Coseta le magazine de la soie

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É CONOMIE LE BON FILON # 1 - Décembre 2011 LA MODE LE TISSU PRÉFÉRÉ DES FILLES www.keskiscpass.com + LES CANUTS, 180 ANS APRÈS DOSSIER C oseta Le monde de la soie de fil en aiguille SOCIÉTÉ GENRE SEXE ET SENS L 16045 - 18 - F: 4,90 €

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magazine réalisé par 10 étudiants en journalisme de l'ISCPA Lyon sur la soie à Lyon

Transcript of Coseta le magazine de la soie

ÉCONOMIELE BONFILON

# 1 - Décembre 2011

LA MODELE TISSU

PRÉFÉRÉ DES

FILLES

www.keskiscpass.com+

LES CANUTS, 180 ANS

APRÈS

D O S S I E R

CosetaLe monde de la soie de fil en aiguille

SOCIÉTÉ

GENRESEXE ETSENS

L 16045 - 18 - F: 4,90 €

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Mollin

É D I T O

Ainsi soie-t-il…Rares sont les moments où le shopping prend le pas sur ma raison et surtout sur mon porte-monnaie. Mais voilà, je suis une Croix-Roussienne. L’identité du lieu m’a rattrapé et je me suis achetée un haut en soie. Pas grand-chose : un vêtement en soie. Blanc, rayé de bleu, pas si bling-bling mais 50 euros. Huit paquets de cigarettes.La soie, il faut dire que c’est une institution. Le « meilleur » tissu du monde selon un peu tout le monde. Une façon de vivre pour certaines. De faire l’amour même selon quelques forums un peu cochons. Bref, la soie, au départ, c’est une matière assez attirante qui touche parfois au fantasme (si, si, regardez page 19). Alors pourquoi ne pas en porter, au moins pour voir ?Je l’ai mis. Une fois. Juste assez pour me rendre compte que le tissu n’est pas un simple coton ou de la laine. Pas que le vêtement soit plus doux ou plus agréable à porter. Mais il vient de loin. Je l’ai acheté pour l’esprit canut. Celui qui fait bobo, celui qui en jette. Mais sur ma peau, je porte fatalement le fruit de leur labeur. Celui d’heures interminables de travail. Celui des femmes déjà sous-payées. Je porte leur lutte. Celle qui a vu mourir des centaines d’hommes et de femmes, pour l’idéal d’une vie par le travail. Mais pas celui de Sarko, travailler plus pour gagner gna-gna. Le travail qui permet au moins de vivre.Du coup, j’ai l’air conne avec mon haut à 50 balles. L’équivalent, sans doute, d’une vie de salaire pour les canuts. Certaines filles pètent dans la soie, moi je la jette.

COSETA

C

COSETA #1 • 3

Photo de couverture : Aurélie Goumy

COSETA # 147, rue Sergent Berthet69258 Lyon Cedex 0904 72 85 71 71

Directrice de la publicationIsabelle DumasDirectrice de la rédactionAnne-Caroline JambaudRédacteur en chefMathieu Ruiz BarraudRédactrice en chef WebNatacha VerpillotSecrétaire de rédactionClaire PorcherJournalistesMarie Aubazac, Zohra Ben Miloud, Coline Benaboura, Geoffrey Fleury, Benoît Jacquelin, Sophie Mollin, Claire Monnerat, Claire Porcher, Ève Renaudin, Natacha VerpillotIllustrationsÈve Renaudin (B.D.), Benoît Jacquelin (Montage photo)Maquette CausetteWebmasterGeoffrey Fleury

Remerciements: Anne-Caroline Jambaud Aurélie Goumy, Laurent Benoît, Lucie Baverel, Gérard Truchet, Robert Luc, Soierie Vivante, Steven Fafournoux, Pierre, Lauriane, Eva Joy, Jean, Gaëlle, Le camembert et Maxime pour ses goûters...

Réalisé à la manière du magazine Causette

S O M M A I R E

C

4 • COSETA #1

05 LA FABRIQUE

ON NOUS PREND POUR DES COCONS

CABINET DE CURIOSITÉ

06

08

10 Au fil de l’histoire11 Entretien avec Robert Luc, historien de la Croix-Rousse12 L’étoffe des hérauts13 Croix-Rousse, archi-canut

14 LES GENS

Les gens de petites mains et de grandes familles14 Portrait d’une créatrice de lingerie fine15 Portrait du directeur de la Maison Prelle

LA CABINE D’EFFEUILLAGE16

16 Fil et filles18 Affriolante et raffinée19 Excitante et sensuelle

20 BORBORYGMES

L’ARGENT N’A PAS D’ODEUR21

21 Quand le luxe va, tout va

Saga soyeuse

24 CARNET DE ROUTE [DE LA SOIE]

Lyon a la fibre touristique

VUE DU LABO26

26 (R)évolution soyeuse27 Cocon technologique

28 ELLES PÈTENT DANS LA SOIE !

28 Pourquoi la soie défile ?29 Pour quelques strings de plus...

31 CULTURE

30 Reportage

Attestation de non plagiatJe soussigné, Mathieu Ruiz Barraud,Étudiant dans la section journalisme de l’ISCPA Institut des Médias, atteste sur l’honneur que le présent dossier a été écrit par la rédaction, que ce travail est personnel et que toutes les sources d’informations externes et les citations d’auteurs ont été mentionnées conformément aux usages en vigueur (nom de l’auteur, nom de l’article, éditeur, lieu d’édition, année, page). Je certifie par ailleurs que je n’ai ni contrefait, ni falsifié, ni copié l’œuvre d’autrui afin de la faire passer pour mienne. J’ai été informé des sanctions prévues au règlement pédagogique de l’ISCPA en cas de plagiat.Fait à Lyon, le 26 novembre 2011.

La soie, c’est leur genre

Soie qui roule amasse le flouze

21 La Chine, les « faux soyeux » des Européens

À l’attention des lecteurs de CosetaCertaines illustrations (p.1, p.2, p.16 et p.32) sont des photos mettant en scène des membres de notre rédaction. Afin qu’aucun doute ne s’instaure, nous tenons à rappeler qu’en aucun cas, ces photographies n’ont pour but d’induire le lecteur en erreur en faisant passer pour la réalité ce qui relève d’une construction. Ce sont bien des photos d’illustration et non des photos d’information. Il s’agit ici de respecter la ligne du magazine dont nous nous sommes inspirés (Causette) en présentant des photos décalées en relation directe avec les thèmes traités. Le choix de membres de la rédaction comme modèle procède ensuite d’une volonté de notre part de chercher une proximité avec notre lectorat en mettant en image une partie de la rédaction, l’humanisant et l’impliquant plus que par un banal portrait.Aujourd’hui, la confiance est souvent perdue entre les journalistes et les lecteurs, chez Coseta nous essayons, en toute humilité, de recréer un lien entre les deux. Par notre travail d’information, sérieux et fiable, mais aussi par la manière, ludique et incarnée, dont nous le présentons.Mathieu Ruiz Barraud, rédacteur en chef.

CL A F A B R I Q U E

DE LA BAVE Á LA MATIÈRE PRÉCIEUSE

De l’élevage naturel à la commercialisation, retour sur les étapes primordiales de la fabrication de la soie. Ou comment passer du ver rampant à la cravate Dior.

Pour fabriquer de la soie, il faut d’abord chercher la petite bête ! La fibre est d’origine animale, issue du cocon pro-

duit par la chenille du Bombyx du mûrier ou Bombyx mori. Bref, le ver à soie. Au contact de l’air, la bave du ver se solidifie. La première étape est donc la sériciculture, l’élevage de ces chenilles dans de vastes bâtiments chauffés et ventilés. Pendant ses quatre semaines de croissance, le ver engloutit encore et encore des feuilles de mûrier. Le gourmand multiplie sa taille par quatre et pèse au final 10 000 fois plus que son poids de départ. Il grimpe le long des branchages et choisit son lieu de villégiature pour tisser son cocon.

Huit à dix jours après sa fabrication, le cocon est décoconné, c’est-à-dire enlevé de son support et trié. La chrysalide doit être forcément tuée pour empêcher la transformation en papillon, rendant inutili-sable le cocon. Adieu papillon : le cocon est étouffé à l’aide, par exemple, de vapeur. Pour l’extraction du fil, on le plonge dans l’eau bouillante afin d’enlever la substance gluante (la séricine), responsable de sa cohésion. La filature consiste à dévider le cocon pour obtenir un fil. Pour trouver l’extrémité, on remue constamment le cocon avec un petit

balai qui sert à accrocher les premiers fils, trop fins. La dévideuse les réunit, de quatre à dix selon la grosseur désirée. Les fils se soudent entre eux grâce au grès, une es-pèce de colle, lors de son refroidissement et sont enroulés sur des dévidoirs. On obtient alors la soie grège. Il faut huit à dix kilos de cocons pour obtenir un kilo de soie grège.Les fils sont ensuite préparés. Le moulinage les assemble par torsion pour plus de solidité et pour obtenir des fils d’aspects différents qui permettront la fabrication de toutes sortes de tissus. Le décreusage, consistant à faire bouillir la soie dans de l’eau savonneuse ou avec un dissolvant, élimine définitivement le grès. On obtient alors la soie cuite. Le décreusage peut s’effectuer à un stade différent du processus selon l’utilisation.La soie est enroulée sur un tambour, l’our-dissoir, qui permet de monter les fils de chaîne sur le métier. Le tissage s’effectuait sur les célèbres métiers à bras jusqu’au XIXe siècle, puis fût remplacé par la ma-chine à tisser. Enfin, l’ennoblissement comprend toutes les opérations qui viennent après le tissage pour donner au tissu son aspect définitif : la tein-ture, l’impression des motifs et des dessins sur les tissus ou encore l’apprêt, soit la pré-paration du tissu avant sa commercialisation.

LA FABRIQUE

ADIEU PAPILLON

© les trucs de Myrtille © Jupiterimages

Claire PORCHER

COSETA #1 • 5

ON NOUS PRENDPOUR DES COCONS

On nous prend pour des cocons

Comme la souris ou le lapin, la chenille du Bombyx mori, aus-si appelée ver à soie, sert de sujet d’étude aux chercheurs depuis 150 ans. Dans les an-nées 2000, pour améliorer la qualité des fils du bombyx, des scientifiques ont introduit chez certains spécimens de labora-toire un gène appelé « Piggy Back ». Injecté directement dans les oeufs du Bombyx, ce gène s’intégrait au génome de près de 50% des spécimens. Pour les reconnaître, les scientifiques leur ont ajouté une protéine fluorescente : la GFP. Les vers à soie généti-quement modifiés sont donc devenus... vert fluo. Un chan-gement génique qui a perduré chez les douze générations suivantes, toujours utilisées en laboratoire... B. J.

résistante que l’acier

C

La soie d’araignéeVer fluo plus

Le Bombyx mori n’est pas le seul producteur de soie. Dans la nature, d’autres animaux pro-duisent leur propre soie dans des proportions bien plus importantes : l’ensemble des espèces araignées. Les caractéristiques de leur fil varient selon espèces et usages. Toiles, cocons, pièges, fils de sécurité... Les arachnides sont de véri-tables artistes de la soie. Produisant des fils à la fois souples, légers, recyclables et d’une résis-tance qui peut parfois atteindre cinq fois celle de l’acier, les araignées ont de quoi passionner les

chercheurs. Néanmoins, il demeure impossible d’obtenir une production industrielle de leur soie, les araignées ne supportant pas les conditions d’élevage. Les débouchés seraient pourtant multiples. Dans le domaine médical, pour répa-rer tendons et ligaments ou réaliser des points de suture. Dans le sport, où des scientifiques rêveraient d’en faire des parachutes ultra per-formants. Ou encore dans le domaine militaire, où le fantasme du gilet pare-balles 100% soie d’araignée pourrait bien devenir réalité. B. J.

Complètement chèvreEt si nous n’avions bientôt plus besoin ni de ver, ni d’araignée pour obtenir de la soie ? Dans les années 2000, des scientifiques de la firme québécoise Nexia Tech-nologies ont découvert quel était l’animal qui codait le mieux les gènes produisant la soie : la chèvre naine. Avant cela, des tests avaient été effectués sur les cochons d’Indes, les vaches ou encore la levure de bière. Génétiquement modifiée, cette espèce de chèvre est capable de produire, dans son lait, des fibres de soie semblables à celles des arai-gnées. Basée sur le biomimétisme, cette technologie vise à produire ces biomatériaux de manière industrielle. L’entreprise a d’ailleurs trouvé une solution pour assurer sa produc-tion sans trop débourser : la reproduction des animaux. Nexia a vu les choses en grand en construisant au Québec une ferme où ces chèvres sont élevées avec plus de 1000 individus normaux pour, à terme, pérenniser l’espèce... B. J.

La soie est à l’origine d’un rôle social avéré chez certaines espèces d’araignées. C’est ce que révèle une étude du biologiste Bertrand Krafft. On le sait, la soie leur sert à la fois de protection contre les prédateurs ou le climat, d’outil pour faire des pièges et également de moyen de locomotion. Mais, plus insolite, l’utilisation optimisée de cette soie les pousse à créer des relations « sociales ». Ainsi, la mutuali-sation de leurs efforts, afin de faire une utilisation commune de leur toile, engrange des interactions sociales complexes. S. M.

Les araignées tissent des liens sociaux

© soiearaignee.wifeo.com

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Sophie MOLLIN et Benoît JACQUELIN

6 • COSETA #1

50 000 morts. C’est le lourd bilan des victimes de la création d’une longue robe en soie. Ce massacre de Bombyx mori n’a que trop duré pour les végétariens radicaux. En effet, on le sait, lors de la fabrication de la soie, les cocons sont plongés dans l’eau bouillante pour tuer le ver et délier le fil. Mais des solutions existent pour porter de la soie sans aucun mort sur la conscience. En Inde, Kusuma Rajaiah a trouvé une solution : récupérer les cocons troués une fois les chrysalides envolées. Si ce système ne permet pas d’obtenir un fil complet et donc, une soie très douce, il permet de profiter de ce textile précieux tout en laissant les bombyx vivre leur vie. Et pour laisser les animaux tranquilles, il existe aussi le sabra. Ce textile ressemble à la soie, d’apparence et au toucher, mais est totalement végétal. Fabriqué grâce aux fibres d’Aloé vera, il est surtout utilisé au Maroc. Un second ersatz du précieux tissu se fait appeler « soie végétarienne » et est fabriqué en soja ! Les killers de vers n’ont qu’à bien se tenir. Les fibres végétales vont libérer les Bombyx ! S. M.

Il faut sauver le soldat Bombyx !

Les fantômes

du

Pakistan

Des arbres aux allures de cocons géants. Ce spectacle fantomatique a eu lieu lors des inondations sans précé-dent qui ont touché le Pakistan, en 2010. Dans la vallée de Sindh, les eaux ayant tardé à redescendre, les arai-gnées ont fini par se réfugier dans les arbres, qu’elles ont recouverts de leur soie. Ces toiles géantes ont piégé plus de moustiques que d’habitude dans la région, ce qui aurait eu un effet bénéfique contre l’épidémie de mala-ria. Les arbres pris au piège n’ont, en revanche, pas sur-vécu à cette invasion. S. M.

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La soie n’est pas qu’un produit de la terre. Dans l’Antiquité, alors que les vers à soie étaient secrétement gar-dés au cœur des provinces chinoises, les grands de ce monde revêtaient une toute autre soie : celle du byssus. On retrouve principalement la soie du byssus sur le Pinna Nobilis, une sorte de moule très présente en Méditerra-née. Chaldéens, Égyptiens, Crétois ou Phéniciens furent tous les protago-nistes d’une saga millénaire. La soie du byssus prend la forme de touffes de filaments. Grâce à de méticuleux traitements, elle finit par former un tissu soyeux, plus fin et brillant encore que la soie du Bombyx. Néanmoins, le grand nombre de mollusques requis pour pouvoir broder un quelconque vê-tement rendait très longue et coûteuse sa réalisation. Cette étoffe n’aurait pas été reniée par Benoît XVI. On recense effectivement 45 versets évoquant di-rectement le byssus dans la Bible. À en croire la légende : une aura lumineuse enveloppait le porteur de soie de bys-sus, le rendant presque divin aux yeux du peuple. B. J.

La moule de la soie

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COSETA #1 • 7

ON NOUS PREND POUR DES COCONS

La bataille de la place des Bernardines, à Lyon, le 22 novembre 1831 / Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes, Paris

CC A B I N E T D E C U R I O S I T É

De la route de la soie à la révolte des canuts

SAGASOYEUSE

Si les origines de la soie sont ancestrales en Asie, c’est au XIIIᵉ siècle que sa production se répand dans toute l’Europe. Mais sa capitale historique reste Lyon, berceau des canuts et des métiers à tisser modernes. Entre Saône et Rhône, la précieuse étoffe a créé une classe ouvrière, soulevé des révoltes et tissé un réseau économique et social visible aujourd’hui

encore dans toute la France.

Dossier réalisé par Marie AUBAZAC, Coline BENABOURA et Mathieu RUIZ BARRAUD

La bataille de la place des Bernardines, à Lyon, le 22 novembre 1831 / Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes, Paris

La soie, symbole du luxe par excellence. De son berceau chinois aux cours des rois de France, déroulons la bobine de son histoire...

AU FIL DE L’HISTOIRE

Il est difficile, encore aujourd’hui, de dater l’apparition de la soie. Le plus vieux fragment de cette fibre naturelle a été découvert dans les tombes royales de la dynastie des Shang (dynastie chinoise régnante du XVIIᵉ au XIᵉ siècle avant J.-C.). Il daterait de 2570 avant J.-C. Mais ce tissu précieux ne semble pas être l’apanage de la seule civilisation chinoise. Des découvertes récentes dans la vallée de l’Indus, entre l’Inde et le Pakistan actuel, laissent penser que la civilisation qui y vivait (entre -2800 et -1900 avant J.-C.) connaissait et maîtrisait déjà l’usage de la soie. La matière, qui prend son essor sous la dynastie des Hans (IIᵉ siècle avant J.-C.) se diffuse rapidement à travers l’Eurasie. La soie prend rapidement en Chine une valeur de luxe. Le métrage de tissu devient un étalon monétaire. L’usage de la soie y est si important que le caractère d’écriture « soie » constitue une des principales « clés » de l’alphabet chinois sous la dynastie des Hans.

C’est la plus fameuse et aussi la plus importante route commerciale du monde. Les plus grandes civilisations ont participé à la formation de cet axe entre les deux extrémités de l’Eurasie. Il y a 2 000 ans, des com-merçants chinois et étrangers commencèrent à transporter des tissus de soie de Chine vers la Perse et Rome, ouvrant ainsi une route entre l’Orient et l’Occident. La Route de la Soie partait de Chine et passait par l’Asie centrale, l’Afghanistan, l’Iran, l’Iraq, la Syrie pour aboutir à la côte orientale de la Mer Méditerranée. Longue de plus de 7 000 km, la Route de la Soie traversait la Chine sur 4 000 km. Les transactions liées à sa commercialisation ont rapidement conféré à la soie une forte valeur marchande.

Il faut attendre le XVIᵉ siècle pour voir la sériciculture pénétrer en France. La Chine conserve cependant un large monopole. Introduite

au Japon dès le VIIᵉ siècle, la soie gagne rapidement l’Empire romain puis la Grèce enfin plus largement l’Europe et Byzance. L’Église de Byzance et l’Empire créent alors des fabriques impériales pour déve-lopper une industrie de la soie dans l’Empire romain d’Orient. Bien plus tard et suite aux croisades, la technique de production commence à s’étendre à travers l’Europe occidentale et plus particulièrement en Ita-lie au XIIIᵉ siècle. Une production domestique s’y développe grâce à l’arrivée de 2 000 tisserands qualifiés venus de Constantinople afin de satisfaire les besoins en produits luxueux de la bourgeoisie. Les villes de Lucques, Gênes, Venise et Florence exportent bientôt vers l’Europe entière. En 1472, il existe à Florence 84 ateliers de tissage de soie et au moins 7 000 métiers à tisser.

Les tissus italiens sont extrêmement coûteux. Aussi, par souci d’éco-nomie et afin de s’adapter à la mode française, le roi Louis XI décide en 1466 de développer une production nationale. La ville de Tours devient alors un des premiers lieux de production. C’est seulement vers 1535, sous François 1ᵉ ͬ , qu’est accordée une charte à deux commerçants, Étienne Turquet et Barthélemy Naris, pour développer la soierie à Lyon. Étienne Turquet, originaire du Piémont, crée alors une « manu-facture d’étoffes de luxe et obtient du roi le privilège de la fabrication des étoffes d’argent et d’or. » Par la suite, le roi accorde le monopole de la production à la cité rhodanienne. Nous sommes en 1540. Lyon devient la capitale européenne de la soie. Les canuts installent leurs métiers à Saint-Georges. C’est le démarrage de l’industrie de la soie qui fait aujourd’hui encore la renommée de Lyon.

Coline BENABOURA

10 • COSETA #1

E P I S O D E 1LA NAISSANCE DE LA SOIE

E P I S O D E 3LA SOIE EN EUROPE

• La Soie, 4000 ans de luxe et de volupté, Historia, n°648, décembre 2000• Le Livre de la Soie, Philippa Scot, Le Livre de Soie, Imprimerie nationale, 2002• Autour de la soie, sur auverasoie.com • Histoire de la soie, sur Intersoie.org • Histoire de la soie, un article de Wikipédia

E P I S O D E 2LA ROUTE DE LA SOIE

E P I S O D E 4FRANÇOIS 1ᵉ ͬ

LE MÉCÈNE DE LA SOIERIE FRANÇAISE

POUR ALLER PLUS LOIN

© DR

CABINET DE CURIOSITÉ

Les canuts, ce sont ces ouvriers de la soie tissant sur des machines à la Croix-Rousse, à Lyon, au XIXᵉ siècle. Soumis à de rudes conditions de travail, les canuts se révoltent à de nombreuses reprises. Conteur de rues, journaliste et historien de la Croix-Rousse, Robert Luc est co-fondateur de Novembre des Canuts. Il revient sur l’histoire de ces tisseurs de soie.

« LES FONDEMENTS

DES CONQUÊTES SOCIALES »

Quelle est l’origine de la révolte des canuts ? Les canuts sont des sous-traitants. Ils sont propriétaires des métiers à tisser, mais la matière première, les cartons de la mécanique Jacquard, sont la propriété des négociants qui fixent le montant des tarifs. En octobre 1831, cela fait 16 ans que les tarifs n’ont pas bougé. Le préfet Bouvier du Molard va donc prendre la décision de faire se rencontrer délégués des négociants et délégués des chefs d’ateliers canuts pour trouver un terrain d’entente. Mais il ne réussit pas à faire accepter aux fabricants le tarif fixé, et provoque ainsi la mobilisation des ouvriers.

Quelles étaient les revendications des canuts ? Les revendications de 1831 sont avant tout économiques. À cette époque, le salaire des canuts tombe à 18 sous, soit moins d’un franc. La première révolte découle donc de la volonté des fabricants de pro-fiter de la libéralisation des prix du marché. Sur fond de conscience de classe, la seconde insurrection est davantage politique : les ca-nuts opposant leurs idéaux républicains à l’armée orléaniste. Une baisse des commandes est à l’origine de la grève des ouvriers. À par-tir de cette date, le modèle de la Fabrique va commencer à évoluer sous l’effet des idées libérales. Cette période est aussi marquée par des expériences sociales nouvelles telle le mutuellisme et la presse ouvrière avec L’Echo de la Fabrique. La dernière révolte, en février 1848, est celle des voraces, des chefs d’atelier remettant en cause la manière de travailler et d’exploiter les ouvriers. Les combats sont violents, mais en juin, les voraces doivent se soumettre au gouver-nement républicain.

Quelles ont été les conséQuences sociales de la révolte ? En 1831, c’est la première fois que des ouvriers porteurs d’une reven-dication triomphent par les armes d’une autre force armée et occupent l’ensemble d’une ville et ses pouvoirs. À ce titre, le drapeau noir por-tant la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » est très symbolique de l’importance donnée aux conditions de travail. La place de l’ouvrier dans le système de production industrielle évolue, il n’est plus un simple exécutant mais un acteur dans un système économique au même titre que les actionnaires ou les employés. De façon géné-rale, les révoltes des canuts ont amélioré la représentativité des chefs d’atelier aux Prud’hommes et ont permis de montrer la réalité d’une entente ouvrière solidement charpentée et bien décidée à la lutte révo-lutionnaire.

aujourd’hui Que reste-t-il de la révolte des canuts ?Le mythe ! C’est une des raisons de la création de Novembre des Canuts, qui a la volonté de redonner la parole aux canuts afin que l’on puisse faire le lien avec les problèmes d’aujourd’hui. Les canuts ont laissé en héritage les fondements des conquêtes sociales. En 1828, ils

fondent le mutuellisme, proche de ce qu’il est aujourd’hui. Ils ont aussi permis de sortir d’un état d’esprit proche du corporatisme en invitant à regarder les autres professions pour découvrir des problèmes com-muns. La révolte des canuts est la prémice des futures organisations syndicales, dans la mesure où les canuts ont appelé les prolétaires à défendre leur dignité d’ouvrier.

on parle souvent de l’esprit canut, Qu’en est-il au-jourd’hui ? On en parle beaucoup sans vraiment savoir qui étaient les canuts, ni quel était leur objectif. L’esprit canut, ce n’est pas habiter dans les im-meubles ateliers, ni agiter de façon romantique des slogans et encore moins prendre ses propres convictions pour la réalité. S’il existe en-core, l’esprit canut est à chercher du côté des luttes ouvrières, permet-tant de vivre dignement, d’aimer son métier, de participer aux progrès sociaux, de regarder en dehors de sa famille politique ou syndicale et de défendre les valeurs qui font que l’homme n’est ni une machine, ni une bête.

CABINET DE CURIOSITÉ

COSETA #1 • 11

Propos recueillis par Marie AUBAZAC

© DR

L’ÉTOFFE DES HÉRAUTS

En 1831, lors de la première révolte ouvrière, les canuts occupent Lyon avec leur devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » Ils n’ont jamais obtenu gain de cause, mais ont ouvert la voie aux luttes ouvrières en inventant des formes inédites d’organisation sociale.

En juillet dernier, les ouvrières de Lejaby choisissent la Maison des Canuts pour dire leur mécontentement suite à la fermeture de trois des quatre sites de production, fin 2010. Le 27 octobre, le fabricant de lingerie est placé en redressement judiciaire, par le tribunal de com-merce de Lyon. Rien d’étonnant que de nombreux journaux appellent aujourd’hui les couturières, « les canuts du XXIᵉ siècle ». Une appella-tion que ne renie pas Maryse Fleuret, salariée chez Lejaby : « Ils sont le symbole de la genèse des mouvements ouvriers, on ne peut qu’être fier de cette comparaison et leur slogans s’appliquent tout à fait à notre situation : nous aussi on vit et on lutte. » La révolte des canuts marque le début des futures organisations syn-dicales ouvrières. Les idées débattues à l’époque se prêtent à une véritable réflexion de nos jours. Les canuts sont désormais le symbole de la révolte contre le système capitaliste. Néanmoins, pour Pierre Clerjon, historien lyonnais, « leur devise dépasse la notion d’argent. Elle signifie être reconnu dans son travail et permet de s’interroger sur la façon de vivre son travail aujourd’hui, entre salariat et auto-en-treprise. » Depuis 1831, de nombreuses luttes régionales ont marqué l’histoire de la région. Selon Robert Luc, historien et écrivain : « Tous les combats ayant pour objectif l’émancipation des prolétaires sont à lier à la révolte des canuts. »

La révolte des canuts, c’est aussi la naissance d’une conscience de classe. Elle a permis de faire naître le sentiment d’une réelle com-munauté d’intérêts. Ils sont les premiers à s’intéresser à la place des femmes : elles sont tout aussi nombreuses que les hommes à actionner les métiers à tisser et pourtant, leur salaire est inférieur. Les ouvrières commencent donc à réclamer une certaine reconnaissance et les canuts

développent « une solidarité prolétarienne ». Dès 1806, ils sont à l’origine de la création par Napoléon du premier conseil des prud’hommes qui vise à réguler leurs relations avec les marchands. Les chefs d’ateliers s’intéressent aussi au mutuellisme, une doctrine économique fondée sur l’entraide. Les caisses de mutualité, ancêtres des mutuelles permettent de faire face aux accidents de la vie. En 1871, le mutuellisme devient mutualisme, un concept toujours dans l’air du temps. Pour Pierre Cler-jon, « c’est une valeur moderne, si on l’adapte à la réalité de notre temps, beaucoup de produits sont commercialisés par le biais de structures mutualistes. » Mais, il faut vivre avec son temps et selon Gérard Truchet, président de République des Canuts, si les canuts « ont laissé un héritage énorme aux ouvriers, la classe ouvrière étant beaucoup moins homogène qu’à l’époque, l’esprit canut, lui, n’existe plus vraiment. »

Le 23 octobre 1831, paraît l’annonce de la création du premier journal ou-vrier : L’Écho de la Fabrique. Fondé par Antoine Vidal, le journal publiera ses huit pages hebdomadaires sur deux colonnes jusqu’en mai 1834. Les canuts vont débattre et tenter d’adapter le régime de la fabrique lyon-naise à l’évolution industrielle en cours, afin de préserver leur autonomie et leur liberté. Dans les pages de L’Écho de la Fabrique, on discute de l’association industrielle, de l’enseignement mutuel et de l’économie so-ciale. D’après Marius Chastaing, rédacteur en chef jusqu’en août 1833, « l’un des objectifs est l’amélioration de la classe prolétaire sans léser les intérêts des chefs de fabrique. » Cette presse militante a su inspirer la presse ouvrière d’aujourd’hui. L’Echo de la Fabrique finit d’ailleurs par ouvrir ses colonnes à d’autres travailleurs en lutte.

UNE CLASSE OUVRIÉRE ET SOLIDIARE

UN JOURNAL QUI A DE L’ÉCHO

Des canuts (insurrection à Lyon, gravure du XIXᵉ siècle) aux ouvrières de Lejaby, un mot d’ordre : la révolte.

Marie AUBAZAC

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CABINET DE CURIOSITÉ

12 • COSETA #1

croix-rousse, archi-canut L’arrivée des canuts et leurs métiers à tisser a profondément bouleversé l’architecture et l’urbanisme de la colline de la Croix-Rousse. Un impact encore visible aujourd’hui.

À vendre, appartement canut, plafond à la française. Ainsi commence la plupart des annonces immobilières de la Croix-Rousse. « La majo-rité des gens font l’amalgame entre canut et croix-roussien », com-mente Valérie Disdier, directrice de la Maison de l’architecture Rhône-Alpes. Parce qu’on ne rigole pas avec l’Histoire. « Les appartements de canuts sont ceux qui ont abrité des métiers à tisser, point. » Le reste est croix-roussien.« Le terme appartement est déjà inexact », déplore Gérard Truchet, président de la République des Canuts, une association qui défend le patrimoine lyonnais et particulièrement celui de la Croix-Rousse. Au départ, les immeubles sont faits pour installer les locaux des tisseurs, le métier à tisser et souvent loger un apprenti. L’arrivée de la méca-nique Jacquard rehausse considérablement la hauteur des métiers et les canuts migrent des quartiers Saint-Georges dans le Vieux Lyon vers la colline de la Croix-Rousse. Leurs obligations professionnelles amènent alors un nouveau style architectural. « Le plateau et les pentes n’ont pas beaucoup bougé depuis », as-sure Gérard Truchet. Les canuts engendrent donc les hauts plafonds de près de quatre mètres, le plafond à la française pour solidifier les étages et les grandes fenêtres. « Aujourd’hui, on trouve les apparte-ments canuts magnifiques, alors qu’à l’époque, ils étaient juste prag-matiques », ironise Valérie Disdier. Par exemple, si les fenêtres étaient hautes, c’était surtout pour gagner en luminosité et faire travailler le canut le plus longtemps possible. Seize à dix-huit heures par jour selon les témoignages de l’époque. Idem pour les traboules. Ces passages entre les rues par les cours d’immeuble procèdent d’une « logique architecturale », selon Gérard Truchet. « Dans les pentes, les immeubles ont été construits très proches les uns des autres. Du coup, on a fait des entrées sur la rue en amont comme celles en aval. » Pour que les canuts puissent se dépla-cer plus vite. Le rendement. « L’architecture canut, c’est le capitalisme à l’état pur, en pleine Révolution industrielle », explique Valérie Disdier.

Mais l’architecture canut s’est aussi avérée pleine de ressources et de modernité. « Quand les bobos et les galeries d’art et d’architecture se sont installés à la Croix-Rousse dans les années 90, c’est pour les possibilités qu’offraient les appartements canuts », commente Valérie Disdier. Avec ses quatre mètres de plafond, un appartement de canut peut voir sa superficie considérablement augmentée. « La plupart des

gens ont transformé leur habitation en y installant une mezzanine. Mais souvent au détriment d’une fenêtre. Ce qui fait perdre de la luminosité », analyse Gérard Truchet. Mais le problème est que le quartier pauvre au temps des canuts, popu-laire au siècle dernier, s’est embourgeoisé. « Quand les appartements de la Cour des voraces se sont vendus au début des années 90, le prix au mètre carré était dérisoire. Aujourd‘hui, à la Croix-Rousse, un mètre carré peut coûter jusqu’à 4 500 euros », constate Valérie Disdier.Du coup, le quartier des pentes a vu se multiplier les demandes de per-mis de construire. Mais en 1995, une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) a été mise en place. « Les habitants se sont beaucoup investis dans le processus », déclare Gilles Buna, adjoint à l’urbanisme de la ville de Lyon. « Les habitants du 1er arrondissement ont vraiment pris conscience du caractère patrimonial des lieux. » Les constructions sont donc soumises à des réglementations strictes afin de préserver l’identité des pentes.Pour le plateau, en revanche, la situation est complétement différente. « Il n’y a pas eu autant de spéculations immobilières dans le 4ᵉ arrondisse-ment », commente Gilles Buna. Pourtant le côté patrimonial du plateau est aussi appuyé que dans le 1ᵉ ͬ arrondissement. Mais il n’y aura pas de ZPPAUP. « Sur le plateau, il n’y a que très peu de constructions mais plus des rénovations d’immeubles déjà existants. Il est donc préférable que la restric-tion patrimoniale se fasse immeuble par immeuble que de façon globale. »

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CANUT : ARCHI-MODERNE

Ce type de métier à tisser est créé en 1801 par le Lyonnais Jean-Baptiste Jacquard. La mécanique Jacquard amène la possibilité de programmation grâce à l’utilisation de carte perforée. Elle per-met ensuite la production de tissus beaucoup plus ouvragés et ce, plus rapidement. Elle est installée au-dessus du métier à tisser. Ce qui augmente considérablement la hauteur de l’ensemble. Elle passe de 1 mètre 80 environ à près de 4 mètres. Elle a été assez mal accueillie par les ouvriers. Son fonctionnement ne nécessitant qu’une personne, les canuts y ont vu une source de chômage. Le principe de la carte perforée a ensuite inspiré le Britannique Charles Gabbage qui créa le principe de l’ordinateur. M. R.

la mécaniQue jacQuard

Mathieu RUIZ BARRAUD

Rue du Mail, Croix-rousse, Lyon

COSETA #1 • 13

CABINET DE CURIOSITÉ

CL E S G E N S

LES GENS DE PETITES MAINS ET DE GRANDES FAMILLES

La soie est au centre de leur vie personnelle et professionnelle. Maki Marie nous a reçu dans son atelier, à domicile, alors que Guillaume Verzier, directeur de la maison Prelle, nous a ouvert les portes de la manufacture. Secrets de soyeux modernes.

À 31 ans, Maki cherche toujours à pousser l’originalité au maximum. « La lingerie doit sublimer le corps de la femme et la soie apporte cette petite chose qui fait qu’elle sera unique ». La soie, c’est d’ailleurs la raison qui a poussé la belle brune au regard captivant à venir s’installer à Lyon, il y a près de six ans. Après des études de stylisme à Kyoto, elle complète sa formation par une spécialisation d’un an à Lyon. C’est en 2008 qu’elle lance sa propre entreprise sur internet. La soie est un tissu aussi fragile que somptueux et sa couture demande beaucoup d’agilité et de précision. Cette condition ne pose aucun problème à Maki qui aime travailler les détails de ses créations. Tous les ensembles de lingerie qu’elle crée sont un mélange de soie lyonnaise et de soie de Kimono qu’elle importe du Japon. Ce mélange, totalement inédit sur le marché de la mode, était pourtant une évidence pour Maki. Il s’agit de deux villes qui placent la soie au centre de leur patrimoine et en les mariant, elle éteint toute rivalité. Pour elle, la soie apporte une touche d’élégance à la lingerie. « C’est la présence de soie dans un ensemble qui permettra de le classer dans la catégorie haut de gamme », affirme t-elle. Et pour sublimer ses créations, Maki Marie a la solution. Elle ajoute des bijoux comme des cristaux Swarovski ou encore des perles de Bohème. Des détails qui font la différence puisque ses créations ont attiré l’attention de Chantal Thomass, reine de la lingerie française, lors du concours Talent de mode, lancé en 2009 par le village des créateurs (dans les pentes de la Croix-Rousse, il facilite le développement économique des jeunes entreprises de mode).Maman d’un petit Léon, la créatrice a fait le choix d’installer son atelier chez elle afin d’exercer sa passion dans les meilleures conditions, tout en élevant son fils. La plupart de ses ventes se font en ligne sur son site internet. Si ses ensembles cartonnent en Europe, les commandes depuis le Japon sont rares. La soie lyonnaise reste méconnue des Japonaises. C’est pourquoi elle décide en juillet dernier de retourner au Japon pour exposer ses créations dans l’une des plus grandes galeries de Kyoto. À cette époque, le pays est encore secoué par les catastrophes naturelles du début d’année. Mais ce n’est pas suffisant pour décourager Maki. Elle s’envole donc au pays du so-leil levant, les valises pleines de ses plus belles œuvres. Les Nipponnes sont très vite séduites et la créatrice vend des centaines de produits. « Les Japonaises apprécient porter de la lingerie faite à partir de soie européenne, elles qui ne portaient jusqu’à présent que de la soie locale », nous confie-t-elle avec une certaine fierté. Cette exposition a révélé la créatrice au public japonais, qui compte un grand nombre de consommatrices de lingerie. Cette réussite pourrait amener la jeune femme à repartir s’installer au Japon prochainement. Mais pour toutes ses clientes lyonnaises (ou autres) tombées sous son charme, les créations de Maki seront toujours dis-ponibles sur la toile.

Zohra BEN MILOUD

P O R T R A I T 1

Un mélange qui va de soie......Passionnée de la création de lingerie fine, Maki Marie place la soie au centre de ses œuvres. Rencontre avec une créatrice lyonnaise plus qu’originale.

« C’est la présence de

soie dans un ensemble qui

permettra de le classer

dans la catégorie

haut de gamme »

14 • COSETA #1

LES GENS

Située sur la colline de la Croix-Rousse, la manufacture Prelle a conservé son atelier d’origine dans le fief histo-rique de la soie. Ici, le descendant d’Eugène Prelle tisse encore des étoffes de soie très luxueuses et raffinées. Malgré l’émergence d’une concurrence mondiale, il continue d’exporter la soierie lyonnaise comme à son apogée au XVIIIᵉ siècle. Les destinations ? Des palais tels Versailles, des monuments comme le Louvre et des villas de particuliers richissimes, aux quatre coins de la planète. Une clientèle fortunée qui joue la carte de la discrétion. Ainsi, Guillaume Verzier ne s’entretient jamais avec les clients directement mais avec leurs décorateurs. Il doit également toujours taire le nom de ceux qui commandent. « Mais bon, au bout de quelques temps, il y a prescription », concède Guillaume Verzier avant d’en citer une petite flopée dont Yves Saint-Laurent et Karl Lagerfeld. D’apparence pourtant modeste, il prend un certain plaisir à vanter la qualité de ses pièces, répliques parfaites des tissus anciens pour l’ameublement. « Quand vous achetez Hermès, c’est la marque que vous payez, tandis que Prelle c’est la qualité que vous achetez. On répond aux mêmes critères de qualité, s’ils ne sont pas supérieurs », vend le quinquagénaire. Il a d’ailleurs le mérite d’avoir réussi à faire cohabiter deux générations de métiers à tisser : des métiers à bras vieux de deux siècles et des métiers très modernes qui datent de deux ans. Une façon pour lui de préserver le savoir-faire d’antan associé à la performance hors norme des nouvelles machines. En tout, près de 25 métiers. Une quantité non négligeable lorsqu’on la compare aux trois métiers à tisser que renferme un atelier comme Soierie Saint-Georges, dans le Vieux-Lyon. Sous sa responsabilité, 30 employés qu’il appelle « les croiseurs de fils ». Ces derniers ne doivent commettre aucune faute afin de répondre scrupuleusement à une clientèle très exigeante. Un devoir d’autant plus important « qu’au sens le plus noble, nous sommes les plus gros et quasiment les derniers », souligne le direc-teur. Pourtant, cet amoureux de voitures anciennes et féru de ski n’avait pas vraiment l’ambition de diriger la manu-facture. Les visites régulières à l’atelier enfant ? « Ça ne m’attirait pas du tout », confie le croix-roussien d’origine. Son credo, c’était l’expertise comptable au départ. Mais après une longue période de chômage, son père lui donne une mission : réaliser un audit afin de déceler les forces et les faiblesses de l’entreprise soyeuse. Un travail qui devait durer six mois. Trente ans plus tard, ce père de trois enfants, successeurs potentiels, règne encore sur l’empire familial. Aujourd’hui, quand il décrit son métier, il le qualifie de « passionnant ». Le chef d’entreprise a d’ailleurs crée une filiale de la manufacture Prelle à New York, l’Amérique du Nord étant un gros importateur de soierie lyonnaise. L’héritier se tourne désormais vers son autre rêve : user des techniques de leur maison « qui n’ont pas d’égal » pour le compte de grands créateurs. « S’ils acceptent de se piquer au jeu », conclut le soyeux.

Natacha VERPILLOT

P O R T R A I T 2Retour au cocon familial ...

Le directeur de la Maison Prelle, Guillaume Verzier, restaure les intérieurs des plus beaux édifices et des plus somptueuses demeures. Rencontre avec l’un des derniers soyeux lyonnais.

« Quand vous achetez Hermès, c’est la marque que vous payez, tandis que Prelle, c’est la qualité que vous achetez »

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Maki Marie dans son atelier (à gauche) et Guillaume Verzier (à droite)©

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COSETA #1 • 15

LES GENS

CL A C A B I N E D ’ E F F E U I L L A G E

CL A C A B I N E D ’ E F F E U I L L A G E

LA SOIE, C’EST LEUR GENRE

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16 • COSETA #1

LA CABINED’EFFEUILLAGE

La soie, c’est une histoire de filles. Même loin des podiums, loin dans l’histoire, ça parle de femmes. Bonnes ouvrières, symboles de couveuses pour les cocons ou main d’œuvre pas chère, elles ont toujours été placées, dans l’Histoire, au cœur de la création de la soie.

Au premier siècle de notre ère, les récits parlent déjà de l’importance des femmes dans la fabrication de la

soie. Au XVIᵉ siècle, elles ont un rôle quasi-ment exclusif dans la sériciculture et dans la filature. C’est ce que révèle une étude1 ethnologique réalisée par Claudio Zanier. Cette hégémonie féminine dans la fabrica-tion de la soie y est expliquée par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les femmes possédaient un savoir-faire transmis oralement entre elles, ce qui a rapidement exclu les hommes de ce savoir. De plus, cette étude rapporte que seules les femmes jeunes, robustes et saines pouvaient s’occuper des cocons. Appelées les « nourrices des vers à soie », les éleveuses devaient être visuellement fé-condes. Il a d’ailleurs longtemps été interdit aux femmes de participer à la sériciculture durant leurs menstruations. Partout dans le monde, les récits racontent que ces jeunes et belles femmes « couvaient » les cocons entre leurs seins et que les soies obtenues de cette manière étaient les plus belles. Enfin, elles seules possédaient les connais-sances pharmacologiques nécessaires pour contrer les maladies des vers à soie. Certaines plantes utilisées en sériciculture étaient d’ailleurs des plantes utilisées pour gérer le lait maternel ou les flux menstruels. Pour protéger leurs secrets, les femmes interdisaient l’accès à leur ateliers aux vieilles radoteuses, afin de ne pas laisser échapper leurs connaissances et rester les maîtresses en la matière.

Si les femmes ont toujours eu cette place pré-pondérante, c’est parce qu’elles ont toujours été une main d’œuvre peu chère. À Lyon, par exemple, les canuses représentaient envi-

ron 50% des ouvriers de la soie lyonnaise. Robert Luc, historien du quartier de la Croix-Rousse à Lyon explique : « À l’époque de la révolte, l’industrie de la soie s’appuie sur une structure de production familiale. Les femmes ont donc leur place dans le travail fait dans l’atelier en tant que chef d’atelier ou ouvrière en soie. La dizaine de victimes de sexe féminin lors de la révolte montre qu’elles étaient très présentes ». Puis, lors de la création des usines de tissages, la main d’œuvre redevient, mis à part l’enca-drement, essentiellement féminine. Les raisons de la prépondérance féminine dans la fabrique de la soie se sont transformées avec le temps, mais pas leur présence...

Sophie MOLLIN

FIL ET FILLES

BON RAPPORT QUALITÉ-PRIX

« Celui d’entre vous qui se vêtit de soie jusqu’à sa mort sera privé de soie au paradis ». Cet hadith (parole du pro-phète Mahomet, considérée comme un guide de conduite pour les Musulmans) s’applique uniquement aux hommes. Plusieurs raisons expliquent cette pro-hibition associée à une seconde inter-diction, celle de porter de l’or. « C’est trop doux et trop fin pour les hommes » commente un pratiquant. En effet, « les hommes sont privés de ces deux maté-riaux afin de se distinguer des femmes », explique l’imam Mohammed Minta, au-teur de plusieurs ouvrages sur la spiritua-lité. L’Islam a réservé ces deux matières riches et raffinées aux femmes, pour leur besoin de parure et permet aux hommes de respecter l’appel du Coran à rester simple et non arrogant. « La soie, c’est une forme de luxure » rajoute l’imam Minta. Cette interdiction est très respec-tée par les pratiquants. Elle ne peut être transgressée qu’en cas d’impératif médical. En effet, étant une fibre 100% naturelle, la soie n’est pas allergène et constitue l’unique vêtement que peuvent porter cer-tains malades. Dans ces conditions, il ne s’agit pas de luxure, l’interdit est donc levé pour les Musulmans. En France, à part les cravates, peu d’articles mascu-lins sont en soie. Doublures de costards ou chaussettes, elle est appréciée de la gente masculine surtout pour son carac-tère thermorégulateur. Islam ou pas, les hommes et la soie, c’est surtout une his-toire de confort. S. M.

de toute façon, c’est pas halal pour les hommes !

1. Source : « La fabrication de la soie : un domaine réservé aux femmes » dans Travail, genre et sociétés, nº 18, 2007/2, 216 pages, La Découverte

© récolte cocons et filage

COSETA #1 • 17

LA CABINED’EFFEUILLAGE

Soie et burlesque. L’association vient fatalement à l’esprit des adeptes de ce mouvement artistique. Aucun autre tissu n’évoque autant la féminité et la sensualité qu’elles recherchent dans leurs spectacles.

Dans l’imagerie populaire française, le burlesque est un style d’humour que l’on retrouve aussi bien chez Charlie Chaplin que chez Louis De Funès. Mais, de l’autre côté de l’Atlantique, le mot désigne une tout autre forme d’art, bien plus sensuelle. Le terme naît au XIXᵉ siècle lorsque le style de spectacle des cabarets de Paris s’exporte aux États-Unis. Mêlant cirque et danses en tenues légères, ce type de show connaît un certain succès chez un public averti.Comment devient-on une effeuilleuse rétro ? Pour la flamboyante rousse Lily DesLys, il s’agirait presque d’un acte militant : « Le strip-tease contemporain est froid et exhibitionniste, à mon petit niveau je prends position contre cette forme d’érotisme qui rime avec vulgarité et frustration. » Dès lors, le costume devient plus qu’un accessoire. Un élément essentiel sans lequel « il n’y a pas d’effeuillage burlesque », affirme catégoriquement la jeune femme. Sa consœur, la téné-breuse Mina Pyro, partage son avis et ajoute une condition : « Les matières se doivent d’être un peu nobles pour rester jolies sous les lumières. Pour les corsets, la soie me semble obligatoire. » Lily met en garde cependant contre la fragilité de ce tissu. Elle avoue ne pas utiliser la soie autant qu’elle le voudrait pour ses costumes car ils deviendraient très compliqués à en-tretenir. Ce qui ne l’empêche pas de posséder un costume majoritairement en drap de soie recouvert de tulle. « Au quotidien, je bannis purement et simplement le synthétique, mais l’usage particulier des costumes impose parfois des matières plus fa-ciles d’entretien pour la scène », raconte l’effeuilleuse. Elle compense alors ce manque par l’utilisation de matières approchantes par l’aspect et surtout, elle fait appel au maximum à des artisans pour créer ses tenues, inspirées par des photos de magazines des années 50. Un acte qu’elle revendique encore une fois comme presque militant : « Je souhaite valoriser la qualité, la passion et le travail manuel. »

« La soie est l’une de mes passions. La douceur, les reflets, le tombé sont sans pareil », s’enthousiasme Mina. Elle admet volontiers que la grande majorité de sa garde-robe se compose de pièces en soie, lin-gerie comprise. Elle lui confère une sensualité qui lui est personnelle. « Discrète et chatoyante, c’est vraiment un tissu magique », justifie la jeune femme. Le budget, pour elle, n’est qu’une question de choix. Parce que la sensation sur la peau est vitale, elle préfèrera toujours acheter un seul pull en cachemire que trois en acrylique.Lily DesLys recherche autant la soie pour la sensation de cette matière que pour le plaisir de posséder « un vêtement précieux et unique ». Le fantasme suscité par la matière, elle l’évoque aussi bien du côté du public que d’elle-même. Elle raconte : « Quand j’ai commencé à consti-tuer ma garde-robe, la mention me faisait rêver, elle m’évoquait tout un univers de raffinement, d’élégance et de luxe. » Même si, à cause de sa difficulté à travailler, elle admet que son rapport avec la soie est assez proche de la haine. Un sentiment ambivalent qui contraste avec la sensation très sensuelle qu’elle éprouve à toucher ce tissu. « Le satin de soie a un contact très particulier avec la peau, c’est comme une caresse », souffle-t-elle.

Ève RENAUDIN

AFFRIOLANTE ET RAFFINÉE

En France, le mouvement est encore loin d’atteindre les propor-tions des pays anglo-saxons. Le grand public a pu découvrir cet univers à l’occasion de la montée des marches du Festival de Cannes en 2010. Le film Tournée de Mathieu Amalric met cette année-là en scène de vraies vétéranes du circuit burlesque améri-cain comme Miss Dirty Martiny et Mimi Le Meaux.Les Françaises n’ont toutefois pas attendu ce film pour se lancer dans l’art de l’effeuillage rétro puisque le site beburlesque.com référence une cinquantaine de pin-ups exerçant un peu partout en France. Deux écoles existent également, toutes deux situées à Paris. Elles proposent cours de striptease et conseils en tout genre pour adopter l’attitude d’une vraie pin-up. E. R.

le burlesQue en france

Mina Pyro dans ses habits de soie.

UN LIEN INTIME À LA MATIÈRE

18 • COSETA #1

CABINED’EFFEUILLAGE

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« Ce qui m’excite, c’est la douceur du tissu, cette sensualité qu’il représente, le plaisir du toucher. Il symbolise pour moi la féminité et la douceur maternelle... L’attirance pour l’autre sexe, couplé à un bien être... » Voilà comment Marc décrit son attrait pour la soie. Petit à petit, ce tissu est devenu nécessaire dans sa vie sexuelle.« Mes habitudes ne font qu’évoluer au fil du temps, à mesure que je m’assume ». Toucher de la soie décuple son plaisir et son exci-tation, avec certains critères cependant. Pour que le plaisir soit réel, il faut que le contact soit passif, voir accidentel. « Toucher volontairement de la soie avec le bout des doigts ne me fait aucun effet », précise-t-il. « J’ai besoin de la sentir effleurer le revers de ma main, mais aussi bien sûr, sur les parties intimes. » Cette exci-tation particulière nécessite d’avoir recours à des jeux sexuels impliquant de la soie. Le simple port d’un vêtement en soie peut suffir. « Si ma partenaire choisit de porter un vêtement soyeux, je n’ai alors qu’une seule idée en tête : sentir la douceur du tissu

sur ma peau lorsque je vais l’étreindre, la caresser, l’embrasser », explique-t-il. Sa sexualité, Marc la vit bien et ne la considère pas comme un problème. Il n’en parle pas à ses proches pour la simple raison que sa vie privée ne concerne que lui. « Je garde mon intimité pour les personnes amenées à la partager. » À ses partenaires, il ne révèle son penchant qu’en fonction du « degré de confiance. » Et jusqu’à présent, aucune n’a refusé de se prêter au jeu.

Son fétichisme devient surtout compliqué en période de célibat : Marc éprouve le besoin de se masturber quotidiennement à l’aide de vêtements féminins en soie qu’il achète lui-même. Or, il trouve toujours cela gênant d’entrer dans un magasin de prêt-à-porter féminin. Il prétend alors que ses achats sont destinés à sa partenaire. Il n’hésite pas à parcourir parfois plus de 300 kilomètres pour pouvoir s’acheter de « nouveaux jouets » en étant sûr de ne croiser personne de son entourage.Cette fascination pour la soie remonte à son enfance, bien avant la découverte de la sexualité. « La soie a toujours été là, avant même ma puberté [...] Lors de mon éveil sexuel, c’est tout naturellement cette douceur maternelle, symbolisée par la soie, qui a dominé mes fantasmes et plaisirs [...] ma vie sexuelle évoluant, ces plaisirs ont dû s’adapter », confie-t-il. Une origine infantile que confirme Martin Teboul, sexologue andrologue à Lyon. « Le fétichisme est synonyme d’une sexualité qui n’est pas complètement adulte. Un peu comme l’enfant a besoin d’un doudou, le fétichiste a besoin de son fétiche. » Si cette pratique est souvent taboue et cachée, à l’image de Marc qui cache sa passion à ses proches, elle n’a rien de grave, en particulier lorsqu’il s’agit de soie. Aujourd’hui, le fétichisme est toujours considéré comme une pathologie. Si la fascination d’une partie du corps ou d’un tissu n’a rien d’inquiétant, certains fétichismes tombent sous le coup de la loi : ceux impliquant le sadomasochisme et pouvant nuire à autrui s’il n’est pas consenti par exemple. Le Docteur Martin Teboul explique que les fétichistes qui viennent le consulter sont ceux qui ressentent des difficultés dans leur sexualité. « Les pa-tients qui viennent me voir souffrent car ils se sentent différents ou parce qu’ils ne trouvent pas de partenaire qui acceptent leur fétichisme. » Selon lui, le fétichisme n’est absolument pas incom-patible avec l’épanouissement sexuel et personnel. Une notion que Marc a très bien compris. « Je ne changerai jamais, alors pourquoi lutter contre l’un des rares plaisirs quotidiens ? »

Claire MONERRAT

Volupté, douceur, féminité… La soie fascine. Parfois, cette passion prend des proportions inhabituelles, jusqu’à atteindre un réel fétichisme. Incursion dans l’intimité d’un fétichiste de la soie.

EXCITANTE ET SENSUELLE

« C’est tout naturellement Cette douCeur maternelle, symbolisée

par la soie, qui a dominé mes fantasmes et plaisirs »

COSETA #1 • 19

LA CABINED’EFFEUILLAGE

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B O R B O R Y G M E S

La soie inspire encore et toujours lecteurs, publicitaires, artistes, internautes ... La soie dans tous ses états.

Sources : leboncoin.fr, wat.tv, theveganforum.com, amazingseller.com, waltdisney...

Un nouveau héros dans la ville ...

Verasoie-Man ! Vidéo sur wat.tv

BORBOGYMES

20 • COSETA #1

CL ' A R G E N T N ' A P A S D ' O D E U R

SOIE QUI ROULE AMASSE LE FLOUZE

Deuxième région de France par sa superficie et sa population, Rhône-Alpes rayonne par son économie, l’une des plus dynamiques de France (10% du PIB national). Elle possède plusieurs cordes à son arc avec les industries mécaniques, pharmaceutiques ou chimiques. Le textile et l’habillement tiennent également chaud à l’économie régionale. Plus de 6 000 emplois répartis dans près de 300 entreprises génèrent un chiffre d’affaires de près d’un milliard d’euros.

La soierie lyonnaise a du succès à l’étranger.

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COSETA #1 • 21

L'ARGENT N'A PAS D'ODEUR

Lyon. La capitale rhônalpine est aussi celle du textile, surtout celui que l’on range dans la catégorie haut de gamme : les fameuses soieries.

QUAND LE LUXE VA, TOUT VA

22 • COSETA #1

L'ARGENT N'A PAS D'ODEUR

Capitale mondiale de la soie, Lyon est souvent associée à cette fa-meuse bave de Bombyx qui en fait saliver beaucoup. Les admirateurs sont français bien sûr, mais aussi asiatiques (20% de la production de soierie lyonnaise est vendue en Chine, 15% au Japon), arabes ou américains. D’ailleurs, l’industrie de la soie représente la troisième motivation des touristes qui se rendent du côté de Lyon. « La gastrono-mie et la fête des Lumières viennent juste avant », nous confie David Kimelfeld, maire du 4ᵉ arrondissement de Lyon. Celui qui englobe la Croix-Rousse.Aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, le bastion des canuts dominait géographi-quement et économiquement la ville. La soierie lyonnaise était à son apogée. L’activité occupait plus de 30 000 personnes et on recensait près de 14 000 métiers à tisser dans les ateliers. Mais la révolution et l’apparition du métier Jacquard lors de la croissance industrielle ont fait chuter le nombre d’emplois directs. Aujourd’hui, avec les profondes mutations du système économique mondial (libéralisme économique, fin des régimes communistes russe et chinois ainsi que suppression des barrières douanières en Europe), les machines se sont automatisées pour une productivité à grande échelle et plus rapide. Les métiers Jacquard sont désormais pratiquement tous entreposés dans les musées ou auprès d’associations oeuvrant pour la sauve-garde du patrimoine. Le nombre de travailleurs de la soie, lui, s’est effondré. Il est loin le temps où le tissage de la soie faisait vivre la moitié de la ville lyonnaise. On recense en 2010, 1200 spécialistes de cette fibre textile dont la majeure partie se trouve dans le Rhône, la Loire et le Nord-Isère. D’ailleurs, 95% des acheteurs de soie pro-viennent de ce triangle du textile. Aujourd’hui, la production de la fibre naturelle la plus chère du monde (entre 50 et 60 euros le kilogramme) est très marginale dans le monde.

Un peu plus de 100 000 tonnes sont fabriquées (5% sont consommées par l’Europe), ce qui représente 0,2% de la production de textiles bruts. Depuis 2008, la situation reste difficile pour les entreprises qui tra-vaillent la soie, désormais destinées en grande partie pour l’habille-ment, la décoration et l’ameublement. Cette année-là, la crise écono-mique arrive et fait des ravages. Un tiers des entreprises confectionnant des soieries met la clef sous la porte selon Stéphane Jaray. Cet homme, qui est depuis 22 ans dans la soie, travaille chez Denis et Fils, un tisseur de soieries de la Loire. Il évoque cette récession douloureuse qui a hanté les esprits. « L’année 2008-2009 a été tout simplement catastrophique, les industries de la soie et du textile en général étaient en grand danger. Notre entreprise avait perdu près de 30% de son chiffre d’affaires. Nous avons été obli-gés de procéder à des licenciements. »Et depuis ? La crise de 2008 est bien loin derrière, à entendre les in-dustriels de la soie. Ils sont unanimes sur la situation actuelle. « La soie

se porte très bien en 2011. Il faut dire qu’il y a beaucoup de débouchés avec des pays comme l’Inde, la Chine ou les Tigres (pays asiatiques émergents comme l’Indonésie ou la Thaïlande). Les gens deviennent de plus en plus riches là-bas », note Pierric Chalvin, délégué général d’Unitex, syndicat professionnel du textile basé à Lyon.

Christian Morel-Journel est grossiste en tissus de toutes sortes et dirige l’Union des Métiers de la Soie et des Tissus d’extrême Orient. Il a son explication. « Le marché du luxe explose en Chine et dans le reste de l’Asie. Les Chinois ressentent le besoin de se créer une identité. Ils vont donc acheter des produits chers, beaux, de qualité et de grandes marques. C’est la même chose en Russie et dans les pays émergents comme l’Inde ou la péninsule arabique. Récemment, un client m’a commandé 500 mètres (soit 10 000 euros environ) de tissus de soie pour décorer le salon de la résidence californienne du ministre saoudien de la défense. Le marché de la décoration de luxe est en pleine expansion. »La crise actuelle qui touche sévèrement les grandes puissances n’influe en aucun cas sur les désirs des grosses fortunes. Une au-baine pour la soierie rhônalpine et lyonnaise, reconnue avant tout pour son passé et sa main d’œuvre. « Quand un étranger achète de la soierie, il préfère de la lyonnaise plutôt que de l’italienne. Pour lui, c’est de l’Histoire de France qu’il se procure. Le savoir-faire national est aussi une vitrine et c’est une erreur de se focaliser sur le coût de la main d’œuvre. Pour preuve. Je connais une personne qui avait délocalisé ses ateliers en Malaisie pour rechercher une main d’œuvre bon marché. Récemment, elle a fait rapatrier sa so-ciété par souci de la qualité du produit fini. Pourtant, en France, un ouvrier français coûte 18 fois plus cher qu’un Malaisien », explique Pierrick Chalvin.Mais certains travailleurs français de la soie s’expatrient volontai-rement dans les pays à fort potentiel car ils cèdent aux sirènes asiatiques. Par exemple, l’Inde aligne les dollars pour se payer le savoir-faire hexagonal en matière de dessin, confection... Et ren-force leur position de concurrent féroce.Au final, pas tellement, selon Stéphane Jaray. « Certes, la concurrence est forte. On pense bien sûr à la Chine. Mais l’Empire du milieu n’arrive pas à la hauteur de la qualité française en ce qui concerne le moyen, haut et très haut de gamme. Nous sommes plus créatifs et plus réactifs. » Pourtant, des dirigeants d’entreprises sont pessimistes car les indicateurs ne sont pas au beau fixe pour l’année 2012 en termes d’emploi et d’économie. D’autres, au contraire, sont très optimistes avec l’essor du marché des tex-tiles techniques et le maintien du luxe, même en temps de crise. En tout cas, avec leurs talents hérités des canuts, les soieries lyonnaises rempor-teront toujours compliments et succès.

Geoffrey FLEURY

lyon connue pour son passéet sa main d’oeuvre

2008:un tiers des entreprises ferme

LA CHINE, LE « FAUX SOYEUX » DES EUROPÉENS

Depuis le début des années 1980 et son ouverture progressive au commerce extérieur grâce à Deng Xiaoping, la Chine a rejoint les grandes puissances économiques. Mais derrière cette croissance hallucinante se cache une activité très rentable mais complètement illégale : la contrefaçon. Tout se copie sur le sol chinois, y compris les créations en soie de grandes maisons.

Avec 90% de la production mondiale, la Chine est le leader incontesté de la soie pure. Mais l’empire du milieu est avant tout copieur né pour ce qui est des produits finis. Il est la pre-mière région du globe dans la catégorie très lucrative de la contrefaçon. Sur ce « marché » estimé à plus de 200 milliards d’euros, l’activité chinoise représente moins des deux tiers. « Les Chinois s’en foutent, ils copient absolument tout », mar-tèle Christian Morel Journel, directeur de l’entreprise éponyme et de l’Union des Métiers de la Soie et des Tissus d’Extrême-Orient à Lyon.

Ce grossiste en tissus (de soie surtout) est très bien placé pour le savoir. Cela fait plus de trente ans qu’il échange avec le continent asiatique. Il confirme ce leadership chinois, même pour le fil de soie. « Un créateur de tissu italien que je connais trouvait le fil cher en Europe. Il a contacté une excellente société de tissage en Chine et a fait imposer son cahier des charges. Il reçoit ce qu’il veut un mois après. Il le lance sur le marché en le vendant à un

client américain. Mais six mois après, ce dernier n’a rien vendu. L’Italien a en fait servi de bureau d’études à l’atelier chinois. Les ouvriers avaient créé le même tissu en quantité abondante et à un tarif intéressant. Ils ont inondé le marché américain en vendant le mètre 26 euros, avec trois fois plus de marge, contre 40 euros pour l’Italien. »

Au top en ce qui concerne la soie, Hermès est victime de la contrefaçon asiatique. Chaque année, la maison française vend plus d’un million de carrés dans le monde. En parallèle, ce sont 150 000 à 200 000 copies qui sortent sur le marché avec un prix divisé par 10. « Mais Hermès arrive à limiter cette pratique car la société possède un fort réseau de contrôle dans le monde », poursuit le grossiste. L’article L335-3 du code la propriété intellectuelle et les autres dispositions légales existent, mais la machine est bien lancée. Pas sûr qu’elle s’arrête en si bon chemin. G. F.

du tissu au produit fini

la chine s’approprie la french touch

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COSETA #1 • 23

L'ARGENT N'A PAS D'ODEUR

Seules les deux dernières cravattes Burberry sont des vraies, les autres des contrefaçons

CC A R N E T D E R O U T E [ D E L A S O I E ]

LYON A LA FIBRE TOURISTIQUE

La soie contribue largement au rayonnement métropolitain et international de Lyon. Elle a une importance capitale dans le paysage touristique de la métropole et figure à la deuxième place dans le top 3 des demandes des touristes après le duo Fourvière – Vieux Lyon.

Pierre angulaire du tourisme lyonnais, l’offre relative au patrimoine de la soie est très présente dans la capitale rhodanienne. Des éco-musées à l’image de Soierie Vivante et la Maison des Ca-

nuts, situés sur le plateau croix-roussien, permettent aux touristes d’ap-procher l’histoire de la soierie lyonnaise dans sa globalité. Mais aussi d’assister à des démonstrations sur des métiers à tisser. D’autres lieux complètent la palette proposée aux touristes et témoignent davantage de la production contemporaine de la soie. C’est le cas de la Maison Brochier, manufacture incontournable dans l’univers de la soie qui lie création artistique et haute couture, dont les ateliers et les espaces de vente sont à la fois ouverts au public et aux grands créateurs.

Chaque année, des dizaines de milliers de touristes fréquentent les ateliers et les musées pour découvrir ou acheter de la soie lyonnaise. En 2010, les deux ateliers de l’association Soierie Vivante cumulaient 12 109 visites et la Maison des Canuts accueillait près de 28 000 visi-teurs. Pour faire face à un tel flux touristique, l’Office du tourisme mul-tiplie les visites guidées. « Nous nous sommes adaptés à la demande croissante en programmant plus de visites », explique Luc Verret, chef

de service à l'Office du Tourisme, pour qui le tourisme de la soie est « aussi important que la gastronomie ». D’un unique thème d’excur-sion sur la soie, l’Office du tourisme en propose désormais trois dont chacun comprend une déambulation commentée dans les traboules associée à la visite soit de la Maison des Canuts, de Soierie Vivante ou de l’Atelier de Soierie. À ces visites guidées s’ajoute le parcours de la soie. Un long itinéraire qui englobe les visites de chacun des ateliers mais aussi des quartiers des canuts (Mur des Canuts, théâtre de Guignol, etc.). En parallèle, l’Office du tourisme assure un travail de promotion conséquent visant à valoriser l’image de ce tissu précieux à l’étranger et en particulier auprès des compagnies d’autocaristes et des tours opérateurs. La démarche bénéficie aux différents professionnels du secteur qui voient leur public se diversifier. « On reçoit de plus en plus d’Américains », explique Ludovic La Calle, gérant de la Soierie Saint-Georges, qui estime que la moitié des touristes, qui fréquentent son atelier boutique sont des étrangers. Même constat du côté de l’Ate-lier de Soierie dont 70% des 30 000 touristes annuels sont des étran-gers. « La clientèle américaine et allemande est de plus en plus impor-tante du fait de la multiplication des croisières fluviales qui font escale à Lyon », explique Gérard Genet, son gérant. Si à Soierie Vivante et à la

PLUS DE VISITES POUR PLUS DE TOURISTES

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24 • COSETA #1

CARNET DE ROUTE [DE LA SOIE]

Maison des Canuts, les Français représentent près des trois quarts des visiteurs, les statistiques confirment cette tendance, les Américains et les Allemands figurant juste derrière les Italiens dans le trio de tête des touristes étrangers fréquentant ces ateliers symboliques de la mémoire des canuts.

Consciente du rôle essentiel qu’incarne la soie dans le développement de Lyon mais aussi du manque de visibilité concédé à ce pilier touristique, la Ville de Lyon s’est lancée en 2009 dans un vaste projet dont le but est de valoriser la soie en « fédérant les énergies », explique Maria-Anne Privat-Savigny, directrice des Musées Gadagne. Depuis déjà deux ans, les acteurs de la soie travaillent de concert avec la Ville de Lyon et le Grand Lyon pour créer de nouveaux projets autour de l’étoffe. Le programme comporte trois volets dont le premier, évènementiel, s’est soldé par la création du premier festival consacré exclusivement à la soie, le Label Soie. Un colloque qui sur le plan touristique a permis « l’adhésion des Lyonnais à la mani-festation », explique Maria-Anne Privat Savigny, qui annonce « une montée en puissance vers un produit plus touristique » au fil des éditions. En acceptant la mise en place de ce festival, les acteurs de la soie ont effacé une première défaite. « On voulait voir émerger un musée de la soie, en plus des choses déjà exis-tantes, mais la ville a avancé que cela coûterait trop cher », rapporte Cladie Mercandelli, salariée de Soierie Vivante, manifestement perplexe. « Bien sûr, on n’est pas mécontent du festival et des initiatives prises pour valoriser la soie mais ça ne correspond pas tout à fait à l’attente de nos adhérents », rajoute-t-elle. Mais le véritable projet à consonance touristique réside dans la mise en place d’un parcours de la soie autonome. « Le visiteur pourra télécharger les indications sur la visite directement sur son smartphone. L’idée c’est que n’importe qui puisse faire le parcours n’importe quand », explique Maria-Anne Privat-Savigny. Le projet ne devrait, cependant, voir le jour qu’en 2013. Le troisième volet basé sur la recherche vise à collecter et numériser les documents sur la soie et les témoignages des soyeux afin d’offrir une vision globale de ce patrimoine via un site web. Reste à voir quels seront les retentissements sur l’un des plus importants fleurons touristiques lyonnais.

Natacha VERPILLOT

André Claude CanovaQuai St-Vincent

Maison des Canuts 10-12 rue d’Ivry (4e)

+ Démonstration sur des métiers à tisser à bras - Manque d’intéractivité lors des visites

Soierie vivante21, rue Richan - Rue justin Godart (4e)

+Visite ateliers et appartement canut en l’état - Distance entre les deux ateliers (15 min.)

L’Atelier de Soierie33, rue Romarin (4e)

+ Découverte et explications de l’impression sur soie - Le manque de véritable démonstration

Unique en série41, rue Burdeau (4e)

+ Customiser soi-même la soie et emporter sa création - Le prix élevé des cours et stagesSoierie St-Georges

11, rue Mourguet (5e)+ Assister à la fabrication du tissu par un tisseur encore en activité sur des métiers vieux de deux siècles - La rapidité des explications

Le Carré de SoieRue Charité

Nina Création ShihRue Charité

TousoieRue Auguste Comte ©

alyon

.org

Où acheter de la soie lyonnaise ?Lieux de découverte de la soie, son histoire et sa fabrication (possibilité d’achats)

PLUS DE COHÉSION POUR UNE MEILLEURE VALORISATION DE LA SOIE ?

Les Américains et les Allemands figurent juste derrière les Italiens dans le trio de tête des touristes étrangers fréquentant ces ateliers

CARNET DE ROUTE [DE LA SOIE]

CV U E D U L A B O

(R)ÉVOLUTION SOYEUSE

À l’heure de la mondialisation, la concurrence des marchés étrangers a obligé les soyeux à se diversifier pour survivre. S’ils sont bien implantés au sein des marchés du luxe et de l’ameublement, ils se tournent depuis une dizaine d’années vers les textiles techniques et les marchés de niche.

« Dans le domaine de la soie, les entreprises faisant uniquement de la confection vont avoir beaucoup de mal à s’en sortir. Le Grand Lyon ne peut pas participer à la sauvegarde de ceux qui n’auraient pas pris le virage de l’innovation », commente circonspect David Kimelfeld, vice-président de la communauté urbaine du Grand Lyon délégué à l’économie. Cette sentence du maire du 4e arrondissement résume l’un des enjeux principaux des entreprises de soieries lyonnaises ces dernières années. Difficile pour eux de s’en sortir en continuant de travailler uniquement la soie comme ils le faisaient au XIXᵉ et XXᵉ siècle.En 2011, il s’agit de pouvoir rivaliser avec les hyper-producteurs que sont la Chine et l’Inde. Pour cela, il leur faut se diversifier. La soie, ils continuent à en faire, notamment pour les marchés du luxe et de l’ameuble-ment. Mais depuis une dizaine d’années, ils travaillent aussi sur d’autres textiles, souvent très techniques. « Prenez Brochier, le soyeux lyonnais typique avec une marque et un nom relativement connus à Lyon. Malgré sa taille il a dû totalement se réorienter au fil du temps », précise Anne Masson, du pôle rhônalpin de compétitivité Techtera. « Aujourd’hui, les anciens soyeux lyonnais font leur beurre sur des marchés de niches très spécifiques. Ils travaillent la fibre de verre ou encore la fibre optique. Des matières qui n’ont plus rien à voir avec les textiles traditionnels » ajoute-t-elle. « Le savoir-faire en matière de soie et la réputation d’entreprises comme Brochier ou Dutel, ont été un atout considérable pour cette évolution. Les contacts, ils les avaient déjà. »La situation est identique à plus petite échelle. Denis et fils, petite entreprise familiale située dans la Loire, tisse en même temps pour le marché du luxe et les textiles techniques high-tech. Elle est d’ailleurs l’une des seules à maîtriser ce savoir-faire en France. « Le textile, c’est la création, bien sûr. Mais c’est surtout l’innovation », clame d’ailleurs Christian Denis dans la brochure de présentation de sa PME. L’entreprise a mis au point avec Brochier Technologies, le chef de file des textiles lumineux lyonnais, une technique unique de tissage de fibre optique. Par-mi les 48 métiers à tisser que compte l’usine de la commune de Montchal, figure d’ailleurs un prototype unique qui tisse de la fibre optique 24 heures sur 24. Les applications futures sont multiples : transport, bâtiment, vêtements communicants ou encore santé... À l’heure actuelle, les soyeux lyonnais ont donc choisi la voie de la diversification, « mais en matière d’innovation rien n’est jamais figé, peut-être à terme choisiront-ils de mettre de nouveau la soie au premier plan » conclut Anne Masson.

« Le textile, c’est la

création, bien sûr.

Mais c’est surtout

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26 • COSETA #1

VUE DU LABO

COCON TECHNOLOGIQUE Gilets pare-balles en soie d’araignée. Os et cartilages reconstruits encore plus solides qu’à l’origine. De nombreux domaines pourraient bénéficier des avancées de la recherche sur la soie, synthétisée ou non, et ses propriétés. Passage en revue de ces innovations qui font fantasmer les scientifiques.

La soie d’araignée, de par sa solidité et sa résistance aux chocs, a depuis toujours alimenté les fantasmes des scientifiques. À travers le monde, plusieurs laboratoires conduisent des recherches afin d’élaborer des gilets pare-balles et autres combinaisons de sécu-rité à base de soie. La scientifique néerlandaise Jalila Essaidi vise encore plus haut. Son objectif ? Rien de moins que de créer une peau humaine résistante aux balles. C’est à base de lait de chèvres naines génétiquement modifiées (cf. page 6) que la scientifique a créé cette peau synthétique. Les premiers tests effectués pendant l’été 2011 tendraient à prouver l’efficacité de cette « armure épidermique ». Se-lon la chercheuse, des modifications de ce type pourraient permettre d’éviter les blessures graves pour les soldats ou personnels de sécu-rité. Néanmoins, pas de risque de voir débouler des militaires ou des policiers en peau de spiderman de sitôt, les recherches n’en sont encore qu’au stade expérimental.

La sécurité Applications industrielles

À en croire Bernard Mauchand, chercheur à l’INRA, « le véritable ave-nir de la sériciculture repose sur une nouvelle destinée du ver à soie, en lui faisant produire des protéines autres que celle qu’est la soie par transfert de gènes dans le génome du ver à soie ». Cette stratégie a été d’abord mise au point par la France, avant que les laboratoires du pays ne décide de l’abandonner en 2010. Grâce à cette méthode, les diffé-rentes protéines de ver à soie pourraient avoir des débouchés multiples dans le secteur médical ou industriel. Exemple parmi d’autres : l’une de ces protéines pourrait permettre d’améliorer... les livres électroniques. Des scientifiques taïwanais ont en effet découvert que la fibroïne de soie, une molécule synthétisée par les vers, pouvait être utilisée dans la fabrication de transistors. Ces derniers améliorent l’efficacité du papier

électronique. Permet-tant de transmettre les signaux jusqu’à 20 fois plus vite qu’à la normale et ainsi gagner grande-ment en rapidité. Ce qui augmenterait la vitesse à laquelle on pourrait tourner les pages d’un livre électronique. Der-nier avantage souligné par les chercheurs, cette protéine s’avère très peu coûteuse et reviendrait à seulement 0,03 dollars par transis-tor.

Reconstruire nos os et car-tilages endommagés en les rendant au passage cinq fois plus résistants. Ce rêve, c’est celui de la firme anglo-saxonne Orthox. « Ce que nous essayons de faire, c’est reproduire les propriétés de la toile d’araignée dans un ma-tériau de réparation, une armature, pour les cartilages et les os », expliquait Nick Skaer, chercheur et PDG de la firme, en février der-nier. Son objectif premier était d’utiliser la soie d’araignée. Pourtant l’impossibilité d’en faire un élevage lui a fait abandonner assez vite cette option. C’est pour cela que Nick Skaer s’est tourné vers les vers à soie, qui peuvent lui fournir un approvisionnement plus important. « Nous cassons cette matière première en molécules de soie indi-viduelles, ce qui nous donne un produit très similaire à celui d’une araignée ou d’un ver à soie », explique-t-il dans le détail. Courant 2011, la société a réalisé avec succès un premier implant de cartilage de genou. Les essais cliniques devraient quant à eux démarrer dans le courant de l’année 2012.

Des raquettes de tennis haute performance, des parachutes plus maniables ou encore des pneus ultra-résistants pour les sports automobiles. De part ses propriétés, la soie pourrait bien être l’équipement fétiche des sportifs du futur ! Les débouchés semblent presque illimités. « Des firmes comme Salomon travaillent d’ailleurs à l’élaboration de matériaux en soie, pour leur résistance, leur légèreté et leur élasticité », confirme Anne Masson du pôle de compétitivité Techtera. Mais secret industriel oblige, tout cela reste pour le moment au stade expérimental et confidentiel !

Le sport

La médecine

Dossier et photo montage : Benoît JACQUELIN

COSETA #1 • 27

VUE DU LABO

CE L L E S P ÈT E N T D A N S L A S O I E !

POURQUOI LA SOIE DÉFILE ?

La soie, symbole de féminité et d’élégance, a toujours été utilisée dans la fabrication de vêtements. Si ce tissu est encore largement travaillé aujourd'hui, son prix peut très vite grimper. Surtout dans la haute couture.

Qui dit haute couture sous-entend grand luxe, et ce luxe passe par des textiles de qualité que sont notamment les tissus nobles (naturels), comme la soie. Utilisée essentiellement dans les collections féminines, « la soie est toujours un produit haut de gamme » souligne Martine Villelongue, directrice de l’Université de la mode à Lyon. Les grandes maisons de luxe se fournissent principalement auprès de soieries fran-çaises ou italiennes qui garantissent un savoir-faire, une qualité mais également un certain coût. Et s’il est possible de trouver des vêtements en soie dans le prêt-à-porter grand public, ces produits restent oné-reux. Une particularité qui fait de ce textile un symbole de luxe. Mais « son prix se justifie par son potentiel », explique la directrice, « ce tissu offre un éventail de possibilités extrêmement large. » En effet, il existe une multitude de soies différentes, que ce soit dans le tou-ché, l’aspect visuel, l’épaisseur ou le confort. La soie peut aussi bien être épaisse que légère, froissée, froncée, plissée ou raide. Sophie Guyot, créatrice textile lyonnaise le confirme, « tout dépend de la façon dont le tissu est travaillé […] l’organza peut être léger mais craquant, la mousseline très légère, le velours au contraire plus fort. »

Ce côté malléable n’est pas sa seule qualité : la soie est aussi un tissu qui se teint très facilement. La directrice de l’Université de la mode donne également l’exemple des célèbres carrés Hermés pleins de détails et très colorés. « Le même dessin, le même motif ne donnera absolument pas le même résultat sur de la soie que sur du coton. Le carré de soie sera plus net et les couleurs seront plus vives ».Si la soie peut être utilisée pour tout type de vêtements, elle l’est principalement pour les tenues de soirée. Notamment pour les robes du soir, un élément central des collections féminines de haute couture et summum de l’élégance féminine. Ces robes ont besoin d’un joli tombé, de « donner quelque chose de fluide, de contrasté, de brillant ou de mat », détaille Martine Villelongue, « il faut aussi pouvoir marcher ou bouger facilement. » Des exigences que remplit la soie, mettant en valeur tous les aspects de la fémi-nité : l’élégance, l’agilité ou encore la délicatesse. Toutes ces pos-sibilités font de ce tissu une matière indémodable. Elle s’adapte à toutes les envies, les créateurs peuvent en faire ce qu’ils en veulent. « C’est un tissu magique » lance Martine Villelongue. Et si seuls quelques happy few dans le monde peuvent s’offrir de la haute couture, reste un accessoire accessible à tous : le foulard en soie. Un des indispensables à avoir dans son armoire.

Claire MONNERAT© Di

or.co

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28 • COSETA #1

ELLES PÈTENT DANS LA SOIE

ÉLÉGANCE, AGILITÉ ET DÉLICATESSE

Symbole de féminité, la lingerie est liée à l’histoire de la libération des femmes. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la lingerie leur était inter-dite et seuls les hommes étaient autorisés à porter la « culotte ». Les dames avaient quant à elles pour obligation de porter des corsets, au risque de se briser des côtes ou de subir une dizaine de malaises par an. Mais déjà, à l’époque, elles se consolaient en achetant des corsets faits à partir de soie française. De nos jours, la lingerie est confortable et séduisante, plus « classe » quand elle se pare de soie. Pour Véronique Perret, responsable marketing chez Millesia, la soie reste indémodable et a toujours la même importance. « La noblesse de la matière, la qualité au toucher mais aussi le visuel, font que la soie ne trouve pas de réel concurrent », affirme t-elle.

Mais ce n’est pas tout, la soie a d’autres atouts en lingerie. Il s’agit d’un tissu naturel qui permet à la peau de respirer et possède des qualités anti bactériennes. Elle est le choix parfait pour la lingerie puisqu’elle réchauffe en hiver et qu’elle rafraîchit en été. « La soie est non seulement agréable à porter mais c’est avant tout une matière qui ne se déforme pas. La durée de vie d’un tissu de soie est longue », explique Véronique Perret.

Mais pas de mensonge, si la lingerie en soie assure une satis-faction par sa qualité, elle n’est pas accessible à toutes. C’est pourquoi de nombreuses femmes choisissent des ensembles de lingerie fait à partir de lycra, de polyamide ou encore de polyester.À Lyon, beaucoup de boutiques de lingerie ont fait le choix de ne proposer que de la lingerie mais sans jamais utiliser la soie, comme Kumkat située dans la 1ᵉͬ arrondissement. Un choix que le propriétaire, Maxime Ravoura assume totalement: « Nous vou-lons proposer de la lingerie agréable à porter qui ne demande pas forcément de se ruiner. La soie c’est beau mais ça coûte très cher », explique t-il. De même, la créatrice lyonnaise Assia n’utilise pas la soie pour des raisons pratiques. « Il s’agit d’une matière complexe à travail-ler, et qui reste très fragile. Je préfère me concentrer sur les autres tissus », confie-t-elle. Les Françaises réservent 17%¹ de leur budget habillement à la lin-gerie, elles ne peuvent donc pas remplir leurs penderies de soie. Si vous n’êtes pas économe, vous pouvez toujours opter pour de la lingerie en satin. La qualité et le toucher ne valent pas la soie, mais les hommes n’y voient que du feu !

POUR QUELQUES STRINGS DE PLUS...

Si en 1968 elles brûlaient leur soutien-gorge pour revendiquer leurs droits, en 2010, les Françaises dépensent en moyenne 100 euros par an pour séduire leurs hommes¹. Quelle place occupe aujourd’hui la soie dans la lingerie ? Est-elle réellement accessible ?

COSETA #1 • 29

ELLES PÈTENT DANS LA SOIE

ÉLÉGANCE, AGILITÉ ET DÉLICATESSE

1. Source : Chiffres communiqués par l’Institut français de la mode, le 11 janvier 2011

© DR

Zohra BEN MILOUD

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COSETA #1 • 31

DVD

Paris, 1914. Un film de passion et des rapports troublants entre la regrettée Marie Trintignant (nommée pour le César de la meilleure actrice en 1997), jeune couturière attirée par la soie et son psychanalyste. Le thème du fétichisme de la soie version féminine est mis en scène par le réalisateur Yvon Marciano. L’homme de cinéma et de théâtre est décédé le 23 novembre dernier. À voir ou revoir, comme un hommage…

Le cri de la soie

Sortie le 23 février 2006, One Plus One, 30 euros

LIVRE

L’Italien Alessandro Baricco reprend la Route de la Soie au tout début des années 1860. Une maladie ravage alors les élevages européens de vers à soie. Hervé Joncour, un jeune officier marié à Hélène est chargé d’une mission, se rendre en secret au Japon pour y acheter des œufs sains. Sur l’île interdite, il rencontre une mystérieuse et déroutante beauté nippone, une rencontre qui va bouleverser sa vie. Adapté au cinéma par François Girard avec Michael Pitt et Keira Knightley.

Soie

Ed. Albin Michel, 145 pages, 8 euros

DOCUMENTAIRE

Le documentaire de Marc Mopty retrace une partie du voyage de Marco Polo. Un véritable carnet de voyage de la Route de la Soie.

La route de la soie

Echappées Belles, 2006, 52 min.

LIVRE

Au centre de la mode, la soie, ses foulards et ses carrés sont racontés dans ce livre de Fola Solanke (costumière pour le théâtre) et Nicky Albrechtsen (costumière pour le cinéma). Un ouvrage comprenant des modèles exceptionnels des plus grandes maisons (Hermès, Gucci, Lacroix) reproduits sur papier, des biographies de grands créateurs et même des conseils d’expert sur l’entretien, l’achat et la vente du célébrissime bout de tissu.

Foulards et Carrés de soie

Ed.Thames et Hudson 302 pages, 47,50 euros

www.myskreen.com

DOCUMENTAIRE

Film muet tourné en Provence dans une magnanerie modèle, reprenant tout le cycle de vie et de reproduction du bombyx du mûrier et son élevage, jusqu’à son expédition dans le monde industriel. Réalisé par Jean-Benoît Lévy.

La sériciculture

Edition française cinématographique, 1925, 40 minuteswww.ina.fr

EXPOSITION

Comme un prolongement du festival de la Soie, le musée des Tissus de Lyon propose une découverte des soieries produites dans la ville pendant la révolte des canuts.

« Tisse toujours, ton étoffe est mon drapeau !»

Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon Jusqu’au 22 janvier 2012

COSETA #1 • 31

CULTURE

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