Contraintes et pouvoir des ONG contemporaines

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Institut d’Etudes Politiques de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Mlle Estelle HERVE Contraintes et pouvoir des ONG contemporaines Sous la direction de Wanda Capeller 2010

Transcript of Contraintes et pouvoir des ONG contemporaines

Institut d’Etudes Politiques de Toulouse

Mémoire de recherche présenté par Mlle Estelle HERVE

Contraintes et pouvoir

des ONG contemporaines

Sous la direction de Wanda Capeller

2010

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Institut d’Etudes Politiques de Toulouse

Mémoire de recherche présenté par Mlle Estelle HERVE

Contraintes et pouvoir

des ONG contemporaines

Sous la direction de Wanda Capeller

2010

Remerciements

Je tiens d'abord à remercier Antoine Derouet, Solenne Boutin et ma maître de mémoire,

Wanda Capeller pour avoir contribué à alimenter et à orienter ma réflexion par leurs conseils et

par leurs contacts.

Merci à Isabelle Moreau, Nicolas Laurent, Magali Audion, Pierre-Jean Roca et Antoine

Coicadan, pour avoir accepté de m'accorder un peu de leur temps et de partager leur expérience.

Je remercie aussi toute l'équipe d'Ingénieurs Sans Frontières (ISF) qui m'a permis, à

travers le stage que j'y ai effectué et le libre accès qu'elle m'a donné pour mener mes recherches,

de nourrir de nombreuses réflexions, qui ont considérablement informé ce travail et éclairé ma

perception du milieu de la solidarité internationale.

Je tiens à remercier également tous ceux qui m'ont supportée et encouragée au cours de

ces longs mois. Merci notamment à mes “collègues” de mémoire et amies, notamment Marion

Maurel, Emeline Villard et Laure Cabanne pour leur écoute, leurs conseils et leur soutien. Et

enfin, merci à ma famille et en particulier à mes parents Cécile Tauzia et Bernard Hervé, et à ma

soeur Aurore Hervé, pour leur soutien moral continu et essentiel, pendant ce mémoire et tout au

long de mes études.

4

Avertissement:

L'IEP de Toulouse n'entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires

de recherche. Ces opinions doivent être considérés comme propres à leur auteure.

5

Sommaire

Introduction..................................................................................................................................p.1

Première partie: Les ONG sous contraintes: entre isomorphisme institutionnel et

normalisation............................................................................................................................p. 19

Chapitre 1: Convergences entre ONG, acteurs publics et privés: contraintes structurelles et

banalisation de l'objet ONG............................................................................................p. 21

Chapitre 2: L'impact des normes des bailleurs sur l'uniformisation des modes d'action et

représentations des ONG................................................................................................p. 42

Deuxième partie: Le pouvoir des ONG: entre capacité d'analyse et capacité d'influence “par

le haut” et “par le bas”.............................................................................................................p. 63

Chapitre 1:.La capacité réflexive des ONG.....................................................................p.64

Chapitre 2: Le pouvoir d'influence hybride des ONG.....................................................p.77

Conclusion..................................................................................................................................p.88

6

Introduction

Définitions

Le terme d'ONG est un terme essentiellement politique dont il n'existe aucune définition

consensuelle. Certains éléments permettent toutefois de mieux cerner cette notion.

Les définitions juridiques

A l'origine, le terme d'ONG apparaît à l'article 71 de la Charte des Nations Unies en 1945.

Cet article détermine un cadre juridique pour les relations entre le système de l'Organisation des

Nations Unies (ONU) – à travers le Conseil Economique et Social (ECOSOC)- et le mouvement

associatif. L'article stipule ainsi: “Le Conseil Economique et Social peut prendre toutes

dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s'occupent des

questions relevant de sa compétence. Ces dispositions peuvent s'appliquer à des organisations

internationales, et s'il y a lieu, à des organisations nationales, après consultation du Membre

intéressé de l'Organisation.1” Les questions relevant de la compétence de l'ECOSOC sont

présentées à l'article 62: “les questions de santé et d'éducation, les questions culturelles,

sociales et économiques, à l'échelle internationale. La promotion du respect des droits de

l'Homme et des libertés fondamentales pour tous.2”

Plusieurs éléments importants se dégagent de cette définition:

D'abord, les organisations concernées sont de nature “non gouvernementale”. A ce sujet,

Philippe Ryfman3 précise que la notion de “gouvernement” (ici traduite littéralement de l'anglais

“non governmental”), dans le vocabulaire des politistes et des juristes anglo-saxons et

particulièrement nord-américains -dont la contribution à la rédaction de la Charte a été

déterminante- recouvre ce qu'on qualifierait en France d'Etat, compris comme l'appareil politico-

administratif chargé des affaires publiques aussi bien que comme le fonctionnement des

institutions publiques au sens large. Ryfman suggère donc que les termes d'organisation “non

1 Charte des Nations Unies, Chapitre X: http://www.un.org/en/documents/charter/chapter10.shtml2 Charte des Nations Unies, Chapitre X: http://www.un.org/en/documents/charter/chapter10.shtml3 Ryfman (Philippe), La Question humanitaire, Ellipses, 1999

1

étatique” ou non administrative” auraient été plus proches du sens voulu par les rédacteurs de la

Charte. C'est d'ailleurs bien dans ce sens que la notion d'ONG est comprise aujourd'hui. L'ONG

se définit d'abord négativement, par opposition à l'Etat et à l'administration au sens large,

et se situe dans la sphère de la société civile.

Ensuite, l'article 71 de la Charte stipule que seules des organisations d'une certaine

envergure sont concernées (“organisations internationales” voire “nationales”).

Enfin, cette première définition laisse entrevoir la diversité d'objets (“sociaux”, “culturel”,

“économiques”, “droits de l'homme” etc.) qui caractérise aujourd'hui encore la famille des ONG.

Michel Doucin résume ce champ de compétence très ouvert en disant que d'après la Charte de

1945, les ONG poursuivent des “objectifs philanthropiques sur la scène internationale4”.

Le Conseil de l’Europe a tenté de définir à son tour un concept d’ONG international. “La

Convention 124 du Conseil de l’Europe du 27 avril 1986 (ratifiée par [...] la France) retient les

organismes de droit privé, à but non lucratif, justifiant d’une “utilité internationale” et

exerçant leur activité dans au moins deux Etats signataires. Cette définition distingue donc les

ONG des entreprises commerciales d’une part, des institutions publiques et parapubliques

d’autre part5”.

En France toutefois, le principe même des ONG n’est pas défini en droit. Il n'existe ni

contrôle, ni label officiel “ONG”.

Définition socio-politique

A en juger par la lecture de la presse et l'évolution des pratiques et du droit internationaux

notamment depuis une quinzaine d'années, le terme “ONG” tend à recouvrir, des institutions

toujours plus variées. Michel Doucin6 repère ainsi plusieurs glissements de sens.

Un premier glissement consiste à associer la figure de l'ONG “aux manifestations et

“contre-sommets” organisés pour faire pression sur les négociations de la “gouvernance

mondiale”. [...] contre les réunions du G8, de la Banque Mondiale et de l'OMC7”, depuis une

4 Doucin (Michel), Les ONG: le contre-pouvoir?, Paris, Toogezer, 2007, p.95 Site du Ministère des Affaires Etrangères: http://www.diplomatie.gouv.fr6 ibidem7 ibid.

2

dizaine d'années. Dans les médias comme dans “l'opinion publique”, les acteurs de ces

évènements sont identifiés comme le “mouvement ONG” alors même que syndicats, partis

politiques ou encore “mouvements sociaux” sont également présents. De même, les Forums

Sociaux Mondiaux (FSM) qui comptent aussi parmi leurs participants des associations de

collectivités territoriales par exemple, sont qualifiés de “grandes messe des ONG”. La confusion

qui en résulte permet également aujourd'hui de rattacher à l'appellation “ONG” aussi bien des

fondations liées à des entreprises8 que des sociétés de droit commercial9.

Un second glissement de sens est encore plus récemment venu complexifier davantage

l'entreprise de définition de l'ONG. Si comme nous l'avons vu, le type de structure institutionnelle

semblait un temps passer au second plan dans les critères de reconnaissance des ONG (amalgame

entre syndicats, mouvements sociaux, fondations etc.), pour accorder davantage d'importance à la

“capacité à faire entendre et respecter des idées différentes de celles des Etats dans le système

des relations internationales10”, cette capacité semblait implicitement réserver le “label” ONG à

des organisations relativement puissantes (en accord avec la définition originelle des Nations

Unies). Or, “voici que nous parvient l'information que le plus petit groupement humain au service

d'une cause élevée11 doit désormais bénéficier lui aussi de cette appellation.12” “Une trentaine de

législateurs, sur les différents continents, ont, du reste, rebaptisé “lois sur les ONG” les cadres

juridiques applicables à ces différentes catégories.13”

Ainsi il paraît clair que l'appellation “ONG” s'est imposée à l'échelle mondiale comme une

notion incontournable. On peut d'ailleurs se demander si ce caractère toujours plus extensif et

agrégatif de l'acronyme ne finit pas par en diluer le sens. Quel dénominateur commun peut-on

trouver pour identifier ce qui caractérise l'ONG?

Pour Michel Doucin14, ce dénominateur commun est celui des valeurs. Il identifie quatre

grands sous-groupes principaux qui formeraient le “coeur battant” de la “famille” des ONG: les

humanitaires, les environnementalistes, les droit-de-l'hommistes et les développementalistes. (Il

8 Si la plus célèbre d'entre elles est la Fondation Bill et Melinda Gates, la France en compte également un certain nombre, à l'instar de la Fondation Pro-Natura International liée à Peugeot-PSA.

9 Max Havelaard est emblématique de cette catégorie.10 ibid.11 Parmi les groupements généralement cités on retrouve les groupements de micro-crédit, les coopératives de

producteurs ou encore les associations de femmes. 12 ibid.13 ibid.14 ibid.

3

n'existe toutefois pas de consensus sur ce découpage, reflet de la confusion générée par l'élasticité

du terme15.) Il leur attribue ensuite les critères communs suivants: “des objectifs en décalage

avec ceux des diplomaties étatiques, une éthique de désintéressement revendiquée et mise en

oeuvre par la pratique militante, une vision généreuse des problèmes et aspirations de

l'humanité. Et, finalement, une autre manière de participer à la vie politique, en dehors des

partis.”

Que retenir de cette définition?

Premièrement, l'opposition à l'Etat déjà mentionnée dans la définition onusienne dépasse

ici la simple distinction institutionnelle ou fonctionnelle pour insister sur une différence

d'objectifs, de finalités entre ONG et Etats. Cette précision accorde de fait une dimension

politique aux ONG, confirmée plus loin (“autre manière de participer à la vie politique”).

Deuxièmement, on voit ici apparaître une caractéristique aujourd'hui indissociable de la

figure de l'ONG, la dimension éthique. Les ONG incarnent cette dimension à deux niveaux.

Les objectifs qu'elles poursuivent s'inscrivant globalement dans le cadre d'une morale

philanthropique (“vision généreuse des problèmes et aspirations de l'humanité”), elles

interviennent sur des thèmes où la démarche éthique mise en avant est très forte16.

Au niveau de leur fonctionnement propre, ce positionnement moral induit également une

démarche éthique particulière, qui s'appuie notamment sur une distinction vis-à-vis du secteur

marchand (importance du “désintéressement”) et une insistance sur la démarche militante

(“pratique militante”) qui suggère attachement et engagement fort vis-à-vis de la cause défendue.

Définition synthétique

A partir de ces différentes définitions, on peut dire que les ONG sont des entités qui se

définissent...

...négativement:

15 Certains regroupent humanitaires et développementistes sous l'appellation de “solidarité internationale”, d'autres préfèrent distinguer entre ONG du matériel et de l'immatériel, d'autres se réfèrent davantage aux modes d'action employés et placent par exemple les environnementalistes et droits de l'hommistes dans la catégorie “ONG de plaidoyer”, d'autres encore ajoutent le commerce équitable comme catégorie à part entière...

16 Des actions d’urgence où elles revendiquent le droit d’ingérence vis-à-vis d’Etats peu scrupuleux aux activités de plaidoyer où elles se font l’avocat des « sans voix ».

4

– par opposition à la sphère de l'action publique (Etats, organisations publiques

internationales): notamment à son fonctionnement bureaucratique et à ses intérêts

géopolitiques stratégiques

– par opposition à la sphère économique: notamment à la figure de l'entreprise mue par la

recherche du profit

...positivement:

– par la poursuite sur la scène internationale, d'objectifs fondés sur des valeurs

philanthropiques

– par une importance accordée à l'éthique dans leurs actions externes et leur

fonctionnement interne

– par la revendication d'une indépendance, d'une liberté de pensée et d'action, d'un

militantisme

Nous allons à présent situer la notion d'ONG historiquement et idéologiquement, en tenant

compte des grandes évolutions de la scène internationale mais en nous concentrant

particulièrement sur le contexte français qui fait l'objet de cette étude.

Contextualisation historique et idéologique

Depuis une les années 1980-1990, le terme d'ONG s'est installé aussi bien dans les

discours médiatiques que politiques. Les interventions humanitaires des grandes ONG urgentistes

françaises sont régulièrement mises en scène de façon spectaculaire par les médias (le raz de

marée en Asie du Sud-Est en 2004 et tout récemment le séïsme en Haïti en sont des exemples

probants). Et aucun grand sommet national ou international ne se tient désormais en l'absence

d'ONG (certes souvent rigoureusement sélectionnées), ces “voix de la société civile”, devenues

“acteur incontournable” des relations internationales depuis le Sommet de la Terre de Rio en

1992.

Ainsi dans les discours politico-médiatiques, les ONG sont souvent qualifiées aujourd'hui

encore de “nouveaux acteurs”. Pourtant, comme nous l'avons vu au début de cette introduction, le

5

terme est apparu dès le lendemain de la seconde guerre mondiale. Certains auteurs17 n'hésitent

d'ailleurs pas à retourner jusqu'au Moyen-Age pour dénicher quelques ancestrales filiations aux

ONG modernes.

Sans remonter aussi loin dans le temps, nous suivrons l'analyse de Jean Freyss18 qui situe

les racines des ONG au XIXème siècle, avec l'apparition de deux grandes postures idéologiques

qui se sont à partir de cette époque et jusqu'à aujourd'hui incarnées de façon multiples dans les

mouvements de solidarité internationale en France, les trajectoires respectives des organisations

issues de ces deux courants s'entrelaçant et leurs acteurs se redistribuant de l'un à l'autre, au gré

notamment des grands changements sociopolitiques et idéologiques.

Le premier courant est celui de la charité-philanthropie vis-à-vis des pauvres. Jean

Freyss le qualifie de courant “libéral-individualiste19”, caractérisé par son universalisme, son

conservatisme social, sa vision individualiste de l'Homme et “s'attachant aux conséquences et

non aux causes des détresses sociales20”. Il prend ses sources dans la vision chrétienne de

l'Homme (“enfant de Dieu”, être universel, non situé socio-historiquement) et dans

l'individualisme républicaniste (sorte de “charité laïcisée21” en réponse au paupérisme généré par

la révolution industrielle). Ce courant s'est notamment incarné hors des frontières françaises au

XIXème siècle dans la figure du missionnaire participant à la promotion de la colonisation par

son oeuvre civilisatrice.

Le second courant est celui de la solidarité ouvrière. Courant socialiste né de “la

résistance collective à la déstructuration sociale engendrée par le développement du

capitalisme22”, il considère quant à lui l'individu comme “un acteur social et politique dont la

place dans la société est “historiquement déterminée” [...]23”, défend non le pauvre mais

l'exploité et conteste les causes des détresses sociales, c'est-à-dire l'ordre établi (ici le système

capitaliste). Ce courant comporte une dimension internationale intrinsèque puisque la Ière

17 C'est notamment le cas de Michel Doucin et Philippe Ryfman18 Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation,

in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 18019 ibidem20 ibidem21 ibidem22 ibidem23 ibidem

6

Internationale ouvrière, est créée en 1864 autour du mot d'ordre célèbre qui clot le Manifeste

communiste de Marx et Engels “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous” et qui sera plus tard

élargi “aux peuples et nations opprimées” dans la dénonciation de l'impérialisme occidental.

Dès le XIXème, ces deux courants ne sont pas imperméables l'un à l'autre, mais ils

constituent les deux limites idéologiques extrêmes entre lesquelles les mouvements de solidarité

continueront de se situer jusqu'à aujourd'hui selon Jean Freyss, dans des configurations fluctuants

au cours du temps, marquées par quelques grands changements sociopolitiques et idéologiques.

Nous distinguerons deux grandes périodes historiques récentes auxquelles on peut associer deux

configurations spécifiques du champ de la solidarité internationale française, avant de nous

interroger sur la configuration actuelle.

Les années 1960-1970: décolonisation et tiers-mondisme

Un certain nombre des futures grandes ONG d'aujourd'hui, naissent dans le contexte des

deux guerres mondiales et de leurs suites24. D'abord tournées vers le secours aux victimes de

guerre, accompagnant et complètant l'action des pouvoirs publics,25 ces ONG doivent se

reconvertir une fois la situation européenne redressée. Elles se tournent alors, à partir des années

1960, en même temps que la BIRD (que les pouvoirs publics occidentaux autorise à “changer

complètement de champ géographique d'intervention pour se consacrer au développement de

nouveaux pays26”), vers l'aide au développement au-delà des frontières européennes. De

nouvelles ONG apparaissent également. Parmi elles on peut citer, dans la mouvance caritative, le

Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) ou encore les mouvements

laïques Terres des Hommes et Frères des Hommes. Du côté de la mouvance de la “solidarité

internationaliste27”, une action politique de solidarité internationale se développe (à côté puis

24 Les désormais célèbres Oxfam (Oxford Famine Relief Committee) et Care Cooperation for Remmittances to Europe-puis Everywhere-) naissent ainsi en 1942 et 1945. En France, le Comité intermouvements auprès des évacués (Cimade) voit le jour en 1939 et le Secours Catholique e 1946.

25 Création de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) en 1945 et plan Marshall à partir de 1947 notamment.

26 Doucin (Michel), Les ONG: le contre-pouvoir?, Paris, Toogezer, 200727 Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation,

in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 180

7

contre le PCF) en écho aux luttes de décolonisation, sous l'impulsion d'une jeunesse intellectuelle

marquée par le marxisme (comités de soutien aux “peuples en lutte”, puis contre la guerre du

Vietnam etc.). Dans une démarche un peu différente, de jeunes diplômés (ingénieurs,

agronomes...) partent dans les pays ayant acquis leur indépendance politique28 apporter leur

expertise pour les aider à construire leur “indépendance économique29”. L'émergence du non-

alignement30 et du tiers-mondisme31 partage aussi ce champ de la solidarité internationaliste:

tandis que les uns restent dans la dénonciation politique, les autres rejoignent les organisations

qui, comme la Cimade, le CCFD et beaucoup d'autres, évoluent de l'assistance vers l'aide au

développement.

Tous ces mouvements et organisations ont en commun d'être fondés avant tout sur un

bénévolat militant. Toutefois, les ONG se tournant vers l'aide au développement, sans être

comparable ni aux bureaux d'études au service de la coopération publique32 ni aux experts-

militants cités ci-dessus, se trouvent rapidement confrontées à un besoin de compétences pour des

actions qui se révèlent autrement plus complexes que ne l'était le simple don. L'idée que la

générosité ne suffit pas commence à apparaître. Sous l'influence de l'idéologie tiers-mondiste, les

ONG de développement soulignent aussi plus ou moins fortement la responsabilité du “Nord”

dans les causes du “sous-développement”, analyse liée au combat pour le Nouvel Ordre

Economique Mondial (NOEM) dans les années 1970. Mais globalement, tous les acteurs du

développement (ONG quel que soit leur positionnement, institutions publiques de coopération,

experts-militants etc.) parrtagent alors une vision occidentale ethnocentriste, économiciste et

téléologique du développement33.

Enfin, les années 1970 sont aussi marquées par l'apparition des luttes sociétales

(féminisme et écologie notamment) qui s'inscrivent dans une approche sectorielle de la

28 Algérie et Afrique noire principalement29 Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation,

in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 18030 Dans le contexte de la guerre froide, 24 pays afro-asiatiques réunis à Bandung en 1955 revendiquent leur

neutralisme vis-à-vis des Etats-Unis comme de l'URSS, leur pacifisme et leur rejet de l'impérialisme.31 Alfred Sauvy définit le terme “Tiers-Monde” en 1952, en analogie au tiers état, renouvellant ainsi la figure

marxiste de l'exploité.32 Le Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA) est un de ces bureaux d'études.33 A ce sujet voir, Rist (Gilbert), Le développement: histoire d'une croyance occidentale, Presses de Sciences Po,

3ème édition, 2007

8

contestation sociale, approche qui perdurera jusqu'au début des années 1990 environ, la création

de Greenpeace en 1971 est emblématique de ce courant.

Les années 1980-début des années 1990: percée du libéralisme et humanitaire

Les années 1980 sont marquées par la montée en puissance du libéralisme, nourrie des

critiques de plus en plus virulentes vis-à-vis du communisme -dont l'effondrement sera symbolisé

par la chute du mur de Berlin en 1989- et marquée par l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence

des Etats-Unis en 1981. C'est alors que commence à apparaitre le discours sur la “fin de

l'histoire”34 développé par Françis Fukuyama, lui-même inspiré de la théorie de la “fin des

idéologies” de Daniel Bell. Fukuyama s'appuie sur la fin des dictatures en Europe et en Amérique

latine et le début de l'éclatement de l'Union soviétique, pour conclure que la démocratie et le

libéralisme n'auront désormais plus d'entraves et que la guerre devient de plus en plus impossible.

L'idéologie libérale est ainsi naturalisée, dépolitisée, présentée pas seulement comme meilleure

mais comme seule possibilité.

En matière de solidarité internationale, Firouzeh Nahavendi parle des années 1980 en ces

termes: “Durant cette période, la préoccupation essentielle devint alors la résolution de la crise de

la dette et le développement, un problème marginal.35” Et la réponse généralisée à cette crise de la

dette est néo-libérale36, c'est le “Consensus de Washington” incarné par les “programmes

d'ajustements structurels”, ensemble de réformes37 prônant la discipline macroéconomique,

notamment budgétaire, l’économie de marché et l’ouverture aux investissements directs étrangers

et sur le plan commercial. [...] Comme Moíses Naím l’a souligné dans le numéro du printemps

2000 de Foreign Policy, «du fait de la crise de la dette des années 80 et de la fin de la guerre

froide, il est devenu impossible de mener une politique ne reposant pas sur de sains principes

macroéconomiques ou hostile à l’investissement étranger».38”

34 Fukuyama (Françis), “The End of History?”, The National Interest, 1989, p.107-11435 Nahavandi (Firouzeh), Repenser le développement et la coopération internationale. Etat des savoirs

universitaires, Karthala, 200336 Inspirée des théories de l'Ecole de Chicago, mises en oeuvre notamment par le Fond Monétaire International

(FMI), la Banque mondiale et encouragées par le Trésor Public américain.37 Ce programme de réformes est théorisé par l'économiste Williamson en 1989.38 Clift (Jeremy), “Au-delà du Concensus de Washington”, in Finances & Développement, Fonds Monétaire

International, Septembre 2003, Vol. 40, n°3

9

Parallèlement, le courant tiers-mondiste fait face à de nombreux conflits et divisions en

son sein39 (très vite on ne parle plus du Tiers Monde mais des Tiers Mondes) et à un vaste

mouvement de remise en question. Cette critique est notamment représentée en France par

l'ouvrage de Pascal Bruckner “Le Sanglot de l’homme blanc40”, qui a pour sous-titre “Tiers-

Monde, culpabilité, haine de soi”. Bruckner y accuse le tiers-mondisme d'une tendance à

l'autoflagellation qui, tout en flattant la bonne conscience de l'homme blanc, tendrait à dissimuler

les vrais problèmes, l'esprit d'analyse étant remplacé par un sentimentalisme aveugle.

Ces deux grandes dynamiques combinées vont contribuer à la percée du libéralisme dans

le champ de la solidarité internationale, qui va elle-même conduire à l'avènement de ce que Jean

Freyss qualifie de “la nouvelle ère de l'humanitaire des temps modernes41”.

Les “french doctors”, Bernard Kouchner et Médecins sans frontières (MSF), inventent le

“sans frontiérisme”42, une “action de secours d’urgence, s’appuyant sur les médias et

affranchie des contraintes diplomatiques et de la souveraineté des États43”. L’expression

“sans frontières” fait alors fortune auprès de nombreuses autres associations: reporters,

pharmaciens, avocats, etc. Jean Freyss décrit l'idéologie humanitaire dans laquelle s'inscrit ce

courant comme idéologie individualiste-libérale qui défend la liberté, les droits de l'homme,

soigne des victimes anonymes et dénoncent leurs bourreaux. Johanna Siméant explique le succès

de cette “idéologie morale et neutralisée44” dans les années 1980 en France par le “double

contexte de dépolitisation et d'irréligion croissante45”.

Ce succès combiné à l'appui sur les médias a conféré à ces ONG “de seconde génération”

une visibilité croissante, au point d'éclipser les autres ONG. Pourtant, une alternative idéologique

39 Echec de la Révolution culturelle en Chine, conflits Indes-Pakistan, Chine-Vietnam, luttes intestines en Afrique...40 Bruckner (Pascal), Le Sanglot de l'homme blanc, Paris, Seuil, 1983 41 Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation,

in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 18042 Dans le contexte de la guerre du Biafra, qui éclate en 1967, des médecins français décident de briser le devoir de

réserve imposé par le Comité Internationale de la Croix Rouge (CICR) pour dénoncer un génocide. Ils fonderont MSF en 1971.

43 Cohen (Samy), “ONG, altermondialistes et société civile internationale”, in Revue française de science politique 2004, Vol. 54, n°3, p. 379-397

44 Simeant (Johanna), “Entrer, rester en humanitaire. Des fondateurs de Médecins sans frontières aux membres actuels des ONG médicales françaises”, in Revue française de science politique, 51e année, n°1-2, 2001. p. 49

45 ibidem

10

a continué d'exister simultanément, dans le champ de la solidarité.

Le Centre de Recherche et d'Information pour le Développement (CRID) représente cette

alternative beaucoup moins médiatisée. C'est un collectif d'ONG fondé en 1976 qui regroupe des

associations confessionnelles, plutôt caritatives ayant évolué vers une dimension plus politique

dans leur action (CCFD, Cimade, Frères des Hommes...) et des associations anti-coloniales de

l'après-guerre positionnées politiquement à gauche voire à l'extrême-gauche. Cette mouvance

héritière de l'anti-impérialisme et du tiers-mondisme “met l'accent sur la prise en compte du “tissu

social” comme fondement de l'action46”, a pour objectif le changement social et s'intéresse aux

causes des problèmes qu'elle combat. Elle condamne aussi l'“apolitisme” et revendique une vision

critique et militante du capitalisme et de ses méfaits sur les relations Nord-Sud.

La période contemporaine (depuis le milieu des années 1990):

La période contemporaine (qui nous intéresse ici) est marquée par la radicalisation du

processus de mondialisation47 qui exerce des effets importants sur les représentations de la

solidarité internationale. L'accroissement rapide des phénomènes d'interdépendances, le

creusement des inégalités entre pays dits du “Nord” et pays dits du “Sud”48 et au sein même des

pays ou encore la mise à l'agenda politique international des préoccupations environnementales,

bouleversent les façons traditionnelles d'aborder les rapports Nord-Sud, le développement

économique et plus largement les questions sociales (influence de la pensée systémique autour de

la notion de développement durable) et morales (relativisme).

Les dynamiques de la mondialisation bouleversent aussi les espaces politiques

traditionnels, remettant en cause à la fois le modèle westaphalien de l'Etat-nation (bousculé par de

46 Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation, in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 180

47 Mondialisation de l'information décuplée par le développement d'Internet, multiplication accélérée des échanges économiques, financiers et humains notamment issue des effets des politiques néo-libérales lancées au début des années 1990.

48 Jeremy Clift (“Au-delà du Concensus de Washington”, Finances & Développement, FMI, 2003) estime que les plans d'ajustement structurel (disparition des services publics, ouverture des marchés à l’afflux de capitaux privés à court terme très volatiles etc.) ont causés dans dix pays à revenu intermédiaire, entre 1994 et 1999, de graves crises financières qui ont fait sombrer le niveau de vie et, parfois, causé la chute du gouvernement et aggravé le sort de millions de personnes.

11

nouvelles dynamiques transnationales, infra-nationales et supra-nationales) et la régulation des

organisations internationales (critique croissante des politiques néo-libérales du FMI et de la

Banque Mondiale, blocage des négociations à l'OMC) et multilatérales (décrédibilisation de

l'ONU notamment après la décision unilatérale américaine d'attaquer l'Irak). Le terme de

“gouvernance” s'est imposé pour penser les nouvelles formes de régulations à différentes

échelles. Ces régulations cherchent à fonder leur légitimité à travers une démarche

“participative”, où la représentation de l'intérêt général est sensée être incarnée par les

représentants de “la société civile” qui de fait, est souvent réduite aux ONG. La société civile

(représentée par les ONG) est ainsi présentée comme figure démocratique ultime par opposition

aux instances politiques étatiques, associées à la contrainte. Cette référence dépolitisée à la

“société civile” comme seule garante de la démocratie et de l'intérêt général s'inscrit ainsi dans

l'idéologie libérale.

Toutefois, la notion de société civile est flexible, c'est pourquoi elle peut aussi être investie

par des acteurs revendiquant une alternative idéologique au néo-libéralisme. C'est le cas du

mouvement altermondialiste49, qui quant à lui, n'oppose pas société civile et Etat. Gustave

Massiah, représentant du CRID au Conseil International du Forum Social Mondial, le définit

ainsi: “[...] un mouvement antisystémique porteur d'avenir par rapport à la phase néolibérale de la

mondialisation capitaliste. [...] “un autre monde est possible”.50 Il situe l'altermondialisme dans la

filiation directe de la mouvance de la solidarité internationale que l'on a qualifié avec Jean Freyss

de “sociale”: “La décolonisation, les luttes ouvrières, l'impératif des libertés constituent la culture

de référence historique du mouvement altermondialiste.51” Bien que certaines ONG revendiquent

leur appartenance à ce mouvement -qui constitue en quelque sorte le pôle extrême du courant

“social” du champ de la solidarité internationale contemporaine- elles préfèrent souvent s'en

distinguer52. La montée en puissance des idées altermondialistes cultive un terreau favorable au

développement d'une critique de l'idéologie humanitaire53. Celle-ci conserve toutefois une très

49 En France, on peut situer l'émergence de ce courant avec la création d'ATTAC en 1998. 50 Intervention de Gustave Massiah, Séminaire “10 ans après: défis et propositions pour un autre monde possible”,

Forum Social de Porto Alegre, Brésil, janvier 201051 Intervention de Gustave Massiah, Séminaire “10 ans après: défis et propositions pour un autre monde possible”,

Forum Social de Porto Alegre, Brésil, janvier 201052 Cohen (Samy), “ONG, Altermondialistes et société civile internationale”, rapport présenté lors du colloque “Les

mobilisations altermondialistes” organisé par le GERMM-AFSP, Paris, 3-5 décembre 200353 On peut citer à ce sujet les travaux de Bernard Hours et notamment L'idéologie humanitaire ou le spectacle de

l'altérité perdue, L'Harmattan, 1998.

12

forte légitimité auprès des institutions nationales et internationales, de l'opinion publique et des

médias notamment.

Cependant, ce succès de l'idéal humanitaire génère des effets pervers importants qui

créént de nombreuses tensions au sein des ONG. Elles sont en effet exposées de manière

croissante à des dérives lucrative,54médiatique55, à une instrumentalisation militaire (“instruments

maniables d’une politique étrangère « soft »56”) et politique.

Par ailleurs plus généralement, la dépendance des ONG (humanitaires ou non) aux

bailleurs de fonds publics57 (qu'ils soient nationaux ou internationaux), les contraint à composer

avec leurs exigences de professionnalisation (développement de compétences spécialisées,

salarisation) et à s'adapter à leurs normes spécifiques (gestion rigoureuse, obligation de moyens,

critères d'évaluation spécifiques) et tendent à faire de certaines ONG de simples opérateurs, des

sous-traitants des politiques publiques.

Tous ces bouleversements amène Jean Freyss58 a parler de “crise” des ONG, une crise

fondée pour Anne Le Naëlou59 sur une remise en cause de leur fondement éthico-politique

historique.”

Ainsi, la problématique de notre recherche est la suivante: les ONG sont aujourd'hui

fréquemment présentées comme un contre-pouvoir majeur dans la gouvernance mondiale,

pourtant, dans un contexte contemporain complexe où elles sont confrontées à

d'importantes contraintes qui remettent en question leurs fondements éthico-politiques

mais aussi leurs causes et modes d'actions traditionnels, quelle marge de manoeuvre ont-

elles réellement pour proposer des alternatives?

54 A ce sujet voir, Troubé (Christian), L'humanitaire, un business comme les autres?, Larousse, 200955 Critique de “l'humanitaire-spectacle”, de la surenchère d'émotion, du “zapping” médiatique d'une catastrophe à

une autre etc.56 Cohen (Samy), “ONG, altermondialistes et société civile internationale”, in Revue française de science politique

2004, Vol. 54, n°3, p. 379-39757 D'après l'enquête de la Commission Coopération Développement “Argent et associations de solidarité

internationales 2004-2005” publiée en 2008, en moyenne, les ressources publiques représentent 40% des ressources totales des ONG françaises.

58 idem59 Le Naëlou Anne, “Pour comprendre la professionalisation dans les ONG: quelques apports d'une sociologie des

professions.”, in Tiers-Monde, 2004, tome 45, n° 180, p. 773-798

13

La thèse que nous défendons est que les ONG se situent dans une position

d'intermédiaire entre pouvoirs publics dominants et militantisme contestataire, une position

qui les expose à des contraintes lourdes autant qu'elle leur confère un pouvoir original, une

capacité d'influence déroutante car hybride.

Le champ de la recherche est ainsi limité à la période contemporaine mais aussi au cas des

ONG françaises que l'on peut qualifier de “traditionnelles”, nous excluons donc les nouveaux

acteurs dont parle Michel Doucin60, du type fondations d'entreprises, communautés de bases ou

collectivités territoriales engagées dans des actions de coopération décentralisée par exemple.

Cette recherche s'inscrit dans une approche pluri-disciplinaire qui se veut le reflet de la

complexité du contexte contemporain dans lequel les ONG s'inscrivent et qu'elles révèlent. Elle

se situe d'abord au croisement de la sociologie, des relations internationales et de la science

politique. Elle emprunte ensuite à la fois à la sociologie des organisations, des mouvements

sociaux afin de rendre compte de la nature hybride intrinsèque des ONG. Cette nature hybride fait

de l'ONG, dont les contours nous l'avons vu sont en constante redéfinition, un prisme

particulièrement intéressant pour analyser les restructurations des nouveaux espaces qui émergent

aujourd'hui entre sphère marchande et politiques publiques.

Les concepts principaux de “contrainte” et “pouvoir” autour desquels se structure la

recherche sont inspirés de la théorie de la structuration d'Anthony Giddens61 pour laquelle la

structure est toujours à la fois contraignante et habilitante.

Giddens donne plusieurs sens au terme “contrainte”. Nous en utiliserons deux différents

dans ce travail. Nous traiterons d'une part de “contraintes structurelles” qui pèsent sur les ONG,

selon Giddens, ces contraintes sont celles qui fixent “des limites sur l'évantail d'options dont

dispose un acteur ou un ensemble d'acteurs, dans un contexte donné, ou dans un type de

contexte.”62 D'autre part, nous considèrerons un autre type de contraintes, celles qui découlent

d'un pouvoir contraignant et se traduisent par des sanctions.

Concernant la notion de “pouvoir”, nous retiendrons ici seulement ce que Giddens dit sur

60 cf. p.361 Giddens (Anthony), La constitution de la société. Eléments de la théorie de la structuration, Paris, PUF, 198762 ibidem

14

le pouvoir comme capacité à produire des résultats. Nous essaierons de voir comment, dans un

contexte contraignant spécifique, les ONG peuvent produire des résultats et lesquels. Comment

elles peuvent elles-mêmes agir en retour sur les contraintes qui pèsent sur elles pour les modifier

(notamment par un contrôle réflexif) ou s'en émanciper.

Méthodologie

Il ne s'agit pas ici de chercher à établir une étude statistique représentative du secteur des

ONG françaises mais de privilégier une approche qualitative, plus propre à révéler les

configurations complexes dans lesquelles les ONG évoluent (dynamiques internes et interractions

avec leur environnement), dont la compréhension est tout autant l'objet de cette étude.

La méthode principale d'enquête choisie a été l'observation participante. En effet, j'ai pu

effectuer un stage de plusieurs mois dans une ONG dans le cadre de mes études. Il s'agit

d'Ingénieurs Sans Frontières (ISF), une ONG particulièrement éclairante pour notre sujet d'étude,

et ce pour plusieurs raisons. ISF est une ONG créée en 1982, elle s'inscrivait alors dans le

mouvement “sans frontièriste” évoqué plus haut. Dans la lignée de MSF, ISF se revendiquait

indépendante, apolitique, bénévole et militante. Elle intervenait toutefois non pas sur des

situations d'urgence mais dans le cadre de projets de développement (ses bénévoles sont des

ingénieurs, or, l'ingénierie demande nécessairement un certain temps, qui ne coïncide pas avec

l'approche de l'urgence). Elle est ensuite passsé par un processus de professionalisation (dans les

années 1990) puis a connu une crise interne profonde à la fin des années 1990, qui l'a conduite à

refonder son projet associatif au début des années 2000. Aujourd'hui, ISF s'inscrit dans une vision

et une pratique relativement différente de la solidarité internationale. Le caractère récent de la

crise connue et les changements auxquels elle a donné lieu reflètent bien les évolutions du

contexte et des contraintes auxquelles les ONG sont soumises depuis la fin des années 1990

environ, aussi bien que les nouvelles formes de pouvoir qu'elles peuvent exercer.

L'observation participante est particulièrement intéressante pour deux raisons principales.

La première concerne l'accès à de multiples documents internes et la seconde celle de l'expérience

pratique vécue de la vie de la structure et finalement la possibilité de percevoir le coeur des

15

pratiques sociales, au-delà des simples discours (vrais réseaux relationnels et modes d'action sans

distinction privé-public ou formel-informel, anecdotes etc.).

Pourtant, certains soulignent les difficultés inhérentes à cette méthode et notamment celles

liées à l'intégration du chercheur au sein de son terrain d'observation, sachant qu'il est marqué

comme chercheur et doit effectuer tout un travail de mise en confiance des acteurs étudiés afin de

pouvoir banaliser sa présence et minimiser son degré d'interférence avec les pratiques et discours

des acteurs63.

J'étais à ce niveau là dans une position un peu ambigüe. Ayant discuté de mon intention de

mémoire (sans entrer dans les détails mais en disant que je souhaitais effectuer une recherche

traitant d'ISF) avec le délégué général d'ISF lors de mon entretien d'embauche, j'avais pu mesuré

l'intérêt qu'une telle recherche pouvait représenter à ses yeux. J'ai ensuite rapidemment compris

que la réflixivité était un élément central à ISF et qu'il y avait une attente non dissimulée de

pouvoir utiliser mon mémoire pour alimenter leur auto-critique voire appliquer des

recommandations. J'étais donc consciente que mon travail serait lu car la demande de retour était

claire (difficulté soulignée par Frédérique Matonti dans le cadre des enquêtes

“ethnographiques”64).

Cette prise de conscience alliée au constat de la familiarité voire de l'appartenance de

certains membres d'ISF au champ universitaire a constitué un obstacle majeur dans mon enquête.

J'hésitais entre deux postures comportant chacune ses inconvénients. Il me semblait que je

pouvais jouer la carte de la franchise, discutant ouvertement de mes postulats et interrogations au

risque de me laisser influencer dans mon approche théorique autant que pratique par les membres

d'ISF, je craignais alors de perdre tout recul par rapport à mon terrain d'enquête. J'ai finalement

choisi de rester évasive quant à mon sujet et à l'avancée de mon travail et de me contenter d'une

observation des discours et pratiques quotidiennes, c'est-à-dire de faire oublier au maximum cette

facette de ma présence à ISF, en endossant l'unique rôle de stagiaire et pas de celui chercheur. La

conséquence majeure de ce choix a été le renoncement à la réalisation d'entretiens formels que

63 Schwartz (Olivier), “L'empirisme irréductible, la fin de l'empirisme”, Le Hobo. Sociologie du sans abris, Paris, Nathan, 1993, p. 265-308

64 Matonti (Frédérique), “Ne nous faites pas de cadeau. Une enquête sur des intellectuels communistes.” Génèses, 25, décembre, 1996, p.114-127

16

j'avais d'abord envisagé et sur lequel je suis revenue en partie plus tard.

Les résultats de ma recherche à ISF sont donc essentiellement issus d'échanges informels

multiples avec les salariés et bénévoles de l'ONG, d'expériences vécues et de la consultation de

documents internes.

Toutefois, j'ai complété ces différents outils méthodologiques par des recherches

bibliographiques et documentaires nombreuses ainsi que par la réalisation de trois entretiens

-semi-directifs (afin de faire parler les acteurs interrogés le plus librement possible et d'éviter

d'enfermer l'enquête dans les limites définies par les hypothèses de départ tout en les orientant

vers des questions qui revêtaient un intérêt potentiel pour la recherche)- dont un avec une salariée

d'ISF (réalisé après la fin de mon stage), un autre avec une salariée du CRID ainsi qu'un entretien

avec l'ancien directeur de l'Institut de Formation et d'Appui aux Initiatives de Développement

(IFAID), aujourd'hui chercheur au CNRS spécialisé dans les projets et programmes de

développement et travaillant avec des ONG.

Distanciation personnelle par rapport à l'objet et aux outils théoriques et méthodologiques

Qu'il s'agisse de mon objet de recherche, de l'angle d'analyse choisi ou encore des outils

théoriques et méthodologiques privilégiés, il est important de préciser qu'ils sont fortement

conditionnés par ma propre trajectoire et mes positions normatives personnelles qu'il convient

d'essayer d'objectiver avant de présenter les résultats de la recherche.

Premièrement, je suis issue d'une filière universitaire dont un des débouchés principaux

est celui du travail en ONG (Master Développement économique et Coopération internationale).

Je suis donc particulièrement, et depuis longtemps, intéressée par ces acteurs, qui exercent sur

moi une certaine attraction, du fait notamment de l'aspect d'engagement éthico-politique qu'ils

présentent et de la dimension internationale de leur action. Toutefois, et simultanément je nourris

une certaine méfiance à l'égard des ONG. Méfiance vis-à-vis de l'idéologie humanitaire (et

notamment de son approche dépolitisée de la solidarité internationale) mais aussi du

17

développement en tant que croyance tel que critiqué par Gilbert Rist65.

C'est en grande partie cette méfiance qui a motivé mon travail de recherche, vu comme un moyen

d'approfondir ma réflexion et ma connaissance de ces acteurs et de dépasser certains de mes

préjugés. La relation d'attraction-méfiance que j'entretiens avec les ONG joue certainement

également un rôle important dans ma façon de présenter les ONG comme prises dans une dualité

intrinsèque.

Deuxièmement, mon positionnement normatif par rapport aux ONG est qu'elles doivent,

malgré les contraintes particulièrement fortes dans lesquelles elles sont prises aujourd'hui,

maintenir une activité militante, soucieuse en priorité de ses finalités, du sens de son action. Je

m'efforcerais à ce titre, dans la présentation de mes résultats, de conserver un regard le plus

objectif possible en mettant à distance ma propre position normative.

Enfin, ayant une culture familiale que l'on peut qualifier de militante et sociale-chrétienne,

ainsi qu'une éducation universitaire en sciences politiques (notamment marquée par la sociologie

de Pierre Bourdieu), j'ai tendance à privilégier une analyse du monde social en terme de luttes de

pouvoir et de rapports de domination, qui se reflètent ici dans l'utilisation des concepts de contre-

pouvoir ou encore de militantisme. Toutefois, je suis aussi très intéressée par les théories post

modernes (notamment celle d'Edgar Morin sur la complexité) et les théories sociologiques

complexes (notamment d'Anthony Giddens sur la structuration de la société). L'influence de ces

théories est clair dans le choix des concepts centraux choisis (contrainte et pouvoir), mais aussi

dans le choix de certaines concepts secondaires (la réflexivité notamment), ou encore dans la

façon de présenter les contraintes comme éléments d'une boucle récursive.

Nous étudierons d'abord le contexte contraignant dans lequel les ONG françaises

contemporaines s'inscrivent (Partie 1), puis, nous verrons dans quelles conditions elles peuvent

elles-mêmes influencer ces contraintes (Partie 2).

65 Rist (Gilbert), Le développement: histoire d'une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, 3ème édition, 2007

18

Première partie: Les ONG sous contraintes: entre isomorphisme

institutionnel et normalisation

Nous avons vu en introduction que les ONG se définissent en premier lieu par distinction

aux institutions publiques et à la sphère économique, tout en insistant sur leur identité militante,66

fondée sur un engagement éthico-politique. Dans un contexte de méfiance vis-à-vis des dérives

technico-bureaucratiques de l'“humanitaire expert67”, de l'instrumentalisation politique des ONG

et plus largement des associations, la revendication de cette identité militante est désormais un

impératif catégorique du discours des acteurs des ONG.

De nombreux auteurs soulignent aussi la grande hétérogénéité de la “famille” des ONG,

qui semble caractérisée par une très grande diversité de causes défendues, de modes d'action, de

thématiques ou encore d'orientations politiques.

Pourtant, nous verrons dans cette partie que ces deux affirmations semblent pouvoir être

remises en cause à la lumière des évolutions récentes du contexte dans lequel les ONG évoluent.

Nous nous appuierons d'abord sur la théorie de l'isomorphisme institutionnel développée

par Di Maggio et Powell (1983, 1991)68 pour analyser les contraintes structurelles -réduisant

l'évantail d'options des ONG- qui sont liées à la convergence de comportement entre les

structures associatives, privées et publiques, et qui se traduisent par ce que nous appelons la

“banalisation” de l'objet ONG (Chapitre 1). Dans un second temps, nous étudierons les

contraintes exercées par les conditionnalités que les bailleurs de fonds mettent à l'octroi de

financements aux ONG, à travers l'étude du processus de “normalisation” qui génère une certaine

uniformisation entre les ONG elles-mêmes, dans leurs pratiques voire dans les valeurs et causes

66 Le Larousse donne comme définition de l'adjectif “militant”: “Qui lutte, combat pour une idée, une opinion, un parti.”

67 Collovald (Annie), “De la défense des « pauvres nécessiteux » à l'humanitaire expert. Reconversion et métamorphoses d'une cause politique.”, in Politix, 2001, Vol. 14, n°56, p. 135-161

68 DiMaggio (Paul Joseph) et Powell (Walter), “The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields”, in American Journal of Sociology, 1983, vol. 48 DiMaggio (Paul Joseph) et Powell (Walter) “The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality”, in DiMaggio et Powell, The New Institutionalism in Organizational Analysis, 1991, University of Chicago Press

19

qu'elles défendent (Chapitre 2).

Nous privilégierons l'étude des discours sur la professionnalisation comme prisme

d'analyse des convergences conduisant à une certaine banalisation des ONG, tandis que nous

nous appuierons sur les discours autour des normes dominantes dictées par les bailleurs publics

pour analyser le processus d'uniformisation entre ONG.

En effet, Johanna Siméant69 insiste sur la capacité des acteurs sociaux à élaborer des

théories de leurs pratiques. Ces théories sont “une façon de justifier leurs façons de faire et de se

saisir de contraintes extérieures”.

Ces deux types de discours révèlent les contradictions qui traversent les ONG, et qui sont

notamment le fruit des différents types de contraintes auxquelles elles sont confrontées, qui

mettent à mal le militantisme qu'elles revendiquent et tendent à leur faire perdre leurs spécificités.

69 Siméant (Johanna), “Urgence et développement, professionalisation et militantisme dans l'humanitaire”, in Mots, 2001, Vol. 65, n°1, p. 28-50

20

Chapitre 1: Convergences entre ONG, acteurs publics et privés: contraintes structurelles

et banalisation de l'objet ONG

Nous commencerons par étudier les discours des acteurs des ONG sur la

professionnalisation afin d'identifier les contradictions par rapport au militantisme dont elle est

porteuse (Section 1) avant d'examiner de plus près les contraintes principales qui conditionnent la

convergence des ONG avec les structures publiques et lucratives (Section 2).

Section 1: Perceptions de la “professionnalisation” par les acteurs des ONG et militantisme

Les débats autour de la professionnalisation sont récurrents dans les ONG, ils recouvrent

un ensemble de processus critiques qui ont pour enjeu la définition légitime de l'action de

solidarité internationale et reflètent les nouvelles contraintes structurelles dans lesquelles

s'inscrivent les ONG. Nous présenterons les perceptions de la professionnalisation par les acteurs

(I.), avant d'analyser les contradictions vécues avec le militantisme qu'elles mettent en valeur (II.)

I. Les perceptions de la “professionnalisation” par les acteurs des ONG

Certains associent strictement la professionnalisation à un processus de salarisation

(postes de permanents au siège, personnels expatriés dans le cadre de missions etc.), pour

d'autres, elle fait référence à l'amélioration de la qualité des actions menées (notamment des

projets ou programmes au Sud) -ce qui peut par ricochet, les amener à insister sur l'importance de

recruter avant tout des personnes compétentes, qu'elles soient bénévoles ou salariées-, enfin,

d'autres voient dans la professionalisation un processus de glissement vers le modèle de l'ONG

anglo-saxonne. Ce dernier étant considéré comme moins militant et plus gestionnaire, ceux qui

le dénoncent opposent généralement la professionalisation au militantisme et analysent le

processus de professionalisation comme une manifestation de l'emprise et de la pression

croissante des bailleurs de fonds publics en faveur d'une approche technicienne de la solidarité

internationale.

21

Nous reprenons ici les résultats d'une enquête70 menée notamment par Johanna Siméant

qui met en valeur les différentes connotations attachées par les acteurs à leurs perceptions propres

de la notion de professionalisation.

Les tableaux suivants rendent compte des jugements et arguments mis en avant par les

acteurs d'ONG humanitaires (recueillis au cours de 200 entretiens semi-directifs, à partir de

conversations tenues avec des militants et de la littérature propre au milieu). Bien que l'enquête

concerne les acteurs humanitaires seulement, le milieu des ONG dans son ensemble est confronté

à ces débats sur la professionnalisation et, au-delà de l'humanitaire, on retrouve des justifications

similaires.

70 Siméant (Johanna), “Urgence et développement, professionalisation et militantisme dans l'humanitaire”, in Mots, 2001, Vol. 65, n°1, p. 28-50

22

23

Nous allons maintenant analyser ce que ces argumentaires mettent à jour à propos des

contradictions qui existent dans le milieu des ONG et s'expliquent notamment par les contraintes

structurelles nouvelles du contexte gobal dans lequel elles s'inscrivent.

24

II. Les contradictions vécues par rapport au militantisme

Les résultats de l'enquête font apparaître qu'en dépit des différentes manières de percevoir

la professionalisation, implicitement, elle est toujours considérée sinon comme opposée, au moins

comme contradictoire au militantisme; c'est bien autour de cet aspect que se cristallisent les

arguments développés et les contradictions auxquelles les ONG sont sujettes.

Dans le cas de la professionalisation vue comme amélioration de l'efficacité et de

l'opérationnalité de l'action, on trouve une première opposition sur la vision de la compétence.

Les arguments favorables à cette professionalisation se réfèrent à une vision de la compétence

reposant sur la technicité de professionnels spécialistes (qu'ils soient salariés ou non) tandis que

les arguments défavorables défendent une vision plus globale de l'action, accordant une place

aussi importante à des compétences non techniques, notamment militantes (capacité à

témoigner, engagement affectif etc.).

Ainsi, les arguments favorables à ce type de professionnalisation justifient la nécessité de

la possession d'une compétence technique en en faisant un pré-requis de la satisfaction des

besoins des “bénéficiaires” (présentée comme objectif prioritaire). Il s'agit donc de privilégier le

recrutement de professionnels compétents, qu'ils partagent ou non les valeurs de l'ONG

plutôt que de militants incompétents. De plus, l'acquisition de financements implique

d'acquérir une crédibilité auprès des bailleurs de fonds et des donateurs, crédibilité qui impose de

se plier à leurs attentes. Or, les bailleurs et les donateurs, ont tendance à favoriser les ONG

dont l'efficacité est facilement mesurable à l'aide d'indicateurs chiffrés, rendant compte de

réalisations techniques quantifiables, renvoyant une image de compétence professionnelle

rassurante. Ces critères s'opposent aux valeurs associatives et militantes défendues par les

détracteurs de la professionalisation. Pour eux, les membres de l'ONG doivent être engagés dans

la défense d'une cause et de valeurs qui dépassent le cadre strict de l'intervention technique

et demandent un réel investissement (voire dévouement) personnel.

Concernant à la professionalisation entendue comme salarisation et “métier”, les

argumentaires respectivement développés en sa faveur et contre elle soulignent les contradictions

qui existent entre la nécessité de faire face à la concurrence d'autres ONG professionnalisées

25

(sur le “marché” de la recherche de financements), la volonté de mener des projets cohérents,

s'inscrivant dans la durée, avec un personnel accumulant une expérience spécifique d'une part et

d'autre part le fondement militant et éthique des ONG qui implique à la fois un engagement

désintéressé (contradictoire avec la salarisation) garant de la poursuite d'objectifs

philantropiques qui peut être menacée par la salarisation dès lors que celle-ci entraîne des

dérives bureaucratiques et/ou la prise de pouvoir de salariés sur la gouvernance de

l'association.

Enfin, la dernière conception de la professionalisation se rapporte à la perception du

recours aux financements publics. Certains voient dans ce recours le seul moyen d'assurer une

continuité, une cohérence des actions d'une ONG tout en évitant de verser dans les dérives

médiatiques et marketing immorales, utilisant l'émotion et la culpabilité comme ressort pour

inciter les particuliers à donner aux ONG, tandis que d'autres dénoncent les risques

d'instrumentalisation politique, et y préfèrent la recherche de financements privés, quitte à

céder à des stratégies immorales et commerciales, en contradiction avec la distanciation

historique des ONG par rapport à la sphère économique et par rapport à leur fondement

éthique.

Cette brève analyse permet déjà de repérer quelques contraintes majeures qui semblent

contribuer fortement à générer les contradictions que nous venons d'identifier en pesant sur

l'identité militante revendiquée des ONG. C'est à ces contraintes que nous nous intéressons à

présent pour mettre en évidence la banalisation de l'“objet” ONG par rapport aux sphères

publique et économique qu'elles induisent.

26

Section 2: Les contraintes remettant en cause l'identité militante, facteurs de banalisation

des ONG

La contrainte du financement, dont l'importance varie en fonction de la taille de l'ONG,

est déterminante. Comme nous allons le voir, elle est à l'origine d'autres contraintes qui en

dérivent et provoquent des tensions identitaires importantes au sein des ONG. Ces contraintes ne

sont pas propres aux ONG, elles sont communes aux associations. Ces dernières sont en effet

aujourd'hui tiraillées d’une part entres leurs obligations gestionnaires, avec leur cortège de

normes, de règles, et le souci de professionnalisation et, d’autre part, la nécessité de conserver

l’état d’esprit militant et le comportement sans but lucratif dans une société de plus en plus

marchande et financiarisée.

A l'exception de quelques grandes ONG françaises qui sont entièrement financées par des

dons privés (ce qui leur impose de développer des stratégies de communication et de

différenciation très coûteuses et similaires aux campagnes marketing de grandes entreprises) les

ONG sont rappelons-le, très dépendantes des bailleurs publics en matière de financement. En

moyenne, les ressources publiques représentent 40% des ressources totales des ONG (les trois-

quarts provenants de ressources publiques internationales)71. Cette situation les contraint à

s'adapter aux exigences de professionnalisation imposées par les bailleurs (développement de

compétences spécialisées, salarisation) et à s'adapter à leurs normes spécifiques (gestion

rigoureuse, obligation de moyens, critères d'évaluation spécifiques) et tendent à faire de certaines

ONG des sous-traitants des politiques publiques. Ceci a deux conséquences majeures: le risque

d'instrumentalisation politique (I.) et l'incitation à la salarisation (II.).

Enfin, il existe une forte concurrence entre ONG, mais aussi parfois entre ONG et

entreprises classiques, sur le “marché” de la recherche de financements (III.).

Ce contexte actuel de contraintes provoque de profondes remises en causes dans le monde

associatif, à tel point que la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA) a

lancé une étude sur ce sujet intitulée "association et logiques de marché", dont la présentation

éclaire davantage les nouvelles contraintes dans lesquelles s'insèrent les ONG en particulier et les

71 Enquête de la Commission Coopération Développement “Argent et associations de solidarité internationales 2004-2005” publiée en 2008.

27

associations en général:

“Cette étude ouvre un cycle de questionnements déterminants sur l’avenir des

associations « opérateurs » de politiques publiques notamment, dans une période

marquée par des mutations profondes convergentes : restructuration des finances

publiques, réforme de l’action publique, décentralisation, européanisation des

règles en matière de financement public et de délivrance de services sociaux. Ce

contexte de mutations profondes se caractérise notamment par un recours accru à la

commande publique et à la mise en concurrence des associations, par une

banalisation de la prestation associative dans le cadre des partenariats public-

privé au service de l’intérêt général. De manière différente selon les familles, ce

contexte touche de plein fouet l’économie sociale et bouleverse son organisation.

Ce contexte est propice à l’apparition ou la réapparition de propositions de

recomposition du paysage statutaire de l’économie sociale et solidaire notamment

par la remise en cause des statuts et l’ouverture assumée aux logiques de marché. Il

est donc urgent de redire la réalité massive du partenariat public-privé non

lucratif dans notre pays et ses spécificités méritoires au regard des objectifs même

de modernisation de l‘action publique : contractualisation, performance,

participation, évaluation, efficience, etc. [...] le mouvement associatif organisé

travaille collectivement à se positionner sur le rôle et la place des associations, au

coeur d’une économie concurrentielle marchande et non marchande, pour plus

d’initiatives socio-économiques porteuses d’intérêt général.”72

I. Les risques de l'instrumentalisation: des ONG “prestataires”

Du fait de la généralisation des procédures d’appels d’offres et d’appels à projets (qui

remplacent les conventions et contrats pluriannuels d’objectifs), les ONG (comme les

associations en général) sont de plus en plus soumises aux logiques de marché. Cette évolution a

fortement été impulsée par l’Union européenne (qui est le principal bailleur de fonds public

international des ONG françaises, les financements européens représentant en moyenne plus de

72 Rubrique concernant le rapport d’étude "association et logiques de marché": site de la CPCA, http://cpca.asso.fr/spip.php?article1863

28

50% de leurs ressources publiques internationales73) et génère le risque de voir l’Etat et les

institutions publiques se transformer en donneurs d’ordre et les ONG en simples prestataires de

services est réel et déjà avéré dans certains domaines. Ainsi, la nature des rapports entre Etat et

associations passe progressivement de la subvention à la commande publique, ce qui génère une

réelle crainte d’instrumentalisation du côté des associations. Crainte accrue dans le cas spécifique

des ONG depuis la restructuration de l'aide au développement qui depuis 2009 ne passe plus par

le Ministère des Affaires Etrangères mais directement par l'Agence Française de Développement

(AFD), en témoignent ces deux extraits d'entretiens réalisés respectivement auprès d'une salarié

du CRID et d'une salariée d'ISF:

“ - [...] La majorité des projets du CRID sont financés par l'AFD et/ou par l'UE.

C'est nos deux gros bailleurs. [...] donc on est très dépendants actuellement

financièrement des finances publiques et donc via l'AFD (alors avant

directement via le MAE, maintenant l'AFD) [...] la grosse force du CRID c'est

notre réseau. Notre réseau national déjà qui est très large, et notre réseau militant

local. [...] Donc c'est vrai qu'avec les institutions on a une espèce de rapport de

légitimité...forte encore. [...]

- Pourquoi encore?

- Parce que l'AFD change, y a qu'à voir la nomination du nouveau directeur de

l'AFD, Dov Zerah, ça donne un peu le ton de ce que ça pourrait devenir. Donc je dis

encore parce qu'on se méfie de ça et on essaye de diversifier nos financements

aussi pour pas que l'aide au développement soit instrumentalisée... les fonds

publics d'aide au développement pourraient aller vers des projets qui glisseraient

vers de la coopération économique pure ou...[...]. ”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux au

CRID

“ - Sauf que le MAE ne donne plus d'argent donc c'est l'AFD maintenant. [...]

73 Enquête de la Commission Coopération Développement “Argent et associations de solidarité internationales 2004-2005” publiée en 2008.

29

C'est une manière de...[...] ça permet de plus donner l'accès...finalement les ONG

ont plus accès aux politiques mais seulement à celui qui va mettre en oeuvre la

politique. [...] Maintenant tout est géré par des agences publiques. C'est tout ce

qui est mise en oeuvre, ça remonte pas au MAE [...]

- Et ça change quelque chose pour vous, concrètement?

- Ca change quelque chose parce qu'il faut expliquer à des gens qui ne savent

absolument pas ce que c'est que l'éducation au développement et à quoi ça sert.

- Tu veux dire à l'AFD? Parce qu'avant y avait pas à le faire avec le MAE?

-Non, parce que c'était des gens qui connaissaient, parce que y avait une mission

qui s'appelait la MAAIONG qui était une mission interministérielle avec les ONG.

Donc toutes les ONG qui voulaient pouvaient venir, y avait des représentants des

différents ministères [...] qui donnaient des subventions aux ONG et donc c'était un

lieu d'échange. Ce lieu d'échange là n'existe plus. De toute façon il a entre

guillemets plus de raison d'être, c'est l'AFD quoi, c'est des techniciens, c'est pas

des gens -même si c'étaient des administratifs qu'on voyait- mais c'est

complètement différent, c'est pas des gens qui appliquent une politique, c'est

des gens qui traitent des dossiers. [...]

- Et donc vous devez présenter des projets différents? Ou différemment?

- Oui a priori. [...] on doit leur présenter un projet qui va leur parler. Et c'est

difficile...”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à Ingénieurs Sans

Frontières (ISF)

Ce processus s’accompagne également d'une volonté de réduire le nombre

d’interlocuteurs. Les pouvoirs publics font pression sur les associations pour qu’elles se

rassemblent et ainsi diminuer le nombre de structures. La salariée d'ISF évoque la contrainte que

cette attitude représente en ces termes:

30

“Seulement le problème des entités publiques c'est qu'elles ont toutes envie

qu'on se regroupe. Sauf que si on se regroupe pas c'est parce-qu'on est pas

toujours d'accord. En l'occurrence le consortium a explosé parce que ça

marchait pas du tout avec Déclic [...] Du coup le consortium s'est arrêté. [...] donc

on a perdu ce financement là. Donc maintenant il faut qu'on recommence à leur

dire: si ça a un intérêt même si on fait ça tous seuls.

[...] en France on a beaucoup de petites associations qui ont toutes des

particularités, une opinion différente. En dehors du fait que c'est un peu dur à

gérer au niveau des demandes de subventions et tout, c'est la démocratie! (rires)

et on peut pas dire qu'on ait un gouvernement qui soit favorable à la

démocratie et à l'expression des différentes tendances et des différentes

opinions. Donc des gens qui se regroupent ça fait moins d'interlocuteurs, c'est

plus facile à comprendre et puis ça fait moins d'opinions qui sortent. [...] ”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à Ingénieurs Sans

Frontières (ISF)

On perçoit l'importance des orientations politiques dominantes sur les associations. Un

responsable associatif national qui a fait carrière dans la haute fonction publique cité dans le

rapport de la CPCA (précedemment mentionné), explique l'attitude des pouvoirs publics de la

façon suivante:

“Du côté des pouvoirs publics, il existe une assez grande ignorance de ce qu’est la

vie démocratique associative (et, plus largement, de l’économie sociale et

solidaire). Ignorance aussi du fait que les associations représentent un contre-

pouvoir démocratique entre les excès du marché et de l’Etat. Du côté des pouvoirs

publics, on raisonne plutôt application du code des marchés publics, contrôle et

tutelle (réduction des associations à l’état gestionnaire).”74

74 Rubrique concernant le rapport d’étude "association et logiques de marché": site de la CPCA, http://cpca.asso.fr/spip.php?article1863

31

Enfin cette instrumentalisation des ONG par les pouvoirs publics (qu'elle soit plus ou

moins volontaire), leur impose de s'adapter à des critères spécifiques de plus en plus

contraignants:

“ Y a des modes opératoires qui ont été induits par une certaine normalisation

des modes de financements. [...] notamment la gestion du cycle de projet a induit

toute une manière de faire qui vient des grands projets et qui maintenant est

descendu au niveau des ONG. [...] Si on prend le premier manuel de gestion du

cycle de projet75, c'était [...] février 93. [...] Et aujourd'hui le manuel de gestion

du cycle de projet il fait 173 pages76 [...] le mode opératoire il est très lié aux

méthodes de l'identification, puis aux méthodes de la plannification ou

programmation puis suivi-évaluation. Et c'est ça qui d'après moi a formaté et

normalisé les critères de l'évaluation tels qu'on les retrouve maintenant

toujours: l'efficience, l'efficacité, la pertinence, la durabilité etc. Et les critères

transversaux: le genre et l'environnement et du coup la redevabilité bla bla

voilà. Et c'est ça qui d'après moi a... parce-que l'UE notamment ou parce-que les

grands bailleurs de fond le demandent partout [...]”

Entretien, Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l'Institut de Formation et d'Appui

aux Initiatives de Développement (IFAID)

Sans nous attarder pour l'instant sur le contenu de ces divers critères et normes, nous

retenons que leur degré de complexité est tel77 qu'il permet difficilement aux ONG qui veulent

bénéficier de ces fonds de faire l'impasse sur une professionnalisation minimale (entendue

comme salarisation, développement de compétences spécifiques etc.). Elles doivent en effet

connaître les différents fonds et programmes existants afin d'identifier ceux auxquels elles

peuvent prétendre, posséder les outils nécessaires pour réussir à monter un dossier de demande de

subventions (argumentaire très spécifique et budget notamment) mais aussi connaître les procédures de suivi administratif

75 Il est question ici du guide de gestion du cycle de projet élaboré par la Commission européenne.76 Guide “ Méthodes de l'aide. Lignes directrices Gestion du Cycle de Projet”, Commission européenne, mars 200477 A cet égard, il est intéressant de remarquer la prolifération des séminaires, formations et divers guides

exclusivement consacrés à assister les associations dans leur démarche de demande de financements européens.

32

et financier une fois la subvention obtenue. Pierre-Jean Roca résume cette situation de la sorte:

“- [...] l'Etat français... mais après le relais est pris par l'UE à cause de la capacité de

financement, [...] veulent parler à des organisations [...] qui puissent rentrer dans

les cadres professionnels, qui puissent correspondre aux critères etc... ”

Entretien avec Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l'IFAID

Ainsi, les ONG sont souvent contraintes à embaucher des salariés permanents et

spécialisés, ce qui peut bouleverser fortement les équilibres internes, notamment au détriment du

militantisme.

II. La salarisation et la gouvernance des ONG

Face à la salarisation croissante au sein des associations, l'étude de la CPCA souligne les

questions que ce phénomène pose concernant la gouvernance associative, traditionnellement

fondée sur des valeurs éthiques et démocratiques spécifiques:

“ Les valeurs qui fondent le fait associatif se traduisent par une gouvernance

particulière. Dans quelle mesure celle-ci parvient-elle à ne pas se banaliser?

Comment évolue la fonction employeur? Que deviennent les formes de

participation et l’articulation des diverses parties prenantes (administrateurs,

différentes catégories de salariés, bénévoles, stagiaires, usagers ou bénéficiaires,

partenaires, etc.). ”78

On s'intéressera ici particulièrement aux rapports entre salariés dirigeants et bénévoles élus

(administrateurs), qui nous semblent synthétiser la question de la remise en cause du militantisme

associatif par la salarisation.

En effet, la question de la répartition des rôles entre élus et dirigeants salariés est au coeur

des interrogations sur la gouvernance associative. Il n'est pas toujours certain que les

78 Rubrique concernant le rapport d’étude "association et logiques de marché": site de la CPCA, http://cpca.asso.fr/spip.php?article1863

33

administrateurs exercent véritablement leur rôle politique, celui-ci est de fait souvent délégué, au

moins partiellement, aux cadres salariés dirigeants, alors que souvent ni les statuts ni le règlement

intérieur ne le prévoient. Dans certaines grandes associations, la fonction “employeur” et les

responsabilités qui leur sont liées sont assurées, par mandatement statutaire, par des dirigeants

salariés (délégué général par exemple). La délégation de pouvoirs et de responsabilités peut

également être étendue par convention interne (engagement des dépenses, représentation, par

exemple).

Cette situation pose le problème de la prise de pouvoir des salariés dans la gouvernance

associative et menace le caractère démocratique et militant propre à la gouvernance associative

(dans laquelle les administrateurs ont pour responsabilité politique d'être les garants du projet

associatif), elle fait courir un risque de perte de cohérence entre la prise de décisions et les réalités

du terrain, de bureaucratisation propre à inciter les salariés à faire primer l'impératif de survie de

la structure et de leurs postes respectifs sur les finalités du projet associatif.

A ISF, le délégué général (DG) exerce une fonction de représentation politique importante,

est également en charge du recrutement de stagiaires et de l'engagement des dépenses. Il est

toutefois conscient des problèmes que cela peut poser, si bien qu'il a rédigé un article dans la

dernière revue d'ISF à ce sujet:

“ Qui dirige nos associations de solidarité internationale?

Nicolas Laurent, délégué général d'ISF

Au coeur de la gestion des associations, des collectifs ou des réseaux de solidarité

internationale, force est de constater une chose: les processus de décision et

d'orientation sont majoritairement entre les mains de salariés, ou dans une

moindre mesure d'administrateurs “seniors”, parfois loin des réalités du terrain.

Tout ce petit monde est bien souvent issu d'un milieu restreint, qui se renouvelle

peu. Parfois, les instances telles que le conseil d'administration ne sont que de

simples chambres d'enregistrement ou de validation des décisions, sous la

34

tutelle d'une direction proactive, et seule détentrice de l'ensemble des connaissances

nécessaires. [...]”

Article extrait de la revue semestrielle d'ISF “Alteractif”, n°70, juin 2010

Ainsi, du fait de ce manque de connaissances comparé aux dirigeants salariés, les

administrateurs ont tendance à leur faire confiance pour proposer les orientations d’activité. Or,

bien souvent, celles-ci correspondent aux compétences et savoir faire propres des salariés et ne

s’inscrivent plus toujours dans le projet associatif. De plus, les salariés n'ayant pas d'autres

activité professionnelle que celle qu'ils exercent dans l'ONG (contrairement aux administrateurs

et autres bénévoles non élus), ils sont tendanciellement plus portés à défendre une certaine

professionnalisation, en justifiant par exemple, comme dans l'extrait d'entretien suivant, la

pertinence de leur compétences spécifiques (qui n'ont pas la légitimité de professions reconnues

comme celles de médecins ou d'ingénieurs exerçant leur métier de façon bénévole au sein d'une

ONG par exemple) avec la réalité, et en exploitant des registres de légitimation de la compétence

reposant sur des critères non techniques:

“[...] le métier d'animateur de réseau pour moi c'est un vrai métier, mais on

l'apprend nulle part tu vois. C'est à la croisée de l'éducation, de l'info-com' et puis

un peu du politique, des idées quoi. Et ça se développe beaucoup, on retrouve

maintenant des animateurs de réseau partout et je trouve qu'y a quelque chose

dans ce métier qui est le reflet de la société d'aujourd'hui, notre société est une

société de réseaux, dans la façon dont...les gens... la communication inter-

individuelle ou entre organisations et tout ça. Donc pourquoi pas faire bénéficier...

continuer ce métier dans d'autres sphères, peut être de façon un peu plus

théorique ou formation tu vois. [...] Nous tous les stagiaires qu'on prend ils viennent

de Sciences Po quasiment. Pour moi les gens de Sciences Po au niveau

connaissance du milieu ils sont calés donc ça ça aide. Les compétences

techniques ça dépend de chacun, de ce qu'il a fait dans sa vie... mais la

35

motivation voilà, ils ont la motivation. Sciences po “formate” des gens qui sont

proches de notre vision politique de la solidarité internationale. C'est vraiment

un bon profil pour les chargés de mission.”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Néanmoins, il convient de préciser que l'influence croissante exercée de fait par les

salariés dans l’évolution du projet associatif n'est pas forcément synonyme de perte de

militantisme.

En effet, si l'on considère, comme Johanna Siméant,79 que le degré de militantisme ne

saurait se déduire du simple examen des statuts mais se mesure à l'aune du coût social de

l'engagement, des salariés peuvent être aussi des militants et adhérer au projet associatif. Certains

d'entre eux acceptent par exemple un statut précaire et de nombreuses heures supplémentaires par

adhésion voire dévouement à la cause de l'ONG, alors même qu'ils sont exclus du droit de vote à

l'assemblée générale.

“[...] c'est sûr que dans mon travail je peux dire que je suis militante. Enfin

jusqu'à présent, peut être qu'un jour... [...] Souvent tu te retrouves à faire tes trucs

réflexifs dans le train ou chez toi, et puis quand t'es au bureau tu fais ce qu'il y

a à faire. Mais comme tu t'y retrouves personnellement ça va. [...]”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux au

CRID

Toutefois, qu'ils soient militants ou non, le respect des principes de la gouvernance

associative impose qu'ils distinguent nettement les limites entre leurs propres aspirations et celles

de l'association, et qu'ils se positionnent dans un rôle de conseil vis-à-vis des administrateurs, tout

en acceptant de mettre en oeuvre même les orientations avec lesquelles ils ne sont pas

entièrement d'accord.

79 Siméant (Johanna), “Urgence et développement, professionalisation et militantisme dans l'humanitaire”, in Mots, 2001, Vol. 65, n°1, p. 28-50

36

“- [...] on est salariés mais on est forcément un petit peu d'accord avec ce qu'on

fait et...que ce soit...moi je suis capable de représenter ISF et les questions que

va se poser à peu près ISF, même si j'ai pas le temps de réfléchir à la stratégie

politique d'ISF et puis c'est pas mon rôle, c'est le rôle du CA, du bureau mais

pas de moi...[...]. Après y a des choses que moi je pense et puis ISF va être plus

nuancé sur ce sujet là par exemple. Mais y a des choses avec lesquelles je suis

tout à fait en accord quoi. [...] C'est vrai que quand on recherche des

financements ça pose toujours question.[...] ça fait débat au CA, parfois au

bureau seulement, ça dépend un petit peu. Sur 3M, je sais qu'ils ont beaucoup

discuté et Nicolas [le DG] est en négociation, c'est lui qui va aller négocier [...]

je suis en position malgré mon statut de salarié, de remettre en cause des tas de

trucs, de dire ah mais c'est pas possible, vous pouvez pas faire ça, même si le

bureau prend en compte ou pas, mais je leur dis ce que je pense.”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à Ingénieurs Sans

Frontières (ISF)

Cet extrait d'entretien traduit le fait (vérifié par l'observation participante) qu'à ISF le

dialogue est particulièrement fluide entre administrateurs et salariés, les salariés étant de surcroit

relativement militants tout en s'efforçant de respecter les décisions prises dans les instances de

gouvernance associative (conseil d'administration, bureau, assemblée générale). Ce type de

rapports, bien qu'il ne soit pas très représentatif de la situation que connaissent la majorité des

ONG, met en valeur le fait que salarisation et militantisme ne sont pas systématiquement

contradictoires. L'échange d'informations et de réflexions entre salariés et administrateurs (et

autres bénévoles), le dialogue entre ces diverses parties prenantes, semblent un moyen de garantir

l'élaboration démocratique d'un projet associatif pertinent.

Cependant, la concurrence croissante à laquelles les ONG sont soumises ne favorise pas

ces temps d'échange et de réflexion collective, au contraire.

37

III. Une pression concurrentielle croissante pour l'obtention de financements

La généralisation des procédures d’appels d’offres et d’appels à projets soumet également

les associations aux logiques de marché de manière croissante. Or, cette évolution suscite des

mises en concurrence pour l'obtention des financements entre ONG, mais aussi entre ONG et

entreprises.

La concurrence avec les entreprises concerne particulièrement les ONG intervenant sur

des aspects techniques de construction d'infrastructures (accès à l'eau, à l'électricité,

développement agricole, etc.) d'un côté, et les bureaux d'études de l'autre. Pour les ONG ayant

peu de moyens et une expertise technique limitée sur ces questions, le rapport de force est

défavorable et il est alors très difficile pour elles de “remporter” un appel d'offre face à un bureau

d'étude. Mais le rapport est inversé lorsque les ONG ont à la fois une expertise et des moyens

importants, en effet, étant exonérées d'impôt par leur statut associatif, celles-ci ont un avantage

concurrentiel important sur les bureaux d'études. Le Groupe Initiatives, collectif d'ONG

caractérisées par leur forte expertise technique est représentatif de ce type d'ONG en France, c'est

aux ONG de ce collectif que Pierre-Jean Roca fait référence dans l'extrait d'entretien suivant:

“Les bureaux d'études ont essayé de leur faire la peau aussi parce qu'y avait une

concurrence. Ils se plaignaient auprès du gouvernement français et à l'UE qu'il

y avait de la concurrence déloyale notamment quand ces ONG

professionnelles, entre guillemets, répondaient à des appels d'offre, puisqu'ils

pouvaient proposer des prix de journée d'expertise bien moindre puisqu'ils ne

payaient pas d'impôts. Le statut associatif leur permettait de... [...]”

Entretien avec Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l'IFAID

Mais la proportion de bureaux d´études concernés par cette situtation étant relativement

faible par rapport au nombre d'ONG intervenant dans ces domaines, aucune réforme n'a été

engagée et elles continuent donc de bénéficier de cet avantage comparatif. Toutefois, cela signifie

également qu'elles continuent à exercer une pression concurrentielle sur les autres ONG du

secteur, moins professionnelles.

38

Cette concurrence exerce un impact fort sur le fonctionnement des ONG et les amène

parfois à adopter des schémas qui sont en contradiction avec certains aspects de leur éthique

militante. Ces principaux schémas étant: des politiques des ressources humaines se rapprochant

de celles des entreprises qui ne reflètent pas l'engagement des ONG pour la solidarité, et

l'effacement de la réflexion sur le fond du projet associatif au profit d'une course effrenée aux

résultats quantitatifs attendus par les bailleurs de fonds.

“[...] dans un contexte de précarité et de raréfaction des ressources financières, la

concurrence est rude. Les associations sont de plus en plus sous l'emprise des

politiques et des exigences de leurs bailleurs pour lesquels l'efficacité est mesurée

uniquement via des indicateurs quantitatifs d'impact. Ainsi, les équipes salariées

sont surchargées et sous pression, leurs dirigeants étant obnubilés par la

croissance. Les rythmes sont de plus en plus élevés et exigent un travail dans

l'urgence. Ces modes de fonctionnement sont de moins en moins adaptés à des

prises de décisions collectives et réfléchies via une mobilisation

d'administrateurs bénévoles.”

Article de Nicolas Laurent, DG d'ISF, extrait de la revue semestrielle d'ISF

“Alteractif”, n°70, juin 2010

Ainsi, la pression des exigences élevées des bailleurs combinée au manque de moyens

financiers qui caractérisent beaucoup d'ONG, et à la forte concurrence, en poussent certaines à

utiliser le dévouement militant pour justifier des statuts précaires et pratiquer une gestion des

ressources humaines très éloignée de leurs principes éthiques solidaires et philanthropiques:

“ [...] quand on voit les règles, le fonctionnement commercial quoi, les ONG qui

vont là où il y du fric, la concurrence entre elles, les modes de management

maintenant qui sont... DRH dans une grande ONG c'est pareil qu'à l'Oréal

quoi. Nous on a eu des étudiantes qui ont été très choquées de la façon dont

fonctionnait la fondation de François Mitterand, France Libertés. Leurs stagiaires,

39

c'est une exploitation honteuse. Sous prétexte qu'on défend des valeurs...le gars

qui était directeur exécutif traitait les stagiaires euh...c'est vraiment, ils devenaient

des donateurs, il fallait qu'ils se payent leurs déplacements, leurs repas et puis il

trouvait qu'elles bossaient jamais assez, bon...C'est une exploitation de la

ressource humaine qu'on n'oserait pas faire dans une PME quoi (rires).”

Entretien, Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l' IFAID

Enfin, la capacité à répondre aux exigences quantitatives des bailleurs, qui permet seule

aux ONG d'être “compétitives” sur le marché des subventions, impose aux acteurs des ONG de se

concentrer sur des objectifs chiffrés (qu'ils soient ou non en accord avec leur pertinence), souvent

au détriment d'une approche réflexive et qualitative de l'action, quitte à dévier des finalités du

projet associatif. Le témoignage de la chargée de programmes d'ISF au sujet d'une expérience

antérieure de volontariat dans le cadre d'un programme nutritionnel d'urgence mené au Burundi

par l'ONG Solidarités en 2002 éclaire bien ces aspects:

“[...] la communication se fait essentiellement par des rapports, notamment parce

que les bailleurs sont derrière et qu'il faut donner tous les rapports, un énorme

rapport après, aux bailleurs. Or, un rapport, quand t'es infirmier t'as aucune envie

de faire des rapports quoi. Et résultat, moi j'ai vu des cas où ils étaient pas jugés

sur leur travail d'infirmier mais sur les beaux rapports qu'ils faisaient quoi,

avec les chiffres, les trucs les machins. [...] Les bailleurs demandent tant de

machin. Par exemple, c'est un peu euh...je me souviens plus des délais mais je sais

qu'un enfant qui meurt une semaine après son arrivée entre guillemets c'est pas

grave, c'est pas notre faute. 2 semaines, là on considère que c'est notre faute.

Enfin tu vois tu as des tas de choses comme ça. Et donc pourquoi? Pour mesurer,

pour évaluer l'efficacité de ce que tu fais etc. [...] quand tu passes du temps à

faire tes rapports t'as pas forcément beaucoup de temps pour faire le reste. [...]

les bailleurs ne voient que les résultats chiffrés alors que y a des circonstances.

[...] Donc enfait toutes les observations qualitatives sont absolument pas prises

en compte par les... Tu vois tu peux dire à cet endroit là effectivement la

40

prévalence est pas très importante pour l'instant, parce que c'est une photo, mais

les récoltes sont mauvaises etc. etc. [...] c'est en-dessous des 15%, on laisse

tomber. On laisse 15% de gens qui meurent de faim ça gêne pas quoi.”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

Les discours sur la professionalisation que nous venons d'analyser révèlent les fortes

contradictions qui sont à l'oeuvre dans les ONG, contradictions qui sont elles-mêmes liées à la

volonté de concilier une identité militante revendiquée avec des contraintes structurelles

croissantes qui favorisent un isomorphisme institutionnel qui remet en question la spécificité des

ONG par rapport aux institutions publiques (instrumentalisation, contractualisation, dépolitisation

des relations etc.) mais aussi aux structures privées lucratives (pratiques de managament et

politiques des ressources humaines, concurrence).

Nous allons à présent nous intéresser aux convergences entre ONG qui, nous le verrons, sont

étroitement liées à l'influence des bailleurs de fonds, par le biais de la normalisation.

41

Chapitre 2: L'impact des normes des bailleurs sur l'uniformisation des modes d'action et

représentations des ONG

Nous avons déjà mis évidence le rapport de dépendance non négligeable des ONG aux

bailleurs de fonds publics, qu'ils soient nationaux (notamment l'Agence Française de

Développement (AFD)) ou internationaux (le principal bailleur étant l'Union européenne

(UE),80puis les agences de coopération d'Etats étrangers81 et enfin les agences des Nations

Unies82). Nous souhaitons à présent vérifier le postulat suivant: les conditionnalités posées par les

bailleurs à l'obtention de financement sont devenues des normes pour les ONG. Ainsi, cette

normalisation entraîne l'uniformisation non seulement des pratiques mais aussi des

représentations des ONG. Nous laisserons de côté les conditionnalités liées à la

professionalisation (effectifs salariés suffisants, degré d'expertise etc.) puisque nous venons de

l'étudier plus haut.

La sociologie utilise le terme de “normes” pour désigner des manières de faire, d’être ou

de penser socialement définies et sanctionnables. Nous reprenons ici quelques considérations de

Philippe Robert et Françis Bailleau83 autour de cette notion afin de préciser comment nous la

comprenons.

“ Leur sanctionnabilité les distingue, au moins théoriquement, des valeurs – [...] dont on

peut s’éloigner sans encourir de sanction – et des simples habitudes [...]. ”

Les critères posés par les bailleurs comme conditions à l'obtention de financement (ou

conditionnalités) possèdent bien ce caractère de sanctionnabilité puisque une sanction claire est

attachée à leur non respect: le refus de financement. Nous commençerons donc par identifier les

conditionnalités principales que l'on retrouve chez les grands bailleurs (Section 1)

“Les normes ne se limitent pas à cet aspect catégorique ; leur réception comme légitime

appelle l’assentiment et les éloigne d’une simple manifestation de force sociale, sans que cette

80 Par deux biais principaux: l'Office de coopération Europaid (projets de développement) et ECHO (aide humanitaire et protection civile)

81 Pays de l'UE et Etats-Unis (via l'USAID) principalement.82 Programme Alimentaire Mondial (PAM), Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), Haut

Commissariat aux Réfugiés (HCR) etc.83 Robert (Philippe) et Bailleau (Françis), “Normes, déviances, réactions sociales sous le regard de jeunes

sociologues français”, in Déviance et Société, 2005 n°2, Vol. 29, p. 99-101.

42

légitimité entraîne nécessairement obéissance normative.”

Nous ne nous attacherons donc pas à savoir si les ONG appliquent effectivement ces critères,

mais davantage à rechercher des manifestations de l'assentiment des acteurs des ONG à leur

égard, afin de vérifier si ce sont bien des normes, auquel cas, elles indiquent de fait une

uniformisation des représentations. (Section 2)

Section 1: Les critères posés par les bailleurs comme conditions à l'obtention de

financement

On se concentrera ici sur les principales conditionnalités attachées aux financements

internationaux (I.), européens (II.) et nationaux (III.) principaux, en écartant celles qui se

rapportent à des exigences de professionalisation.

I. Les conditionnalités des Nations-Unies

Les principes de référence

A l'échelle des Nations-Unies, ce sont les Objectifs du millénaire pour le développement

(OMD) et les cibles qui y sont associées qui tiennent lieu de référence (ils sont d'ailleurs

largement repris par les bailleurs se situant aux autres échelles). Ceux-ci sont dérivés de la

Déclaration du millénaire qu’ont signée 189 pays, dont 147 représentés par leur Chef d’Etat, en

septembre 2000.

S'il existe huit objectifs principaux, la finalité annoncée est clairement la lutte contre la

pauvreté: “créer [...] aux niveaux tant national que mondial [...] un climat propice au

développement et à l’élimination de la pauvreté.”84 Cette insistance sur la pauvreté est analysée

par Gilbert Rist85 comme une consécration du renoncement à une vision politique des

84 “Déclaration du millénaire”, résolution 55.2 adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies, septembre 2000, www.un.org/french/documents/ga/res/55/a55r002f.pdf -A/RES/55/2

85 Rist (Gilbert), Le développement: histoire d'une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, 3ème édition, 2007

43

problèmes d'inégalités, la réthorique de la lutte contre la pauvreté telle qu'elle est présentée par les

OMD s'insère effectivement dans la logique de l'idéologie humanitaire telle que la présente Jean

Freyss86.

Ensuite, la majorité des objectifs peuvent être qualifiés de “traditionnels”, ils s'inscrivent

dans les objectifs de la coopération au développement classique (faim, éducation, santé).

Néanmoins, on voit apparaître quelques thèmes nouveaux: la promotion de l'égalité des sexes et

de l'autonomisation des femmes, la préservation d'un environnement durable et enfin la mise

en place d'un partenariat mondial pour le développement (qui implique notamment un

engagement en faveur d’une bonne gouvernance, du développement et de la lutte contre la

pauvreté)

Nous étudierons plus précisément le cas des critères du Programme Alimentaire Mondial

(PAM)87 qui est le principal bailleur des ONG françaises au sein des Nations Unies.

Les critères du PAM

“Critères auxquels une ONG doit obéir pour coopérer avec le PAM

Il est nécessaire, avant tout, que l’ONG approuve les buts du PAM [...] et les

principes [...] consacré aux attentes.[...]”88

Les “buts” auxquels cet extrait fait référence sont les suivants:

“Le PAM a pour objectif général de contribuer à la réalisation des objectifs du

Millénaire pour le développement (OMD), dans le cadre d’interventions d’aide

alimentaire ciblant les populations pauvres qui souffrent de la faim. Le PAM a cinq

86 cf. introduction87 “la plus grande agence humanitaire pour la lutte contre la faim dans le monde” selon le site du PAM:

http://fr.wfp.org88 “Coopérer avec le PAM. Manuel à l'intention des organisations non gouvernementales”, PAM, décembre 2005

44

priorités stratégiques qui sont toutes liées aux OMD, à savoir:

1. sauver des vies dans des situations de crise;

2. protéger les moyens de subsistance dans des situations de crise et renforcer

la résistance aux chocs;

3. contribuer à l’amélioration de la nutrition et de l’état de santé des enfants, des

mères et autres personnes vulnérables;

4. faciliter l’accès à l’éducation et réduire les inégalités entre les sexes dans le

domaine de l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle;

5. aider les gouvernements à établir et gérer des programmes nationaux d’aide

alimentaire”89

Enfin, les “principes” ou “attentes du PAM sont les suivants:

“Qu’attend le PAM de l’ONG?

“[...] Encourager la formation de groupements/comités communautaires et le

partage de l’information avec les bénéficiaires

[...]

Adhérer à la politique du PAM sur les Engagements renforcés en faveur des

femmes (2003–2007), laquelle encourage l’égalité entre les sexes et

l’autonomisation des femmes.”

La liste des attentes est en réalité bien plus longue mais tous les autres principes

concernent des exigences se rapportant aux compétences professionnelles des ONG (que nous ne

traitons pas ici), ce qui traduit bien le caractère très dépolitisé de l'approche du PAM,

conformément aux orientations données par les OMD. Le discours est calqué sur le mode du

slogan commercial; la faim étant présentée comme une demande et le travail du PAM consistant à

lui fournir une offre adéquate, ce que résume bien cette phrase que l'on peut lire sur le site du

PAM:

89 “Coopérer avec le PAM. Manuel à l'intention des organisations non gouvernementales”, PAM, décembre 2005

45

“Le PAM a développé un large savoir-faire dans les domaines de l’analyse de la

sécurité alimentaire, de la nutrition, des achats de denrées et de la logistique afin

d’apporter les meilleurs solutions à ceux qui souffrent de la faim.”90

On notera enfin l'insistance sur la question du “genre” (égalité hommes-femmes),

l'encouragement de méthodes “participatives (partage d'informations avec les bénéficiaires,

comités communautaires) ou encore l'évocation de l'importance de la prévention des crises (“

protéger les moyens de subsistance dans des situations de crise et renforcer la résistance aux

chocs”).

II. Les conditionnalités de l'Union européenne

Au niveau européen, il existe une distinction marquée entre aide au développement91

(gérée par Europaid) et aide humanitaire (gérée par ECHO). Il existe ainsi deux textes de

référence: le Consensus européen pour le développement (2006)92 et le Consensus européen sur

l'aide humanitaire (2008).93

Le Consensus européen pour le développement

Celui-ci se donne pour objectif principal la réalisation des OMD (éradication de la

pauvreté) en insistant fortement sur la notion de développement durable, qu'il définit ainsi:

“Nous réaffirmons que le développement constitue en soi un objectif essentiel et

que la notion de développement durable inclut la bonne gouvernance, les droits

90 Site du PAM: http://fr.wfp.org91 Cette distinction existe aussi au niveau des Nations Unies mais de manière moins lisible car elles comportent une

multitude d'agences engagées dans des actions de solidarité internationale de différentes façons, mais toutes ont pour lignes directrices la réalisation des OMD.

92 Déclaration conjointe du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la Commission sur la politique de développement de l'Union européenne intitulée «Le consensus européen» (2006/C 46/01), Journal officiel de l'Union européenne, février 2006

93 Déclaration commune du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la Commission européenne intitulée “Le consensus européen sur l'aide humanitaire” (2008/C 25/01), Journal officiel de l'Union européenne, janvier 2008

46

de l'homme ainsi que des aspects politiques, économiques, sociaux et

environnementaux.”

Puis, il énonce cinq grands principes:

“4.1 Appropriation et partenariat

[...] appropriation par les pays partenaires des stratégies et programmes de

développement.

4.2 Un dialogue politique approfondi

[...] le respect de la bonne gouvernance, des droits de l'homme, des principes

démocratiques et de l'État de droit [...]

4.3 La participation de la société civile

[...] notamment les acteurs économiques et sociaux tels que les organisations

syndicales, les organisations d'employeurs et le secteur privé, les ONG et d'autres

acteurs non étatiques des pays partenaires, en particulier, jouent un rôle

essentiel en tant que promoteurs de la démocratie, de la justice sociale et des

droits de l'homme. L'UE intensifiera son soutien au développement des

capacités des acteurs non étatiques afin de renforcer leur participation dans le

processus de développement et de promouvoir le dialogue politique, social et

économique. Le rôle important joué par la société civile européenne sera

également pris en considération. À cette fin, l'UE attachera une attention

particulière à l'éducation au développement et à la sensibilisation des citoyens

de l'UE.

4.4 Égalité des sexes

[...] instrument au service de la réalisation de tous les OMD et de la mise en oeuvre

du programme d'action de Pékin, du programme d'action du Caire et de la

Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des

femmes.

4.5 Prévenir la fragilité des États

[...] prévention des conflits [...] et catastrophes.”94

94 Déclaration conjointe du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du

47

A la lumière de ces quelques principes, on peut à repérer des similitudes fortes avec les

critères retenus par les Nations Unies (notamment à travers les OMD) avec une insistance

légèrement plus grande sur la notion de participation de la société civile (longuement

développée comparativement aux autres principes) et sur une approche “intégrée” ou encore

“globale”, qui s'appuie sur des principes transversaux récurrents. Cette approche est bien

résumée par un des derniers paragraphes de la déclaration, dont l'intitulé est éloquent:

“ Renforcement de l'approche du «mainstreaming»

100. Certaines problématiques nécessitent, outre la mise en place d'actions et de

politiques spécifiques, une approche de type «mainstreaming» parce qu'elles

touchent aussi à des principes généraux applicables à toute initiative et appellent un

effort multisectoriel.

101. Dans toutes les actions déployées, la Communauté se montrera plus vigilante

pour ce qui est d'intégrer les questions transversales suivantes: la promotion des

droits de l'homme, l'égalité des sexes, la démocratie, la bonne gouvernance, les

droits des enfants et des peuples indigènes, la durabilité environnementale et la

lutte contre le VIH/SIDA. Les questions transversales précitées sont déjà en tant

que telles des objectifs; elles sont aussi des facteurs déterminants pour renforcer les

effets et la pérennité de la coopération.”

Le Consensus européen sur l'aide humanitaire

Le texte pose d'abord les principes humanitaires fondamentaux suivant: “l'humanité, la

neutralité, l'impartialité et l'indépendance.”95 Il précise ensuite que l'UE plaidera

“énergiquement et systématiquement en faveur du respect du droit international, notamment

du droit international humanitaire, du droit relatif aux droits de l'homme et du droit des

Conseil, du Parlement européen et de la Commission sur la politique de développement de l'Union européenne intitulée «Le consensus européen» (2006/C 46/01), Journal officiel de l'Union européenne, février 2006

95 Déclaration commune du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la Commission européenne intitulée “Le consensus européen sur l'aide humanitaire” (2008/C 25/01), Journal officiel de l'Union européenne, janvier 2008

48

réfugiés.”

Enfin, nous retiendrons les références répétées aux rapports entre urgence et

développement, traduisant là encore une approche intégrée:

“2.4. Liens avec les autres politiques

22. [...] L'aide humanitaire de l'UE, y compris la reconstruction rapide, devrait

autant que possible, prendre en compte les objectifs de développement à long

terme; elle est par ailleurs étroitement liée à la coopération au développement dont

les principes et les pratiques sont définies dans «Le consensus européen sur le

développement». [...]

2.5. La dimension homme-femme dans l'aide humanitaire

[...] l'UE souligne qu'il importe d'intégrer les questions liées à l'égalité entre les

hommes et les femmes dans l'aide humanitaire. [...]

5. Continuum/contiguum de l'aide

5.1. Réduction des risques et de la vulnérabilité grâce à une meilleure

préparation [...]

5.2. Transition, rétablissement rapide et établissement d'un lien avec l'aide au

développement

77. Le rétablissement et la reconstruction à la suite d'une catastrophe constituent un

défi majeur qui exige des actions structurelles et de développement allant au-delà de

l'aide d'urgence immédiate. [...]”

Nous ne présenterons pas ici d'exemple précis de critères d'éligibilité correspondants à une

agence européenne particulière (Europaid96 ou ECHO97 par exemple) car ces agences n'ont pas de

critères généraux communs, elles fonctionnent au cas par cas, par appels à proposition et chaque

appel a ses conditions d'éligibilité propres. Toutefois, les principes énoncés par les deux

Consensus sont des lignes directrices qui sont reprises par chacune des agences de manière

récurrente et sont donc un bon indicateur du type de conditionnalités auxquelles elles soumettent

96 cf. Rubrique “Financement” sur le site d'Europaid: http://ec.europa.eu/europeaid/work/funding/index_fr.htm97 cf. Rubrique “Financement” sur le site d'ECHO: http://ec.europa.eu/echo/funding/opportunities/proposals_fr.htm

49

les financements.

III. Les conditionnalités de l'Etat français

Les principes de référence

La lettre de mission adressée au Ministre des Affaires étrangères et européennes (août

2007), insiste sur le fait qu’il “est fondamental de donner une nouvelle impulsion à notre

politique d’aide au développement. Celle-ci doit être plus efficace, plus lisible, plus

stratégique. Elle doit rechercher et atteindre des résultats concrets et visibles”.

Plusieurs axes sont définis par le Ministère des Affaires Etrangères98 (MAE):

“L’axe « aide aux pays pauvres » a pour ambition de contribuer à l’atteinte des

Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), à l’amélioration de la

gouvernance démocratique des pays bénéficiaires de l’aide ainsi qu’à la

mobilisation de la coopération culturelle, universitaire et scientifique, contribuant à

l’essor de leurs capacités humaines et sociales. [...] Plusieurs thématiques

transversales seront systématiquement prises en compte : les migrations, les

enjeux de la gouvernance au sens large, les questions d’intégration régionale ou

encore la dimension du genre.

L'axe “coopération avec les pays émergents” [...] coopérer avec les pays

émergents, du Brésil à la Chine, en veillant au positionnement des intérêts

économiques et stratégiques français.

L’axe « contributions européennes et multilatérales » [...] financement de

l’action européenne et multilatérale au service d’une meilleure prise en charge des

enjeux globaux [...] lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose et du Fonds

africain de développement. Elle contribue également à d’autres fonds

multilatéraux en appui à la lutte contre le changement climatique, aux questions

98 Site du MAE: http://www.diplomatie.gouv.fr

50

alimentaires ou d’éducation.

L’axe « gestion des crises et sortie de crise » [...] accompagner l’évolution

démocratique de sociétés fragilisées par des conflits ethniques, religieux ou

politiques, participer à la reconstruction de pays ou de régions dont les

infrastructures économiques et sociales ne sont pas à même de fournir le socle

nécessaire à la prévention ou à l’éradication des crises. [...]”

Outre les similitudes fortes avec les critères transversaux retenus par les Nations Unies et

l'UE, la référence commune aux OMD ainsi que la même vision de contigüum de l'action

humanitaire (comprenant prévention et réhabilitation en plus de l'intervention d'urgence), cette

lettre de mission met en évidence une dimension stratégique particulièment visible.

Les critères de l'AFD

Pour être éligible, un projet doit :

– “s’inscrire dans le cadre des stratégies sectorielles définies par l’Agence99”, ces

stratégies sont les suivantes: l’AFD inscrit ses interventions dans le cadre des

OMD, à la croisée des objectifs de croissance économique, de réduction de la

pauvreté et de préservation de l’environnement. Ses domaines d’actions sont: le

développement urbain et les infrastructures, le développement rural,

l’industrie, les systèmes financiers ainsi que l’éducation et la santé. Le

développement durable oriente la stratégie de l’Agence. Les secteurs des droits

de l’homme, de l’éducation au développement et du renforcement

institutionnel sont aussi éligibles.

– “concourir au développement économique et social du pays et des populations

bénéficiaires, ou avoir un impact significatif sur l'environnement mondial”

99 Site de l'Agence Française de Développement (AFD): http://www.afd.fr

51

– “être cohérent avec les priorités de la politique de coopération et de

développement française100 et les orientations stratégiques de l’AFD”

– “présenter une pérennité sociale, institutionnelle et économique après le projet”

En résumé, outre les critères se rapportant aux exigences d'efficacité, réactivité ou encore

pertinence qui occupent une place majeure dans les conditionnalités des bailleurs -que nous

relions aux exigences de professionnalisation traitées dans la partie précédente-, et en dépit des

variantes propres à chaque niveau institutionel et à chaque agence, la récurrence de certaines

critères est notable, voici ceux que nous retenons:

– Une approche “intégrée”, liée au concept de “développement durable”:

– à travers des principes transversaux (“mainstream”):

– droits de l'homme, des enfants et des peuples indigènes

– égalité des sexes

– démocratie, bonne gouvernance

– durabilité environnementale

– renforcement de la société civile

– lutte contre le VIH/SIDA

– pérennité

– à travers la notion de continuum ou contiguum entre prévention des crises, aide

d'urgence, réhabilitation/reconstruction et développement, approche de “long

terme”

– Le partenariat avec les acteurs des pays du Sud (société civile, entreprises, collectivités,

Etats etc.)

– La participation des sociétés civiles au Sud (capacitation, autonomisation) et

l'éducation au développement des sociétés civiles du Nord

Nous allons maintenant essayer de voir si ces critères sont légitimes aux yeux des acteurs

des ONG, s'ils se les approprient, les utilisent pour orienter leur action, en dehors du cadre strict

100 cf. Axes stratégiques du MAE ci-dessus.

52

des demandes de subventions faites aux bailleurs.

Section 2: les manifestations de l'assentiment à ces critères au sein des ONG

Afin de vérifier si les critères du “mainstream” dictés par les bailleurs de fonds sont

intégré aux représentations des acteurs des ONG, nous allons nous pencher sur l'étude de trois cas

spécifiques et liés: les manifestations de l'appropriation de l'approche intégrée (I.), du partenariat

(II.) et du rôle de la société civile (III.).

I. Les décloisonnements thématiques et opérationnels entre les différentes “familles” d'ONG:

signe de l'appropriation de l' approche “intégrée”

Pour Michel Doucin, le temps des distinctions nettes et des spécialisations est révolu dans

la famille des ONG. Désormais, les “secouristes humanitaires” ne se contentent plus de s'occuper

d'interventions techniques ponctuelles puis de repartir, et les “développementalistes”, les “droits-

de-l'hommistes” et les “environnementalistes” partagent des combats communs.

“Les ONG humanitaires prévoient désormais quasi-systématiquement des

programmes de “sortie de crise” très voisins des projets de développement de

leurs consoeurs développementalistes. Les ONG de défense des droits de l'Homme

soutiennent des actions de soutien à la “capacitation” des organisations de la

société civile, fort ressemblants de ceux de leurs collègues [développementalistes]

qui promeuvent le micro-crédit ou l'agriculture familiale. Les environnementalistes

rejoignent les droits-de-l'hommistes dans la recherche d'un statut juridique

international pour les populations autochtones. [...]”101

Nous notons que tous les exemples de décloisonnements que Michel Doucin donne

semblent tous liés à des critères que nous avons identifiés dans la section précédente.

Nous développerons ici particulièrement deux cas: celui du décloisonnement entre urgence et

101 Doucin (Michel), Les ONG: le contre-pouvoir?, Paris, Toogezer, 2007

53

développement et celui de l'appropriation de la notion de “développement durable”.

L'appropriation du concept de continuüm urgence/développement

D'abord, nous dit Michel Doucin, les ONG humanitaires adoptent effectivement de façon

courante l'approche par contigüum que nous avons explicité plus haut. Ceci est confirmé par

l'enquête de Johanna Siméant102 qui a recueilli les perceptions des acteurs humanitaires sur

l'urgence et le développement. Ces perceptions révèlent un brouillage de l'opposition classique

entre urgence et développement dans les représentations des acteurs humanitaires. Pour elle,

le brouillage de ces catégories dans les représentations des acteurs “renvoie à des

transformations de l'agenda international et aux tentatives d'adaptation des institutions

développeuses, comme le montre l'adoption du concept de réhabilitation dans les années 1990,

ou le recours par certains bailleurs de fonds au thème du “continuum

urgence/développement” depuis 1993.”103 Dans la même ligne, elle remarque les références

récurrentes des acteurs humanitaires (de MSF et MDM qui sont les principaux cas étudiés par

l'enquête) à l'expression “long terme” pour qualifier leurs actions.

Pour illustrer ce propos, nous reprenons des extraits issus de deux entretiens réalisés par

Johanna Siméant respectivement auprès d'une cadre salariée de MDM (1999) et du secrétaire

international de MDM (1998):

“[...] finalement, sans s'en rendre compte euh... et par la force des choses on s'est

beaucoup investi sur des projets de développement, bon. [...] alors que notre

raison d'être et notre identité fondatrice etc. c'était l'urgence, bon.[...] Sachant

qu'on ne veut pas ici reparler en terme d'urgence développement, parce qu'on

estime que ça ce sont des modes opératoires, et que ce sont pas des principes

d'action en eux-mêmes, mais qu'on veut parler d'investissment dans les crises,

parce qu'une crise c'est beaucoup plus large [...] l'urgence c'est réducteur et on

va pas intervenir que là-dessus, mais...dans la crise de manière générale.”

102 cf. Partie 1, Chapitre 1, Section 1103 Siméant (Johanna), “Urgence et développement, professionalisation et militantisme dans l'humanitaire”, in Mots,

2001, Vol. 65, n°1, p. 28-50

54

“On a vraiment fait notre les concepts euh onusiens de continuum et de

contiguum c'est à dire que tu es dans le développement et tu rebascules dans

l'urgence euh tu n'as plus effectivement de grandes catastrophe humanaine

naturelle tu n'as plus d'urgence stricte tu es presque simultanément dans la

réhabilitation voire dans le développement.”

Ces deux témoignages mettent clairement en évidence l'appropriation profonde des

critères définis par les bailleurs puisqu' ils réinterprètent le réel au travers de ces critères

(“tu n'as plus effectivement de grandes catastrophe humaine naturelle”, “une crise c'est beaucoup

plus large”), ajustent inconsciemment leur propre analyse aux représentations du réel contenues

dans ces critères.

L'appropriation du concept de “développement durable”, le cas d'ISF

Un an après sa création en 1982, ISF s'est doté d'une Charte qui présentait alors les

objectifs de l'ONG en ces termes: “apporter une assistance technique aux projets de

développement des pays moins avancés et sensibiliser les ingénieurs aux problèmes de ces

pays.” Les buts d'ISF étaient alors réduits à une approche technique relativement binaire (relation

d'assistance, d'”exportation” de compétences techniques), d'où la réflexion sur l'impact du

développement sur l'environnement était par exemple exclue, ce qui a évolué depuis:

“A ISF, y a dix ans tu pouvais pas parler de décroissance quoi, maintenant tu

peux en parler parce que ça a évolué, parce que on se pose des questions

différemment, pacre que on est plus financés par...la revue Alteractif est plus

financée par l'Institut Français du Pétrole enfin tu vois. [...] Maintenant on est

beaucoup plus critique sur nos sponsors.”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

55

En 2002, une nouvelle charte a été rédigée, la place occupée par la notion de

développement durable (largement ignorée dans les projets antérieurs) et l'approche transversale

qu'elle implique est significative, en témoigne cet extrait de la Charte d'ISF:

“Le fondement de notre engagement : la prise de conscience de la

responsabilité particulière de l’ingénieur dans la construction du

développement durable.

Nous, membres d’Ingénieurs sans frontières, considérons comme fondamental de

permettre aux générations présentes de répondre à leurs besoins, et ce sans

compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Cette

conviction, ainsi que notre prise de conscience des interdépendances mondiales,

ont été renforcées par nos vingt ans d’expérience de terrain. Elles nous incitent à

poser le problème des dépendances génératrices d’inégalités au niveau

international. En effet, ces dernières représentent selon nous un danger majeur

pour le développement durable de l’homme et de la planète. [...]

En résumé, Ingénieurs Sans Frontières se veut un mouvement social d’ingénieurs et

de citoyens participant à la construction du développement durable de la

planète.

La finalité de notre projet associatif : lutter pour un exercice harmonieux des

droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au niveau

mondial.104”

Ainsi, l'approche intégrée est désormais un élément fondamental dans la réflexion aussi

bien que dans l'action que mène ISF. L'ONG participe par exemple à des campagnes fortement

orientées sur la promotion du développement durable, à l'instar de la campagne “Une seule

planète”105 mais intègre aussi cette approche dans les projets de développement qu'elle mène.

Ceci est observable à partir des critères qu'ISF se donne pour évaluer la pertinence d'un projet de

104 Charte d'Ingénieurs Sans Frontières, 2002105 Site de la campagne “Une seule planète”: http://www.uneseuleplanete.org

56

mission; pour chaque projet en effet, les volontaires doivent répondre entre autres aux questions

suivantes:

“Dans quelle mesure ces solutions [techniques] sont-elles compatibles avec un

développement durable ? [...]

Présentez le contexte régional, et surtout les éléments qui peuvent éclairer les

futures relations entre les partenaires : éléments institutionnels, politiques, voire

historiques, techniques ou économiques. En quoi le projet s’intègre-t-il dans la

politique du pays ? Il est inutile de faire un topo sur l’histoire du pays si ça ne vient

pas éclairer des aspects socio-économico-culturels du projet.”106

Cette appropriation du concept de développement durable est telle à ISF qu'elle est

intégrée jusque dans les pratiques qutidiennes des évènements de la fédération:

“le guide exemplarité, [...] l'idée c'est de consommer le moins possible de tout. C'est

le guide qui devait permettre aux groupes de faire des événements ISF les plus

sobres possibles à tous les niveaux, donc y a louer des toilettes sèches, les

écocups etc. [...].”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

II. Le partenariat comme mode incontournable de coopération

Le partenariat est devenu une notion centrale de la coopération. Pour la plupart des

administrations et bailleurs de fonds, c’est une exigence de recevabilité des programmes. Si la

définition elle-même du partenariat prête toutefois à controverse, l’unanimité s’est créée autour

de critères idéaux, tels que l’équilibre, la participation, l’équité, la réciprocité, la

reconnaissance et le respect mutuels107. L'idée qu'il y a derrière est de corriger la relation

assymétrique associée à l'aide, allant du Nord (dominant) vers le Sud (soumis). 106 Trame du dossier préparatoire à la commission d’évaluation des projets de mission d'ISF (document interne)107 “Le partenariat : réciprocité et (re)connaissance”, Bulletin du COTA, Bruxelles, 2003

57

A ISF, la réflexion autour du rapport aux populations du Sud fait débat. A l'origine,

l'association était exclusivement axée sur des projets de développement au Sud, puis dans les

années 1990, elle a gardé cette orientation tout en s'engageant dans un processus de

professionnalisation (salarisation, envoi de volontaires en mission sur des longues durées, gros

projets d'infrastructures etc.):

“Les projets c'étaient des énormes projets d'infrastructures.[...] Les salariés ici

ou les permanents quel que soit leur statut, géraient les projets qui étaient amenés

par les groupes. [...] Et quand y avait dix personnes à la coordination nationale

c'était les années 90, c'était la période [...] où vraiment on allait sur le terrain, on

faisait des missions etc. C'était nous [la coordination nationale] qui faisions. Des

missions d'audit, des missions de bureaux d'études etc. [...]”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

Mais parallèlement à ce processus, certains membres d'ISF défendaient une vision plus

tournée vers la sensibilisation au Nord, l'engagement politique et militant108. Des

questionnements ont commencé à émerger sur la nature de l'action au Sud:

“Mais petit à petit ça c'est compliqué parce qu'on se demande de plus en plus si

on prend la place des gens etc. L'intervention physique de l'ingénieur par

exemple pour aller poser des panneaux photovoltaïque, c'est juste pas

nécessaire. T'as pleins d'autres raisons d'y aller mais pas celle-là.”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

Aujourd'hui les missions de développement au Sud ne représentent plus qu'une petite

partie des activités d'ISF (beaucoup plus focalisées sur l'éducation au développement, la

recherche-action et le plaidoyer) mais elles suscitent toujours des débats importants quant à leurs

finalités et leurs modalités. La réflexion sur le partenariat constitue un pan majeur de la réflexion

108 Paye (Simon), “Ingénieurs Sans Frontières in France. From Humanitarian Ideals to Engineering Ethics.”, in IEEE Technology and Society Magazine, 2010

58

d'ISF sur les projets a Sud. Un guide du partenariat a d'ailleurs été élaboré à l'intention des

groupes locaux membres de la fédération en 2009. ISF promeut un partenariat fondé sur une

relation de coopération et revendique une position critique vis-à-vis de l'assistanat:

“ISF l’a constaté, les demandes qui arrivent directement du Sud tiennent souvent

plus du cahier de doléances que d'une relation partenariale. Dans ces cas, la

relation est souvent fondée d'abord sur une demande financière du Sud et une

solidarité de compassion au Nord.”109

Tout en confirmant l'adoption du concept de partenariat dans le milieu des ONG, Pierre-

Jean Roca émet des réserves sur l'utilisation qu'elles en font:

“On essaye de faire du partenariat un mot locomotive pour tirer la réciprocité,

l'égalité, la symétrie euh...voilà. Enfait c'est un peu du bidon. Il faut revenir à

l'éthymologie de partenariat, [...] Séparation et partenaire c'est la même

éthymologie. On partage. Ca veut dire ni symétrique dans les rapports de

pouvoir, ni équitable, ni réciproque. Et en général les ONG en ont fait un

paquet cadeau en disant, on est partenaire, voilà le partenaire du Sud qui

commence à s'exprimer, voilà ça ça m'énerve... Juste là à l'université d'été du

CRID, en plus c'est quelqu'un d'un réseau ami qui a dit ça...y avait deux blacks dans

la salle, 80 personnes qui assistaient et 2 blacks, et y en a un qui demande la parole

et pendant qu'on lui porte le micro y a quelqu'un qui dit, à la table hein, ah les

partenaires du sud commençent à s'exprimer...j'ai dit putain...mais c'est pas

possible! C'est le degré zéro de la réflexion politique quoi, s'il suffit d'être black

pour être partenaire légitime du Sud...”

Entretien, Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l' IFAID

Ainsi, le terme de partenariat est devenu une référence dans le discours des ONG, même

109 Guide de la démarche partenariale d'ISF (document interne)

59

si les significations que chacune lui associe sont diverses. La conception dominante du

partenariat reste cependant fortement liée à l'idée d'une relation symétrique entre acteurs de Sud

et du Nord. Cette conception n'est pas étrangère à l'évolution des représentations concernant le

rôle de la “société civile”.

III. La participation de la société civile: démocratie participative et renforcement des sociétés

civiles au Sud, plaidoyer et éducation au développement au Nord

Selon Jean Freyss, les ONG revendiquent leur appartenance à la société civile avec

tant de force que, “par un renversement des choses, la société civile se confond, dans de

nombreux discours, avec les ONG.”110

Selon Jeanne Planche, “Renforcer les sociétés civiles est au coeur des stratégies de

coopération. C'est aujourd'hui le leitmotiv, tant des bailleurs que des organisations de

solidarité internationale.”111

Au sein des ONG, cette approche se traduit généralement par un répertoire d'action de

plus en plus uniforme: éducation au développement (EAD)/sensibilisation et

plaidoyer/lobbying au Nord et renforcement et participation des sociétés civiles au Sud.

ISF par exemple, accorde une importance particulière à ce que ses partenaires soient

engagés “dans des réseaux de solidarité, en lien avec des projets d'EAD et de lobbying”112 et

soient soucieux “de développer une approche citoyenne et être capable de s'entourer d'acteurs

complémentaires.”113

Coordination Sud, (coordination nationale des ONG françaises), parle elle d'une

“mutation” qui se serait opérée dans le milieu des ONG françaises depuis les années 1990:

110Freyss (Jean), La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambgüités de la professionalisation, in Tiers-Monde, 2004, Vol. 45, n° 180, p. 738

111 Planche (Jeanne), “Accompagner l'émergence et le renforcement des sociétés civiles. Mieux comprendre les enjeux.”, in Coopérer aujourd'hui, n°38, GRET, août 2004

112 Guide du partenariat d'ISF (document interne)113 idem

60

“[...] mutation des activités des ONG françaises. Créées il y a vingt ou trente ans

généralement pour être opérateurs directs dans les pays du Sud, elles sont

devenues au cours des années 1990 avant tout des facilitateurs ou catalyseurs des

énergies des pays où elles agissent. Les ONG françaises interviennent désormais

principalement en appuyant l’émergence d’organisations locales à même de gérer et

mettre en œuvre les actions de terrain ; elles se font de plus en plus souvent l’avocat

de ces acteurs locaux au Nord en développant des actions de plaidoyer, entrant

dans le jeu complexe des réseaux internationaux et de ce que nous appelons une

diplomatie non gouvernementale.”114

Il convient néanmoins de nuancer cette affirmation. Rappelons qu'elle s'inscrit dans un

contexte de forte critique vis-à-vis des “ONG opérateurs”, or, Coordination Sud fut un temps le

porte drapeau de ce type d'ONG. Ainsi, si elle traduit certes une tendance réelle, le temps des

ONG opérateurs n'est pas entièrement révolu, et si cette “mutation” est effectivement intégrée

aux discours et représentations de la majorité des ONG, les pratiques elles, ne se modifient pas

aussi rapidement.

On peut finalement partager l'hypothèse plus prudente de Michel Doucin qui observe lui

un rapprochement des “opérationnelles” (vues comme ONG de terrain ou de projet, techniques et

apolitiques) et les “lobbyistes” (de plaidoyer, vues comme militantes politisées). Il précise que si

cette distinction a toujours été eun peu excessive, elle donnait une idée assez représentative de la

réalité des deux sensibilités dominantes au début des années 1990. “Aujourd'hui, rares sont les

ONG qui ne s'envisagent elles-mêmes que comme d'une seule des deux sphères.”115 “La rencontre

s'est faite en particulier dans le cadre des forums altermondialistes, et on a trouvé les mots pour

lui donner une dimension panoramique: la formule “du local au global”116.

Ainsi, il semble bien que la plupart des critères dictés par les bailleurs de fonds aient reçu

un véritable assentiment de la part des acteurs des ONG si l'on se fie à l'évolution des

représentations exposée au long de cette section. Il s'agit donc bien de normes.

114 Site de Coordination Sud: http://www.coordinationsud.org115 Doucin (Michel), Les ONG: le contre-pouvoir?, Paris, Toogezer, 2007116 ibidem

61

Dans cette première partie, que ce soit à travers l'analyse des contraintes structurelles

réduisant les options des ONG par le biais d'un isomorphisme institutionnel -qui tend à leur faire

perdre toute spécificité par rapport aux sphères étatiques et économiques- ou encore à travers le

processus de normalisation des représentations des ONG sous l'influence des critères dictés par

les bailleurs, nous avons beaucoup insisté sur les contraintes, que l'on pourraient dire “venues

d'en haut”, qui pèsent sur les ONG et seraient les principales causes des processus

d'uniformisation et de banalisation que l'on observe dans le milieu des ONG.

Il nous faut maintenant nous interroger sur les points suivants pour achever notre

réflexion: les ONG ne sont-elles que des acteurs passifs qui subissent ces nouvelles normes, ou au

contraire, jouent-elles aussi un rôle actif dans la normalisation des pratiques et des

représentations? N'ont-elles pas un certain pouvoir?

62

Deuixième partie: Le pouvoir des ONG: entre capacité d'analyse et capacité

d'influence “par le haut” et “par le bas”

Même si, comme nous l'avons vu, les contraintes liées à la banalisation des pratiques

routinières des ONG (ce que l'on a appelé “professionnalisation”) font souvent obstacle à

l'élaboration d'une réflexion; le développement des réseaux et des pratiques de capitalisation,

renforcent la capacité des ONG à produire de l'analyse pluri-disciplinaire et du concept (Chapitre

1), ce qui leur permet parfois d'alimenter elles-mêmes le processus de définition des normes

même si leur capacité d'influence n'est pas toujours suffisante pour faire jeu égal avec les acteurs

dominants des relations internationales (Chapitre 2).

63

Chapitre 1. La capacité réflexive des ONG

“Capitalisation”, “Recherche-action”, “contre-expertise” sont des expressions qui font

aujourd'hui partie du discours de nombreuses ONG. Elles reflètent l'importance croissante de la

réflexion théorique menée par les acteurs des ONG et surtout le rôle majeur accordé à la

réflexivité: regard critique sur leurs propres pratiques et représentations, recours à l'analyse pluri-

disciplinaire, collaboration avec des chercheurs etc. Cette tendance est stimulée par la

réticularisation croissante du milieu de la solidarité internationale qui favorise les échanges de

réflexions (Section 1). Toutefois, il existe un certain nombre d'obstacles à la production de cette

réflexion et ses usages posent question (Section 2).

Section 1: Une activité croissante de production et mise en réseau de connaissances et de

réflexions

A l'image de la fusion progressive des “opérationnelles” et des “lobbyistes” repérée par

Michel Doucin, l'action des ONG est de plus en plus une synthèse entre pragmatisme et

idéalisme. Cette synthèse s'incarne notamment dans la multiplication des travaux de recherche-

action, alliant réflexion théorique et application pratique ou encore dans la généralisation du

principe de capitalisation des expériences dans le but d'améliorer sans cesse l'action, de devenir

des “organisations apprenantes” (I.). Cette dynamique est également inscrite dans une volonté de

partager les expériences et les connaissances, notamment à travers une démarche de travail en

réseau (II.).

I. Une production croissante de connaissances et de réflexions: recherche-action et capitalisation

Pour Pierre de Zutter (1994), la capitalisation “est le passage de l’expérience à la

connaissance partageable”. Selon Philippe Lavigne Delville (chercheur au GRET) et Philippe

Villeval (membre d'Handicap International), la généralisation de la capitalisation dans le milieu

des ONG peut s'expliquer par la double importance qu'elle revêt pour elles: une importance à la

fois stratégique (garantir la qualité des actions, gagner en crédibilité), et éthique. Les ONG ont en

64

effet une double exigence éthique à tenir: vis-à-vis des bénéficiaires d’une part, qui attendent des

effets positifs et par rapport à qui les intervenants ont une forte responsabilité (“primum non

nocere” / “d’abord ne pas nuire”). Mais aussi vis-à-vis des donateurs qui leur font confiance, en

termes de qualité de l’action, d’obligation de moyens, d’efficience dans l’usage des fonds.

Ils résument les enjeux de la capitalisation de la sorte:

“Formaliser les leçons de l’expérience, les valider, les mettre en débat et les intégrer

dans les pratiques : autant d’enjeux incontournables dans « la lutte permanente et

multiforme contre l’illusion et l’erreur » à laquelle nous appelle Edgar Morin.”117

La référence faite à Edgar Morin (sociologue et philosophe) dans ce document élaboré par

deux membres d'ONG n'est pas anodine. Elle traduit l'influence que les sciences sociales exercent

sur la société en général et sur les ONG en particulier. Les théories du social, comme celle de la

complexité développée notamment par Edgar Morin,118 sont réinvesties par les acteurs des ONG

qui tentent de s'en saisir pour nourrir leur démarche, de façon spécifique ou globale. A titre

d'exemple, les membres d'ISF ont élaboré en 2007 un projet d'enquête sociologique sur

l'association, qui est définit en ces termes:

Projet d’étude d’impact

ISF : un mouvement pour des ingénieurs citoyens plus engagés ?

[...] L’association a décidé [...] d’actualiser son projet associatif [...]. Le point

d’étape doit permettre à ISF de connaître la « sociologie du mouvement » ; en

particulier il est important de savoir :

• qui sont les hommes et les femmes qui, au fil des vingt-cinq années, ont fait

ISF, qu’il s’agisse des groupes ISF et des individus : les militants (dirigeants,

adhérents ou sympathisants) et les salariés (permanents, intermittents,

occasionnels), les donateurs et les partenaires...

• quelles ont été leurs motivations respectives et successives, et comment ces

attentes se sont incarnées dans les projets associatifs successifs d'ISF, fussent-ils

117 Lavigne Delville (Philippe) et Villeval (Philippe), Traverses, éditions du Groupe Initiatives, n°15, 2004118 Morin (Edgar), La Méthode, Seuil, 2008

65

formels ou informels ?

• à l’inverse, si ces personnes ont fait ISF, que leur a apporté cette dernière (en

clair, qu'est ce que ISF a fait d'elles ?), à la fois dans leurs pratiques

professionnelles, dans leur vie citoyenne et dans leur vie quotidienne ?

• en dernière analyse, il s'agira d'identifier les attentes latentes en termes

d'évolution du projet associatif et/ou du (des) projet(s) inter ou trans-associatif(s).

Pour alimenter et accompagner la démarche de production du nouveau projet

associatif d’ISF, ISF se propose donc de commanditer une étude d’impact en

sociologie appliquée qui lui permettra d’avoir une vision approfondie de ce

qu’elle est devenue, de son environnement, des processus qui la traversent et

l’animent et des pistes à approfondir. Cette étude permettra de documenter

également l’impact de l’ensemble de l’action d’ISF dans les projets de

développement portés, soutenus ou accompagnés par ISF.119

Concernant les partenariats entre recherche et ONG, ils sont par contre relativement peu

nombreux en France (en comparaison avec les pays anglo-saxons par exemple), mais en

augmentation.

Les think tanks, par exemple, ces organisations privées (en principe indépendantes),

composées d’experts travaillant à la recherche d’idées nouvelles pouvant peser sur les affaires

publiques, les mentalités et les savoirs d’un public cible, qui prolifèrent dans le monde

anglosaxon, se développent en Europe également. Et de nombreux chercheurs français participent

à ce système, y compris parce qu’il leur donne plus de visibilité.

D'autre part, des postes d'experts apparaissent dans les organigrammes des ONG les plus

riches. Les plus puissantes constituent même leurs propres forces de recherche, à l'instar de la

Fondation médecins sans frontières ou encore des groupes de recherche d'Oxfam et de

Greenpeace.

La Fondation Médecins Sans Frontières abrite notamment le Centre de Réflexion sur

l'Action et les Savoirs Humanitaires (Crash), qui se donne pour mission d' “animer le débat et la

119 Projet d'enquête sociologique d'ISF (Document interne)

66

réflexion critiques sur les pratiques de terrain et le positionnement public afin d'améliorer l'action

de l'association.”120

“Les publications du Crash sont rédigées d'un point de vue de praticiens de l'aide

et non de chercheurs, ce qui ne nous dispense pas d'exigences de rigueur et de

méthode. Nous nous y efforçons avec le concours de chercheurs professionnels

(bénévoles). Elles ne sont pas la ligne du parti MSF mais des outils pour la

réflexion élaborés à partir des cadres et de l'expérience de MSF. Elles n'ont

qu'une raison d'être : mieux comprendre ce que nous faisons. Les critiques,

remarques et suggestions sont plus que bienvenues, elles sont attendues.”121

Dans la même lignée, le Mouvement Emmaüs déclare s'être associé le concours de

chercheurs du CNRS et de l'université pour élaborer sa politique de réponse aux besoins des plus

pauvres.

Mais pour la majorité des ONG (au budget plus modeste), cette volonté de réflexivité se

traduit par l'organisation de conseils scientifiques sur une base de bénévolat. Des chercheurs et

praticiens fournissent bénévolement une contre-expertise, que Michel Doucin analyse comme un

“instrument de contre-pouvoir dans un monde où le savoir est devenu un instrument de

pouvoir.”122 Il voit ces praticiens et chercheurs bénévoles des ONG comme des producteurs d'un

savoir alternatif, de nouvelles traductions du réel et de nouvelles problématiques.

Cependant, les ONG possèdent rarement suffisamment de scientifiques bénévoles pour

couvrir tous les champs de connaissance nécessaires à leur action. Ainsi, certaines se tournent

vers des sortes de sous-traitants intellectuels que Michel Doucin nomme “ONG-expertes”. C'est

par exemple le cas d'ISF qui fait régulièrement appel à des experts d'ONG de ce type (dont le

GRET sur lequel nous reviendrons en détail plus bas) pour évaluer ses projets de mission mais

aussi bénéficier de conseils en matière de partenariat par exemple.

120 Site du Centre de Réflexion sur l'Action et les Savoirs Humanitaires (Crash): http://www.msf-crash.org121 idem122 Doucin (Michel), Les ONG: le contre-pouvoir?, Paris, Toogezer, 2007

67

Ces ONG-expertes sont composées de salariés militants qui produisent, d'une part, des

travaux obtenus par le biais d'appels d'offre nationaux ou internationaux, au titre de consultants,

et d'autre part, collaborent bénévolement avec des ONG qui font appel à leurs compétences

spécialisées. Ainsi, selon Michel Doucin:

“Cette double relation étroite avec les institutions publiques qui sont leurs

clientes d'une part, et avec les ONG dont elles se sentent proches de l'autre,

leur confère de fait un rôle de passerelle de communication entre ces deux

sphères. Participant dans chacune à l'élaboration de concepts et de stratégies,

elles favorisent l'élaboration de consensus conceptuels”123

On voit donc ici nettement que les ONG, loin de n'être que des sujets passifs des normes

édictées par les institutions nationales et internationales, peuvent elles-mêmes être productrices

de normes. Cette capacité est amplifiée par le biais des réseaux qu'elles constituent.

Avant d'étudier ces réseaux, nous présentons dans l'encadré ci-dessous un extrait de l'entretien

réalisé avec Pierre-Jean Roca, qui revient sur l'historique du GRET (Groupe de recherche et

d'échanges technologiques) et illustre bien notre propos sur la dualité de ces ONG-expertes, dont

le GRET fait partie.

123 Doucin (Michel), ibidem

68

“Il monte en puissance d'abord avec les agronomes, c'était un repère d'agronomes

au départ. Rouillé d'Orfeuil est agronome et tous les formateurs et les premiers

employés par le GRET. Ils sont quand même dans des locaux de la FNSP donc la

Fondation Nationale des Sciences Politiques, dès le départ, parce que c'était les

connections de Rouillé d'Orfeuil (puisque dès qu'il est sorti de l'Ecole

agronomique il s'est tout de suite intéressé, il était déjà dans la vie associative

mais son premier poste ça a été Affaires Etrangères, donc c'est pas non plus le

plus non gouvernemental qu'on puisse trouver mais bon!). Donc ils sont ONG

déjà ça commence... c'est pas vraiment la petite association qui a son siège social

au bar du coin. Donc ils ont évolué techniquement et professionnellement

toujours sur la base de projets liés à des projets bilatéraux. De la coopération

française ou multilatéraux, UE etc. Alors en proposant certes un truc alternatif

au niveau technologique, mais au niveau institutionnel ils étaient toujours liés

à des projets peu ou prou liés à la coopération etc. Ils se disaient toujours ONG

parce qu'ils étaient pas intégrés aux cadres...eux mêmes ils étaient pas

fonctionnaires ou fonctionnaires européen, ni chargés de mission des NU ni experts

des NU etc. Ok, donc ils gardaient un statut associatif en tout cas pour leurs salaires

etc. Jusqu'à l'arrivée de la gauche au pouvoir. A l'arrivée de la gauche au pouvoir

en 1981, le CIRADE (c'était l'IRAT à l'époque) enfin, les différents centres

agronomiques de Montpellier commencent à entrer en révolution pour sortir

de leur néo-colonialisme ambient, y a un ministre de la coopération à l'époque

qui s'appelle Jean Pierre Cote qui a comme directeur de cabinet Henri Rouillé

d'Orfeuil. Henri fait la promotion des organismes agronomiques tournant à

Montpellier autour de l'Institut de Recherche Agronomie Tropicale et Cultures

Vivrière, l'Institut euh... [...] Donc ils deviennent une coopérative d'experts si on

veut. [...] Enfait ils créent un bureau d'études, alors qui a un caractère social

parce qu'ils prennent pas tout ce qui passe contrairement aux bureaux d'études

d'une certaine manière, mais euh...à part ça ils sont très institutionnalisés.”

Entretien, Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l' IFAID

69

II. Le développement du travail en réseau

A ISF, l'appartenance à des “réseaux de solidarité internationale” est considérée comme

gageure d'un engagement militant et responsable, d'une volonté d'inscrire son action et sa

réflexion dans une démarche globale de construction d'une société plus citoyenne, d'une

conscience de l'intérêt d'une approche collective. Ainsi, la fédération insiste fortement sur ce

point à la fois auprès de ses associations locales (vivement encouragées à prendre contact et à

collaborer avec les réseaux et/ou collectifs de solidarité internationale de leurs régions

respectives) et de ses partenaires (leur participation a des réseaux de ce genre est un des critères

déterminants dans la sélection). La fédération est elle-même membre de différents collectifs et

réseaux nationaux.

Mais ce trait n'est pas propre à ISF. Le travail en réseau est devenu incontournable pour

une grande majorité des ONG. Ces réseaux sont particulièrement nombreux en France, cet extrait

d'entretien avec une salariée du CRID (important collectif français) illustre bien la diversité du

paysage français (qui regroupe des collectifs d'ONG, eux-même très nombreux, des ONG seules

et des organisations ou mouvements qui ne sont pas des ONG):

“Le CRID c'est un collectif, ça veut dire Centre de Recherche et d'Information pour

le Développement, [...] qui a 55 membres et représente des associations de

solidarité intenationale [...]...donc beaucoup d'associations qui travaillent sur les

droits économiques, sociaux et culturels, sur le commerce équitable, sur les

droits de l'Homme [...]...donc le CRID travaille que sur des projets collectifs qui

impliquent ses membres mais aussi presque toujours d'autres organisations qui

sont pas membres mais qui travaillent dans le même...qui ont les mêmes centres

d'intérêt. [...] Du type les syndicats par exemple. On travaille avec les

organisations syndicales sur les questions des relations euh...des entreprises ou sur

la question des droits des travailleurs. On travaille avec les mouvements

environnementalistes, dont certains sont membres du CRID comme les Amis de

la Terre ou Greenpeace mais d'autres qui vont travailler avec nous. On travaille

70

avec un réseau par exemple comme Solidarité laïque, qui est lui-même un

collectif d'associations qui font de la solidarité internationale [...].”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Elle précise aussi l'intérêt que l'approche en réseau revêt pour elle et pour le CRID, qui

traduit une adhésion totale au concept du réseau:

“[...] construire de nouvelles idées à partir de l'enrichissement vers d'autres

milieux, vers d'autres mouvements et pas rester enfermés dans un milieu ONG

qui serait un peu corporatiste, un peu basé sur les causes humanitaires etc.

prendre des positions sociales. [...] Je pense qu'il faut aussi désacraliser

l'association en tant que structure. Je pense que ce qui compte c'est que les

messages, les valeurs circulent, les actions se montent, se démontent, se

remontent etc.”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Toutefois, il existe des différences importantes de types de réseaux. Certains sont

structurés et reconnus à l'échelle nationale (c'est notamment le cas de Ritimo, réseau de centres

de documentation et d'information pour le développement durable et la solidarité internationale) ,

d'autres sont organisés au niveau régional ou local et bénéficient de compétences et légitimités

diverses:

“Après [...] un réseau ça se décrête pas, ça se construit. Les militants les plus

proches du CRID en général décrêtent des réseaux, des collectifs notamment,

régionaux, avec en gros une charte de principes, les valeurs de la SI, peut être

qu'ils vont écrire des lettres aux candidats aux élections locales tout ça, et

finalement [...] ils font pas grand chose, ils ont pas de salariés, ils veulent pas

demander d'argent aux régions parce qu'ils veulent être indépendants etc. donc c'est

que sur des bases bénévoles et sans projet. Ils ont une vision, ils partagent

71

effectivement des valeurs mais ils ne partagent pas un projet. [...] Et à côté de

ça y a des jeunes ou pas forcément que des jeunes mais des gens plus actifs qui

veulent construire du projet, participer etc. demander directement des

financements pour faire une création de poste au bout d'un an etc. Alors niveau

valeurs et tout ça, ils ont peut être pas pensé à la charte qu'ils veulent écrire et

tout mais grosso modo ils sont quand même dans le même moule que nous, et eux

ils font les choses. Moi je fais souvent la modération entre ces structures un peu

virtuelles et très politiques et ces structures franchement plus ancrées sur le

terrain.”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Ces réseaux sont donc généralement des lieux d'échanges, de mise en commun de

réflexion mais aussi de mobilisation, autour de campagnes (“Une seule planète”, “Alimenterre”,

“Opération Campus Vert”, “L'Europe mine l'Afrique” etc.124) ou d'action de plaidoyer, à travers

l'utilisation des pétitions par exemple (nous reviendrons sur ces aspects mobilisateurs des réseaux

plus loin).

Cette dynamique d'échanges, de partage d'informations et de réflexion ne font que

stimuler une tendance à la réflexivité chez les ONG, qui se traduit notamment par le

développement des pratiques de capitalisation, de recherche-action, de recours à l'expertise. Nous

allons à présent examiner les limites de cette dynamique.

124 ISF relaie toutes ces campagnes.

72

Section 2: Les obstacles à la production de connaissances réflexives et ses écueils

I. Les obstacles à la production de connaissances réflexives

Les obstacles majeurs à la production de connaissances réflexives sont le manque de

temps et le manque de moyens financiers (les deux étant étroitement liés), qui sont à mettre en

rapport avec la logique d'efficacité, l'exigence de résultats chiffrés imposées par les grands

bailleurs de fond que nous avons étudiée dans la première partie de ce mémoire. Pour certaines

ONG, il existe une adhésion forte à la logique opérationnelle qui les conduit à se concentrer sur

l'action, les réalisations concrètes plutôt que sur la réflexion théorique ou le retour d'expérience.

“ [...] un nombre important d’expériences, riche d’enseignements par leurs

réussites et leurs échecs, n’est tout simplement pas capitalisé : parce que les

personnes [...] ne disposent pas des moyens nécessaires, en particulier du temps

(ce qui revient souvent à des questions de moyens financiers, pour pouvoir

dégager ce temps) ; [...] parce que les ONG sont dans une logique d’action, qui

leur fait consacrer la totalité des énergies et des moyens disponibles à

l’opérationnel ; et aussi parce que le monde du développement met souvent

l’accent sur les théories, les grands principes, et n’aime pas toujours les

confronter au réel : on enjolive les succès partiels, on tait les échecs, faisant

tourner le système dans un déni de réalité parfois sidérant. [...]”125

Isabelle Moreau confirme la souligne la difficulté de faire financer des études du type

recherche-action dans le cas d'ISF, et insiste aussi sur le fait que ce type d'étude demandent des

compétences qui dépassent parfois celles que possèdent les membres de l'association et sont de ce

fait coûteuses en terme d'encadrement, demandent d'organiser des temps de formation lorsque

l'ONG n'a pas les moyens de rémunérer un expert extérieur et/ou souhaite impliquer directement

ses membres dans cette démarche vue comme enrichissante:

125 Lavigne Delville (Philippe) et Villeval (Philippe), Traverses, éditions du Groupe Initiatives, n°15, 2004

73

“- Or, [...] c'est pas évident de se faire financer, par exemple de faire financer

des études sur la place des ingénieurs du sud ça a été assez compliqué. Il a fallu

qu'on passe par le F3E qui est un collectif. Il nous finance une partie. Enfait c'est un

fond auquel on côtise pour l'évaluation etc. Donc ils sont intéressés mais tu peux

pas faire financer des études tous les ans. Donc c'est toujours compliqué. [...]

- Et ce genre d'études transversales, un peu recherche-action, c'est des choses

qui existent depuis longtemps à ISF?

- Non. Le premier c'est Normes [2001]. Ce qui est très ISFien c'est que dans ces

études on implique toujours des membres de groupes, qu'on fait pas faire ça

par un prestataire, ce qui est très difficile à gérer parce que ça veut dire

demander à des élèves ingénieurs d'acquérir des compétences en sociologie

enfin voilà, y a un certain nombre de freins, ils font aussi leurs études d'ingénieur

enfin voilà. C'est extrêmement enrichissant pour eux mais c'est très coûteux en

temps et en énergie pour nous. Donc c'est vrai que là actuellement on se

positionne plus sur quelqu'un qui le ferait lui-même, on embaucherait un

chargé de projet. Pourquoi pas? [...] ce sont les ingénieurs en activité qui

mettent en avant ces problématiques en fonction de leurs expériences de

terrain, de ce qu'ils ont observé souvent dans leur boulot ou dans leurs

expériences quand ils étaient volontaires etc. [...] c'est peut-être eux qui vont

driver le chargé de projet qui réalisera le projet.[...]”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

Mais au-delà de ces obstacles réels, une fois les connaissances et réflexions produites,

elles ne sont pas toujours exploitées.

II. Les écueils

Il n'est pas rare que les connaissances produites soient peu ou mal valorisées, souvent par

manque de compétences et de temps. Ainsi les rapports, les notes, les recommandations

s'accumulent sans que personne ne les lise, n'essaie de les appliquer et d'en débattre, ni de les

74

faire partager. Cet extrait du document de Philippe Lavigne Delville et Philippe Villeval sur la

capitalisation confirme le fait que l'effort de capitalisation n'est pas souvent suivi d'effets en

pratique:

“Cependant, malgré l’importance à la fois éthique et stratégique de la

capitalisation, la volonté affichée, les efforts et investissements réalisés,

l’impact en terme d’amélioration des pratiques et de la qualité des actions

conduites sur le terrain ne semble pas toujours au rendez-vous.”126

A ISF, l'importance de la capitalisation est fortement soulignée. Depuis peu, un bilan des

partenariats des groupes locaux de la fédération autour de projets de développement est réalisé

chaque année, il est souvent accompagné de recommandations. Toutefois, le travail

d'accompagnement des partenariats étant mené par un stagiaire différent chaque année, il est

arrive que ces recommandations ne soient pas appliquées. Et même lorsqu'elles sont reprises par

le stagiaire et/ou certains administrateurs, elles sont souvent difficiles à mettre en oeuvre. Les

pratiques sont en effet souvent plus difficiles à faire évoluer que les discours:

“Les discours évoluent mais alors les pratiques! (rires) Y a encore des...alors je

connais pas très précisément leur travail mais quand je vois Bibliothèque Sans

Frontières qui fait des collectes de bouquins en France pour envoyer là-bas je me

pose des questions, je me dis c'est pas possible, on en est encore là quoi.

[...] c'est difficile de remettre en cause ses pratiques, heureusement ça coûte de

plus en plus cher d'envoyer de containers...(rires)”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Les savoirs ou constats que révèlent certains travaux de recherche ou expériences sont

aussi souvent difficiles à valoriser, parfois par manque de compétences, parfois par manque de

volonté, cette partie de l'action étant généralement considérée davantage comme une valeur

126 Lavigne Delville (Philippe) et Villeval (Philippe), Traverses, éditions du Groupe Initiatives, n°15, 2004

75

ajoutée, un bonus, lorsqu'elle est réalisée, que comme un élément prioritaire des projets. ISF

accorde une importance particulière à ce que les volontaires sur des missions valorisent leur

expérience du terrain en revenant en France et partage les enseignements retenus. Malgré les

efforts réels faits dans ce sens, il y a très peu de dialogue au sein de la fédération autour du

contenu de ces “restitutions”. Il en va de même avec certaines études trasversales de type

recherche-action menées par ISF. Ce n'est pas le manque de volonté qui est en cause mais

davantage le manque d'expérience dans ce type de travail. Certaines études ont donné lieu à la

publication d'articles de fond dans des revues scientifiques mais l'association tatonne encore pour

trouver les canaux les plus appropriés pour faire résonner les réflexions qui découlent de ces

études:

“Et pour autant ça nous intéresse beaucoup de faire ce genre de chose parce

que ça fait ressortir, ça nous donne de la matière ensuite qu'on a un peu de mal

encore a valoriser mais petit à petit on va trouver la manière de faire en

fonction des différents euh...”

Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF

La production de connaissances, la capitalisation d'expérience sont donc progressivement

intégrées aux pratiques des ONG. Même si elles restent parfois lettre morte, elles peuvent aussi

permettre à certaines ONG d'élaborer des analyses et des concepts alternatifs pour orienter les

pratiques, de façon autonome ou en collaboration avec d'autres ONG, parfois avec des

chercheurs. Mais ces orientations peuvent-elles pour autant influencer le processus d'élaboration

des normes de la solidarité internationale? Les ONG sont-elles capables, comme le dit Pierre

Bourdieu, et notamment grâce à leurs experts ou “contre-experts”, d'“opposer des armes

intellectuelles et culturelles”127 suffisamment puissantes face à leurs homologues des Etats? C'est

à cette question que le dernier chapitre s'attache à répondre.

127 Intervention de Pierre Bourdieu aux Etats-généraux du mouvement social, 23 novembre 1996

76

Chapitre 2. Le pouvoir d'influence hybride des ONG

“ONG, naissance d'un contre-pouvoir

Avec des capacités d'expertise de plus en plus performantes, les associations

deviennent des partenaires obligés. Mais trop peu écoutés.

Le 11 octobre dernier, la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque

mondiale chargée d'appuyer le développement des entreprises privées au Sud et à

l'Est, annonçait l'annulation de sa participation dans le projet de mine d'or à

ciel ouvert de Rosa Montana, en Roumanie. Au grand dam de la compagnie minière

canadienne Gabriel Resources: la SFI devait mettre sur le tapis 250 millions de

dollars sur un investissement de 450 millions. Une victoire pour les Amis de la

Terre. Leur délégation avait rencontré James Wolfensohn, président de la

Banque mondiale, lors de l'assemblée générale annuelle organisée fin septembre à

Washington.”128

A l'instar de cet article paru dans la revue Alternatives Internationales, les discours

présentant les ONG comme “contre-pouvoir”, ou encore actrices de la “diplomatie non

gouvernementale” se multiplient. Ils prêtent tous aux ONG une capacité d'influence croissante

dans le jeu des relations internationales, un pouvoir d'inféchir les décisions et parfois les règles de

la diplomatie et de la coopération traditionnelles, mais soulignent aussi fréquemment le caractère

limité de ces capacités, notamment du fait d'un positionnement qui reste relativement en marge du

système dominant.

Nous verrons dans ce chapitre que la force des ONG en terme d'influence dans le champ

des relations internationales en général et dans celui de la solidarité internationale en particulier

réside en grande partie dans leur position d'intermédiaire: entre intégration au système (grandes

ONG bénéficiant d'une statut consultatif à l'ONU par exemple) et marginalité (volontaire ou pas),

mais aussi entre amateurisme (bénévolat “dilettant”) et expertise (ONG-expertes, experts

128 “ONG, naissance d'un contre-pouvoir”, Antoine de Ravignan, Alternatives Internationales n° 005, novembre 2002

77

bénévoles etc.), les ONG ont un pouvoir d'influence d'autant plus grand qu'elles peuvent agir “par

le haut” (Section 1) et “par le bas” (Section 2).

Section 1: un pouvoir d'influence “par le haut”: la diplomatie non gouvernementale...

Certaines ONG entretiennent des liens étroits avec les institutions publiques, que ce soit

dans le cadre de négociations politiques, à travers les processus de consultation de certaines ONG

par les organisations nationales ou internationales (I.), ou encore dans le cadre d'activité de

conseil (II.).

I. Les ONG dans les négociations internationales

Les ONG moteurs de la “diplomatie non gouvernementale” sont essentiellement celles

qui sont quasiment intégrées au système (bénéficiant d'un statut consultatif à l'ONU par exemple)

et peuvent jouer sur leur légitimité auprès des institutions publiques et des grandes entreprises

pour infléchir leurs décisions et modifier leurs agendas, Samy Cohen en parle en ces termes:

“Ce sont essentiellement ces grandes ONG internationales [...] Elles seules

peuvent se targuer d'avoir amené les Etats et les organisations internationales

à se préoccuper davantage des droits de l'homme, des questions humanitaires et à

inscrire sur leur agenda la question des “bien publics mondiaux”. Elles sont les

plus influentes sur la scène internationale. [...] Elles se veulent des partenaires

influents des Etats. Elles ont développé une expertise juridique, qui leur permet

de peser, non sans efficacité, sur les négociations internationales. Certaines

d'entre elles ont, grâce à leur statut consultatif aux Nations Unies, ou dans

d'autres organisations internationales, la possibilité de se faire entendre lors

des réunions internationales. Certaines ont leurs entrées chez les dirigeants de

leurs pays. [...]”129

129 Cohen (Samy), “ONG, Alter mondialistes et société civile internationale”, présenté lors du colloque “Les mobilisations altermondialistes” organisé par le GERMM-AFSP, Paris, 3-5 décembre 2003

78

Selon Henri Rouillé d'Orfeuil:

“Depuis quinze ans, cette diplomatie non gouvernementale a permis des

avancées non négligeables: campagnes d'opinion pour la défense des droits

humains, des droits économiques et sociaux, des droits de l'enfant, actions en faveur

des agriculteurs familiaux et pour la souveraineté alimentaire, mobilisations pour

la protection de l'environnement, l'interdiction des mines antipersonnel, la

production des médicaments génériques, l'annulation de la dette des pays

pauvres et le lancement de taxes internationales. [...] l'étonnant pouvoir

d'influence des ONG au regard de leurs modestes moyens.”130

Revenons, sur quelques une de ces “avancées”:

La campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres a été lancée en 1992

et, alors que personne ne prédisait son succès, en 1997, environ 1400 ONG ont réussi à faire

signer un Traité sur l’interdiction des mines, qui prohibe l’utilisation, la production, la

commercialisation et le stockage de mines antipersonnel131.

En 1996, la campagne Jubilé 2000 en faveur d’un allègement de la dette du Tiers-

Monde a été lancé par des ONG pour interpeller les milieux politiques du monde

industrialisé quant aux effets dévastateurs de l’augmentation de l’endettement sur les

perspectives de développement du Sud. Des campagnes nationales ont suivi dans le monde entier.

L'ONG française Les Amis de la Terre s’est par exemple associé à la campagne pour pousser le

Congrès américain à soutenir un allègement de la dette. Ces efforts ont joué un grand rôle dans

l’obtention de concessions sur l’allègement de la dette de la part des pays du G7. On peut

notamment citer l’Initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et les

engagements d’un certain nombre de pays, dont les États-Unis, concernant la dette bilatérale.132

130 Rouillé d'Orfeuil (Henri), La diplomatie non gouvernementale: les ONG peuvent-elles changer le monde?, Paris, éditions de l'Atelier, 2006

131 Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2002

132 Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2002

79

En 1996 toujours, plusieurs ONG internationales ont commencé à s’inquiéter des

conséquences de l’accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au

commerce (ADPIC) pour le prix des traitements et pour l’accès aux médicaments essentiels.

Elles cherchaient à obtenir la modification des accords commerciaux dans le sens d’un meilleur

respect des objectifs de santé publique. Médecins Sans Frontières (MSF) s’est joint à cette

coalition peu de temps après. En 1997 une nouvelle loi sud-africaine sur les médicaments a été

contestée par les laboratoires pharmaceutiques des États-Unis. En 1998, le ministre de la Santé du

Zimbabwe a présenté au Conseil exécutif de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) une

résolution demandant l’adoption d’une nouvelle stratégie pour les médicaments.

Il s’agissait, premièrement, de veiller à ce que les politiques pharmaceutiques et sanitaires placent

les objectifs de santé publique avant les intérêts commerciaux et, deuxièmement, de revoir les

possibilités offertes par l’accord ADPIC pour préserver l’accès aux médicaments essentiels. Cette

résolution avait été rédigée avec le vaste soutien des ONG parrainant cette campagne.

La résolution de l’OMS a provoqué une levée de boucliers dans le secteur pharmaceutique. Même

si cette dernière a fini par adopter une stratégie révisée, les groupes pharmaceutiques ont réactivé,

en janvier 2001, l’action qu’ils avaient engagée devant les tribunaux à l’encontre du

gouvernement sud-africain. Les ONG ont alors accentué leur campagne pour préserver l’accès

aux médicaments essentiels. Les laboratoires ont finalement été contraints à renoncer à un procès

et à rembourser à l’Afrique du Sud ses frais de procédure.

Entre-temps, les ONG ont fait porté leurs efforts sur la recherche de fournisseurs de génériques

pour remplacer les médicaments anti-VIH/sida essentiels. Un laboratoire indien s’est par exemple

entendu avec MSF pour approvisionner l’Afrique en traitements à prix abordables.

“Cette initiative a mis fin à la non diffusion de médicaments vitaux, qui a cédé la place à

une action volontariste, grâce à de fortes pressions exercées sur la sphère politique en

Europe et aux États-Unis, ainsi que sur les grands laboratoires et sur le régime ADPIC.”133

Enfin, nous citerons un dernier exemple de l'impact que la diplomatie non

gouvernementale menée par les ONG peut avoir, celui des campagnes pour les droits de l'homme.

133 Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2002

80

“Les campagnes pour les droits de l’homme doivent leur succès inattendu à des

mouvements de citoyens défendant des valeurs et des objectifs transnationaux.

Amnesty International et Human Rights Watch ont ainsi élaboré des moyens

extrêmement efficaces pour faire pression sur les pouvoirs publics, tout

particulièrement dans le domaine des droits civils et politiques. Des liens se

sont également noués entre ONG transnationales et individus ou groupes victimes

d’abus de l’Etat. La puissance de cette nouvelle dimension de la politique

mondiale est renforcée par sa grande capacité à coopérer avec les pouvoirs

publics. Le résultat le plus fructueux en est la récente création d’une Cour

pénale internationale.”134

La Cour pénale internationale a compétence pour juger les génocides, crimes contre

l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression. La compétence de cette cour en matière

pénale est toutefois limitée par le principe de complémentarité (elle ne peut agir que si la justice

nationale échoue à mettre en accusation et à poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir

commis de tels crimes). La CPI forme ainsi un deuxième échelon de justice, le premier étant

constitué par les systèmes judiciaires nationaux.

Il subsiste néanmoins des obstacles considérables à l’établissement de la Cour pénale

internationale, notamment l’opposition manifestée par certaines grandes puissances, dont les

Etats-Unis, et plusieurs pays d’Asie. Ces controverses concernent des aspects tels que le

financement et l’indépendance judiciaire de la CPI. S’y ajoutent de délicates questions pratiques

lorsqu’il s’agit de déterminer si la justice est effectivement rendue au niveau national.

Cependant, malgré tous ces points d'ombre, la CPI représente une réalisation importante pour une

campagne dans laquelle les ONG ont bruyamment manifesté leur soutien aux Nations Unies.

Ces quatre exemples témoignent des nouveaux processus à l'oeuvre qui remettent en

question le modèle traditionnel des relations internationales, fondé sur les rapports entre

gouvernements. Ils dépassent le cadre de simples consultations pour donner un rôle plus

dynamique aux acteurs non étatiques dans la définition des programmes, la formulation et le suivi

134 Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2002

81

de l’action publique. Certaines ONG exercent aussi un pouvoir plus discret, mais tout aussi

efficace.

II. Les ONG-expertes et le conseil aux institutions publiques

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent les ONG-expertes (qui ne sont pas

nécessairement les mêmes que les grandes ONG dont nous venons de parler) exercent aussi une

influence importante sur les institutions publiques, en contribuant à la convergence des concepts

et des stratégies entre elles et les ONG (“elles favorisent l'élaboration de consensus

conceptuels”135), elles font le lien entre le “haut” et le “bas”.

Pour Habermas, une grande partie des grands thèmes lancés dans le débat public

international ces dernières décennies l'ont été par les experts engagés en collaboration avec des

initiatives civiques et ont suscité autour d'eux une cristallisation de mouvements sociaux:

réarmement nucléaire, risques inhérents à l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, recherche

génétique, problèmes de l'ordre économique mondial, féminisme, immigration croissante etc.136

C'est à ces dynamiques “civiques” et sociales que s'intéresse la prochaine section.

135 cf. p. 68136 Habermas (Jürgen), Droit et Démocratie, entre faits et normes, NRF essais Gallimard, 1992

82

Section 2: ... complété par un pouvoir d'influence “par le bas”

Le pouvoir d'influence des ONG ne se réduit pas à leur capacité de certaines à agir “par le

haut”, les ONG plus modestes, parfois aux côtés des grandes et des expertes, et de divers

“mouvements sociaux”, se réunissent autour des pratiques du “nouveau militantisme”137: ils

contournent les canaux de la diplomatie officielle pour peser sur les décisions et les normes des

institutions dominantes du système des relations internationales.

I. Des pratiques militantes innovantes pour capter l'attention du plus grand nombre:

“-Alors en même temps y a les nouveaux profils qui sont plus un mélange de

jeunes bénévoles étudiants ou nouveaux actifs avec un profil plus créatif, les

nouveaux militants comme on dit, les jeudis noirs et compagnie. Mais faut se

méfier parce que c'est très parisien aussi ce style d'engagement, y a ça un peu dans

d'autres villes quand même...c'est un peu les jeunes bobos qui vont avoir beaucoup

d'idées, qui vont beaucoup utiliser le ressort théâtral, descendre dans la rue,

utiliser les flash mobs, facebook et tout ça. Donc ça ça dynamise beaucoup les

associations et y a des conflits générationnels des fois importants. [...]

- [...] ils ont des formes d'action différentes on va dire mais est ce que sur le fond tu

dirais qu'il y a des différences? Par exemple est ce qu'ils aussi méfiants vis à vis des

entreprises etc.?

- Ca dépend mais ils sont plus pragmatiques quand même. Eux ils sont dans

l'action, ils veulent faire des trucs, valoriser ce qu'ils savent faire, s'investir

dans un truc qui se voit, qui claque et ils ont raison. Ils ont pas peur de...ils

maîtrisent mieux aussi le milieu médiatique etc. ils ont pas peur de se le coltiner.

Je pense que les vieux ils ont un côté un peu désenchanté aussi sur certaines choses.

Ils ont pas les mêmes repères...quand t'as été formaté dans le cadre de la Guerre

Froide essentiellement, t'as du mal je pense à te confronter à une vision du monde

plus complexe, moins idéologique et tout ça. Et les jeunes ont cette souplesse là

qui assez libératrice quand même. Mais...enfait on s'est vraiment posé cette 137 Sur le sujet des nouvelles formes de militantisme, voir notamment: Ion (Jacques), La fin des militants?, éditions

de L'Atelier, 1997

83

question là parce que quand on a lancé notre dynamique d'innovation les Coup

de Pouce financiers on les octroyait à condition que les gens renouvellent leurs

pratiques donc on leur disait: mais ça votre truc c'est pas...enfin, c'est pas faire

du neuf pour faire du neuf mais le but c'était qu'ils nous montrent un peu qu'ils

se torturaient la tête pour faire venir de nouveaux publics. Donc y en a qui ont été

un peu vexés qu;on leur propose ça et qui nous on dit: on fait du vent, on infantilise

le public, en faisant des scénettes théâtrales dans la rue, des freezes aussi, alors ils

disaient on fait un freeze et après les gens so what? Ils s'arrêtent et ils repartent et

ils ont rien de plus dans la tête etc. Donc on a eu un doute à un moment donné, on

s'est dit est ce qu'on est pas entrain de brasser du vent et tout. Et enfait trois après

on s'est rendu compte que là où y avait des exemples vraiment intéressants,

des jeunes très créatifs, quand ils mènent la créativité jusqu'au bout et ils vont

vraiment dans le politique.”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

Ces nouvelles pratiques de mobilisation s'appuient eux-mêmes fortement sur des réseaux

multiples et notamment Internet pour toucher et mobiliser des citoyens en masse, autour de

problématiques qu'ils ont eux-mêmes définies et infléchir les décisions et orientations des

institutions dominantes des relations internationales (grandes entreprises, Etats, organisations

multilatérales...):

En France, les réseaux de solidarité internationale sont particulièrement nombreux et

actifs, même s'ils ne s'appuient pas encore beaucoup sur les stratégies de communication

médiatique, sont davantage tournés vers la sensibilisation des citoyens, vers des actions de

terrrain, menées “à la base”:

“Mais en France on a un réseau très entremaillé et je trouve que c'est une vraie

richesse, ça nous fait faire des trucs qu'on ferait pas...Tu vois, que ce soit Ethique

sur l'Etiquette ou la Semaine de la Solidarité Internationale, quand on voit ce qui se

84

passe dans les pays du même genre en Europe, on a toujours été considérés

comme exemplaires par les autres. Pas pour tout. Par exemple, en com', pour

atteindre les grans média et tout ça on est nul, on met pas de budget là dedans.

Mais par contre y a des initiatives partout en France, décentralisées, en réseau,

on mutualise les expériences etc. Alors c'est vrai que quand y a un schéma plus

anglo-saxon c'est la big ONG qui fait son truc, qui fait de la grosse com' et tout

ça a un impact sur le public mais par contre c'est pas dans une logique très

éducative.”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

La dynamique de réseaux est fortement stimulée par internet et les possibilités de

connections et de mobilisation instantannées qu'il permet. Internet permet en effet à un nombre

virtuellement infini d'organisations de communiquer entre elles, mais aussi de coordonner leurs

initiatives et de mobiliser de plus en plus de personnes, dans un temps très court. Dans le

paragraphe intitulé “Internet, “tam-tam” moderne des réseaux associatifs” d'un de ses ouvrages,

Jean-François Soulet138 souligne que l'explosion récente du militantisme associatif à travers le

monde n'aurait vraisemblablement pas eu lieu sans la dernière révolution des communications.

Selon Michel Doucin139, les capacités d'investigation offertes par Internet aux experts et

observateurs militants “permettent à toute organisation citoyenne de participer activement aux

débats, et de peser sur les principaux enjeux contemporains”. Internet permettrait donc le

désenclavement des luttes, leur globalisation (que nous avons observés en première partie mais

analysé différemment), décloisonnement souvent mentionné dans la littérature sur les nouveaux

militants et confirmé par Magali Audion (extrait d'entretien): “Ce sont des militants qui sont prêts

à s'adapter à pleins de sujets différents, ils disent ouais ok ça ça colle avec nos valeurs on y va

quoi.”.

Mais Internet permettrait surtout à tout ceci de se faire à une vitesse nouvelle. Une

accélération qui, toujours selon Michel Doucin, a des impacts sur les pratiques concrètes des

relations internationales. Il cite l'exemple de la mise en ligne du projet d'accord Ami (accord

multilatéral sur les investissements) par une ONG qui a déclenché une mobilisation massive de

138 Soulet (Jean-François), La Révolte des citoyens. De la guerre des demoiselles à José Bovet, Privat, 2001139 Doucin (Michel), ibid.

85

groupes d'observateurs contre lui et brusquement fragilisé le plan de négociation de ses

concepteurs.

II. La complémentarité entre “anciens” et nouveaux militants

On peut se demander si cette abondance de messages touchant à tous les thèmes de la

solidarité internationale, et leur caractère souvent effémère ne fait pas cependant courrir le risque

que ces messages se diluent dans le flux de l'information quotidienne. Il semble que le pouvoir

d'influence réel de ces coups de force et mobilisations massives ponctuelles doivent être complété

par celui d'acteurs travaillant ces questions sur le fond, de façon pérenne et parfois experte, c'est

là que se révèle le vrai pouvoir des ONG, dans cette position d'intermédiaire entre les

mouvements sociaux et citoyens plus informels et les institutions publiques. Magali Audion,

pourtant spécialisée dans les dynamiques de réseau au CRID reconnaît elle-même les limites de

ces nouveaux modes militants s'ils ne sont pas couplés avec les capacités d'expertise et

d'influence de certaines ONG reconnues par le système et/ou expertes:

“[...] leur message à un instant T il est très fort, parce qu'ils savent le faire fort. Et

ils savent jouer avec la presse etc. pour qu'ils soit catapulté sur le devant de

l'espace médiatique. Et après il va être oublié mais c'est pas grave, peut être

que derrière quand même y a une loi qui va s'enclencher. C'est ce qui s'est passé

avec les enfants de Don Quichotte quand même. Cette action ça a mobilisé les

médias pendant 3-4 mois et au final on a eu un projet de loi. [...] cette loi, le DALO

[droit au logement opposable], derrière t'as quand même des structures

historiques comme le DAL, j'imagine la LDH tout ça, qui prennent le relais sur

l'expertise juridique et là ils faut capitaliser sur des années et des années, donc

y a besoin de ces structures là, mais enfait c'est vraiment une question de

complémentarité et jusqu'à présent...y a 10 ans les vieilles structures, les

structures pérennes étaient vraiment en mal de renouvellement et elles avaient

besoin de cet appel d'air que les jeunes ont amené avec leurs modes d'action

plutôt qu'avec leur fond. Et en même temps ils arrivent à se positionner sur le

fond quand même vachement plus facilement. C'est aussi des gens qui ont fait

86

des études sup assez poussées, qui ont une vision beaucoup plus globale du

monde d'emblée, beaucoup moins formatée sur le cadre idéologique et tout ça

donc...votre génération elle est vraiment réactive sur pleins de sujets[...]”

Entretien avec Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux

au CRID

A travers les propos de Magali Audion sur la “vision beaucoup plus globale d'emblée,

beaucoup moins formatée sur le cadre idéologique” des jeunes générations militantes des ONG,

on voit réapparaître l'approche que nous avons qualifiée de “globale” ou encore d' “intégrée”,

portées par les institutions publiques, par le biais des conditionnalités à l'obtention des fonds.

Ainsi, il semble que les “normes” de la solidarité internationales soient bien aussi

modelées par les acteurs des ONG eux-mêmes, notamment grâce à leur capacité à agir autant

“par le haut” que “par le bas”. Cette identité paradoxale des ONG contemporaines, combinant

amateurisme et professionnalisme, conformisme et militantisme, capacité mobilisatrice pour des

évènements publics festifs et capacité à produire des propositions de réformes techniquement

argumentées, renvoie une image complexe qui, utilisée habilement, peut être relativement

déstabilisante pour leurs interlocuteurs. Cette dualité amplifiée par les réseaux qu'elles

constituent explique une bonne partie de leur influence.

87

Conclusion

Ainsi, le processus d'uniformisation des ONG semble marcher à double sens, révèlant le

caractère récursif de la structuration du social, puisque les ONG sont autant soumises aux normes

dominantes (dans leurs modes d'action comme dans leurs représentations) qu'elles contribuent à

les définir.

Toutefois, l'analyse du processus de banalisation semble poser une limite. En effet, les

structures associatives sont contraintes d'adopter des modes de fonctionnement qui les

rapprochent des fonctionnements institutionels et marchands qui mettent à mal leur capacité

militante.

Ainsi, on peut se demander si le renforcement de leurs capacités réflexives est suffisant

pour faire contre-poids face aux contraintes croissantes qui pèsent sur leurs pratiques routinières.

88

Annexes

Annexe 1 : Entretien avec Isabelle Moreau, Chargée de programmes à ISF …………………...p.1

Annexe 2 : Entretien Magali Audion, Chargée d’animation et développement des réseaux au CRID…………............................……………………………………………………………...p. 25

Annexe 3 : Entretien avec Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l' IFAID..................…...……p.44

89

90

Entretien avec Isabelle Moreau, chargée de programmes à ISF

“ - Est-ce que tu peux présenter ton poste en quelques mots?- (Rires) Officiellement je suis chargée de programmes avec un “s” à la fin, ce qui permet, ce qui me permet enfait de changer régulièrement d'objet de travail puisque je fais à la fois de la coordination de projets, un peu d'animation de réseau, et puis je coordonne aussi des campagnes. Je participe à la fois au comité de pilotage des campagnes et je forme aussi les groupes à ces campagnes, voilà on peut résumer comme ça. Biensûr je fais pas mal de choses annexes mais voilà.- Très bien. Est-ce que tu peux présenter ton parcours, comment tu es arrivée là?- Alors... moi ce qui m'a toujours intéressée c'est l'ethnologie. Je suis socio-anthropologue de formation puisque ça s'appelle comme ça. Et après mes études, j'ai fini pas par un DEA, je voulais pas faire de recherche. Je voulais appliquer on va dire l'approche ethnologique au développement. Parce que je trouvais débile de faire des projets de développement dans des pays sans savoir qui étaient les gens, sans avoir d'approche culturelle des populations.- Comment as-tu été intéressée par les projets de développement?- euh..pffou..ça c'est...je me serais jamais vu vendre quoique ce soit euh, je pense que c'est lié à une vision des choses que m'ont transmis mes parents, avec un engagement associatif que ce soit au niveau scolaire ou pour mes parents hein, un engagement professionnel, et moi un engagement associatif au lycée par exemple. Alors pas forcément dans ce qu'on appelait le club humanitaire mais avec de toute façon...- Vous aviez un club humanitaire?- Oui oui, ils ramassaient des vêtements et ils les donnaient aux SDF en gros. Mais voilà, moi j'avais envie de...c'est difficile à dire, mais c'est vrai que pour moi l'ethnologie c'était un intérêt et ça devait servir à quelque chose, et pour moi c'est à ça que ça devait servir quoi, tu vois? A permettre, euh à tous les projets de développement faits un petit peu n'importe où... alors ma prof d'éco doit avoir une responsabilité là dedans puisqu'elle elle était partie dans les champs de sorgho et compagnie et que elle avait beaucoup appris sur euh... elle nous disait par exemple qu'on juge la polygamie en France alors que y a des cultures où ça arrange bien les femmes de pas se faire, enfin d'être plusieurs pour s'occuper des enfants, d'être plusieurs pour un certain nombre de choses, et que on avait pas forcément à intervenir avec notre propre, que c'était important de ne pas intervenir avec notre propre, nos propres valeurs quoi. Donc voilà ça doit jouer, il doit y avoir de ça.- Et donc tu dis que tu as pas voulu faire de DEA?- J'ai pas voulu faire de recherche.- Tu voulais appliquer.- Voilà, je voulais pas faire de recherche fondamentale, de DEA euh... voilà j'ai choisi un DESS pratiques du développement, il doit exister encore, enfin ça s'appelle plus comme ça c'est Master 2 maintenant mais... euh..à Paris. J'ai fait ça pendant un an. J'ai fait un stage dans une association de développement, l'Union des Associations de Développement Local qui était basée à Pantin à ce moment là. Ils travaillaient beaucoup sur l'aménagement du territoire parce qu'à l'époque avec le Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement et du Territoire y avait vraiment beaucoup de subventions, enfin y avait un gros travail dessus qui était fait par les associations et financé par le Ministère de l'environnement de Voinet enfait.- C'était quelle année ça?

1

- Ca devait être en 2000, non 2001. Et après mon stage je suis partie en Chine avec mon sac à dos.- Ce stage tu y faisais quoi concrètement?- Je faisais un enquête parce que y avait des partenariats qui s'étaient créés. Y a eu un rassemblement mondial des associations de développement local et ils essayaient de créer un réseau mondial de ces associations et de créer des échanges. Et il s'agissait de faire un bilan: est ce que des partenariats sont réellement montés, est ce que des liens sont réellement créés et si c'est le cas comment? Donc j'avais conçu des questionnaires que j'envoyais un peu partout en différentes langues, j'avais traité touc ces questionnaires et j'avais aussi fait un autre type d'enquête pour savoir comment ça se passait dans les communautés de communes parce qu'à l'époque y avait pareil, l'aménagement du territoire avaient créé la notion de pays et de communauté de communes, et savoir comment ils géraient la solidarité internationale dans ces collectivités qui n'ont pas de fiscalité propre pour être exacte. Voilà donc là c'était beaucoup de relances par téléphone etc., donc c'était de l'enquête essentiellement que je faisais.- D'accord, et donc ça ça t'avais plu comme expérience?- Alors ça m'avait plu, j'avais bien aimé surtout le projet de l'association. Ca m'avait pas mal intéressée. Il se trouve qu'ils ont décliné suite au changement de gouvernement. En 2002 ils se sont retrouvés...je crois qu'il y a plus qu'une personne pour cette union. Elle a un pouvoir vraiment plus...enfin, y a toujours les associations locales qui existent mais c'est vrai que le fiancement de l'union en elle-même est très light. Mais moi j'avais bien aimé tout l'aspect collectivité aménagement du territoire ça m'avait bien plu. Et donc après je suis partie en Chine, j'ai failli y rester un petit peu et puis j'avais une attache ici donc je suis rentrée, et après j'ai eu droit a un superbe stage de chercheur d'emploi (rires), de jeune diplômée euh...qui a duré...un mois ou un truc comme ça. Et puis j'ai cherché du boulot et ça a été très dur. Parce que c'est un milieu où on te demande, où à 23 ans on considère que t'es trop jeune. Quelle que soit ton expérience... Donc j'ai galéré pas mal, j'ai fait des petits boulots.- Tu avais une idée précise de ce que tu cherchais?- Je voulais travailler dans le développement. Je voulais vraiment travailler dans une ONG et dans le développement. Après...- Donc ONG vraiment. Ton expérience avec les collectivités euh?...- Dans une association. A l'époque je pensais pas aux collectivités parce que j'aurais pu aussi me dire tiens ben je passe le concours et puis je suis...non. Mais je suis pas fan du fonctionnariat perso. C'est pour ça que ça m'est sans doute pas venu à l'esprit à ce moment là. J'ai fini par trouver en septembre 2002. Je suis partie au Burundi sur une mission humanitaire finalement. Parce qu'enfait oui voilà, je voulais quand même partie à l'étranger, mais pas pour des durées trop longues parce que j'étais pas toute seule. Enfin c'était un peu le casse tête chinois. Là j'ai trouvé, j'avais postulé pour autre chose puis ils m'ont mis là-dessus, sur des enquêtes nutritionnelles au Burundi.- C'était avec qui?- Solidarités- D'accord. Donc enquêtes?- nutritionnelles. Enfait j'allais dans toutes les zones où ils avaient des programmes nutritionnels. Donc au Burundi situation de guerre civile donc assez conflictuel, enfin avec des hauts et des bas on va dire. Et des moments où les rebelles pillaient tout et donc dans ces moments là y avait plus rien à manger et on se retrouvait avec des enfants...puisqu'on s'occupait essentiellement des enfants et des femmes allaitantes ou enceintes qui étaient dans des situations, enfin qui mourraient de fait quoi. Et donc il fallait que je fasse des enquêtes sur tous les programmes

2

nutritionnels pour voir si c'était encore...pour enfait pour les bailleurs hein, pour dire on continue ou on arrête ou on renforce...en fonction des résultats. Donc il s'agissait d'organiser des...Les enquêtes nutritionnelles c'est on va dans les villages, tirés au hasard, enfin y a un certain nombre de contraintes on va dire statistiques pour que ce soit représentatif. Et dans les villages on pèse, on mesure les enfants voilà. Et puis après faut traiter toutes ces données etc.- Et donc toi t'avais aucune compétence médicale à la base, ou nutritionnelle ou?- Pas médicale mais c'est pas...c'est, enfait c'est plus...il se trouve que mon DESS, j'étais spécialisée dans tout ce qui est alimentation. Du coup j'avais des connaissances en nutrition et j'étais sociologue. C'est ce qui leur avait convenu. D'habitude ils font faire ça à des infirmiers nutritionnels, que ça saoûle d'ailleurs parce que c'est de la paperasse pour eux, ils en ont... donc moi j'ai fait une enquête statistique, enfin, en tout cas rigoureuse en terme statistique.- Il y avait plusieurs sociologues?- Ah oui oui. Par contre je me baladais dans les différentes bases de l'association. J'ai fait quatre enquêtes nutritionnelles plus une enquête monographique qu'on m'a demandé pour identifier dans une des régions quelles étaient les difficultés qui conduisent ensuite à rechercher ou enfin à identifier des projets on va dire, c'est la première phase avant l'identification de projet. Donc j'ai fait aussi une monographie qui pour moi était beaucoup plus riche puisque ça me permettait d'être beaucoup plus large, d'être moins statistique, de prendre en compte euh...donc ça je l'ai fait avec des agronomes.- Parce que l'autre travail que tu avais c'était vraiment du factuel, c'est à dire que tu...il fallait rendre compte de l'état nutritionnel euh?- Voilà. Alors après y avait les vaccins aussi, on prend enfin, c'est vraiment un questionnaire qui est standard donc le questionnaire je l'ai pas refait. Par contre, ce que j'ai trouvé importé moi de mon côté c'est de noter un peu tout ce qui se passait autour. Ca m'a permis de bien élaborer le questionnaire de l'enquête monographique où la y avait des informations sur la famille, y avait une notion de revenu mais aussi ben est ce que la maison est en dur, est ce qu'elle a de la taule, est ce qu'y a des animaux, qu'est ce que c'est etc. Et ça nous a permis de savoir aussi un petit peu pourquoi dans cette zone y avait plus de problèmes que d'autres, y a des zones plus pauvres, des zones beaucoup plus riches, des zones où ça pousse plus ou moins bien donc voilà.- Solidarités c'est une ONG qui fait plutôt de l'humanitaire mais euh.- C'est de l'urgence. C'est que de l'urgence mais tu vois dans des pays comme le Burundi où il y a une guerre latente, alors ça s'est amélioré depuis, mais c'était en gros des passages de rebelles qui pillent tout sur leur passage. C'est des rebelles qui pillent pourquoi? Parce qu'après ils vont se réfugier dans la forêt et il faut qu'ils aient à manger. Donc c'est des moments où il faut répondre mais c'est pas une guerre, c'est à dire on est pas sur le front, on...- Oui et puis il y a pas un début et une fin identifiés.- Voilà. C'est de l'urgence mais c'est de l'urgence un peu par petits bouts. Donc effectivement eux ils font que de l'urgence. Et la deuxième mission que j'ai fait pour eux c'était au Congo. Pareil j'ai fait des enquêtes nutritionnelles dans deux régions très différentes l'une de l'autre avec une région où enfait mon enquête à mené à la fermeture du centre. Ou plutôt l'intégration, c'est à dire qu'à partir d'un certain moment on considère que les compétences...on laisse sur place enfait, ben souvent le véhicule ou les véhicules qu'on a fourni..qu'on acheté pour l'occa...pour la mission, et on laisse sur place des gens compétents et formés mais c'est intégré à l'hôpital enfin centre de soin plutôt, hôpital est un grand mot.- Des locaux tu veux dire?- Des locaux. On leur laisse la main dessus et on part. Ca veut dire aussi qu'y a moins de sous donc autant te dire que ce qui est un peu compliqué dans les enquêtes...parce que, moi dans les

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enquêtes je faisais de la planification, des équipes, la formation des équipes, la planification et puis le matin on partait, moi je partais avec eux parce que je trouvais ça nécessaire. Et ça veut dire être assez exigeant on va dire avec des gens en leur disant voilà: tout le monde est là à telle heure, on part à 5h. Et au Burundi par exemple on pouvait partir qu'à 9h du matin revenir à 16h, ce qui limite pas mal parce qu'on allait quand même au fin fond des villages quoi. Donc y avait des règles de sécurité. Un peu moins draconiennes au Congo parce qu'on était dans une zone normalement où il y avait plus de combat. Mais par exemple on a eu une problématique, une route a été libérée, les rebelles sont partis donc des réfugiés, des déplacés sont arrivés. Donc eux ils été dans une situation dramatique, on a du agrandir le centre de santé...- Mais y avait que Solidarités qui était là? Il n'y avait pas d'autres ONG autour?- Y a d'autres ONG, mais c'est partagé. Là où on était euh...si c'est une petite zone y aura que Solidarités par exemple. Si c'est plos grand, il va y avoir d'autres ONG qui vont travailler sur d'autres aspects enfait. Ca peut être MDM qui est là mais pas pour la nutrition qui est plus là au niveau plus large pour la santé, qui va peut être, qui fait peut être des campagnes de vaccination ou des trucs comme ça.-T'as déjà travaillé avec des gens d'autres ONG ou tu les as croisé enfin...?- Oui oui. Par exemple quand j'étais au Congo, quand on a été confronté à ces déplacés qui sont arrivés, il se trouve que Solidarités a pas pu mobiliser d'urgence des gens, donc on a fait appel à des gens de MSF. MSF Espagne en l'occurence, parce que la situation était dramatique, donc eux ils sont venus avec des véhicules immatriculés à Bordeaux enfin tu vois, ils ont une force de mobilisation, une force de frappe qui est très importante et ils ont amenés des gens et ils ont fait construire des sanitaires euh... enfin ce qu'ils ont amenés c'était des gens pour euh, plutôt logistique enfait.Ils ont fait venir aussi quelques médecins un peu pour relayer ceux qu'on avait nous, des médecins espagnols hein donc pas... si tu veux, les médecins, quand tu fais de l'humanitaire les médecins sont souvent locaux, en tout cas dans le cadre de Solidarités. Pour un programme nutritionnel t'as une infirmière, t'as quelqu'un qui s'occupe de gérer la base, la logistique, l'administratif et puis sinon c'est des personnels local. Donc quand MSF viennent ils emmènent leur personnel à eux, ils font construire par les locaux mais y a...voilà, ils ont tous un T-shirt MSF, visibilité visibilité euh, c'est pas tout à fait la même... on va dire que chaque ONG a un petit peu son identité. On a travaillé aussi un peu avec MDM mais eux ils étaient sur des campagmes de vaccination, y avait un médecin et un logisticien, et l'objectif c'était de...ben eux ils étaient pas euh...dans la ville, vraiment ils rayonnaient partout pour faire des campagnes de vaccination. Et mes résultats d'enquêtes (puisqu'on nous on demandait aussi les cartes de vaccination, on vérifiait si les enfants avaient été vaccinés ou pas) leur on servit à eux pour savoir où cibler leurs campagnes.- Oui donc vous coopériez un peu quand y a vait besoin.- Alors enfait souvent tu coopères au niveau local parce que t'es pas beaucoup sur le terrain, que forcément t'échanges, tu discutes, tu te rencontres, tu dînes ensemble, tu crées des liens, plus ou moins forts en fonction des affinités mais ça... Et après c'est pas forcément des coopérations officielles au niveau national. C'est à dire que quand tu reviens de la base du terrain et que t'arrives à la base en capitale, même si toi t'entretiens des bonnes relations avec les gens du terrain ça veut pas dire qu'au niveau des chefs de missions, ils entretiennent des bonnes relations, c'est très très différent.- Et justement comment vous en parlez de ces relations qu'y a pu y avoir sur le terrain? Tu vois dans les rapports de missions les choses comme ça, estce que c'est plus ou moins dissimulé?- Euh...ça peut clasher. Enfait, les difficultés de communication et de rapport sont liées à des difficultés d'échelles. En réalité dans une ONG t'as plusieurs échelles. Je parle de l'urgence, mais

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pas que. Mais l'urgence c'est plus...il faut être réactif et donc ça pose des problèmes. Le siège en France, pour les ONG françaises, qui a une certaine vision des choses sur ses missions, il a essentiellement des contacts avec les chefs de mission qui sont en capitale. En capitale, t'as un petit bout, enfin à moins que les problèmes soient vraiment dans la capitale, t'as un petit bout de la réalité du terrain, donc t'as une perte d'information. Et après t'as les bases, et moi ce que je faisais c'est que j'allais dans les villages. Tu vois donc t'as plusieurs échelles. En terme de communication c'est assez compliqué de dire que ben voilà: moi sur le terrain j'ai vu ça, tu remontes ça à la personne qui est responsible de la base arrière on appelle ça. Ensuite tu remontes, l'information doit repartir à la base...comment ils appellent ça? Enfin bref, en capitale. Puis après, par exemple pour envoyer des gens à la base arrière à X parce-que y avait une urgence, il fallait réagir tout de suite etc. Il a fallu qu'elle demande au chef de mission, que le chef de mission essaye de convaincre le desk, c'est à dire celui qui s'occupe de chapeauter les missions au siège. Y a pas de répondant au siège, elle court-circuite, elle va voir MSF qui était pas présent sur le terrain mais qu'elle elle avait rencontré en capitale, puisqu'en capitale tu rencontres, tu croises des expats qui font des pauses, qui repartent, qui reviennent. Elle les a court-circuités. Parce-que MSF ils ont un circuit plus efficace ou plus réactif en tout cas pour les urgences, donc eux ils y sont allés. Résultat qu'est ce qui s'est passé?- (Rires) Ca pose des problèmes j'imagine.- Ben oui, le chef de mission il dit euh...ben il gueule quoi. Il gueule aussi parce qu'il est s'est fait engueulé par le desk qui lui a dit: quoi, machin, t'envoies MSF alors qu'on est là? Crédibilité, image, machin machin quoi! Elle elle dit crédibilité image j'en ai rien à faire quoi, y a des gens qui crèvent! Donc voilà, donc si, t'as un... Et moi ma position était particulière parce que j'étais pas attachée à une base en particulier, je bougeais sur toutes les bases. Donc j'ai pu voir toutes les bases, tout leur fonctionnement, je connaissais enfait sur chaque mission je connaissais vraiment tout le monde, et toutes les bases et j'allais encore plus sur le terrain que la plupart des gens qui restaient à la base arrière et au centre de santé. J'ai fais de la brousse plus que la plupart de ces gens là, alors pas tous. Y en a qui m'accompagnaient par exemple, j'essayais de confier une équipe d'enquêteurs à une des infirmières qui s'occupait du centre de santé ou...mais bon on pouvait pas faire ça tout le temps, elle avait d'autres choses à faire. Mais donc t'as un vrai euh... Et la communication se fait essentiellement par des rapports, notamment parce que les bailleurs sont derrière et qu'il faut donner tous les rapports, un énorme rapport après, aux bailleurs. Or, un rapport, quand t'es infirmier t'as aucune envie de faire des rapports quoi. Et résultat, moi j'ai vu des cas où ils étaient pas jugés sur leur travail d'infirmier mais sur les beaux rapports qu'ils faisaient quoi, avec les chiffres, les trucs les machins. - Et il le faisaient? Ils sont vraiment obligés? - Ah oui oui t'es obligé!- C'est des questions très précises ou c'est...?- Oui oui oui. Les bailleurs demandent tant de machin. Par exemple, c'est un peu euh...je me souviens plus des délais mais je sais qu'un enfant qui meurt une semaine après son arrivée entre guillemets c'est pas grave, c'est pas notre faute. 2 semaines, là on considère que c'est notre faute. Enfin tu vois tu as des tas de choses comme ça. Et donc pourquoi? Pour mesurer, pour évaluer l'efficacité de ce que tu fais etc. etc. Alors quand t'es pas à l'aise avec les chiffres etc. Que t'es pas forcément à l'aise avec la rédaction parce que t'es infirmière quoi... Moi j'ai vu des nanas vraiment très très bien se faire casser par le chef de mission parce qu'elles avaient pas des rapports comme ça, ce qui casse un peu l'ambiance au passage.- Et par contre l'inverse aussi est vrai? C'est-à-dire que tu peux...tu voyais des gens qui sur le terrain étaient pas très efficaces et qui avaient des rapports très bien et du coup...?

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- Oui. Ben tu sais quand tu passes du temps à faire tes rapports t'as pas forcément beaucoup de temps pour faire le reste. C'est..enfin c'est facile, je sais pas comment te dire... on a eu une infirmière qui est venue pour compléter l'équipe, en général ils étaient deux et comme y en a une qui est partie y a en une qui est arrivée. Et bizarrement elle, elle a chopé une dysenterie, tu chopes une dysenterie quand t'es vraiment en contact avec les gens. Quand tu chopes vraiment rien et que t'es infirmier... (rires) Non mais même si tu prends, tu peux prendre beaucoup de précautions mais tu te dis elle elle y est allée quoi. Après ça dépend de la façon dont ils se positionnent. Ils se positionnent plus ou moins à distance, ça dépend aussi des personnalités des gens... mais c'est vrai que les beaux rapports ça plaît beaucoup en général aux chefs de mission- Et dans ton boulot à toi tu devais aussi faire des rapports? T'étais évaluée j'imagine.- Moi j'étais pas évaluée, ils attendaient mes chiffres pour savoir si ils continuaient ou pas. Mais c'est vrai que les bailleurs ne voient que les résultats chiffrés alors que y a des circonstances. Et quand dans mon enquête monographique j'ai parlé des moustiquaires par exemple, j'ai posé la question etc. Quand j'en ai parlé et que y a Save the Children qui était dans le coin et qui a dit: Ah mais on a fait la distribution de moustiquaires à cet endroit là! Ben oui mais il en reste plus...Ils les ont revendus ou ils en ont fait des filets de pêche, je sais pas mais... (rires)...mais y en a plu. Donc enfait toutes les observations qualitatives sont absolument pas prises en compte par les... Tu vois tu peux dire à cet endroit là effectivement la prévalence est pas très importante pour l'instant, parce que c'est une photo, mais les récoltes sont mauvaises etc. etc.- Ouais, ils prennent pas en compte ça.- Ah non, c'est en-dessous des 15%, on laisse tomber. On laisse 15% de gens qui meurent de faim ça gêne pas quoi.- Et donc t'as fait 2 ans là? Combien?- J'ai pas fait 2 ans non. Enfait j'ai fait des missions de plusieurs mois donc entre les deux je restais à la maison. Mais enfait j'ai fait ça en 2002 et 2003 avec 4-5 mois au Burundi et 3-4 mois au Congo et puis après je suis tombée enceinte (rires). Je pensais pouvoir partir enfait pendant les 6 premiers mois de ma grossesse sur le terrain. Ils m'attendaient, ils trouvaient que j'avais fait du bon boulot et donc ils voulaient que je continue. Parce qu'en plus les enquêtes nutritionnelles quand tu continue tu les fais tous les 6 mois, donc ils voulaient que je reparte pour un autre pays à côté...- Ils interviennent qu'en Afrique eux?- Non non pas du tout. Historiquement ils interviennent en Afghanistan, ils sont là-bas depuis 25 ans maintenant.- Ah d'accord. Ca date de quand Solidarités?- C'est vieux. Et enfait au début ils avaient trois pays, l'Afghanistan etc. C'était trois associations plus ou moins distinctes qui se sont regroupées, et maintenant ils sont un peu partout, moi ont m'avait rappelée pour aller au Soudan etc.- Et si tu avais pu tu serais repartie?- Ah oui oui. Ca me plaisait bien des missions de 2-3 mois, revenir, repartir, ça c'était gérable au niveau affectif et puis c'était voilà. Mais mon médecin n'a pas voulu (rires).- Et après au niveau du boulot, ça te frustrait pas le fait que les aspects qualitatifs ne soient pas pris en compte?- Si. Y a deux choses qui sont frustrantes quand tu fais de l'urgence, y a ça, le fait que les bailleurs ils regardent que des chiffres, t'as l'impression vraiment que tu parles pas de gens; et le fait que c'est chronique. T'as l'impression que tu fais, c'est défait, faut refaire. Au centre de santé on apprend plein de choses aux mamans puisqu'on on en profite, elles sont là, l'hygiène, la manière de nourir leurs enfants etc. Y a vraiment un travail de fond qui est fait. C'est comme, j'ai rencontré

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une maman dont la fille sortait du centre de santé, quand je suis arrivée, hop elle lui avait mis sa belle robe, la gamine était pas du tout sauvage parce qu'elle avait déjà vu des blancs -parce que je me suis fait quand même...y en a qui ont courru mais à l'autres bout quoi, à l'autre village hein! (rires). Mais enfait c'est très frustrant de pas travailler sur le fond des problèmes mais que sur les symptômes finalement. C'est pour ça que... c''etait un truc de fond le développement mais euh... mais c'est pour ça que je me suis dit après que c'était du développement que je voulais faire. En dehors du fait qu'avec un enfant c'était un peu plus compliqué de partir, mais ma chef de mission avait emmené sa fille au Burundi, enfin en capitale biensûr. Surtout qu'on avait vraiment des consignes de sécurité, on demandait le matin si on pouvait passer aux Nations Unies.- Et d'ailleurs comment tu vivais ce danger toi?- C'est une des premières choses qu'on te dit quand t'es recruté. On te dit qu'il faut respecter les règles de sécurité, nous on veut pas...surtout quand t'es considéré comme jeune. Moi j'ai commencé j'avais donc juste 24 ans, les chefs de mission et compgnie qui avaient 30 ans ils me voyaient comme une gamine. Ils te briefent vachement dessus, t'as des règles, t'appelles ton logisticien, t'as des règles de communication à la radio etc. T'es vraiment formé à ça. Mais moi je me suis jamais sentie en déjà personnellement. Les rares, enfin surtout les ONG classiques, parce que par exemple le CICR ils vont dans les prisons enfin, il y a des ONG plus cibles que d'autres, et puis ils ont plus de matos donc c'est plus intéressant aussi de les intercepter.- Solidarités c'était pas très dangereux...- Non. C'est pas des cow-boys, ils t'envoient pas dans une zone où tu peux pas travailler, ils t'envoient pas dans des zones dangereuses. Là c'est le logisticien qui s'occupe de la sécurité des équipes qui te dit oui tu peux y aller ou non tu peux pas y aller. C'est le logisticien de la base qui va appeller le national qui va croiser avec ses propres infos et qui va dire c'est bon tu peux y aller. Mais moi je me suis jamais sentie en danger personnellement.- Et avant de partir? J'imagine que c'est un truc que tu réfléchis un peu non?- Non, ce serait peut être dfférent maintenant que j'ai des enfants mais à l'époque non.- Mais ça peut être attirant justement, y a certaines personnes qui font de l'urgence aussi pour ça.- Oui. Ah oui oui. Mais faut aller dans des ONG un peu plus cow-boys. Après, c'est pas forcément une bonne chose d'être catalogué comme une ONG cow boy parce que es bailleurs ils vont pas y aller, ils vont plus te faire confiance et puis les assurances c'est pareil. Enfait t'as une assurance spéciale, pour fait de guerre, quand tu pars, ils payent une assurance à un prix assez important parce que ton assurance personnelle ne couvre évidemment pas ce genre de situation. (rires)- Et après ça, tu es directement allée à ISF?- Non, alors après ça je suis revenue, j'ai eu mon bébé, et puis après j'ai galéré encore, pareil petits boulots à droite à gauche. J'ai galéré parce que euh.. parce que sur mon CV quand je cherchais un boulot en France, ils me disaient ben non parce que vous allez repartir. Alors en même temps j'allais pas leur dire ben non j'ai un bébé donc je vais pas repartir parce qu'un bébé c'est aussi limitant. Surtout que dans les associations on te demande d'être disponible mais enfait euh on veut pas dire flexible, parce que ça fait trop néo-libéral mais n'empêche que c'est ça hein. Donc j'ai bien galéré euh...- Tu cherchais plutôt où là?- Je cherchais des postes en France, un petit peu tout là: urgence, développement euh...mais j'étais pas technique non plus, un profil un peu bizarre, donc je cherchais plutôt des postes de chargée de mission, chargée de projet, je cherchais aussi dans les collectivités, enfin un peu de tout. Mais voilà, j'avais pas de crédibilité parce que ils croyaient que j'allais pas rester. Du coup j'ai repris une formation, j'ai fait une formation de gestion de projet pour casser un peu cette image d'urgence et puis c'est là que j'ai fait un stage à ISF et c'est là qu'ils m'ont créé un poste.

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- Et c'était quoi cette formation?- Gestion de projet au CNAM à Paris, c'est une formation professionnelle, un master spécialisé que tu ne peux faire que quand tu as déjà un peu travaillé avant.- D'accord, mais gestion de projet générale?- Oui, gestion de projets internationaux donc très très large. Et c'est là que je me suis aperçue que je savais déjà faire, enfin que j'avais déjà fait ça quand j'avais fait mes enquêtes puisque j'avais plannifié les tâches, répartis les ressources enfin bref. Et c'est à l'issue de ça que j'ai trouvé mon stage ici. J'ai fait à peu près l'équivalent de ton stage qui à l'époque n'existait pas vraiment.- Pourquoi?- Ce qui existait c'était les coléos mais les bilans partenariaux avaient été menés uniquement par l'équipe accompagnement jusque là. Donc c'était la première fois qu'ils prennaient un stagiaire pour faire les deux. Enfait c'est la première fois finalement que le nombre de bilans commençait à être important par rapport au nombre de coléos. Et on m'a demandé de faire une évaluation de ce système, est-ce qu'il fallait le continuer ou pas et puis de savoit si c'était bien connu par les groupes enfin voilà. C'était la deuxième année mais la première année c'était uniquement les bénévoles qui s'en été occupés. Ben notamment Pierre André et puis Bruno Lebansais.- Et comment tu avais trouvé ISF?- Alors c'est tordu. Pour ma thèse professionnelle je travaillais sur les rapports entre les bénévoles et les professionnels dans une même structure. Donc je travaillais ça dans une association sportive, dans une collectivité territoriale entre élus et opérationnels et puis à ISF. Dans le cadre de cette thèse j'avais été en contact avec quelqu'un de la SPA et quelqu'un de la Fondation de France qui étaient des anciennes de mon mastère. C'est une ancienne de ce mastère qui travaillait à la Fondation de France mais qui était gestionnaire, complètement gestionnaire, qui a un peu cassé l'image de la Fondation de France (rires), c'est une banque quoi.- Pourquoi tu voyais ça comment toi?- Non je pensais qu'y avait plus de travail sur le suivi des projets. Donc moi ça m'intéressait à ce niveau là. En me disant ouais suivre des projets, enfin suivre des projets, même de loin, instruire des projets etc. Mais enfait c'est très financier. Et donc elle elle connaissait ISF par des biais personnels. Et elle m'a dit tiens c'est rigolo ça me fait penser à une réflexion d'ISF, ils travaillent sur ce type de... ils ont ce type de préoccupations etc. Donc elle m'a donné le numéro de Simon Godeffroy, qui était président. Donc je l'ai appelé.- Ca c'était 2004?- C'était...en 2004, attend non 2005. Oui je suis rentrée en 2005 à ISF. Et donc j'appelle et il me dit tiens ce serait bien que tu fasses un stage et le stage qu'ils m'ont proposé c'était un stage JN, à l'époque y avait un stage pour organiser les JN. Mais comme j'avais pas de mode de garde j'ai pas pu accepter ce stage là. J'ai commencé un autre stage à la SNCF et ça m'a pas plu parce qu'on faisais rien. Ils étaient très bien payés mais pour ne rien faire.- Un stage à la SNCF?- Oui. Parce que j'étais en gestion de projet donc il s'agissait officiellement je devais participer à une gestion de projet machin machin. Tout ce qui comptais c'était que je fasse un stage de gestion de projet donc je me suis dit pourquoi pas. Parce que dans les assos j'avais quand même pas mal galéré et puis là c'était rémunérateur, c'était je crois 800 euros par moi quoi. Mais sauf que je faisais rien, ils voulaient limite que je détermine ce que j'allais faire.- Et dans les asso t'avais galéré, à trouver tu veux dire?- Le stage? Oui, parce que j'étais en décalé sur les dates et puisque c'était pas...maintenant c'est plus souple (rires), vu le nombre de stagiaires qu'ils prennent ils les prennent toute l'année.- Mais t'aurais quand même préféré? Parce que définitivement toi c'était l'asso et rien d'autre.

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- Ouais. Et quand j'ai vu comment fonctionnait la SNCF je me suis dit ouaouh, je me barre. Au début j'y avais pensé, c'était le service RH, y a avait quelque chose qui me plaîsait dans cette...et puis enfait non c'est de la...voilà.- Donc t'as fait ce stage là et puis...- J'ai fait 2 semaines et puis ça m'a saoûlé et puis j'ai eu euh... on va dire l'occasion d'arrêter le stage. Enfin enfait voilà, mon père est mort d'un accident de moto pendant ce stage et j'ai utilisé ce prétexte, qui était pas forcément faux parce qu'on me l'a annoncé quand j'étais là-bas, voilà j'ai arrêté le stage et j'ai préféré prendre ISF. Enfin, il se trouve qu'à ce moment là y avait un autre stage qui commençait, c'était le stage BP et coléos. Et donc Audrey m'a recontactée. Parce qu'en fait j'étais venue ici pour entretien et tout, j'avais rencontré Judith qui était l'ancienne salariée et un bénévole et on avait discuté machin, ils trouvaient que ça collait super bien sauf que j'avais pas de mode de garde donc ils ont pris quelqu'un d'autre. Mais elle avait gardé cette idée là, elle m'a contactée et c'est comme ça que j'ai fais mon stage à ISF. Voilà, J'ai fini mon stage en juin et puis j'ai du rentrer début octobre. Entre temps j'avais trouvé un boulot d'aide à domicile. C'était très formateur mais c'était de l'exploitation finie. Tu faisais 39h payées 35 et c'était très prenant. Mais ça m'intéressait, ça m'a beaucoup appris sur les RH parce qu'on faisait de tout: de la planification, de la relation clients, de la gestion RH enfin tu vois c'était très enrichissant.- C'était où, dans une collectivité ou...?- Non non c'était une société de...c'était une entreprise, ce qui me psait un peu question. J'ai dit bosser pour des actionnaires ça me saoûle quoi...que moi je travaille et que ça rapporte à des actionnaires alors que moi franchement je gagne une misère...Et donc j'ai mis fin à ma période d'essai au bout de 2 mois puisque Audrey m'avait dit, elle m'avait dit déjà, voilà j'essaye de monter un financement pour avoir ce projet là etc. si ça marche on te prendra etc. Et puis on s'est rencontrées l'été et j'ai obtenu le poste.(rires) On a pas fait d'entretien ni rien. Et donc à partir de ce moment là j'ai travaillé sur le projet d'étude “Normes” et puis sur Alimenterre.- Et donc Normes c'était juste lancé à l'époque enfait? Ils voulaient le lancer et...?- C'était Normes II. Enfait Normes, j'avais commencé... quand j'étais stagiaire, y a Julie Couturier qui était là, qui faisait le travail en France, c'est à dire qui allait poser toutes les questions auprès des ONG, qui prenait des RDV avec eux pour savoir qu'est ce que eux ils pensaient de la normalisation volontaire. Enfin, quels impacts ils voyaient et ils se sont aperçus qu'ils voyaient rien du tout, en gros hein dans l'ensemble. Donc on s'est dit maintenant il faut aller au Sud. Et c'est dans ce cadre là si tu veux que le projet a été monté par Audrey avec Julie notamment et Christophe Alliot et ensuite, ben moi j'ai tout préparé avant de partir en congé maternité. Et c'est au moment des missions que Hélène Mocquet m'a remplacée, elle étant agro, ce qui nous arrangeait un petit peu parce que y avait toute une partie, où pour la rédaction du mémoire, on pensait prendre en plus quelqu'un de plus technique. Donc voilà. Donc enfait j'ai vraiment monté le projet, les missions, voilà. Et depuis je change de projet tout le temps. Ca fait 5 ans. Ca fait que 4 ans que je suis salariée mais...- Pourquoi? Ah oui parce que la première année...- J'ai fait 7 mois de stage enfait. Ce qui m'a permis de bien connaître ISF. Ensuite, j'étais seule ici la plupart du temps parce qu'Audrey était en partie en télé-travail et du coup je faisais un peu de tout. J'ai beaucoup débroussaillé à l'époque parce qu'on ne savait rien sur les personnes (rires), personne ne savait ce que c'était qu'un bilan, on savait rien sur les groupes (rires), j'ai passé beaucoup de temps au téléphone mais j'ai aussi travaillé sur l'évaluation, j'ai réfléchi aussi à la manière de gérer les personnes ressources, d'où les tableaux avec beaucoup de couleurs c'est moi (rires), enfin tu vois voilà. A chaque fois ces stages là, le but du jeu c'est d'améliorer donc euh tu vois Xiména a mis en place les évaluations, tu vois chaque fois on essaye d'avancer un peu plus

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quand on a un stagiaire qui a envie de compléter son stage si on peut dire.- Dans ton boulot à l'heure actuelle, quelles sont les contraintes essentielles qui pèsent sur ton boulot d'après toi?- Travailler avec des bénévoles. Euh...je n'ai jamais enfait vraiment...si ben si, quand j'étais volontaire on était tous volontaires mais on était considérés comme des pros. C'est à dire qu'on était volontaires mais on bossait 24h sur 24. Ou plutôt on l'était possiblement c'est à dire que le dimanche en général on bossait pas mais si y avait une nécessité on le faisait quoi. On vivait ensemble tous, on était tout le temps dans ce boulot et on était des gens...tu fais pas partir des volontaires qui savent rien faire entre guillemets quoi. Tu vois c'est pas des gens qui connaissent pas le développement enfin, qui connaissent pas l'urgence, qui auraient pas connu ce genre de choses. Enfait on utilise...t'as des compétences et on les utilise dans ton truc. Alors t'apprends sur plein de choses hein, c'est très enrichissant au niveau personnel, ça te permet aussi de mieux te connaître et y a des moments très durs enfin voilà, y a un ensemble de choses, Mais, t'es considéré comme un pro. Tu travailles avec des gens qui sont des pros. Alors soit c'est des employés locaux, donc qui sont salariés qui sont professionnels, soit c'est les autres volontaires mais qui ont un travail assez intensif etc. et qui sont des profe...enfin, qui sont pas des professionnels mais on est considérés comme ça. Donc quand tu travaille avec des pros ben t'attends pas, tu demandes un truc tu l'as, biensûr y a toujours des délais qui peuvent se rallonger mais tu peux exiger d'eux la même chose qu'un professionnel, enfait quand t'es volontaire on exige de toi d'être le plus professionnel possible. Donc c'est pour ça que c'est un peu un statut euh...mais bon sur place t'as aucun frais.- Mais de toute façon volontaire ne veut pas dire bénévole.- Ah non non c'est pas du bénévolat, on te demande de faire un travail, t'es indeminisé pour ce travail, sur place du dépense pas beaucoup donc à l'arrivée t'as un petit SMIC. J'avais 700 euros + les 200 dollars que j'avais par mois sur place, que je dépensais pas parce qu'y avait pas... Après à ISF c'est particulier parce que tu travailles avec des bénévoles à tous les niveaux. C'est pas quelqu'un qui va travailler avec plusieurs salariés pour un certain nombre d'activités et puis qui va par exemple former les bénévoles, demander des retours aux bénévoles etc. Tu travailles avec des bénévoles qui sont étudiants, qui ont entre guillements (rires) la thare d'être étudiants en plus d'être bénévoles. Ce qui à la fois peut donner des gens qui ont une énergie, du temps, qui sont assez extraordinaires, qui ont une vision des choses etc. Et en même temps des gens qui sont moins que pros c'est à dire que des gens qui ne sont pas en activité peuvent être euh...considérer qu'ils ont aucune deadline etc. Donc enfait j'ai aucun rapport hiérarchique avec les gens avec lesquels je travaille. Bon c'est un peu le principe de la coordination de projet. En général t'as pas de rapport hiérarchique avec les gens, mais par contre tu peux aller voir le chef et dire écoute là ton gars il est sympa mais il m'a pas fait ça. Bon le but c'est d'éviter mais...Alors que là c'est pas possible. Les gens, tu ne peux pas. Et autant Nicolas a un statut hiérarchique par rapport à eux parce que ils sont responsables de choses et lui en tant que DG il les coordonne, enfin il les fait travailler et il peut exiger des choses d'eux. Autant moi en tant que entre guillemets simple chargée de mission, enfin de programmes, je ne peux pas le faire. Je ne peux pas vraiment leur taper sur les doigts. Je peux les relancer. Mais par exemple les groupes c'est très délicat. Parce que les étudiants sont très susceptibles. Si tu veux que le groupe continue à travailler avec la féderation...c'est le principe de fédération aussi qui fait que c'est des associations indépendantes qui font ce qui veulent sur pas mal de points. Mais en tant qu'étudiants et en tant qu'associations indépendantes, y a plein de choses dont ils ont aucune envie de nous parler, ils voient pas l'intérêt, ils savent même pas qu'on existe, enfin ça les intéresse pas etc. Donc ils sont pas pros parce que quand t'exiges des choses d'eux, bien carrées et tout, y en a qui vont le faire, ils vont faire des

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super trucs mais la plupart du temps il faut les encadrer beaucoup. Ca c'est le côté étudiant. Pour les bénévoles qui sont en activité, c'est moins le manque de rigueur parce que ils sont souvent, sauf exceptions, la plupart du temps s'ils restent en tant que bénévoles c'est parce qu'ils sont motivés, ils y croient. Leur gros défaut c'est le manque de temps mais c'est moins le manque d'envie quoi. Les groupes, leur gros défaut c'est qu'ils ont aucune envie de communiquer et que ils ne tiennent pas leurs engagements parce que souvent, les ingénieurs ils sont allés en prépa où ils étaient super encadrés, ils sont dans des Ecoles où ils sont très encadrés et finalement je les trouve, à la sortie de l'école ou même pendant, assez infantilisés. En tout cas, pas forcément responsables. Alors après y a des éducations très différentes etc. y a des gens très divers. Mais, c'est pas à l'Ecole qu'on leur apprend la responsabilité ça c'est sûr, ils apprennent ça à ISF.- Oui oui c'est sûr, t'as ce boulot là à faire aussi.- Voilà, donc moi faut que je materne un peu tout le monde (rires). Mais en même temps, c'est le renouvellement intense à ISF qui fait que c'est une des associations, parmi celles que je connais, qui fait du développement, même si elle fait beaucoup d'EAD, qui a la réflexion la plus poussée sur ce sujet là, qui se pose le plus de questions. Et ça, si c'était des pros, ça n'existerait pas.- Tu veux dire, sur le sujet de...?- du développement, de l'intervention , de la place des gens du Nord dans le développement etc.- Tu penses que c'est parce qu'il y a ce renouvellement?- Ah oui. Ca va plus vite, parce que t'as pas la position de l'ex soixante-huitard qui est toujours aux commandes. C'est pas possible. Tu peux pas être dogmatique à ISF. Parce que dans 2 ans le président il a changé et il veut faire autre chose. Alors ça a un défaut, c'est que des fois t'as l'impression que...et c'est pour ça que c'est important qu'il y ait quand même des anciens qui restent dans le coin et qui éventuellement disent: non mais attendez, ça on l'a déjà fait. C'est pour ça aussi que les salariés ont ce...même si c'est une petite structure donc les salariés restent pas non plus 10 ans etc. mais c'est important d'avoir aussi des salariés qui font aussi l'histoire, qui tiennent, qui assurent la permanence. C'est important d'avoir l'historique d'ISF pour pas refaire les mêmes conneries, pour euh...mais en même temps, c'est un débat qui est nourrit en permanence. A ISF, y a 10 ans tu pouvais pas parler de décroissance quoi, maintenant tu peux en parler parce que ça a évolué, parce que on se pose des questions différemment, pacre que on est plus financés par...la revue Alteractif est plus financée par l'Institut Français du Pétrole enfin tu vois.- Ah oui, c'était financé par ça à une époque?- Par Péchiney euh ISF a été financée donc y a, la réflexion...l'objectif des gens qui nous finançaient c'était d'attirer les élèves ingénieurs plus tard, c'était une période de plein empl...enfin, avec plus d'emplois pour les ingénieurs etc. Maintenant on est beaucoup plus critique sur nos sponsors.- Et par rapport justement aux financements, est ce que c'est un sujet de débat important ou est ce que...là qui s'en occupe?- Alors Nicolas, mais le bureau doit valider quand y a question. Par exemple 3M, on a un financement possible avec 3M, c'est sous conditions.- C'est le bureau qui pose les conditions?- Le bureau débat de ça. Nicolas connaît déjà un certain nombre de conditions minimales, si tu veux c'est toujours pareil, on est salariés mais on est forcément un petit peu d'accord avec ce qu'on fait et...que ce soit...moi je suis capable de représenter ISF et les questions que va se poser à peu près ISF, même si j'ai pas le temps de réfléchir à la stratégie politique d'ISF et puis c'est pas mon rôle, c'est le rôle du CA, du bureau mais pas de moi...euh...je suis capable de les représenter. Je sais ce qu'ils pensent entre guillemets, au sens large du terme. Après y a des choses que moi je pense et puis ISF va être plus nuancé sur ce sujet là par exemple. Mais y a des choses avec

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lesquelles je suis tout à fait en accord quoi. Après Nicolas c'est pareil, lui en tant que DG, c'est plutôt lui qui est responsable de chercher les financements, même si moi je participe aux dossiers, aux rapports techniques etc. forcément si c'est moi qui fait les projets c'est moi qui rapporte dessus. C'est vrai que quand on recherche des financements ça pose toujours question. De même qu'y avait une question est ce qu'on va sur veo surch. Veo surch c'est un moteur de recherche qui est sensé reverser de l'argent à des ONG à chaque fois que tu fais une recherche dessus. On s'était posé la question parce que publicité parce que...et ça fait débat, ça fait débat au CA, parfois au bureau seulement, ça dépend un petit peu. Sur 3M, je sais qu'ils ont beaucoup discuté et Nicolas est en négociation, c'est lui qui va aller négocier parce que y a des conditions, parce qu'on veut pas un logo 3M partout, parce qu'ils voulaient financer un projet et lui a expliqué qu'il voulait pas un projet parce qu'on a pas de projet photovoltaïque. Ils nous ont choisit parce qu'ils font du photovoltaïque et nous ce qu'on veut leur vendre c'est notre projet global. Ce qui est pas complètement idiot ils ont des ingénieurs dans leur entreprise, ils travaillent sur les énergies renouvelables et nous aussi.”- Est-ce que vous avez toujours un peu les mêmes bailleurs plus ou moins?- Oui. Alors, les gros bailleurs c'est les bailleurs publics encore. C'est Ministère de la Jeunesse et de la Vie Associative, mais enfin qui vient de nous sucrer...sur 28 000 euros demandés ils nous en ont filé 17 000 là, donc ça fait une grosse perte par rapport à ce qu'ils nous donnaient avant. Y a de moins en moins...les publics réduisent au maximum.- Mais c'est pas propre à ISF?- Non. Alors j'imagine qu'il y a des associations qui s'en sortent bien, qui sont liées politiquement on va dire, qui ont peut être un objet politique qui intéresse plus le gouvernement actuel. Il faut pas oublier ça quand même, mais effectivement c'est global, depuis 2002, changement de gouvernement, les associations, l'idée c'est quand même de les détruire petit à petit...Alors on avait aussi un financement Ministère des Affaires Etrangères sur l'éducation au développement qu'on a pas encore réussi à reconduire avec l'AFD, et on a un financement Ministère de l'Environnement pour 2010. Je sais pas si on va le reconduire celui-là en 2011, ça dépendra ce qu'on présente comme projet. On a donc, notre avantage c'est qu'on est sur plusieurs secteurs, on peut demander à Jeunesse parce qu'on travaille avec des étudiants, au MAE parce qu'on travaille à l'international et au Ministère de l'Environnement au sens large parce qu'il change tout le temps de nom, parce qu'on travaille sur le développement durable même si pour nous il a un sens plus large que pour le ministère en question. Donc on peut taper sur ces différentes choses. Sauf que le MAE ne donne plus d'argent donc c'est l'AFD maintenant.- Ca fait combien de temps ça?- Janvier 2009.- Et pourquoi?- C'est une manière de...c'est une agence parapu...enfin c'est public si tu veux l'AFD, ça permet de plus donner l'accès...finalement les ONG ont plus accès aux politiques mais seulement à celui qui va mettre en oeuvre la politique. Ca permet...c'est des agences quoi. Maintenant tout est géré par des agences publiques. C'est tout ce qui est mise en oeuvre, ça remonte pas au MAE. Par contre pour l'environnement on en est pas encore là, malgré l'ADEME qui finance aussi pas mal de choses. Si tu veux ça permet d'avoir une agence qui est plus pragmatique qui est plus...et moins sur la politique elle-même.- Et ça change quelque chose pour vous, concrètement?- Ca change quelque chose parce qu'il faut expliquer à des gens qui ne savent absolument pas ce que c'est que l'éducation au développement et à quoi ça sert.- Tu veux dire à l'AFD? Parce qu'avant y avait pas à le faire avec le MAE?

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- Non, parce que c'était des gens qui connaissaient, parce que y avait une mission qui s'appelait la MAAIONG qui était une mission interministérielle avec les ONG. Donc toutes les ONG qui voulaient pouvaient venir, y avait des représentants des différents ministères (Jeunesse etc.) qui donnaient des subventions aux ONG et donc c'était un lieu d'échange. Ce lieu d'échange là n'existe plus. De toute façon il a entre guillemets plus de raison d'être, c'est l'AFD quoi, c'est des techniciens, c'est pas des gens -même si c'étaient des administratifs qu'on voyait- mais c'est complètement différent, c'est pas des gens qui appliquent une politique, c'est des gens qui traitent des dossiers. Et effectivement ils connaissent pas forcément même s'ils ont repris une partie de l'équipe qui était à la MAAIONG, y a en qui connaissent pas, le directeur de l'AFD il sait pas ce que c'est l'éducation au développement, la seule chose qui l'intéresse c'est les infrastructures. C'est ce que tu fais en dur. Et en plus les financements qu'on leur demande sont peanuts pour eux. Quand tu demande un financement de 20 000 euros à l'AFD mais...eux c'est des millions qu'ils traitent. Et puis l'AFD c'est une banque donc c'est pas que des dons, c'est des prêts aussi, beaucoup de prêts.- Et donc vous devez présenter des projets différents? Ou différemment?- Oui a priori. On doit etablir une nouvelle relation avec eux, ça nous fait perdre beaucoup de temps, et puis on doit leur présenter un projet qui va leur parler. Et c'est difficile...- Et les projets, c'est des projets que vous présentez sur l'année?- Jusqu'à présent ce qu'on d'eposait au MAE c'était en consortium. On était avec Déclic (une association qui est morte maintenant et qui faisait de la communication envers les étudiants, qui traduisait les campagnes classiques en campagnes étudiantes), la FAGE (syndicat étudiant qui regroupe énormément d'associations d'étudiants sur le territoire, alors pas vraiment dans notre domaine mais justement médecine, pharmacie, fac...). On présentait un dossier commun et on s'en sortait avec 20 000 euros chacun, sur une campagnes précise. On disait on fait cette campagne ensemble.- C'était que de l'EAD là?- Voilà. On disait on va avoir tel, tel et tel résultat. Ben, l'EAD c'est quand même le coeur de notre métier malgré tout. Puisqu'on fait de l'EAD ne serait-ce qu'auprès de nos membres. Tous les ans on forme de nouveaux ingénieurs au développement, à la solidarité internationale, au développement durable etc.- Et vous demandez ça au MAE parce que c'est votre financeur principal?- Oui. Au départ, l'éducation au développement c'était le MAE, donc on leur demandait à eux. Seulement le problème des entités publiques c'est qu'elles ont toutes envie qu'on se regroupe. Sauf que si on se regroupe pas c'est parce qu'on est pas toujours d'accord. En l'occurrence le consortium a explosé parce que ça marchait pas du tout avec Déclic, on avait l'impression qu'ils se mettaient surtout beaucoup d'argent dans la poche et qu'ils nous apportaient rien, en terme de visuel, en terme de ce qu'ils auraient dû apporter.- En terme de visuel, tu veux dire quoi?- L'idée c'était que c'est eux qui traduisait en langage étudiant, sauf que l'AFAJ entre temps a acquis ce genre de compétences parce que eux mêmes font des campagnes sur d'autres sujets. Là c'était que les campagnes de solidarité internationale qu'on faisait avec eux. Du coup le consortium s'est arrêté. Peut-être que s'il avait continué tel quel on aurait continué les financements au moins la 1ère année. Mais ça s'est arrêté donc on a perdu ce financement là. Donc maintenant il faut qu'on recommence à leur dire: si ça a un intérêt même si on fait ça tous seuls.- Leur intérêt à eux c'est que ça ait un gros impact enfait?- Eux, ils veulent des gros trucs. Ils veulent qu'on se mette d'accord, parce que ça leur permet de

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décaisser une fois, ils veulent qu'on se regroupe, c'est la politique euh...- Parce que c'est plus pratique?- Oui c'est plus pratique et puis ça permet de noyer aussi...en France on a beaucoup de petites associations qui ont toutes des particularités, une opinion différente. En dehors du fait que c'est un peu dur à gérer au niveau des demandes de subventions et tout, c'est la démocratie! (rires) et on peut pas dire qu'on ait un gouvernement qui soit favorable à la démocratie et à l'expression des différentes tendances et des différentes opinions. Donc des gens qui se regroupent ça fait moins d'interlocuteurs, c'est plus facile à comprendre et puis ça fait moins d'opinions qui sortent. Puisque si tout le monde fait la même campagne, ça fait qu'une campagne. Alors après y a un intérêt aussi à faire des campagnes en collectif. Par exemple sur Alimenterre ou sur Une seule Planète c'est du collectif. Mais c'est nous on choisit de se regouper pour mettre en oeuvre ces campagnes là mais chacun à son mot à dire et c'est nous qui faisons c'est pas eux qui nous obligent à nous regrouper tu vois. Et là c'est des financements européens d'ailleurs sur ces campagnes là.- Et donc là ça se passe comment? Vous vous regroupez avec d'autres...avec qui d'ailleurs?- On crée des collectifs. Alimenterre c'est le CFSI, collectif dont nous sommes membres, qui l'organise tous les ans. C'est une campagne qui a 10 ans, qui s'installe, qui commence à être un peu plus connue. Nous on la relaie tous les ans, parce qu'elle correspond à nos valeurs, elle a été un peu recadrée pour répondre aux exigences des membres. Y a que deux membres qui la relaient, c'est nous et Cap Solidarités qui sont à Lille. Ca c'est une machine qui tourne.- Que deux membres du CFSI tu veux dire?- Oui. Les autres c'est des relais extérieurs au CFSI, qui participent à la campagne, font partie du comité de pilotage national où on valide des décisions, on change des choses etc. Mais c'est d'autres réseaux. Ce qui assez intéressant d'ailleurs pour nous, ça permet de toucher d'autres personnes, enfin de voir des gens en région qui...et c'est pas mal parce que les pôles et relais ils sont en régions donc on essaie de mettre nos groupes avec, parce que nous on est un peu bizarres, on est nationaux mais pas à Paris, un peu partout (rires).- Tu peux me citer quelques noms?- Y a Anis étoilé, Cap Solidarités, c'est des petites associations locales. Y a le RADSI dont est membre ISF Bordeaux qui avait co-organisé l'université d'été. Y a des Artisans du Monde qui le relaie, y avait AVSF mais ils on arrêté puisqu'ils ont quittés aussi le CFSI. Y a des tas d'O...d'associations, y a le RECIDEV à Besançon, des centres RITMO, y a de tout, tous ceux qui ont envie de le faire le font, avec les outils du CFSI, ils présentent ce qu'ils vont faire. Nous on a encore un statut particulier... (rires) nous le CFSI ne nous finance pas pour participer à la campagne Alimenterre. Ils l'ont fait une année, parce que c'était dans le cadre du consortium.- Et les autres Déclic et l'AFAJ ils faisaient partie du CFSI?- Non non.- Mais ça marchait quand même? C'est compliqué tout ça! (rires)- Par contre ils faisaient partie du CFSI pour relayer leur campagne. Mais effectivement ça a été aussi des discussions parce que comme ils finançaient, c'est nous qu'ils ont financé enfin c'est tout un...donc ils présentent leurs projets et demandent tant et le CFSI donne tant d'argent, c'est comme un petit, c'est un appel à projet quoi, mais avec des gens déjà identifiés. Le CFSI fournit les outils, qui sont co-élaborés puisqu'en comité de pilotage on donne notre avis sur le graphisme, le choix de ceci etc. Et puis ils forment, moi y a une formation que je vais faire au mois de septembre à Lille, pour lancer la campagne.- Donc c'est le CFSI qui organise tout ça et les financements se demandent au niveau européen.- Oui, mais c'est le CFSI qui le demande. Et pourquoi au niveau européen ben d'abord parce que

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c'est eux qui donnent de l'argent mais c'est fait parce qu'ils ont un partenaire en Pologne et un partenaire en Belgique, c'est SOS Faim et ça leur permet de déposer une demande de financement, parce qu'il faut des partenaires européens.- Ah oui. Pour tout projet?- Pas pour tout projet, pour Normes on l'a pas fait. Mais la plupart des projets euh...ça demande aussi des gros trucs. Par exemple le projet Une seule planète c'est pareil, c'est financé par l'Europe. C'est le CRID en partenariat avec la CNCD 11 11 qui est une association en Belgique, c'est un peu le Coordination Sud belge, enfin en moins grand mais... et avec des partenaires bulgare et hongrois. L'idée c'est de mener la campagne sur ces 4 pays. Alors chacun à sa manière mais avec des objectifs quand même...Cette campagne c'est un collectif, le CRID dont nous sommes membres, qui l'organise et qui a demandé à ses membres qui voulait participer à la campagne. Nous on a un peu loupé le coche donc on ne fait pas partie du dossier de financement européen. On est pas “associé” à la campagne du coup, c'est un terme très admnistratif pour l'Europe. Mais par contre, on s'est inclus par des biais un peu tordus de manière à financer une partie de mon poste pour que moi je puisse coordonner la campagne au niveau des groupes ISF et assister à tous les comités de pilotage, qu'on donne notre avis, donc fianalement on est dans le comité de pilotage mais de manière informelle et on se fait financer par le CRID, parce que le CRID a le droit de financer ses membres.- Ok, et sinon les financements européens vous n'en demandez aucun directement?- Non. On a demandé une fois pour Normes, c'était une opportunité. Y avait un sujet sur le commerce équitable, on l'a utilisée. Mais sinon non, Parce qu'il faut des garanties financières importantes la plupart du temps. Nous on avait demandé 50 000 euros ou un truc comme ça, c'est rien pour eux. Donc il faut des projets beaucoup plus gros et il faut souvent des partenaires européens. Donc nous on demande pas à l'Europe, c'est trop gros pour nous.- D'accord. Donc tu disais plutôt maintenant l'AFD, le Ministère de la Jeunesse, de l'Environnement et après dans le privé?- Alors dans le privé y a les particuliers, c'est 50 000 euros par an pour nous donc c'est 25% de notre budget c'est assez important. Y a des associations qui sont à 100% comme MSF, Oxfam, Greenpeace qui sont à 100% privés. C'est leur politique qui leur permet d'être indépendantes si tu veux. Alors souvent c'est... MSF par exemple ils prennent beaucoup aux Etats-Unis. Parce qu'aux Etats-Unis tu peux donner, enfin fiscalement c'est beaucoup plus intéressant. Et puis y a une politique de dons qui est plus...c'est très différent. C'est comme Oxfam tu sais qui a des boutiques d'occasion et quand tu donnes à Oxfam (pas en France), tu as un reçu et c'est déduit fiscalement. C'est des systèmes qui font qu'ils arrivent à engranger beaucoup plus d'argent. Par exemple Oxfam France est financée par Oxfam international beaucoup. Mais là ils font une boutique de livres d'occasion sur Lille et ils vont je crois en ouvrir une sur Paris aussi, pour se financer. MSF ils sont financés par MSF Etats-Unis. Alors c'est très rigolo parcequ'MSF Etats- unis n'est pas opérationnelle, c'est juste, ils sont juste là pour ramasser du fric. Ils envoient personne sur le terrain. C'est un peu la bagarre d'ailleurs mais...ça c'est encore autre chose... (rires)- Oui. Et d'où l'importance de la communication du coup et tout ça.- Ah oui, ça veut dire que ouais c'est un gros... c'est comme Greenpeace qui vient dans la rue etc. Donc nous c'est quand même assez important pour une association de ce type qui fait appel à différents types, à différentes sources de financement. C'est pas suffisant parce que les financements publics baissent beaucoup. Et au niveau privé on a Schlumberger qui nous donne 8000 euros par an (parce que je sais plus qui était là-bas) sans rien nous demander, on a déjà eu JP Morgan sur les questions d'environnement, énergie, développement durable (c'est du 10 000 euros par an des trucs comme ça). Là on a donc la possibilité avec 3M. Mais c'est toujours pareil avec

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les entreprises, on a eu la Fondation Nicolas Hulot aussi, on peut aussi aller voir dans les fondations qui sont privées, mais euh...- C'est pas des trucs réguliers euh...- Non parce que Nicolas Hulot par exemple c'était assez ponctuel. Ils fonctionnent souvent par projet et il faut qu'on rentre dans les clous. Or, comme on ne fait pas que de la réalisation sur le terrain, c'est pas évident de se faire financer, par exemple de faire financer des études sur la place des ingénieurs du sud ça a été assez compliqué. Il a fallu qu'on passe par le F3E qui est un collectif. Il nous finance une partie. Enfait c'est un fond auquel on côtise pour l'évaluation etc. Donc ils sont intéressés mais tu peux pas faire financer des études tous les ans. Donc c'est toujours compliqué. Et pour autant ça nous intéresse beaucoup de faire ce genre de chose parce que ça fait ressortir, ça nous donne de la matière ensuite qu'on a un peu de mal encore a valoriser mais petit à petit on va trouver la manière de faire en fonction des différents euh...”- Et ce genre d'études transversales, un peu recherche-action, c'est des choses qui existent depuis longtemps à ISF?- Non. Le premier c'est Normes. Ce qui est très ISFien c'est que dans ces études on implique toujours des membres de groupes, qu'on fait pas faire ça par un prestataire, ce qui est très difficle à gérer parce que ça veut dire demander à des élèves ingénieurs d'acquérir des compétences en sociologie enfin voilà, y a un certain nombre de freins, ils font aussi leurs études d'ingénieur enfin voilà. C'est extrêmement enrichissant pour eux mais c'est très coûteux en temps et en énergie pour nous. Donc c'est vrai que là actuellement on se positionne plus sur quelqu'un qui le ferait lui-même, on embaucherait un chargé de projet. Pourquoi pas?- Et est-ce que les groupes ingénieurs en activité c'est pas aussi pour que ça débouche sur des projets comme ça?- Si. Enfait ce sont quand même les ingénieurs en activité qui mettent en avant ces problématiques en fonction de leurs expériences de terrain, de ce qu'ils ont observé souvent dans leur boulot ou dans leurs expériences quand ils étaient volontaires etc. Donc c'est eux qui vont les initier. C'est sans doute ces groupes qui vont les initier, avec le CA, avec le bureau, parce que c'est eux qui ont un peu de recul etc. C'est un ensemble. Parce que ingé Sud c'est l'équipe Eau qui l'a monté, qui l'a créé, Normes c'est l'équipe Dévagri avec des gens qui avaient une expérience sur le sujet que ce soit Julie ou Christophe et puis Fértil c'est encore un peu autre chose parce que c'est pas une vraie étude, c'est plutôt un audit. Mais de toute façon un projet coordonné par la CN, c'est pas vers ça qu'on veut aller. Parce que ça demanderait de trouver des financements pour financer un poste et parce que c'est toujours difficile de gérer de manière professionnelle, parce que dans ce genre de cas on est obligé de le faire de manière professionnelle, avec une grande partie de bénévoles. Donc c'est très intéressant pour les gens, ils apprennent énormément de choses, mais c'est très lourd à gérer pour nous, on va dire qu'on peut pas se le permettre actuellement. Donc moi ça me gêne un peu, je trouve ça un peu dommage et en même temps c'est moi qui le fait donc...(rires) je sais à quel point c'est lourd, voire désespérant parfois, de voir qu'en face y a pas de répondant ou qu'ils sont plus motivés ou...et en même temps ça assiéra peut-être davantage les ingénieurs en activité, ça leur donnera peut-être plus de place, plus de poids, ça veut pas dire qu'ils vont faire le travail mais c'est peut-être qui vont driver le chargé de projet qui réalisera le projet. Alors ça voudra dire qu'on recrute des gens qui sont un peu spécialisés sur le projet en question.- Et par rapport aux missions au Sud, tu en penses quoi? Quand est ce que leur nombre a diminué?- Enfait c'était déjà entrain de diminuer quand moi je suis arrivée, ça a diminué beaucoup parce qu'on a arrêté les projets ancienne école: c'était des projets allez! La première année on va faire

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une mission d'identification! Alors on discute bla bla, on sait pas trop ce qu'on va faire mais on va bien trouver (rires) La deuxième année on va faire une mission eu...admettons qu'on ait trouvé, mais si on a pas trouvé c'est pas grave, on repart quand même faire une autre mission d'identification, après on va faire une mission où on va faire quelque chose...enfait on faisait beaucoup de missions donc on dépensait beaucoup d'argent, même si c'est relativement facile pour les groupes de faire financer des missions parce que les jeunes qui partent à l'étranger ça botte beaucoup les collectivités du genre conseil régional etc. même si au final, c'est ce que disait Simon, il disait: quand vous cherchez des financements chez eux, surtout ne dites pas que vous allez faire un truc sérieux, dites juste que vous allez vous éclater, découvrir le monde etc. Parce que si vous dites que vous allez faire un truc sérieux ils vont pas vous financer. C'est ça, les missions d'identification il fallait vendre le côté découverte du monde quoi. Sauf que non, une mission d'identification c'est je vais là bas, j'identifie ce que je veux faire. Enfait y a eu beaucoup d'évolutions à ISF sur les missions. Y a eu un temps où les groupes travaillaient par exemple avec des associations de migrants, puis hop, fallait faire un projet. Les projets c'étaient des énormes projets d'infrastructures. Donc il fallait voter à la CN, c'est la CN qui reprennait, avec des objecteurs de conscience, des emplois jeunes tout ce que tu veux, souvent des ingénieurs.- Parce que c'était au-delà de leurs capacités?- Cétait pas gérable pour eux de le faire. Et puis après la CN envoyait par exemple un volontaire, comme Simon, il est resté un an au Sénégal je crois, pour aider un ou deux groupes si y en avait deux sur la même zone par exemple, pour être le contact sur place etc. mais c'était co-géré du coup. Les salariés ici ou les permanents quel que soit leur statut, géraient les projets qui étaient amenés par les groupes. On a pris une autre, un contre-pied complet en 2002: plus d'emplois jeunes, plus d'objection de conscience puisqu'il y avait plus de service militaire.- Y avait à peu près combien d'objecteurs de conscience à ISF avant?- Une dizaine de permanents quand même. Donc gros changements... En 2004, des licenciements parce qu'ici y avait une personne qui faisait juste de la recherche de financements, relations entreprises et tout, y avait une personne qui était sur Alteractif, y avait un animateur de réseau, y avait Thérèse qui été DG et puis après y avait les chargés de projet.- C'était à quelle époque ça?- Ca c'était fin des années 90-2000. Et quand y avait 10 personnes à la CN c'était les années 90, c'était la période un peu Nathalie Schnuriger où vraiment on allait sur le terrain, on faisait des missions etc. C'était nous qui faisions. Des missions d'audit, des missions de bureaux d'études etc. donc c'est pour ça qu'après les jeunes ingénieurs qui sortaient de l'école, on les envoyait là-bas, ils étaient objecteurs par exemple et hop, on les envoyait sur une mission, on leur faisait suivre les trucs et tout. Moi j'ai pas vraiment connu cette époque.- Là les projets ils étaient financés comment?- Ah ben ça c'était de la réalisation donc c'était relativement simple à...t'avais parfois des financements MAE, des financements locaux (collectivités etc.), des financements d'entreprises qui finançaient la réalisation d'un pont ce genre de trucs. Mais c'était des missions quoiqu'il arrive... mais ça veut dire que le groupe devait gérer quand même le projet, il fallait s'assurer de son financement général enfin c'était un gros gros boulot. Donc en 2002 quand tout...la Charte évolue, on a plus de moyen, qu'est ce qu'on fait maintenant? On a plus nos moyens humains.- Cette diminution de moyens humains c'était les objecteurs de conscience...- ...et les emplois jeunes, les emplois jeunes c'était des gros pourvoyeurs pour les associations. C'est ce que je te disais sur l'UNADEL tout à l'heure, à partir de 2002, plus de politique d'aménagement du territoire et plus d'emplois jeunes donc terminé.- Et là donc du coup forcément redéfinition du projet.

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- Parce qu'un emploi jeune ça dure 5 ans. Pendant 5 ans t'étais sûr d'avoir quelqu'un, pendant 5 ans le mec construisait son expérience après, il trouvait du boulot dans le secteur. Et tu reprennais un emploi jeune. Et c'est tout à fait la vocation des petites ONG de prendre des gens, de les former et puis après qu'ils prennent du grade ailleurs si tu veux, puisque évidemment au sein d'ISF y a pas non plus beaucoup de possibilités d'évolution. Donc c'était tout à fait cohérent mais voilà, et on a plus d'emplois aidés.- Sur les missions de cette époque là c'était quoi les critères de pratiques?- Toujours pareil, il fallait que les volontaires soient bien préparés, que le planning soit bien fait, il fallait la pertinence de la mission, mais la pertinence de la mission n'était pas calculée de la même façon. Comme c'était des réalisations, il fallait qu'ils partent euh...ils partaient souvent pour des raisons techniques. Hervé aurait pu te dire que lui il est allé sur une retenue d'eau en Bolivie, il est allé vraiment la faire réaliser en tant qu'ingénieur quoi, il mettait la main à la patte aussi, il allait vérifier tous les jours et puis si y avait un problème l'année d'après ils y retournaient pour arranger le problème etc. Et c'était des relations plus longues par exemple entre le groupe et les gens du village ou l'association de migrants etc. mais avec beaucoup de projets qui échouaient parce que problèmes de communication, les moyens de communication étaient moins bien qu'aujourd'hui mais même encore maintenant, parce que des fois ils se faisaient avoir, ils amenaient de l'argent puis finalement il se passait rien voilà, pleins de choses.- Ils bossaient chaque fois avec un partenaire?- Oui oui, ils bossaient jamais tous seuls.- Du Sud plutôt?- Du Sud. Beaucoup mais pas que. Tu vois SOS Sahel c'est un partenariat qui est assez ancien avec Paris Sud mais SOS Sahel France regroupe des fonds et distribue aux SOS Sahel locaux. Donc on peut dire que leur vrai partenaire c'était SOS Sahel Burkina mais y a vait quand même un lien au Nord et à la rigueur c'est eux qui apportaient les informations quand ils partaient en mission, ils faisaient le lien presque entre les 2 SOS Sahel quoi.- Un peu comme avec le GRDR.- Voilà. Ce qui n'est pas idiot en soi mais qui pose des...c'est différent. Mais SOS Sahel ça a très très bien marché, ils ont construit des choses: centre de santé, un truc, un machin quoi. Mais petit à petit ça c'est compliqué parce qu'on se demande de plus en plus si on prend la place des gens etc. L'intervention physique de l'ingénieur par exemple pour aller poser des panneaux photovoltaïque, c'est juste pas nécessaire. T'as pleins d'autres raisons d'y aller mais pas celle-là. Donc c'est vrai qu'on est devenu très exigeant et puis on l'est un peu moins maintenant. On prend plus en compte le côté expérience, mais on fera jamais un chantier tu vois, on va jamais envoyer des jeunes pour qu'ils voient comment est le monde quoi. Il faut qu'il y ait une justification toujours assez importante. Mais on vérifie surtout qu'ils sont bien préparés aujourd'hui dans les coléos, et qu'ils se sont bien posé les questions des impacts de ce qu'ils allaient faire etc. Les bilans sont là aussi pour poser des questions en amont, et pas arriver au coléo avec un billet d'avion payé et “ah mais non mais vous vous rendez compte que quand vous faites ça vous allez appuyer le chef du village machin et donc vous allez décridibiliser machin etc. etc.” on est là pour leur faire se poser plus de questions. C'est ce qui fait que beaucoup d'élèves ingénieurs fuient. (rires)- Et la réflexion sur le partenariat, elle est récente aussi?- Alors, toujours avec cette charte, on s'est dit, voilà y a la charte qui dit on veut rester bénévole, on veut pas être un bureau d'études, même associatif où on ferait payer nos prestations, on veut rester bénévole à fond, on sait qu'on a un problème, que les groupes ISF peuvent pas porter de projets eux-mêmes parce que c'est des projets à long terme et que eux y a trop de turn over, donc

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on part sur d'autres types de partenariats, on veut des morceaux de projets dans lesquels ISF intervient et que sur ces morceaux de projets il y ait une réalisation dans les 1 ou 2 ans. C'est ce qu'on se fixe. Donc lors des BP que moi j'ai fait, y avait encore pleins de projets “ancienne école” et en l'occurence on les a sabordés tous. On a dit attendez là, enfin on pas toujours réussi Besançon on a mis du temps t'as vu c'était en 2009 qu'on a réussi t'imagines? 3-4 ans pour les convaincre, mais en gros on leur a expliqué quoi. Est ce que ce que vous faites vous dans votre quoi, est ce que ça leur sert vraiment, est ce que vous avez une bonne communication avec vos partenaires etc. Donc suite à l'évaluation que moi j'avais fait on regardé ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Les bilans sont faits, je prends mes résultats et je me dis voilà. Et bien ça marche dans les cas où la communication est facile et pour ça il vaut mieux avoir une antenne en France, ça marche si il y a une association au Sud et où ça ne part pas simplement d'une association au Nord, tu vois quelqu'un du Nord qui va... genre les petits vieux retraités qui vont aider machin. Ca marche que quand au Sud y a un bénévole, un salarié, mais en tout cas une vraie implication des associations du Sud. Donc on a établi des critères à la suite de ça, du type: une association... même si y a que des bénévoles en France, c'est pas grave tant qu'il y a un salarié au Sud. On prend des semi-professionnels, on accompagne des gens qui sont semi-professionnels ou complètement professionnels, ça dépend des opportunités qu'on a.- Et la réflexion formalisée sur le partenariat...par exemple le guide du partenariat c'est...à la base c'est Coordination Sud qui en a fait un d'abord...- Oui oui. Coordination Sud a fait un guide du partenariat au moment où nous on se posait pleins de questions dessus quoi. Donc dans ce guide là y a plusieurs types de partenariats, y a pas forcément la façon dont nous on les voit puisque nous on... enfait nous on est partenaires mais jamais on apporte de l'argent. On apporte du temps, on apporte juste l'argent de la mission donc c'est vrai que les gens se demandent à quoi on sert. C'est très difficile de montrer à quel point c'est intéressant d'avoir des étudiants. Quand les gens voient ISF ils ont tout de suite envie de faire un partenariat, quand ils voient que c'est des étudiants, c'est autre chose et quand ils savent qu'on donne pas d'argent alos là ça en refoidit plus d'un. Mais du coup ça nous permet après de...la sélection elle se fait aussi comme ça (rires).- Au niveau d'ISF est ce que vous réflechissez aux finalités qu'il y a derrière ces missions? C'est quoi le but principal? Pour la fédération...pour euh...?- Oui. Y a plusieurs buts. Pour nous c'est de toujours garder un pied au Sud, pour la Fédération, c'est de garder un regard sur le terrain, un lien avec le terrain, un lien avec les gens, parce qu'il y a un des objectifs d'ISF qui est quand même de porter la parole des Suds. D'où Ingénieurs du Sud, d'où Normes. C'est cette idée de faire remonter des choses du terrain, des choses qui ont été observées. Parce qu'enfait, quand ils vont au Sud, ils font leurs missions, mais autour y a pas mal de choses qui interviennent. Donc ça fait qu'ils se posent des questions et ces des questionnements qui vont revenir à la fédération dans les CA dans les bureaux etc. Donc c'est important de garder ce lien, ce pied au Sud, même si on sait qu'y a plein de gens qui peuvent faire ce travail là. La deuxième chose c'est qu'on considère que les groupes ISF, quand les volontaires sont bien formés par ISF, ils poussent les autres à se poser des questions sur les impacts, sur différents types d'impact et pas seulement sur euh...enfin, à ne pas faire que la technique quoi, à ne pas voir que la technique, ils apportent un autre regard sur le projet, qui peut permettre à un partenaire de voir les choses différemment. De voir des acteurs qu'ils auraient pas forcément vu, une incohérence à un endroit. Parce que même quand sur place c'est des professionnels, ils foncent, ils ont le nez dans le guidon, ils font leur truc, ils ont toujours connu le projet comme ça donc c'est différent. Y a le regard neuf et particulier -parce que qui pose pas mal de question- ISF. De toute façon si le partenaire n'accepte pas que le groupe ISF pose des questions ça ne peut pas

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marcher.- Et est ce que tu crois qu'il y a d'autres associations ou ONG qui ont un peu le même type de positionnement là-dessus, qui vont questionner les projets ou dans leur façon de faire directement?- Alors notre particularité c'est qu'on est très bénévole ce qui nous permet de nous poser des questions, la deuxième particularité c'est que c'est des jeunes. Et je vais peut être être un peu caricaturale mais en gros des retraités qui font un projet, qui veulent absolument développer ça, qui voient que le village ou que le district dans lequel ils sont qui...parmi eux souvent, ils vont pas forcément se poser toutes ces questions. D'abord parce que c'est des questions d'ingénieur. Normalement un ingénieur est sensé envisager tous les impacts de ses activités. Il a plus ou moins le temps etc. C'est des questions que nous on les oblige à se poser. Donc finalement ça c'est l'apport de la féderation parce qu'elle garde toute l'expérience d'ISF pour la redistiller à des jeunes. Le fait qu'ils soient jeunes fait qu'ils sont plus aptes à se poser des questions aussi. Donc moi je dirais pas qu'y a d'autres ONG qui...c'est assez unique dans le paysage. Y a des gens qui se po...enfin, le CCFD par exemple c'est des gens, ils sont très très avancés puisqu'ils interviennent jamais directement au Sud, ils ont des partenaires au Sud, donc ils font des allers-retours avec le Sud pour garder le lien avec eux, ils les soutiennent, ils les financent, ils les appuient voilà, donc eux ils sont tout-à-fait en accord avec notre vision des choses mais ils ont pas des jeunes. Ce qui est à la fois un handicap, parce que quand des jeunes s'adressent à des retraités il peut y avoir un fossé énorme. Et en même temps c'est une force, c'est plus facile de travailler...et puis nous...y a toujours cette portée éducative aussi derrière. Mais je pense pas qu'il y ait des gens qui travaillent comme nous...à faire qu'ils se posent des questions parce que quand tu regardes les préparations, même si les préparations au départ sont de mieux en mieux faites un petit peu partout, euh...je sais pas, peut être que les volontaires pourraient acquérir ce niveau de questionnement. Mais notre spécificité c'est qu'effectivement on va intervenir sur des points de vue techniques, en disant qu'il y a pas que la technique. Donc c'est assez particulier. C'est un peu un ovni ISF. Moi je vois, partout où je vais, je vais dans des réunions où y a des grandes ONG qui ont pleins de salariés, c'est pas des étudiants, qui sont professionnelles etc. On se met au même niveau qu'eux dans les commissions auxquelles j'assiste, et pour autant on a un point de vue très différent sur les choses hein. Moi quand je vois les gens, la seule chose qu'ils cherchent c'est des financements pour eux...pour faire des projets sur place, je dis mais stop quoi, c'est pas l'objectif de cette commission, il me semble qu'il y a des gens qui peuvent faire sur place...Après c'est très compliqué pour ISF de trouver le juste milieu pour ne pas prendre la place des gens sur place, ne pas se substituer à la main d'oeuvre locale, et en même temps intervenir, apporter quand même quelque chose, c'est très compliqué. Et pour autant ils apportent des choses, avec ce regard, ils apportent aussi un point de vue technique...on sait qu'ils apportent leur vision des choses, qu'ils apportent une partie de leur formation, qu'ils apportent des choses comme ça. Mais en termes de crédibilité c'est quand même assez difficile. Ce qui est tout à fait compréhensible. Mais effectivement y a des gens qu'on intéresse parce qu'on est jeunes. Et d'autres à qui au contraire ça fait peur. Et y a des gens qu'on intéresse juste parce qu'il y a marqué ingénieurs.- Et comment vous vous situez par rapport à l'altermondialisme?- Les membres du bureau ou anciens membres du bureau fréquentent les Forums Sociaux Mondiaux. Je dirais qu'on est altermondialistes sans le dire. Comme rien n'est dogmatique à ISF, personne ne va dire individuellement, enfin si ils vont le dire individuellement la décroissance c'est génial etc., mais ISF va pas émettre d'avis sur cette question. D'ailleurs quand tu regardes les articles, on dit des choses, mais on pose des questions, on nuance, on dit ça c'est bien mais il manque ça, il faudrait faire ça...Toujours un regard critique sur tout. C'est comme le

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positionnement sur les missions, très nuancé, très subtil, c'est...et les groupes ISF ont du mal à trouver leur place là-dedans parce qu'on leur donne pas un truc bien clair, net et précis. Donc c'est intéressant de voir... enfin sur l'altermondialisme, clairement ISF l'est devenue, par l'enchaînement de ses présidents etc. On l'est devenu dans les discours etc. Mais tu n'auras pas une, comme pour tout, ISF ne donne pas une opinion...si tu veux, en dehors du fait qu'on est apolitique, ce qui est un peu...les associations qui ne sont pas liées à un parti politique disent toutes ça, en réalité quand tu fais de la solidarité internationale, du développement, tu fais forcément de la politique. (rires) T'as pas le choix, tu fais pas que de la logistique ou des choses comme ça donc euh... tu prends position, on fait du plaidoyer, on prend position, on signe des campagnes, on signe des courriers destinés au gouvernement donc euh...on fait de la politique. Donc oui je dirais moi qu'on l'est mais pas...on le dit pas parce que c'est pareil, on dit pas à nos membres il faut penser comme ça. Et parmi les membres d'ISF t'as des pro nucléaires et des anti quoi. Comme l'objectif c'est de faire réfléchir les gens, on peut pas émettre des opinions aussi tranchées. Mais oui on réflechit à ça, oui quand on dit que il faut que l'agriculture paysanne prenne le dessus sur l'agriculture industrielle, qu'il faut manger bio, qu'il faut manger local, qu'il faut .... (rires) On est là pour susciter le questionnement mais quand on regarde le guide exemplarité, oui c'est de l'altermondialisme puisque l'idée c'est de consommer le moins possible de tout. C'est le guide qui devait permettre aux groupes de faire des événements ISF les plus sobres possibles à tous les niveaux, donc y avait louer des toilettes sèches, les écocups etc. après est ce que ça ça tient encore de l'altermondialisme maintenant ou c'est vraiment diffusé etc. je sais pas...- Est-ce que par rapport à l'urgence, à l'humanitaire il y a une position? Ou pas, ou...?- Y a une scission de fait. On est pas contre l'urgence, on sait que c'est fondamental et... mais après quand tu va dire “humanitaire”, on va pas se reconnaître dedans. Or humanitaire en fait c'est très large, à l'origine en tout cas c'est un mot très très large. On devrait pouvoir se positionner dedans et d'ailleurs les gens nous positionnent dedans notamment parce qu'on s'appelle “sans frontières”. Mais ce qu'on appelle l'humanitaire, on appelle ça plutôt l'urgence maintenant, oui c'est de l'urgence, c'est de la reconstruction après une catastrophe, la gestion d'épidémies, après des conflits etc...voilà. Donc ça on en fait pas, parce qu'on a aucun compétence, aucun moyen de le faire et parce que le questionnement de l'ingénieur le pousse plutôt à s'orienter vers des projets à long terme, qui ont un impact à long terme etc. On est pas contre, mais on travaille pas du tout avec des gens qui font de l'urgence. On est pas contre en soi, on sait que c'est nécessaire, important, que y a des gens qui savent très bien le faire et...d'ailleurs quand on a parlé d'Haïti euh...je sais plus qui a écrit cet article mais c'est Bruno qui disait que le problème c'est que en Haïti y a un besoin énorme de gens, notamment des hydrauliciens et que les ONG recrutent des hydrauliciens qui sont pas forcément armés pour les situations d'urgence. Psychologiquement je veux dire et du coup, lui qui avait jamais travaillé dans ce domaine là il a trouvé que c'était très dur. Parce qu'ils ont pas recruté des hydrauliciens d'urgence, ils ont recruté des hydrauliciens qu'ils trouvaient. Un hydraulicien a toujours des compétences mais c'est pas pareil en urgence et c'est pas pareil en développement. C'est très différent de faire des sanitaires...en trois jours tu fais 50 douches et 50 sanitaires dans un centre de santé parce qu'il y a eu un afflux de déplacés, c'est complètement différent de dimensionner un réseau pour une petite ville etc. Et surtout t'es pas confronté aux mêmes réalités, tu vois bien que les gens sont pauvres mais c'est complètement différent d'un endroit qui est complètement ravagé où les gens meurent de faim, sont morts enfin voilà.- Après de plus en plus maintenant, et c'est ce que tu me disais avec Solidarités, les ONG d'urgence elles sont obligées de rester sur le terrain et elles finissent par faire du long-terme.

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- Alors c'est pour ça qu'on appelle ça de la post-urgence, c'est pas du long-terme, enfin, c'est pas du long-terme...Solidarités est depuis 25 ans en Afghanistan mais l'Afghanistan ça fait 25 ans que c'est la merde donc euh...- Oui, mais au final...- Si tu veux dans un contexte politique stable, enfin pas que politique, logiquement, y a pas de raison qu'il y est une intervention extérieure, sauf catastrophe. Par exemple l'Inde a refusé toute aide extérieure, l'Inde est un très grand pays, c'est un pays démocratique, qui avait son système pour intervenir en cas de catastrophe naturelle. Après pour un truc énorme tu peux demander de l'aide aux voisins. Par exemple il avait été envisagé que la navette américaine se pose à Istres pour pas laisser les astronautes s'écraser dans la Méditerrannée. Mais normalement, dans des pays démocratiques les besoins sont limités, sauf question de pauvreté extrême, mais Haïti était déjà un pays extrêmement pauvre et en plus ils se sont pris une catastrophe énorme sur le dos. Mais y avait déjà plein de monde là-bas, la preuve si on a eu des de morts français c'est parce que c'était des gens des ONG qui étaient là-bas.- Et au niveau plus idéologique, y a aussi une distinction qui est souvent faite entre l'humanitaire et le développement ou la solidarité internationale, dans le sens où l'humanitaire d'urgence s'occupe plus des conséquences, des effets, que des causes.- Oui oui.- Ils cherchent pas à régler, à dénoncer même ce qui peut...- Exact. Alors à dénoncer si, ça peut arriver,ça dépend qui, mais si, on voit même aujourd'hui des ONG comme MDM par exemple faire du plaidoyer, commencer à interpeller etc. ou Action Contre la Faim en fait beaucoup. Mais c'est vrai que, oui...ils s'inscrivent un petit peu plus dans la durée. Par contre, ils ont toujours les mêmes problématiques de moyens. C'est qu'ils s'adressent pas aux mêmes bailleurs que ceux qui font du développement. Et les bailleurs du développement ont pas les mêmes exigences que ceux de l'urgence. Il est compliqué de passer de l'un à l'autre.- Tu dirais que c'est quoi les grandes distincions en terme d'exigences?- On va demander des résultats rapides à quelqu'un qui fait de l'urgence. C'est pas du tout évalué de la même manière. C'est des projets beaucoup plus courts. C'est sur une année, 6 mois, ça dépend. Par contre ça va être des grosses sommes pour une durée courte. C'est très compliqué pour les ONG de développement parce qu'elles font pas de l'humanitaire, les résultats sont très difficiles...de toute façon le développement est moins bien financé, parce qu'à part les infrastructures qui sont considérées comme du développement, l'Etat machin fait une route, c'est tangible, on le voit voilà. Mais les actions de développement de sensibilisation, éducation des populations etc. ça a toujours été moins facile à faire financer que l'urgence. Donc y a pas de raison que les gens de l'urgence passent dans le développement, enfin ils y ont pas intérêt financièrement en tout cas. Dans le développement les évaluations vont forcément se faire au bout d'un an, deux ans, trois ans, parce qu'il faut attendre que ça donne des résultats, ce sera pas des résultats avec des... alors oui forcément c'est des chiffres, mais ce sera pas des résultats aussi importants, il va falloir négocier tous les ans pour renouveller la subvention. C'est un travail de fourmi. Donc les exigences sont différentes parce que tu fais pas l'évaluation de la même manière, tu dis pas y a tant de personne qui sont rentrées dans mon centre de santé et y en a tant qui sont sorties, et c'est des actions de plus long terme qui ont forcément un impact sur la durée. Parce que en urgence y a un impact localement à ce moment là mais c'est pour ça qu'y a des ONG qui font, par rapport aux conflits, qui sont pas dans le développement, qui sont pas...qui sont plus dans les droits de l'Homme mais qui enfait travaillent sur la paix et la manière de régler les conflits le plus vite possible etc, qui eux font un travail de fond. Enfait ces travaux sont tous complémentaires les uns des autres donc on va pas dire que l'urgence c'est de la merde, ils travaillent effectivement en

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surface. Par contre c'est leur boulot et c'est nécessaire quand il y a une urgence de travailler, de panser les plaies. Quand t'as une hémorragie, la première chose que tu fais c'est d'arrêter l'hémorragie, après tu vois pourquoi y a une hémorragie. Et c'est pour ça que c'est d'autres ONG qui prennent le relais. Les compétences sont différentes tout simplement, et complémentaires. Après c'est vrai que ça se vend plus facilement l'urgence donc tu auras plus de financeurs. Donc enfait elle est pas...à ce niveau ce qui est gênant c'est les bailleurs, c'est plus la manière dont les bailleurs travaillent, plus que la mnière dont... pour Haïti c'est exemplaire, tout d'un coup plein d'argent a afflué et oula stop, attention! Ok on va reconstruire mais on va essayer de pas reconstruire n'importe comment, donc si tu reconstruit pas n'importe comment ben c'est pas de l'urgence. L'urgence c'est de faire des logements provisoires, d'accueillir les réfugiés, de leur donner à manger, de ceci de celà quoi. Mais il faut quand même qu'il y ait un plan d'urbanisme, il faut que les choses soient repensées etc. donc là les deux se télescopent.- Là dessus t'as l'impression qu'il y a une évolution ou pas du tout? Que c'est toujours l'urgence qui est plus vendeur?- Ben c'est plus vendeur pour les particuliers aussi, c'est ce qui est médiatique... après l'AFD va faire des prêts pas sur de l'urgence mais c'est des prêts. Après c'est aussi une responsabilité des gouvernements locaux de se saisir, de construire les choses. On peut pas...Enfait l'urgence tu peux le faire presque en forçant la main au gouvernement, comme en Indonésie par exemple, où les ONG sont allés contre l'avis du gouvernement local et ils ont fait le boulot quoi, enfin le gouvernement a cédé on va dire. Et ça a changé radicalement la donne au niveau politique localement. Et puis une fois qu'ils sont là par contre, c'est plus difficile de les faire partir. Donc l'urgence ça paye plus, c'est plus visible. Construire patiemment ça demande d'impliquer les gouvernements locaux ou nationaux etc. ça veut dire faire de la politique et faire de la politique, convaincre etc. c'est beaucoup plus long. Et c'est pas un truc que tu finances, ce qu'on va financer c'est une route. Evidemment c'est la Banque Mondiale qui va financer la route, qui va être faite par Bouygues...y a un ministère qui finance des travaux à condition que ce soit fait par des entreprises françaises...ça c'est du développement durable, des gars qui développent beaucoup les compétences localement (rires). Enfait le développement pose ces questions là. Si les autres se développent...ça pose d'autres questions. Et puis c'est long. Un bailleur, enfin tout politique a une vue courte et un bailleur il a des comptes à rendre aux politiques.- Une dernière question. Est ce que toi dans ton boulot, le fait qu'ISF se soit positionné contre la professionnalisation ça impacte ton boulot ou ta façon à toi d'être, de travailler, d'être avec les bénévoles etc.?- Ils ont dit qu'ils voulaient pas se professionnaliser donc moi ça m'oblige effectivement à travailler qu'avec des bénévoles et ça me met dans une position parfois un peu bizarre quand je suis au milieu que de professionnels qui sont entourés que de professionnels. Après ils on besoin de moi. (Rires) ils savent qu'ils ont besoin d'un socle minimum de salarié parce que sinon la fédération ne peut pas fonctionner. Effectivement je sais que je partirai d'ISF parce que j'aurais pas d'opportunité, parce que je pourrais pas y rester, parce que je laisserai la place à quelqu'un d'autre et que si je veux évoluer je sais qu'il faudra que je quitte ISF. C'est la seule chose qui fait que y a pas d'autre post pour moi. Et en plus je sais qu'ISF a pas beaucoup de moyens et qu'ils peinent à m'augmenter de 0,03% chaque année (rires). Donc je sais que je resterai pas. Au CCFD tu peux te dire je rentre et puis peut-être que j'occuperais un autre poste, que je ferais entre guillemets carrière. Mais enfin 5 ans c'est pas mal à ISF déjà.- Et là c'est quoi ton statut exact?- Je suis en CDI mais je suis pas cadre, je suis agent de maîtrise.- Et comment t'es financée? Vous avez deux financements différents c'est ça? Nicolas et toi?

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- C'est un peu compliqué. T'as des financements FONJEP qui est un financement qui dépend du MAE, enfin qui est géré par l'AFD mais qui dépend du MAE et sinon je suis financée sur les projets. C'est-à-dire que tous les ans il faut que je me batte pour trouver mon salaire. Enfin c'est Nicolas qui le fait mais euh...parce que si tu veux les 50 000 euros de dons par an ils suffisent à financer tout ce qui est locaux, qui nous coûtent quand même assez cher, téléphone enfin voilà, et une partie du poste de Nico quoi. Et moi je suis vraiment un peu la cinquième roue du carosse. Je sais qu'il est possible que quand il y a plus de projet ou que le temps que ça...ça peut les mettre en grande difficulté. J'ai pas été remplacée pendant mon congé maternité hein le dernier. Et je leur ai dit, mais qu'est ce qui ce serait passé si j'avais pas été en congé maternité. Ca les a d'une certaine manière arrangé même ai la charge de travail a été énorme pour Nicolas. Moi ça m'a pas arrangée sur mes projets, ça m'a pourri mes trucs mais bon.- Et du coup, pourquoi tu restes quand même?- Y a plusieurs choses. D'abord le mode de pensée à ISF me convient bien. En plus le fait de pas être nombreux, d'être une petite structure ça me convient aussi, le fait d'être du coup très autonome dans mon travail me plaît bien... le côté pas très formaliste aussi me plaît bien même si dans beaucoup d'asso mais tu vois je suis pas obligée de faire des rapports toutes les 5 mn sur tout ce que je fais.- Quoique avec Objectifs 2013...(rires)- (rires) Oui, non mais ils aiment bien formaliser hein, mais ça veut pas dire qu'ils y arrivent.- Et c'est utile des fois.- Oui, y a des intérêts parce que ça permet de garder des documents etc. Le fait qu'on garde des archives c'est fondamental, on a pas trop le choix quoi, c'est pas dans la tête de qui que ce soit. Et puis je crois que je me suis bien habituée etc. Après je pense que je vais pas tarder à partir, que je verrai en fonction des opportunités. Mais j'ai aussi un peu de remords tu vois? Le côté, laisser Nicolas tout seul...alors que c'est idiot, ils vont recruter quelqu'un. Mais en même temps je sens bien que si je pars ils seront aussi contents entre guillemets parce qu'ils recruteront sans doute un... l'équivalent d'un emploi jeune, enfin un contrat aidé, moi j'ai plus de contrat aidé maintenant. Après faut que je trouve un truc...c'est vrai que ce qui est bien à ISF c'est que je fais de tout. Et j'adore ça. Donc faut que trouve parmi ce que je fais ce que je voudrais bien lâcher...- Et t'as l'impression que tu pourrais pas retrouver cette polyvalence ailleurs?- Y a des endroits où je pourrais...- Pas dans les grands trucs quoi.- Voilà. Ca dépend. Après y a aussi le fait qu'il faut qu'en terme d'idéologie ça corresponde à mes valeurs et c'est pas facile d'être dans un endroit où tu remets autant en cause les choses qu'ici, où je suis capable moi, je suis en position malgré mon statut de salarié, de remettre en cause des tas de trucs, de dire ah mais c'est pas possible, vous pouvez pas faire ça, même si le bureau prend en compte ou pas, mais je leur dis ce que je pense. Mais ISF, malgré tous les défauts, y a quand même des trucs...et puis finalement j'apprends toujours puisque je change toujours de programme, de projet, dans différentes directions. Donc c'est assez riche, j'ai pu développer toutes les thématiques d'ISF, je les connais bien donc c'est déjà pas mal. ”

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Entretien Magali Audion, chargée d’animation et développement des réseaux au CRID

“ - Est ce que tu peux commencer par présenter un petit peu le CRID et situer ton poste à l'intérieur de l'activité du CRID en général?- Le CRID c'est un collectif, ça veut dire Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, il a été créé il y a 34 ans je crois, qui a 55 membres et représente des associations de solidarité intenationale, des associations nationales de la solidarité internationale qui sont portées sur la solidarité internationale dans sa vision partenariat, développement, aide au développement, éducation au développement...donc beaucoup d'associations qui travaillent sur les droits économiques, sociaux et culturels, sur le commerce équitable, sur les droits de l'Homme, qui ont une vision politique du développement, sur du long terme, sur du partenariat surtout avec les sociétés civiles, pour l'autonomisation des peuples dans la gestion de leurs propres problématiques...donc le CRID travaille que sur des projets collectifs qui impliquent ses membres mais aussi presque toujours d'autres organisations qui sont pas membres mais qui travaillent dans le même...qui ont les mêmes centres d'intérêt.- Du type?- Du type les syndicats par exemple. On travaille avec les organisations syndicales sur les questions des relations euh...des entreprises ou sur la question des droits des travailleurs. On travaille avec les mouvements environnementalistes, dont certains sont membres du CRID comme les Amis de la Terre ou Greenpeace mais d'autres qui vont travailler avec nous. On travaille avec un réseau par exemple comme Solidarité laïque, qui est lui-même un collectif d'associations qui font de la solidarité internationale mais qui viennent un peu d'une famille euh...on va dire d'une famille culturelle un peu différente du CRID. Les organisations qui sont très actives dans le CRID elles sont plutôt...à l'origine de la famille des associations euh...y a deux types d'associations, vraiment à grands traits. Les unes c'étaient les associations confessionnelles, des associations caritatives qui ont évolué -comme le CCFD et le Secours catholique- qui ont évolué vers une dimension plus politique dans leur action et les autres c'est des associations en gros anti-coloniales de l'après-guerre donc pas forcément marquées au niveau confessionnel mais qui portent la dimension altermondialiste du CRID. Et c'est un peu les deux qui font le CRID on va dire. Vraiment, là c'est vraiment la génèse un peu historique mais aujourd'hui au CRID y a le Secours Populaire, le Secours catholique, le Secours islamique, y a Greenpeace, y a la Ligue des droits de l'Homme emfin c'est très varié. Et Solidarité laïque c'est plus des mouvements qui revendiquent une laïcité très proactive, à l'esprit républicain très fort etc.- Quand tu dis la dimension altermondialiste du CRID, vous vous situez là-dedans depuis quand enfait?- Ben je pense depuis que l'altermondialisme existe c'est à dire depuis...l'altermondialisme ça a 15 ans quoi maintenant. Entre le mouvement anti-mondialisation, les forums sociaux, l'évolution...avec les différents forums qu'y a aujourd'hui...ce qu'on appelle le processus des forums sociaux mondiaux. Le CRID organise tous les 2 ans une délégation d'ONG qui vont au Forum Social Mondial donc c'est vraiment un des piliers du mouvement altermondialiste en France. Et je pense que nos valeurs, nos idées vont tout à fait...enfin à la fois s'alimentent de ce processus et puis vont dans ce sens là. L'idée de la démarche inclusive c'est à dire de toujours travailler avec des gens extérieurs à nous pour partager, créer des convergences, construire de nouvelles idées à partir de l'enrichissement vers d'autres milieux, vers d'autres mouvements et pas rester enfermés dans un milieu ONG qui serait un peu corporatiste, un peu basé sur les causes

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humanitaires etc. prendre des positions sociales.- Quand tu dis qu'il y a des associations qui font partie du CRID et d'autres qui sont en dehors avec qui vous travaillez quand même, quelle est la différence, est ce qu'il y a des différences dans vos relations? Est ce qu'il y a des fois des relations similaires avec des associations qui sont soit dans soit en dehors du CRID?- Alors oui, progressivement le CRID élargit ses membres donc ça peut être des gens avec qui ont travaillaient de l'extérieur, qui se sont rapprochés de nous et qui travaillent de l'intérieur. Et effectivement ils participent aux orientations, ils peuvent être à l'initiative de projets portés par le CRID etc. Mais enfait à chaque fois qu'il y a un groupe de travail constitué par le CRID, je crois qu'en général c'est ouvert à d'autres organisations qui ont envie de bosser avec nous quoi. Par exemple pour la Semaine de la Solidarité Internationale (SSI) qui est le projet sur lequel je travaille à l'année, c'est un projet porté par le CRID mais piloté politiquement par un comité de pilotage qui inclue d'autres membres que ceux du CRID comme des syndicats mais aussi par exemple Cités Unies France qui représente les collectivités territoriales donc à ce titre là elles sont pas tout à fait de la même famille d'action que nous, c'est pour ça qu'elles sont pas membres du CRID mais après tout pourquoi pas un jour. Mais par contre on travaille ensemble via la SSI, via Educasol etc.- La SSI existe depuis quand?- C'est la 13ème édition.- D'accord. Ca a été lancé à l'initiative du CRID ou...?- Non. Y a eu des sortes d'assises de la solidarité internationale en France -je sais plus trop, je retiens pas trop ce genre de détails... avec des ministères, avec tout un tas d'acteurs, et y avait eu cette volonté de dire la solidarité internationale, d'en parler, de montrer ce que font les acteurs de la solidarité internationale au grand public, de promouvoir un peu son action etc. Là y avait déjà plusieurs mouvements qui étaient intéressés par ça et s'est posé la question de savoir...ce projet doit être porté par un collectif, par une plate-forme donc en gros c'était soit le CRID soit Coordination Sud. Et au final, Coordination Sud le voyait plus comme une campagne de communication pour le milieu et le CRID le voyait plus comme un espace d'éducation au développement du grand public pour promouvoir non pas un milieu mais des valeurs, des messages etc. Donc c'est le CRID qui a finalement porté le projet et qui le développe depuis 13 ans et Coordination Sud est membre du Comité de pilotage.- Alors quand tu dis qu'y avait une opposition sur le fait qu'ils étaient pas corporatiste, qu'ils voulaient pas parler d'ONG...- Pas forcément non, parce qu'ONG c'est pas un terme très assumé par le CRID. Moi je suis pas forcément d'accord là-dessus, je considère qu'on peut prendre le terme ONG dans son sens premier, onusien. C'est nous quand on parle d'ONG, souvent pour les gens ça connote humanitaire, urgentiste, ça connote aussi grosses associations, limite anglo-saxones parfois vraiment, ou en tout cas dans des réseaux internationaux très forts qui ont une place à l'ONU etc. Alors que le CRID défend d'abord une vision plus politique je pense que l'humanitaire, et puis le terme d'ONG il convient moins parce que ça fait un peu opérateur enfait dans la tête des membres du CRID. Et puis... et pourtant le terme d'association non-gouvernementale c'est vraiment ça la société civile mais... c'est pas assumé comme ça, en particulier en France. Donc on parle plus d'Associations de Solidarité Internationale (ASI) aussi pour montrer qu'on laisse la place à toutes les petites associations. C'est vrai que le terme ONG appliqué à petite échelle ça fait bizarre, on s'y retrouve pas trop. C'est vrai que c'est un statut quand même, c'est un statut de l'ONU quoi.- D'ailleurs le CRID est reconnu, il a un statut auprès des Nations Unies.- Oui on doit être à l'ECOSOC mais je sais pas euh...

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- J'ai vu qu'ils participaient à certaines commissions une fois par an...- C'est possible mais...je le vois pas dans le rapport d'activité de cette année...Enfait on travaille à l'international dans le cadre des forums sociaux, ça c'est clair. Nos membres travaillent à l'international dans le cadre de leurs propres réseaux mais sinon on est pas euh...les espaces institutionnels ne sont pas très investis par le CRID en tant que tel.- C'est plus concentré sur la société civile.- Ouais. C'est des associations de la société civile et des partenaires au Sud et au Nord ouais c'est ça.- Et alors quels rapports vous avez avec les institutions publiques françaises?- Là on a un rapport fort par contre. La majorité des projets du CRID sont financés par l'AFD et/ou par l'UE. C'est nos deux gros bailleurs. Nous on a pas de fonds...on fait pas d'appel aux dons privés hein, on veut pas faire concurrence à nos membres sur ça. Donc on a quelques fonds privés par les côtisations, par quelques fondations amies...quelques petits partenariats entreprise mais très sélectifs parce que on a une charte éthique très stricte sur la compromission avec les entreprises donc on est très dépendants actuellement financièrement des finances publiques et donc via l'AFD (alors avant directement via le MAE, maintenant l'AFD) avec lesquels...enfin, la grosse force du CRID c'est notre réseau. Notre réseau national déjà qui est très large, et notre réseau militant local. Ce qui fait un peu la différence par exemple avec coordination sud qui est très représentative au niveau national mais les grosses associations, les grosses ONG en France on pas forcément une base militante très forte. Parce qu'elles sont directement plus sur l'opérationnel, donc au Sud. Donc c'est vrai qu'avec les institutions on a une espèce de rapport de légitimité...forte encore. On a une dépendance financière mais...- Pourquoi encore?- Parce que l'AFD change, y a qu'à voir la nomination du nouveau directeur de l'AFD, Dov Zerah, ç a donne un peu le ton de ce que ça pourrait devenir. Donc je dis encore parce qu'on se méfie de ça et on essaye de diversifier nos financements aussi pour pas que l'aide au développement soit instrumentalisée... les fonds publics d'aide au développement pourraient aller vers des projets qui glisseraient vers de la coopération économique pure ou...donc ouais.- Et par rapport à votre rapport avec les institutions publiques?- Mais on est en dialogue permanent avec l'AFD. Directement entre le CRID et l'AFD et aussi via Educasol en tant que plate-forme représentative de l'éducation au développement (EAD), ça va être l'EAD au sens très large, c'est à dire ça inclut le plaidoyer etc. c'est un peu la représentativité de la spécificité des membres du CRID par rapport à d'autres acteurs, d'être sur le projet en France, politique de sensibilisation, d'information etc. Du coup via Educasol on entretient le dialogue avec les autorités publiques.- Ca date de quand Educasol?- Euh...Six ans quelque chose comme ça. Avant c'était un programme du CCFD qui s'appelait Terre d'Avenir qui était je crois plutôt un programme de mutualisation d'expériences, qui avait pas une dimension représentative et maintenant c'est devenu de plus en plus un espace de médiation...médiation c'est pas le bon terme mais un interlocuteur aussi pour l'AFD. C'est le garant de fond, de notre message, dans notre relation aux pouvoirs publics.- C'était donc le CCFD au départ? Il fait partie du CRID?- Oui. Y a des liens très forts entre le CCFD et le CRID, y a des...l'ancien DG du CRID venait du CCFD et y est retourné, maintenant c'est le DG du CCFD, et quand y a des coups durs financièrement au CRID, ça va être le CCFD, le Secours catholique aussi qui soulagent le CRID pendant un moment donc y a le CCFD investit beaucoup dans les espaces collectifs comme le CRID. Ce qui lui permet aussi...l'intérêt pour le Secours catholique et pour le CCFD c'est aussi de

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pouvoir faire certaines actions sous un étiquette laïque alors que eux sont très identifiés...ce sont des structures confessionnelles, donc pouvoir le faire dans un cadre multi-acteurs laïque c'est aussi pratique pour eux.- Et comment les membres du CRID sont intégrés? C'est eux qui demandent?- Oui. Ils font une candidature et c'est examiné par le CA.- D'accord. Et vous regardez les valeurs, les...- Alors y a les valeurs et puis faut que ce soit une structure de dimension nationale, il faut qu'il y ait des piliers en région, enfin une base militante en région, euh...puis des critères...non je pense que ça suffit.- Et que ce soit urgence, développement, tout ça, y a pas de...?- Non, ben non, d'ailleurs ça a été élargit, je sais pas si ça a été fait mais avant dans la charte il y avait la volonté que les membres du CRID, la majorité de leur action soit de la solidarité internationale, que ce soit des acteurs de solidarité internationale par essence entre guillemets. Sauf qu'avec Greenpeace, la Ligue des Droits de l'Homme ou le Secours Catholique par exemple, on a des acteurs qui ont un pan de solidarité intenationale (SI) important mais qui se définissent pas comme acteurs de la SI. Donc là y a une ouverture qui est entrain de se faire, qui est faite depuis longtemps dans les faits mais qui est entrain de se formaliser pour accueillir dans le CRID des gens qui avant tout se reconnaissent dans les valeurs de la SI qu'on porte, mais sans forcément ne faire que ça. C'est un peu la condition aussi de l'ouverture du milieu et des convergences.- Et comment tu l'expliques toi cette formalisation?- C'est une philosophie hein. C'est ça la philosophie altermondialiste, c'est à dire qu'on est tous dans notre coin à faire des petites actions et à un moment donné si on veut être un mouvement fort il faut qu'on trouve, qu'on travaille de plus en plus ensemble, même que théoriquement on articulent nos idées...et pr exemple c'est le sens du programme Une seule Planète qu'est le nouveau programme du CRID financé par l'UE, en travaillant sur les ressources naturelles de vraiment articuler les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux, c'est à dire que c'est le même système qui exploite à la fois l'environnement et le social. Donc c'est une vraie philosophie, c'est pas seulement un principe de fonctionnement.- Et ça tu dirais que c'est accentué maintenant, ces dernières années? En fonction de l'évolution altermondialiste quoi en gros?- Ouais mais même...enfait y a eu...le CRID je sais pas exactement ce qu'il faisait il y a 32 ans, mais c'était un centre de recherche au départ donc bon. Et y a eu un coup de baisse à un moment donné, j'en connais pas le contexte, toujours est-il que y a des organisations dissonantes comme le CCFD tout ça qui ont dit le CRID c'est important, il faut vraiment qu'on le rebooste pour valoriser notre milieu...tout ça. Et du coup, y a eu un gros investissement du CCFD dans...le CCFD a prêté un salarié au CRID. Et ça a permis, avec la présidence de Gus Massiah aussi, de redonner une direction au CRID, avec un fort ancrage qui accompagnait la naissance du mouvement altermondialiste, qui l'a aidé à se développer en France.- Aujourd'hui la structure du CRID, au niveau salarié...?- En salariés on doit être une douzaine. Y a deux permanents...- Sur Paris tout le monde hein?- Oui. Parce que le CRID c'est un collectif d'associations nationales donc nous on a pas directement d'antennes locales, y a pas des CRID partout en France, même si y en a qui voudrait créer des CRID régionaux. Mais c'est pas du tout la logique, la logique c'est que notre réseau c'est celui de nos membres. On s'appuie sur nos membres et sur les collectifs locaux créés par nos membres en région, Donc c'est pour ça aussi qu'on a pas du tout de bénévoles à proprement parler. Ce qu'on a c'est des personnes ressources. Notre ancien président, notre ancien DG, des

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gens qui sont d'abord bénévoles de structures membres du CRID et qui vont se consacrer entièrement au projet du CRID parce que ça les branche sur certains aspects. On est une base salariale qui a pour vocation principale de faire vivre la vie associative démocratique du CRID, de pas faire à la place des membres mais de tout le temps alimenter la locomotive. D'où on est beaucoup finalement d'animateurs de réseau, avec des casquettes un peu différentes, moi c'est mon poste officiel chargée de l'animation du réseau mais on l'est un peu tous quoi. On booste la dynamique d'action collective etc.- Et donc c'est quoi un peu les autres postes, juste pour avoir une idée?- On a 3 salariés qui travaillent sur la transversalité donc y a la DG, le responsible administratif et y a la chargée de/assistante vie associative, donc eux ils travaillent sur l'ensemble des projets. Après à la SSI on est 3 permanents, on bosse à l'année que là-dessus, donc y a la chef de projet Anna, moi à l'animation du réseau et y a un nouveau poste à la communication, enfin il a 2 ans maintenant. Y a la plate-forme Educasol avec 2 salariés qui sont une chef de projet et une chargé de mission on va dire. Y a le programme Une seule planète avec une chef de projet, qui va gérer par exemple aussi l'université d'été, et une chargée de com' qui est pas en CDI mais qui est embauchée sur 1 an et demi là je crois. Après y a Altermonde alors maintenant juridiquement c'est une structure indépendante du CRID mais ça vient du CRID et on continue à bosser en équipe avec un salarié et un permanent et une autre qui est entrain de pérenniser son poste mois après mois et...ça doit être tout.- Et donc vous bossez tous ensemble, dans les mêmes locaux?- Oui. On est quand même très chacun sur nos projets. Mais on a des réunions d'équipe, on a des temps d'échanges, l'AG du CRID et l'Université d'été. A l'Université d'été on porte tous la casquette de notre projet mais on porte avant tout la casquette du CRID. A l'AG du CRID c'est pareil, y a des moments comme ça où on se reconnait plus dans le CRID et des moments où on est plus dans notre travail quotidien, le projet. Et on a quelques CDD, par exemple à la SSI tous les ans sur 6 mois j'ai une...c'est souvent une mais bon... un animateur de réseau sur le pôle animation; ou en fonction des projets que le CRID développe aussi, si on est sur une campagne par exemple dans le cadre des élections on va recruter un chargé de mission. Là en ce moment y a un chargé de projet sur la campagne AFCP sur les OMD. Y a du renfort sur l'Université d'été avant la construction et après on a pas mal de stagiaires, enfin c'est pas excessif finalement par rapport au milieu, mais on a pas mal de stagiaires quand même qui souvent reviennent en CDD voire en CDI etc.- Et donc toi ton poste concrètement c'est quoi?- La SSI c'est structurée en 3 pôles, 3 permanents. Y a la gestion globale du projet avec la gestion des orientations politiques, des financements et des grandes alliances, y a la communication avec plan médias, création d'outils de communication, alimentation de l'argumentation auprès de la presse etc. et puis moi je m'occupe du pôle animation. C'est d'abord l'accompagnement de ceux qui organisent la SSI localement, donc 600 pôles organisateurs, à conseiller, à outiller, à mettre en réseau. Et on a un dispositif de soutien financier le Coup de Pouce donc il faut gérer ce dispositif, les candidatures, le traitement, les octrois. Je travaille à la structuration du réseau aussi, jusqu'à présent on avait une diversité d'acteurs tous azimuts et dedans y avait des collectifs plus forts, plus pérennnes et d'autres qui participaient une année et après on les retrouvait pas. Donc on un peu hiérarchisé, enfin hiérarchisé c'est un peu fort mais...structuré les sources pour repérer mieux nos pôles référents et on a aussi mis en place un dispositif de financement de certaines structures régionales qui jouent un rôle important dans la SSI et qui permettent de pérenniser, développer la semaine a un niveau régional. Donc ça c'est un gros boulot aussi. Après je suis responsable du site internet, y a une grosse partie destinée aux acteurs pour qu'ils valorisent ce qu'ils font et ça sert

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aussi aux animateurs de réseaux, y a un backup sur le site pour que les coordinateurs de réseau, les animateurs de territoire puissent récupérer les données de ce qui va se faire chez eux, qu'ils puissent suivre les publications des acteurs locaux sur leur territoire etc.- Et dans tout ça quels sont les aspects du poste que tu préfères?- Ca dépend. Maintenant, ça fait 9 ans que je suis animatrice de réseau. Avant je travaillais au collectif Ethique sur l'étiquette porté par la Fédération Artisans du Monde à l'époque. Donc j'étais sur le même type de poste mais avec un peu moins de responsabilités. Toujours dans une logique réseau multi-acteurs, collectifs, de plate-forme machin tout ça... Et dans ce métier là y a beaucoup de relationnel, y a beaucoup de pédagogie, moi j'aime bien cet aspect pédagogique de pouvoir mettre les acteurs en capacité de développer leur message, de s'outiller, de prendre confiance en eux pour aller porter des actions etc. et des valeurs. Mais y a beaucoup aussi un côté traitement de l'information. Donc suivre les acteurs, les recenser, les remobiliser etc. donc moi j'aime bien développer des outils là-dessus, maintenant j'en ai un peu fait le tour. Ce qui m'intéresse en ce moment c'est plus l'aspect structuration du réseau, comment on pense le fonctionnement d'un réseau pour rester dans une logique décentralisée, démocratique, qui valorise l'expertise locale, parce que la semaine c'est avant tout ceux qui la font localement. Y a un dialogue à faire vivre entre les instances nationales qui ont des volontés politiques fortes, qui ont une vision plus distancée sur la SSI, sur ce qu'elle apporte dans l'opinion publique, dans le paysage médiatique et les acteurs locaux qui ont leurs préoccupations très pratiques quelques fois mais qui ont aussi une vision des choses parce qu'ils sont directement en contact avec euh...ben avec les vrais gens, de la vraie vie, les passants (rires)...voilà et ils doivent développer un argumentaire vis-à-vis d'eux, les faire venir sur leurs actions etc. Donc on travaille sur des plans triennaux à la SSI comme beaucoup de projets. Le plan triennal qui vient de se finir avait pour objectif d'augmenter la notoriété, la visibilité de la SSI donc on a fait un effort de communication, et puis de favoriser l'innovation pour aller au devant des publics, donc renouveller les actions de terrain pour que les gens...nos acteurs se plaignent beaucoup et ça c'est un vrai enjeu dans tout le milieu, c'est pas seulement pour la SSI, que finalement ils arrivent à prêcher que les convaincus, quand ils font une conférence ceux qu'ils voient dans la salle c'est des gens qui connaissent, qui connaissent déjà le sujet etc. Donc nous on essaye vraiment d'aider les gens à booster leur réflexion et leur pratique pour permettre de toucher des publics nouveaux. On valorise le rôle du théâtre, des actions de rue, d'Internet et des nouvelles technologies. Il faut qu'on soit un peu avant-gardiste un peu là-dessus aussi, la semaine est un vrai lieu d'expérimentation, les gens peuvent s'éclater, c'est très libre le cadre de la SSI, à part les valeurs: pas de collecte de dons tout ça, y a une ligne très stricte sinon c'est...- Oui, pas de collecte de dons, quoi d'autre?- Oui la charte de la semaine c'est les grandes valeurs...la vision de la SI qu'on se donne donc pas de misérabilisme, on est pas dans le caritatif, la SI c'est un acte réfléchi, c'est un acte nécessaire, c'est un acte politique, la SI est une réponse à la crise, aux crises actuelles, donc développer l'aspect réflexion, pousser les gens, la conscientisation et pas seulement...on ne renie pas le rôle du don ou du bénévolat simple mais on veut que les gens s'engagent aussi au quotidien, réfléchissent à leur consommation, réflechissent à leur vote, s'informent davantage etc.- Après par rapport aux projets de développement ou d'urgence en eux-mêmes, aux interventions, vous avez quel positionnement? Parce que vous avez plein de membres qui font ça j'imagine.- Alors on en a pas tellement qui sont dans l'urgence, ou alors s'ils le sont c'est vraiment lié à leur historique euh...sauf grandes exceptions quand y a des urgences comme Haïti par exemple nos membres sont mobilisés évidemment, mais sinon ils valorisent d'abord le long terme donc le développement, le “capacity buiding” comme on dit donc la construction des sociétés civiles.

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Donc nous par rapport à l'humanitaire c'est un champ nécessaire et complémentaire d'une SI qui s'inscrit sur le long terme, c'est du court terme qui est important, on peut pas les opposer. On demande pas à tous ceux qui font de l'humanitaire de s'inscrire dans une dimension politique, on sait que y en a que ça bloqueraient de le faire...voilà. Et c'est vrai que les acteurs humanitaires se reconnaissent peu dans la SSI, ils voient pas...eux quand ils s'adressent au grand public c'est souvent pour leur demander de l'argent parce qu'ils veulent être indépendants des autorités publiques et c'est légitime. Mais finalement euh...dans la SSI notamment, mais ça représente un peu les actions du CRID, nos acteurs vont plus travailler avec des syndicats, des environnementalistes, le milieu de l'éducation populaire aussi, que avec des humanitaires. Alors de temps en temps on trouve un groupe Handicap International ou euh...y a pas beaucoup de groupes locaux aussi euh...ou un groupe MDM comme ça, ou une Croix Rouge... peut-être plus l'humanitaire local qui va des fois s'intégrer dans des groupes locaux parce qu'y a un dialogue qui peut se faire entre ce qui se passe dans une ville auprès des Restos du Coeur ou de la Croix Rouge ou du Secours Populaire et puis ce qui se passe à l'échelle mondiale. Y a une vraie articulation qui est entrain de se faire entre ce qui se passe en France avec la crise et ce qui se passe ailleurs dans le monde. Y a des indicateurs qui montrent que les gens ont vraiment conscience maintenant qu'il y a une interdépendance donc ça c'est encourageant.- Et tu dirais que...vous vous avez pas un discours contre ces actions là, vous êtes pas en concurrence quoi.- Non pas du tout. Y a des polémiques dans le milieu évidemment mais c'est pas du tout sur la nécessité de l'aide humanitaire. La polémique elle se situe plus par rapport à une structure comme Coordination Sud et le CRID. Le CRID est un membre fondateur de Coordination Sud mais il a pris ses propres...il a ses propres actions, il s'adresse aux pouvoirs publics parce qu'ils ont un réseau politique tout ça, Coordination Sud s'adresse aussi aux pouvoirs publics parce qu'ils représentent un milieu beaucoup plus large que les membres du CRID. Du coup y a des conccurrences comme ça de champs de compétence on va dire mais c'est pas vraiment des...alors le CRID va être plus volontariste et plus courageux sur certaines positions, Coordination Sud va être plus discret sur des positionnements politiques pour préserver tout le monde mais c'est légitime à la limite. Quelques fois y a des achoquements parce que...bon c'est un peu des histoires de leadership hein...je sais pas t'as du entendre parler de ça j'imagine à ISF?- Non pas vraiment.- Ouais c'est une polémique qui...qui est réactivée par certains projets...pendant la campagne des élections présidentielle le CRID portait comme à son habitude une campagne d'interpellation des candidats sur les questions de SI avec une série de problématiques et Coordination Sud avait aussi ses propres problématiques plus larges liées à que fais-ton de l'aide publique au développement, ça c'est vraiment son champ de compétence tout ça. Donc il a fallu vraiment jouer fin pour articuler les deux, pour faire en sorte qu'on se...ça s'est fait en bonne intelligence au final mais c'était un peu difficile.- Et alors toi personnellement c'est quoi un petit peu ton parcours? Comment tu es arrivée là?”M: “J'ai fais des études...je cherchais un peu mon chemin, j'ai fini par faire une maîtrise info-com', par hasard, et pendant ma maîtrise j'ai fais des stages et je voyais déjà que je voulais aller un peu vers les ONG donc j'ai décidé de faire mon stage de maîtrise à Paris, parce que si tu veux faire de la com' dans le milieu des ONG il faut venir à Paris.- Pourquoi les ONG?- Parce que j'avais envie de...de travailler dans un milieu euh...socialement utile...je sais pas. La dimension solidarité internationale me plaisaît bien. Je saurais pas trop développer pourquoi mais en tout cas j'avais envie de faire quelque chose d'utile. Pourquoi l'international ça effectivement

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c'est une bonne question. Je sais pas ce qui m'a emmenée là-dessus.- Tu avais déjà été dans des associations à l'époque?- Euh...oui. Enfait moi j'étais un peu impliquée dans tout ce qui est Action Catholique, je sais pas si tu connais Action Catholique des Enfants euh...?- Oui oui.- Tu sais ou les mouvements du CCFD qui développent beaucoup l'aspect, l'apprentissage du civisme, de l'action politique enfait, on peut le dire comme ça. Avec une ouverture sur le monde, sur l'interculturel et tout donc je pense que c'est ça aussi qui m'a amenée vers la SI. Du coup quand je suis arrivée à Paris pour chercher mon stage, j'avais le choix entre la Ligue des Droits de l'Homme mais c'était un truc un peu...ça me plaisaît pas trop...ATTAC ou Artisans du Monde pour le collectif de l'Ethique sur l'Etiquette et ATTAC m'a un peu fait peur parce que la dimension financière j'y connaissais rien quoi. J'avais très peu de connaissances en économie et tout, en finance encore moins.- Donc c'était pour des postes de com'?- C'était un stage, un stage sur de la com', info-com' ou...bon la com' me branchait pas en tant que tel mais c'est ce que je savais faire je...écrire, le côté multimédia aussi que j'ai développé pas mal...Et enfait j'ai choisi d'aller à Ethique sur l'étiquette et très vite le poste d'animateur de réseau s'est libéré, j'ai fait l'intérim, j'ai postulé, j'avais vraiment un profil qui correspondait au poste. Du coup j'ai été embauchée. C'était l'heureuse période des emplois jeunes donc ça recrutait pas mal, ça a vraiment créé de l'emploi hein, dans notre milieu en tout cas.- Ca c'était quelle époque?- Euh...2001. Mais après je me suis dit...enfait je m'étais même pas posé la question de savoir si je voulais continuer au-delà dans les études. Tu trouves un poste en CDI tu te dis ben je vais bosser quoi. Mais après j'ai repris un équivalent de DESS en formation continue pour valider quand même un Bac+5 et mettre un peu de théorie dans le domaine euh...c'était un truc sur les droits de l'Homme, action humanitaire et citoyenneté, donc avoir un peu des bases théoriques sur ce...le champ des droits de l'Homme et tout. J'avais acquis pas mal de choses en pratique mais c'est bien aussi...- Et ton premier poste du coup, tu étais animatrice de réseau, quelles étaient les tâches concrètes que tu avais à faire au début?- J'étais assistante animatrice du réseau, on était une équipe de trois ou quatre. Et c'était beaucoup de la com' interne auprès du réseau, donc du traitement d'infos pour les campagnes...ah oui, mon stage c'était développement multimédia, y avait une campagne en cours, ça devait être Exploiter n'est pas jouer!, une campagne sur les conditions de fabrication des jouets qui avait bien marché, et donc moi je développais, à l'époque c'était “innovant” (rires) les pétitions en ligne. C'était à la fois du travail limite un peu de secrétariat et à la fois vraiment de l'animation de réseau, de la com' interne, je participais aussi au travail pédagogique de construction des outils...et petit à petit j'ai pris un peu des responsabilités dans ce poste. Y a une assistante qui est arrivée donc moi ça m'a déchargée de pas mal de choses en gestion des outils, des commandes d'outils tout ça. Et puis quand je suis arrivée à la semaine là y avait...c'était animateur de réseau toujours mais y avait déjà plus de responsabilités. Déjà le réseau était beaucoup plus grand, c'était beauoup plus partie prenante, de travail de production des idées, des messages tu vois?- Oui. Et comment tu gérais ça n'ayant pas forcément de formation ou d'expérience particulière dans la SI?- Ah ben ça ça a été mon gros atout. Parce que quand je suis arrivée à Ethique sur l'étiquette je me suis dis justement olala le commerce j'y connais rien, vraiment...j'avais fait une année de sciences éco en seconde...ça me faisait un peu peur. Et enfait c'était mon atout sur le poste parce que moi

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j'étais sensée rendre les choses pédagogiques, les expliquer...alors à mon réseau, mais mon réseau souvent en savait plus que moi là-dessus parce que c'est des militants donc des gens qui sont investis. Collectif Ethique sur l'Etiquette c'est des gens qui s'y connaissent, c'est des gens...ils arrivent pas là par hasard. Mais par exemple pour la vulgarisation auprès du grand public et tout c'était assez utile. Moi j'ai appris, j'ai été formée par mes collègues et puis je faisais un peu le filtre pour faire un travail...là par contre l'aspect pédagogique c'était un peu mon truc, mes parents sont enseignants, j'ai fait le BAFA enfin tu vois...le côté éducation moi j'aimais bien. Après, après tu apprends à connaître le milieu. Pour peu que t'aies un peu de curiosité intellectuelle, que tu profites de Paris pour aller à des conférences, des machins et des trucs...A Artisans du Monde y avait pas mal de possibilités de formation, ils faisaient des formations des fois sur...je me souviens d'une formation faite par ATTAC, deux jours entiers sur l'économie, tu vas à l'Université d'été du CRID tu suis un module enfin, c'est de la formation un peu permanente de travailler dans ce milieu...c'est super. Et puis quand tu demandes une formation, on rechigne pas pour que tu l'aies non plus. T'as tes droits, tu les fais valoir...je suis pas encore allée au FSM et j'aimerais bien aller au prochain et ça je pense qu'il y a pas meilleure formation.- Et là comment ça se passe? Vous envoyez des représentants c'est ça?- Au FSM? Le CRID coordonne une délégation de 200 personnes, enfin maintenant plus je pense, alors dans les 200 c'est à la fois des gens des organisations du CRID, donc des salariés ou des bénévoles très actifs, qui vont y aller, et puis ces membres du CRID font venir leurs partenaires du Sud, et puis le CRID via une demande de financement à l'AFD va aider les partenaires du Sud à financer leur voyage. Donc y a toujours la DG et puis souvent un ou deux membres de l'équipe qui y vont, dans le cadre de tel ou tel projet, tel ou tel programme...c'est un gros truc hein. On a toujours un CDD embauché, en plus du staff permanent pour organiser cette délégation. C'est un truc très important pour le CRID.- Et comment est traité l'après?- C'est une bonne question. (Rires) Y a toujours un bilan... Mais enfait tu sais comment c'est fait, les forums sociaux c'est ouvert, c'est à dire qu'il y a pas de déclaration finale stricte. C'est surtout un lieu de ..pour faire avancer les idées mais aussi c'est souvent...les gens se rencontrent, ça crée des nouveaux partenariats...au Sud, entre tel et tel pays etc. C'est surtout ça la vraie valeur ajoutée je pense. Et puis chaque membre fait un peu avancer sa réflexion et quand on travaille sur le plan triennal du CRID, on sait que tout ça est très fortement alimenté par les expériences des gens aux FSM, des conférences auxquelles ils ont assisté etc. Mais y a pas un objectif précis de dire on va aller au FSM et puis...non. Un forum c'est un forum c'est un lieu ouvert et...- Oui oui, Mais après je veux dire tu peux avoir une forme de restitution...- Ouais ouais, y a un bilan collectif, y a un bilan écrit je pense. De toute façon y a une restitution avec la délégation, je crois que ça dure une journée, et puis le CA souvent fait sortir des choses qu'il va faire avancer...via les textes qui sont produits...y a Gus Massiah, tu vois qui c'est j'imagine?- Oui oui.- Lui il est encore au Comité international des FSM, il représente en quelque sorte le CRID, il a plus de statut pour le CRID -on avait pas envie tu vois de président honorifique ou de machin comme ça- mais bon il est toujours proche de nous évidemment et c'est lui qui tient la ligne des FSM our le CRID, entre autres. Y en a d'autres maintenant, y a le Secours Catholique qui est très présent aussi. Et y a une ancedote marrante à propos du Secours Catholique parce que, je sais pas si c'est encore le cas, y a 2-3 ans, le président ou le directeur du Secours Catholique qui était un préfet, un ex-préfet -le Secours Catholique c'est pas le CCFD donc sur certaines choses ils sont plus conservateurs- et Bernard Pinault le DG du CRID l'avait convaincu d'aller au FSM. Avant

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c'était genre un repère de gauchistes, extrêmistes enfin, comme l'opinion publique en a souvent ouï dire. Et donc il est revenu et Bernard Pinault il nous dit, il a été retourné comme une crêpe. C'est à dire le gars il est revenu, il a écrit un éditorial: “Dieu est-il altermondialiste?”. Et en interne ils ont un peu freiné parce qu'ils ont dit ça fait un trop gros décalage avec nos bénévoles, ils sont pas du tout prêts à ça. Parce que les bénévoles du Secours Catholique ils sont pas du prêts sur le volet international, c'est encore un peu...un peu difficile. C'est d'abord des gens de terrain quoi. Donc tu vois y a eu...depuis le Secours Catholique ne loupe pas un seul forum social.- Et toi dans ton boulot donc tu es en contact avec pleins d'associations en France...- ...ouais. Pas que des associations, il y a beaucoup de collectivités qui participent à la SSI. Donc collectivités, associations de tous les genres, y a des MJC, des...- Et avec qui tu es le plus en contact?- Oui. Quand je parlais de structuration du réseau, on a neuf coordinations en région avec lesquelles on signe une convention c'est à dire qu'on leur donne de l'argent pour les aider à faire ce qu'elles font donc là on les suit de très près, on les accompagne dans leur stratégie territoriale. Elles elles participent aux groupes de travail nationaux aussi, y a comme ça un vrai échange. Et après y a les pôles référents. C'est les collectifs ou les collectivités qui participent à la SSI tous les ans, qui la construisent d'une année sur l'autre, qui sont très moteurs, qui s'ouvrent toujours à de nouveaux acteurs etc.- Et ces pôles c'est quoi, c'est des regroupements d'associations?- C'est souvent des collectifs, alors d'associations, avec des collectivités, des écoles, c'est ouvert hein, participe à la SSI qui veut.- Par exemple, quelques noms?- De collectifs?- Oui.- Ben je sais pas...y a le collectif euh...par exemple sur la Communauté d'agglo de Cergy-Pontoise y a la communauté d'agglomération qui est très porteuse, très moteur sur la semaine mais y a aussi un collectif associatif avec lequel elle collabore, qui va regrouper Artisans du Monde...souvent voilà, ceux qui sont dans les collectifs c'est ça: y a le CCFD, Artisans du Monde, les centres RITIMO -très important eux parce qu'ils ont en plus des locaux...quand y a un centre RITIMO il ne peut pas ne pas participer à la semaine, c'est un pilier important-... On va retrouver des comités ATTAC par exemple, alors qu'ATTAC n'est pas membre du CRID par exemple, c'est un partenaire du CRID mais il est pas membre, on va retrouver...des écoles, des centres sociaux et puis pleins de petites associations locales de SI, de jumelages qui ont été créés parce que le mec il a fait un voyage au Mali il est tombé amoureux du Mali, il a créé le truc, y a des associations de migrants beaucoup, c'est pas toujours facile de les faire travailler avec les autres mais grosso modo ça avance...donc on a pleins de collectifs qui s'appellent collectifs de la SI de trifouilli les oies ou collectif Aujourd'hui le Monde ou Sauvons le Monde ou...enfin tu vois, des noms comme ça. Ou le collectif de la SSI carrément mais souvent c'est pas formalisé, c'est des collectifs qui sont informels, certains sont constitués en associations mais... Et puis le portage des collectifs peut changer, une année ça va être un tel, une année une autre structure ou alors des fois ça va être la même personne qui va tenir à bout de bras le collectif toute l'année, tu sais vraiment le bénévole permanent 100%, qui porte tout sur ses épaules...- Et dans tes 10 ans d'expérience est ce que tu vois des évolutions?- Dans les pratiques?- Ouais. Et même dans les relations que vous entretenez avec les différents collectifs etc.- C'est vrai qu' an 10 ans, j'ai un peu du mal à voir la différence, parce que...pour moi y a vraiment un renforcement du collectif, des dynamiques collectives par rapport aux dynamiques

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individuelles. Ca se voit surtout par l'engagement des jeunes. Avant, le profil du militant c'est tu l'encarte à vie pour une association, tu lui voues corps et âme...je sais pas si tu connais Patrick Viveret qui parle de l'engagement sacrificiel, le côté très militant, souvent aligné sur les positions communistes à un certain moment enfin bref y a eu tout ça, aujourd'hui l'engagement il est plutôt centré autour de l'individu qu'auprès de l'association, l'individu va faire son propre patchwork d'engagement, il va aller ici et là, il va butiner un peu, c'est des militants butineurs. Il va profiter d'une expérience à gauche pour l'investir ailleurs, il va se positionner à la fois sur du local, sur de l'international, sur du national, sur des trucs très écolos et à côté sur des trucs très juridiques euh...donc ça créé les bases pour un vrai maillage entre les organisations donc y a une densification de la notion de réseau. Enfait j'ai été interviewée la semaine dernière par une ancienne collègue pour Altermondes sur cette notion là de profil militant...enfait on est vraiment à la cohabitation des deux parce que les anciens qui étaient moulés sous l'ancien format, ils sont encore là et ils sont encore très actifs, ça va être les retraités, même les jeunes retraités ils sont encore sur ce fonctionnement là, ils...ça fait 10 ans, 20 ans, 30 ans qu'ils sont à Artisans du Monde ou à Peuples Solidaires tout ça et ils tiennent encore. Ils commencent à fatiguer certains, y a des associations qui meurent et tout mais grosso modo ils marquent encore beaucoup le milieu. Quand on réunit par exemple les collectifs en région du CRID...alors oui le CRID a quand même en région des collectifs qui se sont créés plutôt sur une base politique, c'est à dire qu'ils partagent les mêmes valeurs que le CRID et ils veulent...ce sont des collectifs associés au CRID, ils peuvent pas être membres parce qu'ils sont pas nationaux, mais ils sont associés, donc c'est le CODASI Haute-Normandie, la Maison des Citoyens du Monde à Nantes, la Maison des Droits de l'Homme à Limoges etc. Et les gens qui viennent aux réunions, tu vas avoir les vrais militants de la vieille purs et durs, assez intraitables par exemple sur la question de la compromission avec les entreprises...ou même avec les collectivités territoriales...un peu corporatistes enfait dans leur genre tu vois?- Et même vis-à-vis des collectivités territoriales, ouais... pourquoi? Ils ont peur de...de l'instrumentalisation ou...?- Ouais, il y a beaucoup des peurs de récupération. Et c'est des choses qui arrivent. Mais souvent ça crée de vraies tensions alors que chacun peut avoir sa place mais y a aussi des collectivités qui vont faire de la SI un peu de manière gentillette, pour faire de l'animation dans la ville, ça va être très culturel tout ça mais sur le fond walou quoi. Nos militants sont assez méfiants par rapport à ça, on est obligé nous de pacifier les débats, décomplexer, montrer que quelquefois y a des élus dans les collectivités territoriales qui rament pour ramener des asso sur des choses comme la SSI. Ca ça commence un peu à évoluer. Par contre le rapport avec les entreprises ça c'est bloqué pour un moment je crois.- Et même avec les nouveaux profils militants?- Alors en même temps y a les nouveaux profils qui sont plus un mélange de jeunes bénévoles étudiants ou nouveaux actifs avec un profil plus créatif, les nouveaux militants comme on dit, les jeudis noirs et compagnie. Mais faut se méfier parce que c'est très parisien aussi ce style d'engagement, y a ça un peu dans d'autres villes quand même...c'est un peu les jeunes bobos qui vont avoir beaucoup d'idées, qui vont beaucoup utiliser le ressort théâtral, descendre dans la rue, utiliser les flash mobs, facebook et tout ça. Donc ça ça dynamise beaucoup les associations et y a des conflits générationnels des fois importants. Et puis dans les jeunes y a aussi beaucoup les salariés de ces associations là qui sont souvent tous seuls, par exemple tous les salariés des boutiques artisans du monde c'est des jeunes qui ont ce même profil en gros mais qui en tant que salariés doivent un peu faire profil bas vis-à-vis des élus, c'est normal, mais en même temps c'est eux qui ont l'expertise souvent, c'est eux qui pensent le truc plus à long terme, qui se coltinent

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aussi le travail des fois de mise en partenariat etc. donc ceux là ils apportent aussi des choses assez intéressantes.- Et pour les nouveaux profils, tu me disais...ils ont des formes d'action différentes on va dire mais est ce que sur le fond tu dirais qu'il y a des différences? Par exemple est ce qu'ils sont aussi méfiants vis à vis des entreprises etc.?- Ca dépend mais ils sont plus pragmatiques quand même. Eux ils sont dans l'action, ils veulent faire des trucs, valoriser ce qu'ils savent faire, s'investir dans un truc qui se voit, qui claque et ils ont raison. Ils ont pas peur de...ils maîtrisent mieux aussi le milieu médiatique etc. ils ont pas peur de se le coltiner. Je pense que les vieux ils ont un côté un peu désenchanté aussi sur certaines choses. Ils ont pas les mêmes repères...quand t'as été formaté dans le cadre de la Guerre Froide essentiellement, t'as du mal je pense à te confronter à une vision du monde plus complexe, moins idéologique et tout ça. Et les jeunes ont cette souplesse là qui assez libératrice quand même. Mais...enfait on s'est vraiment posé cette question là parce que quand on a lancé notre dynamique d'innovation les Coup de Pouce financiers on les octroyait à condition que les gens renouvellent leurs pratiques donc on leur disait: mais ça votre truc c'est pas...enfin, c'est pas faire du neuf pour faire du neuf mais le but c'était qu'ils nous montrent un peu qu'ils se torturaient la tête pour faire venir de nouveaux publics. Donc y en a qui ont été un peu vexés qu;on leur propose ça et qui nous on dit: on fait du vent, on infantilise le public, en faisant des scénettes théâtrales dans la rue, des freezes aussi, alors ils disaient on fait un freeze et après les gens so what? Ils s'arrêtent et ils repartent et ils ont rien de plus dans la tête etc. Donc on a eu un doute à un moment donné, on s'est dit est ce qu'on est pas entrain de brasser du vent et tout. Et enfait trois après on s'est rendu compte que là où y avait des exemples vraiment intéressants, des jeunes très créatifs, quand ils mènent la créativité jusqu'au bout et ils vont vraiment dans le politique. Y a des trucs notamment dans le sud, là où on s'y attendrait pas forcément parce que par exemple PACA c'est...ben peut-être parce que c'est super conservateur voire xénophobe etc. au niveau du milieu, qu'il y a pas l'aide des collectivités territoriales du tout etc. du coup les militants ils osent plus, ils ont moins peur de fâcher les collectivités parce qu'ils savent que y a pas moyen de faire des trucs avec eux. Et on se rend compte que le passant il a pas peur d'être interpellé dans la rue au contraire, tout à coup on leur donne à voir un message, on les amuse pas simplement....- Et du coup est ce que les bénévoles tournent beaucoup? Puisque tu disais que ces nouveaux militants butinaient etc.?- Ca dépend, moi j'ai quand même des interlocuteurs qui restent d'une année sur l'autre, après enfait les collectifs sont très investis par les anciens. Les jeunes vont être là mais un peu à côté...les vieux nous disent, je caricature exprès: les jeunes ils viennent, ils partent, c'est jamais les mêmes, ils suivent pas les trucs, ils arrivent toujours à la traîne...forcément, les étudiants leur calendrier c'est quoi? Ils commencent leur année en octobre, la SSI c'est en novembre donc ça crée un super décalage. Et du coup les jeunes nous disent j'en ai marre de me farcir des réunions je veux être dans l'action et tout. Donc il faut qu'ils trouvent un mode de travail ensemble, c'est plus un mode de complémentarité...Mais c'est clair qu'il y a un turnover important pour les jeunes et ça déconcerte les vieux.- Et ça ça a forcément un impact sur la construction d'un message ou d'une réflexion dans une association, non?- Ben pas forcément parce qu'ils disparaissent mais ils vont mettre leur énergie ailleurs, sur les mêmes valeurs. Je pense que quand les gens cultivent leurs valeurs, leur militantisme, leur façon de s'engager dans la vie etc., ils peuvent revenir dans une asso derrière, ils ont rien perdu si tu veux. Ils ont peut être alimenté leur réflexion mais je suis pas sûre que ce soit les gens qui pérennisent les messages dans les structures. Ouais je sais pas, c'est une bonne question mais j'ai

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pas l'impression que ça...- Non mais c'est vraiment une question, je sais pas. Mais si on prend ISF tu vois, y a pour le coup un turnover énorme et qui est à la fois une force et une faiblesse. C'est vrai qu'à la fois ça renouvelle les questionnements parce que ben t'as des gens nouveaux qui arrivent et qui parfois ont des questions très naïves mais...c'est bien aussi parce que ça permet de pas s'installer dans des trucs tu vois. Mais si y avait pas quelques anciens pour assurer un peu la mémoire de l'association et puis un peu tout ce qui a été capitalisé et puis au final pourquoi y a une position à un moment donné c'est parce qu'il y a eu quand même tout un chemin. Et si y a pas ça très vite tu peux retomber dans un truc où...- Ouais. Mais au niveau national je pense que ça se sent mieux, ça ce sent plus. Parce que tu peux être dans une association nationale et n'être là que pour apporter de la réflexion etc. Alors qu'au local directement on te demande d'agir, d'être dans l'action, du coup...non mais c'est vrai t'as raison, il faut des piliers quand même qui rappellent des trucs et tout mais finalement quand les piliers disparaissent les structures s'en sortent bien aussi. Et même si la structure se casse la gueule, y en aura une autre qui sera montée à côté avec les mêmes gens. Je pense qu'il faut aussi désacraliser l'association en tant que structure. Je pense que ce qui compte c'est que les messages, les valeurs circulent, les actions se montent, se démontent, se remontent etc.- Oui. Mais vous votre boulot justement c'est de faire du réseau et de structurer tout ça enfait donc quelque part...- ...oui on essaie d'aider les gens à se pérenniser.- Oui, après tout dépend de l'échelle à laquelle on raisonne quoi.- Après c'est ce que je dis souvent, un réseau ça se décrête pas, ça se construit. Les militants les plus proches du CRID en général décrêtent des réseau, des collectifs notamment, régionaux, avec en gros une charte de principes, les valeurs de la SI, peut être qu'ils vont écrire des lettres aux candidats aux élections locales tout ça, et finalement pour la SSI ils font pas grand chose, ils ont pas de salariés, ils veulent pas demander d'argent aux régions parce qu'ils veulent être indépendants etc. donc c'est que sur des bases bénévoles et sans projet. Ils ont une vision, ils partagent effectivement des valeurs mais ils ne partagent pas un projet. C'est très souvent le cas. Et à côté de ça y a des jeunes ou pas forcément que des jeunes mais des gens plus actifs qui veulent construire du projet, participer à la SSI etc. demander directement des financements pour faire une création de poste au bout d'un an etc. Alors niveau valeurs et tout ça, ils ont peut être pas pensé à la charte qu'ils veulent écrire et tout mais grosso mode ils sont quand même dans le même moule que nous, et eux ils font les choses. Moi je fais souvent la modération entre ces structures un peu virtuelles et très politiques et ces structures franchement plus ancrées sur le terrain. Et y a des vrais conflits d'intérêts entre ces structures là. Moi j'ai tendance à dire c'est ceux qui font qui sont légitimes quand même. Les déclarations c'est bien mais...en tout cas pour la SSI il faut se farcir le contact avec les gens, aller au devant, demander de l'argent aux collectivités, bon parfois y a des conflits à gérer avec les collectivités mais...- Sinon tu me disais que les ONG d'urgence voulaient de plus en plus n'avoir recours qu'aux fonds privés pour être indépendantes, et tu dirais que les ONG de développement, ou même droits de l'Homme etc. elles cherchent pas autant à le faire?- Ben c'est ce que je constate...en tout cas les associations du CRID elles sont plus dans une logique de demande de financement public, c'est aussi une position idéologique de dire les impôts des contribuables doivent servir à l'aide publique au développement, les Etats doivent participer à la construction d'un autre monde enfin voilà. Alors que les ONG qui interviennent sur le terrain, elles vont pas se compromettre avec les Etats parce qu'il y a trop de choses qui rentrent en compte au niveau diplomatique et qu'en plus comme elles sont purement sur du Sud elles ont plus de mal

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à justifier que l'argent public soit...y a des attaques, notamment du Front National et récemment de l'UMP, disant l'APD ou cet argent qu'on donne aux associations n'est pas de compétence publique. Donc pour l'instant on s'en est toujours sorti parce que voilà, on défend que l'éducation des citoyens à la mondialisation, à tout ce qui se passe dans le monde c'est un des rôles du public, mais c'est vrai que y a des associations qui sont vraiment sur du Sud qui ont du mal à défendre ça. C'est pas directement utile aux citoyens quoi. Je pense que c'est une posture assez philosophique...jusqu'à ce que...tant qu'on peut rester indépendant sur ce qu'on fait. Quand l'Etat (par le MAE et maintenant l'AFD) finance la SSI, il finance clairement son contre-pouvoir. Il va financer des actions de Survie qui dénonce la Françafrique par exemple. C'est donc quand même une grande chance qu'on a encore en France d'avoir ce schéma là. Par contre je suis pas sûre que Dov Zehra le nouveau directeur de l'AFD qui est très connu pour son clientèlisme avec la Françafrique et ses positions super pro-israeliennes et tout ça, je suis pas sûre qu'il continue à voir les choses de cet oeil là. Comment est ce qu'il va censurer ces trucs là je sais pas.- Et vous avez quoi comme autre recours si celui il se ferme?- Je sais pas parce que comme je te disais sur le plan des financements privés on est pas du tout prêts à aller demander de l'argent aux grosses multinationales, pour les mêmes raisons de toute façon. Donc si on a des problèmes avec les finances publics on va rentrer là dans une vraie logique d'opposition, de plaidoyer, de politique directe quoi. J'imagines hein, c'est pas à l'ordre du jour encore mais on se méfie un peu. Mais on tient bon parce qu'on a un gros réseau derrière et ils savent que s'ils nous fâchent...en plus avec la crise actuelle, pour nous c'est aussi...les gens savent bien que si on aide pas, que si les pays au Sud ne se développent pas, ne trouvent pas leur autonomie etc, ça ira pas bien chez nous non plus. Et puis y a des engagements, on s'est engagé à 0,7% de notre PIB pour l'APD, on en est tellement loin que reculer ce serait encore...mais vu ce que dit Sarkozy en ce moment on pourrait... et lui il parle aussi...y a eu quand même des coupes budgétaires mais elles se font au détriment des associations isolées, et pour les financeurs, les bailleurs publics c'est toujours plus facile de financer des collectifs parce qu'en gros ils font d'une pierre pleins de coups. Alors nous on défend ça parce qu'on défend l'action collective mais en même temps on défend aussi le droit de chaque association à faire ce qu'elle veut donc on est un peu le cul entre de chaise là dessus. Mais en France on a un réseau très entremaillé et je trouve que c'est une vraie richesse, ça nou sfait faire des trucs qu'on ferait pas...Tu vois, que ce soit Ethique sur l'Etiquette ou la SSI, quand on voit ce qui se passe dans les pays du même genre en Europe, on a toujours été considérés comme exemplaires par les autres. Pas pour tout. Par exemple, en com', pour atteindre les grans média et tout ça on est nul, on met pas de budget là dedans. Mais par contre y a des initiatives partout en France, décentralisées, en réseau, on mutualise les expériences etc. Alors c'est vrai que quand y a un schéma plus anglo-saxon c'est la big ONG qui fait son truc, qui fait de la grosse com' et tout ça a un impact sur le public mais par contre c'est pas dans une logique très éducative.- Et c'est une volonté de pas mettre d'argent dans la com'?- C'est un gros tabou. Nous on a commencé à lever le tabou parce qu'on a embauché un chargé de com' à plein temps. Tu te rends compte, pour un évènement aussi important que la SSI ça fait que 2 ans qu'on a un chargé de com', avant on avait un attaché de presse sur 3-4 mois. Et à un moment on s'est dit quand même si on existe dans les média ce serait un vrai plus, il suffit pas d'avoir un chargé de com', il faut aussi avoir un budget. Là on l'a pas encore. C'est vrai que c'est difficile de mesurer l'impact de ça aussi, du coup, les gens sont un peu sceptiques. Ils préfèrent donner de l'argent...on a un gros budget pour financer les actions locales, au moins ils savent comment c'est utilisé etc. Moi je sais pas trop, je sais pas vraiment si ça nous sert. Localement ça sert, les gens si ils voient des affiches partout dans la rue, ils voient ça à France 3 et tout ça, ils vont plus aller aux

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manifestations. Après évidemment si on fait le JT des grandes chaînes ce sera bien mais avant ça on est dans un entre deux là, on fait des partenariats avec Alternatives économiques, France 3 etc.- Mais c'est un tabou parce que y a cette idée que ça voudrait dire “vendre son âme”, on devient comme les entreprises etc.?- Ben, on peut pas avoir un sponsor quoi. Quoi nos sponsors...on a le Crédit Coop. qui nous donne un petit coup de main, on a eu la CCAS aussi, on a quelques fondations mécènes qui demandent pas d'affichage et tout mais euh...ça serait difficile de...on veut pas Orange sur nos affiches quoi ou Bouygues, ça apparaîtrait comme incohérent et...moi je pense que ça le serait mais en même temps je sais pas si on doit pas passer par là pour...et...on va dans ce sens là quand même hein, y a des gens plus pragmatiques qui arrivent dans les instances nationales mais...c'est un peu la quadrature du cercle, on sait pas comment...actuellement les gens seraient prêts plutôt à revoir à la baisse leur action plutôt que de se compromettre. Et en même temps on découvre qu'on peut faire beaucoup de choses sans moyen.- Ouais moi j'ai travaillé dans une petite asso environnementale où il y a avait très peu de moyens et très peu d'organisation ou de structure, très peu de formalisation etc. Mais les gens avaient une telle motivation et une telle créativité qu'ils arrivaient à faire des trucs sensationnels. Ca a pas mal chamboulé mes représentations et j'ai eu l'impression à ce moment là que toute forme de structuration enlève forcément un peu quelque chose de l'ordre de l'énergie ou de...- Ouais ouais, moi je pense qu'il faut les deux. Ce que je trouve vraiment nouveau dans ce type de travail c'est que ce sont des militants qui sont prêts à s'adapter à pleins de sujets différents, ils disent ouais ok ça ça colle avec nos valeurs on y va quoi. Et la spécificité de ce réseau là c'est la forme de l'action, c'est la forme de travail, alors qu'y a d'autres orga qui ont des formes très traditionnelles, très basiques d'action et qui vont se concentrer sur un sujet pointu tout ça. Et enfait ça devrait être une collaboration permanente entre ces deux types d'organisations.- La forme d'action c'est quoi, quelle forme?- Le réseau Génération précaire, Macaques, Jeudis Noirs enfin tout ce qu'on appelle les nouveaux militants, enfait c'est les mêmes amis plus ou moins qui vont se mobiliser là-dessus, puis là-dessus etc. ils jouent sur les média, ils utilisent la rue, l'action théâtrale, ils ont fichier presse de ouf je pense, enfin voilà, ils sont efficaces sur pleins de trucs comme ça, des champs de compétence et sur la dérision, sur des registres aussi qu'on retrouve dans chacune de l'action, par contre ils peuvent passer des questions de genre, aux questions de paradis fiscaux sans problème.- Ouais mais sans problème...tu vois là par exemple dans l'asso où j'étais ça posait quand même problème ça, au niveau de l'identité justement de l'association. Parce que c'est pas toujours facile...quand tu commences à partir sur tous les sujets, sur toutes les causes...- Oui mais parce que c'est une association, alors que là moi je parle d'un réseau qui devient enfait une multitude de collectifs informels donc c'est moins problématique.- Et t'as pas l'impression des fois que ça brouille le message, à force?- Ben non parce que leur message à un instant T il est très fort, parce qu'ils savent le faire fort. Et ils savent jouer avec la presse etc. pour qu'ils soit catapulté sur le devant de l'espace médiatique. Et après il va être oublié mais c'est pas grave, peut être que derrière quand même y a une loi qui va s'enclencher. C'est ce qui s'est passé avec les enfants de Don Quichotte quand même. Cette action ça a mobilisé les médias pendant 3-4 mois et au final on a eu un projet de loi.- Du coup, limite l'association, la structure, l'ONG, c'est limite un frein alors pour toi? En terme d'impact ou...- Je sais pas... parce que par exemple sur cette loi, le DALO, derrière t'as quand même des structures historiques comme le DAL, j'imagine la LDH tout ça, qui prennent le relais sur l'expertise juridique et là ils faut capitaliser sur des années et des années, donc y a besoin de ces

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structures là, mais enfait c'est vraiment une question de complémentarité et jusqu'à présent...y a 10 ans les vieilles structures, les structures pérennes étaient vraiment en mal de renouvellement et elles avaient besoin de cet appel d'air que les jeunes ont amené avec leurs modes d'action plutôt qu'avec leur fond. Et en même temps ils arrivent à se positionner sur le fond quand même vachement plus facilement. C'est aussi des gens qui ont fait des études sup assez poussées, qui ont une vision beaucoup plus globale du monde d'emblée, beaucoup moins formatée sur le cadre idéologique et tout ça donc...votre génération elle est vraiment réactive sur pleins de sujets parce que...on voir bien que le formatage il est vraiment global quoi. Ca on le sent hein, que les étudiants de maintenant ils sont beaucoup plus réactifs.- Oui. Après je sais pas où et de quels étudiants on parle. Au niveau générationnel peut-être mais après...- Ben même les jeunes, mêmes les lycéens. Tu sens qu'ils pigent beaucoup plus vite...bien qu'on puisse les abrutir avec des émissions de plus en plus nulles à la télé mais malgré tout (rires), on sent qu'ils sont ouverts au monde d'une autre façon que moi je l'étais...enfin moi, au lycée j'avais pas Internet quoi...ça a quand même ouvert...la mondialisation de l'information...- Oui mais c'est vrai qu'après t'as ce risque de zapping quoi. C'est pas toujours facile de s'y retrouver.- La question que je me pose c'est...c'est vraiment notamment pendant les années d'étude. Moi j'ai zappé jusqu'à y a deux ans. J'ai fait un truc, un autre...et en même temps, finalement je regrette pas parce que tout ça ça m'a aidé à construire quelque chose d'un peu cohérent. Et puis à un moment donné, je sais pas si c'est le cas de tout le monde, mais bon la trentaine tout ça je sais pas (rires), j'ai dit tiens je vais pousser un peu plus loin ce truc là, j'ai poussé un peu plus loin la Palestine, j'y suis allée et là maintenant, à titre bénévole c'est là-dessus que j'ai tracé. Alors j'aurais pu m'engager ailleurs pareil. Alors je sais pas si c'est aussi l'âge qui fait qu'à un moment donné on a plus envie de s'éparpiller, mais peut être qu'il y a des gens qui choisissent jamais, mais peut être qu'ils apportent quand même des choses à chaque fois où ils vont etc. En tout cas moi je me vois bien d'ici 5 ans dire je pense que j'ai fais le tour de cette question là...les amis je vous aime bien, je vous garde en vue mais je vais aussi m'investir sur un autre truc qui me branche bien, qui me permet de comprendre mieux le monde en explorant d'autres champs...- Et au niveau bénévole alors tu t'impliques sur la Palestine? Comment?- Enfait je suivais la Palestine depuis 10 ans, des conférences, des manifs tout ça. Et puis pourquoi...je sais pas pourquoi...je trouvais que c'était un noeud géopolitique super important, qu'y avait un truc un peu bizarre qui se passait en France autour de ça, du coup y a un an et demi je me suis dit c'est bien gentil de te faire ton opinion mais il faut faire quelque chose et pour faire quelque chose il faut y aller là-bas. Tant que t'iras pas là-bas tu pourras pas être assez forte pour porter tes opinions, pour être crédible et tout ça. Donc je suis partie l'année dernière avec les missions civiles du réseau palestine, la CCIPPP (Campagne Civile Internationale Pour la Protection du Peuple Palestinien), c'est une petite asso qui...c'est pas une asso qui communique, son boulot c'est de permettre à des citoyens lambda de partir là-bas, de rencontrer les gens et tout ça. C'est une association qui est très branchée Forums sociaux aussi. Enfait on te préviens, on te dit tu vas aller là-bas mais ton voyage c'est 10% de ton engagement, derrière tu vas être investie de fait d'une mission pour témoigner notamment etc. Et donc c'est ce qui s'est passé, je suis arrivée, direct on m'a impliquée sur des actions, je suis allée au Caire en décembre, y avait une marche pour essayer de rentrer dans Gaza, une marche internationale avec...- Et là-bas en Palestine vous faisiez quoi?- Le but c'était d'abord de rencontrer des palestiniens dans pleins d'endroits pour comprendre ce qu'ils vivaient. L'association te fais ton programme, ils te disent tu vas aller là tel jour, là tel jour

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etc. après on est un petit goupe, on se connaît pas et on se démerde comme si on avait un guide du Routard quoi, on prend des hébergements, souvent on est hébergés chez des particuliers quan même mais bon...la Cisjordanie c'est grand comme un département français donc on sillone le département. Et l'association nous forme pour pouvoir rentrer en Palestine. Parce qu'à l'aéroport t'es obligé de passer par Tel Aviv en Israël donc ils peuvent te dire non vous vous rentrez pas. Donc t'es obligé de te préparer un alibi enfait, tu peux pas dire que tu vas en Palestine, tu peux dire que tu viens pour le pèlerinage ou ce que tu veux...Et après on rencontre pleins de gens, on va voir les colonies, on participe à des actions de terrain, on est dans les manifs, les actions d'interposition entre les Palestiniens et les soldats etc. Du coup quand tu reviens t'as bien compris des trucs, les palestiniens t'ont dit ce qu'ils avaient sur le coeur, ils t'ont dit, il faut que tu témoigne, que tu parles de nous...- Et c'est un réseau qui fait que ça enfait? Il organise des...- Non, c'est une petite asso et son coeur c'est ça, de permettre à des gens...après les gens qui partent faire des missions ils vont s'investir localement, par exemple ils vont créer un comité chez eux ou ils vont aller dans une association comme l'AFS, le gros réseau Palestine en France, ou t'as des profs qui vont développer un partenariat avec une université palestinienne, d'autres c'est des enseignants ils vont faire ceci, d'autres c'est des étudiants ils vont faire cela. Enfin, chacun fait son truc mais le CCIPPP c'est une des asso aussi qui est présente dans tous les projets collectifs sur la Palestine. Par exemple on avait un militant dans la flotille vers Gaza, les bateaux qui ont été attaqués. Donc on était là-dessus, on était dans l'organisation de la marche internationale pour Gaza, dans pleins de projets collectifs mais souvent...en particulier dans le milieu Palestine les gens communiquent sur le projet qui est en cours souvent: pour lever le blocus de Gaza, pour soutenir la résistance non-violente, pour...et les orga elles passent derrière, typiquement c'est un réseau qui évolue vraiment là sur l'effacement des orga au profit du projet et de l'engagement de ses citoyens. Les gens qui sont engagés là-dedans, c'est pas n'importe quels militants quoi, c'est des personnes qui...c'est pas des bénévoles quoi, c'est des personnes qui ont vraiment envie de porter un discours...enfin de toute façon si elles l'avaient pas au départ, après elles l'ont (rires).- Tu dis que c'est pas des bénévoles, pourquoi?- C'est pas des bénévoles dans le sens où...la différence entre un bénévole et un militant c'est qu'un militant il est capable de porter un discours, le bénévole c'est celui qui dit ah ben tiens je sait pas quoi faire je vais aider telle asso. Et çà sur la Palestine y a pas, y a très peu parce que c'est un sujet tellement sensible qu'il faut vraiment avoir travaillé ses idées avant de s'engager. Alors que y a des assos comme Artisans du Monde qui est pourtant un peu politique ou d'autres, où les gens peuvent rentrer en disant tiens j'aimerais bien faire des permanences le samedi après-midi à la boutique ça m'occuperait. Pourquoi pas, ces gens là après ils peuvent devenir militants ou ils peuvent ne jamais rentrer sur ce registre là. Mais sur la Palestine d'emblée tu te marques quand tu rentres dans ce milieu là et...- C'est marrant parce que finalement quand tu vois les missions de développement dans des pays en développement, du type ex-colonies françaises par exemple, tu pourrais te dire que ça requiert le même niveau militant de réflexion etc. et pourtant y a énormément de gens qui y vont parce qu'ils ne savent pas quoi faire ou...tu vois?- Oui, c'est vrai. Oui, tout-à-fait.- Et c'est marrant parce que dans notre tête effectivement, le combat Palestine il est vraiment identifié...- ...il est très politisé ouais...- ... voilà comme très politisé etc., alors que...c'est des décennies peut être de dépolitisation mais...je veux dire c'est au moins aussi politique ce que tu fais, selon moi hein, quand tu vas faire

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du développement.- C'est vrai. Sauf que justement la Palestine elle est pas encore décolonisée euh...- Oui voilà, ouais. C'est peut-être plus fort parce que c'est plus visible...- Oui. Et puis c'est une colonisation particulièrement violente et qui résonne aussi avec l'identité de la France.- Oui après c'est plus dissolu ailleurs, c'est vrai que là c'est très lisible comme réalité aussi.- Oui. Oui, y a un miroir en France de ce conflit là. C'est vrai que, sur les anciennes colonies euh...je sais pas tu vois quelle est la proportion de gens tu vois qui s'investissent sur l'aide au développement par exemple en Afrique et glissent sur des questions comme la Françafrique, ou euh... qui s'engagent dans Survie, on a l'impression que c'est vraiment, qu'y a une césure là, parce qu'y a aussi une partie des développementistes qui sont quand même sur des schémas un peu coloniaux quoi.- Ouais ouais biensûr. Même s'ils le disent de moins en moins, enfin, j'ai l'impression que les discours évoluent...- Les discours évoluent mais alors les pratiques! (rires) Y a encore des...alors je connais pas très précisément leur travail mais quand je vois Bibliothèque Sans Frontières qui fait des collectes de bouquins en France pour envoyer là-bas je me pose des questions, je me dis c'est pas possible, on en est encore là quoi.- Dans la bourgade d'où je viens, y a un groupe humanitaire local qui fait partie du comité de jumelage, et ils font ça en gros.- Les actions de jumelage c'est grave quand même. Et d'ailleurs les projets de coopération internationale en général y en a certains de vraiment...- Moi j'ai pas l'impression que ce soit...bon c'est peut-être plus marqué encore quand ce sont des petites structures comme ça où les gens...c'est ce que tu dis, le bénévole vient parce qu'il sait pas trop quoi faire et puis y a un peu de culpabilité machin...- Ouais et puis ils se forment pas beaucoup quoi.- Voilà, ils se forment pas spécialement, ils se posent pas spécialement de questions etc. Mais même à une échelle plus large, j'ai l'impression que t'as quand même pas mal d'asso ou d'ONG qui peut-être dans les discours ont évolué pas mal mais dans les pratiques finalement...”- Ben c'est difficile de remettre en cause ses pratiques, heureusement ça coûte de plus en plus cher d'envoyer de containers...(rires) Mais en même temps voilà, moi j'ai commencé comme ça, j'étais étudiante, j'animais un club d'enfants, on s'est dit on va faire une collecte de peluches enfin le truc caricatural quoi. Les peluches elles ont jamais atteri là-bas, on avait pas pensé à les acheminer (rires). Et puis en même temps, j'ai fait ce projet là, après j'ai rencontré une asso étudiante qui était plus intéressante parce que qui était plus sur l'idée d'échange interculturel etc. et puis je me suis coltiné en face...y avait déjà la Maison des Citoyens du Monde à l'époque qui m'a renvoyé un peu des piques en me disant ouais mais ça tu te rends pas compte et tout, et puis après j'ai réfléchi et puis c'est bon j'ai évolué. Mais...heureusement y en a beaucoup qui ont ce cheminement là. Au téléphone j'en ai toutes les semaines, des gens qui me disent on voudrait participer à la semaine pour faire une collecte de machin...bon, alors on réexplique...(rires) Je me souviens aussi d'une vidéo où on voyait des cartons de bouquins qui arrivaient de France et sur les cartons y avait un gros tampons “rebus”. Tu te rends compte? Ils envoyaient ça aux gens, et les africains ils montraient ça et ils disaient mais vous vous rendez-compte comment on nous considère? Les autres ils vont dire quand même on a payé des sous pour vous faire acheminer tout ça...Ben ouais mais...et puis y en a qui ont ce recul critique et qui réagissent mais y en a aussi certains...ça entretient aussi une forme d'assistance.- Et donc là tu te vois bien évoluer vers quelque chose de plus comme la Palestine?

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- Non je suis pas sûre que professionnellement j'ai envie de m'engager là-dedans, c'est un peu trop émotionnel comme combat. Je trouve que c'est bien d'avoir un, ça m'a fait du bien enfait d'avoir vraiment un domaine de militantisme personnel, sinon t'as tendance à...j'avais l'impression à un moment donné d'être sur un belvédère mais je touchais jamais terre quoi tu vois? (rires) et aussi pour pouvoir sortir un peu la tête...ça devient un peu obsessionnel quand tu fais un boulot comme ça, il te tient à coeur. Et ça fait du bien aussi de croiser d'autres gens, le réseau Palestine c'est pas tout-à-fait le réseau du CRID...y a beaucoup beaucoup de convergences il faut le dire mais c'est un réseau plus à l'extrême gauche, plus arabe donc c'est une nouvelle sphère quoi. J'espère qu'il y en aura encore d'autres mais c'est bien d'avoir les deux.- Du coup dans ton boulot tu te vois comme une militante d'abord et une professionnelle après, les deux en même temps...?- Je sais pas si je mettrais l'un plus que l'autre, c'est sûr que dans mon travail je peux dire que je suis militante. Enfin jusqu'à présent, peut être qu'un jour... et professionnelle ben oui, enfait par exemple, le métier d'animateur de réseau pour moi c'est un vrai métier, mais on l'apprend nulle part tu vois. C'est à la croisée de l'éducation, de l'info-com' et puis un peu du politique, des idées quoi. Et ça se développe beaucoup, on retrouve maintenant des animateurs de réseau partout et je trouve qu'y a quelque chose dans ce métier qui est le reflet de la société d'aujourd'hui, notre société est une société de réseaux,dans la façon dont...les gens... la communication inter-individuelle ou entre organisations et tout ça. Donc pourquoi faire bénéficier...continuer ce métier dans d'autres sphères, peut être de façon un peu plus théorique ou formation tu vois. Après chef d'un projet qui m'intéresse pourquoi pas non plus quoi. Ca fonctionne beaucoup par opportunité dans ce secteur là. [...] Nous tous les stagiaires qu'on prend ils viennent de sciences po quasiment. Pour moi les gens de sciences po au niveau connaissance du milieu ils sont calés donc ça ça aide. Les compétences techniques ça dépend de chacun, de ce qu'il a fait dans sa vie... mais la motivation voilà, ils ont la motivation. Sciences po “formate” des gens qui sont proches de notre vision politique de la SI. C'est vraiment un bon profil pour les chargés de mission. [...] Souvent tu te retrouves à faire tes trucs réflexifs dans le train ou chez toi, et puis quand t'es au bureau tu fais ce qu'il y a à faire. Mais comme tu t'y retrouves personnellement ça va. On a de la chance.- Ton statut c'est quoi?- CDI. Cadre. Je suis passée cadre cette année, ça aurait du être avant mais ça s'est formalisé cette année.- Et au niveau des salaires c'est aligné sur ceux de la fonction publique ou pas du tout.- Ah non pas du tout non. Y a pas de convention ni rien. Euh...moi par exemple...combien je gagne? Je dois être à 1600 net un truc comme ça, avec les tickets resto à 8 euros machin, Enfait c'est une bonne moyenne par rapport au milieu. Si tu vas au CCFD t'auras un peu plus d'avantages...mais c'est correct. Et puis on paye les stagiaires, on fait attention à ça, on fait pas de la politique pour rien, on essaye aussi de former les stagiaires, de les accompagner dans leur formation. ”

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Entretien avec Pierre-Jean Roca, ancien directeur de l' IFAID

“- La particularité des collectifs que moi j'ai vu fonctionner... Je les suis grosso modo depuis les premières assises de la recherche de...pardon, lapsus...des premières assises de la coopération, du développement et de la solidarité internationale. On avait fait à l'époque avec la Commission de Coopération au Développement, une étude un peu transversale qui s'appelait “10 ans d'innovation dans les ONG” pour voir ce qui avait changé etc. On s'est aperçu à ce moment là que les collectifs [d'ONG français] pouvaient se comporter eux-mêmes comme des ONG. C'est-à-dire qu'ils devenaient concurrents de leurs membres et ils se contentaient souvent...et ils s'autonomisaient d'une certaine manière. Personne n'a jusqu'à présent écrit cette histoire des collectifs et en France euh...c'est comme Jules César dans la Guerre des Gaules, il signalait que les Gaulois aimaient attaquer en ordre dispersé...on est les champions d'Europe du nombre de collectifs, c'est assez phénoménal. Je suis entrain de corriger... vous connaissez peut-être le CFSI?- oui- Je suis entrain d'essayer de corriger pour Jean-Louis [Viélajus] le secrétaire général du CFSI “50 ans de lutte contre la faim: du CFCMCF qui est l'ancêtre du CFCF qui est lui-même l'ancêtre du CFSI”. C'est écrit par le président actuel du CFSI, ça commence donc en 1960, le président actuel c'est Bertelot, et il essaye de montrer le CFSI à partir de 1960, enfin de ce qui en a été les premiers...les prémisses donc le Comité Français pour la Campagne Mondiale Contre la Faim et il situe tout ça par rapport à tous les autres. Par rapport au CRID, par rapport au CLOSI etc. Et lui a apparemment interviewé les différents présidents du CFSI et c'est un galimatia terrible...faut pas le répéter bien évidemment...mais Jean-Louis Viélajus en est d'accord et c'est un haut fonctionnaire hein, il était numéro 2 ou 3 des Nations Unies donc c'est pas un jeune étudiant débutant, un gars non...il a de l'expérience, il sait écrire un rapport etc. Et malgré ça, c'est vraiment... Moi je vois tous les personnages de ces grands collectifs: Bernard Husson qui a été lui-même délégué général du CFSI, Rouillé d'Orfeuil, Fardot, j'en passe et des meilleures, tous ces gens là... Pinault qui a été au CCFD puis au CRID puis maintenant au CCFD bon, tous ces gens là euh...je me dis qu'avant qu'ils partent à la retraite il faudrait vraiment traiter ce problème des... pourquoi y a eu tant de collectifs en France? Pourquoi des collectifs tellement imbriqués les uns dans les autres et tellement différents en plus, se battant euh...et puis alors des trucs euh... les initiatives gouvernementales par rapport à ça, des initiatives de l'Etat. Quand il crée le Comité de liaison avec les ONG puis ensuite la mission de je sais plus quoi euh... de coopération avec les ONG ou voilà...et puis le HCCI et puis après on transforme le HCCI et ensuite on le supprime enfin bon...-Y a même un moment assez délicieux dans ce document parce-qu'il est symptomatique, euh voilà, c'est un draft donc vous ne pouvez pas le citer mais: Citation:“ni le CFCMCF ni ses successeurs n'ont fait un travail académique pour analyser les causes de la faim. [“c'est leur spécialité pourtant, ils ont jamais fait d'analyse...”], puis peu à peu les opinions ont convergés [“après quelques lignes”] et le CFSI a pu se doter à l'occasion du 50ème anniversaire du continuum [“etc.”] d'une analyse commune et d'une Charte qui définit des orientations politiques. Le gars s'aperçoit pas que dans le même paragraphe il dit on a jamais réfléchi, c'est ça que ça veut dire, on a jamais pris le temps de faire une analyse, par contre on a convergé, on a des opinions, et maintenant on est d'accord. Je trouve ça, c'est vraiment symptomatique du milieu, au moins pour les réseaux. Mais d'un certaine manière si vous prenez les ONG, vous prenez le site d'Action Contre le Faim, je le cite souvent en cours parce-qu'il est

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gratiné à mon avis, enfin dans les non-dits ou dans les entr-lignes, la première phrase de l'historique d'ACF c'est: nous sommes une ONG de 2ème génération. Ca veut dire qu'ils se posent comme novateurs par rapport à la 1ère génération, sans la nommer. Ce qui veut dire nous sommes une ONG suivant les french doctors, l'humanitaire etc., les ONG modernes. Clin d'oeil aux donateurs en disant ne donnez pas aux vieilles, au développement machin, aux micro-réalisations tout ce que vous voulez. Mais donnez aux humanitaires aux french doctors et nous on est euh... ce qui correspond pas d'ailleurs à la réalité de leur terrain, dans la pratique ils font plus de développement que d'urgence. Mais ils savent que c'est l'urgence qui rapporte.- Je sais pas si vous voyez des gens qui ont écrit sur le milieu comme Ryfman, il attaque pas ces questions. Dans sa personnalité il aime pas se fâcher ave les gens donc il évite les questions...il a toujours été...c'est quelqu'un de gentil mais il n'aime pas le conflit donc dans ses bouquins y a de la place pour tout le monde quoi, tout le monde doit être sur la photo (rires). Je pense à celui-ci aussi qui essaye un peu de faire l'histoire: l'altermondialisne en France. Parce que c'est très proche finalement de ces milieux des ONG, enfait c'est souvent des militants qui sont passés par les ONG, qui les ont quitté ou qui les remobilisent quoi. L'altermondialisme en France c'est deux courants, c'est un courant très politique Gus Massiah et ... vous connaissez Gus Massiah?”- Non- L'ex-président du CRID. C'est les courants trotskystes et ces gens là qui ont pris la tête du CRID qui est un rassemblement de à la fois de gauchistes, ex-gauchistes, militants politiques plutôt d'extrême gauche et de chrétiens sociaux souvent tentés par les théories de l'extrême gauche euh... sauf la violence. Donc le CRID illustre bien cette manière d'essayer de se marier et de faire un front commun et les ONG ont souvent eu des militants et du personnel qui est passé de l'un à l'autre. C'est pour ça que l'histoire de l'altermondialisme elle est intéressante.- Y en a même qui ne font pas trop la distinction entre les ONG et l'altermondialisme...- Oui alors, ça dépend après de ce que vous appelez ONG. Grosso modo les ONG elles viennent de deux courants: les courants chrétiens et les courants politiques. Et grosso modo au départ les uns et les autres ils se retrouvent autour du développement. C'est ça les ONG de 1ère génération, ça va être les ONG qui disent il faut apporter aux autres les moyens de se développer etc. Alors avec différentes modalités et tout ce que vous voulez mais ça ça va donner, jusque dans les années actuelles, les ONG de développement, soit qui envoient des volontaires, soit qui envoient des moyens financiers de faire mais y a toujours un haut et un bas. Le Nord est en haut et le Sud est en bas, alors soit on leur porte la bonne parole de la Révolution soit on leur porte le financement soit on leur porte les deux soit en paquet cadeau on leur envoie aussi des volontaires, ou des experts enfin tout ce que vous voulez mais ces ONG de développement elles vont constituer une famille. A côté de ça je mettrais la famille de l'urgence et de l'humanitaire qui est grosso modo la famille médicale et après vous avez toute la famille de l'immatériel: les droits, le plaidoyer, l'environnement tout ça, ils réalisent rien quoi, ils font rien, pas de projets, ils apportent pas de la nourriture, ils envoient pas des blondes infirmières euh... enfin voilà.- Maintenant c'est entrain de se mélanger, de se décloisonner, tout le monde veut faire un peu tout, ça devient de plus en plus...je pense qu'il y a des orientations qui restent quand même assez distinctes mais...- Moi je pense que c'est pas pour mettre les ONG dans une case mais moi je pense que les trois grands courants fonctionnels c'est ceux-là.- Quand ils changent de braquet, quand ils passent par exemple au niveau des financements européens, y a forcément institutionnalisation. Y a une tendance à l'institutionnalisation, à la professionalisation euh...pour moi ça va dans ce même sens.- Je me demandais s'il n'y avait pas des...j'ai l'impression que dans les pratiques des ONG, plutôt

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peut-être de développement mais euh...enfin c'est celles que je connais le mieux forcément, qu'il y a maintenant des sortes modèles très stéréotypés enfin, disons qu'il y a certaines valeurs ou certains modes de fonctionnement qui sont très standardisés quoi. Et des valeurs très très communes qui sont j'ai l'impression importées des fonctionnements européens, enfin qui sont liées justement aux financements: tout ce qui la transparence, l'évaluation, ces pratiques là je veux dire sur les projets qui sont très généralisées, à partir d'un certain niveau peut-être de financement etc. et qui me paraissent impacter l'action de manière assez forte.- Moi j'appellerais pas ça tellement des valeurs.- Oui, après y a d'autres choses mais c'est plus des pratiques.- Oui, c'est des modes opératoires, y a des modes opératoires qui ont été induits par une certaine normalisation des modes de financements. Et du coup, j'ai l'impression, en tout cas dans le monde du développement c'est assez clair, que notamment la gestion du cycle de projet a induit toute une manière de faire qui vient des grands projets et qui maintenant est descendu au niveau des ONG. Enfin je dis descendu parce-qu'on a changé d'échelle. Si on prend le 1er manuel de gestion du cycle de projet, c'était celui-là, février 93. Vous voyez comment il était, et si vous regardez les exemples, c'était hein: canaux ou euh...digues, production de rizière améliorée enfin.. exemple de la province nord de X enfin voilà. Tous les exemples c'était des exemples de projets de grandes institutions. Et aujourd'hui le manuel de gestion du cycle de projet il fait 173 pages et il est autant ouvert sur les ONG que sur le reste des... Vous le connaissez le manuel de gestion du cycle de projet actuel?- Ben non, européen donc? Non, je le connais pas non.- Il vous donne la norme en matière de gestion de projet, vous l'avez sur le site de Cap Coopération quand vous prenez document en ligne.- Et est-ce qu'il traite par exemple du partenariat ou de choses comme ça ou pas du tout?- Non. C'est pour ça que le mode opératoire il est très lié aux méthodes de l'identification, puis aux méthodes de la plannification ou programmation puis suivi-évaluation. Et c'est ça qui d'après moi a formaté et normalisé les critères de l'évaluation tels qu'on les retrouve maintenant euh toujours: l'efficience, l'efficacité, la pertinence, la durabilité etc. Et les critères transversaux: le genre et l'environnement et du coup la redevabilité bla bla voilà. Et c'est ça qui d'après moi a... parce-que l'UE notamment ou parce-que les grands bailleurs de fond hein le demandent partout, comme y a eu cette normalisation des modes opératoires, c'est cette normalisation qui d'après moi induit euh...du coup c'est ça qu'on affiche comme plus grand commun dénominateur, parce-qu'après chacun reprend ses critères et ses valeurs. Je pense par exemple les ONG dans l'humanitaire elle vont être liées plutôt aux critères de Sphere ou COMPAS Qualité de l'URD et dans les deux modes. Et puis les autres ONG confessionnelles vont afficher leurs critères propres, leurs caractère spécifique. Mais d'un certaine manière on se présente, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics, avec cette espèce de base soi-disant commune, parce-que bon... c'est ça qui est un peu étonnant aussi dans les ONG c'est qu'à la fois elles sont obligées d'avoir une espèce de front commun face aux pouvoirs publics, et en même temps vis-à-vis de leurs donateurs, elles n'ont de cesse...ou de leurs militants, de se différencier. Ca c'est vraiment d'après moi une des caractéristiques les plus paradoxales. Il faut que...je sais pas moi, Action Contre la Faim et Médecins Du Monde quand ils font un projet de sanitation et d'amélioration de qualité de l'eau pour la population il faut que chacun ait son drapeau et enfait ils font la même chose. Et des fois sur les mêmes terrains, à la suite des mêmes catastrophes. L'exemple d'Haïti est à ce niveau là tristement remarquable quoi. Les gens font la même chose, ils le font souvent ensemble sur le terrain mais dans leur affichage ils disent attention, donnez nous à nous on est très différents, nous la Croix Rouge on travaille avec les structures haïtiennes c'est notre spécificité, et MDM

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vous avez action en Haíti: nos critères premiers c'est travailler avec les structures haïtiennes, voilà notre spécificité. On se dit pourquoi est-ce qu'ils travaillent pas ensemble puisqu'ils ont les mêmes objectifs et des moyens qu'ils pourraient mettre en commun?-J'ai l'impression souvent -je sais pas si c'est lié- que les moyens ont tendance à prendre le pas sur les fins souvent dans l'action, que toutes ces procédures là, toutes ces normes et pratiques...et aussi je passe que c'est lié à ce besoin de légitimité ou de légitimation...on veut afficher un certain professionalisme et du coup on est pris dans des procédures énormes, des trucs très lourds et je pense que ça, souvent ça impacte énormément la finalité de l'action, y a plus de temps pour réfléchir sur les finalités sur...- Ah oui, oui. Vous savez, on a pas fait d'analyse mais pourtant quelques lignes après on a des opinions (rires), c'est le degré zéro de l'engagement politique. De dire on a pas d'analyse mais on a des opinions. Vous me direz y a quelques grands partis en France...- Oui voilà, je ne suis pas sûre que ce soit propre aux ONG mais elles s'affichent dans une démarche différente, on attendrait quelque chose de différent, après...- Alors c'est bien aussi un de leurs paradoxes, c'est de vouloir se poser comme alternatifs alors qu'ils font aujourd'hui complètement partie du système. L'alternative elle a été intégrée par le système. Maintenant y a pas un seul grand colloque, une seule conférence internationale dans laquelle on a pas les représentants de la société civile.- Oui mais enfin elle a été intégrée...elle a été presque créée par, c'est les NU qui ont créé cette notion d'ONG, y a eu cette volonté d'intégrer la participation de la société civile par les acteurs étatiques quelque part donc c'est pas forcément...- Oui ah oui. Alors historiquement le concept il a sa place dans la Charte puisqu'on dit les NU peuvent faire appel à des corps non gouvernementaux, après ils les oublient un peu tant que les Etats on pas besoin de... bla bla et le jour où les NU veulent se relégitimer, ils font appel en masse à la société civile pour contourner les Etats. Et du coup y a une légitimation croisée. Bon j'avais écrit ça dans un article, le fait que tout le monde y trouve son compte: les NU disent regardez, nous on fait appel aux vraies populations puisqu'on a la société civile et la société civile suscitée ou réorganisée sous l'impulsion des NU dit, c'est très caractéristique à Rio, on voit apparaître des tas d'ONG qui viennent des pays du Sud, enfait ils ont eu un billet d'avion et donc ils arrivent à Rio et disent nous sommes la société civile du Sud. Et du coup ils reviennent chez eux en disant on a participé à Rio donc on est les ONG légitimes. Ok mais... Ce processus de légitimation croisée fait partie de l'institutionnalisation des ONG.- La définition qu'on a des ONG en France est différente de la notion de non state actors. Pour l'Europe, enfin au niveau de l'UE les non state actors ça correspond aussi à tous les gouvernements locaux, la coopération décentralisée etc.- Y a un facteur important dans l'institutionnalisation, c'est le fait que l'Etat français mais après le relais est pris par l'UE à cause de la capacité de financement, induisent cette institutionnalisation car elles veulent parler à des organisations euh...- A des homologues.- Voilà oui. Des organisations qui puissent rentrer dans les cadres professionnels, qui puissent correspondre aux critères de redevabilités etc... Dans l'étude de la Commission Coopération au Développement, où on était avec Marie Revel à l'époque en 95, y avait, c'était Thérèse Pujol qui avait trouvé la formule, en disant est-qu'il y a pas banalisation de l'objet enfait.- De l'objet? Quel objet?- De l'objet ONG, de ce mode d'organisation et de ce mode de faire. Finalement, quand on voit les règles, le fonctionnement commercial quoi, les ONG qui vont là où il y du fric, la concurrence entre elles, les modes de management maintenant qui sont... DRH dans une grande ONG c'est

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pareil qu'à l'Oréal quoi. Nous on a eu des étudiantes qui ont été très choquées de la façon dont fonctionnait la fondation de François Mitterand là, France Libertés. Leurs stagiaires, c'est une exploitation honteuse, Sous prétexte qu'on défend des valeurs...le gars qui était directeur exécutif traitait les stagiaires euh...c'est vraiment, ils devenaient des donateurs, il fallait qu'ils se payent leurs déplacements, leurs repas et puis il trouvait qu'elles bossaient jamais assez, bon...C'est une exploitation de la ressource humaine qu'on oserait pas faire dans une PME quoi (rires). On peut se demander en quoi les ONG représentent une alternative aujourd'hui, sur leurs modes de faire, sur leurs représentations vis-à-vis de l'Etat, leurs manière de représenter les problèmes du développement, sur les discours aussi. Par rapport à ce qui a été le courant, le mainstream du développement. Elles se sont posées en alternatives, le premier bouquin -c'est un bouquin qui commence à être oublié- de Rouillé d'Orfeuil qui était président de Coordination Sud avant Jean-Louis Viélajus qui est l'actuel président, mais ils viennent des mêmes courants, ils sont copains comme cochons (rires). Rouillé est un des fondateurs du GRET. Son bouquin c'était...le 1er bouquin qu'il a publié avec Lalo Keraly à ce moment là qui était au GRET, c'était “Développer autrement” et donc il essayait de dire voilà, par rapport à ce que font les organisations bilatérales et multilatérales, nous ce qu'on fait c'est autre chose, elle la seule définition c'était dans l'autre. C'était pas dans une définition ni prospective ni proactive, c'était pas de dire eux ils font ça ça ça et nous on fait ça ça ça, c'était eux ils font ça ça ça et nous on fait autrement, on fait pas ça. [...] Y a des pubs de MSF qui ressemblaient aux pubs Beneton, avec les mêmes couleurs, les mêmes caractères. Y a des pubs de Amnesty, on sait pas si c'est du parfum pour homme ou si c'est Amnesty. Dans les ONG urgence, qui sont très marquées en France par le médical, l'urgence leur légitimité c'est d'abord la profession médicale et ce que ça représente en France. Mais je pense au discours de la Croix Rouge qui a vraiment évolué, Gentilly dit que quand il était patron de la Croix rouge, donc Gentilly professeur de médecine tropicale etc., disait nous ne sommes pas une ONG, parce que les ONG lui paraîssait un monde incertain, de gauchistes, de mélange de pratiques professionnelles et pas professionnelles, Kouchner lui semblait être un chien fou, la dénonciation des régimes politiques etc. ça leur plaîsait pas du tout, MSF au départ c'est ça, quand ils se font virer d'Ethiopie ou quand ils quittent l'Ethiopie y a une dénonciation du régime politique, être capable de dénoncer et de faire du médical en même temps c'était ça au départ MSF. Donc la Croix Rouge disait nous nous ne sommes pas une ONG nous c'est la neutralité, l'impartialité, on s'occupe pas de politique. Et petit à petit, devant l'aura qu'on eu les frenc doctors et les gens mélangeant tout en plus, les donateurs et les médias, la Croix Rouge s'est mise à dire nous sommes la plus grande et la plus ancienne des ONG. Je l'ai vu encore aux journées du Réseau français à Paris cette année, maintenant l'Alliance française a une pub disant nous sommes la plus grande ONG francophone du monde. L'Alliance française! Mais c'est vrai que statutairement, juridiquement c'est un acteur non étatique. Ils reçoivent toutes leurs subventions certes, de l'Etat français mais...Les Volontaires du Progrès qui sont devenus France Volontariat disaient qu'ils étaient une ONG, alors c'est plutôt OnG (rires), y a une grande diversité...parce que les Volontaires du Progrès ils reçevaient 98% de leurs financements de l'Etat français.[...] Pourquoi est-ce que le terme de solidarité internationale n'arrive pas à prendre? Ce terme il est très français et il avait été créé en réponse à la critique qui s'opposer à cette définition par la négative que porte le terme ONG. Du coup les français avaient créé les OSI mais y a des gens qui ont pas aimé le O et qui on dit nous on est des A, on est surtout associatives donc les ASI. Donc a un moment y avait des OSI, des ASI, des ONG, bon, quand on prend le Thallys pour aller chercher des choux à Bruxelles, on explique ça aux allemands ou aux danois qui disent euh...so what? Et on finit en disant NGO et là tout le monde se comprend.

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[...] On essaye de faire du partenariat un mot locomotive pour tirer la réciprocité, l'égalité, la symétrie euh...voilà. Enfait c'est un peu du bidon. Il faut revenir à l'éthymologie de partenariat, partenaire c'est être deux, vous regardez le dictionnaire historique de la langue française, partenaire vient de l'anglais partner qui lui même vient de l'anglo-normand parsonnier et un parsonnier c'est un métayer, et le métayage ça a jamais été équitable, le propriétaire a la plus grande partie de la récolte, ça veut dire qu'on fait des parts c'est tout. Séparation et partenaire c'est la même éthymologie. On partage. Ca veut dire ni symétrique dans les rapports de pouvoir, ni équitable, ni réciproque. Et en général les ONG en ont fait un paquet cadeau en disant, on est partenaire, voilà le partenaire du Sud qui commence à s'exprimer, voilà ça ça m'énerve... Juste là à l'université d'été du CRID, en plus c'est quelqu'un d'un réseau ami qui a dit ça...y avait deux blacks dans la salle, 80 personnes qui assistaient et 2 blacks, et y en a un qui demande la parole et pendant qu'on lui porte le micro y a quelqu'un qui dit, à la table hein, ah les partenaires du sud commençent à s'exprimer...j'ai dit putain...mais c'est pas possible! C'est le degré zéro de la réflexion politique quoi, s'il suffit d'être black pour être partenaire légitime du Sud...ça nie 2000 ans de pensée sociale quoi.Y a des gens dans les ONG parfois qui m'attristent un peu. Mais sur le partenariat, les ONG on employé le mot un peu à tort et à travers. Mais elles sont pas les seules, si vous prenez les discours de Chirac il se déclare partenaire de milliers d'autres...on vous dit Airbus a noué un nouveau partenariat avec...tout le monde est partenaire de tout le monde, le mot est à la mode. Mais du côté des ONG, elles ont rarement posé les critères qui permettaient d'y voir clair sur qu'est ce qu'elles mettaient dans le mot partenariat. Alors y ale guide du pertenariat de Coordination Sud mais c'est vraiment le partenariat dans le cadre ONG D, c'est quelqu'un du GRET qui a fait ça, un gars qui avait travaillé en Amérique Latine. Souvent les réflexions de ce type là viennent plus des expériences américo-latines ou asiatiques qu'africaines, on a très longtemps pratiqué la dissymétrie joyeusement chacun fermant les yeux sur les conséquences du truc en disant tout le monde est content, les français disent les burkinabé c'est nos partenaires et les autres disant biensûr que les français sont nos partenaires alors que la dissymétrie est...- Mais en même temps la symétrie pose aussi des questions parce que ça crée forcément une certaine uniformisation. Si on veut être capables de discuter sur le même plan il faut qu'on ait des outils un peu similaires quelque part euh...je sais pas.- Non, ça veut pas dire homogénéité, ça veut dire qu'il y a de la réciprocité et qu'on a des tailles suffisamment comparables pour pouvoir être dans un échange, que les flèches aillent dans les deux sens. Y aussi là question de où est le lieu du pouvoir, réellement, qui décide de quoi. Si le financement est tout d'un côté et les autres ont la capacité de dire oui oui c'est bien et si ils disent non ou peut être on leur dit y a plus de sous... Et puis y a quel type de réciprocité, qu'est ce qu'on échange. Tous les gens qui se gargarisent de on s'enrichit beaucoup au contact des blacks, oui d'accord vous vous enrichissez de quoi? Vous vous portez des pompes et des éoliennes et eux ils vous disent que à la fête on va danser et vous aller voir la musique, ils ont le rythme ces gens là...non mais on entend de ces conneries des fois! Des fois c'est un peu enrobé mais on en entend quand même des vertes et des pas mûres, ils disent ils nous apportent la richesse de leur culture...certes, mais bon, est ce que c'est ça la réciprocité et est ce qu'il y a besoin de faire un projet de développement pour faire une fête africaine quoi? (rires) Je dis des choses critiques mais bon!- Non non, mais moi je suis d'accord avec tout ça mais du coup ça pose aussi la question de savoir s'il faut absoluement vouloir ce partenariat réel, qu'est ce qu'il y a derrière ça? Ca veut dire qu'on veut créer une société multiculturelle où tout le monde se comprend, communique...?- Ca pose le problème politique. Que les ONG en général aujourd'hui refusent de poser clairement mais qui est on échange avec d'autres, pourquoi? Avec quel objectif? On peut en avoir plusieurs

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mais au moins mettons les sur la table et évaluons les, au bout d'un moment. N'ayons pas constamment des agendas cachés en disant on fait ceci alors qu'en fait on poursuit d'autres onjectifs quand on regarde la pratique. Y a d'autres mots comme ça aussi qu'on a essayé de creuser un peu avec Daniel Leu du GRET, c'est autour de l'autonomisation. Combien de fois j'ai entendu parler de projets où on voulait que les partenaires s'autonomisent, ils s'autonomisent mon oeil! Quand on en a finit un on veut en refaire un autre avec les mêmes parce que...bon.- Et le GRET, quelle est leur position dans tout ça? Eux ils se disent ONG le GRET?- Ah oui. (Rires)- Parce que j'ai l'impression qu'ils sont un peu particuliers, je sais pas si y a des ONG similaires...- Déjà est ce que vous savez ce que ça veut dire au départ GRET?- Oui alors justement c'est Groupement de Recherche pour les Transferts de technlogie quelque chose comme ça.- Groupe de Recherche et d'Echanges Technologiques. La première grande action du GRET c'était les technologies appropriées avec les deux sens du mot approprié: les gens pouvaient en devenir facilement propriétaires donc ils pouvaient se les approprier, par exemple les paysans qui avaient jamais connu de technologie très moderne il valait mieux qu'ils passent par la charrue à traction animale que d'avoir tout de suite un tracteur parce que c'est plus facile de manipuler une charrue à traction animale avec des forgerons etc. avec des technologies...un environnement pas très modernes, on peut faire de la maintenance etc. Et la deuxième chose c'était appropriée au problème, adapté et adaptable. Le GRET ça démarre comme ça en disant y a des pays du Sud dans lesquels y a des technologies appropriées et nous on peut aider à faire le transfert. On va chercher des trucs en Asie qu'on propose aux africains, des trucs africains qu'on emmène en Amérique Latine etc. Donc entre pays du Sud, c'était le fichier d'échange technologique. C'est ça le GRET au départ. Il monte en puissance d'abord avec les agronomes, c'était un repère d'agronomes au départ. Rouillé d'Orfeuil est agronome et tous les formateurs et les premiers employés par le GRET. Ils sont quand même dans des locaux de la FNSP donc la Fondation Nationale des Sciences Politiques, dès le départ, parce que c'était les connections de Rouillé d'Orfeuil (puisque dès qu'il est sorti de l'Ecole agronomique il s'est tout de suite intéressé, il était déjà dans la vie associative mais son premier poste ça a été Affaires Etrangères, donc c'est pas non plus le plus non gouvernemental qu'on puisse trouver mais bon!). Donc ils sont ONG déjà ça commence... c'est pas vraiment la petite association qui a son siège social au bar du coin. Donc ils ont évolué techniquement et professionnellement toujours sur la base de projets liés à des projets bilaatéraux. De la coopération française ou multilatéraux, UE etc. Alors en proposant certes un truc alternatif au niveau technologique, mais au niveau institutionnel ils étaient toujours liés à des projets peu ou prou liés à la coopération etc. Ils se disaient toujours ONG parce qu'ils étaient pas intégrés aux cadres...eux mêmes ils étaient pas fonctionnaires ou fonctionnaires européen, ni chargés de mission des NU ni experts des NU etc. Ok, donc ils gardaient un statut associatif en tout cas pour leurs salaires etc. Jusqu'à l'arrivée de la gauche au pouvoir. A l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le CIRADE (c'était l'IRAT à l'époque) enfin, les différents centres agronomiques de Montpellier commencent à entrer en révolution pour sortir de leur néo-colonialisme ambient, y a un ministre de la coopération à l'époque qui s'appelle Jean Pierre Cote qui a comme directeur de cabinet Henri Rouillé d'Orfeuil. Henri fait la promotion des organismes agronomiques tournant à Montpellier autour de l'Institut de Recherche Agronomie Tropicale et Cultures Vivrière, l'Institut euh... tout ça qui ont formé le CIRADE. Et pendant ce temps, un prof de Rennes, Ruellant, devient patron de l'ORSTOM qu'il va faire transformer en IRD. Ruellant qui est un homme de gauche, propose aux gens du GRET de les héberger au siège de l'ORSTOM à Paris. Donc là aussi non gouvernemental euh...Donc y a tout un étage pour le GRET à

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l'ORSTOM et ils créént sur des postes CIRADE donc des postes de fonctionnaires, des postes pour le GRET. Et jusqu'à présent y a des postes de fonctionnaires a GRET, c'est des postes de fonctionnaires enfait détachés. Je sais pas si c'est des fonctionnaires ou des contrats publics permanents mais c'est quand même très proche de...voilà. Donc ils deviennent une coopérative d'experts si on veut. Comme dit un sociologue malien dont j'ai oublié le nom, pour moi une ONG c'est un bureau d'études qui paye pas d'impôt. Enfait ils créent un bureau d'études, alors qui a un caractère social parce qu'ils prennent pas tout ce qui passe contrairement aux bureaux d'études d'une certaine manière, mais euh...à part ça ils sont très institutionnalisés. Alors je sais pas où ils en sont actuellement de leur institutionnalisation, je sais pas combien de postes CIRADE ils ont à l'intérieur même du nombre de postes salariés. Faudrait que je demande à Jean-Philippe, le directeur des projets a sa compagne qui est ici maître de conf à Bordeaux.- D'accord ouais. C'est un petit monde tout ça! (rires)- Ah oui et puis les agronomes je les connais quasiment tous.- Mais vous êtes agronome de formation aussi hein?- Ah oui. Les métiers pour rentrer dans les ONG c'était soit agronome soit infirmier. Là aussi, l'idéologie du développement c'était les problèmes de la faim et de la santé grosso modo. Bénédicte Hermelin la directrice du GRET c'est une agronome, elle est de la même Ecole que moi mais de la promo d'après. Elle a fait syndicat paysan, elle était à la Confédération paysanne, elle a travaillé avec José Bové, ensuite elle a été à Solagral, un bureau d'étude à caractère social et politique, ils prennaient pas tout ce qui passait mais...et ça a été longtemps dirigé par des gens qui étaient soit fonctionnaires à Montpellier soit fonctionnaires du MAE ou... Laurence Figuala qui a géré les accords de Copenhague et qui est normalement professeur à Sciences po Paris sur la question du Développement durable, elle est fonctionnaire.- AVSF aussi ils sont un peu dans cette veine ou...? Parce que y a le Groupe Initiatives qui regroupe AVSF, le GRET...- Il devait regrouper oui, je sais pas s'il fonctionne toujours.- En tout cas officiellement y a des choses sur le net et a ISF ils en parle comme si ça existait, après je sais pas. (rires)- Initiatives ça regoupe les ONG les plus techniques, c'est à dire celles qui ont pas de base sociale, qui répondent à des appels d'offres, et donc ça regroupe tous les...y a GRET, CIEDEL...- Et le CIEDEL c'est aussi ce type là?- Le CIEDEL c'est une autre histoire! (rires) C'est les cathos de gauche. C'est lié à l'université catholique de Lyon. C'est les courants Lebret et compagnie là, vous connaissez?- Oui, je situe.- Des gens qui ont cherché une troisième voie dans les années 60, ce qui proposent...c'est les courants...c'est entre Lyon et Grenoble hein. Côté économie y a François Peyroux et côté Lyon c'est l'université catholique de Lyon, c'est...ces gens là d'ailleurs ils forment des gens qu'on retrouve aujourd'hui dans les forums sociaux mondiaux. Louis Tecarle le...je sais plus si il est maire de Sao Paulo ou...qui est un des grands leaders du FSM quand il commence à Porto Allegre et qui revient maintenant à Porto Allegre, il est formé euh...enfin au départ c'est un truc franco-brésilien parce que ces brésiliens là ont été formés à Lyon, à l'université catholique de Lyon. Alors quand on présente ça comme la fine pointe de la nouveauté en matière politique euh...(rires) d'accord mais bon...ils ont les cheveux aussi blancs que moi, c'est pas vraiment des jeunes militants. (rires) Mais je reviens au CIEDEL, donc le CIEDEL c'est la volonté de faire une école de cadres du développement, qui soit aussi une école alternative. Et au départ leur public c'est d'abord les diocèses d'Afrique qui leur envoient des gens en formation. Chemin faisant, dans cette école et les profs de cette école font de l'expertise. Y a des gens comme Bernard Husson et...pas

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mal de gens aussi qui vont nourrir les cadres du CCFD. Et ce courant là parce qu'il devient plus technique et plus professionnel, propose de l'expertise en développement international et développement local, et c'est pour ça qu'ils se regroupent avec AVSF, le GRET etc. pour être un vrai groupe professionnel, notamment en face des bureaux d'études. Les bureaux d'études ont essayé de leur faire la peau aussi parce qu'y avait une concurrence. Ils se plaignaient auprès du gouvernement français et à l'UE qu'il y avait de la concurrence déloyale notamment quand ces ONG professionnelles, entre guillemets, répondaient à des appels d'offre, puisqu'ils pouvaient proposer des prix de journée d'expertise bien moindre puisqu'ils ne payaient pas d'impôts. Le statut associatif leur permettait de... Y a eu d'ailleurs un vaste mouvement qui s'est traduit par un rapport de la documentation française en 2001 ou 2002, c'est “Les rapports entre ONG et Etats”, c'est à la documentation Française, c'est un groupe de travail mis en place par Jospin quand il a décidé de faire un toilettage de la loi de 1901. Il s'était dit en 2001, on va fêter le centenaire de la loi 1901 en 2001 et pour ça il faut faire un toilettage de la loi. Donc il fait une mission pour ça, il consulte les associations et il met à la tête de cette consultation un conseiller d'Etat Jean-Michel Bélanger qui mobilise notamment, ou c'est Jospin qui mobilise directement le Commissariat au Plan, pour notamment revoir les rapports entre les ONG et l'Etat. Avec dans la commission, notamment des gens du Trésor Public -alors eux c'était un régal...les inspecteurs des finances...(sourire)- qui avaient une mission claire qui était comment répondre au secteur privé qui dit pourquoi ces gens là viennent dans nos champs de compétences, notamment en répondant à des appels d'offre etc. y compris des appels d'offre d'Etat. Pourquoi est-ce qu'ils viennent sur nos champs de compétence et ils payeny pas d'impôt. D'une part, et puis y avait aussi le Trésor Public qui disait est ce qu'on peut pas essayer de récupérer de la fiscalité, faire payer ces ONG très professionnelles. Donc y avait tout ça comme enjeux derrière. Et enfait ils se sont aperçu que s'ils faisaient évoluer la loi en resserrant la vis, certes ils faisaient plaisir aux entreprises privées mais ça faisait pas beaucoup d'électeurs, y avait pas beaucoup d'entreprises privées qui étaient en concurrence avec les associations qui faisaient ce genre de trucs. Et par contre ils étaient sûrs de faire de la peine à beaucoup de gens du côté associatif, ils étaient pas sûrs de récupérer beaucoup d'argent donc le fisc a dit on se lance pas dans un grand truc si c'est pour récupérer 3 francs 6 sous. Et puis ce qu'ils ont vu très tôt c'est l'impact que ça pouvait avoir sur l'emploi associatif. Serrer la vis aux associations côté fiscalité ça veut dire qu'il y en a plein qui ferment boutique. Or, dans ce cas, elles licencient pas forcément des gens mais elles mettent sur le marché du travail des gens qui sont dans ces statuts intermédiaires là les étudiants stagiaires, contractuels un peu...quelques conventions qui permettent de...Et donc en calculant le nombre de gens que ça allait mettre directement au chômage, ils se sont dit il est urgent de ne rien faire. Donc ils ont signé le 14 juillet 2001 une belle charte avec la Conférence Permanente des Collectifs Associatifs, la CPCA, qui dit l'Etat français reconnaît l'association comme un modèle de citoyenneté et puis basta, on touche rien, pour pas mettre les gens... C'était pas le secteur du développement hein qui a provoqué...dans le secteur du développement ça avait un impact, mais ce qui a provoqué le changement de direction du gouvernement c'était toutes les associations qui travaillent dans le secteur sanitaire et social. On disait que si on touchait à ça on risquait de mettre en difficulté tout le secteur et du coup...aprèsl'idée à continuer de cheminer avec les emplois de service et...en disant, il vaut mieux laisser faire ça aux associations, même si... donc tu coup toutes ces problématiques elles étaient liées mais...les ONG elles suivent ce mouvement là, pas en étant forcément promoteurs du changement, mais elles essayent d'y trouver leur place et de bénéficier de l'évolution du contexte général quoi. Le Groupe Initiatives ils sont, ils prennent pas d'initiatives politiques mais ils ont bénéficié de toute cette évolution là et du coup ils sont dans cet espèce d'interstice où ils sont très bien placés. Avec un peu un fantasme peut être vis à vis du

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pouvoir public en disant c'est un temps de passage pour aller vers des emplois plus stables aussi, je dis fantasme parce que je suis pas sûr que ce soit le cas. Une des caractéristiques en France quand même c'est que il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus dans ce secteur. Tous les IEP de France par exemple ce sont mis à avoir des spécialisations ONG...je sais pas si tout le monde aura du boulot, je sais même que tout le monde n'aura pas du boulot dans le secteur.[...] Statistiquement j'ai vu plus de gens qui fantasmaient sur les valeurs des ONG que de gens...donc souvent j'ai dit à des gens, attention, vous risquez d'être deçus. Je me souviens d'une jeune qui travaillait chez Jean-Luc Delarue, elle en avait marre des histoires de cul, de fric, de pouvoir etc. Elle voulait essayer d'aller dans les ONG. Elle était attachée de presse. Donc elle me dit je veux rentrer dans les ONG, j'en ai marre de ce monde de bling bling, de pouvoir, de cul etc. Et elle avait une proposition de MSF pour être dans leur service de com' et elle voulait des conseils pour savoir si elle devait accepter. Je lui dis qu'est ce que vous risquez à y aller, surtout qu'elle était en disponibilité, elle pouvait revenir à son ancien boulot si ça ne marchait pas. Je lui dis dans ce cas allez-y, MSF vous pouvez pas trouver mieux comme ONG professionnelle, d'abord s'ils emploient des gens qu'à la com' c'est qu'ils sont vraiment professionnels, les caractéristiques des petites ONG c'est que tout le monde fait tout, alors que dans les grandes y a spécialisation des métiers (gestion compta, communication) etc. Donc je lui dis de se méfier quand même et elle me rappelle deux mois après et elle me dit: heureusement que vous m'aviez prévenue sinon je serais tombée de haut! (rires) Elle me dit j'ai compris quoi, je retourne à la télé, ils sont pareils. Je lui dit ben oui, c'est une organisation... Elle me dit y a autant d'histoires d'argent, autant d'histoires de pouvoir, autant d'histoires de cul! Je lui dis oui mais vous trouvez pas que dans ce que vous dites y a un aspect rassurant? Ce sont des hommes et des femmes un peu comme les autres, c'est pas parce qu'ils travaillent dans une ONG que vous êtes avec des anges et des grandes ailes blanches dans le dos. Et c'est vrai que très souvent les gens imaginent...ils vont vers les ONG dans un rejet des fonctionnements dans la réalité réelle, ils veulent pas être dans la société bling bling etc.- Oui c'est vrai. C'est souvent une troisième voie alternative au choix unique fonctionnariat ou entreprise dans notre esprit. On a le sentiment que c'est un espace où on peut trouver à la fois plus de signification, de sens et de la marge, parce que ça bouge, que c'est en construction et donc ça permet d'être plus...- Oui, oui oui, tout-à-fait, non et puis on a l'impression qu'on va être soi-même plus autonome. Mais moi je continue à travailler beaucoup avec les ONG. Je vais lundi au comité de pilotage du projet sur la qualité des projets, Coordination Sud et le F3E ont lancé de façon conjointe une étude sur la qualité des projets, c'est passionant. Comment améliorer la qualité de ce qu'on fait? Quelle place à la technique, quelle place aux valeurs?[...] Mon expérience des écoles d'ingénieur...je viens moi-même d'une école d'ingénieur mais bon...je m'en revendique pas fièrement pour ces raisons là [l'absence de réflexion sur la technique...mais dans les générations actuelles...je fais des cours à l'ENITA sur l'orientation des projets de développement en disant les projets de développement agricole ça veut dire quoi. Et je sens des les générations actuelles une réticence aux questionnements sur la technique... je pense que dans nos générations, dans les années 70-80, on était beaucoup plus ouvert. Là je leur dis Jacques Ellul, ils me disent Jacques qui? En plus il est d'ici quoi. Yvan Illitch tout ça... En France y a une grande réticence. J'ai un copain sociologue et philosophe qui a enseigné les Risques, dans la frange sciences humaines à l'Ecole des Mines de Denver dans le Colorado. Jamais il aurait pu être ici, si à l'Ecole des Mines à Paris y a un enseignement de ce type là... Bruno Latour est à Polytechnique mais c'est des ovnis dans le paysage. Dans les générations d'agronomes actuelles mais je suis effrayé. Par provocation j'adore leur apporter le bouquin d'Hans Jonas, le Principe

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Responsabilité d'où vient le principe de précaution, avec toute une réflexion sur l'heuristique de la peur, on sait pas définir l'humain mais on sait ce qu'est le non-humain donc on peut faire le contour de tout ce qu'on ne veut pas en matière de technique etc. enfin tous les Grünen en Allemagne ils connaissent Hans Jonas, en France c'est confidentiel. Et à chaque fois sur une promo de 50 j'en peut être un qui me dit ah vous pouvez me donner la référence? (rires) Y en a un qui se dit un philosophe qui parle des risques technologiques c'est intéressant, les autres non. Je fais peut être ancien combattant mais dans nos générations ça voulait dire quelque chose quoi. Yvan Illitch par exemple, on savait au moins que c'était un mec qui avait critiqué le système de santé, le système éducatif... Aujourd'hui à Sciences Po, la plupart...ceux qui font option développement durable ils sont sensés connaître un peu tout ça, mais dans les écoles d'ingénieur...une espèce de foi béton en la technologie, en disant c'est la technologie qui va sauver le monde... Mais de toute façon les sciences humaines, les sciences politiques sont dans un...c'est un sacré défi. ”

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Robert (Philippe) et Bailleau (Françis), “Normes, déviances, réactions sociales sous le regard de jeunes sociologues français”, in Déviance et Société, 2005 n°2, Vol. 29

Articles issus de numéros de la revue “Alteractif ” d'ISF

Bourgey (Grégoire) et Malleret (Sophie),“ISF vue par son premier président”, Alteractif, n°64, 2, 2007, p.8

Laurent (Nicolas), “Qui dirige nos associations de solidarité internationale?”, extrait de la revue semestrielle d'ISF “Alteractif”, n°70, juin 2010

“Zoom 25 ans d’ISF”, Alteractif, N°64, 1, 2007, pp. 3-5.

“L’ingénieur Citoyen ?” Ingénieurs Sans Frontières, N°49, 1, 2001

Documents internes à ISF

Diagnostic Europact, 2002, 7 p. et Collège Coopératif, 2002

Projet d'enquête sociologique d'ISF

Charte d'Ingénieurs Sans Frontières, 2002

Trame du dossier préparatoire à la commission d’évaluation des projets de mission d'ISF

Guide de la démarche partenariale d'ISF

Articles de journaux et interventions publiques

Clift (Jeremy), “Au-delà du Concensus de Washington”, in Finances & Développement, Fonds Monétaire International, Septembre 2003, Vol. 40, n°3

De Ravignan (Antoine),“ONG, naissance d'un contre-pouvoir”, Alternatives Internationales n° 005, novembre 2002

Massiah (Gustave), intervention au séminaire “10 ans après: défis et propositions pour un autre monde possible”, Forum Social de Porto Alegre, Brésil, janvier 2010

Sites internet

Site du Ministère des Affaires Etrangères: www.diplomatie.gouv.fr

4

Site du PAM: http://fr.wfp.org

Site d'Europaid: http://ec.europa.eu/europeaid/index_fr.htm

Site d'ECHO: http://ec.europa.eu/echo/index_fr.htm

Site de l'Agence Française de Développement (AFD): www.afd.fr

Site du Centre de Réflexion sur l'Action et les Savoirs Humanitaires (Crash): www.msf-crash.org

Site de Coordination Sud: www.coordinationsud.org

Site de la campagne “Une seule planète”: www.uneseuleplanete.org

Site du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies: http://www.un.org/en/ecosoc/

Site du F3E: www.f3e.asso.fr

Site du GRET: www.gret.org Site du Groupe Initiatives: www.groupe-initiatives.org

Site de la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA): http://cpca.asso.fr

Site de capcoopération: www.capcooperation.org

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Table des matières

Introduction.................................................................................................................................1

Première partie : Les ONG sous contraintes: entre isomorphisme institutionnel et

normalisation.................................................................................................................................19

Chapitre 1: Convergences entre ONG, acteurs publics et privés: contraintes

structurelles et banalisation de l'objet ONG..................................................................21

Section 1: Perceptions de la “professionnalisation” par les acteurs des ONG et

militantisme........................................................................................................................21

I. Les perceptions de la “professionnalisation” par les acteurs des ONG...........................21

II. Les contradictions vécues par rapport au militantisme..................................................25

Section 2: Les contraintes remettant en cause l'identité militante, facteurs de banalisation

des ONG.............................................................................................................................27

I. Les risques de l'instrumentalisation: des ONG “prestataires”.....................................28

II. La salarisation et la gouvernance des ONG.................................................................33

III. Une pression concurrentielle croissante pour l'obtention de financements.................38

Chapitre 2: L'impact des normes des bailleurs sur l'uniformisation des modes

d'action et représentations des ONG...............................................................................42

Section 1 : Les critères posés par les bailleurs comme conditions à l'obtention de

financement.........................................................................................................................43

I. Les conditionnalités des Nations-Unies..........................................................................43

II. Les conditionnalités de l'Union européenne..................................................................46

III. Les conditionnalités de l'Etat français..........................................................................50

Section 2: Les manifestations de l'assentiment à ces critères au sein des

ONG....................................................................................................................................53

I. Les décloisonnements thématiques et opérationnels entre les différentes “familles”

d'ONG: signe de l'appropriation de l'approche “intégrée”..................................................53

II. Le partenariat comme mode incontournable de coopération.........................................57

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III. La participation de la société civile: démocratie participative et renforcement des

sociétés civiles au Sud, plaidoyer et éducation au développement au Nord.......................60

Deuxième partie: Le pouvoir des ONG: entre capacité d'analyse et capacité

d'influence “par le haut” et “par le bas”..............................................................63

Chapitre 1: La capacité réflexive des ONG....................................................................64

Section 1:Une activité croissante de production et mise en réseau de connaissances

et de réflexions .......................................................................................................64

I. Une production croissante de connaissances et de réflexions: recherche-action et

capitalisation............................................................................................................64

II. Le développement du travail en réseau..............................................................70

Section 2: Les obstacles à la production de connaissances réflexives et ses

écueils......................................................................................................................73

I. Les obstacles à la production de connaissances réflexives..................................73

II. Les écueils..........................................................................................................74

Chapitre 2. Le pouvoir d'influence hybride des ONG...................................................77

Section 1: un pouvoir d'influence “par le haut”: la diplomatie non

gouvernementale ....................................................................................................78

I. Les ONG dans les négociations internationales...................................................78

II. Les ONG-expertes et le conseil aux institutions publiques................................82

Section 2: ... complété par un pouvoir d'influence “par le bas”..............................83

I. Des pratiques militantes innovantes pour capter l'attention du plus grand

nombre.....................................................................................................................83

II. La complémentarité entre “anciens” et nouveaux militants...............................86

Conclusion............................................................................................................p.88

Annexes

Bibliographie

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Résumé

Depuis la fin des années 1990, la radicalisation de la mondialisation a bouleversé les représentations et les modes classiques d'exercice du pouvoir politique et de la diplomatie. Les organisations non gouvernementales (ONG), jusque-là considérées comme simples groupements de philanthropes, quantité négligeable des relations internationales, ont été consacrées actrices incontournables et indispensables de la “gouvernance mondiale”. Ce processus de sacralisation est toutefois ambivalent. Il est en grande partie le fruit de la volonté des institutions dominantes du système des relations internationales et à ce titre, soumet les ONG a de fortes contraintes. Celles-ci se traduisent notamment par les exigences des grands bailleurs de fonds à l'égard des ONG qu'ils subventionnent. Ceux-ci leur imposent des modes opératoires, des objectifs et des valeurs spécifiques qui les contraignent à modifier leurs pratiques en profondeur et tendent à uniformiser les modes de faire mais aussi les représentations des ONG. A ceci, s'ajoutent la contrainte structurelle de l'isomorphisme institutionel par lequel les structures des associations convergent vers celles des entreprises et des institutions publiques, réduisant encore la marge des ONG en matière de production d'alternative. Mais en dépit et aussi du fait de toutes ces contraintes, les ONG développent de nouvelles capacités. Elles peuvent user de leur statut flou et hybride (entre rôle contestataire marginal et nouveau rôle attendu de participation à la gouvernance mondiale) pour jouer sur différents types de légitimités, à différentes échelles (locale, nationale, transnationale et internationale) pour influencer les représentations “par le bas” et “par le haut”, et modifier les normes et les décisions des acteurs institutionels.

Mots clés: ONG; contraintes; pouvoir; gouvernance mondiale; alternative

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