COP21: réparer l’injustice climatique en Afrique

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  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

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    B BIBAS W M

    en partenariat avec

    LES

    NOTES

    DE

    LAF

    EP

    N7 - Novembre 2015

    #Afrique

    #Climat

    #COP21

    #Environnement

    #Dveloppement

    #JusticeClimatique

    COP21 : rparer linjustice

    climatique en Afrique

    SOMMAIRE

    A-

    1. LA par A D, charge de plaidoyer Climat lENDA-environnement et dveloppement du tiers-monde

    2. R par O B D, agro-pasteur, reprsentant de laCoordination nationale des organisations paysannes du Mali

    3. U

    par M B, secrtaire gnrale du African Network

    for Environmental Journalists (ANEJ)

    4. R

    G

    par R E N, secrtaire gnral de la Coalitionrestauratrice de lEtat dmocratique en Guine quatoriale

    5. I E par M O E, secrtaire excutif de lONG Brainforest

    6. L par Hadar El Ali, ancien ministre de lEnvironnement et de la

    Pche du Sngal

    10 Recommandations aux ngociateurs de la COP21 etaux administrateurs du fonds vert pour le climat

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    A-

    Du 30 novembre au 11 dcembre 2015, les reprsentants de

    196 parties se runissent Paris pour tenter de limiter le

    rchauffement climatique 2C lhorizon 2050 par rapport au d -but de lre industrielle, ligne de dfense mondialement accepte

    contre les pires impacts climatiques venir daprs la Conven-

    tion-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

    (CCNUCC).

    Cette COP21 , 21eConference of Parties confrence des parties,

    autrement dit des pays signataires de la Convention-cadre, suscite

    des attentes particulires. Elle sinscrit en effet dans le cadre de n-

    gociations onusiennes sur le climat dont lobjectif ultime est de

    stabiliser les concentrations de gaz effet de serre (GES) dans lat-

    mosphre dans un dlai sufisant pour que les cosystmes puissent

    sadapter naturellement aux changements climatiques, que la pro-duction alimentaire ne soit pas menace et que le dveloppement

    conomique puisse se poursuivre dune manire durable 1. Or, les

    vnements des dernires annes dans les rgions du globe les plus

    vulnrables au changement climatique (Etats insulaires, Asie du Sud,

    Sahel) montrent que ce dlai critique est en voie dtre dpass.

    Cela est particulirement vrai en Afrique, continent le plus pauvre

    de la plante, qui compte six des dix pays les plus vulnrables aux

    effets du changement climatique2. LAfrique, nous informe les sc-

    narios mdians du dernier rapport du GIEC, verra en effet sa temp-

    rature augmenter denviron 3C, avec un stress hydrique gnrant

    des effets ngatifs considrables sur la scurit alimentaire 3

    .Nombre de conlits interafricains, nombre de migrations dAfricains

    vers lEurope, sexpliquent dj par cet tat de fait4.

    Cette situation, qui se caractrise dores et dj par des catastrophesmtorologiques, environnementales et sanitaires rptition, estparticulirement injuste. Premirement, lAfrique na pratiquementaucune responsabilit dans les missions historiques de GES, mais elleen subit en premier lieu les consquences. Deuximement, lAfrique napas les moyens conomiques de mettre en uvre les mesures nces-

    saires pour protger sa population des consquences du changementclimatique pour sadapter au changement climatique, dit-on dans

    le langage technique des ngociations climat. Troisimement, les paysafricains ne disposent gnralement pas dEtats et dorganisations r-gionales suffisamment efficaces pour dune part peser fortement dansles ngociations climatiques, dautre part protger les ressources na-turelles africaines de leur exploitation intensive par des acteurs in -ternationaux. De plus, cette exploitation constitue une double peineplutt quun avantage : elle contribue au rchauffement climatique enmme temps quelle diminue les capacits dadaptation du continent.

    LAfrique na pratiquement aucune responsabilit

    dans les missions historiques de GES,

    mais elle en subit en premier lieu les consquences

    Porter depuis Paris un regard cologiste sur cette injustice ne peut quesusciter un effort de comprhension et daction. Dabord parce que laFrance, qui a bti une part de sa prosprit sur des ressources natu-

    - 2 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

    1. Convention-cadre des Nations unies

    sur les changements climatiques, 1992,

    article 2.

    2. Guine-Bissau, Sierra Leone, Soudan

    du Sud, Nigeria, Rpublique dmocra-

    tique du Congo, Ethiopie, les autres

    quatre tant le Bangladesh, Hati, le

    Cambodge et les Philippines (source :

    Maplecrofts Climate Change and Envi-

    ronmental Risk Atlas, 2014).

    3. Changements climatiques 2013 : les

    lments scientifiques, GIEC - Groupe

    dexperts intergouvernemental sur

    lvolution du climat, novembre 2014.

    4. Voir notamment le rapport Global

    Estimates 2014 People displaced by

    disasters , Internal Displacement Mo-

    nitoring Centre / Norwegian Refugee

    Council, septembre 2014.

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    5. 55 pays industrialiss en 1995, plus

    lUnion europenne.

    - 3 -

    relles, et notamment nergtiques, puises en Afrique, connat bienles ressorts de cette situation et a les moyens dagir sur le continentafricain. Ensuite parce que Paris est une des capitales importantesdans le jeu des organisations internationales Organisation mondialedu commerce, Fonds montaire international, Banque mondiale... qui

    font de lexploitation et de la commercialisation des ressources natu-relles, notamment africaines, un levier de croissance mondiale, sou-

    vent au dtriment de lenvironnement et du climat. Enfin parce que laFrance, puissance diplomatique qui accueille la COP21, va se retrouver

    en position de coordonner ces ngociations.

    Comment donc faire en sorte que la COP21 marque un tournant pour

    lAfrique ? Quelles mesures laccord doit-il contenir pour que lesprincipaux responsables de linjustice climatique subie par lAfrique,notamment les pays industrialiss dits de lAnnexe I5, paient une part deleur dette cologique et stoppent la dtrioration de ses cosystmes ?Quelles actions doit-il permettre denclencher pour que lAfrique cesse

    de voir ses ressources naturelles brades au profit dune conomiemonde qui les consomme insatiablement ? Comment renverser cettetendance pour enclencher un dveloppement faiblement carbon au

    bnfice des Africains ?

    Comment faire en sorte que la COP21

    marque un tournant pour lAfrique ?

    Cest pour tenter dlaborer une rponse ces questions que nousavons interrog six acteurs ou observateurs africains de lcologie po-litique, issus dAfrique occidentale, centrale et orientale. Leurs exp-

    riences, diverses, peuvent toutefois tre dcrites de faon gnrique :la plupart dentre eux ont lutt pour protger les habitants dune ouplusieurs rgions contre les consquences humaines des dgradationsenvironnementales lies lexploitation effrne de ressources natu-relles locales (extraction ptrolifre et minire, agriculture intensive,surpche, exploitation forestire dmesure, etc.).

    Ces luttes, souvent efficaces, ont rencontr chaque fois des rsis-

    tances dacteurs puissants, internationaux ou tatiques, souventinformellement coaliss : elles sont venues se heurter laction demultinationales asiatiques ou occidentales qui crent de la valeurajoute grce un accs facile aux ressources naturelles africaines, et

    des rgimes africains autoritaires qui prosprent en leur monnayantla garantie de cet accs.

    Ces expriences, locales ou nationales, sont riches denseignements :dune part, elles tissent ensemble une radiographie des menaces quipsent sur les cosystmes africains ; dautre part, elles sont autantde tmoignages illustrant une situation mondiale de mise en dangerdes humains pour cause de pollution extrme.

    Or cette situation, lchelle globale, porte un nom : le changementclimatique. Les conclusions que les auteurs tirent de ces expriencesnous ont donc sembl prcieuses. En nous en inspirant, nous avons

    voulu proposer quelques pistes daction pour rendre plus oprantscertains des dispositifs internationaux prvus pour rparer lesinjustices climatiques.

    Benjamin Bibas et le collectif Wangari Maathai

    N 7 - N 2015COP21 :

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    1. LAFRIQUE DOIT TRE UNE FORCE DEPROPOSITION COORDONNE

    LAfrique est-elle le continent qui souffre le plus du changement climatique ?

    Certainement. LAsie du Sud est galement trs impacte mais, sur les dix pays les plusvulnrables au changement climatique, six sont africains : Guine-Bissau, Sierra Leone,Soudan du Sud, Nigeria, Rpublique dmocratique du Congo, Ethiopie1. Le dernier rap-port du GIEC montre que lAfrique sest dj rchauffe de 0,5 2 C, avec des incidencesnormes : dgradation de la qualit des sols, avance du dsert, diminution des res-sources en eau, mais aussi pluies tardives avec des consquences sur les rendements

    agricoles et la stabilit des cosystmes. Il faut ajouter les scheresses rcurrentes, lesinondations, lrosion ctire avec des milliers de personnes qui voient leur habitationravage...

    Quelques exemples en Afrique de lOuest, sous-rgion particulirement affecte : leBnin a prouv une lvation de temprature de 1,3C entre 1960 et 2010, en parti -

    culier partir de 1995. Au Nigeria, les inondations gantes de juillet-septembre 2012dans le delta du Niger ont caus 363 morts et 2,1 millions de dplacs, ainsi quunechute de 20 % de la production ptrolire. En Cte dIvoire, notamment lest du pays,150 des 500 km de littoral se sont rods raison dun dix mtres par an au coursdes dix dernires annes, menaant des villages historiques de disparition. Au total,cest lensemble de la scurit alimentaire, humaine, et mme conomique, qui est trsconcrtement menace.

    Sur les dix pays les plus vulnrables

    au changement climatique, six sont africains

    Quelle est la responsabilit des pays africains ?

    LAfrique nest aujourdhui responsable que denviron 4 % des missions globales, ethistoriquement elle na presque aucune responsabilit dans le stock de gaz effet deserre (GES) dans latmosphre. Cest lune des plus grandes injustices du changementclimatique : lAfrique, continent qui a le moins pollu, paye le plus lourd tribut. Dola notion de dette climatique : dans leur transition vers une croissance durable, les

    pays africains ont toujours demand de laide inancire et technologique de la part despays dvelopps. Cet appel a t partiellement entendu sur le plan formel travers la

    cration du Fonds vert pour le climat lors de la COP15 Copenhague en 2009. Mais cejour, ce fonds na t abond qu hauteur de 10 milliards de dollars.

    Sous linluence des pays industrialiss ou dvelopps, dits de lAnnexe I , les ngo -

    ciations en cours sur le climat se focalisent dlibrment sur les missions actuellesde GES plutt que sur les missions historiques2dont ils sont les plus responsables.La Gambie, qui nest responsable que de 0,01 % des missions mondiales, sengage ainsi rduire ses missions des GES de 45 % par rapport au scnario business as usual3dici 2030 ! Mais pour les pays africains, lenjeu nest pas tant de rduire les missionsque de les viter dans le futur, et surtout de lutter contre la pauvret en dveloppant

    laccs lnergie pour tous. Plusieurs pays africains comme le Maroc et lEthiopie ontsoumis des contributions en ce sens, fondes notamment sur un fort dveloppement

    des nergies renouvelables et de leficacit nergtique.

    En sa qualit de deuxime puissance conomique africaine et de membre du G20,lAfrique du Sud pourrait tre en position dinluencer la lutte contre le changement

    climatique. Dautant que ce pays est le premier metteur de GES en Afrique trs loindevant le Nigeria - et le douzime dans le monde4. Mais loin de vouloir rduire cesmissions, le gouvernement prvoit de remettre en service danciennes centrales aucharbon et den construire davantage ces dix prochaines annes. Ce qui est trs regret-table, car lAfrique du Sud dispose dun potentiel norme de dveloppement des ner -

    - 4 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

    A D

    Charge de plaidoyer Climat lENDATiers-Monde

    Depuis sa cration en 1972 Dakar

    au Sngal, ENDA environnementet dveloppement du tiers-monde,

    agit dans 14 pays contre la pauvret,pour la diversit culturelle et pour

    le dveloppement durable, en inter-

    venant auprs des groupes de base,des intellectuels et des dcideurs.

    Assatou Diouf, 32 ans, est sa chargede plaidoyer Climat. A la veille de laCOP21, elle analyse la situation et les

    capacits daction des pays africainsdans les ngociations.

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    - 5 -

    gies renouvelables, et de moyens pour bnicier des technologies existantes en vue decommencer rduire ses missions ds prsent, et non pas partir de 2025 commeannonc dans sa contribution pour la COP21.

    LAfrique nest responsable que de 4 % des missions globales,

    et historiquement elle na presque aucuneresponsabilit dans le stock de GES dans latmosphre

    Quel rle les pays africains devraient-ils jouer dans les ngociations de la COP21 ?

    En tant que continent le plus touch par le changement climatique, et vu le faiblerespect des engagements pris par les pays dvelopps pour laider face ce dimajeur, lAfrique devrait tre en mesure de se positionner pour faire basculer lecours des ngociations. Il faut pour cela que les pays africains sunissent dansleurs objectifs et se coordonnent dans la mthode.

    La position de lAfrique dans les ngociations sur le changement climatique est d-

    inie par le Groupe des ngociateurs africains, qui suit les directives communiquespar lAssemble de lUnion africaine, par le Comit des chefs dtat et de gouverne-ment africains sur le changement climatique et par la Confrence des ministresde lenvironnement. LAfrique regorge de ngociateurs comptents sur le change-ment climatique, mais il leur est dificile de rivaliser avec les ngociateurs des paysdvelopps, aids par une multitude dexperts. Dautant quun problme inan-cier se pose souvent aux pays africains pour envoyer des ngociateurs en nombresufisant, la Convention5ne prenant en charge que deux personnes par pays. Sur -tout, les ngociateurs africains manquent dun soutien politique fort de leurs diri-geants. Ainsi que le remarque le leader paysan kenyan Justus Lavi Mwololo, lesgouvernements ngocient thoriquement avec un mandat du peuple quils repr-sentent. Mais si le peuple ne le leur rappelle pas, ils cdent la volont dautres

    gouvernements plus forts. Les peuples africains doivent se rveiller et exiger deleurs gouvernements une reprsentation digne dans les ngociations .

    En ce sens, lAfrique doit tre une force de proposition coordonne pour que lesngociations de Paris engagent les 195 pays, sans exception ni accord diffrenci, dansun accord juridiquement contraignant, la fois ambitieux et quitable. Ambitieux, pourrduire effectivement les missions de GES un niveau ne gnrant pas plus de 1,5 Cde rchauffement global, lequel signiie dj une hausse des tempratures suprieure 2 C en Afrique. Equitable, cest--dire abondant le Fonds vert pour le climat hau-teur dau moins 100 milliards de dollars, dont 50 milliards de fonds publics consacrs ladaptation des pays en dveloppement vulnrables aux effets du changement clima-tique. Pour tre pleinement oprationnel, cet accord devra tre revu tous les cinq ans.

    A la COP21, lAfrique devrait proposerque le rchauffement global soit limit 1,5 C,

    et que le Fonds vert pour le climat atteigne 100 milliards de dollars

    Prcisons le rle du Fonds vert pour le climat : quels inancements, et avecquelles priorits, peut-on mobiliser pour attnuer les changements clima-tiques en Afrique ? Et pour engager ladaptation des pays africains, autantque leur transition vers une conomie dveloppe non carbone ?

    Les dis que lAfrique doit relever face aux changements climatiques sont normes.Pour ce faire, des inancements internationaux sont ncessaires. Et leur rparti-tion est un sujet cl : il est essentiel que les fonds soient quitablement rpartisentre pays, et distribus de manire quilibre entre les enjeux dattnuation (r -duction des missions de GES) et dadaptation (aux changements climatiques).

    En matire dattnuation, lAfrique nest pas prioritaire puisque ses missions de GESsont faibles : le continent offre peu dopportunits rentables de les rduire. Dans le

    N 7 - N 2015COP21 :

    1. Source : Maplecrofts Climate Change

    and Environmental Risk Atlas 2014.

    2. Ou missions cumules depuis le dbut

    de lre industrielle (lanne de dbut dela comptabilisation se situe entre 1750

    et 1850 selon les statistiques disponibles

    dans les pays industrialiss).

    3. Les pays en dveloppement (hors

    mergents) sengagent rduire leursmissions par rapport un scnario de

    croissance conomique classique bas

    sur des nergies carbones.

    4. Source : Banque mondiale.

    5. La CCNUCC (Convention-cadre des

    Nations unies sur les changements cli-matiques) est lorgane de lONU qui coor-donne les ngociations climat :http://unfccc.int/portal_francophone

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    6. Cr en 2010 dans le cadre du Protocole

    de Kyoto pour aider les communauts

    vulnrables des pays en dveloppement

    sadapter aux effets du changement cli-matique, le Fonds dadaptation a distri-bu ce jour 318 millions de dollars dans50 pays.

    cadre du Mcanisme de Dveloppement Propre (MDP) labor en 1997 au sein du Pro-tocole de Kyoto, qui permet aux entreprises du Nord de rcuprer des crdits carboneen investissant dans des projets dattnuation dans les pays en dveloppement, la ma -jorit des lux a cibl la Chine et les pays mergents. LAfrique a reprsent environ 2 %des investissements et encore, elle na peru depuis 2003 que la moiti des sommes

    octroyes. Il faudrait que le Fonds vert pour le climat simpliie les conditions daccsaux inancements et cible les projets de rduction dmissions de GES les plus eficaces,comme le transport bas carbone ou leficacit nergtique des btiments.

    Ladaptation est la priorit pour les pays en dveloppement, notamment pour les plusvulnrables comme ceux dAfrique subsaharienne ou les petits Etats insulaires. Le far-deau inancier des impacts climatiques reprsente une contrainte de taille pour cesEtats qui ont dj une conomie fragile. La notion de Justice climatique a ici toute sapertinence. Or ladaptation reste ce jour le parent pauvre des inancements climatmalgr les besoins croissants du continent. Alors que les besoins sont estims entre7 et 15 milliards de dollars par an jusquen 2020, le continent ne reoit annuellementquentre 1 et 2 milliards de dollars selon le Programme des Nations unies pour lenvi-ronnement (PNUE). LAfrique a besoin dinvestissements plus cibls dans des mesuresdadaptation et daccs aux services nergtiques faiblement metteurs de GES. Sachantque plus de 45 % de la population africaine vit dans des pays disposant de la plus faible

    capacit dadaptation au monde, il est surtout crucial dinvestir dans les services sociauxde base, ainsi que dans le renforcement des capacits institutionnelles.

    Des mcanismes innovants taxes sur les transactions inancires,

    les billets davion ou le fret maritime -

    permettraient aux parties historiquement responsables

    de payer une partie de leur dette climatique

    et de contribuer la rduction des missions de GES

    Aprs avoir t le premier pays au monde avoir bnici des inancements du Fondsdadaptation6, le Sngal a ainsi mis en uvre un projet d Adaptation lrosionctire dans les zones vulnrables . Les infrastructures de protection ctire ralisesont scuris des habitations humaines, des installations conomiques et ont permis de

    rcuprer des terres salinises. A Joal, la modernisation des techniques de transforma-tion du poisson a contribu rduire la pression sur les ressources forestires avec uneconsommation rduite de combustibles ligneux. La construction de la digue anti-sel aamlior la scurit alimentaire avec la rcupration de terre salinise pour la rizicul-ture, des milliers dagriculteurs en ont bnici. A Ruisque, la mise en place de brise-lames le long de la cte protge les habitations de lrosion ctire. La protection deshtels et autres infrastructures dans la zone balnaire de Saly a permis de prserver desmilliers demplois directs ou indirects

    En somme, les avantages du inancement des efforts dadaptation et dattnuation auxchangements climatiques sont normes quand on veut se donner les moyens de sapolitique. Ils sont un catalyseur et peuvent paralllement contribuer lutter contre lapauvret et favoriser le dveloppement durable en Afrique. Vu les contraintes budg-taires, il est important de mettre en place des mcanismes innovants pour rpondre auxengagements qui ont t pris. Ces mcanismes, pnalisant les comportements polluantsou spculatifs par exemple le dveloppement et la mise en cohrence de taxes sur lestransactions inancires, sur les billets davion ou sur le fret maritime - permettraientaux parties historiquement responsables de payer une partie de leur dette climatique etde contribuer signiicativement la rduction des missions de GES. Tout un travail defaisabilit technique a dj t effectu et doit tre complt par un travail de portagepolitique de haut niveau. Ces sources innovantes pourraient rapporter des dizaines demilliards de dollars.

    Propos recueillis par Mathieu Gobin et Benjamin Bibas

    - 6 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

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    2. RESPECTER ET VALORISER LA TERRE

    Vous tes agro-pasteur dans le centre du Mali depuis prs de quatre dcen-nies. Quelle ralit revt pour vous le changement climatique ?

    Ds le milieu des annes 1970, les paysans maliens ont commenc rencontrer desphnomnes mtorologiques inhabituels : les grandes scheresses des annes1973 1975, puis en 1984-1985, ont t annonciatrices dans le Sahel dun cyclede pluie qui a commenc changer. Auparavant, la saison des pluies se terminaiten septembre, maintenant elle dure jusquen octobre, parfois mme en novembre,avec des prcipitations beaucoup plus abondantes quil y a deux ou trois dcennies.De mme, les grandes chaleurs du printemps deviennent insupportables, pour leshumains comme pour les cultures. Partout la poussire, anormalement abondante,recouvre les champs. Tous ces phnomnes perturbent nos prvisions et vontjusqu gcher certaines rcoltes. Les rendements agricoles commencent baisser.

    Les animaux sont les premires victimes de cette volution : ils ne mangent plus

    leur faim. Les bufs de labour ne tirent plus la charrue avec la mme force, il fautles mettre au repos au bout de deux heures. Les bufs, les chvres, les pouletssont faibles, ils ne rsistent plus aux maladies. De ce fait, le fumier organique nestplus aussi abondant quavant, ce qui diminue encore les rendements des champs.Finalement, les greniers ne sont pas remplis, la menace dun manque alimentaireplane constamment.

    Avec le changement climatique, les greniers ne sont pas remplis,

    la menace dun manque alimentaire plane constamment

    Le changement climatique est-il lunique facteur qui affaiblit lagriculturevivrire malienne ?

    Certainement pas. Depuis une quinzaine dannes, dans la zone sahlienne et notam-ment sur les pourtours du Niger, les paysans maliens subissent un accaparement deleurs terres. Au Mali, la terre appartient oficiellement lEtat. Dans les campagnes,elle est en pratique aux mains des familles qui les cultivent selon la coutume ances-trale. Elle est cde de gnration en gnration, selon un droit dusage, lhritierqui lexploite et qui en retour nourrit les autres membres de la famille, souvent partisvivre ou du moins survivre en ville. Mais la capitale Bamako, on voit les choses diff -remment. Il est possible, depuis la colonisation et plus encore depuis lindpendance,de se rendre dans un ministre pour acqurir des titres fonciers qui donnent un droitsur une terre et de faire valoir ces titres dans les campagnes. Depuis le dbut des an-nes 2000, ce phnomne sest considrablement acclr. Diffrents types dacteurs

    courtisent les ministres pour acqurir, sur plusieurs milliers voire plusieurs dizainesde milliers dhectares, des baux emphytotiques dune dure de 40, 60 voire 90 ans.Il sagit le plus souvent de personnes prives, de nationalit malienne, gnralementdes prte-noms, qui achtent ainsi jusqu 5 000 hectares. Ils agissent pour le comptede socits multinationales bases au Brsil, au Canada, en Afrique du Sud, en Libye,dans la pninsule arabique, et beaucoup plus rarement en Europe. Certains Etats, par-fois mmes certaines ONG internationales, sont directement acqureurs de ces titresfonciers, concernant des terres souvent situes sur les rives du Niger. En 2009-2010,le trs grand projet de riziculture port par lentreprise publique libyenne Malibya sur100 000 hectares non-loin de Sgou dans lOfice du Niger1, a t le plus visible de ceschantiers agricoles pharaoniques. Il comportait des expropriations de centaines depaysans et des travaux damnagement construction de routes, dviations de bras

    du Niger - conis des entreprises chinoises. Au total, on estime plus de 800 000hectares, soit plus 8 000 km2, la surface des terres sahliennes qui ont t accapares

    au Mali depuis 2000. Dans un pays vaste mais o moins de 6 % du territoire peut trecultiv, ce modle a conquis 12 % des terres arables en quinze ans !

    O B D

    Agro-pasteur

    Eleveur et agriculteur familial Sofara(rgion de Mopti), Ousmane BarkDiallo, 57 ans, est membre de la

    Coordination nationale des organisa-tions paysannes (Cnop), qui regroupeplus de deux cents organisations danshuit rgions du Mali. A la veille de la

    COP21 Paris, il dresse un tat des lieuxalarmant de lagriculture dans son pays,dinit des objectifs et ouvre des pistesdaction.

    N 7 - 2015COP21 :

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    1. LOfice du Niger est un primtre deculture irrigue amnag sur le delta in-

    trieur du Niger, environ 250 km en avalde Bamako.

    2. Varit de haricot, plus souvent appel

    en France cornille ou pois vache.

    Ce phnomne atteint gravement lagriculture vivrire. En effet, les cultures pro-duites sur ces vastes domaines le sont de faon intensive, avec force dboisement etdversement massif de substances chimiques inconnues, ce qui appauvrit consid-

    rablement la terre moyen terme. De plus, ces cultures sont trs majoritairementdestines lexportation : notamment riz, sucre, soja ou jatropha, plante originel-

    lement destine ixer les sols et dsormais utilise pour fabriquer de lagrocar-burant. Ce phnomne massif vient sajouter une autre cause majeure de laf-faiblissement de lagriculture vivrire au Mali : depuis environ vingt ans, des trsnombreuses terres cralires ont t converties la culture du coton, juge plusrentable et galement destine lexport. Cette culture a connu une crise ds 2004,lorsque les Etats-Unis ont dcid de subventionner leur propre coton, le vendant bas prix et gnrant par-l une baisse des cours mondiaux. Le coton malien a tdurement touch mais depuis, les cours mondiaux du coton se sont nouveau r -guls Finalement, lagriculture vivrire nest pas du tout lobjectif des nouveauxpropritaires de terres au Mali : ceux-ci sont avant tout anims par des objectifs derentabilit, voire de spculation.

    Des grandes socits trangres ont accapar12 % des terres arables maliennes en quinze ans !

    Dans un pays o lautosufisance alimentaire nest pas acquise, comment ex-pliquez-vous cette tendance centrifuge de lagriculture malienne ?

    Cette tendance centrifuge est encourage par les pouvoirs publics. Depuis les annes1990, les gouvernements successifs du Mali prnent une ouverture totale de lagri-culture aux investisseurs. La vocation des terres agricoles est en train dvoluer trsvite, vers ce que le gouvernement appelle lagriculture utile, lagro-business prten-dument seul capable de nous dvelopper. Les relais du gouvernement auprs despaysans sont nombreux : notamment les CRA (Chambres rgionales dagriculture)et lApcam (Assemble permanente des chambres dagriculture), cres et entrete-nues par les pouvoirs publics. De plus, le Mali est signataire de presque toutes lesconventions et traits prnant louverture maximale du commerce international.Dans ce cadre, on assiste un bradage des ressources foncires et une fuite desressources naturelles du pays.

    Un des principaux problmes est que lEtat malien est faible. Faible, notamment,face aux organismes internationaux publics ou privs Banque mondiale, FMI,certains Etats, multinationales agroalimentaires - qui exercent des pressions pourquil rende les ressources du pays le plus accessible possible, en vue de favorisersoit leur propre intrt, soit lide quils se font de la croissance mondiale. La pres -sion exerce pour la signature des accords de partenariat conomique (APE) avec

    lUnion europenne en est une des illustrations. La plupart des Etats africains nesont pas assez forts pour rsister ces pressions.

    LEtat malien est faible face aux pressions internationales

    pour rendre les ressources du pays le plus accessible possible

    Dans ce contexte, comment agissez-vous ?

    A titre individuel, je suis dabord agro-pasteur Sofara, dans la rgion de Mopti.Mon activit principale est llevage bovin, mais jlve aussi quelques chvres etquelques moutons. En plus, je cultive un peu plus de 5 hectares de champs : 3 hec -tares sont consacrs au riz, un hectare larachide et un hectare au nib 2. Cetteactivit sufit amplement me nourrir moi, une partie de mon village et ma famillelargie partie en ville : ensemble, nous consommons environ un tiers de ma pro-duction. Ce modle dagriculture familiale est largement sufisant pour nourrir len-semble de la population malienne : celle-ci est encore plus de 60 % rurale, et les

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    N 7 - 2015 COP21 :

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    familles disposent en gnral dau moins 3 ou 4 hectares cultiver. Sans compterqu Bamako, une bonne partie de la population, fonctionnaire, exerce aussi uneactivit agricole de surplus.

    Pour vendre la production que ma famille ne consomme pas, je suis adhrent dunecooprative locale, qui stocke la production et lcoule rgulirement sur le march des prix dachat (au paysan) et de vente (au client) rguliers. Cela permet dchap-per au systme des intermdiaires grossistes qui stockent la production au momentdes rcoltes et la revendent trs haut prix en priode de manque. Ces cooprativespaysannes sont elles-mmes regroupes au sein de la Coordination nationale desorganisations paysannes (Cnop), qui compte onze fdrations totalisant plus dedeux cents organisations paysannes adhrentes. Celle-ci a pour objectif damliorerles conditions de vie des producteurs et lautosufisance alimentaire dans le cadredune agriculture paysanne, familiale et multifonctionnelle. La Cnop est totalementindpendante, fonctionnant avec ses moyens propres.

    Une des principales revendications de la Cnop est aujourdhui le droit des com-munauts villageoises. Nous tentons dexpliquer aux communauts villageoises

    quelles ont un droit inalinable sur les terres quelles occupent, que mme lEtatne peut les en chasser sauf une raison dutilit publique particulirement excep-tionnelle et moyennant un ddommagement consquent. Plusieurs paysans ont tjets en prison pour dfendre cette revendication. Nous luttons galement pour quela dure des baux sur les titres fonciers ne puisse pas dpasser 20 ans.

    Le modle dagriculture familiale, thoriquement promu

    par la Loi dorientation agricole de 2006,

    est largement sufisant pour nourrir lensemble de la population

    Mais le plus important, cest que nous nous battons inalement pour lapplication dela loi. Car le remde existe depuis 2006. Cest lapplication courageuse et dtermine

    de la Loi dorientation agricole (LOA). Ce texte riche de 200 articles, que les organi-sations paysannes ont labor en complmentarit avec le Parlement et les servicespublics, propose une refonte totale de lagriculture malienne dans les domaines delensemencement, de la production, de la commercialisation, de la formation, de larecherche Il prne un dveloppement de lagriculture malienne fonde dabordsur les exploitations familiales, puis sur les entreprises agricoles taille humaine,structures autour des coopratives locales et non parachutes de lextrieur. La loidonne la priorit lagriculture vivrire et llevage de races locales, elle vise lasouverainet alimentaire avant denvisager lexportation.

    La loi est donc bien faite, mais ce sont les dcrets dapplication gouvernementauxqui posent problme car, le plus souvent, ils vont en fait lencontre de lesprit dela loi. Alors que la loi prne la sauvegarde et le dveloppement de la biodiversit

    (cite trois fois dans le texte), le gouvernement essaie ainsi dintroduire les OGM auMali sous couvert de bioscurit 3. Et il dispose de toute une srie doutils pourpolitiser les coopratives locales son avantage, ou pour les tracasser lorsquellesrsistent sa volont. Cest pourtant lesprit de la loi de 2006 quil est urgent dap -pliquer, laquelle mentionne dailleurs la rduction de lexode rural comme sonpremier objectif spciique. Car respecter et valoriser la terre, sa biodiversit, sonusage des ins dabord locales, est la faon dont nous pouvons agir face aux agres-sions extrieures accaparement des terres, missions massives de gaz effet deserre dans dautres pays qui ont un effet dvastateur ici - pour que les ressourcesnaturelles et les tres humains cessent de fuir le Mali.

    Propos recueillis par Grard Lansade et Benjamin Bibas

    N 7 - 2015COP21 :

    3. Ensemble de mcanismes juri-

    diques, techniques et administratifs

    mis en place ain de veiller lutilisa-

    tion en toute scurit de la biotechno-

    logie moderne , cf. loi n06-045 du 5

    septembre 2006 portant loi dorienta-

    tion agricole, Rpublique du Mali.

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    3. UN LIEN INDISSOCIABLE ENTRE LMANCIPATIONDES FEMMES ET LE DVELOPPEMENT DURABLE

    Malgr une croissance conomique rapide (plus de 5% par an depuis 2010),les missions de gaz effet de serre demeurent trs faibles au Kenya : moinsde 0,3 tonne par habitant et par an, alors quun niveau annuel de 2 tonnesest considr comme acceptable lchelle mondiale. Quest-ce quun payscomme le Kenya peut attendre de la COP21 ?

    Le Kenya est en effet un trs faible metteur de gaz effet de serre et na quasimentaucune responsabilit historique dans le changement climatique. Ce sont les paysdvelopps qui en sont responsables. Au lieu de demander aux pays en dvelop-pement de rduire leurs missions, ils feraient mieux dalimenter hauteur daumoins 100 milliards de dollars le Fonds vert pour le climat, cr en 2009 lors de

    la COP15 Copenhague, ain daider les pays pauvres passer une conomie fai -blement carbone. Le Kenya devrait compter parmi les pays bniciaires du Fonds

    vert pour le climat. En dpit de ses dificults environnementales et de ses besoinssociaux et ducatifs, lconomie kenyane dpense chaque anne 5 milliards de dol-lars pour sadapter au changement climatique. Nous dpensons beaucoup dargentdans ce sens, surtout dans le cadre de la sensibilisation au changement climatiqueet pour protger les populations locales contre les consquences des pnuries ali-mentaires. Cette action a besoin dtre dveloppe.

    Les pays dvelopps devraient alimenter le Fonds vert pour le climat

    hauteur dau moins 100 milliards de dollars pour aider

    les pays pauvres passer une conomie faiblement carbone

    Quels sont les principaux problmes environnementaux auxquels le Kenyaest confront aujourdhui ?

    A cause de la surexploitation des terres arables, du dversement des dchets et duchangement climatique, quatre facteurs importants menacent actuellement lenvi-ronnement au Kenya. Premirement, la pollution de leau est devenue un problmeinsupportable pour les habitants et lcosystme : dans un pays o les industrieset les villes sont en croissance rapide, une quantit norme de dchets industriels

    et urbains sont rejets dans les rivires et les lacs, tandis que lagriculture inten -sive dverse des quantits inutiles de pesticides et dengrais qui contaminent lesnappes phratiques. Deuximement, une vaste rosion des sols est en train dese propager cause de lagriculture intensive et de la dforestation massive qui

    a eu lieu dans les annes 1980 et 1990, entranant la perte de 50 % des forts duKenya. Troisimement, le changement climatique suscite des scheresses plus fr-quentes qui, combines la dforestation, entranent la dsertiication. Enin, lebraconnage, qui est une vieille tradition internationale au Kenya, a augment desniveaux sans prcdent au cours de ces vingt dernires annes, essentiellementain dalimenter des rseaux de traics en Asie.

    Le Kenya nest toujours pas autosufisant sur le plan alimentaire cause, parexemple, de laugmentation du nombre dexploitations loricoles. En partant quasi-ment de zro en 1996, le Kenya est devenu en vingt ans le cinquime leader mondialdans le domaine de la production lorale, avec 60 % de roses. Installes sur plus de37 km, les 2150 exploitations lorales du Kenya reprsentent 36 % des importa -tions de roses en Europe via les Pays Bas. Les plus grandes exploitations lorales sont

    dtenues directement ou indirectement par des entreprises trangres pour la plu-part indiennes, chinoises ou amricaines. A cause de lusage intensif de pesticides etdengrais et au pompage des eaux des rivires et des lacs environnants - la plupartdes exploitations lorales sont bases autour du lac Naivasha, 100 km au nord deNairobi , ces exploitations provoquent une dgradation des sols et une pnurie en

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    N 7 - N 2015 COP21 :

    M B

    Secrtaire gnrale du AfricanNetwork for Environmental

    Journalists(ANEJ)

    Mildred Barasa, 45 ans, couvre de-puis vingt ans les questions envi-

    ronnementales pour plusieurs m-dias kenyans dont Kenya Timeset la

    Kenyan Broadcasting Corporation.

    Initialement spcialise dans le do-maine de lgalit des sexes, elle agalement t experte en communi-cation pour le gouvernement kenyan(ministre de la Planiication) etsest prsente aux lections parle-mentaires en 2013. En tant que se-crtaire gnrale de lANEJ (Rseauafricain des journalistes environne-

    mentaux), reprsentant environ 600journalistes de 38 pays africains, elledcrit la situation environnementale

    au Kenya et voque ce quil est pos-sible de faire pour lamliorer.

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    1. PNUE : Programme des Nations uniespour lenvironnement

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    eau. Certaines vont mme jusqu dvier des rivires pour irriguer des serres. Dansle meilleur des cas, ces exploitations lorales sont installes sur des terres dboises.Au pire, les leurs sont cultives sur des terres qui ont t prises des villageois.

    Laccaparement des terres est en effet pratiqu au Kenya au nom du dveloppe-ment. De grandes entreprises trangres achtent de vastes domaines de terrespour des productions agricoles destines lexport : leurs (troisime source dedevises au Kenya), mais aussi th (la premire), caf... Au Kenya, les terres ruralesappartiennent aux communauts locales. Quelques anciens ont ainsi le pouvoir devendre la terre des entreprises, tandis que des familles entires sont condam-nes partir vivre ailleurs. Cela est dautant plus grave que seulement 20% desterres kenyanes sont arables, les 80% restant tant arides ou semi-arides. Sur lesterres arables, les cultures dexportations remplacent progressivement les culturesalimentaires (crales, lgumes...) et, comme les terres arides et semi-arides es-sentiellement situes dans les montagnes sont trs coteuses irriguer, le Kenyasloigne de lautosufisance alimentaire. De plus, du fait de la croissance dmogra -phique y compris dans les campagnes, les gens sont obligs de partir. Et comme ilsne peuvent gure trouver dautres terres cultivables o sinstaller, ils risquent desouffrir de la faim. Cette dernire peut son tour tre source de conlits.

    Ainsi des conlits surviennent-ils avec des leveurs Masa, propritaires de 100 500 vaches en moyenne. A cause des scheresses plus frquentes et de lacca-parement des terres, ces derniers rencontrent de plus en plus de dificults pourtrouver un endroit o laisser patre et boire leurs btes. Ils nont alors pas dautreschoix que demmener les animaux sur des terres ou des puits appartenant despetits propritaires ou des entreprises. Ces conlits engendrent de nombreusesvictimes au Kenya. Finalement, nous traversons une crise environnementale trsgrave : comme la expliqu Achim Steiner, Directeur excutif du PNUE1, les pro-blmes environnementaux comme la dsertiication, la dgradation des sols et ladforestation, contribuent dans une large mesure la rarfaction des ressources

    vitales comme leau potable et celle destine lirrigation, le fourrage pour lesanimaux et le bois de chauffage. Cette rarfaction peut entrainer et exacerber desconlits et des dplacements de population, qui sont leur tour susceptibles de cau-ser une dgradation acclre de lenvironnement et des souffrances humaines .

    A cause de la surexploitation des terres arables,

    du dversement des dchets et du changement climatique,

    quatre facteurs importants menacent lenvironnement au Kenya :

    la pollution de leau, lrosion des sols, la dsertiication et le braconnage

    Qui porte la plus grande responsabilit de cette dtrioration de lenvironne-

    ment au Kenya et de ses consquences humanitaires ?

    Le gouvernement a une responsabilit. En effet, il encourage gnralement lesgrandes exploitations agricoles ou minires, en faisant valoir leur incidence sur lacration demplois et sur laugmentation du revenu intrieur grce aux exporta-tions. Cependant, cela se fait souvent au dtriment des communauts locales qui

    se retrouvent dans lobligation de quitter des zones dvastes sur le plan environ-nemental. Cest ainsi que, durant lt 2014 aux alentours du lac Turkana (nord duKenya), des entreprises britanniques et canadiennes ont dcid de se lancer dans

    lexploitation ptrolire en accord avec le gouvernement kenyan. Un grand nombrede familles ont protest, trouvant que la compensation inancire quon leur propo-sait tait bien trop faible compare aux revenus attendus du ptrole. Il nest certes

    pas toujours facile de trouver un juste milieu, mais au inal le gouvernement sou -tient souvent lintrt des entreprises.

    En effet, les entreprises trangres lancent de grandes oprations de sduction au-prs du gouvernement. Daprs ce que jai pu comprendre dans mes recherches, ces

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    entreprises sont les principales responsables de la dtrioration de lenvironne-ment au Kenya. La plupart dentre elles possdent des participations croises dansdiffrents domaines, dont lagriculture, les exploitations minires ou lindustrie,qui ont un impact ngatif sur lenvironnement. La loi environnementale kenyaneexiste, mais elle nest pas applique : ladministration kenyane est souvent corrom-

    pue par les entreprises trangres, qui payent galement des avocats pour trouverdes failles dans la loi de manire lenfreindre en toute impunit.

    Quand et comment la socit civile kenyane a-t-elle commenc semparerde la question environnementale ?

    La socit civile kenyane a ralis assez rapidement que pour combattre ladtrioration environnementale, elle ne pouvait pas compter sur lEtat. En 1977,quatorze ans seulement aprs lindpendance, la professeure de biologie WangariMuta Maathai (1940-2011) a lanc le mouvement Ceinture Verte pour luttercontre la dforestation et lrosion des sols qui en dcoule. Lorsque nous plan-tons des arbres , disait-elle, nous plantons les graines de la paix et de lespoir .

    Depuis, plus de 51 millions darbres ont t plants au Kenya, dont 30 millions aucours des seize premires annes lorsque la dforestation tait son paroxysme.Il est aujourdhui largement admis que le mouvement Ceinture Verte a permisdempcher la disparition de la fort kenyane. En 2004, Wangari Maathai a reule Prix Nobel de la Paix pour sa contribution au dveloppement durable, ladmocratie et la paix . Elle tait une militante non-violente, qui sest galementengage en politique en fondant le parti Vert Mazingira du Kenya au tournant desannes 1990 et 2000, avant de devenir Ministre de lEnvironnement en 2004.

    Wangari Maathai, qui tait ne dans une famille de petits cultivateurs des hautsplateaux, a t lune des premires femmes africaines duques. Pour moi, elle in-carne ce lien indissociable entre lmancipation des femmes et le dveloppementdurable : en Afrique, la plupart des femmes savent parfaitement que davantage descheresse et de dforestation implique une plus grande distance parcourir pourrapporter de leau ou du bois la maison. Pourtant au Kenya aujourdhui encore, denombreuses familles ne laissent par leurs illes aller lcole tant donn quellesvont bientt se marier. Pour certains Kenyans, duquer une ille cest comme irri-guer les terres dun autre homme ! Dans un tel contexte, lducation des illes et ladiscrimination positive lgard des femmes sont essentielles.

    Le mouvement Ceinture Verte a plant 51 millions darbres en 38 ans

    et a permis dempcher la disparition de la fort kenyane

    Laide publique au dveloppement occidentale peut-elle contribuer soutenir

    la protection de lenvironnement au Kenya ?Laide publique au dveloppement (APD) qui existe depuis plusieurs dizaines dan-nes et a essentiellement port sur les travaux publics et le secteur de la sant, na pasdonn de rsultats exceptionnels. Les Kenyans sont capables dimaginer et de trouverles moyens de inancer leurs propres solutions la plupart des problmes auxquels ilssont confronts. Toutefois, lAPD peut encore jouer un rle dans quatre domaines quenous avons du mal grer par nous-mmes. En premier lieu, elle devrait tre destineau Fonds vert pour le climat ain daider les pays les plus vulnrables attnuer lechangement climatique et sy adapter. Deuximement, elle devrait aider les forces descurit du Kenya et dAfrique combattre et enquter sur les importations massivesde drogues en provenance de locan Indien via le port de Mombasa. Troisimement,elle devrait contribuer la sensibilisation et au dveloppement des traitements contre

    le SIDA, qui demeure un problme de sant majeur au Kenya et dans toute lAfrique.Enin, elle devrait uvrer avec les Kenyans et le gouvernement kenyan pour luttercontre le terrorisme, un problme mondial qui touche aussi le Kenya.

    Propos recueillis par Benjamin Bibas et Frdric Maintenant

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    R E N

    Secrtaire excutif de la Coalitionrestauratrice de lEtat dmocratiqueen Guine quatoriale (CORED)

    Ancien ingnieur ptrolier dansle golfe de Guine, Raimundo ElaNsang est 43 ans secrtaire gn-ral de la Coalition Restauratrice delEtat Dmocratique (CORED) enGuine quatoriale. Depuis Paris oil est rfugi politique, il expose lesconsquences environnementales et

    sanitaires de lexploitation ptroliredu bassin du Congo au delta du Niger,et dresse quelques pistes pour les

    rduire, voire les prvenir.

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    4. RPARER LES DGRADATIONS ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES LIES LEXPLOITATIONPTROLIRE DANS LE GOLFE DE GUINE

    Le golfe de Guine, rgion qui dispose des cosystmes les plus varisdAfrique, reprsente prs de 70 % de la production du ptrole subsaharien.Elle est de ce fait extrmement expose aux dgradations environnemen-tales et sanitaires.

    Dgradations environnementales

    Dans le golfe de Guine, la production de ptrole est la fois onshore, cest--diresur la terre ferme, et offshore, cest--dire en eaux profondes maritimes. Les dgra-dations environnementales affectent donc les cosystmes terrestres et marins.

    Le golfe de Guine est considr comme le deuxime poumon du monde car il renferme, aprs les forts amazoniennes, la plus grande zone mon-diale de forts humides qui contient une biodiversit indescriptible. La fauney compte aujourdhui plus de 500 espces de mammifres, 200 espces dereptiles sur les 275 qui existent en Afrique, un millier doiseaux recenssdont 800 nicheurs, 1500 espces de papillons Quant la lore particuli-rement diverse en fort quatoriale, elle y regorge dessences aux vertus bio-logiques et thrapeutiques. Les dgts causs par lexploitation du ptroley rsultent notamment de la dvastation des forts pour linstallation delindustrie, lexemple le plus remarquable tant la construction de loloducde 1070 kilomtres reliant Doba (Tchad) et les ctes camerounaises Kribi.Exploration et production gnrent galement des dversements de ptroledans le milieu naturel, ce qui empche le dveloppement normal des espces.Chaque anne, le delta du Niger est ainsi pollu par au moins 2,3 milliardsde mtres cubes de ptrole, issus de 300 dversements diffrents1. Certainesestimations indiquent mme une mesure dix fois suprieure2. De plus, lestorchres gaz rejettent des substances nocives pour les plantes comme deloxyde dazote, du monoxyde de carbone et du dioxyde de soufre.

    La dgradation lie aux cosystmes marins est aussi trs importante danscette rgion, puisque lextraction du ptrole y est majoritairement offshore.Cette pollution peut avoir pour origine le dversement du ptrole par la fuitedans les puits, le dgazage et nettoyage des moteurs des ptroliers au largedes ctes en violation de la lgislation internationale. En septembre 2008, larupture dun pipeline sous-marin de la socit Perenco Gabon a entran unecatastrophe environnementale dans la lagune du Fernan Vaz (province delOgoou-Maritime). Le littoral du golfe de Guine compte 4 282 km, de la fron-tire bnino-nigriane frontire angolo-namibienne. Les plages y sont souil-les, ce qui menace les habitats naturels tels que les mangroves et les herbiersmarins, mais aussi les frayres : asphyxie des poissons, destruction des ufs...Les tortues marines sont en danger : cinq des huit espces connues de tortuesvivant dans les ocans sont prsentes dans le golfe de Guine, dont quatre sontconsidres comme menaces3. Dans ces sites, la nidiication est rendue difi-cile du fait de lrosion des plages, de la pollution marine, des mares noires

    Dans le golfe de Guine,la production de ptrole est la fois onshoreet offshore.

    Les dgradations environnementales

    affectent donc la fois les cosystmes terrestres et marins.

    N 7 - N 2015COP21 :

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    Dgradations sanitaires

    De manire directe, la production de ptrole est lorigine de nombreuses

    maladies respiratoires et cutanes comme le cancer des poumons, la

    tuberculose, le cancer de la peau et dautres affections touchant un grand

    nombre de personnes. La tuberculose par exemple, trs prsente dans le

    golfe de Guine, est accentue dans les zones ptrolires. Daprs lOrga-

    nisation mondiale de la sant (OMS) qui calcule le taux dincidence de la

    maladie (nombre estimatif de nouveaux cas pour 100 000 habitants), la

    tuberculose volue selon lactivit ptrolire au Gabon et en Guine qua-

    toriale. Au Gabon, le taux dincidence de la tuberculose passe de 230 en

    1990 592 en 2005, ce qui concide avec laugmentation de lactivit ptro -

    lire entre ces deux dates. Puis il chute de 572 en 2006 423 en 2013, dans

    une priode o la production commence diminuer. Pour la Guine qua-

    toriale, lincidence est stable dans la priode pr-ptrolire : 86 en 1990,

    85 en 1995. Mais depuis la mise en exploitation du plus grand champ

    ptrolier quato-guinen en 1996, le taux dincidence ne fait quaugmen-

    ter : 87 en 1996, 100 en 2000, 110 en 2005, jusqu 144 en 2013. Cest vers

    le dbut des annes 2000 que la Guine quatoriale devient le troisime

    producteur de ptrole en Afrique subsaharienne, devanant ainsi le Gabon.

    Lexploitation ptrolire gnre galement une dgradation sanitaireindirecte, consquence de la surpopulation de villes dj trs pauvres en in-frastructures sanitaires. La dgradation des cosystmes due aux activitsde production ptrolire ne permet en effet plus aux villageois de continuer vivre des activits lies la nature comme lagriculture, la pche, la chasseou lutilisation des plantes mdicinales. Et lexode massif des villageois versles villes est bien sr li la concentration des activits conomiques autourde lindustrie ptrolire

    Le taux dincidence de la tuberculose volueselon lactivit ptrolire au Gabon et en Guine quatoriale

    Comment rparer, comment prvenir ?

    De nos jours, les compagnies ptrolires sont trs conscientes de la probl -matique environnementale. Les mesures sont prises en interne et les appli-

    cations technologiques de protection et de rparation environnementale sedveloppent, comme la mise au point de nouveaux produits chimiques telsque les dispersants, les absorbants et dsmulsiiants pour traiter le ptroleoffshore, ou encore la technique du Clean Magqui consiste assurer le net-

    toyage des nappes ptrolires par le magntisme.La rparation des dgradations sanitaires ne peut se faire que par linstalla-tion dinfrastructures adquates pour subvenir aux besoins des populations.Or la plupart des pays du golfe de Guine, devenus producteurs de ptrole,ont vu la misre de leurs populations augmenter car largent gnr nest pasbien redistribu. Seul un groupuscule de personnes bnicie de cette manneet lutilise pour se maintenir au pouvoir, sans investir dans lamlioration desconditions de sant. Dans ce contexte, certaines aides apportes par les en-treprises ptrolires dans leurs campagnes RSE ont montr leur eficacit,comme le projet contre le paludisme de 15,8 millions de dollars US dveloppsur cinq ans par la compagnie tasunienne Marathon Olen Guine quato-riale. Mais ces avances resteront cosmtiques tant que les causes profondes

    qui provoquent ces dgts ne seront pas affrontes.

    En effet, les entreprises ptrolires dans le golfe de Guine sont gnralementlies des rgimes autoritaires qui conisquent les revenus du ptrole leurproit. Lexploitation du ptrole tant une industrie trs capitalistique, elle a

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    N 7 - N 2015 COP21 :

    1. Alexis Riols, Piraterie et brigandagedans le golfe de Guine , Centre dtudessuprieures de la Marine, 2010.

    2. Rapport rdig par le spcialiste de len-vironnement David Moffat, mandat parla Banque Mondiale, et par le ProfesseurOlof Linden, de luniversit de Stockholm,cit dans Enviromental Security and

    Global Stability , Lexington Books, 2002.3. Jean Rieucau, Biodiversit et cotou-risme dans les pays du centre du golfede Guine , Les Cahiers dOutre-Mer,216-2001.

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    besoin de stabilit politique, quitte saccommoder de tels rgimes. Mais cettealliance est trs destructrice sur les plans environnemental et sanitaire : dunepart les entreprises ptrolires, tenant compte de la stabilit fragile des r -gimes en place, maintiennent un rythme de production lev qui cause plus dedgts environnementaux ; dautre part ces Etats, dpendants de la puissance

    conomique des multinationales, leur laissent le champ libre et prfrent nepas exercer de contrles environnementaux. De ce fait, les conventions inter-nationales de protection environnementale - vocation universelle comme

    la convention Marpol (Marine Pollution) du 2 novembre 1973, ou bien sp-ciiques au golfe de Guine comme la Convention dAbidjan sur la Diversitbiologique du 23 mars 1981 - ne sont pas appliques.

    Pour prvenir et rparer les dgradations

    environnementales et sanitaires

    dans le golfe de Guine, il faut au pralable

    instaurer de vritables Etats de droit

    aptes tablir des relations sainesavec les compagnies ptrolires

    Pour prvenir et rparer les dgradations environnementales et sanitaires

    dans le golfe de Guine, il faut au pralable instaurer de vritables Etats

    de droit aptes tablir des relations saines avec les compagnies ptro-

    lires en vue dune exploitation durable. Une exploitation durable du p -

    trole dans le golfe de Guine passe ncessairement par la consolidation de

    lencadrement juridique de lextraction ptrolire et par la mise sur pied

    dalternatives visant rduire la consommation de ptrole sur la plante.

    Rciproquement, il faut que les compagnies ptrolires acceptent linstau-ration de rgimes dmocratiques avec qui elles pourraient travailler dura-

    blement. Dans le golfe de Guine, o se trouvent les rgimes les plus an-

    ciens et les plus autoritaires du monde, linstauration de gouvernements

    dmocratiques est la condition sine qua non de lapplication des normes

    environnementales tant internationales que locales.

    A la COP21, la Guine quatoriale devrait proposer

    de ne pas extraire 30 % de ses rserves de ptrole,

    en change dune garantie inancire substantielle

    du Fonds vert pour le climat

    La Guine quatoriale est une bonne illustration de cette problmatique : cepetit pays de 740 000 habitants, avec plus dextension maritime que les autrespays du golfe, dispose dune surface dexploration ptrolire suprieure, avectous les dangers cologiques que cela comporte. Le pays compte encore 1 200millions de barils de rserves prouves, soit 4,6 % des rserves mondiales.

    Mais le pays a atteint un pic de production en 2006 : pour maintenir les vo-lumes de production avec les techniques de rcupration assiste employes,

    les risques de dgradations environnementales vont donc augmenter avec letemps. Cest pourquoi la COP21, la Guine quatoriale devrait proposer dene pas extraire 30 % de ces rserves de ptrole - pourcentage correspondant

    la part du ptrole dvolue lEtat quato-guinen dans les accords signs avecdes entreprises ptrolires -, moyennant la garantie de toucher une sommesubstantielle via le Fonds vert pour le climat.

    N 7 - N 2015COP21 :

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

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    5. INSTAURER LA TRANSPARENCE FINANCIRE DANS UNETAT DE DROIT

    Le Gabon reste un producteur de ptrole assez important avec environ

    250 000 barils extraits oficiellement chaque jour, mais aussi un metteur deCO

    2non ngligeable lchelle de lAfrique (1,4 t/an/hab). Comment voyez-

    vous les enjeux de la COP21 pour le Gabon et pour lensemble du continent ?

    Le Gabon est en effet un des rares pays africains qui doit surveiller ses missions

    de gaz effet de serre (GES) ain quelles ne dpassent pas le niveau globalement

    soutenable de 2,0 t/an/hab. La raison de ces missions relativement leves est

    double : dune part, limportance du torchage des gaz li lextraction du p -

    trole offshore1; dautre part la dforestation par dizaines de milliers dhectares,

    remplaant la fort quatoriale trs absorbante de CO2par des plantations de

    monocultures (caoutchouc, palmeraies) au proit de multinationales singa-

    pouriennes ou malaises qui ont reu lonction du gouvernement. En ce sens,

    il faut saluer la contribution du Gabon la COP21, premire contribution dunpays africain dpose ds le mois davril 2015. Celle-ci vise maintenir en 2025

    les missions de GES leur niveau actuel en protgeant la fort et en rduisant

    le torchage et ce, sans contrepartie inancire prcisment exprime. Mais jai

    bien peur quil ne sagisse l que dun coup communicationnel la veille dune

    COP21 trs mdiatise en France. Protger la fort signiierait en effet pour le

    gouvernement renoncer des lux inanciers normes, or jusqu prsent lEtat

    gabonais ne nous a pas habitus ce type de comportement.

    Le Gabon est un des rares pays africains qui doit

    surveiller ses missions de gaz effet de serre

    ain quelles ne dpassent pas

    le niveau globalement soutenable de 2,0 t/an/hab

    Selon Brainforest, lexploitation des ressources naturelles pose des

    problmes prjudiciables au dveloppement du Gabon et au bien-tre

    de ses populations . Pouvez-vous en donner des exemples ? Quelles ac-

    tions avez-vous men pour tenter dy remdier ?

    Lexploitation des ressources naturelles nest pas un problme en soi si elle est effec -tue de faon responsable. Mais au Gabon, ce nest que trop rarement le cas. Prenonslexemple de la fort, qui couvre plus de 85 % du territoire gabonais. Ds 2000, nousnous sommes mobiliss avec succs pour la prservation des chutes dIpassa et Min-

    gouli (province de lOgoou-Ivindo, nord-est du Gabon), lesquelles taient mena-ces par une exploitation intensive des forts alentours, promise au groupe franaisRougierspcialis dans la transformation et le ngoce des bois tropicaux. Nous avonsobtenu que le ministre des Eaux et Forts gabonais retire le permis dexploitation Rougier et lui dlivre un permis dexploiter une surface quivalente dans un lieumoins sensible sur le plan de la biodiversit et des paysages. Si hier ce ministre taitsensible ce type de proccupation, aujourdhui lexploitation illgale du bois a at-teint un niveau jamais franchi au Gabon par les exploitants chinois avec la complicitdes hautes autorits administratives sans que les coupables ne soient sanctionns.

    Mais cest lexploitation minire qui est la plus abusive. En 2007, nous avons

    ainsi empch la construction dune route et dun barrage vers les chutes de

    Kongou (Ogoou-Ivindo), lesquels taient prvus dans le cadre de lexploita-

    tion des mines de fer de Belinga par la irme chinoise CMEC qui avait obtenuun permis dexploitation. Or ce permis ntait pas valable : il contrevenait la

    politique nationale de prservation des forts et de lenvironnement, et no-

    tamment des parcs nationaux institus en 2002 puisque les chutes sont si -

    tues dans le parc national de lIvindo. Quatre ans plus tard, en 2011, avec

    - 16 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

    M O E

    Secrtaire excutif de lONG

    Brainforest

    Marc Ona Essangui, 53 ans, est co-fon-dateur et secrtaire excutif de lONGgabonaise Brainforest ( Protgerlenvironnement est notre engage-ment ). Membre de la coalition ga-bonaise de la socit civile Ca sufitcomme a ! , laurat du Prix Gold-

    man pour lenvironnement en 2009,il expose conjointement les dysfonc-tionnements structurels de lEtat etles menaces qui planent chronique-

    ment sur lenvironnement au Gabon.

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

    17/24

    1. Ptrole marin extrait en eaux profondes.

    - 17 -

    350 habitants du village de Moanda (Haut-Ogoou, sud-est du Gabon), nous

    avons attaqu devant la justice gabonaise la Compagnie minire de lOgoou

    (Comilog), iliale du groupe franais Eramet, pour une pollution ayant en-

    gendr une violation des droits leau, la sant et au logement : les boues

    dexploitation du manganse avaient totalement obtur la rivire Moulili dont

    leau tait ncessaire la vie des villageois. Suite cette procdure, la Comilogest en train de dpolluer la rivire et de lui rendre son lit initial. Brainforest a

    activement particip ltude de rhabilitation de la Moulili.

    Dans lexploitation minire au Gabon, luranium occupe une place spciale :

    son extraction pendant plusieurs dcennies a gnr une pollution durable

    qui a eu des consquences graves sur la sant des salaris et des habitants.

    La radioactivit a contamin tous les lments naturels, jusquau sable utilis

    pour construire des maisons dont les occupants dveloppent aujourdhui des

    cancers. Nous avons ainsi accompagn danciens mineurs du site de Mounana,

    non loin de Moanda, qui a ferm en 1999 aprs quarante ans dexploitation par

    la Cogema (aujourdhui Areva NC). Ces mineurs prsentaient des pathologies

    de diffrents types infections pulmonaires, cancers des poumons, cancers des

    os - quils souponnaient dtre causs par lexposition durable luranium.

    Brainforest a sig au sein dun Observatoire de la sant de Mounana cr en

    2010. Mais nous lavons quitt trois ans plus tard car, sur la centaine de patients

    examins, aucune pathologie navait t reconnue comme uranifre : les mde-

    cins et scientiiques de lObservatoire, rmunrs par Areva, obtenaient des r-

    sultats diffrents des mdecins privs que les mineurs consultaient par ailleurs.

    Cette affaire est grave : elle concerne plus de huit cents anciens salaris gabo-

    nais et franais du site sur une priode de quarante ans. Or il est criminel, mais

    hlas frquent au Gabon, dexploiter des ressources naturelles en attentant la

    vie ou aux droits fondamentaux des habitants.

    Il est criminel, mais hlas frquent au Gabon,

    dexploiter des ressources naturelles en attentant la vieou aux droits fondamentaux des habitants

    Comment de telles situations ont-elles pu se gnraliser ?

    Cest assez simple : le clan Bongo, au pouvoir depuis 1967, a tendu len-

    semble de lconomie gabonaise le systme de rmunration personnelle des

    gouvernants propre lextraction ptrolire. Omar Bongo, prsident gabonais

    de 1967 sa mort en 2009, exigeait de chaque entreprise trangre sins-

    tallant au Gabon quelle attribue au moins 10 % de son capital un holding

    familial, Delta Synergie. Ainsi, la famille Bongo dtenait des parts dans toutes

    les entreprises extractives, et celles-ci taient donc libres denfreindre la loicomme elles le souhaitaient puisquau Gabon nul nose sattaquer aux intrts

    du clan Bongo.

    Six ans aprs la mort dOmar Bongo, le systme perdure mais il sest complexi-

    i. Delta Synergie existe toujours. Prsid par Pascaline Bongo, ille dOmar

    et sur de lactuel prsident Ali Bongo, il a la rputation dtre de plus en

    plus gourmand. Mais Ali a galement cr son propre holding. Deux sous-

    clans Bongo se sont ainsi spars, luttant notamment pour la mainmise sur

    les appareils de scurit et de justice : ce sont ces appareils quil est crucial de

    matriser ain de prserver son enrichissement personnel, lequel dpend de

    la possibilit laisse aux entreprises trangres dexploiter et dexporter sans

    limites les ressources naturelles du Gabon. La famille Bongo dtient des parts dans toutes les entreprises extractives,

    celles-ci sont donc libres denfreindre la loi comme elles le souhaitent

    N 7 - N 2015COP21 :

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

    18/24

    Comment le Gabon peut-il sortir de ce systme ?

    Le Gabon doit sortir de ce systme et il peut le faire si la loi est applique.

    La Loi portant orientation du dveloppement durable et plus largement

    relative lenvironnement, vote en aot 2014, est une bonne loi qui a

    fait lobjet dun processus de concertation assez large. Mais il est dificile

    de lappliquer car la collusion publique avec les affaires prives ne se li-

    mite pas au sommet de lEtat, elle est gnralise : trop de responsables

    administratifs sont impliqus personnellement dans des exploitations il-

    lgales. Pour que la loi puisse tre applique, il faudrait un appareil de

    justice oprationnel. Cela suppose que le juge soit indpendant, or au-

    jourdhui il dpend du gouvernement qui le nomme. Finalement, nous

    avons besoin dune profonde rvision institutionnelle, o des institutions

    indpendantes les unes des autres rendront impossible limplication per-

    sonnelle des responsables politiques ou administratifs gabonais dans des

    investissements trangers.

    Membres de la coalition de la socit civile Ca sufit comme a ! , qui

    rassemble depuis 2012 treize syndicats et ONG du Gabon pour exiger plusde transparence dans la gestion publique, nous travaillons notre faon

    lavnement de cet Etat de droit. Lun des outils qui devraient jouer un

    rle dans la transparence dans la gestion des ressources naturelles est par

    exemple lInitiative de Transparence des Industries Extractive (ITIE)2 la-

    quelle le Gabon a adhr en 2002. Les Etats qui adhrent la norme ITIE

    sengagent en effet assurer une divulgation pleine et entire des impts

    et autres versements effectus par les entreprises ptrolires, gazires et

    minires3aux gouvernements. Mais le Gabon, qui na pas tenu cet engage-

    ment en qualit, a t exclu de lITIE en 2013.

    Les lgislations europennes ou tasuniennes

    sur le devoir de vigilance des socits mreset sur la transparence des industries extractives

    reprsentent une scurit juridique

    pour les personnes et les cosystmes du Gabon

    En attendant quun Etat de droit se mette en place au Gabon, nous sommes

    galement attentifs aux engagements que prennent nombre de compa-

    gnies extractives trangres en matire de RSE4, lesquels permettent par-

    fois de suppler ponctuellement aux carences de lEtat en matire duca-

    tive et environnementale. Nous sommes surtout trs favorables aux lois

    tasuniennes5, directives europennes ou propositions de loi franaises6

    qui imposent un devoir de vigilance des socits mres sur le compor-tement des iliales installes ltranger ou qui renforcent la transpa -

    rence des industries extractives7. Ces lgislations, si elles sont effectives,

    si leur caractre contraignant est appliqu, reprsenteront une scurit

    juridique pour les habitants et lcosystme du Gabon lheure o lEtat

    gabonais choue leur apporter cette scurit. Elles auront aussi un effet

    vertueux sur les comportements conomiques au Gabon. Brainforest sou-

    haite dailleurs jouer un rle actif dans leur mise en uvre, dans la mesure

    o notre action vise prcisment informer et accompagner les parties

    prenantes pour une gestion durable et quitable des ressources du Gabon.

    Mieux encore : nous voulons aboutir une socit gabonaise dans laquelle

    lenvironnement sera protg avec la participation active des populations,

    qui bnicieront des retombes conomiques de la gestion durable desressources naturelles.

    Propos recueillis par Benjamin Bibas et Rgis Essono

    - 18 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

    2. www.eiti.org

    3. Linclusion la norme ITIE des entre-prises exploitant le bois est en cours de

    ngociation.

    4. Responsabilit sociale des entreprises.

    5. La loi Dodd-Frank de juillet 2010, quirgule lensemble du secteur inanciertasunien, demande galement aux en-treprises inscrites la Securities and Ex-change Commission (SEC) de publier lescommissions quelles versent aux gouver-nements de chaque pays dans lequel elles

    oprent, pour exploiter leurs ressourcesptrolires, gazires et minires.

    6. Le 30 mars 2015, lAssemble Nationale

    franaise a adopt en premire lectureune proposition de loi relative au devoir

    de vigilance des socits mres et entre-prises donneuses dordre, qui stipule no-tamment : Toute socit qui emploie ()au moins dix mille salaris () sur le ter-ritoire franais ou ltranger, tablit etmet en uvre () un plan de vigilance. Ceplan comporte les mesures de vigilanceraisonnable propres identiier et pr-venir la ralisation de risques datteintesaux droits de lhomme et aux liberts fon-damentales, de dommages corporels ou

    environnementaux graves ou de risquessanitaires rsultant des activits de lasocit et de celles des socits quellecontrle . Pour les contrevenants, une

    amende peut atteindre 10 millions deu-ros. Consulter le dossier lgislatif :www.assemblee-nationale.fr/14/dos-siers/devoir_vigilance_entreprises_don -neuses_ordre.asp

    7. Le Parlement franais a adopt la loin 2014-1662 du 30 dcembre 2014

    portant diverses dispositions dadapta-tion de la lgislation au droit de lUnion

    europenne en matire conomique etinancire, qui introduit lobligation pourles entreprises ptrolires, gazires, mi-nires et forestires de publier tous lespaiements faits des gouvernements,projet par projet dans chaque pays oelles mnent des activits dexploita-tion ou dexploration. Cette loi transposeen droit franais les directives euro-pennes : directive n 2013/50/UE du22 octobre 2013, dite transparence

    et la directive 2013/34/UE du 26 juin2013, dite comptable . Consulter le

    dossier lgislatif : www.legifrance.gouv.

    fr/afichLoiPubliee.do;jsessionid=8A -DA98AC463FEC44F5EDFE54D0B -149FA.tpdjo04v_3?idDocument=JOR-FDOLE000029254232&type=gene-ral&legislature=14

    http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?idhttp://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=8ADA98AC463FEC44F5EDFE54D0B149FA.tpdjo04v_3?id
  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

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    H E A

    Ancien ministre de lEnvironnement etde la Pche du Sngal

    Hadar El Ali, 62 ans, a travers trenteans daction cologiste au Sngal.Dabord au sein de lOcanium de Dakar,association de connaissance et de

    protection de lenvironnement marin.Puis comme animateur de la Fdration

    dmocratique des cologistes snga-lais, formation politique qui la port des responsabilits ministrielles.

    - 19 -

    6. LE POLITIQUE A LES MOYENS DAGIR

    La COP21 se tient en dcembre 2015 Paris. Quen attendez-vous ?

    Rien. Je ne crois pas en ces grands rassemblements. Les principaux dci -

    deurs, responsables des pays les plus riches et les plus pollueurs, se sont

    dj runis pour prendre des dcisions quils vont annoncer mais quils

    ne vont pas appliquer. Parce quils nen ont pas les moyens : ils sont sous

    la domination du monde de la inance qui contrle la plante. Pour rel -

    lement changer la donne sur le climat, il faut une inversion des valeurs : il

    faut non que la inance soit au centre, mais que la plante soit au centre.

    Ma conviction, aprs quatre dcennies dcologie et associative et poli-

    tique, est que cela narrivera quaprs une grande catastrophe.

    Pour rellement changer la donne sur le climat,

    il faut une inversion des valeurs :

    il faut non que la inance soit au centre,mais que la plante soit au centre

    Comment tes-vous entr en cologie ?

    Comme tous les Sngalais dorigine libanaise, jtais familialement vou

    au commerce mais mon amour de la nature ma rattrap. A 15 ans, jai pris

    mon vlo un jour de vacances et je suis parti en brousse. En pleine nature

    jtais absorb, je navais plus la sensation du temps : quand je suis rentr

    au bout de deux mois, ma famille tait en train de prparer mes obsques !

    Jeune adulte, jai err pendant deux ans : jtais profondment attir par

    la mer. Jai fait toutes sortes de travaux lis locan jusqu ma rencontredans les annes 1980 avec Jean-Michel Comprost, ocanologue franais

    et fondateur Dakar de lOcanium, association de connaissance et de

    protection de lenvironnement marin. Avec lui et quelques amis, jai com-

    menc ilmer, documenter locan. Nous avons russi sensibiliser aux

    dangers de la pche lexplosif, par exemple, en ilmant les hcatombes

    que cette mthode inligeait la mer et en les montrant aux pcheurs.

    Dans les annes 1990, nous avons fait du documentaire pendant dix ans

    pour prendre connaissance de locan. Et quand on le connat, on laime

    beaucoup. Un promeneur qui porte son regard sur locan peut prouver

    un sentiment de puissance, de grandeur, dternit. Il peut croire locan

    indestructible. Mais locan est un tre qui vit, qui peut tre bless, qui

    peut mourir. Trs exactement comme la fort tropicale du Sahara sest

    mue en steppe avant de devenir le vaste dsert quelle est aujourdhui.

    Et les gens, quand ils voient les images de la dgradation de la mer, ils la

    vivent, ils la ressentent, et donc ils peuvent avoir envie dagir.

    Dans les annes 1990,

    nous avons fait du documentaire pendant dix ans

    pour prendre connaissance de locan

    Quelles actions de lOcanium vous semblent les plus signiicatives ?

    Je citerai trois grands projets. En 1992, nos activits documentaires nousont montr que 100 % des femelles du cymbium, coquillage pris au

    Sngal et en Asie pour ses qualits alimentaires, portaient des naissains

    en fvrier, mois crucial de la reproduction. Nous avons ilm les femelles

    ventres, les milliers de naissains relchs sur le sable. Nous avons rcu-

    N 7 - N 2015COP21 :

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

    20/24

    pr ces naissains et les avons placs dans des piscines dincubation avant

    de les rejeter en mer au bout de quelques mois, ain quils puissent y vivre.

    Nous avons sensibilis les pcheurs et mobilis les pouvoirs publics. Fi-

    nalement, nous avons obtenu linterdiction de la pche du cymbium en

    fvrier. Dune faon gnrale nous avons ainsi pass beaucoup de temps,

    au dbut des annes 1990, dire ce quil ne fallait pas faire.

    Puis nous nous sommes demand ce quil fallait faire. En 1995, nous

    avons eu lide de crer au Sngal une aire marine protge (AMP) . Nous

    avons sillonn pendant trois ans les deltas de Casamance et du Saloum

    pour trouver un endroit qui prsente la fois un cosystme protg o

    les poissons jeunes et la biomasse se trouvent en abondance, une beaut

    paysagre certaine et une capacit dengagement citoyen des habitants.

    Ibrahima Diam, nous a accompagns dans plusieurs villages sur la rive

    sud du Saloum prs de locan. Nous avons dlimit ensemble une aire

    de sept mille hectares protger. La Communaut rurale de Toubacouta

    a fait un dlibr pour crer lAMP de Bamboung avec nous. Nous avons

    obtenu une aide du Fonds franais pour lenvironnement mondial (FFEM)

    pour crer laire, puis nous avons command lInstitut de recherche sur

    le dveloppement (IRD) un tat de rfrence sur les espces prsentes,

    leurs tailles, la biomasse, etc. La mme tude a t ralise chaque anne

    pendant six ans. Au bout de trois ans, peu de choses avaient chang dans

    lAMP. Les annes quatre et cinq, une lgre augmentation quantitative se

    faisait sentir. La sixime anne, on assistait une vritable explosion de

    vie : une trentaine de nouvelles espces avaient fait leur apparition dans le

    delta, la taille des poissons avait augment au point quils pouvaient sortir

    du delta et recommencer leur cycle de vie dans locan Surtout, le cam-

    pement cotouristique avait fait la preuve de sa durabilit conomique :

    ses revenus inanaient la protection de laire, jusquaux salaires des villa-

    geois qui exeraient la fonction dcogardes pour empcher les comporte-ments frauduleux. En 2003, un dcret prsidentiel a class oficiellement

    cet espace comme aire marine protge.

    Trois ans plus tard, avec six cents jeunes du village de Tobor, nous avons

    entrepris le reboisement de la mangrove de Casamance. En une trentaine

    dannes, celle-ci stait dgrade au point de perdre 40 % de sa surface,

    du fait de trois facteurs principaux : les scheresses importantes des an-

    nes 1970, la construction de pistes de production coupant le lux et le

    relux de leau dans les annes 1980, les coupes de bois massives pour la

    construction des maisons ou les usages culinaires. Or dans la mangrove,

    il y a un enchevtrement total entre la fort, les champs et leau. Quand

    les arbres disparaissent, les champs de riz sont noys dans leau sale et

    meurent Les villageois paysans ont donc vu notre projet dun bon il. Saralisation tait pourtant complique : il fallait aller chercher en pirogue

    des semences de mangrove dans des endroits sains pour ensuite les re-

    planter dans des endroits dgrads. Au bout de deux ans, ce sont quinze

    villages qui nous ont accompagns sur ce projet, et nous avons replant

    avec eux 700 000 arbres. Ce reboisement a fait lors : en 2008, la fonda-

    tion Yves Rocher nous a aids planter 6 millions darbres dans 156 vil -

    lages ; en 2009, Danone et Voyageurs du Monde ont inanc la plantation

    par nos soins de 36 millions darbres pour compenser leurs missions de

    CO2. En 2010, nous avons plant 52 millions darbres, grce la mobilisa-

    tion de 110 000 personnes dans 428 villages.

    Pour quune action marche, sa gestion doit tre participative.Les solutions doivent venir par le bas et tre reproductibles

    Limmense succs et la durabilit de ces trois projets mamnent une

    conclusion fondamentale : pour quune action marche, sa gestion doit tre

    - 20 -

    N 7 - N 2015 COP21 :

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

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    - 21 -

    participative. Les solutions doivent venir par le bas et tre reproductibles,

    sinon elles nont pas de sens. Quand les habitants de la rgion nont pas

    compris la ncessit pour eux de limiter la pche ou de planter des arbres,

    vous nobtenez aucun rsultat. Jai pu constater, de trs nombreuses

    reprises, la rapidit avec laquelle des AMP dcides par une institution

    nationale ou internationale seffondraient ds lors que le bailleur initialarrtait son investissement. A Bamboung, Tobor, ce nest pas le cas :

    nos projets sont autonomes, nos projets sont vivants.

    Si vous croyez tant en la validation par le bas , pourquoi vous tres-vous engag en politique ?

    Parce qu un certain moment, il faut que des autorits puissent garantir la

    durabilit des vos actions. Prenons lexemple du bois : nous suivons avec

    attention la situation aux abords de Fafacourou, tout prs de la frontire

    gambienne aux sources du leuve Casamance. L, des hommes de socits

    chinoises situes en Gambie promettent aux jeunes Sngalais de leur of-

    frir une moto sils leur apportent trente troncs de teck. Chaque nuit, des

    jeunes traversent la frontire avec une charrette pour leur porter deux ou

    trois troncs, et force ils gagnent leurs motos. 3800 containers de teck ont

    ainsi dj t exports de Gambie vers la Chine en toute illgalit, puisque

    les multinationales qui assurent ce transport comme les autorits gam-

    biennes savent trs bien que les forts de teck sont situes au Sngal.

    Si un moment vous navez pas des lus locaux cologistes Fafacourou

    qui alertent sur cette pratique, qui ont nou des relations avec le prfet,

    les dputs dont on peut esprer quils soient aussi de sensibilit colo-

    giste, que va-t-il se passer ? Vous pourrez continuer planter des arbres

    Fafacourou : ils auront disparu ds le lendemain, un rythme qui dsor -

    mais nous dpasse. Alors des lus cologistes font ce travail. Face des

    traiquants de bois maieux, ils risquent mme leur vie pour a.

    Cest pourquoi, ds le dbut des annes 2000, nous avons commenc

    iniltrer le monde politique. En 2003, nous avons fond la Fdration

    dmocratique des cologistes du Sngal (Fedes). Nous nous sommes

    prsents aux lections locales, nous avons obtenu une centaine dlus

    sur tout le territoire. Jai mme pu tre ministre de lEnvironnement puis

    de la Pche entre 2012 et 2014. Nous visons prsent les lgislatives en

    2017. Nous nous battons donc sur les deux fronts : lcologie et la poli-

    tique. Tout en gardant une ide claire en tte : lcologie doit venir avant la

    politique. Si tu ne las pas compris tu perds ton temps, parce que les partis

    politiques qui tont prcd font de la politique mieux que toi. Et a cest

    le grand problme des partis cologistes au Sngal comme dans le restedu monde : ils font trop de politique et pas assez dcologie, il faut quils

    inversent cette tendance.

    Ds le dbut des annes 2000,

    nous avons commenc iniltrer le monde politique.

    Tout en gardant une ide claire en tte :

    lcologie doit venir avant la politique

    Votre exprience de ministre a t assez courte, peine deux ans.Etes-vous bien sr davoir fait assez de politique ?

    Mais je me fous de ne plus tre ministre. Etre ministre donne bien sr des

    leviers daction que lon na pas autrement. Mais depuis que je ne suis plus

    ministre, mon action cologique a repris dune autre faon. A vrai dire, le

    monde crve de ces politiques qui veulent rester ministres, qui veulent

    N 7 - N 2015COP21 :

  • 7/24/2019 COP21: rparer linjustice climatique en Afrique

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    N 7 - N 2015 COP21 :

    se faire rlire Ces gens-l, trs nombreux, se mettent immdiatement

    la porte des innombrables corrupteurs qui veulent saccaparer les res-

    sources naturelles africaines. Sur la base de mon exprience ministrielle,

    je pourrais dailleurs crire un roman rempli danecdotes rocambolesques

    sur le pillage des ressources sngalaises (grumes, or, poisson) lies la

    corruption de personnalits politiques ou de fonctionnaires. Le problmeest que la situation est grave : notre pays vit toujours dune conomie de

    prlvement, il ne transforme pas ses ressources. Or celles-ci se font de

    plus en plus rares, dans de nombreux domaines le pillage sacclre et on

    est proche de lpuisement. Nous sommes vrai dire en situation de sur -

    vie. Et les Africains et leurs dirigeants nont toujours pas compris la nces-

    sit dune gestion rigoureuse de leurs ressources

    En tant que ministre, jai pu effectivement limiter ce pillage. Mais les lob-

    bies de la inance, de ladministration, de la communication et des mara -

    bouts sont puissants au Sngal, ils ont eu raison de moi. Dautant que je

    nai pas toujours su mettre beaucoup deau dans mon vin : jattendais cette

    responsabilit politique depuis longtemps, je me sentais dans une urgence

    dagir. Et au plus haut niveau de lEtat, il ny a pas toujours la force ni la

    technicit pour combattre les lobbies eficacement. A la lumire de cette

    exprience, je pense toutefois que le politique a les moyens dagir, sil a une

    vision, sil a le courage de mener sa vision terme, sil a des valeurs, sil

    est engag. Comment penser autrement dailleurs ? Le peuple des arbres

    a tant besoin de nous

    Propos recueillis par Benjamin Bibas

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    N 7 - N 2015COP21 :

    C N

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    Journaliste et documentariste pour diffrents mdias (France Culture,

    France Inter, RTBF), Benjamin Bibas a produit depuis le milieu des

    annes 2000 une dizaine de documentaires radiophoniques sur

    lexploitation effrne des ressources naturelles en Afrique, les formes

    de rsistance quelle suscite, les violations graves des droits humains

    qui lui sont lies. Plus particulirement attentif la Rpublique dmo-

    cratique du Congo, il est lauteur dun portrait de ville radiophonique

    sur Kinshasa (Mon village, cest Kinshasa, RTBF et Radio Okapi, slec-

    tion Prix Italia 2015) et dun ilm sur le chorgraphe congolais Faustin

    Linyekul