit. p.56. 37 Rappelons toutefois qu’au 19ème et au 20ème siècle, plus que les évolutions théologiques respectives, ce sont les changements sociaux et politiques qui ont marqué en profondeur les relations entre juifs, chrétiens et musulmans. Les révolutions américaine et française ont permis de développer la prise de conscience de la nécessité de défendre les droits humains fondamentaux dans un Etat « moderne ». Tous les citoyens sont égaux indépendamment de leurs convictions religieuses. La liberté de conscience devient un droit défendu par la Loi. La laïcité – le désengagement des institutions publiques de toute influence religieuse37- a contraint les communautés à se percevoir autrement. Du moins, dans l’espace public occidental où cette nouvelle perspective était adoptée. Avec la Shoah –cette Catastrophe indicible pour les juifs et pour l’humanité- les relations ont encore évolué… 38 L’Etoile de la Rédemption, Paris, Seuil, 1982, p.490. 39 Editions Aubier, 1969. Pour ne citer qu’une seule parole: « Je m’accomplis au contact du Tu, je deviens Je en disant Tu. Toute vie véritable est rencontre » (p.30). En paraphrasant Buber, je dirais que toute théologie (voire philosophie ou science) qui ne mène pas une rencontre plus riche est vaine. 40 Editions Schocken Books, New York, 1963. 41 Cf. aussi de Martin Buber, Deux types de foi. Foi juive et foi chrétienne (1950), Paris, Editions du Cerf, 1991.

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watch for unity to come to us from God, which, soaring above all of your imagination and all of ours, affirms and denies, denies and affirms what you hold and what we hold, and which replaces all the creedal truths of earth by the ontological truth of heaven which is one. (…) Whenever we both, Christian and Jew, care more for God himself than for our images of God, we are united in the feeling that our Father’s house is differently constructed than our human models take it to be” (p.40). Chrétiens et juifs s’interpellent donc sur le déjà et le pas encore, et les uns et les autres sont appelés à se laisser interpeller par Dieu lui-même qui affirme et dénie nos vérités respectives… * Depuis quelques décennies, les ouvrages de la part de penseurs juifs consacrés à Jésus se multiplient. Mentionnons ici en français les livres de Pinchas Lapide42, André Chouraqui43, David Flusser44, Armand Abécassis45, Jacquot Grunewald46, Léon Askénazi47… qui renouvellent la lecture chrétienne de leur figure de référence et contribuent aussi à un processus de réconciliation. * Pour les trois monothéismes, cf. les ouvrages extrêmement stimulants du psychanalyste, philosophe et mathématicien Daniel Sibony48.

42 Fils de Joseph ?, Paris, Desclée, 1978. Dans cet ouvrage, Lapide présente comment Jésus est perçu dans la littérature juive contemporaine, dans les manuels scolaires, ainsi que par les rabbins à travers les siècles. L’auteur parle même d’une « vague Jésus ». « C’est un fait que durant le dernier quart de siècle bien plus d’écrits hébreux ont été rédigés sur Jésus que durant les 18 siècles précédents » (p.45). 43 Jésus et Paul, Fils d’Israël, Aubonne, Editions du Moulin, 1988. Un petit bijou de concision et de respect, qui se termine par un appel vibrant : « Juifs, Chrétiens et Musulmans entendront-ils l’appel d’Abraham à se réconcilier en vérité pour œuvrer au salut universel d’un monde menacé de mort ? Et, unis, offriront-ils une main enfin fraternelle à leurs frères d’Asie et d’Afrique comme aux masses athées d’Occident et d’Orient vouées aux dérisions du matérialisme médiatique ? » (p.88). Même si je suis de moins en moins persuadé que la fracture passe entre les croyants et les autres –tant les aveuglements et les inhumanités sont profondes chez tant de croyants- Chouraqui, par ses traductions de la Bible –Tanakh et Pacte Nouveau- et du Coran a largement contribué à proposer un regard neuf entre croyants monothéistes, d’origine sémitique. 44 Jésus, Paris-Tel Aviv, Editions de l’Eclat, 2005. (Cet ouvrage est une édition entièrement revue et augmentée d’un livre précédent). Flusser a passé sa vie à faire des recherches aux croisements du judaïsme et du christianisme. Et étonnement, il semble avoir plus confiance dans les textes évangéliques que bien des exégètes « chrétiens » ! « Aussi, lorsqu’ils sont étudiés à la lumière de leur arrière-plan juif, les Evangiles conservent une image de Jésus plus fiable qu’on ne le reconnaît généralement » (p.22). 45 « En vérité je vous le dis ». Une lecture juive des évangiles, Paris, Editions 1, 1999. Pour Abécassis, les fondements même du christianisme ne sont plus perçus à l’extérieur de la tradition juive. « Oui, le « Nouveau Testament » est à nous, Juifs » (p.33). « Et cela nous oblige à dire ce que nous avons tu jusqu’à présent : Jésus est une affaire intérieure au judaïsme » (p.355). Les deux alliances, juive et chrétienne, sont « contradictoires et complémentaires » (p.344). De même, « nous découvrons que le Talmud et les Evangiles sont deux lectures parallèles et souvent contradictoires de la Torah » (p.34). Une des choses que le dialogue judéo-chrétien peut dès lors apprendre, c’est une dialectique de la présence et de l’absence. « Alors que le judaïsme accentue l’absence de Dieu dont le nom même est imprononçable, le christianisme souligne davantage sa présence. Telle est notre question actuelle : la présence peut-elle évacuer l’absence ? L’absence peut-elle cesser d’espérer en la présence ? » (p.339). 46 Chalom Jésus ! Lettre d’un rabbin d’aujourd’hui au rabbi de Nazareth, Albin Michel, 2000. Dès les premières pages, le ton est donné. « En cette semaine de Pessa’h, rabbi, parcourant la terre que tes pieds ont foulée, l’envie m’a pris de t’écrire. De t’écrire personnellement –je préférais m’adresser à toi, plutôt qu’à tes saints, ou à ceux que ton Eglise a reconnus comme tels. De t’écrire en toute sincérité, j’allais dire d’homme à homme, puisque c’est ainsi que je te comprends et t’accepte parmi les miens. Ce fut une envie irrépressible et parfois douloureuse –de ce douloureux bonheur que l’on ressent lorsque des retrouvailles familiales mettent fin à des années de silences, de blessures et de discordes. Il fallait que tu m’entendes, et la page blanche était le meilleur espace pour ce faire. Puisses-tu vraiment m’entendre ! afin que nous comprenions ensemble pourquoi nous ne nous sommes pas compris » (pp.10-11). Jésus, non plus celui au nom de qui les juifs n’ont cessé d’être exterminés, mais un rabbin parmi les siens… 47 Voir notamment La Parole et l’Ecrit, Penser la tradition juive aujourd’hui, 2 volumes, Albin Michel, 1999 et 2005. Dans les deux ouvrages, une section est intitulée « Les autres monothéismes : convergences et divergences ». Un souvenir personnel. A la fin de mes études de théologie, j’avais consacré deux mois à voyager en Syrie, Liban, Jordanie, Israël/Palestine et Egypte pour récolter le matériel nécessaire à mon travail de mémoire consacré à la notion de Terre promise dans les traditions juive, chrétienne et musulmane. A Jérusalem, je voulais écouter une conférence précisément de Léon Askénazi. Comme il tardait à venir –et finalement n’est pas venu- un étudiant s’est levé et a improvisé une conférence ! Ce fut drôle et brillant ! L’histoire des éléphants et de la question juive, rapportée dans Le roi, le sage et le bouffon (p.162), c’est par cet étudiant que je l’ai entendue pour la première fois. La réflexion dans ce même livre sur les deux manières d’être le peuple d’Israël (pp.168-169), je la dois à Askénazi. 48 Notamment Les trois monothéismes. Juifs, Chrétiens et Musulmans entre leurs sources et leurs destins, Seuil, 1992. Pour une présentation complète de l’auteur et de son œuvre, cf. son site : www.danielsibony.com

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2.2.2. Initiatives chrétiennes Julien Ries, pendant bien des années professeur à l’Université catholique de Louvain, a rédigé un ouvrage magistral intitulé Les chrétiens parmi les religions49. Il y passe en revue les relations complexes, souvent conflictuelles, mais parfois aussi fort ouvertes des chrétiens avec des croyants d’autres visions du monde, et cela au fil des 2000 ans d’histoire. Un ouvrage de référence ! Je serai ici encore plus sélectif !! * Justin Martyr, né à Flavia Néapolis –l’ancienne Sichem de Samarie- vers l’an 100 et mort en 165, est connu pour son ouvrage polémique contre les juifs, Dialogue avec Tryphon. Si je le mentionne ici quand même, c’est parce que dans sa volonté de faire le lien entre christianisme et philosophies grecques –desquelles il s’était converti- Justin a développé une idée fondamentale qui a souvent été reprise par les Pères de l’Eglise, puis par les théologiens ultérieurs, et cela jusqu’à aujourd’hui : celle du Logos spermatikos. Il y a des semences du Logos –la Parole mentionnée dans le Prologue de Jean- qui se trouvent éparpillées dans le monde. Ainsi les philosophes grecs n’étaient pas des non chrétiens mais des pré-chrétiens. En étudiant leurs œuvres, il était possible d’y découvrir des semences de vérité, alors que le Logos en plénitude se trouve révélée dans le Christ. « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme » (Jean 1/9). Cette parole de l’Evangile était une base théologique qui permettait, à défaut de réconciliations, bien des rapprochements. « Toutes les vérités que les philosophes et les législateurs ont découvertes et exprimées, ils les doivent à ce qu’ils ont trouvé et contemplé partiellement du Verbe. C’est pour n’avoir pas connu tout le Verbe qu’est le Christ qu’ils se sont souvent contredits eux-mêmes » (Apologie II, 10). A sa suite, Clément d’Alexandrie et Origène, notamment, ont développé cette intuition de base50. De même que la Loi juive était une préparation à la venue du Christ, de même les philosophes et les penseurs de l’Orient ont rendu témoignage au Logos, et ont fait l’éducation des païens. La grande idée de « préparation évangélique » continue d’être largement utilisée aujourd’hui encore51. * Nicolas de Cues, cardinal allemand, né en 1401 et mort en 1464, peut être considéré comme l’un des pionniers au sein du christianisme occidental à avoir défendu une ouverture très positive envers des croyants d’autres traditions religieuses52. Mircea Eliade a pu écrire à propos du Cusain qu’il est « une des figures les plus complexes et les plus attachantes de l’histoire du christianisme »53. En 1453, année de la prise de Constantinople par les Turcs, Nicolas de Cuse apprend toutes les atrocités qui y ont été commises. Il décide alors de rédiger un petit livre intitulé De Pace Fidei (La Paix de la Foi). Cet ouvrage se veut une alternative non-violente aux représailles qui se préparent. Le Cardinal imagine une convocation par le Roi des rois, devant le Verbe, des « hommes les plus sérieux de ce monde »,

49 Desclée, Paris, 1987. 50 Rappelons que Clément et Origène ont aussi hérité à Alexandrie de l’œuvre de Philon (-20 à +50) qui, en tant que philosophe juif avait tenté une vaste synthèse entre révélation biblique et philosophie grecque. Pour lui aussi, le concept de Logos avait été central. 51 Ainsi dans le texte du Concile de Vatican II consacré à l’Eglise, Lumen Gentium, et qui comporte quelques paragraphes sur les non-chrétiens, ce concept de preparatio evangelica est explicitement cité (chp 2, par.16). Il y est fait référence à l’ouvrage d’Eusèbe de Césarée portant ce même nom. 52 « Sans doute faut-il rendre ce témoignage à Nicolas qu’il a été un des premiers à prendre, par rapport au non-chrétien, une attitude d’ouverture et d’accueil respectueux, comme en témoigne en particulier les encouragements qu’il adresse à Jean de Ségovie à poursuivre son exégèse du Coran, et plus tard, ses propres commentaires de cette œuvre » (Introduction de Jacques Doyon à l’ouvrage de Nicolas de Cues, La paix de la foi, Centre d’Etudes de la Renaissance, Université de Sherbrooke, 1977, p.25). 53 Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 3, Paris, Payot, 1984, p.220.

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représentant les peuples et les religions de la Terre54. Le Verbe se met alors à dialoguer avec les représentants de ces traditions. « Le Seigneur, Roi du ciel et de la terre, a entendu les gémissements de ceux qu’on a mis à mort ou jetés en prison ou réduits en esclavage, et qui ont souffert ces maux à cause de la diversité des religions. Et puisque les auteurs et les victimes de ces persécutions ne sont mus que par la conviction d’assurer ainsi leur salut et de plaire à leur Créateur, le Seigneur a donc eu pitié de son peuple et il lui est agréable que toute la diversité religieuse, par le consentement commun de tous les hommes, soit ramenée dans la concorde, à une religion unique, désormais inviolable » (p.38). Répondant aux objections, le Verbe s’efforce alors de montrer qu’au cœur de toutes les religions il y a une Sagesse commune, un Dieu infini, unique et trine. Or la réinterprétation de la Trinité que le cardinal propose se veut acceptable pour les musulmans et les juifs. « Dieu, en tant que créateur, est trine et un ; en tant qu’infini, il n’est ni trine ni un, ni rien de ce que l’on peut dire de lui. Car les noms que l’on attribue à Dieu se tirent des créatures, puisqu’il est lui-même en soi ineffable et transcendant à tout ce que l’on peut nommer et dire » (p.49). Partant alors de la multitude, de l’ inégalité et de la séparation des parties que l’on trouve dans l’univers (étoiles, arbres, hommes…), il affirme que ces qualificatifs constituent des déficiences. La multitude renvoie à l’Unité ; l’inégalité à l’Egalité, la séparation au Lien. Or, poursuit le Cusain, l’Unité, l’Egalité et la Liason (ou l’Amour) ce sont trois noms du Père, du Fils et de l’Esprit et qui sont inséparables. « C’est pourquoi aussi le principe absolument simple de toutes choses sera trine et un » (p.49). Ainsi, dans les relations avec les juifs et les musulmans, il espère arriver à un accord possible. « Certes, de la façon dont les Arabes et les Juifs nient la Trinité, tous doivent la nier ; mais de la façon dont la Trinité est expliquée plus haut, elle obtiendra nécessairement l’assentiment universel » (p.55). Même si l’approche du cardinal était « inclusiviste » (très centrée sur la supériorité de sa compréhension chrétienne de Dieu et convaincue que les autres ont reçu des semences ou des éléments de cette Vérité) et donc finalement peu respectueuse des apports spécifiques venant d’autres traditions religieuses, il n’en demeure pas moins que sa théologie a été extrêmement audacieuse pour son temps55. * Au 20ème siècle, et après l’horreur de la Shoah, une révision des fondements même de la théologie chrétienne à l’égard des juifs notamment, a été déclanchée. Du 30 juillet au 5 août 1947, à Seelisberg en Suisse, L’International Council of Christians and Jews a rédigé un document intitulé « Dix points de Seelisberg ». Lire le texte en Annexe 5 56. Un autre texte capital est certainement celui rédigé durant le Concile Vatican II, à l’initiative de Jean XXIII, la Déclaration Nostra aetate, sur les relations de l’Eglise catholique romaine avec les religions non-chrétiennes. Ce document fit promulgué le 28 octobre 1965 et exprime un tournant au sein du christianisme catholique romain. Lire le texte en Annexe 5 57.

54 Le roi, le sage et le bouffon n’a été qu’une reprise de cette idée, mais actualisée et modernisée… 55 Dans sa théologie, Nicolas de Cuse a laissé une place importante au concept de coincidentia oppositorum. Ce qui est séparé et opposé sur le plan du fini, sur le plan de l’infini peut co-incidere « tomber ensemble ». Imaginez les « opposés » que sont un cercle et une ligne. Plus le cercle devient infini, plus il se rapprochera de la ligne. Et si par un effort d’imagination on voit le cercle et la droite sur le plan de l’infini, ils peuvent être identifiés tout en étant opposés… Ce concept de coincidentia oppositorum a été fondamental dans l’œuvre d’Eliade (pour articuler l’éternité et le temporel, le sacré et le profane, le masculin et le féminin, etc.). C’est le concept par excellence de la réconciliation et il a été utilisé explicitement –ou implicitement- dans de multiples domaines (chez Jung pour parler de la dialectique du conscient et de l’inconscient ; en physique quantique pour parler des ondes et des photons, etc.) Passionné par ce sujet, ce fut l’objet de ma thèse intitulée Mircea Eliade et la coïncidence des opposés ou l’existence en duel, Berne, Peter Lang, 1993. 56 Ce document a été réactualisé au sein d’un des nombreux groupes d’Amitié judéo-chrétienne qui ont vu le jour, sous le titre « Principes et perspectives du dialogue entre Juifs et chrétiens » (Groupe de dialogue de Genève, 1989). 57 Texte extrait du site du Vatican www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html

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De très nombreux théologiens et penseurs chrétiens se sont impliqués activement en vue de réconcilier juifs, chrétiens et musulmans, notamment. Parmi eux, mentionnons rapidement l’œuvre phénoménale de Hans Küng58. Signalons aussi dans le cadre du dialogue judéo-chrétien les ouvrages de juifs devenus chrétiens (ou de chrétiens venant de familles juives) et qui ont apporté au sein du christianisme un regard renouvelé sur les relations entre ces deux traditions : Richard Wurmbrand59, Hans Ucko60, Jacques Doukhan61… Quant au dialogue islamo-chrétien, mentionnons ici, parmi bien d’autres, l’œuvre de Louis Massignon62 et l’engagement de Maurice Borrmans63.

2.2.3. Initiatives musulmanes Même si l’image dominante de l’islam est actuellement celle d’une religion intransigeante et peu ouverte aux autres, il importe de nuancer cette perspective. * A Bagdad, le calife abbaside al Ma’mûn (786-833) créé au début du 9ème siècle l’académie portant le nom de bayt al-hikma ou « maison de la sagesse ». Cette académie abrite la première bibliothèque consacrée aux manuscrits de l’héritage antique et à leurs traductions. Sur le plan religieux, al Ma’mûn avait favorisé le courant mu`tazilite (mouvement rationalisant au sein de l’islam)64 et avait cherché à réconcilier sunnisme et chiisme. Les œuvres des Grecs –médecins, philosophes, mathématiciens…tels Ptolémée, Galien, Platon, Aristote, Porphyre, Euclide…- sont donc traduites en arabe, après avoir été parfois traduites du grec en syriaque65.

58 Hans Küng est certainement l’un des théologiens chrétiens contemporains les plus influents. « Hans Küng est né en 1928 à Sursee (Suisse). Après des études à l'Université grégorienne de Rome, il est ordonné prêtre, dirige une paroisse à Lucerne, puis enseigne, d'abord à Munster, ensuite à Tübingen. Il s'engage en faveur de l'œcuménisme et sera nommé théologien officiel du concile Vatican II par le pape Jean XXIII. Critiquant le magistère de l'Église et l'infaillibilité pontificale, il sera interdit d'enseignement en 1979. Mais la Faculté de théologie de Tübingen le maintiendra à son poste jusqu'à sa retraite. Il a créé et préside la Fondation pour une éthique planétaire. Il étudie en particulier la relation entre la violence et le sacré. » (Fiche auteur proposée par les Editions du Cerf www.editionsducerf.fr ) Parmi ses nombreux ouvrages, le texte annonciateur de ses recherches ultérieures et synthétique Une théologie pour le 3ème millénaire, Seuil, 1989 ; cf. aussi la synthèse d’une éthique planétaire élaborée avec d’autres, Parlement des religions du monde, Manifeste pour une éthique planétaire. Présenté et commenté par Hans Küng et Karl Josej Kuschel, Paris, Cerf, 1995. Cf. aussi ses nombreux ouvrages consacrés aux grandes religions du monde. 59 Wurmbrand est certainement l’auteur chrétien qui m’a le plus inspiré. D’origine juive, il est devenu pasteur luthérien. Enfermé pour sa foi par les régimes communistes de Roumanie, il y a passé quatorze ans de sa vie en prison, dont trois en isolement complet. Les sermons les plus déroutants, je les ai lus sous sa plume (Sermons au cachot, Paris, Apostolat des Editions, 1975) ainsi que les méditations les plus stimulantes (Si j’avais trois minutes. Méditations quotidiennes, Paris, Apostolat des Editions, 1981). Ma dette à son égard est énorme. Sa manière de lire les textes bibliques, imprégnée d’une lecture juive et libre, et sa capacité à créer de nouvelles paraboles m’ont profondément marqué. Je vous encourage vivement à découvrir cet auteur. 60 Hans Ucko travaille comme secrétaire des relations interreligieuses au COE, notamment dans les relations entre juifs et chrétiens. Cf. son ouvrage Common Roots. New Horizons. Learning about Christian Faith from Dialogue with Jews, Geneva, WCC Publications, 1994. 61 Né dans une famille juive orientale, Doukhan est devenu chrétien adventiste. Dans son ouvrage Boire aux sources, Editions Vie et Santé, 2001 –préfacé par A. Chouraqui et F. Lovsky- il cherche à montrer que le juif qui devient disciple de Jésus ne trahit pas ses racines. A partir du Talmud notamment, il cherche à créer des ponts pour renouveler les compréhensions juives et chrétiennes du Messie, de la Loi, du sabbat… 62 Pour une présentation de Massignon, voir par exemple le site http://jm.saliege.com/Massignon.htm 63 Père Blanc ayant vécu vingt ans en Afrique du Nord et directeur de la Revue Islamochristiana, il est l’auteur notamment de Dialogue islamo-chrétien à temps et à contretemps, Versailles, Editions Saint-Paul, 2002. 64 « Pour aider leurs efforts il encouragea d’abord la traduction d’œuvres grecques, philosophiques et scientifiques, et fonda à cet effet une sorte d’académie et bibliothèque nommée maison de la Sagesse à laquelle furent attachés des traducteurs, le plus souvent chrétiens. Faisant même quérir à Byzance les manuscrits d’ouvrages importants qui n’existaient pas dans les pays islamique, il fonda également pour l’astronomie des observatoires qui permirent aux savants musulmans de préciser les connaissances héritées de l’Antiquité » (Article « al-Ma’mûn » in Dictionnaire historique de l’islam, Quadrige, 2004, pp.530-531). 65 Les chrétiens nestoriens trouvaient parfois en terre d’islam plus de liberté que sous la domination byzantine. L’intelligence du calife fut de valoriser tous ces savants chrétiens et juifs qui y trouvaient refuge.

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La falsafa –la philosophie hellénistique développée par les musulmans- connut un essor important à Bagdad. Selon ces philosophes, il n’y a qu’une vérité et celle-ci doit être atteinte aussi bien par la révélation que par la raison. Selon Al-Kindi (800-870), philosophe, encyclopédiste et astrologue d’al Ma’mûn : « Nous ne devons pas avoir honte d’admirer la vérité et de l’accueillir d’où qu’elle vienne, même si elle nous vient de générations antérieures et de peuples étrangers, car il n’y a rien de plus important pour celui qui cherche la vérité, et la vérité n’est jamais vile ; elle ne diminue jamais qui la dit ni qui la reçoit. Personne n’est avili par la vérité ; au contraire on est ennobli par elle »66. Une longue tradition de penseurs musulmans –Al-Kindi (800-870), Al Razi (865-925), Al-Farabi (872-950), Ibn Sina (ou Avicenne, 980-1037)…67- connurent un rayonnement extraordinaire et influencèrent profondément la théologie, la philosophie et les sciences en Occident. * A Cordoue, capitale de l’Andalousie occupée par les musulmans de 711 à 1236, il y eut des périodes de faste et de déclin, de créativité et de barbarie. Ibn Hazm (994-1063) rédigea un Traité sur les religions et les écoles de pensées. Même si la supériorité de l’islam sur les autres religions y est clairement affirmée, cet ouvrage est considéré comme l’un des premiers traités d’étude comparée des religions. Deux géants de la pensée islamique fleurirent en Espagne. Ibn Rushd (ou Averroès, 1126-1198) eut un impact retentissant parmi les scolastiques latins (mais faible parmi ses compatriotes musulmans tant il fut combattu par les milieux religieux rigoristes)68. Certaines de ses œuvres d’ailleurs n’existent aujourd’hui plus qu’en latin ou en hébreu, mais plus en arabe69. Ibn Arabi (1165-1240) est considéré comme l’un des plus grands mystiques de tous les temps. Son œuvre –gigantesque, près de mille ouvrages !- n’a pas encore été totalement éditée. Critiquée par beaucoup de théologiens sunnites, elle manifeste toutefois une ouverture étonnante, notamment à d’autres voies. * A Fatehpur Sikri , le souverain musulman Akhbar (1542-1605), turc d’origine, fut l’un des grands souverains de la dynastie des Moghols (1526-1858) qui domina l’Inde. De père sunnite et de mère chiite, il épouse une hindoue. En 1575, il fonde l’Ibadet Khane, la « maison d’adoration » où croyants de différentes religions sont appelés à débattre… Sur l’étonnante aventure d’Akhbar, lire l’article en Annexe 5 de Jean-Paul Roux. Même si ces différents musulmans furent fortement contestés en leur temps –et aujourd’hui par les musulmans traditionalistes- ils restent des exemples d’hommes qui ont cherché, au nom de l’islam, à vivre un réel processus de réconciliation qui peut encore nous inspirer. A l’époque moderne, il est important de mentionner l’œuvre de l’émir Abdelkader (1808-1883), résistant algérien et mystique, qui sauva des milliers de juifs et de chrétiens des griffes de musulmans fanatiques, ou encore comment la Mosquée de Paris, entre 1942 et 1944, fut un lieu de protection et d’hébergement pour de nombreux juifs. Des musulmans du 20ème siècle ont écrit à leur tour des textes d’une très belle ouverture à l’égard du Christ, de Moïse, voire du Bouddha.

66 Cité par Joseph Burlot, La civilisation islamique, Hachette, 1982, p.102. 67 Sur le sujet de la philosophie en islam, cf. le classique d’Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964. 68 Son rayonnement fut tel sur certains chrétiens latins qu’en 1270 Thomas d’Aquin décide d’écrire un ouvrage, De l'unité de l'intellect, (Contre Averroès), pour réfuter certaines de ses thèses. 69 Cf. article « Avveroès » in Dictionnaire historique de l’islam, op.cit.

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* L’un deux fut le Cheikh Adda Bentounès (1898-1952), disciple du Cheikh Al-Alawi (1869-1934)70, et grand-père de Khaled Bentounès, Cheikh actuel de la confrérie soufie Alaouiya. « A un visiteur qui lui demandait : « Qui êtes-vous ? Quel est votre but ? » Le Cheikh répondit : « Je ne suis pas quelqu’un, je ne suis pas une personnalité. Je suis un de la fraternité, un de ceux qui préparent et qui attendent le retour de Jésus. Et je suis un de ce groupe parce que le prophète Mohammed a dit dans un hadîth : « Avant que ne descende le Messie, fils de Marie, il se préparera un bon groupe de mes disciples qui remplacera nos compagnons » (les compagnons de Mohammed). Comme je suis musulman et que je ne doute pas des propos du prophète Mohammed, je fais tous mes efforts non seulement pour être de ce groupe mais pour rassembler ce groupe. Je ne doute pas un instant, soit pour moi soit pour celui qui veut être de ce groupe, qu’aussitôt qu’il accepte d’en faire partie, il reçoive l’agrément de Dieu. Je ne doute pas aussi qu’il reçoive la force du Christ. La preuve qu’on a reçu cette force divine, c’est l’abandon de soi-même, de ses jouissances matérielles, de sa santé et de ses biens. Le désir de tout sacrifier pour recevoir Jésus est la preuve de la force du Christ en nous. Et nul ne peut entrer dans ce groupe s’il ne s’est débarrassé, au cours de son cheminement, de tout ce qui le gêne pour avancer, les plus grands obstacles étant la race et la religion. Car lorsque le Christ viendra, il se montrera clément envers tous, sans distinction de race, de religion ou de nationalité. Pour nous prouver à nous-mêmes que nous sommes acceptés par Dieu et que nous faisons partie du groupe du retour du Messie, il nous faut d’ores et déjà réaliser en nous son état pour accomplir sa mission. En revanche, celui qui veut être un des compagnons tout en conservant des attaches raciales et religieuses doit se méfier de lui-même. En vérité, il n’est pas encore apte à faire partie du groupe. Si le prophète Mohammed était parmi nous et voyait chez un disciple les traces de cette maladie raciale ou religieuse, je suis sûr qu’il lui dirait comme à un enfant : « Va te moucher et te laver ». Il dirait cela parce qu’il sait que si un juif, un chrétien, un musulman, un bouddhiste… se rassemblent, ils ne trouveront rien, absolument rien qui puisse les diviser. »71 Commentaire : Ce texte est d’une ouverture vraiment étonnante… Je dois signaler que cette attitude est très peu présente dans le dialogue interreligieux que j’ai vécu avec des musulmans… sauf avec ceux de la confrérie soufie Alaouiya ! Faire partie du « groupe du retour du Messie » ! Belle expression qui pourrait réunir bien des juifs, des chrétiens et des musulmans dans un même élan, vers un beau projet…

70 Sur ce dernier, cf. l’ouvrage de Martin Lings, Un Saint soufi au XXe siècle. Le cheikh Ahmad al-Alawî, Seuil, 1990. 71 Cheikh Adda Bentounès, Le chœur des prophètes, Albin Michel, 1999, pp.64-65.

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2.2.4. Perspectives « bilatérales »

Ces dernières années plusieurs ouvrages ont été écrits à « deux voix », témoins d’un dialogue réel et d’une réconciliation possible. J’en mentionnerai quelques uns. * Catherine Chalier et Marc Faessler, Judaïsme et christianisme, l’écoute en partage (Paris, Cerf, 2001).

Texte extrêmement dense par deux érudits sur les thèmes suivants : les Ecritures, Jésus controversé, la kénose, le Messie, la Loi et la foi, l’élection, la prière, la Terre promise.

* Shmuel Trigano, Pierre Gisel et David Banon, Judaïsme et christianisme, entre affrontement et reconnaissance (Paris, Bayard, 2005).

L’ouvrage commence par une conférence de Shmuel Trigano intitulé « Le christianisme vu par le judaïsme » (l’importance des Lois de Noé observées par les non-juifs, les philosophes tels Maïmonide, Halévi, Hameiri… jusqu’à des penseurs contemporains tels Rosenzweig, Buber et Benamozegh) ; il se poursuit par un article de David Banon centré sur judaïsme et christianisme au 13ème siècle ; et continue avec des réflexions en dialogue de Pierre Gisel et de Shmuel Trigano sur les relations entre judaïsme et christianisme, notamment sur la question de l’identité, du rapport au monde, à l’humain et à Dieu.

* Ghaleb Bencheikh et Philippe Haddad, L’islam et le judaïsme en dialogue (Paris, les Editions de l’Atelier, 2002).

Ouvrage passionnant de franchise sur des thèmes aussi difficiles que les tensions communautaires en France, le conflit israélo-palestinien ou le statut de Jérusalem et la construction du dialogue.

* Mohamed Talbi et Olivier Clément, Un respect têtu (Paris, Nouvelle Cité, 1989).

Ouvrage précieux où chacun présente sa religion et le regard de sa tradition sur celle de l’autre. Signalons l’intérêt aussi d’avoir dans cet ouvrage le regard d’un chrétien orthodoxe sur ce dialogue.

* Rachid Benzine et Christian Delorme, Chrétiens et musulmans. Nous avons tant de choses à nous dire (Paris, Albin Michel, 1998).

Ce livre a la particularité de témoigner de regards personnels d’un chrétien et d’un musulman sur la foi de l’autre, et cela avec beaucoup de fraîcheur et d’amitié. Le chapitre de Benzine sur Jésus –intitulé Jésus-Tendresse- est un des plus beaux textes que je connaisse de la part d’un musulman sur Jésus.

* Jacques Neirynck et Tariq Ramadan, Peut-on vivre avec l’islam ? Le choc de la religion musulmane et des sociétés laïques et chrétiennes (Lausanne, Editions Favre, 1999).

Ce livre n’est pas un dialogue entre « christianisme » et « islam » sur un pied d’égalité, même si un chrétien et un musulman y dialoguent. Le chrétien –très critique à l’égard de sa tradition chrétienne (plus spécifiquement catholique romaine) interroge le musulman –peu critique sur le traditionalisme de son islam- sur la compatibilité de l’islam avec nos sociétés contemporaines.

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2.2.5. Perspectives « trilatérales »

Je signalerai ici deux catégories d’ouvrages, ceux rédigés « à plusieurs voix » et ceux rédigés « à une voix » sur les trois monothéismes. « A plusieurs voix » * Benoît Billot, Zuhair Mahmood et Michel Serfaty, Le moine, l’imam et le rabbin. Conversation (Paris, Calmann-Lévy, 2002).

Dialogues entre trois fidèles sur les thèmes du terrorisme, la base des trois religions, la rencontre des monothéismes, les Textes et leurs sources, ainsi que des questions d’actualité (Israël/Palestine, l’Occident et l’islam au Moyen-Orient ; aspects positifs et négatifs de la civilisation).

* Sous la direction de Mgr Joseph Doré, Christianisme, judaïsme et islam. Fidélité et ouverture (Paris, Cerf, 1999).

Recueil d’articles disparates par des spécialistes juifs, chrétiens et musulmans (Mohammed Arkoun, Claude Geffré, Georges Khodr, Hans Küng…) sur des thèmes variés.

* Collectif, Juifs, chrétiens, musulmans. En dialogue (Strasbourg, Editions du Signe, 2002)

Bel ouvrage illustré présentant chaque fois en quelques pages une perspective juive, chrétienne et musulmane sur les thèmes de la Création, de la Révélation, de la Justice, de la Paix, de l’Amour, de la Prière et de l’Engagment.

* Armand Abécassis, Malek Chebel, Jean Delumeau, Régis Debray, Judaïsme, christianisme, islam. Les textes fondamentaux et leurs commentaires (Hors-série Le Point, 1er trimestre 2005, no 1).

Numéro spécial d’une revue présentant en 130 pages, de manière synthétique et illustrée, des Textes fondateurs avec des commentaires72.

« A une voix » * Henry Corbin, Le paradoxe du monothéisme (Paris, Editions de l’Herne, 1981).

Ce grand spécialiste des gnoses nous livre ici son regard sur les monothéismes exotériques et ésotériques. Deux autres études sont intégrées dans le livre, l’une intitulée « Nécessité de l’angélologie », (sujet rarement abordé par les spécialistes des religions !) et l’autre « De la théologie apophatique comme antidote du nihilisme ».

* Roger Arnaldez, Trois Messagers pour un seul Dieu (Paris, Albin Michel, 1991).

S’inspirant de la belle devise de Jacques Maritain, « distinguer pour unir », Arnaldez accomplit dans ce petit livre un très précieux travail comparatif. Avec intelligence et sensibilité spirituelle, cet excellent connaisseur des trois monothéismes, et notamment de ses mystiques, nous offre ici une synthèse saisissante.

* Daniel Sibony, Les trois monothéismes. Juifs, Chrétiens, Musulmans entre leurs sources et leurs destins (Paris, Seuil, 1992).

72 A acquérir (ainsi que les numéros qui ont suivi) sans hésiter !!! (Prix 5,5 euros ; 12 francs suisses).

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Ce philosophe et psychanalyste de famille juive livre dans cet ouvrage un regard riche sur les relations entre juifs, chrétiens et musulmans, et notamment sur leurs difficultés à accepter le « manque ». La grande tentation de chaque religion est de vouloir « combler ce manque », d’en refuser « la faille », de se croire « pleine »… d’où les innombrables conflits avec les autres…

* Pierre Gisel, Les monothéismes. Judaïsme, christianisme, islam. 145 propositions (Genève, Labor et Fides, 2006).

Avec l’intelligence qu’on lui connaît, Gisel offre dans cet ouvrage synthétique -qui cherche à comprendre, comparer et confronter ces trois monothéismes- un regard sur ces trois manières d’être au monde. Sont passées en revue les thèmes du rapport au Livre, la ritualité, la mystique, le temps et l’eschatologie, le rapport au monde et à la modernité, les rapports à Dieu.

* Gilbert Sinoué, Le Livre de saphir (Editions Denoël, 1996).

Dans un tout autre style, le romancier Gilbert Sinoué imagine une aventure qui se passe dans l’Espagne du 15ème siècle. Trois hommes –un juif, un moine franciscain et un arabe musulman, doivent unir leurs savoirs, malgré leurs oppositions, pour trouver un mystérieux ouvrage73.

Transition Malgré les antagonismes du passé et du présent, il est important de reconnaître et de valoriser les tentatives de réconciliation d’hier et d’aujourd’hui. Chez les juifs, les chrétiens et les musulmans, nous trouvons des hommes et des femmes prêts à construire des murs et d’autres prêts à bâtir des ponts…

73 Rappelons ici le célèbre ouvrage de Lessing, Nathan le Sage (Paris, Flammarion, 1997 pour une utile édition bilingue). Lessing (1729-1781) imagine pour la scène une action se passant à Jérusalem au cours de la troisième croisade (1189-1192). Trois personnages s’y confrontent -Nathan le Sage, le juif, Saladin, le musulman, le Templier, le chrétien- pour transmettre un idéal de tolérance.