continuité écologique en Côte d'Or

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CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE EN CÔTE D’OR février 2013 • Une synthèse des problèmes observés • Une base de concertation entre associations, syndicats de rivières, élus et administrations Effacement et reméandrement aux forges d’Essarois

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CONTINUITÉÉCOLOGIQUEEN CÔTE D’OR

février 2013

• Une synthèse des problèmes observés• Une base de concertation entre associations,syndicats de rivières, élus et administrations

Effacement et reméandrementaux forges d’Essarois

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Bassins Ouche et Tille Bassin Haute Seine Bassins Armançon, Serein et Cure

COORDINATION HYDRO 21pour une gestion équilibrée et durable des rivières de Côte d’Or

La Coordination Hydro 21 rassemble des associations de Côte d’Or partageant une même vision de la ri-vière en son bassin versant :

• la nécessité d’un travail permanent pour améliorer la qualité physique, chimique, biologique et écologiquedes cours d’eau ;

• la défense d’une vision équilibrée de la rivière, milieu naturel mais aussi patrimoine historique, paysagefaçonné par l’homme, source d’énergie, lieu de multiples usages économiques et sociaux ;

• le respect par les propriétaires des devoirs d’entretien inhérents à tout ouvrage hydraulique modifiant lescours d’eau ;

• la renaissance des territoires autour de rivières vivantes.

Dossier réalisé avec le concoursdes associations

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SOMMAIRE

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

Dix motifs d’inquiétude et un urgent besoin de concertation entre associations,syndicats, élus et administrations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

I. Continuité écologique et hydromorphologie :une place modeste dans l’objectif européen de reconquête de la qualité des eauxRappel : le classement des rivières et la continuité écologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7La question des seuils et de la continuité est-elle centralepour le bon état chimique et écologique des rivières? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Mesure-t-on et explique-t-on correctement les causes de dégradation de nos rivières? . . . . . . . . . . . . 11

II. Seuils, barrages et qualité de la rivière :des connaissances encore incertaines, des résultats parfois contradictoiresLes seuils et barrages transforment-ils l’ensemble du linéaire des rivières? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Les seuils et barrages affectent-ils de façon manifeste et systématique la qualité piscicole? . . . . . . . 16Tous les poissons ont-ils besoin d'un franchissement en montaison et dévalaison? . . . . . . . . . . . . . . 18L’auto-épuration des rivières est-elle affectée par les seuils et barrages?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20Connaît-on l'effet des seuils et barrages sur les espèces exotiques envahissantes? . . . . . . . . . . . . . . 22Pourquoi ignorer l'effacement naturel des obstacles à l'écoulement? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

III. Patrimoine, paysage, énergie : les dimensions oubliées de la rivièreLa valeur patrimoniale, historique, paysagère et touristique des ouvrages hydrauliquesest-elle évaluée? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27Le potentiel énergétique des ouvrages hydrauliques est-il pris en compte?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

IV. La continuité écologique en action:un niveau de qualité, de concertation et de cohérence insatisfaisantL’incitation systématique à l’effacementassure-t-elle à une gestion durable et équilibrée de la rivière? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Qu'est-ce qui est fait pour les grands barrages de notre départementgérés par les établissements publics? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34Le principe de précaution est-il respecté dans la politique d'effacement des seuils? . . . . . . . . . . . . . . 35Les règles et bonnes pratiques des travaux de continuité écologiquesont-elles suivies dans les chantiers engagés? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Quel sera le coût de la continuité écologique et qui va le supporter? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Dix mesures pour réussir la continuité écologiqueet la reconquête des milieux aquatiques en Côte d’Or . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

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CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE:

10 MOTIFS D’INQUIÉTUDEET UN URGENT BESOIN DE CONCERTATION ENTRE

ASSOCIATIONS, SYNDICATS, ÉLUS ET ADMINISTRATIONS

Pour les rivières, la continuité écologique désigne la capacité des espèces (poissons essentiellement) decirculer librement dans le lit en fonction de leurs besoins biologiques. Et un transit sédimentaire correct,soit un bon transport de la charge solide (les sables, graviers ou galets) au gré des écoulements de larivière et de l'érosion qu'ils provoquent.

Cette continuité a été introduite dans le Code de l'environnement par la loi sur l'eau de 2006 etdevient effective cette année avec le classement des rivières françaises, dont celles de Côte d'Or. Satraduction concrète est que, sauf exception prévue dans le classement, tout propriétaire (commune,entreprise, établissement public, syndicat ou particulier) doit soit aménager soit effacer sesouvrages hydrauliques en rivière : seuils, glacis, barrages de diverses dimensions. On les appelledésormais des « obstacles à l'écoulement ». Il en existe plus de 60000 en France et plus de 1300 en Côted'Or, dont 800 en lit mineur.

En soi, effacer des ouvrages sans intérêt patrimonial ni valeur énergétique peut être une bonne chose pourla qualité des milieux aquatiques, à condition que le bénéfice environnemental et l’absence de risquesoient démontrés, et donc préalablement mesurés.

Mais la réforme de continuité écologique va bien au-delà, et soulève en l’état de très vivesinquiétudes pour les riverains.

1. Une réforme trop brutale. Seuils, glacis et barrages sont souvent présents sur nos rivières depuis leMoyen Âge. Quels que soient leurs défauts, ils représentent un certain équilibre en place des rivières et deleurs milieux de vie. La loi exige de les supprimer ou modifier dans un délai de 5 ans maximum. Effaceren 5 ans seulement dix siècles de présence humaine en rivière est une mesure d’une extrême violence.

2. Une place secondaire dans nos obligations européennes de qualité de l’eau. Suite à la directive-cadre européenne sur l'eau de 2000, texte normatif s'imposant à la France, la qualité d'une rivières'apprécie au regard de mesures chimiques et écologiques. Au sein des mesures écologiques, il fautprocéder à des analyses biologiques, physicochimiques et hydromorphologiques. Au total, cela représenteplus d'une soixantaine de mesures pour chaque masse d'eau (rivière ou tronçon de rivière cohérente enhydrologie). L'obstacle à l'écoulement n'est qu'un de ces critères d'évaluation, une sous-partie del'hydromorphologie : il ne représente nullement la clé de la qualité de l'eau.

3. Un défaut manifeste d’évaluation des pollutions. La Commission européenne a porté en 2012 unjugement sévère sur la politique française de l'eau, observant que les mesures de qualité chimique sontincomplètes (un tiers des masses d'eau non qualifiées, certaines substances oubliées dans les autres) et queles mesures de qualité écologique sont confuses, particulièrement l'hydromorphologie qui concerne lesobstacles à l'écoulement. On choisit donc d'agir avant de savoir, engageant l'argent public et privé sansgarantie de résultat sur la qualité de l'eau.

4. Une pression inéquitable en faveur de l’effacement. Sur le papier, les autorités en charge de l'eau(ministère de l'Écologie, agences de l'eau, Dreal, Onema, DDT, syndicats de rivières) affirment qu'unobstacle à l'écoulement peut être soit détruit, soit aménagé. Dans la réalité de terrain, c'est la seuledestruction des seuils et barrages qui est activement favorisée : découragement des propriétairessouhaitant préserver leur bien, subventions généreuses à l'effacement et très limitatives à l'aménagement,coût anormalement élevé et disuasif des aménagements, dificulté à obtenir les autorisations pour exploiterl'énergie de l'eau.

5. Un coût opaque et élevé. Les effacements d'ouvrage coûtent cher, les aménagements plus encore.L'ordre de grandeur pour effacer tous les obstacles en lit mineur de Côte d'Or (environ 800) serait de40 millions d'euros dans une hypothèse basse. Le coût réel de ces opérations est particulièrement opaque.

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On observe des variations d'un facteur 2 à 20 pour des travaux similaires. Une passe à poissons n'estjamais qu'un bloc de béton de quelques mètres cubes ou une dérivation engravée du cours d'eau, et soncoût serait supposé approcher voire dépasser celui d'une maison neuve… C’est un défi au simple bonsens.

6. Des risques non pris en compte. En altérant rapidement la grande majorité des seuils et barragesprésents sur les rivières depuis des décennies ou des siècles, on va modifier le régime d'écoulement, avecdes effets inconnus sur les régimes d'étiage et de crue. Le principe de précaution exigerait a minima qu'unmodèle hydrologique permette d'anticiper les effets globaux (et non locaux) de cette réforme, couplé à unmodèle climatique (puisque nous subissons et allons subir des régimes plus chaotiques de sécheresse etprécipitation). Cela n'a pas été fait. Il en va de même pour le volume et la composition chimique dessédiments que les arasements font circuler.

7. Un bénéfice écologique encore à démontrer et à mesurer. Il ne fait pas de doute que les poissons“grands migrateurs” amphihalins comme l’anguille ou le saumon ont des besoins de circulationimportants dans leur cycle de vie. Mais la loi de continuité écologique a été étendue à toutes sortesd’espèces holobiotiques dont il n’existe à ce jour aucune démonstration scientifique d’un besoin enmontaison (sachant que la dévalaison est toujours possible sur les petits obstacles) ni d’une altérationgrave de la population à l’échelle des rivières entières (et non dans les seules zones de retenues, qui créentun biotope particulier adapté à des espèces particulières). De plus, le rôle des obstacles à l’écoulementdans l’auto-épuration des rivières reste ambigu et certaines opérations d’effacement ont eu un effetnégatif.

8. Une approche appauvrie de la rivière. En désignant le seuil ou le barrage comme étant uniquement“obstacles à l'écoulement”, l'autorité en charge de l'eau ignore les dimensions multiples, complexes, de larivière. Celle-ci n'est pas qu'un phénomène naturel observable par l'hydrologie, mais aussi un phénomèneculturel et social, renvoyant à une histoire, des usages, des paysages, des représentations. Toute cettediversité a été gommée dans la décision, et s'apprête à être détruite dans l'application de la décision.

9. Une ignorance du patrimoine. La Bourgogne et la Côte d'Or en particulier sont des terres au très richepatrimoine hydraulique dont témoignent les implantations gauloises et gallo-romaines, les réalisationscisterciennes, les forges de l'âge classique, les travaux de canalisation du XIXe siècle, l'hydro-électrification du XXe siècle. Et les centaines de moulins modestes ou imposants qui ont forgé lespaysages de nos rivières depuis un millénaire. Ce patrimoine a une valeur historique, mais aussitouristique et sociétale qu'ignore la “renaturation” des masses d'eau.

10. Une cécité énergétique. Notre pays, notre région, notre département sont engagés dans une coursecontre la montre face à la dépendance aux énergies fossiles et au réchauffement climatique, avec commeobjectif 23 % d'énergie renouvelable dès 2020 et 80 % en 2050. L'énergie est généralement la raisond'être des seuils et barrages, et la filière micro-hydro-électrique est mature, bien acceptée par lapopulation, avec un prix de revient au kWh non loin de la parité fossile-nucléaire. L'aménagement plutôtque l'effacement des ouvrages permettrait de redonner sens à leur existence et de bénéficier du génie civildéjà en place, de produire une énergie propre et durable, d'assurer des ressources et des emplois nondélocalisables sur nos territoires. Détruire ce potentiel énergétique hydraulique de la Côte d'Or au momentmême où nous en avons tant besoin est un choix incompréhensible.

Ces critiques sont détaillées dans le présent document.

> Elles incitent à la prudence : nous ne devons pas jouer les apprentis sorciers avec nos rivières. Ilest impératif d’améliorer nos connaissances et d’échanger nos expériences avant toute décisionirrémédiable sur l’hydrologie, le patrimoine, l’énergie et le paysage de Côte d’Or.

> Elles invitent aussi au dialogue : associations, élus, syndicats de rivière et administration doiventimpérativement engager une concertation fructueuse pour réussir la reconquête des milieuxaquatiques de Côte d’Or sans sacrifier les nombreux atouts du territoire.

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I.Continuité écologiqueet hydromorphologie:

une place modeste dans l’objectif européende reconquête de la qualité des eaux

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RAPPEL: LE CLASSEMENT DES RIVIÈRESET LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE

Le présent document ayant pour motivation leclassement des rivières à fin de continuitéécologique, il convient tout d'abord de rappeler dequoi il retourne précisément.

Le classement des rivières s'inscrit dans le cadrede la “continuité écologique”, promue par la loisur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2(2010, Trame bleue), interprétations françaises dela directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée parl'Union européenne en 2000.

Le classement va prendre effet en 2013 en Côted'Or, ses conséquences sont immédiates pour lesrivières en liste 1, à horizon de 5 ans pour lesrivières en liste 2.

Ce classement et les obligations résultantes sontinscrits dans l'article 214-17 du Code del'environnement :

Article L214-17Créé par Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 -

art. 6 JORF 31 décembre 2006I.-Après avis des conseils généraux intéressés,des établissements publics territoriaux de bassinconcernés, des comités de bassins et, en Corse,

de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrativeétablit, pour chaque bassin ou sous-bassin :

1° Une liste de cours d'eau, parties de coursd'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bonétat écologique ou identifiés par les schémasdirecteurs d'aménagement et de gestion des eauxcomme jouant le rôle de réservoir biologiquenécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon étatécologique des cours d'eau d'un bassin versantou dans lesquels une protection complète despoissons migrateurs vivant alternativement eneau douce et en eau salée est nécessaire, surlesquels aucune autorisation ou concession nepeut être accordée pour la construction denouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle àla continuité écologique.

Le renouvellement de la concession ou del'autorisation des ouvrages existants,régulièrement installés sur ces cours d'eau,parties de cours d'eau ou canaux, est subordonnéà des prescriptions permettant de maintenir letrès bon état écologique des eaux, de maintenirou d'atteindre le bon état écologique des coursd'eau d'un bassin versant ou d'assurer laprotection des poissons migrateurs vivantalternativement en eau douce et en eau salée ;

2° Une liste de cours d'eau, parties de coursd'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaired'assurer le transport suffisant des sédiments etla circulation des poissons migrateurs. Toutouvrage doit y être géré, entretenu et équipéselon des règles définies par l'autoritéadministrative, en concertation avec lepropriétaire ou, à défaut, l'exploitant.

II.-Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établiespar arrêté de l'autorité administrativecompétente, après étude de l'impact desclassements sur les différents usages de l'eauvisés à l'article L. 211-1.

III.-Les obligations résultant du I s'appliquent àla date de publication des listes. Celles découlantdu 2° du I s'appliquent, à l'issue d'un délai decinq ans après la publication des listes, auxouvrages existants régulièrement installés.

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À RETENIR

� Le principe de continuité écologique a été introduit par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de2006. Il entre en vigueur cette année 2013 avec le classement des rivières, en Côte d’Or commedans les autres départements.� Ce classement se traduit notamment par l’obligation d’aménager ou d’effacer dans un délai de 5ans maximum les seuils et barrages.

Profil typiqued’un seuil enrivière de Côted’Or, ici surl’Armançon. Onobserve ladiversité desrégimesd’écoulemententre l’amontlaminaire et l’avalturbulent.

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Le cinquième alinéa de l'article 2 de la loi du16 octobre 1919 relative à l'utilisation del'énergie hydraulique et l'article L. 432-6 duprésent code demeurent applicables jusqu'à ceque ces obligations y soient substituées, dans ledélai prévu à l'alinéa précédent. À l'expiration dudélai précité, et au plus tard le 1er janvier 2014,le cinquième alinéa de l'article 2 de la loi du16 octobre 1919 précitée est supprimé et l'articleL. 432-6 précité est abrogé.

Les obligations résultant du I du présent articlen'ouvrent droit à indemnité que si elles font pesersur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrageune charge spéciale et exorbitante.

La continuité écologique désigne du point de vuebiologique la capacité des espèces à circuler(migrer) dans un milieu donné et du point de vuephysique (pour les rivières) le transit correct dessédiments, notamment des charges solides de typesables, graviers, galets, etc.

Au terme du nouveau classement, nos rivièressont donc désormais réparties en deuxcatégories : liste 1 et liste 2.

La liste 1 désigne les rivières à préserver car entrès bon état écologique, les tronçons considéréscomme réservoirs biologiques, les rivières à enjeude migrateurs amphihalins (vivant alternativementen eau douce et salée, comme le saumon, la truitede mer, l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Surces rivières, aucun ouvrage hydraulique nouveaune sera autorisé et les ouvrages existants devrontse mettre en conformité avec la continuitéécologique, c'est-à-dire assurer le transportsédimentaire et le franchissement des poissons(montaison, dévalaison).

La liste 2 désigne les rivières à restaurer, en étatécologique moyen à mauvais. Là aussi, lesouvrages hydrauliques existants devront être misaux normes, mais la construction de nouveauxéquipements hydro-électriques ne sera pasinterdite a priori. En liste 2, les propriétairesdisposent d'un délai de 5 ans à compter de lapublication du classement des cours d'eau pourmettre leurs ouvrages en conformité avec lesexigences de la préfecture.

Les principaux aménagements concernent donc lesseuils et glacis de moulins (ouvrages en pierre,traversant le lit mineur de la rivière et formant laretenue d'eau qui alimente le bief du moulin) oules barrages. Le franchissement piscicoles'obtient par la pose d'une passe à poissons, dont ilexiste divers types (passe à bassins successifs,passe à ralentisseurs, passe à rugosité spécialementconçue pour les anguilles, ascenseurs ou écluses àpoissons, etc.). Le transit sédimentaire, s'il estaffecté, demande soit des vannages fonctionnelssoit des curages réguliers de la retenue d'eau enamont du seuil ou du barrage.

Une autre option est l’effacement pur et simple del’ouvrage hydraulique. Cette option est, hélas, lechoix actuellement privilégié des autorités encharge de l’environnement.

Références� Code de l'environnement� Onema, Agence de l'eau (2011), La révision desclassements de protection des cours d'eau. Unoutil en faveur du bon état écologique et de labiodiversité, Sensibilisation aux politiquespubliques.

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Extrait d’une publicationde l’Onema sur lasensibilisation à la

continuité écologique.Les photos montrent lesdifférents systèmes de

franchissementpiscicole qui peuventêtre implémentés sur

les seuils ou barrages.

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LA QUESTION DES SEUILS ET DE LA CONTINUITÉEST-ELLE CENTRALE POUR LE BON ÉTAT CHIMIQUEET ÉCOLOGIQUE DES RIVIÈRES?

La directive-cadre européenne (DCE) sur l'eaude 2000 est le texte normatif fondateur imposantaux États-membres d'atteindre un bon étatécologique et chimique des masses d'eau en 2015(au moins les deux tiers des masses d'eau) avecprorogation en 2021 ou 2018. Or, la DCE,implémentée en droit français par la circulaire du25-10-2010, définit précisément ce qu'il fautentendre par un bon état chimique et écologique.Voici les mesures réellement nécessaires.

État chimiquePour apprécier l'état chimique d'une masse d'eau,la DCE établit une liste de 41 substanceschimiques : 33 substances prioritaires et 8substances dangereuses. Les substancesprioritaires doivent être inférieures à des tauxmaximaux de concentration définis par les normesde qualité environnementale ; les substancesdangereuses doivent être éliminées.

Il n'existe pas de gradient dans l'état chimique d'uncours d'eau : il est respecté ou non respecté. Lesmêmes valeurs seuils s'appliquent à toutes lesmasses d'eau (de surface). Les substancesconcernées sont des hydrocarbures (HAP), desmétaux, des pesticides, des polluants issus del'industrie ou de l'usage domestique. Une massed'eau dont les 41 mesures n'ont pas été effectuées

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contrevient à la DCE et son état chimique ne peutêtre qualifié.

État écologiqueL'état écologique d'une rivière ne correspond pastoujours à des seuils déterminés par l'Unioneuropéenne, même s'il existe une réflexioncommune dans le cadre du groupe Ecostat(Ecological Status). Chaque Etat-membre fixe saméthodologie. Trois paramètres sont pris encompte en France pour évaluer l'état écologique :état biologique, état physico-chimique dontprésence de polluants spécifiques à effetbiologique, état hydromorphologique

État biologique - Il est analysé par plusieurs typesde mesures complémentaires, dont nous indiquonsici les indices les plus fréquemment employés :•Macrophytes : mesure de type Indice biologiquemacrophytique en rivière (IBMR) ou équivalentpour l'eutrophisation (les macrophytes sont desalgues visibles) ;• Invertébrés : mesure de type Indice biologiqueglobal normalisé (IBGN) ou équivalent pour lepeuplement macrobenthique ;• Diatomées : mesure Indice biologique diatomées(IBD) ;• Phytoplancton : analyse type Phytobs (pland'eau) ou autre pour rivières ;• Poissons : mesure de type Indice poisson rivière(IPR) ou équivalent, peuplement piscicole en écartà la station de référence du milieu.

État physico-chimique - Six séries de mesuressont requises pour apprécier cet état :• Bilan de l'oxygène (dissous, saturation, DBO5 etcarbone organique) ;• Température ;• Nutriments (composés phosphorés PO4x, azotésNO2x, NO3x, NH4x) ;• Acidification (pH) ;• Salinité (si pertinent) ;• Polluants spécifiques (métaux etphytosanitaires : arsenic, cuivre, zinc, chlortoluron,oxadiazon, linuron, 2.4 D, MCPA).

À RETENIR

� La directive-cadre sur l’eau de 2000 et sa circulaire d’application en France de 2010 précisent lesmesures chimiques, biologiques, physicochimiques et hydromorphologiques nécessaires pourapprécier et améliorer la qualité de l’eau.� La question des obstacles à l’écoulement occupe une place secondaire dans cet ensemble demesures nécessaires.

(CC) Wikimedia Commons Lmbuga

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État hydromorphologique - Ce critère inclutdiverses mesures dont l'appréciation est peunormalisée – la France insiste sur cette dimensionspécifique plus que ne le font les textes européens,d'abord attachés aux paramètres mesurables dequalité chimique, biologique et physicochimique.La description de l'état hydromorphologique inclutnotamment :• connectivité latérale et longitudinale (obstacles àl'écoulement en berge / lit mineur et majeur) ;• nature des substrats ;• dynamique sédimentaire érosions / dépôts ;• diversité des régimes d'écoulement ;• nature de la berge et ripisylve.

On observe que les obstacles à l'écoulement(continuité longitudinale) ne sont qu'un aspectmineur du bon état chimique et écologique desrivières. L'Agence européenne de l'environnementl'a encore rappelé à la fin de l'année 2012, en

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publiant cet arbre de décision validé par laCommission européenne (image ci-contre).

L'hydromorphologie (croix rouge) n'est qu'unecondition du “très” bon état écologique d'unerivière – et cette hydromorphologie ne se résumenullement à la question des obstacles àl'écoulement. Les premières mesures à prendrepour les États-membres devraient concerner (outrela pollution chimique proprement dite) les indicesbiologiques et, s'ils ne sont pas satisfaisants, larecherche des pollutions physico-chimiques.

Il est donc inexact de prétendre que ladirective-cadre sur l'eau de l'Union européenneexige l'effacement des seuils et barrages, demême qu'il est inexact de prétendre que lesobstacles à l'écoulement sont reconnus commele principal problème de la qualité chimique etécologique de nos rivières.

Références� Directive 2000/60/CE du Parlement européen etdu Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadrepour une politique communautaire dans ledomaine de l’eau� Circulaire 2005/12 sur la définition du « bonétat » d'une rivière� Circulaire 2008/25/02 sur le cadrage duclassement des cours d'eau� Guide technique 2009 du Ministère del'Écologie sur l'évaluation du bon état d'une rivière� Arrêté du 12 janvier 2010 sur la délimitation desmasses d'eau à fin de classement� Arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodeset critères d'évaluation de l'état écologique, del'état chimique et du potentiel écologique des eauxde surface� European Environment Agency (2012),European waters - assessment of status andpressures, Report n°8.

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Les citoyens ne sont pas informés desnormes de qualité chimique et écologique desrivières.

• Organiser une campagne d’information surl’ensemble des facteurs de dégradation de laqualité des rivières observés en Côte d’Or.

x

Arbre de décision sur la qualité des rivières,Agence européenne de l’environnementL’hydromorphologie (croix rouge) ne doit être envisagée qu’après contrôlepréalable des éléments de qualité biologique et physico-chimique. Laquestion des seuils et barrages n’est elle-même qu’un sous-domaine de cettehydromorphologie.

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MESURE-T-ON ET EXPLIQUE-T-ON CORRECTEMENTLES CAUSES DE DÉGRADATION DE NOS RIVIÈRES?

Le premier reconnaît, dans une publication denovembre 2012, que la France a examiné l'étatchimique de deux tiers de ses masses d'eau,alors que l'Allemagne est à 96,5 % de rivièresmesurées et 5 États européens ont déjà atteintles 100 %. Il faut rappeler que cette obligation adéjà 12 ans : on comprend difficilement le retardfrançais.

Mais le jugement de la Commission européenneest plus précis, plus indépendant… et plussévère. Dans le tableau ci-dessous publié lui aussien 2012 à l'occasion de l'analyse du rapportage dechaque Etat-membre, on observe que la CE jugela plupart des mesures françaises de l'étatécologique incomplètes ou confuses. On observeen particulier que l'hydromorphologie – incluantles fameux obstacles à l'écoulement – est en rougesur tous les bassins hydrographiques français.

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Avant d’agir, il faut savoir. Particulièrementquand on engage l’argent public dans unprogramme aboutissant à bouleverser dix sièclesd’équilibre des rivières en à peine 5 ans. Or, ilapparaît que les mesures actuelles de l’étatécologique des cours d’eau sont considéréescomme défaillantes.

À plusieurs reprises, des associations ont essayéd'obtenir pour chaque masse d'eau de Côte d'Or lesmesures chimiques et écologiques obligatoirespour l'évaluation de l'état environnemental et descauses de dégradation. Elles n'ont jamais reçu deréponse claire, c'est-à-dire de listes de résultatspour chaque mesure dans chaque masse d'eau.Ce problème a été observé par le Commissariatgénéral au développement durable du ministère del'Écologie et la Commission européenne elle-même.

À RETENIR

� Mesures incomplètes et incertaines de l’état chimique et écologique de nos rivières : 12 ans aprèsl’adoption de la directive-cadre, la Commission européenne critique plusieurs dimensions de lapolitique de l’eau en France.� Il est prématuré d’engager un remodelage hydromorphologique des rivières de Côte d’Or sansconnaître les facteurs d’équilibre / déséquilibre des cours d’eau.

Analyse des mesures françaises de qualité écologique des masses d’eau, Commission européenne 2012On constate que la plupart des mesures sont considérées comme défaillantes (jaune ou rouge). C’est en particulier le caspour l’hydromorphologie, qui intègre la question des seuils et barrages et qui n’a aucun signal “vert”.

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Voici quelques extraits donnant le ton du jugementsévère de la Commission européenne :

« Il y a des manques dans le réseau desurveillance des eaux de surface. Tous les élémentsde qualité environnementale ne sont pas surveillésdans les programmes de mesure (…) Le statutchimique des eaux de surface a été considérécomme correct pour un peu plus de 53 % desmasses d'eau, tandis que 23 % ne parvenaient pasà ce statut. Le pourcentage élevé (34,1 %) demasses d'eau en état chimique inconnu doit êtresouligné. C'est un problème majeur, car celaentrave le reste du processus de programmation,c'est-à-dire l'établissement des objectifs et la miseau point des mesures appropriées pour améliorerl'état (…) Différentes substances (et pas toujoursles 41 indiquées dans l'Annexe I) ont été analyséesdans différentes masses d'eau (...) L'analyse deséléments qualitatifs fondant les caractéristiquesphysico-chimiques et hydromorphologiques n'agénéralement été développée que partiellement àce jour (…) Pour les élémentshydromorphologiques, la continuité de la rivièreet les conditions morphologiques n'ontgénéralement pas été analysés. Dans les premiersprogrammes par bassin, des standards n'ont pas

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CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• La décision d’effacer ou aménager desobstacles à l’écoulement ne peut être prisesans la connaissance de l’ensemble desfacteurs chimiques et biologiques impactantla qualité piscicole.• Les mesures semblent rares, et inaccessiblesaux citoyens

• Un budget de l’Agence de l’eauprioritairement dédié à la connaissance sur lapériode 2013-2014, afin que la totalité desmesures chimiques et écologiques des facteursdégradants d’une rivière soit réalisée et publiéepour chaque masse d’eau de Côte d’Or.

encore été établis pour les donnéeshydromorphologiques, et l'évaluation a été fondéesur l'information disponible sur les pressionshydromorphologiques ».

Le jugement est tout à fait alarmant : un étatchimique très incomplet et réalisé de manière nonexhaustive, un état écologique partiel et manquanttotalement de cohérence.

Hélas, il semble que ce constat vaut pour notredépartement où, sur la plupart des massesd’eau, il est aujourd’hui impossible de trouverl’ensemble des mesures chimiques etécologiques prévues par la DCE-2000.

Références� Commission Staff Working Document (2012),Membre State France. Report from theCommission to the European Parliament and tothe Council on the Implementation of the WaterFramework Directive 2000/60/EC�CGDD Ministère de l'Écologie (2012), Mise enœuvre de la directive-cadre sur l’eau : position dela France en Europe en 2009, Chiffres &statistiques, 367.

Deux exemples (janvier 2013) de ceque trouve un citoyen cherchant lesdonnées de mesure chimique etécologique des masses d’eau de Côted’Or, après que l’Agence de l’eau lui aconseillé de chercher surEauFrance… Non seulement les sitesInternet d’information sont un maquisincompréhensible, mais lesrépertoires contenant les donnéesutiles ne sont pas accessibles. Cetteopacité est contraire au devoirconstitutionnel de mise à dispositiondes informations sur l’eau

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II.Seuils, barrages

et qualité de la rivière:des connaissances encore incertaines,des résultats parfois contradictoires

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

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LES SEUILS ET BARRAGES TRANSFORMENT-ILSL’ENSEMBLE DU LINÉAIRE DES RIVIÈRES?

Il est incontestable qu’un seuil ou barrage créeune modification de l’écoulement de la rivière,avec plusieurs conséquences : eau plus chaude àécoulement plus lent dans la retenue, blocaged’une partie de la charge solide, franchissabilitélimitée ou impossible de l’aval vers l’amont.

Il importe néanmoins de comprendre que, surl’immense majorité des obstacles àl’écoulement, ces modifications sont limitées audroit de l’ouvrage et à une zone d’influence dequelques centaines de mètres de linéaire. C’est-à-dire que la rivière reprend très vite ses droits etredevient son propre architecte, avec uneérosion normale et des zones variéesd’écoulement.

Un bassin versant important de notre départementa fait l’objet d’une mission d’étude par l’un desmeilleurs spécialistes de la question, Jean-RenéMalavoi (Malavoi 2007). Dans ce rapport missionHydratec, on peut lire concernant le diagnostic del’Armançon (partie 1, 129) :

“La localisation (sur presque tout le linéaire) etl’abondance des bancs alluviaux en transitpermettent de supposer l’existence d’un certainéquilibre sédimentaire. Il semble que les érosionsde berges, réparties sur tout le linéaire, produisentsuffisamment d’alluvions pour compenser lepiégeage d’une partie de la charge alluviale defond dans les retenues des seuils.”

Ce qui est rappelé en synthèse du même rapport(partie 1, pp. 190-191) :

“Le bassin de l’Armançon présente environ400 km de rivières importantes : l’Armançon lui-même (200 km) et ses principaux affluents et

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

zone d’influence du seuil sur l’écoulement amont

AMONT AVAL

SEUIL

retenueécoulement plus lenteau plus chaude

écoulement turbulent au déversoir

écoulements et faciès variésen amont

reprise des écoulements et faciès variésen aval

moulin ou usine

canalde fuite

canald’amenée

montaison dévalaison

À RETENIR

� En dehors des grands barrages et canaux gérés par VNF, les obstacles à l’écoulement en Côted’Or sont des seuils de moulins ou des petits barrages d’anciennes usines hydro-électriques.� Leur influence thermique, rhéologique et morphologique reste limitée à une zone amont (retenueou bief) et n’empêche pas des écoulements variés sur l’essentiel du linéaire des rivières.� L’étude hydromorphologique la plus complète du département (Hydratec 2007 sur l’Armançon) aconclu qu’une forte densité de seuils et barrages n’empêche pas “un certain équilibre sédimentaire”.

Profil caractéristique d’une rivière au droit d’un ouvrage hydraulique. Lazone d’influence reste modeste et elle n’empêche nullement des facièsd’écoulement variés sur le reste du linéaire.

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sous-affluents (Brenne, Oze, Ozerain et Armance).D’un point de vue géodynamique, ces rivières,bien que très influencées par les activitésanthropiques (nombreux barrages, anciensrescindements de méandres et travaux divers liésnotamment a la construction du canal deBourgogne, nombreuses protection de berges‘rustiques’ (dominantes) ou très ‘lourdes’ (plutôtrares) présentent une activité géodynamique assezimportante. Les érosions de berges, plus ou moinsactives selon les secteurs, sont à l’origine d’unecharge alluviale importante qui garantit, malgré laprésence de barrages ‘piégeurs d’alluvions’, unéquilibre sédimentaire. Cette fourniture de chargealluviale évite notamment les incisions du lit,

dommageables pour les ouvrages d’art (ponts,digues, protections de berges sur des secteurs àenjeux).”

Si les retenues ont un effet incontestablementnégatif sur le transit sédimentaire, le diagnosticn’apparaît donc pas comme alarmiste malgré ladensité de seuils et barrages.

Références� Malavoi JR (2007), Etude de la dynamiquefluviale et des potentialités de régulationhydrologique de l’Armançon, 1. Diagnostic, 201 p.2. Orientations de gestion et d’aménagements, 135p., annexes cartographiques, Mission Hydratec

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CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• L’obstacle à l’écoulement est désigné dansles documents de communication grand publicdes autorités de l’eau comme une altérationphysique très grave de la rivière, alors que lesconclusions des chercheurs et ingénieurs sontnettement moins alarmantes. Et conformes àce que l’on sait de l’influencehydromorphologique limitée des seuils et petitsbarrages

• Effectuer pour l’ensemble des masses d’eaudu département une analysehydromorphologique comparable à celle qui aété faite sur l’Armançon.•Proportionner la restauration du transitsédimentaire à la gravité du diagnostic, encommençant par les ouvrages les plusimpactants.

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Un récent rapport de la Fédération de pêche, del'Onema et du Sicec sur le peuplement piscicole dubassin Haute Seine (Sicec, FDAAPPMA 21 2012)constitue l'une des analyses les plus complètesréalisées sur la Côte d'Or, bien qu’elle n’incluemalheureusement pas l’ensemble des mesuresexigibles par la directive-cadre sur l’eau. Laprécision des mesures permet des observationsintéressantes sur le rapport entre obstacles àl'écoulement et peuplement piscicole. Nousexaminerons ici deux rivières : un affluent duRevinson, la Coquille, et son sous-affluent, lePrélard.

Le point de pêche de contrôle sur la Coquille a étéfixé au milieu du cours d'eau, en aval d'Aignay-le-Duc. Les relevés montrent une présence de latruite conforme au niveau attendu pour latypologie du cours d'eau. Les espècesd'accompagnement (chabot et vairon) sont quant àelles excédentaires par rapport au niveau attendu.La faible représentation des cyprinidés rhéophileset des salmonidés est considérée comme un “faithistorique”, de même que l'absence de la lamproie

de Planer renvoie à des substrats peu favorables.L'absence de la loche franche est rapportée à laprésence de seuils.

L'Indice poisson rivière (IPR) de la Coquilleclasse le cours d'eau en catégorie “bonne”, avecun score de 10.294 (sur l'IPR, indice retenu pourl’évaluation piscicole de la directive-cadre surl’eau 2000, voir Belliard et Roset 2006). Lesauteurs du rapport commentent : “le peuplementpiscicole est de bonne voire d'excellente qualitésur la Coquille [et le Banlot]”.

Le Prélard, en revanche, reçoit un IPR de classe“médiocre” (score de 17.448). On ne retrouve quetrois espèces dans cet affluent de la Coquille –chabot, loche franche et vairon –, toutes en netdéficit par rapport aux quantités attendues sur cetype de cours d'eau. Truite fario et lamproie dePlaner sont absentes. La présence sporadique de laloche atteste selon les auteurs du rapport une“altération de la qualité chimique par dessubstances toxiques”. Il en résulte que“l'importante dégradation physique du Prélard lerend totalement inapte à accueillir un peuplement

piscicole stable et viable”.

Nous avons donc un cours d'eau jugéen bonne qualité du peuplementpiscicole (Coquille) et un autre enqualité médiocre (Prélard). Qu'enest-il des obstacles à l'écoulement surle linéaire de ces rivières? La carte ci-contre est extraite du Référentiel desobstacles à l'écoulement. Elle montre lecours de la Coquille en amont du pointde pêche, marqué par un carré bleu. On

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

LES SEUILS ET BARRAGES AFFECTENT-ILS DE FAÇONMANIFESTE ET SYSTÉMATIQUE LA QUALITÉ PISCICOLE?

À RETENIR

� Trois exemples de rivières de Côte d’Or (Coquille, Prélard, Vingeanne) montrent que la présenced’obstacles à l’écoulement n’empêche pas d’avoir une qualité piscicole jugée “bonne”, voire“excellente” (selon l’Indice poisson rivière), et qu’inversement, une absence d’obstacles peut setraduire par une qualité médiocre.� Exiger un aménagement systématique des seuils et barrages n’a donc guère de sens :l’investissement doit se réaliser sur les causes prioritaires de dégradation de l’eau, et seulementaprès mesure complète des bénéfices environnementaux attendus.

Bien que la Coquille ait une forte densité deseuils en lit mineur sur son linéaire (les pointsrouges), elle est considérée comme ayant unebonne qualité piscicole (au point de pêche decontrôle indiqué par une croix blanche sur fondbleu). L’inverse est vrai pour le Prélard: aucunseuil en lit mineur et une qualité piscicolemédiocre. (Source: ROE, BD Carthage IGN)

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observe quatre obstacles à l'écoulement (pointsrouges, seuils en rivière). Au moins un de cesobstacles, les anciennes forges d'Aignay-le-Duc,est totalement infranchissable en montaison. LaCoquille a un linéaire d'environ 10,2 km , surlequel le ROE compte au total 5 obstacles, soit unobstacle tous les 2 km environ. Une telle densitéest habituellement considérée comme la signatured'une rivière “fortement impactée”. Le Prélard(non représenté sur la carte) n'a que deux obstaclesà l'écoulement : mais ce sont des ponts, et non desseuils faisant obstacle à la continuité longitudinaleen lit mineur.

Sur la Coquille, les populations de truite,chabot et vairon atteignent donc des quantitésconformes aux peuplements attendus malgréune forte densité de seuils en lit mineur sur larivière, dont au moins un infranchissable. Le

cas inverse pour le Prélard, avec une qualitépiscicole médiocre malgré l'absence d'obstacles àl'écoulement longitudinal.

Cet exemple n’est pas isolé. Par exemple, ledernier tableur des IPR (2010) disponible sur lesite data.eaufrance.fr indique que la Vingeannepossède une qualité “excellente” (score IPR de6.513), alors que la pêche de contrôle a étéeffectuée sur un linéaire comptant 10 obstaclesà l’écoulement très rapprochés (image ci-contre).

Ces exemples suggèrent que les seuils et barragesne constituent pas nécessairement les premiersfacteurs nuisibles aux espèces pisciaires, y compriscelles dont la libre circulation est exigée.

Il en ressort une nécessité méthodologique : surl'ensemble des rivières de Côte d'Or, analysersystématiquement les corrélations entreprésence des poissons protégés au titre duclassement et facteurs de dégradation(chimiques, physico-chimiques,hydromorphologiques). Le résultat permettraune analyse en composantes principalesapportant un premier éclaircissement sur lesfacteurs affectant réellement les populationspiscicoles.

Références� Belliard J, Roset N (2006), Indice PoissonRiviere (IPR). Notice de présentation etd’utilisation, CSP-Onema, 22 p.� IPR 2010, tableur des relevés disponibles sur lesite data.eaufrance.fr� Sicec, FDAAPPMA 21 (2012), Etude despeuplements piscicoles et macrobenthiques de laSeine et de ses affluents au regard de la qualitéphysique et chimique de l'hydrosystème. Définitiond'un état initial(2011).

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Lorsque les mesures sont effectuées, elles nemontrent pas de lien systématique entre laqualité piscicole de la rivière et la densité desseuils présents sur le lit mineur.•Or, les aménagements demandés dans lecadre du classement sont quant à euxsystématiques, sans prise en compte desdonnées collectées par les chercheurs,ingénieurs et techniciens.

• Une analyse sur chaque masse d’eau de lacorrélation entre présence d’obstacles àl’écoulement et note d’Indice poisson rivière surla qualité piscicole.

Le Vingeanne possède un Indice poisson rivière jugé “excellent”.Pourtant, la pêche de contrôle (croix blanche dans carré bleu) se situeentre 5 obstacles amont et 5 obstacles aval (points rouges). Comme pourla Coquille, il n’y a pas de corrélation entre présence de seuils et qualitépiscicole. (Source: ROE, BD Carthage IGN)

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TOUS LES POISSONSONT-ILS BESOIN D'UN FRANCHISSEMENTEN MONTAISON ET DÉVALAISON?

physicochimique, et ensuite de trouver des zonesfavorables à leur reproduction (frayères) puis àleur croissance. Pour cela, de telles zones doiventexister sur la rivière, mais elles peuvent êtreaccessibles par simple dévalaison (nage versl'aval). C'est la raison pour laquelle la plupartde ces poissons n'ont jamais disparu desrivières malgré l'abondance des seuils dès leMoyen Âge : ces seuils sont toujours aisés àfranchir en dévalaison et n'empêchent pas lesindividus de rechercher des zones favorables àleurs besoins.

Ce point est assez clairement établi dans l'ouvragede référence de Gosset et al. 1999, publié par lesmeilleurs experts français de la question. Cesauteurs proposent en page 29 un arbre dedécision d'où il ressort que la construction d'unouvrage de franchissement (a priori uneffacement d'obstacle) doit résulter d'uneanalyse complète incluant notamment :• l'importance relative des frayères et zonesfavorables en amont et en aval de l'obstacle ;• la capacité des espèces présentes à dévaler(notamment les juvéniles) ;• le gain biologique attendu par l'effacement /aménagement par rapport à d'autres solutions(alevinage).

Dans la plupart des aménagements à fin decontinuité écologique, ce travail n'estmalheureusement pas réalisé.

Bien sûr, une absence totale de seuils naturels ouartificiels sur une rivière sera toujours la situationla plus favorable à la migration des poissons (cfLarinier 2008). C'est un truisme de le rappeler,on circule mieux sans obstacles à lacirculation…

Mais c'est affaire de juste milieu : la solutionoptimale pour les poissons n'est généralement pasla solution optimale pour les humains, car elleimpliquerait la renaturation intégrale de la rivièrepar disparition pure et simple de toute influence

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À RETENIR

� Initialement consacrée aux grands migrateurs amphihalins (comme les saumons ou anguilles), lacontinuité écologique a été étendue à toutes sortes d’espèces vivant uniquement en eau douce.� Ces espèces n’ont jamais disparu du fait des obstacles à l’écoulement dont la présence datesouvent du Moyen Âge.� Les chercheurs reconnaissent qu’ils ne connaissent pas encore, même pour des populations trèsétudiées comme la truite commune, les conditions exactes de bonne santé des populations.

Si chaque obstacle diminuait tendanciellement lataille des populations piscicoles, il n'y aurait plusbeaucoup de poissons dans nos rivières, vul'ancienneté des seuils et barrages, voire desobstacles naturels formant des hauteursinfranchissables à la plupart des espèces. Tous lesanciens de notre département en témoignent : ladégradation piscicole des rivières a été surtoutmarquée dans la seconde partie du XXe siècle, àune époque où l’on ne construisait passpécialement de seuils en rivière.

Le Code de l'environnement et l'esprit de la Trameverte et bleue du Grenelle concernaient au premierchef les “espèces vivant alternativement en eaudouce et eau salée”, dites espèces amphihalines.Ce sont les poissons “grands migrateurs” commele saumon ou l'anguille. Lorsque ces poissonsparcourent de longues distances nécessaires à leurcycle biologique, ils ont besoin de franchir desobstacles vers l'amont (montaison) et vers l'aval(dévalaison).

Mais pour certaines espèces amphihalines etpour la plupart des poissons d'eau douce(espèces holobiotiques), la nécessité de remontersystématiquement le courant de la rivière versl'amont n'existe pas. Ces poissons – truites,ombres, brochets, chevesnes, ablettes, goujons,spirlins, chevesnes, etc. – ont d’abord besoin d’uneeau de bonne qualité chimique et

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anthropique (pas seulement les seuils, mais aussibien l'agriculture, l'industrie, le captage etrelargage d'eau !). En conséquence, seule uneévaluation sérieuse du bénéfice piscicoleattendu permet de conclure à la nécessité d'undispositif de franchissement en montaison etdévalaison.

Il est à noter que les chercheurs admettentvolontiers les limites de leur connaissance. Pourun animal aussi emblématique et étudié que latruite, une équipe de neuf scientifiques (Irstea,Onema, Inra, EDF R&D, Ecogea, Université deLiège) reconnaissait ainsi en 2012 (in Gouraud etal 2012) :

“Un consensus global a émergé sur la difficultéd'identification de critères robustes permettantune évaluation précise de la fonction despopulations de truites en termes d'abondances, debiomasses, de structures populationnelles etd'usage de l'habitat (taux d'occupation). Il existela même incertitude sur l'évaluation de la viabilitéde la population, en l'occurrence le nombreminimum de poissons nécessaire pour assurerl'autorenouvellement de la population […] Uneinformation complémentaire est essentielle pouraméliorer le diagnostic fondé sur les paramètresphysiques, qui ne reflète pas la variabilité de laréponse des populations en fonction du degréd'altération, l'importance du contexte physique etles phénomènes compensatoires pouvant émerger.

L'acquisition d'une connaissance plus détailléede ces mécanismes est nécessaire pour poser lesfondements de la restauration écologique. C'estpourquoi la Directive cadre sur l'eau [de l'Unioneuropéenne] place la biologie au centre de son

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dispositif. Afin de relever ce défi, il est nécessaireen dernier ressort d'établir des critèresbiologiques [de santé des populations] et non dese restreindre seulement aux critères physiques,même s'ils sont cruciaux pour la biologie”.

Ces chercheurs admettent donc que nous nemaîtrisons pas tous les paramètres de qualité despopulations de truite – et c'est aussi exact pourd'autres espèces a priori moins étudiées que latruite : spirlin, grande alose, alose feinte, anguille,loche de rivière, lamproie de rivière, blageon,vandoise, lote, bouvière, ombre commun, etc. Cesmêmes chercheurs affirment que desconnaissances supplémentaires sont nécessairespour “poser les fondements de la continuitéécologique”.

Dans ces conditions, il ne serait passcientifiquement fondé d'agir avec précipitationet de désigner un paramètre (l'obstacle àl'écoulement) comme le premier facteurimpactant ou dégradant pour la qualitépiscicole de nos rivières.

Références� Gosset C., M. Larinier, J.P. Porcher, F. Travade(1999), Passes à poissons : Expertises etconception des ouvrages de franchissement, LaDocumentation française.� Gouraud V et al. (2012), What do we know toevaluate the health of brown trout (Salmo trutta)populations?, 9th International Symposium onEcohydraulics, Vienne.� Larinier M. (2008), Fish passage experience atsmall-scale hydro-electric power plants in France,Hydrobiologia, 609, 97-108.

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• En l’absence de relevés historiques sur lespopulations piscicoles de nos rivières, onignore les facteurs réels qui affectent lespopulations de poissons.• On exige des dispositifs systématiques demontaison sans démontrer par l’étude dubiotope local que les espèces en tireront unbénéfice tangible dans leur cycle de vie.

• Une enquête pluridisciplinaire permettant dehiérarchiser clairement les facteurs quiaffectent la qualité piscicole de nos rivières.•Le rappel des exigences de bonnes pratiquesscientifiques quand un aménagement ou uneffacement est demandé, notamment laquantification du bénéfice écologique pour lesespèces présentes dans la rivière.

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L'auto-épuration désigne la capacité d'un coursd'eau d’éliminer des substances nocives pour lavie aquatique. Le phénomène concerneprincipalement des nutriments, et notamment lesmolécules dérivées de l'azote et du phosphore quisont les principaux responsables del'eutrophisation. (Pour une approche générale voirSchriver-Mazzuoli 2012).

L'eutrophisation désigne le forçage artificiel etd'origine humaine du contenu en nutrimentsazotés et phosphorés des rivières. L'excèsprovient principalement de l'agriculture pourl'azote (engrais, lisier), de l'agriculture, del'industrie et des effluents domestiquesd'épuration pour le phosphore (chimie,parachimie, agro-alimentaire).

Une rivière peut éliminer des excès de moléculespar trois voies d'auto-épuration :- l'échange physique, qui peut être un transfertgazeux vers l'atmosphère ou un transfert solidevers le sol (sédimentation et adsorption desparticules en suspension) ;

- l'échange biologique et chimique, par voiebactérienne ou végétale, aboutissant à laminéralisation des substances concernées ou à leurtransformation (absorption par des racines d'arbresen berge, nitrification et dénitrificationbactériennes) ;- l'exportation, qui peut être naturelle (parexemple les émergences d'éphémères qui ontconsommé des communautés bactériennes dansleur première phase de vie) ou humaine(faucardage, curage).

Trois chercheurs de l'Onema et du Cemagref(aujourd'hui Irstea) ont produit en 2011 unesynthèse des références disponibles sur cettequestion de l'auto-épuration en lien avecl'hydromorphologie (Oraison et al 2011). Leurtravail s'adosse à plus de 70 référencesscientifiques dont la grande majorité date desannées 2000.

Qu'il s'agisse d'études de terrain ou de modèles, leschercheur de l'Onema et d'Irstea soulignentl'extrême complexité des cycles de l'azote et duphosphore, avec une grande diversité de conditionspour comprendre la capacité auto-épuratrice desrivières. Outre la charge imposée par les activitéshumaines en intrants, entrent en ligne de comptedes facteurs aussi divers que les variations dedébit, la nature du substrat, la présence et lalargeur de la ripisylve, la nature de la couverturedu sol et de la végétation, la forme desécoulements latéraux et longitudinaux, le climat,l'occupation anthropique des sols.

La conséquence en est que l'interventionhumaine pour accroître les capacités auto-épuratrices des rivières n'a aucune garantie derésultats, d'autant qu'azote et phosphoredemandent des conditions assez différentes voireantagonistes d'élimination. Federica Oraison et sescollègues observent ainsi : « L'évaluation desbénéfices apportés du point de vue des nutrimentspar la restauration hydromorphologique restedifficile : on observe des variations importantesdes résultats obtenus positifs ou négatifs, parfois

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L’AUTO-ÉPURATION DES RIVIÈRES EST-ELLE AFFECTÉEPAR LES SEUILS ET BARRAGES?

À RETENIR

� À tort, on a considéré que les obstacles à l’écoulement nuisent à l’auto-épuration des rivières,c’est-à-dire à la limitation des effets néfastes des nutriments en excès (eutrophisation par dérivés del’azote et du phosphore).� Les travaux les plus récents de l’Onema montrent que la restauration hydromorphologique parsuppression de seuills et barrages peut avoir un effet négatif sur l’auto-épuration.� Une gestion responsable des biefs et retenues permet l’élimination par exportation des nutrimentsen excès.

Christian Fischer, CC

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pour une même méthode. Les expériencesmontrent tout de même des voies d'exploration àapprofondir ». Parmi ces voies, on peut citer : latriple bande en berge (zone arborée non exploitée,zone arbustive exploitée, zone herbacée) formantune zone tampon, la reconnexion des voiessecondaires et plaines alluviales, le ralentissementdu débit par restauration de méandres améliorantla sédimentation, le retour des arbres et végétationssur une bande rivulaire ou plus large (ripisylve)permettant un stockage direct et un apportorganique.

Qu'en est-il des seuils et barrages? Il se trouveque dans la seule étude de suivi citée par lesauteurs (Ahearn et Dahlgren 2005), le résultat aété négatif. L'effacement d'un seuil de 3 mformant une retenue de 13 000 m2 a ainsi rendu lazone exportatrice de phosphore et d'azote parremobilisation des sédiments. Federica Oraison etses collègues sont donc obligés de conclure : “Lesétudes post-arasement sont souvent trop récentesou de trop courte durée pour observer un retour àun fonctionnement non influencé par lestravaux ». Une conclusion rejointe dans un autretravail récent de Jean-René Malavoi et DaminSalgues : « La cinétique d’épuration est modifiéesans que l’on sache réellement aujourd’hui si lesconséquences sont positives ou négatives sur laqualité de l’eau.” (Malavoi et Salgues 2011).

On peut cependant observer que rien, dans letravail des chercheurs, n'indique que les seuilspourraient avoir un effet aggravant sur l'auto-épuration. Dans le cas de l'azote, c'est même lecontraire qui paraît probable au regard de ladescription physico-chimique et biologique dela dénitrification. Celle-ci demande desécoulements variés, des débits plutôt lents querapides et des zones anaérobies, trois conditionsqu'apportent justement les seuils, glacis et petitsbarrages de rivière au droit de leur retenue. Le gainest moins manifeste pour le phosphore : si le dépôtparticulaire en eaux calmes est favorable, lesconditions anoxiques de fond ne le sont pas pourl'oxydoréduction.

Inversement, une accélération du débitconsécutive à l'arasement systématique desseuils (moindre dissipation de l'énergie cinétiquedans les turbulences) formerait une conditiondéfavorable, puisque les nutrimentsrejoindraient plus rapidement les fleuves et lesestuaires, avec une moindre opportunité demétabolisation ou sédimentation.

Les études de terrain comme les modèlesincitent donc à la prudence et la modestie. Ainsiqu'au discernement et à la bonne hiérarchie despriorités dans la dépense d'argent public.

Références�Ahearn DS, RADahlgren (2005), Sediment andnutrient dynamics following a low-head damremoval at Murphy Creek, California, Limnol.Oceanogr., 50, 6, 1752-1762.� Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement etdérasement de seuils. Aide à la définition ducahier des charges pour les études de faisabilité.Compartiments hydromorphologie ethydroécologie, Onema-Cemagref.� Oraison F, Y Souchon, K Van Loy (2011),Restaurer l'hydromorphologie des cours d'eau etmieux maîtriser les nutriments : une voiecommune?, Onema-Cemagref.� Schriver-Mazzuoli L (2012), La gestion durablede l'eau, Dunod.

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A SAVOIR

• Les biefs et retenues semblent jouer le rôle d'une "zonetampon" contribuer à stocker des effluents et à en éliminercertains par échanges gazeux / sédimentaires (ou extraction).• Leur effacement peut conduire à une aggravation del'eutrophisation à court terme, éventuellement à long terme.• La vitesse d'écoulement du flot est un facteur déterminant del'auto-épuration et son accélération par suppression desobstacles transversaux à l'écoulement aggraverait plutôt leschoses.• Les opérations de restauration hydromorphologique sontencore à ce jour très expérimentales et la littératurescientifique montre qu'elles donnent parfois des résultatsnégatifs sur l'auto-épuration.

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Les seuils et barrages sont présentés commedes entraves à l’auto-épuration des rivières,alors que la littérature scientifique ne donnerien de concluant à ce sujet.• La dimension hydromorphologique détournedu vrai problème, la pollution chimique de larivière.

• Instaurer un strict suivi des opérations derestauration hydromorphologique centrées surl’eutrophisation, compte tenu de la fréquencedes résultats nuls, faibles ou négatifs.• Rediriger les investissements sur la luttecontre les intrants nitrates / phosphates.

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Dans le bassin de Seine, on compte aujourd'hui 53espèces de poissons contre 24 à 33 voici 10 000ans, en sortir de glaciation (Tales 2009). Bonnombre d'espèces que l'on croit naturelles ont enfait été introduites par l'homme à diversesépoques. Par exemple, en bassin séquanien : hotu,carpe, vandoise, carcassin, grémille, ombrecommun, omble de fontaine, etc. La Bourgogne apar ailleurs été dès l'âge médiéval une terre trèsactive en pisciculture (Beck 2008). La pêche deloisir a joué un rôle non négligeable dans lamodification des peuplements piscicoles :au XXe siècle, les rivières ont été massivementempoissonnées par des truites arc-en-ciel,sandres, silures et autres espèces nonautochtones.

Aujourd'hui, les espèces exotiques envahissantes(EEE) ou espèces invasives sont considéréescomme un problème majeur pour labiodiversité aquatique (Diren 2006, Onema2012, Sciences, Eaux, Territoires 2012). Un descas les plus connus, et documenté en Côte d'Or, estla prolifération des écrevisses américaines(Orconectes limosus), écrevisses de Louisianne(Procambarus clarkii) et écrevisses signal(Pacifastacus leniusculus), dont la croissancerapide, la fertilité importante et la résistance à desmilieux physico-chimiques variés entrent encompétition avec les écrevisses autochtones.

Pour la faune pisciaire, de nombreuses espècesd'importation récente entrent en compétition avec

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

CONNAÎT-ON L'EFFET DES SEUILS ET BARRAGESSUR LES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES?

À RETENIR

� La libre circulation est positive si elle concerne des sédiments et des espèces autochtones, maisnégative quand elle transporte des polluants ou des nuisibles.� Il n'existe pas en Côte d'Or d'inventaire complet des espèces exotiques envahissantes (EEE), nid'étude d'impact sur leur répartition en cas d'effacement des obstacles à la circulation.

Silure glane. Crédit : Epop,Creative Commons

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les espèces autochtones : c'est le cas par exempledu silure glane, du poisson-chat, de la perchesoleil, du pseudorasbora. Des mollusques (moulezébrée, palourde asiatique), des bryozoaires(Pectinatella magnifica) et des mammifères(ragondins, rats musqués) sont aussi concernés,sans évoquer les problèmes d'invasion végétale enripisylve (renouée). L'impact réel de ces EEE surla qualité biologique des rivières n'est pasactuellement documenté. Il en va logiquementde même pour l'impact d'une restauration delibre circulation piscicole : les seuils et barragespermettent une compartimentation piscicole enmontaison (à défaut de la dévalaison toujourspossible) dont l'effet sur les EEE n'est pasconnu.

RéférencesBeck C (2008), Les eaux et forêts en Bourgogneducale (v1350-v1480), L'HarmattanDiren Champagne-Ardenne. (2006), La luttecontre les espèces invasives dans les cours d’eauet plans d’eau, Colloque développement durable etbiodiversitéOnema (2012), Biodiversité aquatique. Quellespistes pour la gestion des rivières et plans d'eau?,Colloque.Sciences, Eaux, Territoires (2012), Les invasionsbiologiques en milieux aquatiques, numéro spécialTales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons dubassin de Seine, CNRS programme Piren-Seine.

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Les espèces invasives ne font pas à ce jourl'objet d'un inventaire ni d'une stratégie de luttecoordonnée.

• Lancer un programme d'étude des EEE surles bassins versants de Côte d'Or incluant uneanalyse de répartition avec ou sans obstacles àl'écoulement.

Ecrevisse américaine (Orconectes limosus).Crédit : A. Berger, Creative Commons

Page 24: continuité écologique en Côte d'Or

La plupart des obstacles à l'écoulement en Côted'Or sont des ouvrages modestes, ne dépassant pas2 m de hauteur de chute, souvent moins. Uncertain nombre d'entre eux sont en déshérence.Mais ce processus n'a rien de nouveau.

De nombreux ouvrages hydrauliques ont étéabandonnés au cours des siècles passés :• les foulons et autres ouvrages tisserands l'ont étédès le XVIIIe siècle, quand l'ouverture ducommerce textile a fait décliner l'intérêt desproductions locales ;• les forges, fourneaux, patouillets, bocards l’ontété à partir du XIXe siècle, quand la fabrication dufer à été transférée dans les régions riches enminerai et en charbon de terre,• les meuneries ont à leur tour décliné au XXesiècle, avec l’apparition des grandes minoteries.

Des centaines d’ouvrages ont ainsi complètementdisparu de nos cours d'eau, sans la moindreintervention de l’homme à cette fin. La rivière a suse frayer un nouveau chemin parmi les ruines,érodant les ouvrages jusqu'à leur effacementcomplet.

Le processus se poursuit aujourd'hui (voir deuxexemples de « renaturation » spontanée en photo).Les sites concernés, bien que notés pour la plupartdans le Référentiel des obstacles à l'écoulement(ROE), présentent de nombreuses voies de passagepour la faune piscicole. Et une retenueprogressivement comblée par l'amont devientrapidement neutre pour la charge solide : lecharriage est assuré par des crues de retour de plusen plus fréquent, puis par l'écoulement normal deseaux. D'autant que l'extraction des granulats en lit

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

POURQUOI IGNORER L'EFFACEMENT NATURELDES OBSTACLES À L'ÉCOULEMENT?

À RETENIR

� La rivière est son propre architecte, comme aiment à le dire les hydrologues. Depuis des siècles,elle efface toute seule les ouvrages hydrauliques ayant perdu leur usage.� Le processus se poursuit aujourd'hui, sans aucun coût pour la collectivité.

Deux exemples d'effacement naturel en coursd'obstacles par la rivière, le seuil du Foulon Marmillotsur l'Armançon et le seuil de la Renardière sur leSerein.

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mineur, voire majeur, est désormais interdite sur laplupart des rivières (Malavoi et al 2011).

On observe pourtant des opérations coûteuses(Essarois en bassin Haute Seine) qui visent à« renaturer » et « reméandrer » des zones où larivière aurait pu spontanément reprendre ses droitsen l'absence d'usage des ouvrages hydrauliques.

Il est hélas difficile d'estimer ce potentield'effacement naturel car le ROE n'est que très

partiellement renseigné sur la hauteur de chute, leniveau de ruine, la fréquence du noyage /dénoyage et le taux de remplissage sédimentaireamont des seuils de Côte d'Or.

RéférencesMalavoi JR, CC Garnier, N Landon, A Recking, PBaran (2011), Eléments de connaissance pour lagestion du transport solide en rivière, Onema,216 p

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• L'insistance disproportionnée surl'hydromorphologie favorise des interventionstous azimuts, y compris sur des ouvrages envoie d'effacement naturel et n'altérant plusguère la circulation piscicole ou le transitsédimentaire.

• Mener un travail de qualification complète duRéférentiel des obstacles à l'écoulement(Onema) afin de prioriser les seuils selon leurniveau d'effacement naturel en cours.

A Essarois, site d’ancienne forge à l’intérêt patrimonial remarquable, la nature reprenait lentement ses droits... Lesbénéfices écologiques attendus du reméandrement en cours ont-ils été évalués ? Quelle procédure de suivi et contrôle estprévue pour vérifier qu’ils sont au rendez-vous ?

Page 26: continuité écologique en Côte d'Or

III.Patrimoine, paysage, énergie:

les dimensions oubliées de la rivière

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

Page 27: continuité écologique en Côte d'Or

LA VALEUR PATRIMONIALE, HISTORIQUE, PAYSAGÈREET TOURISTIQUE DES OUVRAGES HYDRAULIQUESEST-ELLE ÉVALUÉE?

La Côte d’Or est une terre au très richepatrimoine hydraulique – comme l’ensemble dela Bourgogne qui a hébergé de grandshydrauliciens (Hugues Sambin, Edmé Mariotte,Henri Navier, Henry Darcy, Henry Bazin, etc.).Les temples des Lingons en l'hommage deSequana (déesse des eaux de la Seine) comme lesforges gauloises installées au fil des ruisseauxproches des sources de la Seine rappellent quel'histoire des hommes et celle de leurs rivièresse sont mêlées très précocement sur les terresbourguignonnes et côte-doriennes. Outre les pontset dispositifs de franchissement, les témoignagesconservés les plus anciens se trouvent bien sûr

dans le réseau des moulins. Au Moyen Âge, ceux-ci utilisaient l’énergie de l’eau pour toutes sortesde production et transformation : moudre le grain,purifier et forger le fer, fouler la laine, presserl’huile ou le vin, etc. Un glacis ou seuil de pierresurélevait le niveau de la rivière et détournait l’eauvers un sous-bief, où la roue hydraulique tiraitpartie du courant. Il existe aujourd’hui plusieurscentaines de moulins en Côte d’Or, soit à l’état devestiges soit en habitations souvent très bienrestaurées.

Le réseau des abbayes et monastères a égalementsu exploiter l’eau. Les moines cisterciens étaient

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

À RETENIR

� La Côte d’Or est l’héritière d’un patrimoine hydraulique exceptionnel, présent à toutes les époques :antique, médiévale, classique et moderne.� Cette architecture a façonné le paysage de nos rivières, contribue à l’attrait touristique et possèdeune valeur didactique.� La valeur de ces dimensions immatérielles est aujourd’hui ignorée au profit d’une vision réductricede l’eau considérée presqu’exclusivement comme milieu naturel.

Moulins,abbayes, forges,canaux,barrages deretenues ou deproduction,digues,anciennesusines hydro-électrique…quelquesvisages dupatrimoinehydrauliquecôte-dorien.

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de ce point de vue de véritables ingénieurs, et lesite exceptionnel de l’Abbaye de Fontenayrappelle leur haut niveau de technicité.

Plus tard, lorsque la Bourgogne devint une terreréputée de métallurgie, l’eau fut mise àcontribution dans les nombreuses forges quiexploitaient un abondant minerai de fer de surface.Les Grandes Forges de Buffon sont bien sûr letémoignage le plus abouti de cette contributionhydraulique au travail des métaux.

À l’âge d’or de la métallurgie bourguignonne,c’est-à-dire au XVIIIe siècle, un nouvel usage se fitjour : la construction de canaux pour transporterles marchandises, dont le canal de Bourgogne(242 km). Pour l’alimenter, et aussi pour canaliserles terribles crues de la Seine, on dut construire desgrands barrages assurant des retenues d’eau :Cercey, Chazilly, Pont-et-Massène ou encoreGrobois-en-Montagne ont conservé ces lacsartificiels, et leur ont ajouté de nouveaux usages.À ce riche patrimoine technique, artisanal ouindustriel, s’ajoute bien sûr l’aventure moderne del’hydro-électricité. Des dizaines de petites usinesont surgi des anciens moulins ou forges entre 1890et 1920. C’est souvent l’énergie de l’eau qui aassuré l’électrification de nos campagnes.

Hélas, ces dimensions multiples de l’histoire denos rivières ont été niées par les choix declassement des masses d’eau opérés par la France.Dans le dispositif créé par la directive-cadre surl'eau de 2000, chaque pays pouvait qualifier une

masse d'eau de “naturelle” ou d' “artificielle” /“fortement modifiée” selon l'importance del'action de l'homme sur la rivière. Uneconséquence est qu'une masse d'eau artificielle oumodifiée a des critères d'état écologique moinsexigeants et moins urgents du fait de l'influenceanthropique reconnue.

La France a classé 8 % seulement de ses massesd'eau comme artificielles, alors que l'Allemagnea par exemple considéré que plus de la moitié dessiennes étaient dans ce cas (source CGDDministère de l'Écologie 2012)

La “naturalisation” choisie par la France necorrespond pas à la réalité physique ethistorique. Elle est manifestement contradictoireavec le Référentiel des obstacles à l'écoulement(ROE) dressé par l'Onema depuis 7 ans : oncompte plus de 60000 obstacles sur les rivièresfrançaises (digues, seuils, glacis, barrages, ponts,enrochements, canaux, écluses, etc.). La Côte d'Or,avec plus de 1300 obstacles, est l'un desdépartements les mieux dotés en la matière enraison de son patrimoine extrêmement riche. Celaindique que nos rivières témoignentmassivement de la présence humaine, et sont desconstructions culturelles autant que desphénomènes naturels.

Sauf exception en zones historiquement peupeuplées, la naturalité d'un cours d'eau est unevue de l'esprit : les Cisterciens étaient déjàcapables de détourner complètement des cours

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

Le “battoir àécorce” sur le

Soutain, affluentdu Serein à Vic-sous-Thil. Les

obstacles àl’écoulement sont

aussi descréateurs de

plans d’eau quidonnent leurbeauté et leur

singularité à nospaysages.

Page 29: continuité écologique en Côte d'Or

d'eau pour alimenter leurs piscicultures ouleurs moulins (voir les travaux de Pressouyre etBenoist 1996). Et beaucoup d’étangs ou prairiesinondables à marnage considérés comme deszones humides naturelles sont en fait l’héritage deconstructions humaines. Cela ne signifie(malheureusement) pas que toute influencehumaine est bonne et doit être acceptée ouconservée comme telle. Mais ces classementstémoignent d'une vue hexagonale maximalisteque ne partagent pas d'autres États-membres. Ilexiste ici une confusion grave entre la qualificationscientifique d'un état naturel (fait démontrable ouréfutable) et une vision floue de la naturalisationne s'appuyant sur aucune preuve, et niant lesévidences les plus manifestes.

Le patrimoine hydraulique de notredépartement a une valeur historique et

pédagogique, mais aussi paysagère ettouristique. L’alternance des écoulements rapides(lit naturel) et des plans d’eau (lit modifié parl’homme) a façonné le visage de nos territoires etsouvent donné de nouveaux équilibres séculairesaux milieux.

Références� CGDD Ministère de l'Écologie (2012), Mise enœuvre de la directive-cadre sur l’eau : position dela France en Europe en 2009, Chiffres &statistiques, 367.� Pressouyre L, P Benoist (1992), L'hydrauliquemonastique, Rencontres à Royaumont, Creaphis,517 p.� Référentiel des obstacles à l'écoulement (2011) :consultable surcarmen.carmencarto.fr/66/ROEavril2011.map

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Au lieu d’être pleinement valorisés danstoutes leurs dimensions, et le cas échéantmodernisés pour améliorer les milieux, lesatouts hydrauliques de Côte d’Or sont ignorésou réduits au concept amnésique d’obstacle àl’écoulement.

• Une politique de valorisation du patrimoinehydraulique départemental, notamment de sadimension pédagogique et didactique, ne selimitant pas aux sites déjà les plus visités parles touristes, mais incluant des parcours dedécouverte sur tout le territoire côte-dorien.

Aménagement hydraulique des forges d’Aisy-sur-Armançon, qui ont inspiré le naturaliste Buffon.

Page 30: continuité écologique en Côte d'Or

LE POTENTIEL ÉNERGÉTIQUE DES OUVRAGESHYDRAULIQUES EST-IL PRIS EN COMPTE?

Détruire les seuils et barrages de Côte d'Or, ceserait effacer un patrimoine pluriséculaire, maisaussi priver nos territoires d'une ressourceénergétique locale, propre et facilementmobilisable.

Le potentiel français de l'hydroélectricité pour lespuissances supérieures à 100 kW a été estimé à10,6 TWh, soit la consommation de 4 millions depersonnes, dont 1,1 TWh (400 000 personnes)pour les seuils de moulins à rééquiper (UFE2011). A cela s'ajoute la micro-hydroélectricité dessites inférieurs à 100 kW de puissance, quiforment la majorité des moulins en France. Pourdonner un ordre de grandeur, un moulin peutassurer son autoconsommation à partir de 5kW de puissance.

La transition énergétique n'est plus une option,mais une nécessité pour de multiples raisons : lecoût croissant du fossile impliquant un déficit debalance commerciale et une précarité des ménages,le risque du réchauffement climatique. EnBourgogne comme ailleurs, les sources d'énergierenouvelable sont multiples : l'éolien, la biomasse(bois, déchets, biocarburants, biogaz), le solaire, la

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

géothermie et bien sûr l'hydraulique. Le Schémarégional Climat, air et énergie (SRCAE), outildirecteur à échelle de la région, permet de dessinerles énergies à développer à horizon 2020 (23 % derenouvelable dans le mix énergétique), puis2050 (division par 4 des émissions carbone, doncde la part fossile du mix). Le Conseil général deCôte d'Or prépare actuellement un Plan ClimatÉnergie Territorial (PCET) à l'échelle dudépartement, tandis que le Siceco (syndicatd'énergie) publiera en 2013 également un Schémaénergétique départemental.

Pour la petite hydraulique, le SRCAE prévoit 2à 3 MW supplémentaires de puissance d'ici2020 (2,5 MW et 5 GWh en hypothèsemoyenne), auxquels s'ajoute l'amélioration desinstallations existantes (54 à 57,5 MW, gain de 4GWh). Sachant que les équipements ont unepuissance modeste, cela représente plusieurscentaines de moulins ou anciennes usines àdévelopper rapidement.

Pour une première idée de ce potentiel de petitehydro-électricité en Côte d'Or, une étude a étémenée sur la base de 142 sites répartis dans 82communes du département et produisant del'électricité au milieu du XXe siècle (Hydrauxois2012). Ces seuls sites représenteraient aujourd'hui2,3 MW de puissance, 10 GWh de productibleannuel (équivalent de la consommationélectrique de 2000 foyers) et un équivalent derevenus annuels de 1 million d'euros. Cetteétude ne porte que sur 142 sites renseignés par uncatalogue d'un constructeur dijonnais mais leRéférentiel des obstacles à l'écoulement totalise770 seuils et barrages en rivières. Cinq fois plus :autant dire que la micro-hydro-électricitéreprésente une niche importante d'énergie, deressources et d'emplois pour nos territoires.

Mais la condition sine qua non pour utilisercette énergie, c’est évidemment de conserver lesseuils et barrages qui créent physiquement lahauteur de chute exploitable, et non de lesdétruire irrémédiablement.

À RETENIR

� Le sens même des seuils et barrages est de produire de l’énergie, ce dont nous avons urgemmentbesoin pour lutter contre la dépendance fossile et le risque climatique.� Selon les premières estimations, les ouvrages les plus facilement équipables de Côte d’Orpourraient représenter 2 MW de puissance, 10 GWh de production annuelle (2000 foyers) etl’équivalent de 1 million d’euros de revenus annuels.� La “double modernisation” (écologique et énergétique) des seuils et barrages de Côte d’Or doitdevenir une priorité départementale.

Page 31: continuité écologique en Côte d'Or

Rappelons les avantages de l’énergie hydro-électrique :•une énergie locale et bien acceptée,contrairement à d’autres énergies renouvelablessoulevant des oppositions délicates à gérer ;• une énergie propre : l’eau turbinée est restituéeintégralement et sans altération, le transitsédimentaire et piscicole peut être assuré par desaménagements ;• une énergie limitant les émissions de CO2, doncluttant contre le réchauffement climatique etl’acidification océanique ;• une énergie prévisible : même s’il y a desvariations annuelles dans les débits des rivières, onpeut estimer la production moyenne ;• une énergie abondante en hiver, quand il y aplus de besoins, aidant à compenser le déficitsolaire en cette saison et à gérer les pointes ;

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

• une énergie accessible, aux particuliers commeaux collectivités, car l’équipement en petitecentrale hydro-électrique peut aussi bien servir àl’autoconsommation d’une famille qu’à la vente dusurplus sur le réseau ;• une énergie collaborative, car lorsque plusieursparticuliers et collectivités s’équipent sur un mêmeterritoire, ils peuvent mutualiser certainesopérations de maintenance des sites et réduire ainsiles coûts d’exploitation ;• Une énergie à longue durée de vie, carl’équipement est robuste et dure plusieursdécennies, voire plus d’un siècle.

La destruction des seuils et barrages n’est pasune fatalité. Par exemple, l’Agence de l’eau et leSicec (syndicat de rivière du Châtillonnais) ontsoutenu la réhabilitation écologique et économiqued’un moulin communal sur la Seine, àGomméville. Cet exemple ne doit pas êtrel’exception, ce qui est hélas le cas aujourd’hui,mais devenir au contraire la règle sur tout ledépartement.

Promouvoir l'effacement des seuils et petitsbarrages de Côte d'Or, c'est détruire unpotentiel énergétique au moment même où nousen avons besoin pour lutter contre la dépendancefossile et le réchauffement climatique. Qui peutprendre une telle responsabilité vis-à-vis desgénérations présentes et futures?

Références� Hydrauxois (2012), Hier et demain : le potentielmicro-hydraulique en Côte d'Or. Une étude àpartir du catalogue FACE-Darnel-Bosshardt, 14 p.� Schéma régional climat, air, énergie :téléchargeable à cette adressehttp://www.bourgogne.developpement-durable.gouv.fr/schema-regional-climat-air-energie-r380.html� UFE (2011), Quel potentiel hydroélectriquepour les régions françaises?

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• La continuité écologique menée dans unelogique d’effacement conduit à liquider lepotentiel micro-hydro-électrique pourvoyeurd’énergie, de ressources et d’emplois.•Cela, alors même que notre économie souffrede la dépendance fossile et que tous leschercheurs désignent le réchauffementclimatique comme menace de premier ordrepour l’équilibre du cycle hydrologique et labiodiversité (y compris celle des rivières).

• Une évaluation complète du potentiel micro-hydro-électrique en Côte d’Or, de sa part dansle mix énergétique et des ressources qu’il peutassurer.•Une systématisation de l’offre de “doublemodernisation” (écologique et énergétique) auxmaîtres d’ouvrage.• Un moratoire sur tout effacement d’ouvrageprésentant un potentiel énergétiqueexploitable.

Page 32: continuité écologique en Côte d'Or

IV.La continuité écologique en action:un niveau de qualité, de concertation

et de cohérence insatisfaisant

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

Page 33: continuité écologique en Côte d'Or

Sur le papier, un seuil de moulin ou un barraged’ancienne usine peut être soit aménagé, soiteffacé. Et c’est ainsi que les Agence de l’eau oul’Onema (Office national de l’eau et des milieuxaquatiques) présentent les choses.

Mais dans la réalité observée sur le terrain,l'objectif affiché des autorités en charge del'eau est d'obtenir le maximum d'effacementd'obstacles à l'écoulement, en arasant ou dérasantles seuils des moulins ou les barrages desanciennes usines. La raison avancée est quel'effacement serait plus efficace écologiquement etmoins coûteux économiquement.

Les Agences de l'eau posent ainsi des conditionstrès limitatives à toute subvention accordée àl'aménagement des seuils, alors qu'elles semontrent généreuses dès que la liquidation del'obstacle est planifiée. Par exemple, le 10eProgramme de l'Agence de l'eau Seine-Normandiedont dépendent les rivières occidentales de la Côted'Or annonce 80 % de subvention aux effacementset 60 % aux aménagements… à condition, dans lesecond cas, que l'ouvrage ait un usage, que soneffacement soit impossible à délai court et qu'il n'yait pas déjà eu mise en demeure préfectorale (cequi sera le cas bientôt avec la publication duclassement). Autant dire qu'au terme de cetarbitrage totalement dissymétrique, très peud'ouvrages seront éligibles aux subventions sileurs propriétaires communaux ou particulierspréfèrent aménager.

On observe par ailleurs sur le terrain des rapportsde plus en plus tendus entre propriétaires etpolice de l’eau. Les maîtres d’ouvrage souhaitantobtenir reconnaissance de leur droit d’eau ourèglement d’eau ont les plus grandes difficultés à yparvenir, avec tendance de plus en plussystématique à la négation du droit d’eau pourdivers motifs (ruine, non-entretien, non-usage) quene reconnaît pas la jurisprudence du conseil d’État(ministère de l’Écologie 2010b). Le curage desbiefs et étangs est devenu un véritable casse-tête, avec des incitations parfois contradictoires(ne pas curer car cela bouche les frayères ettransporte des polluants ; curer car cela restaureune charge solide vers l’aval) et une opacité desrègles exigibles pour le nettoyage des plans d’eau.

Ces choix perçus sur le terrain comme une“diabolisation” des moulins et usines necorrespondent pas une “gestion équilibrée etdurable” de la rivière telle que l’a souhaitée lelégislateur (C env L-211-1).

Références� Ministère de l'Écologie (2010a), Circulairerelative à la mise en œuvre par l’État et sesétablissements publics d’un plan d’actions pour larestauration de la continuité écologique des coursd’eau� Ministère de l'Écologie (2010b), Guide pratiquerelatif à la police des droits fondés en titre

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

L’INCITATION SYSTÉMATIQUE À L’EFFACEMENTASSURE-T-ELLE UNE GESTION DURABLE ET ÉQUILIBRÉEDE LA RIVIÈRE?

À RETENIR

� Les autorités en charge de l’eau (Agences de l’eau, Dreal, Onema, DDT) favorisent l’effacementdes seuils et barrages, avec une politique de subvention dissymétrique et un découragement àl’exploitation énergétique des rivières.� Ce choix est contraire à une gestion équilibrée prenant en compte tous les usages de l’eau.

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• L’autorité publique exerce une pressionmanifeste en faveur de l’effacement desouvrages au lieu de leur aménagement.• Les fondements des droits d’eau ourèglements d’eau comme les obligationsd’entretien sont mal spécifiés et font l’objetd’interprétations imprévisibles.

• Une prime à l’aménagement plutôt qu’àl’effacement des seuils et barrages.• La conception d’un “guide des bonnespratiques” sur tous les domaines d’entretiendes ouvrages hydrauliques et de la rivière,permettant aux propriétaires de s’y référer etde clarifier ainsi leur rapport à la Police del’eau.

Page 34: continuité écologique en Côte d'Or

QU'EST-CE QUI EST FAIT POURLES GRANDS BARRAGES DE NOTRE DÉPARTEMENTGÉRÉS PAR LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS?

ou des écluses à poissons permettent de franchirdes hauteurs importantes – plus de 40 m pourcertains barrages équipés dans le monde. Ilimporte donc de clarifier au plus vite lediscours et l’action de l’autorité en charge del’eau: on ne peut exiger un aménagementimmédiat de seuils modestes aux effets très faibleset retarder cet aménagement sur des barragesmassifs.

Références� Classement des cours d'eau de Seine-Normandie, JO 18-12-2012, consultable à :http ://www.driee. ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/classement-des-cours-d-eau-du-r564.html� Gosset C, M Larinier, JP Porcher, F Travade(1999), Passes à poissons : Expertises etconception des ouvrages de franchissement, LaDocumentation française.

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

À RETENIR

� Les plus hauts barrages de Côte d’Or, qui représentent aussi les principaux obstacles àl’écoulement en termes de franchissabilité, sont épargnés par le classement, alors qu’ils sont publics(gérés par Voies navigables de France).

Le nouveau classement des rivières de Seine-Normandie, publié en décembre 2012, a étédécoupé de telle sorte que les grands barragesVNF de régulation du canal de Bourgogne n'ontaucune obligation d'aménagement à fin decontinuité écologique.

Un obstacle à l'écoulement est d'autant plusnuisible à la circulation piscicole ou sédimentairequ'il est élevé. Des barrages de 10 à 20 m formentdonc des « points noirs » infranchissables pourtoutes les espèces en montaison, voire parfois endévalaison (lésion et mortalité dues à la chute). Iln'existe donc aucune raison d'ignorer ces obstacles,qui devraient au contraire être prioritaires dans leprogramme de continuité établi par l'État.

Cette absence de mesure ne s'explique pas pardes raisons techniques. En effet, dans l'ouvragede référence de Gosset et al 1999 sur les dispositifsde franchissement, on signale que des ascenseurs

CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• L’autorité publique ne montre pas l’exemplesur les barrages dont elle assume la gestion.

• Une action prioritaire sur les ouvragespublics, à fin d’exemplarité et de crédibilité.

Barrage VNF dePont, 20 m dehauteur et 150de longueur,

épargné par lesobligations du

classement descours d’eaualors qu’il

représente unobstacle

manifeste àl’écoulement.

Page 35: continuité écologique en Côte d'Or

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION EST-IL RESPECTÉDANS LA POLITIQUE D'EFFACEMENT DES SEUILS?

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

d'évaluation des risques et à l'adoption demesures provisoires et proportionnées afin deparer à la réalisation du dommage.”

En tout temps et en tout lieu, les crues etinondations ont compté parmi les pires fléaux despopulations sédentaires installées au bord desrivières et des fleuves. C'est d'ailleurs une desraisons pour lesquelles les cours d'eau ont étéprogressivement artificialisés en vue de contrôlerleurs excès. Effacer quelques seuils ne changera

À RETENIR

� En arasant ou dérasant massivement des seuils et barrages, on modifie le régime d’écoulementdes rivières, ce qui peut avoir des conséquences dommageables en régime d’étiage ou de crue.� Ce risque est aggravé par les perturbations du cycle hydrologique dans le cadre du réchauffementclimatique.� Le principe de précaution exige une évaluation précise de ce risque, qui n’est pas disponibleactuellement.

En 2005, la Constitution française a intégré laCharte de l'environnement, et notamment leprincipe de précaution (art. 5) au sommet de lahiérarchie des normes juridiques. La Constitutionprécise donc : “Lorsque la réalisation d'undommage, bien qu'incertaine en l'état desconnaissances scientifiques, pourrait affecter demanière grave et irréversible l'environnement, lesautorités publiques veilleront, par application duprincipe de précaution, et dans leurs domainesd'attribution, à la mise en œuvre de procédures

Lesinondations

de Dijonen 1910.

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pas grand chose. Mais la politique choisie à traversle classement des rivières est systématique, brutale(délai de 5 ans seulement) et nous avons vu qu'ellefavorise l'effacement plutôt que l'aménagement.Or, chaque seuil de rivière contribue à casser lapuissance de l'écoulement, en produisant au droitde sa chute un régime turbulent (ressauthydraulique) qui dissipe une part de l'énergiecinétique et ralentit la vitesse du flot.

Si l'objectif est de supprimer le maximumd'obstacles de la source à la confluence, endonnant libre cours à l'écoulement, on peutsupposer que la puissance publique a demandéune simulation sur modèle physique numérique

des conséquences de ce choix dans diverseshypothèses de crue. À notre connaissance, iln'en est rien.

La même observation vaut dans l'autre sens, pourles périodes de sécheresse. Lors des étiagessévères, les retenues d'eau offrent parfois desrefuges aux organismes aquatiques pour éviterles assecs. Là encore, aucun modèle ne sembleavoir été produit sur le comportement des rivièresdans de telles situations une fois les obstacleseffacés.

Cette double dimension étiages-crues sévères posed'autant plus problème que les simulations desmodèles climatiques suggèrent des perturbationsdu cycle hydrologique et des phénomènesextrêmes plus fréquents en situation deréchauffement (par exemple Boé 2009). C'est unedes raisons pour lesquelles la Bourgogne a lancéen 2012 le projet HYCCARE (hydrologie,changement climatique, adaptation, ressource eneau), dont les résultats sont attendus en 2015.

Les “procédures d'évaluation des risques” prévuesdans la Constitution n'ont donc pas été engagées,alors que l'on entreprend une modificationsubstantielle du régime pluriséculaire des rivières,et cela en situation d'incertitude sur l'évolution ducycle de l'eau. Nous ne pouvons laisser auxgénérations futures le soin de gérer lesproblèmes que nous aurons éventuellementcréés.

Références� Boé, J et al. (2009), Projected changes incomponents of the hydrological cycle in Frenchriver basins during the 21st century, Water Resour.Res., 45, W08426�Charte de l'environnement, consultable à cetteadresse :http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-Charte-de-l-environnement.html

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CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• On entreprend une modification à l’échelle detout un bassin hydrographique du régimed’écoulement des eaux sans la précautionélémentaire d’anticiper l’effet de cettemodification sur le milieu naturel et humaindans les situations extrêmes (étiages, crues).

• Produire un modèle hydrologique de bassin àéchelle régionale ou nationale, couplé auxmodèles climatiques, et permettant de simulerles conséquences des interventions humainessur les rivières à différentes hypothèses deprécipitations (crues, étiages).

Wikimedia Commons Kreuzschnabel

Lors des étiages, les retenues d’eau créées par les seuilsou barrages forment des réserves qui peuvent servir derefuge à des organismes aquatiques. L’effet de leurdisparition devrait être modélisé, d’autant que la fréquenceet l’intensité des épisodes de sécheresse risquent d’êtremodifiées en situation de changement climatique.

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LES RÈGLES ET BONNES PRATIQUESDES TRAVAUX DE CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE SONT-ELLESSUIVIES DANS LES CHANTIERS ENGAGÉS?

Détruire un obstacle à l’écoulement n’est pas, oune devrait pas être, une opération que l’on prend àla légère, car les conséquences peuvent en êtredommageables pour les milieux naturels ethumains. Le fait est que les spécialistes de cesquestions ont donné des instructions très préciseset très strictes sur les conditions d’un chantierde restauration écologique. On observe hélas queles autorités publiques en charge de l'eau tolèrentdes distorsions graves dans l'application concrètede la continuité écologique.

Rappelons d'abord avec le Conseil général del'environnement et du développement durable(2011) quelques principes généraux de l'actionpublique en ce domaine. Cinq principes doivents'imposer à toute expertise dans le domaine del'environnement, ce qui s'applique aux opérationsde continuité écologique sur nos rivières :•principe d'impartialité et de transparence,

•principe de pluralisme,•principe de compétences,•principe d'exhaustivité,• principe de traçabilité.

Le rapport note à propos de tout chantier ayant unimpact environnemental : “Aucun spécialiste nesaurait à lui seul répondre à la diversité deschamps de compétence nécessaires : climat,risque, santé, ressources naturelles, paysage…pour y faire face. Aussi le responsable de lafonction d'autorité environnementale doit-il êtreen mesure d'organiser, en interne à sa structurecomme en externe, les processus permettant defaire appel selon les cas aux contributeurs jugésnécessaires”.

Dans le cas particulier des opérations de continuitéécologique, deux experts de l'Onema et duCemagraf (Irstea) ont précisé très clairement les

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continuité écologique en Côte d’Or : le dossier

À RETENIR

� Les arasements ou dérasements d’obstacles sont des opérations lourdes de conséquence pour lesmilieux.� Les spécialistes considèrent qu’elles devraient faire l’objet d’un cahier des charges très strictincluant l’évaluation préalable de tous les risques, et des bénéfices attendus au regard des coûts.� En outre, les autorités en charge de l’eau doivent assurer les principes d’impartialité, de pluralismeet d’exhaustivité, c’est-à-dire envisager tous les aspects non strictement hydrologiques etécologiques (patrimoine, énergie, paysage, usages, loisirs, etc.)� Ces impératifs sont insuffisamment respectés dans les chantiers de restauration écologique.

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contraintes scientifiques et techniques pesantsur tout projet d'arasement ou dérasement deseuil (Malavoi et Salgues 2011). Il est à noter quel'un des auteurs de ce rapport, Jean-René Malavoi,est un hydrophysicien très réputé, co-concepteurdu référentiel national en hydromorphologieSyrah, ayant par ailleurs étudié une des rivières denotre département, l'Armançon (mission Hydratec2007).

Or, qu'estiment ces chercheurs pour tout projetd'effacement de seuil ? Une analyse scientifiquedes points suivants est exigible :• érosion régressive,• réaction d'érosion latérale,• affaissement de la nappe d'accompagnement enamont,• remise en cause de l'équilibre écologique existant,• nécessité du recalibrage et rectification,•mortalité de la ripisylve,• changement paysager du plan d'eau à la rivièrenaturelle,• réduction du volume de zone refuge en étiagesévère,•déformation géotechnique des bâtiments en bordde rivière,•modification des peuplements biologiques,•modification des paramètres physico-chimiques.

À cette liste de critères concernant la seulehydromorphologie s'ajoutent ceux dérivant de

l'avis du Conseil général de l'environnement et dudéveloppement durable, c'est-à-dire que surchaque projet d'effacement d'un seuil devrait êtrerequis :• l'avis qualifié des historiens, archéologues etarchitectes des bâtiments de France,•une information détaillée sur le potentielénergétique du site et ses revenus pour le maîtred'ouvrage,•une analyse de la valeur paysagère avec recueildes avis de la population,•une grille d'évaluation coût économique /bénéfice environnemental.

En analysant les premières opérations pilotesd'effacement sur la Côte d'Or, on observe que cesprescriptions ne sont pas assurées correctementet intégralement.

Références� Conseil général de l'environnement et dudéveloppement durable (2011), L'autoritéenvironnementale en directions régionales del'environnement, de l'aménagement et dulogement, rapport n° 007285-01� Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement etdérasement de seuils. Aide à la définition ducahier des charges pour les études de faisabilité.Compartiments hydromorphologie ethydroécologie, Onema-Cemagref.

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CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Les opérations de continuité écologique nerespectent que rarement les règlesadministratives et l’intégralité des mesuresscientifiques et techniques visant à en assurerle succès, à en mesurer le bénéfice et à engarantir l’absence de risque. Ces mesuresrelèvent de l’autorité publique en charge del’environnement.

• La systématisation de l’étude préalabled’impact (environnement-énergie-patrimoine-paysage) et de l’analyse coût-avantage pourtoute opération de continuité écologique, dansle respect des règles techniques posées parles experts et des principes reconnus par cesautorités comme devant s’imposer à l’actionpublique : impartialité, transparence, pluralisme,compétence, exhaustivité, traçabilité.

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Le 10e Programme des Agences de l’eau totalise13,3 milliards d'euros de budget pour 2013-2018,dont 1,9 milliard d’euros vont être consacrésaux opérations de restauration écologique. Dansune crise économique et sociale sans précédent,c’est une somme considérable. Dans le casparticulier de la politique de l’eau, c’est unesomme dont le caractère prioritaire est trèsdiscutable, car les mesures de base sur lapollution chimique ne sont toujours pasefficaces et les opérations pilotes derestauration écologique ont un suivi inégal, sansgarantie de résultat à ce jour.

Nous avons vu qu’un obstacle à l’écoulement peutfaire l’objet soit d’un effacement (arasement,dérasement), soit d’un aménagement. Les maîtresd'ouvrage préférant aménager leurs seuils ou

barrages se voient imposer le passage par desbureaux d'études spécialisés qui facturentextrêmement cher leurs prestations. Uneprésentation de l'Onema (Bramard 2011) a donnécomme chiffres en prix moyen d'aménagementdu mètre de chute et du m3/s de débit (engénéral, un seuil approche les 2 mètres et le débitmoyen est souvent supérieur à 2 m3/s, donc lessommes qui suivent sont à multiplier par deux) :•117 179 euros pour une passe à bassins,•73 141 euros pour une passe à ralentisseurs,•188 231 euros pour une passe de contournement.

Ce coût global (et pharaonique) estdisproportionné à celui des matériaux et de lamain-d’œuvre, puisqu'une passe à poissons n'estjamais qu'un petit bloc de béton ou undétournement engravé du cours d’eau sur quelquesdizaines de mètres de linéaire… En fait, la mêmeétude de Bramard 2011 permet de comprendrequ'il existe en ce domaine une distorsion dumarché : au-delà des prix moyens, on observe unfacteur 2 à 3 de différence entre le premier et ledernier quartile, et un facteur 10 à 40 entre leprix minimum et le prix maximum!

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QUEL SERA LE COÛT DE LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUEET QUI VA LE SUPPORTER?

À RETENIR

� Les aménagements ont un coût élevé et opaque – parfois plus de 100 000 euros le mètre dechute, mais avec un facteur énorme de dispersion des coûts observés, sans justification.� Les effacements représentent aussi une charge économique importante pour les particuliers ou lescollectivités, pouvant atteindre le demi-million d’euros pour un ouvrage.� L’effacement serait de peu d’effet sur l’environnement des rivières, avec en revanche desconséquences néfastes sur la valeur patrimoniale, l’attrait touristique, le potentiel énergétique et lasanté économique de notre département.

Extrait de la conférence Bramard 2011. On remarque non seulement que lecoût moyen d’aménagement est élevé, mais qu’il existe des facteurs énormes(jusqu’à 40!) de dispersion des coûts observés au mètre de chute. Cettedispersion ne se justifie pas uniquement par la diversité des sites; elle relèved’une opacité dommageable à toute politique d’aménagement.

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L'opacité et la complexité de l'aménagementtendent donc à décourager les maîtres d'ouvrage –particuliers ou communes – qui se laissent séduirepar l'effacement.

Cet effacement n'est cependant pas bénin. D'abord,il aura un coût économique lui aussi. À titred'exemples :- l'un des plus anciens effacements de la région,celui des étangs du Val des Choues (2007), a coûté68 000 euros auquel s'ajoutent les frais de suivi ;- l'un des exemples les plus récents (2012) detentative d'effacement, celui du barrage communalet de deux seuils médiévaux de Semur-en-Auxois(sur les 12 obstacles que compte cette ville) a étéinitialement estimé à 500000 euros (cf Sirtava-Cariçaie 2012).

On compte plus de 1300 obstacles à l'écoulementen Côte d'Or et environ 800 obstacles prioritairescar traversant le lit mineur et faisant obstacle à lacontinuité longitudinale.Même en supposant demanière optimiste un coût moyen d’effacementpar obstacle de 50000 euros (bien moins que leschiffres ci-dessus), cela impliquerait au

minimum 40 millions d'euros de dépense dansle délai de 5 ans que donne la loi. Au regard deséléments rassemblés dans ce dossier, cetinvestissement très important a peu de chanced’être sanctionné par des gainsenvironnementaux à hauteur de l’effortfinancier consenti. Et les sommes dépenséespour la continuité écologique ne le seront paspour la lutte contre les pollutions diffuses(agricoles, industrielles, domestiques) formantle premier facteur dégradant des rivières deCôte d’Or.

Références�Agence de l'eau Seine Normandie (2012), 10e

programme 2013-2018, p. 46.� Bramard M (2011), Coût des travauxd'hydromorphologie, Forum techniqueinterrégional Poitou-Charentes / Limousin TMRLathus, Onema Dir 4� Sirtava-Cariçaie (2012), Étude préalable auréaménagement de deux ouvrages hydrauliquespermettant la restauration de la continuitéécologique sur l'Armançon à Semur-en-Auxois,Avant-projet sommaire.

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CE QUI NE VA PAS NOS PROPOSITIONS

• Des devis et budgets opaquesd’aménagement, avec des coûtsdisproportionnés à la main-d’œuvre et auxmatériaux (une passe à poissons coûterait pluscher qu’une maison…).• Des effacements eux aussi coûteux,improductifs puisqu’il s’agit de “renaturer” larivière en la laissant ensuite à elle-même, sanseffet réellement mesuré sur la qualité de l’eau.

•Une enquête transparente sur les raisons pourlesquelles les budgets d’aménagement oud’effacement présentent des coûts aussi élevéset des variations aussi importantes.•Une obligation de suivi et de mesure derésultats sur les opérations pilotes engagéespour rendre public le rapport coût économique /bénéfice écologique.• L’ouverture d’une concertation immédiate àl’échelle du département.

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PROGRESSER ENSEMBLE

DIX MESURESPOUR RÉUSSIR LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUEET LA RECONQUÊTE DES MILIEUX AQUATIQUES

EN CÔTE D’OR

Mesures relatives à l’information

� Publication dans un cadre aisément accessible et compréhensible pour tout citoyen, pour chaque massed’eau de Côte d’Or, de l’intégralité des mesures chimiques, biologiques, physicochimiques ethydromorphologiques obligatoires au terme de la directive-cadre sur l’eau.

� Publication pour chaque demande d’effacement ou d’aménagement d’ouvrage hydraulique des mesuresscientifiques et techniques préalables justifiant le gain écologique pour les espèces piscicoles concernéeset le transport de charge solide, tout en garantissant l’absence de risque, enquête publique sur la demanded’arasement.

Mesures relatives à l’écologie

� Moratoire prudentiel sur tout effacement tant qu’il n’a pas été démontré que la modification du régimed’écoulement à l’échelle du bassin sera sans effet sur la sévérité des étiages et des crues pour les milieuxnaturels et humains.

� Détermination des ouvrages à effacement prioritaire correspondant à une quadruple condition : absenced’intérêt patrimonial, absence d’intérêt énergétique, absence de risques induits, preuve d’un gainécologique

� Élaboration d’un guide des bonnes pratiques permettant aux maîtres d’ouvrage de choisir les dispositifsles plus efficaces en transit sédimentaire et franchissement piscicole, et de connaître les règles précises denettoyage-curage des plans d’eau.

� Définir et expliquer dès aujourd’hui la stratégie concernant les grands barrages publics de retenue quiforment les principaux obstacles à l’écoulement du département.

Mesures relatives à l’économie

� Enquête publique sur la répartition exacte des coûts des travaux en rivière à fin d’aménagementécologique (études de faisabilité comprises), en ciblant en particulier l’origine des variations anormalesconstatées sur les chantiers.

� Rééquilibrage des aides publiques de sorte que l’aménagement écologique ne soit pas pénalisé parrapport à l’effacement des seuils et barrages.

Mesures relatives à l’énergie

� Analyse complète du potentiel micro-hydro-électrique de Côte d’Or : estimation du productible,équivalent ressources et emplois.

� Définition de projets-pilotes de double modernisation (écologique et énergétique) appelés à devenir larègle plutôt que l’exception sur le département.

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[email protected]

L’Observatoire mène une veille et analyse d’information sur la réformede continuité écologique. Consultez notre site pour obtenir la liste

des thématiques d’intérêt et écrivez-nous pour participer.

Coordinateurs nationaux :Philippe Benoist (Cedepa)

Charles-François Champetier (Hydrauxois)

DOSSIERS DÉJÀ PARUS

Analyse des Indices PoissonRivière 2010 (Onema) endépartement montrant que lesrivières à seuils ou barragespeuvent avoir une qualitépiscicole bonne ou excellente(meilleur score départementaldans 36 sites).

Analyse de la littératureichtyologique et de la chargehydromorphologique auXIXe siècle montrant que laplupart des espèces protégéesau titre de la continuitélongitudinale étaient communesou abondantes voici 150 ans.