contes_perrault

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 LE CHA T BO TTÉ  LE PETIT CHAPERON ROUGE LE PETIT POUCET LA BELLE AU BOIS DORMANT LA BELLE AU BOIS DORMANT CENDRILLON RIQUET À LA HOUPPE RIQUET À LA HOUPPE PEAU D’ANE LA BARBE BLEUE LES FEES  NEUF CONTES  CHARLES PERRAULT UN LIVRE POUR LʼÉTÉ

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UN LIVREPOUR LTNEUF CONTES CHARLES PERRAULT UN LIVREPOUR LTexemplaire gratuitUN LIVREPOUR LTISBN 978--2-240-03227-0LE CHAT BOTTLEPETI TCHAPERONROUGELEPETI TPOUCETLABELLEAUBOI SDORMANT LABELLEAUBOI SDORMANTCENDRILLONRIQUET LA HOUPPE RIQUET LA HOUPPEPEAUDANELA BARBE BLEUELESFEESNEUF CONTES CHARLES PERRAULT UN LIVREPOUR LTAvec le soutien de la Couverture_OK.indd 1 10/05/2011 ut 12:03:33NEUF CCNTE5* CHAIE5 PEAUIT *UN IIVEPCU ITPour sa deuxime dition, lopration Un livre pour lt se tourne vers le merveilleux. Lan pass, 180 000 lves de CM1 ont pu dcouvrir en fn danne et tout au long de lt des Fables de Jean de La Fontaine, magnifquement illustres par Marc Chagall. Cette anne, tous les lves de CM1, soit plus de 800 000 lves de France, vontpouvoirdcouvrir,lire,relirecerecueildeneufcontesdeCharles Perrault,accompagnsdimagesdpinal.Lcoletoucheaucurdesa mission,ducativemaisaussicivique,quandellefaitpartagerunmme ouvrage toute une gnration.Symbole du lien entre lcole et les parents, ce livre sera remis aux lves de CM1 au sein de linstitution scolaire. Mais cest la maison, en famille, quils le liront tout au long des vacances, avant de retrouver, la rentre, le chemin de la classe et de partager, dapprofondir leurs impressions de lecture avec leurs professeurs, avec leurs camarades. Avec ce livre pour lt , notre cole affrme son attachement la lecture. Elle na pas seulement pour mission dapprendre lire aux enfants de la Rpublique. Son rle est aussi de leur faire partager, pour la vie, le got de la lecture, le respect des livres, le plaisir des mots et la passion du texte. Donnerenviedelire,inciterlarfexion,inviterlespritsvaderau fl des pages, faire comprendre chaque lve que la lecture ne sarrte pasauxportesdelcole,voillanoblemissionlaquellesattachent les professeurs dans chacune de nos coles. Et cest prcisment pour les accompagner dans cette mission quen 2011 cette opration est reconduite avec la remise toute une gnration dcoliers dun livre pour lt, un livre quils emporteront chez eux, un beau livre quils garderont. PRFACEAveccelivrepourlt,grcelaplumedePerraultetcelledes illustrateursdpinal,lesclassiquesdelenfancesontunenouvellefois mis lhonneur. Ils incarnent ce patrimoine littraire que nous avons reu en hritage et que nous devons transmettre notre tour. Nous y sommes dautant plus attachs que, depuis des gnrations, lcole et les familles ont su allier leurs forces pour le faire dcouvrir et aimer aux jeunes gnrations. En raffrmant cette mission, lcole raffrme lintemporalit du plaisir de lire. Un plaisir intime et partag, qui doit tre pour nos enfants un premier pas dans le monde de la littrature, un appel la dcouverte, une invitation se tourner vers les grands textes et vers toutes les formes de littrature.Avec ce livre pour lt , cest donc un classique de lenfance, mais aussi un texte profondment moderne que vont dcouvrir les coliers de France. Perraultnest-ilpaslepremierdenosModernes,luiquisutsemparer de la prose pour retranscrire des rcits populaires et en dgager toute la portesymboliqueetducative?Carnoublionspasquecestdansune perspective pdagogique, destination dabord de ses enfants, quil crivit ses Contes de ma mre loye. Dans une langue simple mais travaille, il sut y marier linstruire et le plaire de la plus russie des manires et faire de ses contes bien plus que des bagatelles : des leons, renfermant une morale utile dans un rcit enjou [] choisi pour les faire entrer plus agrablementdanslespritetdunemanirequiinstruistetdivertttout ensemble (prface des Contes en vers).Laforcedecedsormaisclassiquemaisindmodableconteura considrablementetdurablementinfuencnotrelittratureetnotre imaginaire. Tout le monde croit aujourdhui connatre ses Contes mais peu en connaissent la version premire. Cest ce voyage vers le texte originel, versdeshistoiresdunegrandeprofondeuretdesrcitsduneimmense richesse, que nous invitons tous nos coliers de CM1 cette anne.Encettefndannescolaire,loredesvacances,jesouhaitedonc beaucoupdeplaisirauxlvesdeCM1quivontlirecescontes,mais aussi tous ceux qui vont redcouvrir avec eux, la profonde modernit de luvre de Charles Perrault. Luc Chatel, Ministre de lducation nationale, de la jeunesse et de la vie associativeSOMMAIRE9LE PETIT CHAPERON ROUGE15LE PETIT POUCET29LA BELLE AU BOIS DORMANT43 CENDRILLON,OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRE55LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTT65RIQUET LA HOUPPE77PEAU DNE 107LES FES 113LA BARBE BLEUE 123POUR EN SAVOIR PLUSQUI EST LAUTEURDES CONTES DE PERRAULT .......................................................................................................................... 124LES IMAGES DES CONTES ............................................................................................................................................. 130 1LE PETIT CHAPERON ROUGE10LE PETIT CHAPERON ROUGE11IL TAIT UNE FOIS...... une petite flle de village, la plus jolie quon et su voir ; sa mre en tait folle, et sa mre-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui ft faire un petit chaperon1 rouge, qui lui seyait2 si bien, que partout on lappelait le petit Chaperon rouge. Un jour, sa mre ayant cuit et faitdesgalettes,luidit:Vavoircommeseportetamre-grand, caronmaditquelletaitmalade,porte-luiunegaletteetcepetit potdebeurre.LepetitChaperonrougepartitaussittpouraller chez sa mre-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois, elle rencontra compre le Loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il nosa, cause de quelques bcherons qui taient danslafort.Illuidemandaoelleallait;lapauvreenfant,qui ne savait pas quil est dangereux de sarrter couter un loup, lui dit : Je vais voir ma mre-grand, et lui porter une galette avec un petitpotdebeurrequemamreluienvoie.Demeure-t-ellebien loin?luiditleLoup.Oh!oui,ditlepetitChaperonrouge,cest par-del le moulin que vous voyez tout l-bas, l-bas, la premire maison du village. Eh bien, dit le Loup, je veux laller voir aussi ; I. A-e|-- eo|ttu: -.|oo-t |o tt t to|o-t su: |s ou|s (eoue|o-). 2. A||o|t.LE PETIT CHAPERON ROUGE12jemyenvaisparcechemin-ici,ettoiparcechemin-l,etnous verrons qui plus tt y sera. Le Loup se mit courir de toute sa force par le chemin qui tait le plus court, et la petite flle sen alla par le chemin le plus long, samusant cueillirdesnoisettes,couriraprsdespapillons,etfairedes bouquets des petites feurs quelle rencontrait. Le Loup ne fut pas longtemps arriver la maison de la mre-grand ; il heurte3 : Toc, toc. Qui est l ? Cest votre flle le petit Chaperon rouge(ditleLoup,encontrefaisantsavoix)quivousapporteune galette et un petit pot de beurre que ma mre vous envoie. La bonne mre-grand, qui tait dans son lit cause quelle se trouvait un peu mal, lui cria : Tire la chevillette4, la bobinette5 cherra6. Le Loup tira la chevillette et la porte souvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dvora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours quil navait mang. Ensuite il ferma la porte, et salla coucher dans lelitdelamre-grand,enattendantlepetitChaperonrouge,qui quelque temps aprs vint heurter la porte : toc, toc. Qui est l ? Le petit Chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup eut peur dabord, mais croyant que sa mre-grand tait enrhume, rpondit : CestvotrefllelepetitChaperonrouge,quivousapporteune galette et un petit pot de beurre que ma mre vous envoie. Le Loup lui cria, en adoucissant, un peu sa voix : Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le petit Chaperon rouge tira la chevillette, et la porte souvrit. Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. Le petit Chaperon rouge se dshabille, et va se mettre dans le lit, o elle fut bien tonne de voir 3. I| t:o. 4. t|t e|.||| - |o|s ou to| ut|||s ou: |oue|: u- t:ou. s. Loqut J |o o:t , ||oqu o: |o e|.|||. 6. Iutu: Ju .:| e|o|:, to|:.LE PETIT CHAPERON ROUGE13LE PETIT CHAPERON ROUGE14commentsamre-grandtaitfaiteensondshabill7.Elleluidit: Ma mre-grand, que vous avez de grands bras ! Cest pour mieux tembrasser, ma flle. Ma mre-grand, que vous avez de grandes jambes ! Cest pour mieux courir, mon enfant. Ma mre-grand, que vous avez de grandes oreilles ! Cest pour mieux couter, mon enfant.Mamre-grand,quevousavezdegrandsyeux!Cest pourmieuxvoir,monenfant.Mamre-grand,quevousavezde grandes dents ! Cest pour te manger. Et en disant ces mots, ce mchant loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et la mangea.MORALITOn voit ici que de jeunes enfants, Surtout de jeunes fllesBelles, bien faites, et gentilles8,Font trs mal dcouter toute sorte de gens,Et que ce nest pas chose trange, Sil en est tant que le loup mange. Je dis le loup, car tous les loupsNe sont pas de la mme sorte ;Il en est dune humeur accorte,Sans bruit, sans fel et sans courroux,Qui privs9, complaisants et doux,Suivent les jeunes demoiselles Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;Mais hlas ! qui ne sait que ces loups doucereux, De tous les loups sont les plus dangereux.1. Ro| J'|-t:|u:, .t-t J -u|t. 8. [o||s. s. Io|||:s.217LE PETIT POUCETIL TAIT UNE FOIS......unbcheronetunebcheronnequiavaientseptenfants,tous garons;lannavaitquedixansetleplusjeunenenavaitque sept. On stonnera que le bcheron ait eu tant denfants en si peu de temps ; mais cest que sa femme allait vite en besogne, et nen faisait pas moins de deux la fois. Ilstaientfortpauvres,etleursseptenfantslesincommodaient1beaucoup, parce quaucun deux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, cest que le plus jeune tait fort dlicat et ne disait mot ; prenant pour btise ce qui tait une marque de la bont desonesprit.Iltaitfortpetit,etquandilvintaumonde,ilntait gure plus grand que le pouce, ce qui ft quon lappela le petit Poucet. Ce pauvre enfant tait le souffre-douleur de la maison, et on lui donnait toujours tort. Cependant il tait le plus fn et le plus avis de tous ses frres, et sil parlait peu, il coutait beaucoup.Ilvintuneannetrsfcheuse,etlafaminefutsigrande,queces pauvres gens rsolurent de se dfaire de leurs enfants. Un soir que ces enfantstaientcouchs,etquelebcherontaitauprsdufeuavec sa femme, il lui dit le cur serr de douleur : Tu vois bien que nous I. L|o::osso|-t. 18LE PETIT POUCETnepouvonsplusnourrirnosenfants;jenesauraislesvoirmourir defaimdevantmesyeux,etjesuisrsoludallerlesperdredemain au bois, ce qui sera bien ais : car tandis quils samuseront fagoter2 , nous navons qu nous enfuir sans quils nous voient. Ah ! scria la bcheronne,pourrais-tubientoi-mmemenerperdretesenfants? Sonmariavaitbeauluireprsenter3leurgrandepauvret,elle nepouvaityconsentir;elletaitpauvre,maiselletaitleurmre. Cependantayantconsidrquelledouleurceluiseraitdelesvoir mourir de faim, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant. Le petit Poucet out tout ce quils dirent : car, ayant entendu de son lit quils parlaient daffaires, il stait lev doucement, et stait gliss sous lescabelle de son pre pour les couter sans tre vu. Il alla se recoucher et ne dormit point du reste de la nuit, songeant ce quil avait faire. Il se leva de bon matin, et alla au bord dun ruisseau o il emplit ses poches de petits cailloux blancs, et ensuite revint la maison. On partit, et le petit Poucet ne dcouvrit rien de tout ce quil savait ses frres. Ils allrent dans une fort fort paisse, o, dix pas de distance, on ne se voyait pas lun lautre. Le bcheron se mit couper du bois et ses enfants ramasser des broutilles pour faire des fagots. Le pre et la mre, les voyant occups travailler, sloignrent deux insensiblement, et puis senfuirent tout coup par un petit sentier dtourn. Lorsquecesenfantssevirentseuls,ilssemirentcrieretpleurer detouteleurforce.LepetitPoucetleslaissaitcrier,sachantbienpar o il reviendrait la maison : car, en marchant il avait laiss tomber le long du chemin les petits cailloux blancs quil avait dans ses poches. Il leur dit donc : Ne craignez point, mes frres ; mon pre et ma mre nous ont laisss ici, mais je vous ramnerai bien au logis : suivez-moi seulement.Ilslesuivirent,etillesmenajusquleurmaisonpar 2. Mtt: | |o|s - toots. 3. Los:.19LE PETIT POUCETle mme chemin quils taient venus dans la fort. Ils nosrent dabord entrer,maisilssemirenttouscontrelaportepourcouterceque disaient leur pre et leur mre. Danslemomentquelebcheronetlabcheronnearrivrentchez eux, le seigneur du village leur envoya dix cus, quil leur devait il y avait longtemps, et dont ils nespraient plus rien. Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouraient de faim. Le bcheron envoya surlheuresafemmelaboucherie.Commeilyavaitlongtemps quils navaient mang, elle acheta trois fois plus de viande quil nen fallait pour le souper de deux personnes. Lorsquils furent rassasis, la bcheronne dit : Hlas ! o sont maintenant nos pauvres enfants ? Ils feraient bonne chre de ce qui nous reste l. Mais aussi, Guillaume, cesttoiquilesasvouluperdre.Javaisbienditquenousnousen repentirions. Que font-ils maintenant dans cette fort ? Hlas ! mon Dieu, les loups les ont peut-tre dj mangs ! Tu es bien inhumain davoir perdu ainsi tes enfants. Le bcheron simpatienta la fn : car elle redit plus de vingt fois quil sen repentirait et quelle lavait bien dit. Il la menaa de la battre si elle ne se taisait. Ce nest pas quelebcheronneftpeut-treencoreplusfchquesafemme, maiscestquelleluirompaitlatte,etquiltaitdelhumeurde beaucoup dautres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien, maisquitrouventtrsimportunescellesquionttoujoursbiendit. Labcheronnetaittouteenpleurs:Hlas!osontmaintenant mes enfants, mes pauvres enfants ? Elle le dit une fois si haut que les enfants, qui taient la porte, layant entendu, se mirent crier tous ensemble : Nous voil, nous voil. Elle courut vite leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant : Que je suis contente de vous revoir, mes chers enfants ! Vous tes bien las, vous avez bien faim ; et toi, Pierrot, comme te voil crott, viens, que je te dbarbouille. CePierrottaitsonflsanquelleaimaitplusquetouslesautres, parce quil tait un peu rousseau, et quelle tait un peu rousse. 20LE PETIT POUCET21LE PETIT POUCETIls se mirent table, et mangrent dun apptit qui faisait plaisir au pre et la mre, qui ils racontaient la peur quils avaient eue dans la fort enparlantpresquetoujourstousensemble.Cesbonnesgenstaient ravis de revoir leurs enfants avec eux, et cette joie dura tant que les dix cus durrent. Mais lorsque largent fut dpens, ils retombrent dans leur premier chagrin, et rsolurent de les perdre encore, et pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la premire fois.Ils ne purent parler de cela si secrtement quils ne fussent entendus par le petit Poucet, qui ft son compte de sortir daffaire comme il avait dj fait ; mais quoiquil se ft lev de bon matin pour aller ramasser despetitscailloux,ilneputenvenirbout,cariltrouvalaporte delamaisonfermedoubletour.Ilnesavaitquefaire,lorsque, labcheronneleurayantdonnchacununmorceaudepain pour leur djeuner, il songea quil pourrait se servir de son pain au lieudecaillouxenlejetantparmietteslelongdescheminsoils passeraient ; il le serra donc dans sa poche.Le pre et la mre les menrent dans lendroit de la fort le plus pais et le plus obscur, et ds quils y furent, ils gagnrent un faux-fuyant et les laissrent l. Le petit Poucet ne sen chagrina pas beaucoup, parce quil croyait retrouver aisment son chemin grce son pain quilavaitsempartoutoilavaitpass;maisilfutbiensurpris lorsquilneputenretrouveruneseulemiette;lesoiseauxtaient venus, qui avaient tout mang. Lesvoildoncbienaffligs,carplusilssgaraient,plusils senfonaientdanslafort.Lanuitvint,etilslevaungrandvent quileurfaisaitdespeurspouvantables.Ilscroyaientnentendre de tous cts que des hurlements de loups qui venaient eux pour les manger. Ils nosaient presque se parler ni tourner la tte. Il survint unegrossepluiequilesperajusquauxos;ilsglissaient chaque pas, tombaient dans la boue, do ils se relevaient tout crotts, ne sachant que faire de leurs mains. 22LE PETIT POUCETLe petit Poucet grimpa au haut dun arbre, pour voir sil ne dcouvrirait rien : ayant tourn la tte de tous cts, il vit une petite lueur comme unechandelle,maisquitaitbienloinpar-dellafort.Ildescendit delarbre;etlorsquilfutterre,ilnevitplusrien:celaledsola. Cependant,ayantmarchquelquetempsavecsesfrresduct quil avait vu la lumire, il la revit en sortant du bois.Ils arrivrent enfn la maison o tait cette chandelle, non sans bien des frayeurs : car souvent ils la perdaient de vue ; ce qui leur arrivait touteslesfoisquilsdescendaientdansquelquefond.Ilsfrapprent laporte,etunebonnefemmevintleurouvrir.Elleleurdemanda cequilsvoulaient.LepetitPoucetluiditquilstaientdepauvres enfantsquistaientperdusdanslafort,etquidemandaient coucherparcharit.Cettefemme,lesvoyanttoussijolis,semit pleurer, et leur dit : Hlas ! mes pauvres enfants, o tes-vous venus ! Savez-vous bien que cest ici la maison dun ogre qui mange les petits enfants ? Hlas ! Madame, lui rpondit le petit Poucet, qui tremblait detoutesaforceaussibienquesesfrres,queferons-nous?Ilest bien sr que les loups de la fort ne manqueront pas de nous manger cette nuit, si vous ne voulez pas nous retirer chez vous. Et cela tant, nous aimons mieux que ce soit monsieur qui nous mange ; peut-tre quil aura piti de nous, si vous voulez bien len prier. LafemmedelOgre,quicrutquellepourraitlescachersonmari jusquaulendemainmatin,leslaissaentrer,etlesmenasechauffer auprs dun bon feu, car il y avait un mouton tout entier la broche pour le souper de logre. Commeilscommenaientsechauffer,ilsentendirentheurtertrois ou quatre grands coups la porte : ctait lOgre qui revenait. Aussitt safemmelesftcachersouslelit,etallaouvrirlaporte.LOgre demandadabordsilesoupertaitprt,etsionavaittirduvin, et aussitt il se mit table. Le mouton tait encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il renifait droite et gauche, disant 23LE PETIT POUCETquilsentaitlachairfrache.Ilfaut,luiditsafemme,quecesoit ceveauquejeviensdhabillerquevoussentezJesenslachair frache, te dis-je encore une fois, reprit lOgre en regardant sa femme de travers, et il y a ici quelque chose que je nentends pas. En disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit. Ah ! dit-il, voil donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais quoi il tient que je ne te mange aussi: bien ten prend dtre une vieille bte. Voil du gibier qui me vient bien propos pour traiter trois ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours ici. Illestiradedessouslelitlunaprslautre.Cespauvresenfants se mirent genoux en lui demandant pardon ; mais ils avaient affaire aupluscrueldetouslesogres,quibienloindavoirdelapiti, lesdvoraitdjdesyeux,etdisaitsafemmequeceseraitlde friands morceaux, lorsquelle leur aurait fait une bonne sauce.Il alla prendre un grand couteau, et en sapprochant de ces pauvres enfants,illaiguisaitsurunelonguepierrequiltenaitsamain gauche.Ilenavaitdjempoignun,lorsquesafemmeluidit: Que voulez-vous faire lheure quil est ? Naurez-vous pas assez de temps demain? Tais-toi , reprit lOgre, ils en seront plus mortifs. Maisvousavezencoreltantdeviande,repritsafemme,voil un veau, deux moutons et la moiti dun cochon ! Tu as raison, dit lOgre, donne-leur bien souper afn quils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. La bonne femme fut ravie de joie, et leur porta bien souper, mais ils ne purent manger tant ils taient saisis de peur. Quant lOgre, il se remit boire, ravi davoir de quoi si bien rgaler ses amis. Il but une douzaine de coups de plus qu lordinaire ; ce qui lui donna un peu mal la tte, et lobligea aller se coucher.LOgre avait sept flles, qui ntaient encore que des enfants. Ces petites ogresses avaient toutes le teint fort beau, parce quelles mangeaient de la chair frache comme leur pre ; mais elles avaient de petits yeux gris et tout ronds, le nez crochu et une fort grande bouche, avec de longues 24LE PETIT POUCET25LE PETIT POUCETdents fort aigus et fort loignes lune de lautre. Elles ntaient pas encorefortmchantes;maisellespromettaientbeaucoup,carelles mordaient dj les petits enfants pour en sucer le sang. Onlesavaitfaitcoucherdebonneheure,etellestaienttoutessept dansungrandlit,ayantchacuneunecouronnedorsurlatte.Ily avait dans la mme chambre un autre lit de la mme grandeur : ce fut dans ce lit que la femme de lOgre mit coucher les sept petits garons ; aprs quoi elle alla se coucher auprs de son mari. LepetitPoucet,quiavaitremarququelesfllesdelOgreavaient des couronnes dor sur la tte, et qui craignait quil ne prt lOgre quelque remords de ne les avoir pas gorgs ds le soir mme, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses frres et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la tte des sept flles de lOgre, aprs leur avoir t leurs couronnes dor quil mit sur la tte de ses frres et sur la sienne, afn que lOgre les prt pour ses flles, et ses flles pour les garons quil voulait gorger. La chose russit comme il lavait pens ; carlOgre,stantveillversminuit,eutregretdavoirdiffrau lendemain ce quil pouvait excuter la veille. Il se jeta donc brusquement hors du lit, et prenant son grand couteau : Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drles ; nen faisons pas deux fois. Ilmontadoncttonslachambredesesfllesetsapprochadu litotaientlespetitsgarons,quidormaienttous,exceptlepetit Poucet, qui eut bien peur lorsquil sentit la main de lOgre qui lui ttait la tte, comme il avait tt celles de tous ses frres. LOgre, qui sentit les couronnes dor : Vraiment, dit-il, jallais faire l un bel ouvrage ; jevoisbienquejaitropbuhiersoir.Ilallaensuiteaulitdeses flles o, ayant senti les petits bonnets des garons : Ah ! les voil, dit-il,nosgaillards;travaillonshardiment.Endisantcesmots, ilcoupasanshsiterlagorgesesseptflles.Fortcontentdece coup,ilallaserecoucherauprsdesafemme.Aussittquelepetit PoucetentenditronferlOgre,ilrveillasesfrres,etleurditde 26LE PETIT POUCETshabillerpromptementetdelesuivre.Ilsdescendirentdoucement danslejardin,etsautrentpar-dessuslesmurailles.Ilscoururent presquetoutelanuit,toujoursentremblant,etsanssavoiro ils allaient. LOgre,stantveill,ditsafemme:Va-tenl-hauthabiller ces petits drles dhier au soir. Logresse fut fort tonne de la bont de son mari, ne se doutant point de la manire quil entendait quelle les habillt, et croyant quil lui ordonnait de les aller vtir, elle monta enhautoellefutbiensurpriselorsquelleaperutsesseptflles gorges et nageant dans leur sang. Ellecommenaparsvanouir(carcestlepremierexpdientque trouventpresquetouteslesfemmesenpareillesrencontres).LOgre, craignant que sa femme ne ft trop longtemps faire la besogne dont il lavait charge, monta en haut pour laider. Il ne fut pas moins tonn que sa femme lorsquil vit cet affreux spectacle. Ah ! quai-je fait l ? scria-t-il. Ils me le paieront, les malheureux, et tout lheure. Il jeta aussitt une pote deau dans le nez de sa femme, et layant faitrevenir:Donne-moivitemesbottesdeseptlieues,luidit-il, afn que jaille les attraper. Il se mit en campagne ; et aprs avoir courudetouscts,enfnilentradanslecheminomarchaient lespauvresenfantsquintaientplusqucentpasdulogisde leurpre.IlsvirentlOgrequiallaitdemontagneenmontagne, etquitraversaitdesriviresaussiaismentquilauraitfaitle moindreruisseau.LepetitPoucet,quivitunrochercreuxproche le lieu o ils taient, y ft cacher ses frres, et sy fourra aussi, regardant toujours ce que lOgre deviendrait. LOgre, qui se trouvait fort las du long chemin quil avait fait inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme), voulut se reposer et par hasard, il alla sasseoir sur la roche o les petits garons staient cachs. Comme il nen pouvait plus de fatigue, il sendormit aprs stre repos quelquetemps,etvintronfersieffroyablementquelespauvres 27LE PETIT POUCETenfantsneurentpasmoinsdepeurquequandiltenaitsongrand couteau pour leur couper la gorge. Le petit Poucet en eut moins de peur, et dit ses frres de senfuir promptement la maison, pendant que lOgre dormait bien fort, et quils ne se missent point en peine de lui. Ils crurent son conseil, et gagnrent vite la maison.LepetitPoucet,stantapprochdelOgre,luitiradoucementles bottes,etlesmitaussitt.Lesbottestaientbiengrandesetbien larges;maiscommeellestaientfes,ellesavaientledonde sagrandir et de se rapetisser selon la jambe de celui qui les chaussait, de sorte quelles se trouvrent aussi justes ses pieds et ses jambes quesiellesavaienttfaitespourlui.Ilalladroitlamaison delOgreoiltrouvasafemmequipleuraitauprsdesesflles gorges. Votre mari, lui dit le petit Poucet, est en grand danger : carilatprisparunetroupedevoleursquiontjurdeletuer sil ne leur donne tout son or et tout son argent. Au moment o ils lui tenaient le poignard sur la gorge, il ma aperu et ma pri de vous venir avertir de ltat o il est, et de vous dire de me donner tout ce quil a vaillant sans en rien retenir, parce quautrement ils le tueront sans misricorde. Comme la chose presse beaucoup, il a voulu que jeprissesesbottesdeseptlieuesquevoilpourfairediligence, et aussi afn que vous ne croyiez pas que je sois un menteur. La bonne femme, fort effraye, lui donna aussitt tout ce quelle avait : car cet ogre ne laissait pas dtre fort bon mari, quoiquil manget lespetitsenfants.LepetitPoucettantdoncchargdetoutesles richessesdelOgre,senrevintaulogisdesonpre,oilfutreu avec bien de la joie.Il y a bien des gens qui ne demeurent pas daccord de cette dernire circonstance, et qui prtendent que le petit Poucet na jamais fait ce vol lOgre ; qu la vrit, il navait pas fait conscience de lui prendre ses bottes de sept lieues, parce quil ne sen servait que pour courir aprs 28LE PETIT POUCETles petits enfants. Ces gens-l assurent le savoir de bonne part, et mme pouravoirbuetmangdanslamaisondubcheron.Ilsassurent quelorsquelepetitPouceteutchausslesbottesdelOgre,ilsen alla la cour, o il savait quon tait fort en peine dune arme qui tait deux cents lieues de l, et du succs dune bataille quon avait donne. Il alla, disent-ils, trouver le roi, et lui dit que sil le souhaitait, il lui rapporterait des nouvelles de larme avant la fn du jour. Le roi lui promit une grosse somme dargent sil en venait bout. Le petit Poucetrapportadesnouvellesdslesoirmme,etcettepremire courselayantfaitconnatre,ilgagnaittoutcequilvoulait;carle roilepayaitparfaitementbienpourportersesordreslarme, et une infnit de dames lui donnaient tout ce quil voulait pour avoir des nouvelles de leurs amants, et ce fut l son plus grand gain.Il se trouvait quelques femmes qui le chargeaient de lettres pour leurs maris ; mais elles le payaient si mal, et cela allait si peu de chose, quil ne daignait pas mettre en ligne de compte ce quil gagnait de ce ct-l. Aprs avoir fait pendant quelque temps le mtier de courrier, etyavoiramassbeaucoupdebien,ilrevintchezsonpre,oil nest pas possible dimaginer la joie quon eut de le revoir. Il mit toute sa famille laise. Il acheta des offces de nouvelle cration pour son pre et pour ses frres ; et par l il les tablit tous, et ft parfaitement bien sa cour en mme temps.MORALITOn ne saffige point davoir beaucoup denfants,Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,Et dun extrieur qui brille ;Mais si lun deux est faible ou ne dit mot,On le mprise, on le raille, on le pille ;Quelquefois cependant cest ce petit marmot.Qui fera le bonheur de toute la famille.331LA BELLE AU BOIS DORMANTIL TAIT UNE FOIS...... un roi et une reine qui taient si fchs de navoir point denfants, si fchs quon ne saurait dire. Ils allrent toutes les eaux du monde ; vux,plerinages,menuesdvotions,toutfutmisenuvre,etrien ny faisait.Enfnpourtantlareinedevintgrosse,etaccouchaduneflle:onft unbeaubaptme;ondonnapourmarraineslapetiteprincesse touteslesfesquonpttrouverdanslepays(ilsentrouvasept), afn que chacune delles lui faisant un don, comme ctait la coutume desfesencetemps-l,laprincesseetparcemoyentoutesles perfections imaginables. Aprslescrmoniesdubaptmetoutelacompagnierevintau palaisduroi,oilyavaitungrandfestinpourlesfes.Onmit devant chacune delles un couvert magnifque, avec un tui dor massif, o il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fn or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place table, onvitentrerunevieillefequonnavaitpointprieparcequily avaitplusdecinquanteansquellentaitsortiedunetouretquon la croyait morte, ou enchante. Le roi lui ft donner un couvert, mais ilnyeutpasmoyendeluidonneruntuidormassif,commeaux autres, parce que lon nen avait fait faire que sept pour les sept fes. 32LA BELLE AU BOIS DORMANTLavieillecrutquonlamprisait,etgrommelaquelquesmenaces entresesdents.Unedesjeunesfesquisetrouvaauprsdelle lentendit,etjugeantquellepourraitdonnerquelquefcheux1don lapetiteprincesse,alladsquonfutsortidetablesecacher derrire la tapisserie, afn de parler la dernire, et de pouvoir rparer autant quil lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.Cependantlesfescommencrentfaireleursdonslaprincesse. Laplusjeunedonnapourdonquelleseraitlaplusbellepersonne dumonde,celledaprsquelleauraitdelespritcommeunange, latroisimequelleauraitunegrceadmirabletoutcequelle ferait, la quatrime quelle danserait parfaitement bien, la cinquime quellechanteraitcommeunrossignol,etlasiximequellejouerait de toutes sortes dinstruments dans la dernire perfection. Le rang de la vieille fe tant venu, elle dit, en branlant la tte encore plus de dpit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main dun fuseau2, et quelle en mourrait. Ce terrible don ft frmir toute la compagnie, et il ny eut personne qui ne pleurt. Dans ce moment la jeune fe sortit de derrire la tapisserie, etdittouthautcesparoles:Rassurez-vous,roietreine,votreflle nen mourra pas : il est vrai que je nai pas assez de puissance pour dfaire entirement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main dun fuseau ; mais au lieu den mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fls dun roi viendra la rveiller. Le roi, pour tcher dviter le malheur annonc par la vieille, ft publier aussittundit,parlequelildfendaittoutespersonnesdefler au fuseau, ni davoir des fuseaux chez soi sur peine de la vie.Au bout de quinze ou seize ans, le roi et la reine tant alls une de leursmaisonsdeplaisance,ilarrivaquelajeuneprincessecourant I. R:tto||. 2. t|t |e - |o|s e,||-J:|qu ut|||s ou: |: |o |o|-.33LA BELLE AU BOIS DORMANTunjourdanslechteau,etmontantdechambreenchambre,alla jusquau haut dun donjon dans un petit galetas3, o une bonne vieille tait seule fler sa quenouille4. Cette bonne femme navait point ou parler des dfenses que le roi avait faites de fler au fuseau. Que faites-vous l, ma bonne femme ? dit la princesse. Je fle, ma belle enfant, lui rpondit la vieille qui ne la connaissait pas. Ah ! Que cela est joli, reprit la princesse, comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si jen ferais bien autant. Elle neut pas plus tt pris le fuseau, que comme elle tait fort vive, un peu tourdie, et que dailleurs larrt des fes lordonnait ainsi, elle sen pera la main, et tomba vanouie. La bonne vieille, bien embarrasse, crie au secours : on vient de tous cts,onjettedeleauauvisagedelaprincesse,onladlace,on lui frappe dans les mains, on lui frotte les tempes avec de leau de la reine de Hongrie, mais rien ne la faisait revenir. Alors, le roi, qui tait montaubruit,sesouvintdelaprdictiondesfes,etjugeantbien quil fallait que cela arrivt, puisque les fes lavaient dit, ft mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie doretdargent.Onetditdunange,tantelletaitbelle;carson vanouissement navait pas t les couleurs vives de son teint : ses joues taient incarnates5, et ses lvres comme du corail ; elle avait seulement les yeux ferms, mais on lentendait respirer doucement, ce qui faisait voir quelle ntait pas morte. Le roi ordonna quon la laisst dormir en repos, jusqu ce que son heure de se rveiller ft venue. La bonne fe qui lui avait sauv la vie, en la condamnant dormir cent ans, tait dans le royaume de Mataquin, douze mille lieues de l, lorsque laccident arriva la princesse ; mais elle en fut avertie en un instant par un petit nain, qui avait des bottes de sept lieues (ctait des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues dune seule enjambe). 3. G:-|:, |e s|tu sous |s to|ts. 4. ato- a |'t:|t Juqu| st -:ou| |o |o|- o.o-t J't: |. s. D'u- :ou .|t.34LA BELLE AU BOIS DORMANTLafepartitaussitt,etonlavitauboutduneheurearriverdans un chariot tout de feu, tran par des dragons. Leroiluiallaprsenterlamain6ladescenteduchariot.Elle approuva tout ce quil avait fait ; mais comme elle tait grandement prvoyante,ellepensaquequandlaprincesseviendraitse rveiller,elleseraitbienembarrassetouteseuledanscevieux chteau : voici ce quelle ft. Elle toucha de sa baguette tout ce qui tait dans ce chteau (hors le roi et la reine), gouvernantes, flles dhonneur,femmesdechambre,gentilshommes,offciers,matres dhtel, cuisiniers, marmitons, galopins7, gardes, Suisses8, pages, valets de pied ; elle toucha aussi tous les chevaux qui taient dans lescuries,aveclespalefreniers,lesgrosmtins9debasse-cour et la petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui tait auprs delle sur son lit. Ds quelle les eut touchs, ils sendormirent tous, pourneserveillerquenmmetempsqueleurmatresse,afn dtre tout prts la servir quand elle en aurait besoin ; les broches mmesquitaientaufeutoutespleinesdeperdrixetdefaisans sendormirent, et le feu aussi. Tout cela se ft en un moment ; les fes ntaient pas longues leur besogne. Alorsleroietlareine,aprsavoirbaisleurchreenfantsans quelle sveillt, sortirent du chteau, et frent publier des dfenses quiquecesoitdenapprocher.Cesdfensesntaientpas ncessaires,carilcrtdansunquartdheuretoutautourduparc une si grande quantit de grands arbres et de petits, de ronces et dpinesentrelaceslesunesdanslesautres,quebtenihomme nyauraitpupasser:ensortequonnevoyaitplusquelehaut destoursduchteau,encorentait-cequedebienloin.Onne 6. :s-t: so o|- ou: o|J: u- Jo a s J|oe:. 1. [u-s eo|s J eu|s|- qu| eou:o|-t |a ou o- o.o|t |so|- J'u. 8. Go:Js. s. G:os e||-s.35LA BELLE AU BOIS DORMANTdouta point que la fe net encore fait l un tour de son mtier, afn quelaprincesse,pendantquelledormirait,netriencraindre des curieux. Au bout de cent ans, le fls du roi qui rgnait alors, et qui tait dune autre famille que la princesse endormie, tant all la chasse de ce ct-l, demanda ce que ctait que ces tours quil voyait au-dessus dun grand bois fort pais ; chacun lui rpondit selon quil en avait ou parler. Les uns disaient que ctait un vieux chteau o il revenait des esprits ; les autres que tous les sorciers de la contre y faisaient leur sabbat10. La plus commune opinion tait quun ogre y demeurait, etquelilemportaittouslesenfantsquilpouvaitattraper,pour pouvoir les manger son aise, et sans quon le pt suivre, ayant seul lepouvoirdesefaireunpassageautraversdubois.Leprincene savait quen croire, lorsquun vieux paysan prit la parole, et lui dit : Mon prince, il y a plus de cinquante ans que jai ou dire mon prequilyavaitdanscechteauuneprincesse,laplusbelledu monde ; quelle y devait dormir cent ans, et quelle serait rveille par le fls dun roi, qui elle tait rserve. Lejeuneprince,cediscours,sesentittoutdefeu;ilcrutsans balancer11quilmettraitfnunesibelleaventure;etpousspar lamour et par la gloire, il rsolut de voir sur-le-champ ce qui en tait. peinesavana-t-ilverslebois,quetouscesgrandsarbres,ces ronces et ces pines scartrent delles-mmes pour le laisser passer : il marche vers le chteau quil voyait au bout dune grande avenue oilentra,etcequilesurpritunpeu,ilvitquepersonnedeses gens ne lavait pu suivre, parce que les arbres staient rapprochs ds quil avait t pass. Il ne laissa12 pas de continuer son chemin : un prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une I0. Ass|| -oetu:- J so:e|:s. II. Ms|t:. I2. I| - esso os.36LA BELLE AU BOIS DORMANT37LA BELLE AU BOIS DORMANTgrandeavant-courotoutcequilvitdabordtaitcapabledele glacer de crainte : ctait un silence affreux, limage de la mort sy prsentaitpartout,etcentaitquedescorpstendusdhommes et danimaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonn13 et la face vermeille des Suisses, quils ntaient quendormis, et leurs tasses o il y avait encore quelques gouttes de vin montraient assez quils staient endormis en buvant. Il passe une grande cour pave de marbre, il monte lescalier, il entre dans la salle des gardes qui taient rangs en haie, la carabine sur lpaule,etronfantdeleurmieux.Iltraverseplusieurschambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dore, et il vit sur un lit, dont les rideaux taient ouverts de tous cts, le plus beau spectacle quiletjamaisvu:uneprincessequiparaissaitavoirquinzeou seizeans,etdontlclatresplendissantavaitquelquechosede lumineuxetdedivin.Ilsapprochaentremblantetenadmirant, et se mit genoux auprs delle.Alorscommelafndelenchantementtaitvenue,laprincesse sveilla;etleregardantavecdesyeuxplustendresquune premire vue ne semblait le permettre : Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous tes bien fait attendre. Leprincecharmdecesparoles,etplusencoredelamanire dontellestaientdites,nesavaitcommentluitmoignersajoie etsareconnaissance;illassuraquillaimaitplusquelui-mme. Sesdiscoursfurentmalrangs;ilsenplurentdavantage;peu dloquence,beaucoupdamour.Iltaitplusembarrassquelle, etlonnedoitpassentonner;elleavaiteuletempsdesonger cequelleauraitluidire,carilyaapparence(lhistoirenen ditpourtantrien)quelabonnefe,pendantunsilongsommeil, I3. Cou.:t J |outo-s.38LA BELLE AU BOIS DORMANTluiavaitprocurleplaisirdessongesagrables.Enfnilyavait quatre heures quils se parlaient, et ils ne staient pas encore dit la moiti des choses quils avaient se dire.Cependant tout le palais stait rveill avec la princesse ; chacun songeaitfairesacharge14,etcommeilsntaientpastous amoureux,ilsmouraientdefaim;ladamedhonneur,presse comme les autres, simpatienta, et dit tout haut la princesse que la viande tait servie. Le prince aida la princesse se lever ; elle tait tout habille et fort magnifquement ; mais il se garda bien de lui dire quelle tait habille comme ma mre-grand, et quelle avait un collet mont15, elle nen tait pas moins belle. Ils passrent dans un salon de miroirs, et y souprent, servis par les offciers de la princesse, les violons et les hautbois jourent de vieillespices,maisexcellentes,quoiquilyetprsdecentans quonnelesjoutplus;etaprssouper,sansperdredetemps, legrandaumnierlesmariadanslachapelleduchteauetla dame dhonneur leur tira le rideau ; ils dormirent peu, la princesse nenavaitpasgrandbesoin,etleprincelaquittadslematin pour retourner la ville, o son pre devait tre en peine de lui. Leprinceluiditquenchassantilstaitperdudanslafort,et quilavaitcouchdanslahutteduncharbonnier,quiluiavait fait manger du pain noir et du fromage. Le roi son pre, qui tait bon homme, le crut, mais sa mre nen fut pas bien persuade, et voyant quil allait presque tous les jours la chasse, et quil avait toujours une raison en main pour sexcuser, quand il avait couch deuxoutroisnuitsdehors,ellenedoutaplusquilnetquelque amourette : car il vcut avec la princesse plus de deux ans entiers et en eut deux enfants, dont le premier qui fut une flle, fut nomme I4. so- t:o.o||. Is. Co| |out. 39LA BELLE AU BOIS DORMANTlAurore,etlesecondunfls,quonnommaleJour,parcequil paraissait encore plus beau que sa sur.La Reine dit plusieurs fois son fls, pour le faire expliquer, quil fallait se contenter16 dans la vie, mais il nosa jamais se fer elle de son secret ; il la craignait quoiquil laimt, car elle tait de race ogresse, et le roi ne lavait pouse qu cause de ses grands biens. On disait mme tout bas la cour quelle avait les inclinations des ogres et quen voyant passer de petits enfants, elle avait toutes les peines du monde se retenir de se jeter sur eux : ainsi le prince ne voulut jamais rien dire. Mais quand le roi fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, et quil se vit matre, il dclara publiquement son mariage, et alla en grande crmonie qurir17 la reine sa femme dans son chteau. On lui ft une entre18 magnifque dans la ville capitale, o elle entra au milieu de ses deux enfants. Quelquetempsaprs,leroiallafairelaguerrelempereur Cantalabutte son voisin. Il laissa la rgence du royaume la reine sa mre, et lui recommanda fort sa femme et ses enfants : il devait tre la guerre tout lt, et ds quil fut parti, la reine-mre envoya sa bru19 et ses enfants une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisment assouvir son horrible envie. Elle y alla quelques jours aprs, et dit un soir son matre dhtel : Je veux manger demain mon dner la petite Aurore. Ah ! madame, dit lematredhtel.Jeleveux,ditlareine(etelleleditdunton dogresse qui a envie de manger de la chair frache), et je la veux manger la sauce Robert20. I6. s to|: |o|s|:. I1. C|:e|:. I8. Ret|o-. Is. ||-||. 20. soue :|. a |os J outo:J.40LA BELLE AU BOIS DORMANTCepauvrehommevoyantbienquilnefallaitpassejouer21une ogresse, prit son grand couteau, et monta la chambre de la petite Aurore : elle avait pour lors quatre ans, et vint en sautant et en riant se jeter son col, et lui demander du bonbon. Il se mit pleurer, le couteau lui tomba des mains et il alla dans la basse-cour couper la gorge un petit agneau, et il lui ft une si bonne sauce que sa matresse lassura quelle navait jamais rien mang de si bon. Il avait emport en mme temps la petite Aurore, et lavait donne sa femme pour la cacher dans le logement quelle avait au fond de la basse-cour.Huit jours aprs la mchante reine dit son matre dhtel : Je veux manger mon souper le petit Jour. Il ne rpliqua pas, rsolu de la tromper comme lautre fois ; il alla chercher le petit Jour, et le trouva avec un petit feuret la main, dont il faisait des armes avec un gros singe ; il navait pourtant que trois ans. Il le porta sa femme qui le cacha avec la petite Aurore, et donna la place du petit Jour un petit chevreau fort tendre, que logresse trouva admirablement bon. Cela tait fort bien all jusque-l ; mais un soir cette mchante reine dit au matre dhtel : Je veux manger la reine la mme sauce que ses enfants. Ce fut alors que le pauvre matre dhtel dsespra de la pouvoir encore tromper. La jeune reine avait vingt ans passs, sans compter les cent ans quelle avait dormi : sa peau tait un peu dure, quoique belle et blanche ; et le moyen de trouver dans la mnagerie unebteaussidurequecela?Ilpritlarsolution,poursauversa vie, de couper la gorge la reine, et monta dans sa chambre, dans lintentiondenenpasfairedeuxfois;ilsexcitaitlafureuret entralepoignardlamaindanslachambredelajeunereine.Il ne voulut pourtant point la surprendre, et il lui dit avec beaucoup de respect lordre quil avait reu de la reine-mre. Faites votre devoir, lui dit-elle, en lui tendant le col ; excutez lordre quon vous a donn ; 2I. s su:: a. 41LA BELLE AU BOIS DORMANTjirai revoir mes enfants, mes pauvres enfants que jai tant aims. Car elle les croyait morts depuis quon les avait enlevs sans lui rien dire. Non, non, madame, lui rpondit le pauvre matre dhtel tout attendri,vousnemourrezpoint,etvousnelaisserez22pasdaller revoir vos chers enfants, mais ce sera chez moi o je les ai cachs, etjetromperaiencorelareine,enluifaisantmangerunejeune biche en votre place. Illamenaaussittsachambre,olalaissantembrasserses enfants et pleurer avec eux, il alla accommoder une biche, que la reine mangea son souper, avec le mme apptit que si cet t la jeune reine. Elle tait bien contente de sa cruaut, et elle se prparait direauroi,sonretour,quelesloupsenragsavaientmang la reine sa femme et ses deux enfants. Un soir quelle rdait son ordinaire dans les cours et basses-cours duchteaupouryhalener23quelqueviandefrache,elleentendit dansunesallebasselepetitJourquipleurait,parcequelareine sa mre le voulait faire fouetter, cause quil avait t mchant, et elle entendit aussi la petite Aurore qui demandait pardon pour son frre.Logressereconnutlavoixdelareineetdesesenfants,et furieusedavoirttrompe,ellecommandedslelendemain aumatin,avecunevoixpouvantablequifaisaittremblertoutle monde, quon apportt au milieu de la cour une grande cuve, quelle ftremplirdecrapauds,devipres,decouleuvresetdeserpents, pour y faire jeter la reine et ses enfants, le matre dhtel, sa femme et sa servante : elle avait donn lordre de les amener les mains lies derrire le dos. Ils taient l, et les bourreaux se prparaient les jeter dans la cuve, lorsque le roi, quon nattendait pas si tt, entra danslacourcheval;iltaitvenuenposte24,etdemandatout 22. Vous ou:::.23. I|o|::. 24. Vo|tu: a e|.o|.42LA BELLE AU BOIS DORMANTtonn25 ce que voulait dire cet horrible spectacle ; personne nosait leninstruire,quandlogresse,enragedevoircequellevoyait, sejetaelle-mmelattelapremiredanslacuve,etfutdvore en un instant par les vilaines btes quelle y avait fait mettre. Le roi ne laissa pas den tre fch ; elle tait sa mre ; mais il sen consola bientt avec sa belle femme et ses enfants.MORALITAttendre quelque temps pour avoir un poux, Riche, bien fait, galant et doux, La chose est assez naturelle,Mais lattendre cent ans, et toujours en dormant,On ne trouve plus de femelle26,Qui dormt si tranquillement.La fable semble encor vouloir nous faire entendre,Que souvent de lhymen les agrables nuds,Pour tre diffrs nen sont pas moins heureux,Et quon ne perd rien pour attendre ;Mais le sexe27 avec tant dardeurAspire la foi conjugale,Que je nai pas la force ni le cur,De lui prcher cette morale.2s. so|s| J t:o,u:.26. I. 1: e|o|s| o: |o|so-t:|. 21. L |ou s : |s ts. Do-s e:to|-s tts ot|qus, | ot -eo: st o:to|s e:|t so-s -o| ou: :set: |s :|s J .:s|eot|o-.445CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERREIL TAIT UNE FOIS...... un gentilhomme qui pousa en secondes noces une femme, la plus hautaineetlaplusfrequonetjamaisvue.Elleavaitdeuxflles desonhumeur,etquiluiressemblaiententouteschoses.Lemari avait, de son ct, une jeune flle, mais dune douceur et dune bont sansexemple:elletenaitceladesamre,quitaitlameilleure personnedumonde.Lesnocesnefurentpaspluttfaites,quela belle-mreftclatersamauvaisehumeur;elleneputsouffrir lesbonnesqualitsdecettejeuneenfant,quirendaientsesflles encore plus hassables. Elle la chargea des plus viles occupations de lamaison:ctaitellequinettoyaitlavaisselleetlesmontes,qui frottait la chambre de madame, et celles de mesdemoiselles ses flles ; ellecouchaittoutauhautdelamaison,dansungrenier,surune mchante paillasse, pendant que ses surs taient dans des chambres parquetes, o elles avaient des lits des plus la mode, et des miroirs oellessevoyaientdepuislespiedsjusqulatte.Lapauvreflle souffraittoutavecpatience,etnosaitseplaindresonprequi laurait gronde, parce que sa femme le gouvernait entirement. Lorsquelleavaitfaitsonouvrage,elleallaitsemettreaucoinde lachemine,etsasseoirdanslescendres,cequifaisaitquon lappelaitcommunment,danslelogis,Cucendron.Lacadette, 46CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERREquintaitpassimalhonntequesonane,lappelaitCendrillon; cependant Cendrillon, avec ses mchants habits, ne laissait pas dtre cent fois plus belle que ses surs, quoique vtues magnifquement.Ilarrivaqueleflsduroidonnaunbal,etquilenpriatoutes lespersonnesdequalit.Nosdeuxdemoisellesenfurentaussi pries:carellesfaisaientgrandefguredanslepays.Lesvoil bienaisesetbienoccupeschoisirleshabitsetlescoiffuresqui leursiraientlemieux.NouvellepeinepourCendrillon,carctait ellequirepassaitlelingedesessursetquigodronnait1leurs manchettes.Onneparlaitquedelamaniredontonshabillerait. Moi,ditlane,jemettraimonhabitdeveloursrougeet magarnituredAngleterre.Moi,ditlacadette,jenauraique majupeordinaire;maisenrcompense,jemettraimonmanteau feursdor,etmabarriredediamants,quinestpasdesplus indiffrentes.Onenvoyaqurirlabonnecoiffeuse,pourdresser lescornettesdeuxrangs,etonftacheterdesmouchesde labonnefaiseuse.EllesappelrentCendrillonpourluidemander son avis, car elle avait le bon got. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et soffrit mme les coiffer ; ce quelles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient : Cendrillon, serais-tu bien aise daller au bal ? Hlas, mesdemoiselles, vous vous moquez de moi ; ce nest pas l ce quil me faut. Tu as raison, on rirait si on voyait un Cucendron aller au bal. Une autre que Cendrillon les aurait coiffes de travers ; mais elle tait bonne : elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent prs de deux jours sans manger, tant elles taient emplies de joie. On rompit plus de douze lacets force de les serrer, pour leur rendre la taille plus menue, et elles taient toujours devant leur miroir. Enfn,lheureuxjourarriva;onpartit,etCendrillonlessuivit desyeuxlepluslongtempsquelleput.Lorsquellenelesvitplus, I. Rosso|t t so|t. 47CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERREellesemitpleurer.Samarraine,quilavittouteenpleurs,lui demanda ce quelle avait : Je voudrais bien je voudrais bien Ellepleuraitsifortquelleneputachever.Samarraine,quitait fe, lui dit : Tu voudrais bien aller au bal, nest-ce pas ? Hlas oui,ditCendrillonensoupirant.Ehbien,seras-tubonneflle? ditsamarraine,jetyferaialler.Ellelamenadanssacham-bre, et lui dit : Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille. Cendrillonallaaussittcueillirlaplusbellequelleputtrouver, etlaportasamarraine,nepouvantdevinercommentcette citrouillepourraitlafairealleraubal.Samarrainelacreusa, et,nayantlaissquelcorce,lafrappadesabaguette,etla citrouille fut aussitt change en un beau carrosse tout dor. Ensuite,elleallaregarderdanssasouricire,oelletrouva six souris toutes en vie ; elle dit Cendrillon de lever la trappe de lasouricire,etchaquesourisquisortaitelleluidonnaitun coup de sa baguette, et la souris tait aussitt change en un beau cheval,cequiftunbelattelagedesixchevaux,dunbeaugris de souris pommel. Comme elle tait en peine de quoi elle ferait un cocher : Je vais voir,ditCendrillon,silnyapointquelqueratdanslaratire, nous en ferons un cocher. Tu as raison, dit sa marraine, va voir. Cendrillonluiapportalaratire,oilyavaittroisgrosrats. La fe en prit un dentre les trois, cause de sa matresse barbe, et,layanttouch,ilfutchangenungroscocher,quiavaitune des plus belles moustaches quon ait jamais vues.Ensuite, elle lui dit : Va dans le jardin, tu y trouveras six lzards derrirelarrosoir,apporte-les-moi.Elleneleseutpasplutt apports, que la marraine les changea en six laquais, qui montrent aussittderrirelecarrosseavecleurshabitschamarrs,etqui sytenaientattachs,commesilsneussentfaitautrechosetoute leur vie. 48CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRELa fe dit alors Cendrillon : Eh bien, voil de quoi aller au bal, nes-tu pas bien aise ? Oui, mais est-ce que jirai comme cela, avec mes vilains habits ? Sa marraine ne ft que la toucher avec sabaguette,etenmmetempsseshabitsfurentchangsendes habits dor et dargent, tout chamarrs de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufes de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi pare, elle monta en carrosse ; mais sa marraine luirecommanda,surtouteschoses,denepointpasserminuit, lavertissantquesielledemeuraitaubalunmomentdavantage, soncarrosseredeviendraitcitrouille,seschevauxdessouris,ses laquaisdeslzards,etquesesvieuxhabitsreprendraientleur premire forme. Elle promit sa marraine quelle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie.Leflsduroi,quonallaavertirquilvenaitdarriverune grandeprincessequonneconnaissaitpoint,courutlarecevoir. Illuidonnalamainladescenteducarrosse,etlamenadans lasalleotaitlacompagnie.Ilseftalorsungrandsilence; oncessadedanser,etlesviolonsnejourentplus,tantontait attentifcontemplerlesgrandesbeautsdecetteinconnue.On nentendait quun bruit confus : Ah, quelle est belle ! Le roi mme,toutvieuxquiltait,nelaissaitpasdelaregarder,etde dire tout bas la reine quil y avait longtemps quil navait vu une si belle et si aimable personne. Toutes les dames taient attentives considrer sa coiffure et ses habits, pour en avoir ds le lendemain de semblables, pourvu quil se trouvt des toffes assez belles, et des ouvriers assez habiles. Le fls du roi la mit la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grce, quon ladmira encoredavantage.Onapportaunefortbellecollation,dontle jeune prince ne mangea point, tant il tait occup la considrer. Elle alla sasseoir auprs de ses surs, et leur ft mille honntets : 49CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERREelleleurftpartdesorangesetdescitronsqueleprinceluiavait donns, ce qui les tonna fort, car elles ne la connaissaient point.Lorsquelles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts : elle ft aussitt une grande rvrence la compagnie, et sen alla le plus vite quelle put. Ds quelle fut arrive, elle alla trouver sa marraine, et aprs lavoir remercie, elle lui dit quelle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal, parce que le fls du roi len avait prie. Comme elle tait occupe raconter sa marraine tout ce qui stait pass au bal, les deux surs heurtrent la porte ; Cendrillon alla leur ouvrir. Que vous avez mis longtemps revenir!leurdit-elleenbillant,ensefrottantlesyeux,et enstendantcommesiellenetfaitquedeserveiller;elle navait cependant pas eu envie de dormir depuis quelles staient quittes. Si tu tais venue au bal, lui dit une de ses surs, tu ne ty serais pas ennuye : il y est venu la plus belle princesse, la plus belle quon puisse jamais voir ; elle nous a fait mille civilits, elle nous a donn des oranges et des citrons. Cendrillon ne se sentait pas de joie : elle leur demanda le nom de cette princesse ; mais elles lui rpondirent quon ne la connaissait pas, que le fls du roi en tait fort en peine, et quil donnerait toutes choses au monde pour savoir qui elle tait. Cendrillon sourit et leur dit : Elle tait donc bien belle ? Mon Dieu, que vous tes heureuses ! Ne pourrais-je point la voir ? Hlas ! mademoiselle Javotte, prtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours. Vraiment, dit mademoiselle Javotte, je suis de cet avis ! Prtez votre habit un vilain Cendrillon comme cela, il faudrait que je fusse bien folle. Cendrillon sattendait bien ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait t grandement embarrasse si sa sur et bien voulu lui prter son habit. Lelendemain,lesdeuxsursfurentaubal,etCendrillonaussi, maisencoreplusparequelapremirefois.Leflsduroifut 50CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRE51CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERREtoujoursauprsdelle,etnecessadeluiconterdesdouceurs. Lajeunedemoisellenesennuyaitpoint,etoubliacequesa marraine lui avait recommand ; de sorte quelle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsquelle ne croyait pas quil ft encore onze heures : elle se leva et senfuit aussi lgrement quaurait fait unebiche.Leprincelasuivit,maisilneputlattraper.Ellelaissa tomber une de ses pantoufes de verre, que le prince ramassa bien soigneusement.Cendrillonarrivachezellebienessouffe,sans carrosse, sans laquais, et avec ses mchants habits, rien ne lui tant restdetoutesamagnifcencequunedesespetitespantoufes, lapareilledecellequelleavaitlaissetomber.Ondemanda auxgardesdelaportedupalaissilsnavaientpointvusortir une princesse ; ils dirent quils navaient vu sortir personne, quune jeune flle fort mal vtue, et qui avait plus lair dune paysanne que dune demoiselle.Quand ses deux surs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda siellesstaientencorebiendiverties,etsilabelledameyavait t. Elles lui dirent que oui, mais quelle stait enfuie lorsque minuit avaitsonn,etsipromptementquelleavaitlaisstomberunede ses petites pantoufes de verre, la plus jolie du monde ; que le fls du roi lavait ramasse, et quil navait fait que la regarder pendant toutlerestedubal,etquassurmentiltaitfortamoureuxdela belle personne qui appartenait la petite pantoufe. Elles dirent vrai, car peu de jours aprs, le fls du roi ft publier son de trompe quil pouserait celle dont le pied serait bien juste la pantoufe. On commena lessayer aux princesses, ensuite aux duchesses, et toute la cour, mais inutilement. On la porta chez les deux surs, qui frent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufe, mais elles ne purent en venir bout. Cendrillon qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufe, dit en riant : Que jevoiesiellenemeseraitpasbonne!Sessurssemirent 52CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRErireetsemoquerdelle.Legentilhomme,quifaisaitlessaide la pantoufe, ayant regard attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela tait juste, et quil avait ordre de lessayer toutes les flles. Il ft asseoir Cendrillon, et approchant la pantoufe de son petit pied, il vit quelle y entrait sans peine, et quelle y tait juste comme de cire. Ltonnement des deux surs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche lautre petite pantoufe quelle mit son pied. L-dessus arriva la marraine, qui ayant donn un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les ft devenir encore plus magnifques que tous les autres.Alors ses deux surs la reconnurent pour la belle dame quelles avaient vue au bal. Elles se jetrent ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements quelles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva, et leur dit, en les embrassant, quelle leur pardonnait de bon cur, et quelle les priait de laimer bien toujours. On la mena chez le jeune prince, pare comme elle tait : il la trouva encore plus belle que jamais, et, peu de jours aprs, il lpousa. Cendrillon, qui tait aussi bonne que belle, ft loger ses deux surs au palais, et les maria ds le jour mme deux grands seigneurs de la cour.MORALITLa beaut pour le sexe est un rare trsor, De ladmirer jamais on ne se lasse ; Mais ce quon nomme bonne grce Est sans prix, et vaut mieux encor. Do-s e:to|-s tts ot|qus, | ot -eo: st o:to|s e:|t so-s -o| ou: :set: |s :|s J .:s|eot|o-.53CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRECest ce qu Cendrillon ft savoir sa Marraine, En la dressant2, en linstruisant, Tant et si bien quelle en ft une Reine. (Car ainsi sur ce conte on va moralisant.)Belles, ce don vaut mieux que dtre bien coiffes,Pour engager un cur, pour en venir bout, La bonne grce est le vrai don des fes ;Sans elle on ne peut rien, avec elle, on peut tout.AUTRE MORALIT Cest sans doute un grand avantage, Davoir de lesprit, du courage, De la naissance, du bon sens, Et dautres semblables talents, Quon reoit du Ciel en partage ; Mais vous aurez beau les avoir,Pour votre avancement3 ce seront choses vaines, Si vous navez, pour les faire valoir, Ou des parrains ou des marraines.2. L- |'|.o-t.3. Russ|t.557LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTTIL TAIT UNE FOIS...Un meunier ne laissa pour tous biens trois enfants quil avait, que son moulin, son ne et son chat. Les partages furent bientt faits, ni le notaire, ni le procureur ny furent point appels. Ils auraient eu bientt mang tout le pauvre patrimoine. Lan eut le moulin, le second eut lne, et le plus jeune neut que le chat. Ce dernier ne pouvait se consoler davoir un si pauvre lot : Mes frres, disait-il, pourrontgagnerleurviehonntement1ensemettantensemble; quant moi, lorsque jaurai mang mon chat, et que je me serai faitunmanchon2desapeau,ilfaudraquejemeuredefaim.Le Chat qui entendait ce discours, mais qui nen ft pas semblant, luiditdunairposetsrieux:Nevousaffigezpoint,mon matre;vousnavezqumedonnerunsac,etmefairefaire unepairedebottespourallerdanslesbroussailles,etvous verrezquevousntespassimalpartagquevouscroyez.Quoique le matre du Chat ny crt gure, il lui avait vu faire tant de tours de souplesse, pour prendre des rats et des souris, comme quand il se pendait par les pieds ou quil se cachait dans la farine I. Co::et-t. 2. Iou::ou J tou::u: ou: :ot: |s o|-s Ju t:o|J.58LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTTpourfairelemort,quilnedsesprapasdentresecouru danssamisre.LorsqueleChateutcequilavaitdemand, ilsebottabravement3;etmettantsonsacsoncou,ilenprit lescordonsavecsesdeuxpattesdedevant,etsenalladans unegarenneoilyavaitgrandnombredelapins.Ilmitduson etdeslasseronsdanssonsac,etstendantcommesilett mort,ilattenditquequelquejeunelapin,peuinstruitencoredes ruses de ce monde, vnt se fourrer dans son sac pour manger ce quilyavaitmis.peinefut-ilcouch,quileutcontentement; unjeunetourdidelapinentradanssonsac,etlematreChat tirantaussittlescordonslepritetletuasansmisricorde.Toutglorieuxdesaproie,ilsenallachezleroi,etdemanda luiparler.OnleftmonterlappartementdeSaMajest o,tantentrilftunegrandervrenceauroi,etluidit: Voil, sire, un lapin de garenne que M. le marquis de Carabas (ctaitlenomquilluipritengrdedonnersonmatre), machargdevousprsenterdesapart.Distonmatre, rponditleroi,quejeleremercie,etquilmefaitplaisir.Uneautrefois,ilallasecacherdansunbl,tenanttoujours sonsacouvert,etlorsquedeuxperdrixyfurententres,iltira lescordons,etlesprittoutesdeux.Ilallaensuitelesprsenter auroi,commeilavaitfaitdulapindegarenne.Leroireut encore avec plaisir les deux perdrix, et lui ft donner pour boire. LeChatcontinuaainsipendantdeuxoutroismoisdeporterde tempsentempsauroidugibierdelachassedesonmatre.Unjourquilsutqueleroidevaitallerlapromenade,surle bord de la rivire, avec sa flle, la plus belle princesse du monde, ilditsonmatre:Sivousvoulezsuivremonconseil,votre fortuneestfaite:vousnavezquvousbaignerdanslarivire, 3. A.e |o-e.59LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTTlendroitquejevousmontrerai,etensuitemelaisserfaire. LemarquisdeCarabasftcequesonchatluiconseillait,sans savoirquoicelaseraitbon.Dansletempsquilsebaignait,le roi vint passer, et le Chat se mit crier de toute sa force : Au secours ! au secours ! voil M. le marquis de Carabas qui se noie ! cecri,leroimitlattelaportire,et,reconnaissant leChatquiluiavaitapporttantdefoisdugibier,ilordonna sesgardesquonalltviteausecoursdeM.lemarquis deCarabas.Pendantquonretiraitlepauvremarquisde larivire,leChatsapprochaducarrosse,ditauroiquedans le temps que son matre se baignait, il tait venu des voleurs qui avaientemportseshabits,quoiquiletcriauvoleur!de toutesaforce;ledrlelesavaitcachssousunegrossepierre.Le roi ordonna aussitt aux offciers de sa garde-robe daller qurir un de ses plus beaux habits pour M. le marquis de Carabas. Le roi lui ft mille caresses, et comme les beaux habits quon venait de lui donner relevaient sa bonne mine (car il tait beau, et bien fait de sa personne), la flle du roi le trouva fort son gr, et le marquis deCarabasneluieutpaspluttjetdeuxoutroisregardsfort respectueux et un peu tendres, quelle en devint amoureuse la folie.Leroivoulutquilmonttdanssoncarrosseetquilftde la promenade. Le Chat, ravi de voir que son dessein commenait russir,pritlesdevants,etayantrencontrdespaysansqui fauchaient un pr, il leur dit : Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pr que vous fauchez appartient M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachs menu comme chair pt. Leroinemanquapasdemanderauxfaucheursquitaitce prquilsfauchaient.CestM.lemarquisdeCarabas, dirent-ilstousensemble,carlamenaceduChatleuravait faitpeur.Vousavezlunbelhritage,ditleroiaumarquis de Carabas. Vous voyez, sire, rpondit le marquis, cest un pr qui 60LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTT61LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTTne manque point de rapporter abondamment toutes les annes. LematreChat,quiallaittoujoursdevant,rencontrades moissonneurs,etleurdit:Bonnesgensquimoissonnez,si vousneditesquetouscesblsappartiennentM.lemarquis de Carabas, vous serez tous hachs menu comme chair pt. Leroi,quipassaunmomentaprs,voulutsavoirqui appartenaittouscesblsquilvoyait.CestM.lemarquis de Carabas , rpondirent les moissonneurs, et le roi sen rjouit encoreaveclemarquis.LeChat,quiallaitdevantlecarrosse, disait toujours la mme chose tous ceux quil rencontrait ; et le roitaittonndesgrandsbiensdeM.lemarquisdeCarabas. Le matre Chat arriva enfn dans un beau chteau, dont le matre tait un ogre, le plus riche quon ait jamais vu, car toutes les terres par o le roi avait pass taient sous la dpendance de ce chteau. LeChat,quieutsoindesinformerquitaitcetogre,etcequil savaitfaire,demandaluiparler,disantquilnavaitpasvoulu passer si prs de son chteau, sans avoir lhonneur de lui faire la rvrence. Logre le reut aussi civilement que le peut un ogre, et le ft reposer. On ma assur, dit le Chat, que vous aviez le don devouschangerentoutessortesdanimaux;quevouspouviez, parexemple,voustransformerenlion,enlphant.Celaest vrai,rponditlogrebrusquement,etpourvouslemontrer,vous allez me voir devenir lion. Le Chat fut si effray de voir un lion devantlui,quilgagnaaussittlesgouttires,nonsanspeineet sans pril, cause de ses bottes, qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles. Quelque temps aprs, le Chat, ayant vu que logre avait quitt sa premire forme, descendit, et avoua quil avait eu bien peur. On ma assur encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits animaux, par exemple, de vous changer en un rat, en une souris: je vous avoue que je tiens cela tout fait impossible. 62LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTT Impossible ? reprit logre ; vous allez voir , et en mme temps ilsechangeaenunesouris,quisemitcourirsurleplancher. Lechatneleutpasplusttaperuequilsejetadessus,etla mangea.Cependantleroi,quivitenpassantlebeauchteau de logre, voulutentrer dedans. Le Chat, qui entendit le bruit du carrosse qui passait sur le pont-levis, courut au-devant, et dit au roi : Votre Majest soit la bienvenue dans le chteau de M. le marquis de Carabas. Comment, M. le marquis, scria le roi, ce chteau est encore vous? Il ne se peut rien de plus beau que cette cour etquetouscesbtimentsquilenvironnent:voyonslesdedans, silvousplat.Lemarquisdonnalamainlajeuneprincesse, et,suivantleroiquimontaitlepremier,ilsentrrentdansune grande salle o ils trouvrent une magnifque collation que logre avait fait prparer pour ses amis, qui devaient venir le voir ce mme jour-l, mais qui navaient pas os entrer, sachant que le roi y tait. Le roi, charm des bonnes qualits de M. le marquis de Carabas, de mme que sa flle qui en tait folle, et voyant les grands biens quil possdait, lui dit, aprs avoir bu cinq ou six coups : Il ne tiendra qu vous, M. le marquis, que vous ne soyez mon gendre. Le marquis, faisant de grandes rvrences, accepta lhonneur que lui faisait le roi ; et ds le mme jour, pousa la princesse. Le Chat devint grand seigneur, et ne courut plus aprs les souris que pour se divertir.MORALITQuelque grand que soit lavantage De jouir dun riche hritage Venant nous de pre en fls, Aux jeunes gens pour lordinaire,Lindustrie et le savoir-faire Valent mieux que des biens acquis.63LE MATRE CHAT, OU LE CHAT BOTTAUTRE MORALITSi le fls dun meunier avec tant de vitesse, Gagne le cur dune princesse,Et sen fait regarder avec des yeux mourants, Cest que lhabit, la mine et la jeunesse, Pour inspirer de la tendresse,Nen sont pas des moyens toujours indiffrents.667RIQUET LA HOUPPEIL TAIT UNE FOIS...... une reine qui accoucha dun fls si laid et si mal fait, quon douta longtempssilavaitformehumaine.Unefequisetrouvasa naissanceassuraquilnelaisseraitpasdtreaimable,parcequil aurait beaucoup desprit ; elle ajouta mme quil pourrait, en vertu dudonquellevenaitdeluifaire,donnerautantdespritquilen aurait la personne quil aimerait le mieux. Tout cela consola un peu lapauvrereine,quitaitbienaffigedavoirmisaumondeunsi vilain marmot. Il est vrai que cet enfant ne commena pas plus tt parler quil dit mille jolies choses, et quil avait dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel quon en tait charm. Joubliais de dire quilvintaumondeavecunepetitehouppedecheveuxsurlatte, ce qui ft quon le nomma Riquet la houppe, car Riquet tait le nom de la famille. Au bout de sept ou huit ans, la reine dun royaume voisin accoucha de deux flles. La premire qui vint au monde tait plus belle que le jour : la reine en fut si aise, quon apprhenda que la trop grande joie quelleenavaitneluiftmal.Lammefequiavaitassistla naissance du petit Riquet la houppe tait prsente, et pour modrer la joie de la reine, elle lui dclara que cette petite princesse naurait pointdesprit,etquelleseraitaussistupidequelletaitbelle. 68RIQUET LA HOUPPECelamortifabeaucouplareine;maiselleeutquelquesmoments aprsunbienplusgrandchagrin,carlasecondeflledontelle accoucha se trouva extrmement laide. Ne vous affigez point tant, madame, lui dit la fe ; votre flle sera rcompense dailleurs, et elle aura tant desprit, quon ne sapercevra presque pas quil lui manque de la beaut. Dieu le veuille, rpondit la reine ; mais ny aurait-il point moyen de faire avoir un peu desprit lane qui est si belle ? Je ne puis rien pour elle, madame, du ct de lesprit, lui dit la fe, mais je puis tout du ct de la beaut ; et comme il ny a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira. mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crrent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beaut de lane, etdelespritdelacadette.Ilestvraiaussiqueleursdfauts augmentrentbeaucoupaveclge.Lacadetteenlaidissaitvue dil,etlanedevenaitplusstupidedejourenjour.Ouellene rpondait rien ce quon lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle tait avec cela si maladroite quelle net pu ranger quatre porcelaines surleborddunecheminesansencasserune,niboireunverre deau sans en rpandre la moiti sur ses habits. Quoique la beaut soitungrandavantagedansunejeunepersonne,cependantla cadettelemportaitpresquetoujourssursonanedanstoutesles compagnies. Dabord on allait du ct de la plus belle pour la voir et pour ladmirer, mais bientt aprs, on allait celle qui avait le plus desprit,pourluientendrediremillechosesagrables;etontait tonn quen moins dun quart dheure lane navait plus personne auprs delle, et que tout le monde stait rang autour de la cadette. Lane, quoique fort stupide, le remarqua bien, et elle et donn sans regret toute sa beaut pour avoir la moiti de lesprit de sa sur. La reine,toutesagequelletait,neputsempcherdeluireprocher plusieursfoissabtise,cequipensafairemourirdedouleurcette 69RIQUET LA HOUPPEpauvre princesse. Un jour quelle stait retire dans un bois pour y plaindre son malheur elle vit venir elle un petit homme fort laid et fortdsagrable,maisvtutrsmagnifquement.Ctaitlejeune prince Riquet la houppe, qui tant devenu amoureux delle sur ses portraits qui couraient par tout le monde, avait quitt le royaume de sonprepouravoirleplaisirdelavoiretdeluiparler.Ravidela rencontrer ainsi toute seule, il laborde avec tout le respect et toute la politesseimaginable.Ayantremarqu,aprsluiavoirfaitles compliments ordinaires, quelle tait fort mlancolique, il lui dit : Je ne comprends point, madame, comment une personne aussi belle que vous ltes peut tre aussi triste que vous le paraissez ; car quoique je puisse me vanter davoir vu une infnit de belles personnes, je puis direquejenenaijamaisvudontlabeautapprochedelavtre. Cela vous plat dire, monsieur, lui rpondit la princesse, et en demeure l. La beaut, reprit Riquet la houppe, est un si grand avantage quil doit tenir lieu de tout le reste ; et quand on le possde, jenevoispasquilyaitrienquipuissenousaffigerbeaucoup. Jaimerais mieux, dit la princesse, tre aussi laide que vous et avoir de lesprit, que davoir de la beaut comme jen ai, et tre bte autant que je le suis. Il ny a rien, madame, qui marque davantage quon a de lesprit, que de croire nen pas avoir, et il est de la nature de ce bien-l, que plus on en a, plus on croit en manquer. Je ne sais pas cela, dit la princesse, mais je sais bien que je suis fort bte, et cest de l que vient le chagrin qui me tue. Si ce nest que cela, madame, qui vous affige, je puis aisment mettre fn votre douleur. Et comment ferez-vous ? dit la princesse. Jai le pouvoir, madame, dit Riquet la houppe, de donner de lesprit autant quon en saurait avoir la personnequejedoisaimerleplus,etcommevoustes,madame, cette personne, il ne tiendra qu vous que vous nayez autant desprit quonenpeutavoirpourvuquevousvouliezbienmpouser.La princesse demeura tout interdite, et ne rpondit rien. Je vois, reprit 70RIQUET LA HOUPPERiquet la houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne men tonne pas ; mais je vous donne un an tout entier pour vous y rsoudre. La princesse avait si peu desprit, et en mme temps une si grande envie den avoir quelle simagina que la fn de cette anne neviendraitjamais;desortequelleacceptalapropositionquilui tait faite. Elle neut pas plus tt promis Riquet la houppe quelle lpouserait dans un an pareil jour, quelle se sentit tout autre quelle ntait auparavant ; elle se trouva une facilit incroyable dire tout ce qui lui plaisait, et le dire dune manire fne, aise et naturelle. Elle commena ds ce moment une conversation galante et soutenue avec Riquetlahouppe,oellebrilladunetelleforcequeRiquetla houppecrutluiavoirdonnplusdespritquilnesentaitrserv pour lui-mme. Quand elle fut retourne au palais, toute la cour ne savait que penser dun changement si subit et si extraordinaire, car autant quon lui avait ou dire dimpertinences1 auparavant, autant lui entendait-ondiredeschosesbiensensesetinfnimentspirituelles. Toute la cour en eut une joie qui ne se peut imaginer ; il ny eut que sa cadette qui nen fut pas bien aise, parce que nayant plus sur son anelavantagedelesprit,elleneparaissaitplusauprsdelle quune guenon fort dsagrable. Le roi se conduisait par ses avis, et allaitmmequelquefoistenirleconseildanssonappartement.Le bruit de ce changement stant rpandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins frent leurs efforts pour sen faire aimer, et presque tous la demandrent en mariage ; mais elle nen trouvait point qui et assez desprit, et elle les coutait tous sans sengager pas un deux. Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel et si bien fait, quelle ne put sempcher davoir de la bonne volont pour lui. Son pre sen tant aperu lui dit quil la faisait la matresse sur le choix dunpoux,etquellenavaitqusedclarer.Commeplusona I. t|ss.71RIQUET LA HOUPPEdesprit et plus on a de peine prendre une ferme rsolution sur cette affaire, elle demanda, aprs avoir remerci son pre, quil lui donnt dutempspourypenser.Elleallaparhasardsepromenerdansle mme bois o elle avait trouv Riquet la houppe, pour rver plus commodmentcequelleavaitfaire.Dansletempsquellese promenait, rvant profondment, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds,commedeplusieurspersonnesquivontetviennentetqui agissent.Ayantprtloreilleplusattentivement,elleoutquelon disait: Apporte-moi cette marmite ;lautre : Donne-moi cette chaudire ; lautre : Mets du bois dans ce feu . La terre souvrit danslemmetemps,etellevitsoussespiedscommeunegrande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes doffciers ncessaires pour faire un festin magnifque. Il en sortit une bande de vingtoutrentertisseurs,quiallrentsecamperdansunealledu bois autour dune table fort longue, et qui tous, la lardoire la main, et la queue de renard2 sur loreille, se mirent travailler en cadence ausondunechansonharmonieuse.Laprincesse,tonnedece spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient. Cest, madame, lui rpondit le plus apparent de la bande, pour le prince Riquet la houppe, dont les noces se feront demain. La princesse encore plus surprise quelle ne lavait t, et se ressouvenant tout coup quil y avaitunanqupareiljourelleavaitpromisdpouserleprince Riquetlahouppe,ellepensatomberdesonhaut.Cequifaisait quelle ne sen souvenait pas, cest que, quand elle ft cette promesse, elle tait une bte, et quen prenant le nouvel esprit que le prince lui avaitdonn,elleavaitoublitoutessessottises.Elleneutpasfait trente pas en continuant sa promenade, que Riquet la houppe se prsentaelle,brave3,magnifque,etcommeunprincequivase 2. o--t - tou::u: o:t o: |s eu|s|-|:s. 3. L|o-t.72RIQUET LA HOUPPE73RIQUET LA HOUPPEmarier. Vous me voyez, dit-il, madame, exact tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour excuter la vtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes. Je vous avouerai franchement, rpondit la princesse, que je nai pas encoreprismarsolutionl-dessus,etquejenecroispaspouvoir jamaislaprendretellequevouslasouhaitez.Vousmtonnez, madame, lui dit Riquet la houppe. Je le crois, dit la princesse, et assurment si javais affaire un brutal, un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrasse. Une princesse na que sa parole, me dirait-il,etilfautquevousmpousiez,puisquevousmelavez promis ; mais comme celui qui je parle est lhomme du monde qui a le plus desprit, je suis sre quil entendra raison. Vous savez que, quand je ntais quune bte, je ne pouvais nanmoins me rsoudre vouspouser;commentvoulez-vousquayantlespritquevous mavez donn, qui me rend encore plus diffcile en gens que je ntais, je prenne aujourdhui une rsolution que je nai pu prendre dans ce temps-l?Sivouspenseztoutdebonmpouser,vousavezeu grand tort de mter ma btise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais. Si un homme sans esprit, rpondit Riquet la houppe, serait bienreu,commevousvenezdeledire,vousreprochervotre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je nen use pas de mme, dans une chose o il y va de tout le bonheur de ma vie?Est-ilraisonnablequelespersonnesquiontdelespritsoient dunepireconditionqueceuxquinenontpas?Lepouvez-vous prtendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhait den avoir ? Mais venons au fait, sil vous plat. la rserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous dplaise ? tes-vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur, et de mes manires ? Nullement, rpondit la princesse, jaime en vous tout ce que vous venez de me dire. Si cela est ainsi, reprit Riquet la houppe, je vais tre heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable de tous 74RIQUET LA HOUPPEleshommes.Commentcelasepeut-ilfaire?luiditlaprincesse. Cela se fera, rpondit Riquet la houppe, si vous maimez assez pour souhaiter que cela soit ; et afn, madame, que vous nen doutiez pas, sachez que la mme fe qui au jour de ma naissance me ft le don de pouvoir rendre spirituelle la personne quil me plairait, vous a aussifaitledondepouvoirrendrebeauceluiquevousaimerez, et qui vous voudrez bien faire cette faveur. Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable ; et je vous en fais le don autant quil est en moi. Laprincesseneutpasplusttprononccesparoles,queRiquet la houppe parut ses yeux lhomme du monde le plus beau, le mieux faitetleplusaimablequelleetjamaisvu.Quelques-unsassurent que ce ne furent point les charmes de la fe qui oprrent, mais que lamour seul ft cette mtamorphose. Ils disent que la princesse ayant fait rfexionsurlapersvrancedesonamant,sursadiscrtion,etsur toutes les bonnes qualits de son me et de son esprit, ne vit plus la difformit de son corps, ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air dun homme qui fait le gros dos, et quau lieu que jusqualors elle lavait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus quun certain air pench qui la charmait ; ils disent encore que ses yeux, qui taient louches, ne lui en parurent que plus brillants, que leur drglement passa dans son esprit pour la marque dun violent excs damour, et quenfn son gros nez rouge eut pour elle quelque chose demartialetdhroque.Quoiquilensoit,laprincesseluipromit sur-le-champ de lpouser, pourvu quil en obtnt le consentement du roi son pre. Le roi ayant su que sa flle avait beaucoup destime pour Riquet lahouppe,quilconnaissaitdailleurspourunprincetrsspirituel et trs sage, le reut avec plaisir pour son gendre. Ds le lendemain lesnocesfurentfaites,ainsiqueRiquetlahouppelavaitprvu, et selon les ordres quil en avait donns longtemps auparavant.75RIQUET LA HOUPPEMORALITCe que lon voit dans cet crit,Est moins un conte en lair que la vrit mme ;Tout est beau dans ce que lon aime,Tout ce quon aime a de lesprit.AUTRE MORALITDans un objet o la Nature,Aura mis de beaux traits, et la vive peintureDun teint o jamais lArt ne saurait arriver,Tous ces dons pourront moins pour rendre un cur sensible,Quun seul agrment invisibleQue lAmour y fera trouver.779PEAU DNEIL TAIT UNE FOIS... Madame la marquise de L***Il est des gens de qui lesprit guind, Sous un front jamais drid,Ne souffre, napprouve et nestimeQue le pompeux et le sublime ;Pour moi, jose poser en faitQuen de certains moments lesprit le plus parfait Peut aimer sans rougir jusquaux marionnettes ;Et quil est des temps et des lieuxO le grave et le srieuxNe valent pas dagrables sornettes.Pourquoi faut-il smerveillerQue la raison la mieux sense,Lasse souvent de trop veiller,Par des contes dogre et de feIngnieusement berce,Prenne plaisir sommeiller ? Sans craindre donc quon me condamneDe mal employer mon loisir,Je vais, pour contenter votre juste dsir, Vous conter tout au long lhistoire de Peau dne.LE PETIT CHAPERON ROUGE8081PEAU DNEIl tait une fois un roi,Le plus grand qui ft sur la Terre,Aimable en paix, terrible en guerre,Seul enfn comparable soi :Ses voisins le craignaient, ses tats taient calmes,Et lon voyait de toutes partsFleurir, lombre de ses palmes,Et les vertus et les beaux-arts. Son aimable moiti, sa compagne fdle,tait si charmante et si belle, Avait lesprit si commode et si doux,Quil tait encoravec elleMoins heureux roi quheureux poux.De leur tendre et chaste hymnePlein de douceur et dagrment,Avec tant de vertus une flle tait neQuils se consolaient aisment De navoir pas de plus ample ligne. Dans son vaste et riche palaisCe ntait que magnifcence ; Partout y fourmillait une vive abondanceDe courtisans et de valets ;Il avait dans son curie Grands et petits chevaux de toutes les faons,Couverts de beaux caparaons,Roides dor et de broderie ;Mais ce qui surprenait tout le monde en entrant, Do-s e:to|-s tts ot|qus, | ot -eo: st o:to|s e:|t so-s -o| ou: :set: |s :|s J .:s|eot|o-.82PEAU DNECest quau lieu le plus apparent, Un matre ne talait ses deux grandes oreilles.Cette injustice vous surprend, Mais lorsque vous saurez ses vertus nonpareilles, Vous ne trouverez pas que lhonneur ft trop grand.Tel et si net le forma la NatureQuil ne faisait jamais dordure,Mais bien beaux cus au soleilEt louis de toute manire,Quon allait recueillir sur la blonde litireTous les matins son rveil. Or le Ciel qui parfois se lasseDe rendre les hommes contents,Qui toujours ses biens mle quelque disgrce,Ainsi que la pluie au beau temps,Permit quune pre maladie Tout coup de la reine attaqut les beaux jours.Partout on cherche du secours,Mais ni la Facult qui le grec tudie,Ni les charlatans ayant cours, Ne purent tous ensemble arrter lincendieQue la fvre allumait en saugmentant toujours. Arrive sa dernire heure,Elle dit au roi son poux : Trouvez bon quavant que je meureJexige une chose de vous ;Cest que sil vous prenait envie De vous remarier quand je ny serai plus83PEAU DNE Ah ! dit le Roi, ces soins sont superfus,Je ny songerai de ma vie,Soyez en repos l-dessus. Je le crois bien, reprit la reine,Si jen prends tmoin votre amour vhment ;Mais pour men rendre plus certaine,Je veux avoir votre serment, Adouci toutefois par ce tempramentQue si vous rencontrez une femme plus belle,Mieux faite et plus sage que moi, Vous pourrez franchement lui donner votre foiEt vous marier avec elle. Sa confance en ses attraitsLui faisait regarder une telle promesseComme un serment, surpris avec adresse,De ne se marier jamais. Le prince jura donc, les yeux baigns de larmes,Tout ce que la reine voulut ;La reine entre ses bras mourut, Et jamais un mari ne ft tant de vacarmes. lour sangloter et les nuits et les jours, On jugea que son deuil ne lui durerait gure,Et quil pleurait ses dfuntes amoursComme un homme press qui veut sortir daffaire. On ne se trompa point. Au bout de quelques mois Il voulut procder faire un nouveau choix ;Mais ce ntait pas chose aise,Il fallait garder son serment,Et que la nouvelle pouse84PEAU DNEEt plus dattraits et dagrment Que celle quon venait de mettre au monument. Ni la cour en beauts fertile,Ni la campagne, ni la ville,Ni les royaumes dalentourDont on alla faire le tour,Nen purent fournir une telle ;Linfante seule tait plus belleEt possdait certains tendres appasQue la dfunte navait pas.Le roi le remarqua lui-mmeEt, brlant dun amour extrme,Alla follement saviserQue par cette raison il devait lpouser.Il trouva mme un casuiste1 Qui jugea que le cas se pouvait proposer.Mais la jeune princesse tristeDour parler dun tel amour,Se lamentait et pleurait nuit et jour. De mille chagrins lme pleine,Elle alla trouver sa marraine,Loin, dans une grotte lcartDe nacre et de corail richement toffe.Ctait une admirable feQui neut jamais de pareille en son art.Il nest pas besoin quon vous dise I. 1|o|o|- e|o: J |'o- Js eos J eo-se|-e.85PEAU DNECe qutait une fe en ces bienheureux temps ;Car je suis sr que votre mie2Vous laura dit ds vos plus jeunes ans. Je sais, dit-elle, en voyant la princesse,Ce qui vous fait venir ici, Je sais de votre cur la profonde tristesse ;Mais avec moi nayez plus de souci :Il nest rien qui vous puisse nuire Pourvu qu mes conseils vous vous laissiez conduire.Votre pre, il est vrai, voudrait vous pouser ;couter sa folle demandeSerait une faute bien grande, Mais sans le contredire on le peut refuser. Dites-lui quil faut quil vous donnePour rendre vos dsirs contents,Avant qu son amour votre cur sabandonne,Une robe qui soit de la couleur du temps. Malgr tout son pouvoir et toute sa richesse,Quoique le Ciel en tout favorise ses vux,Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. Aussitt la jeune princesseLalla dire en tremblant son pre amoureuxQui dans le moment, ft entendreAux tailleurs les plus importants Que sils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre, Une robe qui ft de la couleur du temps, Ils pouvaient sassurer quil les ferait tous pendre.2. Nou::|e.86PEAU DNE87PEAU DNELe second jour ne luisait pas encorQuon apporta la robe dsire ;Le plus beau bleu de lempyreNest pas, lorsquil est ceint de gros nuages dor,Dune couleur plus azure. De joie et de douleur linfante pntreNe sait que dire ni commentSe drober son engagement. Princesse, demandez-en une,Lui dit sa marraine tout bas,Qui plus brillante et moins commune,Soit de la couleur de la lune.Il ne vous la donnera pas. peine la princesse en eut fait la demande,Que le roi dit son brodeur : Que lastre de la nuit nait pas plus de splendeur,Et que dans quatre jours sans faute on me la rende. Le riche habillement fut fait au jour marqu,Tel que le roi sen tait expliqu.Dans les cieux o la nuit a dploy ses voiles, La lune est moins pompeuse en sa robe dargent, Lors mme quau milieu de son cours diligent Sa plus vive clart fait plir les toiles.La princesse, admirant ce merveilleux habit, tait consentir presque dlibre ;Mais, par sa marraine inspire,Au prince amoureux elle dit : Je ne saurais tre contenteQue je naie une robe encore plus brillante88PEAU DNEEt de la couleur du soleil. Le prince qui laimait dun amour sans pareil, Fit venir aussitt un riche lapidaireEt lui commanda de la faireDun superbe tissu dor et de diamants,Disant que sil manquait le bien satisfaire,Il le ferait mourir au milieu des tourments3.Le prince fut exempt de sen donner la peine,Car louvrier industrieux,Avant la fn de la semaine, Fit apporter louvrage prcieux,Si beau, si vif, si radieux,Que le blond amant de Clymne,Lorsque sur la vote des cieuxDans son char dor il se promne,Dun plus brillant clat nblouit pas les yeux.Linfante que ces dons achvent de confondre, son pre, son roi ne sait plus que rpondre. Sa marraine aussitt la prenant par la main : Il ne faut pas, lui dit-elle loreille,Demeurer en si beau chemin.Est-ce une si grande merveilleQue tous ces dons que vous en recevez,Tant quil aura lne que vous savez,Qui dcus dor sans cesse emplit sa bourse ?Demandez-lui la peau de ce rare animal.3. 1o:tu:s.89PEAU DNEComme il est toute sa ressource, Vous ne lobtiendrez pas, ou je raisonne mal. Cette fe tait bien savante,Et cependant elle ignorait encorQue lamour violent pourvu quon le contente,Compte pour rien largent et lor ; La peau fut galamment aussitt accordeQue linfante leut demande. Cette peau quand on lapportaTerriblement lpouvanta Et la ft de son sort amrement se plaindre. Sa marraine survint et lui reprsenta4 Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre ;Quil faut laisser penser au roiQuelle est tout fait dispose subir avec lui la conjugale loi, Mais quau mme moment, seule et bien dguise,Il faut quelle sen aille en quelque tat lointain Pour viter un mal si proche et si certain. Voici, poursuivit-elle, une grande cassette5

O nous mettrons tous vos habits,Votre miroir, votre toilette,Vos diamants et vos rubis.Je vous donne encor ma baguette ;En la tenant en votre main,4. L|| ||quo. s. t|t eott: J |o|s.90PEAU DNE91PEAU DNELa cassette suivra votre mme chemin,Toujours sous la terre cache ;Et lorsque vous voudrez louvrir, peine mon bton la terre aura touche, Quaussitt vos yeux elle viendra soffrir. Pour vous rendre mconnaissable, La dpouille de lne est un masque admirable.Cachez-vous bien dans cette peau, On ne croira jamais, tant elle est effroyable,Quelle renferme rien de beau. La princesse ainsi travestie De chez la sage fe peine fut sortie,Pendant la fracheur du matin,Que le prince qui pour la fteDe son heureux hymen sapprte,Apprend tout effray son funeste destin. Il nest point de maison, de chemin, davenueQuon ne parcoure promptement ;Mais on sagite vainement, On ne peut deviner ce quelle est devenue.Partout se rpandit un triste et noir chagrin ;Plus de noces, plus de festin,Plus de tarte, plus de drages ; Les dames de la cour, toutes dcourages,Nen dnrent point la plupart ; Mais du cur sur tout la tristesse fut grande,Car il en djeuna fort tard,Et qui pis est neut point doffrande.92PEAU DNELinfante cependant poursuivait son chemin, Le visage couvert dune vilaine crasse ; tous passants elle tendait la main,Et tchait pour servir de trouver une place ;Mais les moins dlicats et les plus malheureux La voyant si maussade et si pleine dordure, Ne voulaient couter ni retirer chez euxUne si sale crature. Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin ;Enfn elle arriva dans une mtairieO la fermire avait besoinDune souillon, dont lindustrieAllt jusqu savoir bien lave