Cortot Florence - librinova.com

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CortotFlorence

LeLabyrinthe

©CortotFlorence,2019

ISBNnumérique:979-10-262-2871-4

Courriel:[email protected]

Internet:www.librinova.com

LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

Ce livre s’adresse à toutes les personnes ayant souffert ou souffrantd’acouphènes, auxétudiants etdocteurs enmédecine, auxmères fatiguéesdeleurcorpsetjamaisseulesdansleurtête,aupersonnelparamédical.

Etaugenrehumain,engénéral.

«Ledeuxième,çavatoutseul»

Septembre2011

Jesuismamanpourladeuxièmefois.

Une petite fille, une beauté minuscule assez chevelue, un rôti d’acidedésoxyribonucléiquede3,5kg.

Bellebête.

Jesuiscontente,émue.Unpeuexcitée.Pastoutàfaitheureusenonplus.

Jen’aijamaispossédéquelqueformed’insouciance.

Lafabricationd’unêtrehumaindespiedsàlatêten’arrangepasvraimentleschoses.

Une naissance, c’est à la fois banal et extraordinaire, rassurant etdérangeant,libérateuretasphyxiant.

L’antagonismedelasituationmeclouesurplace.

Jenefaispaspartiedecesfemmesquelamaternitéapaise.

Au contraire, elle ouvre dans ma conscience une brèche dequestionnements et d’angoisses qu’aucun discours lénifiant ne peutcolmater.Jenepeuxqueconstaterl’hémorragiedescertitudes,impuissante.

Je suis née angoissée, je mourrai sans doute angoissée. En tout cas, ilm’estpermisdelecroire.

Lesbonnescopinesviennentmevoiràlamaternité.

Ellesm’assaillentdelieuxcommuns:

« Alors, tu te sens vraiment maman maintenant ? », « Tu n’as pas

l’impressiondelaconnaîtredéjàparcœur?»,«Onneressentmêmepaslafatigue,hein?»

Jeme soumets à cesmots garants de l’intégration sociale.Mais ilsmeparaissentfactices.

J’ail’avenirdecepetitêtreentrelesmainsetl’onm’enjointd’êtrelégère,je ne sais pas comment faire,mais onme jureque c’est inné, je crèvedepeuretonm’imposed’êtreconfiante.

Jenavigueentrelelitmédicaliséetleberceauenplexiglas.Monuniversest plastique,mon bébé ressemble à une poupéeCorolle.Tout est lisse etpropre.Saufmoi,quiressembleàunvieuxchiffonfroissé.

J’ai la têteet lecorpsdesmauvais jours :yeuxbouffis,cheveuxgrasetgrasdubide.Toutenmoiestguimauve:moelleux,épaisetpondéreux.Jenemereconnaispas.

Lorsquemonbébédort,lachambreestd’uncalmeabsolu.

J’ai dumal à croire que je suis dans unematernité où naissent chaqueannéesixmillebébés.Oùsontleurscris?Leurspleurs?

Cesilencemeglace.Jesuispresquecontentedevoirarrivermonplateau-repas.

Devantmescarottesrâpéessous-vide,monesprits’échappe.Jemeprendsà penser que ce serait bon d’être commemes amies.Que tout soit d’uneévidentelimpidité.D’unedéconcertantesimplicité.

Alors enfin je pourrais leur dire, le cœur délivré d’être dans la norme :«Êtremère?C’estquedubonheur!»

Maisjen’ycroispasuneseconde.Ondiraitunemauvaisepubpourdesyaourtsallégés.

Toutlemondeyvadesapetiteréflexion.C’estàquiauralaplusniaise.

Lapalmed’orrevientàlafemmedeménagequi,toutenpassantsonbalai

sousmonlitmelance:«Yapasàdire,nouslesfemmesonestfaitespourça.»

La féministe en moi bondit. La jeune accouchée docile, qui plus estmédecin, acquiesce. C’est bien connu, les soignants n’aiment pas trops’occuperdesdocteurs : ce sont les patients les plus chiants.Et, bienquej’aieenviedel’ouvrir,j’aiencoremoinsenviedeleurdonnerraison.

Plustarddanslajournée,lasage-femmepassemevoir.

Elleeffectuelesvérificationsnécessaires,réaliselecontrôletechniquedela118.

Toutal’airenrègle,ilfautjustelaisserunpeureposerlemoteur.

J’ai l’impression d’être une Renault 5 qui vient de faire les 24HeuresduMans.

Heureusement,macarrosserie,bienqu’unpeulourde,atenulechoc.

JeluidemandeduDafalgan.

Professionnelle, elle sortuneplaquettedegélulesde sonchariotqu’elleposedevantelle.Maisavantdemeladonner,telleuneinstitutriceréservantsonbonpoint,ellemedemandeoùj’aimal.

«Unedouleurdentaire,depuisquelquesjours,cen’estrien,çavapasser.Jecroisquec’estfréquentpendantlagrossesse.»

Lesmédecinsminimisent toujours leur propre douleur.Celle des autresesttoujoursplusvalable.Jenedérogepasàcetterègle.

Elle sourit, mon explication lui suffit. Je reçois ma récompense. Elleajoute:«Magrand-mèredisait:unegrossesse,unedent.»

Jepenselalitaniedesbanalitésrevenuemaisnon.

Cettefois-ci,ellemedemandederetirermonpantalon.Ellemasquemalsagêne.

Ce n’est peut-être pas tous les jours qu’elle baisse la culotte d’un

médecin.

Sansprononcerunmot,ellevérifiel’étatdemadéchirure,jettesesgantsdans la poubelle, griffonne ses constatations cliniques sur un petit carnetrose,poselesmainssursonchariotetsortdemachambre.Surleseuildelaporte,monpantalonàpeine retroussé, elle s’arrêtenet, tourne la têteversmoi et, comme si elle ressentait le besoin de casser ce silence pesant,desserreenfinlesdents:«Vousverrez,ledeuxième,çavatoutseul.»

J’enconclusquelacicatrisationnedoitpasêtretropmauvaise.

Deretouràlamaison,leschosesempirent.

Les féesqui se sontpenchées sur leberceaudemonbébédevaientêtreanorexiquesoubourrées.Ellen’apasderéflexedesuccion.Ellenesaitpastéterdoncellenesaitpasmanger.

Ceseralebiberon.

Malgré ça, chaque repas donne lieu à des débordements lactésincroyables.Lescouléesimbibentlesbavoirsquitranspercentlespyjamas,qui transpercent lesbodysqui ruissellentsur lapeau laiteusedemonpetitbébé.

Auboutducompte,ellemange.Sesvêtementsaussi.

Le Dafalgan est mon meilleur ami. J’en prends toutes les six heures,commec’estmarquésurlaboîte.Entrelesprises,jemefrottelamandibule,lecou,l’oreilleàlarecherched’unsoulagementmêmesuccinct.Ladouleurestdiffuseetforte.Jeprendsrendez-vouschezledentiste.

L’examendesdentsestparfait.Laprédiction stomatologiquepessimistedelasage-femmem’apparaîtdésormaispeuprophétique.Jesorsducabinetrassurée,maispassoulagée.

Lesjourspassent,lemals’installe.

Jesuisréveilléepardesaiguillesàtricoterimaginairesquitranspercentdepartenpartmontympan.

Çavapasser,c’estsûr.Àlamaternitéonnem’asortiaucunponcifsurlesoreilles.

Nousavonseulabonneidéedefairerafraîchirlespeinturesdelamaisonenmêmetempsquemoncongématernité.

Je subis donc de plein fouet les assauts linguistiques approximatifs demonpeintrekosovarsur laprimaired’accrochage, lesà-coupsalgiquesdemon oreille facétieuse et les cris de faim de mon bébé ponctuellementvorace.

L’heuren’estpasvraimentàlaséréniténiaucalme.

Maisjetiens.Aprèstout,iln’yarienlàquedetrèsbanal:unnouveau-négourmand, une mère fatiguée, un mari absent, toujours au travail. Unschéma parfaitement rétrograde imposé et même payé par une sociétésourianteetcomplaisanteauqueljemesoumetsamèrement.

Pour l’instant, j’arrive à donner le change : au bout du compte, jeretravaillerai et puis cette parenthèse aliénante m’offre au moins lapossibilitédefaireconnaissanceavecmonenfant.

Celle-ci est étonnamment calme. Je me demande même parfois si ellen’estpassourde.Maisnon,lestestseffectuésdanssespremiersjoursdeviesontformels.Lebébéadeuxsuperbesoreilles.Çafaitaumoinsunappareilauditifenétatdemarche.

Leschosessecorsent.

Lespeintressontprésentsde8h30à19heures.

Àlamaternité,onm’avaitconseillédedormirenmêmetempsquemonbébé.Àlaplace,jeprépareducafépourlesouvriers,fournisuntournevismanquant,lèveledoutesurunenuancedebeige.

Sionm’avaitditquemoncongématernitéseraitenréalitéunersatzdeCAPpeinture,j’auraispeut-êtremoinsbuauNouvelAn.

Jem’interdis de déambuler en survêtement, étaleméthodiquementmonfonddeteintbonmarché,nettoiemacrinièretouslesdeuxjours.

Ma bonne éducation chrétienne m’impose de ne pas me laisser aller.MerciJésus!

Mais que ne donnerais-je pas pour rester en pyjama toute la journée !Alléluia…!

Toutçan’estrien,maisreprésentebeaucoup.

Au fond de moi, j’ai l’impression qu’on me vole mon intimité, mesmomentsavecmonbébé.Lespeintreseffacentaurouleaumabellesaisonmaternelle.

J’encaisse.

Le temps passe, les vacances ne sont plus très loin. Une semaine enNormandie.Monmarivapouvoirm’aiderhuitjours.Moiquisuisentêteàtête avecmonbébédepuisunmois, celameparaît salvateur.Etpuis l’airmarin,ceserabonpourlebébé,moi,madouleur,lemoral.

Aveclerecul,j’auraisdûtiquer.

Chutersanssesentirtomber,cen’estpastrèsnormal.

C'estl’avant-veilledesvacances,monbébéseréveilleenpleinmilieudelanuit.Cecridéchiremonsommeil.C’esteffrayantetdouloureux.

Réflexeprimitifdemammifèreausondupetit:jebondisdemonlit.Moncœurs’emballe,j’ailanausée.

Danslenoir,àtâtons,lesbrastendusdevantmoicommeuneaveugle,jepiétine.