Cours Esthetique Image.doc

34
[justify]Selon Diderot, « L’œil doit apprendre à voir comme la langue doit apprendre à parler ». Cependant, il n’y aurait pas d’analyse sans une praxis de la description. Toute démarche analytique est un travail d’ouverture de l’œuvre. Selon Barthes, « [b]Commenter pas à pas, c’est par force renouveler les entrées du textes, c’est éviter de le structurer de trop, de lui donner ces suppléments de structure qui lui viendraient d’une dissertation et le fermeraient »[/b]. Selon D. Arasse, « Avec le temps, avec la durée, avec le fait de revenir, peu à peu les couches de sens, de réflexion, de méditation du peintre apparaissent. La peinture soulève un pan et peu à peu, une intimité se fait ». Lorsque l’on regarde une œuvre d’art, celle-ci ne se livre pas dans son évidence ; il y a un certain temps avant que l’œuvre ne parvienne au spectateur. C’est ce qui fait dire à Blanchaud : « L’œuvre est l’attente de l’œuvre ». I/ Première dialectique : qu’est-ce qui fait le mouvement à travers l’œuvre? *Le Festin d’Hérode, Cranach Salomé ici apporte la tête de Jean Baptiste au roi Hérode. Lorsqu’on analyse l’œuvre, on distingue une forme de trapèze formée par la table blanche, qui vient mettre en abyme Salomé, au premier plan, mais également la tête de St Jean Baptiste. Comment s’exprime le mouvement à l’intérieur de l’œuvre? Comment voir que l’œuvre porte en elle les moments dramatiques qui l’ont précédée ? On distingue un certain nombres de redondances formelles à l’intérieur de la toile, notamment une certaine circularité (plateaux, arrondis des verres et des formes des personnages). Le cercle s’inscrit dans une dynamique particulière : les formes se répondent ; les plateaux croulent tout deux sous le poids des mets qu’ils transportent. Les personnages sur la droite : on ne distingue que la tête du personnage juste derrière le plateau, coupée par le chapeau rouge => inscription du mouvement de la décapitation de Jean Baptiste. Genèse de la dramaturgie de l’œuvre. *Mars et Vénus surpris par Vulcain, Le Tintoret. Dynamique du mouvement dans l’image fixe. Mise en abyme de la scène dans le miroir, qui ne retranscrit pas exactement ce que l’on voit. Ouverture vers une autre temporalité : ce qui va se passer après, ou ce qui s‘est passé précédemment.

Transcript of Cours Esthetique Image.doc

Page 1: Cours Esthetique Image.doc

[justify]Selon Diderot, « L’œil doit apprendre à voir comme la langue doit apprendre à parler ». Cependant, il n’y aurait pas d’analyse sans une praxis de la description. Toute démarche analytique est un travail d’ouverture de l’œuvre. Selon Barthes, « [b]Commenter pas à pas, c’est par force renouveler les entrées du textes, c’est éviter de le structurer de trop, de lui donner ces suppléments de structure qui lui viendraient d’une dissertation et le fermeraient »[/b]. Selon D. Arasse, « Avec le temps, avec la durée, avec le fait de revenir, peu à peu les couches de sens, de réflexion, de méditation du peintre apparaissent. La peinture soulève un pan et peu à peu, une intimité se fait ». Lorsque l’on regarde une œuvre d’art, celle-ci ne se livre pas dans son évidence ; il y a un certain temps avant que l’œuvre ne parvienne au spectateur. C’est ce qui fait dire à Blanchaud : « L’œuvre est l’attente de l’œuvre ».

I/ Première dialectique : qu’est-ce qui fait le mouvement à travers l’œuvre?

*Le Festin d’Hérode, Cranach Salomé ici apporte la tête de Jean Baptiste au roi Hérode. Lorsqu’on analyse l’œuvre, on distingue une forme de trapèze formée par la table blanche, qui vient mettre en abyme Salomé, au premier plan, mais également la tête de St Jean Baptiste. Comment s’exprime le mouvement à l’intérieur de l’œuvre? Comment voir que l’œuvre porte en elle les moments dramatiques qui l’ont précédée ? On distingue un certain nombres de redondances formelles à l’intérieur de la toile, notamment une certaine circularité (plateaux, arrondis des verres et des formes des personnages). Le cercle s’inscrit dans une dynamique particulière : les formes se répondent ; les plateaux croulent tout deux sous le poids des mets qu’ils transportent. Les personnages sur la droite : on ne distingue que la tête du personnage juste derrière le plateau, coupée par le chapeau rouge => inscription du mouvement de la décapitation de Jean Baptiste. Genèse de la dramaturgie de l’œuvre.

*Mars et Vénus surpris par Vulcain, Le Tintoret. Dynamique du mouvement dans l’image fixe. Mise en abyme de la scène dans le miroir, qui ne retranscrit pas exactement ce que l’on voit. Ouverture vers une autre temporalité : ce qui va se passer après, ou ce qui s‘est passé précédemment.

*Les larmes amères, FassbinderIllusion d’un corps avec deux têtes.

*Photogramme de Dogville, Lars Von Trier Picturalité de l’image. Plateau scénographique construit comme une image plane. L’image met en perspective l’inscription Elm Street (Rue de l’Orme qui dans L’Enéide, borde les Enfers). Le plateau de Dogville raconte donc, spatialement, quelque chose d’un précipice.

II/ Deuxième dialectique : ce qui relie l’horreur et la beauté.

*Judith tenant la tête d’Holopherne, Jan MetsysJudith nue, blanche, tient la tête d’Holopherne qu’elle vient de trancher. Si elle est nue, c’est que quelque part elle est arrivée à le séduire. Elle a usé de sa nudité pour arriver à ses fins.

*Vénus endormie, GiorgioneLe beau fonctionne généralement de paire avec des éléments beaucoup plus perturbants. Au niveau de la scénographie, la posture du corps est assez étrange. Le bras droit disparait derrière la tête, créant l’illusion qu’il se prolonge dans le bras gauche. La naissance même de

Page 2: Cours Esthetique Image.doc

Vénus est prise dans un contexte d’horreur (cf castration du père).

III/ Troisième dialectique : comment l’œuvre porte en elle ce qui n’est pas représenté => jeu entre le champs et le hors champs.

*L‘invention du dessin, Joseph Benoit SUVEE.Selon Pline l’Ancien, la première image nait d’une histoire de séparation. Une femme voit son amant partir, et décide avant qu’il ne s’en aille, de dessiner le contour de son ombre sur le mur. Quelque chose se joue dans cette représentation au niveau des ombres. On est dans la formation d’une masse obscure, de telle façon qu’on ne peut percevoir les limites du corps de l’un et de l’autre. Les deux se confondent. A mesure que l’on regarde, on a aussi l’impression que le profil que dessine la jeune femme n’est pas tant le profil de son amant, mais le sien. Voir disparaitre son amant, c’est pour elle, craindre de disparaitre à son tour.

Dès lors, ce qui fonde l’image, c’est l’absence. Cependant, il faut aussi voir en quoi il est également impossible de combler l’absence d’image. Une analyse n’est jamais embrasser l’œuvre dans sa totalité. Avec cette représentation, on peut voir que c’est la forme qui fait sens. On peut voir par l’intermédiaire de l’ombre projetée, la création d’une forme chimérique. Le visage de l’homme s’inscrit par l’intermédiaire même de la corporité de la femme qui le représente. Cette distorsion dans la représentation nous permet d’accéder à un sens autre que celui de la légende : la femme dessine ses propres traits par l’intermédiaire du visage de son amant. Ce qui est étonnant, c’est qu’alors que la flamme de la bougie se consume et crée une lumière assez blanche. Le peintre crée une analogie iconologique entre la femme et la bougie : comme elle, la jeune fille se consume. Par le rapport qui se crée entre les deux, on a pratiquement l’impression que le scénario s’inverse : ce n’est pas tant l’homme qui va partir que la femme qui inscrit un mouvement de disparition vers le hors champs.

La démarche en analyse se situe dans un continuum descripto-analytique. C’est-ce mouvement d’aller retour qui permet au critique d’avancer. Analyser une œuvre, c’est revenir à la matière de l’œuvre, à sa singularité. L’Œuvre d’art est un corps autonome : on comprend la forme de manière indépendante de sa création et de la démarche de l’artiste. Au bout d’un moment, il n’y a plus tellement d’histoire à l’origine d’une forme.

IV/ Quatrième dialectique : représenter la même chose mais de façon différente. Les représentations se nourrissent entre elles.

En quoi la forme devient parlante?

*L’annonciation, VenezianoIci, on a une séparation entre l’espace de l’ange et celui de la Vierge. Il se crée aussi, par l’intermédiaire de l’architecture, un lieu d’enfermement de la figure féminine, qui nous apparait aussi verticale que les colonnes. Ce que raconte l’annonciation ici, c’est la scène originelle (cf. l’alcôve qui donne sur une porte fermée, l’ange Gabrielle qui tient des lys, repris dans le couloir, ce qui crée un mouvement entre le premier et le deuxième plan).

*L’annonciation, Titien. En quoi une œuvre est-elle autonome? En quoi la forme porte-t-elle un sens? Ici, contrairement à Veneziano où le coprs de Marie est en retrait, elle est beaucoup plus en mouvement (plis des habits qui suivent le corps et rappellent les plis de la chair => représentation beaucoup plus sexualisée).

Page 3: Cours Esthetique Image.doc

Corps féminin ouvert.

*L’annonciation, Le Caravage Marie ensevelie, repentante. SA posture évoque davantage le deuil.

=> trois œuvres avec le même thème mais qui raconte des choses différentes, toujours sous tendues dans la Légende.

Agnès Minazzoli essaie de comprendre ce qui constitue la nature de l’image. Pour elle, l’image est de nature spéculaire : elle renvoie toujours à d’autres œuvres : « L’image porte en elle une absence que nous ne pouvons combler quand c’est peut être l’absence qui nous conduit au cœur de l’image ». Quelque part, la représentation qui fonde l’image porte toujours en elle un sens caché, « une doublure d’invisibilité propre à toute visibilité ». L’interprète est finalement celui qui essaierait de dévoiler l’œuvre à son autre dimension.

Le visible se tient sur 4 dimensions :

1-l’image s’ouvre toujours sur un supplément. Il faut se laisser saisir par ce que l’on regarde. Ce qui est important, ce n’est pas tellement ce que raconte l’œuvre quand on la voit, mais ce qu’il en reste, ce qui en ressort quand on ne la regarde plus. « Au fond, pour bien voir une photo // image, il vaut mieux lever la tête ou fermer les yeux. Fermer les yeux, c‘est faire parler l‘image dans le silence. » (Barthes). Ce n’est pas tant dans la rencontre avec l’œuvre que le regard critique s’effectue, mais dans le moment où l’on perd de vue l’œuvre pour voir comment celle-ci en vient à se transformer. La pensée se réalise dans le mouvement. Pontalis appelle cela « la pensée rêvante » : « Je rêve d’une pensée de jour qui serait rêvante, non mais rêveuse mais rêvante. S’avancerait-elle comme dans nos rêves sans la conscience de sa destination, entrainée par la seule force de son mouvement. La pensée rêvante que j’appelle de mes vœux puiserait dans le rêve la force d’être irréfléchie, inconvenante, de s’avancer à ses risques et périls comme un somnambule ». 

*Judith et Holopherne, Le Caravage. La force de l’œuvre tient aussi dans la mise en scène. Comment la matière crée-t-elle de la signification? Il s’organise à l’intérieur de l’image quelque chose d’étrange au niveau du chromatisme : le dialogue des couleurs crée un sens qu’il n’y pas dans la Bible. Le corsage de Judith fait écho au drap blanc sur lequel le sang gicle => introduit l’idée que pour tromper Holopherne, Judith a usé de ses charmes (ce qui n’apparait pas directement dans le tableau puisqu’elle est habillé, et lui nu).

*Narcisse, Le Caravage Forme au niveau du rivage qui se présente dans une rupture. Dans le rapport de proportion, le genoux évoque le visage au dessus. Le Caravage parle ici de la perte du visage.

*Providence Rhode Island, Francsca WoodmanŒuvre autonome, qui n’a pas besoin de référence historique pour exister. Cependant, cet autoportrait s’enrichit aussi du regard que l’on a pu porter sur d’autre œuvre, et n’est pas sans évoquer Narcisse. C’est une femme à travers un miroir, qui ne se regarde pas tant qu’elle se montre, floutée (absence de visage) + Main sur le sexe qui rappelle la Vénus de Giorgione.

2-la fascination. Starobinski dit : « La fascination émane d’une présence réelle qui nous oblige à lui préférer ce qu’elle dissimule, le lointain qu’elle nous empêche d’atteindre à l’instant même où elle s’offre. Notre regard est entrainé par le vide vertigineux qui se forme dans l’objet fascinant : un infini se 

Page 4: Cours Esthetique Image.doc

creuse, au lieu de nous retenir l’objet se laisse dépasser dans une perspective imaginaire et une dimension obscure ».

*Providence Rhode Island, Francsca WoodmanCe qui est intéressant dans la citation de Starobinski, c’est qu’elle inscrit dans la consommation de l’œuvre, dans le regard sur l’image, un jeu entre une présence qui se donne et un lointain véhiculé par l’objet artistique.

*Vénus endormie, Girogione Le corps s’étire sur la surface du champs. Quelque part, le bras sur lequel repose la tête de Vénus semble se prolonger derrière son corps et dans l’autre bras. La fascination vient du fait que le regard s’en tient rarement aux apparences et en réclame toujours davantage. Il veut voir ce qui n’est pas donné à montrer.

*Les évasions manquées, Paul Rebeyrolle Scénario d’optique narcissique. Ce qui est raconté ici par la baignoire, c’est que l’image semble basculer vers un hors champs. Une métaphore se crée à l’intérieur du montage, entre le corps coupé, et le robinet ouvert.

=> A partir d’une même construction, l’image en appelle à un vacillement. Le regard sur une œuvre se nourrit du regard que l’on a eu sur d’autres œuvres, précédemment.

3-l’œuvre d’art est à comprendre comme un objet transitionnel // transnarcissique (au-delà d‘elle-même et de son auteur). Elle dépasse le regard, mais se réalise entre sa présence réelle et le croisement des regards qui l’appréhende. Elle appelle la présence du spectateur à l’intérieur de son organisation.

*Chambre 301, Denis RocheLe photographe est représenté en creux par l’intermédiaire d’une ombre à travers laquelle vient s’imprimer le visage et le corps de sa femme. On peut percevoir une dialectique entre la personne qui se représenté et se cache en même temps : elle se représente par le biais d’une visage qui la dissimule. De même, soit on voit une photographie d’un visage, comme un reflet éphémère et insaisissable ; mais, le visage de la femme semble s’ouvrir dans le ciel. Cela raconte aussi une frontière (on est entre la ciel et la terre) : le visage de fait, vient s’échouer sur la toile, pour repartir, comme la vague. On a aussi l’impression que le visage nous regarde. C’est donc une invitation au spectateur à se réfléchir dans l’ombre de l’œil photographique.

*Untitled Film Still #82, Cindy ShermanMise en miroir de deux portes, dupliquées par la scénographie. Au fond de l’image, ne fenêtre donné comme un champ aveugle, comme un trou à l’intérieur de l’image. Cette zone non figurative attire cependant le regard. Elle est l’aboutissement de plusieurs perspectives dans l’image. Le rétrécissement de profondeur de champ enferme le personnage entre deux lignes verticales. En même temps, cette restriction de l’image et la mise en évidence du personnage crée un écho, comme si le trou voulait absorber l’image que l’on voit. L’espace du spectateur est aussi mis en scène par l’intermédiaire du personnage, spectateur de ce qui se passe devant elle, donc de nous. Vacillement du spectateur et instabilité de la position de l’artiste, qui est de notre côté => processus d’identifications de l’espace de l’artiste et du spectateur, invité à continuer l’œuvre qu’il a sous les yeux.

Page 5: Cours Esthetique Image.doc

C’est à travers tous ces croisements que le sens de l’œuvre peut émerger.

*Lacoon Goethe : « Afin de saisir le dessin de Lacoon, le mieux est de se placer en face de lui, à une distance convenable et les yeux fermés. Qu’on les ouvre ensuite pour les refermer immédiatement après, et on verra le marbre tout entier en mouvement. On craindra de trouver le marbre changé tout entier en les rouvrant. Tel qu’il se représente actuellement, il est un éclair immobilisé, une vague pétrifiée au moment où elle afflue vers le rivage. » Refusant une quelconque fixité à la sculpture, le poète décèle l’ambigüité qui émane du visible puisqu’il voit dans la forme la capacité qu’elle a refluer. En ce sens, on peut citer Bailly : « Regarder, c’est franchir un seuil dans le régime du voir ». Muriel Gagnebun : « Le regard ne sera jamais comblé par ce qu’il voit de l’image ». L’oeuvre d’art agit comme une torpille bouleversant les sens et les affects. : « Le scandale de l’écoute ou de la vision tient à un inassimilable, un scintillement proche de la sidération. Vivre la radiance d’une œuvre d’art, c’est froler la déraison, c’est dans la fusion s’exposer à perdre ses limites, à être englouti, dissous, médusé » (M. Gagnebun).

4-il manque toujours quelque chose à l’image.

*Beneath the roses, Gregory CrewdsonA l’intérieur de la scénographie, il semble y avoir une histoire qui se présente à nous. L’homme semble être sorti de la voiture, a une lettre entre les mains. L’entièreté de la scénographie a une forme plutôt obscure. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est de voir comment, à l’intérieur de l’image, une diagonale se crée avec les vitrines, qui crée comme autant d’images qui s’enfoncent dans la profondeur de champ. L’image se présente par l’intermédiaire d’un mouvement : une action se déroule dans une rue.

Le fauteuil de la deuxième image crée une place pour le spectateur, une invitation à entrer dans l’œuvre et à venir voir. Le regard est invité à recréer une histoire, qui se présente dans sa forme manquante (cf. le reflet dans le miroir de Vénus et Mars de Le Tintoret).

*Mars et Vénus surpris par Vulcain, Le Tintoret. Histoire mise en scène : Vulcain regarde le sexe de sa femme pour y déceler une intimité. Quand on regarde les tissus, on voit que les corps s’interpénètrent les uns entre les autres.

*La Madeleine pénitente, Georges de la Tour.Barthes essaie de penser en quoi, à l’intérieur de l’œuvre, il y a toujours quelque chose qui vient susciter le regard, jusqu’au malaise ou au déséquilibre parfois. Cette représentation de Marie Madeleine est construite d’une manière singulière. Au point de vue scénique, le corps de MM forme un triangle alors même que l’oblique est représentée par la trajectoire qui part de ses pieds. Le miroir, carré, duplique la flamme. Les deux formes entrent en interaction. Une analogie vient se créer entre la flamme qui se consume et Marie Madeleine qui semble également se consumer. On ne voit pas son visage ; elle reste une figure lointaine malgré la proximité avec laquelle elle est représentée. Ce qu’il y a également d’intéressant, c’est de voir comment elle tient au niveau de ses genoux le crâne d’Adam, et comment elle lie ses mains au dessus. Le crâne semble presque faire partie de son corps : maintenir le crâne entre ses jambes, c’est presque l’engendrer. Une confusion vient aussi se créer dans la mesure où la lumière crée au niveau du crâne la même texture que sa peau (cf. doigts squelette dans la deuxième image = contamination de la matière osseuse). Trajectoire du regard qui plonge à l’intérieur d’une forme miroitante. Ce n’est pas son visage qui se reflète, mais le crâne.

Page 6: Cours Esthetique Image.doc

Barthes : « Ce n’est pas moi qui vais chercher, c’est lui (le punctum) qui comme une flèche, atteint le spectateur ».

Comment, à partir de différentes théories du voir, peut être apprendre à penser l’image?

1- le punctum et studium de BarthesBarthes signifie l’image en terme de dialectique. Pour lui, l’image parvient à la conscience affective de l’interprète : « Ne rien dire, fermer les yeux, laisser le détail seul remonter à la conscience affective ». C’est à partir du moment où l’on perd l’œuvre de vue que l’on peut la recréer. Le [i]studium[/i], c’est l’élément informatif de l’œuvre : organisation plastique, schéma constructif (schéma triangulaire pour La Madeleine de de La Tour par exemple + diagonale = vacillement identitaire). Le [i]punctum[/i] est un supplément. Pour Barthes, « c’est-ce qui s’ajoute à la photo et qui cependant y est déjà. Un champ aveugle se devine ; le punctum est alors une sorte de hors champ subtil, comme si l’image lançait le désir au-delà de ce qu’elle donne à voir ».

*Dans le cadre du miroir, Alain FLEISCHERInscrire la thématique de la Madeleine dans un contexte plus contemporain. Une femme se regarde dans un miroir, et se reflète dans un autre. Deux mouvements : un intérieur du cadre et l’espace périphérique. Le visage qui se présente à nous et nous regarde en tant que spectateur et déconstruit par l’intérieur de cadre, qui l’ampute d’une partie. On a une analogie qui vient se former entre le regard et la flamme => forme signifiante et singulière.

*Marie Madeleine, Léonard de VinciMarie Madeleine est la figure d’amour du Christ. Elle en mourra. Leonardo la représente ici dans une position plus érotisée. Ce geste de dévoilement du corps s’inscrit aussi dans une exposition de sa corporalité. Les plis du tissu, là encore, manifestent des plis beaucoup plus organique. Ce qu’elle expose ici, c’est ce qui est donné à voir de son dépérissement.

Le punctum peut être le détail qui réapparait à la conscience affective, mais peut aussi être la construction plastique.

*Providence Rhode Island, Francesca WoodmanL’image se répartit en plusieurs zones et est clivée par l’arbre du premier plan. On a aussi une forme de surcadrage par l’intermédiaire du tronc du deuxième plan, à l’endroit où la photographe se représente. Elle est cachée par un drap. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que la matérialité du drap crée un contraste à l’intérieur de l’œuvre : il fait un trou à l’intérieur de l’image, et donc à l’intérieur de la représentation de l’artiste. La présence de l’artiste se réaliste par l’absence. Qu’est-ce qui est donné à voir à travers cette absence là? Comment le paysage rend-il cette absence sensible? L’arbre, par sa présence au premier plan, inscrit la présence de l’artiste dans l’œuvre, une dramatisation de son propre corps absent, d’autant qu’il semble s’élancer à l’extérieur du cadre.

Il s’agira toujours de voir que le punctum, aussi fulgurant qu’il soit, prend une forme d’expansion : il alimente le regard analytique et ouvre l’œuvre, « il fait que l’œuvre se réalise d’autant plus » (Umberto ECO).

Page 7: Cours Esthetique Image.doc

*La mélancolie, G. FRIEDRICHDans ce tableau, il y a quelque chose d’étrange : les personnages sont représentés à une zone de frontière. Le ciel immense, occupe presque les deux tiers de l’image, et crée un déséquilibre : il vient noyer et absorber la représentation. Au bout d’un moment, la tête du personnage émerge presque de la mer, comme si le corps était submergé par les flots qu’il regarde.

*Autoportrait à la mort jouant au violon, Arnold BÖCKLINUn homme se peint et regarde à la fois le spectateur, comme si on était son propre miroir, mais regarde également le visage de la mort derrière lui. De plus, le pinceau et la palette reprennent les teintes du crâne derrière le peintre. Ce n’est donc pas tant son portrait que fait le peintre, que le portrait de son double, la Mort. Au bout d’un moment, quand on perçoit la main droite de l’artiste, on s’aperçoit que les teintes avec lesquelles elle est peinte a des teintes qui se référent au crâne, comme si elle était un prolongement du squelette, comme si la Mort embrassait le peintre dans son geste créateur.

*Pietà, Véronèse Composition triangulaire. La vierge occupe le sommet de la pyramide et devient la figure toute puissante du tableau. On a pratiquement le pendant d’une Annonciation. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il y a aussi une forme circulaire par l’intermédiaire du bras du Christ, qui forme une boucle jusqu’au bras gauche de l’Ange, de telle manière qu’il y a presque une forme organique commune qui vient sceller les personnages. Il y a aussi quelque chose qui s’établit au niveau des bras : le bras droit de Jésus et le bras gauche de l’ange se font dans le prolongement des épaules de Marie. On l’impression que ce sont ses bras et qu’elle enlacent les personnages, comme un énorme organisme qui vient absorber le Christ mort. C’est comme si le corps de la vierge devenait la sépulture de son enfant.

2- le sens intrinsèque de PanoskyPour Panofsky, il faut allier l’esprit humaniste aux méthodes de l’histoire de l’art, et dégager le sens des formes. Surtout, la réflexion sur l’art est pour lui « une réflexion sur l’esprit humain, objectivée en forme sensible ». Ce que les formes nous donne à voir ne sont que des mécanismes psychiques, des sentiments, quelque chose qui serait de l’essence de l’homme. Pour lui, étudier l’Art, c’est étudier l’homme en soi. Panofsky décèle trois formes de signification :*la signification primaire ou naturelle (analyse pré iconographique) qui se scinde en deux : la signification factuelle et la signification expressive (réaction du spectateur, au-delà de la simple identification perceptible). *la signification secondaire ou conventionnelle : à partir de la description préétablie, à partir de l’identification des motifs artistique, il faut essayer de percevoir l’histoire sous tendue par la représentation. *la signification intrinsèque ou contenue, qui relève davantage de l’essence même de l’œuvre pour essayer de dégager les valeurs symboliques de la représentation. Cette signification peut être ignorée de l’artiste, dans la mesure où l’œuvre a sa propre autonomie.

Les multiples représentations d’un thème véhiculent à chaque fois des significations intrinsèques différentes.

*Judith et Holopherne, Le Caravage // Gentilleschi / Unterperger // Jan Metsys // Cranach => comment, en exposant la tête d’Holopherne, Judith expose-t-elle quelque chose d’elle-même.

Page 8: Cours Esthetique Image.doc

Différentes méthodologies pour étudier les œuvres : *Barthes*Panofsky, par la méthodologie duquel on peut repenser l’histoire de Judith et Holopherne à travers les différentes interprétations qui en ont été faites au cours de du temps.

*Judith et Holopherne, Le Caravage // Gentilleschi / Unterperger // Jan Metsys // Cranach Comment, en exposant la tête d’Holopherne, Judith expose-t-elle quelque chose d’elle-même. En quoi l’image est-elle porteuse d’un sens intrinsèque? Giorgione montre comment le rouge de la robe évoque le sang, et donc le meurtre. Ce qui est intéressant dans la version de Cranach, en terme de sens intrinsèque, c’est que la tête apparait sur-cadrée, au niveau du bas ventre, ce qui traduit la relation d'Holopherne avec Judith. La tête évoque moins un visage mort, que l’expression d’un orgasme, ce qui dramatise ce qui ce serait passé précédemment.

Le sens intrinsèque a aussi été théorisé par Freud. Pour lui, l’histoire a souvent avoir avec une figure virginale : Vénus et Judith, toutes deux souvent représentées comme des Vierges Marie.

*La découverte du cadavre d’Holopherne, BotticelliJudith est figurativement absente du tableau. A l’intérieur de l’œuvre cependant, le sur-cadrage par les personnages met en évidence un trou dans l’image, qui met lui même en évidence la présence en négatif de Judith. Cette fente montre aussi que le meurtre s’est accompli à la suite d’un acte sexuel. Là encore, c’est par l’intermédiaire des plis et des formes que la corporité se traduit (les drapées rappellent les caresses de Judith). Les mains créent une trajectoire qui dramatisent la découverte du cadavre, et donc la mort. Il s’effectue, par l’intermédiaire de la mise en scène, quelque chose d’un effondrement de la forme du haut vers le bas. Ce mouvement, entrepris par les bras et les regards plongeants, sont intensifiés par l’intermédiaire du rouge, qui crée un saignement figuratif et met en évidence le trou rouge que l’on voit à la place de la tête.

*Judith et Holopherne, Le CaravageLe vêtement de Judith et le drap sont blancs, et le rapprochement chromatique évoque, illustre, suggère la présence de Judith en dessous d’Holopherne. Le trait sanglant rouge vient tacher le drap et donc, par analogie le vêtement de Judith.

*Annonciation, Le CaravageQu’est-ce qui peut être intéressant à comprendre ici en termes d’iconologie? A partir du moment où l’on repère les différentes significations de l’œuvre, c’est de voir comment les motifs peuvent être détournés. Ici, les fleurs de lys sont presque fondues dans le rideau et Marie est prostrée, recluse dans un lieu à part de la représentation. Cette représentation n’est pas loin des représentations de Marie repentante alors même qu’elle est enceinte. On est plutôt dans une représentation plastique de l’endeuillement =>pluralité sémantique.

3- méthode de Freud, établie à partir du Moïse de Michel-Ange. « Cette œuvre est une énigme à mes yeux car aucune oeuvre plastique n’a jamais produit sur moi un effet plus intense. » Il s’intéresse à une œuvre lorsque celle-ci le déséquilibre et crée une émotion (cf. Barthes).-commence par une description rigoureuse : Moïse assis, la tête et la barbe puissante, le regard tourné vers la gauche, le pied droit découvert.

Page 9: Cours Esthetique Image.doc

-il étudie ensuite les différents critiques et montrent en quoi ils sont en désaccords. Ce qui l’intéresse, c’est l’ambigüité que ces désaccords soulignent. Pour la majorité des critiques, Michel-Ange a voulu sculpter Moïse à un moment précis de sa vie (la descente du mont Sinaï, alors même qu’il aperçoit son peuple aduler le veau d’or). Pour Freud, la représentation de Michel-Ange retrace ce qui se passe après cette évènement. Il va montrer que le mouvement que l’on voit par l’intermédiaire du mouvement de la barbe est le mouvement de ce qui a eu lieu. La matérialité de l’œuvre raconte quelque chose. L’œuvre fixe se prolonge. D’une certaine manière, Freud s’autorise ici à utiliser la structure de l’œuvre en toute liberté et en y projetant son imaginaire. C’est ainsi qu’il perçoit trois lieux dans la sculpture : le visage et son regard dédaigneux qu’on n’a pas réussi à soutenir, le milieu avec les mouvements réprimés (réprimer le peuple et réprimer sa propre colère), le bas avec la main posée en un geste alangui. Ce qui est intéressant, c’est de voir en quoi Freud a pensé le pulsionnel de l’œuvre (en quoi la plasticité de l’œuvre dramatise-t-elle quelque chose). Il s'agit ici de repenser l’œuvre en terme de mouvement : toute œuvre porte la trace d’un pulsionnel qui agit au sein de la représentation, et qu'il faut faire ressortir.

4- Gagnebin et l’œuvre comme champs de bataille : penser l’œuvre en terme de conflictualités.

*La Vision de Saint Bernard, Cano Le [b]premier conflit à repérer est l’antagonisme dialectique qui se joue par l’intermédiaire de la répartition chromatique [/b](rouge pour la vierge, blanc pour le prêtre), et crée de fait une oblique descendante. Le deuxième mouvement s’opère entre le cardinal en amorce et la fenêtre. Les deux lignes (statue et prêtre / cardinal et fenêtre) se croisent au niveau de la bouche du prêtre et forment une croix. On a aussi une opposition entre les lignes aigus et tranchantes du bâti, et les lignes rondes des habits.

La part du spectateur à l’intérieur de l’œuvre

*La Vision de Saint Bernard de Cano On distingue une distanciation entre les deux corps. Dans le même temps cependant, une structure en croix se dessine (du cardinal en amorce à la fenêtre par une ligne virtuelle, et du prêtre à Marie par la ligne dessinée par le jet de lait), dont le point d‘intersection est l‘obscurité de l‘église. Il s’opère également une mise en rapport des différents lieux de l’œuvre, mis en évidence par les lignes et les couleurs. Ce qu’il est intéressant de remarquer, c’est le dispositif visuel mis en place à l’intérieur de la représentation : le cardinal et l’enfant sont tous deux spectateurs de la scène. Les formes sur la gauche sont cassées, les lignes sont brisées, alors que les formes qui caractérisent Saint Bernard sont plus rondes et plus élancées. La séparation des deux espaces est annulée par le jet de lait, qui permet au Saint de s’ouvrir, et d’être enfanté (cf. amas organique des plis du tissu).

Rapprocher de distanciation : comment à partir d’une distance, il peut se créer des lieux de proximité? Comment le touché peut-il s’exprimer dans une autre forme?

*Annonciation, TitienOn est dans une double représentation : à la fois dans une Annonciation, et dans la désacralisation de la scène par le troisième personnage. On est véritablement dans un mouvement qui tend à délocaliser l’iconographie biblique vers le hors champ (cf. fleur de lys et Bible). Une certaine analogie formelle se crée entre Marie et l’Ange, dans le sens où ils sont tout les deux couverts d’un vêtement dont la couleur les rapproche. Outre la posture, qu’est-ce qui dans la mise en scène fait se rapprocher les corps? Du point de vue de la scénographie, les lignes de la frise créent dans un

Page 10: Cours Esthetique Image.doc

premier temps un entre deux qui vient rapprocher les deux personnages. Le regard du spectateur, tourné vers la Vierge, est sollicité par la diagonale. Le troisième personnage est intensifié par son regard (on ne distingue que sa tête sur un corps amorphe). La mise en scène tend à désacraliser la scène en érotisant la figure de Marie (cf. plis du tissu + main sur le sein : en se couvrant, la Vierge suggère la chair). Les mains de la Vierge surgissent de sous les plis du vêtement et donnent corps et consistance au regard, qui semble la toucher des yeux. Elles trahissent également le désir de l’Ange de la toucher.

*La mort de la Vierge, Le CaravageIci, à l’intérieur de l’espace, des spectateurs sont représentés. Ils assistent à un drame à l’intérieur de la scène et sont comme une médiation de notre propre regard sur l’œuvre. Il démultiplient les regards sur la découverte du corps mort. Plusieurs espaces sont intéressants à identifier : d’abord, l’espace constitué par le cadavre, qui crée une sorte de rectangle. On distingue un immense rideau rouge au-dessus des spectateurs, qui reprend au point de vue chromatique la robe de la Vierge, et réplique de fait une présence en dehors de son corps. Le drapé semble relativement lourd et touche presque les personnages qui regardent le corps. Ce rideau donne une présence à une matière qui serait au-dessus d’eux, et qui serait à même de les toucher : ce rouge dramatise autre chose.

Après le rapprocher de distanciation, il s’agit aussi de comprendre la dialectique entre regarder et être regardé.

*Piéta, Delacroix Le rapprocher se réalise dans le contact. Le Christ mort crée une forme presque étrangère. On voit comment il s’opère une identification entre le corps de la Vierge et celui de son fils, crucifié. Il y a presque une confusion organique, comme si les jambes du Christ prolongeaient le corps de la Vierge.

*Les époux Arnolfini, Jan Van EyckLe miroir duplique la scène. Il s’opère par là même une identification du spectateur avec le peintre, qui se reflète dans le miroir. Il ne s’agit plus d’inscrire un espace clôt, mais de concevoir la peinture comme une surface entièrement réfléchissante (cf. le facingness de Fried). L’espace se prolonge dans le miroir, en dehors du champ de représentation pour inscrire un imaginaire qui se poursuit, et relayer à la fois la présence de l’artiste et du spectateur.

*Un bar aux folies bergères, Manet La scène ne se déroule pas tant au premier plan que dans la profondeur du miroir, et donc du spectateur. Michael Fried essaie de théoriser l’art par cette conception de l’espace. Il parle de théorie de l’absorbement : penser que le spectateur n’est pas exclu de ce qu’il voit, mais fait partie de l’espace pictural qui se réalise.

*Le Balcon, Manet (et réinterprétation de James Wall)Peindre des personnages qui ne sont plus dans une action, mais dans une image temps. Ils sont spectateurs à eux seuls d’une scène que l’on ne voit pas. Sujet de la représentation délocalisé de l’intérieur de la toile vers l’extérieur, vers le spectateur de l'oeuvre, qui devient alors acteur ou spectateur du drame.

*La Liseuse, VermeerAbsence suggérée par la lettre est mis en scène par l’intermédiaire de la fenêtre ouverte, et dont on ne distingue pas le champ.

Plusieurs théoriciens ont essayé de comprendre quel était le lieu du spectateur. *Gaëtan Picon : « L’œuvre, dès qu’elle rencontre un regard, appelle irrésistiblement la conscience 

Page 11: Cours Esthetique Image.doc

critique. L’œuvre ne peut pas être éprouvée esthétiquement si nous nous limitons à elle comme la perception se limite à son objet. L’expérience esthétique suppose la mise en relation de l’œuvre avec autre chose qu’elle-même, un jeu complexe de références et de rapports. Si je ne dépasse pas l’œuvre, si je reste prisonnier de sa réalité immédiate, si je ne dispose pas pour la contempler de l’observation d’une pensée et d’une culture, l’œuvre sera pour moi un objet de la nature, et non pas une œuvre d’art. » Il s’agit non pas de se limiter à l’objet en tant qu’objet immédiat du regard, mais de considérer sa part d’invisibilité. C’est la confrontation avec d’autres œuvres qui permet l’ouverture critique. *André Gide : « Toute connaissance que n’a pas précédé une sensation m’est inutile. » Dans le domaine esthétique, il y a la connaissance, mais l’analyse se justifie à partir du moment où il y a une rencontre avec l’œuvre, et donc la naissance d’une sensation.*Jean Dubuffet : « L’art est toujours là où on ne l’attend pas ». *Agnès Minazzoli : L’art révèle des formes dans la profondeur de la surface, comme une surface d’eau. « Ce que l’on nomme la patience de l’art ne serait autre que cette capacité de laisser affleurer à la surface de la conscience ses images latentes, sommeillantes, jusqu’à ce qu’elles prennent forme dans les mots. »

D’un point de vue théorique, la place du spectateur est très sollicitée. Cela vient du fait que le plus souvent, l'artiste accorde lui aussi une place très importante à son spectateur.

*Les époux Arnolfini, Van EyckDeux conceptions s’opposent quant à la fonction du miroir (et pas seulement dans ce tableau) : *Pierre Francastel : le miroir ne fait que dupliquer et de fait refermer l’espace. *Pour Panosky, le miroir ouvre sur un infini à l’intérieur de l’œuvre, un espace qui montre que le spectateur peut avoir un autre point de vue sur l’œuvre (l’espace se double par une présence de dos).

*L’atelier du peintre, VermeerLe peintre entre dans le corps de l’œuvre : un personnage peint de dos. Il n’est pas le reflet de Vermeer à proprement parler, mais porte en lui une mise en abîme de la fonction du regard dans l’œuvre, alors même que le rideau qui s’ouvre suggère que l’on est dans une forme de représentation.

*La leçon de musique, Vermeer. La mise en scène du corps de l’artiste dans l’œuvre est médiatisée par la présence du professeur de musique. On distingue dans le miroir un morceau du chevaleret du peintre : celui-ci ne fait ici que dupliquer l’espace mis en scène. Le regard que porte le professeur sur la jeune fille est à la fois celui du peintre et du spectateur.

Virtuellement, le regard s’inscrit à l’intérieur d’une œuvre par différents endroits, par l’intermédiaire de différents personnages.

*Jeune femme assoupie, Vermeer. Par l’intermédiaire de l’encadrement d’une porte, on nous montre un miroir qui ne reflète rien, à part une forme noire. Cette forme est à mettre en relation avec la figure de la femme assoupie, qui

Page 12: Cours Esthetique Image.doc

par son mouvement, crée une sorte de basculement virtuel vers la gauche de la toile, et donc vers le hors champ. La place du spectateur est ici particulière. En amorce, on a une chaise dont l’assise est hors champ : on représente une place qui est retirée au spectateur. A noter que les techniques radiographiques mettent en lumière la présence d’un personnage à la place du miroir, personnage qui regardait vers le spectateur. Le fait que maintenant, il y ait un miroir noir face au spectateur montre un autre face à face, mais un face à face de disparition.

En ce sens, l’œuvre est l’attente de l’œuvre (cf. Maurice Blanchot): « Toute image pourrait être dite non seulement structurée comme un seuil, mais également comme une crypte ouverte, ouvrant son fond, mais le retirant, se retirant, mais nous attirant. » Georges Didi-Huberman.

*Portrait dans le miroir, Denis RocheL’œuvre est perçu comme une surface, mais comme une surface elle-même perçue non seulement comme un miroir qui vient inscrire un face à face avec le propre regard, mais également comme un seuil, le lieu d’intérieur et de l’extérieur de l’œuvre.

*Les liaisons dangereuses, René Magritte L’œuvre est perçue comme un miroir qui apporte un autre point de vue.

*Michael Fried : théorie de l’absorbement et facingnessA défaut d’identifier de grands artistes, Fried va essayer de comprendre la modernité en tant qu’elle donne au spectateur une nouvelle place. Selon lui, ce qui différencie la peinture moderne du reste, c’est-ce qu’il appelle l’absorbement : au XVIIIe, on représente des personnages absorbés par leurs actions. On parle de théâtre de l’action (cf. Greuze et La piété filiale : le tableau se referme sur une action qui se présente à nos yeux et concentre le regard // Le baiser envoyé (1765) : si le personnage ouvre son regard sur l’extérieur, cet extérieur est directement mis en relation avec quelque chose de très narratif à l’intérieur de l’œuvre. Ici, la lettre). Il distingue l’absorbement du facingness, dont il situe les prémisses chez Manet. Le projet de la modernité est d’inscrire une surface qui devienne réfléchissante. Le regard change de direction (Manet et Le Balcon : les personnages sont des spectateurs, ce qui inverse le lieu de l’histoire vers notre regard // Emile Zola : technique de recouvrement des espaces participe à l‘effet d‘aplanissement. Le mur est pratiquement face au spectateur, alors même que la mise en abîme d‘œuvres secondaires à l‘intérieur de l‘œuvre met en lumière des effets de miroir // [i]Un bar aux Folies Bergères[/i] : représenter un miroir en tant que tel). On n’est plus tant dans un théâtre de l’action que dans un théâtre de la présentation.

*Gregory CrewdsonComment resaisir les éléments théoriques énoncés? A l’intérieur de la toile, différents éléments viennent s’organiser et montrent que le regard est invité à s’inscrire dans l’image : le fauteuil, le miroir… L’artiste photographe offre des lieux au regard du spectateur. Ce qu’il apparait intéressant de repérer, c’est qu’il y a à la fois un personnage absorbé par ses pensées (classicisme qui referme l’espace), mais que le spectateur est également convoqué de façon frontale.

Page 13: Cours Esthetique Image.doc

9

L’analyse de l’image fixe trouve des correspondances avec l’analyse de l’image en mouvement. Elle est fonction des allers et retours successifs entre les deux supports.

Réfléchir sur la place du spectateur revient à comprendre la place de l’interprète dans son rapport à l’œuvre (cf. le miroir qui permet la représentation de lieux hétérogène dans la même image : il offre un nouveau point de vue dans le tableau). Le mouvement de l’image et dans l’image est entièrement lié au mouvement de ce point de vue.

Les analystes interrogent également le regard critique, en ce sens que l’œuvre doit toujours être interprétée en mouvement : elle doit être mise en relation avec autre chose qu’elle-même pour être comprise (cf. Gaétan Picon : dépasser la réalité immédiate de l’œuvre). L’œuvre se donne au-delà d’elle-même, en dehors de sa matérialité immédiate. *« L’homme transporte avec lui le trouble de sa conception d’une image manquante. L’analyse critique consiste à découvrir, dans ce que nous voyons, une autre scène » Pascal Quignard. *« C’est entre les images que s’effectuent de plus en plus des passages, des contaminations d’êtres et de régimes. Il deviendrait impropre de voir dans l’image quelque chose de sûrement localisable, une entité vraiment nommable. » Raymond Bellourd. L’image est presque atopique. Elle est en elle-même un non-lieu, en dehors du cadre. On est dans une compréhension de l’intervalle en ce qu’il donne lieu au regard analytique. *nature spéculaire de l’image de Agnès Minazzoli : « Rien de ce qui eut lieu n’est à jamais révolu et tout s’inscrit dans la mémoire de l’image qui garde, parfois repliés en d’infimes détails, les signes d’une histoire lointaine. Le visible n’est pas une surface ; il fait surface. On ne peut le parcourir sans aussi le traverse, y pénétrer, en sonder la profondeur, guidé par les associations d’images qui en tissent la trame. Car une image en appellera toujours une autre dans un enchainement toujours plus riche de sens, toujours plus fécond. » Si l’image est sans lieu, elle a néanmoins une mémoire dans la mesure où toutes visions ne fait que remettre en scène des images du passé. L’œuvre est une surface nmésique qui ne fait que refléter des formes qui l’ont précédée. L’œuvre est comme un tissu qu’on déplie pour voir ce qu’il y a l’intérieur. Pour Minazzoli, si il y a toujours une image cachée derrière ce que l’on voit, si l’acte de voir consiste à combler un manque, elle va jusqu’à se demander si cet acte n’est pas éloigné de celui de la projection de figure imaginaire dans l’espace. Regarder une œuvre, c’est également projeter des images à l’intérieur de l’image => dialectique entre le voir et le projeter. C’est en cela que le regard analytique est également cinématographique : il en appelle à la projection.

Une séquence en mouvement doit aussi se voir selon les principes énoncés par Starobinsky (cf. le mouvement dans l’image).

Mise en scène de l’intervalle et de la nature spéculaire de l’image.

*Vertigo, Alfred HitchcockCe qui est intéressant dans cet épisode, c’est de voir que l’image ne se donne pas dans sa matérialité immédiate. *plan en contre plongée sur la fenêtre

Page 14: Cours Esthetique Image.doc

*plan sur le seuil de la chambre où elle est mise en relation avec la fenêtre. La composition indique ce qui s’est passé, et ce qui va se passer.*miroir reforme une scène : regard de Scottie vers le hors champs dans le reflet suppose l’insciption d’une autre figure. *fondu en enchainé : visage mis en déséquilibre alors même qu’il est également le lieu de la mort de Madeleine.

*In the mood for love et 2046, Wong Kar Wai : comment la figure de Lisette est-elle mise en scène dans son absence? *reprise du prénom*rejouer une scène dans un décor semblable. *l’ombre : il n’y a de limite entre le corps et son ombre, qui crée un trou dans l’image en même temps qu’il perpétue la personne que l’on voit au-delà du mur. Quand elle pleure, elle se retourne sur son œuvre. La main qui caresse les lèvres prend vie sur le mur et inscrit la présence d’une figure en négatif. Même principe dans le premier film. On s’inscrit également dans une histoire des formes (cf. Dibutade) : « un effet de présence pour combler un manque » (Alberti). Alors qu’ils sont deux, une présence s’inscrit en creux, ce qui appelle des images miroitantes, spéculaires. La compréhension des intervalles permet de saisis l’œuvre dans toute sa richesse.

Pascal Quignard fonde sa théorie sur le fait que tout regard est désirant et fonde son origine sur la scène primitive. Pour Minazolli, quelque chose se joue entre le visible et la projoection : si l’image est de nature spéculaire, elle en réfléchit forcément d’autres. Cette mécanique est aussi assimilable à un mécanisme de projection : le spectateur projette dans l’image, ses propres images.

Jean Christophe Bailly : « Regarder, c’est franchir un seuil dans le régime du voir, et cela vient comme un allumage, comme si quelque chose en nous décidait de franchir le seuil. Le regard s’ouvre puis se pose, puis se relâche, se distrait, puis se concentre et se focalise, et ainsi de suite, comme un film au montage saccadé, syncopé, qui ne s’arrête guère qu’avec le sommeil. ». 

Il se crée des relations intimes entre le regard et le film en ce sens que l’interprète déploie tout un film intérieur, par l’intermédiaire des œuvres qu’il a pu réfléchir. C’est dans l’interaction entre les œuvres réfléchies et l’œuvre regardée que le sens apparait.

*Nu allongé, DaliLa représentation du corps nu s’inscrit dans une logique vénusienne. Il s’agit de repérer d’emblée dans quelle histoire des formes s’inscrit l’image : par l’intermédiaire de sa mise en scène, cette représentation ne fait qu’enrichir les différents visages de Vénus que l’on peut avoir. Ce que l’on peut repérer, c’est comme le nu allongé s’inscrit dans un dispositif qui fait appel à d’autres représentations (Giorgione, Titien), avec quelques éléments qui différent, notamment au point de vue des mains, du mouvement corporel, circonscrit à l’intérieur d’une masse plus sombre comme une sépulture à l’intérieur de laquelle Vénus semble s’endormir. Au point de vue du corps, autant Vénus semble se retirer du spectateur, autant certains éléments de la composition viennent directement s’offrir au regard du spectateur : les mains, l’une absorbée par l’entrejambe, l’autre qui s’offre au spectateur.

Page 15: Cours Esthetique Image.doc

En quoi cette représentation apporte un espace complémentaire à la compréhension de Vénus ? Qu’est ce qui nous donne à voir le peintre ? Le visage semble être en retrait : absorbement de la visagéité par l’intermédiaire de la masse sombre. Le prolongement de la main sur la jambe rappelle le mouvement corporel de la Vénus de Giorgione. La main vient s’échouer au bord de la représentation. Cette main expose une intériorité à mettre en relation avec ce que l’autre cache : elle expose quelque chose de l’intimité de Vénus, qu’on ne voit jamais mais qui est toujours mis en scène (cf. geste des doigts).

Il s’agit toujours de mettre en mouvement les images que nous voyons, ouvrir la forme, autant vers ce qu’elle contient d’autres formes, autant que vers ses figures virtuelles. Voir, c’est créer un montage d’origines du visible entre les formes, entre les œuvres, pour comprendre comment le rapport entre les images crée un rapport de sens. Il n’y a pas de regard sans ce montage, qui crée une circulation susceptible d’orienter une interprétation de l’œuvre.

De la sorte, l’image excède le temps auquel elle nous expose. Le temps que l’on perçoit est au-delà de celui qui est représenté. Affirmer que l’image existe au-delà de son temps revient à considérer que l’image est survivante et n’est que la trace, les empreintes d’autres formes. Elle se comprend en termes d’histoire visuelle. *Pierre Fédida : « Dire que la présence est survivante revient à dire que la présence d’une œuvre ne serait rien si elle n’était retour anachronique de forme disparue. »*Warburg : « Nous ne sommes pas devant l’image comme devant une chose dont on saurait tracer les frontières exactes. Une image, chaque image est le résultat de mouvements provisoirement sédimentés ou cristallisés en elle. » Il n’y a plus véritablement d’espace dans la représentation dans la mesure où l’espace de la représentation est aussi celui de la figure (cf. Vénus entre Giorgione et Dali). L’espace de l’œuvre est en dehors des limites. « Nous sommes devant l’image comme devant un temps complexe, le temps provisoirement configuré, dynamique de ces mouvements eux-mêmes. »

*La Chambre, Baltus.Une généalogie se poursuit. La forme devient survivante, mémoire des formes qui l’on précédées. La posture de la jeune femme en appelle directement à un lien avec les représentations de Vénus. C’est à partir de la juxtaposition des formes que l’on trouve l’indivitualité d’une forme particulière. Mouvement du corps (bras + torse) est à mettre en relation avec le mouvement de l’autre personnage qui ouvre le rideau. La forme du rideau, tranchante, établit une certaine violence : l’ouverture du rideau en appelle à l’ouverture du spectateur, et la possibilité de voir le corps, qui semble se démanteler.

Ces représentations sont d’une certaine façon, déjà contenue dans celle qui les ont engendrées.

*Antropomorphique, DaliL’aplanissement de la profondeur de champs en appelle à Manet et fait écran au regard du spectateur. La main inscrit une forme de refus, et les jambes croisées forment presque une croix : on est dans le représentation d’un corps qui se dérobe à notre regard, dialectique déjà comprise dans les représentations de Vénus.

Page 16: Cours Esthetique Image.doc

*Alain Flescher, reprise du tableau de VélasquezFlescher recompose, par l’intermédiaire d’un jeu, une naissance de Vénus. Le miroir dramatise le lieu de naissance de Vénus alors même qu’il fait sortir de son cadre le corps de la déesse. On est dans une problématique qui tend à déterritorialiser le corps de Vénus. Le tableau s’inscrit dans une dynamique de forme toujours insaisissable. On inscrit un corps informe, qui semble se rependre, et c’est de ce mouvement que nait le sens de l’œuvre.

*Autoportrait, Fransesca Woodman Inscription d’une forme survivante : la scénographie inscrit les empreintes d’un corps qui existe avant elle et qui par l’intermédiaire de l’autoportrait relie la forme à une histoire des formes. La main est aussi celle de Giorgione et de Botticelli : elle ouvre sur des espaces pluriels (cf. Umberto Eco).

Regarder une œuvre, c’est se confronter à l’expérience sensible de l’œuvre, mais il n’y a pas non plus d’images à comprendre sans savoir.

Sujets de réflexion : *« Penser est plus intéressant que savoir, mais penser est moins intéressant que regarder. » Goethe. Un regard qui s’enracine dans le savoir de l’œuvre amène une réflexion beaucoup plus large. Pour une Annonciation par exemple, plus on en voit, plus on en sait sur l’Annonciation. *« Une œuvre d’art n’est jamais lisible que par approfondissements successifs. » Nietzsche. Statut de l’interprète : celui qui livre une lecture de l’image. A mesure qu’on regarde, un sens s’inscrit. *« Le vrai art est toujours là où on ne l’attend pas. » Dubuffet. Interroge le rapport entre le studium et le punctum, comment la forme est survivante. Nous ne sommes pas, devant l’œuvre, comme devant une chose dont on pourrait tracer les contours exacts. Une œuvre se déploie au-delà de son espace car elle fait toujours références à d’autres images.

Le temps et l’espace, dans Vertigo, sont remis en scène par l’intermédiaire du plan de Madeleine au bord de la fenêtre, en contre plongée. L’image porte une temporalité qui n’est pas celle que nous voyons : elle en appelle à ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après.

Le régime spéculaire de l’image défini par Agnès Minazolli est repris dans In the mood for love et 2046 : la scène devient le reflet d’une image manquante.

Le regard fonctionne en termes cinématographiques : les images n’ont pas le même sens en fonction de leur enchainement.

*Botticelli, Naissance de Vénus (gravure) // Giorgione, Vénus endormie. Qu’est ce qui dans la deuxième image, rappelle la première ? Juste au-dessus de la main de Vénus, il y a un tronc coupé, qui est une forme survivante de la castration d’Ouranos, son père.

*Mars et Vénus surpris par Vulcain, Le TintoretPrésence du vase transparent (cf. citation sur Marie et la virginité).

Page 17: Cours Esthetique Image.doc

La virginité, au départ, représente le caractère intact de la nature humaine. C’est un état non corporel, analogue à celui dont jouissait l’humanité avant la chute originelle. *431 : Marie reconnue comme la mère de Dieu.

La question qui se pose à la Renaissance, c’est de savoir comme représenter le corps de la Vierge si celui-ci est justement acorporel. Au fur et à mesure, Marie libère de plus en plus sa composante maternel, cependant que le XIVe est marqué par tout un travail de désacralisation, voire de profanation des représentations de la Vierge, qui aboutit à la métamorphose de la mère intouchable à la mère familière. Un glissement s’opère vers la figure de Vénus, dans la mesure où de nombreux peintres montrent la corporalité de la Vierge (d’autant qu’à l’époque, on redécouvre les textes de l’Antiquité). Pour Jean Baptiste Thotevia : « La Vierge Marie permet ellipse de la femme, et est en cela un écran au désir. Elle conjugue deux traits essentiels de la féminité, qui sont la virginité et la maternité, deux traits contradictoires dans le sens où ils ne peuvent pas exister ensemble. Toute la surnaturalité de Marie est fondée sur cette impossibilité. La Vierge Marie est un monstre, ou autrement dit une figure sacrée. »

*Annonciation, Pierro dela FransecaComment le corps de Marie s’érotise-t-il ? Alors même que la Vierge est conçue comme une figure d’écran, on a une compréhension de l’intériorité par l’intermédiaire de la profondeur de champs, par laquelle on pénètre dans le corps de l’œuvre.

*Annonciation, VenezianoMarie est représentée comme enfermée dans un lieu de la représentation, alors que son corps est assimilé aux colonnes (cf. contraire de celle de Leonardo, où le vêtement architecture le corps de la Vierge).

Il s’agit toujours de repérer comme le corps est représenté et s’ouvre (notamment par l’intermédiaire des gestes).

Seule représentante de la figure féminine avec Vénus, la Vierge est une figure monstrueuse.

L’autre trait caractéristique de la peinture de la Renaissance est l’invention de la perspective. Elle permet de réfléchir le corps en tant qu’objet qui s’inscrit dans un espace, et donne corps au pulsionnel, à l’émotionnel de l’œuvre. On peut réfléchir en ces termes la corporité Mariale : elle ouvre généralement sur une intériorié qui permet de penser à la fois l’intérieur du corps et celle de l’œuvre. Elle échappe également à toute mesure. La matière se fait immense.

*Annonciation, VenezianoAnalogie entre les corps légèrement arrondis de Marie et de l’Ange, et la porte centrale, alors même que ce qui est représenté, c’est comment le verbe se fait chair dans l’œuvre. Ce mystère est exploité dans la profondeur de l’œuvre. La verticalité des colonnes inscrit quelque chose d’immuable.

*Annonciation, LippiColombe au-dessus de la main, qui crée un orifice dans le ventre de la Vierge. Celle-ci est également désacralisée en ce sens qu’elle s’inscrit dans un lieu intime : on voit son lit.

Page 18: Cours Esthetique Image.doc

C’est par l’intermédiaire des mains qu’il faut aussi étudier l’ouverture de la Vierge Marie. Elles parlent dans une certaine mesure. Quand elles sont croisées, quand elles s’ouvrent ou inscrivent un mouvement, on voit comment se dessine sous les vêtements un corps qui n’est plus tant une surface sans vie qu’une intériorité organique.

*Annonciation, LeonardoQuelque chose se joue, par le mouvement, au niveau du ventre. Mouvement des mains complémentaires avec l’Ange.

*Annonciation, Cosme TuraDiptique dont la profondeur apparait quand les deux pans sont ouverts. La figure de la Vierge raconte en soi quelque chose de l’ordre de l’incorporalité, mais cependant, son organicité est mise en avant par les figures païennes sculptées derrière elles.

*La Vierge de Lucques, Van EyckRecouverte de rouge, alors que le plus souvent, elle est habillée de bleu. Ici, les indices de la maternité apparaissent en deçà de la représentation de la virginité. Il y a un aller-retour entre les deux états.

*Vierge à l’enfant et Saint Jean Baptiste, BotticelliRapprochement avec Vénus : les deux figures ont en général à peu près le même visage.

*La Vierge au buisson ardent, Nicolas Froment La Vierge, au bout d’un moment, devient une figure toute puissante. Elle est un pont entre le terrestre et le célestre, entre le corporel et l’incorporel. C’est en ce sens que certaines représentations de Vierge à l’enfant font de Marie une figure divine. Ici, l’enfant tient un miroir, dont le reflet est à mettre en relation avec le médaillon que porte l’ange, où l’on voit Adam et Eve. La figure de la Vierge s’ajoute à celle d’Eve. Elle est là pour racheter ses fautes.

Si la question qui se pose, est "la Vierge Marie a-t-elle un corps?", il s’agit de comprendre comment ce corps s’inscrit dans la représentation.

*Madone del Parto, Pierro della Franscesca Vêtement ouvre sur une profondeur inaccessible. Le tissu raconte une intériorité (aussi Cosmo Tura et La Madone de la Miséricorde de P. della Franscesca). La Vierge devient un réceptacle, une enceinte architecturale, la mère de tout le monde. En ce sens, elle donne corps aux origines du monde.

*Les origines du monde, Courbet. Face à face avec les origines corporelles du monde.

*Virgin Mother, Damien HirstDeux figures, célestes et terrestres, rassemblées en une.

En quoi les Vierges à l’enfant intéressent la question de la maternité ?

Page 19: Cours Esthetique Image.doc

*Pietà, Cosme TuraMême grammaire visuelle que pour la Vierge à l’Enfant.

*Pietà, BelliniCe qu’on a tendance à privilégier dans une Pietà, c’est la mise en perspective d’un espace où plus rien ne compte. Il faut donc les appréhender comme des réflexions sur le corps, la représentation de la mort.

Pierre Fédida réfléchit sur la question de la séparation, de la disparition, du deuil.

*Vierge à l’enfant et St Jean Baptiste, BotticelliRéfléchir sur le Christ qui nait pour mourir, c’est aussi réfléchir sur la condition de tous les êtres, et par la même réfléchir sur la représentation des origines. Que peut-on repérer ici ? Le mouvement de la Vierge Marie se retrouve dans le corps du Christ et évoque autant une vierge à l’enfant qu’une descente de croix. L’enfant apparait presque comme un enfant mort. On note également une analogie des visages entre la Vierge et l’Enfant. Cette représentation s’inscrit dans une temporalité future : ce qu’on annonce ici, c’est la descente de croix. L’identification de la Vierge à l’enfant mort fait que l’on peut s’interroger sur le statut de Marie. Pourquoi a-t-elle l’air comme morte? Pour Fédida, l’identification de la mère à son enfant, c’est une manière de maintenir présent ou vivant ce qui va devenir.

*Madeleine au miroir, George de la TourLe crâne est un objet relique qui donne corps à une présence qui n’est plus là. Il lui permet de garder un contact avec ce qu’elle ne peut plus voir. Ce qui est aussi à comprendre, c’est comment la main, au contact de l’os, semble changer de texture. L’espace funeste se propage à l’intérieur du corps de Marie Madeleine, alors même que le jeu spéculaire entre le visage et le miroir montre une triangulation qui souligne que ce n’est pas tant son visage qui se réfléchit que le crâne. Cela permet d’interroger la représentation du deuil et de la mélancolie.

On en vient donc à interroger ce que peut être la représentation de l’horreur. Il s’agit de comprendre comment l’horreur change de forme au fil des siècles. Julia Kristeva : « Ce qui fonde le sentiment d’abjection, c’est le dégout alimentaire, la forme la plus archaïque de l’abjection. Le déchet comme le cadavre m’indique ce que j’écarte en permanence pour vivre. Le cadavre, vu son lieu, hors de la science, est le comble de l’abjection. En ce sens, ce n’est donc pas l’absence de propreté qui rend abject, mais ce qui perturbe une identité, un système, un ordre. » C’est à partir du moment où il n’y a plus véritablement de frontière entre la forme et l’informe que la perturbation d’identité se fait. C’est ce qui rend, dans une certaine mesure, de nombreuses œuvres, horribles. L’enjeu de la représentation de l’horreur, c’est de rendre image à quelque chose qui n’est pas supportable (soit rendre supportable ce qui ne l’est pas).

*Crux, Gary HillNe représente, par une installation vidéo, que les lieux des stigmates et son visage

*Piss Christ, Andres Serrano

Page 20: Cours Esthetique Image.doc

Intériorité du corps par l’intermédiaire de la couleur et de la lumière. Ce qui se pose, c’est l’affront au public : l’urine qui entoure la croix.

Il faut comprendre comment, à travers des siècles de peinture, les artistes ont essayé de montrer ce qu’on ne pouvait voir.

*Christ, HolbeinVoir comment le comble de l’abjection serait la représentation du Christ sans rien du divin. On le représente ici dans une sépulture horizontale, sans possibilité de se transcender. Ce qui intéresse l’artiste, c’est la représentation du corps tel quel dans ce qu’il est une forme de passage, de la composition à la décomposition, de la vie à la mort.

*Paysage, VelickovicCe qui change dans la tradition contemporaine, c’est le rapport plus frontal avec l’horreur, alors que dans la tradition iconologique, l’horreur est toujours prise dans un contexte. Ici, on ne voit que des têtes qui roulent au niveau du sol. L’horreur se déroule à l’intérieur d’un contexte narratif qu’on ne perçoit pas véritablement. Le regard sur l’horreur n’est pas médiatisé (comme dans La Mort de la Vierge par exemple) : il n’y a pas de distance, pas de madmoniteur (c’est une image du spectateur à l’intérieur de l’œuvre, ou plutôt un personnage qui crée un relai de regard dans l’œuvre).

Pour Kristeva, l’horreur est liée à une matérialité, à un moment de l’œuvre qui perturbe le sentiment identitaire. Elle n’est pas loin de rapprocher l’abjection de l’informe. L’œuvre a traditionnellement une fonction cathartique : elle nous permet de voir des choses que l’on ne peut pas voir. L’informe est le moment où l’humain tombe dans le chaos.

Selon D. Anzieu : « Depuis la Renaissance, la pensée occidentale est obnubilée par un thème : connaître, c’est briser l’écorce pour atteindre le noyau ». Il s’agit d’ouvrir le corps pour voir à l’intérieur, la chair que l’on ne voit pas.

*L’éviscération de Saint Erasme, Poussin.Les représentations de l’horreur ne sont pas des cas isolés de la peinture de la Renaissance. Qu’est ce qui fait qu’une représentation ne véhicule pas le thème effroi que les représentations contemporaines ?

*Bœuf écorché, RembrandtMontrer ce que c’est que l’intériorité d’un organisme.

Pour J. Lacan : « Il y a une horrible découverte, dans l’informe : celle de la chair que l’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, la chair en tant qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. » L’ouverture du corps, le moment où le corps s’ouvre au regard du spectateur, c’est comme montrer l’envers d’un visage. Pour G. Didi-Huberman : « Transgresser les formes ne veut donc pas dire délier les formes. Revendiquer l’informe ne veut pas dire revendiquer des non-formes, mais plutôt s’engager dans un travail des formes équivalent à ce que serait un travail d’accouchement ou d’agonie. » Dans l’informe, il y a quelque

Page 21: Cours Esthetique Image.doc

chose qui donne naissance à d’autres formes. Ce n’est plus une clôture de la représentation, ce qui n’est pas loin de la théorie de Umberto Eco sur l’ouverture de l’œuvre.

*Autoportrait, GiacomettiQuelque chose d’assez paradoxal : l’artiste se présente avec un visage qui semble disparaitre dans la planéité de la peinture. Celle-ci devient une matérialité qui recouvre le corps. Ce qui donne une reconnaissance de Giacometti, c’est un visage qui perd de sa reconnaissance. Au bout d’un moment, on voit bien comment le coprs semble se détacher de la tête, qui semble émerger toute seule dans la matière picturale. On est véritablement dans l’informe. Le corps semble s’affaisser. « Je ne sais plus qui je suis, où je suis, je pense que mon visage doit apparaitre comme une vague masse blanchâtre, faible, qui tient tout juste ensemble portée par des chiffons informes qui tombent par terre. Apparition incertaine. L’apparition parfois, je crois que je vais l’attraper, puis je la reperds et il faut la rattraper. » On n’est pas loin du moment où l’interprète croit qu’il va saisir une image, puis la perd. Il y a toujours dans la représentation une part d’invisibilité, insaisissable.

Pour P. Fedida : « L’informe de la chaire est forme d’engendrement de l’angoisse ». On est dans une forme d’engendrement.

*Narcisse, Le CaravageLa perte de visage est bien là (cf. le reflet). Au bout d’un moment, le genou apparait ressortir de la surface de l’ordre. Il prend la même proportion qu’un visage. Ce genou est donc le devenir informe du visage, qui est à même de ne plus se reconnaitre dans son reflet, et donc d’agoniser.

*Francesca Woodman Mouvement du visage vers l’arrière crée au lieu de la reconnaissance identitaire, un mouvement, que l’on peut reprocher de certaine peinture de vanités (le visage devient presque un crâne).

*L’invention du dessin, JB. Suvée. Cet informe est également l’origine de la peinture. Quelque part, ce qui crée ce sentiment d’inquiétante étrangeté chez Suvée, c’est que les deux ombres ne forment plus qu’une masse. On a l’impression qu’elle ne dessine pas tant le profil de son amant que son propre visage.

Pendant le partiel, il faut identifier la singularité de l’œuvre. En quoi la représentation apporte quelque chose ?

*Untitled film still, C. ShermanFaire la différence entre l’angoisse et l’effroi. L’angoisse serait en fait le signal d’alarme qui nous met en garde contre ce qu’on voit. L’effroi, c’est être pétrifié, c’est tomber sous la fascination de l’image, ou l’horreur (cf. Méduse). Il s’agit toujours de regarder comment on peut attaquer l’œuvre de biais, de trouver un moyen de la regarder autrement. Cela peut passer par le détail (cf. le reflet dans la lunette ici).

*Tony Oursler Projette un visage en mouvement sur des mannequins ou des poupées, mises en scène. Représentation proche de la paralysie du corps que peut susciter l’image médusante. Le visage est

Page 22: Cours Esthetique Image.doc

enfermé dans sa propre figure.

*Ecarlate, Virginie Barré. Mise en scène du meutre. Corps s’égoutte par terre.

*Corps étrangers, Mona HatoumFilm à l’aide de micro caméra l’intérieur de son propre corps et en expose les clichés. On est dans ce que l’intérieur du corps peut avoir de plus frontal.

L’image en soi pourrait être traumatique. Selon M. Gagnebin : « Vivre la radiance d’une œuvre d’art, c’est frôler la déraison, c’est dans la fusion s’exposer à perdre ses limites, à être englouti, dissous, médusé. » La question qui se pose en ce sens, c’est savoir comment l’image contiendrait un potentiel chromatique. Pour cela Paul Demi différencie le texte écrit de l’image, en ce que pour lui, l’image contiendrait un potentiel chromatique : son fonctionnement diffère de celui de l’écrit. Pour lui, la question de la temporalité est très différente. L’image déverse en une seule fois tout un scénario. Cet aspect direct, qui amenuise le temps de la découverte du sujet et de la narration, est ce qu’il y aurait de potentiellement traumatique. En ce sens pour lui, ce n’est pas l’excès de violence de l’image qui est traumatisant, mais la nature même de l’image. C’est ce qui différencie un certain nombre de représentations au niveau du degré d’horreur : le temps de découverte de l’horreur, l’absence de frontalité de la Renaissance par rapport aux œuvres plus contemporaines. Cela rejoint la conception de Marie José Nondzain, dans L’image peut-elle tuer ? : « L’image interroge la violence non plus en termes de sujet, mais en termes de dispositif. » C’est le dispositif en lui-même qui montre l’histoire qui est violent.

*Annonciation, Véronèse Une déchirure part de la Vierge et avance vers le haut de la représentation. Comment réfléchir cette transition de la forme vers l’informe ? On peut le rapprocher de la narration, de l’histoire qui est racontée, mais, on voit aussi que, par rapport à la désacralisation de Marie (mouvement du corps sous les vêtements, en partie dénudé, rencontre érotisée), l’informe donne une consistance assez charnelle, comme s’il s’agissait de montrer l’intériorité du corps de Marie, le tumulte qui l’anime. Le rouge vient rapprocher la figure de la Vierge de l’Ange alors qu’ils sont séparés par les colonnes : rapproché de distanciation par l’égo chromatique. L’encadrement apparait disproportionné par rapport au corps, alors que la porte centrale, lieu du secret, du mystère, de ce qu’on ne comprend pas, est mise en abyme par un double encadrement : il se crée une fente à l’intérieur de l’image, qui est également à mettre en relation avec le silence de l’œuvre, avec ce qui n’est pas montré de l’origine du monde, et de la possibilité de l’Incarnation.

*Naissance de Vénus, Botticelli. Vénus nait du sacrifice de son père. Ce qui est sous tendu dans la beauté de Vénus, c’est l’horreur de sa naissance (cf. gravure).

*Judith, Jan MetsysL’horreur devient ici désirable à regarder, ou du moins qui ne repousse pas le regard du spectateur. Cette représentation illustre bien les moyens qu’a employés pour tuer Holopherne, chose qui n’est pas dite clairement dans la Bible, mais sous tendue dans l’image.

Page 23: Cours Esthetique Image.doc

*Pietà, Véronèse Horreur dans la figure de la Vierge : ses bras se prolonge par l’intermédiaire du corps du Christ et de l’Ange.

*Autoportrait, C. ShermanElle travaille d’avantage sur un dispositif qui empèche toute distance par rapport au regard.

*Christ, HolbeinComble de l’abjection : exposer le Christ mort, isolé par le cadrage, qui empêche toute forme de transcendance. Le tombeau-tableau épouse les formes du christ et fait que tout ce qui peut être liée à une dramaturgie de l’histoire du Christ disparait.

*Wir sinf nicht die letzen, Zaran MusicSorte de Pieta laïcisée : le peintre peint pour survivre dans les camps. On voit comment l’œuvre et sa matérialité sont travaillées de façon à venir recouvrir les corps agonisants. Ne subsistent plus que des sortes d’interstices. Travailler sur l’image traumatique, c’est aussi organiser la forme de telle manière que l’effroyable puisse trouver une structure esthétique, qui permette au regard d’appréhender l’œuvre sans être médusé (cf. Rebeyrolles).