Coriolis, naissance d’une force

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    Coriolis, naissance dune force

    par Alexandre Moatti

    Ingnieur en chef des mines, docteur en histoire des sciencesDirecteur de la publication de science.gouv.fr

    Dans un de ses "best-sellers", Portrait du Gulf Stream (Seuil 2005), le

    romancier Erik Orsenna consacre un chapitre Gaspard-Gustave de Coriolis

    (1792-1843) et le conclut ainsi : Et rien nindique que notre Gaspard Gustave

    ait jamais mis le pied sur un bateau ni quil se soit jamais intress la mer. Le

    fait est l : pour les sicles des sicles, Coriolis est celui qui a expliqu linfluencede la rotation de la Terre sur le parcours des vents et des courants .

    F i g u r e 1 : ( ga uch e ) Cyc l o ne dan s l hm i sph re no r d (sens inverse des aiguillesdune montre) : ouragan Olga le 28 novembre 2001 dans lAtlantique ; ( d r o i t e )

    Cyc l o n e d an s l hm isp h re su d(sens des aiguilles dune montre) : Australie le 20fvrier 2002 on reconnat la cte sud de lAustralie (images NASA)

    Cest ainsi que le nom de Coriolis est universellement connu ; nanmoins la

    carrire et les autres contributions de ce savant sont nettement moins connues,

    de mme que la faon dont il arrive aux forces centrifuges composes ,

    auxquelles son nom sera donn. Cest ce que nous essaierons de dcrire dans le

    prsent article, sans omettre de rappeler les autres contributions de Coriolis :

    cest lui qui le premier donne la dfinition physique du mot travailen mcaniquedans un mmoire prsent en 1826 lAcadmie (alors quil nen est pas encore

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    membre). Il est aussi lauteur dune vritable thorie du travail dans son

    ouvrage majeur et austre, le Calcul de leffet des machines (1829). Il crit par

    ailleurs une Thorie mathmatique des effets du jeu de billard (1835), rare

    exemple dans lhistoriographie des sciences o un sujet est compltement

    trait1, sans gure dapport ultrieur possible.

    @@@@@@@

    La naissance de la force de Coriolis se fait travers deux textes

    complmentaires :

    - Le Mmoire sur le principe des forces vives dans les mouvements relatifs

    des machines , lu le 6 juin 1831 lAcadmie des sciences, publi dans le

    Journal de lcole polytechnique en septembre 1832 (21e cahier, tome XIII),

    publi aussi des les Mmoires des savants trangers.

    - Le Mmoire sur les quations du mouvement relatif des systmes de

    corps , publi dans leJournal de lcole polytechnique en 1835 (24e cahier,

    tome XV).

    Le second mmoire voque les forces centrifuges composes , qui

    prendront par la suite le nom de force de Coriolis . Le premier mmoire jette

    les bases de calcul pour le second rsultat, mais il comprend aussi la notion

    nouvelle cette poque des forces dentranement . Ce vocable est rest, bienque Coriolis nen soit pas crdit.

    Une autre diffrence importante entre les deux mmoires montre lvolution

    du travail de Coriolis : le premier, on le verra, rvle une galit scalaire elle

    porte sur les forces vives dans le mouvement relatif (la force vive est mv). Le

    deuxime rvle une galit vectorielle, plus puissante, portant sur le principe de

    la dynamique dans le mouvement relatif. A posteriori, le rsultat du premier

    mmoire devient un simple cas particulier de celui du second mmoire : par

    projection de lidentit vectorielle sur la courbe du mouvement, on obtient

    lidentit scalaire du premier mmoire puisque la force centrifuge compose

    ne travaille pas , sa projection est nulle dans la direction du mouvement.

    1. Cet ouvrage faisait suite linvention dans les annes 1820 par le joueur Mingaud, ancien officier de larmenapolonienne, de la queue procd , munie dune rondelle hmisphrique son extrmit permettant deseffets de type rtro . Cette invention, lorigine du jeu moderne du billard, avait profondment renouvel le

    jeu auparavant la queue de billard tait extrmit carre, ce qui ne permettait aucun effet.

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    POISSON PRESENTE A LACADEMIE LE PREMIER MEMOIRE

    Un document dapproche intressant de ce Mmoire sur le principe des

    forces vives dans les mouvements relatifs des machines est le rapport quen

    fait Poisson en sance du 31 octobre 1831 de lAcadmie des sciences. Comme

    souvent, le texte du rapporteur permet de mieux comprendre le texte, puisquil

    tire ce qui lui en semble essentiel, et quil remet le texte en perspective.

    F ig u r e 2 : Sim on -D e n i s Po i s s o n ( 1 7 8 1 - 1 8 4 0 ) . Polytechnicien, auteur denombreuses contributions en mathmatiques, en mcanique rationnelle et en physique

    mathmatique.

    Poisson commence par rappeler le principe des forces vives tel que pos

    par dAlembert :

    f

    f i imv mv 2 Fdx (1)

    Laccroissement des forces vives , entre deux positions successives du

    systme, est gal au double de lintgrale, prise entre ces limites, de la somme

    des forces qui ont agi sur tous ces corps multiplis chacun par llment de sa

    direction ; intgrale que lon appelle lpoque la quantit daction due ces

    forces.

    Poisson poursuit en indiquant que Coriolis tablit le principe des forces

    vives, non dans le cas de mouvements absolus, mais dans le cas de mouvements

    relatifs, par exemple lintrieur dune machine : dans le membre de gauche (lesforces vives mv), ce sont les vitesses relatives qui interviennent dans ce cadre ;

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    dans le membre de droite (la quantit daction), il faudra retrancher les forces

    dentranement.

    Ceci conduit, dans le texte de Coriolis, aprs quatre pages de calculs prcis,

    au principe suivant quil crit avant de lnoncer :

    r r r r e e rmV mv

    Pcos(Pds )ds P cos(P ds )ds2 2

    r (2)

    Cette quation renferme ce thorme, que le principe des forces vives a encore lieu dans le mouvement relatif aux

    axes mobiles, pourvu quaux quantits daction

    rrPcos( )dsPds , calcules avec les forces donnes P et lesarcs dsr dcrits dans ce mouvement relatif, on ajoute dautres quantits daction qui rsultent des forces Pe, qui sont

    gales et opposes celles quil faudrait appliquer chaque point mobile pour lui faire prendre le mouvement quil

    aurait sil tait invariablement li aux axes mobiles.

    Comparons les deux quations (1) et (2) :

    - Coriolis, comme son habitude, renvoie le facteur 2 en dnominateur du

    membre de gauche de lquation (alors quil est chez Poisson, en (1), en

    multiplicateur du ct gauche). Poisson, en gomtre adepte de la

    mcanique rationnelle , ne considrait que les forces vives dfinies par

    mv. Coriolis, pdagogue, proposait dappeler forces vives la quantit mv :

    cest cette acception qui sera le fondement de la notion ultrieure dnergie

    cintique.

    - Dans lquation (2), le premier terme du membre de droite correspond au

    membre de droite de lquation (1). Mais apparat dans lquation (2) un

    autre terme, celui des forces dentranement. Compte tenu de la similitude de

    forme de ces deux quations, on peut considrer que lquation (2) de Coriolis

    est une gnralisation (dans le cadre dun mouvement relatif) du principe des

    forces vives de Lagrange.

    ANALYSE DU MEMOIRE DE 1831

    Ce mmoire, relativement complexe, comprend 20 pages et 6 pages

    dannexe : bien qua posteriori il napparat que comme un cas particulier du

    rsultat du second mmoire, il est plus volumineux et plus calculatoire que ce

    dernier, qui fait 13 pages en fait, les rsultats du second mmoire taient en

    germe dans le premier : Coriolis pour dfinir la force centrifuge compose

    naura qu reprendre mi-chemin les calculs de son premier mmoire.

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    Ds lintroduction (partie A), Coriolis commence par poser les bases de son

    rsultat :

    on peut appliquer lquation des forces vives en y faisant entrer lesvitesses relatives, et les quantits daction ou de travail qui se rapportent

    aussi aux mouvements relatifs. Mais dans ces quantits daction, en outredes forces qui sont immdiatement donnes et qui concourent au momentabsolu, il faut en considrer dautres dont il est facile dindiquer la nature :elles sont opposes aux forces quil faudrait appliquer aux points matrielsdu systme sils taient libres, pour les obliger conserver par rapport auxplans mobiles les positions relatives quils ont un moment donn ()

    Mais, ds le dpart aussi, Coriolis met en garde contre la fausse vidence de

    lnonc :

    () on se mprendrait si lon regardait la proposition comme vidente,mme dans cet exemple assez simple. Il est si peu vident quon doitintroduire ces forces, que lon arriverait des rsultats faux si lonprocdait ainsi pour toute autre quation que celle des forces vives.

    Coriolis rsume ainsi la porte du mmoire, tout en anticipant, de manire

    encore non consciente, les rsultats du second mmoire. Lintroduction des

    forces dentranement et de celles-ci uniquement nest valable que pour

    le principe des forces vives, et aboutit au principe des forces vives dans le

    mouvement relatif, nonc en (2) ci-dessus (ce que Ren Dugas

    2

    appellera premier thorme de Coriolis ).

    Car toute autre quation du mouvement relatif ncessite, en plus de la force

    dentranement, lintroduction de la force centrifuge compose (deuxime

    thorme de Coriolis, 1835) : comme celle-ci ne travaille pas , la projection

    scalaire dans la direction du mouvement la fait disparatre, ce qui permet

    daboutir (2).

    @@@@@@@

    La partie (B) du mmoire (p.272-277), aprs lintroduction, est la plus

    thorique et de porte la plus gnrale. Coriolis se place dans le cas de deux

    repres norms mais non orthogonaux, lun pour les axes fixes, lautre pour les

    axes mobiles, et donne les relations existant entre les coordonnes cartsiennes

    dun mme point dans les deux repres de la manire la plus gnrale. De la

    mme manire, il exprime dans leur plus grande gnralit les liaisons qui

    existent au cours du mouvement L = 0, M = 0, etc., et utilise les multiplicateurs

    2. Histoire de la mcanique, Dunod, 1950 (rdition Jacques Gabay 1996) [voir chap. IV, Mouvement relatif, p.354-367]

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    de Lagrange pour projeter lexpression de ces liaisons sur les axes mobiles. Cette

    gnralit est importante pour Coriolis, qui insiste (p.279) : sans rien

    particulariser sur ces mouvements .

    Cette partie aboutit au rsultat principal du texte, le premier thorme de

    Coriolis , rappel en (2) ci-dessus.

    Dimportantes coquilles dans le Jo u r n a l d e l co l e P o l y t e c h n i q u e

    La lecture des mmoires de Coriolis est assez difficile du point de vuemathmatique, mais de plus certaines coquilles des endroits cruciauxobligent le lecteur (que ce soit le lecteur actuel ou celui de lpoque) des rectifications sil veut suivre le raisonnement :

    - p. 273, en bas, dernier systme dquations : remplacer x, y, z

    par x1, y1, z1.- p. 274, en bas, avant-dernier systme dquations : remplacer dans

    le membre de gauche dx par dx1 ; ter les coefficients m dans lestrois quations ; dans la deuxime quation, membre de droite,remplacer le second dy par d.

    - p. 274, en bas, dernier systme dquations : remplacer dans lemembre de gauche de

    2x par de2x1 (idem pour y, z).

    - p. 279, quation (C) : remplacer v par vr.- p. 279, dernire quation, enlever le premier terme m.

    - p. 280, quation (D), manque cos aprs le produit vrve.

    - p. 281, quation concluant la partie, facteur 2 en trop.- p. 283, dernire quation, da au lieu de da.- p. 284, dernier systme dquations, de nombreuses incohrences :

    remplacer les parenthses (xdy zdz) par (xdy ydx), (ydz xdy)par (ydz zdy) ; seule la deuxime parenthse (zdx xdz) estcorrecte.

    - p. 291, premire quation, les indices e (pour entranement)sappliquent aux vitesses et non aux masses ; manque m dans ledernier terme.

    - p. 291, deuxime quation, erreur de signe dans le dernier terme.

    @@@@@@@

    La partie (E) est la plus longue et la plus difficilement accessible du

    mmoire, car elle ne semble donner aucun rsultat particulier par rapport (2).

    Coriolis dtaille le dernier terme de la formule (2), nouveau dans lquation des

    forces vives, terme qui est la base du premier thorme de Coriolis :

    e e rP cos(P ds )ds r . Il avait ds lnonc de son thorme le souci de lexpliciter :

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    Nous indiquerons plus loin le moyen de reprsenter ces forces et desimplifier les calculs des quantits daction qui leur sont dues [p. 277,juste aprs le premier thorme qui introduit les forces dentranement Pe]

    Revenons au calcul de Pecos(Pedsr)dsr, en ne nous occupant plus des

    forces dues au mouvement de lorigine des axes mobiles [p. 282]

    Coriolis nvoquera que huit pages plus loin (p.290) le mouvement possible

    de lorigine, pour aussitt annuler son effet dans la pratique (en considrant un

    mouvement rectiligne uniforme de lorigine des plans mobiles). Cette partie (E)

    aboutit la formule la plus gnrale de lexpression du nouveau terme de

    lquation des forces vives, en dtaillant ce terme qui rsulte des forces

    dentranement :

    2 2e e

    e e r r mV mv dNP cos(P ds )ds 2 m d2 2 dt (3)

    Le terme

    e e rP cos(P ds )ds r faisant son apparition dans lquation desforces vives du mouvement relatif en (2) est li deux facteurs, quon voit en

    (3) :

    - Le dernier terme droite reprsente la variation de la vitesse de rotation des

    axes mobiles : quand celle-ci est uniforme, ce terme est nul. Mais Coriolis

    tient donner le rsultat dans sa plus grande gnralit, ce que le titre de sapartie (E) indique ( Expression gnrale de la quantit daction quil faut

    introduire dans lquation des forces vives, en raison du mouvement des axes

    mobiles ).

    - Le premier terme (toujours droite de lquation) est la diffrence des forces

    vives due la diffrence des vitesses dentranement dans le temps. Cette

    partie de lquation est en effet rapprocher du principe traditionnel des

    forces vives (1) : la variation dune quantit daction correspond la variation

    des forces vives lies aux vitesses, en utilisant cette fois-ci les vitesses

    dentranement. Mais on ne saurait se contenter de cette analogie avec le

    principe traditionnel des forces vives, et il faut ajouter un second facteur, qui

    est la variation de la vitesse des axes mobiles dans le temps, reprsente par

    le deuxime terme.

    Ainsi, cette partie (E) complte bien le premier thorme : Coriolis vise

    ramener une expression connue (la premire partie de (3)), et voir quelle est

    la diffrence induite par son thorme, ce qui lamne au dernier membre droite de lquation (3). On constate le souci de Coriolis de se rapprocher le plus

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    possible du principe des forces vives traditionnel, et ainsi de sinscrire, sur le fond

    comme sur la forme, dans la tradition lagrangienne de la mcanique rationnelle.

    Coriolis et la roue aubes courbes de Poncelet

    Jean-Victor Poncelet (1788-1867), autre polytechnicien ingnieur-savant, avait obtenu en 1825 le prix de mcanique de lAcadmie dessciences pour linvention de sa roue aubes courbes (en remplacementde la roue ailettes plates).Lavantage majeur de cette invention, immdiatement adopte par lesfabricants de roues moulins, tait que leau de la rivire ou du biefentrait tangentiellement laube (grce sa forme courbe) : ainsitoute lnergie de leau tait utile dans laube, alors que dans la roue

    ailettes plates ( droite ci-dessous), leau arrivait avec un angledattaque, il y avait choc contre laube et dperdition dnergie lerendement ntait pas optimal.

    F ig u r e 3 : L a r o u e au b e s c o u r b e s ( " l a P o n c e l e t " ) d u m ou l i n d e Lt t e r b a c h ( A l s a c e ) , ga u c h e ; u n e r o u e au b e s p l a n e s , e x t r a i t d e

    l Introduction la mcanique industrielle de Pon ce l e t , d r o i t e .

    Coriolis ne conteste bien videmment pas lutilit de laube courbe parrapport laube plate. Mais, dans son Calcul de leffet des machines(1829), il avait dj relev une premire erreur dans la thorie quavaitfaite Poncelet de sa roue3. Dans son article de 1831 ici analys, Coriolisfait (p. 294) une seconde objection importante et montre que lerendement mme thorique ne peut tre gal 1, contrairement ceque prtendait Poncelet :

    On peut appliquer les formules gnrales des articles prcdents laquestion du mouvement de leau dans les aubes courbes des roues deM. Poncelet. Si lon considre laube comme un canal o leau se meut

    3. Cette objection tait fonde sur le fait que le modle ne saurait tre celui dune particule unique deaumontant et descendant sur laube, mais dun filet continu : ainsi les particules dj leves, dont la vitesseest moindre, gnent le mouvement de celles qui sont en dessous et qui ont plus de vitesse (Coriolis,Calcul deleffet des machines, 1829, 105 ; pour discussion de ce point, cf. thse A.Moatti, 2011, ibid., p.120)

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    pendant quil est entran dun mouvement de rotation uniforme, lavaleur de Vr sera donne dans ce cas par ()

    () Suivant la forme ordinaire des aubes courbes, la gravit serapprochera davantage de la direction de dsr, c'est--dire de latangente au canal que forme laube, pendant la descente de leau quependant son ascension ; il sensuit que mVr/2 est plus grand quemvr/2, et quainsi leau sort de la roue avec une force vive relativeplus grande que celle quelle y avait en entrant.

    Dit plus simplement, leau rencontre une pente de laube plus faiblequand elle monte que quand elle descend, car entre temps la roue atourn : lors du mouvement de descente, linclinaison de laube estdj plus proche de la verticale puisquelle va bientt relcher leau

    (pour une particule deau donne, linclinaison de laube lamenedeau nest pas la mme quau dgag deau ).Dans le calcul thorique de Poncelet, leau entre avec toute sa vitessesur laube (grce la courbure) et sort avec une vitesse absolue nulle.Coriolis corrige ce dernier point en indiquant que compte tenu dutravail de la gravit (la roue ayant tourn), la vitesse absolue en sortiedaube est non nulle ce qui tait fatal au rendement de 1 : si leaugarde une vitesse absolue au dgag, ceci signifie que cette vitesse(cette "force vive") na pas t utilise dans la roue. Le principe de

    Carnot nous dit quil ny a pas de repas gratuit pas de cration deforce vive : si leau a une vitesse absolue non nulle en sortie daube,elle emporte une partie des forces vives de lensemble du cycle

    ANALYSE DU MEMOIRE DE 1835

    Paradoxalement, larticle de 1835 Mmoire sur les quations du

    mouvement relatif des systmes de corps , qui contient le rsultat de la force

    de Coriolis ( second thorme de Coriolis pour reprendre lexpression de R.

    Dugas), est moins complexe et moins long que larticle de 1831. Les rsultats du

    second article sont largement en germe dans le premier article4.

    Comparaison avec le premier mmoire

    Ds lintroduction de son second mmoire, Coriolis rappelle les limites de

    son article de 1831, savoir quil ne sappliquait quau principe des forces vives

    cest dire lidentit s c a l a i r e qui reprsente le bilan nergtique du

    4. On peut mettre lhypothse que le second article, publi en 1835 (soit quatre ans aprs le premier quicontenait en germe les rsultats ultrieurs), tait en fait crit avant 1835 : leJEPmettait en effet un certaintemps publier les articles quil recevait.

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    mouvement et non dautres quations du mouvement relatif, comme le

    principe fondamental de la dynamique f= m, galit v e c t o r i e l l e . Coriolis va

    gnraliser la dmarche dans son second mmoire, en se posant les questions

    suivantes : peut-on utiliser les termes de correction lis aux vitesses

    dentranement dans dautres quations du mouvement que le principe des forces

    vives ? si ce nest pas le cas, peut-on donner une expression simple des

    nouveaux termes de correction ? Coriolis y rpond ds son introduction :

    Pour tablir une quation quelconque de mouvement relatif dun systmede corps ou dune machine quelconque, il suffit dajouter aux forcesexistantes deux espces de forces supplmentaires ; les premires sonttoujours celles auxquelles il faut avoir gard pour lquation des forcesvives, cest dire que ce sont des forces opposes celles qui () ; les

    secondes sont diriges perpendiculairement aux vitesses relatives et laxe de rotation des plans mobiles ; elles sont gales au double du produitde la vitesse angulaire des plans mobiles multiplie par la quantit demouvement relatif projete sur un plan perpendiculaire cet axe.

    Le mmoire de 1831 donnait une galit scalaire, celle des forces vives. Le

    mmoire de 1835 donne une galit vectorielle, beaucoup plus puissante,

    sappliquant aux lois vectorielles du mouvement lui-mme comme le principe

    de la dynamique de Newton. Coriolis montre immdiatement, dans son

    introduction, que le rsultat de 1831 est un cas particulier de son secondrsultat, autrement dit vrifie le rsultat de 1835 dans le cas particulier du

    principe des forces vives : en effet, les seconds termes de correction (la force

    de Coriolis Fc ) tant perpendiculaires aux vitesses relatives, le cosinus Fcdsrest

    nul ; seuls subsistent, dans le membre de droite du principe des forces vives, les

    premiers termes de correction, ceux du premier mmoire.

    Cest dans cette disparition de ces forces centrifuges composes queconsiste le thorme que jai prsent lAcadmie des Sciences, en

    1831. Il devient maintenant un cas particulier de lnonc plus gnral surlintroduction des ces forces centrifuges composes.

    Analyse du rsultat et comparaison avec les notations modernes

    La dmonstration de Coriolis est largement engage dans le mmoire de

    1831. Il se sert dun rsultat intermdiaire du premier mmoire (p. 275) pour

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    aboutir trs vite au rsultat de son second mmoire (p.146), en donnant

    lquation du mouvement comme suit :

    2

    e2

    d x dy dz dL dMm 2 rm qm X X e

    dt dt dx dxdt

    tc. (5)

    Analysons les diffrents termes de cette quation du mouvement, qui est

    une quation vectorielle enx, y, z(nous navons crit que lquation enx) :

    - Le terme de gauche de lgalit reprsente m, tant lacclration dans le

    repre mobile.

    - Le deuxime terme de droite (X) reprsente les forces appliques, mesures

    dans le repre mobile.

    - Le troisime terme de droite (Xe) reprsente le terme correctif du premier

    mmoire, tel que dfini par Coriolis (en fait loppos des forces

    dentranement ).

    - Enfin, le premier terme de droite reprsente loppos de la force centrifuge

    compose , dont Coriolis donne les trois composantes sur les axes mobiles :

    dy dz2 rm qm

    dt dt

    dz dx2 pm rm

    dt dtdx dy

    2 qm pmdt dt

    On reconnat l lexpression prcise des coordonnes de la force de Coriolis,

    force quon crit en notations modernes :

    2mV (produit vectoriel), le vecteur

    V tant le vecteur vitesse dans le repre mobile, de coordonnes (dx/dt, dy/dt,

    dz/dt), le vecteur tant la vitesse angulaire de rotation des plans mobiles ,

    de coordonnes (p, q, r).Notons aussi que lquation du mouvement [(5) ci-dessus pour la

    coordonne x, et les deux autres quations non reprsentes pour les

    coordonnes yet z] constitue une quation vectorielle analogue la lquation

    newtonienne de la dynamique F =m

    . Coriolis rcrit donc ainsi une quation

    vectorielle du mouvement relatif, qui nest plus F =m

    , mais laquelle on a

    ajout deux termes correctifs, Fe la force dentranement, et Fc la force de

    Coriolis :

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    e cm F F F

    La dsignation de forces centrifuges composes .

    Coriolis utilise lappellation forces centrifuges composes (au pluriel)pour dsigner le terme correctif Fc. Il est intressant de voir comment et

    pourquoi Coriolis introduit ce terme, ce dautant que la notion de force centrifuge

    nest pas utilise dans le premier mmoire. Coriolis fait lanalogie ds le dbut du

    second mmoire.

    Ces dernires ont la plus grande analogie avec les forces centrifugesordinaires. Pour mettre en vidence cette analogie, il suffit de remarquerque la force centrifuge est gale la quantit de mouvement multiplie

    par la vitesse angulaire de la tangente la courbe dcrite, et quelle estdirige perpendiculairement la vitesse et dans le plan osculateur, cest dire perpendiculairement aussi laxe de rotation de la tangente. Ainsi,pour passer de ces forces centrifuges ordinaires aux secondes forces dontles doubles entrent dans lnonc prcdent, on na qu remplacer lavitesse angulaire de la tangente par celle des plans mobiles, et substituer la direction de laxe de rotation de cette tangente, la direction de laxede rotation de ces mmes plans mobiles.

    Si lon essaie de traduire cette analogie en termes modernes (et bien que

    maintenant cette analogie entre force centrifuge et force centrifuge compose aitt compltement abandonne dans la prsentation et lenseignement de la force

    de Coriolis), on peut poser la comparaison suivante :

    - Force centrifuge simple : elle a une valeur scalaire mV (quantit demouvement mVmultiplie par vitesse angulaire de la tangente ) ; elle a une

    direction perpendiculaire la vitesse et laxe de rotation de la

    tangente5 .

    - Force centrifuge compose (mV

    ) : elle a une valeur scalaire mV(quantit de mouvement mV multiplie par vitesse angulaire des plans

    mobiles 6) ; elle a une direction perpendiculaire la vitesse et laxe de

    ro

    i permet Coriolis dcrire, propos des forces centrifuges

    comp

    tation des plans mobiles .

    Cest ce qu

    oses :

    5. Prenons un point matriel en rotation circulaire uniforme autour dun axe perpendiculaire au plan : la forcecentrifuge est orthogonale la vitesse et laxe de rotation.6. On suppose ici V et orthogonaux, ce qui ne fait pas intervenir le cosinus de leur angle.

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    Ces dernires forces ont la plus grande analogie avec les forcescentrifuges ordinaires.

    Si lon peut expliquer ainsi lanalogie avec la force centrifuge, aucun

    moment Coriolis nexplique lutilisation du terme composes : on peut penser

    que

    i du terme

    for tit

    phys

    ment projet sur un

    peut les nommer forces centrifuges composes.

    ec le

    coefficient 2 ; Coriolis na quant i le pas dinclure le coefficient 2

    dans ce qu

    dans le second mmoire ce alors que ces applications ne font

    la vitesse de rotation est compose par lintermdiaire du produitvectoriel avec la vitesse du mobile V.

    On notera au passage que Coriolis dfinit une notion de force centrifuge

    compose dont le double intervient dans son rsultat, ce qui loblige parler

    chaque fois du double des forces centrifuges composes . On ne peut

    manquer de remarquer quil stait lev auparavant contre lemplo

    ces vives pour mv, obligeant toujours parler de la seule quan

    ique intressante, mv, comme la moiti des forces vives .On voit donc que, pour passer des forces centrifuges ordinaires auxsecondes forces dont les doubles entrent dans les quations dumouvement relatif, il suffit de substituer en mme temps, laxe derotation de la tangente, la vitesse angulaire, et la quantit demouvement du point mobile ; laxe de rotation des plans mobiles, lavitesse angulaire de ces plans, et la quantit de mouveplan perpendiculaire cet axe. Ces secondes forces centrifuges (), on

    Lacception moderne de la force de Coriolis est bien 2mV^, av lui pas franch

    il dsigne sous le nom de forces centrifuges composes .

    @@@@@@@

    On notera par ailleurs la diffrence entre les titres des deux mmoires : le

    premier ne porte que sur le principe des forces vives dans les mouvements

    relatifs des machines ; le second sur les quations du mouvement relatif des

    systmes de corps . Le terme quations du mouvement prime sur le terme

    principe des forces vives , et le gnralise ; le terme mouvement relatif de

    systmes de corps prime sur le terme mouvements relatifs des machines ,

    et le gnralise. La porte du second mmoire est beaucoup plus gnrale ;

    comme le pluriel a disparu au profit du singulier, le terme machines a disparu

    ; et, de fait, les applications du second mmoire dpasseront largement le cadre

    de ltude des machines : le pendule de Foucault, la mtorologie, le

    gomagntisme terrestre font intervenir les quations vectorielles du mouvementcontenues

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    14/24

    intervenir ni le principe des forces vives ni une quelconque conservation de

    lnergie.

    Ampre (1830), force dentranement et force de Coriolis

    Dans un article prcdant ceux de Coriolis, et que celui-ci cite, Ampre7

    met en vidence ces deux forces, mais dans un cas particulier (figureci-dessous) et sans donner dinterprtation ces forces.

    Fi g u r e 4 : Un tube AB tourne da un plan verticalns autour dun point A.Une sp ticle dAmpre 1830)hre M est mobile dans le tube (dessin de lar

    On a OM r cos i rsin j ru , dOM

    ru r vdt

    (v tant le vecteur

    normal - sin i + cos j), en drivant nouveau (sachant que du/dt =v, et dv/dt = - u) :

    dOM(r u r v) (r v r v r u)

    dt

    r u (r v r u) 2r v

    (1)

    Le premier terme en ru est lacclration du mobile dans le reprepropre au tube.Le second terme se rapporte au premier thorme de Coriolis

    (1831) cest laccl entran t. On prend un oint N situration d emen pen M mais indissolublement li au tube (r=0). On a

    ON ru

    , puisNv r v

    , etN r

    v r u

    Le troisime terme en (1) correspond lacclration de Coriolis8applique au mobile M dans son repre propre :

    7. Dynamique. Solution dun problme de dynamique, suivie de considrations gnrales sur le problme desforces centrales ,Annales de mathmatiques pures et appliques, 20 (1829-1830), p. 37-58.8. Dans les formules de type f= m, leffet Coriolis peut apparatre soit droite, en tant quacclration de

    Coriolis 2^v, soit tre bascul gauche avec le signe oppos et apparatre comme force de Coriolis 2mv^.Il en est de mme de lacclration dentranement : par exemple, un des deux termes de (1), - ru, peuttre bascul de lautre ct et apparatre en mru, dsigne comme force dinertie centrifuge.

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    c

    0 r2 v 2 0 0 2r

    0

    v

    La formule (1) nous amne ainsi au principe des forces vives eu gardau mouvement relatif (identique Coriolis 1835) :

    R ' R e c

    Les acclrations correspondant respectivement : celle dans le repreli aux axes fixes (R) ; celle dans le repre li aux axes mobiles (R),

    lacclration dentranement ; enfin lacclration de Coriolis.Larticle dAmpre contient donc, par anticipation mais dans un castrs particulier et sans rapport avec la gnralit du systme tellequtudie par Coriolis les rsultats de ce dernier : ceux sur la force

    dentranement (1831) et ceux sur les forces centrifuges composes(1835).

    LE PENDULE DE FOUCAULT (1851) UNE APPLICATION ?

    De son vivant, Coriolis a la satisfaction de voir la force centrifuge compose

    entrer dans les manuels de mcanique rationnelle. Mais il tait sans doute loin

    dimaginer ce qui allait se passer peine huit ans aprs sa mort une

    vrification exprimentale tonnante de la force centrifuge compose dans undomaine fondamental sans rapport avec la thorie des machines !

    Cest presque un cas dcole en histoire des sciences, o deux rsultats lis

    sont mis en vidence indpendamment si peu de temps dintervalle (une

    quinzaine dannes). Dautant plus que tout spare Foucault de Coriolis :

    Foucault est physicien (cf. ses expriences sur la vitesse de la lumire9),

    intress par lastronomie, plutt exprimental, self-made man (son premier

    diplme est sa thse de physique en 1853, trente quatre ans), par ailleurs

    journaliste scientifique (au Journal des Dbats) et vulgarisateur ; Coriolis est

    dune autre gnration (vingt-sept ans les sparent), de formation

    mathmatique, plutt thoricien, brillant polytechnicien ingnieur des Ponts, fort

    peu port sur la communication ou la vulgarisation scientifiques10.

    9. Voir Jean-Jacques Samueli, Lexprience du miroir tournant de Foucault (1853), BibNum, septembre2009.10. Voir nanmoins Alexandre Moatti Sur le bruit du tonnerre , analyse BibNum dun texte de vulgarisationde Coriolis, mai 2009.

    http://www.bibnum.education.fr/physique/optique/l%25E2%2580%2599exp%25C3%25A9rience-du-miroir-tournant-de-foucaulthttp://www.bibnum.education.fr/sciencesdelaterre/meteorologie/sur-le-bruit-du-tonnerrehttp://www.bibnum.education.fr/sciencesdelaterre/meteorologie/sur-le-bruit-du-tonnerrehttp://www.bibnum.education.fr/physique/optique/l%25E2%2580%2599exp%25C3%25A9rience-du-miroir-tournant-de-foucault
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    F i g u r e 5 : L ' e x pr i e n ce d u pen du l e d e Lon Foucau l t a u Pan t hon de Pa r i s , en1 8 5 1 . Ce pendule est rinstall au Panthon en 1995 ( Illustration Conservatoire

    national des arts et mtiers).

    Dailleurs, leurs chemins ne se sont pas croiss leurs rsultats arrivent

    tout fait indpendamment. Dugas (op. cit.) enfonce le clou comme suit en

    concluant son chapitre IV consacr au mouvement relatif :

    Force centrifuge compose au sens de Coriolis et pendule de Foucault sontdeux conqutes essentielles de la mcanique, lune dorigine surtoutmathmatique, lautre fruit dune gniale intuition de physicien, que lestraits aujourdhui classiques runissent dans une mme explicationrationnelle, mais qui sont ns sparment : ce nest pas la lecture deCoriolis qui a inspir lexprience de Foucault.

    Costabel11 sest aussi pench sur ce sujet. En ce qui concerne laspect

    thorique, il pense que les promoteurs de la mcanique au XVIIIe sicle et au

    dbut du XIXe taient plus proccups de dvelopper toutes les consquences

    mathmatiques des principes poss pour lanalyse dynamique du mouvement

    que dinstituer une rflexion sur lincidence que pouvait avoir dans cette analyse

    lattention porte au repre du mouvement il souligne dans ce contexte le

    caractre remarquable de la dmarche de Coriolis. En ce qui concerne laspect

    pratique, il indique avec raison que le pendule de Foucault doit plus au sens

    aiguis de lexprimentation de son auteur plutt qu une claire vision thorique

    du problme . Et, paraphrasant Dugas dans un style moins concis mais plus

    acadmique, il conclut, propos de ces deux rsultats :

    Nes sparment, les traits classiques les runissent depuis le dbut duXXe sicle dans une mme explication rationnelle, mais si celle-ci amis longtemps slaborer, cest prcisment cause de la difficult faire ressortir de ces deux conqutes leur leon commune et essentielle.

    11. Pierre Costabel, Article sur la mcanique in Histoire gnrale des sciences. La science contemporaine 1. LeXIXe sicle, Dir. Ren Taton, Quadrige, P.U.F.

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    F ig u r e 6 : Ex p l i ca t i o n g r a p h i q u e d u p e n d u l e d e F o u c a u l t p a r l e f f e t Co r i o l i s . gauche, le pendule lanc de midi vers 6h est dvi vers sa droite par la force de Coriolis,il arrive environ 7h (point rouge) ; disque suivant, on a remplac le point rouge 7hpar un point noir : lanc de ce point vers 1h, le pendule est dvi vers sa droite par laforce de Coriolis et arrive 2h (point rouge), et ainsi de suite. Sur ces quatre schmas,en eux allers-retours du pendule, le plan doscillation de celui-ci a dj tourn dun quartde tour (NB : la reprsentation est ici schmatique, la rotation du plan du pendule se fait

    en fait bien plus lentement, mais suivant ce mme schma). Comme crit Foucault

    [1851], il ma sembl que la masse du pendule peut tre assimile un projectile quidvie vers la droite quand il sloigne de lobservateur (dessins A. Moatti)

    REICH ET LA DEVIATION DES CORPS VERS LEST

    Mais un autre rsultat exprimental, moins connu de nos jours et moins

    tudi que le pendule de Foucault, avait t dcouvert auparavant, dans un tout

    autre contexte. Ferdinand Reich, chimiste et physicien allemand (1799-1882)

    avait mis en vidence en 1833 la dviation des corps pesants vers lEst : dans unpuits de mine de Freiberg (Saxe), dune profondeur de 158 m, il avait mesur en

    moyenne, aprs 106 essais, une dviation de 28,3 mm. Cette dviation vers lest

    se calcule conformment la formule vectorielle de Coriolis 2 v^ : elle vaut2/3T0hcos, o est la vitesse de rotation de la Terre, h la hauteur de chute, T0

    le temps de chute (T0 = (2h/g)) et la latitude du lieu. Poisson lui-mme, dans

    une communication de 1837 lAcadmie des sciences12, avait tudi cette

    dviation des graves, reprenant les expriences de Reich mais sans faire delien avec les travaux de Coriolis, datant de deux ans auparavant.

    12. Extrait de la premire partie dun Mmoire sur le mouvement des projectiles dans lair, en ayant gard leur rotation et linfluence du mouvement diurne de la Terre , Comptes-rendus de lAcadmie des sciences,1837, t.5, p.660-668 (sance du 13 novembre 1837).

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    F i g u r e 7 : Rep rsen t a t i o n d e l a f o r c e d e Co r i o l i s , d i r i g e v e r s l E s t p ou r u nm o b i l e s it u se r a p p r o c h a n t d e l a x e d e r o t a t i o n d e l a T e r r e ( F c= 2 m v s i n) .

    Pour tre le plus concis possible pour dcrire leffet Coriolis (dans le cas simplifi dunmobile la surface terrestre, on a le choix entre deux assertions quivalentes : 1/ toutmobile se rapprochant de laxe de rotation terrestre subit une dviation vers lest, tout

    mobile sen loignant subit une dviation vers louest ; 2/ tout mobile dans lhmisphreNord subit une dviation vers sa droite ; tout mobile dans lhmisphre Sud subit une

    dviation vers sa gauche.

    Foucault connaissait ce rsultat travers larticle de Poisson qui le

    mentionne. Or, comme il le note propos de cet effet de dviation, le pendule

    prsente lavantage daccumuler les effets et de les faire passer du domaine de la

    thorie dans celui de lobservation13

    . Ce sont bien les remarquables conditionsdexprimentation qui minimisent lamortissement des lentes oscillations [du

    pendule] et permettent de prolonger assez longtemps lobservation pour profiter

    de "laccumulation des effets" (Costabel, op. cit.).

    Il est noter que Foucault cite Poisson, mais pas Coriolis dont il ne

    connaissait pas les travaux, comme on la dit : sa rfrence thorique est celle de

    leffet de dviation de Poisson. Notons aussi que la vision de Foucault se

    dveloppe dans des domaines sans rapport avec ceux de Coriolis lastronomie

    fondamentale et la mcanique cleste : il veut dmontrer le mouvement diurne

    de la Terre, comme lindique le titre de son article de 1851 aux Comptes-rendus.

    Relativit des repres et mouvement de rotation

    La force de Coriolis peut se visualiser, de manire cinmatique et sanscalcul, dans le schma ci-dessous. Une boule tombe vers le bas dansun repre absolu. Lobservateur (point rouge) est dans un repre non

    13. Lon Foucault, Dmonstration physique du mouvement de la Terre au moyen du pendule , Comptes-rendus de lAcadmie des sciences, 1851, p.135-139.

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    absolu, li un disque qui tourne dans le sens contraire des aiguillesdune montre. En position de droite, la boule est tombe (en repreabsolu), tandis que le disque a fait un quart de tour et lobservateursest dplac dun quart de tour avec lui. Ce qua vu lobservateur dansle repre en rotation est la courbe dcrite par le mobile en bas

    droite : le mobile lui parat avoir courb sa trajectoire vers la droite.

    Fi g u r e 8 (Wikimedia Commons)Il y a entre les repres en rotation (ici le disque, ou une roue aubes,ou le globe terrestre) une diffrence importante avec les repres entranslation. Le principe de relativit des mouvements ne sy appliquepas, puisque lobjet en rotation est un rfrentiel non inertiel.Dans les repres en translation, on peut dire avec Galile que lemouvement est comme rien - cest limage de la boule lance du hautdu mt dun bateau et qui tombe au pied du mt. Dans un repre enrotation par rapport un repre galilen, il nen est rien.

    LE DEBAT BERTRAND-BABINET-DELAUNAY SUR LEROSION DES COURSDEAU (1859)

    Ce nest que progressivement que le corps scientifique en arrive accepter

    le concept de Coriolis dans toute sa gnralit, en le sortant de son champdapplication initial et en faisant abstraction de lapproche dmonstrative de

    Coriolis. Aprs avoir t redmontr de manire cinmatique et extrait de la

    thorie des machines, le thorme de Coriolis permettra dexpliquer un certain

    nombre de phnomnes, comme le pendule de Foucault ou lrosion des cours

    deau.

    Cest Charles-Eugne Delaunay (1816-1872) qui, en France, contribuera le

    plus faire comprendre la gnralit dapplication des rsultats de Coriolis. En

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    1856, dans son Trait de mcanique rationnelle, il nutilise quune forme passive

    sans citer Coriolis :

    La seconde force apparente a reu le nom de force centrifuge compose.

    Mais le mouvement est lanc : cest en utilisant cette force que Delaunay

    donne une base thorique lexprience de Foucault : quatre ans aprs celle-ci,

    ceci constitue une de ses premires explications dans un manuel.

    F ig u r e 9 : C h a r l e s - Eu gn e D e l a u n a y ( 1 8 1 6 - 1 8 7 2 ) . Polytechnicien, il est astronomeet mathmaticien.

    @@@@@@@

    Quelque temps aprs, en 1859, un dbat assez virulent a lieu entre Joseph

    Bertrand, Babinet et Delaunay, o ce dernier va voquer de manire

    dterminante Coriolis, contre Bertrand14.

    Jacques Babinet (1794-1872), en ce qui le concerne, parle dun thorme de

    Foucault qui rectifie et complte plusieurs thories admises et professes par

    des savants du premier ordre selon lequel un point libre marchant vers louest

    avec une vitesse acquiert vers le nord, c'est--dire vers la droite , une vitesse

    relative gale asin. Mais cest surtout Delaunay qui ouvre, en dfense de

    Babinet, une joute avec Bertrand sur lusure des cours deau qui est uneapplication de la force de Coriolis : Bertrand pensait que seuls les cours deau

    dirigs suivant les mridiens rodaient leur rive droite (et non les cours deau

    dirigs dest en ouest) ; Delaunay lui montre le contraire.

    Pour ce faire, Delaunay fait explicitement rfrence Coriolis, tout en

    mettant laccent sur la simplification faite de sa dmarche :

    14. Comptes-Rendus de lAcadmie des sciences, sance du 14 novembre 1859, p. 685-693 Seconde note surlinfluence du mouvement de la Terre , par M. BERTRAND ; Sur le dplacement vers le nord ou vers le suddun mobile qui se meut librement dans une direction perpendiculaire au mridien , par M. BABINET ;Observations de M. DELAUNAY sur la mme question ; Rponse de M. BERTRAND M.DELAUNAY ; puis M.PIOBERT.

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    Ltude de ces mouvements relatifs, la recherche des particularits quilsprsentent et qui peuvent les faire distinguer des mouvements absolus,est extrmement dlicate. La marche qui me semble la plus convenablepour y arriver, consiste sappuyer sur une thorie fort ingnieuse quenous devons Coriolis, et qui a t tellement simplifie dans ces dernires

    annes, quelle a pu tre introduite dans lenseignement ordinaire de lamcanique rationnelle : je veux parler de la thorie des forces apparentesdans les mouvements relatifs.

    Delaunay donne acte Coriolis du fait quil a nomm la force centrifuge

    compose, quil en a compltement dtermin la valeur, la direction et le

    sens , et quelle

    () donne lieu la rotation du plan doscillation du pendule, danslexprience de M. Foucault ; cest elle qui produit les mouvements quon

    observe dans le gyroscope du mme physicien ; cest elle enfin quiintervient dans le mouvement des cours deau, et qui tend porter leseaux vers la rive droite de leur lit.

    Il donne lexpression simplifie de la force centrifuge compose 2masin.

    Le dbat se poursuit ensuite entre Delaunay et Bertrand. Ce dernier confirme sa

    rpugnance utiliser les forces centrifuges composes de Coriolis ; cest

    prcisment parce quelles sont fictives quelles ne paraissent pas de

    nature faire bien comprendre le mcanisme du phnomne . Mcanisme du

    phnomne [sic] que Bertrand ne semble pas bien comprendre lui-mme,

    puisquil arrive un rsultat erron sur les cours deaux est-ouest : peut-tre

    est-ce, aussi, pour Bertrand, une manire de rejeter sa propre faute sur

    Coriolis ? Laissons l aussi le mot conclusif, particulirement pertinent,

    Delaunay :

    M. Bertrand () semble rpugner se servir des forces fictives de Coriolispour arriver lexplication des phnomnes rels qui nous manifestentlexistence de la rotation de la terre. Je nai pas la prtention de dire quela thorie de Coriolis peut seule en rendre compte. Mais je viens de fairevoir que cette thorie conduit trs facilement une ide nette et prcisede la manire dont les choses doivent se passer. Jajoute que de quelquemanire quon raisonne, en suivant une autre marche, on doit arriveridentiquement aux mmes rsultats ()

    Finalement, il semble que ce dbat de 1859 lAcadmie des sciences, avec

    cette prise de position de Delaunay, acte le fait quil convient dattribuer

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    Coriolis lide et la thorisation des forces centrifuges composes15. Les

    arguments effectifs apportant un bmol la thorie de Coriolis (approche par la

    dynamique trop complique, possibilit de faire les calculs dans un repre inertiel

    sans forces fictives ) ont certes t reconnus, mais le corps savant lui attribue

    lide originelle et le cite. partir de cette date, lensemble des applications

    affrant la thorie de Coriolis (pendule de Foucault, rosion des cours deau) lui

    est clairement rattach, mme si lon parle non de force de Coriolis mais de

    forces centrifuges composes. Par exemple, en 1863, dans un mmoire assez

    scolaire lAcadmie16, Finck explique un passage de lAstronomie dArago sur la

    dviation des corps graves en saidant de la thorie des mouvements relatifs de

    Coriolis , et en utilisant ses quations : le pli est pris dutiliser les rsultats de

    Coriolis dans des domaines qui ntaient pas les siens.Cette force entre progressivement, aussi, dans les traits les plus

    acadmiques de mcanique rationnelle. titre dexemple, quelques dcennies

    plus tard, Paul Appell, dans son Trait de mcanique rationnelle de 1896,

    mentionne la force centrifuge compose . En 1930, le cours de Paul Painlev

    lcole polytechnique mentionne dix reprises la force centrifuge compose ,

    en indiquant lors dune des occurrences force centrifuge compose ou force de

    Coriolis .

    LA FORCE DE CORIOLIS EN METEOROLOGIE

    Anders Persson sest spcialis dans lhistoire de la force de Coriolis dans ce

    domaine, sur ses acceptions et sur la faon de la prsenter. Il la relie de manire

    intressante la force centrifuge simple, et par ailleurs est assez radical sur la

    faon de lexpliquer :

    linverse de linertie "normale", qui rsiste aux changements du

    mouvement dun corps, la force inertielle de Coriolis rsiste cesdplacements en essayant, par un mouvement circulaire, de ramener lecorps sa position dorigine. Toute explication mathmatique ou intuitivede la force de Coriolis qui entrerait en conflit avec la notion de mouvementinertiel circulaire serait donc incomplte ou fausse.

    15. Cest, par exemple, lavis dAnders Persson, How do we understand the Coriolis force?, Bulletin of theAmerican Meteorological Society, 79, n7; juillet 1998 (PDF Universit de Princeton)16. Finck, Chutes des corps qui tombent dune grande hauteur , CRAS, 1863 (T.56), p. 957 et ss.

    http://www.google.com/url?sa=t&source=web&cd=1&ved=0CB0QFjAA&url=http://www.aos.princeton.edu/WWWPUBLIC/gkv/history/Persson98.pdf&rct=j&q=%25E2%2580%259CHow%20do%20we%20understand%20the%20Coriolis%20force?%25E2%2580%259D,%20&ei=4LqOTsOrPMGa0QXM9q0h&http://www.google.com/url?sa=t&source=web&cd=1&ved=0CB0QFjAA&url=http://www.aos.princeton.edu/WWWPUBLIC/gkv/history/Persson98.pdf&rct=j&q=%25E2%2580%259CHow%20do%20we%20understand%20the%20Coriolis%20force?%25E2%2580%259D,%20&ei=4LqOTsOrPMGa0QXM9q0h&
  • 7/30/2019 Coriolis, naissance dune force

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    Fi g u r e 1 0 : f o r m a t i o n ( d a n s l e se n s i n v e r s e d e s a i g u i l l e s d u n e m o n t r e d a n s l hm i sph re N o r d ) d u n c y c l o n e au t o u r d u ne dpr e s s i o n . Les flches bleues

    indiquent la force dattraction des vents, toujours vers le centre de la dpression (de lahaute vers la basse pression) ; les flches rouges indiquent la dviation de Coriolis,

    toujours orientes vers la droite de la trajectoire. Lorsque la masse dair sapproche (undes quatre cts ici), elle est dvie vers sa droite ; elle est amene tourner, subissantencore la force de Coriolis (cette fois-ci centrifuge par rapport au centre de la dpression)oppose la force bleue, centripte. Les masses dair tourbillonnent ainsi au lieu dalleren ligne directe vers le centre de la dpression (schma WikiCommons, Roland Geider).

    Lapplication de la force de Coriolis au domaine mtorologique ne viendra

    pas de France : nous avons vu que nos physiciens franais, de Foucault

    Delaunay, ont dj largement tendu le domaine originel dapplication de la force

    centrifuge compose, et lui ont donn une lgitimit en relation avec Coriolis.

    Persson date de 1858 ( peu prs la mme poque que les dbats franais

    entre Bertrand et Delaunay) lintroduction dune force centrifuge rotatoire en

    mtorologie, sous limpulsion de William Ferrel (1817-1891) :

    If a body is moving in any direction, there is a force arising from theearths rotation, which always deflects it to the right in the northernhemisphere, and to the left on the southern.

    Lapproche de Persson est intressante. rebours de la majorit des

    scientifiques, il pense que lapproche de Coriolis par la dynamique est, en tout

    cas pour la mtorologie, beaucoup plus fconde quune approche par la

    cinmatique il regrette que les travaux de Coriolis naient pu tre vritablement

    connus quavec la rdition Jacques Gabay de 1990 (!). Selon lui, si les

    dcouvertes majeures en ce domaine ont t faites sans connaissance

    particulire des travaux de Coriolis, leur diffusion et vit son avis de

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    nombreuses interprtations errones en mtorologie il rend dailleurs en

    conclusion un bel hommage Coriolis :

    Cest pourquoi il est tout fait qualifi de prter ainsi son nom la forceponyme. Et-il t avec nous aujourdhui, sans doute et-ce t un des

    rares qui let comprise et enseigne correctement !

    Nous nentrerons pas ici plus avant dans lhistoire de la force de Coriolis en

    mtorologie dautant que cest l un domaine qui tait sans doute encore plus

    tranger aux proccupations de Coriolis que ne ltait la mcanique cleste de

    Foucault. De la mme manire que nous avons pu situer et dater en France

    lattribution aux travaux de Coriolis des effets de la force centrifuge

    compose (lutilisation de cette dsignation tant une claire rfrence aux

    travaux de 1835 de Coriolis), il serait intressant de situer quelle date cemme concept de force centrifuge compose, ou de force de Coriolis, commence

    se rpandre hors de France, dans le domaine mtorologique notamment. Mais

    ceci dpasse largement le cadre du prsent article.

    (octobre 2011)