COURS DE DROIT DES INSTITUTIONS EUROPEENNES

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Cours de droit institutionnel, farde de jurisprudence, 3 ème BAC FUSL. 1 3 EME BACCALAUREAT EN DROIT-FUSL COURS DE DROIT DES COURS DE DROIT DES INSTITUTIONS EUROPEENNES INSTITUTIONS EUROPEENNES FARDE DE JURISPRUDENCE ANNEE ACADEMIQUE 2010-2011 Nicolas de Sadeleer Chaire Jean Monnet Ces notes reprennent des extraits des arrêts examinés au cours magistral. Pour des raisons de facilité, seuls les points les plus importants ont été repris. Chaque arrêt est précédé d’un sommaire composé de différents mots clés rédigés par l’auteur de ces notes. En outre, dans un dessein pédagogique, un certain nombre de points importants pour la compréhension du cours de 3 ème BAC ont été soulignés. Par ailleurs, la numérotation des traités a considérablement changé depuis le traité CEE, devenu par la suite le traité UE et le traité CE. Pour cette raison l’ancienne numérotation a été adaptée à celle qui découle du traité de Lisbonne (TUE et TFUE). La grande majorité des arrêts repris ci-dessous ont trait à la Communauté et non à l’Union, du fait qu’ils ont été rendus avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Cette farde de jurisprudence constitue un outil indispensable à la compréhension d’une matière largement dominée par la jurisprudence. Les étudiants sont dés lors tenus de lire attentivement tous les arrêts. Au cours de l’examen, ils devront répondre à un ou à plusieurs casus et argumenter à la lumière de ces enseignements jurisprudentiel, lesquels ont été développés au cours magistral. Eu égard au caractère touffu de la matière, les étudiants sont autorisés à faire des renvois aux dispositions des traités, et souligner les points qui leur paraissent essentiels.

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Cours de droit institutionnel, farde de jurisprudence, 3ème BAC FUSL.

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3EME BACCALAUREAT EN DROIT-FUSL

COURS DE DROIT DES COURS DE DROIT DES

INSTITUTIONS EUROPEENNESINSTITUTIONS EUROPEENNES FARDE DE JURISPRUDENCE

ANNEE ACADEMIQUE 2010-2011

Nicolas de Sadeleer

Chaire Jean Monnet Ces notes reprennent des extraits des arrêts examinés au cours magistral. Pour des raisons de facilité, seuls les points les plus importants ont été repris. Chaque arrêt est précédé d’un sommaire composé de différents mots clés rédigés par l’auteur de ces notes. En outre, dans un dessein pédagogique, un certain nombre de points importants pour la compréhension du cours de 3ème BAC ont été soulignés. Par ailleurs, la numérotation des traités a considérablement changé depuis le traité CEE, devenu par la suite le traité UE et le traité CE. Pour cette raison l’ancienne numérotation a été adaptée à celle qui découle du traité de Lisbonne (TUE et TFUE). La grande majorité des arrêts repris ci-dessous ont trait à la Communauté et non à l’Union, du fait qu’ils ont été rendus avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Cette farde de jurisprudence constitue un outil indispensable à la compréhension d’une matière largement dominée par la jurisprudence. Les étudiants sont dés lors tenus de lire attentivement tous les arrêts. Au cours de l’examen, ils devront répondre à un ou à plusieurs casus et argumenter à la lumière de ces enseignements jurisprudentiel, lesquels ont été développés au cours magistral. Eu égard au caractère touffu de la matière, les étudiants sont autorisés à faire des renvois aux dispositions des traités, et souligner les points qui leur paraissent essentiels.

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Table des matièresTable des matières

I. Aspects institutionnels

1. Autonomie institutionnelle

– CJUE, Lord Bruce of Donington, 15 septembre 1981, aff. 208/80.

– CJUE, Commission c BCE, 10 juillet 2003, aff. 11/00 (OLAF).

2. Base juridique des actes de droit dérivé

– CJUE, Parlement c Conseil (« Protection des forêts »), 25 février 1999, aff. jointes C-164/97 et C-165/97 (PAC –Environnement).

– CJUE, Commission c Conseil, 20 mai 2008, aff. C-91/05 (PESC – Politique de coopération au développement).

3. Subsidiarité et proportionnalité

1. Subsidiarité :

– CJUE, R.U. c Conseil, 12 novembre 1996, aff. 84/94.

– CJUE, Pays-Bas c PE et Conseil, 9 octobre 2001, aff. C-377/98 (Biotechnologies).

2. Proportionnalité :

– CJUE, Allemagne c PE et Conseil, 13 mai 1997, aff. C-233/94.

4. Pouvoirs implicites

– CJUE, AETR, 31 mars 1971, aff. 22/70.

5. Bonne administration

– CJUE, Commission c Edith Cresson, 11 juillet 2006, affaire C-432/04 (Devoirs incombant à un commissaire européen).

– CJUE, Pays-Bas c Commission, 29 avril 2004, aff. C-159/01 (Motivation).

– CJUE, Suède et Turco c Conseil, 1er juillet 2008, aff. jtes. C-39/05 P et C-52/05 P (Accès aux documents des institutions – Refus du Conseil en vue de garantir l’objectivité et l’indépendance de son service juridique – Intérêt public supérieur justifiant la divulgation).

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6. Principe de démocratie

– CJUE, Commission c Conseil (Directive sur les déchets de dioxyde de titane), 11 juin 1991, aff. C-300/89.

II. Ordre juridique de l’Union européenne

1. Spécificités de l’ordre juridique de l’Union

a) Primauté de l’ordre juridique de l’Union

– CJUE, Costa c ENEL, 15 juillet 1964, 6/64.

– CJUE, Simmenthal, 9 mars 1978, aff. 106/77 (vis-à-vis du juge national).

– CJUE, CILFIT, 6 octobre 1982, aff. 283/81 (obligation de poser une question préjudicielle, juridictions suprêmes).

b) Pouvoirs implicites

– CJUE, Kramer, 14 juillet 1976, aff. jtes. 3, 4 et 6/76 (Conclusion accords internationaux – restriction des pouvoirs revenant aux EM).

2. Responsabilité des Etats membres

– CJUE, Francovitch, 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90 (Responsabilité extracontractuelle des EM).

– CJUE, Gerhard Köbler et Republik Österreich, 30 septembre 2003, aff. C-224/01 (Responsabilité EM – violation imputable à une juridiction nationale).

3. Obligation d’interprétation conforme

– CJUE, Marleasing SA c La Comercial Internacional de Alimentacion SA, 13 novembre 1990, aff. C-106/89 (Obligation d’interprétation conforme du droit national au regard du droit européen – Directive exhaustive).

4. Effet direct

a. D’une disposition du Traité:

– CJUE, Van Gend en Loos, 5 février 1963, aff. 26/62.

– CJUE, Gabrielle Defrenne c Sabena, 8 avril 1976, aff. 43/75.

b. D’une directive :

– CJUE, Van Duyn, 4 décembre 1974, aff. 41/74.

– CJUE, Marshall, 26 février 1986, aff. 152/84 (absence d’effet direct de la directive).

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– CJUE, Faccini Dori, 14 juillet 1992, aff. C-91/92 (effet direct horizontal de la directive – obligation d’interprétation conforme).

c. D’un règlement :

– CJUE, Antonio Munoz, 17 septembre 2002, aff. C-253/00.

5. Conditions pour ester en justice

– CJUE, Plaumann & Co, 15 juillet 1963, aff. 25/62 (Intérêt à agir).

– CJUE, Unión de Pequeños Agricultores, 25 juillet 2002, affaire C-50/00 (Conditions pour ester en justice pour les personnes physiques et morales -Recours en annulation).

– TPIUE, Cathal Boyle, 13 juin 2006, aff. jtes T-218/03 à T-240/03 (Conditions pour ester en justice pour les personnes physiques et morales – Recours en annulation).

– Cour constitutionnelle, arrêt n° 17/2009 du 12 février 2009 (possibilité d'attaquer des dispositions transposant une directive européenne).

6. Arrêt en manquement, en double manquement et en responsabilité

6.1. Arrêt en manquement CJUE, Commission c Portugal, 8 juillet 2010, C‑171/08 6.2. Arrêt en double manquement CJUE, Commission c Allemagne, 28 juillet 2007, C-503/04 6.3. Arrêt en responsabilité extracontractuelle des institutions CJUE, Holcim c Commission, 19 avril 2007, C-288/05 P

III. Droits fondamentaux

1. Conflits entre les libertés économiques et les droits fondamentaux

– CJUE, AGM-COS MET s.r.l., 17 avril 2007, aff. C-470/03 (Violation LCM – Responsabilité de l’EM du fait des déclarations d’un fonctionnaire).

– CJUE, Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH c Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn, 14 octobre 2004, aff. C-36/02.

– CJUE, Vereinigte Familiapress Zeitungsverlags, 26 juin 1997, aff. C-368/95 (Conflit entre une liberté fondamentale : libre circulation des marchandises art. 34 TFUE, et un droit fondamental : pluralité de la presse : art. 10 CEDH).

– CJUE, Schmidberger, 12 juin 2003, aff. C-112/00.

2. Contrôle de légalité d’un acte du droit de l’Union à l’aune des droits fondamentaux

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– CJUE, Kadi et Al Barakaat International Foundation, 3 septembre 2008, aff. jtes. C-402/05 P et C-415/05 P (Lutte contre le terrorisme international – Contrôle de légalité d’un acte de droit communautaire mettant en œuvre une résolution onusienne – Absence d’immunité juridictionnelle).

3. Contrôle du droit de l’UE par la CEDH

– CEDH, Hava Bosphorus c Irlande, 30 juin 2005 (Contrôle du droit de l’UE par la CEDH).

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I. Aspects institutionnels

1. Autonomie institutionnelle

CJUE, Rt. Hon. Lord Bruce of Donington contre Eric Gordon Aspden, 15 septembre 1981, aff. 208/80

• Décision à titre préjudiciel relative à l’interprétation du droit européen au sujet de

l’imposition de taxes nationales sur les frais et indemnités versés par le Parlement européen à ses membres.

• Selon la Cour, le remboursement des frais de voyage et de séjour exposés par les membres du PE dans l’exercice de leur mandat est une mesure d’organisation interne destinée à assurer le bon fonctionnement de l’institution. Il appartient donc au PE, dans le cadre de l’exercice de son autonomie institutionnelle, de décider quelles sont les activités et les déplacements nécessaires ou utiles d’un membre du parlement dans l’exercice de ses fonctions et quelles sont les dépenses nécessaires ou utiles y relatives.

17 IL APPARTIENT AU PARLEMENT DE DECIDER QUELLES SONT LES ACTIVITES ET LES DEPLACEMENTS NECESSAIRES OU UTILES D’UN MEMBRE DU PARLEMENT DANS L’EXERCICE DE SES FONCTIONS ET QUELLES SONT LES DEPENSES NECESSAIRES OU UTILES Y RELATIVES. L’AUTONOMIE RECONNUE A CET EGARD AU PARLEMENT, DANS L’INTERET DE SON BON FONCTIONNEMENT, IMPLIQUE EGALEMENT LA COMPETENCE D’EFFECTUER LE REMBOURSEMENT DES FRAIS DE VOYAGE ET DE SEJOUR DE SES MEMBRES NON PAS SUR PRESENTATION DES PIECES JUSTIFICATIVES POUR CHAQUE DEPENSE, MAIS SUR LA BASE D’UN SYSTEME FORFAITAIRE. LE CHOIX DE CE SYSTEME RESULTE, AINSI QUE LE PARLEMENT L’A EXPOSE DANS SES REPONSES AUX QUESTIONS POSEES PAR LA COUR, DU SOUCI DE REDUIRE LES DEPENSES ET LES CHARGES ADMINISTRATIVES INHERENTES A UN SYSTEME COMPORTANT LA VERIFICATION DE CHAQUE DEPENSE INDIVIDUELLE, ET RELEVE DONC D’UNE BONNE ADMINISTRATION.

CJUE, Commission c BCE, 10 juillet 2003, aff. 1/00

• Recours en annulation contre une décision de la banque centrale européenne (BCE) qui vise à instaurer des enquêtes administratives au sein de la BCE dans le domaine de la lutte contre la fraude.

• Compétences de la Direction Affaires intérieures de la Commission transférées à l’OLAF. – Décision de la BCE constituant la négation même des compétences de l’OLAF et de l’applicabilité du règlement créant l’OLAF à la BCE.

• La BCE a excédé la marge d'autonomie organisationnelle propre dont elle dispose dans le domaine de la lutte contre la fraude.

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 janvier 2000, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 230 CE (Article 263 TFUE), demandé

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l'annulation de la décision 1999/726/CE de la Banque centrale européenne, du 7 octobre 1999, concernant la prévention de la fraude (BCE/1999/5) (JO L 291, p. 36, ci-après la «décision attaquée»). (…) 13. L'Office européen de lutte antifraude (ci-après l'«OLAF») a été institué par la décision 1999/352/CE, CECA, Euratom de la Commission, du 28 avril 1999 (JO L 136, p. 20), adoptée sur le fondement des articles [218 CE] (abrogé et remplacé, en substance, par l'article 295 du TFUE), 16 du traité CECA et 131 du traité CEEA. 14. L'article 2 de la décision 1999/352, qui définit les fonctions de l'OLAF, prévoit à son paragraphe 1: «L'[OLAF] exerce les compétences de la Commission en matière d'enquêtes administratives externes en vue de renforcer la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, ainsi qu'aux fins de la lutte antifraude concernant tout autre fait ou activité d'opérateurs en violation de dispositions communautaires. 20. Le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) (JO L 136, p. 1), a été adopté sur le fondement de l'article 280 CE (Article 325 TFUE). 52. Dans son recours, la Commission demande l'annulation de la décision attaquée au motif que celle-ci enfreindrait le règlement n° 1073/1999, en particulier l'article 4 dudit règlement. 53. Elle soutient, en premier lieu, qu'il ressort du huitième considérant et de l'article 2 de la décision attaquée que, aux termes de cette décision, les enquêtes administratives au sein de la BCE dans le domaine de la lutte contre la fraude relèvent de la compétence exclusive de la D-AI. Ceci constituerait la négation même tant des pouvoirs d'enquête dévolus à l'OLAF par le règlement n° 1073/1999 que de l'applicabilité dudit règlement à la BCE et refléterait la thèse défendue par la BCE tout au long des travaux préparatoires dudit règlement. Les considérants de la décision attaquée feraient ainsi une distinction expresse entre le régime adopté sur le fondement de l'article [325 TFUE] et celui à prévoir pour la BCE, en faisant référence à l'indépendance de cette dernière ainsi qu'au fait qu'elle dispose d'un budget et de ressources financières propres. (…) 182. En excluant l'application du règlement n° 1073/1999 et en refusant d'adapter ses procédures internes de manière à satisfaire aux exigences édictées par celui-ci, la BCE a violé ledit règlement, notamment son article 4, et excédé la marge d'autonomie organisationnelle propre qu'elle conserve dans le domaine de la lutte contre la fraude.

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2. Base juridique

CJUE, Parlement c Conseil (« Protection des forêts »), 25 février 1999, aff. jointes C-164/97 et C-165/97

• Recours en annulation contre des règlements instituant des mesures contre la pollution atmosphérique et les incendies – Fondement du recours : choix de la base juridique des règlements.

• Conflit entre deux bases juridiques : Environnement (article 175 CE – article 192 TFUE) – PAC intégrant la protection des forêts (article 37 CE – article 43 TFUE).

• Appréciation de la Cour : Caractère spécifique des règlements : leur objet primordial est une action en faveur de l’environnement – Conséquence : base juridique devant être retenue article 175 du traité (article 192 TFUE).

1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 30 avril 1997, le Parlement européen a (…) demandé l'annulation, d'une part, du règlement (CE) n_ 307/97 du Conseil, du 17 février 1997, modifiant le règlement (CEE) n_ 3528/86 relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre la pollution atmosphérique (JO L 51, p. 9), et, d'autre part, du règlement (CE) n_ 308/97 du Conseil, du 17 février 1997, modifiant le règlement (CEE) n_ 2158/92 relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre les incendies (JO L 51, p. 11).

(…)

15. S'agissant plus spécifiquement de la politique agricole commune et de la politique communautaire de l'environnement, la jurisprudence ne fournit aucun élément de droit permettant de faire en principe prévaloir l'une sur l'autre. Elle précise qu'une mesure communautaire ne saurait relever de l'action de la Communauté en matière d'environnement en raison du seul fait qu'elle tient compte des exigences de protection visées à l'[article 175 CE] (192 TFUE). Les articles [175 et 176 CE] (articles 192 et 193 TFUE) laissent entières les compétences que la Communauté détient en vertu d'autres dispositions du traité et ne fournissent une base juridique que pour des actions spécifiques en matière d'environnement (…). Doivent, en revanche, être fondées sur l'[article 175 CE] (192 TFUE) les dispositions qui relèvent spécifiquementspécifiquement de la politique de l'environnement (…), même si elles ont des incidences sur le fonctionnement du marché intérieur (…) ou si elles poursuivent un objectif d'amélioration de la production agricole (…).

16. En l'espèce, si les mesures visées par les règlements peuvent avoir certaines retombées positives sur le fonctionnement de l'agriculture, ces conséquences indirectes sont accessoires par rapport à l'objet primordial de l'action communautaire de protection des forêts, qui tend à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine naturel que représentent les écosystèmes forestiers sans se borner à prendre en considération leur utilité pour l'agriculture. Des mesures de défense de l'environnement forestier contre les risques de destruction et de dégradation tenant aux incendies et à la pollution atmosphérique font de plein droit partie des actions en faveur de l'environnement pour lesquelles la compétence communautaire est fondée sur l’[article 175 CE] (192 TFUE).

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CJUE, Commission c Conseil, 20 mai 2008, aff. C-91/05

• PESC : participation de l’UE à un moratoire international sur les armes légères et de petit calibre. Adoption d’une action commune mise en œuvre par une décision PESC.

• Recours en annulation de la Commission contre la décision PESC (ancien deuxième pilier) pour violation de l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau) au motif que la décision empièterait sur les compétences de l’ancienne Communauté (aujourd’hui Union) en matière de coopération au développement (ancien premier pilier).

• En examinant la finalité et le contenu de cette décision, la Cour décide qu’elle relève également de la politique de coopération au développement (compétence relevant de l’ancienne communauté), et elle l’annule donc.

1 Par sa requête, la demande à la Cour d’annuler la décision 2004/833/PESC du Conseil,

du 2 décembre 2004, mettant en œuvre l’action commune 2002/589/PESC en vue d’une contribution de l’Union européenne à la CEDEAO dans le cadre du moratoire sur les armes légères et de petit calibre (JO L 359, p. 65, ci-après la «décision attaquée»), et de constater l’inapplicabilité, en raison de son illégalité, de l’action commune 2002/589/PESC du Conseil, du 12 juillet 2002, relative à la contribution de l’Union européenne à la lutte contre l’accumulation et la diffusion déstabilisatrices des armes légères et de petit calibre, et abrogeant l’action commune 1999/34/PESC (JO L 191, p. 1, ci-après l’«action commune litigieuse»), notamment de son titre II. (…)

18 Le 2 décembre 2004, le Conseil a adopté la décision attaquée, qui met en œuvre

l’action commune litigieuse en vue d’une contribution de l’Union à la CEDEAO dans le cadre du moratoire sur les armes légères et de petit calibre. La décision attaquée mentionne avoir comme base juridique l’action commune litigieuse, notamment son article 3, ainsi que l’article 23, paragraphe 2, UE.

19 Par le présent recours en annulation, introduit en vertu de l’article 230 CE (article 263

TFUE), la Commission vise à faire constater que le Conseil, en adoptant la décision attaquée, a empiété sur les compétences de la Communauté et, de ce fait, a enfreint l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau). Dans la mesure où la décision attaquée se fonde sur l’action commune litigieuse, la Commission s’appuie sur l’article 241 CE (article 277 TFUE) pour invoquer l’inapplicabilité de cette action commune, notamment de son titre II, en raison d’une même violation de l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau). (…)

35 La Commission (…) fait valoir que la décision attaquée doit être annulée en raison du

fait qu’elle empiète sur les compétences attribuées à la Communauté en matière de coopération au développement, méconnaissant ainsi l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau). (…)

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40 Selon la Commission (…) la décision relève, de par sa finalité et son contenu, des

compétences communautaires et aurait donc pu valablement être adoptée décision attaquée sur la base du traité CE. D’une part, en effet, la finalité de la décision attaquée serait non seulement la promotion de la paix et de la sécurité, mais également l’amélioration des perspectives de développement durable en Afrique de l’Ouest. D’autre part, le projet de renforcement de l’unité d’armes légères au sein du secrétariat technique de la CEDEAO et celui d’engagement d’experts en vue de la rédaction d’un projet de convention sur les armes légères, tel que prévu à l’annexe de la décision attaquée, comporteraient une assistance d’un type classique dans le contexte de programmes de coopération au développement, qui ne nécessiterait pas d’activités spécifiques relevant de la PESC.

41 Le Conseil, soutenu par l’ensemble des gouvernements des États membres intervenants, estime qu’aucune violation de l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau) ne peut être invoquée dès lors que la lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre ne relève pas des compétences communautaires en matière de politique de coopération au développement ni d’autres compétences de la Communauté.

Appréciation de la Cour

58 Il importe donc de vérifier si les dispositions de la décision attaquée affectent les compétences que détient la Communauté en vertu du traité CE en ce qu’elles auraient pu, ainsi que le soutient la Commission, être adoptées sur le fondement des dispositions de ce dernier traité (….).

59 En effet, en prévoyant qu’aucune disposition du traité UE n’affecte les traités instituant les Communautés européennes ni les traités et actes subséquents qui les ont modifiés ou complétés, l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau) vise, conformément aux articles 2, cinquième tiret, UE et 3, premier alinéa, UE, à maintenir et à développer l’acquis communautaire.

Sur la finalité de la décision attaquée

93 À cet égard, le point 1 des motifs de la décision attaquée affirme que l’accumulation et la diffusion excessives et incontrôlées d’armes légères et de petit calibre constituent non seulement une menace pour la paix et la sécurité mais réduisent également les perspectives de développement durable, particulièrement en Afrique de l’Ouest.

98 La décision attaquée a donc pour but spécifique de renforcer les capacités d’un groupe de pays africains en voie de développement à lutter contre un phénomène qui constitue, selon le point 1 des motifs de cette décision, un obstacle au développement durable de ces pays.

99 Il s’ensuit que la décision attaquée poursuit plusieurs objectifs relevant, respectivement, de la PESC et de la politique de coopération au développement, sans que l’un de ceux-ci soit accessoire par rapport à l’autre.

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Sur le contenu de la décision attaquée

99 La conclusion tirée aux points précédents de l’examen de la finalité de la décision attaquée n’est pas infirmée par l’analyse du contenu de cette dernière.

100 (…) il convient de conclure que le Conseil, en adoptant la décision attaquée sur le fondement du titre V du traité UE, alors que celle-ci relève également de la politique de coopération au développement, a méconnu l’article 47 UE (article 40 TUE nouveau)..

110 Par conséquent, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.

3. Subsidiarité et proportionnalité

a. Subsidiarité :

CJUE, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c Conseil de l’Union européenne, 12 novembre 1996, aff. C-84/94 • Recours en annulation contre une directive du Conseil – Fondement : violation du

principe de proportionnalité.

• Appréciation de la Cour : se réfère au pouvoir d’appréciation du Conseil s’agissant d’une situation complexe. Conséquence : le contrôle juridictionnel doit se limiter à examiner si, en exerçant sa compétence, le Conseil n’a pas commis une erreur manifeste ou un détournement de pouvoir ou s’il n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 mars 1994, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a, en vertu de l’article 173 du traité CE (article 190 TFUE), demandé l’annulation de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18, ci-après la "directive") et, à titre subsidiaire, des dispositions de l’article 4, de l’article 5, premier et deuxième alinéas, de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7 de la directive. (…) 9 A l'appui de son recours, le gouvernement du Royaume-Uni invoque quatre moyens tirés, respectivement, de la base juridique erronée de la directive, de la violation du principe de proportionnalité, d’un détournement de pouvoir et de la violation des formes substantielles. Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité (….) 57 S’agissant du principe de proportionnalité, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, afin d’établir si une disposition de droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier si les moyens qu’elle met en œuvre sont aptes à réaliser l’objectif visé et s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour

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l’atteindre (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1995, Allemagne/Conseil, C-426/93, Rec p. I-3723, point 42). 58 En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions précitées, il y a lieu toutefois de reconnaître au Conseil un large pouvoir d’appréciation s’agissant d’un domaine qui, comme en l’espèce, implique, de la part du législateur, des choix de politique sociale et où il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, le contrôle juridictionnel de l’exercice d’une telle compétence doit se limiter à examiner s’il n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’institution concernée n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. 59 S’agissant de la première condition, il suffit de constater que, (…), les mesures relatives à l’aménagement du temps de travail faisant l'objet de la directive, à l’exception de celle qui est contenue à son article 5, deuxième alinéa, contribuent directement à l’amélioration de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (…) et que, dès lors, elles ne sauraient être considérées comme inaptes à réaliser l’objectif visé. 60 Quant à la deuxième condition, elle est également remplie. En effet, contrairement à ce que prétend le gouvernement requérant, le Conseil n'a pas commis une erreur manifeste en estimant que les mesures litigieuses étaient nécessaires pour atteindre l’objectif de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. 65 Enfin, quant à l’argument du gouvernement requérant, selon lequel l’adoption de la directive n’était pas nécessaire dans la mesure où la directive 89/391 s’applique déjà aux domaines visés par la directive, il suffit de souligner que celle-ci, comme il ressort de son article 1er, se limite à établir, en vue de promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, des principes généraux, ainsi que les lignes générales de leur mise en œuvre, concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l’élimination des facteurs de risque et d’accident, l’information, la consultation, la participation et la formation des travailleurs et de leurs représentants. Elle n’est donc pas apte à atteindre l’objectif d’harmonisation des périodes minimales de repos, des périodes de pause et d’un plafond de la durée hebdomadaire de travail, qui font l’objet de la directive. 66 Il résulte des considérations qui précèdent que, en estimant que l’objectif d’harmonisation, dans le progrès, des législations nationales en matière de sécurité et de santé des travailleurs ne pouvait pas être atteint par des mesures moins contraignantes que celles qui font l’objet de la directive, le Conseil n’a pas non plus commis une erreur manifeste. 67 Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité doit également être rejeté.

CJUE, Pays-Bas c PE et Conseil, 9 octobre 2001, aff. C-377/98

• Recours en annulation contre la Directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

• Contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité – Condition : il faut que les objectifs de l'action envisagée ne puissent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et, partant, puissent, en raison des dimensions

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ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union.

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 octobre 1998, le royaume des Pays-Bas a, en vertu de l'article [230 CE] (devenu article 263 TFUE), demandé l'annulation de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO L 213, p. 13, ci-après la «directive»).

(…)

30. Le requérant soutient que la directive méconnaît le principe de subsidiarité énoncé à l'article 3 B du traité CEE (devenu l’article 5 CE, remplacé en substance par l’article 5, § 3 TUE) et, subsidiairement, qu'elle ne comporte pas une motivation suffisante pour prouver que cette exigence a été prise en compte. 31. Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 3 B, deuxième alinéa, du traité (art. 5, § 3 TUE nouveau), la Communauté n'intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. 32. L'objectif recherché par la directive, consistant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur en prévenant, voire en éliminant, des divergences entre les législations et pratiques des différents États membres dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques, n'aurait pas pu être atteint par une action entreprise au niveau des seuls États membres. L'étendue de cette protection ayant des effets immédiats sur le commerce et, par conséquent, sur le commerce intracommunautaire, il est par ailleurs patent que l'objectif en question pouvait, en raison des dimensions et des effets de l'action envisagée, être mieux réalisé au niveau communautaire. 33. Quant à la justification du respect de la subsidiarité, elle est implicitement mais nécessairement rapportée par les cinquième, sixième et septième considérants de la directive qui constatent que, en l'absence d'une intervention communautaire, l'évolution des législations et pratiques nationales fait obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur. La directive apparaît ainsi suffisamment motivée sur ce point. 34. Le deuxième moyen doit, dès lors, être rejeté.

b. Proportionnalité :

CJUE, Allemagne c PE et Conseil, 13 mai 1997, aff. C-233/94 • Recours en annulation d’une directive relative aux systèmes de garantie des

dépôts. – Violation du principe de proportionnalité : interdiction d’exportation pour les activités des établissements de crédit non nécessaire pour atteindre l'objectif de la directive- mesure moins restrictive à la liberté d’établissement susceptible de remplacer la mesure litigieuse

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• Appréciation de la Cour : matière économiquement complexe – Pouvoir d’appréciation du législateur CE : la Cour ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur communautaire.

• Application du principe de proportionnalité : l’«interdiction d'exportation» n’est pas manifestement démesurée par rapport à l’objectif poursuivi

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 août 1994, la République fédérale d'Allemagne a, en vertu de l'article 173 du traité CE (article 190 TFUE), demandé l'annulation de la directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO L 135, p. 5, ci-après la «directive»), et, à titre subsidiaire, des dispositions de l'article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l'article 4, paragraphe 2, et de l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, de la directive.

(…)

Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité

50 Le gouvernement fédéral (allemand) fait valoir que le législateur communautaire doit, même dans le cas de mesures d'harmonisation, s'en tenir au pouvoir d'appréciation dont il dispose et qui trouve ses limites, notamment, dans le principe de proportionnalité. Or, ce principe n'aurait pas été respecté en l'espèce.

51 A cet égard, le gouvernement fédéral expose que l'«interdiction d'exportation» inscrite à l'article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive est en principe incompatible avec l’[article 59 TFUE] puisqu'elle restreint la liberté d'établissement. En effet, les succursales seraient privées d'un élément de concurrence à l'égard des banques nationales de l'État membre d'accueil, à tel point que, dans certains cas, des établissements financiers pourraient même être contraints de renoncer, pour cette raison, à mettre en place un réseau de succursales dans un autre État membre.

52 Or, selon le gouvernement allemand, l'«interdiction d'exportation» n'est pas nécessaire pour atteindre l'objectif de la directive, à savoir empêcher les perturbations du marché qui se produiraient si les clients retiraient leurs dépôts auprès de leurs établissements de crédit nationaux pour les transférer à des succursales d'établissements de crédit agréés dans d'autres États membres, puisqu'il existe des alternatives à cette interdiction qui auraient pour conséquence de perturber moins gravement l'activité des établissements de crédit. Ainsi aurait-on pu, par exemple, introduire, en faveur des établissements de crédit dans les États membres où la protection des déposants est moins bien assurée, une clause de protection qui n'autorise une intervention que dans le cas où une perturbation est imminente dans un État membre.

53 Une telle clause de sauvegarde pour les périodes de crise aurait été, d'une part, conforme à la théorie des mesures de sauvegarde en droit communautaire et, d'autre part, tout à fait suffisante en l'espèce. (…)

54 A cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle, afin d'établir si une disposition de droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier si les moyens qu'elle met en œuvre sont aptes à réaliser l'objectif visé et s'ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (…).

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55 En vue d'apprécier la nécessité de la mesure en question, il convient de souligner que la situation que le législateur communautaire s'est efforcé de réglementer est économiquement complexe. Avant l'adoption de la directive, des systèmes de garantie des dépôts n'existaient pas dans tous les États membres; de plus, la plupart d'entre eux ne couvraient pas les déposants auprès des succursales créées par les établissements de crédit agréés dans d'autres États membres. Le législateur communautaire était donc amené à apprécier les effets futurs et incertains de son intervention. Ce faisant, il avait le choix entre la prévention générale d'un risque et l'instauration d'un système de sauvegarde ponctuelle.

56 Dans une telle situation, la Cour ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur communautaire. Elle ne pourrait tout au plus censurer son choix normatif que si ce dernier apparaissait manifestement erroné ou si les inconvénients qui en résultent pour certains acteurs économiques étaient sans aucune commune mesure avec les avantages qu'il présente par ailleurs.

57 Il ressort du quatorzième considérant de la directive que le Parlement et le Conseil ont choisi d'éviter dès le départ toute perturbation du marché résultant du fait que les succursales de certains établissements de crédit offrent des taux de couverture supérieurs à ceux offerts par les établissements de crédit agréés par l'État membre d'accueil. L'éventualité d'une telle perturbation ne pouvant pas être complètement exclue, il en résulte que le législateur communautaire a démontré à suffisance de droit qu'il poursuivait un objectif légitime. En outre, la restriction que constitue l'«interdiction d'exportation» pour les activités des établissements de crédit concernés n'est pas manifestement démesurée.

58 Il s'ensuit que le moyen tiré d'une méconnaissance du principe de proportionnalité doit également être rejeté.

4. Pouvoirs implicites

CJUE, AETR, 31 mars 1971, aff. 22/70 • Relations extérieure : capacité de l’Union de conclure des accords internationaux avec

des Etats tiers.

• Principe des compétences externes implicites de l’Union. – Existence de règles communes susceptibles d’être affectées ou de voir leur portée altérée par les accords internationaux que concluraient les Etats membres, individuellement ou collectivement.

• Domaine des transports par route : existence de règles communes. – Conclusion : compétence externe implicite de l’Union pour conclure l’accord AETR.

• Négociations entamées par les EM pour conclure l’accord. Au nom de la sécurité juridique des tiers parties à l’accord, celui-ci devra donc être conclu par les EM mais « dans l’intérêt et pour le compte de la Communauté », les EM ayant l’obligation de négocier l’accord dans l’intérêt et pour le compte de la CE en vertu de l’article 10 CE (art. 4, al. 3 TUE nouveau). Principe de coopération loyale.

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La Communauté jouit de la capacité d'établir des liens contractuels avec les États tiers dans toute l'étendue du champ des objectifs définis par le traité. Cette compétence résulte non seulement d'une attribution explicite faite par le traité mais peut découler d'autres dispositions du traité et d'actes pris dans le cadre de ces dispositions par les institutions de la Communauté. En particulier, chaque fois que, pour la mise en œuvre d'une politique commune prévue par le traité, la Communauté a pris des dispositions instaurant, sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États membres ne sont plus en droit, qu'ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces règles ou en altérant la portée. On ne saurait, dans la mise en œuvre des dispositions du traité, séparer le régime des mesures internes à la Communauté, de celui des relations extérieures. La compétence de la Communauté, dans le domaine des transports, s'étend à des relations relevant du droit international et implique la nécessité de conclure des accords avec les États tiers intéressés. Une telle compétence a été attribuée à la Communauté par l'effet du règlement n° 543/69 du Conseil relatif à l'harmonisation de certaines dispositions sociales dans le domaine des transports par route. (…) En matière d'accords relevant de la politique des transports le droit de proposition et le droit de négocier appartiennent à la Commission, et le droit de conclure au Conseil. Dans le cas d'une négociation engagée dès avant l'attribution de compétence à la Communauté, il appartient aux institutions dont les pouvoirs sont directement en cause, c'est-à-dire au Conseil et à la Commission, de s'entendre sur les modalités appropriées de coopération en vue d'assurer la défense des intérêts de la Communauté ; dans la poursuite d'une négociation engagée sur une base intergouvernementale, les États membres sont en tout cas tenus à une action solidaire, dans l'intérêt et pour le compte de la Communauté, conformément aux obligations de l’[article 10 CE] (article 4, paragraphe 3, TUE nouveau).

5. Bonne administration

CJUE, Commission c Edith Cresson, 11 juillet 2006, affaire C-432/04

• Engagement d’une connaissance par un commissaire européen au sein de son cabinet.

-Contournement des règles relatives au recrutement des membres de cabinet. – Violation des articles 213, paragraphe 2 du traité CE (article 245, § 2 TFUE).

• Violation des obligations découlant de la charge d’un membre de la Commission – Manquement d’un « certain degré de gravité ».

• Sanction : déchéance du droit à pension : non : le constat du manquement constitue en soi une sanction appropriée.

45 La Commission demande à la Cour:

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- de constater que Mme Cresson a enfreint les obligations qui lui incombaient au titre des articles [245 TFUE] (…);

- de prononcer en conséquence la déchéance, partielle ou totale, du droit à pension et/ou de tous autres avantages liés à ces droits ou en tenant lieu, dus à Mme Cresson, la Commission s’en remettant à la sagesse de la Cour pour déterminer la durée et la portée de cette déchéance, et

- de condamner Mme Cresson aux dépens.

(…)

Sur le recrutement et les conditions d’emploi de M. Berthelot

129 La question se pose de savoir si le recrutement et les conditions d’emploi de M. Berthelot comme visiteur scientifique afin qu’il exerce les fonctions de conseiller personnel de Mme Cresson constitue un manquement de cette dernière aux obligations qui découlent de sa charge de membre de la Commission. (…)

132 En l’espèce, il est constant que M. Berthelot ne pouvait être engagé comme membre du cabinet de Mme Cresson dès lors qu’il avait dépassé l’âge limite autorisé. De plus, le cabinet de Mme Cresson étant déjà formé, ce qui implique que tous les postes de conseiller personnel étaient pourvus, Mme Cresson ne pouvait donc, en principe, disposer d’un conseiller personnel supplémentaire.

133 Mme Cresson a néanmoins obtenu que M. Berthelot soit recruté par ses services. Il a été engagé en tant que visiteur scientifique afin d’exercer, en réalité, des fonctions de conseiller personnel.

134 À cet égard, il résulte des points 132 et 133 du présent arrêt que l’engagement de M. Berthelot constitue un contournement des règles relatives au recrutement des membres de cabinet.

135 L’engagement litigieux porte également atteinte aux règles relatives au recrutement des visiteurs scientifiques. (…)

143 Les différents manquements à la lettre et à l’esprit de la réglementation applicable relevés dans l’analyse du dossier de M. Berthelot, (…), mettent en évidence le caractère manifestement impropre du recrutement de ce dernier en qualité de visiteur scientifique afin qu’il exerce des fonctions de conseiller personnel auprès d’un membre de la Commission.

144 L’examen du recrutement et des conditions d’emploi de M. Berthelot a démontré que les règles concernées avaient été détournées de leur finalité.

145 Compte tenu de son implication personnelle dans ce recrutement, puisque celui-ci a eu lieu à sa demande expresse, après qu’elle eut été informée qu’elle ne pouvait engager M. Berthelot à son cabinet, Mme Cresson doit être tenue pour responsable dudit recrutement et du contournement des règles qu’il a impliqué. Elle ne peut dégager sa responsabilité en se

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retranchant derrière l’autorisation de recrutement accordée par l’administration dès lors que, à aucun moment, elle n’a manifesté le souci que les services compétents respectent la finalité de la réglementation applicable, ne serait-ce qu’en interrogeant ces derniers à ce sujet ou en émettant des recommandations en ce sens.

146 Ainsi, en faisant procéder au recrutement d’une connaissance proche, M. Berthelot, en qualité de visiteur scientifique, alors qu’il n’allait pas exercer les activités correspondantes, cela afin de permettre à l’intéressé d’occuper des fonctions de conseiller personnel à son cabinet, quand bien même celui-ci était déjà complet et que, de surcroît, M. Berthelot avait dépassé l’âge limite autorisé pour assurer de telles fonctions, Mme Cresson s’est rendue responsable d’un manquement d’un certain degré de gravité.

147 Il résulte de ce qui précède que Mme Cresson a enfreint les obligations découlant de sa charge de membre de la Commission, au sens des dispositions des articles [245, paragraphe 2 TFUE] et 126, paragraphe 2, EA lors du recrutement et en ce qui concerne les conditions d’emploi de M. Berthelot. Sur la demande tendant à ce que soit prononcée la déchéance du droit à pension ou d’autres avantages en tenant lieu

149 La violation des obligations découlant de la charge de membre de la Commission appelle en principe l’application d’une sanction en vertu des dispositions de l’article [245, paragraphe 2 TFUE].

150 Toutefois, vu les circonstances de l’espèce, il y a lieu de considérer que le constat du manquement constitue en soi une sanction appropriée.

151 Il convient par conséquent de dispenser Mme Cresson de sanction sous la forme d’une déchéance de son droit à pension ou d’autres avantages en tenant lieu.

CJUE, Pays-Bas c Commission, 29 avril 2004, aff. C-159/01 • Aides d’Etat : décision 2001/371/CE de la Commission qualifiant d’aide d’Etat

l’exonération prévue par les Pays-Bas de la taxe sur les matières minérales applicable au titre de la loi sur les engrais.- Exonération fiscale qualifiée par la Commission d’aide d’Etat au sens de l’article 107 TFUE.

• Recours en annulation introduit par les Pays-Bas contre la décision 2001/371/CE de la Commission – Défaut de motivation de la décision.

• Motivation : formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux.

• La motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle.

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(…) Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation 64 Le gouvernement néerlandais reproche à la Commission de ne pas avoir donné les raisons pour lesquelles elle estime que les exonérations annuelles de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote par hectare en faveur de la culture en serre ou sur substrat étaient trop élevées. 65 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE (art. 296 TFUE) doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (…). 66 En l’occurrence, la Commission a notamment précisé, aux points 34, 38 et 39 des motifs de la décision attaquée, que, en l’absence de toute autre donnée et de nouveaux arguments des autorités néerlandaises, il était normal eu égard à la nature et à l’objectif général du système, d’assimiler le sol ou substrat utilisé aux terres agricoles et d’appliquer les normes applicables à ces terres agricoles. 67 Il convient de relever que cette motivation est adaptée à la nature de l’acte en cause et fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission de manière à permettre au royaume de Pays-Bas de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle.

CJUE, Suède et Turco c Conseil, 1er juillet 2008, aff. jtes. C‑39/05 P et C‑52/05 P • Arrêt du TPI ayant refusé l’annulation d’une décision du Conseil refusant l’accès à un

avis du service juridique du Conseil – Pourvoi contre l’arrêt du TPI devant la Cour.

• Accès aux documents des institutions : Règlement (CE) n° 1049/2001 visant à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible. – Exceptions au droit d’accès au public des documents des institutions. – Procédure applicable à l’appréciation d’une demande d’obtention d’un avis juridique. – Mise en balance de l’intérêt spécifique devant être protégé par la non‑divulgation du document concerné et de l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible.

• Refus du Conseil en vue de garantir l’objectivité et l’indépendance de son service juridique – Intérêt public supérieur justifiant la divulgation.

1 Par leurs pourvois, le Royaume de Suède (affaire C‑39/05 P) et M. Turco (affaire

C‑52/05 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 23 novembre 2004, Turco/Conseil (T‑84/03) dans la mesure où celui‑ci a rejeté le recours de M. Turco tendant à l’annulation de la

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décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2002 lui refusant l’accès à un avis du service juridique du Conseil relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres (ci‑après la «décision litigieuse»). Le Royaume de Suède demande en outre à la Cour de statuer elle‑même sur ce recours en annulant la décision litigieuse.

Les faits à l’origine du litige

10 Le 22 octobre 2002, M. Turco a demandé au Conseil l’accès aux documents figurant à l’ordre du jour de la réunion du Conseil «Justice et affaires intérieures» s’étant tenue à Luxembourg les 14 et 15 octobre 2002, parmi lesquels figurait, sous le n° 9077/02, un avis du service juridique du Conseil relatif à une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres.

11 S’agissant de cet avis, le Conseil lui en a refusé l’accès le 5 novembre 2002, se fondant sur l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001. Ce refus était motivé comme suit:

«Le document [n°] 9077/02 est un avis du service juridique du Conseil concernant une proposition de directive du Conseil fixant des standards minimaux pour la réception des demandeurs d’asile dans les États membres. Compte tenu de son contenu, la divulgation de ce document pourrait porter atteinte à la protection des avis juridiques internes au Conseil, prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement [n° 1049/2001].(…) »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18 (…) le Tribunal a jugé que la divulgation d’avis tels que l’avis juridique en cause est, d’une part, susceptible de laisser planer un doute sur la légalité des actes législatifs sur lesquels portent ces avis et peut, d’autre part, remettre en cause l’indépendance des avis du service juridique du Conseil, de sorte que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’il existe un intérêt général à la protection des avis juridiques tels que celui en cause. Le Tribunal a en outre relevé que la motivation du refus partiel d’accès à l’avis juridique en cause ainsi que la décision d’en divulguer le paragraphe introductif démontrent que le Conseil avait examiné le contenu dudit avis. (…)

Sur les pourvois

Observations liminaires

32 Avant d’aborder les moyens invoqués au soutien des pourvois, il convient de rappeler les règles pertinentes relatives, d’une part, à l’examen à effectuer par le Conseil lorsque la divulgation d’un avis de son service juridique relatif à un processus législatif lui est demandée ainsi que, d’autre part, à la motivation qu’il lui incombe de fournir pour justifier un éventuel refus de divulgation.

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L’examen à effectuer par l’institution

33 Le règlement n° 1049/2001 vise, comme l’indiquent son quatrième considérant et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible.

34 Conformément à son premier considérant, ce règlement s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, du traité UE, inséré par le traité d’Amsterdam, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le deuxième considérant dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières.

35 Lorsque la divulgation d’un document est demandée au Conseil, celui-ci est tenu d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, si ce document relève des exceptions au droit d’accès du public aux documents des institutions énumérées à l’article 4 du règlement n° 1049/2001.

36 Compte tenu des objectifs poursuivis par ce règlement, ces exceptions doivent être interprétées et appliquées strictement (…).

37 S’agissant de l’exception afférente aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001, l’examen à effectuer par le Conseil lorsque la divulgation d’un document lui est demandée doit nécessairement se dérouler en trois temps, correspondant aux trois critères figurant à cette disposition.

38 Dans un premier temps, le Conseil doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique et, dans l’affirmative, déterminer quelles en sont les parties effectivement concernées et, donc, susceptibles de tomber dans le champ d’application de ladite exception.

39 En effet, ce n’est pas parce qu’un document a été intitulé «avis juridique» qu’il doit automatiquement bénéficier de la protection des avis juridiques garantie par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001. Par-delà sa dénomination, il incombe à l’institution de s’assurer que ce document concerne bien un tel avis.

40 Dans un deuxième temps, le Conseil doit examiner si la divulgation des parties du document en question identifiées comme concernant des avis juridiques «porterait atteinte à la protection» de ces derniers.

41 À cet égard, il convient de relever que ni le règlement n° 1049/2001 ni les travaux préparatoires de celui-ci n’apportent d’éclaircissements sur la portée de la notion de «protection» des avis juridiques. Dès lors, il y a lieu d’interpréter celle-ci en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

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42 Il y a par conséquent lieu d’interpréter l’exception relative aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 comme visant à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.

43 Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique.

44 Finalement, dans un troisième temps, si le Conseil considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection des avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation nonobstant l’atteinte qui en résulterait à son aptitude à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.

45 Dans ce contexte, il incombe au Conseil de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non‑divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le deuxième considérant du règlement n° 1049/2001, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique.

46 Ces considérations sont, à l’évidence, d’une pertinence toute particulière lorsque le Conseil agit en sa qualité de législateur, ainsi qu’il résulte du sixième considérant du règlement n° 1049/2001, selon lequel un accès plus large aux documents doit être autorisé précisément dans un tel cas. La transparence à cet égard contribue à renforcer la démocratie en permettant aux citoyens de contrôler l’ensemble des informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. En effet, la possibilité, pour les citoyens, de connaître les fondements des actions législatives est une condition de l’exercice effectif, par ces derniers, de leurs droits démocratiques.

(…)

59 En ce qui concerne, en premier lieu, la crainte exprimée par le Conseil que la divulgation d’un avis de son service juridique relatif à une proposition législative soit susceptible d’induire un doute sur la légalité de l’acte législatif concerné, il y a lieu de relever que c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens européens et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté.

60 Par ailleurs, le risque que des doutes naissent dans l’esprit des citoyens européens quant à la légalité d’un acte adopté par le législateur communautaire du fait que le service juridique du Conseil ait émis un avis défavorable quant à cet acte ne se réaliserait le plus souvent pas si la motivation dudit acte était renforcée de façon à

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mettre en évidence les raisons pour lesquelles cet avis défavorable n’a pas été suivi.

61 Il convient par conséquent de constater qu’invoquer de façon générale et abstraite le risque que la divulgation des avis juridiques relatifs à des processus législatifs puisse engendrer des doutes concernant la légalité d’actes législatifs ne saurait suffire pour caractériser une atteinte à la protection des avis juridiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 et, par conséquent, fonder un refus de divulgation de ces avis.

62 En ce qui concerne, en second lieu, l’argument du Conseil selon lequel l’indépendance de son service juridique serait remise en cause par une possible divulgation des avis juridiques émis par ce dernier dans le cadre de procédures législatives, il doit être constaté que cette crainte est au cœur même des intérêts protégés par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement nº 1049/2001. En effet, (…), cette exception vise précisément à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets.

63 Toutefois, il y a lieu de relever que le Conseil s’est, à cet égard, fondé, tant devant le Tribunal que devant la Cour, sur de simples affirmations, aucunement étayées par des argumentations circonstanciées. Or, à la lumière des considérations qui suivent, il n’apparaît aucun véritable risque, raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique, d’atteinte audit intérêt.

67 En tout état de cause, dans la mesure où cette divulgation serait susceptible de porter atteinte à l’intérêt à la protection de l’indépendance du service juridique du Conseil, ce risque devrait être pondéré par les intérêts publics supérieurs qui sous‑tendent le règlement nº 1049/2001. Constitue un tel intérêt public supérieur (..) le fait que la divulgation des documents contenant l’avis du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à augmenter la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit démocratique des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif, tel que visé, en particulier, aux deuxième et sixième considérants dudit règlement.

68 Il ressort des considérations susvisées que le règlement nº 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif.

69 Ce constat ne fait néanmoins pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au‑delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques. Dans un tel cas, il incomberait à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée.

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6. Principe de démocratie

CJUE, Commission contre Conseil (Directive sur les déchets de dioxyde de titane), 11 juin 1991, aff. C-300/89.

• Conflit de bases juridiques prévoyant chacune une procédure différente pour

l’adoption d’un acte législatif – Cumul normalement autorisé.

• Hypothèse où l’une des bases juridiques prévoit la procédure législative ordinaire figurant aux articles 289, § 1 et 294 TFUE (anciennement qualifiée de procédure de « coopération » entre le Parlement et le Conseil), alors que l’autre prévoit une procédure législative spéciale dans laquelle le Parlement européen n’est que consulté (procédure de « consultation » du Parlement).

• Principe de démocratie en vertu duquel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative – Impose le choix de la base juridique qui offre le plus de pouvoirs au Parlement – Choix de base juridique erroné : violation d’une formalité substantielle.

• Recours en annulation contre la directive 89/428/CEE du Conseil fixant les modalités d’harmonisation des programmes de réduction, en vue de sa suppression, de la pollution provoquée par les déchets de l’industrie du dioxyde de titane.

• Adoptée par le Conseil sur la base de l’article 130 S du traité CEE (disposition visant spécifiquement la protection de l’environnement et qui prévoyait – à l époque – la simple consultation du PE ; désormais 192 TFUE). – La Commission estime que le Conseil devait l’adopter sur la base de l’article 100 A du traité CEE (désormais 114 TFUE, §2, disposition qui vise l’établissement du marché intérieur ; à l’époque cet article prévoyait l’application de la procédure de coopération plus intéressante pour le PE que la procédure de simple consultation).

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 septembre 1989, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l’article 173, premier alinéa, du traité CEE (art. 263 TFUE), demandé l’annulation de la directive 89/428/CEE du Conseil, du 21 juin 1989, fixant les modalités d’harmonisation des programmes de réduction, en vue de sa suppression, de la pollution provoquée par les déchets de l’industrie du dioxyde de titane (JO L 201, p. 56). 2 Cette directive, qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil sur la base de l’article 130 S du traité CEE (art. 175 CE, devenu art. 192 TFUE1) "fixe... les modalités d’harmonisation des programmes de réduction, en vue de sa suppression, de la pollution provoquée par les déchets provenant des établissements industriels anciens et vise à améliorer les conditions de concurrence dans le secteur de la production du dioxyde de titane" (article 1er). A cette fin, elle établit des niveaux harmonisés pour le traitement des différents types de déchets de l’industrie du dioxyde de titane. Ainsi, pour certains déchets provenant d’établissements anciens utilisant des procédés spécifiques, une prohibition totale est imposée (articles 3 et 4).

1 Note personnelle : l’art. 192 TFUE prévoit aujourd’hui la procédure législative ordinaire (équivalent à l’ancienne procédure de codécision), sauf les exceptions prévues par l’alinéa 2, parmi lesquelles ne figure pas la gestion des déchets. A l’heure actuelle, la gestion des déchets relève donc de la procédure législative ordinaire.

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En revanche, pour d’autres déchets provenant d’établissements anciens, la directive fixe des valeurs maximales de substances nocives (articles 6 et 9). (…) 4 Estimant que la directive 89/428, en ce qu’elle est fondée sur l’article 130 S, alors qu’elle aurait dû être fondée sur l’article 100 A (art. 95 CE, devenu l’art. 114 TFUE), manque de base juridique valable, la Commission a introduit le présent recours en annulation. (…) 10 Il convient d’observer, à titre liminaire, que, dans le cadre du système de compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d’un acte ne peut pas dépendre seulement de la conviction d’une institution quant au but poursuivi, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel (voir arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, point 11, 45/86, Rec. p. 1493). Parmi de tels éléments figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte. 11 Quant au but poursuivi, l’article 1er de la directive 89/428 indique que celle-ci vise, d’une part, à harmoniser les programmes de réduction de la pollution, en vue de sa suppression, en ce qui concerne les déchets provenant des établissements anciens de l’industrie du dioxyde de titane, et, d’autre part, à améliorer les conditions de concurrence dans ledit secteur. Elle poursuit donc la double finalité de protection de l’environnement et d’amélioration des conditions de concurrence. 12 Quant au contenu de la directive 89/428, celle-ci interdit, ou impose de réduire, en fonction de paramètres précis, le rejet de déchets provenant des établissements industriels anciens du secteur, en fixant également des délais pour la mise en œuvre des différentes dispositions. En imposant ainsi des obligations concernant le traitement des déchets provenant du processus de production du dioxyde de titane, la directive est de nature, à la fois, à réduire la pollution et à établir des conditions plus uniformes de production et, partant, de concurrence, étant entendu que les règles nationales relatives au traitement des déchets que la directive se propose d’harmoniser ont des incidences sur le coût de la production de l’industrie du dioxyde de titane. 13 Il en découle que, d’après son but et son contenu, tels qu’ils ressortent des termes mêmes de la directive, elle concerne, d’une façon indissociable, à la fois la protection de l’environnement et l’élimination des disparités dans les conditions de concurrence. (…) 16 Il s’ensuit que, compte tenu de son but et son contenu, la directive en cause présente en même temps le caractère d’une action en matière d’environnement, au sens de l’article 130 S du traité, et celui d’une mesure d’harmonisation ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, au sens de l’article 100 A du traité. 17 Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Commission/Conseil, point 11 (165/87, Rec. p. 5545), dans la mesure où la compétence d’une institution repose sur deux dispositions du traité, celle-ci est tenue d’adopter les actes correspondants sur le fondement des deux dispositions en cause. Toutefois, cette jurisprudence ne saurait être applicable en l’espèce.

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18 En effet, l’une des dispositions d’habilitation en cause, à savoir l’article 100 A (nouvel article 114, §2 TFUE),, prescrit l’application de la procédure de coopération, prévue à l’article 149, paragraphe 2, du traité, alors que l’autre disposition, à savoir l’article 130 S (nouvel article 192, §1 TFUE), prescrit le vote à l’unanimité au sein du Conseil après une simple consultation du Parlement européen. Dans un tel cas, le cumul de base juridique serait de nature à vider la procédure de coopération de sa substance même. (…) 20 L’objet même de la procédure de coopération, (…) est de renforcer la participation du Parlement européen au processus législatif de la Communauté, (…) Or, comme la Cour l’a relevé dans les arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, point 33 (138/79, Rec. p. 3333), et Maizena/Conseil, point 34 (139/79, Rec. p. 3393), cette participation est le reflet, au niveau de la Communauté, d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative. 21 Il s’ensuit qu’en l’espèce le recours à la double base juridique des articles 100 A et 130 S est exclu et qu’il faut donc déterminer laquelle de ces deux dispositions constitue la base juridique appropriée. (…) 24 Il convient de relever, (…), que l’article 100 A, paragraphe 3 (nouvel article 114, §3 TFUE), oblige la Commission, dans ses propositions de mesures relatives au rapprochement des législations des États membres, qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, à prendre pour base un niveau de protection élevé, notamment en matière de protection de l’environnement. Cette disposition indique donc, expressément, que les objectifs de protection de l’environnement visés à l’article 130 R peuvent être poursuivis efficacement au moyen de mesures d’harmonisation arrêtées sur le fondement de l’article 100 A.

25 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’acte attaqué aurait dû être fondé sur l’article 100 A du traité CEE et doit, dès lors, être annulé.

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II. Ordre juridique de l’Union européenne

1. Spécificités de l’ordre juridique de l’Union

a) Primauté de l’ordre juridique de l’Union

CJUE, Costa c ENEL, 15 juillet 1964, aff. 6/64 • Question préjudicielle posée par une juridiction italienne concernant une loi italienne

nationalisant la production et la distribution de l’électricité.

• Violation des articles 124 TFUE, 113 TFUE, 60 TFUE et 43 TFUE.

• Primauté de l’ordre juridique CE – Impossibilité pour les EM de faire prévaloir sur le traité une mesure unilatérale ultérieure.

• Effet direct vertical (Etat / particuliers) des dispositions du traité.

I - Exposé des faits et de la procédure

Attendu qu'aux termes de la loi n° 1643 du 6 décembre 1962 et de décrets postérieurs, la République italienne a procédé à la nationalisation de la production et de la distribution de l'énergie électrique et créé une organisation dite E.N.E.L. à laquelle a été transféré le patrimoine des entreprises électriques ;

attendu que, en conflit avec l'E.N.E.L. au sujet du paiement d'une facture pour consommation d'électricité, M. Costa, en qualité de consommateur et d'actionnaire de la société Edison Volta, affectée par cette nationalisation, a demandé incidemment au cours de la procédure devant le Giudice Conciliatore de Milan l'application de l’article 177 CEE (article 267 TFUE) aux fins d'obtenir l'interprétation des articles 102 (Article 117 TFUE), 93 (Article 108 TFUE), 53 (abrogé)2 et 37 (Article 37 TFUE) dudit traité qui auraient été violés par la loi italienne sus-visée ;

A la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la C.E.E. a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leur juridiction. En instituant une communauté de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des États à la Communauté, ceux-ci ont limité leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes. 2 L’ancien article 53 CEE, abrogé par le traité d’Amsterdam, contenait une disposition de stand-still interdisant aux Etats membres d’introduire de nouvelles restrictions à l’établissement sur leur territoire des ressortissants d’autres Etats membres.

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Cette intégration, au droit de chaque pays membre, de dispositions qui proviennent de sources communautaires et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable, le droit né du traité issu d'une source autonome ne pouvant, en raison de sa nature spécifique originale se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même. Le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains. Une obligation des États membres en vertu du traité C.E.E., non assortie d'aucune condition, ni subordonnée, dans son exécution ou ses effets, à l'intervention d'aucun acte, ni des États, ni de la Commission, est juridiquement parfaite et, en conséquence, susceptible de produire des effets directs dans les relations entre les États membres et les justiciables. Une telle obligation est intégrée au système juridique des États membres, constitue la loi même de ceux-ci et concerne directement leurs ressortissants au profit desquels elle a engendré des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder. L'article 53 du traité C.E.E. constitue une règle communautaire susceptible d'engendrer dans le chef des justiciables des droits que les juridictions internes doivent sauvegarder.

CJUE, Administration des finances de l'État c Société anonyme Simmenthal, 9 mars 1978, aff. 106/77.

• Principe de la primauté du droit communautaire – Dispositions du traité CE directement applicables.

• Conflit entre le droit communautaire et une loi postérieure – Obligations et pouvoirs du juge national saisi : obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure.

L'applicabilité directe du droit communautaire signifie que ses règles doivent déployer la plénitude de leurs effets, d'une manière uniforme dans tous les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité. Les dispositions directement applicables sont une source immédiate de droits et d'obligations pour tous ceux qu'elles concernent, qu'il s'agisse des États membres ou de particuliers; cet effet concerne également tout juge qui a, en tant qu'organe d'un État membre, pour mission de protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire.

En vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore - en tant que ces dispositions et actes font

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partie intégrante, avec rang de priorité, de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres - d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires.

Le fait de reconnaître une efficacité juridique quelconque à des actes législatifs nationaux empiétant sur le domaine à l'intérieur duquel s'exerce le pouvoir législatif de la Communauté, ou autrement incompatibles avec les dispositions du droit communautaire, reviendrait à nier, pour autant, le caractère effectif d'engagements inconditionnellement et irrévocablement assumés par les États membres, en vertu du traité, et mettrait ainsi en question les bases mêmes de la Communauté.

Le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.

CJUE, CILFIT, 6 octobre 1982, Aff. 283/81 • Question préjudicielle posée par une juridiction italienne concernant l’article 267

TFUE : obligation des juridictions suprêmes nationales de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles qui lui sont soumises.

• Conditions permettant à la juridiction suprême de ne pas poser la question préjudicielle : théorie de l’acte clair.

1 Par ordonnance du 27 mars 1981, parvenue à la Cour le 31 octobre 1981, la Corte suprema di cassazione a posé, en vertu de l'article 177 CEE (267 TFUE), une question préjudicielle relative à l'interprétation du troisième alinéa de l'article 177 du traité CEE. 2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant des sociétés importatrices de laine au ministère italien de la santé à propos du paiement d'un droit fixe de visite sanitaire de laines importées de pays non membres de la Communauté. (…) 4 Au vu de ces thèses opposées, la Corte suprema di cassazione a saisi la Cour de la question suivante: «Le troisième alinéa de l'article 177 CEE (267 TFUE), qui dispose que, lorsqu'une question du genre de celles qui sont énumérées dans l'alinéa 1 de ce même article est soulevée dans un litige pendant devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de s'adresser à la Cour de justice, établit-il une obligation de renvoi qui ne permet pas au juge national de porter une appréciation quelconque sur le bien-fondé de la question soulevée ou bien subordonne-t-il - et dans quelles limites - cette obligation à l'existence préalable d'un doute d'interprétation raisonnable?»

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5 Pour résoudre le problème ainsi posé, il y a lieu de tenir compte du système de l’article 177 CEE (267 TFUE) qui donne compétence à la Cour de justice pour statuer, entre autres, sur l'interprétation du traité et des actes pris par les institutions et la Communauté. 6 En vertu de l'alinéa 2 de cet article, toute juridiction d'un des États membres «peut», si elle estime qu'une décision sur une question d'interprétation est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question. Selon l'alinéa 3, lorsqu'une question d'interprétation est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction «est tenue» de saisir la Cour de justice. 7 Cette obligation de saisine s'inscrit dans le cadre de la coopération, instituée en vue d'assurer la bonne application et l'interprétation uniforme du droit communautaire dans l'ensemble des États membres, entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l'application du droit communautaire, et la Cour de justice. L'alinéa 3 de l'article 177 CEE vise plus particulièrement à éviter que s'établissent des divergences de jurisprudence à l'intérieur de la Communauté sur des questions de droit communautaire. La portée de cette obligation doit dès lors être appréciée d'après ces finalités, en fonction des compétences respectives des juridictions nationales et de la Cour de justice, lorsqu'une telle question d'interprétation est soulevée au sens de l'article 177 CEE (267 TFUE). 8 Dans ce cadre, il y a lieu de préciser le sens communautaire de l'expression «lorsqu'une telle question est soulevée» en vue d'établir dans quelles conditions une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne est tenue de saisir la Cour de justice. 9 A cet égard, il convient en premier lieu de remarquer que l’article 177 CEE (267 TFUE) ne constitue pas une voie de recours ouverte aux parties à un litige pendant devant un juge national. Il ne suffit donc pas qu'une partie soutienne que le litige pose une question d'interprétation du droit communautaire pour que la juridiction concernée soit tenue de considérer qu'il y a question soulevée au sens de l'article 177 CEE (267 TFUE). En revanche, il lui appartient, le cas échéant, de saisir la Cour d'office. 10 En second lieu, il découle du rapport entre les alinéas 2 et 3 de l'article 177 CEE (267 TFUE) que les juridictions visées par l'alinéa 3 jouissent du même pouvoir d'appréciation que toutes autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit communautaire est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d'interprétation de droit communautaire soulevée devant elles si la question n'est pas pertinente, c'est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu'elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige. 11 Par contre, si elles constatent que le recours au droit communautaire est nécessaire en vue d'aboutir à la solution d'un litige dont elles se trouvent saisies, l'article 177 CEE leur impose l'obligation de saisir la Cour de justice de toute question d'interprétation qui se pose. 12 La question posée par la Corte di cassazione vise à savoir si, dans certaines circonstances, l'obligation formulée par l'article 177 CEE, alinéa 3, pourrait néanmoins rencontrer des limites.

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13 Il y a lieu de rappeler à ce sujet que la Cour a déclaré dans son arrêt du 27 mars 1963 (28 à 30/62, Da Costa, Recueil p. 75) «que si l'article 177 CEE, dernier alinéa, oblige sans aucune restriction les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne à soumettre à la Cour toute question d'interprétation soulevée devant elles, l'autorité de l'interprétation donnée par celle-ci en vertu de l'article 177 CEE peut cependant priver cette obligation de sa cause et la vider ainsi de son contenu; qu'il en est notamment ainsi quand la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l'objet d'une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue». 14 Le même effet, en ce qui concerne les limites de l'obligation formulée par l'article 177 CEE, alinéa 3, peut résulter d'une jurisprudence établie de la Cour résolvant le point de droit en cause, quelle que soit la nature des procédures qui ont donné lieu à cette jurisprudence, même à défaut d'une stricte identité des questions en litige. 15 Il reste cependant entendu que, dans toutes ces hypothèses, les juridictions nationales, y compris celles visées à l'article 3, de l'article 177 CEE (267 TFUE), conservent l'entière liberté de saisir la Cour si elles l'estiment opportun. 16 Enfin, l'application correcte du droit communautaire peut s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée. Avant de conclure à l'existence d'une telle situation, la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s'imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour de justice. Ce n'est que si ces conditions sont remplies que la juridiction nationale pourra s'abstenir de soumettre cette question à la Cour et la résoudre sous sa propre responsabilité. 17 Toutefois, l'existence d'une telle possibilité doit être évaluée en fonction des caractéristiques du droit communautaire et des difficultés particulières que présente son interprétation. 18 Il faut d'abord tenir compte que les textes de droit communautaire sont rédigés en plusieurs langues et que les diverses versions linguistiques font également foi; une interprétation d'une disposition de droit communautaire implique ainsi une comparaison des versions linguistiques. 19 Il faut noter ensuite, même en cas de concordance exacte des versions linguistiques, que le droit communautaire utilise une terminologie qui lui est propre. Par ailleurs, il convient de souligner que les notions juridiques n'ont pas nécessairement le même contenu en droit communautaire et dans les différents droits nationaux. 20 Enfin, chaque disposition de droit communautaire doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l'ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités, et de l'état de son évolution à la date à laquelle l'application de la disposition en cause doit être faite. 21 Au vu de l'ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la Corte suprema di cassazione que l'article [234, alinéa 3 CE] (267, al. 3 TFUE) doit être interprété en ce sens qu'une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu'une question de droit communautaire se pose devant elle, de

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déférer à son obligation de saisine, à moins qu'elle n'ait constaté que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable; l'existence d'une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit communautaire, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l'intérieur de la Communauté.

b) Pouvoirs implicites

CJUE, Kramer, 14 juillet 1976, aff. jointes 3,4 et 6-76 • Relations extérieures : conclusion d’une convention dans le domaine de la conservation

des ressources biologiques de la mer – Absence de disposition spécifique du traité.

• Compétences externes implicites de la Communauté : capacité à conclure des engagements internationaux avec des Etats tiers dans toute l’étendue du champ des objectifs communautaires (parallélisme des compétences) – Source : art. 47 TUE.

• Conséquence : les EM qui ont pris des engagements dans le cadre de la Convention que la CE est habilitée à ratifier sont liés par des obligations communautaires dans les négociations qu’ils mènent dans le cadre de cette convention.

16 ATTENDU QU’EN L’ABSENCE DE DISPOSITIONS SPECIFIQUES DU TRAITE HABILITANT LA COMMUNAUTE A PRENDRE DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DANS LE DOMAINE DE LA CONSERVATION DES RESSOURCES BIOLOGIQUES DE LA MER, IL Y A LIEU DE SE REFERER AU SYSTEME GENERAL DU DROIT COMMUNAUTAIRE RELATIF AUX RAPPORTS EXTERNES DE LA COMMUNAUTE ;

17 QUE L'ARTICLE 210 (article 47 du TUE nouveau) DISPOSE QUE ‘LA COMMUNAUTE A LA PERSONNALITE JURIDIQUE’;

18 QUE CETTE DISPOSITION, PLACEE EN TETE DE LA SIXIEME PARTIE DU TRAITE CONSACREE AUX’DISPOSITIONS GENERALES ET FINALES’, SIGNIFIE QUE, DANS LES RELATIONS EXTERIEURES, LA COMMUNAUTE JOUIT DE LA CAPACITE DE PRENDRE DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DANS TOUTE L’ETENDUE DU CHAMP DES OBJECTIFS DEFINIS DANS LA PREMIERE PARTIE DU TRAITE, DONT LA SIXIEME FORME LE PROLONGEMENT ;

19 QU’EN VUE D’ETABLIR, DANS UN CAS DETERMINE, SI LA COMMUNAUTE A COMPETENCE POUR PRENDRE DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX, IL CONVIENT DE PRENDRE EN CONSIDERATION LE SYSTEME DU DROIT COMMUNAUTAIRE, AUTANT QUE SES DISPOSITIONS MATERIELLES ;

20 QU’UNE TELLE COMPETENCE RESULTE NON SEULEMENT D’UNE ATTRIBUTION EXPLICITE PAR LE TRAITE, MAIS PEUT DECOULER

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EGALEMENT DE MANIERE IMPLICITE D’AUTRES DISPOSITIONS DU TRAITE, DE L’ACTE D’ADHESION ET D’ACTES PRIS, DANS LE CADRE DE CES DISPOSITIONS, PAR LES INSTITUTIONS DE LA COMMUNAUTE ;

37 QUE, D’AUTRE PART, LES TEXTES REGLEMENTAIRES MIS EN VIGUEUR A L’INTERIEUR DE LA COMMUNAUTE SE BORNENT A PREVOIR POUR LES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES LA FACULTE DE PRENDRE DES MESURES ANALOGUES A CELLES QUE LES ETATS MEMBRES CONCERNES SE SONT ENGAGES A PRENDRE - ET ONT EFFECTIVEMENT PRISES - DANS LE CADRE DE LA CONVENTION, SANS QUE LES INSTITUTIONS AIENT, JUSQU’A PRESENT, FAIT USAGE DE CETTE FACULTE ;

40 ATTENDU, CEPENDANT, QU’IL Y A LIEU DE PRECISER, D’UNE PART, QUE CETTE COMPETENCE DES ETATS MEMBRES N’A QU’UN CARACTERE TRANSITOIRE ET, D’AUTRE PART, QUE LES ETATS MEMBRES CONCERNES SONT DES A PRESENT LIES PAR DES OBLIGATIONS COMMUNAUTAIRES DANS LES NEGOCIATIONS QU’ILS MENENT DANS LE CADRE DE LA CONVENTION ET D’AUTRES ACCORDS COMPARABLES ;

2.Responsabilité des Etats membres

CJUE, Francovitch, 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90 • Droit communautaire – Droits conférés aux particuliers – Violation par un État

membre de l’obligation de transposer une directive – Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers.

• Principe de coopération loyale (ancien art. 10 CE – nouvel art. 4, § 3 TUE nouveau) comme fondement du régime de responsabilité.

• Responsabilité de l’EM – Conditions – Modalités de la réparation.

(…) a) Sur le principe de la responsabilité de l’État

31 Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le traité CEE a créé un ordre juridique ordre juridique proprepropre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s’impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d’obligations que le traité impose d’une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux États membres et aux institutions communautaires (voir arrêts du 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26/62,

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Rec p. 3, et du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, Rec p. 1141).

32 Il y a lieu de rappeler également que, ainsi qu’il découle d’une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, d’assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers (voir, notamment, les arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, point 16, 106/77, Rec p. 629, et du 19 juin 1990, Factortame, point 19, C-213/89, Rec p. I-2433).

33 Il y a lieu de constater que la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n’avaient pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre.

34 La possibilité de réparation à charge de l’État membre est particulièrement indispensable lorsque, comme en l’espèce, le plein effet des normes communautaires est subordonné à la condition d’une action de la part de l’État et que, par conséquent, les particuliers ne peuvent pas, à défaut d’une telle action, faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire.

35 Il en résulte que le principe de la responsabilité de l'État pour des principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautairecommunautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité.

36 L’obligation, pour les États membres, de réparer ces dommages trouve également son fondementfondement dans l’article 5 CEE (article 4, § 3 TUE nouveau), en vertu duquel les États membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire. Or, parmi ces obligations se trouve celle d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit communautaire (…).

37 Il résulte de tout ce qui précède que le droit communautaire impose le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables.

b) Sur les conditions de la responsabilité de l’État

38 Si la responsabilité de l'État est ainsi imposée par le droit communautaire, les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à l’origine du dommage causé.

39 Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un État membre méconnaît l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article [249], troisième alinéa CE (article 288 TFUE), de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire impose un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies.

40 La première de ces conditions est que le résultat prescrit par la directive comporte l’attribution de droits au profit de particuliers. La deuxième condition est que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive. Enfin, la troisième condition est l'existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées.

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41 Ces conditions sont suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire.

CJUE, Gerhard Köbler et Republik Österreich, 30 septembre 2003, aff. C-224/01 • Question préjudicielle posée par une juridiction autrichienne au sujet d’une indemnité

d’ancienneté refusée à un professeur d’université ayant travaillé dans des universités d’autres Etats membres3 – Egalité de traitement – Discrimination indirecte.

• Responsabilité d'un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables.

• Violation du droit communautaire imputable à une juridiction nationale – Inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l'article 234, troisième alinéa, CE (267, al. 3 TFUE).

(…)

Le cadre juridique

3. (la loi salariale autrichienne) prévoit: «Un professeur d'université (…), qui peut se prévaloir d'une ancienneté de quinze ans acquise dans cette affectation au sein des universités autrichiennes ou des établissements d'enseignement supérieur et qui a bénéficié pendant quatre ans de l'indemnité d'ancienneté prévue à l'article 50, paragraphe 4, peut prétendre, à compter de la date à laquelle ces deux conditions sont réunies, à une indemnité spéciale d'ancienneté prise en considération pour le calcul de la pension de retraite, dont le montant correspond à celui de l'indemnité d'ancienneté prévue à l'article 50, paragraphe 4.» Le litige au principal

5. M. Köbler est lié depuis le 1er mars 1986 à l'État autrichien par un contrat de droit public en tant que professeur d'université titulaire à Innsbruck (Autriche). (..) 6. Par lettre du 28 février 1996, M. Köbler a sollicité l'attribution de l'indemnité spéciale d'ancienneté des professeurs d'université, au titre de l'article 50 bis du GG. Il a fait valoir que, s'il ne justifiait certes pas de quinze ans d'ancienneté en tant que professeur dans des universités autrichiennes, il posséderait en revanche l'ancienneté requise si la durée de ses services dans les universités d'autres États membres de la Communauté était prise en considération. Il a soutenu que la condition d'une ancienneté de quinze ans acquise uniquement dans des universités autrichiennes - sans qu'il soit tenu compte de celle obtenue dans des universités d'autres États membres - constituait, depuis l'adhésion de la république d'Autriche à la Communauté, une discrimination indirecte injustifiée en droit communautaire. 7. Dans le litige auquel a conduit cette prétention de M. Köbler, le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) a saisi la Cour, par ordonnance du 22 octobre 1997, d'une demande préjudicielle

3 On notera que l’intéressé, professeur renommé de droit public, n’a pas enseigné aux FUSL au cours de ses séjours à l’étranger.

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enregistrée au greffe de la Cour sous le numéro C-382/97. Les questions préjudicielles

14. Le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien, estimant que, dans l'affaire dont il est saisi, l'interprétation du droit communautaire est incertaine et qu'une telle interprétation est nécessaire pour rendre sa décision, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: «1) La jurisprudence de la Cour selon laquelle la responsabilité de l'État est engagée en cas de violation du droit communautaire, quel que soit l'organe de l'État membre auquel cette violation est imputable (notamment, par exemple, arrêt [Brasserie du pêcheur et Factortame, précité]), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de l'organe réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision d'une juridiction suprême d'un État membre telle que, en l'espèce, le Verwaltungsgerichtshof? 2) Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la première question: La jurisprudence de la Cour selon laquelle il appartient à l'ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de l'ordre juridique communautaire (notamment, par exemple, arrêt [Dorsch Consult, précité]), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de l'organe réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision d'une juridiction suprême d'un État membre telle que, en l'espèce, le Verwaltungsgerichtshof? » (…)

Réponse de la Cour

Sur le principe de la responsabilité de l'État

30. Il y a lieu de rappeler d'emblée que la Cour a déjà jugé que le principe de la responsabilité d'un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, Rec p. I-5357, point 35; Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 31; ….). 31. La Cour a également jugé que ce principe est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire par un État membre, et ce quel que soit l'organe de l'État membre dont l'action ou l'omission est à l'origine du manquement (arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 32; ….). 32. Si, dans l'ordre juridique international, l'État dont la responsabilité est engagée du fait de la violation d'un engagement international est considéré dans son unité, que la violation à l'origine du préjudice soit imputable au pouvoir législatif, judiciaire ou exécutif, il doit en être d'autant plus ainsi dans l'ordre juridique communautaire que toutes les instances de l'État, y compris le pouvoir législatif, sont tenues, dans l'accomplissement de leurs tâches, au respect des normes imposées par le droit communautaire et susceptibles de régir directement la situation des particuliers (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 34). 33. Eu égard au rôle essentiel joué par le pouvoir judiciaire dans la protection des droits

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que les particuliers tirent des règles communautaires, la pleine efficacité de celles-ci serait remise en cause et la protection des droits qu'elles reconnaissent serait affaiblie s'il était exclu que les particuliers puissent, sous certaines conditions, obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à une décision d'une juridiction d'un État membre statuant en dernier ressort. 34. Il convient de souligner à cet égard qu'une juridiction statuant en dernier ressort constitue par définition la dernière instance devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit communautaire leur reconnaît. Une violation de ces droits par une décision d'une telle juridiction qui est devenue définitive ne pouvant normalement plus faire l'objet d'un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d'engager la responsabilité de l'État afin d'obtenir par ce biais une protection juridique de leurs droits. 35. C'est d'ailleurs, notamment, afin d'éviter que des droits conférés aux particuliers par le droit communautaire soient méconnus que en vertu de l'article 234, troisième alinéa, CE (267, al. 3 TFUE), une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne est tenue de saisir la Cour. 36. Dès lors, il découle des exigences inhérentes à la protection des droits des particuliers qui se prévalent du droit communautaire qu'ils doivent avoir la possibilité d'obtenir devant une juridiction nationale réparation du préjudice causé par la violation de ces droits du fait d'une décision d'une juridiction statuant en dernier ressort (voir, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 35). 37. Certains des gouvernements ayant soumis des observations dans le cadre de la présente procédure ont fait valoir que le principe de la responsabilité de l'État pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire ne pouvait être appliqué aux décisions d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort. À cet effet, ont été invoqués des arguments tirés, notamment, du principe de sécurité juridique, plus particulièrement de l'autorité de la chose définitivement jugée, de l'indépendance et de l'autorité du juge ainsi que de l'absence d'une juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs à la responsabilité de l'État du fait de telles décisions. 38. À cet égard, il y a lieu de relever que l'importance du principe de l'autorité de la chose définitivement jugée ne saurait être contestée (…). En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu'une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause. 39. Il y a lieu de considérer cependant que la reconnaissance du principe de la responsabilité de l'État du fait de la décision d'une juridiction statuant en dernier ressort n'a pas en soi pour conséquence de remettre en cause l'autorité de la chose définitivement jugée d'une telle décision. Une procédure visant à engager la responsabilité de l'État n'a pas le même objet et n'implique pas nécessairement les mêmes parties que la procédure ayant donné lieu à la décision ayant acquis l'autorité de la chose définitivement jugée. En effet, le requérant dans une action en responsabilité contre l'État obtient, en cas de succès, la condamnation de celui-ci à réparer le dommage subi, mais pas nécessairement la remise en cause de l'autorité de la chose définitivement jugée de la décision juridictionnelle ayant causé le dommage. En tout état de cause, le principe de la responsabilité de l'État inhérent à l'ordre juridique communautaire exige une telle réparation, mais non la révision de la décision

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juridictionnelle ayant causé le dommage. 40. Il en découle que le principe de l'autorité de la chose définitivement jugée ne s'oppose pas à la reconnaissance du principe de la responsabilité de l'État du fait de la décision d'une juridiction statuant en dernier ressort. Sur les conditions de la responsabilité de l'État

51. Pour ce qui est des conditions dans lesquelles un État membre est tenu de réparer les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu'elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées (…). 52. La responsabilité de l'État pour des dommages causés par la décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit communautaire est régie par les mêmes conditions. 53. En ce qui concerne plus particulièrement la deuxième de ces conditions et son application en vue d'établir une responsabilité éventuelle de l'État en raison d'une décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort, il y a lieu de tenir compte de la spécificité de la fonction juridictionnelle ainsi que des exigences légitimes de sécurité juridique, comme l'ont fait valoir également les États membres qui ont présenté des observations dans cette affaire. La responsabilité de l'État du fait d'une violation du droit communautaire par une telle décision ne saurait être engagée que dans le cas exceptionnel où le juge a méconnu de manière manifeste le droit applicable. 54. Afin de déterminer si cette condition est réunie, le juge national saisi d'une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise. 55. Parmi ces éléments figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère excusable ou inexcusable de l'erreur de droit, la position prise, le cas échéant, par une institution communautaire, ainsi que l'inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l'article 234, troisième alinéa, CE (267, al. 3 TFUE). 56. En tout état de cause, une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée lorsque la décision concernée est intervenue en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (voir, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 57). (….)

3.Obligation d’interprétation conforme

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CJUE, 13 novembre 1990, Marleasing SA contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA, aff. C-106/89 • Question préjudicielle posée par une juridiction espagnole. – Directive 68/151 CE

tendant à coordonner les garanties exigées par les EM de la part des sociétés – Régime des nullités – Énumération limitative des cas de nullité – Conflit portant sur l’annulation d’un contrat de société pour cause d’absence de cause juridique – Cause de nullité existant en droit national mais non citée dans la directive CE.

• Absence d’effet direct horizontal en raison de la nature des parties au litige

• Obligation d’exécution des directives par les EM – Nécessité d’assurer l’efficacité des directives – Obligations des juridictions nationales (art. 4, § 3 TUE nouveau et art. 288 TFUE) : obligation d’interprétation conforme du droit national à la lumière de la directive – Obligation du juge national de refuser d’admettre d’autres cas de nullité que ceux énumérés dans la directive.

1 Par ordonnance du 13 mars 1989, parvenue à la Cour le 3 avril suivant, le juge de première instance et d’instruction n° 1 d’Oviedo a posé, en vertu de l’article 177 du traité CEE (art. 267 TFUE), une question préjudicielle concernant l’interprétation de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant la société Marleasing SA, la requérante au principal, à un certain nombre de défenderesses au nombre desquelles figure La Comercial Internacional de Alimentación SA (ci-après : « La Comercial « ). Cette dernière a été constituée sous la forme d’une société anonyme par trois personnes, parmi lesquelles se trouve la société Barviesa, qui a fait apport de son patrimoine.

3 Il résulte des motifs de l’ordonnance de renvoi que Marleasing a conclu à titre principal, sur la base des articles 1261 et 1275 du code civil espagnol, qui privent de tout effet juridique les contrats sans cause ou dont la cause est illicite, à l’annulation du contrat de société instituant La Comercial, au motif que la constitution de cette dernière serait dépourvue de cause juridique, entachée de simulation et serait intervenue en fraude des droits des créanciers de la société Barviesa, cofondatrice de la défenderesse. La Commercial a conclu au rejet intégral de la demande en invoquant, notamment, le fait que la directive 68/151, précitée, dont l’article 11 dresse la liste limitative des cas de nullité des sociétés anonymes, ne fait pas figurer l’absence de cause juridique parmi ces cas.

4 La juridiction nationale a rappelé que, conformément à l' article 395 de l' acte relatif aux conditions d' adhésion du royaume d' Espagne et de la République portugaise aux Communautés européennes ( JO 1985, L 302, p . 23 ), le royaume d' Espagne était tenu de mettre la directive en vigueur dès son adhésion, transposition qui n' avait pas encore eu lieu au jour de l' ordonnance de renvoi. Considérant donc que le litige soulevait un problème d'interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a posé à la Cour la question suivante :

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« L’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968, qui n’a pas été mise en œuvre dans le droit interne, est-il directement applicable pour empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à l’article précité ? »

(…)

7 Il ressort, (…), du dossier que la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151, précitée, est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, afin d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11.

8 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, comme la Cour l’a précisé dans son arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 (14/83, Rec p. 1891, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s’ensuit qu’en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité (art. 288 TFUE).

9 Il s’ensuit que l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause.

10 En ce qui concerne l’interprétation à donner à l’article 11 de la directive, (…)

12 (…) Ainsi qu’il ressort du préambule de la directive 65/151, précitée, son but était de limiter les cas de nullité et l’effet rétroactif de la déclaration de nullité afin d’assurer la « sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés » (sixième considérant). (…) Il s’ensuit, dès lors, que chaque motif de nullité prévu par l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte. (…)

13 Il y a donc lieu de répondre à la question posée que le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151 est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11. (…)

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1. Effet direct

a. D’une disposition du Traité :

CJUE, Van Gend en Loos, 5 février 1963, aff. 26/62

• Question préjudicielle posée par une juridiction néerlandaise – Augmentation de droits de douane.

• Interdiction des droits de douane : article 28 TFUE et 30 TFUE.

• Interdiction qui produit des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables.

• Droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder.

I - Exposé des faits et procédure Attendu que les faits qui sont à la base de la présente affaire et le déroulement de la procédure peuvent être résumés comme suit : 1. Le 9 septembre 1960, la société N.V. Algemene Transport – en Expeditie Onderneming van Gend & Loos (ci-après désignée par « Van Gend & Loos ») a (…) importé de la république fédérale d'Allemagne aux Pays-Bas une certaine quantité d'urée-formaldéhyde, (..). 2. A la date de l'importation, le produit en question était classé sous la position 39.01-a-1 du tarif des droits d'entrée compris dans le « Tariefbesluit » entrée en vigueur le 1er mars 1960 ; (…). 4. Sur cette base, l'administration fiscale néerlandaise a appliqué le droit d'entrée de 8% ad valorem à l'importation litigieuse. 5. Le 20 septembre 1960, Van Gend & Loos a introduit auprès de l'inspecteur des droits d'entrée et des accises à Zaandam une réclamation contre l'application de ce droit au cas d'espèce. Elle avançait notamment l'argumentation suivante : (…) en augmentant ainsi, après l'entrée en vigueur du traité C.E.E., le droit d'entrée sur le produit litigieux, le gouvernement néerlandais a violé l'article 12 de ce traité (Article 30 TFUE), qui prévoit que les États membres s'abstiendront d'introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent, et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mutuelles.

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6. La réclamation de Van Gend & Loos fut rejetée le 6 mars 1961 comme irrecevable, parce que ne visant pas l'application même du tarif, mais son taux, par l'inspecteur des droits d'entrée et des accises à Zaandam. 7. Contre cette décision Van Gend & Loos a, le 4 avril 1961, formé un recours devant la Tariefcommissie à Amsterdam. 9. La Tariefcommissie (..) estima que l'argumentation des parties soulevait une question portant sur l'interprétation du traité C.E.E. ; en conséquence, elle a suspendu la procédure et, conformément à l'article 177, alinéa 3 de ce traité (article 267, al. 3 TFUE), saisi la Cour de justice, le 16 août 1962, des deux questions préjudicielles indiquées ci-dessus. II - Quant à la première question B – QUANT AU FOND Attendu que la Tariefcommissie pose en premier lieu la question de savoir si l'article 12 (Article 30 TFUE) du traité a un effet immédiat en droit interne, dans le sens que les ressortissants des États membres pourraient faire valoir sur la base de cet article des droits que le juge national doit sauvegarder ; attendu que pour savoir si les dispositions d'un traité international ont une telle portée il faut en envisager l'esprit, l'économie et les termes ; attendu que l'objectif du traité C.E.E. qui est d'instituer un marché commun dont le fonctionnement concerne directement les justiciables de la Communauté, implique que ce traité constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les États contractants ; que cette conception se trouve confirmée par le préambule du traité qui, au-delà des gouvernements, vise les peuples, et de façon plus concrète par la création d'organes qui institutionnalisent des droits souverains dont l'exercice affecte aussi bien les États membres que leurs citoyens ; qu'il faut d'ailleurs remarquer que les ressortissants des États réunis dans la Communauté sont appelés à collaborer, par le truchement du Parlement européen et du Comité économique et social, au fonctionnement de cette Communauté ; qu'en outre le rôle de la Cour de justice dans le cadre de l'article 177 CEE (267 TFUE), dont le but est d'assurer l'unité d'interprétation du traité par les juridictions nationales, confirme que les États ont reconnu au droit communautaire une autorité susceptible d'être invoquée par leurs ressortissants devant ces juridictions ; qu'il faut conclure de cet état de choses que la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ;

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que, partant, le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ; que ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires ; attendu qu'eu égard à l'économie du traité en matière de droits de douane et taxes d'effet équivalent, il convient de souligner que l'article 9 (Article 28 TFUE), qui fonde la Communauté sur une union douanière, comporte comme règle essentielle l'interdiction de ces droits et taxes ; que cette disposition figure en tête de la partie du traité qui définit les « fondements de la Communauté » ; qu'elle se trouve appliquée et explicitée par l'article 12 (art. 30 TFUE); attendu que le texte de l'article 12 (art. 30 TFUE) énonce une interdiction claire et inconditionnelle qui est une obligation non pas de faire, mais de ne pas faire ; que cette obligation n'est d'ailleurs assortie d'aucune réserve des États de subordonner sa mise en œuvre à un acte positif de droit interne ; que cette prohibition se prête parfaitement, par sa nature même, à produire des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables ; attendu que l'exécution de l'article 12 (art. 30 TFUE) ne nécessite pas une intervention législative des États ; que le fait, par cet article, de désigner les États membres comme sujets de l'obligation de s'abstenir n'implique pas que leurs ressortissants ne puissent en être les bénéficiaires ; attendu que, par ailleurs, l'argument tiré des articles 169 et 170 (articles 258 et 259 TFUE) du traité qu'ont invoqué les trois gouvernements qui ont présenté à la Cour des observations dans leurs mémoires tombe à faux ; qu'en effet la circonstance que le traité, dans les articles susvisés, permet à la Commission et aux États membres d'attraire devant la Cour un État qui n'a pas exécuté ses obligations n'implique pas pour les particuliers l'impossibilité d'invoquer, le cas échéant, devant le juge national ces obligations, tout comme le fait que le traité met à la disposition de la Commission des moyens pour assurer le respect des obligations imposées aux assujettis n'exclut pas la possibilité, dans les litiges entre particuliers devant le juge national, d'invoquer la violation de ces obligations ; qu'une limitation aux seules procédures des articles 169 et 170 (258 et 259 TFUE) des garanties contre une violation de l'article 12 (art. 30 TFUE) par les États membres supprimerait toute protection juridictionnelle directe des droits individuels de leurs ressortissants ; que le recours à ces articles risquerait d'être frappé d'inefficacité s'il devait intervenir après l'exécution d'une décision nationale prise en méconnaissance des prescriptions du traité ;

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que la vigilance des particuliers intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraîne un contrôle efficace qui s'ajoute à celui que les articles 169 et 170 (258 et 259 TFUE) confient à la diligence de la Commission et des États membres ; attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que selon l'esprit, l'économie et le texte du traité l'article 12 (art. 30 TFUE) doit être interprété en ce sens qu'il produit des effets immédiats et engendre des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder.

CJUE, Gabrielle Defrenne c SA Sabena, 8 avril 1976, aff. 43/75 • Question préjudicielle posée par une juridiction belge. Egalité des rémunérations entre

travailleurs masculins et féminins.

• Effet direct horizontal de l’article 157 TFUE (principe de l’égalité des rémunérations) – Double finalité, économique et sociale : le principe d'égalité de rémunération fait partie des fondements de la Communauté – Principe suffisamment clair concernant les discriminations directes : pas besoin de mesures nationales pour le mettre en œuvre – Obligation de résultat – Caractère impératif.

FAITS : Sur le fondement de l'ex-article 119 CEE (article 157 TFUE) posant le principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins pour un même travail, une hôtesse de l'air, Mme Defrenne, engagea plusieurs actions devant les juridictions nationales belges contre la compagnie aérienne Sabena, au motif que celle-ci aurait pratiqué une discrimination salariale au détriment du personnel féminin. Saisie en appel, la Cour du travail de Bruxelles surseoit à statuer sur ce problème et pose une question préjudicielle à la CJUE, sur la base de l’article 177 CEE (267 TFUE), au sujet de la portée de l'article 119 CEE. Sur la 1e question (effet direct de l'article 119 CEE [157 TFUE]) 4 Attendu que, par la première question, il est demandé si l'article 119 du traité (article 157 TFUE) «introduit par lui-même directement, dans le droit interne de chaque État membre, le principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail» et s'il «ouvre, dès lors, en dehors de tout texte national, le droit aux travailleurs d'intenter une action en justice devant les juridictions nationales pour faire respecter ce principe»; (…) 7 attendu que la question de l'effet direct de l'article 119 (article 157 TFUE) doit être appréciée au regard de la nature du principe d'égalité de rémunération, de l'objectif poursuivi par cette disposition et de sa place dans le système du traité; 8 que l'article 119 poursuit une double finalité; 9 que, d'une part, compte tenu de la différence du degré d'évolution des législations sociales dans les différents États membres, l'article 119 (article 157 TFUE) a pour fonction

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d’éviter que, dans la compétition intracommunautaire, les entreprises établies dans des États qui ont effectivement réalisé le principe de l'égalité de rémunération, ne subissent un désavantage concurrentiel par rapport aux entreprises situées dans des États qui n'ont pas encore éliminé la discrimination salariale au détriment de la main-d'œuvre féminine; 10 que, d'autre part, cette disposition relève des objectifs sociaux de la Communauté, celle-ci ne se limitant pas à une union économique, mais devant assurer en même temps, par une action commune, le progrès social et poursuivre l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi des peuples européens, ainsi qu'il est souligné par le préambule du traité; 11 que cette finalité est accentuée par l'insertion de l'article 119 (article 157 TFUE) dans l'ensemble du chapitre consacré à la politique sociale, dont la disposition liminaire, à savoir l'article 117 (267 TFUE), marque «la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d'œuvre permettant leur égalisation dans le progrès»; 12 que, de cette double finalité, économique et sociale, il résulte que le principe d'égalité de rémunération fait partie des fondements de la Communauté; 13 que cette considération explique d'ailleurs pourquoi le traité a prévu l'application intégrale de ce principe dès la fin de la première étape de la période de transition; 14 que, dans l'interprétation de cette disposition, on ne saurait donc tirer argument des lenteurs et des résistances qui ont retardé l'application effective de ce principe essentiel dans certains États membres; 15 que, plus particulièrement, le rattachement de l'article 119 (article 157 TFUE) au contexte de l'égalisation des conditions de travail dans le sens du progrès permet d'écarter l'objection tirée de ce que cet article pourrait être respecté autrement que par un relèvement des salaires les moins élevés; 16 attendu qu'aux termes de l'article 119 (article 157 TFUE), alinéa 1, les États membres sont tenus d'assurer et de maintenir «l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail»; 17 que les alinéas 2 et 3 du même article ajoutent un certain nombre de précisions relatives aux notions de rémunération et de travail, utilisées par l'alinéa 1; 18 qu'en vue de l'application de ces dispositions, il y a lieu d'établir une distinction, à l'intérieur du champ d'application global de l'article 119 (article 157 TFUE), entre, d'une part, les discriminations directes et ouvertes, susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères d'identité de travail et d'égalité de rémunération retenus par l'article cité, et, d'autre part, les discriminations indirectes et déguisées qui ne peuvent être identifiées qu'en fonction de dispositions d'application plus explicites, de caractère communautaire ou national; 19 qu'on ne saurait méconnaître, en effet, qu'une mise en œuvre intégrale de l'objectif poursuivi par l'article 119 (article 157 TFUE), par l'élimination de toutes discriminations entre travailleurs féminins et travailleurs masculins, directes ou indirectes, dans la perspective non seulement des entreprises individuelles, mais encore de branches entières de l'industrie et même de l'économie globale, peut impliquer, dans certains cas, la détermination de critères dont la mise en œuvre réclame l'intervention de mesures communautaires et nationales adéquates;

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20 que cette manière de voir s'impose d'autant plus que les actes communautaires sur cette question, dont il sera fait état en réponse à la 2e question, mettent en œuvre l'article 119 (article 157 TFUE) dans le sens d'un élargissement du critère strict d'un «même travail», en conformité notamment avec les dispositions de la Convention n° 100 sur l'égalité de rémunération de l'Organisation internationale du travail, 1951, dont l'article 2 envisage l'égalité de rémunération pour un travail «de valeur égale»; 21 attendu que, parmi les discriminations directes, susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères fournis par l'article 119 (article 157 TFUE), il faut compter notamment celles qui ont leur source dans des dispositions de nature législative ou dans des conventions collectives du travail, de telles discriminations étant décelables sur base d'analyses purement juridiques; 22 qu'il en est encore de même dans le cas d'une rémunération inégale de travailleurs masculins et de travailleurs féminins pour un même travail, accompli dans un même établissement ou service, privé ou public; 23 qu'en présence d'une telle situation — ainsi qu'il est démontré par les constatations mêmes de l'arrêt de renvoi — le juge est en mesure d'établir tous les éléments de fait qui lui permettent d'apprécier si un travailleur de sexe féminin reçoit une rémunération inférieure à celle d'un travailleur masculin affecté à des tâches identiques; 24 qu'à tout le moins dans de telles hypothèses, l'article 119 (article 157 TFUE) est susceptible d'application directe et peut donc engendrer, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions doivent sauvegarder; 25 que d'ailleurs, les législations nationales prises pour l'application du principe d'égalité de rémunération ne font, en règle générale, que reproduire en substance les termes de l'article 119 (article 157 TFUE) en ce qui concerne les discriminations directes, dans le cas d'un même travail; 26 que, sous ce rapport, la législation belge est particulièrement illustrative, étant donné que l'article 14 de l'arrêté royal n° 40 sur le travail des femmes, du 24 octobre 1967, se borne à affirmer le droit, pour tout travailleur de sexe féminin, d'intenter, auprès de la juridiction compétente, une action visant à faire appliquer le principe de l'égalité de rémunération de l'article 119 (article 157 TFUE), auquel il est simplement renvoyé; 27 attendu qu'on ne peut invoquer contre cette conclusion les termes utilisés par l'article 119 (article 157 TFUE); 28 qu'on ne saurait, tout d'abord, tirer argument, contre l'effet direct, de l'emploi, par cet article, du terme «principe», puisque, dans le langage du traité, cette expression est précisément utilisée pour marquer le caractère fondamental de certaines dispositions, ainsi qu'il ressort par exemple de l'intitulé donné à la première partie du traité, consacrée aux «principes», et de l'article 113 (Article 207 TFUE), selon lequel la politique commerciale de la Communauté est fondée sur des «principes uniformes»;

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29 qu'en atténuant cette notion, au point de la réduire au rang d'une indication vague, on toucherait ainsi indirectement aux fondements mêmes de la Communauté et à la cohérence de ses relations extérieures; 30 qu'il n'est pas possible, non plus, de tirer argument du fait que l'article 119 (article 157 TFUE) ne vise explicitement que les «États membres»; 31 qu'en effet, ainsi que la Cour l'a déjà constaté dans d'autres contextes, le fait que certaines dispositions du traité sont formellement adressées aux États membres n'exclut pas que des droits puissent être conférés en même temps à tout particulier intéressé à l'observation des obligations ainsi définies; 32 qu'il résulte du texte même de l'article 119 (article 157 TFUE) que celui-ci impose aux États une obligation de résultat qui devait être impérativement réalisée dans un délai déterminé; 33 que l'efficacité de cette disposition ne saurait être affectée par la circonstance que l'obligation imposée par le traité n'a pas été tenue par certains États membres et que les institutions communes ont insuffisamment réagi contre cet état de carence; 34 qu'admettre le contraire risquerait d'ériger la violation du droit en règle d'interprétation, position que la Cour ne saurait prendre sans se mettre en contradiction avec la mission qui lui est assignée par l'article 164 du traité (article 19 TUE nouveau); 35 qu'enfin, en faisant référence aux «États membres», l'article 119 (article 157 TFUE) vise ces États dans l'exercice de toutes celles parmi leurs fonctions qui peuvent concourir utilement à la mise en œuvre du principe d'égalité de rémunération; 36 que, contrairement à ce qui a été exposé en cours de procédure, cette disposition est donc loin de s'épuiser dans un renvoi à la compétence des pouvoirs législatifs nationaux; 37 que la référence de l'article 119 (article 157 TFUE) aux «États membres» ne saurait donc être interprétée comme étant exclusive de l'intervention de l'autorité judiciaire, en application directe du traité; 38 attendu qu'on ne saurait retenir, non plus, l'objection tirée du fait que l'application, par les juridictions internes, du principe d'égalité de rémunération aurait pour effet de modifier ce que les parties ont convenu par des actes relevant de l'autonomie privée ou professionnelle, tels que les contrats individuels et les conventions collectives du travail; 39 qu'en effet, l'article 119 (article 157 TFUE) ayant un caractère impératif, la prohibition de discriminations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s'impose non seulement à l'action des autorités publiques, mais s'étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié, ainsi qu'aux contrats entre particuliers; 40 attendu qu'il convient donc de répondre à la première question que le principe de l'égalité de rémunération de l'article 119 (article 157 TFUE) est susceptible d'être invoqué devant les juridictions nationales et que celles-ci ont le devoir d'assurer la protection des droits que cette disposition confère aux justiciables, notamment dans le cas de discriminations qui ont directement leur source dans des dispositions législatives ou des conventions

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collectives du travail, ainsi que dans le cas d'une rémunération inégale de travailleurs féminins et de travailleurs masculins pour un même travail, lorsque celui-ci est accompli dans un même établissement ou service, privé ou public;

b. D’une directive :

CJUE, Van Duyn, 4 décembre 1974, aff. 41/74 • Question préjudicielle posée par une juridiction anglaise – Libre circulation des

travailleurs – Refus d’autorisation d’entrée sur le territoire en vertu de la politique nationale à l’encontre de l’Eglise de scientologie – Danger social.

• Effet direct de l’article 45 TFUE.- Libre circulation des travailleurs

• Effet direct de la directive 64/221/CEE pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique – Effet utile – Examen de la nature, l'économie et les termes de la disposition en cause – But : limiter le pouvoir discrétionnaire des EM – Aucune réserve – Par sa nature, ne nécessite l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la Communauté, soit des États membres – Sécurité juridique des intéressés.

1 Attendu que, par décision du Vice Chancellor, du 1er mars 1974, parvenue à la Cour le 13 juin, la Chancery Division de la High Court of Justice de l'Angleterre a, en vertu de l'article 177 CEE (267 TFUE), posé trois questions relatives à l'interprétation de certaines dispositions de droit communautaire en matière de libre circulation des travailleurs ; 2 que ces questions ont été posées dans le cadre d'un recours introduit contre le Home Office par une ressortissante néerlandaise qui s'est vu refuser l'autorisation d'entrée au Royaume-Uni pour occuper un emploi de secrétaire auprès de l'« Église de Scientologie » ; 3 que ce refus lui a été opposé conformément à la politique du gouvernement du Royaume-Uni à l'égard de ladite organisation dont il considère les pratiques comme constituant un danger social ; Sur la première question 4 Attendu que, par la première question, la Cour est invitée à dire si l'article 48 du traité CEE (nouvel art. 45 TFUE), est directement applicable en ce sens qu'il confère aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice dans un État membre ; 5 attendu que l'article 48 (art. 45 TFUE), dans ses paragraphes 1er et 2, dispose que la libre circulation des travailleurs est assurée à partir de l'expiration de la période de transition et implique « l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » ;

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6 que ces dispositions imposent aux États membres une obligation précise qui ne nécessite l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la Communauté, soit des États membres, et qui ne laisse à ceux-ci, pour son exécution, aucune faculté d'appréciation ; 7 que le paragraphe 3, en définissant les droits que comporte le principe de la libre circulation des travailleurs, fait une réserve relative aux limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique ; que l'application de cette réserve est, cependant, susceptible d'un contrôle juridictionnel, de sorte que la possibilité pour un État membre de se prévaloir de la réserve n'empêche pas que les dispositions de l'article 48 (art. 45 TFUE), consacrant le principe de la libre circulation des travailleurs, confèrent aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice et que les juridictions nationales doivent sauvegarder ; 8 qu'il y a donc lieu de donner une réponse affirmative à la question posée ; Sur la deuxième question 9 Attendu que, par la deuxième question, la Cour est invitée à dire si la directive du Conseil du 25 février 1964 (64/221) pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, est directement applicable en ce sens qu'elle confère aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice dans un État membre ; 10 qu'il ressort de la décision de renvoi que, parmi les dispositions de la directive, est en cause le seul article 3, paragraphe 1er qui prévoit que « les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet » ; 11 attendu que le Royaume-Uni a fait valoir que l'article 189 CEE (article 288 TFUE), distingue entre les effets des règlements, des directives et des décisions et qu'il faut présumer, par conséquent, que le Conseil, en n'adoptant pas un règlement mais une directive, a voulu que cet acte ait un effet différent de celui d'un règlement et qu'en conséquence il ne soit pas directement applicable ; 12 attendu, cependant, que si, en vertu des dispositions de l'article 189 CEE (article 288 TFUE), les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire d'effets analogues ; qu'il serait incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 CEE (article 288 TFUE) reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation qu'elle impose, puisse être invoquée par des personnes concernées ; que, particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient par directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire ;

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que l'article 177 CEE (267 TFUE), qui permet aux juridictions nationales de saisir la Cour de la validité et de l'interprétation de tous les actes des institutions, sans distinction, implique d'ailleurs que ces actes sont susceptibles d'être invoqués par les justiciables devant lesdites juridictions ; qu'il convient d'examiner, dans chaque cas, si la nature, l'économie et les termes de la disposition en cause sont susceptibles de produire des effets directs dans les relations entre les États membres et les particuliers ; 13 attendu que l'article 3, paragraphe 1er de la directive 64/221, en prévoyant que les mesures d'ordre public doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'intéressé en cause, tend à limiter le pouvoir discrétionnaire que les législations nationales attribuent en général aux autorités compétentes en matière d'entrée et d'expulsion des étrangers ; que, d'une part, la disposition énonce une obligation qui n'est assortie d'aucune réserve ou condition et qui, par sa nature, ne nécessite l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la Communauté, soit des États membres ; que, d'autre part, parce qu'il s'agit d'une obligation pour les États membres, dans l'application d'une clause de dérogation à l'un des principes fondamentaux du traité en faveur des particuliers, de ne pas tenir compte de facteurs étrangers au comportement personnel, la sécurité juridique des intéressés exige que cette obligation puisse être invoquée par eux, bien qu'elle ait été énoncée dans un acte normatif n'ayant pas de plein droit un effet direct dans son ensemble; 14 que si le sens et la portée exacte de la disposition peuvent soulever des questions d'interprétation, ces questions sont susceptibles d'être résolues par la voie judiciaire, compte tenu aussi de la procédure prévue à l'article 177 du traité (267 TFUE); 15 qu'il faut donc répondre à la question posée en ce sens que l'article 3, paragraphe 1er, de la directive 64/221 du Conseil du 25 février 1964 engendre en faveur des particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice dans un État membre et que les juridictions nationales doivent sauvegarder ; (…) par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, par décision du 1er mars 1974, dit pour droit : 1) L'article 48 du traité CEE (art. 45 TFUE) a un effet direct dans les ordres juridiques des États membres et confère aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder. 2) L'article 3, paragraphe 1er, de la directive 64/221 du Conseil du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, engendre en

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faveur des particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir en justice dans un État membre et que les juridictions nationales doivent sauvegarder. 3) (…)

CJUE, Marshall, 26 février 1984, aff. 152/84 Effet direct – Directive – Effet direct horizontal – Conditions : dispositions inconditionnelles et suffisamment précises – Non invocabilité par l’Etat de l’absence de mesures d’exécution.

4. DANS TOUS LES CAS OU DES DISPOSITIONS D’UNE DIRECTIVE APPARAISSENT COMME ETANT, DU POINT DE VUE DE LEUR CONTENU, INCONDITIONNELLES ET SUFFISAMMENT PRECISES, LES PARTICULIERS SONT FONDES A LES INVOQUER A L’ENCONTRE DE L’ETAT, SOIT LORSQUE CELUI-CI S’ABSTIENT DE TRANSPOSER DANS LES DELAIS LA DIRECTIVE EN DROIT NATIONAL, SOIT LORSQU’IL EN FAIT UNE TRANSPOSITION INCORRECTE.

IL SERAIT, EN EFFET, INCOMPATIBLE AVEC LE CARACTERE CONTRAIGNANT QUE L’ARTICLE 189 CEE (article 288 TFUE) RECONNAIT A LA DIRECTIVE D’EXCLURE EN PRINCIPE QUE L’OBLIGATION QU’ELLE IMPOSE PUISSE ETRE INVOQUEE PAR DES PERSONNES CONCERNEES. EN CONSEQUENCE, L’ETAT MEMBRE QUI N’A PAS PRIS, DANS LES DELAIS, LES MESURES D’EXECUTION IMPOSEES PAR LA DIRECTIVE NE PEUT OPPOSER AUX PARTICULIERS LE NON-ACCOMPLISSEMENT, PAR LUI-MEME, DES OBLIGATIONS QU’ELLE COMPORTE. A CET EGARD, IL EST SANS IMPORTANCE EN QUELLE QUALITE L’ETAT AGIT, EMPLOYEUR OU AUTORITE PUBLIQUE. DANS L’UN ET L’AUTRE CAS, IL CONVIENT, EN EFFET, D’EVITER QUE L’ETAT NE PUISSE TIRER AVANTAGE DE SA MECONNAISSANCE DU DROIT COMMUNAUTAIRE.

5. SELON L’ARTICLE 189 CEE (article 288 TFUE), LE CARACTERE CONTRAIGNANT D’UNE DIRECTIVE SUR LEQUEL EST FONDEE LA POSSIBILITE D’INVOQUER CELLE-CI DEVANT UNE JURIDICTION NATIONALE N’EXISTE QU’A L’EGARD DE ‘TOUT ETAT MEMBRE DESTINATAIRE’. IL S’ENSUIT QU’UNE DIRECTIVE NE PEUT PAS PAR ELLE-MEME CREER D’OBLIGATIONS DANS LE CHEF D’UN PARTICULIER ET QU’UNE DISPOSITION D’UNE DIRECTIVE NE PEUT DONC PAS ETRE INVOQUEE EN TANT QUE TELLE A L’ENCONTRE D’UNE TELLE PERSONNE DEVANT UNE JURIDICTION NATIONALE.

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CJUE, Faccini Dori, 14 juillet 1992, aff. C-91/92

• Directive – Absence d’effet direct horizontal – A défaut de mesures de transposition dans les délais prescrits, un particulier ne peut pas se fonder sur une directive pour prétendre détenir un droit à l'égard d’un autre particulier et le faire valoir devant une juridiction nationale.

• Obligations pesant sur les EM et sur leurs autorités juridictionnelles d’exécuter la directive – Obligation d’interprétation conforme.

(…)

2. L'invocabilité des directives à l’encontre des entités étatiques est fondée sur le caractère contraignant que l'article 177 CEE (267 TFUE) reconnaît à la directive, caractère contraignant qui n'existe qu’à l’égard de tout État membre destinataire et vise à éviter qu’un État puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire. Il serait inacceptable, en effet, que l'État auquel le législateur communautaire prescrit d’adopter certaines règles destinées à régir ses rapports, ou ceux des entités étatiques, avec les particuliers et à conférer à ceux-ci le bénéfice de certains droits puisse invoquer l’inexécution de ses obligations en vue de priver les particuliers de ces droits.

Étendre ce principe au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à la Communauté le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements.

Il s'ensuit que, à défaut de mesures de transposition dans les délais prescrits, un particulier ne peut pas se fonder sur une directive pour prétendre détenir un droit à l'égard d’un autre particulier et le faire valoir devant une juridiction nationale.

26 Il y a lieu, en outre, de rappeler que, selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann (14/83, Rec p. 1891, point 26), l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité (art. 4, § 3 TUE nouvau), de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation, s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Ainsi qu’il ressort des arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec p. I-4135, point 8), et du 16 décembre 1993, Wagner Miret (C-334/92, Rec p. I-6911, point 20), en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article [234, troisième alinéa, CE] (267 TFUE).

c. D’un règlement :

CJUE, Antonio Munoz, 17 septembre 2002, aff. C-253/00

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• Effet direct horizontal – Agriculture – Règlement (CE) n° 2200/96 – Normes de qualité applicables à des variétés de raisins de table.

• Obligations juridiques des opérateurs commercialisant des raisins de table à l'intérieur de la Communauté – Possibilité pour un opérateur de demander le respect de ces obligations dans le cadre d'une action civile – Effet utile.

17. Muñoz et la société mère de cette dernière, Fruiticola, produisent des raisins en Espagne. Elles cultivent en particulier la variété Superior seedless, qu'elles commercialisent notamment au Royaume-Uni. 22. Par ordonnance du 26 mars 1999, la High Court of Justice a rejeté l'action introduite par Muñoz et Fruiticola. Elle a constaté que Frumar et Redbridge avaient enfreint la réglementation communautaire en matière de normes de qualité. Toutefois, elle a jugé que cette réglementation ne confère pas à des producteurs comme Muñoz et Fruiticola le droit d'intenter une action civile fondée sur le non-respect des règlements nos 1035/72 et 2200/96. 23. Estimant que la High Court of Justice avait, sur ce second point, commis une erreur de droit, Muñoz et Fruiticola ont fait appel devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division). C'est dans ces circonstances que cette dernière a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le règlement (CE) n° 2200/96 engendre-t-il […] pour les personnes qui font le commerce d'un fruit ou d'un légume à l'intérieur de la Communauté une obligation juridique de satisfaire aux conditions requises concernant le nom de variété prévu par une norme de qualité applicable à ce fruit ou à ce légume, qu'une juridiction nationale devrait faire respecter dans le cadre d'un procès civil intenté par une personne qui est un important producteur communautaire du fruit ou du légume concerné?»

30. Dès lors, il y a lieu de considérer que la pleine efficacité de la réglementation en matière de normes de qualité et, en particulier, l'effet utile de l'obligation édictée à l'article 3, paragraphe 1, tant du règlement n° 1035/72 que du règlement n° 2200/96 impliquent que le respect de cette obligation puisse être assuré dans le cadre d'un procès civil intenté par un opérateur à l'encontre d'un opérateur concurrent.

5. Conditions pour ester en justice

AVERTISSEMENT. Nous attirons l’attention des étudiants sur le fait que l’ancien 173, al. 4

CEE, devenu par la suite l’ancien article 230, al. 4 TFUE a été modifié par le Traité de

Lisbonne. Le nouvel article 263, al. 4 TFUE a notamment pour objet de faciliter l’accès de la

justice de certaines catégories de requérants. La jurisprudence reprise ci-dessus présente

néanmoins un intérêt certain pour comprendre la portée de la nouvelle disposition du traité.

Cette jurisprudence sera explicitée au cours.

CJUE, Plaumann & Co. c Commission de la Communauté économique européenne, 15

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juillet 1963, aff. 25-62. • Recours en annulation contre un acte CE par des particuliers : article 263, al. 4

TFUE.

• Intérêt à agir devant la CJUE – Conditions : être concerné de façon directe et individuelle par l’acte en question.

• Condition d’individualité à remplir pour les non destinataires : qualités particulières ou situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire.

(…) Sur la recevabilité Attendu qu’aux termes de l’article 173, al. 4 CEE (article 263, al. 4 TFUE), « toute personne physique ou morale peut former... un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence... d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement » ; que la défenderesse soutient que les mots « autre personne » figurant dans cet alinéa, ne se réfèrent pas aux États membres, considérés en leur qualité de puissance publique et que, dès lors, les particuliers ne sont pas admis à former un recours en annulation contre les décisions de la Commission ou du Conseil adressées à de tels destinataires ; que cependant l’article 173, alinéa 4, du traité (article 263, al. 2 TFUE) admet le recours des particuliers contre les décisions adressées à une « autre personne » et qui les concerneraient de façon directe et individuelle, mais que cet article ne précise ni ne limite la portée de ces termes ; que la lettre et le sens grammatical de la disposition précitée justifient l’interprétation la plus large ; que, d’ailleurs, les dispositions du traité concernant le droit d’agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement ; que, partant, dans le silence du traité, une limitation à cet égard ne saurait être présumée ; que, dès lors, la thèse de la défenderesse ne peut être considérée comme fondée ; attendu que la défenderesse soutient en outre que la décision attaquée est, par sa nature même, un règlement, pris sous la forme d’une décision individuelle et que, de ce fait, elle est soustraite au recours des particuliers au même titre que les actes normatifs de portée générale; que, cependant, il résulte des articles 189 et 191 du traité C.E.E. (article 288, al. 4 TFUE) que la décision est caractérisée par le nombre limité des destinataires auxquels elle s’adresse ; que, pour déterminer s’il s’agit ou non d’une décision, il convient donc de rechercher si l’acte en question concerne des sujets déterminés ;

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que la décision litigieuse a été adressée au gouvernement de la république fédérale d’Allemagne, et lui refuse l’autorisation de suspendre partiellement les droits de douane appliqués à certains produits importés des pays tiers ; que, dès lors, l’acte attaqué doit être considéré comme une décision visant un sujet déterminé et n’ayant d’effets obligatoires qu’à l’égard de celui-ci ; attendu qu’aux termes de l’article 177, al. 4 CEE (article 263, al. 4 TFUE), «, les particuliers peuvent former un recours en annulation contre les décisions qui, tout en étant adressées à une autre personne, les concernent directement et individuellement », mais qu’en l’espèce la défenderesse conteste que la décision litigieuse concerne le requérant d’une façon directe et individuelle ; qu’il convient tout d’abord d’examiner si la deuxième condition de recevabilité est remplie, puisqu’il devient superflu, si le requérant n’est pas concerné individuellement par ladite décision, de rechercher si celle-ci le frappe d’une façon directe ; que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire ; qu’en l’espèce le requérant est atteint par la décision litigieuse en tant qu’importateur de clémentines, c’est-à-dire en raison d’une activité commerciale qui, à n’importe quel moment, peut être exercée par n’importe quel sujet, et qui n’est donc pas de nature à le caractériser par rapport à la décision attaquée d’une façon analogue à celle du destinataire ; que, pour ces raisons, il y a lieu de conclure que le présent recours en annulation doit être déclaré non recevable.

CJUE, Unión de Pequeños Agricultores, 25 juillet 2002, affaire C-50/00

• Pourvoi contre une ordonnance du TPI – Recours en annulation contre le Règlement (CE) n° 1638/98 – Organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses.

• Non recevabilité du recours en annulation : art. 263 TFUE – Personne individuellement concernée.

• Protection juridictionnelle effective : absence de toute voie de recours devant les juridictions nationales – Renvoi aux EM de la mission de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d'assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective – Irrecevabilité.

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 février 2000, Unión de Pequeños Agricultores a, en vertu de l'article 49 du statut de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du 23 novembre 1999, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (T-173/98, Rec p. II-3357, ci-après l'«ordonnance

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attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle du règlement (CE) n° 1638/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 136/66/CEE portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO L 210, p. 32, ci-après «le règlement attaqué»). (..) La procédure devant le Tribunal et l'ordonnance attaquée

4. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 1998, l'Unión de Pequeños Agricultores, qui est une association professionnelle regroupant et assurant la défense des intérêts de petites entreprises agricoles espagnoles et qui dispose de la personnalité juridique en vertu du droit espagnol, a introduit, en vertu de l'article [230, quatrième alinéa, CE] (article 263, al. 4 TFUE), un recours tendant à l'annulation du règlement attaqué, à l'exception du régime des aides à l'olive de table. 5. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 23 décembre 1998, le Conseil a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité. 6. Par l'ordonnance attaquée, le Tribunal a accueilli ladite exception d'irrecevabilité, en sorte qu'il a rejeté le recours comme manifestement irrecevable. Le pourvoi

14. Par son pourvoi, la requérante demande à ce qu'il plaise à la Cour: - annuler l'ordonnance attaquée; - déclarer recevable son recours au fond et renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue sur celui-ci. À titre liminaire, il convient de relever que la requérante n'a pas contesté la constatation du Tribunal, au point 44 de l'ordonnance attaquée, selon laquelle le règlement attaqué revêt une portée générale. Elle n'a pas non plus contesté la constatation, au point 56 de ladite ordonnance, que les intérêts propres de la requérante n'étaient pas affectés par le règlement attaqué, ni celle, au point 50 de cette dernière, selon laquelle ses membres ne sont pas atteints par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne. Sur le bien-fondé du pourvoi 33. (…) il convient d'examiner si la requérante, en tant que représentante des intérêts de ses membres, peut néanmoins être recevable à introduire, dans le respect de l'article 230, quatrième alinéa, du traité (article 263, al. 4 TFUE), un recours en annulation du règlement attaqué, au seul motif que le droit à une protection juridictionnelledroit à une protection juridictionnelle effective l'exigerait, compte tenu de l'absence alléguée de toute voie de recours devant la juridiction nationale. 34. Il y a lieu de rappeler que, selon l'article 230 (article 263 TFUE), deuxième et troisième alinéas, du traité, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre,

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le Conseil ou la Commission, ou encore, lorsqu'ils tendent à la sauvegarde de leurs prérogatives, par le Parlement européen, par la Cour des comptes et par la Banque centrale européenne. Aux termes du quatrième alinéa de ladite disposition, «[t]oute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.» 35. Ainsi, dans le cadre de l'article 230 du traité (article 263 TFUE), un règlement, en tant qu'acte de portée générale, ne peut être attaqué par des sujets de droit autres que les institutions, la Banque centrale européenne et les États membres (…). 36. Cependant, un acte de portée générale tel qu'un règlement peut, dans certaines circonstances, concerner individuellement certaines personnes physiques ou morales, revêtant dès lors un caractère décisionnel à leur égard (…). Tel est le cas si l'acte en cause atteint une personne physique ou morale en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait l'individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire (…). 37. À défaut de remplir cette condition, aucune personne physique ou morale n'est, en tout état de cause, recevable à introduire un recours en annulation contre un règlement (…). 38. Cependant, il convient de rappeler que la Communauté européenne est une communauté de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité et les principes généraux du droit dont font partie les droits fondamentaux. 39. Dès lors, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d'une protection juridictionnelle effective des droits qu'ils tirent de l'ordre juridique communautaire, le droit à une telle protection faisant partie des principes généraux de droitprincipes généraux de droit qui découlent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce droit a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (…). 40. Or, le traité, par ses articles 230 et 241 CE (articles 263 et 277 TFUE), d'une part, et par son article 234 CE (267 TFUE), d'autre part, a établi un système complet de système complet de voies de recoursvoies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, en le confiant au juge communautaire (…). Dans ce système, des personnes physiques ou morales ne pouvant pas, en raison des conditions de recevabilité visées à l'article 230, quatrième alinéa, du traité (articles 263 TFUE), attaquer directement des actes communautaires de portée générale, ont la possibilité, selon les cas, de faire valoir l'invalidité de tels actes soit, de manière incidente en vertu de l'article 234 du traité (267 TFUE), devant le juge communautaire, soit devant les juridictions nationales et d'amener celles-ci, qui ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l'invalidité desdits actes (…), à interroger à cet égard la Cour par la voie de questions préjudicielles. 41. Ainsi, il incombe aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d'assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle

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effective. 42. Dans ce cadre, conformément au principe de coopération loyale énoncé à l'article 5 du traité (article 4, § 3 TUE nouveau), les juridictions nationales sont tenues, dans toute la mesure du possible, d'interpréter et d'appliquer les règles internes de procédure gouvernant l'exercice des recours d'une manière qui permet aux personnes physiques et morales de contester en justice la légalité de toute décision ou de toute autre mesure nationale relative à l'application à leur égard d'un acte communautaire de portée générale, en excipant de l'invalidité de ce dernier. 43. À cet égard, il y a lieu de constater (…) que n'est pas admissible une interprétation du régime des voies de recours telle que celle défendue par la requérante et selon laquelle un recours direct en annulation devant le juge communautaire serait ouvert dans la mesure où il pourrait être démontré, après un examen concret par ce dernier des règles procédurales nationales, que celles-ci n'autorisent pas le particulier à introduire un recours lui permettant de mettre en cause la validité de l'acte communautaire contesté. En effet, un tel régime exigerait dans chaque cas concret que le juge communautaire examine et interprète le droit procédural national, ce qui excéderait sa compétence dans le cadre du contrôle de la légalité des actes communautaires. 44. Enfin, il convient d'ajouter que, selon le système de contrôle de la légalité mis en place par le traité, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre un règlement que si elle est concernée non seulement directement mais également individuellement. S'il est vrai que cette dernière condition doit être interprétée à la lumière du principe d'une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser un requérant (…), une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause, qui est expressément prévue par le traité, sans excéder les compétences attribuées par celui-ci aux juridictions communautaires. 45. Si un système de contrôle de la légalité des actes communautaires de portée générale autre que celui mis en place par le traité originaire et jamais modifié dans ses principes est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l'article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur. 46. Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que le Tribunal n'a pas commis une erreur de droit en déclarant le recours introduit par la requérante irrecevable sans examiner si, en l'occurrence, il existait une voie de recours devant une juridiction nationale permettant l'examen de la validité du règlement attaqué. 47. Dès lors, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

TPIUE, Cathal Boyle, 13 juin 2006, aff. jtes T-218/03 à T-240/03 • Intérêt à agir – Pêche – Programmes d’orientation pluriannuels – Demandes

d’accroissement des objectifs en vue d’améliorer la sécurité – Refus de la Commission

• Recours en annulation (art. 263, al. 4 TFUE) – Recevabilité – Requérants individuellement et directement concernés – Faisceau de décisions individuelles –

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Aucun pouvoir d’appréciation des autorités exécutantes.

6 Les requérants sont propriétaires de navires faisant partie de la flotte de pêche irlandaise. 8 Pendant cette période, et particulièrement en novembre et décembre 2001, chacun des requérants a sollicité du Département l’obtention d’une augmentation de capacité en raison d’améliorations apportées en matière de sécurité, en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 et du point 3.3 de l’annexe de la décision 98/125. 12 Le 4 avril 2003, la Commission a adopté la décision 2003/245/CE relative aux demandes reçues par la Commission d’accroître les objectifs du POP IV en vue d’améliorer la sécurité, la navigation en mer, l’hygiène, la qualité des produits et les conditions de travail pour les navires d’une longueur hors tout supérieure à douze mètres (ci-après la « décision attaquée »). 14 Les navires des requérants figurent tous sur la liste des « demandes rejetées » contenue dans l’annexe II de la décision attaquée. 44 Pour ce qui est de la question de savoir si les requérants sont individuellement individuellement concernésconcernés par la décision attaquée, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec p. 197, 223, …).

45 Il convient de rappeler, à cet égard, que, dans la décision attaquée, la Commission s’est prononcée sur des demandes des États membres tendant à obtenir une augmentation globale de leurs objectifs au titre du POP IV. Toutefois, la demande d’augmentation relative à la flotte nationale irlandaise, introduite auprès de la Commission, se composait de l’ensemble des demandes individuelles des propriétaires de navire, dont celles des requérants.

46 Il y a également lieu de constater que la Commission était obligée de considérer ces demandes individuelles « cas par cas » en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 (voir, également, considérant 2 de la décision attaquée). (…).

47 En outre, la Commission énumère à l’annexe I (« demandes acceptées ») et à l’annexe II (« demandes rejetées ») de la décision attaquée les navires concernés. Ainsi, les noms des navires des requérants figurent tous à l’annexe II.

48 Bien que la décision attaquée ait été adressée aux États membres concernés, force est de constater qu’elle concerne une série de navires désignés. La décision attaquée doit dès lors être considérée comme un faisceau de décisions individuellesfaisceau de décisions individuelles, chacune affectant la situation juridique des propriétaires desdits navires, y compris celle des requérants (…).

49 Le Tribunal considère que le nombre et l’identité des propriétaires de navires en cause

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étaient déterminés et vérifiables dès avant la date de la décision attaquée et que la Commission était en mesure de savoir que sa décision affectait exclusivement les intérêts et la position desdits propriétaires. La décision attaquée concerne un cercle fermé de personnes déterminées au moment de son adoption et dont la Commission entendait régler les droits. Il s’ensuit que la situation de fait, ainsi créée, caractérise les requérants par rapport à toute autre personne et les individualise d’une manière analogue à celle dont le serait un destinataire (…).

50 Pour ce qui est de la question de savoir si les requérants sont directement directement concernésconcernés par la décision attaquée, il convient de rappeler les deux critères cumulatifs de l’affectation directe au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (article 263 TFUE), dégagés par une jurisprudence constante.

51 Premièrement, l’acte en cause doit produire directement des effets sur la situation juridique du particulier. Deuxièmement, ledit acte ne doit laisser aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire sans application d’autres règles intermédiaires (…).

52 En l’espèce, il est constant que la Commission était la seule autorité habilitée à prendre une décision en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413. Aucune autre entité administrative, y compris les autorités irlandaises, ne pouvait, sur le fondement de cette disposition, attribuer des augmentations de capacité en raison d’améliorations en matière de sécurité.

53 Dans la décision attaquée, la Commission, en tant que seule autorité compétente en la matière, se prononce de manière définitive sur l’éligibilité à une augmentation de capacité de certains navires particuliers, par rapport aux conditions d’application de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413. En constatant ainsi la non-éligibilité des navires appartenant aux requérants, la décision attaquée a pour effet direct et définitif d’écarter ceux-ci de la possibilité de bénéficier d’une mesure de droit communautaire. Il s’ensuit qu’une telle décision concerne directement les requérants.

(…)

60 Il s’ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par la Commission doit être rejetée.

Cour constitutionnelle, arrêt n° 17/2009 du 12 février 2009 Recevabilité des recours en annulation à l’encontre des dispositions légales transposant des directives CE – Validité d’une directive – Possibilité de poser une question préjudicielle à la CJUE. B.6.1. Le Conseil des ministres objecte également que plusieurs moyens seraient irrecevables au motif que les dispositions qui y sont attaquées transposent des directives

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européennes. En vertu de l’article 249, troisième alinéa, et de l’article 10 du Traité CE (articles 288, al. 3 TFUE et 4, § 3 TUE nouveau), l’Etat belge est en effet tenu de transposer les directives européennes en droit national. Il ne pourrait se soustraire à cette obligation en invoquant ses propres dispositions constitutionnelles. B.6.2. En vertu de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour statue sur les recours en annulation, en tout ou en partie, d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution, pour autant que soit invoquée la violation d’une disposition au regard de laquelle la Cour peut exercer un contrôle. Cette disposition n’établit aucune distinction selon le motif de l’adoption de la norme attaquée. La circonstance que l’intervention du législateur soit dictée par la volonté de transposer une directive européenne dans l’ordre juridique belge n’affecte pas la compétence de la Cour. B.6.3. Si la Cour estime nécessaire, pour pouvoir rendre son arrêt, qu’une décision soit rendue sur la validité d’une directive, elle pose sur ce point une question préjudicielle à la Cour de justice, conformément à l’article 234 du Traité CE (267, al. 3 TFUE). B.6.4. L’exception est rejetée.

6.Recours en manquement, en double manquement et en responsabilité

6.1.Arrêt en manquement

CJUE, Commission c Portugal, 8 juillet 2010, C‑171/08

• Arrêt en manquement • Violation de la libre circulation des capitaux, article 56 CE (63 TFUE) – Actions

privilégiées (« golden shares ») détenues par le Portugal dans Portugal Telecom

1. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que la République portugaise, en maintenant dans Portugal Telecom SGPS SA (ci-après «PT») des droits spéciaux de l’État et d’autres entités publiques, attribués en liaison avec des actions privilégiées («golden shares») de l’État dans PT, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de […] [ l’] article[…] 56 CE (63 TFUE) […] 60. Ainsi, la détention par l’État portugais de ces actions privilégiées, dans la mesure où elle confère à cet État une influence sur la gestion de PT qui n’est pas justifiée par l’ampleur de la participation qu’il détient dans cette société, est susceptible de décourager les opérateurs d’autres États membres d’effectuer des investissements directs dans PT dans la mesure où ils ne pourraient pas concourir à la gestion et au contrôle de cette société à proportion de la valeur de leurs participations (voir, notamment, arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, Rec. p. I- 8995, points 50 à 52). 61. De même, la disposition des actions spécifiques en cause peut avoir un effet dissuasif sur les investissements de portefeuille dans PT dans la mesure où un éventuel refus de l’État portugais d’approuver une décision importante, présentée par les organes de la société concernée comme répondant à l’intérêt de celle-ci, est, en effet, susceptible de peser sur la

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valeur des actions de ladite société et, partant, sur l’attrait d’un investissement dans de telles actions (voir, en ce sens, arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 27). 62. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la détention par l’État portugais des actions privilégiées en cause constitue une restriction à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE. 78. Il convient par conséquent de constater que, en maintenant dans PT des droits spéciaux tels que ceux prévus dans les statuts de ladite société en faveur de l’État et d’autres entités publiques, attribués en liaison avec des actions privilégiées («golden shares») de l’État dans PT, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE. 6.2. Arrêt en double manquement CJUE, Commission c Allemagne, 28 juillet 2007, C-503/04

• Arrêt en double manquement – article 228 CE (260 TFUE) • Inexécution des obligations découlant d’un arrêt de la Cour constatant un

manquement – article 226 CE (258 TFUE) • Exécutions des obligations au moment du jugement en double manquement –

conséquence sur les astreintes et l’indemnité forfaitaire

1. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris les mesures découlant de l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne (C‑20/01 et C‑28/01, Rec. p. I‑3609), concernant la conclusion d’un contrat pour l’évacuation des eaux usées de la commune de Bockhorn (Allemagne) et d’un contrat pour l’élimination des déchets de la ville de Brunswick (Allemagne), la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 228, paragraphe 1, CE (260(1) TFUE) ainsi que de condamner cet État membre à verser à la Commission, sur le compte des ressources propres de la Communauté européenne, une astreinte […] de 126 720 euros par jour de retard dans l’exécution des mesures qui sont nécessaires pour se conformer audit arrêt en ce qui concerne le contrat relatif à la ville de Brunswick, et ce à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir jusqu’à la mise en œuvre desdites mesures. 40. Si, pour ce qui concerne le contrat conclu par la ville de Brunswick, il s’impose donc de constater que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas pris, à la date du 1er juin 2004, les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, il n’en est cependant plus de même à la date de l’examen des faits par la Cour. Il s’ensuit que l’imposition d’une astreinte, que la Commission ne demande d’ailleurs plus, ne se justifie pas. 41 De même, les circonstances de la présente affaire sont telles qu’il n’apparaît pas nécessaire d’infliger le paiement d’une somme forfaitaire. 42 Il convient dès lors de constater que, en n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans l’avis motivé émis par la Commission en vertu de l’article 228 CE, les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, concernant la conclusion d’un contrat pour l’élimination des déchets de la ville de Brunswick, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu dudit article.

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6.3. Arrêt en responsabilité extracontractuelle des institutions CJUE, Holcim c Commission, 19 avril 2007, C-288/05 P

• Pourvoi contre un jugement du TPIUE • Responsabilité extracontractuelle de la Communauté – Violation suffisamment

caractérisée – Méconnaissance manifeste et grave par une institution de son pouvoir d’appréciation – Marge d’appréciation

• Demande de frais de garantie bancaire engagés suite à une décision de la Commission européenne sur base de l’ancien article 85 CE (101 TFUE) (droit de la concurrence)

1. Par son pourvoi, Holcim AG demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 avril 2005, Holcim AG c Commission, par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à la réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait des frais liés à la constitution d’une garantie bancaire aux fins de différer le paiement d’une amende infligée par la décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (101 TFUE) (Affaire IV/33.126 et 33.322 – Ciment), ladite décision ayant été par la suite annulée par un arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit «Ciment». 47. L’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, parmi lesquelles figure, lorsque est en cause l’illégalité d’un acte juridique, l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. S’agissant de cette condition, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, points 43 et 44). 50. Le régime dégagé par la Cour en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause (voir arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, point 40, ainsi que Commission/Fresh Marine, point 24). 57. Il ressort de ce qui précède que la requérante n’a pas été en mesure de démontrer que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant qu’il n’y avait pas, en l’espèce, de violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, violation qui aurait été seule de nature à permettre que soit engagée la responsabilité extracontractuelle de la Communauté. […]

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II. Droits fondamentaux

1. Conflits entre les libertés économiques et les droits fondamentaux

CJUE, Vereinigte Familiapress Zeitungsverlags, 26 juin 1997, aff. C-368/95.

• Question préjudicielle posée par une juridiction autrichienne portant sur une interdiction de vente de périodiques contenant des jeux-concours dotés de prix – Interdiction considérée comme une mesures d'effet équivalent à une restriction aux échanges (Art. 34 TFUE).

• Possibilité pour l’EM de maintenir cette interdiction (Art. 36 TFUE) – Justification par l’EM de l’interdiction : le maintien de la pluralité de la presse (droit fondamental : art. 10 CEDH).

• Conflit entre une liberté fondamentale (libre circulation des marchandises : art. 34 TFUE) et un droit fondamental (pluralité de la presse : art. 10 CEDH).

• Conciliation entre la liberté et le droit – Conditions – Appréciation incombant au juge national.

1 Par décision du 15 septembre 1995, parvenue à la Cour le 29 novembre suivant, le Handelsgericht Wien a posé, en vertu de l'article 177 CEE (267 TFUE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article [28 CE] (article 34 TFUE).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une action intentée par Vereinigte Familiapress Zeitungsverlags- und vertriebs GmbH, éditeur de presse autrichien, à l'encontre de Heinrich Bauer Verlag, éditeur de journaux établi en Allemagne, afin qu'il soit ordonné à ce dernier de cesser la vente sur le territoire autrichien de publications qui offrent aux lecteurs la possibilité de participer à des jeux dotés de prix, en violation du Gesetz ueber unlauteren Wettbewerb de 1992 (loi autrichienne sur la concurrence déloyale, ci-après l'«UWG»).

3 Heinrich Bauer Verlag édite en Allemagne l'hebdomadaire «Laura» qu'il distribue également en Autriche. Le numéro du 22 février 1995 comportait un mot croisé. Les lecteurs qui renvoyaient la bonne solution pouvaient participer à une loterie dotée de deux prix de 500 DM. Le même numéro contenait deux autres énigmes, dotées l'une d'un lot de 1 000 DM et l'autre d'un lot de 5 000 DM, qui seraient également attribués au sort parmi les personnes ayant fourni les réponses attendues. Les numéros suivants proposaient des jeux comparables. Chaque édition indiquait que de nouvelles énigmes figureraient dans le numéro suivant.

4 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que cette pratique contrevient au droit autrichien. (…).

5 Le droit allemand de la concurrence déloyale ne contenant pas de disposition analogue, le Handelsgericht Wien a estimé que l'interdiction de vente des périodiques découlant de l'UWG était de nature à affecter le commerce intracommunautaire. Aussi a-t-il sursis à statuer pour poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

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«L'article 177 CEE (267 TFUE) doit-il être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à l'application de la législation d'un État membre A qui interdit à une entreprise établie dans l'État membre B de distribuer également dans l'État membre A le périodique qu'elle produit chez elle s'il comporte des énigmes dotées d'un prix ou des concours qui sont licitement organisés dans l'État membre B?»

(….)

24 Par ailleurs, il convient de souligner que, lorsqu'un État membre invoque des exigences impératives pour justifier une législation qui est de nature à entraver l'exercice de la libre circulation des marchandises, cette justification doit être également interprétée à la lumière des principes généraux du droit et notamment des droits droits fondamentauxfondamentaux (…).

25 Parmi ceux-ci figure la liberté d'expressionliberté d'expression, consacrée par l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (arrêt ERT, précité, point 44).

26 Or, l'interdiction de vendre des publications qui offrent la possibilité de participer à des jeux dotés de prix est de nature à porter atteinte à la liberté d'expression. Il convient cependant de rappeler que l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales admet que des dérogations soient apportées à cette liberté en vue d'assurer le maintien du pluralisme de la pressemaintien du pluralisme de la presse , pour autant qu'elles soient prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique (voir arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 24 novembre 1993, Informationsverein Lentia e.a. c Autriche, A n_ 276).

27 Au vu des considérations énoncées aux points 19 à 26, il convient dès lors de vérifier si une interdiction nationale telle que celle en cause dans le litige au principal est proportionnée au maintien du pluralisme de la presse et si cet objectif ne peut pas être atteint par des mesures moins restrictives tant pour les échanges intracommunautaires que pour la liberté d'expression.

28 A cette fin, il importe de déterminer, d'une part, si les journaux qui offrent, au travers de jeux, d'énigmes ou de concours, la possibilité de gagner un prix sont en concurrence avec les petites entreprises de presse, supposées être dans l'incapacité d'offrir des primes comparables et que la législation litigieuse a pour objet de protéger, et, d'autre part, si une telle perspective de gain constitue une incitation à l'achat susceptible de provoquer un déplacement de la demande.

29 C'est à la juridiction nationale qu'il incombe d'apprécier si ces conditions sont remplies sur la base d'un examen du marché autrichien de la presse.

CJUE, Schmidberger, 12 juin 2003, aff. C-112/00

• Manifestation d’écologistes sur l’autoroute du Brenner (Autriche) pendant 30 heures – Entrave à la libre circulation des marchandises – Question préjudicielle d’une juridiction autrichienne concernant la décision des autorités autrichiennes de ne pas interdire cette manifestation au nom du respect de la liberté

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d’expression et de manifestation de ces personnes (art. 10 et 11 CEDH).

• Conflit entre une liberté fondamentale (libre circulation des marchandises : article 34 TFUE) et des droits fondamentaux (liberté d'expression et liberté de réunion : art. 10-11 CEDH) – Conciliation.

• Justification de l’autorisation de la manifestation – Mise en balance des intérêts en cause – Recherche du juste équilibre : test de proportionnalité – Absence de caractère disproportionné.

1. Par ordonnance du 1er février 2000, parvenue à la Cour le 24 mars suivant, l'Oberlandesgericht Innsbruck a posé, en vertu de l'article 234 CE (267 TFUE), six questions préjudicielles sur l'interprétation des [articles 28 CE, 29 CE et 30 CE] (articles 34, 35 et 36 TFUE), lus en combinaison avec l’[article 10 CE] (article 4, § 3 TUE nouveau) ainsi que sur les conditions de responsabilité d'un État membre du fait des dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge (ci-après «Schmidberger») à la Republik Österreich (ci-après la «république d'Autriche») au sujet de l'autorisation implicitement accordée par les autorités compétentes de cette dernière à une association à finalité essentiellement environnementale d'organiser un rassemblement sur l'autoroute du Brenner qui a eu pour effet de bloquer complètement la circulation sur celle-ci pendant près de 30 heures. (…) À cet égard, il importe de rappeler d'emblée que la libre circulation des marchandises constitue l'un des principes fondamentaux de la Communauté. (…) 54. Ce principe fondamental est mis en œuvre notamment par les articles 28 et 29 du traité (articles 34 et 35 TFUE). 55. En particulier, l'article 28 (article 34 TFUE) prévoit que les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. (…) 70. Dans son ordonnance de renvoi, la juridiction nationale évoque également la question de savoir si le principe de la libre circulation des marchandises garanti par le traité prévaut sur lesdits droits fondamentaux. 71. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généradroits fondamentaux font partie intégrante des principes généra ux du ux du droitdroit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt dans ce contexte une signification particulière (…). 72. Les principes dégagés par cette jurisprudence ont été réaffirmés par le préambule de

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l'Acte unique européen, puis par l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (arrêt Bosman, précité, point 79). Aux termes de cette disposition, «[l'] Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire». (Note personnelle : voy. art. 3, § 5 et art. 6, § 2 TUE nouveau). 73. Il en découle que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l'homme ainsi reconnus (…). 74. Le respect des droits fondamentaux s'imposant ainsi tant à la Communauté qu'à ses États membres, la protection desdits droits constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire, même en vertu d'une liberté fondamentale garantie par le traité telle que la libre circulation des marchandises. 75. Aussi est-il de jurisprudence constante que, saisie à titre préjudiciel, la Cour doit, lorsque, comme dans l'affaire au principal, une situation nationale relève du champ d'application du droit communautaire, fournir aux juridictions nationales tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation de la conformité de cette situation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, tels qu'ils résultent en particulier de la CEDH (…). 76. En l'occurrence, les autorités nationales se sont fondées sur la nécessité de respecter des droits fondamentaux garantis tant par la CEDH que par la Constitution de l'État membre concerné pour permettre qu'une limitation soit apportée à l'une des libertés fondamentales consacrées par le traité. 77. La présente affaire soulève ainsi la question de la conciliationconciliation nécessaire des exigences de la protection des droits fondamentaux dans la Communauté avec celles découlant d'une liberté fondamentale consacrée par le traité et, plus particulièrement, la question de la portée respective des libertés d'expression et de réunion, garanties par les articles 10 et 11 de la CEDH, et de la libre circulation des marchandises, lorsque les premières sont invoquées en tant que justification d'une restriction à la seconde. 78. À cet égard, il y a lieu d'observer que, d'une part, la libre circulation des marchandises constitue certes l'un des principes fondamentaux dans le système du traité, mais elle peut, sous certaines conditions, faire l'objet de restrictions pour les raisons énumérées à l'article 30 du même traité (article 36 TFUE) ou au titre des exigences impératives d'intérêt général reconnues conformément à une jurisprudence constante de la Cour depuis l'arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec p. 649). 79. D'autre part, si les droits fondamentaux en cause dans l'affaire au principal sont expressément reconnus par la CEDH et constituent des fondements essentiels d'une société démocratique, il résulte toutefois du libellé même du paragraphe 2 des articles 10 et 11 de cette convention que les libertés d'expression et de réunion sont également susceptibles de faire l'objet de certaines limitations justifiées par des objectifs d'intérêt général, pour autant que ces dérogations sont prévues par la loi, inspirées par un ou plusieurs buts légitimes au regard desdites dispositions et nécessaires dans une société

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démocratique, c'est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (…). 80. Ainsi, les droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique garantis par la CEDH n'apparaissent pas non plus - contrairement à d'autres droits fondamentaux consacrés par la même convention, tels que le droit de toute personne à la vie ou l'interdiction de la torture ainsi que des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui ne tolèrent aucune restriction - comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Des restrictions peuvent ainsi être apportées à l'exercice de ces droits, pour autant que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général et ne constituent pas, compte tenu du but poursuivi par de telles restrictions, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits protégés (…). 81. Dans ces conditions, il convient de mettre en balance les intérêts en présence et de déterminer, eu égard à l'ensemble des circonstances de chaque cas d'espèce, si un juste équilibre a été respecté entre ces intérêts. 82. À cet égard, les autorités compétentes disposent d'un large pouvoir d'appréciation. Il y a néanmoins lieu de vérifier si les restrictions apportées aux échanges intracommunautaires sont proportionnées au regard du but légitime poursuivi, à savoir en l'espèce la protection des droits fondamentaux. (…) 84. (…) il convient de relever, en premier lieu, que le rassemblement en cause au principal a eu lieu à la suite d'une demande d'autorisation présentée sur le fondement du droit national et après que les autorités compétentes eurent décidé de ne pas l'interdire. 85. En deuxième lieu, en raison de la présence des manifestants sur l'autoroute du Brenner, la circulation routière a été empêchée sur un seul itinéraire, à une occasion unique et pendant une durée de près de 30 heures. En outre, l'obstacle à la libre circulation des marchandises résultant dudit rassemblement revêtait une portée limitée par rapport tant à l'ampleur géographique qu'à la gravité intrinsèque des troubles (..). 86. En troisième lieu, il n'est pas contesté que par ledit rassemblement des citoyens ont exercé leurs droits fondamentaux en manifestant publiquement une opinion qu'ils considèrent comme importante dans la vie de la collectivité; il est également constant que cette manifestation publique n'avait pas pour objet d'entraver les échanges de marchandises d'une nature ou d'une origine particulières. (…) 87. En quatrième lieu, il convient de rappeler que, en l'occurrence, différentes mesures d'encadrement et d'accompagnement avaient été prises par les autorités compétentes afin de limiter autant que possible les perturbations de la circulation routière. Ainsi, notamment, lesdites autorités, y compris les forces de police, les organisateurs de la manifestation et diverses associations d'automobilistes ont collaboré en vue de garantir le bon déroulement du rassemblement. (…) (…)

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89. Enfin, s'agissant des autres possibilités envisagées par Schmidberger au regard dudit rassemblement, il y a lieu, compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont disposent les États membres, de considérer que, dans des circonstances telles que celles du cas d'espèce, les autorités nationales compétentes ont pu estimer qu'une interdiction pure et simple de celui-ci aurait constitué une interférence inacceptable dans les droits fondamentaux des manifestants de se réunir et d'exprimer paisiblement leur opinion en public. 90. Quant à l'imposition de conditions plus strictes en ce qui concerne tant le lieu - par exemple sur le bord de l'autoroute du Brenner - que la durée - limitée à quelques heures seulement - du rassemblement en question, elle aurait pu être perçue comme constituant une restriction excessive de nature à priver l'action d'une partie substantielle de sa portée. Si les autorités nationales compétentes doivent chercher à limiter autant que possible les effets qu'une manifestation sur la voie publique ne manque pas d'avoir sur la liberté de circulation, il n'en demeure pas moins qu'il leur appartient de mettre cet intérêt en balance avec celui des manifestants qui visent à attirer l'attention de l'opinion publique sur les objectifs de leur action. 91. S'il est vrai qu'une action de ce type entraîne normalement certains inconvénients pour les personnes qui n'y participent pas, en particulier en ce qui concerne la liberté de circulation, ceux-ci peuvent en principe être admis dès lors que le but poursuivi est essentiellement la manifestation publique et dans les formes légales d'une opinion. 92. À cet égard, la république d'Autriche fait valoir, sans être contredite sur ce point, que, en tout état de cause, toutes les solutions de remplacement envisageables auraient comporté le risque de réactions difficiles à contrôler et susceptibles de causer des perturbations autrement plus graves des échanges intracommunautaires ainsi que de l'ordre public, pouvant se matérialiser par des démonstrations «sauvages», des confrontations entre partisans et adversaires du mouvement revendicatif concerné ou des actes de violence de la part de manifestants s'estimant lésés dans l'exercice de leurs droits fondamentaux. 93. En conséquence, les autorités nationales, compte tenu du large pouvoir d'appréciation qui doit leur être reconnu en la matière, ont raisonnablement pu considérer que l'objectif légitimement poursuivi par ledit rassemblement ne pouvait pas en l'occurrence être atteint par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires. 94. Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de répondre aux première et quatrième questions que le fait pour les autorités compétentes d'un État membre de ne pas avoir interdit un rassemblement dans des circonstances telles que celles de l'espèce au principal n'est pas incompatible avec les articles 28 et 30 du traité (articles 34 et 35 TFUE), lus en combinaison avec l'article 5 de celui-ci (article 5 TUE nouveau).

CJUE, Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH c Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn, 14 octobre 2004, aff. C-36/02.

• Question préjudicielle posée par une juridiction allemande – Mesure nationale d’interdiction de jeux de simulation d’actes homicides (« laser-sport »). – Motifs

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de protection de l’ordre public – Atteinte à la dignité humaine, valeur consacrée par la constitution nationale.

• Conflit entre la libre prestation de services invoquée par la société Omega et la protection d’une valeur fondamentale telle que la dignité humaine (art. 52 TFUE).

• Dignité humaine – Intérêt légitime de nature à justifier une restriction aux libertés fondamentales consacrées par le traité – Test de proportionnalité : la mesure en cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

(…)

Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

3 Omega, qui est une société de droit allemand, exploitait à Bonn (Allemagne), depuis le 1er août 1994, une installation dénommée « laserdrome », normalement destinée à la pratique du «laser-sport». (…) Omega a eu recours (…) à l’équipement fourni par la société britannique Pulsar International Ltd (ci-après « Pulsar ») (…).

5 Ayant observé que le jeu pratiqué dans le « laserdrome » avait (…) pour but d’atteindre des capteurs placés sur les gilets portés par les joueurs, l’autorité de police de Bonn a, le 14 septembre 1994, pris un arrêté à l’encontre d’Omega lui interdisant « de permettre ou de tolérer dans son [...] établissement des jeux ayant pour objet de tirer sur des cibles humaines au moyen d’un rayon laser ou d’autres installations techniques (par exemple infrarouge), donc, en enregistrant les tirs ayant atteint leur cible, de jouer à tuer des personnes », sous astreinte de 10 000 DEM par partie jouée en contravention de cet arrêté.

(…)

7 Selon l’arrêté d’interdiction du 14 septembre 1994, les jeux qui se déroulaient dans l’établissement exploité par Omega constituaient un danger pour l’ordre public, étant donné que les actes homicides simulés et la banalisation de la violence qu’ils engendrent sont contraires aux valeurs fondamentales prévalant dans l’opinion publique.

8 La réclamation déposée par Omega contre cet arrêté a été rejetée par la Bezirksregierung Köln (autorité administrative locale de Cologne) le 6 novembre 1995. (…) L’appel introduit par Omega a également été rejeté, le 27 septembre 2000 (…).

9 Par la suite, Omega a formé un pourvoi en «Revision» devant le Bundesverwaltungsgericht. À l’appui de son pourvoi elle invoque, parmi de nombreux autres moyens, l’atteinte portée par l’arrêté litigieux au droit communautaire, en particulier à la liberté de prestation des services consacrée à l’article 49 CE (article 56 TFUE), étant donné que son «laserdrome» devait utiliser l’équipement et la technique fournis par la société britannique Pulsar.

(…)

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17 C’est dans ces conditions que le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante: «Est-il compatible avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne relatives à la libre prestation des services et à la libre circulation des marchandises que le droit national impose l’interdiction d’une activité économique déterminée – en l’occurrence l’exploitation d’un ‘laserdrome’ où sont simulés des actes homicides – parce qu’elle est contraire aux valeurs fondamentales consacrées par la constitution?»

(…)

Sur la question préjudicielle

(…)

28 S’agissant de la justification de la restriction imposée par l’arrêté du 14 septembre 1994 à la liberté de prestation des services, l’article 46 CE (art. 52 TFUE), applicable en la matière en vertu de l’article 55 CE (art. 62 TFUE), admet des restrictions justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En l’occurrence, il ressort du dossier que les motifs invoqués par l’autorité de police de Bonn pour l’adoption de l’arrêté d’interdiction mentionnent expressément le fait que l’activité concernée constitue un danger pour l’ordre public (…)

(…)

30 Toutefois, la possibilité pour un État membre de se prévaloir d’une dérogation prévue par le traité n’empêche pas le contrôle juridictionnel des mesures d’application de cette dérogation (voir arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74, Rec p. 1337, point 7). En outre, la notion d’«ordre public» dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que justification d’une dérogation à la liberté fondamentale de prestation des services doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté (voir, par analogie avec la liberté de circulation des travailleurs, arrêts Van Duyn, précité, point 18, et du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, Rec p. 1999, point 33). Il en découle que l’ordre public ne peut être invoqué qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie, C-54/99, Rec p. I-1335, point 17).

31 Il n’en reste pas moins que les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d’avoir recours à la notion d’ordre public peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre. Il faut donc, à cet égard, reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité (arrêts précités Van Duyn, point 18, et Bouchereau, point 34).

32 Dans l’affaire au principal, les autorités compétentes ont estimé que l’activité concernée par l’arrêté d’interdiction menace l’ordre public en raison du fait que, selon la conception prévalant dans l’opinion publique, l’exploitation commerciale de jeux de divertissement impliquant la simulation d’actes homicides porte atteinte à une valeur fondamentale consacrée par la constitution nationale, à savoir la dignité humaine. (…)

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33 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales revêt dans ce contexte une signification particulière (voir, notamment, arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec p. I-2925, point 41; du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274/99 P, Rec p. I-1611, point 37; du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94/00, Rec p. I-9011, point 25, et du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec p. I-5659, point 71).

34 Ainsi que l’expose Mme l’avocat général aux points 82 à 91 de ses conclusions, l’ordre juridique communautaire tend indéniablement à assurer le respect de la dignité humaine en tant que principe général du droit. Il ne fait donc pas de doute que l’objectif de protéger la dignité humaine est compatible avec le droit communautaire, sans qu'il importe à cet égard que, en Allemagne, le principe du respect de la dignité humaine bénéficie d’un statut particulier en tant que droit fondamental autonome.

35 Le respect des droits fondamentaux s'imposant tant à la Communauté qu'à ses États membres, la protection desdits droits constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire, même en vertu d'une liberté fondamentale garantie par le traité telle que la libre prestation de services (voir, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, arrêt Schmidberger, précité, point 74).

36 Toutefois, il convient de relever que des mesures restrictives de la libre prestation des services ne peuvent être justifiées par des motifs liés à l’ordre public que si elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (voir, en ce qui concerne la libre circulation des capitaux, arrêt Église de scientologie, précité, point 18).

(…)

39 En l’occurrence, il y a lieu de relever, d’une part, que, selon la juridiction de renvoi, l’interdiction de l’exploitation commerciale de jeux de divertissement impliquant la simulation d’actes de violence contre les personnes, en particulier la représentation d’actes de mise à mort d’êtres humains, correspond au niveau de protection de la dignité humaine que la constitution nationale a entendu assurer sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne. D’autre part, il convient de constater que, en interdisant uniquement la variante du jeu laser qui a pour objet de tirer sur des cibles humaines et donc de «jouer à tuer» des personnes, l’arrêté litigieux n’est pas allé au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par les autorités nationales compétentes.

40 Dans ces conditions, l’arrêté du 14 septembre 1994 ne saurait être regardé comme une mesure portant une atteinte injustifiée à la libre prestation des services.

(…)

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Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’une activité économique consistant en l’exploitation commerciale de jeux de simulation d’actes homicides fasse l’objet d’une mesure nationale d’interdiction adoptée pour des motifs de protection de l’ordre public en raison du fait que cette activité porte atteinte à la dignité humaine.

CJUE, AGM-COS MET s.r.l., 17 avril 2007, affaire C-470/03

• Question préjudicielle posée par une juridiction finlandaise – Critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire d’État à l’égard d’un pont élévateur pour véhicules produit par la société italienne AGM-COS MET – Déclarations imputées à l’Etat et considérées comme une mesure d’effet équivalent à une restriction à la liberté de circulation des marchandises (effet négatif sur les ventes en Finlande) : art. 34 TFUE.

• Présomption de conformité à la directive 98/37/CE qui opère une harmonisation exhaustive des législations des États membres relatives aux machines – Déclarations constituant des mesures d’effet équivalent à apprécier au regard de la directive et non de l’article 34 TFUE (interdiction des entraves à la libre circulation des marchandises).

• Liberté d’expression des fonctionnaires – La liberté ne peut justifier une violation de la directive 98/37/CE.

• Conditions d’engagement de la responsabilité de l’EM – Violation suffisamment caractérisée du droit européen.

Sur la libre circulation des marchandises 50 À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une

harmonisation exhaustive au niveau communautaire, toute mesure nationale y toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de l’acte opérant relative doit être appréciée au regard des dispositions de l’acte opérant cette harmonisation et non de celles du droit primairecette harmonisation et non de celles du droit primaire (….).

53 Ainsi, compte tenu de la nature de la directive, de ses objectifs et du contenu de ses articles 3, 4 et 7, il y a lieu de considérer qu’elle harmonise de manière exhaustive au niveau communautaire, outre les règles relatives aux exigences essentielles de sécurité des machines et à l’attestation de la conformité de celles-ci auxdites exigences, celles qui concernent les comportements que peuvent adopter les États membres à l’égard des machines présumées conformes à ces exigences.

54 Dès lors, toute mesure nationale qui relève du champ d’application des articles précités

de cette directive doit être appréciée au regard des dispositions de celle-ci et non de celles du traité CE, notamment l’article 28 CE (34 TFUE).

66 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première

question que sont imputables à l’État les déclarations d’un fonctionnaire qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l’impression

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qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État, et non pas d’opinions personnelles du fonctionnaire. L’élément déterminant pour que les déclarations d’un fonctionnaire soient imputées à l’État réside dans le point de savoir si les destinataires de ces déclarations peuvent raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions que le fonctionnaire prend avec l’autorité de sa fonction. Pour autant qu’elles soient imputables à l’État, constituent donc une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive les déclarations d’un fonctionnaire présentant une machine certifiée conforme à la directive comme contraire à la norme harmonisée s’y rapportant et dangereuse.

73 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions

que, dans des circonstances telles que celles de la cause au principal, une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par le comportement d’un fonctionnaire, dans la mesure où il est imputable à l’État membre dont il relève, ne peut être justifiée ni par l’objectif de protection de la santé ni au titre de la liberté d’expression des fonctionnaires.

Concernant les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État finlandais 78 En ce qui concerne les conditions dans lesquelles un État membre est tenu de

réparer les dommages causés aux particuliers, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées. L’appréciation de ces conditions est fonction de chaque type de situation (arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec p. I‑1029, point 51;….).

86 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre que l’article 4,

paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il confère aux particuliers des droits et, d’autre part, qu’il ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation, en l’espèce, en ce qui concerne les machines conformes à ladite directive ou présumées telles. Le non-respect de cette disposition résultant de déclarations d’un fonctionnaire d’un État membre, pour autant qu’elles soient imputables cet État, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire pour engager la responsabilité dudit État.

99 En considération de ce qui précède, il y a lieu de répondre que, en cas de violation du

droit communautaire, celui-ci ne s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un fonctionnaire puisse être engagée en sus de celle de l’État membre, mais ne l’impose pas.

2. Contrôle de légalité d’un acte du droit de l’Union à l’aune des droits fondamentaux

CJUE, Kadi et Al Barakaat International Foundation c Conseil, 3 septembre 2008, aff.

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jtes. C‑402/05 P et C‑415/05 P. • Politique étrangère et de sécurité commune (PESC).- Principes constitutionnels de l’UE-

Respect des droits fondamentaux- Protection juridictionnelle

• Décision du Conseil de Sécurité de l’ONU de prendre des mesures restrictives à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Gels de fonds – Adoption de résolutions au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

• Mise en œuvre de ces résolutions par l’Union européenne:

- Position commune 2002/402/PESC : instrument de politique extérieure.

- Règlement (CE) n° 881/2002 : mise en œuvre de la position commune par un acte communautaire : mesures visant des personnes et entités incluses dans une liste établie par un organe des fonds et de ressources économiques.

• Validité du Règlement 881/2002 au regard des droits fondamentaux tel que le droit d’être entendu et le droit à un contrôle juridictionnel effectif – Recevabilité du recours en annulation du règlement qui exécute une résolution du Conseil de l’ONU :

- Réponse du TPIUE : non : il y a une légalité de principe des résolutions du Conseil de sécurité que le juge CE ne peut remettre en cause à part quand il s’agit de la violation du jus cogens.

- Réponse de la CJUE : Autonomie du droit communautaire par rapport au droit international – Droit CE impose le contrôle de la légalité des actes CE par les juridictions communautaires, et le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires – L’importance à attacher au droit international n’a pas pour effet de créer une immunité juridictionnelle des actes de droit communautaire en ce qui concerne le respect des droits de l’homme.

• Conclusion : violation du droit d’être entendu et du droit à un contrôle juridictionnel effectif par le règlement n°881/2002.

Les antécédents du litige 13 Le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité (de l’ONU) a adopté la résolution 1267

(1999), par laquelle il a notamment condamné le fait que des terroristes continuent d’être accueillis et entraînés et que des actes de terrorisme soient préparés en territoire afghan, réaffirmé sa conviction que la répression du terrorisme international est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales et déploré que les Taliban continuent de donner refuge à Oussama ben Laden et de permettre à celui-ci ainsi qu’à ses associés de diriger un réseau de camps d’entraînement de terroristes à partir du territoire tenu par eux et de se servir de l’Afghanistan comme d’une base pour mener des opérations terroristes internationales.

14 Au paragraphe 2 de cette résolution, le Conseil de sécurité a exigé que les Taliban remettent sans délai Oussama ben Laden soit directement ou indirectement aux autorités compétentes d’un État où il a été inculpé, soit aux autorités compétentes d’un

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État où il sera arrêté et traduit en justice. Afin d’assurer le respect de cette obligation, le paragraphe 4, sous b), de ladite résolution dispose que tous les États devront «[g]eler les fonds et autres ressources financières, tirés notamment de biens appartenant aux Taliban ou contrôlés directement ou indirectement par eux, ou appartenant à, ou contrôlés par, toute entreprise appartenant aux Taliban ou contrôlée par les Taliban, (…).

36 Le 27 mai 2002, le Conseil (de l’UE) a adopté, sur la base des articles 60 CE, 301 CE

et 308 CE (articles 75 215 et 352 TFUE), le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban (..).

39 Aux termes de l’article 2 du règlement litigieux:

«1. Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2. Aucun fonds ne doit […] être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisé au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I.

3. Aucune ressource économique ne doit […] être mise, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisée au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I, de manière à leur permettre d’obtenir des fonds, des biens ou des services.»

40 L’annexe I du règlement litigieux contient la liste des personnes, entités et groupes visés par le gel des fonds imposé à l’article 2 de ce règlement. Cette liste comprend notamment les noms de l’entité et de la personne suivantes:

«Fondation internationale Barakaat, boîte postale 4036, Spånga, Stockholm, Suède; Rinkebytorget 1, 04, Spånga, Suède», et

«Al-Qadi, Yasin (alias KADI, Shaykh Yassin Abdullah; alias KAHDI, Yasin), Jeddah, Arabie saoudite».

Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

46 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, M. Kadi et Al Barakaat ont introduit des recours visant à l’annulation du règlement (litigieux).

82 (…), le Tribunal a toutefois estimé que se pose, dans les affaires dont il était saisi, la

question de savoir s’il existe des limites structurelles, imposées par le droit international général ou par le traité CE lui-même, audit contrôle juridictionnel.

83 À cet égard, le Tribunal a rappelé, (…), que le règlement litigieux, adopté au vu de la

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position commune 2002/402, constitue la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’ONU, de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions édictées à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et d’autres personnes, groupes, entreprises et entités associés qui ont été décidées et, par la suite, renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées sur le fondement du chapitre VII de la charte des Nations unies.

84 Dans ce contexte, la Communauté a agi, selon le Tribunal, au titre d’une compétence liée, ne lui laissant aucune marge d’appréciation autonome dans l’exercice de celle-ci, de sorte qu’elle ne pouvait, en particulier, ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification (…).

85 Le Tribunal en a déduit que la contestation, par les requérants, de la légalité interne du règlement litigieux implique que le Tribunal procède à un contrôle indirect ou incident de la légalité des résolutions mises en œuvre par ledit règlement au regard des droits fondamentaux tels que protégés dans l’ordre juridique communautaire (…).

86 (…), le Tribunal a jugé qu’il était néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente,

la légalité des résolutions du Conseil de sécurité en cause au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger. (…)

106 Par conséquent, le Tribunal a rejeté les moyens tirés d’une violation du droit à un

contrôle juridictionnel effectif et, par suite, les recours dans leur ensemble. (…)

Sur les moyens relatifs à la violation de certains droits fondamentaux 248 (…) M. Kadi soutient que l’arrêt attaqué Kadi, en tant qu’il se prononce, d’une part,

sur les rapports entre l’ONU et les membres de cette organisation et, d’autre part, sur les modalités d’application des résolutions du Conseil de sécurité, est entaché d’erreurs de droit en ce qui concerne l’interprétation des principes de droit international concernés, ce qui aurait engendré d’autres erreurs de droit dans l’appréciation des moyens relatifs à la violation de certains droits fondamentaux spécifiques du requérant.

FONDEMENTS D’UNE COMMUNAUTE DE DROIT - CONTROLE DE LA LEGALITE D’UN ACTE COMMUNAUTAIRE AU REGARD DES DROITS DE L’HOMME

280 Il convient d’examiner les griefs par lesquels les requérants reprochent au Tribunal d’avoir jugé, en substance, qu’il découle des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant place à aucune marge à cet effet, ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne, sauf pour ce qui concerne sa

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compatibilité avec les normes relevant du jus cogens, et bénéficie donc dans cette mesure d’une immunité juridictionnelle.

281 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec p. 1339, point 23).

282 Il convient de rappeler également qu’un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de la compétence exclusive dont elle est investie par l’article 220 CE (art. 19 TUE nouveau), compétence que la Cour a d’ailleurs déjà considérée comme relevant des fondements mêmes de la Communauté (…).

283 En outre, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (…).

284 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires (…) et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec p. I-5659, point 73 et jurisprudence citée).

285 Il découle de l’ensemble de ces éléments que les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité.

286 À cet égard, il importe de souligner que, dans un contexte tel que celui de l’espèce, le contrôle de légalité devant ainsi être assuré par le juge communautaire porte sur l’acte communautaire visant à mettre en œuvre l’accord international en cause, et non sur ce dernier en tant que tel.

287 S’agissant plus particulièrement d’un acte communautaire qui, tel le règlement litigieux, vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’incombe donc pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE (art. 19 TUE nouveau), de contrôler la légalité d’une telle résolution adoptée par cet organe international, ce contrôle fût-il limité à l’examen de la compatibilité de cette résolution avec le jus cogens.

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288Par ailleurs, un éventuel arrêt d’une juridiction communautaire par lequel il serait décidé qu’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une telle résolution est contraire à une norme supérieure relevant de l’ordre juridique communautaire n’impliquerait pas une remise en cause de la primauté de cette résolution au plan du droit international.

RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL - LA PRIMAUTE DES RESOLUTIONS DE L’ONU N’EXCLUT PAS LE CONTROLE DE LEGALITE D’UN ACTE COMMUNAUTAIRE

290 Il y a dès lors lieu d’examiner si, comme l’a jugé le Tribunal, les principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire impliquent qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux est en principe exclu, nonobstant le fait que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 281 à 284 du présent arrêt, un tel contrôle constitue une garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté.

291 À cet égard, il convient d’abord de rappeler que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (…), la Cour ayant en outre précisé, au même point du premier de ces arrêts, qu’un acte adopté en vertu de ces compétences doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.

292 De plus, la Cour a jugé que les compétences de la Communauté prévues aux articles 177 CE à 181 CE en matière de coopération et de développement (art. 208 à 211 TFUE) doivent être exercées dans le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies et des autres organisations internationales (…).

296 Or, si, du fait de l’adoption d’un tel acte, la Communauté est tenue de prendre, dans le cadre du traité CE, les mesures qu’impose cet acte, cette obligation implique, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, que, lors de l’élaboration de ces mesures, la Communauté tienne dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée ainsi que des obligations pertinentes découlant de la charte des Nations unies relatives à une telle mise en œuvre.

298 Il y a toutefois lieu de relever que la charte des Nations unies n’impose pas le choix d’un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de cette charte, cette mise en œuvre devant intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la charte des Nations unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions.

299 Il découle de l’ensemble de ces considérations que les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des

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Nations unies.

300 Une telle immunité juridictionnelle d’un acte communautaire tel que le règlement litigieux, en tant que corollaire du principe de primauté au plan du droit international des obligations issues de la charte des Nations unies, en particulier de celles relatives à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de cette charte, ne trouve par ailleurs aucun fondement dans le traité CE.

HIERARCHIE DES NORMES - LE FAIT QUE LE TRAITE ONU RELEVE DE L’ARTICLE 300, PAR. 7 CE (art. 216, § 2 TFUE) N’IMPLIQUE PAS UNE PRIMAUTE SUR LES DROITS DE L’HOMME

305 Une immunité juridictionnelle du règlement litigieux quant au contrôle de la compatibilité de celui-ci avec les droits fondamentaux qui trouverait sa source dans une prétendue primauté absolue des résolutions du Conseil de sécurité que cet acte vise à mettre en œuvre ne pourrait pas non plus être fondée sur la place qu’occuperaient les obligations découlant de la charte des Nations unies dans la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique communautaire si ces obligations étaient classifiées dans cette hiérarchie.

306 En effet, l’article 300, paragraphe 7 CE (art. 216, § 2 TFUE) prévoit que les accords conclus selon les conditions fixées à cet article lient les institutions de la Communauté et les États membres.

307 Ainsi, en vertu de cette disposition, si elle était applicable à la charte des Nations unies, cette dernière bénéficierait de la primauté sur les actes de droit communautaire dérivé (…).

308 Toutefois, cette primauté au plan du droit communautaire ne s’étendrait pas au droit primaire et, en particulier, aux principes généraux dont font partie les droits fondamentaux.

309 Cette interprétation est corroborée par le paragraphe 6 du même article 300 CE (art. 218, § 11 TFUE), selon lequel un accord international ne peut entrer en vigueur si la Cour a rendu un avis négatif sur sa compatibilité avec le traité CE, à moins que celui-ci n’ait été modifié au préalable.

316 (…) le contrôle, par la Cour, de la validité de tout acte communautaire au regard des

droits fondamentaux doit être considéré comme l’expression, dans une communauté de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne saurait porter atteinte.

RESPECT DU DROIT DE LA DEFENSE DES REQUERANTS Sur les recours devant le Tribunal 333 Il convient, en premier lieu, d’examiner les griefs que M. Kadi et Al Barakaat ont fait

valoir quant à la violation des droits de la défense, en particulier celui d’être entendu,

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et du droit à un contrôle juridictionnel effectif qu’emporteraient les mesures de gel de fonds telles qu’elles leur ont été imposées par le règlement litigieux.

334 À cet égard, au vu des circonstances concrètes ayant entouré l’inclusion des noms des requérants dans la liste des personnes et des entités visées par les mesures restrictives contenue à l’annexe I du règlement litigieux, il doit être jugé que les droits de la défense, en particulier le droit d’être entendu ainsi que le droit à un contrôle juridictionnel effectif de ceux-ci n’ont manifestement pas été respectés.

335 En effet, selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1) (…).

352 Partant, il doit être jugé que le règlement litigieux, pour autant qu’il concerne les

requérants, a été adopté sans fournir aucune garantie quant à la communication des éléments retenus à charge de ceux-ci ou quant à leur audition à cet égard, de sorte qu’il doit être conclu que ce règlement a été arrêté selon une procédure au cours de laquelle les droits de la défense n’ont pas été respectés, ce qui a également eu pour conséquence que le principe de protection juridictionnelle effective a été enfreint.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1) Les arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T−315/01) ainsi que Yusuf et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (T−306/01), sont annulés.

2) Le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, est annulé pour autant qu’il concerne M. Kadi et Al Barakaat International Foundation.

3.Contrôle du droit de l’UE par la CEDH

CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus c Irlande • Requête contre l’Irlande concernant la saisie d’un avion provenant de l’ex-République

fédérative de Yougoslavie par application d’un règlement CE mettant en œuvre une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU – Violation des droits garantis par l'article 1 du Protocole no 1 à la CEDH (droit de propriété).

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• Responsabilité de l’Irlande au regard de la CEDH alors qu’elle appliquait le droit CE, même après le transfert de ses compétences à la CE.

• Violation de la CEDH par le règlement CE ? NON : vu le niveau de protection globalement offert par le droit communautaire, il existe une présomption qu'un Etat respecte les exigences de la CEDH lorsqu'il ne fait qu'exécuter un règlement.

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 45036/98) dirigée contre l'Irlande et dont une société de droit turc, Bosphorus Hava Yollari Turizm (« la société requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 25 mars 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La société requérante a été représentée par Me J. Doyle, avocat au barreau de Dublin, mandaté par M. M.I. Özbay, directeur général et actionnaire majoritaire de la société requérante. Le gouvernement irlandais (« le Gouvernement ») a été représenté par deux agents successifs, Mme P. O'Brien et M. J. Kingston, et par Mme D. McQuade, coagente, les trois personnes relevant du ministère des Affaires étrangères.

3. La société requérante alléguait que la saisie par l'Etat défendeur de l'aéronef qu'elle avait pris en location avait emporté violation de ses droits garantis par l'article 1 du Protocole no 1.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5. A la suite de la communication de la requête au gouvernement défendeur, le gouvernement turc a fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de présenter des observations en l'espèce (article 44 du règlement de la Cour).

6. Le 13 septembre 2001, après une audience portant à la fois sur les questions de recevabilité et sur celles de fond, la requête a été déclarée recevable par une chambre composée de M. G. Ress, M. I. Cabral Barreto, M. V. Butkevych, Mme N. Vajić, M. J. Hedigan, M. M. Pellonpää et Mme S. Botoucharova, juges, et de M. Vincent Berger, greffier de section.

(…)

152. D'une part, la Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale (y compris supranationale) à des fins de coopération dans certains domaines d'activité (M. & Co., décision précitée, p. 152, et Matthews, arrêt précité, § 32). En outre, même en tant que détentrice des pouvoirs souverains ainsi transférés, l'organisation internationale concernée ne peut, tant qu'elle n'est pas partie à la Convention, voir sa responsabilité engagée au titre de celle-ci pour les procédures conduites devant ses organes ou les décisions rendues par eux (no 8030/77, CFDT c Communautés européennes, décision du 10 juillet 1978, D.R. 13, p. 231, no 13539/88, Dufay c Communautés européennes, décision du 19 janvier 1989, M. & Co., décision précitée, p. 152, et Matthews, arrêt précité, § 32).

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153. D'autre part, la Cour a également jugé que les Parties contractantes sont responsables au titre de l'article 1 de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes, qu'ils découlent du droit interne ou de la nécessité d'observer des obligations juridiques internationales. Ledit texte ne fait aucune distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l'empire de la Convention (Parti communiste unifié de Turquie et autres c Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, § 29).

154. Lorsqu'elle tente de concilier ces deux aspects et d'établir, ce faisant, dans quelle mesure il est possible de justifier l'acte d'un Etat par le respect des obligations découlant pour lui de son appartenance à une organisation internationale à laquelle il a transféré une partie de sa souveraineté, la Cour reconnaît qu'il serait contraire au but et à l'objet de la Convention que les Etats contractants soient exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d'activité concerné : les garanties prévues par la Convention pourraient être limitées ou exclues discrétionnairement, et être par là même privées de leur caractère contraignant ainsi que de leur nature concrète et effective (M. & Co., décision précitée, pp. 152-153, et Waite et Kennedy, arrêt précité, § 67). L'Etat demeure responsable au regard de la Convention pour les engagements pris en vertu de traités postérieurement à l'entrée en vigueur de la Convention (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Matthews précité, §§ 29 et 32, et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c Allemagne [GC], no 42527/98, § 47, CEDH 2001-VIII).

155. De l'avis de la Cour, une mesure de l'Etat prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que l'organisation en question accorde aux droits fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention (M. & Co., décision précitée, p. 152, démarche à laquelle les parties et la Commission européenne souscrivent). Par « équivalente », la Cour entend « comparable » : toute exigence de protection « identique » de la part de l'organisation concernée pourrait aller à l'encontre de l'intérêt de la coopération internationale poursuivi (paragraphe 150 ci-dessus). Toutefois, un constat de « protection équivalente » de ce type ne saurait être définitif : il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux.

156. Si l'on considère que l'organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de présumer qu'un Etat respecte les exigences de la Convention lorsqu'il ne fait qu'exécuter des obligations juridiques résultant de son adhésion à l'organisation.

Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d'une affaire donnée si l'on estime que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d'une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu'« instrument constitutionnel de l'ordre public européen » dans le domaine des droits de l'homme l'emporterait sur l'intérêt de la coopération internationale (Loizidou c Turquie (exceptions préliminaires), arrêt du 23 mars 1995, série A no 310, § 75).