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    PHILOSOPHIES DE LANTIQUIT : ARISTOTE Annick Stevens

    Introduction : lhomme et son uvre ........................................................................................

    Thorie du langage et de la science ...........................................................................................

    a. Structure du langage et structure des tants .......................................................................

    Catgories, sujets et attributs ..............................................................................................

    b. Caractristiques et mthodes du savoir scientifique ..........................................................

    Les sciences thoriques ..............................................................................................................

    I. La science physique ...........................................................................................................

    a. Thorie du changement en gnral et du changement naturel ........................................

    b. Domaine de lternel, mobile seulement par transport ...................................................

    c. Domaine soumis la gnration et la corruption .........................................................

    1. Le non vivant : thorie des lments et mtorologie .................................................

    2. Le vivant .....................................................................................................................

    2. 1. Zoologie ..............................................................................................................

    2. 2. Psychologie .........................................................................................................

    II. La philosophie premire : domaine de lternel immobile ................................................

    III. Une science gnrale de tous les tants ........................................................................... Les sciences pratiques ...............................................................................................................

    a. Lthique ou le choix de la meilleure vie ...........................................................................

    Vertu et bonheur .................................................................................................................

    Lamiti ..............................................................................................................................

    b. La politique ........................................................................................................................

    Les sciences potiques .............................................................................................................

    a. Lart potique..........................................................................................................................

    b. Lart rhtorique ...................................................................................................................

    Bibliographie par chapitres .......................................................................................................

    INTRODUCTION : LHOMME ET SON UVRE N en 384 Stagire (en Chalcidique), de pre mdecin, Aristote vint Athnes lge de d

    sept ans et suivit pendant vingt ans les leons de Platon lAcadmie. En 347, il part sjourner c

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    ce courant ait exagr les variantes pour donner limpression dune incompatibilit, et leur mthodreconstitution gntique sest rvle finalement la fois peu fiable, par manque de points de rsrs, et peu fructueuse, au vu des rsultats contradictoires auxquels elle a abouti. La tendance actuest plutt, ds lors, dexpliquer ces lgres variantes par des facteurs tels que lutilit pour le denqute men, laspect sous lequel la question devait tre traite dans des contextes diffrentsencore lauditoire auquel sadressait originellement le trait. Cela ne signifie pas, bien entendu, qpense dAristote nait connu aucune volution ; il est vident notamment que bon nombre dfragments des uvres de jeunesse contiennent une doctrine platonicienne quAristote abandonna tt. Mais, si certains textes sont manifestement plus aboutis que dautres sur une question donnsagit en gnral dun approfondissement et dune progression dans lexplication plutt que dchangement de thorie. Lexprience tire de ces diverses tentatives doit en tout cas nous dconse

    de fonder une interprtation sur un passage dont lauthenticit est douteuse ou sur une hypothchronologique invrifiable.

    En ce qui concerne les uvres inauthentiques, laccord est unanime actuellement pouconsidrer comme telles leDe mundo, laRhtorique Alexandre , lesProblmes; il est majoritaire sans treunanime pour rejeter le livre K de la Mtaphysique . En revanche, plus personne ne doute delauthenticit duDu mouvement des animaux , et la plupart des spcialistes acceptent celle desCatgories etdu livre a de la Mtaphysique .

    THEORIE DU LANGAGE ET DE LA SCIENCE

    a. Structure du langage et structure des tants

    La thorie aristotlicienne du langage est expose principalement dans le traitDe linterprtation ,traduction habituelle du titre grecPeri hermeneias , qui signifie aussiDe lexpression , ce qui semble plusadquat au contenu. Il ny est, en effet, question nulle part dinterprtation mais bien de la relation ele langage et ce quil exprime, des types de mots et des types de propositions. La conception qui ydveloppe est conventionnaliste en ce qui concerne les signifiants mais plutt naturaliste poursignifis, qui, forms par notre esprit, formulent selon nos moyens humains la structure relle choses. Quoique les termes signifiants et signifis naient pas encore t forgs, la distinentre les deux est dj clairement prsente dans un passage tel que celui-ci : Les contenus du lanparl sont les symboles des affections dans lme, et les crits sont les symboles des contenus

    langage parl. Et de mme que les lettres ne sont pas les mmes partout, les sons non plus ne sont

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    les mmes, mais ils sont les signes des mmes affections de lme pour tous, et celles-ci sontsimilitudes des mmes choses relles. 1 ; ou encore : aucun des noms nexiste par nature mais toussont apparus en tant que symboles, puisque les sons inarticuls, comme ceux des btes, dsign( smainei ) aussi quelque chose, mais aucun nest un nom 2. La notion de convention permet donc dedistinguer, parmi les signes, ceux qui sont aussi des symboles, car les cris animaux sont des signespas des symboles, et, de mme, les affections de lme, qui ne sont pas conventionnelles, sont signes mais pas des symboles. Ceci explique que dune langue lautre les mots sont diffrents, pas ce quils signifient, savoir ces affections de lme qui correspondent aux choses rellesconsquence de la nature conventionnelle des signifiants est la ncessit de se mettre daccord susignification de chaque mot, sinon tout dialogue est impossible, y compris avec soi-mme3. En outre,comme il est frquent quun mot ait plusieurs significations, il faut du moins que celles-ci soien

    nombre limit et quon puisse chaque fois prciser selon laquelle on lutilise. Il faut remarquer qtermesmainein peut exprimer le rapport du mot sa ou ses significations (dans ce cas, il introduit udfinition ou une expression assimile) mais plus souvent encore, la rfrence du mot ou designification la chose dsigne hors langage.

    Les plus petites units significatives du discours sont les noms ( onoma ) et les verbes ( rhma ) ;ceux-ci se caractrisent morphologiquement par la flexion temporelle, et syntaxiquement par ledtre toujours en position dattribution un sujet4. Le verbe tre a deux usages : dune part, il est un

    rhma par lui-mme, qui attribue lexistence un sujet, dautre part il forme unrhma en tant associ un adjectif qui porte toute la charge signifiante de lattribut. Lusage copulatif du verbe tre clairement distinct de celui qui signifie lexistence du sujet : Homre est quelque chose, par exeun pote ; mais est-il aussi ou non ? car cest par accident que le est est attribu Homre, car parce quil est un pote et non par soi que le est est attribu Homre 5. Par accident signifie icique le verbe nest pas attribu au sujet en tant que prdicat signifiant mais seulement comme liai( sunthesis ) entre sujet et prdicat6.

    Aristote dfinit ensuite les diffrents types de propositions : affirmatives et ngatives, contraet contradictoires, ainsi que les modalits du possible et de limpossible, du contingent et du nces Avec la proposition apparaissent le vrai et le faux, qui ne concernent pas les termes isols ; la vrit

    1 De linterpr . 1, 16a 3-8.2 De linterpr . 2, 16a 27-29.3 MtaphysiqueG 4, 1006a 31-b 11.4 De linterpr . 2, 16a 19-21 ; 3, 16b 6-10.5 De linterpr . 11, 21a 25-28.6 De linterpr . 3, 16b 24.

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    propositions consiste en une adquation aux tats rels : Si quelquun est un homme, lnonclequel nous disons quil est un homme est vrai. Cest aussi rciproque, car si est vrai lnonc par lnous disons quil est un homme, il est un homme. Mais lnonc vrai nest en aucune faon causfait que la chose soit, tandis que la chose apparat dune certaine faon comme la cause du fait lnonc soit vrai. Car cest parce que la chose est ou nest pas, que lnonc est dit vrai ou faux. 7. Dece fait, les propositions futures nont de vrit que si elles sont ncessaires, comme les vrmathmatiques ou physiques. En revanche, les propositions futures portant sur des faits contingentssont ni vraies ni fausses, car les vnements non ncessaires ne sont vrais quau moment o ilspassent, et non depuis toujours8. La conception oppose celle-ci, qui pose une vrit du futur danstous les domaines, mme si nous ne pouvons la connatre que rtrospectivement, supprime distinction entre ncessaire et contingent et considre tous les vnements comme rsultant d

    enchanement causal inluctable. Ce dterminisme est refus par Aristote, en raison de sa concepde laction humaine comme non dtermine et non prvisible. Quant aux choses qui nexistent quimagination, elles ne sont pas fausses en elles-mmes mais laffirmation de leur existence est fau En eux-mmes, les noms et les verbes ressemblent la notion sans combinaison et division, com homme ou blanc , lorsquon ny ajoute rien, car ce nest encore ni faux ni vrai. Un signe dest que mme le bouc-cerf signifie quelque chose mais nest pas encore vrai ou faux, si on ny ajpas le fait dtre ou de ne pas tre, soit absolument soit temporairement. 9. Pour ce genre de choses

    imaginables mais dont on ne peut observer aucun cas ralis, on peut forger une dfinition seulemnominale, cest--dire qui explique le mot mais ne rend pas compte du rel. Cest pourquoi les ntants de ce type ne sont pas des objets de science mais seulement dopinion10.

    Catgories, sujets et attributs

    Le rapport du mot la chose apparat notamment dans le clbre passage du trait desCatgories dans lequel figure la liste complte des dix catgories 11 :

    Chacune des expressions non composes dsigne soit une substance soit une quantit, uqualit, un relatif, un lieu, un temps, tre pos, porter sur soi, faire ou subir. Est une substance, poudire sommairement, par exemple un homme, un cheval ; une quantit : de deux coudes, de tr

    7 Catgories, 12, 14b 15-22 ; Cf. Mtaph . Q 10, 1051b 6-9 : Tu nes pas blanc parce que nous pensons avec vritque tu es blanc, mais, parce que tu es blanc, en disant cela nous disons vrai. .8 De linterpr. 9, 18 a 28 19 b 4.9 De linterpr. 1, 16 a 13-18.10 De linterpr. 11, 21 a 32-33 ; cf.Rfutations sophistiques 5, 166 b 37 167 a 6.11 Catg . 4, 1b 25-2a 4.

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    propositions susceptibles de mener la conclusion vise. Celle-ci est diffrente pour chacun des dinterlocuteurs : le questionneur cherche dmontrer la thse oppose celle soutenue par rpondant, qui doit, quant lui, dfendre la sienne et empcher que loppose soit dmontre. thme de la discussion est un problme, prsent sous la forme dune interrogation double, portantune difficult thique, physique ou logique (par exemple : faut-il obir ses parents ou aux lois,sont en dsaccord ? lunivers est-il ternel ou non ? les contraires relvent-ils ou non de la mscience ?)16. Dans le cadre dialectique, cependant, on ne cherchera pas y rpondre selon la vrit mselon lopinion, et cest pourquoi quiconque peut entreprendre tout problme sans avoir dcomptence particulire17. La thse qui lemportera sera la plus convainquante lintrieur dun certaicadre culturel partag.

    Commenant donc son expos par les lments des prmisses et des problmes, Aristot

    affirme que toute proposition exprime, propos dun sujet, soit son genre, soit sa dfinition, soitpropre, soit un accident18. La dfinition est constitue du genre et de la diffrence ; le propre est ce quisans tre dans la dfinition, appartient ncessairement et uniquement ce sujet ; laccident est cepeut appartenir ou non au sujet. Or, ces quatre types dinformation attribuables un sujet ont chaqfois un contenu qui appartient lune des dix catgories car toutes les propositions construites pdelles indiquent soit une essence ( ti esti ) soit une qualit soit une quantit soit lune des autresattributions 19. La diffrence notable avec le passage desCatgories cit prcdemment, concerne la

    premire des catgories : l ctait la substance ( ousia ), qui correspondait au sujet logico-ontologique,tandis quici cest lessence ou le ce-que-cest ( ti esti ), qui est ontologiquement un attribut. En outre,lessence peut tre attribue un sujet de nimporte quelle catgorie, comme lindique la suitepassage : Lorsquon indique ( smainei ) lessence, on indique tantt une substance ( ousia ), tantt unequalit, tantt lune des autres attributions. Lorsquen effet on dit dun homme considr : ce quconsidre est un homme ou un animal, on dit une essence et on indique une substance ; lorsquondune couleur blanche considre que ce quon considre est un blanc ou une couleur, on dit u

    16 Top. I 14, 105 b 19-29.17 Top. I 14, 105 b 30-31.18 Top. I 4, 101 b 17-19. Lexamen de ces quatre types dattributs, que la tradition mdivale a appels prdicables , couvre les chapitres 4 8. Labsence de lespce parmi les prdicables a fait dire J. Brunsdans son dition, que les sujets ne sont pas dans lesTopiques les substances particulires ou individuelles, cest--dire les substances premires desCatgories , mais les espces. Cependant, le chap. 9 prend clairement commeexemples des sujets particuliers. En fait, lespce est bien prsente comme attribut par lintermdiaire ddfinition, qui en est lexpression logique.19 Top. I 9, 103 b 25-27.

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    essence et on indique une qualit. Et de mme si dune grandeur dune coude considre, on dit ce quon considre est une grandeur dune coude, on dira une essence et on indiquera une quantitde mme pour les autres, car chacun dentre eux, si on le dit de lui-mme ou si on dit de lui son geindique son essence, tandis que si on le dit dautre chose, il nindique pas lessence mais une quantune qualit ou lune des autres attributions. 20. Par exemple, si on dsigne du blanc et quon dise cestdu blanc ou cest une couleur , on indique lessence de la chose considre ; mais si on dsignmaison et quon dise elle est blanche , on nindique pas son essence mais une de ses qualitspour dire son essence on devrait dire que cest une maison. Dans le premier cas, le sujet grammaticcorrespond pas un sujet ontologique, car on peut prendre pour sujet dune proposition une qualitune quantit ou une action, etc., mais en sachant que ce sujet grammatical se trouve dans une substqui en est le sujet rel, puisquil ny a pas de qualit, de quantit, etc., qui ne soit celle dun certain

    On peut donc citer de deux manires la srie des catgories, soit, comme dans lesCatgories , encommenant par la substance, qui est la fois sujet (quand elle est individuelle ou premire) et att(quand elle est gnrale ou seconde, cest--dire leti esti dune substance premire), soit, comme dansles Topiques , en commenant par lessence, qui est toujours un attribut. La premire srie insistdavantage sur les types ontologiques (les genres dtants), et la seconde sur les types dattributs21.

    On voit par cet exemple que lesTopiques apportent bien quelques pierres ldifice de laphilosophie, mme si ce nest pas leur fonction premire. En effet, la dialectique et la philosophi

    elles sopposent quant au domaine dapplication et la valeur de vrit, peuvent partager certamthodes. Cest ainsi que, outre son avantage dexercer lintelligence et de faciliter les rapphumains, Aristote reconnat la dialectique une utilit pour les connaissances philosophiques parcela mthode diaportique, qui permet de prparer la rsolution dune question en argumentant danssens et dans lautre, est en fait une mthode dialectique. Bien plus, les principes indmontrableschaque science peuvent tre mis lpreuve par cette mme mthode22. La mme fonction examinatrice( exetastik ) est appele peirastique en MtaphysiqueG, cest--dire capable de mettre lpreuve , cequi constitue une certaine infriorit de la dialectique par rapport la philosophie, puisque celpossde la capacit de dpasser cette tape prparatoire pour atteindre un savoir positif. Il ne faut dpas confondre le rle de la dialectique dans le domaine doxique, o elle est seule et souveraine, et le domaine scientifique, ou elle ne constitue quune premire tape de linstitution du savoir. ailleurs, Aristote ne mentionne jamais la conception platonicienne de la dialectique, celle qui, da

    20 Top. I 9, 103 b 27-39.21 Cest pourquoi, M. Frede (1987), suivi de D. Morrison (1993), ont propos de distinguer les catgorieprdicats et les catgories mtaphysiques .22 Top. I 2, 101 a 25-b 4.

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    les indications des Analytiques Seconds 27. Sil est vrai quon y trouve relativement peu de syllogismes, il estprobable que lintrt trop exclusif de certains interprtes pour la seule tape dmonstrative ait oublier quel point les Analytiques rgissent lensemble des tapes scientifiques. Un passage fondateur cet gard est celui-ci :

    Lobjet de la science et la science ( epistm ) diffrent de lobjet de lopinion et de lopinion parle fait que la science est gnrale et passe par des choses ncessaires, or le ncessaire ne peut autrement. Dautre part, il existe des choses vraies et relles, mais qui peuvent tre autrement. Ildonc clair quil ny a pas de science leur sujet, car des choses qui peuvent tre autrement serconsidres comme ne pouvant tre autrement. Il ny en a pas non plus dintelligence car jappintelligence le principe de la science. Et pas davantage de science non dmonstrative ( epistmanapodeiktos ) cest--dire de saisie de la prmisse non mdie. 28.

    Trois tapes de la connaissance scientifique sont voques ici, qui partagent lexigence dncessit : la science dmonstrative, lintelligence et la science non dmonstrative des prmisses, ccorrespondant lacquisition, longuement dcrite au livre II, des dfinitions indmontrables. dmonstration consiste prouver que les proprits dun certain genre appartiennent bien ce gepar soi, cest--dire que lessence du sujet en est la cause29. Cest pourquoi, on ne peut dmontrer uneproprit dun genre partir des principes dun autre genre, car, mme dans les cas o lattribution vraie, elle ne sera pas propre ce genre. Par exemple, il nappartient pas la gomtrie de mo

    quil y a une seule science des contraires, ni mme que deux cubes font un cube, (...) car cela neappartient pas en tant que genre propre, mais en tant que quelque chose de commun. (I 7, 75b 12-Ces attributs communs appartiennent par soi un genre commun et font lobjet dune autre scienplus gnrale30, de sorte que, de toutes faons, une science une est science dun genre un (I 28, 838). Dautre part, le rle des sciences les plus gnrales ne consiste pas dmontrer les princpropres aux autres sciences car ceux-ci sont ultimes et non dductibles de principes antrieurs (I 9,16-18). Ceci ne signifie pas quune science du rel dans son ensemble, si elle existe, ne peut

    27 Notamment II 13, 97 a 23. R. Bolton (1987) a bien montr cette correspondance entre les exigencscientifiques exposes dans les Analytiques et les pratiques scientifiques mises en uvre dans les traits de sciencenaturelle.28 Anal. Sec . I 33, 88b 30-37. Cf. I 3, 72b 18-20.29 Anal. Sec. I 6, 75a 28-31. Cf. aussi II 3, 90b 33-34 ; II 4, 91a 14-15.30 Le fait que deux cubes font un cube est dmontr par la mathmatique gnrale, car cest une rgle comm larithmtique et la gomtrie ; le fait quil y a une seule science des contraires est dmontr paphilosophie, car cest une proprit commune de tous les tants.

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    tablir des relations vraies entre les notions gnrales mises sa disposition par lintelligence35. Lasimple forme pense jouit dun autre type de vrit que celle des propositions, une vrit sapossibilit derreur, qui consiste simplement en la saisie de la notion36 ; on peut en effet se tromper surla dfinition dune notion ou sur son attribution un cas particulier, mais le fait quon pense tnotion, au moment o on la pense, est incontestable.

    LES SCIENCES THEORIQUES Les sciences thoriques (ou thortiques , pour rendre le grecthertik ) sont consacres

    cette sorte dtants dont les principes ne peuvent tre autrement 37, se distinguant ainsi des sciencespratiques et productrices, dont le domaine est celui des choses qui peuvent tre autremen

    essentiellement parce quelles sont produites par les humains et dpendent de leurs choix. Parmi les sciences thoriques, Aristote distingue la physique, la mathmatique et la philosop

    premire, en fonction du statut ontologique de leurs objets respectifs : La physique connat choses non sparables mais non immobiles, la mathmatique des choses immobiles mais probablemnon sparables et comme dans la matire, et la premire, des choses la fois sparables immobiles. 38. Dans la Mtaphysique , il ajoute aux sciences thoriques la science de ltant en tantqutant , quil prsente comme une science gnrale de tout ce qui est, par opposition aux au

    sciences thoriques qui tudient chacune un domaine particulier. La relation entre cette sciengnrale et la philosophie premire constitue lune des plus grandes difficults de ltude d Mtaphysique et probablement le principal sujet de controverse entre les interprtes. Jvoquerai dondabord les deux sciences sparment avant den venir leur relation.

    En ce qui concerne les mathmatiques, il semble quAristote leur ait consacr un trait, mnous nen avons gard aucun passage39. Dans la Mtaphysique , il sinterroge longuement sur le statut desobjets mathmatiques, les nombres et les figures gomtriques, montrant prcisment quon ne peu

    35 Parfois le verbenoein est utilis dans un sens plus large, correspondant ladianoia , cest--dire larticulation deconcepts.36 Mtaphysique Q 10, 1051b 17-30.37 thique Nicomaque VI 2, 1139 a 7-8.38 Mtaph . E 1, 1026a 13-16. Dans ce chapitre, les trois disciplines thoriques ( thertikai ) sont appelessuccessivement sciences ( epistm , 1025b 19), penses discursives ( dianoia , 1025b 25) et philosophies ( philosophiai , 1026a 18-19).39 Diogne Larce mentionne parmi les uvres dAristote un traitSur la monade , ainsi que trois traits demathmatique applique : Astronomique, Optique etSur la musique .

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    concevoir comme sparables de la matire, cest--dire comme existant indpendamment des comatriels. Cet examen est principalement men aux livres M et N, sous la forme dune rfutationcourants pythagoriciens et platoniciens qui affirmaient lexistence indpendante, et mme principdes nombres. Pour Aristote, les vrits mathmatiques sont bien universelles et immuables, mais gnralisation rsulte de labstraction ( aphairesis ) par notre esprit de certaines proprits des grandeurs,qui sont en ralit insparables de la matire. Loptique, lharmonique et lastronomie sont des scie la fois physiques et mathmatiques, physiques en tant quelles sappliquent des corps naturelmathmatiques en tant quelles en tudient des proprits numriques et gomtriques40.

    I. La science physique

    Telle quelle est prsente dans les passages cits des livresG et E, la physique recouvre lamajeure partie du rel observable, et se divise en une srie de sciences particulires commecosmologie, la gologie, la zoologie, la psychologie. Comme son nom lindique, elle tudie toutants naturels ( phusika ), ceux-ci tant dfinis comme possdant en eux-mmes le principe de leurchangement. Ce sont donc, dune part, les tres vivants, dautre part tous les corps, anims ou passont soumis la pensanteur ou dautres changements dus leur propre matire41. Le changementnaturel soppose ainsi au changement contraint, qui sexerce sur un corps partir de lextrieur, inc

    tous les changements causs par la technique humaine ou par les autres tres vivants. tant donngrand nombre daspects communs toutes ces catgories de changements, certains passages dphysique exposent une thorie gnrale du changement et pas seulement la thorie du changemnaturel qui constitue son objet propre.

    a. Thorie du changement en gnral et du changement naturel

    Les lments essentiels de la thorie du changement tant valables tant pour le changemetechnique que pour le changement naturel, le premier est frquemment utilis par Aristote comparadigme pour mieux comprendre le second ; quand, en revanche, certaines propritnappartiennent qu lun ou lautre, il prend soin de le signaler et den donner la raison. Cest su

    40 Daprs Phys . II 2, 194a 7-12, elles sont les parties les plus physiques des mathmatiques ; en Mtaph . Lambda 8,1073b 3-8, lastrologie mathmatique doit statuer notamment sur le nombre des mouvements dont lorbobservable de chaque astre est la rsultante. Sur la distinction entre laspect mathmatique et laspect physiqces sciences, cf. aussi Anal. Post. I 13, 78b 39-79a16.41 Phys. II 1, 192b 12-23.

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    au livre II de laPhysique quil tablit ce qui concerne plus prcisment la nature, mais il nous fautdabord parcourir les indications communes tout changement.

    On a pris lhabitude de traduire par mouvement le termekinsis , qui, chez Aristote, a unesignification beaucoup plus large que celle que nous donnons au mouvement depuis lpoque modeEn effet, sont regroups sous ce terme non seulement le mouvement selon le lieu (dplacement transport : phora ) mais aussi les changements quantitatifs (croissance :auxsis et dcroissance : phtisis ) etle changement qualitatif (altration :alloisis ). Ces trois types de mouvements sont galement inclusdans le genre plus large du changement ( metabol ), qui comprend en outre la gnration ( genesis ) et ladestruction ( phthora ). La distinction entre ces deux derniers changements et les mouvements est que leuns font passer un sujet de ltre au non-tre et inversement, tandis que les autres se produisent dun mme sujet qui subsiste42.

    Aristote ne fournit pas de vritable dfinition du mouvement et du changement ; on peusupposer que leur genre est la catgorie de lagir et du ptir, puisque certaines altrations, comme lde chauffer et dtre chauff, sont cites comme exemples de cette catgorie43. Ils sont surtoutprsents comme des actes ( energeia ) ou des effectivits ( entelecheia ) dun sujet : leffectivit de ltant enpuissance, en tant que tel, cest le mouvement 44 et, plus prcisment, leffectivit de ltant enpuissance, quand, tant effectivement, il est en acte non en tant que lui-mme mais en tant que mobcest le mouvement 45. Dans lontologie aristotlicienne, lacte dun corps est son existence effectiv

    (par opposition sa puissance, ou existence possible) en tant quelle est dune certaine espce :exemple, lacte ou lexistence dun navire est dune autre sorte que lacte dun animal. Le mouvenest pas cet acte essentiel qui exprime le type dtre dun tant, mais une certaine caractristiquecorps, qui peut tantt tre ralise tantt tre seulement potentielle. En outre, un mouvement est acte inachev , car il est un processus qui se droule dans le temps jusqu un certain terme, alor

    42 Phys. V 1, 225 a 1-b 9.43 Catgories , 9, 11b 1-8.44 III 1, 201 a 10-11. Cf. aussi leffectivit de ce qui est possible, en tant que possible, il est manifeste que le mouvement (201 b 4-5). Si ctait une dfinition au sens strict, elle serait circulaire puisque le mouvemeacte serait dfini partir du mouvement en puissance, alors que celui-ci se dfinit ncessairement partilacte.45 III 1, 201 a 27-29. Ce chapitre est antrieur la distinction explicite entre mouvement et changement Aristote utilise toujours le terme kinsis. Cependant, lexemple de la construction de la maison montre que leraisonnement sapplique aussi aux gnrations et donc au changement en gnral.

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    lacte au sens strict est une action qui atteint instantanment son rsultat : ds quon voit, on a vu vue nest pas atteinte la fin dun processus mais est instantane46.

    Pour rendre compte dun changement, il faut en fournir les causes ( aitia ), terme quil fautentendre au sens large de conditions . Elles sont de quatre types : la cause matrielle est le sujesubit le changement ; la cause motrice (appele aussi efficiente partir des commentateurs laest ce qui donne limpulsion au changement ; la cause formelle est la forme laquelle aboutichangement et qui peut tre, selon les types de changements, une substance, une quantit, une quaou un lieu ; la cause finale est le but du changement, qui dans certains cas se confond avec la ralisde la forme, dans dautres est le but vis par cette ralisation.

    La thorie des quatre causes, ainsi prsente au livre II de laPhysique et mentionne dans denombreux autres passages du corpus, est prcde, au livre premier, par une tude du devenir envi

    dans la prolongation des philosophies prsocratiques. La question qui leur est pose est celle dpossibilit mme du devenir en gnral, de ses conditions ou de ses principes, ainsi que celle derapport avec ltre. En se servant des propositions de ses prdcesseurs, quil met lpreuconfronte et complte, Aristote aboutit la dmonstration des trois principes ncessaires de todevenir, qui sont, dune part, les deux contraires entre lesquels se fait le changement et, dautre pamatire qui leur sert de substrat, cest--dire le corps dans lequel a lieu le changement. Pour expliqugnration, cest--dire la venue ltre dune substance, il introduit la thorie hylmorphiste s

    laquelle toute substance matrielle se dcompose en une matire et en une dtermination essenti( eidos ou morph ) ; par exemple, le lit se dcompose en bois et en forme du lit, la statue en bronze et eforme de statue, lhomme en matires organiques et en forme de lhomme. La forme nest pseulement la figure extrieure de lobjet, mais lensemble de ses caractres distinctifs. Avant de reclune de ces formes, la matire en avait ncessairement dj une autre, car le bois est lui-mdcomposable en certaines matires terreuses agences suivant la forme bois , et ces matipeuvent leur tour tre dcomposes jusquaux quatre lments dits premiers , cest--dire lessimples. Ceux-ci sont galement des substances matrielles composes car, comme certains dentrepeuvent se transformer lun en lautre, il faut leur supposer aussi un substrat commun, mais qui rindtermin car il nest jamais ralis en tant que tel47. Ce quAristote appelle matire nest donc pasle corps mais un des deux composants de tout corps, qui peut seulement tre isole de la forme par analyse logique, mais qui nexiste jamais seule. Ainsi donc, toute chose qui se transforme passe d

    46 Selon la distinction tablie plus explicitement dans la Mtaphysique , Q 6, 1048b 18-35 et dans le traitDe lme, II 5, 417 a 16 ; III 7, 431 a 6.47 Dans certains textes la matire est appeleto amorphon ( Phys.I 7, 191a 10) outo aeides ( Du ciel , III 8, 306b 17),mais cest toujours relativement la forme qui doit advenir et non au sens dun informe absolu existant par s

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    la nature ne fait rien en vain . Elle ne doit tre comprise ni dans le sens dune anthropomorphisade la nature, ni dans le sens dune vise globale laquelle contribuerait lensemble des tres natElle signifie simplement que chaque tre vivant se dveloppe non pas au hasard ou selon les ncesde sa matire, mais en suivant une sorte de programme de dveloppement qui se trouve dans semence, plus prcisment dans la forme spcifique transmise par celle-ci. En effet, la forme spcifindique les fins de lespce, cest--dire les activits que cette espce est capable de dvelolorsquelle spanouit au mieux ; cest en ce sens quon peut dire que la venue ltre dun vivant en vue dune fin dtermine. La matire possde un autre type de ncessit, appel hypothtique conditionnelle , qui consiste en lexigence quelle soit adapte aux fonctions comprises danforme50 : de mme quune scie doit tre en mtal, ainsi un tre sentant ou pensant doit tre fait dcertains tissus adapts ces actes.

    Quant au hasard, il faut examiner sil a sa place parmi les causes naturelles ou non. Aristlexclut dabord de tous les phnomnes qui se produisent toujours ou le plus souvent de la mfaon ; en effet, on ne parle de hasard que lorsquil ny a ni rgularit ni ncessit ce que les chospassent ainsi. Cest pourquoi, ni les mouvements des astres ni les gnrations des tres vivantspeuvent tre expliqus par ce type de cause, comme il pense que laffirmaient respectivemDmocrite et Empdocle51. Ensuite, parmi les vnments qui se produisent parfois, on ne parle dehasard qu propos de ceux qui pourraient aussi tre viss, lorsquils se produisent sans avoir t vi52.

    Par exemple, on rencontre quelquun par hasard, lorsquon nest pas sorti dans lintention derencontrer, alors quon laurait pu. Aristote propose de rserver aux intentions humaines le terme hasard ( tuch ), dans la mesure o elles seules sont le fruit dune dcision rflchie ( proairesis ), etdutiliser pour tous les autres cas le terme plus large de mouvement spontan ( automaton )53 : parexemple, une pierre qui tombe et frappe un homme le fait par mouvement spontan car lacte frapper na pas t vis, alors quil aurait pu ltre si quelquun avait jet la pierre. Hasard et mouvspontan sont donc des noms donns certaines causes motrices, qui agissent sans ncessit maccidentellement.

    50 Phys. II 9, 200 a 7-15. Cf. aussi, ci-dessous, la question du finalisme dans la biologie.51 En fait, ni ces deux philosophes, ni la science moderne dailleurs, ne recourrent au hasard pour expliquerrgularits des phnomnes mais bien pour expliquer lapparition dune nouvelle sorte de choses. Or, Arispensait que lordonnance actuelle de lunivers tait ternelle, ainsi que les espces des tres vivants, de sortenavait pas besoin du hasard pour caractriser leur apparition.52 Phys. II 5, 196 b 10-24.53 Phys. II 6, 197 a 36-b 18. La tradition traduit plutttuch par fortune etautomaton par hasard , mais cestraductions ne rendent pas la distinction quAristote cherche introduire entre les deux.

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    La science physique a galement pour tche dexaminer si existent effectivement, et selon qmode dtre, certaines ralits affirmes comme naturelles par des prdcesseurs et intervenant dltude du devenir, comme linfini (III 4-8), le lieu (IV 1-5), le vide (IV 6-9) et le temps (IV 10-14)

    A propos de linfini, Aristote oppose dabord plusieurs arguments tant lexistence dugrandeur infinie indpendante de tout corps qu celle dun corps infini du type de llment premchez certains prsocratiques. En revanche, il reconnat quexistent ncessairement deux types dinlun par la division, car les continus sont infiniment divisibles, lautre par laddition, car le tempmouvement et les nombres se poursuivent linfini54. Cependant, dans les deux cas, par dfinitionlinfini nexiste quen puissance, puisquil est ce quon natteint jamais, ce qui nest jamais effectivralis55. Cherchant ensuite dfinir le lieu, il le situe demble en relation avec les corps : sil y

    sens parler de lieu, cest parce quon observe que les corps se trouvent quelque part, occupent place et schangent leurs places. Lhypothse dun espace indpendant des corps na aucune upour Aristote puisque, dune part, il considre la matire universelle comme incre, de sorte quil pas concevoir lorigine un espace vide qui aurait ensuite t rempli de corps, et dautre part, selthorie de la substance, lextension existe parce quexistent des substances matrielles tendues, elinverse : un espace abstrait nest pas ncessaire comme condition de lextension. Le lieu est ddfini partir de lextension des corps, mais aussi partir de la notion dinclusion, car il est ce

    quoi se trouve chaque corps ; cest pourquoi sa dfinition sera la premire limite immobilecontenant 56 et non du contenu car la limite du contenu se dplace avec le contenu, tandis quelieu est indpendant de chaque corps particulier puisquil peut en tre dtach et tre occusuccessivement par des corps diffrents. Une telle dfinition entrane ncessairement limpossibdaffirmer lexistence du vide au sens dun lieu vide de tout corps. Aristote devra cependant dplune longue argumentation pour carter les raisons avances par les partisans du vide, quil sagis vide extrieur lunivers matriel ou du vide intrieur aux corps, ncessaire pour expliquerdiffrences de densits.

    Enfin vient ltude du temps, clbre juste titre pour sa subtilit, et pas seulement parce qusagit de la premire investigation systmatique du temps, selon tous ses aspects la fois subjectobjectifs. Elle dbute dans la plus grande perplexit quant son existence mme, puisque le pass plus, le futur nest pas encore, et le prsent est tellement fugitif quil semble insaisissable. En affirme Aristote, seuls le pass et le futur ont une extension et sont des parties du temps, mme si l

    54 Phys . III 6, 206 a 9-12, 25-33.55

    Id ., 206 a 14-25, b 12-20.56 Phys . IV 4, 212 a 20.

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    mode dtre est tel quils ne demeurent que dans la mmoire ou dans lanticipation ; le prsent, qualui, na pas dextension mais constitue la limite, toujours mouvante, entre les deux. Aristote apcette limiteto nun , qui signifie le maintenant ou linstant prsent, puis tout instant en gnral, car toupriode de temps peut tre dtermine en utilisant deux instants comme limites entre lesquelles elldploie. Lexprience subjective permet dtablir quil ny a pas de temps sans mouvement57 ; plusprcisment, nous disons quil sest pass du temps lorsque nous prenons sensation de lantrieupostrieur dans le mouvement 58, de sorte que voil ce quest le temps : le nombre du mouvementselon lantrieur et postrieur 59. Le terme nombre ne doit pas tre compris au sens du nombrant , cest--dire du nombre mathmatique, qui sert nombrer, mais au sens dun nomnombr , cest--dire dune quantit dtermine par un nombre. Le temps est la dure, lextennombrable du mouvement, comprise entre la limite antrieure et la limite postrieure60. Ce nest donc

    pas le temps qui permet dintroduire les notions dantrieur et de postrieur, mais la grandeur le lonlaquelle se dploie un mouvement. Selon cette dfinition, le temps a une existence objectiindpendante de toute condition subjective, y compris de la facult de nombrer, puisque lextensnombrable du mouvement peut exister sans personne pour la nombrer61.

    La grandeur, le changement et le temps sont des continus, cest--dire quils sont divisiblesune infinit de parties entre lesquelles est une seule et mme la limite de chacune des deux partielaquelle elles sont en contact et, comme le nom lindique, elles tiennent ensemble. 62. Ils peuvent se

    mesurer lun par lautre, partir de la dtermination dune unit de mesure, soit temporelle, comlanne, le jour ou lheure, soit spatiale, comme le stade ou la coude, soit de vitesse, rsultanrapport entre le temps et lespace parcouru. Mais si la plupart des mesures peuvent tre fix

    57 Phys . IV 11, 218 b 21 219 a 10.58 Phys . IV 11, 219 a 23-25.59 Id ., 219 b 1-2.60 Etant donn cette ambigut du mot nombre , il nest pas tonnant que les Stociens et les picurie

    adoptant la mme dfinition du temps, aient cependant remplacarithmos pardiastma , qui signifie plus clairement intervalle , extension . Dautre part, largumentation de Plotin contre la thorie aristotlicienne du trepose en grande partie sur la signification toute diffrente quil attribue au nombre.61 La question de savoir si une me doit exister pour quil y ait du nombrable, en vertu de la co-dpendance relatifs, est conclue de manire peu explicite mais le sens le plus probable est que, puisquil peut y avoimouvement sans une me, il peut aussi y avoir de lantrieur et du postrieur dans ce mouvement, donc temps (14, 223 a 16-29).62 Phys . V 3, 227 a 11-12. Le termesuneches vient du verbesunechein , tenir ensemble . Les proprits du continu

    sont longuement tudies au livre VI, o elles permettent notamment Aristote de rfuter les raisonnementsZnon sur limpossibilit du mouvement.

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    conventionnellement, toutes les mesures temporelles reposent ultimement sur les mouvements dastres, lunit de base tant la somme dun jour et dune nuit, correspondant une rotation compltsoleil autour de la terre (ou, comme nous le dirions actuellement, un tour complet de la terre sur emme). Il y a donc un temps universel qui unifie la multiplicit des temps particuliers, ct dsimple unit gnrique de tous les temps63.

    Linfinit du temps dcoule de la nature de linstant ; en effet, puisque linstant est une limitsein dun continu, ncessairement il doit y avoir du temps de part et dautre de chaque instant, donny a pas dinstant initial ni final. Ds lors, puisque le temps nexiste pas sans le mouvement, cesera galement infini. Or, ceci est possible de deux faons : ou bien il existe au moins un mouvemternel, ou bien la succession de mouvements chaque fois diffrents est ternelle. La premire soluest adopte par Aristote sans justification explicite, mais on peut deviner les raisons de sa prfren

    dabord, cette solution est plus simple car pour lautre il faut trouver un principe qui garantisse qusuccession ne sarrte jamais ; ensuite, lexistence dun mouvement ternel semble corroborelobservation de la rotation rgulire des astres fixes depuis dj des millnaires. De cette positirsulte, en vertu de la thorie du rapport entre moteur et mobile, la ncessit daffirmer aussi un moentretenant ternellement ce mouvement. Or, pour tre toujours en acte, ce moteur doit tre sanmatire (car toute matire peut changer, de sorte quil pourrait modifier son action), sans grandeur il doit avoir une puissance infinie, or il nexiste pas de grandeur infinie et une grandeur finie ne

    avoir de puissance infinie)64

    . Ici sarrte lenqute physique, car un tant absolument immuable nest paun tant physique ; la dtermination de lessence de ce moteur et de son mode daction appartient philosophie premire et sera mene au livreL de la Mtaphysique . Avant dy arriver, voyons dabord lesapprofondissements apports la thorie physique dans dautres traits.

    b. Domaine de lternel, mobile seulement par transport

    La conception cosmologique dAristote est expose dans les deux premiers livres du traitDuciel . Une partie des thmes abords le sont galement dans laPhysique , o lon trouve dj laffirmationque lunivers est fini, sphrique, inengendr et imprissable, et m dun mouvement circulaire conCe qui est propre au trait Du ciel , ce sont les prcisions concernant ce domaine de limmuableconcern par un seul type de mouvement. En premier lieu, le corps dont le mouvement naturel circulaire ne peut tre compos daucun des quatre lments, car ceux-l sont par nature ports en ldroite. Dans limpossibilit o nous sommes daller lobserver de plus prs, on peut se contenter

    63 Pour la premire mesure universelle, cf. 223 b 15-23 et pour lunit gnrique du temps, cf. 224 a 2-15.64 Dmonstration au chapitre VIII 10.

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    lappeler, comme le faisaient les anciens mythes, ther 65. Cependant, les astres ne se dplacent paseux-mmes, sinon on observerait des phnomnes causs par leur traverse rapide dun milieu doivent donc tre entrans par le mouvement dautre chose, savoir des cercles dther dune certpaisseur (les sphres ) formant une srie homocentrique autour de la terre66. La description dtailledu systme des sphres se trouve dans la Mtaphysique , au chapitre 8 du livreL : les astres fixes (cest--dire lensemble des constellations) se trouvent tous fixs la sphre la plus loigne de la terrelimite lunivers ; les astres errants (les plantes), ainsi que le soleil et la lune, sont attachs des spordonnes entre celle-l et la terre. Le mouvement des astres fixes se limite une seule rotation simmais celui des plantes, tant irrgulier pour un observateur situ sur la terre, ncessite, pour expliqu, la conjonction de plusieurs rotations, donc de plusieurs sphres ayant des mouvements vitesse et dorientation diffrentes67. Chaque sphre a son mouvement propre, caus par son propre

    moteur, et en outre subit par contigut le mouvement des sphres plus excentriques68. Le premierlment nest pas le seul se trouver dans cette rgion, car lapparence igne des astres est explipar le frottement de lair qui se trouve sous les sphres69, et le halo qui se forme autour du soleil et de lalune, par la rflexion sur lair et sur la vapeur entourant ces astres70 ; il ny a donc pas de sparationstricte entre ce quon appellera plus tard le sublunaire et le supralunaire , termes qui ntrouvent pas chez Aristote.

    Une des difficults dinterprtation du traitDu cielporte sur la question de savoir si Aristote

    institue une vritable thologie astrale, du fait quil qualifie parfois de divins les astres et mlunivers, ou parce que certaines explications font rfrence la mythologie traditionnelle. En ceconcerne ces rfrences, R. Bods71 a montr quelles nintervenaient jamais que pour confirmer les

    65 Du ciel , I 3, 270 b 20-25. Mme rfrence aux anciens et Anaxagore dans les Mtorologiques (I 3, 339 b 20-27 ;II 7, 365 a 19 ; II 9, 369 a 14). Dans le traitDe la gnration des animaux (II 3, 737 a 1), le pneuma qui se trouvedans le sperme et transmet le mouvement vital lembryon est dit dune nature analogue llment astres ; cest une matire qui possde la fois les proprits de lair et du feu.66 Dmonstration au chapitre II 8, 289 b 1-290 b 11.67 Cette cosmologie est emprunte par Aristote aux mathmaticiens astronomes Eudoxe de Cnide et CalippeCyzique.68 Dans les Mtorologiques , Aristote attribue aussi aux translations des sphres la causalit efficiente desphnomnes se produisant dans les quatre lments autour de la terre (I 2, 339 a 19-24), comme le mouvemdes masses dair.69 II 7, 289 a 19-35.70 Mtor . III 3, 372 b 15-17, 373 a 1-2.71 Aristote et la thologie des vivants immortels (1992).

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    rsultats de largumentation ou pour pallier par lanalogie une faiblesse exprimentale72, mais en aucuncas pour instituer une thologie astrale ou cosmique. Quant ladjectif divin , il est souvent attaux choses ternelles, en tant que telles, sans quelles soient pour autant assimiles des dieux. Leprincipe sur lequel Aristote fonde parfois un raisonnement alors quil est dpourvu de toute valscientifique est le principe axiologique. Ainsi, laffirmation que le ciel est un tre anim (II 2, 28530) rsulte de lexigence quil ait une droite et une gauche, parce que le sens de sa rotation ne peutindiffrent mais doit tre le meilleur73 ; de mme, la prfrence accorde considrer les astres commedes tres vivants (II 12, 292a 18-21) repose sur la hirarchie tablie entre eux selon le bien quilscapables datteindre. Cependant, ces deux passages sont exceptionnels car toutes les autres indicaconsacres aux astres en font implicitement des corps inanims, en particulier leur absendautomotion. On peut donc supposer que largument axiologique est un reliquat platonicien, dan

    mesure o le traitDu ciel sinspire duTime , qui lutilise abondamment. On le trouve encore sous uneautre forme dans laPhysique , dans laffirmation que le plus simple est le meilleur et doit donc treprivilgi dans les explications scientifiques.

    Une autre difficult qui a maintes fois t souleve et dbattue par les interprtes est cellesavoir si lexplication du mouvement des sphres propose dans le traitDu ciel est compatible aveccelles du livre VIII de laPhysique et du livreL de la Mtaphysique . En fait, lhypothse dun moteurimmobile pour chaque sphre mue apparat dans le traitDu ciel ct de la proprit naturelle qua

    lther de se mouvoir circulairement (II 6, 288a 27-b 7) ; en labsence dune explication explicitpeut faire lhypothse que la nature de lther ne suffit pas dterminer lorientation et la vitesschaque rotation, de sorte quun moteur distinct est ncessaire pour chacune.

    c. Domaine soumis la gnration et la corruption

    1. Le non vivant : thorie des lments et mtorologie

    ( Du Ciel III-IV , De la Gnration et de la corruption, Mtorologiques )

    Les Mtorologiques tudient les phnomnes naturels moins rguliers qui se produisent dan le monde entourant la terre, sous la translation circulaire 74, tels que les comtes et les toiles filantes ;

    72 Dautres analogies prennent la place dune explication scientifique inaccessible ; par exemple, au chap. II justification du nombre de rotations ncessaires chaque astre est obtenue par une comparaison avec le nomdactivits diffrentes mises en uvre chez les plantes, les animaux et les hommes pour atteindre leur perfect73 Mme affirmation en II 5, 288 a 2-12 o la rotation des astres de la gauche vers la droite est justifie par leque celle-ci est la direction la plus noble.74

    Mtor . I 7, 344 a 8-10 ; I 9, 346 b 10-11. Cette localisation est souvent rsume par lexpression monsublunaire , qui ne se trouve pas dans le texte aristotlicien, et que je prfre viter dans la mesure o elle d

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    Quant la thorie des lieux naturels, qui occupe une place trs importante dans ces traits, esemblait Aristote la seule explication possible pour comprendre la chute des corps lourds llvation des corps lgers. Mme si elle na plus aucune valeur depuis la dcouverte de la loi gravitation universelle lpoque moderne, on ne peut en tous cas lui reprocher dtre expodogmatiquement et sans argumentation scientifique : tout le livre IV du traitDu ciel est consacr lexamen des arguments propres la confirmer ou la rfuter. Sa prsentation nest tout fait compquavec la dtermination de la cause premire de ces mouvements, au livre VIII de laPhysique . Aristotey rappelle dabord que les quatre lments sont des choses inanimes qui sont portes par nature vleur lieu propre (le lger vers le haut, le lourd vers le bas), de sorte que les pierres se meuvent vebas parce quelles sont lourdes et que cest cela ltre du lger et du lourd, lun dfini par le lautre par le bas (255 b 15-16). Ce type de mouvement naturel et ncessaire est donc une prop

    insparable de certaines matires. Leur nature est telle que, tant quil ny a pas dobstacle, ellesarrtent pas, jusqu ce quelles aient atteint la limite la plus basse ou la plus haute de lunivers (cdire son centre ou sa priphrie).

    La physique des lments est complte par le traitDe la gnration et de la corruption,qui met envidence les conditions gnrales de la gnration et de la destruction de tous les tants naturels, qsoient vivants ou non vivants. Plus prcisment, il se propose dtudier la cause matrielle deperptuit de la gnration, faisant rfrence Physique VIII pour la mme enqute propos de sa cause

    efficiente. La cause efficiente universelle de la gnration, rappelle Aristote, est le cercle de lcliptqui alternativement loigne et rapproche le Soleil, mais la cause du fait que cette translation ne sajamais est quelle est entrane par la premire translation, qui, de cette manire indirecte, est la cefficiente de tout changement78. Il ajoute encore que la circularit des translations des sphres est dunecertaine manire conserve dans les gnrations des choses prissables, citant plusieurs exemplespluies reviennent leur point de dpart aprs tout le cycle de lcoulement et de lvaporation saisons se suivent en cycle ; les animaux reviennent galement leur point de dpart, non individuellement mais par leur progniture, en faisant chaque fois recommencer le dveloppeme79.Quant la perptuit de la cause matrielle, elle est garantie par le fait que les quatre lmeprissables (le cinquime tant ternel) se transforment continuellement lun en lautre maisdisparaissent jamais dans le nant, de sorte quil faut admettre quils ont un substrat commun, quporte le nom daucune matire car il est seulement puissance de devenir une matire dtermine80.

    78 Gen. corr.,II 10, 336a 15-b 24. Id. Mtor . I 9, 346 b 20-23.79 Gen. corr.,II 11, 338 b 5-19.80 Gen. corr . I 3. Le livre II explique longuement comment interagissent les premires contrarits qui dterminles quatre lments.

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    Les notions connexes tudies dans les chapitres suivants sont : la croissance, le mlangecontact, laction et la passion. Encore une fois, lintrt pour nous ne rside pas dans lexactitudrsultat de ces enqutes, mais dans la manire dont Aristote mne son argumentation, notammentrfutant, lors dexamens trs approfondis, les thories de ses prdcesseurs. En particulier, le grdbat entre la conception continuiste et la conception atomiste du corps ou de la matire en gntrouve ici ses plus subtils arguments, dans un sens comme dans lautre81.

    2. Le vivant

    2. 1. Zoologie

    ( Hist An, Part An, Gn An, Marche An, Mvt An )

    Les aspects philosophiques des traits zoologiques, sur lesquels il est encore intressant depencher, sont principalement la mthode de classification, lexplication tlologique de lontogndes proprits de chaque espce, les explications mcanistes et psychologiques du mouvement.

    En ce qui concerne la premire question, il est gnralement reconnu, depuis les travaux Balme puis de Pellegrin, quAristote na jamais cherch tablir un tableau taxinomique compleanimaux, compos de niveaux fixes hirarchiss. Loin de multiplier les sous-groupes, il se contentcouple genre-espce qui lui permet de dterminer la position relative de tout regroupement par rapp

    un autre : le genre se caractrise par une division en espces suivant des diffrences spcifiquelespce nest autre quune division au sein dun genre. On peut donc multiplier les inclusions dangroupes de plus en plus larges, dont chacun sera considr comme une espce par rapport au penglobant et comme un genre par rapport ceux en lesquels il se divise. Seule lespce dernire octoujours le mme niveau, le tout dernier sous lequel il ny a plus que des individus. Comme Arislannonce clairement au premier livre desParties des animaux , lobjet de ltude est proprement lesespces dernires, car ce sont elles les substances ou les formes, mais il est utile de reprer proprits appartenant en propre des genres plus larges, pour pouvoir tudier en commun tout ce qpartagent plusieurs espces82. Cest pourquoi, Aristote commence par critiquer la mthodedichotomique platonicienne de division, dabord parce quil ny a pas de raison de diviser en dseulement mais quil faut prendre en compte demble toutes les possibilits dexpression dune mproprit ; ensuite, parce que la division doit se poursuivre lintrieur des diffrences dj disting

    81 Gen. corr . I 2, 316 a 14 317 a 17 ; I 8, 325 a 7-12.82 Part. an . I 4, 644 a 12-b 7 ; 5, 645 b 20-28. La mthode comparative est dj mise en uvre dans le premtrait zoologique,Histoire des animaux , qui consiste en un recueil de descriptions anatomiques, physiologiques outhologiques concernant peu prs tous les animaux connus de lpoque.

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    et non en introduisant des caractres extrieurs celles-ci83. Suivent des indications pour diviser selonles caractres pertinents, car nimporte quelle proprit ne constitue pas une diffrence spcifiqu84.Enfin, puisque toute science est connaissance des causes, les parties des animaux et, en gnralproprits de la matire vivante doivent tre comprises partir de la fonction ( ergon ou praxis ) quellespermettent dexercer, cest--dire partir de leur cause finale.

    Cette orientation tlologique est manifeste dans tous les traits biologiques. Le princidirecteur de lenqute est que la nature ne fait rien en vain , formule rpte trs rgulirement justifier par une ncessit quelconque toutes les caractristiques dun organe ou dun comportemanimal. La prsentation des dispositions naturelles en fonction de leur utilit pour la survie de lanicest--dire de leur finalit, se retrouve aujourdhui chez les biologistes darwiniens, selon lesqueltous les tats observs soit les plus importants dentre eux sont les rsultats dune pression slectiv

    donc prsentent la meilleure forme possible pour un animal donn dans un environnement donn. grande dficience dAristote par rapport ce modle est de navoir pas voulu admettre une voludes espces, alors que certains prsocratiques lavaient pressentie, de sorte quil est oblig, pexpliquer la perfection de la forme naturelle, de faire de la ralisation du meilleur un principe naimpossible justifier scientifiquement. En outre, si certaines de ses observations sont pertinenlexigence de trouver une raison tout est souvent pousse jusqu labsurde. Pour ne citer qquelques exemples, dans le traitDe la gnration des animaux, la place des testicules, lintrieur ou

    lextrieur du corps, dpendrait du type de peau de lanimal, selon quelle est apte former enveloppe protectrice ou non85 ; la femelle serait plus grande que le mle chez la plupart des ovipares cause de la ncessit de porter la masse des ufs pendant leur gestation86. Dans tous les cas, lesparticularits matrielles sont dictes par la fonction de lorgane ; ainsi, lutrus est situ plus haplus bas dans le corps de la femelle selon quil doit ou non faire durcir luf avant la pondaison87.

    Cependant, la question principale laquelle sattache Aristote dans ce trait est celle dedistribution des rles dans la reproduction sexue : Il est ncessaire, en effet, davoir ce qui enge

    83 Part. an . I 2-3, 642 b 5-644 a 11.84 Part. an . I 3, 643 a 27-31. Cf.Gen. an . II 1, 732 b 15- 733 b 16 : la distinction entre vivipares et ovipares sefonde sur le critre de lachvement relatif de lembryon, plus achev la naissance chez les vivipares, mane concide daucune manire avec le critre platonicien du nombre de pieds, qui est, par consquent, npertinent.85 Gen. anim. I 12, 719 a 30-b 17.86 Gen. anim. I 16, 721 a 17-20. Comment ne pas penser la mme ncessit de porter les ftus chez les femel vivipares ?87 Gen. anim. I 8, 718 b 5-27.

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    et ce do vient lengendr, et que, mme sils ne font quun, ils diffrent par la forme et aient dfinition distincte ; que, chez ceux qui ont les deux capacits spares, le corps et la nature soautres pour ce qui produit et ce qui subit. Si donc on a le mle comme moteur et producteur, etfemelle, en tant que femelle, comme ce qui subit, la femelle napportera pas la semence du mlesemence mais la matire. 88. Il faut remarquer quau dbut de lenqute Aristote dfinissait le mlecomme ce qui engendre en un autre et la femelle comme ce qui engendre en soi-mme 89, suivantune distinction axiologiquement neutre, tandis que la distinction postrieure entre un principe acet un principe passif est dsormais axiologiquement oriente, alors mme quaucune informanouvelle nest venue la justifier. Il est manifeste quAristote est ici victime de prjugs indignesscientifique comme dun philosophe.

    En outre, cest toujours le mme choix non scientifique de la ralisation naturelle du meill

    qui est invoqu pour rpondre aux deux questions de savoir, dabord, pourquoi il y a gnration animaux, et ensuite, pourquoi cette gnration se fait par lintermdiaire dune division sexu Puisque, parmi les tres, les uns sont ternels et divins, les autres peuvent tre ou ne pas tre, le bet le divin, par leur nature propre, sont toujours causes du meilleur dans ce qui en est capable, maiqui nest pas ternel peut tre et ne pas tre et participer au pire comme au meilleur : lme est meilque le corps et lanim est meilleur que linanim grce son me, et tre est meilleur que ne pas vivre que ne pas vivre ; cest pour toutes ces raisons quexiste la gnration des animaux. En e

    puisque la nature de ce genre ne peut tre ternelle, ce qui est gnr est ternel de la seule mandont il le peut : par le nombre cest impossible () mais par lespce cest possible ; cest pourqugenre des hommes et des animaux et des plantes existe toujours.90. Quant la deuxime question, larponse en est que : Il vaut mieux que le meilleur soit spar du moins bon, cest pourquoi partoucest possible et dans la mesure o cest possible, le mle est spar de la femelle, car le meilleurplus divin est le principe du mouvement, qui est le mle chez les tres engendrs, tandis que la femest la matire. 91. Largument repose videmment sur la prmisse que mle et femelle sont des causede nature diffrente, lun tant moteur (et en outre forme) et lautre matire. Cest seulement au livde la Mtaphysique quon trouve une justification implicite de cette exigence. Aristote y soutient, en effque il est impossible quune substance soit compose de substances se trouvant en elle en actedeux en acte ne feront jamais un en acte 92 ; il ajoute que Dmocrite avait dj vu cela et cest pourquoi

    88 Gen. anim . I 20, 729 a 24-31.89 Gen. anim . I 2, 716 a 14-15.90 Gen. anim . II 1, 731 b 23-732 a 1.91 Gen. anim . II 1, 732 a 5-9.92 Z 13, 1039a 3-5.

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    il ne concevait que les atomes comme substances. Appliqu la problmatique de la gnrationprincipe exclut que les deux gniteurs puissent fournir chacun une forme en acte, car de deux ilrsulterait pas une seule.

    Dans la Marche des animaux et le Mouvement des animaux , lenqute prsente une dimensionphysique nettement plus rigoureuse, reprenant dePhysique VII lide que tout dplacement est leffetdune pousse ou dune traction, et montrant quun dplacement nest possible qu partir dun pdappui, intrieur ou extrieur lanimal93. Aristote y tudie longuement la flexion des membres lors dela marche et son analogue dans les autres espces de locomotion, cest--dire le vol, la nage ereptation. Cependant, ct de ces explications mcanistes, on retrouve toujours le dsir de justipourquoi chaque espce est ainsi constitue, et la rponse tantt rsulte dune ncessit de synergide cohrence entre les diffrents organes, tantt est commande par la fonction quAristote attribu

    chaque vivant et par sa place dans une chelle continue de complexit et de perfection. Le trait Mouvement des animaux est le plus intressant, dune part, en ce quil tend les principes des mouvemenbiologiques tous les mouvements, revenant ainsi sur la ncessit des premiers moteurs immobilsur le mouvement de lunivers, dautre part, en ce quil inclut laction psychologique comme causmouvements. Pour cette raison et comme le trait est manifestement tardif, certains passages peuvservir de complment la question du premier moteur dans Mtaphysique L 94 et la question de lamotricit du dsir dans le traitDe lme 95 . La thorie de la jonction entre le principe psychique et le

    principe physiologique du souffle inn ( pneuma sumphuton ) trouve galement ici sa formulation la plusacheve96.

    2. 2. Psychologie

    Ltude de lme appartient pour une grande part aux sciences thortiques du vivant, dansmesure o elle observe des facults et des fonctionnements qui appartiennent toujours encessairement leurs sujets. Une autre partie de la psychologie relve plutt du domaine pratpotique, celle qui concerne les actes humains contingents et les diffrences individuelles. Cest

    que les qualits et les dfauts du caractre sont voqus dans les Ethiques et quune thorie desmotions est esquisse dans laRhtorique . Mais tout ce qui concerne en gnral la dfinition de lme etde ses facults est ranger dans le domaine thortique, et se trouve dans le traitDe lme ainsi que

    93 Marche an. 3, 705 a 3-25 ; 6, 706 b 18-28; Mouv. an . 1, 698 b 1-7 ; 8, 702 a 22-32.94 Mouv. an . 6, 700 b 29-701 a 6.95 Mouv. an . 6, 700 a 15-29 et 7, 701 a 7-33, o le raisonnement menant laction est prsent sous la forme dsyllogisme.96 Mouv. an . 10.

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    dans lesPetits traits dhistoire naturelle , dans lesquels Aristote dveloppe et prcise certaines questionsseulement bauches dans le premier trait.

    Les conceptions grecques de lme sont nombreuses et diffrent fortement entre elles quantsavoir sil faut la concevoir matrielle ou immatrielle, mortelle ou immortelle, commune tou vivants ou rserve certains, etc. Traditionnellement, le terme psuch , traduit en latin paranima , demme que le terme pneuma , traduit parspiritus , font dabord rfrence au souffle vital qui schappe ducorps lors de la mort, et qui semble responsable de toutes les caractristiques du vivant, commerespiration, la sensation, le mouvement. Aristote conserve cette rfrence trs gnrale la vie, propose une conception unique dans lAntiquit, la seule qui vite tout dualisme entre lme et le cgrce au fait que celle-l nest ni une autre entit ct de celui-ci ni un principe capable de subsindpendamment de lui97.

    Aprs un premier livre consacr lexamen des doctrines de ses prdcesseurs, Aristopropose une dfinition gnrale de lme, dont les versions successives sont : la forme dun cnaturel possdant la vie en puissance , leffectivit premire dun corps naturel possdant la vpuissance et leffectivit premire dun corps naturel organis 98. Les trois versions de la dfinitionne se contredisent pas mais se prcisent progressivement, leffectivit premire tant une divisions de la forme, et le caractre organis du corps tant la condition pour quil soit vivandistinction entre les effectivits premire et seconde est explique dans ce mme passage p

    distinction entre, dune part, la possession dune disposition acquise (que ce soit par la naissacomme la vue, ou par lapprentissage, comme la science) et, dautre part, son exercice (la visiomoment o lon voit, et lactivit scientifique). Cette me gnrale ne correspond comme telle a vivant, mais elle est immdiatement divise en types dmes possdant des fonctions diffrentecorrespondant des types de vivants diffrents. Elles forment ainsi une srie possdant de lantret du postrieur , cest--dire une srie dans laquelle la prcdente est ncessairement comprise dasuivante, comme pour la srie des nombres. Ainsi, lme nutritive, qui caractrise les vgtaux

    97 La thse de Nuyens (1948), selon laquelle Aristote aurait t dans un premier temps dualiste, puis, pmodrment, instrumentaliste, et enfin hylmorphiste, a t rfute par Ch. Lefvre (1955), qui montre quseule conception aristotlicienne a toujours t lhylmorphisme, si lon excepte de possibles traits de jeuno il aurait simplement reproduit la doctrine platonicienne dualiste.98 De Anima , II 1, respectivement 412a 20-21, a 27-28 et b 5-6. Effectivit traduit le terme techniqueentelecheia ,que lon trouve le plus souvent simplement translittr en entlchie ; lentelecheia et lenergeiautilises au senstechnique de lacte oppos la puissance sont manifestement synonymes et interchangeables.

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    comprise dans lme sensitive, qui caractrise les animaux, et cette dernire est comprise dans lnotique, rserve aux humains et une ventuelle espce comparable ou suprieure99.

    Selon cette dfinition, lme nest donc rien dautre que lacte du corps vivant, lensembledterminations et des activits qui caractrisent chaque espce100, de sorte que lunit de lme et ducorps est lunit hylmorphique dont les composants ne peuvent exister lun sans lautre. Lme ecause et le principe du corps vivant selon trois des quatre causes : origine du mouvement, formemme fin car lorgane est en vue de lactivit et non linverse101. Une consquence en est que le corpsmort nest plus homme ou animal que par homonymie, car il a dsormais chang de forme essentiUne autre consquence est que toutes les affections, facults et activits sont attribuer au co vivant, et aucune lme seule102.

    Suit un examen des facults du corps anim, depuis la plus basique jusqu la plus complex

    dont il vaut la peine de passer en revue les principales : sensation ( aisthsis ), dsir ( orexis ), imagination( phantasia ), pense ( nosis ).

    La sensation est dabord envisage comme une affection ( pathos ) ou une altration ( alloisis ),dans la mesure o elle arrive de lextrieur un sujet sentant quelle modifie. Cependant, elle neune vritable altration car elle ne cause aucune destruction mais est plutt conservation ( stria ) de cequi est en puissance par ce qui est en acte (417b 3-4). En outre, il ne sagit pas dun processus cole sont les mouvements mais duneenergeia au sens technique, cest--dire dun acte qui est

    immdiatement achev : il ne faut pas sentir pendant un certain temps pour avoir senti, maissensation est instantane. Lacte se trouve dans le sujet sentant103, mais il est le mme pour le sentant etpour le senti : lacte du sensible et du sens est le mme et un, mais leur tre nest pas le mme (26-27). Leur tre nest pas le mme, car la mme sensation sera dfinie de deux faons diffrenselon quelle est considre du point de vue du sentant ou du point de vue du senti. Dun ct, elle dfinie comme une action, de lautre comme une forme : Aristote appelleeidos la donne sensible quipeut tre saisie par chacun des cinq organes sensoriels. Cest pourquoi lacte et forme sont la mchose, lacte tant la production effective dune forme sensible dans notre esprit par sa rencontre a

    99 II 3, 414 b 20- 415 a 13.100 Cest pourquoi elle est aussi appele substance correspondant la dfinition (412 b 10 : ousia kata tonlogon) et tre essentiel (412 b 11 : to ti n einai).101 II 4, 415 b 8-28. Cependant, elle est motrice sans tre automotrice, car ce qui nest pas un corps ne peut m, si ce nest par accident, cest--dire en se trouvant dans un corps en mouvement (cf. la rfutation de Plasur ce point au chap. I 3).102 I 1, 403 a 3- b 19. Une seule exception reste envisageable, qui sera confirme par la thorie de lintellect a103 De Anima,III 2, 426a 10-11 : lacte du sensible et du sentant se trouve dans le sentant .

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    une forme sensible en puissance dans une chose extrieure104. Ainsi donc, malgr la comparaison de lasensation avec lempreinte dun anneau dans de la cire105 (comparaison galement utilise propos de lammoire), il ne faut pas concevoir la facult sensitive comme une matire ni la forme sensible comune impression : la facult nest rien dautre que la possibilit de lacte et la forme sentie lactualisation de cette possibilit sous leffet dune dtermination relle, sensible en puissance.

    Cependant, les organes sensoriels ne sont pas suffisants pour rendre compte de la sensation. Eeffet, des matires dpourvues de sensation peuvent aussi tre affectes par des qualits sensibles exemple, les plantes peuvent tre chauffes et refroidies mais elles ne le sentent pas, ou encore lairtre imprgn dodeurs mais il ne les sent pas106. Si donc lorgane sensoriel est linstance premire danslaquelle se fait la sensation, il faut savoir que la vision nest pas dans lil mais dans celui qui vo107.La vision, ce nest pas la coloration de lil, car mme un il spar du corps pourrait continu

    reflter la couleur ; la vision cest la conscience de voir et ce que nous appelons conscience rendu par Aristote par le mme verbe sentir : Lorsque nous voyons, nous sentons que n voyons 108. Toute sensation est donc, par dfinition, consciente : il est impossible de ne pasapercevoir que lon sent et que lon voit 109. Cette conscience est ralise non par les organespriphriques mais par un organe central vers lequel toutes les donnes convergent, quAristote ap premier ( prton aisthtrion ) ou principal ( kurion aisthtrion ) et quil situe gnralement dans largion du coeur110. Cest pourquoi aussi, le sommeil est dfini comme linactivation de cette facul

    centrale, qui existe dans son expression la plus simple chez tous les animaux.Parmi les formes sensibles, il faut distinguer les sensibles propres, qui sont saisis par un seul

    organes sensoriels (par ex. la couleur par la vue, le son par loue, etc.), les sensibles communspeuvent tre saisis par plusieurs organes sensoriels (la forme, par la vue et le toucher ; le mouvempar la vue, loue et le toucher)111 et les sensibles par accident, cest--dire les substances particuliresqui ne sont jamais senties en tant que telles mais seulement par lintermdiaire de leurs propri

    104 De Sensu , 2, 438b 22-23.105 De Anima II 12, 424 a 17-24.106 De Anima II 12, 424a 32-b 3 et 424b 3-18.107 De Sensu , 438a 8. Richard Sorabji, aprs avoir plaid pour une interprtation physiologique littrale de coloration de lil, ajoute quil faut distinguer cette affection, qui se passe dans lorgane, et lacte de sensatiomme (1992, p. 208-218).108 De Anima 425b 12-25 ;De Somno 2, 455a 12-b 1.109 De Sensu 2, 437a 28.110 De Somno2, 455b 34- 456a 23 ;De Iuventute3, 469a 5-12 ;De Part. Anim. II 10, 656a 28-29.111 De Anima,II 6, 418 a 8-20.

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    lexemple donn par Aristote est celui dune chose blanche que lon reconnat pour tre le fiDiars, alors quil nest pas peru comme tel, mais seulement comme une forme blanche112.Toutes lessensations propres sont vraies113, lerreur vient toujours de la composition114 ; une consquenceimportante de cette conception est que lidentification dune substance est toujours susceptible derrone, puisquelle rsulte de la combinaison dune ou de plusieurs dterminations sensibles avesubstrat non sensible. Ds lors, il faut quune instance dcisionnelle ( epikrinon ) vienne corriger lesfausses apparences ; par exemple, la conviction que le soleil est plus grand que la terre vient rempla manifestation sensible dun soleil de la taille dun pied115. Dans dautres cas, lexactitude dessensations dpendra seulement des conditions de leur exercice, comme la distance de lobjet, ltasant ou dveil de lanimal, etc116.

    Avec le thme de lapparence, nous entrons dans le champ de la phantasia . En effet, le terme,

    que lon traduit, faut de mieux, par imagination ou par reprsentation 117, garde dans tous sesusages une rfrence au verbe phainesthai , apparatre . Ce qui apparat est toujours une donnesensible, mais cela peut se produire soit en prsence de lobjet sensible, soit en son absence. Au precas correspond la seule dfinition quAristote donne de la phantasia , savoir quelle est une modification( kinsis ) produite par lacte de sensation et semblable elle118. Elle diffre alors de la sensationproprement dite au sens o nous disons que quelque chose apparat ( phainetai ) quand la sensation nestpas claire et distincte119. Mais il y a aussi des apparitions hors de tout contexte sensoriel, par exempl

    dans le sommeil ou lorsque nous avons une vision les yeux ferms, ou lorsque nous nous reprsent volontairement une donne sensible, que ce soit la reproduction dune sensation dj prouve oudformation, transformation, composition avec dautres, jusqu limagination de situatioimpossibles. Lapparition peut donc tantt tre aussi vraie que la sensation, tantt tre moins fia

    112 Id., 418a 20-24.113 De Anima, III 3, 427b 11-12.114 De Anima III 6, 430b 2.115 De Anima III 3, 428b 2-8 : sopposent la fausse apparence, la conception vraie ( hupolpsin alth ), la conviction( pisteuetai ), lopinion vraie ( alth doxan ). Cf.De Insomniis 3, 461b 3-7 : Dune manire gnrale, en effet, leprincipe dit ce qui lui vient de chaque sensation, moins quune autre plus puissante ne le contredise. Dans les cas quelque chose apparat, mais nous ne croyons pas toujours ce qui apparat, sauf si linstance dcision( to epikrinon ) est empche ou nest pas mue de son mouvement propre. 116 Mtaphysique G 5, 1010b 4-9 ;De Anima III 3, 428b 25-30.117 Cf. R. Lefbvre (1991).118 De Anima , III 3, 428 b 10-16.119 III 3, 428 a 5-15.

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    quelle, tantt la remplacer en son absence, tantt composer des fictions, volontairement ou non. Dle sommeil, seule la facult sensitive est inactive mais toutes les autres facults peuvent tre actcest ainsi que dans un rve on peut penser, avoir une opinion et prouver des situations sensiblesseules ces dernires ont pour responsable la phantasia ou facult imaginative120.

    Cest galement cette facult quest attribue la mmoire, dfinie comme la ractivation dsensation, accompagne de la conscience que lacte originaire a eu lieu dans le pass (cest pourseuls les animaux qui ont la conscience du temps ont de la mmoire). Par accident il y a aussi mmoire des penses par accident , car on se souvient de la situation sensible pendant laquela pens quelque chose121. Ce nouveau rle de limagination est dune extrme importance car il montrprcisment comment la pense dpend de la sensation, non pas ici en tant que le concept se constipar induction, mais en tant que la pense de tout concept constitu implique sa reprsentation dan

    temps et dans lespace122 : Puisque nous avons dj parl de limagination auparavant, dans le trat de lme, ajou

    quil nest pas possible de penser ( noein ) sans image ( phantasmatos ) ; en effet, il arrive dans le penser lamme affection que dans le tracer : sans avoir besoin que la quantit du triangle soit dtermine, nle traons cependant dtermin quant la quantit ; et celui qui pense, de la mme manire, mmene pense pas une quantit, se pose devant les yeux une quantit mais ne la pense pas en tant qquantit. Et si la nature de la chose fait partie des quantits, mais est indtermine, il se pose u

    quantit dtermine mais la pense seulement en tant que quantit. Pour quelle raison donc nest-ilpossible de penser sans le continu ni sans le temps les choses qui ne sont pas dans le temps, cesautre raisonnement. Mais il est ncessaire de connatre la grandeur et le mouvement par le mmoyen que le temps, et limage est une affection de la sensation commune ; par consquent, il manifeste que la connaissance de ceux-l se fait par la premire facult sensitive. ( De Memoria 1, 449b30- 450a 12).

    Limagination joue galement un rle dans la motricit des animaux. En effet, le vritabmoteur du dplacement des animaux est le dsir ( orexis ). Or, celui-ci, pour pousser poursuivre ou fuir, a besoin quun objet soit dtermin par la sensation ou par limagination ou par la pense.premier cas concerne la sensation de douleur ou de plaisir qui nous fait immdiatement prolonger

    120 De Insomniis , 1, 458 b 24-459 a 22 ; 3, 460 b 28-461 a 11.121 De Memoria , 1, 450 a 12-25. Le souvenir a donc un double statut : dune part, il est une simple imag( phantasma ), semblable un dessin, dautre part, il se rapporte un objet antrieur dont il est une copie, et cestqui le distingue de toutes les autres images (450b 15 451a 2).122 Sur limportance de ce rle pour ainsi dire transcendantal de limagination, cf. C. Castoriadis, La dcoude limagination ,Domaines de lhomme. Les Carrefours du labyrinthe II , Paris, Seuil, 1986, pp. 327-363.

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    interrompre une situation. Dans les deux autres cas, la douleur et le plaisir ne sont pas prsents mimagins : Lorsque, par les images ou par les concepts dans lme, comme si lon voyait, on calcon dlibre sur les choses venir par rapport aux prsentes, et lorsquon dclare quil y a l de lagrou du douloureux, on fuit ou on poursuit. 123. La plupart des animaux nont que limaginationsensitive, cest--dire la capacit de se ractiver des donnes sensorielles (y compris la douleur plaisir) en absence de lobjet, ce qui donne un contenu plus ou moins dtermin leur dsir, selotype de sensation dont ils sont capables. Mais il semble bien que certains animaux non humains soaussi capables de raisonnement ( logistikoi ) et possdent la phantasia appelelogistik (calculatrice) oubouleutik (dlibrative) : Ainsi donc, limagination sensitive, comme on la dit, se trouve aussi danautres animaux, mais la dlibrative seulement dans ceux qui sont capables de raisonnement ; en equand on se demande si on fera ceci ou ceci, cest dj la tche dun raisonnement et il est ncess

    dutiliser une unit de mesure, car on suit le meilleur, de sorte quon peut faire une seule partiplusieurs reprsentations 124. Chez les humains aussi, le raisonnement pratique peut aussi se contenterde suivre ces facults, dans tous les cas o lon vise un bien seulement reprsent (le phainomenonagathon , qui nest plus, comme chez Platon, ncessairement oppos au bien rel). Mais seuls les humpeuvent faire intervenir des concepts dans le raisonnement, soit comme buts soit commdtermination du caractre bon ou mauvais de la chose. Le juste et linjuste, par exemple, constitude tels concepts dont il faut tenir compte dans laction, et qui ncessitent la facult intellective125.

    En ce qui concerne enfin la pense, il faut la concevoir, de mme que la sensation, comme acte identique la forme pense : Lui-mme (lenos ) est intelligible comme les intelligibles. En effet,pour les choses sans matire, cest la mme chose que le pensant et le pens, car la science thoriquce qui est connu par elle sont la mme chose. 126. Penser, cest activer une notion qui se trouve en

    123 De An. III 7, 431b 6-9.124 De An.,III 11, 434a 5-10. Voir, sur la question de la phantasia animale, J.-L. Labarrire (1984).125 De An.,III 10, 433a 26-30 : Lintellect est donc toujours correct, mais le dsir et limagination sontcorrects et non corrects. Cest pourquoi, cest toujours le dsirable qui meut, mais il est soit le bien soit le apparent ( phainomenon agathon ) et pas nimporte lequel mais le bien pratique, cest--dire celui qui peut treautrement . Cf. aussiDe motu animalium , 7, 700b 17-24 et 702a 17-19, 701 a 7-25.126 De Anima III 4, 430a 2-5. Les intelligibles nappartiennent pas tous au domaine thorique ; il y a aussi uintelligence pratique qui pense les concepts pratiques, comme on le verra plus amplement dans le chapconsacr la philosophie pratique. Dautre part, on voit par la prsente citation que lidentit du sujet etlobjet est valable tant pour la pense des concepts simples, ou intelligence au sens strict, que pour la pendiscursive oudianoia , qui articule les concepts en jugements et en raisonnements. Sur le rle de lintelligence prapport la science, cf. les dveloppements sur les Analytiques au premier chapitre.

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    nous, et qui donc, de potentielle quelle tait, devient ralise ou en acte 127. Cependant, il ny a pas dedualisme entre cette notion pense et ce qui en nous la pense, mais lacte se confond avec son contil est la forme pense et non une autre forme qui contiendrait cette forme. Ce que nous appelons facult de penser est seulement lensemble des notions acquises et prtes tre penses, et lacpenser est la conscience de lune delles qui devient active en nous. Et cest par un acte de dsir o volont que nous suscitons cette activation : penser dpend de lhomme lui-mme, lorsquil le tandis que sentir ne dpend pas de lui, car le sensible doit tre prsent (417b 24-26). De ceintelligence active ou prte tre active, il faut seulement distinguer ce qui la produite, cest--dqui a cr une premire fois les notions gnrales partir des multiples expriences128. Cest celaquAristote appelle lintelligence productrice ( nos poitikos ), dans un passage qui a donn lieu chezses commentateurs toutes sortes dinterprtations thologisantes ou no-platonisantes129. Il sagit dun

    paragraphe trs bref et dont le texte est peut-tre altr, ce qui explique en partie la grande varitlectures quil a suscite. Il nest pas tonnant cependant que cette intelligence-l soit dite tre mme quelle est , car cette expression signifie quelle ne sidentifie rien dautre, contrairemlintelligence constitue par lensemble des notions acquises. Il nest pas tonnant non plus quelledite impassible (puisquelle produit des notions partir dun certain matriel, mais nest pasmme transforme), spare (puisquelle ne se confond avec aucune notion ni aucun organequil ny en ait aucun souvenir (car, comme nous lavons vu, on peut se souvenir dune pense, mai

    dun acte de production qui nest pas lui-mme pens). La seule difficult reste de comprenpourquoi elle est dite immortelle et ternelle . Quil sagisse dune immortalit individuelle apmort du corps est trs peu probable, car elle naurait aucune action en dehors dun corps qui lui foules donnes sensorielles partir desquelles elle produit ses objets propres. Puisque lacte de produiinaffect aussi bien par les donnes qui lui servent de matire que par les formes quil produit, on considrer quil na rien dindividuel, quil nest influenc daucune manire par les exprienclindividu mais est toujours le mme acte, quelle que soit la matire laquelle il sapplique chaquCest peut-tre en ce sens quil est dit ternel, dans la mesure o cest toujours le mme acte, diffrenci par les individus et les circonstances diverses o il sapplique, et qui sera donc cela mquil est tant quil y aura des hommes. Il est difficile datteindre la certitude ce propos, mais conjecture me semble du moins cohrente avec lensemble de la pense aristotlicienne.

    127 De Anima , III 4, 429 a 13-24.128 Cf. ci-dessus, p. 11-12, pour la description de linduction des notions gnrales dans les Analytiques .129 De Anima , III 5, 430 a 10-25. On trouve dans la traduction de P. Thillet un appendice consacr auxcommentaires arabes du trait, chez lesquels le dbat sur les intellects sest assorti dun enjeu thologique.

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    II. La philosophie premire : domaine de lternel immobile

    Lobjet de la philosophie premire est dfini plusieurs fois dans le corpus. Dans la physiqusagit de la forme, tudie pour elle-mme et non en tant quelle informe une matire : propoprincipe selon la forme, sil est un ou multiple, et quel ou quels il est, cest la tche de la philosopremire de le dterminer avec exactitude, aussi remettons-le cette occasion ( Phys . I 9, 192a 34-b2 ) ; ou encore : mais comment se comporte le sparable et quel il est, cest la tche de la philosopremire de le dterminer. ( Phys . II 2, 194b 9-15). De mme, dansDe lme I 1, 403b 15-16, lephysicien tudie toutes les fonctions et les affections de tel corps et de telle matire (cest--dicorps et de la matire naturels), le technicien, celles qui ne viennent pas naturellement dans la matle mathmaticien celles qui nappartiennent aucun corps en particulier et sont par abstraction

    enfin le philosophe premier tudie les formes en tant quelles sont spares , cest--dire, leprobablement, indpendamment de tout rapport une matire et afin de mettre en vidence toutes proprits et distinctions des formes en tant que telles. Dautres passages renvoient exclusivemenmoteur immobile de lunivers : la philosophie premire soccupe du principe immobile mouvement ( Gen. Corr ., I 3, 318a 5) ; les leons sur la philosophie premire ont dtermin de quelmanire est m le premier m et meut le premier moteur ( Mouvement des anim. 10, 703b 6-9)130. Demme, en Mtaphys.E, o se trouve la distinction des trois sciences thoriques, la premire dentre elleest dite soccuper des choses spares et immobiles , immdiatement identifies aux causedieux apparents , cest--dire aux moteurs des astres (E 1, 1026 a 16-18). La divinit de ses objeoctroie le statut de thologique , unique occurrence de ladjectif dans ce sens scientifique (1026 131, car il nest pas obscur que, si le divin existe quelque part, il existe dans cette sorte de nature,science la plus honorable doit concerner le genre le plus honorable. (1026 a 20-22). Enfin, le livL ,qui contient cette tude des mot