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Paul Huard Contribution à l'étude des premiers travaux agraires au Sahara tchadien In: Bulletin de la Société préhistorique française. Études et travaux. 1970, tome 67, N. 2. pp. 539-558. Résumé Résumé. — Dans l'éclairage des données récentes sur la genèse de l'agriculture, l'auteur montre l'insuffisance du postulat d'une agriculture néolithique saharienne généralisée et analyse les indices recueillis suivant les deux axes coutournant l'erg libyque : a) du delta du Nil vers le Sahara central où des pré-agricultures locales néolithiques indéterminées ont pu exister, mais où l'on n'a pas de preuves de celles du blé et de l'orge avant l'Antiquité ; b) du Nil nubo-soudanais, où la culture du sorgho et du mil a pu se diffuser vers l'Ouest, théoriquement à partir du IIe millénaire. Au Sahara tchadien, les indices variés recueillis montrent que l'Ounianga et le Borkou lacustres ont pu connaître des travaux agraires à outillage néolithique, mais le terminus a quo d'un apport soudanais ne paraît pas avoir pu y être antérieur aux derniers siècles avant notre ère, le Tibesti restant encore pastoral. Citer ce document / Cite this document : Huard Paul. Contribution à l'étude des premiers travaux agraires au Sahara tchadien. In: Bulletin de la Société préhistorique française. Études et travaux. 1970, tome 67, N. 2. pp. 539-558. doi : 10.3406/bspf.1970.4219 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1970_hos_67_2_4219

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Paul Huard

Contribution à l'étude des premiers travaux agraires au SaharatchadienIn: Bulletin de la Société préhistorique française. Études et travaux. 1970, tome 67, N. 2. pp. 539-558.

RésuméRésumé. — Dans l'éclairage des données récentes sur la genèse de l'agriculture, l'auteur montre l'insuffisance du postulat d'uneagriculture néolithique saharienne généralisée et analyse les indices recueillis suivant les deux axes coutournant l'erg libyque : a)du delta du Nil vers le Sahara central où des pré-agricultures locales néolithiques indéterminées ont pu exister, mais où l'on n'apas de preuves de celles du blé et de l'orge avant l'Antiquité ; b) du Nil nubo-soudanais, où la culture du sorgho et du mil a pu sediffuser vers l'Ouest, théoriquement à partir du IIe millénaire. Au Sahara tchadien, les indices variés recueillis montrent quel'Ounianga et le Borkou lacustres ont pu connaître des travaux agraires à outillage néolithique, mais le terminus a quo d'unapport soudanais ne paraît pas avoir pu y être antérieur aux derniers siècles avant notre ère, le Tibesti restant encore pastoral.

Citer ce document / Cite this document :

Huard Paul. Contribution à l'étude des premiers travaux agraires au Sahara tchadien. In: Bulletin de la Société préhistoriquefrançaise. Études et travaux. 1970, tome 67, N. 2. pp. 539-558.

doi : 10.3406/bspf.1970.4219

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1970_hos_67_2_4219

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Bulletin de la Société préhistorique française, tome 67, 1970. Etudes et Travaux, fasc. 2

Contribution à l'étude des premiers travaux agraires

au Sahara tchadien

par Paul Huard

Résumé. — Dans l'éclairage des données récentes sur la genèse de l'agriculture, l'auteur montre l'insuffisance du postulat d'une agriculture néolithique saharienne généralisée et analyse les indices recueillis suivant les deux axes coutournant l'erg libyque : a) du delta du Nil vers le Sahara central où des pré-agricultures locales néolithiques indéterminées ont pu exister, mais où l'on n'a pas de preuves de celles du blé et de l'orge avant l'Antiquité ; b) du Nil nubo-soudanais, où la culture du sorgho et du mil a pu se diffuser vers l'Ouest, théoriquement à partir du IIe millénaire. Au Sahara tchadien, les indices variés recueillis montrent que l'Ou- nianga et le Borkou lacustres ont pu connaître des travaux agraires à outillage néolithique, mais le terminus a quo d'un apport soudanais ne paraît pas avoir pu y être antérieur aux derniers siècles avant notre ère, le Ti- besti restant encore pastoral.

Pour la période post-glaciaire, la connaissance des activités vitales des populations diverses qui ont coexisté ou se sont succédées au Sahara doit compter parmi les objectifs majeurs d'une Préhistoire tournée vers l'homme. Dans cette perspective et grâce à l'apport de disciplines nouvelles, on commence à disposer, sur les novations néolithiques inégalement apparues, d'indices plus variés et significatifs qu'au temps où la recherche préhistorique était centrée sur la typologie. Mais si les problèmes de la chasse, de la pêche et de l'élevage ont reçu un vif éclairage par l'analyse technologique et culturelle de l'art rupes- tre (1), les termes régionaux de passage de la cueillette à l'agriculture et les rapports entre celle-ci et l'élevage sont jusqu'ici restés dans l'ombre.

A la suite d'E.-F. Gautier, nombre d'auteurs ont admis comme un postulat la réalité d'une agriculture saharienne néolithique généralisée venue d'Egypte, d'après l'abondance du matériel de broyage recueilli dans le Sud-Algérien, puis au Sahara central et méridional. Cette vue simple n'a jamais satisfait les observateurs des populations du Sahara et du sahel tchadiens, dont l'alimentation mise encore, pour une part notable, sur la cueillette. On a aussi interprété dans une

optique agricole la destination de faucilles à dents de silex, de gros anneaux de pierre, de grands récipients ainsi que les vestiges d'établissements de sédentaires et les champs de tessons.

Ces facteurs ont été pris en considération dans le cadre de la chronologie courte proposée par Huzzayin (1936) pour la vallée du Nil et transposée à un Néolithique saharien supposé commencer vers 5 000 ВС. Mais les datations par le C. 14 obtenues récemment, notamment par Mac Burney en Cyrénaïque, Mori dans l'Akakous et Bailloud en Ennedi (2), montrent que des industries faisant suite à l'Epipaléolithi- que et typologiquement néolithiques remontent aux VIIe et VIe millénaires. Pour les tenants du postulat agricole eux-mêmes, la nécessité s'impose de rechercher, là où c'est possible, à quelle phase le Néolithique typologique a commencé à devenir économique, c'est-à-dire capable d'organiser une production régulière de nourriture, en ajoutant aux ressources ancestrales de la chasse, de la pêche et de la cueillette, celles de l'élevage et (ou) de l'agriculture.

Les indices attribués à l'agriculture appellent des remarques restrictives : lorsque le matériel de broyage n'a pas servi pour l'ocre, la gamme

(1) En dernier lieu, P. Huard (en coll. avec P. Beck), Tibesti, carrefour de la préhistoire saharienne, Paris, Arthaud, 1969.

(2) G. Camps. — Tableau chronologique de la préhistoire récente du Nord de l'Afrique. B.S.P.F.^ LXV, 1968, 609-622.

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étendue des instruments implique le traitement de produits de calibre, de contexture et de dureté variables. Au Tchad, de telles pièces, récoltées dans des sites néolithiques de surface ou façonnées dans le grès, servent aussi de nos jours à traiter des graines spontanées. L'interprétation aratoire des « haches » à gorge a été abandonnée et celles des « herminettes » contestée. Le labour par piquetage à l'aide du bâton à fouir des ramasseurs lesté par un anneau de pierre reste doublement conjectural, car les figurations rupestres montrent des massues à tête sphérique ou hémisphérique. Au Maghreb, on ignore l'usage réel des courtes faucilles droites du Capsien, garnies de silex mal disposés (3), qui ont pu servir à couper de l'herbe verte pour la couverture des huttes, car elles ne sont pas lustrées par le frottement des tiges siliceuses de céréales, comme au Fayoum et en Nubie, et il serait hasardeux de désigner, parmi les micro- lithes généralement non iustrés du Sahara ceux qui ont pu garnir des faucilles. Quant à celles, monolithiques, qui rappellent un type du Fayoum, elles sont partout rares et leur destination n'est pas évidente.

Les vestiges d'établissements de sédentaires ne suffisent à apporter la certitude d'une vie agricole, comme vient de le montrer en Palestine J. Perrot (1969). Dans le cas, fréquent au Sahara central et méridional, où ils bordaient des plans d'eau, leur économie a pu d'abord avoir été tournée vers la pêche et le ramassage aquatique. Autour de l'Ennedi, les premiers villages étudiés sont post-néolithiques. Enfin les champs de tessons peuvent attester la fréquentation saisonnière de pâturages, répétée au cours des siècles, par des pasteurs dont les campements ont été établis chaque année à la suite des précédents.

Les graines carbonisées ou leurs empreintes sont plus probantes. Mais alors que les trouvailles ont été nombreuses et datées relativement sur le Nil nubien et soudanais, elles restent exceptionnelles au Sahara, où la prédominance des espèces spontanées, jusqu'au milieu du 1er millénaire avant J.-C, a été constatée en Basse-Mauritanie. Les graines ne donnent la preuve d'une véritable agriculture que lorsqu'elles accusent une certaine évolution sélective et surtout génétique des espèces produites, ou si elles sont associées à d'autres indices significatifs, tels que des moyens de stockage ou des outils aratoires. La question est d'ailleurs complexe, car on a des exemples modernes de culture délibérée de graines spontanées (coloquinte en Ennedi, Panicům turgidum en Nubie), tandis que des variétés d'espèces spontanées susceptibles de culture semblent avoir été négligées, comme des riz au Fezzan et dans le sahel tchadien, des sorghos au Hoggar et au Tibesti.

La thèse d'une agriculture néolithique saharienne généralisée ignore aussi la part

rable qu'a eue nécessairement la cueillette au sein des économies mixtes de Chasseurs, puis de Pasteurs néolithiques, dont les tenants se déplaçaient à la suite du gros gibier ou à la recherche de pâturages. Les collectivités vivant de ressources aquatiques ont peut-être été les mieux placées pour faire des expériences non préméditées ayant ouvert la voie à des pratiques pré-agricoles.

Cette thèse sous-estime encore la disparité des conditions écologiques ayant prévalu au sein d'un Sahara aux dimensions de sous-continent (4). Alors que la cueillette était possible en dehors des zones très anciennement arides, les céréales — si l'on tient compte des conditions réalisées sur le Nil — n'auraient pu être l'objet d'une véritable agriculture que dans les oasis, les piedmonts et sur les rives des grands cours d'eau et des lacs. La diffusion au Sahara de pratiques agricoles s'appliquant à des espèces évoluées, autochtones ou importées, n'a pu être uniforme ; elle a impliqué de longs délais à partir de centres d'origine ou d'axes de diffusion à préciser. En outre, des conditions techniques ont dû être réalisées pour que le blé et l'orge, liés aux pluies méditerranéennes d'hiver, aient pu être transplantés au Sahara méridional recevant les pluies d'été propres aux espèces spontanées tropicales.

Après l'immobilisme du postulat agricole et le silence dubitatif des auteurs qui ont exposé les connaissances des années cinquante (5), on a récemment dressé des tableaux du Sahara agricole qui, pour être nuancés et souvent vraisemblables, n'en sont pas moins spéculatifs. Nous pensons qu'il est possible de faire progresser les problèmes qui se posent en poursuivant des recherches régionales dans l'éclairage des données acquises au cours des dernières années sur la genèse de l'agriculture en Orient et en Egypte et sur les conditions écologiques post-glaciaires au Sahara oriental, qui, combinées à la présence de l'erg libyque, ont canalisé vers le littoral et sur le Nil les possibilités de diffusion de l'agriculture. On pourra ainsi réduire le nombre des hypothèses à creuser concernant : les origines de l'agriculture au Sahara, les groupes humains au sein desquels elle a pris naissance et les rapports entre l'agriculture et l'élevage.

Le présent travail comprend : — un bref rappel des aspects actuels de la cueillette, de

l'agriculture et de la minoterie de type néolithique au Sahara tchadien, qui placent sous nos yeux des situations que le passé a connues et présente ;

— les processus ayant conduit vraisemblablement à l'agriculture en Orient et en Egypte ;

— des faits et indices concernant la cueillette et l'agriculture à la périphérie du Sahara tchadien, des temps néolithiques à

(3) H. Camps- Fabrer. — Matière et art mobilier dans la préhistoire nord-africaine et saharienne. Paris, 1966, 147-152.

(4) P. Huard. ■ — Matériaux archéologiques pour la climatologie post-glaciaire du Sahara oriental et tchadien. Actes VI* Congrès panafr. de Préhistoire, à paraître.

(5) Dont R. Vaufrey (1955) qui avait, en 1947, opposé aux agriculteurs du Soudan « les chasseurs et éleveurs du Néolithique saharien et maghrébin dont l'alimentation végétale semble n'avoir dépendu que de la cueillette ». (Le Néolithique para- toumbien, R. Scientifique, 85, 231).

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notre ère : a) du delta du Nil au Sahara nord-oriental et central ; b) du Nil nubo-soudanais au Sahara méridional ;

— des indices livrés par le Sahara tchadien et ses abords : instruments de minoterie et aratoires, figurations rupestres, établissements humains, données palethnologiques et historiques, traditions, dont la distribution accuse, surtout à partir du Néolithique moyen, un contraste entre le Tibesti et les plaines du Mourdi-Ounianga et du Borkou. Pour chacun des secteurs du Tibesti-Borkou-Ennedi, on vise à déterminer un terminus a quo provisoire des premiers travaux agraires, à reculer dans le temps dans la mesure où des éléments plus précis seront

En conclusion est présentée une esquisse des débuts possibles de l'agriculture entre le Nil et le Sahara central, basée uniquement sur les données concrètes fragmentaires actuellement disponibles, en vue de provoquer des retouches en fonction des progrès de la recherche, dont on trouvera ici l'état en 1969.

La documentation régionale mise en œuvre, qui provient principalement des recherches du Docteur Bréaud, du capitaine Massip, du sergent Thony et de nous-même, utilise aussi les travaux inédits d'avant-guerre du capitaine Barboteu et du lieutenant Guinot, des documents inédits de G. Bailloud et de J. Courtin, ainsi que leurs publications respectives sur l'Ennedi et le Borkou. Nous adressons nos remerciements à ces chercheurs, ainsi qu'au Pr. R. Mauny, qui nous a informé des découvertes de graines comestibles dans des villages néolithiques tardifs de Mauritanie par le Pr. P. Munson (1967).

1. — Cueillette, agriculture et minoterie actuelles au Sahara tchadien.

Les caractéristiques de ces activités dans la zone du Sahara où elles sont probablement les mieux conservées sont utiles pour situer notre travail.

a) Dans les marches désertiques comme dans le sahel tchadien, la cueillette est beaucoup plus qu'un moyen d'assurer la soudure entre des récoltes toujours insuffisantes, ou un recours lors des disettes fréquentes ; c'est un élément permanent de la ration alimentaire, toujours notable et parfois prépondérant en certains secteurs.

La constance et l'abondance relative des ressources qu'elle offre sont en effet remarquables. Tout se passe comme si la nature tenait ensemencés tous les points où des espèces spontanées (variables avec la latitude, l'altitude et les conditions écologiques locales) ont des chances de réussir leur bref cycle de végétation. Là où tombera au moment voulu une tache de pluie suffisant à la germination et au départ de la croissance, l'homme s'assurera sans présence ni travail une récolte dont les espèces, les emplacements et le volume varieront sensiblement mais qui, sur l'ensemble de la zone ne fait jamais défaut.

Plusieurs auteurs (6) ont dressé la liste considérable des espèces à graines comestibles du Sahara, auxquelles il faut ajouter, au Tchad, des espèces sahéliennes qui remontent jusqu'au Tibesti occidental. Les plus recherchées sont : Panicům turgidum, Aristida pungens, Eragros- tis, plusieurs Cenchrus (cam-cram), Chenopo- dium, Spirobulus spicatus, Zilla spinosa, Boevha- ria repens, Cornulaca Monocantha. Parmi les fruits, on apprécie les graines de Salvadora per- sica, les baies de Cocculus pendulus. La coloquinte (Citrullus colocinthis) est particulièrement recherchée pour ses graines oléagineuses. Comme aliments de disette, citons la farine de fibre d'écaillés de palmes connue sur le Nil nubien dans l'Antiquité, celle de la pulpe et du noyau grillé de la noix de doum (Hyphaene thebaïca) et même de la datte, enfin les graines pillées dans les fourmilières.

Au Tibesti, les « champs » de graines comestibles spontanées, régulièrement producteurs dans certaines vallées, font partie du patrimoine indivis des clans. Les femmes, qui vont les récolter à la main, à la faucille de bois ou en balançant un panier, en ramènent de lourdes charges d'ânes et de chameaux. Les coloquintes forment dans des mares d'épandage des peuplements denses soigneusement exploités, rapportant des centaines de kilos de pépins. Au Tibesti oriental, où la population sédentaire est claisemée, la cueillette reste au premier plan et, dans les années pluvieuses, elle suffit aux besoins, avec les dattes et le lait (cap. Scheibling, 1951).

Dans le Borkou balayé par le vent, la cueillette est faible, mais en Ennedi la toponymie atteste sa place. Au Sud du massif, une enquête (8) a mis en lumière le rôle de la cueillette : chez les Kouba, qui consomment des graines spontanées pour vendre leur mil ; les Mouro ; les Bilala, qui récoltent un riz sauvage ; les Kadjaké qui réservent leur mil à la fabrication de la bière (mé- rissé) ; les Tama, parmi lesquels il est des familles qui ne mangent jamais de mil ; les Zaghawa. Les « champs » serrés des cam-cram aux capsules hérissées couvrent de vastes étendues à la limite nord du sahel.

b) L'agriculture actuelle a pour condition imperative l'irrigation ou de fréquents arrosages. Les trois espèces cultivées sont le mil, le blé et l'orge, secondairement le sorgho ou gros mil, peu apprécié, exceptionnellement le maïs, qui doit être arrosé chaque jour. Blé et orge sont des cultures d'hiver.

Si l'on met à part les Kamadja, fraction de la population d'origine servile devenue depuis cinquante ans véritablement agricole, les Teda, pour

(6) Cf. notamment Th. Monod et Ch. Toupet. — Uutilisation des terres de la région saharo-sahélienne, in Histoire de l'utilisation des terres des régions arides, UNESCO, 1961, 627. (7). J. Chapelle. — Nomades noirs du Sahara, Paris, 1957, 193. (8) A. Le Rouvreur. — Sahéliens et sahariens du Tchad, Paris, Berger-Levrault, 1962, 114, 118, 129, 130, 160.

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Fig. 1. — Croquis pour l'étude des premiers travaux agraires sur le Nil et au Sahara oriental, tchadien et central.

lesquels l'idéal reste la vie nomade, cultivent sans goût et par nécessité de petits carrés de céréales dans les jardins des palmeraies et, en altitude, les cratères fertiles d'anciens volcans, comme le tarso Yega.

Au Borkou, la culture est productive chez les Daza de la palmeraie où l'eau affleure. Autour de l'Ennedi, les Bideyat témoignent un sens agricole rudimentaire, ignorant la sélection des graines, dont la maturation est échelonnée. Les Bilia ne sèment le mil, et toujours fort peu, que lorsque les pluies permettent d'escompter une récolte sans peine. C'est notamment le cas pour les Baola de la lisière méridionale et il faut atteindre la corne sud-orientale, vers Am Djerès, pour trouver des Bilia en partie agriculteurs.

Les outils aratoires ont été des plus primitifs au Tibesti jusqu'à l'époque contemporaine : simple bâton pointu (Chapelle), houe angulaire de bois avec une extrémité aplatie et coupante, pas toujours de fer (9), dans un massif ou il arrive

(9) Ch. Le Cœur. — Dictionnaire ethnographique teda, IFAN, Dakar, 1950.

que l'on récolte à la main. Aux confins du Soudan, P. Fuchs a signalé l'emploi ancien d'une Erdhacke de bois à deux dents. '

c) Le traitement des céréales donne lieu à des remarques utiles. Les mortiers de bois, d'usage courant, semblent hérités de Néolithiques, car ils pouvaient être le complément des grands pilons fragiles de grès, aux extrémités biseautées, que l'on trouve au Tibesti. Les meules dormantes dont on ravive par bouchardage la surface quand elle est devenue lisse, s'usent assez vite et deviennent de minces coquilles. Celles que les femmes façonnent de nos jours dans le grès sont beaucoup moins finies que les instruments néolithiques qu'elles rappellent. La récupération des meules anciennes peut s'expliquer par leur rareté dans les secteurs parcourus ou habités. On fait aussi usage de dalles naturelles pour piler le grain. Autour de l'Ennedi, les meules dormantes néolithiques qui ne sont pas éolisées font l'objet d'un commerce.

La même gamme d'ustensiles sert au Tibesti à traiter les graines spontanées et cultivées, ce qui ôte au matériel de broyage néolithique saharien une valeur probante en faveur d'une vie

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spécifiquement agricole. Broyeurs et molettes constituent en Ennedi des séries très variées. La meule dormante donne une farine généralement moins fine que celle obtenue au pilon dans un mortier de bois, mais les Teda ne séparent pas le son (sauf pour l'orge). Les produits obtenus varient notablement avec la nature des graines, l'état de la surface de broyage, la matière, le poids et la forme du broyeur, la position de la femme, assise sur les talons ou bien accroupie et se penchant en avant de tout son poids (fig. 3), enfin avec la fréquence de la recharge en cours d'opération. L'étude technologique et ethnographique de ces pratiques reste à faire. Les graines de coloquinte sont battues latéralement sur la meule pour enlever l'écaillé supérieure des pépins, puis pilées au mortier.

On note enfin l'usage de la pierre dans le matériel culinaire, par exemple pour rôtir la viande et les crêpes.

d) Le Hoggar a présenté dans les deux derniers siècles des conditions analogues à celles du Sahara tchadien.

Vers 1750, selon M. Gast (10), les Kel Oulli, tribus vassales confinées dans les vallées et à la périphérie de l'Atakor ne connaissaient le blé que par ouï-dire. Le mil leur était un luxe, les Panicům, Aristida pungens et le cram-cram restant leurs véritables graines nourricières. Au milieu du XIXe siècle, chez les Kel Ahaggar, la récolte des graines sauvages, dont les bottes étaient battues au-dessus des récipients avec des bâtons était importante et sans comparaison avec l'époque actuelle. « De nos jours, en cas de disette, on va parfois spécialement acheter ou récolter des graines sauvages comestibles dans l'Adrar des Iforas, où l'on en récolte et stocke de grosses quantités ».

Telles sont les réalités contemporaines qu'il était indiqué de placer sous les yeux du lecteur au début de cet exposé.

2. - — Naissance de Vgriculture au Proche-Orient et dans la vallée du Nil.

Proche-Orient. Les travaux de l'Institut archéologique oriental

de Chicago ont abouti à un tableau cohérent de la genèse de l'agriculture pouvant s'appliquer au Nil et être utile, par comparaison et par contraste, à l'interprétation des faits bruts relevés au Sahara. ' Vers 8000 ВС, des pluies d'hiver et de printemps sur les hautes terres bordant ce qui deviendrait le « croissant fertile » y faisaient prospérer des espèces spontanées : blé, orge, pois, lentilles, lin, etc., dont des collecteurs ayant une connaissance intime du milieu ont commencé à prendre le contrôle. Les faucilles et le matériel de broyage des sites les plus anciens ne prouvent qu'une cueillette intensifiée ou spécialisée, mais il est possible que l'on y ait commencé la culture de plantes sauvages, en même temps que la domestication (11 a).

En Syrie (11 b), le village néolithique de Tell Ramad, 20 km S. de Damas, a livré, dans les silos du niveau II (6000-

5900 ВС) une forte proportion de graines comestibles (Triticum diccocum, Hordeum distichum, lentilles), cette agriculture étant associée à l'élevage probable du porc et du bœuf. Le niveau I, le plus ancien (6250-6000 ВС) atteste la chasse et l'agriculture des mêmes espèces que le niveau II, mais sans l'élevage.

En Palestine, le village de Mallaha, qui remonte au début du IXe millénaire, a produit un nombreux matériel de minoterie, des faucilles et des greniers, mais les ossements des espèces devenues domestiques n'y représentent que 20 % des vestiges de la faune. Dans une région où le blé et l'orge poussent encore à l'état sauvage, J. Perrot demande : « pourquoi aurait- on pris la peine de planter ce qui poussait naturellement en abondance ? L'agriculture a plutôt pris naissance à la périphérie des zones d'habitat naturel des céréales, et c'est bien en effet ce que nous observerons dans la première moitié du VIIe millénaire, à Beidha près de Petra, sur le plateau de Jordanie » (il c).

Pour Braidwood (il a), entre 7000 et 6500 ВС, les deux plus anciens villages indiscutablement agricoles, Tepe Sarab en Iran (occupé saisonnièrement) et Jarmo en Iraq (permanent), cultivaient un orge primitif (two rows barley) et deux sortes de blé, dont Triticum Dicoccoïdes à gros grains, espèces qui existent encore à l'état sauvage ; mais la chasse et la cueillette fournissaient encore un appoint substantiel. Selon le généticien H. Haelbeck, la sélection des grains, qui caractérise l'agriculture, a pu ne pas avoir été intentionnelle. Alors que la plupart des épis d'orge et de blé sauvages deviennent fragiles en mûrissant et répandent leurs graines, un petit nombre de plants présentant un gêne récessif produisaient des épis à axe dur gardant leurs grains qui, restant en priorité aux mains des ramasseurs et ne se reproduisant pas naturellement, étaient précisément ceux qui devaient convenir à l'agriculture.

Bientôt les agriculteurs trouvèrent avantageux de descendre aussi bas que les pluies d'hiver et de printemps le permettaient. Des mutations et des caractères récessifs se produisirent alors parmi les espèces cultivées et des hybrides mal adaptés aux hautes terres eurent une chance de survivre au cours d'une adaptation au nouvel environnement. Vers 5000 ВС, ce mode de vie, aurait gagné la Mésopotamie, au climat très différent de celui des hautes terres, et l'inondation de printemps, due à la fonte des neiges et une irrigation à petite échelle conduisirent à une nouvelle transformation technique. Vallée du Nil.

A ce jour, la plus ancienne utilisation usuelle technologique de graines pour la nourriture serait attestée dans les sites de Haute-Egypte (entre Sohag et Esna) découverts par la mission de F. Wendorf (1968), datés par le С 14 de 13 000 et 12 000 ВС, où du Paléolithique tardif est associé à des pierres à broyer et à des lames de pierre à arêtes polies, qui pourraient être des faucilles (12). Une variation de climat (devenu plus froid et plus humide) serait à la base de ces premières tentatives de végéculture, selon l'auteur, dont on ignore les espèces et qui sont séparées du Néolithique par un hiatus. Il s'agit, pour nous, d'une cueillette intensive.

Les débuts d'une véritable agriculture dans la vallée du Nil restent controversés.

(10) M. Gast. — Alimentation des populations de l'Ahaggar. Paris, 1968. (11 a) R. J. Braidwood. — The agricultural revolution, Scientific American, Sept. 1960, 5-10. (11 h) H. de Contenson. — Aperçu préliminaire sur le village néolithique de Tell Ramad (Syrie). B.S.P.F., 1966, C.R.S.M. n° 9.

(11 c) .T. Peurot. — Mallaha, les débuts de la vie sédentaire en Palestine, il y a 10 000 ans. Atomes, n° 261, janvier 1969, 4, 10. — En Arabie centrale, selon E. Anati, le peuple des « Têtes Ovales », chasseurs-pasteurs remontant au me millénaire, auxquels on doit les gravures rupestres les plus anciennes, ignorait l'agriculture. Cf. analyse de E. Anatt. — Rock Art in Central Arabia, Bibl. du Museon, Louvain, 1968, par P. Huard, B.S.P.F., 1970. (12) .T. Lf.ct.ant. — Fouilles et travaux en Egypte et au Soudan,

Orientalia, Rome, 38, 2, 1969, 261 et 270.

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— En Basse-Egypte, la théorie d'une agriculture venue du Proche-Orient s'oppose à celle, classique, d'une agriculture autochtone d'espèces spontanées (blé, orge), que l'homme aurait appris à moissonner avant de les semer et dont le berceau aurait été soit le delta (Gordon Childe), soit la vallée (E. Baumgartel).

La vallée, inondée de Juillet à Septembre, constituait des bassins naturels d'où émergaient les habitats des Prédynastiques : levées naturelles et rives des hautes eaux, après le retrait desquelles on récoltait des graines spontanées qui furent peu à peu cultivées ou remplacées par des céréales importées, avant que le fleuve ait commencé à être aménagé à partir de Menés. Une hydrologie d'origine équatoriale a donné naissance en Egypte à une agriculture hivernale de région à climat tempéré entraînant la suprématie des céréales méditerranéennes. L'effet sur le sol de l'inondation, qui dure de 40 à 60 jours, équivaut à des précipitations de plus de 2 mètres. Les semailles peuvent commencer sans labour, car le soleil a crevassé la terre et tué les micro-organismes et les herbes parasites pendant le long repos du sol. Il s'agit donc d'un type particulier de culture sèche (13).

A El Omari, près d'Hélouan, on cultivait Triti- cum monococcum (Einkorn, petit épeautre à 14 chromosomes d'origine asiatique). A l'Ouest du Nil, les Néolithiques du Fayoum, vers 5000 ВС, cultivaient à l'aide de bâtons et de houes de pierre et récoltaient avec des faucilles droites serties de silex ou des couteaux denticulés : pour 20 % l'amidonnier (Emmer, Triticum dicoccum à 18 chromosomes), pour 23 % de l'orge à deux rangs (Hordeum vulgare) et pour 57 % de l'orge à 6 rangs (H. hexasiichon) trouvés aussi en Mésopotamie. A Mérimde, l'orge et l'amidonnier étaient cultivés et traités comme au Fayoum. Ces sites ont livré des centaines de silos.

— En Haute-Egypte, les plus anciens témoignages sur l'agriculture concernent les Tasiens voisins de Badari (vers 5000-4400 ВС), dont la vie était encore cependant centrée sur la chasse et la pêche. Ils cultivaient l'amidonnier et l'orge, autochtones ou importés. Les Tasiens faisaient usage de grands instruments de broyage, jusqu'à 50 cm pour les meules dormantes et 25 cm pour les pilons.

Les Badariens venus du Sud, selon Arkell (1965), qui font suite aux Tasiens et se sont déplacés à la chasse ou avec leurs troupeaux entre Armant, au Sud de Louxor et l'ouadi Hammâmat. sans avoir rayonné à l'Ouest du Nil, furent aussi des agriculteurs ayant connu une économie mixte. Après eux, le Amratiens (Nagada I) cultivèrent systématiquement la vallée au Nord de Louxor, et pratiquèrent l'élevage sans avoir abandonné la cueillette et la chasse. Les Gerzéens (Nagada II. 3794 à 3300 ВС) furent les premiers en Haute-Egypte à avoir été foncièrement des agriculteurs pratiquant une certaine irrigation. Leur expansion s'est faite vers le Nord et vers le Sud.

On notera que parmi les produits de cueillette recueillis dans l'estomac de momies

tiques, Keimer (14) cite Panicům colonum, Zilla spinosa et les gommes de plusieurs acacias.

Dans l'agriculture pharaonique, pratiquée avec une houe de bois coudée à angle aigu, l'orge fut d'abord la culture principale avant le blé, les autres espèces les plus cultivées étant la fève, la lentille et le lin. Le millet (Panicům miliaceum) apparu pour la première fois dans le bas Iraq à Jemdet Nasr vers 3000 ВС et peu répandu dans le Proche-Orient aurait été inconnu dans l'Egypte ancienne, selon Schweinfurth (15).

On voit que les conditions ayant permis en Egypte le développement d'une véritable agriculture de céréales ont été particulières, très localisées et l'on imagine difficilement qu'elles se soient souvent reproduites au Sahara.

3. — Cueillette et débuts de l'agriculture au Sahara nord-oriental et central.

Nous examinons les indices recueillis à l'Ouest du delta jusqu'au Sahara central, en séparant le Néolithique des temps dynastiques et de l'Antiquité.

a) Néolithique. — Dans le désert occidental d'Egypte, la cueil

lette aurait été praticable jusque vers 2350 ВС, si l'éléphant et le rhinocéros ont pu le fréquenter jusque-là (16). Par contre, les conditions écologiques convenant aux céréales méditerranéennes devaient se limiter à la frange côtière et à quelques oasis.

— A Siouah, les meules, ayant jusqu'à 30 cm de diamètre et les broyeurs sont nombreux, mais un seul spécimen de faucille monolithique, d'un type du Fayoum, a été recueilli (17).

— Dans le secteur côtier de Marmarique, qui voit croître une orge sauvage, la palette protodynastique du Butin pris au Libyens (fin du iv" millénaire ?) montre que les Tjemehou menaient une vie pastorale et suggère qu'ils pratiquaient au moins la cueillette de l'olivier.

— Cyrénaïque. Les importantes connaissances réunies sur

cette « île » méditerranéenne sont due à Mac Burney (1955, 1960, 1967).

A Haua Fteah, dans le Gebel Akhdar, des micrrolithes du VHP millénaire dénotent une économie de chasse et de cueillette. Au niveau néolithique commençant vers 5000 ВС, on trouve des outils grossiers subrectangulaires mal caractérisés (houes ou haches ?), de dimensions modestes (90 X 75 X 35 mm). Des broyeurs de 10 à 15 cm, à section en D, aux

(13) G. Hamdan. — Evolution de l'agriculture irriguée en Egypte, in Histoire de l'utilisation des terres arides, 1961, 133-39.

(14) L. Keimer. — Notes prises chez les Bisharis et les Nubiens d'Assouan, Bull. Inst. d'Egypte. XXXIV, 1951-53, 372-400. (15) R. O. Whyïe. — Evolution de l'utilisation des terres

arides dans l'Asie du sud-est, in Histoire de l'utilisation des terres arides, 1961, 99. (16) K. W. Butzer. — Archaeology and Geology in Ancient Egypt, Science, 2, 1960, n° 3440, 624. (17) C. G. B. Mac Burney. — Prehistory and Pleistocene Geo

logy in Cyrenaïcan Libia, 1955, 258.

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deux extrémités travaillées prouvent au moins le broyage de matières dures, peut-être de nourriture végétale. Mais l'absence de faucilles est embarassante ; on a recueilli seulement deux lames, dont une lustrée (18).

Ces conclusions très prudentes sont en retrait sur celles présentées auparavant par l'auteur. En 1955, Me Burney (19) considérait que les meules et broyeurs de Siouah ont servi à broyer du grain. La province libyque de l'Est, qui s'étend du Gebel Akhdar au Fayoum et à Kharga montrerait un début remarquablement constant de production de nourriture, dû à un contact de culture entre les chasseurs autochtones usant de microlithes et des groupes intrusifs de producteurs de nourriture « ultimately deriving from South East Asia ». Par contre, l'auteur rattachait la Tripolitaine de l'Ouest au Néolithique de tradition soudanaise par le Hoggar et le Tibesti.

En I960 (20), la production de nourriture végétale à Haua Fteah est présentée d'une manière ambiguë tantôt comme probable, tantôt comme une théorie. La poterie et les haches sont une part d'un complexe qui comprenait quelque technique de production de nourriture, « either domestic animals or agriculture, or both diffused to Cyrenaica as whole. The theory is at any rate a reasonable until more direct evidence is available ».

En 1967, Mac Burney (21) détache la Cyrénaïque néolithique (5000-2700 ВС) de l'Egypte pour la rattacher au Néolithique de tradition capsienne du Maghreb, bien qu'entre 5000 et 4000, certains tessons y rappellent assez le Badarien ou le Tasien. Les vraies faucilles polies par la paille manquent totalement, comme au Maghreb à l'époque correspondante. Cet état de choses marque un contraste singulier avec ce que l'on peut observer alors en Egypte. L'auteur, restant dans la ligne du postulat agricole, pose à ce sujet un dilemme : « ou bien les techniques de moisson étaient tout autres, ou bien les plantes cultivées n'étaient pas les mêmes ».

Le deuxième terme s'écarte d'une agriculture sélective céréalière, et une troisième possibilité n'est même pas envisagée, celle où il n'y aurait pas encore eu d'agriculture véritable en Cyrénaïque au ve millénaire.

La Libye intérieure, comprise entre l'erg libyque archaïque, la Cyrénaïque et les djebels méridionaux de la Tripolitaine, zone qui aurait été très anciennement aride par suite d'une evaporation intense (Meckelein, 1959), n'a pas livré de matériel de minoterie, mais des broyeurs du type de Haua Fteah ont été trouvés au sud de la grande Syrte.

Le Fezzan, pays de chasseurs et de chasseurs- pasteurs graveurs pendant l'optimum climatique, n'a guère livré de matériel poli (qui a pu disparaître par remplois successifs), bien que la nappe phréatique y affleure en plusieurs lacs et que du riz sauvage y ait été identifié (Probenius).

A l'Ouest du Fezzan, le Tadrart Acacus, d'après l'analyse du paléosol de la grotte peinte de Mu- huggiag (al. 900 m), aurait reçu pendant l'Optimum climatique de 150 à 300 mm de pluie (22), quantité d'eau insuffisante pour la culture des céréales méditerranéennes sans irrigation.

An Nord du Tassili, les nombreuses meules dormantes, les plateaux de pierre et les pilons de l'erg Bourharet (région d'Edjeleh, Y. Levasseur), la meule ornée de Tihigaline (J.-P. Savary), n'ont pas de valeur probante en faveur de l'agriculture. Cependant un outil droit, mince et étroit du premier site (L ■= 75 mm), portant sur un côté des retouches jointives en dents de scie a pu être une lame de faucille emmanchée. Tassili.

On a trouvé dans ce massif de nombreux fragments de meules, et quelques-unes très volumineuses, ainsi que des pilons cylindriques, dont deux à extrémités coniques à Tan Tartaït (23).

Dans la masse des figurations rupestres gravées et peintes de l'art saharien qui, « émergé de la grande chasse, s'est longuement prolongé dans la vie pastorale, sans mélange agricole, des Sahariens pasteurs de bœufs » (Breuil), nous passons en revue les très rares documents évoqués en faveur d'une vie agricole (24).

— A Jabarren Amazzar, l'abbé Breuil (25) a décrit comme semblant être une scène de vannage un panneau représentant notamment trois « bovidiennes » sveltes frappant avec des baguettes (ou des bois d'arc ?) une substance d'où sortent de nombreux grains (« mil »). Au-dessus, une grenier ovale montre des vases en forme de croissant et des grains éparpillés, dont la nature est évidemment indéterminée.

— A Tin Bedjedj, une femme à genoux est présentée comme pilant son « mil » avec un pilon. Si sa main gauche semble tenir une meule, le bras droit nous semble brandir une poignée de tiges (et non un pilon) qu'elle s'apprête à battre contre la meule, comme on le fait au Tibesti.

— A Aouanhret (26), sur un panneau présenté comme de la période « post-bovidienne d'influence égyptienne », deux personnages évoquent respectivement par leur posture le ramassage et le broyage, mais la scène est complexe et énigma- tique. La « dame blanche » évoquerait l'agriculture : « la tête porte des cornes qui semblent supporter un champ de céréales d'où tombent des grains. Peut-être s'agit-il d'une prêtresse d'un culte agraire ou d'une déesse agraire préfigurant — ou reproduisant — la déesse Isis à qui était attribuée, en Egypte, la découverte de l'agriculture ». Ces interprétations sont évidemment conjecturales.

Les pasteurs-peintres n'ont laissé aucun témoignage assuré de vie agricole ; cependant la question se pose si l'on admet qu'ils sont venus de

(18) Mac Burney. — The Haua Fteah (Cyrenaica) and the stone age of the S.E. Mediterranean, Cambridge, 1967, 247, 289, 298, 334, 335.

(19) Me Burney, 1955, 258-9, 273. (20) Me Burney. — The stone age of North Africa, I960, 237-238-273. (21) Me. Burney, 1967, 334-335. (22) A. Pasa et M.-V. Pasa-Durante. — Analisi paleoclima-

tiche nel deposito di Uan Muhuggia (Acacus), Memorie del Museo Civico di Sloria Naturale, 10, Verona, 1962, 251-55.

(23) H. Alimen, F. Beucher et H. Lhote. — Les gisements néolithiriues de Tan Tarfaït et d'In Itinen, Tassili, B.S.P.F.. LXV, 1968, 1, 434.

(24) H. Lhote. — A la découverte des fresques du Tassili, Paris, 1958, 152. (25) Breuil. — Les roches peintes du Tassili-Ajjer, fig. 71.

Tin Bedjedj, fltç. 59 d. (26) Lhote. — Op. cit., pi. 36 et p. 253.

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l'Est, c'est-à-dire de régions proches du Nil où une agriculture de limon, impraticable dans l'hinterland, était connue. Elle appelle une réponse négative pour l'abbé Breuil, comme pour R. Mauny et pour nous-mêmes.

L'erg d'Admer, en lisière sud du Tassili a été l'habitat, en bordure d'une dépression humide, d'une culture néolithique qui a laissé de petites sculptures d'animaux sur pierre dure, analogues à celles du Tassili et du Hoggar, ainsi qu'un important matériel de broyage, dont l'interprétation a retenu l'attention de H. Camps-Fabrer (27). « Cueillette, préagriculture, pêche » sont les genres de vie que laisse entrevoir l'étude du mobilier recueilli... « La civilisation de l'erg d'Admer semble bien être caractérisée par une activité assez intense autour d'une végé- culture ou d'une préagriculture. Ceci est attesté par l'importance des meules et la grande variété des formes de molettes qui impliquent que le broyage fréquent et habituel des graines devait, en bien des points, être comparable à celui que pratiquent aujourd'hui les nomades qui s'arrêtent dans les grands oueds sablonneux. Là poussent des graminées que les nomades ne dédaignent pas de battre ». « Les graines cultivées ou sauvages étaient traitées dans ces grandes meules. Ces populations vivaient là, à l'époque humide, de cueillette, de chasse et très certainement des produits de cultures temporaires dans des retraits d'oueds ».

Ainsi l'opinion de l'auteur glisse vers l'agriculture sans élément déterminant, et l'on reste dans le domaine de l'hypothèse. Il en est de même, en sens opposé, de la position absolue de A. Balachowsky, qui a écrit, à la suite de sa mission au Tassili (1958), que l'on ne trouve, dans le Néolithique du Sahara, aucune trace d'agriculture.

Hoggar. Au Hoggar nord-occidental, les Néolithiques,

probablement négroïdes, de Meniet, pour lesquels on dispose d'une datation de 3450 ± 150 ВС, ont laissé de nombreuses meules dormantes et quelques rouleaux de pierre (au total 20,6 % sur 1 163 pièces), mais peu d'instruments aratoires ont été recueillis. L'homme de Meniet aurait été « agriculteur, pêcheur, chasseur » (28). Mais dans une région où l'on connaît un sorgho et un riz sauvages (29), l'hypothèse agricole ne nous paraît guère renforcée par les quatre pollens de graminées de l'horizon inférieur du paléosol du site et par l'unique pollen de céréale (indéterminée) trouvé parmi les 23 provenant de l'horizon supérieur.

A l'intérieur du Hoggar, l'outillage néolithique, non daté, comprend des haches, souvent à boudin, dont certaines à biseau dissymétrique incurvé ont été considérées comme des houes, quand il s'agit de pièces de grande taille (30, mais on n'en a pas publié les localisations par

(27) H. Camps-Fabrer. — Les statuettes néolithiques de l'erg d'Admer, Libuca, XV, 1967, 103, 117, 119.

(28) H.-.I. Hugot. — Recherches préhistoriques dans l'Ahaggar nord-occidental, Paris, 1963, 168. Voir aussi la mise au point de cet auteur sur l'agriculture dans Current Anthropology, mai 1968. (29) A. Chevalier. — Le Sahara centre d'origine de plantes

cultivées, in La vie dans la région désertique tropicale de l'ancien monde. Paris, Soc. de Biogéographie, 1938, 307-322. (30) H. Lhote. — Les Touaregs du Hoggar, 2e éd. 1955, 62.

rapport au noyau montagneux de l'Atakor. Les molettes et broyeurs divers, les surfaces de roc lisse ayant servi à la mouture de graines sont assez fréquents, mais non les meules, que les nomades actuels remploient. C'est au Nord du Hoggar, vers le grand erg oriental, qu'a été trouvée une des plus grandes meules dormantes connues (Lhote), ainsi que des haches en boudin, des broyeurs, des fragments de mortiers, vestiges non datés qui n'ont pas de correspondance proche ni en direction du Fezzan ni du Maghreb.

La position récente de M. Gast (31) est nette : « II est certain que les peuplades qui ont laissé de si séduisantes fresques de peintures et de gravures sur les parois rocheuses (du Hoggar) vivaient d'élevage, de chasse et de pêche, mais aussi de cueillette ». L'auteur attribue les broyeurs, molettes et surfaces à broyer le grain à une époque antérieure à l'agriculture.

Ténéré. Les missions Berliet ont mis en lumière les

industries remarquables du complexe industriel « ténéréen » défini par H.-J. Hugot (32), pour lequel on dispose d'une datation de 3180 ± 180 ВС, et considéré comme le prolongement vers l'Ouest du Néolithique de Khartoum.

On y constate la présence inégale de matériel de minoterie dans une aire touchant à l'Est le Borkou et la lisière occidentale du Tibesti, au Nord les abords méridionaux du Tassili, au Sud la rive nord du grand lac Tchad, à l'Ouest l'Aïr exclu. Ce matériel est important dans un certain nombre de secteurs : Guelb Berliet, Erg Brusset, Ehi Mountou, Kaouar, Erg de Bilma. Dans l'Adrar Bous, où l'inégalité de sa distribution a été attribuée à des spécialisations industrielles, il est remarquable que parmi les 1714 pièces du site majeur de l'A. Bous III on ne compte qu'un seul élément possible (cassé) de faucille d'un type de Fayoum, deux meules dormantes, une dizaine de molettes et de pilons, un anneau de pierre. Soixante herminettes polies, longues de 119 à 53 mm, les plus petites ayant été usées par affûtages successifs, ont été considérées par Hugot comme l'indice d'une vie agricole intense. L'Adar Bous XI est aussi caractérisé par de nombreuses herminettes. A la montagne de Greïn, des centaines d'ébauches de grandes meules dormantes en demi-amandes et des broyeurs ayant la forme de ballons ovales témoigneraient en faveur d'une production industrielle destinée à des échanges. A Areshima, les longs pilons cylindriques auraient servi à broyer du grain sur des roches plates, ou dans un mortier si elles sont biseautées. A Mergui- gara, herminettes, meules, broyeurs et haches à gorge sont mêlés à 2 000 armatures de flèches.

Des réserves ont été formulées sur l'interprétation aratoire des « herminettes », par analogie avec la houe actuelle, daba, des paysans noirs. A.-J. Arkell y reconnaît au contraire l'outil favori du menuisier soudanais et J. Tixier (33) arrive à la même conclusion par un examen typologique auquel nous nous rallions. L'usage des rouleaux de pierre pour moudre le grain a été rejeté

(31) M. Gast, op. cit. (32) Hugot. — Premier aperçu sur la préhistoire du Ténéré. Documents scient, des Mis. Berliet, Paris, 1962, 154, 159, 176. (33) J. Tixier. — Le Ténéréen de l'Adrar Bous III, Ibid., pp. 340-342.

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pour le Sahara algérien par M. Gast (34). Enfin, il faut noter que la majorité des sites du Téné- réen n'a pas livré de matériel de broyage ou aratoire, ce qui est dans la ligne du Néolithique de Khartoum, qui n'a pas laissé d'indice de vie agricole.

Deux types particuliers de meules du Ténéré, les unes à encoches latérales permettant leur transport sur un animal de bât, les autres petites, circulaires et minces convenant à des nomades, se rencontrent aussi au Sahara tchadien et semblent postérieures à la haute époque du Ténéréen.

Selon Hugot, les Ténéréens ont eu, à des degrés divers, la chasse, la pêche et l'agriculture comme modes de vie. Deux questions restent posées à leur sujet : Connaissaient-ils l'élevage, alors établi au Sahara central et au Tibesti ? Quels rapports ou quelle opposition les populations présumées agricoles de Méniet et du Ténéré ont-elles pu avoir avec les graveurs et peintres des zones montagneuses, dont ils ont ignoré les formes d'art, comme ceux-ci semblent bien avoir ignoré l'agriculture ?

Au Sud du Sahara central vivaient au bord de lacs et de mares des populations de pêcheurs et de potiers. Vers l'Ouest, dans l'Azaouad, au Sud- Ouest de l'Aïr, le Néolithique lacustre de Taferjit et Tamaya Mellet (35) a livré un matériel lourd : mortiers, meules, pilons et molettes, que l'on rencontre aussi plus à l'Ouest dans les habitats lacustres d'In Guezzam, Asselar, Araouan et Gir. Pour Vaufrey (36), le faciès soudano-mauritanien qui se trouve dans la même région avec ses plats, meules, molettes et pilons polis appartient à une autre civilisation, d'un stade ultime du Néolithique.

Le Sahara central, considéré globalement sans présumer de distinction entre les populations anicôniques des plaines et les artistes des massifs, a été le siège de plusieurs prises de position en faveur d'une agriculture néolithique, qui serait autochtone pour les uns, venue à la Méditerranée pour d'autres. Si la première opinion reste conjecturale, l'existence de pré-agricultures locales s'appliquant à des espèces indéterminées est vraisemblable, la remarque formulée par Breuil et par Mauny sur le passage de la chasse- cueillette à l'état pastoral sans stade agricole intermédiaire s'appliquant aux populations ayant pratiqué l'art rupestre.

La seconde position a été soutenue de plus en plus nettement par J.-D. Clark, qui dépasse les dernières et prudentes analyses du matériel de

pilor Libyca, Alger, (34) M. Gast. — Les XIII, 1965, 311-324.

(35) Sites découverts en 1931 par le capitaine Le Rumeur, qui en donna la première publication, anonyme : Les témoins d'une civilisation ancienne dans le cercle de Tahoua, Bull. Hist, et Scient, de l'A.O.F., 1934.

(36) R. Vaufrey. — L'âge de la pierre en Afrique, Journal de la Société des Africanistes, XXIII, 1953, 129.

Cyrénaïque par Mac Burney. Pour Clark (37), l'agriculture venue de Cyrénaïque aurait été présente dans la plus grande partie du Sahara vers 3500-3000 ВС (1964). Tout en reconnaissant l'absence de preuves directes de la culture des céréales, l'auteur pense que le blé et l'orge ont été cultivés dans la zone des pluies d'hiver (1965), les populations sahariennes étant à présumer pastorales, probablement mobiles et pratiquant un début d'agriculture là où c'était possible, mais dépendant cependant grandement de la chasse et de la pêche. En 1967 : « les céréales cultivées dans les oasis étaient le blé, l'orge, le sorgho, le millet et le maïs (38), — l'orge et le sorgho devenant de plus en plus fréquents au sud du Tropique.

Les opinions sur l'agriculture néolithique au Sud du Sahara central sont à rappeler. Celle de Murdock (1957) sur l'existence d'un des premiers centres d'agriculture indépendante en Afrique occidentale dans la boucle du Niger vers 4000 ВС a été combattue par Mauny (1965) (39) pour lequel l'origine de l'agriculture africaine est sur le Nil. Celle de Braidwood (1958) sur l'existence de centres agricoles primitifs en Afrique occidentale est actuellement contredite par l'inventaire des graines trouvées dans des villages de Basse- Mauritanie (Pr. Munson, 1967).

Pour Th. Monod (40), « on verrait fort bien un Sahara alors plus ou moins sahélien accueillir d'une part des chasseurs-ramasseurs steppiques et de l'autre le pastoralisme bovidien, tandis que sur la frange sud où une pluviosité suffisante (500 mm et plus sans doute) permet la culture du Sorgho et du Pénicillaire, s'installent des paysans sédentaires ». Pour Clark, le mouvement de populations chassées du Sahara par le dessèchement vers 2000 ВС aurait été une incitation à des expériences agricoles pour des groupes orientaux, non déterminés, de l'Ouest africain.

Nous examinons maintenant les possibilités de transmissions agricoles méditerranéennes à travers le Sahara, postérieurement à l'époque néolithique, avant d'étudier le courant sud-ouest issu du Soudan.

b) Epoque dynastique et Antiquité.

L'Ancien et le Moyen Empire se bornèrent à repousser les incursions des tribus libyennes de pasteurs nomades, à faire des expéditions puni-

(37) J. D. Clark. — The prehistoric origin of african culture, ./. of African History, V, 1964, 180. — The problem of neolithic cultures in subsaharan Africa, in Background to Evolution in Africa, Burg Warstenstein, 1965, Chicago, 1967, 601, 605-6. — A record of early Agriculture and Metallurgy in Africa from archeological Sources, in Reconstructing African Culture History, Boston, 1957, 14-15.

(38) Affirmation qui appelle nos expresses réserves. (39) Cf. R. Mauny dans la discussion de Clark, op. cit., 1965 (1967), 626. — Murdock. — Culture areas of Africa, Meeting of the American Anthrop. Assoc, 1957. — Braidwood. — Preiude

to civilization, Symposium of the Expansion of Society in the ancient Near East, Chicago, 1958. (40) Th. Monod. — The late Tertiary and Pleistocene in the

Sahara, in African Ecology and Human Evolution, 1963, p. 135 du texte français polygraphié.

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tives et à recruter des mercenaires, fixés avec familles en bordure occidentale du delta. Au milieu du n' millénaire, l'occupation des oasis du désert occidental d'Egypte (41) ouvrit de nouvelles possibilités à la diffusion de l'agriculture.

L'occupation de Baharia date de Thoutmo- sis III (1501-1447). Vers 1300, Amenhotep était « prince de l'oasis du Nord et de l'oasis Huye ». Sur une des représentations de sa tombe, il surveille la fabrication du vin. Siwa était dénommée la palmeraie, Farafra le pays du bétail. L'agriculture des oasis était riche et elles payaient leur tribut en nature.

C'est seulement entre 1300 et 1200 que fut édifié le premier poste militaire égyptien à l'Ouest du delta, celui d'El Alamein, pour faire face à une menace nouvelle, celle des Tjéméhou, que l'on verra désormais figurés sur les monuments avec les yeux bleus et les cheveux blonds. C'étaient des nomades, dont les principales tribus étaient les Meshouesh et les Libou, qui s'étendaient jusqu'à la Cyrénaïque.

Après la défaite de la coalition des Tjéméhou et des « Peuples de la mer » par les Rames- sides, à la fin du XIIP siècle, on admet que les Libyens orientaux acquirent la pratique des chars égyptiens (peut-être comme valets d'armes du corps aristocratique de la charrerie) et l'élevage du cheval, qui se propagea le long de la côte, mais c'est seulement à partir du début du I" millénaire que la XXIP dynastie « libyenne », fondée par Sheshonq, ouvrit réellement vers l'Ouest la frontière de l'Egypte. Dans la première moitié du VIIIe siècle, les Libyens de Cyrénaïque semblent avoir pu être liés encore à Sheshonq IV par un vague lien d'allégeance (42).

Quand les Doriens s'installèrent en Cyrénaïque vers 630, l'agriculture y était donc certainement établie et le refoulement des Libyens hors de leurs terres nourricières fut une cause de leur conflit avec les Grecs. Moins de deux siècles plus tard, Hérodote (IV.199) rappelle la succession des moissons et de la vendange sur la côte, sur les hauteurs et plus loin dans l'intérieur. A l'Ouest du golfe aride de la Grande Syrte, la région de Cynips (Misurata) reproduisait des conditions favorables à l'agriculture.

On ignore à quelle époque la Libye orientale a connu le puits à balancier, figuré sur des tombes thébaines vers 1250 ВС. Si l'on a trouvé dans les oasis du désert occidental d'Egypte des stèles de la XXVIe dynastie (Apriès, 588-570, Amasis, 569-526), on n'a pas signalé de matériel de minoterie ou aratoire dans l'intérieur aride de la Libye. Dans l'oasis d'Augila occupée par les Libyens, la culture du palmier-dattier a pu provenir de l'Est après la deuxième moitié du IIe millénaire et l'agriculture de Cyrénaïque,

(41) Pour ce qui concerne les oasis à l'ouest du Nil dans notre texte, se rapporter à M. Miïwally. — Relations between the Egyptian Oases and the Nile Valley, Bull. Inst. Fouad I, Héliopólis, II, 1, janv. 1952, 117-127.

(42) F. Chamoux. — Cyrène et la monarchie des Buttiades, Paris, 1951.

avant que les Nasamons d'Hérodote y allassent récolter les dattes, production qui demande l'éla- gage des palmes et la fécondation des fleurs. Dans cet hinterland très sec et très chaud, l'agriculture impliquait l'irrigation ou l'arrosage.

Dans la zone montagneuse du Sahara central, les « Equidiens » qui ont laissé, à partir du début du Ier millénaire, des témoignages peints espacés qui accusent diverses influences méditerranéennes : chars rudimentaires se rattachant au type égyptien par la place du conducteur en avant de l'essieu (43) ; chevaux aux canons allongés comme dans le style géométrique grec ; lances et tuniques à taille étranglée, égéennes. La possibilité que ces Libyens petits éleveurs aient fait connaître l'agriculture méditerranéenne dans une zone devenant aride existe, mais elle est faible. Au Tassili, une de leurs fresques, à Tin Abou Teka, représente des palmiers apparemment fructifères, car des hommes y grimpent (44).

Les Garamantes éleveurs de chevaux et intermédiaires du trafic transsaharien pratiquaient une agriculture arrosée au Fezzan, centre de leur aire, qui s'étendait de l'Ouest d'Augila à la Phazania (Ghadamès). Les témoignages de vie sédentaire abondent au Fezzan : grande nécropole de Tin Abunda, aux tombes échelonnées sur un millénaire à partir du IVe siècle ВС, canaux courant entre des levées de terre et galeries souterraines des foggara (45), techniques que l'on pense avoir été importées par les Romains, en vue de fixer les populations nombreuses d'une zone qu'ils n'ont pas occupée. Les foggara non datées de la Mourzoukia (46), qui s'étend de Mourzouk à Tmessa sur la piste d'Augila, peuvent être comprises entre l'époque romaine et les dominations byzantine, berbère et arabe, car elles sont juxtaposées à des ruines de villages, de ksars et d'enceintes d'époques diverses. Nous verrons plus loin l'opposition entre les Garamantes et les Teda.

Au Nord du Fezzan, les deux araires gravés à l'Oued Masauda, dont l'un est tiré par un chameau (47), rappellent des scènes datées à partir du IIe siècle sur des reliefs de Tripolitaine. Au Sud du Fezzan, l'hostilité des Garamantes à l'égard des Troglodytes Ethiopiens (les Teda du Tibesti), sur laquelle nous reviendrons, faisait obstacle à toute transmission technologique vers le massif.

Au Hoggar, l'agriculture ne paraît pas avoir été en honneur dans l'Antiquité. Ses Berbères ont pu connaître les céréales méditerranéennes par des contacts avec le monde antique et par le

(43) En dernier, Cf. Huahd et J.-Ph. Lefhanc. — A propos de nouveaux chars rupestres peints de la Tefedest et du Fezzan occidental, à paraître.

(44) Y. Tschudi. — Pitture rupestri dell Tassili degli Azger, Florence, 1955.

(45) D. Pauphilet. — Recherches archéolologiques à Tejerhi et dans l'ouadi el Ajal, in Mission au Fezzan, Tunis, 1953, 83. (46) J.-Ph. Lefhanc. — De Zouila aux lacs de la Mourzoukia, Trav. Inst. Rech. Sahar. Alger, XV, 1957. (47) P. Graziosi. — L'art rupestre délia Libia, 1942, pi. 62.

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Fezzan plus tôt que par le Maghreb. Si l'occupation romaine de Ghadamès au IIIe siècle (G.-Ch. Picard), signifie l'agriculture, il n'est pas certain qu'au Hoggar l'établissement énigmatique d'Aba- lessa l'ait connue au IVe siècle.

On sait que Yakout (872) et Ibn Hawqal (950) affirment que les Berbères du Sahara ne cultivaient pas les céréales, alors qu'El Bakri (967) le croit (48).

Selon M. Gast, le Hoggar n'est venu que tardivement à la vie agricole. Au XVIIe siècle, si les Berbères nomades connaissaient le blé par la Libye, « l'Ahaggar devait rester longtemps à l'écart de ce progrès » (49). Ces positions sont en discordance avec la thèse de J. Erroux sur l'existence présumée de variétés très anciennes, néolithiques, de blé dans les oasis sahariennes, à comparer à celles de l'Egypte.

En fait, il semble bien que le Sahara central montagneux n'ait pas favorisé la pénétration transsaharienne de l'agriculture méditerranéenne. Frobenius a précisé que les chasseurs « mahalbi », dont la civilisation, répandue en lisière sud du désert, est issue de celles des Chasseurs anciens du Sahara, n'avaient pas de contact avec l'agriculture. Ceux du Nord du pays Haoussa ne devaient pas manger de fruits cultivés ou de céréales. L'auteur précise qu'il en existait « entre l'Air et Mourzouk » ne vivant que de chasse et ne mangeant jamais de céréales (50).

Pour des raisons diverses, les régions situées à la périphérie septentrionale du Sahara tcha- dien : serirs libyques arides, Fezzan, Tassili, Hoggar n'ont pas livré d'indices permettant de penser que l'agriculture méditerranéenne ait pu traverser le Sahara avant l'âge du Fer (51), et plus vraisemblablement bien après l'occupation romaine de l'Afrique du Nord.

4. - — L'agriculture en Nubie et au Soudan. Les sources sont passées en revue dans l'ordre

chronologique. La possibilité d'une agriculture néolithique

ancienne est à examiner d'abord pour les oasis libyques méridionales et pour le Néolithique de Khartoum.

A Kharga, le matériel agricole comprend : deux houes taillées, dont la belle pièce de Refuf Pass ; plus de vingt couteaux denticulés de plusieurs types, mesurant de 7 à 10 cm de partie

utile, pouvant rappeler des faucilles monolithiques du Fayoum ; de grands outils assez semblables à des pics, d'une longueur moyenne de 22 cm, ayant pu servir à briser des mottes. Pour Caton-Thompson (qui classe ensemble hoes et coarse adzes), l'agriculture du « Néolithique paysan » de Kharga serait prouvée avant tout par la nature arable du sol bordant des mares, sur lequel reposait l'outillage (52). On note l'absence de matériel de broyage.

— A Dakhla, à 300 km à l'Ouest de Kharga, Winkler, d'après son analyse des gravures rupes- tres de l'oasis, admet que les premiers colons étaient contemporains des Chasseurs anciens du Nil, et il leur attribue par élimination la qualité d'agriculteurs : « these people knew the cattle, but cattle was not their livehood. Nor was hunting. So they were in all probability plant- cultivators » (53). L'auteur ne fait aucune allusion à la cueillette.

— Au Soudan, les civilisations de pêcheurs, de chasseurs et de potiers de l'Early Khartoum « mésolithique » et du Néolithique soudanais de Shaheinab qui en dérive — et dont il faudra probablement reculer la date au Ve et VIe millénaire — n'ont révélé jusqu'ici aucun indice d'agriculture (54), car des broyeurs sont teintés d'ocre et l'usage des pierres percées est conjectural. Si la poterie, qui n'était pas nécessaire au bord du Nil pour conserver l'eau, a servi à cuire des bouillies, la cueillette pouvait fournir la matière de celles-ci. Les hypothèses sur les relations entre les Néolithiques du Fayoum et ceux de Khartoum, qui ont eu en commun l'usage de « gouges » taillées et de l'amazonite, ne sont pas encore irréversibles.

Plusieurs auteurs (Chmieliewsky, 1965 ; Wen- dorf, 1965) admettent que la culture des plantes a pu commencer en Nubie au IVe millénaire. Les premières données concrètes proviennent des fouilles d'E. Smith, Firth, Griffith et Reisner, dont les résultats ont été compilés avec des rapports plus récents par I. Hofmann (55). Malheureusement l'imprécision des déterminations des espèces, accrue par celle des terminologies de langues anglaise, allemande et locale ne permet d'utiliser qu'une faible partie des indices recueillis.

A Dakka, en Nubie égyptienne, un bol du niveau « prédynastique tardif-dynastique archaïque » comprenait peut-être du Sorgho durra, selon Firth. L'absence apparente dans l'Egypte

(48) R. Maunv. — Notes historiques sur les plantes cultivées en Afrique occidentale. Bull. IFAN, XV, 2, 1953, 683-731. (49) M. Gast. — Op. cit., 402, en discordance locale avec J. Ehboux : Les blés des Oasis sahariens, 1RS, Mém. n° 7. (50) Frobenius. — Histoire de la civilisation africaine, 3e éd., Paris, fi3, 64 (riz, p. 94). (51) Ht'ARD. — Contribution à l'étude du cheval, du fer et du

chameau au Sahara oriental, I. Le Fer. Bull. IFAN, XXII, B, 1-2, 1960, 134-78. — Nouvelle contribution à l'étude du fer au Sahara et au Tchad, Bull. IFAN, XXVI, B, 3-4, 1964, 297- 395. — Introduction et diffusion du fer au Tchad, Journal of African History, VII, 3, 1966, 377-404.

(52) G. Caton Thompson et E. W. Gabdkeh. — Kharga Oasis in Prehistory, 1952, pi. 118 et пй 108.

(53) H. A. Winkler. — Rock Drawings of Southern Upper Egypt, II, Londres, 1939, p. 28.

(54) A. J. Ahkell. — Early Khartoum, 1949. — Shaheinab, 1953. — Arkell et P. L. Ucko, Review of predynastic Development in the Nile Valley, Current Anthropology, VI, 2, av. 1965.

(55) I. Hofmann. — Die Kultur en des Niltals von Asswan bis Sennar, Hambourg, 1967. Voir en particulier pp. 116, 121, 222. Cet ouvrage développe des références égyptologiques que nous condensons : Dakka, Firth, 1915, 101. Afyeh, p. 54. Groupe B, E. Smith, 173, 1910, 172. Groupe C, Aniba, Steindorll', 99. — Emery et Kirwan, 1935, 21. — Kerma, Reisner, 1923, 319.

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d'alors de cette céréale, qui demande un climat chaud et prospérera plus tard au Soudan, s'accorde avec une origine africaine des sorghos cultivés au Sud du tropique.

A cette latitude, quelques tombes contenaient des morts ayant la tête posée sur du « grain ».

Des témoignages plus concrets ont été fournis par les vestiges du Groupe A de Nubie, qui pratiquait aussi la cueillette, la chasse et l'élevage, et dont le plein essor semble dater du début du IIIe millénaire. A Afyeh (Tomâs), du « grain » et de la balle d'orge ont été trouvés dans l'estomac d'un mort. D'autres graines sont peut- être du millet. Une habitation du Groupe A mise récemment au jour dans ce site par la mission indienne de Nubie (56) était flanquée par un puits de 2 m de large sur 1 m de profondeur, considéré comme un silo. Les abords de l'habitation ont livré des preuves de vie agricole. Parmi des graines carbonisées dont la détermination n'est pas achevée, on a identifié notamment du blé, de l'orge et des pois. On suppose que la carbonisation des grains déposés devant la maison avant leur stockage a été accidentelle. Le matériel comprend une faucille, dont les lames de pierre lustrée, en dents de scie, sont profondément serties dans un manche de bois, des meules dormantes à ensellement et des broyeurs.

Dans les cimetières du Groupe В (terminologie ancienne qui correspond à une phase avancée du Groupe A), on a trouvé des produits de cueillette (gousses, noix de doum) et des grains d'orge dans l'estomac d'un cadavre. Les textes des Pyramides qui datent de l'Ancien Empire et un ostracon de Deir el Bahari font allusion à la bière nubienne, indice en faveur de la culture de l'orge.

Le Groupe С de Nubie, qui présente des traits culturels prédynastiques et du Groupe A, semble avoir été à l'origine composé de pasteurs venus du Sahara oriental, que l'altération des conditions de vie a refoulés dans les derniers siècles du IIP millénaire, sur le Nil où ils ont eu une vie en partie agricole avant de s'égyptianiser. Malheureusement les restes de céréales, de pain ou de bière contenus dans les vases exhumés, n'ont pu être identifiés. A Aniba, un pot contenait des restes de graines de céréales. Le Groupe С cultivait peut-être aussi le palmier- dattier, le melon et des légumineuses.

Vers 2170-2155, une inscription de la tombe d'Ankhifti, monarque d'Edfou et de Hiérakon- polis, en amont de Thèbes, rappelle qu'au cours d'une famine du blé récolté dans le Sud du royaume fut envoyé en partie jusqu'au pays de Wawat (Basse-Nubie, entre la lre et la 2e cataracte), à une époque où le Groupe С commençait à faire partie du peuplement de la vallée.

Sous la XIIe dynastie, Sésostris I (1970-1936) fonda Buhen, position avancée de l'énorme système défensif de la 2e cataracte, qui s'étendit jusqu'à Serras, à 40 km au Sud. Dans sa 18e année, ce roi établit des colons en Basse Nubie. A la même époque, Mentuhotep arracha la récolte d'orge des Nubiens et la fit jeter dans le fleuve. A Mirghissa (Iken) la présence d'un important matériel de minoterie et de boulangerie, meules, broyeurs, moules, plaques de cuisson et de jarres de bière dans de nombreuses cases circulaires des faubourgs de la ville confirme indirectement l'existence d'une vie agricole indigène dans la première moitié du IIe millénaire (57).

Semna, à 100 km au sud de la 2e cataracte, fut fondée par Sésostris III (1887-1850), qui rayonna au-delà. Des colons égyptiens, dont on a retrouvé les tombes, s'établirent au voisinage de chacune des forteresses de Kouban, Aniba, Buhen, Semna et Shelfak. Des défenses furent établies au niveau de la 3e cataracte, où l'agriculture devait être établie au milieu du IIe millénaire, compte tenu de la nécessité de pourvoir aux besoins des garnisons et des travailleurs. Une factorerie fut créée à Kerma entre la 3 e cataracte et Dongola. Sebekhotep (vers 1780) éleva un temple dans l'île d'Argo près de Dongola et poussa jusqu'à la 4e cataracte.

La culture de Kerma, dont l'apogée se place vers les premiers siècles du IIe millénaire, semble avoir cultivé le blé — - bien que les céréales et les balles mises au jour n'aient pas été identifiées — , et peut-être le lin et le palmier-doum.

Après l'irruption des Hyksôs, qui entretinrent des relations avec Kerma, et la ruine de la puissance thébaine, qui donna aux Koushites l'occasion de gagner vers le Nord, l'occupation définitive du Sud fut l'œuvre de la XVIIP dynastie à partir d'Ahmosis Ier (1580-1556). Thoutmosis I colonisa le pays de Koush entre la 2e et la 3e cataracte (1556). Thoutmosis III (1504-1450) planta la stèle frontière à la 4e cataracte (Napatá), où l'occupation militaire fut établie par Aménophis III (1370-1352) et dès lors maintenue. Le « Fils royal de Koush » (gouverneur) alla ensuite résider à Napatá. Les fresques de la tombe du vice-roi Huy, contemporain de Toutankhamon (1352-1320) montrent l'importance du trafic avec le Soudan. Les gens du Sud, Nehesiou, plus ou moins mêlés de Noirs, fournirent à l'administration locale, puis à l'Egypte, des troupes auxiliaires, de la main- d'œuvre pour les travaux et des esclaves. L'agriculture a donc pu se propager en amont de la 4e cataracte dans la deuxième moitié du IP millénaire.

A l'Ouest du Nil nubien, les preuves de l'occupation et de la mise en valeur des oasis libyques méridionales se rapportent au début du IIe millénaire (58). Kharga aurait été occupée sous Sésostris Ier (1970-1936). Près de Dakhla, la stèle de Mut date de la XIIe dynastie (2000-1788). Les Egyptiens forèrent par la suite des puits artésiens dans les deux oasis, qui eurent un Maître de l'eau. Elles étaient réputées pour leur vin et payaient en nature leur tribut. On peut donc admettre que la culture des céréales a pu y être pratiquée dès la première moitié du IP millénaire, mais leurs relations étaient tournées

(56) BB Lal. — Indian archeological Expedition to Nubia, 1962. A preliminary report, in Fouilles en Nubie (1961-63), Serv. Antiquités, Le Caire, 106-107, pi. V. VI, VIII.

(57) J. Vercoutter. — Six années de fouilles à Mirghissa. Bull. Soc. d'Egyptoloçjie, 12, 1968, 9.

(58) Cf. Mitwally. — Op. cit.

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exclusivement vers la Haute Egypte, sans contacts avec le Sahara. L'occupation et l'exploitation agricole par irrigation furent dès lors permanentes jusqu'à la domination romaine en Egypte, qui éleva de nombreux temples à Kharga, où sont gravés les noms de six empereurs romains. On cultivait une orge donnant deux récoltes par an et le millet qui en donnait trois. Les oasis devinrent ensuite terre d'exil à l'époque byzantine avant d'être abandonnées à l'époque arabe.

Le chadouf (puits à balancier) aurait été introduit en Nubie sous le Nouvel Empire (59), permettant l'extension de l'agriculture et l'introduction de plantes nouvelles. Les Annales mentionnent alors l'orge dans le tribut de Haute et Basse Nubie. La noix de doum, citée dans les textes relatifs à la Nubie, où elle est connue archéologiquement, était peut-être cultivée. Elle figure sur les scènes de présentation du tribut au même titre que le palmier-dattier, symbole de la richesse régionale sur les représentations en or des villages nubiens, qui avaient aussi des champs de lin, des vergers et du vignoble.

On est malheureusement mal renseigné sur ce qu'était, plus au Sud, la vie au pays de Koush après le Nouvel Empire. Sous la XXIIe dynastie, lorsque le pouvoir fut partagé entre Thèbes et Tanis (1085), les fonctions de Fils de Koush furent dévolues aux pontifes de Thèbes s'ap- puyant sur les prêtres de Napatá. Cette époque est très pauvre en matériaux archéologiques, mais l'étude de la céramique soudanaise a montré récemment que le Groupe С se retira partiellement vers le Sud, transmettant sa culture aux populations soudanaises et devenant partie intégrante de la civilisation locale (60).

Vers 750 ВС s'éleva la maison princière qui donna les rois « éthiopiens » de la XXVe dynastie et, sous Piankhi, devait conquérir le trône de Basse Egypte (735). A Napatá, le temple de Kawa était entouré de palmiers nombreux et de plantations d'arbres importés, notamment de cèdres du Liban arrosés à l'aide de réservoirs.

La destruction de Napatá par Psammétique Ier (591) fut probablement une des causes du transfert à Méroé du siège de la puissance « éthiopienne » sous Aspelt (592-658). Quoiqu'il en ait été, ce transfert entraîna le développement rapide de l'agriculture soudanaise, à 1 000 km à l'Est de l'Ennedi.

A l'époque méroïtique, les grandes roues servant à élever l'eau (saqya) sont attestées archéologiquement (61). Une fouille de Gezira Dabarosa près de la 2e cataracte a livré du blé, le cimetière

(59) B. G. Trigger. — History and Settlement in Lower Nubia, Yale, 1965. (fiO) W. Y. Adams. — Post Pharaonic Nubia in the Light of Archaeology, I. Journ. Egypt. Arch. 50, dec. 1964. (61) Pour l'époque méroïtique, cf. I. Hofmann, 249, 429, 432. Gezira Dabarosa, Hewes, 1964, 179. Faras (durra), Griffith, 1926, 23. Ermenna, Junker, 1925. Kawa, Macadam, 1949, 42. Groupe X, Shinnie, 1954. Epoque chrétienne, Hofmann, 561, Smith, 1910, 219.

de Faras du sorgho durra. Du moût d'orge a été trouvé en pain à Ermenna. A Gemmai, un mort était entouré de tiges de millet. Les palmiers et la vigne étaient abondants. Le dattier, la noix de doum, le coton (Grossypium arboreum soudanensis), le lin sont alors matériellement prouvés. Dans la région au Sud de Méroé, au Gebel Geili, le roi Sherkharer (entre 12 et 30 AD), sur son monument de victoire, reçoit du dieu une poignée de sorgho ; il s'agirait de Sorghum andropogon (62).

Les citations des Anciens ayant trait à l'agriculture chez les Ethiopiens ont été rassemblés par I. Hofmann. Diodore (1, 53) note que quelques « îles » de Méroé étaient irriguées et plantées de millet au temps de César. Pour Pline (XVIII, 24), les seules espèces cultivées étaient un millet « Kolbenhirse » et l'orge. Strabon (XII, 10, 281) mentionne aussi le millet et l'orge comme les plantes nourricières locales. Dans la zone pauvre en arbres au Sud ď Assouan et à Méroé, où il y avait surtout des palmiers, Pline (XIII, 28) signale l'usage de broyer les palmes pour en faire une farine que l'on pétrit comme du pain, ce qui rappelle d'une manière très approximative la farine brune d'écaillés de palmes qui est un aliment de disette au Sahara tchadien.

Vers 350 de notre ère, le roi d'Aksoum, Ezana, au cours de la campagne qui aboutit à la destruction de Méroé, fit un butin de blé, dont la présence à cette latitude implique des façons cultu- rales avancées. Le massif éthiopien ayant été considéré comme un centre d'origine des céréales, il est possible que le Soudan en ait reçu par cette voie, mais la preuve en est à faire.

Entre 300 et 600, en Nubie égyptienne, les principautés nomades de Ballana et Qustul (Groupe X) cultivaient Sorghum soudanensis, en élevant l'eau à l'aide de grandes roues. On y a trouvé aussi des tiges et du pain de millet. L'orge et le millet y ont été aussi mentionnés. A Sayala, au Sud ď Assouan, on a recueilli des grains de melon, de raisin et de haricots.

Sous la Nubie chrétienne qui s'étendit au cœur du Soudan, les roues à eau sont attestées archéologiquement et l'irrigation artificielle se faisait avec des canalisations. D'après les auteurs arabes, la culture prédominante chez les chrétiens était le sorgho durra, qui servait à faire le pain et la bière. On a cependant trouvé de l'orge dans l'estomac d'un cadavre. De grands bosquets de palmiers sont mentionnés, du ricin à Debeira, du coton ; la courge, le melon sont attestés archéologiquement. Makrisi (1364-1432) signale à Soba, au Sud de Khartoum, l'usage de millet blanc ressemblant à du riz.

En conclusion, le terminus a quo de la propagation de l'agriculture du Soudan en direction de l'Ennedi peut être situé vers la fin du ne millé-

(62) F. et V. Hintze. Paris, 1967, 32. Les civilisations du Soudan antique,

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naire, mais bien que Clark admette qu'une agriculture effective ait existé au Sud du Sahara en ± 850 ВС, la probabilité n'en apparaît au Sahara tchadien que plus tard, dans la deuxième moitié du I" millénaire (62 bis).

5. — Premiers travaux agraires au Sahara tchadien.

Après avoir noté l'absence actuelle d'indices en faveur d'une transmission à travers le Sahara central de l'agriculture méditerranéenne à l'époque néolithique et jusqu'à l'âge du fer, il faut aussi constater que les vestiges d'outillage néolithique recueillis sont rares aux confins de la Nubie égyptienne, du Soudan et du Tchad à peine prospectés, et sans rapport avec l'agriculture sur deux axes : l'un issu de Haute-Egypte par Khar- ga, le Gilf Kebir et Ouénat ; l'autre menant de la 2e cataracte, par le Darb el Arbaïn, vers l'Erdi ou l'Haouar.

Entre Kharga et Ouénat (63), le plus ancien des deux types d'industries recueillies est sans poterie, l'autre comprenant des formes rappelant la céramique nubienne de la vic dynastie ; aucun ne se rapporte à l'exploitation des ressources végétales. Si des haches à gorge de la culture du Groupe С ont été trouvées au Gilf Kebir (Myers, 1938, inédit), aucun matériel de broyage n'a encore été signalé à Ouénat, mais cette lacune peut n'être que provisoire.

Dans ce contexte, les meules dormantes trouvées entre Ouénat et l'Ennedi (64), sur un des axes de retrait vers le Sud des derniers pasteurs d'Ouénat, dans une zone encore sahélienne au и0 millénaire, nous semblent avoir servi à traiter des graines sauvages plutôt que des produits d'une activité agricole.

Ce matériel n'a pas non plus été signalé dans l'ouadi Haouar, resté longtemps propice à l'élevage, d'après les figurations rupestres.

Ainsi le Sahara sud-oriental, au Nord-Est de l'Ennedi, ne paraît pas avoir connu l'agriculture nubienne ou soudanaise, bien qu'ayant été fréquenté par des pasteurs qui soumettaient leur bétail à des pratiques culturelles du Groupe С (cornes déformées, robes décorées, pendeloques) (65).

En lisière sud du désert, à l'Est de l'Ennedi, la savane de libre parcours comprise entre les 17e et 15e parallèles aurait servi, dans la deuxiè-

(62 bis) J. D. Clark. — The spread of food production in Sub-saharan Africa, J. of. African History, III, 2, 1962, fig. 3. (63) M. F. Peel et R. A. Bagnold. — An Expedition to the

Gilf Kebir and Uweinat, 1938, 3, Archaeology. The Geo. Journal, XCIII, 4, avr. 1939, 291-295. (64) W.B.K. Shaw. — Neolithic, in Bagnold, A further Journey through the Libian Desert, Geo. J., LXXVIII, 1933, n° 2, août, 103-129. (65) Huard. — Les cornes déformées sur les gravures rupestres du Sahara sud-oriental. Trav. Inst. Rech. Sahar, 1959. — A propos des bucrânes à corne déformée de Faras, Kush, XII, 1964. — Figurations de bovins à pendeloques jugulaires au Sahara central et oriental, Rivista di Storia dell' Agricoltura, mars 1965. — Influences culturelles transmises au Sahara tcha

dien par le Groupe С de Nubie, Kush, XVI, 1970.

me moitié du Г1 millénaire ВС au trafic avec le centre de l'Afrique, sur lequel aurait reposé une part de la prospérité de Méroé, selon Reisner. Dans la partie ouest du Soudan, des jalons de cette période seraient les ruines de l'ouadi el Melek, d'Abou Sofian, Zankor, Faragah, qui témoignent d'un peuplement de sédentaires apparemment agriculteurs.

Au cours des derniers siècles avant notre ère, l'exportation de fer ouvré méroïtique (fers de lances), favorisée par l'emploi du cheval soudanais, a vraisemblablement servi comme moyen d'échanges qui se sont développés progressivement en direction de l'Ennedi, région riche en minerai de fer (66). Nombre d'auteurs ayant lié le développement de l'agriculture à la diffusion des outils de fer, il y a lieu de noter que les instruments aratoires anciens de ce métal sont rares au Soudan et non datés. Au Gebel Tageru, à l'ouest de Khartoum, un fer en T, probablement une houe méroïtique (67), a été signalé. Arkell a publié des houes anciennes du Soudan dont le fer est en éventail. Un type de bêche semi-lunaire à manche long de Kordofan serait un apport de la civilisation néo-soudanaise constaté jusqu'au Bornou et au pays Haoussa (68). Nous sommes ici dans le domaine ethnologique, et les remarques faites sur la participation du souverain, au Soudan et à l'Ouest, aux rites de moisson, de labour ou de semailles sont loin d'être nécessairement des « survivances pharaoniques » (69).

Ainsi les témoignages d'exploitation végétale, discontinus et rares en Libye, abondants sur le Nil, mais sans jalons intermédiaires suffisants et datés vers le Tchad, donnent un éclairage assez flou pour l'examen des indices relatifs aux premiers travaux agraires recueillis au Sahara tchadien : matériel de broyage, figurations rupestres, instruments aratoires, données historiques et traditionnelles, établissements humains. Rares à l'intérieur des massifs du Tibesti et de l'Ennedi, ces témoignages sont abondants et homogènes en bordure des formations lacustres qui, au Sud- Est du Tibesti et au Borkou, présentaient des conditions écologiques convenant aux sorghos du Nil soudanais. L'ordre chronologique des témoignages — positifs ou négatifs — conduit d'abord au Tibesti. Tibesti.

Les Chasseurs de l'Optimum climatique postglaciaire, auteurs des gravures naturalistes de la grande faune sauvage, qui pourraient remonter au vie millénaire d'après la chronologie nouvelle, ont nécessairement pratiqué la cueillette comme

(66) Huard. — Cf. note 51. (67) D. Newbold. — Antiquity, 1928. (68) H. Baumann. — Les peuples et les civilisations de

l'Afrique, Payot, 1948, 324, 302. (69) G. A. Wainwright. — Pharaonic Survivals between Lake Chad and the West Coast, Journ. Egypt. Arch., 1949. Sur les difficultés de conjuguer l'africanistique et l'égyptologie, cf. J. Leclant. Egypte pharaonique et Afrique noire, Revue Histo

rique, 462, 1962, 327.

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complément des ressources intermittentes et mal réparties de la chasse. Les conditions écologiques favorisaient les espèces alimentaires spontanées, et la végétation sahélienne qui forme de nos jours une enclave en lisière occidentale du Ti- besti devait alors peupler tout le massif jusqu'à moyenne altitude et connaître une productivité analogue à celle du sahel actuel.

Comme au Fezzan, ces Chasseurs ont laissé des traces graphiques d'essais précoces d'appropriation de bovidés locaux, qui ont conduit au développement de l'élevage chez les Chasseurs- pasteurs, dont on ne connaît pas de témoignage agricole. Jusqu'à présent, on n'a pas établi de lien entre eux et les Néolithiques anicôniques, en partie leurs contemporains, qui ont habité les plaines à l'Ouest du Tibesti et sont à rattacher aux Ténéréens de la fin du ive millénaire, ayant en commun avec eux certaines formes industrielles.

Outillage lithique. L'absence de meules néolithiques entières dans

le massif peut s'expliquer par leur remploi. Deux meules ellipsoïdes carénées provenant de Meu- zendi (O. du Tibesti), polies sur les deux faces, épaisses seulement de 3 cm, de transport aisé, et que l'on devait caler sur le sol pour l'emploi, sont très différentes de celles du Ténéréen classique. Une meule plate en forme de navette a été trouvée dans l'erg de Bilma par le colonel Chapelle. Ce matériel, probablement postérieur au Ténéréen, a appartenu à des semi-nomades inadaptés à des pratiques agricoles régulières, mais capables peut-être de semer des graines sauvages dans la boue des mares, qui dans des conditions propices peuvent donner une récolte sans travail. On remarque que meules et broyeurs font défaut dans les grandes vallées à l'Ouest du Tibesti, où les haches et les herminettes sont nombreuses, ce qui nous semble indiquer indirectement l'usage de mortiers de bois.

De grands pilons de pierre (L = 60 cm) aux biseaux intacts, ou leurs fragments, ont été recueillis en quatre points du Tibesti (70) ou à ses lisières (Zouar, Bardai, N. de Bardaï, Gouro). Leur poids de 5 à 6 kilos était trop considérable pour la minoterie des graines sauvages et nous pensons qu'ils devraient servir à concasser dans des mortiers de bois des matières dures comme la noix de doum, c'est-à-dire être en rapport avec la cueillette.

On a abandonné l'idée que les haches polies à gorge, dont la série ancienne se rattache au Ténéréen, aient pu être des outils aratoires, sauf quand leur section longitudinale est exceptionnellement dissymétrique. Des outils à gorge (71) constituent dans le massif deux dépôts

gènes, dont l'un est encore alimenté par les Teda avec des pièces trouvées en plaine ; ils sont donc dépourvus d'éléments de datation.

Au Tibesti, les herminettes, outils de travail du bois, manquent mais les Teda en remploient pour le travail des peaux. Les anneaux de pierre (72), dont les plus grands (12-14 cm de diamètre) ont pu lester des bâtons à fouir, contrastent avec l'absence d'outils aratoires. Ainsi l'outillage lithique poli, généralement ancien, trouvé au Tibesti est en faveur de la cueillette plutôt que de l'agriculture.

Les tessons de céramique épaisse provenant de grands récipients propres à stocker du grain sont rares, de plusieurs époques et ne permettent pas de conclusion. Sur la lisière nord-orientale, la céramique, non encore étudiée, est très abondante contrairement à l'outillage lithique, notamment dans quelques grottes peintes à l'époque pastorale.

Figurations rupestres. Au Tibesti oriental, deux documents bruts sont

à signaler : la scène ancienne, de valeur écologique, peinte à l'Ehi Borou dans laquelle des personnages schématiques brandissent de grands végétaux, à présumer sauvages, rappelant des tiges de sorgho (73), et le panneau de Mossei, sur lequel des hommes cynocéphales d'époque pastorale, penchés sur des touffes ou en tenant semblent se livrer à la cueillette, ce qui cadre d'ailleurs mal avec les masques cornus de certains d'entre eux. D'après la rareté des figurations proches de l'âge du fer, cette région déshéritée ne semble pas avoir été propice à la vie agricole à l'époque où celle-ci se développait au Fezzan et au Sud-Est du Tibesti.

A Aozou, sur le versant nord, Th. Monod (74) n'a pas attribué d'activité agricole aux archers confinant à l'âge du fer, armés aussi de massues à boule, qui inclinent parfois vers la terre un engin coudé à angle aigu rappelant la houe égyptienne, interprétation rejetee par leur inventeur, qui souligne l'usage de bois de jet de même forme au Soudan oriental. Dans le même site, le groupe en partie contemporain des lanciers à grands fers de type soudanais n'a plus cet engin coudé. Ainsi, dans les premiers siècles de notre ère, les habitants du Nord-Tibesti, bien qu'ayant adopté un armement venu par l'Ennedi, où l'on cultivait alors les rives humides, restaient essentiellement pasteurs, chasseurs et ramasseurs.

Des siècles plus tard, un palmier-dattier gravé à l'enneri Aro (75), en lisière nord-occidentale, dans un contexte de chevaux et de chameaux

(70) Huard et Massip. — Grands outils de pierre du Sahara nigéro-tchadien. B.S.P.F., LXV, 1968. (71) Huard et Massip. — Outils à gorge du Sahara oriental,

à paraître.

(72) J.-M. Massip. — Anneaux de pierre du Sahara tchadien, à paraître. (73) Huard et C. Le Masson. — Peintures rupestres du Ti

besti oriental. Objets et Mondes, IV, 4, 1964, fig. 2, 6. (74) Th. Monod. — Sur quelques gravures rupestres de la région d'Aozou. Rivista di Se. preistoriche, 1947. (75) Huard et J.-C. Fevai. — Figurations rupestres des confins

algéro-nigéro-tchadiens, Trav. 1RS, 1964.

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anciens, harnachés et montés, est un document sur la culture locale de cette espèce nourricière devenue essentielle.

Données historiques et traditionnelles. Etablissements humains. Hérodote (450 ВС) a dépeint une ambiance

défavorable à la transmission de pratiques agricoles par le Fezzan, en faisant ressortir le contraste entre : les Garamantes, agriculteurs déjà évolués et éleveurs, les Nasamons pasteurs et cultivateurs de dattiers à Augila, et les Troglodytes Ethiopiens (Teda), vivant de serpents, de lézards et autres reptiles (IV, 183), c'est-à-dire pratiquant habituellement un ramassage animal auquel on a encore recours au Tibesti en cas de famine.

Les données postérieures sont vagues et surtout non datées. A Aozou, des tombes prémisla- miques attestent une population sédentaire. Des vestiges de canalisation y sont à rapporter à des influences ou à des pénétrations temporaires venues du Nord, dont témoignent aussi les caractéristiques ou le mobilier de divers monuments (Sherda ouest, tombe de l'étrier sarrasin) (76).

Une agriculture méditerranéenne était-elle établie au Tibesti lorsque, vers le xe siècle de notre ère, une partie de la population dut émigrer vers le Sud-Est devant l'appauvrissement et la surcharge des pâturages ? La question est posée. On ignore aussi dans quelle mesure cette activité aurait été nécessaire au maintien permanent de clans autochtones sur le versant nord du massif.

Au Tibesti méridional, dans le Guérédé, mare terminale du Misky, les ruines d'un village avec puits et canalisation voisinent avec des tombes qui contenaient des figurines humaines schématiques de terre cuite, malheureusement perdues, pratique des populations préislamiques « sao » de la région de Fort-Lamy, dont plusieurs traits culturels ont leur origine soit sur le Nil soit au Sahara tchadien (77).

Les traditions des clans venus ou revenus au xvi°-xvne siècles sont hors du cadre de cette étude, mais il convient de rappeler qu'elles font état de grands champs de graines comestibles sauvages : celles des Gounda, aux confins nord et nord-ouest du Tibesti (Burthe d'Annelet) ; celles des Godoba, dans les hautes terres de Sobo- rom (Lt Requin) ; elles rapportent aussi à une époque antérieure à leur arrivée les ruines du tarso Yega, ancien cratère où une culture arrosée du blé a été depuis longtemps pratiquée.

Aucun des indices touchant, directement ou non, l'apparition au Tibesti d'une agriculture venue du Nord n'est antérieur au Ier millénaire

de notre ère, c'est-à-dire très en retard sur le Fezzan. Il en a été de même par rapport à l'agriculture venue de l'Ennedi et du Borkou.

Borkou. Au Sud-Est du Tibesti, les régions basses des

marches orientales du Sahara tchadien ont eu un caractère lacustre ou palustre, au moins jusqu'au début de notre ère, en deux secteurs déprimés : le Borkou méridional, situé en contrebas du grand lac paléotchadien dont il recevait des eaux par l'effluent du Bahr el Ghazal, ainsi que celles du Tibesti méridional ; l'autre allongée du pied des pentes sud-orientales de l'Emi Koussi (3 415 m) jusqu'à la corne nord-est de l'Ennedi, jalonné par Gouro, les lacs d'Ounianga et le Mourdi.

L'étude de J. Courtin (78) sur les industries néolithiques du Borkou peut se résumer ainsi : Au Néolithique ancien, le matériel de broyage, meules, pilons et molettes est présent sur toutes les stations, sans fournir cependant de preuve d'une véritable agriculture. Au Néolithique moyen, ce matériel est partout bien représenté, particulièrement sur les habitats en marge des dépressions ; pilons et molettes sont de formes très variées. Les meules, généralement ovales, sont parfois échancrées latéralement en forme de boîte à violon, au nord de Fada. Au Néolithique final (proche de l'âge du fer), les sites fournissent un matériel très varié dans tous les habitats : meules, pilons tronconiques ou cylindriques, molettes discoïdes ou de section triangulaire.

Les récoltes de J.-M. Massip dans la région de Gouro sont concordantes. Les meules à encoches latérales y sont le fait d'une population utilisant pour des déplacements apparemment saisonniers des bœufs porteurs, dont les figurations sont nombreuses au Sahara tchadien (79).

Le travail de Courtin ne fait pas état des instruments aratoires de pierre dont ce chercheur a recueilli plusieurs dizaines, de formes diverses, industrie dont il sera question plus loin.

Dans la falaise jalonnant, au Nord de Largeau, la rive propice à l'agriculture du système lacustre, des peintures rupestres datables du r" millénaire ВС figurent des embarcations et des scènes de pêche et de harponnage. Des représentations de cases rondes végétales sont celles de populations semi-sédentaires (80).

Ces conditions écologiques se sont maintenues longtemps comme le montrent des habitats de pêcheurs de silures au harpon, datable de l'âge

(76) Huahd et Massip. — Monuments du Sahara nigéro-tcha- dlen. I. Grands cercles et pierres levées. Bull. IFAN, XXIX, B, 1-2, 1967.

(77) Huard. — Aire ou origine de quelques traits culturels des populations préislamiques du Bas Chari-Logone dites Sao. Actes 1° Colloque archéol. Intern. Fort-Lamy, 1967, Paris, 1970.

(78) J. Courtin. — Le Néolithique du Borkou, l'Anthropologie, 70, 3-4, 269- 282. (79) Huard. — Figurations sahariennes de bœufs porteurs, montés et attelés. Riv. di Storia dell' Aqricoltura, dec. 1962. —

Nouvelles figurations sahariennes et nilo-soudanaises de bœufs porteurs, montés et attelés, B.S.P.F., 1967. (80) Huard et Massip. — Nouveaux centres de peintures rupestres du Sahara nigéro-tchadien. Bull. IFAN, XXVIII. B, 1-2,

1966.

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ancien local du fer (premiers siècles de notre ère) et un squelette à ornements de tête métalliques immergé dans la boue craquelée d'une ancienne mare proche de Largeau.

Une tradition des Doza du Borkou occidental rapporte que lorsque la population suivit le retrait des eaux (vers le xc siècle ?), la famille ancêtre du clan se fixa à Yarda, où elle connut la culture du palmier-dattier. L'importante agglomération de Kazer (81), avec son acropole et son village bas, aux habitations de pierre sèche où l'on trouve des perles en pierre et rondelles de test d'œuf d'autruche a été longtemps l'habitat d'une population probablement agricole.

Ennedi. Erdis. Mourdi. Les indices recueillis concernent le matériel de

minoterie, les instruments aratoires, les établissements humains et les figurations rupestres.

Matériel de minoterie. Dans l'état actuel des connaissances, un cer

tain contraste se manifeste entre l'abondance des instruments de pierre polie autour de l'Ennedi et leur rareté dans l'intérieur de ce massif. On en a signalé au pied des falaises de PErdébé, au Basso et en lisière occidentale. Mais G. Bail- loud (82) a noté que l'outillage néolithique de la région de Fada, fait principalement de grès quartzite, était peu caractérisé au regard d'une céramique bien classée. Les « haches » à gorge y sont généralement du Néolithique récent et même du début de l'âge du fer. Le matériel de minoterie manque, mais on sait qu'il en est fait remploi jusqu'à usure et même commerce dans un massif où l'énorme meule dormante de Baba- koï est l'objet de libations rituelles.

En lisière sud-ouest de l'Ennedi, nous avons récolté dans la région de Fada un broyeur en boudin de grès rose local, dont les extrémités très légèrement arrondies sont évidées à leur centre pour assurer une prise sur des produits d'un calibre supérieur à celui de graines, comme des noyaux ou des noix de doum concassées, ce qui met cet instrument en rapport avec la cueillette. Les broyeurs des lisières de l'Ennedi ne sont pas seulement cylindriques. Il en est de prismatiques (cap. Laparra, inédit) et en forme de molettes circulaires, ou de galettes plus ou moins hémisphériques. On a constaté l'emploi de roches dures importées.

Dans la zone lacustre du Nord, meules et broyeurs ont été signalés par centaines, il y a trente-cinq ans, autour d'Arouelli (83), en lisière méridionale des Erdis, par le capitaine Barboteu, ainsi que dans les Erdis Korkos et Manga. Le

(81) M. Dalloni. — Mission au Tibesti. II, 1935. — Huard. — Peintures et gravures rupestres du Borkou. Bull. Inst. Et. Centrafricaines, 6, Brazzaville, 1953.

(82) G. Bailloud. — Mission des confins nord du Tchad. Avant-projet de rapport, 1958.

(83) Cap. Baruoteu. — Les Erdis. Aperçu sur l'Ennedi, 1936, inédit.

capitaine Courtet a publié de grandes meules ellipsoïdes de ces plateaux, polies sur les deux faces, amincies et transportables.

Dans le Mourdi, gouttière qui recueille les eaux de la façade septentrionale de l'Ennedi, le matériel de broyage est également bien représenté (meules entre Bagada et Gaorienga, broyeurs variés : trapézoïdaux, triangulaires, carrés, quadrangulaires, Mission Hoggar-Tibesti, J. Petit, 1952-53, inédit). L'abondant matériel néolithique signalé par le lieutenant Guinot dans les grands ouadi qui collectent les eaux de la façade orientale du massif (84) comprend aussi des meules et des broyeurs.

A l'Ouest de l'Ennedi, le tracé initial de la partie orientale de la piste automobile de Fada à Largeau avait été, avant 1948, balisé aux abords de la mare d'Eléla par des cairns de meules dormantes allongées, entassées, entières et éolisées ou brisées, assez épaisses, polies sur les deux faces. Ce matériel qui était dispersé sur des kilomètres semble provenir d'établissements temporaires destinés à la récolte d'espèces sauvages comestibles (cram-cram), ou de hameaux de culture au bord de mares : dans les deux cas, le matériel devait rester en place lorsque les populations regagnaient les vallées du massif entre les récoltes.

Le matériel de broyage que l'on trouve aussi au Sud de l'Ennedi dans l'ouadi Haouache et au Nord-Est de Кого Того (Kolenga) ne pourrait à lui seul être considéré comme une preuve d'agriculture dans une région où cette activité est actuellement encore primitive et rare, alors que la cueillette des graines sauvages y donne un rendement attrayant.

Instruments aratoires. Leur intérêt nous est apparu en 1950 à la suite

de trouvailles de surface faites dans le Mourdi et la région d'Ounianga. Leur destination peut être inférée d'après leur longueur, proche de 20 cm, leur matière généralement assez légère et facile à travailler (grès jaune, grès à gros grain, roches poreuses, conglomérats non susceptibles de recevoir un véritable tranchant), leur profil incurvé, leur partie active élargie ou en spatule, la rusticité fréquente de leur façon, tous caractères les différenciant des haches avec ou sans gorge, denses et lourdes, d'une exécution soignée, faites pour attaquer le bois ou le minéral.

Ces instruments aratoires sont une industrie fonctionnelle et multiforme localisée au Sahara tchadien dans les régions déprimées comprises entre la coulée lacustre du Nord, la région de Largeau et l'Ouest de l'Ennedi.

— dans le Mourdi, quatre outils aratoires ont été recueillis à Tebi, 90 km NNE de Fada par le sergent Thony (1950) : n° 1, subrectangulaire légèrement convexe en pierre poreuse jaunâtre (17 cm X 7,5 à 9 cm X 4-5 cm) ; n° 2 en pierre

(84) Lieut. Guinot. — La région Est de l'Ennedi, 1937, inédit.

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Fig. 2. — Croquis d'instruments aratoires néolithiques du Sahara tchadien oriental (Tebi, Mourdi). 1, 2, L = 17 cm, 3 L = 20 cm, 4, L = 20,5 cm. Sgt. Thony, 1950, inédit.

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poreuse, spatulé (17 cm X 9 cm) ; n° 3, trapézoïdal à section incurvée (20 cm X 9 cm) en pierre poreuse jaunâtre ; n° 4, allongé et étroit (20,5 cm X 5-7 cm), de section droite.

— à Ounianga, Arkell a recueilli et publié (85) sous le nom de celt (hache) (2,2 cm X 9,6 cm) un long et bel instrument qui nous paraît de la catégorie aratoire, en raison de son extrémité spatulée et de son profil dissymétrique ;

— à Fochi, près de Gouro, le Docteur Bréaud (I960, inédit) a récolté des outils à gorge et bourrelet, façonnés dans une roche claire poreuse, non susceptible de recevoir un tranchant, qui n'ont pu être des haches et sont à présumer aratoires ;

— à Go Our, 100 km SE d'Ounianga, un outil en boudin, recueilli par le capitaine Massip dans un contexte de grandes haches, a une face convexe et l'autre presque plate (86) ;

— en Ennedi même, on ne peut guère mentionner, à ce jour, qu'un outil de grès clair provenant du Nord de Fada (23 cm X 4 cm, Dr. Bréaud, I960, inédit) et, dans la même région, quelques autres en boudin, légèrement convexes, de section ellipsoïde (env. 20 cm X 7 cm) avec un bord d'attaque de section amincie s'élargissant jusqu'à 9,5-10 cm, non affûté ;

— au Sud de l'Ennedi, une houe à gorge en roche volcanique poreuse a été trouvée en plaine par G. Bailloud. Des outils présumés aratoires nous ont été aussi signalés en provenance de Manda China et Ovayké ; ils seraient en forme de lame.

A ce matériel est à ajouter celui, beaucoup plus nombreux, récolté par J. Courtin, dont les pièces sont généralement en grès piqueté non poli, avec un certain nombre en forme de lames, provenant de roches locales se débitant en feuillets. Les points de recueil principaux ont été : Bedo et Yarda (région de Kazer) au Borkou occidental, le couloir Ounianga-Gouro, la région nord de Gouro, ainsi cfue la dépression de Garaloubi.

Les outils passés en revue, qui proviennent de sources diverses, n'ont pu être étudiés par nous dans leur contexte, et nous manquons d'éléments sur leur ancienneté relative. Dans l'ensemble, ils paraissent tardifs. Une étude régionale de la répartition des outils aratoires en fonction des niveaux lacustres et de la céramique d'accompagnement (dont le classement a été fait par Bailloud) pourrait donner d'utiles enseignements, en particulier au Borkou central, où ils sont à intégrer dans les trois stades néolithiques locaux.

Etablissements humains. Leurs vestiges ne donnent pas d'indication

complémentaire sur les débuts de l'agriculture. Dans la région de Fada, Bailloud (87) a constaté que les habitats du Néolithique ancien et moyen, contenant des figurations rupestres, ont été exclusivement des cavernes et abris sous roche. C'est seulement à partir du Néolithique récent que les fonds de cabane font leur apparition sous l'aspect de petites buttes de 6 à 8 m de diamètre, couvertes de débris lithiques et de tessons : jus-

(85) A. J. Arkell. — Wanyanga, 1964, fig. 23. (86) Huard et Massip. — Grands outils, fig. 2, 5. (87) G. Bailloud. ■ — Catalogue de l'Exposition des Fresques

du Tchad, Musée des Arts décoratifs, 1965. Voir résumé de la classification de Bailloud, in Huard et Massip, 1966, Annexe, d'après Bailloud, 1958.

qu'à une date récente, ces cabanes ont été construites exclusivement en matériaux légers (bois), sans utilisation de la pierre.

Les silos de pierre liées que l'on voit sur les terrasses du mont Fada II (Kaufmann) sont dépourvus d'éléments de datation, car ces habitats ont été occupés à diverses reprises postérieurement à l'élaboration des peintures rupestres du style de Fada, au cours des époques troublées qui ont laissé des traces dans les traditions.

Les villages de pierre accolés au flanc des falaises dominant le Mourdi (Lt Eéon, 1932, inédit) ou coiffant les tables gréseuses de l'Ennedi, datent de l'âge du Fer et correspondent vraisemblablement à un mode de vie en partie agricole en des temps d'insécurité. Sur les plateaux arides des Erdis, des ruines de villages de pierre occupés jusqu'à une époque moderne semblent correspondre à des populations semi-sédentaires qui avaient leurs cultures en lisière de la zone lacustre du Nord.

Des barrages ont été signalés en Ennedi : une tradition rapporte la destruction de l'un d'eux au cours d'une opération de guerre menée par surprise et un autre a été signalé au Sud de l'ouadi Haouache dans l'oued Nanou avant l'installation des Bideyat actuels ; ces indices probables de vie agricole peuvent ne dater que de peu de siècles.

Figurations rupestres. L'agriculture étant liée à une vie sédentaire

collective bien établie, il est important de noter, en Ennedi occidental, que c'est seulement au Bovidien récent que le styple de Koko (87) (légèrement postérieur aux styles de Fada et de Tamada du même étage) voit apparaître des représentations très nombreuses de cases habitées avec des greniers sur pilotis et des femmes pilant du grain au mortier ou le broyant sur la meule dormante. On note à ce niveau que les thèmes associés de la harpe et de l'appui-tête, découverts par Bailloud, sont originaires du Nil. Il en est de même des lances de formes sud-soudanaises à grand fer foliacé, qui commencent alors à accompagner Гаге. La datation du style de Koko, d'abord estimée des derniers siècles avant notre ère, a été reportée aux premiers siècles de celui-ci. Le thème des femmes broyant du grain devient dès lors stéréotypé. Dans le style de Gribi, qui appartient au Camelin ancien, on voit des cases avec greniers et paniers et, dans celui de Keymena, des cases avec greniers, paniers, lits et enclos à bétail.

La localisation des nombreuses scènes de vie sédentaire peintes dans la région de Fada est différente de celle des instruments lithiques aratoires, que nous considérons dans l'ensemble comme plus anciens. Ceux-ci peuvent correspondre à une pré-agriculture d'espèces autochtones comestibles ayant pris naissance dans la boue des mares après la saison des pluies et sur les rives des lacs à laquelle aurait succédé, lorsque les

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Fig. 3. — Peintures rupestres inédites de PEniiedi. Greniers : i, 2, Fada, Huard et Kaufmann. Keymena : 3, bovidien récent ; 4, camelin ancien, Bailloud. — Minoterie : 5, meule dormante, bovidien récent, Keymena ; 6, femmes en posture de broyeuses à la meule, Baradergolo, bovidien récent ; 7, pileur au mortier de bois, Gaora Hallagana, bovidien final. Bailloud.

mares permanentes se sont desséchées et les lacs devenus amers, une agriculture du sorgho (et du mil ?) venue du Soudan oriental, utilisant des instruments de bois puis de fer, qui s'est rétractée progressivement dans les mares d'épandage et les points restés relativement humides, comme le Mourdi et les sources d'Ounianga, où un instrument aratoire non daté de fer battu, en forme de cuillère plate, à douille convenant à un manche droit a été trouvé (Thony, 1950).

Le bord des zones déprimées de PEnnedi-Bor- kou apparaît comme ayant été le foyer à partir duquel l'agriculture s'est répandue au Sahara tchadien, pour lequel nos conclusions provisoires, faisant suite aux premières recherches spécialisées, sont présentées dans une perspective élargie.

Au stade actuel de la recherche, qui est celui d'une prospection inégalement poussée n'ayant livré que des données fragmentaires et niai situées dans le temps, il serait présomptueux de tenter un tableau de la vie agricole néolithique au Sahara, mais des remarques utiles peuvent être faites :

1. Des secteurs humides du Sahara central, sud-central et tchadien post-glaciaire ont pu connaître des formes spontanées et indépendantes de pré-agricultures néolithiques appliquées à des espèces locales indéterminées.

2. Dans les massifs du Sahara central et oriental fréquentés par les Chasseurs et les premiers Pasteurs, on n'a recueilli jusqu'à présent aucun indice probant en faveur des théories concernant : a) l'antériorité de l'agriculture sur l'élevage ; b) l'association de l'agriculture à un élevage soit autochtone soit venu de l'Est ; c) des liaisons entre les éleveurs ayant pratiqué l'art rupestre ancien et les populations en partie contemporaines des plaines, aniconiques et présumées Noires, auxquelles on peut attribuer des formes locales de pré-agriculture. Le complexe de production de nourriture : agriculture + élevage connu en Orient puis en Egypte ne semble pas avoir trouvé des conditions aussi favorables au Sahara, où il se serait scindé.

3. Au Sahara nord-oriental, on ne dispose pas de preuves que l'agriculture néolithique du Nil ni celle de l'Ancien Empire aient atteint le Sahara central.

4. Par la Libye orientale du Nouvel Empire puis par la Cyrénaïque grecque, un courant postnéolithique ayant apporté des céréales méditerranéennes et le dattier a atteint le Fezzan au i*r millénaire ВС et contribué à la naissance de la civilisation des Garamantes, sans pénétrer au Tibesti.

5. L'agriculture prédynastique de Haute- Egypte (orge, blé), transmise au Groupe A de Nubie, puis celle de l'Ancien Empire ayant remonté en Nubie et au Soudan par le Nil aux ш* et il* millénaires y a été connue des populations locales (Groupe C), puis adaptée à des espèces tropicales (sorgho, mil) dans des conditions indéterminées. On manque d'éléments permettant de jalonner sa propagation vers l'Ouest, en bordure sud du désert, qui aurait été théoriquement possible par des populations touchées par la culture du Groupe C.

6. Au Sahara tchadien, la cueillette a été une activité vitale constante, des temps néolithiques à l'époque actuelle. Les secteurs lacustres de POu- nianga-Mourdi et du Borkou ont pu connaître une agriculture autochtone d'espèces locales dans une phase avancée du Néolithique, mais c'est seulement à partir des derniers siècles avant notre ère que le courant technologique issu de Méroé aurait introduit le cheval, le fer et une agriculture tropicale, dont l'épanouissement est attesté dans les premiers siècles de notre ère en Ennedi, avant de gagner le Borkou et peut-être le Tibesti méridional. Le Tibesti est resté à l'écart des premières expériences agricoles du Sahara tchadien oriental et l'agriculture des céréales méditerranéennes et du dattier n'y serait parvenue, en provenance du Fezzan, que dans des siècles de notre ère encore obscurs.

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