France: la préhistoire Larchéologie nationale. Lère paléolithique Lhomme.
Corée du Nord : entre violence politique et stratégies...
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Corée du Nord : entre violence politique et stratégies militaires, application de la
théorie du « Regime Survival » à un Etat totalitaire
« Dans quelle mesure l’attitude et le programme nucléaire du régime nord-coréen sont-ils influencés par
l’imbrication de dynamiques internes et de pressions externes au régime ? »
Mémoire réalisé par
Lauren Tatard
LSPRI2900B – Mémoire
Promoteur : Elena Atanassova-Cornélis
2015-2016
Master en Relations Internationales à finalité diplomatie et résolution des conflits
Références portfolio : n° 1 Adresse html : http://tinyurl.com/z97h6ax (voir point 2.3. du vade mecum portfolio)
Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO)
Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)
« Je déclare sur l’honneur que ce mémoire a été écrit de ma plume, sans avoir
sollicité d’aide extérieure illicite, qu’il n’est pas la reprise d’un travail présenté dans
une autre institution pour évaluation, et qu’il n’a jamais été publié, en tout ou en
partie. Toutes les informations (idées, phrases, graphes, cartes, tableaux, ...)
empruntées ou faisant référence à des sources primaires ou secondaires sont
référencées adéquatement selon la méthode universitaire en vigueur.
Je déclare avoir pris connaissance et adhérer au Code de déontologie pour les
étudiants en matière d'emprunts, de citations et d'exploitation de sources
diverses et savoir que le plagiat constitue une faute grave. »
Je tiens premièrement à remercier ma promotrice, Elena Atanassova-Cornélis, pour
la patience et le suivi dont elle a fait preuve à mon égard pendant ces deux années de
travail.
Je remercie également sincèrement ma famille ainsi que Mélanie, pour leur soutien
inconditionnel.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
CHAPITRE I – « REGIME SURVIVAL » ET MOBILISATION DE TACTIQUES TERRORISTES :
STRATEGIES MULTIPLES D’UN REGIME DICTATORIAL TOTALITAIRE 5
A) « REGIME SURVIVAL » ET THEORIES MOBILISEES : CADRE THEORIQUE 6
QU’EST-CE QUE LE « REGIME SURVIVAL » OU STRATEGIE DE SURVIE POUR UN ETAT ? 6
« REGIME SURVIVAL »: STRATÉGIE DES ETATS EN DÉLIQUESCENCE? 8
THÉORIES MOBILISÉES : COMPLEXE RÉGIONAL DE SÉCURITÉ, ETAT TAMPON, DILEMME DE SÉCURITÉ,
SANCTUARISATION AGRESSIVE ET « REGIME SECURITY STRATEGY » 10
B) THEORIE DU « REGIME SURVIVAL » ET MOBILISATION DE PRATIQUES TERRORISTES PAR UN
ETAT : COMPLEMENTARITE DE CONCEPTS VECTEURS DE STABILITE POLITIQUE 12
LE TERRORISME COMME REPERTOIRE D’ACTION : MOBILISATION DE STRATEGIES TERRORISTES PAR UN
ETAT 12
C) UNE DICTATURE A DOMINANTE TOTALITAIRE : VIOLENCE POLITIQUE ET ROLE COERCITIF DE
L’ARMEE 15
DICTATURE TOTALITAIRE : CARACTERISTIQUES 16
STALINISME ET ROLE PREPONDERANT DE LA FORCE MILITAIRE ARMEE 16
CHAPITRE II – MANIFESTATIONS DES TACTIQUES DU « REGIME SURVIVAL » EN COREE DU
NORD : ENTRE SURVIE, STABILITE ET RESISTANCE 19
A) IDEOLOGIE DU JUCHE : INCARNATION NATIONALE DU « REGIME SURVIVAL » : ENTRE
TACTIQUES DEFENSIVES ET OFFENSIVES 20
L’IDEOLOGIE DU JUCHE 20
LES MOUVANCES DU REGIME : COMMUNISME ET CONFUCIANISME 22
« MILITARY-FIRST »: « THE PHILOSOPHY OF FIREARMS » 23
B) SYSTEME POLITICO-ADMINISTRATIF ET DECISIONNEL : ORGANISATION ET PERPETUATION
D’UNE HIERARCHIE 25
SURYONG: « « THE DIVIDE-AND-RULE » STRATEGY » 25
LE PROCESSUS DE TRANSITION HIERARCHIQUE 26
LE PIVOT CONSTITUTIONNEL 28
DISTRIBUTION DES COMPETENCES ET BUREAUCRATIE 28
C) ASPECTS PSYCHOLOGIQUES : DE LA MANIPULATION A LA PROPAGANDE, INSTAURATION ET
MAINTIEN D’UN CLIMAT DE TERREUR 33
PROPAGANDE : LA SOUMISSION POPULAIRE AUX DOGMES POLITIQUES 34
VIOLENCE PHYSIQUE ET RESTRICTION DES LIBERTES : « VIOLENT TOP-DOWN DOMINATION OF SOCIETY »
35
CHAPITRE III - RELATIONS EXTERIEURES : ENTRE CONFRONTATION, COMPETITION ET
CONCERTATION 41
A) CHINE : L’INSTABILITE RELATIONNELLE, ENTRE CONCERTATION ET DIVERGENCE 43
UNE RELATION CLIENTELISTE : LA CRAINTE CHINOISE D’UNE DESTABILISATION DU REGIME NORD-
COREEN 44
MILITARISATION ET ORIENTATION DE LA CHINE VERS UN MODELE ECONOMIQUE LIBERAL :
APPLICATION DU DILEMME DE SECURITE 46
B) ETATS-UNIS : LA CRAINTE DE L’INGERENCE AMERICAINE (DE GEORGE W. BUSH A BARACK
OBAMA) 49
LA RHETORIQUE NEO-CONSERVATRICE SOUS GEORGE W. BUSH ET SON IMPACT SUR LES RELATIONS
ENTRE LES DEUX PAYS 50
BARACK OBAMA : ENTRE PATIENCE ET SANCTIONS 53
C) COREE DU SUD : LES FRACTURES TERRITORIALES ET IDEOLOGIQUES 55
DIFFERENDS TERRITORIAUX ET IDEOLOGIQUES : UN OBSTACLE A L’ENTENTE 56
LES IMPACTS DE LA « SUNSHINE POLICY » SOUS KIM DAE-JUNG ET DE LA TRUSTPOLITK DE PARK
GEUN-HYE 58
LES RELATIONS ECONOMIQUES INTERCOREENNES 60
WASHINGTON, SEOUL ET TOKYO : INFLUENCE D’UNE TRIADE 61
CHAPITRE IV – ETUDES DE CAS PERIODIQUES : LA QUESTION NUCLEAIRE 67
A) NEGOCIER AVEC LE REGIME NORD-COREEN : DISSUASION NUCLEAIRE, « SANCTUARISATION
AGRESSIVE » ET THEORIE DE LA « REGIME SECURITY STRATEGY » 68
DISSUASION NUCLEAIRE ET « REGIME SECURITY STRATEGY » : INSCRIPTION DANS LA LOGIQUE DU
« REGIME SURVIVAL » 68
LES TACTIQUES DE NEGOCIATION NORD-COREENNES : « TALK TO ME, I MAY GO NUCLEAR » 69
LES MESURES ADOPTEES CONTRE PYONGYANG : L’IMPACT DES SANCTIONS 70
B) LE RETRAIT DE LA COREE DU NORD DU TRAITE SUR LA NON-PROLIFERATION DES ARMES
NUCLEAIRES EN 2003 ET LE DEVELOPPEMENT D’UN PROGRAMME NUCLEAIRE CLANDESTIN 72
1994 : SIGNATURE D’UN ACCORD-CADRE SOUS BILL CLINTON 72
LE RETRAIT NORD-COREEN DU TRAITE SUR LA NON-PROLIFERATION DES ARMES NUCLEAIRES 73
LE LANCEMENT DES POURPARLERS A SIX (SIX-PARTY TALKS) EN 2003 74
C) LES ESSAIS ATOMIQUES DE 2006 ET 2009 75
2006 : INTRODUCTION D’UNE DIMENSION INTERCONTINENTALE AVEC LE MISSILE TAEPODONG-2 75
LES ACCORDS DE PEKIN DE 2007 76
LE SECOND ESSAI NUCLEAIRE EN 2009 77
2016 : QUATRIEME ESSAI NUCLEAIRE ET NOUVELLES SANCTIONS 78
CONCLUSION 81
LES PROBABILITES D’UN « REGIME CHANGE » 82
BIBLIOGRAPHIE 85
INDEX DES ANNEXES 95
LISTE DES ACRONYMES 107
1
Introduction
La Corée du Nord suscite de nombreuses interrogations. A l’heure où le Traité sur la
Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) fait preuve d’un essoufflement
singulier, les régimes qui se dotent de l’arme nucléaire tout en participant à sa
prolifération, tendent à remettre profondément en question la législation
internationale sur le sujet. Par ailleurs, les enjeux liés au terrorisme et au
renforcement de certaines organisations comme l’Etat islamique, incitent à
s’interroger sur les liens entre la mobilisation de la terreur par des groupes armés non
étatique et la monopolisation de stratégies psychologiques par un Etat. Le régime
nord-coréen a suscité de nombreuses recherches et publications concernant les
enjeux du maintien d’un système totalitaire au sein d’une région en plein essor
économique, dont les mutations démocratiques sont d’ores et déjà observables en
Corée du Sud. Au cœur des dilemmes et enjeux d’Asie-Pacifique, la Corée du Nord
est au centre de nombreuses théories concernant un éventuel effondrement ou
changement de régime, questionnant notamment le rôle des aides financières et
humanitaires dans le maintien d’un système dictatorial totalitaire.
Considéré bien souvent comme un Etat ermite aux politiques mystérieuses, la partie
Nord de la péninsule coréenne est particulièrement concernée par les enjeux
concernant la contre-prolifération nucléaire. Mobilisant des tactiques agressives liées
aux pratiques de chantage, le régime adopte une véritable posture de survie sur la
scène internationale, en tentant de préserver une situation domestique sujette à
l’instabilité tout en minimisant les influences extérieures sur son territoire. Ainsi, de
la violence politique à ses stratégies militaires, les dynamiques de survie structurent
les politiques nord-coréennes. Ces dernières se traduisent au sein de la société ainsi
qu’au niveau des relations extérieures entretenues par le régime. Afin de saisir
l’ampleur de ces stratégies, il est fondamental d’en comprendre les causes. L’analyse
est ainsi destinée à observer l’impact des dynamiques internes et externes sur les
stratégies de survie de l’Etat nord-coréen, non pas en traitant ces deux dimensions
isolément, mais en les associant, dans une optique de complémentarité.
2
Le choix du sujet a été effectué en fonction d’un intérêt personnel conséquent pour
l’Asie-Pacifique et les dynamiques régionales y afférent. Par ailleurs, la région
constitue une véritable mise en application de certaines théories liées aux relations
internationales, comme le dilemme de sécurité ou le complexe régional de sécurité.
L’Asie-Pacifique permet ainsi d’illustrer ces concepts. En termes de réalisation, ce
travail n’a rencontré aucun obstacle majeur, si ce n’est le peu de documents
gouvernementaux nord-coréens disponibles, étant donné les difficultés à se procurer
de telles sources. Ainsi, l’analyse s’est majoritairement appuyée sur des sources
secondaires. Les articles et publications scientifiques ont constitué le socle majeur du
travail, étant donné l’abondance de ces derniers sur le régime nord-coréen et sur la
problématique de la nucléarisation en Asie-Pacifique. Par ailleurs, la théorie du
« regime survival » ayant fait l’objet d’une multitude de publications, les ressources
scientifiques ont donc constitué la source majeure d’informations, tout comme les
ouvrages et monographies. Enfin, le travail est également basé sur des revues
scientifiques ainsi que sur des articles de presse.
Par ailleurs, cette analyse sera agrémentée d’études de cas sur la question nucléaire
nord-coréenne. Le choix de cette méthodologie est à mettre en lien avec le sujet ainsi
que la problématique du travail. En effet, une telle méthodologie permettra
d’exemplifier l’intersection de dynamiques internes et externes au régime. Cette
dernière est en effet constitutive des stratégies nord-coréennes. L’analyse sera donc
illustrée par deux études de cas principales. La première sera articulée autour du
retrait nord-coréen du TNP et la seconde, autour des essais nucléaires de 2006 et
2009.
La période étudiée s’étend quant à elle de 1990 à 2016. Au départ, cette dernière était
plus étendue, néanmoins, afin de poursuivre un impératif de pertinence et de
précision, il est apparu plus judicieux de concentrer l’étude sur une période plus
restreinte qui permettra notamment d’étudier la problématique nucléaire.
3
« Homo homini lupus »1
« L’homme est un loup pour l’homme » : ainsi est décrite la nature humaine chez
Thomas Hobbes. Dans l’optique du philosophe, l’homme ne peut vivre en paix avec
ses semblables, étant donné la nécessité permanente de la survie individuelle. En
effet, pour Thomas Hobbes, l’existence d’un individu est tout ce qu’il possède. Ainsi,
il fera tout pour assurer sa survie. Cette perspective de la nature humaine mène à une
situation de guerre permanente, au sein de laquelle chacun lutte pour sa propre survie.
Cette théorie, par la suite appliquée aux Etats et aux relations internationales, réfère à
la citation latine « Bellum omnium contra omnes », à savoir « la guerre de tous contre
tous ». Ainsi, les Etats seraient voués à évoluer au sein d’une lutte perpétuelle, afin
d’assurer leur propre survie. Cette perspective relativement pessimiste, qui s’inscrit
dans un cadre d’analyse relativement réaliste des relations internationales, est à
mettre en lien avec la théorie principale du travail. En effet, le premier chapitre de
l’analyse sera articulé autour des dynamiques liées à la théorie du « regime survival ».
Considéré comme un petit Etat sur la scène internationale et ne disposant pas d’un
pouvoir économique et politique significatif, la Corée du Nord adopte une attitude de
survie politique, qui est au cœur des objectifs de tout Etat. En revanche, pour la
Corée du Nord, la survie revêt un aspect singulier, de par sa combinaison avec un
régime politique totalitaire et des tactiques empruntées aux mouvances terroristes.
Les stratégies de survie, influencées et causées par des dynamiques variées, seront au
cœur de l’analyse et mises en lien avec d’autres théories classiques des relations
internationales, comme le dilemme de sécurité et le complexe régional de sécurité.
Dans un second temps, la réflexion sera dirigée vers l’application des stratégies de
survie au régime nord-coréen, et donc à la manifestation de ces tactiques au sein de
l’Etat. Pour cela, le chapitre sera articulé autour de plusieurs aspects fondamentaux,
comme l’idéologie du Juche, le système politico-administratif nord-coréen et les
aspects liés à la violence physique et psychologique exercée sur les citoyens. Dans
un troisième temps, le travail se focalisera autour des relations extérieures de la
Corée du Nord.
1 « L’homme est un loup pour l’homme », Titus Maccius Plautus.
4
Cela permettra d’illustrer la manifestation des tactiques liées aux stratégies de survie
d’un Etat, au niveau des relations que ce dernier entretient avec son environnement
extérieur. A cet égard, le troisième chapitre étudiera les relations de la Corée du Nord
avec la Chine, les Etats-Unis et la Corée du Sud. Bien que les relations de
Pyongyang avec Moscou et Tokyo ne doivent pas être négligées, l’analyse se
focalisera sur les relations majeures que l’Etat nord-coréen entretient sur la scène
internationale, permettant ainsi d’articuler des dynamiques régionales avec les
influences extérieures à la région.
Dans un quatrième et dernier temps, les études de cas viendront appuyer la réflexion,
en illustrant l’articulation des causes internes et externes au régime, comme étant
constitutive de son attitude sur la scène internationale. A cet effet, la problématique
du nucléaire nord-coréen constituera une véritable démonstration pratique des
arguments précédemment énoncés. L’analyse sera également focalisée autour des
stratégies de négociation nord-coréennes, qui permettront de questionner la
pertinence des sanctions face à des régimes totalitaires. L’imbrication de ces quatre
aspects permettra de répondre à la problématique principale du travail, en mettant en
lumière le rôle des dynamiques internes et externes au régime sur l’attitude de la
Corée du Nord.
5
Chapitre I – « Regime survival » et mobilisation de tactiques terroristes :
stratégies multiples d’un régime dictatorial totalitaire
Afin d’analyser et de comprendre les origines des stratégies politiques mobilisées par
le régime nord-coréen ainsi que le rôle joué par les dynamiques internes et externes
sur l’attitude du régime, il est essentiel de s’interroger sur le concept de survie d’un
Etat, plus connu sous le nom de « regime survival theory ». Sur la scène
internationale et ce quel que soit l’optique que l’on adopte, qu’elle soit réaliste,
libérale ou encore constructiviste, les Etats jouent un rôle conséquent en tant
qu’entités du système mondial. Passant d’un système bipolaire pendant la Guerre
froide à un système multipolaire qui prédomine de nos jours, les Etats ont dû
s’adapter aux reconfigurations des lignes de force structurant l’espace international.
En s’adaptant à ces changements qui reconfigurent les alliances, les Etats prennent
nécessairement en compte les enjeux liés à leur survie. Quel que soit le régime
politique caractérisant une entité étatique, les dynamiques de survie viennent
toujours s’introduire au sein des stratégies politiques mobilisées par les
gouvernements. Dans le cas nord-coréen, ces tactiques revêtent une certaine
singularité, car elles sont associées à un système dictatorial à dominante totalitaire.
Dans un premier temps, l’analyse se focalisera sur le concept de « regime survival »,
qui constitue l’aspect majeur de la réflexion. Par ailleurs, la réflexion reviendra sur la
notion de régime politique. Dans un second temps, le concept de « regime survival »
sera articulé avec les stratégies issues de mouvances et organisations terroristes. Cet
aspect permettra notamment de mettre en relief la nécessité d’analyser les stratégies
de survie d’un régime et certaines logiques d’actions terroristes comme étant des
outils complémentaires. Enfin, dans un troisième et dernier temps, la réflexion
s’intéressera à la nature politique du régime nord-coréen.
6
a) « Regime survival » et théories mobilisées : cadre théorique
Au sein de cette analyse, la notion de régime politique est à distancier des définitions
habituelles, ayant tendance à se focaliser sur des aspects relativement négatifs et
radicaux. La réflexion considère la notion de régime politique comme servant « à
rendre compte de la manière dont sont organisés les pouvoirs publics, c’est-à-dire
leur mode de désignation, leurs compétences respectives et les règles juridiques et
politiques qui gouvernent leurs rapports. » 2 Ainsi, le régime politique renvoie
majoritairement à l’organisation du pouvoir au sein d’une entité étatique et permet de
rendre compte des pratiques d’un Etat ainsi que de son organisation hiérarchique. Par
ailleurs, l’analyse associera le concept de régime politique à celui de système
politique, qui « inclut non seulement l’organisation constitutionnelle des gouvernants
mais aussi (...) le régime des partis, les libertés publiques et les médias. »3 Ce
concept plus global permettra, au-delà de l’aspect organisationnel, de focaliser
l’analyse sur des aspects plus particuliers du régime nord-coréen, comme les droits
de l’homme, la liberté de presse et les libertés individuelles. C’est dans cette optique
que la notion de « regime survival » s’inscrira. En effet, cette théorie viendra
compléter la notion de régime politique, en insistant sur une certaine organisation du
pouvoir en fonction de stratégies de survie. L’organisation hiérarchique en Corée du
Nord répond à certaines nécessités de stabilisation domestique, dans une optique de
survie du pouvoir et par extension, de l’Etat. Ainsi, en Corée du Nord, l’organisation
constitutionnelle et la distribution des compétences sont à mettre en lien avec la
mobilisation de stratégies de survie politique.
Qu’est-ce que le « regime survival » ou stratégie de survie pour un Etat ?
Le « regime survival » est un concept se basant majoritairement sur l’instinct d’auto-
préservation des Etats. Cette stratégie pousse un Etat dans ses retranchements,
lorsqu’il sent son existence menacée par des pressions domestiques ou extérieures
voire par une combinaison des deux.
2 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Dictionnaire de la
science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2010, 7me édition, p. 259. 3 Ibid.
7
La stratégie de survie d’un Etat se base sur une variété de tactiques, qui dépendent
directement de la nature politique du régime, mais également des menaces qu’il
perçoit comme étant dirigées contre son existence-même. Selon Jeffrey Pickering et
Emizet F. Kisangani, les rivalités stratégiques combinées aux crises du système
domestique ainsi qu’un environnement extérieur considéré comme hostile, sont les
causes majeures des stratégies de « regime survival » chez un Etat. 4 Ainsi, les
régimes mobilisant cette approche de survie construisent généralement leurs
tactiques au regard des évolutions internes et externes au territoire, estimant que
l’ouverture aux influences extérieures peut constituer un risque majeur de
vulnérabilité. « North Korea suffers from what may be called the « Trojan horse »
paranoia that keeps it from joining the world by opening its doors to the outside. »5
Au niveau externe, les stratégies de survie cherchent toujours à prouver que les
arguments soutenant qu’un régime est au bord de l’effondrement sont irréalistes. En
Corée du Nord, cette optique de survie a été renforcée depuis le début des années
1990, période symbolisant une crise alimentaire sans précédent dans l’histoire du
régime. « Since the 1990’s, the food crisis, the nuclear issue, and the resulting social
disintegration have threatened the regime’s political legitimacy, have partially
destroyed its social control and surveillance systems, and have weakened social
moral regulations. »6
Pour le régime, cette décennie sera le symbole de la survie, à travers ce qui sera
nommé « Konanui Haenggun » ou « Arduous March ». Cette période sera marquée
par les famines mais également par les échecs économiques et les tensions
diplomatiques avec les pays voisins, d’où la nécessité accrue de renforcer l’image
d’une nation forte. Cette stratégie de survie s’est donc fortement renforcée à la sortie
de la Guerre froide, qui a constitué pour la Corée du Nord, l’affaiblissement de son
allié idéologique et économique majeur, à savoir l’U.R.S.S.
4 PICKERING Jeffrey, KISANGANI Emizet F., « Diversionary despots? Comparing autocracies’
propensities to use and to benefit from military force », American Journal of Political Science, Vol.
54, No. 2, April 2010, Midwest Political Science Association, ISSN 0092-5853, p. 484. 5 KIHL Young Whan, « Staying in Power of the Socialist « Hermit Kingdom » », in KIHL Young
Whan, KIM Hong Nack, North Korea. The Politics of Regime Survival, New-York, East Gate Book,
2006, p. 20 6 KANG Jin Woong, « North Korea’s Militant Nationalism and People’s Everyday Lives: Past and
Present », Journal of Historical Sociology, Vol. 25, No. 1, March 2012 DOI: 10.1111/j.1467-
6443.2011.01408.x, p.25.
8
Ainsi que le souligne Raymond Tanter dans son ouvrage intitulé Rogue regimes,
Terrorism and proliferation, à propos de Cuba et de la Corée du Nord : « because
their rulers feel insecure without the Cold War safety net, the danger of political
implosion or military explosion has increased. »7 Cette attitude de survie politique
est par ailleurs perpétuellement renforcée par les perceptions d’infériorité chez un
Etat ainsi que par les dynamiques politiques et stratégiques liées à son
environnement extérieur. De telles attitudes ont par exemple été mobilisées par
l’Afrique du Sud, étant donné l’isolation du pays par la communauté internationale à
cause de l’Apartheid, introduit dès les années 1940 au sein du pays.
Dans le cas nord-coréen, il est donc nécessaire de prendre en compte les évolutions
de la péninsule coréenne et plus globalement, de l’Asie-Pacifique, afin de saisir
pleinement les causes des stratégies du régime. La présence militaire des Etats-Unis
dans la région, ainsi que le point de pression constitué par la zone démilitarisée entre
les deux Corées, sont des éléments qui contribuent également à renforcer les
perceptions coréennes d’un environnement extérieur dangereux. En revanche, cela
n’implique pas qu’un Etat faisant preuve d’une attitude de survie agisse de manière
irrationnelle. Bien au contraire, les dirigeants de ces entités étatiques effectuent des
calculs décisionnels qui sont majoritairement influencés par le sentiment qu’il faut
tout entreprendre pour se prémunir des menaces internes et externes. « When rogue
actors behave in order to avoid losses in either domestic or international affairs, it is
as if they were trapped in a basement of fear. To escape (...) leaders are willing to
take enormous risks. »8
« Regime survival »: stratégie des Etats en déliquescence?
En 2002, l’administration néoconservatrice de George W. Bush a placé la Corée du
Nord sur la liste des pays considérés comme faisant partie de l’« axe du mal »,
catégorisant le régime parmi les « Etats-voyous », dits « rogue States ». « Un « Etat
voyou » « se place hors du droit et de la morale « internationale », évoquant ainsi le
concept d’« Etat-brigand ». »9
7 TANTER Raymond, Rogue regimes, Terrorism and proliferation, New-York, St Martin’s Press,
1998, p. 14. 8 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 36. 9 HERMET Guy, BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, Op. Cit., p. 115.
9
Cette catégorie d’Etats est souvent associée à ce que l’on désigne comme « Etats
faillis » ou encore, en déliquescence. « Selon Anthony Lake, « les « États voyous »
ont des caractéristiques communes : ils sont contrôlés par des clans qui se
maintiennent au pouvoir par la force (...), ils violent les droits de l’homme, et se font
le siège de la promotion d’idéologies radicales (...) Ensuite, la « géopolitique de la
forteresse assiégée » ou le « complexe de Massada » qu’ils entretiennent, les conduit
à développer des programmes militaires ambitieux, reposant sur l’acquisition
d’armes de destruction massive. »10
Généralement, ces Etats considérés comme étant en déliquescence ont une tendance
plus accrue que les autres Etats à développer des armes nucléaires. Ainsi Matthew
Beasley note: « their lack of investment in the international system means that they
pay lower isolation costs for obtaining nuclear weapons. »11 Dans ce cas, les Etats
acceptent plus facilement les risques relatifs à leur survie face aux influences
extérieures mais également face aux pressions internes qui pourraient être
déstabilisatrices. Pour survivre, la Corée du Nord va donc ériger une dictature
nationaliste, mobilisant l’argument atomique comme levier d’action sur la scène
internationale. Cet aspect sera étudié plus précisément au sein du quatrième chapitre.
Néanmoins, la notion d’« Etat voyou » ou encore l’expression d’ « axe du mal » sont
à mobiliser avec grande prudence. En effet, elles ne font pas l’unanimité, souvent
dénoncées comme étant occidentalo-centrées. C’est le cas notamment dans l’ouvrage
de Noam Chomsky, intitulé L’occident terroriste : d’Hiroshima à la guerre des
drones.12 C’est une notion subjective qu’il faut donc nuancer afin d’éviter toute
tautologie.
10 GLUME Galia, « Etat voyou », Réseaux de recherche sur les opérations de paix, 2011,
http://www.operationspaix.net/52-resources/details-lexique/etat-voyou.html
11 BEASLEY Matthew, « Regime security theory: why do states with no clear strategic security
concerns obtain nuclear weapons? », Thesis of Department of Political Science, under the direction of
Lars Skalnes, Graduate school of the University of Oregon, September 2009, 159 p., p. 39. 12 CHOMSKY Noam, VITCHEK André, L’occident terroriste : d’Hiroshima à la guerre des drones,
Montréal, Ecosociété, 2015.
10
Théories mobilisées : complexe régional de sécurité, Etat tampon, dilemme de
sécurité, sanctuarisation agressive et « Regime Security Strategy »
Au-delà du concept de « regime survival », l’analyse mobilisera plusieurs approches
majeures, propres aux relations internationales. Ces approches permettront
d’analyser les relations de la Corée du Nord avec son environnement extérieur, tout
en permettant d’expliquer le rôle joué par le développement de l’arme nucléaire par
Pyongyang. La réflexion mobilisera notamment la notion de complexe régional de
sécurité ou « Regional Security Complex Theory », développée par Barry Buzan et
Ole Weaver. Ces derniers définissent le concept comme « un ensemble d’unités dont
les processus majeurs de sécurisation, de désécurisation ou des deux sont si
étroitement liés que les problèmes de sécurité ne peuvent être analysés
raisonnablement ou résolus sans tenir compte des autres unités. »13
Ainsi, au sein d’un complexe régional de sécurité, un pays ne peut résoudre ses
enjeux sécuritaires régionaux sans prendre en compte les interactions en présence au
sein de la zone géographique en question. Les puissances régionales ne peuvent alors
envisager leur sécurité ainsi que les enjeux auxquels elles font face, sans prendre en
considération leurs différents voisins et leurs préférences géopolitiques. Ainsi que
l’étudiera le troisième chapitre de l’analyse, ce concept est particulièrement pertinent
afin de décrire les dynamiques sécuritaires en Asie-Pacifique ainsi que les relations
entre les entités étatiques présentes. Par ailleurs, l’Etat nord-coréen constitue au sein
de la région, un Etat tampon. Ce concept, énoncé par Michael Greenfield Partem14,
fait référence à un petit Etat situé entre deux puissances plus influentes, mais surtout
potentiellement rivales. Au vu de sa frontière commune avec la Chine mais
également avec la Corée du Sud, Pyongyang s’inscrit donc dans cette logique, en
permettant à la Chine de se protéger contre l’influence américaine, étant donné les
troupes militaires américaines basées en Corée du Sud. Or, bien loin d’agir en tant
que puissance neutre, la Corée du Nord constitue également un vecteur
potentiellement déstabilisateur pour les puissances régionales. A cet égard, les deux
concepts précédents sont à relier à celui du dilemme de sécurité, qui sera également
fondamental afin d’étudier les relations extérieures de Pyongyang. C’est John H.
13 BUZAN Barry, WAEVER Ole, Regions and Powers. The structure of International Security,
Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 41. 14 GREENFIELD PARTEM Michael, « The Buffer System in International Relations », The Journal
of Conflict Resolution, Vol. 27, No. 1, Mars 1983, pp. 3-26.
11
Herz qui développe le premier le concept de dilemme de sécurité au sein de son
article intitulé « Idealist Internationalism and the Security Dilemma ». A propos de
ce concept, John H. Herz énonce: « Groups or individuals living in such a
constellation (security dilemma) must be, and usually are, concerned about their
security from being attacked, subjected, dominated, or annihilated by other groups
and individuals. Striving to attain security from such attack, they are driven to
acquire more and more power in order to escape the impact of the power of others. »
15 Ce qu’induit le concept, c’est majoritairement une compétition effrénée pour le
pouvoir et la sécurité, à la fois au niveau économique et au niveau stratégique, qui
mène généralement au phénomène de course à l’armement. « Faced with this
growing interdependence but also with the security dilemma, their attempted way-
out is to expand their individual power, economically (...) and strategically. »16 Le
dilemme de sécurité est à relier avec une autre théorie, celle de la « regime security
strategy. » Cette théorie tente de mettre en lumière les causes qui incitent les Etats
n’ayant pas de raison de craindre une attaque particulière à se doter de l’arme
nucléaire. Dans l’optique de cette théorie, les armes nucléaires servent à accroître les
chances de survie pour un régime.
« The logic of the regime security theory is that a domestic regime (…) may use
nuclear weapons not to deter attack (...) but to change the preferences of the great
powers such that it is in the interest of those powers that the regime survives. »17
Ainsi, cette théorie rejoint le concept de survie politique pour un Etat, en permettant
à une entité étatique de se doter d’une arme favorisant son poids sur la scène
internationale, sans pour autant que l’acquisition d’un tel levier de négociation puisse
être justifiée d’un point de vue sécuritaire. L’obtention de l’arme nucléaire comporte
par ailleurs le potentiel de développer des dynamiques de sanctuarisation agressive.
Ce concept renvoie notamment au « risque de voir des puissances régionales
déstabiliser leur voisinage à l’ombre de leur arsenal nucléaire. »18 La sanctuarisation
agressive en Asie-Pacifique implique la possibilité pour la Corée du Nord de gagner
en puissance, tout en affaiblissant les autres Etats de la région. Cette stratégie est
15 HERZ John H., HERZ John H., « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World
Politics, Vol. 2, No. 2, January 1950, p. 157. 16 Ibid., p. 173. 17 BEASLEY Matthew, Op.Cit., p. 18. 18 « Géopolitique du nucléaire », Diplomatie, Affaires stratégiques et relations internationales,
Octobre-Novembre 2013, No. 17, p. 12.
12
bien souvent mobilisée par les « Etats voyous », dans une optique de chantage
nucléaire et participe ainsi à une véritable déstabilisation régionale. Ce dernier
concept sera plus largement étudié et surtout appliqué au régime nord-coréen au sein
du quatrième chapitre de l’analyse, en prenant notamment appui sur des études de
cas.
b) Théorie du « regime survival » et mobilisation de pratiques terroristes
par un Etat : complémentarité de concepts vecteurs de stabilité politique
Le terrorisme comme répertoire d’action : mobilisation de stratégies terroristes par
un Etat
Dans un premier temps, il est important de souligner un aspect fondamental pour
l’analyse : il ne sera pas question de défendre une thèse selon laquelle la Corée du
Nord serait un Etat terroriste. L’argumentaire sera plus nuancé. En effet, cette
analyse soutiendra que le régime mobilise des tactiques propres aux mouvements et
organisations terroristes, afin de complémenter son répertoire d’action. Ainsi, dans
cette optique, les stratégies du « regime survival » peuvent parfois s’appuyer sur des
logiques similaires aux organisations et mouvements terroristes.
C’est Charles Tilly qui élabore en 1986 la notion de « répertoire d’action collective »,
appliquée dans un premier temps aux mouvements sociaux. Ce dernier entend en
effet par cette expression, « l’existence de formes d’institutionnalisation propres aux
mouvements sociaux (...) »19 Même si la présente analyse ne considère pas la Corée
du Nord comme une entité terroriste, la mobilisation de stratégies propres aux
mouvances terroristes par le régime, suppose qu’un bilan concis sur la question de la
définition des stratégies terroristes soit établi. En effet, ce terme reste hautement
polémique et personne ne s’accorde réellement sur une définition unanime. « Qu’est-
ce que le terrorisme ? A cette question élémentaire, on est tentés de donner la même
réponse que Saint Augustin apportait à son interrogation sur le temps : « Si personne
ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer,
19 NEVEU Erik, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2011, 5me édition, pp. 19-
20.
13
je ne le sais plus. » »20
Si personne ne s’accorde sur la question, c’est notamment en raison de la difficulté à
définir à la fois les acteurs et les actions qui peuvent être qualifiés de terroristes. Une
des définitions les plus courantes du terme est la suivante : « Usage de la violence à
des fins politiques (…) le terrorisme participe ainsi au processus de dissémination de
la violence politique. »21 Ainsi, le terrorisme vise à créer un climat de peur au sein de
la population, tout en atteignant l’opinion internationale par le biais des médias. Une
des manifestations les plus évidentes de la corrélation des tactiques nord-coréennes
avec l’utilisation de pratiques terroristes est notamment la prise d’otages ou encore,
les assassinats politiques. Pour Isabelle Sommier, « l’assassinat politique entendu
comme le « meurtre d’une personnalité publique pour un mobile politique en dehors
de tout processus légal », entretient avec le « terrorisme » une relation évidente (...)
par la méthode d’élimination de l’ennemi généralement considérée comme l’une des
marques de la logique terroriste. » 22 Dans cette optique, les actions terroristes
peuvent être mobilisées par des entités non terroristes, se trouvant dans une situation
d’infériorité.
En effet, ce concept peut « aussi bien décrire un adversaire ou un procédé. »23 Ainsi
qu’il le sera étudié en détails au sein du prochain chapitre, le régime mobilise
également des instruments psychologiques et coercitifs à l’égard de sa propre
population, ayant pour but de susciter la crainte et de prévenir les éventuelles
dissidences.
20 RAPIN Ami-Jacques, Pour en finir avec le terrorisme. L’équivoque de la terreur, de la Révolution
Française aux attentats djihadistes, Berne, Editions Peter Lang, 2014, p.1. 21 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 297. 22 SOMMIER Isabelle, Le terrorisme, Paris, Flammarion, 2000, p. 104. 23 GAYRAUD Jean-François, SENAT David, Le terrorisme, Paris, Presses Universitaires de France,
2006, p. 13.
14
« Si le terrorisme est un mode particulier de violence qui repose sur la menace et la
peur, c’est au prix de trois conditions – son caractère systématique, le recours à des
actes ou des menaces d’une exceptionnelle violence qui ont non seulement des effets
sur leurs victimes immédiates, mais aussi sur l’opinion nationale et
internationale. »24
Par ailleurs, les stratégies terroristes s’incarnent également dans de nouveaux
moyens d’action, comme le cyber-terrorisme. « Pour Pollitt, « le cyber terrorisme est
une attaque préméditée, politiquement motivée, contre l’information, les systèmes
informatiques, les programmes informatiques, et les données (...) par des groupes
subnationaux ou des agents clandestins »25 Depuis quelques années, la Corée du
Nord mobilise justement cet instrument. Ainsi, même si l’utilisation de la violence à
des fins politiques est la première caractéristique que l’on associe généralement aux
actions de type terroriste, on remarque que « bien d’autres organisations s’en
prévalent sans pour autant connaître le stigmate qu’implique le qualificatif
« terroriste ». »26 Les arguments liés au terrorisme sont néanmoins à mobiliser avec
prudence. Certaines théories préfèrent mobiliser le terme de « terreur », qui peut
constituer une forme de gouvernance. « La terreur diffère du terrorisme en ce qu’elle
est l’acte officiel d’un organisme gouvernemental, la terreur est par définition
politique, la terreur est une arme. »27
Par ailleurs, dans le cas de la Corée du Nord, les tactiques mobilisées à l’encontre de
la communauté internationale appartiennent plus volontiers au domaine de la
diplomatie coercitive qu’au domaine du terrorisme : « Ainsi pour un Etat qui exerce
son pouvoir hégémonique de grande puissance, la menace de faire usage de la force
est définie comme de la diplomatie coercitive et non pas comme du terrorisme
d’Etat. »28 Cette diplomatie coercitive qui est fondée sur des mécanismes de menaces
au niveau extérieur (comme la menace nucléaire), va de pair avec les menaces
d’ordre psychologique à l’échelle domestique.
24 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 78. 25 Ibid., p. 123. 26 Ibid., p. 70. 27 RAPIN Ami-Jacques, Op. Cit., p. 114. 28 Ibid., p. 21.
15
En effet, au sein des régimes totalitaires, même le peuple devient une menace pour le
pouvoir, ce qui sera discuté plus en détails au sein du second chapitre. La violence
psychologique est donc directement liée aux stratégies terroristes qui visent dans un
premier temps, non pas à causer un nombre conséquent de victimes mais plutôt à
susciter l’attention. Ce que souhaitent réellement les organisations et les groupes qui
mobilisent ces tactiques, c’est s’assurer que leurs actions récolteront une visibilité
conséquente. Pour attirer l’attention, la terreur et ses instruments s’imposent comme
les moyens de garantir une certaine visibilité sur la scène internationale. « Il est un
critère qui fait l’objet d’un consensus : l’action terroriste, parce qu’elle est hautement
théâtralisée et vise à susciter la peur, bien au-delà de celle de ses victimes directes,
requiert une caisse de résonance que lui assurent sans peine les médias »29 Les
stratégies terroristes viennent donc renforcer les caractéristiques préexistantes du
régime totalitaire. Cette affirmation doit néanmoins être nuancée étant donné l’écueil
définitionnel entourant le terrorisme, qui conduit bien souvent à éviter l’emploi d’un
tel terme controversé mais également « passionnel et polémique. »30
c) Une dictature à dominante totalitaire : violence politique et rôle coercitif
de l’armée
« Un régime totalitaire est un régime où tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire »,
Curzio Malaparte
La Corée du Nord s’inscrit dans une optique visant à combiner violence et terreur
politique afin de garantir la soumission de sa population à l’idéologie dominante. Ce
régime est une dictature communiste à dominante totalitaire qui se base sur une
tradition confucéenne et dont le fonctionnement est propre au centralisme stalinien.
29 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 20. 30 GAYRAUD Jean-François, SENAT David, Op. Cit., p. 25.
16
Dictature totalitaire : caractéristiques
« Les gouvernements totalitaires (...) veulent remodeler les esprits, par la terreur et
par une propagande intense. Leur caractéristique essentielle est (...) le contrôle
centralisé de tous les instruments de pouvoir, impliquant monopole idéologique,
culte paroxystique du chef et mise en place d’un système concentrationnaire (...)
destiné à l’élimination des catégories de populations qu’il rejette. »31 Au-delà de sa
nature totalitaire, le régime adopte également les aspects d’une dictature, étant
définie comme une « sorte de commandement qui (...) est indépendant du
consentement ou de la compréhension du destinataire et n’attend pas son
approbation. »32 Le pouvoir est alors majoritairement concentré entre les mains d’une
personne ou d’un groupe de personnes, dont le respect des lois et de la Constitution
n’est généralement pas la préoccupation majeure. Sur ce point, Gustav Lidén
distingue trois types de dictatures : « personalist, military, and single-party. »33 La
Corée du Nord a pour particularité de combiner ces trois formes. En effet, le pouvoir
se concentre majoritairement entre les mains d’un individu central qui est le pivot du
régime, basé sur un parti unique, tout en allouant une influence considérable à
l’armée.
Stalinisme et rôle prépondérant de la force militaire armée
L’identité du régime est majoritairement basée sur le stalinisme comme forme de
civilisation. Au-delà du mode de gouvernance, c’est tout un système de valeurs qui
caractérise la nature de l’Etat. Selon les termes de Jin Woong Kang, le stalinisme
nord-coréen s’envisage comme « a set of values, a social identity, and a way of
life. » »34 Le centralisme stalinien nord-coréen implique que le régime associe les
idées staliniennes classiques aux valeurs traditionnelles du Confucianisme nord-
coréen, comme la notion de loyauté envers le dirigeant.
31 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 260. 32 LIDEN Gustav, « Theories of dictatorships: reviewing the literature », Department of Social
Sciences, Mid Sweden University, s.d., p. 91. 33 Ibid., p.3. 34 KANG Jin Woong, Op. Cit., p.5.
17
Malgré la dominante totalitaire de la Corée du Nord, une analyse complète de ses
tactiques de gouvernance ne pourrait faire l’abstraction des caractéristiques
empruntées à d’autres formes de régimes. Par ailleurs, soulignons que, suivant une
tendance générale, « les systèmes communistes sur leur déclin ont quitté la catégorie
du totalitarisme pour se rapprocher de celle des régimes autoritaires. »35
Il devient alors plus pertinent de se focaliser sur les structures de pouvoir, plutôt que
sur les anciennes distinctions entre les différents régimes politiques, particulièrement
entre régimes autoritaires et totalitaires, étant donné l’affaiblissement progressif des
barrières entre ces deux formes de gouvernance. De plus, il ne faut pas négliger le
développement progressif de caractéristiques néo-autoritaires en Corée du Nord,
décrites par Yun-Jo Cho comme suit : « a neopatrimonial variant of
authoritarianism. »36 Enfin, les transformations politiques de ce système despotique
ont « permis au régime de s’adapter à tous les aléas qu’il a dû affronter. Communiste
et planificatrice à outrance au temps de la guerre froide, prochinoise (...) à la chute de
l’URSS, nucléaire et étatiste aujourd’hui, la Corée du Nord a enchaîné les
revirements. »37 Il faut souligner que ces transformations ont été un vecteur de
maintien et de survie et non le signe d’une éventuelle décadence voire d’une
instabilité politique.
Ce chapitre a permis de se focaliser sur la nature du régime nord-coréen en insistant
sur sa dimension totalitaire. Cet aspect permettra de rendre compte dans la suite de
l’analyse, de l’articulation des pratiques liées à la théorie du « regime survival » avec
les caractéristiques d’un régime politique. Par ailleurs, l’argumentaire a souligné que
les pratiques visant à assurer la survie d’un Etat pouvaient être associées à des
logiques empruntées aux mouvances et organisations terroristes, dans une optique de
préservation et de renforcement du régime.
35 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 268. 36 CHO Yun-Jo, « The sources of regime stability in North Korea: insights from democratization
theory », Stanford Journal of East Asian affairs, Vol.5, No.1, Winter 2005, p. 92. 37 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Diplomatie, Affaires stratégiques et
relations internationales, Novembre-Décembre 2014, No. 71, p.44.
18
Il apparaît donc comme étant plus judicieux de ne pas considérer les modalités
d’actions terroristes et la simple terreur politique comme étant des éléments
opposés : les premières peuvent renforcer la seconde, et ainsi la compléter. Le
prochain chapitre analysera les manifestations des stratégies du « regime survival »
en Corée du Nord. A cet effet, le fonctionnement administratif du pays sera mis en
lumière mais également l’importance de son idéologie principale, à savoir le Juche.
Cela permettra d’analyser l’impact réel des stratégies de survie politique du régime
sur sa propre société ainsi que l’influence des enjeux domestiques sur ces mêmes
stratégies de préservation.
19
Chapitre II – Manifestations des tactiques du « regime survival » en Corée du
Nord : entre survie, stabilité et résistance
Au sein de son ouvrage intitulé La nature du totalitarisme, Hannah Arendt explicite
cinq caractéristiques majeures qu’un régime doit rencontrer afin d’être qualifié de
totalitaire, à savoir « l’atomisation de la société, un parti unique, une idéologie qui
s’étend à tous les aspects de la vie individuelle et collective, la propagande et la
terreur. »38 Ainsi que l’analyse le soulignera, dans le cas nord-coréen, les tactiques
du « regime survival » s’incarnent non seulement vis-à-vis de la scène internationale
mais également au niveau interne du régime. La réflexion reviendra sur ces
caractéristiques majeures en les exemplifiant. L’atomisation de la société sera
évoquée, avec l’instauration de catégories de citoyens, qui sont présentes dans tous
les secteurs de la société nord-coréenne. Par ailleurs, l’analyse se focalisera
également sur l’idéologie principale, à savoir le Juche qui constitue l’incarnation
idéologique des tactiques de survie politique du régime nord-coréen. En ce qui
concerne la vie politique, cette dernière est organisée autour d’un parti unique qui
constitue une des forces majeures de l’Etat, à savoir le Parti des travailleurs de Corée.
Enfin, la réflexion abordera également les notions de propagande et de terreur.
Dans un premier temps, l’analyse soulignera le rôle de l’idéologie au sein des
régimes totalitaires et permettra également d’étudier les influences du communisme
et du Confucianisme au sein du régime, ainsi que le rôle de l’armée et de la politique
du « military-first ». Dans un second temps, ce chapitre s’attardera sur le système
politico-administratif et décisionnel du régime. Cet aspect permettra de souligner les
dynamiques décisionnelles de l’Etat, tout en s’intéressant aux différentes structures
de pouvoir, au rôle de la Constitution et à la distribution des compétences. Enfin, la
réflexion mettra en lumière les impacts du processus de transition de pouvoir ainsi
que des divisions sociétales sur le régime. Dans un troisième et dernier temps,
l’analyse s’attachera à souligner les manifestations psychologiques de la terreur au
sein de la société, en insistant sur le rôle joué par la propagande et la violence
physique.
38 ARENDT Hannah, La nature du totalitarisme, Paris, Payot, 1990, p.21.
20
a) Idéologie du Juche : incarnation nationale du « regime survival » : entre
tactiques défensives et offensives
L’idéologie du Juche
Le totalitarisme est un système figé, statique, qui impose une idéologie de force
visant à détruire une identité dans l’optique d’imposer une vision dominante par le
biais de l’endoctrinement. « Totalitarian governments’ efforts to control the thoughts
and expressions of their people have an ancient and terrible history. Aristotle
observed that this policy has two components – first, to let the people know nothing
of what the government did, but second, to let the government know everything that
the people did. »39 Au-delà de l’endoctrinement, c’est la négation et la suppression
des libertés individuelles et humaines que le totalitarisme institue au cœur d’une
société. Au niveau de la Corée du Nord, l’idéologie dominante est le Juche dont
l’émergence a lieu officiellement en 1912. Cette idéologie vient progressivement
remplacer les références au Marxisme-Léninisme.
La première utilisation du terme Juche se fait en 1955 au sein du discours nord-
coréen intitulé « On the Need to Repel Dogmatism and Formalism and to Establish
Juche in Carrying Out Ideological Programs ». L’idéologie s’est imposée comme un
vecteur de maintien de l’unité populaire mais également de cohésion par le biais de
discours à la fois xénophobes, fascistes et nationalistes. « Nationalism has been a
crucial ideological weapon of communism. »40 La montée du nationalisme en Corée
du Nord a principalement résulté des évolutions du système international mais
également des changements s’opérant au niveau domestique dès les années 1950. En
effet, l’émergence de l’idéologie est également un moyen pour Kim Il-sung de se
démarquer de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.) et de la
Chine, dans une optique d’indépendance malgré les ressemblances idéologiques des
régimes. « North Korea prides itself in defending itself against all outside
influences. »41
39 DOWNS Chuck, « Understanding North Korea’s Human Rights Abuses », in BECHTOL Bruce E.,
Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps University Press, 2011, p.
158. 40 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 5. 41 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 238.
21
La théorie du Juche touche tous les domaines de la société et s’appuie notamment sur
trois principes fondamentaux à savoir l’indépendance politique, l’auto-défense et
l’autosuffisance économique. Par ailleurs, l’idéologie prône la nécessité de suivre la
volonté d’un dirigeant, qui revêt le caractère de guide suprême de la nation. Le Juche
permet également de légitimer les pratiques d’un régime ou encore, la présence d’un
certain dirigeant à la tête d’un pays : c’est donc un vecteur de puissance qui dans le
cas du régime nord-coréen, a contribué à assurer la survie politique de ce dernier.
Cette idée est reprise par Max Weber, pour qui l’idéologie permet plusieurs choses
pour un dirigeant: « leaders can legitimize their priorities, rationalize their mistakes,
and convince people that they should be followed simply because it is the right thing
to do. »42 L’idéologie s’impose ainsi comme un moyen de domination du dirigeant
sur sa population en permettant de contrôler l’émergence d’éventuels mouvements de
protestation ou de dissidence, tout en affichant l’image d’une pensée politique visant
à assurer le bien-être général et la préservation du régime face aux influences
extérieures.
Cette dernière vise donc un conditionnement de la population, que la seule répression
ne peut garantir. Ainsi que l’exprime Noam Chomsky, « pour dominer, la violence
ne suffit pas, il faut une justification d’une autre nature. Ainsi, lorsqu’une personne
exerce son pouvoir sur une autre (...) elle a besoin d’une idéologie justificatrice,
toujours la même : cette domination est faite « pour le bien » du dominé. En d’autres
termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste, désintéressé, généreux. »43
Par ailleurs, il faut souligner que la naissance de la doctrine du Juche est à relier aux
périodes de colonisation qui ont marqué la Corée du Nord. L’histoire du pays a en
effet été fortement marquée par des périodes d’invasion et de domination, ce qui a
contribué à forger une conscience nationaliste xénophobe, notamment à l’égard du
Japon. En effet, de ces expériences, l’occupation japonaise a été vécue comme la
plus marquante et la plus douloureuse pour la Corée du Nord.
42 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, « Pyongyang Survival Strategy. Tools of Authoritarian control in
North Korea », International Security, Vol. 35, No. 1, Summer 2010, p. 47. 43 « Le lavage de cerveaux en liberté », Le Monde Diplomatique, Août 2007, http://www.monde-
diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992
22
Ces périodes d’occupation ont donc laissé des sentiments amers aux nord-coréens,
aspect qui constitue le socle du Juche. « The very origin of the Juche idea is the anti-
foreign doctrine in which Japan occupies a central position. »44 L’idéologie s’est au
final presque érigée en tant que religion, suscitant un fort sentiment patriotique tout
en permettant au dirigeant de consolider sa légitimité politique. Cette dernière a
également permis au régime de se démarquer en soulignant ses spécificités. En effet,
les caractéristiques du Juche insistent également sur les différences entre la Corée du
Nord et la Corée du Sud. « This ideology has also been instrumental in claiming that
the state of the DPRK is consistent with nationalism and thus more legitimate than
the South’s regime. In this way, the ideology of Juche has been employed as a means
of attaining national security. »45 L’idéologie du Juche base ses principes sur des
valeurs communistes et confucéennes, qui sont néanmoins à distinguer des valeurs
traditionnelles chinoises. Le communisme et le Confucianisme en Corée du Nord
sont des variantes bien spécifiques au régime qui sont à distinguer des valeurs
chinoises basées sur la noblesse et la spiritualité. Pour le régime nord-coréen, le
Confucianisme repose sur la loyauté et l’obéissance au chef suprême. « En Corée du
Nord, la loyauté constituait l’essence de la vie, la désobéissance menait à la mort »46
Les mouvances du régime : communisme et Confucianisme
Idéologiquement proche de l’U.R.S.S. et de la Chine jusqu’à la fin de la Guerre
froide, la Corée du Nord s’apparente aujourd’hui au dernier bastion communiste au
sein duquel subsiste une idéologie forte, associée à des valeurs confucéennes.
« Confucianism in North Korea facilitated the development of charismatic leadership
and paternalist socialism: indeed, without the Confucian cultural influences inherent
in its historical heritage, the system itself would not have been made in the way it has
been. »47
44 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, North Korea policy, Japan and the great powers,
European institute of Japanese studies, East Asian economics and business series, New-York,
Routledge, 2006, p. 46. 45 PARK Han. S., « The rationales behind North Korean foreign policy », in HAGSTRÖM Linus,
SÖDEBERG Marie, North Korea policy, Japan and the great powers, European institute of Japanese
studies, East Asian economics and business series, New-York, Routledge, 2006, p. 4. 46 JIN-SUNG Jang, Cher Leader, s.l., Ixelles Editions, 2014, p. 353. 47 PARK Han. S. Op. Cit., p. 15.
23
Par ailleurs, un des outils principaux permettant le maintien des principes
idéologiques au sein du régime est l’armée nord-coréenne. Cette dernière joue un
rôle prépondérant au sein du régime : c’est une structure de pouvoir à part entière.
Avec le temps, non seulement l’armée est devenue la principale institution du pays
mais elle a pénétré tous les secteurs de la société. « All the people are militarily and
mentally prepared to deal with war. »48
« Military-first »: « the philosophy of firearms »49
La politique de l’« armée d’abord » dite « military-first » ou encore Songun, émerge
dans les années 1990 et se base sur l’Armée Populaire de Corée, fondée
officiellement en 1932 par Kim Il-sung. Cette politique se construit comme une
réponse à la déstabilisation sociale et politique du pays causant une crise économique
majeure mais est également une conséquence du processus de transition hiérarchique
houleux qui débute en 1994. « It was timed to coincide with Kim Jong-Il’s official
succession to power. »50 La politique a en effet contribué à renforcer l’autorité du
dirigeant. « From 1994 to 2004 the new leadership of Kim Jong-Il has successfully
transformed North Korea from a party-state system to a military-first political
system. »51 Avec le temps, l’importance grandissante du secteur militaire en Corée
du Nord a contribué à la marginalisation progressive du rôle du Parti du Travail de
Corée. « The military is the guardian of the brain, which must be protected and never
be made vulnerable. »52
Assurément, l’armée a donc fortement contribué à la survie du régime tout en étant
associée à un instrument révolutionnaire. En effet, ces dernières années, le régime
nord-coréen a fait preuve d’une agressivité sans précédent, multipliant les
provocations et les démonstrations de sa capacité militaire. « Military strong States
are less subject to the influence of other States than military weak ones. »53
48 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 18. 49 Ibid., p. 20. 50 KIHL Young Whan, Op. Cit., p. 9. 51 KIM Ilpyong J., « Kim Jong Il’s Military-First Politics », in KIHL Young Whan, KIM Hong Nack,
North Korea. The Politics of Regime Survival, New-York, East Gate Book, 2006, p. 59. 52 PARK Han. S. Op. Cit., p. 29. 53 ART Robert J., « The Fungibility of Force », in ART Robert J., JERVIS Robert, International
Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009, p. 183.
24
Les différentes provocations et exercices militaires permettent de renforcer la loyauté
du corps armé, tout en démontrant au reste du monde que le régime a la capacité de
se défendre. Tout cela a un coût conséquent : le budget alloué à l’armée a augmenté
avec le temps. Cependant, dans l’optique du régime nord-coréen, l’armée génère plus
de ressources qu’elle n’en nécessite. 54
L’armée est donc au centre du processus décisionnel et constitue un véritable
instrument coercitif. Cette dernière impacte fortement l’exécution des politiques et
par conséquent, la mise en place de réformes passe nécessairement par l’armée qui
initie et influence les prises de décisions, s’opposant généralement aux changements
radicaux. « En Corée du Nord, les militaires représentent le groupe le plus opposé à
l’effondrement du régime, et ils possèdent une influence politique suffisante pour
résister à la réunification des deux Corées sous le drapeau sud-coréen. » 55 La
présence du corps armé est particulièrement visible au niveau de la zone de
démilitarisation (DMZ) entre les deux Corées, où les effectifs ont augmenté ces
dernières années. 56 En revanche, les capacités de l’armée tendent à décliner étant
donné les famines successives, le personnel militaire étant victime de sous-nutrition
malgré la priorité budgétaire accordée à ce secteur. Malgré son rôle prédominant,
l’armée n’est néanmoins pas la seule composante du régime. Afin de comprendre le
processus décisionnel au sein de l’Etat ainsi que le rôle de l’élite dirigeante et de la
bureaucratie, il est essentiel de décrire le fonctionnement du système politico-
administratif nord-coréen.
54 Annexe 1, p. 97. 55 CHEONG Seong-Chang, « La succession du pouvoir en Corée du Nord et ses implications sur la
politique extérieure du pays », Hérodote, 2011/2, No. 141, p. 64-74 DOI 10.3917/her.141.0064, p. 72. 56 Annexe 2, p. 98.
25
b) Système politico-administratif et décisionnel : organisation et
perpétuation d’une hiérarchie
Suryong: « « the divide-and-rule » strategy »57
En Corée du Nord, le dirigeant de l’Etat est une figure emblématique du pouvoir. Ce
dernier contrôle l’armée mais également le Parti du Travail de Corée ainsi que la
population. « Where independent civil society is nonexistent, the system revolves
entirely around the regime’s leader. »58 Il ne se contente pas de diriger, il incarne le
système à lui tout seul par le biais du développement d’un culte de la personnalité
qui permet d’accroître son caractère légitime. «When charisma is accepted, the
charismatic leader can break all rules and norms. » 59 Le développement d’un
charisme fort, facilité par le Confucianisme, a permis aux dirigeants successifs de se
constituer non seulement en tant que les représentants ultimes de la nation, mais
également d’incarner la nation dans son entièreté. « Les Kim ont réussi à imposer
l’équation : ils ne se contentent pas de diriger la Corée du Nord, ils la symbolisent,
ils l’incarnent. »60
La survie politique du régime passe majoritairement par la figure de celui qui
l’incarne et avant tout, par la profonde loyauté dont la population est incitée à faire
preuve à l’égard de ce dernier. « La conscience morale ne tourna plus qu’autour
d’une obéissance loyale au culte des Kim. Toute personne mettant en doute cette
conscience morale pouvait être envoyée dans un goulag avec trois générations de sa
famille, afin d’annihiler celle-ci. »61 Au premier abord, la Corée du Nord apparaît
souvent comme un régime dénué de la moindre rationalité. Il semblerait même que
les engrenages du régime soient confiés au hasard, revêtant le caractère aléatoire de
l’apparente folie de son dirigeant. Cet argument est quelque peu réducteur. Comme
tout Etat, la Corée du Nord possède ses mécanismes, son organisation et surtout, ses
hiérarchies propres.
57 CHO Yun-Jo, Op. Cit., p. 97. 58 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 48. 59 WEBER Max, Economy and Society, in BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, « Pyongyang Survival
Strategy. Tools of Authoritarian control in North Korea », International Security, Vol. 35, No. 1,
Summer 2010, p. 50. 60 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 44. 61 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 168.
26
Certes, « le double langage et l’opacité du régime nord-coréen sont deux piliers du
pouvoir »62 , mais tous les instruments mobilisés par le régime depuis plusieurs
générations laissent à penser que loin d’être irrationnels, les dirigeants successifs de
la Corée du Nord mobilisent des outils stratégiques afin de maintenir la stabilité et la
survie de l’Etat. Cela se vérifie également au sein des tactiques décisionnelles.
Combinant dialogue et pressions, le régime nord-coréen se montre relativement
habile dans la mobilisation de stratégies associant diplomatie et coercition.
Néanmoins, cela n’empêche pas les conflits décisionnels dans l’exécution des
directives. « L’exécution de ses politiques (Ndlr. Kim Jong-un) par l’armée et la
bureaucratie civile représente un domaine empreint d’imprévus et d’erreurs dans
l’exécution des politiques. »63 Ces conflits au sein du cercle décisionnel du pays sont
particulièrement significatifs lors des périodes de succession entre dirigeants.
Le processus de transition hiérarchique
La perpétuation d’une élite dirigeante est un élément crucial permettant la stabilité du
régime. « Le Chef est irremplaçable parce que (...) sans lui, tout serait
irrémédiablement perdu. »64 Dans le cadre de la transition de pouvoir entre Kim Il-
sung et Kim Jong-il en 1994, un des scénarios les plus probables était un
effondrement du régime. Les observateurs craignaient l’émergence de luttes de
pouvoir pour l’influence au sein du Parti du Travail de Corée, voire la création d’un
vide de pouvoir. En 2011, les mêmes craintes surgissent à nouveau avec la
succession au pouvoir de Kim Jong-un. Au départ, il semblait impossible qu’il puisse
succéder à son père : en effet, c’est alors un jeune homme manquant d’influence,
d’expérience et de charisme, devant encore faire ses preuves.
62 Ibid., p. 14. 63 JORDAN Sara R. et ERIC C., « Démystifier le royaume ermite : la Constitution et l'administration
publique en Corée du Nord », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2013/3, Vol. 79, p.
585-603 DOI : 10.3917/risa.793.0585, p. 587. 64 ARENDT Hannah, Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, Paris, Editions du Seuil,
1972, p. 102.
27
« The successor’s legitimacy is weak and susceptible to contest (...) For North Korea,
political legitimacy is even more problematic, since succession is hereditary and
reminiscent of anachronistic feudalism. »65 Ce qui a majoritairement permis à Kim
Jong-un de s’affirmer au pouvoir, c’est notamment le soutien des élites du Parti ainsi
que celui de l’armée. Lors du processus de transition entre Kim Il-sung et son fils
Kim Jong-il, ce dernier avait également mobilisé l’armée afin de préserver l’ordre et
la stabilité du régime. En contrepartie, il a fait de cette dernière « le « fer de lance »
de sa révolution, c’est à dire l’institution dirigeante. »66 L’instabilité s’est également
traduite au niveau économique. En effet, les années 1990 ont symbolisé pour les
nord-coréens plusieurs crises économiques successives, impliquant famines et
restrictions drastiques. Un déficit des performances économiques n’est pas sans
conséquence au sein de la population, mais également au niveau de l’élite dirigeante.
Les restrictions budgétaires avaient le potentiel d’affecter la loyauté des membres de
l’élite nord-coréenne au pouvoir en réduisant la capacité du gouvernement à fournir
des ressources matérielles et financières suffisantes.
Afin de contrer les potentiels soulèvements populaires ou encore les éventuelles
dissensions au sein du cercle décisionnel restreint, Kim Il-sung et par la suite, Kim
Jong-il, ont eu recours à une arme en particulier : le développement d’un programme
nucléaire. Ce dernier avait pour but de réaffirmer la loyauté des membres du régime
et particulièrement, celle des militaires. Les attaques militaires s’inscrivaient dans un
objectif similaire: « those who opposed the attacks were more likely to be
disloyal. »67 A ce sujet, un article du journal The New York Times datant du 12 Mars
2016 revenait sur l’exécution de Jang Song-thaek, l’oncle de Kim Jong-un. « With
this execution, North Korea lost virtually the only person there who could have
helped the country introduce reform and openness. »68
65 DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence », Australian Journal Of International
Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120, April 2012, http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p.
106. 66 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 42. 67 DONG Sun Lee, Op. Cit., p. 107. 68 « In Hail of Bullets and Fire, North Korea Killed Official Who Wanted Reform », The New York
Times, March 12, 2016, http://www.nytimes.com/2016/03/13/world/asia/north-korea-executions-jang-
song-thaek.html?smid=fb-nytimes&smtyp=cur&_r=0
28
Les assassinats politiques ont un véritable but d’intimidation : on cherche à donner
une leçon, dans une optique de « rééducation révolutionnaire. » 69 En réponse à
l’instabilité, le régime nord-coréen « fait donc monter les tensions militaires dans la
péninsule afin de montrer qu’il n’est pas aussi fragile que les autorités de Séoul ne le
pensent. »70 Cet aspect sera plus longuement étudié au sein du quatrième chapitre de
l’analyse. Au-delà de l’aspect militaire, le régime s’appuie également sur la
Constitution, qui permet de déterminer l’identité politique du régime.
Le pivot constitutionnel
Au sein d’un pays, la Constitution symbolise un « ensemble d’institutions et de
pratiques » qui déterminent l’identité d’un régime (...) Les liens identitaires indirects
avec la Constitution comprennent la résurrection des mythes fondateurs dans la quête
de légitimation d’une position stratégique contemporaine. »71 En Corée du Nord, la
Constitution représente comme ailleurs, un ensemble de valeurs et de règles morales
et législatives sur lesquelles s’appuie la légitimité du régime et contrairement à ce
qu’il serait tentant de conclure, « comme dans les Etats communistes et totalitaires,
les Constitutions ne sont pas nécessairement dépourvues de sens. »72 Néanmoins, en
Corée du Nord, la singularité de cette dernière est d’être « collectiviste, et ce de
manière coercitive. »73 En effet, de par sa nature politique totalitaire, la Constitution
nord-coréenne « ressemble souvent plus à un manifeste politique qu’à des règles de
gouvernement. »74 La distribution des compétences au sein du régime relève ainsi
plus de traditions que de règles constitutionnelles précises.
Distribution des compétences et bureaucratie
En Corée du Nord, le Parti du Travail de Corée ainsi que l’armée sont les deux
institutions fondamentales qui permettent d’assurer une certaine stabilité au sein du
régime, reposant majoritairement sur un système hiérarchique pyramidal. La lutte
généralement évoquée entre l’Etat et le parti politique dominant comme étant
constitutive du fonctionnement totalitaire, n’est pas présente en Corée du Nord.
69 JIN-SUNG Jang, Op.Cit., p. 174. 70 CHEONG Seong-Chang, Op. Cit., p. 65. 71 JORDAN Sara R. et ERIC C., Op. Cit., p. 588. 72 Ibid. p. 589. 73 Ibid. p. 592. 74 Ibid., p. 591.
29
L’Etat central, composé majoritairement du dirigeant principal et d’un corps d’élites,
au lieu de lutter contre le Parti du Travail de Corée et l’armée, se fonde sur ces deux
forces. Ils sont donc intrinsèquement liés, les deux derniers étant les instruments du
premier. « Le but des systèmes à parti unique n’est pas seulement de s’emparer de
l’appareil gouvernemental : il est aussi, par la nomination à tous les postes de
membres de parti, d’achever l’assimilation complète de l’Etat et du parti. »75 Le parti,
fondé par Kim Il-sung en 1946, monopolise la coercition et la violence au nom de
l’Etat et s’appuie sur des élites technocrates dont la nomination s’effectue sur une
base de cooptation. « Le Parti du travail de Corée est le seul parti légal au pouvoir
(...) l’ensemble de la population doit faire preuve d’une loyauté absolue à l’égard du
parti et de son leader. »76 Cela permet au dirigeant de s’assurer un environnement
politique stable et de se prémunir contre un éventuel coup d’Etat. Ces élites sont
nommées au niveau de l’armée, du parti mais également de la bureaucratie. « The
health of the overall economy is less important than the regime’s ability to bribe elite
supporters. »77
A la tête du régime se trouve le dirigeant principal, qui est à la fois à la tête de la
Commission de Défense Nationale (National Defense Commission) ainsi que le
Secrétaire Général du Parti du Travail de Corée (Korean Workers’ Party). Il est
également le commandant suprême du corps militaire nord-coréen, à savoir l’Armée
Populaire de Corée (Korean Popular Army). En termes de pouvoir décisionnel, la
Commission de Défense Nationale est l’organe possédant le plus haut pouvoir de
décision. « It is, in reality, the pinnacle of power within the DPRK. » 78 Avec le
Département Général du Personnel (General Staff Department), la Commission
participe à la coordination de l’armée nord-coréenne. Le contrôle de chaque branche
de l’armée appartient ensuite aux différents secteurs comme la Marine Populaire de
Corée (Korean People’s Navy Command) et la Force Aérienne Populaire de Corée
(Korean People’s Air and Air Defense Command) ainsi que d’autres structures
comme les bureaux et les unités opérationnelles de commandement.
75 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 150. 76 Ibid., p. 596. 77 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 60. 78 BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps
University Press, 2011, p. 103.
30
L’autorité administrative s’exerçant sur l’armée nord-coréenne émane
majoritairement du ministère des forces armées nord-coréennes. Le contrôle
politique de l’Armée Populaire de Corée s’effectue par le biais du parti mais
également, avec l’appui du Bureau Politique Général de l’Armée Populaire de Corée,
lui-même soumis à l’autorité de la Commission de Défense Nationale. Le Chef du
Département Général du Personnel commande quant à lui les forces armées terrestres
ainsi que les forces navales et aériennes. Le pouvoir principal est partagé, sur base de
la Constitution, entre trois instances majeures à savoir le Cabinet, l’Assemblée
Populaire Suprême et le Comité de la Défense Nationale. « Selon le chapitre 6, la
hiérarchie de l’Etat est la suivante : l’Assemblée populaire suprême est l’organe
suprême du pouvoir législatif et du pouvoir de l’Etat, le Président du Comité de la
Défense Nationale est le commandant suprême des forces armées, le Comité de la
Défense Nationale est l’organe suprême de l’armée et du pouvoir défensif, le Cabinet
est le pouvoir administratif suprême et l’Assemblée populaire locale est la branche
des affaires régionales. »79
Outre ces instances fondamentales qui se partagent le pouvoir, il existe également
d’autres structures. Les principales sont le Bureau Général de Reconnaissance
(Reconnaissance General Bureau) - plus généralement connu sous le nom de
« Bureau 121 » - et les unités de forces spéciales, à savoir en Corée du Nord le
« Light Infantry Training Guidance Bureau ». Enfin, le secteur dédié à la maîtrise des
technologies - « Information Warfare » - joue un rôle clé dans une optique à la fois
défensive et offensive de l’Etat. Le Bureau Général de Reconnaissance s’occupe
principalement de la gestion des opérations spéciales extérieures, des activités liées
au secteur de l’intelligence militaire ainsi que de la récolte d’informations relatives
aux tactiques stratégiques et de défense de la politique étrangère. De son côté, les
unités de forces spéciales - « Light Infantry Training Guidance Bureau » - sont
chargées des opérations de guerre en cas de conflits et du contrôle administratif des
unités telles que la Marine Populaire de Corée et la Force Aérienne Populaire de
Corée en temps de paix. Enfin, l’unité « Information Warfare » s’occupe
principalement de la maîtrise des nouvelles technologies, dans une optique militaire.
79 Ibid., p 594.
31
Concrètement, il s’agit pour le régime de maîtriser les techniques de ce que l’on
nomme aujourd’hui le « Cyber-Terrorisme ». « During the 1990s, the KPA identified
« electronic intelligence warfare » (EIW) as a new type of warfare, the essence of
which is the disruption or destruction of the opponent’s computer networks thus
paralyzing the enemy’s military command and control system. »80 Le régime se
présentant sous une forme très compartimentée, on constate également l’existence de
départements. C’est le cas notamment du Département de la Propagande et de
l’Agitation du Parti (DPA) ou encore du Département de l’Organisation et du
Conseil (DOC). Ce dernier possède le droit exclusif d’attribuer des postes au niveau
de la direction départementale et des institutions centrales, mais détient également le
pouvoir de nomination des généraux de l’armée. Ce département possède aussi un
droit absolu d’intervention concernant les tâches administratives de tout niveau.
Enfin, il est également en charge de la protection mais aussi de l’approvisionnement
du dirigeant. Il est également essentiel de souligner le rôle joué par la bureaucratie
nord-coréenne qui est considérée comme une institution politique à part entière voire
une extension du parti.
« Le Parti, l’armée et les bureaucrates se partagent les responsabilités en ce qui
concerne l’interprétation, la transmission et l’exécution des directives stratégiques
émanant de la direction, à l’instar d’autres nations ayant une tradition basée sur la
séparation des pouvoirs. » 81 Ces trois acteurs sont donc au cœur du processus
décisionnel. Par ailleurs, les divisions au sein des instances de pouvoir se traduisent
également au sein de la société, par le biais de catégories de citoyens. Ces dernières
structurent la vie et l’existence de la population jusque dans la sphère privée, en
instituant des fractures sociétales entre les citoyens. Le régime perpétue donc les
inégalités de statut en distinguant les citoyens en catégories spécifiques, sur base
d’un modèle héréditaire de castes, le Songbun, qui émerge dans les années 1950.
L’atomisation sociétale a donc bien lieu, non pas par le biais de la création d’une
masse populaire, mais sur base d’un système de catégorisation.
80 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 182. 81 JORDAN Sara R. et ERIC C. Op. Cit., pp. 597.
32
Ce système distingue cinq catégories majeures de citoyens qui s’appliquent à toute la
population : « All North Korean society is divided to five groups, from the best to the
worst : « special », « nucleus », « basic », « complex » and « hostile ». Previous
works usually mentioned three strata, because the existence of a « special » class was
largely unknown and the « complex » one was only introduced in the 2000s. »82 Le
Songbun contribue donc à la perpétuation des distinctions et des inégalités entre les
citoyens.
Ce que l’on cherche à construire, c’est une société atomisée par le biais de processus
de différenciation. « Les files d’attentes sont toutes organisées de façon identique en
Corée du Nord. Il existe trois sortes de panneaux indiquant quelle file prendre pour
les cadres, les militaires ou les simples citoyens. »83 La distribution des denrées
alimentaires qui, jusqu’en 1994 était majoritairement assurée par l’Etat par le biais
du Système de Distribution Publique, souligne l’impact de la catégorisation. En effet,
à l’époque, la taille de la ration reçue est une marque de classe sociale. Cette
catégorisation des citoyens influence la population de deux façons majeures. Dans un
premier temps, la perpétuation de différences entre les individus permet de minimiser
les risques de la formation d’une éventuelle coalition contre le pouvoir en place.
Dans un second temps, cette catégorisation exerce une influence psychologique
majeure sur la population, qui, associée aux techniques d’endoctrinement et de
propagande, permet d’assurer la loyauté citoyenne envers le régime. La capacité du
régime à pénétrer la société civile et la sphère privée indique sa dominante totalitaire.
« Totalitarian rule had an elective affinity with nationalism, and this state power
depended upon the ability to penetrate citizens’ daily activities and change them
from below. »84
82 « Songbun and the five castes of North Korea », NKNEWS, February 26th, 2015,
https://www.nknews.org/2015/02/songbun-and-the-five-castes-of-north-korea/ 83 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 73. 84 KANG Jin Woong, Op. Cit., p.2.
33
c) Aspects psychologiques : de la manipulation à la propagande,
instauration et maintien d’un climat de terreur
Les violences psychologiques et physiques peuvent être le vecteur de l’imposition
d’une autorité respectée et légitimée. Cette partie visera à souligner que la
mobilisation par un régime d’instruments psychologiques, peut constituer une
tactique propre au « regime survival ». En effet, les outils psychologiques permettent
de contrebalancer le poids militaire et idéologique supérieur d’un éventuel rival. De
plus, l’aspect psychologique s’inscrit dans la mobilisation de pratiques terroristes par
un Etat. A propos de la mobilisation de la terreur par les régimes totalitaires, Hannah
Arendt souligne la chose suivante : « les régimes totalitaires continuent à l’utiliser
même lorsque sont atteints ses objectifs psychologiques : sa véritable horreur est
qu’elle règne sur une population complètement soumise (...) La propagande n’est
qu’un des instruments (...) dont se sert le totalitarisme contre le monde non
totalitaire ; au contraire, la terreur est l’essence même de sa force de régime. »85
Par le biais de ces tactiques, le régime vise également à renforcer le mythe d’un Etat
fort et autonome. Ce que l’on vise par extension, ce sont les perceptions extérieures
du régime, par le biais des médias, afin également d’influencer les autres chefs d’Etat.
Renforcer l’image d’un Etat répressif vise à susciter la crainte à la table des
négociations, en influençant les perceptions des autres dirigeants. Ainsi que l’analyse
l’avait souligné au sein du premier chapitre, ce que les acteurs terroristes cherchent à
susciter dans un premier temps, c’est un impact psychologique et non à causer le plus
de victimes possibles. Afin d’étudier la question psychologique, l’analyse se
focalisera dans un premier temps sur la nature et le rôle de la propagande puis, dans
un second temps, elle s’attardera sur les manifestations de la violence physique.
85 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 69.
34
Propagande : la soumission populaire aux dogmes politiques
« Je n’avais connu jusque-là que loyauté envers le Leader suprême, croyant que
c’était la plus sublime émotion qu’un être humain puisse ressentir. »86
La propagande est un puissant instrument des régimes totalitaires. Cette dernière
permet un endoctrinement de la population, dans une optique de véritable guerre
psychologique. On cherche à couper la population de la véritable réalité en instaurant
une vérité construite, servant les principes du régime. Dans cette optique, la
propagande vise à mettre en place une véritable éducation idéologique populaire.
Dans le cas nord-coréen, la propagande a permis le développement au sein de la
population d’un sens de la loyauté poussé à l’extrême qui induit la notion de sacrifice
personnel ainsi de la dévotion envers le dirigeant et par extension, envers le régime.
« La caractéristique la plus importante de la société nord-coréenne est la pénétration
très profonde des mécanismes de contrôle étatique dans la vie la plus quotidienne des
gens ordinaires. »87 La propagande prône un culte de la personnalité massif autour du
dirigeant du régime. Au sein de son ouvrage autobiographique intitulé Cher Leader,
Jang Jin-Sung revient sur sa première rencontre avec Kim Jong-il.
Son récit démontre l’ampleur des discours de propagande, qui dressent un portrait
surhumain du dirigeant nord-coréen. « Je suis un peu déçu en voyant de près le Cher
Leader car j’ai plutôt affaire à un vieux monsieur qui ne ressemble en rien à l’image
si familière du leader du Peuple. »88 Après la mort de Kim Il-Sung, la poésie épique
devient le vecteur principal de la propagande du régime. A l’aide de slogans
politiques et de valeurs confucéennes, « propagandists have tried to create a
Weberian image of a charismatic leader. »89 Au-delà de la poésie, la propagande
passe également par les médias nord-coréens, ces derniers étant contrôlés par l’Etat.
86 JIN-SUNG Jang, Op. Cit.., p. 64. 87 HEO Man-Ho, « Contrôle social et changement politique dans les sociétés communistes
subsistantes : une application des cas Chinois et Est-Allemand à la Corée du Nord », Revue
internationale de politique comparée, 2002/3, Vol. 9, p. 451-475 DOI : 10.3917/ripc.093.0451, p. 472. 88 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 23. 89 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 18.
35
Elle revêt généralement la forme de slogans officiels ou de messages visant à
renforcer la confiance populaire dans la capacité du régime à s’auto-préserver. Mais
la propagande n’est pas uniquement concentrée autour du développement d’une
image charismatique du dirigeant car elle se destine également aux autres puissances.
En effet, elle tente notamment de renforcer les sentiments anti-américains au sein de
la population nord-coréenne, en s’appuyant massivement sur les souvenirs laissés par
la guerre de Corée. « Une telle propagande s’adresse toujours, à l’extérieur, qu’il
s’agisse de couches de la population nationale ou de pays étrangers. » 90 La
propagande implique qu’il est interdit de mentionner des informations sur le
dirigeant qui ne font pas partie des discours officiels. Par ailleurs, l’accès à internet
est formellement restreint à certaines élites, ce dernier étant considéré comme un
outil de propagande occidentale. Cette restriction s’applique également aux
téléphones et aux ordinateurs.
Il est également interdit de mentionner le mot « réforme » sous peine de répression,
ainsi que de se procurer l’accès aux médias occidentaux. C’est une véritable « media
blitzkrieg »91. Le régime tente en effet de minimiser l’influence des informations
extérieures, ces dernières constituant un risque de déstabilisation de la structure du
pays, ainsi qu’une diminution de la loyauté populaire à l’égard du régime. Au-delà
de la propagande, l’Etat nord-coréen a instauré un système répressif, passant
majoritairement par la violence physique. La propagande combinée à la violence
politique participe au maintien d’un climat de terreur, visant à assurer la survie de
l’Etat au niveau domestique.
Violence physique et restriction des libertés : « violent top-down domination of
society »92
La Corée du Nord s’inscrit dans une logique de régime totalitaire classique :
« totalitarian regimes punish disloyalty through torture, orchestrated disapperances,
exile to gulags, or execution »93: l’approche totalitaire classique met l’accent sur les
aspects les plus violents des régimes totalitaires, par le biais desquels s’exerce tout
l’arbitraire du pouvoir.
90 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 68. 91 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 176. 92 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 27. 93 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 56.
36
Ainsi, le régime mobilise le totalitarisme comme une technique gouvernementale,
induisant notamment la violence politique et le monopole de l’usage de la force. Les
tactiques s’étendent des exécutions sommaires et des assassinats politiques à la
torture ainsi qu’à la présence en Corée du Nord de camps de travail. Tout cela
s’inscrit dans un cadre oppressif semblant rendre impossible l’émergence de
stratégies insurrectionnelles. De ce fait, la mobilisation de pratiques barbares
constitue une caractéristique majeure des régimes totalitaires. En Corée du Nord, la
singularité de la répression politique est qu’elle revêt un caractère systématique.
Cette dernière se traduit sous plusieurs formes : des assassinats politiques aux camps
de travail, en passant par les humiliations et les exécutions publiques, qui ont pour
vocation d’éduquer la population, tout en évitant les éventuelles dissidences. « La
« rééducation révolutionnaire » englobe tous les avertissements et toutes les
punitions apparentées aux séances idéologiques, au travail forcé, à l’expulsion du
Parti, à la perte de son poste ou au bannissement. »94
La violence physique a donc un double rôle : celui de dissuader mais également,
celui de réprimer. « Les autorités nord-coréennes contrôlent toujours les éléments
dissidents par la coercition physique. »95 Ce que l’on vise dans un premier temps, ce
sont donc bien les esprits et la volonté des individus. Les exécutions publiques en
Corée du Nord ne sont pas réellement envisagées comme de simples punitions mais
plutôt comme « une méthode d’éducation morale, et aussi comme un outil de
propagande publique dans les luttes de pouvoir. »96 Ces exécutions publiques ont
donc pour but de réunir le plus de personnes possibles et s’inscrivent dans un schéma
psychologique similaire aux exécutions de l’Etat islamique. De son côté, la
répression de la dissidence est assurée par le Département de la sécurité d’Etat, fondé
en 1973. Ce dernier se base notamment sur les polices secrètes ainsi que des agents
de renseignements dont le but est d’assurer une surveillance accrue de la population.
La violence politique quant à elle, s’incarne au sein des slogans de propagande qui
sont omniprésents au sein de la société nord-coréenne.
94 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 174. 95 HEO Man-Ho, Op. Cit., p. 467. 96 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 87.
37
En décembre 2015, le pays diffusait plus de trois-cents nouveaux slogans de
propagande, qui viennent soutenir la puissance militaire du régime ainsi que la force
économique du pays, tout en insistant sur la promotion des valeurs nord-coréennes.
Parmi ces slogans figurait le suivant : « que nos ennemis osent envahir notre pays et
ils seront anéantis jusqu’au dernier d’entre eux ! ». La publication de ces slogans
permet au régime de s’assurer une certaine stabilité face aux influences extérieures
tout en renforçant la loyauté populaire. En 2015, lors d’une visite au musée de
Sinchon, Kim Jong-un a souligné la nécessité de renforcer l’éducation idéologique
pour ne jamais oublier « le fondement de la révolution nord-coréenne : l’anti-
impérialisme américain. »97 Enfin, au paroxysme de la violence politique se trouvent
les camps de travail, les « Nodong danryundae » ou « Kotbak », qui garantissent une
répression efficace mais qui causent également d’importants flux de réfugiés. Le plus
connu de ces camps est celui de Yodok, plusieurs fois dénoncé par Amnesty
International, en raison des conditions de détention. 98 Ces camps s’inspirent
notamment de mesures esclavagistes tout en soumettant les prisonniers à des
pratiques de torture, perpétrées par les gardes nord-coréens.
Ces camps, qui sont actifs depuis les années 1950 environ, sont également le lieu
d’exécutions publiques récurrentes. « Les assassinats (...) d’individus jugés hostiles
cherchent quant à eux à intimider selon la formule de Staline : « En frapper un pour
en éduquer cent. »99 Selon un témoignage d’un ancien prisonnier du camp Yodok,
« voir des gens mourir arrivait fréquemment (...) Je me chargeais d’enterrer les morts
(...) Après avoir reçu une ration supplémentaire pour ce travail, j’étais plutôt content
que triste. »100 De manière générale, le régime nord-coréen restreint les libertés
individuelles au maximum et bafoue les droits de l’homme. A ce sujet, il est
pratiquement impossible de connaître l’ampleur des abus tant le régime fait preuve
d’oppression et de mystère. Il est par ailleurs également défendu aux nord-coréens de
communiquer avec le monde extérieur.
97 « En visite au musée de Sinchon, Kim Jong Un plaide pour un renforcement de l’endoctrinement »,
Daily NK, 8 Avril 2015, http://www.dailynk.com/english/read.php?cataId=nk04003&num=13385 98 Annexe 3, p. 99. 99 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 28. 100 « Corée du Nord : des images satellite révèlent l’étendue de camps pour prisonniers politiques »,
Amnesty International, 3 Mai 2011, http://www.amnesty.fr/Informez-vous/Les-actus/Coree-du-Nord-
images-satellite-camps-prisonniers-politiques-2539
38
La violence physique mais également psychologique mobilisée par le régime nord-
coréen à l’encontre de sa population s’inscrit dans la logique de « regime survival »
mobilisée par le régime. « The ability to isolate its people and to monopolize the
information available to them is key to regime survival. »101 La violence politique
combinée à la terreur d’Etat, tente de briser toute tentative de résistance et ce par le
biais de plusieurs instruments comme la torture, l’élimination physique, l’humiliation
ou l’usage de camps. Selon Hannah Arendt, la terreur d’Etat revêt justement un
caractère particulier au sein des régimes totalitaires, puisqu’elle « consiste à semer
l’effroi dans l’ensemble de la population pour garantir par avance sa passivité. »102
Ainsi que l’analyse l’a souligné, plusieurs éléments domestiques contribuent à la
stabilité et à la survie du régime.
Dans un premier temps, l’idéologie constitue un point d’appui sur lequel se base
l’Etat afin d’assurer une certaine stabilité domestique. Dans un second temps,
l’isolationnisme dont fait preuve le pays ainsi que la transmission des prérogatives du
pouvoir de père en fils sont des éléments contribuant à renforcer la survie de l’Etat.
Par ailleurs, la manipulation des idées par le biais de l’endoctrinement, de la
propagande ainsi que de la terreur politique, permet d’accroître le caractère légitime
du régime, tout en mobilisant la violence physique afin de dissuader une éventuelle
résistance de se former, en réprimant les attitudes déviantes. A cet égard, la force
armée joue un rôle prépondérant, se constituant comme l’instrument ultime du
régime et visant à assurer répression et terreur au sein de la population. « La
répression et la coercition, conjuguées à l’endoctrinement démesuré d’une société
largement ignorante des réalités extérieures, ont forgé un véritable Etat-secte, dont la
survie est garantie par l’outrance de l’appareil militaire. » 103 Néanmoins, les
informations concernant les conditions de vie en Corée du Nord sont à considérer
avec prudence. En effet, une grande partie de ces informations émanant de
témoignages de réfugiés ayant fui le pays, leurs propos sont régulièrement remis en
cause.
101 « Why North Korea will stick around for a while », The Diplomat, August 25, 2014,
http://thediplomat.com/2014/08/why-north-korea-will-stick-around-for-a-while/ 102 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 296. 103 KLEN Michel, « Le jeu trouble de la Corée du Nord », Études, 2004/3, Tome 400, p. 312.
39
« Defectors have a clear interest in portraying the worst possible picture of the state
from which they defected. »104 Mais le pays ne peut cependant pas faire abstraction
des réalités internationales et des évolutions extérieures au régime. De plus, la
situation géopolitique du pays induit qu’il est au centre des tensions en Asie-
Pacifique, en ce qui concerne notamment les questions maritimes et territoriales.
Ainsi que l’étudiera le prochain chapitre, l’influence conséquente des Etats-Unis au
sein de la région et le poids considérable de la triade politique constituée par les
Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, sont des éléments qui contribuent à
influencer les tactiques de survie du régime, perçu comme « l’ultime fossile de l’ère
stalinienne. »105
104 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 122. 105 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 41.
41
Chapitre III - Relations extérieures : entre confrontation, compétition et
concertation
De par sa situation géographique avantageuse, la Corée du Nord possède une
certaine influence en Asie-Pacifique, notamment au niveau des questions maritimes
régionales. « La Corée est située au carrefour de puissances majeures (...) Depuis
toujours, sa survie dépend de sa capacité à s’insérer dans les bonnes grâces de ses
puissants voisins (...) pour se ménager une place spécifique qui permette de préserver
son autonomie politique et sa spécificité culturelle. »106 Malgré les faibles moyens
dont dispose le régime nord-coréen afin d’asseoir son influence sur la scène
internationale, ce dernier met en place des stratégies de négociation avec ses voisins,
essayant de tirer parti de ses alliances, tout en tirant avantage des éventuelles
disputes régionales. Les interactions en Asie-Pacifique s’inscrivent au sein d’un
complexe régional de sécurité, induisant pour les puissances régionales une certaine
tyrannie de la proximité, entretenue par la Corée du Nord.
A cet égard, le régime nord-coréen reste un enjeu régional majeur pour des
puissances comme la Chine, la Corée du Sud, le Japon et la Russie mais il constitue
aussi un enjeu qui dépasse le cadre régional, impliquant d’autres puissances comme
les Etats-Unis, avec lesquels Pyongyang entretient une relation basée sur la méfiance.
Ainsi que le soulignera l’analyse, les stratégies de la politique étrangère nord-
coréenne s’inscrivent dans une optique de survie du régime. « Depuis toujours, la
Corée n’a qu’un but : survivre à l’appétit de ses puissants voisins. »107 Après la
défaite du Japon en 1945, la Corée du Nord est libérée de son colonisateur japonais.
Mais rapidement, la présence soviétique en Corée du Nord et américaine au Sud
vient à nouveau bouleverser le territoire, en instaurant une véritable fracture
territoriale et idéologique. « La Corée du Nord, victime de sa position géographique
de tête de pont entre des espaces stratégiques, n’a jamais réussi à maîtriser son destin
historique. »108
106 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 41. 107 Ibid. 108 KLEN Michel, Op. Cit., p. 311.
42
Victime d’une longue occupation, suivie d’une guerre intercoréenne qui restera
gravée dans la mémoire des coréens – tant au Sud qu’au Nord -, la Corée du Nord a
connu une période de stabilisation, pouvant compter sur le soutien de son voisin
communiste, l’U.R.S.S. Mais cette période de répit politique sera bouleversée dans
les années 1990. A la sortie de la Guerre froide, l’Union Soviétique implose,
exposant la Corée du Nord aux influences extérieures. « The implosion of the USSR
and its satellites, German reunification, victory by the US-led forces in the Gulf War
compelled the Pyongyang regime to rely even more on autarky. » 109 Ces
transformations du système international ont conduit Pyongyang à adopter des
stratégies d’isolement international dans une optique de préservation, afin d’éviter un
phénomène de contagion, qui émanant de l’ancien Bloc soviétique, risquait de
bouleverser la stabilité du régime nord-coréen. A cet effet, le pays s’est
majoritairement basé sur sa force militaire comme levier diplomatique coercitif, tout
en adoptant certaines tactiques afin d’obtenir des concessions des puissances
extérieures. A travers l’étude des relations principales du pays, l’analyse mettra en
lumière les influences extérieures sur le régime nord-coréen ainsi que les enjeux que
ce dernier constitue au sein de l’Asie-Pacifique.
Dans un premier temps, l’analyse étudiera les relations unissant la Corée du Nord à
la Chine, dont les contacts oscillent entre concertation et divergence. Pour cela, la
réflexion se focalisera autour de certains aspects majeurs comme la relation
clientéliste entre les deux Etats, ainsi que l’impact de l’expansion économique et
militaire chinoise sur l’attitude nord-coréenne. Dans un second temps, la réflexion
sera axée autour des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Pour cela,
l’analyse étudiera une période allant de la présidence de George W. Bush à celle de
Barack Obama. Dans un troisième temps, cette étude s’attardera sur les relations
intercoréennes. Afin d’étudier les principales caractéristiques de ces dernières, les
différends territoriaux et idéologiques seront mis en lumière ainsi que les impacts des
politiques des gouvernements successifs à l’égard de la Corée du Nord.
109 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, « China’s Evolving Policy towards the Democratic People’s
Republic of Korea under Xi Jinping », Asian Studies Review, 2015, Vol. 39, No. 3, pp. 483–502,
http://dx.doi.org/10.1080/10357823.2015.1052778, p. 487.
43
Ce chapitre ne s’attachera pas à détailler les relations unissant Pyongyang avec
Moscou et Tokyo, préférant se focaliser sur les acteurs majeurs en présence, à savoir
la Chine, les Etats-Unis et la Corée du Sud.
a) Chine : l’instabilité relationnelle, entre concertation et divergence
Suite à la Guerre de Corée, la Chine a développé une relation de coopération avec la
Corée du Nord, ayant bien conscience que cette dernière constituait une barrière
contre l’influence américaine. Un effondrement du régime ou son occupation par les
Etats-Unis constituent deux scénarios hautement menaçants pour la Chine, qui
compte bien préserver son influence régionale, si ce n’est l’accroître. Dès 1958, la
Chine et la Corée du Nord signent un accord prévoyant l’établissement de rencontres
et de sommets entre les deux puissances. C’est un premier pas vers la mise en place
d’une relation privilégiant la coopération, sur fond de fermeté. Avec la chute de
l’U.R.S.S, la Corée du Nord renforce son engagement envers la Chine, sur laquelle le
régime compte depuis la Guerre de Corée. La Chine devient alors le premier
partenaire économique nord-coréen. Avec la chute du bloc soviétique, la Chine
dispose d’une influence conséquente sur la Corée du Nord. Quel que soit la période
historique, Pékin a toujours eu conscience de l’importance de la frontière commune
l’unissant au voisin nord-coréen. Cette frontière revêt un caractère dual, constituant à
la fois un atout défensif, mais également une menace. En effet, la Chine doit sans
cesse faire face à l’enjeu des réfugiés qui fuyant le territoire nord-coréen, viennent
s’établir en Chine.
Cette dernière doit également prendre en compte la progressive nucléarisation de la
Corée du Nord et inclure ces variables dans sa politique étrangère à l’égard de son
voisin instable. « Regional instability, influx of refugees, and the possible nuclear
repercussions that could be caused by the collapse of the Kim regime changed the
defining interest of China in North Korea to regime stability. »110 Avec le temps, la
Chine a donc développé des partenariats avec le régime nord-coréen, ce qui implique
une forte présence chinoise en Corée du Nord, en vertu notamment d’accords
commerciaux.
110 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 130.
44
Mais la politique chinoise envers le régime reste ambigüe, la Chine oscillant entre
conciliation et fermeté. « Chinese policy toward the DPRK (...) triangulates between
two strategic lodestars: setting DPRK policy such that PRC relations to the major
global powers are maintained and ensuring the stability of Pyongyang regime such
that the DPRK remains a sovereign state and buffer on the margins of China’s sphere
of influence. »111 A cet égard, la Chine doit souvent faire face au reproche que lui
adressent d’autres puissances, regardant le fait qu’elle ne se montre pas toujours
suffisamment sévère avec la Corée du Nord. Mais Pékin redoute qu’une position plus
stricte à l’encontre du régime nord-coréen ne contribue à la chute de ce dernier. Cette
crainte est constitutive des relations entre les deux Etats.
Une relation clientéliste : la crainte chinoise d’une déstabilisation du régime nord-
coréen
La priorité chinoise, c’est de protéger son territoire. En effet, la Chine craint de voir
son influence régionale diminuer, au détriment de sa propre sécurité nationale.
Aujourd’hui, les enjeux territoriaux fondamentaux pour cette dernière sont situés
majoritairement au niveau du Tibet et du Xinjiang, qui sont des territoires considérés
comme des zones tampons, constituant des enjeux majeurs face à des puissances
comme la Russie et l’Inde. Si la Chine parvient à contrôler ces zones stratégiques
ainsi que les évolutions du régime nord-coréen, elle se sentira plus en sécurité,
pouvant ainsi rester la puissance incontournable de la région. Une éventuelle
déstabilisation du régime constitue donc une menace majeure pour Pékin qui œuvre
afin de préserver une certaine stabilité de son voisin nord-coréen, tout en essayant
d’endiguer les progrès de son programme nucléaire. A cet égard, les sanctions
imposées par les Etats-Unis à la Corée du Nord en raison du développement d’un
programme nucléaire ont induit une dépendance économique accrue du régime à la
Chine, inscrivant cette relation dans un cadre clientéliste. D’où la conclusion d’un
accord économique et technique en 1996 entre les deux pays, concernant notamment
les denrées alimentaires, le pétrole et le charbon. Cette oscillation de la politique
chinoise envers la Corée du Nord est symbolisée par la politique du Président Hu
Jintao, dès 2002.
111 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 485.
45
« China’s leadership under Hu Jintao had established a DPRK strategy that
attempted to balance economic engagement to ensure regime stability with political
manoeuvring to manage regime behavior from within. » 112 La possibilité d’une
éventuelle réunification intercoréenne n’est pas sans risque pour la puissance
chinoise. En effet, un tel scénario comporte des risques majeurs pour la région. La
Chine, de par sa frontière commune avec le régime nord-coréen, a conscience qu’une
réunification du territoire coréen sous l’égide d’une entité politique unifiée,
constituerait une menace à la stabilité du régime chinois. « China’s top decision-
makers fear that serious overt pressure would risk starting a process of
destabilization leading to deteriorated conditions on the Korean Peninsula and
damage China’s security environment. »113
Ayant comme objectifs principaux de garantir le maintien de leurs intérêts en Asie-
Pacifique, les dirigeants chinois ne se montrent pas enclins à encourager un tel
processus politique et territorial. « First, it might precipitate a flood of North Korean
refugees into the country. Second, it would create turmoil at a moment when the
Chinese economy was growing rapidly. Thirdly, North Korea would probably be
absorbed by South Korea, with a real prospect that the unified Korea would be pro-
USA and host US troops. »114 « La Chine considère la Corée du Nord comme un
Etat-tampon qui disparaîtrait en cas de réunification, rendant éventuellement possible
l’avancée des troupes américaines stationnées au Sud de la péninsule vers les
frontières chinoises. »115 Ces multiples raisons expliquent le soutien dont fait preuve
le gouvernement chinois à l’égard du régime totalitaire. En revanche, cela n’a pas
empêché certaines périodes de tension entre les deux régimes. Par conséquent, à
maintes reprises, la Chine a décidé de suspendre les aides octroyées à la Corée du
Nord, en réponse à l’attitude du régime, notamment lors des négociations concernant
la question nucléaire. En effet, la nucléarisation nord-coréenne symbolise pour la
Chine une menace majeure, qui renvoie à sa crainte d’assister à la prolifération
nucléaire en Asie-Pacifique.
112 Ibid., p. 488. 113 Ibid., p. 484. 114 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 38. 115 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 49.
46
A cet égard, Pékin a tenté, et ce notamment depuis le début des années 2000, d’initier
un dialogue entre la Corée du Nord, les pays d’Asie-Pacifique et les Etats-Unis, en
vue d’une dénucléarisation mais surtout, afin d’empêcher une prolifération nucléaire
accrue. A cet effet, la Chine a constitué un moteur des négociations, en initiant les
fameux Pourparlers à six. En effet, la puissance chinoise a su amener la Corée du
Nord à la table des négociations. « La position de la Chine a toujours été explicite
quant à la dénucléarisation de la péninsule. Moteur des Pourparlers à six, la Chine a
accueilli à Pékin les six phases de négociations entre 2003 et 2009 (...) Fermeté et
négociations ont été les deux axes de la diplomatie chinoise vis-à-vis de la péninsule
coréenne. »116 Néanmoins, en 2010, l’incident lié à la navette Cheonan va susciter la
montée de tensions dans la péninsule coréenne.
Pendant cette crise, Pékin décide de soutenir explicitement la Corée du Nord, en
adoptant une position modérée à l’encontre de cette dernière. Néanmoins, cela
n’empêche pas à la Chine de réagir avec sévérité à certaines attitudes du régime
nord-coréen, notamment en 2013 suite au lancement d’un satellite par le régime. La
Chine a également adopté les résolutions 2087 et 2094 du Conseil de Sécurité des
Nations Unies qui ont condamné et sanctionné la Corée du Nord pour ses essais
nucléaires de 2012 et 2013. De son côté, l’actuel Président chinois Xi Jinping s’est
opposé au programme nucléaire nord-coréen. La Chine de Xi Jinping a eu tendance à
durcir ses positions vis-à-vis de la Corée du Nord, impliquant que Pékin n’allait pas
tolérer la nucléarisation de la péninsule coréenne. Cette approche s’est confirmée en
janvier 2016, suite au dernier essai nucléaire nord-coréen, face auquel la Chine a fait
preuve de son mécontentement.
Militarisation et orientation de la Chine vers un modèle économique libéral :
application du dilemme de sécurité
L’expansion économique et militaire de la Chine constitue un obstacle dans les
relations sino-nord-coréennes. En effet, alors qu’à la sortie de la Guerre froide, la
Chine constituait un allié idéologique majeur pour le régime nord-coréen, sa
conversion au capitalisme et son ouverture aux influences économiques libérales
extérieures, ont rapidement modifié les relations l’unissant à la Corée du Nord.
116 Ibid., p. 51.
47
« La Corée du Nord a rapidement compris que le temps de la Guerre froide était
révolu et qu’avec la conversion de Pékin au capitalisme, celui-ci avait remplacé
l’idéologie. »117 Avec le temps, l’influence chinoise s’est donc constituée comme une
menace à la survie du régime nord-coréen. La militarisation croissante de la Chine
vient également renforcer les préoccupations de la Corée du Nord, qui fait face à ce
que l’on nomme le dilemme de sécurité, entendu comme suit : « the situation that
states face when they arm themselves and in the process, threaten other states. »118
En développant son arsenal nucléaire tout en se dotant de capacités militaires accrues,
la Chine contribue à renforcer la méfiance de ses voisins, de la Russie au Japon, en
passant par la péninsule coréenne. Ce fameux dilemme de sécurité implique que se
sentant menacée par une entité disposant d’une puissance bien supérieure à la sienne,
la Corée du Nord applique des stratégies de diplomatie coercitive, associées à des
tactiques de contrainte. Dans cette optique, le régime compte obtenir certaines
concessions militaires, politiques et économiques.
Mais les stratégies nord-coréennes sont également mises à mal par les
rapprochements entre la Chine et deux puissances principales, à savoir les Etats-Unis
et la Corée du Sud. En effet, avec le temps, la Chine s’est rapprochée de la Corée du
Sud et ce notamment afin de constituer un contrepoids à l’influence japonaise dans la
région. A cet égard, les deux puissances ont conclu un accord en 1961, à savoir le
Traité d’amitié, d’assistance et de coopération mutuelle. Ces rapprochements entre
les deux puissances ne sont pas du goût de la Corée du Nord, qui voit dans ces
relations diplomatiques une menace au soutien que lui apporte la Chine. « South
Korean Chinese relations dwarf North Korea’s relations with its closest « ally ». »119
En 1991, lorsque la Chine ne s’oppose pas à l’entrée de la Corée du Sud aux Nations
Unies, c’est une trahison pour la Corée du Nord. En effet, cela implique la
reconnaissance de la Corée du Sud par la Chine, et de facto, de deux Corées
distinctes et légitimes.
117 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 43. 118 NAU Henry H., Perspectives On International Relations. Power, Institutions, Ideas, Third Edition,
Washington, CQ Press, 2012, p. 554. 119 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 131.
48
Dès 1992, l’établissement de liens diplomatiques officiels entre Pékin et Séoul
confirmera les rapprochements entre les deux puissances, sous le regard défavorable
du régime nord-coréen. Mais les rapprochements diplomatiques de la Chine n’ont
pas seulement concerné la Corée du Sud. En effet, la puissance asiatique a également
entrepris de renforcer ses liens diplomatiques avec les Etats-Unis dès les années 1970.
Les échanges entre la puissance américaine et Pékin ont fortement impacté les
relations sino-nord-coréennes, en favorisant un rapprochement entre la Russie et la
Corée du Nord. « This rapprochement further drives the DPRK toward its military
and economic patrons in Moscow. »120 En effet, lors des périodes de tension avec la
Chine, c’est vers la Russie que se tourne le régime nord-coréen et inversement, lors
des périodes de tensions avec la Russie. Néanmoins, les attitudes américaines et
japonaises visant à endiguer la montée de l’influence chinoise en Asie-Pacifique,
rendent la Chine méfiante à l’égard de ces puissances. A cet égard, « the Xi
leadership will not likely join them in their efforts to actively thwart DPRK nuclear
ambitions. »121
La relation entre la Corée du Nord et la Chine reste donc relativement ambivalente.
En effet, d’un côté la Corée du Nord a besoin de la Chine et de sa protection
diplomatique afin d’assurer sa survie et de l’autre côté, le régime a constaté qu’il est
devenu un instrument permettant aux dirigeants chinois d’accroître leur influence et
leur présence au sein de la région. « Loin de considérations idéologiques ou
historiques, la relation entre la Chine et la Corée du Nord est marquée par le
pragmatisme, tandis que chacun semble être l’otage de l’autre. »122 Au final, la Chine
risque d’être confrontée à un dilemme : soit elle devra choisir de renforcer ses liens
avec la Corée du Nord, soit elle devra envisager un affaiblissement des relations avec
cette dernière, afin d’accroître les liens diplomatiques avec les Etats-Unis. Ces
dernières années, les relations entre les deux pays ont surtout revêtu un caractère
économique et commercial plutôt qu’idéologique et militaire. « Pékin n’influence
pas directement Pyongyang, mais façonne un cadre d’évolution. »123 Pyongyang et
Pékin ne perçoivent pas les transformations de l’ordre mondial de la même façon.
120 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 486. 121 Ibid., p. 497. 122 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 50. 123 GODEMENT François, « Situation géopolitique de la péninsule coréenne », Hérodote 2011/2, No.
141, pp. 7-16 DOI 10.3917/her.141.0007, p. 13.
49
Alors que pour la Chine, ce dernier constitue un ensemble d’opportunités pour son
expansion, pour la Corée du Nord, « le nouvel ordre mondial est (...) une menace
potentielle fondamentale, touchant à son existence même. »124 Bien que les éléments
étant perçus comme des menaces à la survie du régime soient de natures diverses, la
menace principale à la survie du régime reste, dans l’optique des nord-coréens,
l’influence américaine en Asie-Pacifique.
b) Etats-Unis : la crainte de l’ingérence américaine (de George W. Bush à
Barack Obama)
Ainsi que l’analyse le soulignera, les relations unissant les Etats-Unis à la Corée du
Nord s’établissent dans un cadre de méfiance réciproque, au sein duquel le blocage
n’émane pas toujours de la Corée du Nord. Dans ses relations avec les Etats-Unis, la
Corée du Nord mobilise principalement des tactiques de marchandage, visant à
obtenir des concessions de la part de Washington : « The foreign policy of North
Korea towards the USA can be interpreted in terms of bargaining between a weak
power, North Korea, and a superpower, the USA. »125 Marquée par les souvenirs liés
à la Guerre de Corée, la relation entre les deux puissances connaît bien souvent des
heurts et des périodes de tension conséquentes. Etant donné l’importance des
mémoires liées à la guerre, les dirigeants nord-coréens cultivent à l’égard de la
puissance américaine, un sentiment de répulsion qu’ils insufflent à la population, par
le biais d’un puissant vecteur : l’idéologie.
Les tactiques de survie du régime nord-coréen impliquent une résistance face à ce
qui est perçu comme une influence impérialiste nocive. « Let’s Hack American
Imperialism into Pieces. »126 En effet, la Guerre de Corée et ses mémoires ont
contribué à ériger un sentiment nationaliste anti-américain et ce notamment à cause
de la mobilisation d’armes bactériologiques et chimiques par les Etats-Unis contre la
Corée du Nord pendant le conflit. « The collective memory of incidents has shaped
people’s aggressive and militant views of the American enemy. »127
124 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 44. 125 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 2. 126 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 12. 127 Ibid., p. 10.
50
Les Etats-Unis sont depuis lors perçus comme un ennemi mortel pour la nation et
sont l’objet d’une haine extrême. « Americans were always regarded as Satan while
North Koreans were seen as innocent young lambs. » 128 Les traumatismes
psychologiques liés à la Guerre de Corée ont donc contribué à l’émergence de
stratégies politiques visant à assurer la survie du régime face aux menaces
extérieures. Du côté américain, la politique envers la Corée du Nord a connu
quelques évolutions.
La rhétorique néo-conservatrice sous George W. Bush et son impact sur les
relations entre les deux pays
Avec l’arrivée de George W. Bush au pouvoir, une rupture avec la politique menée
par Bill Clinton va s’instaurer, dans une optique de changement, malgré la continuité
initiale entre les deux administrations à l’égard de Pyongyang. Les tentatives de
normalisation entreprises par l’administration Clinton ont eu tendance à s’essouffler.
Sous Bill Clinton, l’approche privilégiée était basée sur la négociation, plutôt que sur
la coercition. A cet effet, le 17 octobre 1994, les Etats-Unis et la Corée du Nord
concluent l’accord cadre de Genève, concernant la question nucléaire. Ce dernier
prévoyait notamment la mise en place de la Korean Peninsula Energy Development
Organization (KEDO), et l’installation de réacteurs à eau légère en Corée du Nord.
Cet accord constitue une victoire pour le régime nord-coréen puisqu’il implique sa
reconnaissance en tant qu’Etat indépendant et souverain par les Etats-Unis, ce qui
induit une légitimité accrue de ses revendications. Mais cet accord montrera
rapidement certaines limites, l’optique de normalisation s’amenuisant. « It was
President Clinton who erroneously accepted North Korea’s proclaimed rhetoric that
the pending threat of the United States and the armistice agreements are responsible
for the North Korean nuclear problem. »129 C’est dans une optique de fermeté que va
s’inscrire la politique de l’administration suivante sous George W. Bush, en réponse
à une période de concessions initiée par Bill Clinton.
128 Ibid., p. 14. 129 SEONGWHUM Cheon, « The ROK – U.S. Military Alliance: Transformation and Change », in
BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps
University Press, 2011, p. 68.
51
Dès 1988, la Corée du Nord avait été ajoutée à la liste des Etats « sponsors » du
terrorisme par les Etats-Unis, suite au bombardement de la Corée du Sud en 1987.
Depuis les années 1980, les Etats-Unis mobilisent une certaine politique de pression
à l’encontre du régime. « Fear of U.S intervention within North Korean borders
replaced fear of an actual military strike. »130 Cela n’empêche pas la mise en place de
la « Modest Initiative » en 1988, qui prévoyait un allègement du blocus commercial
mis en place sous Bill Clinton, facilitant ainsi les transferts d’aides humanitaires. Au-
delà de l’image de « l’Etat failli », la Corée du Nord a été inscrite en 2002 sur la liste
des puissances considérées comme des « Etats Voyous » par le Président Georges W.
Bush, suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’implication du pays dans
plusieurs incidents en Asie-Pacifique. Les attentats marquent une rupture avec la
modération initiale de l’administration Bush à l’égard de la Corée du Nord.
L’administration construit alors un discours anti-terrorisme basé notamment sur le
fameux « axe du mal », qui regroupe d’autres pays comme l’Iran et l’Irak de Saddam
Hussein, au sein du discours sur l’état de l’Union de 2002.
Ces puissances sont alors catégorisées car soupçonnées de soutenir des mouvements
terroristes, de posséder des armes de destruction massive et d’élaborer des armes
nucléaires en bafouant l’éthique des Traités internationaux liés à la politique de non-
prolifération. « Pyongyang believes that the US government in general and the Bush
administration in particular, are not trustworthy. When President Bush labelled the
NK a « rogue state » and included it in the « axis of evil » (...) Pyongyang expressed
deep resentment and disbelief (...) Pyongyang interpreted its inclusion in the « axis of
evil » as the expression of Bush’s will to force the North Korean leadership into
disintegration and eventually to force a regime change. »131 Par la suite, en 2005, la
Corée du Nord est à nouveau pointée du doigt au sein du discours de Condoleezza
Rice, alors Conseillère à la sécurité nationale des Etats-Unis. Dans son discours,
cette dernière se focalise sur ce qu’elle nomme « l’avant-poste de la tyrannie ». Cette
rhétorique vise plusieurs pays mis en cause de par leur régime politique, jugé
incompatible avec les valeurs occidentales.
130 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 126. 131 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 44.
52
En revanche, cette fois, les accusations ne concernent ni les armes nucléaires et de
destruction massive, ni les suspicions de la communauté internationale concernant
d’éventuels soutiens à des mouvements terroristes. C’est le régime politique interne
des pays mentionnés qui est désapprouvé. Cette rhétorique a fortement contribué à
renforcer le sentiment nationaliste anti-américain en Corée du Nord, sur fond de crise
alimentaire et économique. « L’opacité nord-coréenne s’est renforcée après le
discours sur « l’axe du mal ». »132 L’agressivité des décideurs américains sous cette
administration a participé au retranchement du régime nord-coréen, se sentant pris au
piège dans un environnement de plus en plus hostile. Les discours américains ont
donc à cette époque « conduit le régime à s’enfermer et à rester en état d’alerte totale
contre le monde extérieur. »133
Enfin, il faudra noter que pour le régime nord-coréen, cette rhétorique a contribué à
exposer la Corée du Nord à des attaques préemptives, conduisant le régime à
demander une assurance américaine qui prendrait la forme d’un traité de non-
agression. En 2008, les Etats-Unis annoncent officiellement le retrait de la Corée du
Nord de la liste des pays considérés comme faisant partie de « l’axe du mal ».
Pourtant, deux jours auparavant, les inspecteurs de l’Agence Internationale de
l’Energie Atomique (AIEA) s’étaient heurtés au refus nord-coréen, concernant la
poursuite des inspections en Corée du Nord. Bien loin de poursuivre le
démantèlement de Yongbyon, Pyongyang avait relancé les installations nucléaires. A
l’époque, Georges W. Bush est alors en fin de mandat et l’on constate un
assouplissement de sa politique vis-à-vis du régime nord-coréen, sans pour autant
occulter la méfiance à l’égard de ce dernier. Il faut toutefois noter que ce retrait
officiel n’est pas sans compter sur un compromis entre les deux Etats.
132 COURMONT Barthélémy, « La stratégie du flou de Pyongyang », Revue internationale et
stratégique, 2005/4, No. 60, p. 9-18 DOI : 10.3917/ris.060.0009, p. 11. 133 CHUN Kwang-Ho, « Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du
Nord et de la sécurité en Asie du Nord-Est », Revue internationale de politique comparée, 2012/3,
Vol. 19, p. 169-191 DOI : 10.3917/ripc.193.0169, p. 185.
53
« La secrétaire d’Etat américaine a annulé la mention de la Corée du Nord en tant
qu’Etat encourageant le terrorisme (...) Cette décision a été prise parce qu’un accord
sur des procédures de vérification du programme nucléaire nord-coréen a été trouvé
entre les six pays impliqués dans les pourparlers (Etats-Unis, Chine, Japon, Russie,
Corée du Sud et du Nord). » 134 Par ailleurs, les guerres menées en Irak et en
Afghanistan par les Etats-Unis n’ont pas laissé le régime nord-coréen indifférent.
« The invasions of Afghanistan and Iraq and the subsequent removal of their
respective leaders sent shudders down the spine of other authoritarian leaders. »135
La crainte majeure du régime nord-coréen était que les Etats-Unis cherchent à
imposer une certaine dynamique de changement en Corée du Nord, dans une
perspective similaire à ce qui avait été appliqué en Irak et en Afghanistan. Suite à ces
conflits, Pyongyang a radicalisé sa position face aux Etats-Unis, rendant les
négociations entre les deux puissances plus ardues. « The situation in Iraq affected
the leverage of the USA to negotiate with Iran, Libya and North Korea. »136 Les
convictions des dirigeants nord-coréens à poursuivre un programme nucléaire ont
donc été renforcées par l’interventionnisme américain au Moyen-Orient.
Barack Obama : entre patience et sanctions
Sous Barack Obama, la doctrine américaine à l’égard de la Corée du Nord va
connaître certaines évolutions. Ce dernier va adopter la politique dite de la « strategic
patience »137 Pendant sa campagne présidentielle, ce dernier a mis en avant une
rhétorique plus conciliante que son prédécesseur, ce qui a poussé la Corée du Nord à
espérer plus de flexibilité de la part des Etats-Unis, notamment sur la question du
développement d’un programme nucléaire. Rapidement, les espoirs nord-coréens
seront déçus: « Instead of initiating direct talks with Pyongyang, the Obama team
spent the first few months in office reviewing the Bush administration’s
approach. »138
134 « La Corée du Nord quitte l’« axe du mal », Le Figaro en ligne, 11 octobre 2008,
http://www.lefigaro.fr/international/2008/10/11/01003-20081011ARTFIG00540-la-coree-du-nord-
quitte-l-axe-du-mal-.php 135 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 134-135. 136 Ibid., p. 54. 137 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 495. 138 LEE Seung-Keun, « La crise nucléaire nord-coréenne : le bilan et la résolution », Hérodote 2011/2,
No. 141, p. 34-46 DOI 10.3917/her.141.0034, p. 110.
54
Le ton conciliant de l’administration d’Obama a rapidement évolué vers une
rhétorique plus sévère, notamment basée sur les sanctions et ce à cause de l’envoi par
la Corée du Nord d’un satellite de communication, peu avant la déclaration de
Prague de Barack Obama en 2009. Ce dernier réagit fermement en affirmant sa
désapprobation à l’encontre du régime et en insistant sur la nécessité de condamner
fermement cette action. L’écart entre les attentes du régime nord-coréen et la réalité a
contribué à renforcer le sentiment de frustration du régime, tout comme l’attitude de
Washington, perçue comme agressive par Pyongyang. Actuellement, un des
principaux obstacles à la normalisation des relations entre les deux pays reste l’enjeu
du nucléaire nord-coréen. Cet enjeu est inscrit au sein d’un cercle vicieux, qui
semble jusqu’ici rester sans issue. « Les Etats-Unis refusent de donner des garanties
de sécurité à la Corée du Nord jusqu’à ce que cette dernière ait prouvé que son
programme d’armement a bien été démantelé. La Corée du Nord refuse de désarmer
sans que les Etats-Unis ne lui aient accordé de garanties de sécurité. »139
Ce dont la Corée du Nord a besoin aujourd’hui vis-à-vis des Etats-Unis, c’est une
garantie de sécurité, un traité établissant que la puissance s’engage à ne pas agresser
Pyongyang. Mais les Etats-Unis ne l’entendent pas de cette oreille, étant donné les
intérêts stratégiques présents au cœur de la région. Pour la puissance américaine,
l’enjeu est de continuer à asseoir son influence au sein de la région, en s’appropriant
notamment les lignes de communication maritime. Cette quête pour la puissance
renforce les perceptions nord-coréennes d’une influence capitaliste et impérialiste, ce
qui n’aide pas à améliorer les relations entre les deux entités. Les Etats-Unis peuvent
néanmoins compter sur la Chine afin d’assurer la stabilité du régime nord-coréen,
étant donné leur intérêt commun à éviter un effondrement de ce dernier, ainsi que la
prolifération nucléaire à d’autres pays comme le Japon ou la Corée du Sud. Force est
de constater que malgré certaines différences entre les administrations, les lignes de
force de la diplomatie américaine envers la Corée du Nord sont restées similaires, se
basant notamment sur les incitations à abroger le programme nucléaire nord-coréen.
139 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste » Op. Cit., p. 48.
55
« Washington’s solution has remained fundamentally unaltered since 1992, except
for tactical differences between the Clinton and Bush administrations. »140 Dans
l’esprit des dirigeants nord-coréens, les Etats-Unis restent donc le symbole d’un
système capitaliste et consumériste corrompu. Dans une optique similaire,
l’ouverture de la Corée du Sud au commerce mondial ainsi que son développement
économique ces dernières décennies, sont des éléments impliquant que Pyongyang
développe une méfiance croissante à l’égard de son voisin du Sud. Dans une
perspective de survie, le régime nord-coréen tente de se préserver de l’influence
américaine. A cet égard, la Corée du Sud est bien souvent associée aux stratégies
d’hégémonie américaine dans l’esprit des nord-coréens. Les citoyens sud-coréens
sont considérés par leurs voisins du Nord comme citoyens de seconde zone et la
politique nord-coréenne à l’égard de la Corée du Sud est basée sur un dénigrement
permanent : « South Korea was always America’s puppet. »141
c) Corée du Sud : les fractures territoriales et idéologiques
Les relations entre les deux Corées sont particulièrement marquées par la Guerre de
Corée. Etant donné que l’Armistice conclu en 1953 n’a pas été suivi par un Traité de
paix, les deux pays sont aujourd’hui officiellement encore en guerre. Instaurée le 27
juillet 1953, la « Joint Security Area », à savoir la zone coréenne démilitarisée,
constitue le seul point de rencontre sur la frontière entre les deux Etats et reflète les
périodes de tension et d’accalmie entre les deux territoires. En 2015, lorsqu’une
explosion blesse deux soldats sud-coréens dans cette zone, la Corée du Sud avait
réagi en diffusant des messages sonores de propagande à la frontière. Depuis la
Guerre de Corée, la Corée du Nord n’a eu de cesse de se montrer agressive à
l’encontre de son voisin du Sud, en mobilisant des tactiques militaires variées.
Néanmoins, en 1972, les deux Corées font un pas l’une vers l’autre et signent une
déclaration commune qui œuvre dans l’optique d’une réunification future.
140 QUINONES Kenneth C., « Reconciling Nuclear Standoff and Economic Shortfalls: Pyongyang’s
Perspective », in KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, North Korea. The Politics of Regime Survival,
New-York, East Gate Book, 2006, p. 76. 141 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 14.
56
Cette déclaration cherchait à promouvoir les principes d’indépendance mais
également de paix et d’union nationale, dans un véritable but de détente militaire
entre les deux pays. Par ailleurs, cette déclaration a instauré un Comité de
coordination Nord-Sud. En 1991, les deux Corées signent un accord de réconciliation,
de non-agression, d’échange et de coopération dit « Accord de base intercoréen »,
qui réaffirme les lignes de l’accord de 1972 en créant notamment une Commission
militaire conjointe. Mais ces accords vont rapidement s’essouffler, étant donné que
« le Nord ne voulait pas se sentir lié par un accord instaurant une coexistence
pacifique entre les deux Corées. »142 Aujourd’hui, les attitudes du régime nord-
coréen à l’égard de son voisin du Sud trouvent notamment leur origine dans la
crainte du régime à être absorbé par la Corée du Sud. Le climat est caractérisé par
une méfiance généralisée, qui induit que les relations intercoréennes sont
entrecoupées par des périodes de crise et de stabilité et ce malgré un certain désir
d’unité nationale au niveau sud-coréen. Aujourd’hui, ce qui pousse la Corée du Nord
à chercher la coopération avec le Sud, ce sont surtout les nécessités économiques.
Mais les dynamiques sont susceptibles d’être modifiées, étant donné la faiblesse
militaire relative de la Corée du Sud, qui compte majoritairement sur l’appui
américain pour assurer sa propre défense.
Différends territoriaux et idéologiques : un obstacle à l’entente
La Corée du Sud doit régulièrement faire face aux stratégies de provocation de son
voisin, dont elle subit la tyrannie de la proximité. Malgré un socle identitaire
commun, les différences sociales et culturelles se sont creusées avec le temps, étant
donné les influences différentes auxquelles les deux territoires ont été soumis, mais
également à cause de l’évolution très différente entre les deux régimes et ce malgré
la persistance de similarités dans certains domaines. Ce qui sépare les deux territoires
est donc une véritable « clôture idéologique. »143
142 PERON-DOISE Marianne, « Enjeux de sécurité et mise en place de mesures de confiance autour
de la péninsule Coréenne », Revue internationale et stratégique, 2001/4, No. 44, pp. 127-136 DOI :
10.3917/ris.044.0127, p. 128. 143 KLEN Michel, Op. Cit., p. 311.
57
« The zero-sum game in government to government meetings remains a central
characteristic in inter-Korean relations (...) Fearing the superior diplomatic economic
advances of the ROK, North Korea has chosen to develop a coercive diplomacy to
counter considerable ROK strengths. »144 La Corée du Nord a par ailleurs pendant
longtemps pratiqué une stratégie dite de l’encerclement qui se basait sur la
normalisation des relations avec les Etats-Unis et le Japon et l’établissement de liens
amicaux avec la Russie et la Chine, dans une optique d’isolement de la Corée du Sud.
De par son positionnement géographique stratégique, qui repose notamment sur son
accès à l’espace maritime, la Corée du Nord est au cœur des rivalités territoriales en
Asie-Pacifique et notamment en Mer Jaune et en Mer du Japon. Chaque Corée
s’estimant comme « la Corée légitime de la péninsule »145, les différends touchant à
des questions de souveraineté maritime s’ajoutent aux divergences du même ordre
impliquant le Japon, la Chine ainsi que d’autres puissances comme le Vietnam.
« The ROK islands and surrounding seas targeted by the North lie just off the North
Korean coast but are relatively distant from the South Korean mainland. »146
144 COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence, Provocations and the Northern
Limit Line », in BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico,
Marine Corps University Press, 2011, p. 14. 145 GELEZEAU Valérie, Espoirs et désillusions de la décennie du « rayon de soleil », Critique
internationale, 2010/4, No. 49, pp. 9-20. DOI 10.3917/crii.049.0009, p. 11. 146 LEE Seung-Keun, Op. Cit., p. 112.
58
Ainsi, la Corée du Nord réclame certains territoires comme les îles de Baengnyeong
et Daecheong, qui sont officiellement sous contrôle sud-coréen. L’archipel de
Yeonpyong est également au cœur des contestations. Situé en Mer Jaune, il est sous
contrôle sud-coréen, mais la Corée du Nord ne l’entend pas de cette façon. 147
Plusieurs tentatives ont été mises en place par la Corée du Sud, afin de pallier aux
différends territoriaux multiples entre les deux Corées. C’est notamment le cas de la
« Sunshine Policy », lancée par Kim Dae-Jung en 1998.
Les impacts de la « Sunshine Policy » sous Kim Dae-Jung et de la Trustpolitk de
Park Geun-hye
La « Sunshine Policy » ou politique du rayon de soleil dite de la « main tendue », se
basait notamment sur l’allocation conséquente d’aides alimentaires et énergétiques à
destination de la Corée du Nord. C’était une véritable politique de réunification du
territoire. Cette dernière prévoyait une aide presque inconditionnelle de la Corée du
Sud à son voisin du Nord. En 2000, Kim Dae-Jung effectue une visite à Pyongyang
dans le cadre du premier sommet intercoréen. Ce dernier va donner lieu à la
signature de la « déclaration conjointe pour la coexistence pacifique » au sein de
laquelle « les deux dirigeants s’engagèrent à travailler pour réaliser la réunification
de la péninsule de façon pacifique et réitérèrent leur volonté de poursuivre le
dialogue. » 148 Cette déclaration proposait notamment d’établir un modèle de
gouvernance commune, combinant confédération et fédération. A l’époque, Kim
Dae-Jung estimait que « si Séoul offrait des bénéfices économiques et agissait de
façon à éviter toute confrontation, la Corée du Nord accepterait d’apporter des
changements politiques, le régime ne se sentant plus menacé. »149 Cette politique va
donner lieu à plusieurs projets de coopération, sur base d’une véritable volonté de
construire une paix durable tout en songeant à l’éventualité d’une réunification sous
une identité politique unique.
147 Annexe 4, p. 100. 148 HARDY-CHARTRAND Benoît, « Rétablir la confiance sur la péninsule coréenne : le défi de Park
Geun- Hye », Monde chinois, 2013/2, No. 34, pp. 79-85 DOI 10.3917/mochi.034.0079, p. 80. 149 Ibid.
59
Mais ce dernier espoir sera finalement déçu, notamment à cause de la volonté nord-
coréenne d’achever une réunification selon ses propres conditions et sans
l’interférence des puissances étrangères, à savoir la réunification révolutionnaire,
politique formulée en 1964. Ce que souhaitait – et continue à espérer – le régime
nord-coréen, c’était un retrait des troupes américaines de Corée du Sud. En 2003,
Roh Moo-Hyun arrive au pouvoir et poursuit la politique entreprise sous son
prédécesseur en introduisant une variable, à savoir la politique de paix et de
prospérité. Le commerce va continuer à croître entre les deux pays et ce malgré
l’essai nucléaire de la Corée du Nord en 2006. 150 En 2007, le second sommet
intercoréen va se tenir à Pyongyang. Il donnera lieu à une deuxième déclaration
conjointe, permettant la mise en place de certains projets de coopération économique.
Les dirigeants des deux Etats se sont alors engagés à « promouvoir la paix et la
prospérité économique dans la péninsule. »151
La politique du rayon de soleil a néanmoins contribué à affaiblir la Corée du Sud en
réduisant ses capacités de réaction militaire face au régime nord-coréen. En 2008,
elle prend fin avec l’arrivée au pouvoir de Lee Myung-bak, issu du courant
conservateur sud-coréen, le Grand Parti National. Une nouvelle ligne politique plus
ferme émerge, basée sur le principe de réciprocité mutuelle. Toute volonté de
rapprochement va alors disparaître. L’impact économique sera considérable puisque
l’aide économique allouée par la Corée du Sud à la Corée du Nord passe de « 370
millions de dollars en 2007 à 45 millions en 2008, puis 1,9 million en 2009. »152 Lee
Myung-bak avait pour objectif de mettre fin au régime d’aide presque
inconditionnelle accordée jusqu’ici à la Corée du Nord par le Sud. Cette nouvelle
politique contribue à accroître les différends entre les deux Etats. Le paroxysme des
tensions est atteint en 2010 avec le torpillage de la navette sud-coréenne, le Cheonan
et le bombardement de l’île de Daeyeonpyeong par la Corée du Nord. La nouvelle
politique conservatrice initiée en 2008 par le courant conservateur contribue donc à
renforcer la position radicale du régime nord-coréen.
150 Annexe 5, p. 101. 151 DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée du Nord. Recompositions
territoriales dans la péninsule Coréenne et dynamiques régionales en Asie du Nord-Est », L’Espace
géographique, 2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 209. 152 HARDY-CHARTRAND Benoît, Op. Cit., p. 80.
60
En 2012, avec l’arrivée de Park Geun-hye au pouvoir, la politique sud-coréenne à
l’égard de son voisin s’assouplit. La Présidente souhaite tenir compte des échecs de
la « Sunshine Policy » ainsi que de la politique conservatrice de son prédécesseur.
Elle propose une nouvelle ligne politique, à savoir la « Trustpolitik ». Son objectif
est premièrement de rétablir la confiance entre les deux pays, en combinant
coopération et fermeté. C’est une politique de dissuasion. Mais cette dernière sera
mise à mal par l’essai nucléaire nord-coréen de 2013. Elue en 2012 à la tête du
régime sud-coréen, Park Geun-hye souhaite réinstaurer des dynamiques de confiance
entre les deux pays. En succédant à Lee Myung-bak, elle hérite des conséquences
d’une politique conservatrice, ayant contribué à radicaliser la position nord-coréenne.
La politique de la Présidente va ainsi allier « pragmatisme, flexibilité et ouverture,
tout en conservant la fermeté qui avait caractérisé son prédécesseur. »153 A la suite
du troisième essai nucléaire nord-coréen, cette politique est mise à mal. Cependant,
depuis 2013, la Corée du Nord a eu tendance à se montrer plus conciliante, ce qui a
notamment mené à la réouverture du complexe industriel nord-coréen de Kaesong.
Les relations économiques intercoréennes
Malgré les tensions politiques récurrentes entre les deux pays, ces derniers ne
rencontrent pas de frein majeur au développement des échanges économiques entre
eux. La Corée du Sud se démocratise rapidement dès les années 1980, ce qui mène à
une industrialisation croissante du pays. Dans les années 1990, la Corée du Sud
entreprend des rapprochements avec son voisin du Nord. Mais le développement
économique du Sud, qualifié de « miracle coréen », a contribué à accroître un fossé
entre les deux parties de la péninsule, rendant les relations encore plus complexes.
L’entrée progressive de la Corée du Sud au sein d’une économie ouverte et
capitaliste a orienté le pays vers un modèle basé sur la démocratie parlementaire,
alors que la Corée du Nord s’obstinait à conserver un système économique planifié,
tout en résistant aux influences capitalistes extérieures.
153 Ibid., p. 79.
61
Face à ce que la Corée du Nord percevait finalement comme une influence
américaine sur la Corée du Sud, la menace de la nucléarisation a constitué un
instrument majeur pour le régime nord-coréen, symbolisant un levier coercitif dans
ses pourparlers avec la Corée du Sud. Ce programme, comme il le sera étudié en
détails au sein du quatrième chapitre de l’analyse, est un vecteur permettant à la
Corée du Nord d’obtenir des concessions des autres puissances.
Malgré ces divergences, la Corée du Sud est aujourd’hui un partenaire économique
majeur pour la Corée du Nord. 154 En effet, alors que dans les années 1990, la part de
la Corée du Sud dans le commerce nord-coréen restait négligeable, elle était en 2009
d’environ 30% du commerce nord-coréen dans sa globalité. 155 De plus, la création
de Zones Economiques Spéciales ou « ZES » dès le début des années 1990 au niveau
de la frontière entre les deux Corées, a permis un développement économique majeur
pour la Corée du Nord. Par ailleurs, la Corée du Sud reste un soutien majeur en
termes d’aides alimentaires et économiques pour son voisin du nord.
Washington, Séoul et Tokyo : influence d’une triade
Les liens économiques et politiques entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon
sont conséquents. Ces derniers coopèrent sur une base triangulaire afin d’assurer une
certaine stabilité de la péninsule coréenne et par extension de l’Asie-Pacifique. En
1951, les Etats-Unis et le Japon signent un traité mutuel de sécurité et de défense.
Les Etats-Unis deviennent alors le garant de la sécurité du Japon face à la menace
nord-coréenne perçue par le Japon comme étant croissante. En 1960, les deux pays
signent le « US-Japan Treaty of Mutual Cooperation and Security » qui prévoit la
mise en place d’une collaboration approfondie au niveau sécuritaire et militaire entre
les deux pays, ayant des objectifs stratégiques communs comme la sécurisation des
voies de communication maritime ou l’adoption d’une certaine méfiance envers la
Chine, considérée par les deux pays comme une potentielle menace stratégique en
Asie-Pacifique. Du point de vue américain, les relations avec le Japon sont plus
stables qu’avec la Corée du Sud.
154 Annexe 6, p. 102. 155 GELEZEAU Valérie, Op. Cit., p. 12.
62
Néanmoins, cela n’empêche pas aux deux puissances de collaborer dans le domaine
sécuritaire et défensif. Un des principaux obstacles à la réconciliation entre la Corée
du Nord et la Corée du Sud reste la présence militaire des Etats-Unis en Asie-
Pacifique et plus particulièrement sur le territoire sud-coréen, qui a principalement
servi à empêcher une attaque du Nord sur le Sud. En 2008, les Etats-Unis et la Corée
du Sud mettent en place le « plan d’opération 5029 » qui prévoit un désarmement de
l’armée nord-coréenne en cas d’effondrement du régime. Les relations existantes
entre les deux pays sont perçues par le régime nord-coréen comme une menace à sa
survie politique. « Sur le plan militaire, malgré la fin de la Guerre froide, le régime
nord-coréen ressent toujours la présence des troupes américaines stationnées au Sud
de la DMZ et le parapluie nucléaire offert par les Etats-Unis à la Corée du Sud,
comme des menaces à sa sécurité. »156
Ce sentiment a été exacerbé par la mise en place d’exercices militaires conjoints dits
« Foal Eagle », revendiqués comme étant défensifs par la Corée du Sud et les Etats-
Unis, mais perçus comme offensifs par la Corée du Nord. En 1954, les deux alliés
ont signé un traité de défense mutuelle permettant un rapprochement des deux
nations. Il implique qu’en cas de guerre entre les deux Corées, les forces armées sud-
coréennes seraient sous commandement américain. Par ailleurs, en 2014, les Etats-
Unis et la Corée du Sud ont mené une opération militaire conjointe nommée « Ssang
Yong ». Cette dernière était un exercice militaire qui a contribué à renforcer la
perception de menaces extérieures par la Corée du Nord. « La menace nord-coréenne
permet aux autorités sud-coréennes de continuer à justifier une présence américaine
et le soutien diplomatique de Washington. »157 Néanmoins, la présence américaine
en Corée du Sud est ambivalente. Pour certains, elle contribue à freiner une
éventuelle réunification des deux Corées ainsi que l’amélioration des liens
diplomatiques entre les deux territoires alors que pour d’autres, cette présence est
essentielle contre les agressions nord-coréennes.158
156 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 47. 157 COURMONT Barthélémy, Op. Cit., p. 16. 158 Annexe 7, p. 103.
63
Du point de vu nord-coréen, ces exercices conjoints sont un véritable obstacle à un
rapprochement intercoréen. Aujourd’hui, Séoul reste fortement dépendante de
Washington. En effet, le parapluie nucléaire américain reste un atout sécuritaire
fondamental pour le régime sud-coréen. « L’alliance militaire avec Washington reste
donc au centre de la politique de défense du Séoul. »159 Néanmoins, au niveau
économique, la Corée du Sud tend à se rapprocher de la Chine. Du côté nord-coréen,
depuis l’arrivée de Kim Jong-un au pouvoir, il y a des rapprochements avec la Russie
et le Japon, couplés à des tentatives de négociation avec les Etats-Unis.
« Contrairement à Séoul, qui s’est cramponné à l’alliance américaine, tant
économique que politique, le Nord s’est adapté au rééquilibrage des puissances. »160
Malgré les bénéfices mutuels qu’apporte cette collaboration triangulaire, il faut
toutefois noter que les relations négatives entre la Corée du Sud et le Japon restent un
obstacle majeur à une éventuelle collaboration étendue entre les trois puissances. Le
véritable obstacle à la réconciliation intercoréenne restant la méfiance mutuelle. De
son côté, le régime nord-coréen perçoit les propositions de son voisin du Sud comme
« des stratégies trompeuses et empreintes de mauvaise foi, mais également comme
une source de danger pour le pays. » 161 Au niveau sud-coréen, les avancées
nucléaires de la Corée du Nord restent un frein majeur à une collaboration stable et
étendue. « La mentalité d’assiégé qui afflige Pyongyang constitue un obstacle de
taille à la normalisation des relations intercoréennes, puisqu’elle a pour effet de
mettre le régime sur un pied d’alerte, et place dès lors tout dialogue sur un terrain
instable. » 162 Les stratégies nord-coréennes contre la Corée du Sud sont
majoritairement basées sur du « bluff ». En effet, la Corée du Nord ne semble pas
avoir de véritable intention de provoquer un conflit armé avec la Corée du Sud, étant
donné qu’elle n’en a tout simplement pas les moyens sur la durée. De plus, un risque
majeur en cas de conflit intercoréen serait l’ingérence américaine qui viendrait
supporter le régime sud-coréen.
159 PERON-DOISE Marianne, Op. Cit., p. 132. 160 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 43. 161 Ibid., p. 56 162 Ibid.
64
Or, les dynamiques liées à la Guerre froide ne sont plus d’actualité, et la Corée du
Nord ne peut s’assurer avec certitude d’un éventuel soutien chinois en cas de conflit
avec la Corée du Sud. Ainsi, le réel but des stratégies de Pyongyang contre le régime
sud-coréen est la déstabilisation de ce dernier. « Cette attitude est secrètement
soutenue par Pékin qui verrait dans la réussite de cette politique un moyen de faire
reculer l’influence de l’Amérique et de son allié sud-coréen dans la zone. »163 Dans
cette optique, une éventuelle réunification pacifique reste peu probable. De plus, un
processus de rapprochement trop rapide des deux entités pourrait avoir un impact
négatif pour la Corée du Sud, qui devrait faire face à une crise économique majeure
ainsi qu’à un flux de réfugiés conséquent.
En Asie-Pacifique, le but des différentes puissances étudiées est basé sur un socle
commun : chacun souhaite maintenir la stabilité du régime nord-coréen, afin de
préserver la stabilité régionale dans son ensemble. Une déstabilisation régionale
impliquerait des bouleversements régionaux en termes d’influence politique,
économique et militaire. Or, chacun souhaite préserver son positionnement en Asie-
Pacifique. A cet égard, des puissances comme les Etats-Unis, la Corée du Sud et le
Japon se montrent généreuses en allouant des aides alimentaires et économiques au
régime nord-coréen, craignant une éventuelle déstabilisation de ce dernier, qui
pourrait mener, in fine, à son implosion. L’aide est donc en quelque sorte un moindre
mal, en comparaison à ce que pourrait engendrer une dislocation du régime. De son
côté, la Corée du Sud tente de promouvoir une certaine stabilité relationnelle avec
son voisin du nord, malgré les attitudes menaçantes de ce dernier. A ce jour, un
éventuel rapprochement en vue d’une réunification des deux Corées est un scénario
peu plausible à court terme. En effet, la Corée du Sud est effrayée à l’idée d’hériter
d’un territoire en retard au niveau économique, qui constituerait un fardeau trop
conséquent pour cette économie en expansion. Aujourd’hui, la Corée du Nord
comprend progressivement que sa survie ne peut plus dépendre de son attitude
autarcique sur la scène internationale.
163 KLEN Michel, Op. Cit., p. 316.
65
Le régime prend conscience qu’il devient essentiel d’établir des relations avec les
puissances extérieures, tout en envisageant la possibilité de faire des concessions :
cela devient une nécessité, étant donné que l’isolement dont le régime a fait preuve
jusqu’ici tend à se retourner contre les intérêts de ce dernier. Au sein de son ouvrage
intitulé Terrorism and collective responsibility164, Burleigh Wilkins estime qu’il peut
être légitime de viser des civils lorsque tous les recours légaux ont été épuisés. Ayant
conscience de ses moyens limités et de sa dépendance à l’égard de la communauté
internationale en ce qui concerne sa survie, le régime nord-coréen a probablement
conscience que les moyens légaux ne suffisent pas afin d’imposer ses
caractéristiques et son idéologie : la violence dirigée contre sa propre population
mais également ses tactiques de diplomatie coercitive apparaissent comme les
éléments du « dernier recours » qui visent à le crédibiliser sur la scène internationale.
Ainsi que l’analyse l’a démontré, la politique étrangère du régime nord-coréen se
base principalement sur la mobilisation de tactiques asymétriques, entendues comme
des moyens de lutte face à un adversaire jugé supérieur au niveau militaire,
technologique ou encore économique. « Utilisant des moyens techniquement simples,
l’asymétrie peut être assimilée à « l’arme du pauvre », dans la mesure où elle permet
à de multiples acteurs ne disposant que de moyens très limités d’avoir une capacité
de nuisance totalement disproportionnée. » 165 L’incarnation de ces tactiques
asymétriques se trouve dans le développement d’un programme nucléaire, qui est à
l’origine des tensions entre les puissances dont l’analyse a discuté et le régime nord-
coréen. Ainsi que l’étudiera le prochain chapitre, l’arme nucléaire constitue un levier
diplomatique conséquent qui s’inscrit en tant que stratégie asymétrique.
164 WILKINS Burleigh, Terrorism and collective responsibility, Routledge, 1992. 165 DAVID Charles-Philippes, GAGNON Benoît, Repenser le terrorisme : concepts, acteurs et
réponses, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2007, p. 70.
67
Chapitre IV – Etudes de cas périodiques : la question nucléaire
Ce chapitre permettra d’articuler deux dimensions. En effet, le développement d’un
programme nucléaire par la Corée du Nord, qui constitue l’outil majeur de ses
stratégies de survie, trouve ses causes dans des dynamiques à la fois internes et
externes au régime. Afin d’illustrer ces propos, la réflexion sera axée dans un
premier temps autour des négociations avec la Corée du Nord. Ce chapitre permettra
de s’intéresser à la question de la dissuasion nucléaire, en s’appuyant sur la théorie
de la « regime security strategy ». Dans un second temps, l’analyse sera focalisée sur
le retrait de la Corée du Nord du TNP et le lancement des Pourparlers à six. Dans un
troisième temps, la réflexion s’articulera autour des crises nucléaires de 2006 et 2009.
Enfin, les récentes tensions de 2016 seront abordées en guise d’ouverture.
Le programme nucléaire nord-coréen débute réellement dans les années 1950 avec
l’aide de la Chine et de l’U.R.S.S. En 1964, un centre de recherche nucléaire est mis
en place à Yongbyon, ce qui n’empêche pas la Corée du Nord de ratifier le TNP en
1985. Mais la fin de la Guerre froide, symbolisant pour le pays la nécessité de
développer certaines défenses afin de compenser la perte de ses soutiens majeurs, a
signifié pour la communauté internationale la nécessité de faire face à une première
crise concernant le programme nucléaire nord-coréen. « The end of the Cold War did
not stabilize the Korean Peninsula. Quite the contrary: « the loss of economic
assistance and a restraining hand from Moscow » led North Korea (…) to develop
nuclear weapons. » 166 En 1991, le régime effectue le lancement d’un missile
Taepodong-1 en Mer du Japon, ce qui engendre la tenue des Pourparlers à quatre
entre les Etats-Unis, la Chine, et les deux Corées. Ces deux dernières signeront la
« Joint Denuclearization Declaration ». Néanmoins, la Corée du Nord souhaitant le
retrait des troupes américaines de la Corée du Sud comme compensation à l’arrêt de
son programme nucléaire, de nouvelles tensions émergent rapidement dans la
péninsule.
166 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 76.
68
En 1993, le régime nord-coréen menace de quitter le TNP suite à la visite
d’inspecteurs de l’AIEA, mettant à jour des activités nucléaires suspectes, contraires
aux engagements liés au TNP. Les Nations Unies émettent alors la résolution 825 à
l’encontre du régime. A ce jour, le régime nord-coréen suscite les inquiétudes et
incite à envisager des tactiques de négociation alternatives.
a) Négocier avec le régime nord-coréen : dissuasion nucléaire,
« sanctuarisation agressive » et théorie de la « regime security strategy »
Ainsi que l’expliquait le précédent chapitre, la Corée du Nord est située au sein d’un
complexe régional de sécurité, impliquant que les pays d’Asie-Pacifique ne peuvent
résoudre les questions sécuritaires indépendamment les uns des autres. Cette
composition géopolitique permet au régime nord-coréen de mobiliser des stratégies
de « sanctuarisation agressive ». En mobilisant des procédés de ce type qui induisent
majoritairement des logiques propres au chantage nucléaire sur les autres puissances
régionales dans une optique officielle d’auto-défense et de survie, la Corée du Nord
renforce son inscription au sein de la théorie du « regime survival ».
Dissuasion nucléaire et « regime security strategy » : inscription dans la logique
du « regime survival »
Selon Matthew Beasley, afin que la théorie de la « regime security strategy »
s’applique, plusieurs critères doivent être constatés. En effet, le régime en question
doit être capable de posséder des armes nucléaires et doit se sentir isolé des autres
Etats. Enfin, il doit avoir peur pour sa survie, tant au niveau domestique
qu’international. 167 La question de la survie est donc au cœur du programme
nucléaire nord-coréen. Par ailleurs, Pyongyang mobilise la rhétorique de la défense
face aux influences et menaces extérieures afin de légitimer le développement d’un
tel programme aux yeux de sa population. Dans l’optique nord-coréenne, l’arme
nucléaire combinée aux forces militaires conventionnelles, est donc à la fois un outil
de défense et de dissuasion, permettant ainsi de prévenir une attaque avant qu’elle ne
soit mise à exécution. « Defense dissuades by presenting an unvanquishable military
force. Deterrence dissuades by presenting the certainty of retaliatory devastation. »168
167 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 22. 168 ART Robert J., « The Four Functions of Force », in ART Robert J., JERVIS Robert, International
Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009, p. 133.
69
A la fameuse logique du « expand to survive » vient alors se substituer celle que l’on
pourrait nommer « nuclearise to survive ». « In the context of deterrence, offensive
weapons are those that provide defense. »169 Par ailleurs, l’arme nucléaire constitue
un levier diplomatique au sein des processus de négociation. « Pyongyang has used
its nuclear weapons programme effectively as a source of leverage (...) to impose its
own terms on the negotiations. »170 Face à des Etats plus puissants, le développement
d’un programme nucléaire constitue donc une tactique de guerre asymétrique,
entendue comme « the exploitation of technology and psychology to target the
peripheral vulnerabilities of a larger foe. »171 Néanmoins, la théorie de la « regime
security strategy » doit être mobilisée avec prudence. « Regime security strategy
theory does not explain the early decision to embark on a nuclear development
program. »172 A elle seule, la théorie ne permet pas donc pas d’expliquer la mise en
place d’un programme nucléaire. En revanche, elle permet d’expliquer partiellement
la maintenance et la progression de ce dernier.
Les tactiques de négociation nord-coréennes : « Talk to me, I may go nuclear »173
Le Confucianisme, tel qu’il est présent en Chine, prône un évitement de la
confrontation directe et privilégie traditionnellement la voie du dialogue. En
revanche, la variante nord-coréenne implique un style de négociation particulier,
basé majoritairement sur la demande de concessions unilatérales de la part des autres
parties à la discussion. La Corée du Nord, de son côté, n’est pas opposée à une
éventuelle dénucléarisation de son territoire, à condition que cette dernière s’inscrive
dans un processus de dénucléarisation à l’échelle de la péninsule coréenne dans sa
totalité. Par ailleurs, Pyongyang insiste sur la nécessité de mettre fin aux exercices
militaires conjoints entre les Etats-Unis et la Corée du Sud.
169 JERVIS Robert, « Offense, Defense, and the Security Dilemma », in ART Robert J., JERVIS
Robert, International Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009,
p. 166. 170 HAGSTRÖM Linus, SÖDERBERG Marie, Op. Cit., p. 8. 171 NAU Henry H., Op. Cit., p. 543. 172 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 136. 173 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 218
70
Afin d’obtenir ce qu’il souhaite, le régime mobilise différentes tactiques de
négociation, comme la stratégie diplomatique de la « corde raide » ou
« brinkmanship strategy », lui permettant « d’aller aux limites du possible pour
prendre la position la plus favorable aux négociations. »174 En blâmant les autres
Etats prenant part aux discussions, la Corée du Nord va d’abord initier les
pourparlers, afin de prouver ses bonnes intentions. Par la suite, le régime insistera sur
la nécessité pour les autres parties de faire des concessions et terminera la discussion,
une fois qu’il aura obtenu le plus d’avantages possibles.175 Au final, ce que cherche
surtout le régime, ce sont des concessions, et non pas forcément atteindre un
quelconque accord. En effectuant ce qu’elle qualifie d’exercices de routine, la Corée
du Nord fait ainsi preuve « d’opportunisme tactique. »176 Face aux stratégies de
Pyongyang, la communauté internationale oscille entre l’adoption de mesures
coercitives et des outils plus pacifiques.
Les mesures adoptées contre Pyongyang : l’impact des sanctions
Depuis les premières périodes de tension suscitées par la Corée du Nord, de
multiples sanctions ont été adoptées à l’encontre du régime, qu’elles soient
unilatérales, multilatérales ou encore universelles. En 1993, la Chine s’oppose aux
sanctions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), estimant à l’époque que de
telles mesurent ne feraient que compliquer la situation et renforcer le régime dans
son attitude isolationniste. « Since 1994 China has said that it views coercive
strategies as counterproductive in gaining North Korea cooperation, fearing that such
strategies could prompt the regime to take desperate actions. »177 De son côté, Pékin
privilégie donc le dialogue et les négociations multilatérales avec Pyongyang. Cette
optique est notamment partagée par le Japon. En revanche, les Etats-Unis, et ce plus
particulièrement sous George W. Bush, favorisent une approche traditionnelle basée
sur la diplomatie coercitive, usant des sanctions. Or, cette stratégie a montré son
manque d’efficacité à l’encontre du régime.
174 LEE Seung-Keun, Op. Cit., p. 38. 175 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 766. 176 GODEMENT François, Op. Cit., p. 10. 177 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 131.
71
« Regime security theory suggests that coercive diplomacy, trade sanctions, limited
military actions and threats will be ineffective measures in preventing
proliferation. » 178 Les raisons majeures du manque d’efficacité des sanctions à
l’encontre du régime sont notamment liées au fait que ces dernières ont relativement
peu d’impacts sur les Etats dont les dirigeants sont prêts à accepter des risques
conséquents dans une optique de survie. « This approach is not effective against a
risk-acceptant adversary such as North Korea. »179 Par ailleurs, étant donné la nature
du régime et les attitudes dont ce dernier a fait preuve, il semble que les sanctions et
autres mesures coercitives adoptées à son encontre soient insuffisantes pour freiner
les ambitions du régime. « To paraphrase Clausewitz, the North Korean nuclear
program is the continuation of diplomatic negotiations by other means. »180
L’approche coercitive a surtout eu des conséquences humanitaires, tout en renforçant
l’agressivité de l’Etat. A cet égard, les tactiques mobilisées par Pyongyang sont une
réponse à la fois à des pressions domestiques et extérieures et garantissent une
certaine isolation, que les sanctions n’ont fait que pousser à l’extrême. « Isolation is a
necessity for regime survival and sanctions have proven to be nonlethal to the regime
for the past 60 years. In essence, the international « punishment » of « isolating
sanctions » is in fact what the regime seeks. »181 L’approche suivie par les Etats-Unis
semble donc avoir contribué à renforcer les attitudes de Pyongyang, sans permettre
une éventuelle progression sur la question nucléaire. De son côté, ce que souhaite la
Corée du Nord est relativement immuable. Au-delà de la dénucléarisation totale de la
péninsule et de l’arrêt des exercices militaires conjoints menés par Washington et
Séoul, le régime insiste sur la nécessité de conclure un pacte de non-agression
permettant le respect de sa souveraineté par les Etats-Unis. C’est donc une assurance
mutuelle basée sur la confiance et l’établissement d’un traité mettant officiellement
fin à la Guerre de Corée que réclame la Corée du Nord.182
178 Ibid., p. 145. 179 DONG Sun Lee, Op. Cit., p. 118. 180 JOO Hyung-min, « Deciphering What Pyongyang Wants », Problems of Post-Communism, Vol. 61,
No. 4, July-August 2014, pp. 23–35 DOI: 10.2753/PPC1075-8216610402, p. 27. 181 « Why North Korea Will Stick Around For a While », The Diplomat, August 25, 2014,
http://thediplomat.com/2014/08/why-north-korea-will-stick-around-for-a-while/ 182 Annexe 8, p. 104.
72
« Pyongyang advanced the idea that denuclearization should be contingent upon the
normalization of relations with the USA. »183 Mais de leur côté, les Etats-Unis
n’entendent pas accéder aux demandes nord-coréennes aussi facilement et insistent
auprès des autres puissances de la région, afin qu’elles prennent part aux actions
coercitives dirigées contre Pyongyang. A cet égard, Pékin a adopté une posture plus
sévère à l’encontre du régime nord-coréen, suite au quatrième essai nucléaire ayant
eu lieu en janvier 2016. Ainsi que l’analyse le soulignera, l’adoption de sanctions à
l’égard de Pyongyang n’a donc pas empêché le régime de poursuivre son programme
d’enrichissement d’uranium, ni de travailler à l’amélioration de ses armes nucléaires.
Les sanctions, « en poussant les régimes visés à se durcir idéologiquement et
économiquement (…) finissent souvent par leur permettre de se renforcer. »184
b) Le retrait de la Corée du Nord du Traité sur la Non-Prolifération des
armes Nucléaires en 2003 et le développement d’un programme
nucléaire clandestin
En 1989, des images satellites révèlent l’existence de la centrale nucléaire de
Yongbyon. Suite à cela, la Corée du Nord est soumise aux inspections de l’AIEA,
étant donné qu’elle fait partie des Etats signataires du TNP. Très rapidement, le
régime va refuser que les experts visitent certaines zones. Face aux exigences de la
communauté internationale, Pyongyang va menacer de se retirer du TNP.
1994 : signature d’un accord-cadre sous Bill Clinton
Afin de pallier aux tensions, l’administration américaine sous Bill Clinton va initier
des pourparlers qui aboutiront à l’accord-cadre signé à Genève en 1994. Ce dernier
prévoit notamment le démantèlement du programme nucléaire nord-coréen, en
échange de la fourniture à Pyongyang de centrales à eau légère, destinées
uniquement au nucléaire civil.
183 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 31. 184 NINCIC Miroslav, Renegade Regimes: Confronting Deviant Behavior in World Politics, New
York, Columbia University Press, 2005, in BLEIKER Roland, « Négocier avec la Corée du Nord? »
Question nucléaire et relations intercoréennes, Critique internationale, 2010/4, No. 49, pp. 21-36
DOI : 10.3917/crii.049.002, p. 25.
73
Cette solution met temporairement fin aux tensions, en mettant également en place
l’Organisation de Développement Energétique Coréenne ou « Korean Peninsula
Energy Development Organization » (KEDO), qui sera effective dès 1995.
Néanmoins, la poursuite par Pyongyang de son programme nucléaire et l’arrivée de
George W. Bush au pouvoir aux Etats-Unis, sont des facteurs ayant contribué à
modifier la politique américaine à l’égard du régime nord-coréen. Peu à peu,
Washington abandonne les engagements liés à l’accord-cadre de 1994. Pour la Corée
du Nord, c’est une véritable trahison de la part des Etats-Unis. Ainsi, malgré ses
promesses de geler son programme nucléaire, la Corée du Nord procède au
lancement d’un missile Taepodong-1 dans l’espace aérien japonais en 1998. Un
moratoire nord-coréen sur les essais de missiles en 1999 permettra cependant
l’allègement des sanctions mises en place par les Etats-Unis contre Pyongyang, sans
pour autant résoudre la situation.
Le retrait nord-coréen du Traité sur la Non-Prolifération des armes Nucléaires
Lorsque George W. Bush arrive à la présidence des Etats-Unis en janvier 2001, la
rhétorique adoptée à l’égard de la Corée du Nord est en relative continuité avec celle
menée par son prédécesseur Bill Clinton. En revanche, les attentats du 11 septembre
2001 marqueront une véritable rupture, avec l’avènement de la rhétorique de « l’axe
du mal », visant une liste de pays comprenant la Corée du Nord. Cette dernière
estime alors que sa survie est menacée. « North Korea’s strong response, as a
reaction to the Bush administration’s hard-line policy, thus caused the second North
Korean nuclear crisis. »185 En 2002, la tension entre la Corée du Nord et Washington
est à son comble lorsque les transferts de carburant assurés par la KEDO sont
suspendus, à la suite de la réouverture de Yongbyon. Les Etats-Unis répliqueront de
leur côté en déclarant l’accord-cadre de 1994 comme étant officiellement caduque.
De son côté, Pyongyang perçoit le TNP et l’AIEA comme les instruments de
Washington.
185 AHN Mun Suk, « What Is the Root Cause of the North Korean Nuclear Program? », Asian Affairs:
An American Review, 38 :175–187, 2011 DOI : 10.1080/00927678.2011.604287, p. 180.
74
Par conséquent, en 2003, le régime annonce son retrait du TNP, qu’il considère
comme une atteinte à sa souveraineté : « Withdrawal was a legitimate and self-
defensive measure. » 186 Les causes réelles de cette crise résident dans des
considérations à la fois d’ordre externe, reposant sur la détérioration des relations
avec le gouvernement américain, et des aspects d’ordre interne, liés à la situation
domestique dégradée à laquelle doit faire face la Corée du Nord dans les années 1990.
« The government tried to divert the people’s attention away from the difficult
economic situation to its strong global stance toward the United States and
IAEA. »187
Le lancement des Pourparlers à Six (Six-Party Talks) en 2003
Dès août 2003, les Pourparlers à Six prévoient une succession de rencontres, dont
certaines resteront dans l’impasse. Au départ, Pékin se positionne en véritable
médiateur. En effet, de par sa relation privilégiée avec Pyongyang, la Chine aura une
certaine influence sur le régime nord-coréen et amènera ce dernier à la table des
négociations. Rapidement, le Japon, la Russie et la Corée du Sud rejoindront la
Chine, les Etats-Unis et la Corée du Nord à la table des négociations, étant donné
leur influence au sein du complexe régional de sécurité en Asie-Pacifique.188 En
2005, malgré la mise en place d’un accord conjoint, les tensions surgissent à nouveau
suite à l’affaire de blanchiment d’argent associant la Corée du Nord à la Banco Delta
Asia de Macao. Les Etats-Unis prennent donc une série de sanctions à l’encontre de
Pyongyang dont les provocations ne tardent pas à apparaître.
Cette fois, Pékin prend position en estimant que l’attitude nord-coréenne à l’égard
des autres puissances pourrait entacher les relations sino-nord-coréennes. Pourtant,
plus tôt dans l’année, Pékin avait conclu un accord avec la Corée du Nord, prévoyant
une assistance économique en échange de la dénucléarisation de l’Etat. Les guerres
d’Afghanistan et d’Irak en 2001 et 2003 contribuèrent également à renforcer
l’agressivité de Pyongyang, qui craignait que les Etats-Unis cherchent à provoquer
également un changement de régime en Corée du Nord. Les premières réunions
s’inscrivant dans le cadre des Pourparlers à Six rencontreront certaines difficultés,
liées à plusieurs causes.
186 KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, Op. Cit., p. 20. 187 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 179. 188 Annexe 9, p. 105.
75
Dans un premier temps, alors que Washington souhaitait majoritairement des
discussions multilatérales, Pyongyang s’obstinait à demander des rencontres
bilatérales avec les Etats-Unis, qui de leur côté, ont eu tendance à avoir recours à une
pression excessive à l’encontre du régime. L’optique principale des réunions
multilatérales était de trouver une sortie de crise pacifique vers une dénucléarisation
totale de la péninsule. Mais les divergences entre les différentes parties à la
négociation ainsi que la méfiance mutuelle n’ont pas joué en la faveur du processus.
« The six parties have had difficulty in reaching a consensus (…) due to their
different priorities and preferences. »189 Ainsi, le refus nord-coréen de laisser les
inspecteurs de l’AIEA accéder à ses infrastructures nucléaires, ainsi que son habileté
à exploiter les dissensions entre les différents Etats, sont des facteurs ayant contribué
à entraver les négociations. Par ailleurs, les relations intercoréennes ainsi que les
liens diplomatiques entre Washington et Séoul n’ont pas facilité les échanges avec
Pyongyang : « North Korea also accused the United States of applying a double
standard (…) tolerating nuclear experiments by the South, while demanding an end
to nuclear program in the North. »190
c) Les essais atomiques de 2006 et 2009
2006: introduction d’une dimension intercontinentale avec le missile Taepodong-2
Le premier essai du missile Taeopodong-2 a lieu le 4 juillet 2006. Ce type de missile,
en introduisant une dimension intercontinentale dans le programme nucléaire nord-
coréen, suscite alors les inquiétudes de la communauté internationale. Les Etats-Unis
prennent conscience qu’avec ce type de missile à longue portée (entre 6000 et 8000
kilomètres), la Corée du Nord peut désormais atteindre la base de Guam ainsi que
l’Alaska. Outre la nécessité de consolider une situation domestique instable, les
causes de cet essai nucléaire sont multiples. Premièrement, le scandale de la Banco
Delta Asia de Macao, impliquant la Corée du Nord, est une des causes majeures.
« The DPRK responded to the sanctions with a missile launch on July 4, 2006 and
with a nuclear test on October 9, 2006. »191 Par ailleurs, l’échec de l’accord-cadre de
1994 ainsi que l’affaiblissement du pays suite aux multiples sanctions endurées ont
189 KIM Ji-Hyun, Op. Cit., p. 256. 190 KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, Op. Cit., p. 27. 191 YI Yurim, « How to Negotiate with North Korea », Asian Politics & Policy, Boston University,
Vol. 1, No. 4, pp. 762-778, p. 768.
76
également contribué à déclencher cet essai. « Under these circumstances, the North
Korean regime chose to strengthen its viability by reinforcing its Juche ideology
through its pursuit of nuclear power status. »192 Pyongyang justifie cette nouvelle
crise en pointant du doigt les Etats-Unis et le Conseil de Sécurité des Nations Unies,
qui avait notamment décrété un embargo sur les armes à destination du régime nord-
coréen, suite à l’essai nucléaire d’octobre 2006. Par conséquent, le lancement d’un
missile en juillet 2006 sera sanctionné par les résolutions 1718 et 1695 de l’ONU, en
vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ces résolutions insistaient sur
le fait que « Pyongyang doit dorénavant s’abstenir de tout nouveau test de missile
balistique, démanteler ses armes atomiques et son programme nucléaire de manière
définitive et vérifiable. »193 La Chine ainsi que la Corée du Sud soutiendront ces
sanctions, notamment en suspendant les aides alimentaires destinées à Pyongyang.
Les accords de Pékin de 2007
Suite à l’essai nucléaire de 2006, une nouvelle session des Pourparlers à Six
s’organise à Pékin du 8 au 13 février 2007. Un agenda commun est alors mis en
place ainsi qu’un accord de paix basé sur le « North-Korea Denuclearization Plan ».
Ce dernier prévoyait notamment la fermeture des usines de traitement de déchets
nucléaires ainsi que de certaines centrales. Par ailleurs, les experts de l’AIEA
devaient être autorisés à inspecter les sites nord-coréens. En échange, le régime se
verrait recevoir une aide énergétique et alimentaire, ainsi que la levée des sanctions
sur les fonds de Pyongyang à Macao. Les dernières réticences de la Corée du Nord
sont apaisées lorsque Washington procède en 2008 au retrait du régime nord-coréen
de la liste des Etats soutenant le terrorisme international. Pyongyang procède alors à
la fermeture effective de Yongbyon, permettant ainsi de débloquer la suspension du
processus de dénucléarisation.
192 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 181. 193 EIFFLING Vincent, « La Chine et la Corée du Nord. Une alliance ambigüe », in DE WILDE
D’ESTMAEL Tanguy, STRUYE DE SWIELANDE Tanguy, La Chine sur la scène internationale.
Vers une puissance responsable ?, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 322.
77
Le second essai nucléaire en 2009
Le 25 mai 2009, la Corée du Nord procède à un second essai nucléaire, faisant suite
au lancement d’une fusée Unha-2 le 5 avril 2009. Le 14 avril, le régime nord-coréen
avait annoncé la reprise de son programme nucléaire et son refus de participer à de
nouvelles négociations dans le cadre des Pourparlers à Six. Les essais nord-coréens
constituaient alors une violation du Droit international, étant donné les sanctions déjà
opposées au régime. L’ONU réagit en imposant le 12 juin 2009 la résolution 1874
qui prévoyait plus de sanctions. Alors qu’en 2008, les tensions semblaient s’être
apaisées, plusieurs causes vont amener la Corée du Nord à effectuer ce nouvel essai
nucléaire. Les tensions avec la Corée du Sud dont le manque de soutien économique
déçoit la Corée du Nord ainsi que le « plan d’opération 5029 » entre les Etats-Unis et
Séoul vont constituer des provocations pour Pyongyang.
De plus, l’arrivée au pouvoir du conservateur Lee Myung-bak en Corée du Sud en
2008 a contribué à frustrer la Corée du Nord. Enfin, en 2009, le processus de
succession entre Kim Jong-Il et son fils Kim Jong-un s’annonçait comme
particulièrement instable. L’essai nucléaire apparaît donc comme une réponse à
Séoul et Washington, mais également comme un moyen de renforcer la loyauté de la
population afin de permettre une transition hiérarchique plus stable. « Special
conditions were therefore needed to strengthen national solidarity and thereby render
the Kim family’s power succession more readily acceptable to the North Korean
population. » 194 Face au nouvel essai, Pékin va adopter une attitude stricte, en
soutenant notamment la résolution 1718 de l’ONU. Les incidents liés à la navette
Cheonan ainsi qu’au bombardement de l’île de Yeonpyeong en 2010 provoqueront
de nouvelles sanctions à l’encontre de Pyongyang. Le 12 février 2013, la Corée du
Nord procède au lancement d’un satellite Unha-3, suite à ce qu’elle considère
comme des provocations des Etats-Unis et de la Corée du Sud, ce à quoi l’ONU
répondra en émettant la résolution 2094. Le 25 mai 2009, un nouvel essai nucléaire a
lieu, provoquant la résolution 2087. En réponse aux sanctions successives,
Pyongyang annonce que le régime annule l’armistice instauré entre le Nord et le Sud,
et déclare l’Etat de guerre entre les deux pays.
194 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 182.
78
Face à cela, la Chine de Xi Jinping adopte une posture de fermeté en soutenant les
deux résolutions.
2016 : quatrième essai nucléaire et nouvelles sanctions
Tandis que les trois premiers essais nucléaires nord-coréens concernaient la bombe A,
l’essai de janvier 2016 s’est basé sur l’utilisation d’une bombe plus puissante, à
savoir la bombe à hydrogène ou bombe H.195 A nouveau, Pékin, Séoul et Washington
ont condamné Pyongyang, en renforçant les sanctions à son encontre le 2 mars 2016.
Un des éléments déclencheurs de ce nouveau test a été le projet de déploiement d’un
système anti-missile en Corée du Sud, dit « THAAD » (Terminal High Altitude Area
Defense). De son côté, Pyongyang a déclaré que ce dernier essai nucléaire était
« destiné à éviter une guerre nucléaire avec les Etats-Unis. »196 Par ailleurs, en
janvier 2016, la Corée du Nord a à nouveau pointé du doigt les manœuvres militaires
conjointes entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, en soulignant que sans l’arrêt de
ces manœuvres, Pyongyang procéderait à une attaque nucléaire préventive contre
Séoul. Les sanctions n’ont donc pas dissuadé le régime nord-coréen.
De plus, le régime a su contourner les restrictions économiques auxquelles il était
soumis depuis plusieurs années. En effet, en avril 2016, le scandale des « Panama
Papers » révélait l’existence d’établissements bancaires finançant le programme
nucléaire nord-coréen, contournant ainsi le régime de sanctions. Enfin, il n’est pas
certain que Pékin conserve une attitude stricte à l’encontre du régime nord-coréen,
étant donné les intérêts géostratégiques chinois en Asie-Pacifique. En entretenant une
menace nucléaire qui ne fixe pas de limites précises à ne pas outrepasser, la Corée du
Nord fait preuve d’une certaine opacité quant à son arsenal nucléaire et à sa
détermination à l’utiliser. Par ailleurs, cela permet au régime de renforcer ses
capacités dissuasives à moindres coûts, étant donné qu’investir dans un programme
nucléaire est moins coûteux pour un Etat que de renforcer ses forces
conventionnelles.
195 Annexe 10, p. 106. 196 « Un bombardier américain survole la Corée du Sud en réponse aux provocations de la Corée du
Nord », The Huffington Post, 10 Janvier 2016, http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/10/bombardien-
americain-core-du-nord_n_8948310.html
79
« Kim Jong-Il and his son Kim Jong-un pursued nuclear weapons to maximize
national security at a lower cost. »197 Afin de négocier avec la Corée du Nord, les
puissances se doivent d’allier coopération, compréhension et dialogue, afin d’espérer
pouvoir normaliser les relations en Asie-Pacifique, et par extension, entre Pyongyang
et la communauté internationale dans son ensemble, « la confrontation (…)
engendrant elle-même les maux qu’elle annonce et prétend éviter. »198 A la base du
programme nucléaire, plusieurs causes peuvent donc être mentionnées. Dans un
premier temps, il y a les causes externes, liées aux pressions internationales.
Néanmoins, bien que les pressions extérieures puissent contribuer à renforcer
l’attitude du régime, le lancement d’un programme nucléaire a débuté en 1950.
Or, à l’époque, Pyongyang n’est pas en proie à une instabilité particulière, pouvant
notamment compter sur le soutien de l’U.R.S.S. Si le lancement d’un programme
nucléaire était une réponse à celui des Etats-Unis, la Corée du Nord aurai dû
commencer le sien bien plus tôt. « The timeline of plausible U.S nuclear threats
against North Korea does not come close to matching the timeline for North Korea
nuclear developments. » 199 Le lancement d’un tel programme est donc à lier
notamment avec le prestige national. En effet, la possession de l’arme nucléaire
accroît le poids diplomatique d’un Etat sur la scène internationale. Dans le cas nord-
coréen, bien que l’initiation d’un programme nucléaire soit surtout une question de
prestige, l’amélioration de ce dernier vise aussi à maximiser la sécurité de l’Etat.
« States that acquire nuclear weapons and do not face a strategic nuclear threat do so
in order to increase the security of the state’s domestic regime. » 200 Ainsi que
l’analyse l’a évoqué au sein du précédent chapitre, la Corée du Nord fait face à ce
qu’elle perçoit comme un dilemme de sécurité.
197 WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics, and Nuclear Diplomacy in Post-
Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus, Vol. XXX., No. 1, April 2015, pp. 59-77 DOI:
10.1111/pafo.1204, p. 59. 198 BLEIKER Roland, « Négocier avec la Corée du Nord ? » Question nucléaire et relations
intercoréennes, Critique internationale, 2010/4, No. 49, pp. 21-36 DOI : 10.3917/crii.049.002, p. 35. 199 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 35. 200 Ibid., p. 7.
80
L’expansion de la puissance chinoise ainsi que l’augmentation des capacités
économiques et militaires de la Corée du Sud ont donc contribué à inciter Pyongyang
à développer sa puissance nucléaire, pour compenser ce que le régime perçoit
comme une infériorité face aux autres puissances : « Fearing the superior diplomatic-
economic advances of the ROK, North Korea has chosen to develop a coercive
diplomacy to counter considerable ROK strengths. »201 Les intérêts géostratégiques
en Asie-Pacifique ainsi que le développement économique et militaire d’autres
puissances comme les Etats-Unis, la Chine et la Corée du Sud, constituent donc des
éléments extérieurs au régime qui poussent ce dernier à poursuivre le développement
de son arsenal nucléaire, dans une optique de survie. « Pyongyang regime’s parochial
interest, namely its own survival, lies at the root of nuclear decision-making. »202
Au-delà des facteurs externes, il y a également des causes domestiques. En effet,
dans les années 1980, le régime nord-coréen a conscience de l’instabilité majeure qui
guette le régime et qui s’installe dès le début des années 1990. Cela pousse les
dirigeants à développer des armes nucléaires, environ trois décennies après la mise
en place d’un programme d’enrichissement d’uranium, et ce afin de renforcer la
loyauté de sa population et du corps militaire à l’égard du régime. Par ailleurs, la
transition hiérarchique entre Kim Il-sung et Kim Jong-il en 1994, autre facteur
d’instabilité domestique, a également contribué à développer cet outil stratégique et
diplomatique. « Although North Korea has attributed its nuclear ambitions to foreign
threats, domestic causes have been at the heart of the regime’s nuclear
development. »203 Le développement des armes nucléaires en Corée du Nord trouve
donc ses causes dans des sources d’origines multiples. Des causes internationales et
externes aux raisons domestiques, en passant par des aspects psychologiques et liés
au prestige d’un Etat, l’arme nucléaire constitue donc, pour le régime nord-coréen,
l’outil fondamental permettant d’assurer sa survie.
201 COLLINS Robert M, Op. Cit., p. 14. 202 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 178. 203 Ibid., p. 183.
81
Conclusion
Cette analyse a tenté de mettre en lumière les causes des tactiques de survie
mobilisées par le régime nord-coréen. Au cours des différents chapitres, la réflexion
s’est attachée à mettre en lumière un élément fondamental à la compréhension du
régime et de ses logiques. En effet, l’étude de la nature de ce dernier, de son
fonctionnement interne, de ses relations extérieures ainsi que de son programme
nucléaire, sont des éléments ayant permis de souligner que les stratégies nord-
coréennes sont la résultante à la fois de dynamiques internes et domestiques et des
pressions extérieures subies par le régime. « Pyongyang’s foreign policy strategies
are the result of dynamic interactions between the international pressures and
domestic political contexts. » 204 Alors qu’au niveau domestique, les transitions
hiérarchiques ainsi que la nécessité de consolider la loyauté populaire et du corps
militaire ont incité le régime à développer des stratégies de survie, ces dernières
trouvent également leur origine dans l’environnement externe de Pyongyang. En
effet, les relations extérieures du régime ont participé à l’élaboration d’une telle
stratégie de survie.
Ainsi, il est nécessaire de considérer l’adoption de tactiques liées au « regime
survival », comme étant la résultante de facteurs à la fois domestiques et externes au
régime, qui doivent être considérés comme des éléments complémentaires, et non
pas isolés les uns des autres. Le « regime survival » nord-coréen, ainsi que l’ont
démontré les études de cas mobilisées, s’incarne dans un aspect particulier, à savoir
le développement de l’arme nucléaire par Pyongyang. En effet, cette dernière est
représentative de l’interaction des pressions domestiques et externes au régime. Au
niveau domestique, elle permet de renforcer la loyauté populaire ainsi que celle de
l’armée en développant l’image d’une nation militairement forte et autonome,
permettant ainsi de minimiser la déstabilisation du régime après la transition
hiérarchique de 1994. Au niveau externe, l’arme nucléaire et les essais de cette
dernière, ont envoyé plusieurs messages à l’attention des autres puissances en Asie-
Pacifique, mais également à la communauté internationale dans son ensemble.
204 WOO Jeongseok, Op. Cit., p. 60.
82
En démontrant sa capacité à développer une telle arme et à en faire usage, la Corée
du Nord s’est assuré un certain pouvoir sur la scène internationale, en mobilisant ce
levier de négociation singulier. « While the military-first policy was the domestic
response to international security challenges in the 1990s, the nuclear weapons
program served as North Korea’s foreign policy tool for regime survival. »205
Par ailleurs, l’analyse de la nature du régime a permis de rendre compte de
l’articulation entre une forme politique totalitaire et l’adoption de stratégies de survie
par un Etat. En effet, la dominante totalitaire de la Corée du Nord combinée à des
tactiques de survie, a contribué à renforcer l’agressivité du régime. Sans ce socle
totalitaire, il est peu probable que le régime ait adopté une attitude similaire à celle
qu’il revêt aujourd’hui sur la scène internationale. Le totalitarisme a donc constitué
un vecteur de stabilité non négligeable pour Pyongyang. Alors que l’esprit de survie
caractérise tous les Etats, la dominante totalitaire de la Corée du Nord implique
certaines singularités. Si le régime était démocratique, il est possible que les
stratégies qu’il mobiliserait seraient différentes. Comme l’indiquent Linus Hagström
et Marie Södeberg au sein de leur ouvrage intitulé North Korea policy, Japan and the
great powers: « North Korea’s national goals are no different from those of all other
political system. What is unique might be the selection of strategies and tactics to
achieve the goals, but each of these can be shown to be rational given the
circumstances. » 206 Néanmoins, étant donné que l’attitude du régime dépend
également de son environnement extérieur, il est peu probable qu’une Corée du Nord
démocratique impliquerait un changement radical dans les tactiques mobilisées par
Pyongyang. Ainsi, une simple démocratisation du régime ne suffirait certainement
pas à affaiblir ses tactiques de survie et donc, son agressivité isolationniste.
Les probabilités d’un « regime change »
En Corée du Nord, la logique totalitaire se maintient malgré les famines et les limites
du système économique. « Despite the fatal economic crisis, the overall special
system of the DPRK is viewed as still being workable. »207 En revanche, un éventuel
soulèvement populaire semble peu probable. « It is difficult for citizens to concern
205 WOO Jeongseok, Op. Cit., p. 70. 206 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 40. 207 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 27.
83
themselves of anything beyond basic daily needs. » 208 : l’idéologie empêche
l’opposition et affaiblit l’esprit critique. Ainsi, contrairement aux prédictions
générales qui estiment que le régime se dirige vers son propre effondrement, le
contrôle totalitaire dont ce dernier fait preuve semble prévenir une éventuelle
révolution populaire et une déstabilisation du régime. Par ailleurs, un changement de
régime, bien qu’apparemment souhaitable, serait à envisager avec prudence afin
d’éviter une implosion qui mettrait à mal la stabilité régionale. Pyongyang reflète
donc un paradoxe singulier: « the regime cannot survive in the longer term without
fundamental reform, but fundamental reform will destroy the regime. »209
A ce jour, au-delà des enjeux humanitaires posés par la Corée du Nord, le
programme nucléaire de cette dernière tend à mettre en lumière les limites de la
contre-prolifération nucléaire. En exportant des missiles nucléaires vers d’autres
puissances comme le Yémen et vers des organisations terroristes comme l’Etat
islamique, le régime nord-coréen pose un véritable dilemme à la communauté
internationale. Cette dernière doit prendre en compte le fait que la Corée du Nord est
une entité étatique singulière dont les dirigeants sont prêts à des prises de risques
plus conséquentes que ceux des Etats démocratiques. La simple menace militaire ou
l’usage de tactiques liées à la diplomatie coercitive comme les sanctions sont donc
des instruments peu efficaces face à la nature du régime ainsi qu’à ses tactiques de
survie. « The North Korean desire to avoid military confrontation is no less powerful
than its desire to survive. »210
208 CHO Yun-Jo, Op. Cit., p. 96. 209 BLUTH Christoph, « The Irrelevance of ‘Trusting Relationships’ in the Nuclear Non-Proliferation
Treaty: Reconsidering the Dynamics of Proliferation », The British Journal of Politics and
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Sites internet
GLUME Galia, « Etat voyou », Réseaux de recherche sur les opérations de paix,
2011, http://www.operationspaix.net/52-resources/details-lexique/etat-voyou.html
Government of Japan, Abductions of Japanese Citizens by North Korea,
http://www.rachi.go.jp/en/index.html
95
INDEX DES ANNEXES
Annexe 1: PARDO Ramon Pacheco, North Korea-US Relations under Kim
Jong Il. The quest for normalization?, New York, Routledge, 2014, p. 4
Annexe 2: SANDFORD John M., SCOBELL Andrew, « North Korea’s
Military Threat: Pyongyang’s Conventional Forces, Weapons of Mass
Destruction, And Ballistic Missiles », Strategic Studies Institute, 2007,
http://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB771.pdf, p. 66
Annexe 3: « Corée du Nord, les croquis de la torture », Libération en ligne,
18 février 2014, http://www.liberation.fr/monde/2014/02/18/coree-du-nord-
les-croquis-de-la-torture_981097
Annexe 4: COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence,
Provocations and the Northern Limit Line », in BECHTOL Bruce E.,
Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps
University Press, 2011, p. 22
Annexe 5: DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence »,
Australian Journal Of International Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120,
April 2012, http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p. 114
Annexe 6: DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée
du Nord. Recompositions territoriales dans la péninsule Coréenne et
dynamiques régionales en Asie du Nord-Est », L’Espace géographique
2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 216
Annexe 7: LARSON Eric V., LEVIN Norman D., BAIK Seonhae, SAVYCH
Bogdan, Ambivalent Allies? A Study of South Korean Attitudes Toward the
U.S., Technical Report, s.l., Rand Corporation, 2004, p. 59
Annexe 8: WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics,
and Nuclear Diplomacy in Post-Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus,
Vol. XXX., No. 1, April 2015, pp. 59-77 DOI : 10.1111/pafo.12041, p. 72
Annexe 9: KIM Ji-Hyun, « Toward a Comprehensive Understanding of
North Korea’s Nuclear Conundrum: The Six Parties in Complex
Interdependence from 2002 to 2008 », Asian Politics & Policy, Vol. 3,
Number 2, United-States, University of South Carolina, 2011, pp. 249–283, p.
261.
96
Annexe 10: « La Corée du Nord revendique son premier essai réussi de
bombe à hydrogène », Le Figaro en ligne, 6 Janvier 2016,
http://www.lefigaro.fr/international/2016/01/06/01003-20160106AR…ce-
avoir-mene-son-premier-essai-reussi-de-bombe-a-hydrogene.php
97
Annexe 1
Source: PARDO Ramon Pacheco, North Korea-US Relations under Kim Jong Il. The
quest for normalization?, New York, Routledge, 2014, p. 4.
98
Annexe 2
Source: SANDFORD John M., SCOBELL Andrew, « North Korea’s Military
Threat: Pyongyang’s Conventional Forces, Weapons of Mass Destruction, And
Ballistic Missiles », Strategic Studies Institute, 2007,
http://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB771.pdf, p. 66.
99
Annexe 3
Source : « Corée du Nord, les croquis de la torture », Libération en ligne, 18 février
2014, http://www.liberation.fr/monde/2014/02/18/coree-du-nord-les-croquis-de-la-
torture_981097
100
Annexe 4
Source: COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence,
Provocations and the Northern Limit Line », in BECHTOL Bruce E., Confronting
challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps University Press, 2011,
p. 22.
101
Annexe 5
Source: DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence », Australian
Journal Of International Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120, April 2012,
http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p. 114.
102
Annexe 6
Source : DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée du Nord.
Recompositions territoriales dans la péninsule Coréenne et dynamiques régionales en
Asie du Nord-Est », L’Espace géographique 2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 216.
103
Annexe 7
Source: LARSON Eric V., LEVIN Norman D., BAIK Seonhae, SAVYCH Bogdan,
Ambivalent Allies? A Study of South Korean Attitudes Toward the U.S., Technical
Report, s.l., Rand Corporation, 2004, p. 59.
104
Annexe 8
Source: WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics, and Nuclear
Diplomacy in Post-Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus, Vol. XXX., No. 1,
April 2015, pp. 59-77 DOI: 10.1111/pafo.12041, p. 72.
105
Annexe 9
Source: KIM Ji-Hyun, « Toward a Comprehensive Understanding of North Korea’s
Nuclear Conundrum: The Six Parties in Complex Interdependence from 2002 to
2008 », Asian Politics & Policy, Vol. 3, Number 2, United-States, University of
South Carolina, 2011, pp. 249–283, p. 261.
106
Annexe 10
Source : « La Corée du Nord revendique son premier essai réussi de bombe à
hydrogène », Le Figaro en ligne, 6 Janvier 2016,
http://www.lefigaro.fr/international/2016/01/06/01003-20160106AR…ce-avoir-
mene-son-premier-essai-reussi-de-bombe-a-hydrogene.php
107
LISTE DES ACRONYMES
AIEA : Agence Internationale de l’Energie Atomique (IAEA : International
Atomic Energy Agency)
DFU : Département du Front Uni
DMZ : Demilitarized Zone
DOC : Département de l’Organisation et du Conseil
DPA : Département de la Propagande et de l’Agitation du Parti
DPRK : Democratic Popular Republic of Korea
EIW : Electronic Intelligence Warfare
KEDO : Korean Peninsula Energy Development Organization
KPA : Korean People Army
KWP : Korean Worker Party
NK : North Korea
ONU : Organisation des Nations Unies
PRC : People’s Republic of China
ROK : Republic of Korea
RPDC : République Populaire Démocratique de Corée
THAAD : Terminal High Altitude Area Defense
TNP : Traité sur la Non-Prolifération des armes Nucléaires
U.R.S.S. : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
U.S.S.R. : Union of Soviet Socialist Republics
US / U.S : United States
USA : United States of America
Résumé
Située au sein d’une région qui symbolise des enjeux à la fois économiques et politiques
majeurs, la Corée du Nord constitue une singularité en Asie-Pacifique. Bastion persistent du
communisme, le régime nord-coréen monopolise tactiques de chantage et menace nucléaire afin
d’obtenir les concessions des puissances régionales, en suivant une logique de survie. Ce travail
a pour principale ambition de décrypter les causes et origines des stratégies de Pyongyang, en
interconnectant les variables domestiques avec les facteurs extérieurs au régime. Agrémenté
d’études de cas sur la question nucléaire, l’analyse mettra en lumière les éléments clés du
régime nord-coréen, tout en soulignant les dynamiques majeures de la péninsule coréenne, entre
dilemme de sécurité et tyrannie de la proximité.
Mots-clés : Corée, Nord, Nucléaire, Survie, Asie