Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako ... · Les tensions religieuses qui se...

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© Meriem Lahouiou, 2018 Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises nationales (1990-2012): Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage religieux pluriel Mémoire Meriem Lahouiou Maîtrise en histoire - avec mémoire Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada

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© Meriem Lahouiou, 2018

Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises nationales (1990-2012):

Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage religieux pluriel

Mémoire

Meriem Lahouiou

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises identitaires

(1990-2012) Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage

religieux pluriel

Mémoire

Meriem Lahouiou

Sous la direction de :

Muriel Gomez-Perez, directrice de recherche

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Résumé

L’étude de l’implication de la jeunesse malienne dans la sphère religieuse en période de

crises nationales dévoile l’ampleur de son champ d’intervention dans le projet de société dont

se sont dotés les acteurs musulmans au cours des deux dernières décennies. Centrée sur l’action

des associations musulmanes, cette approche permet de saisir les interactions entre les

représentants religieux et l’État, les leaders religieux et leurs adhérents, et finalement les

divergences idéologiques qui traversent la sphère religieuse. Bien qu’imprégnés de tensions et

de querelles, les discours des leaders religieux, récupérés par la jeunesse musulmane, sont

porteurs d’un projet commun de remoralisation de la société malienne.

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Table des matières Résumé ........................................................................................................................................... iii Table des matières ......................................................................................................................... iv Glossaire ......................................................................................................................................... vi Liste des acronymes ..................................................................................................................... vii Remerciements ............................................................................................................................ viii Introduction .................................................................................................................................... 1

A. Contexte historique de l’étude ............................................................................................ 1

B. Historiographie .................................................................................................................... 3

C. Problématique et hypothèses ............................................................................................ 13

D. Plan ..................................................................................................................................... 16

CHAPITRE I – Concepts, sources et méthodologie ................................................................. 17

A. «Espace public», «jeunesse», et «individualisation» : définition des concepts clés ..... 17

B. Corpus des sources primaires ........................................................................................... 19

C. Méthodologie de traitement des sources ......................................................................... 25

CHAPITRE II – Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté musulmane : portrait des enjeux identitaires, idéologiques et financiers d’une sphère religieuse hétéroclite .................................................................................................................... 29

A. Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali : Structures associatives ou confrériques ? Lecture des modèles associatifs et des figures de leader du Chérif Ousman Haïdara et de Macky Bah ....................................................................................................... 31

B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et conflits doctrinaux : entre complexité et ambigüité des relations entre les acteurs religieux maliens ...................................................................................................................................... 49

CHAPITRE III – Crises nationales et crise morale (2012) : intervention étrangère, stigmatisation des identités et quête morale. Le sinueux chemin vers la réconciliation nationale ....................................................................................................................................... 68

A. Fracture territoriale et scission identitaire : faites entrer l’accusé. Les causes profondes d’une crise multidimensionnelle contemporaine ................................................ 71 B. Le redressement de la bonne morale du Mali : entre réformisme et fondamentalisme. L’ambigüité d’un projet social total ..................................................................................... 91

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Conclusion ................................................................................................................................... 107 Sources ......................................................................................................................................... 114 Bibliographie ............................................................................................................................... 121 Annexe I: Grille d’entretien ...................................................................................................... 131 Annexe II: Exemple de page dédiée aux lecteurs dans les Échos, décembre 1990 .............. 133 Annexe III: Rassemblement d’Ançar Dine à la grande mosquée de Bamako, 19 juillet 2014 ...................................................................................................................................................... 134 Annexe IV: Règlement intérieur et statuts de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali ..... 136 Annexe V: Règlement intérieur de la Fédération Ançar Dine Internationale ...................... 144 Annexe VI: Article de presse – «Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao . 151 Annexe VII: Récit de vie d’Oumar, un militant de première génération d’Ançar Dine ..... 153 Annexe VIII: Récit de vie d’Aïchata, prédicatrice et membre de l’Agence musulmane d’Afrique ..................................................................................................................................... 156

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Glossaire

Ahl Sunna: Partisans de la tradition prophétique. Da’wa : Prosélytisme religieux. Grin : Réfère à un lieu de sociabilité improvisé dans lequel des jeunes se retrouvent. Hadj: Cinquième pilier de l’islam, fait référence au pèlerinage vers la Mecque, lieu saint

de l’islam. ‘Ilm : Sciences islamiques. Kudra : Relecture de l’islam Madrasa: Désigne un lieu d’enseignement islamique où sont enseignées les sciences

islamiques. Madâris : Pluriel de madrasa. Maouloud : Commémoration de la naissance du Prophète Mahomet, survient le 12e jour du

troisième mois du calendrier hégirien. Seere : En bambara, tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique

régulièrement la prière.

Sharia: Système juridique musulman. Sunna: Code de conduite qui réfère à la tradition prophétique. Tariqa : Signifie voie en arabe. Propre au soufisme, désigne une organisation confrérique. Umma: Grande communauté de musulmans qui transcende les frontières. Zakat: Troisième pilier de l’islam, aumône que tout musulman doit donner au plus

démuni. Zawiya: Propre aux confréries, fait référence à centre spirituel et social.

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Liste des acronymes

AMA : Agence Musulmane d’Afrique AMCECI : Association Malienne pour la Concorde, la Culture et l’Éducation Islamique AMSODEC : Association Malienne pour la Solidarité, de la Culture et du Développement AMUPI : Association Malienne pour l’Unité de l’Islam APEJ : Agence pour la Promotion et de l’Emploi des Jeunes AQMI : Al-Qaïda au Maghreb islamique CFA : Communauté financière africaine FADI : Fédération Ançar Dine Internationale FMI : Fonds Monétaire International

GLSM : Groupement de leaders spirituels musulmans HCI : Haut Conseil Islamique IMAMA : Ligue Malienne des Imams et des Érudits pour la solidarité au Mali MNLA : Mouvement National de Libération de l’Azawad MPA : Mouvement Populaire de l’Azawad MUJAO : Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest ONU : Organisation des Nations Unies RDA : Rassemblement Démocratique Africain RFI : Radio France internationale UJMMA : Union des Jeunes Musulmans du Mali UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques

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Remerciements Je voudrais remercier le Bureau international de l’Université Laval qui m’a décerné une bourse

de terrain dans le cadre du programme de mobilité « Stage hors Québec ».

Je tiens à exprimer ma sincère reconnaissance à ma directrice, Muriel Gomez-Perez. Sa patience

et sa confiance au cours de ces dernières années m’auront permis d’aller au bout de cette

réalisation. Elle m’a poussée à me surpasser, tant sur le plan intellectuel que personnel, tout au

long de mon parcours universitaire. De son soutien indéfectible, je tire une grande leçon de vie.

Un merci particulier à Issa, et à toute sa famille, qui m’ont accompagnée durant mon séjour à

Bamako et qui ont fait en sorte que je m’y sente chez moi. La richesse de mon expérience au

Mali leur revient en très grande partie. Merci à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à

l’enquête de terrain. Je tiens à remercier Marie Brossier et Cédric Jourde qui ont accepté

d’évaluer ce mémoire.

Je ne pourrais faire l’économie de remercier mes sœurs qui n’ont jamais perdu confiance en moi

malgré les aléas de cette gestation intellectuelle. Un mot également pour deux êtres chers,

Mireille et Francis, qui m’ont épaulée et ont coloré cette aventure chacun à leur façon.

Finalement, mes remerciements chaleureux aux membres de la famille Vaillancourt pour leur

soutien inépuisable.

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INTRODUCTION

A. Contexte historique de l’étude

Depuis une vingtaine d’années, le paysage malien est témoin de fortes perturbations

sociales et politiques. Dans la mouvance des transitions démocratiques ayant marqué le

paysage africain et suite au renversement du président Moussa Traoré en 1991, le Mali s’est

engagé dans un système multipartite qui a conduit notamment à la libéralisation de la presse

et de la vie associative. L’on observe dès lors une prolifération de mosquées1, de madâris2,

d’associations et de centres culturels musulmans dans le pays. Ces changements témoignent

« d’un phénomène de réislamisation de masse »3 observé dans le paysage religieux malien

au cours des dernières décennies. L’émergence du religieux dans l’espace public est portée

à la fois par l’État et par des associations musulmanes telles qu’Ançar Dine et l’Union des

Jeunes Musulmans du Mali (UJMMA) 4. Par ailleurs, le rôle de l’association étatique,

l’Association malienne pour l’unité de l’islam (AMUPI), créée en 1980 pour assurer le

contrôle des activités religieuses, devint plus significatif dans les années 1990 devant

l’important développement de mouvements religieux, fortement investis par la jeunesse

urbaine5. La montée du piétisme, observée depuis, est telle que s’instaure une concurrence

pour la maîtrise du champ religieux entre les acteurs sociaux. C’est ainsi que divers leaders

religieux et figures associatives tels que les opposants6 Chérif Ousman Madani Haïdara

1 Gilles Holder, spécialiste du Mali, dénombre le nombre de mosquées à Bamako à 200 en 1988. Tandis qu’aujourd’hui on estime leur nombre à 1000, seulement dans la capitale du Mali. Voir Gilles Holder, « Chérif Ousmane Madani Haidara et l’association islamique Ançar Dine », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 1-31. 2 Pluriel de madrasa. Voir glossaire, p. v. 3 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 2. 4 Ançar Dine, à ne pas confondre avec le mouvement armé touareg fondé en 2011, est un mouvement sunnite prosélyte fondé en 1991 par Chérif Ousmane Madani Haidara. Signifiant « Compagnons de la religion », l’association Ançar Dine qui rassemble de nombreux jeunes depuis sa création est aujourd’hui la plus importante association musulmane au Mali. Quant à l’UJMMA, il s’agit d’une association de jeunes musulmans très active sur la scène politique malienne. La présente étude sera centrée sur les actions menées par ces deux associations et les discours de leurs leaders. De jurisprudence malékite, Ançar Dine prône un réformisme intelligible à la culture africaine, en opposition au courant wahhabia, qui se veut épuré de tout syncrétisme culturel. L’UJMMA, bien qu’elle soit proche d’Ançar Dine, se dit neutre car elle représente tous les jeunes musulmans du Mali. Voir Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 1-31. 5 Françoise Bourdarias, «Constructions religieuses du politique aux confins de Bamako (Mali)», Civilisations, «Intimités et inimités du religieux en politique en Afrique », vol. 58, no. 2,», 2009, p. 22. 6 Qualifiés « d’ennemis jurés » par la presse, les tensions entre ces deux hommes, qui représentent chacun un courant religieux, remontent aux années 1980. Nous exposerons les tenants et aboutissants de cette relation complexe en cours de démonstration. Bekaye Dembele, «Mahamoud Dicko président du HCI : Un dinosaure

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(chef spirituel de l’association Ançar Dine) et Mahamoud Dicko (président du Haut Conseil

Islamique du Mali (HCI)7, participent à la vie politique en occupant une place considérable

dans l’espace public8 et médiatique, et s’évertuent à diffuser le religieux sur l’espace public

et privé. Plus récemment, la crise dans le nord du pays, l’intervention militaire française au

printemps 2013 et les prises de position du HCI dans les affaires politiques, notamment lors

du débat sur le Code de la famille, illustrent le dialogue complexe entre le religieux et le

politique.

La sphère islamique malienne est caractérisée aujourd’hui par une concurrence

religieuse animée en partie par les groupes religieux identifiés ci-dessus. Ces luttes

doctrinales sont étroitement liées à une hypermédiatisation du fait religieux, véhiculée par

la radio et des supports audio bon marché9. Les tensions religieuses qui se dessinent dans

l’espace public sont portées d’une part par les leaders religieux qui tendent à gagner en

influence, et d’autre part par les jeunes musulmans qui s’inscrivent dans une quête

identitaire. Un questionnement se pose alors quant à l’impact social et politique de la

visibilité de l’islam qui se fait grandissante dans l’espace public au Mali depuis une

vingtaine d’années. C’est dans un tel contexte que deux cohortes de jeunes musulmans,

celles de 1990 et de 2012, ont cherché en périodes de crises nationales à élever les principes

de l’islam à un fait total cadrant la société, cela au sein d’associations musulmanes de

quartiers et transnationales afin de s’affirmer socialement, d’une part, et rétablir l’ordre

moral, d’autre part.

politique à visage musulman», Le Reporter, 29 mai 2013, [En ligne] : http://maliactu.net/mohamoud-dicko-president-du-hci-un-dinosaure-politique-a-visage-musulman/, page consultée le 16 novembre 2015. 7 Le HCI fut fondé en 2002, à l’initiative de leaders religieux et avec l’appui de l’État. Chérif Ousman Haïdara y a été élu en 2008. 8 Le concept d’espace public sera défini au chapitre I. 9 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 18.

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B. Historiographie

Afin de cerner les tenants et aboutissants des constructions identitaires de ces deux

cohortes de jeunes, nous proposons de survoler l’environnement social et religieux dans

lequel ceux-ci ont su prendre possession de l’espace public par l’entremise d’associations

musulmanes. Pour ce faire, il importe de dresser un portrait de la littérature scientifique sur

le sujet. Afin de souligner la dimension religieuse dans son contexte historique et

géographique, nous débuterons par dresser un bilan des travaux effectués sur l’islam en

Afrique de l’Ouest et au Mali. Dans l’intention de mettre en exergue l’investissement de

l’espace public par la jeunesse, nous exposerons l’état général des travaux réalisés autour

des mutations de l’espace public religieux ouest-africain et malien, et de la jeunesse

africaine.

Les islamologues occidentaux ont longtemps centré l’étude de l’islam du point de

vue des marchands, du pouvoir et de l’élite intellectuelle et politique durant la période

coloniale. Au regard du syncrétisme culturel et religieux opéré en Afrique subsaharienne10,

l’islam fut dépeint comme une religion « importée » et « repensée »11. La conciliation des

pratiques animistes et maraboutiques aux pratiques musulmanes a poussé l’ethnologue

Vincent Monteil à qualifier « l’islam noir » de courant « archaïque » 12. De nombreux

auteurs se sont interrogés, au fil des décennies, s’il a été question d’islamisation de

l’Afrique ou d’africanisation de l’islam13. Cette question reste d’une grande pertinence dans

la mesure où elle est encore débattue par les deux principaux mouvements réformistes14

maliens ; d’un côté, les défenseurs d’un islam littéraliste, dit wahhabisme15, prônant un

10 On parle de syncrétisme car l’islam s’est fondu aux pratiques culturelles africaines depuis le XIe siècle, dans une dynamique d’échanges commerciaux et culturels avec des marchands et des courants prosélytes. Voir David Robinson, Les sociétés musulmanes africaines, Paris, Karthala, 2010, 310p. 11 Jean-Claude Froelich, Les musulmans d’Afrique noire, Paris, Éditions de l’Orante, 1962, 406p. 12 Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1971, 418p. 13 Vincent Monteil, op. cit., 1971; Joseph Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord du deuxième au douzième siècle, Paris, Le Centurion, 1984, 211p.; David Robinson, op. cit., 2010. 14 Prônant un retour à la forme originelle de l’islam, le réformisme islamique a connu un essor au XIXe siècle. Ses adhérents proposent de «rénover la vie religieuse et de régénérer la doctrine de l’islam». Le réformisme propose de s’en tenir aux préceptes du Texte saint en vue de retrouver une unicité autour de l’identité musulmane, ce qui peut également être identifié comme fondamentalisme en raison de la stricte lecture des textes. Il est à noter qu’il n’y a pas un réformisme, mais plusieurs réformismes dans l’islam. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Réformisme», in Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 704. 15 La doctrine wahhabite prône un retour aux traditions prophétiques. Fondée par le théoricien Muhammed ibn Abd Al Wahhab (1704-1792), le wahhabisme est une branche « fondamentaliste » qui prend racine et

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retour fondamental aux pratiques des ancêtres musulmans, et de l’autre, les partisans d’un

islam populaire et de tradition africaine, incarné par Ousmane Madani Haidara, qui soutient

la compatibilité du fait culturel et religieux16.

Au tournant des années 1980, une conception revisitée de l’islam donne un nouveau

souffle à l’étude. Des auteurs tels que Jean-Louis Triaud et David Robinson démontrent

« l’extrême diversité des attitudes adoptées par les acteurs musulmans »17, la pluralité de

leurs échanges18 et la portée du dynamisme islamique en Afrique subsaharienne19. Quant à

Christian Coulon, il met en exergue les nombreux processus d’innovation sociale et

politique en islam20. Cette effervescence, observée dès les années 1980, est alors renforcée

au tournant des années 1990. Les spécialistes de l’Afrique accordent dès lors un intérêt

grandissant à l’islam dès la fin du XXe siècle. On pense notamment aux travaux dirigés par

Christian Coulon et François Constantin, qui offrent une vision complète de la question

religieuse dans un contexte de transitions démocratiques21. Ousmane Kane et Jean-Louis

Triaud notent dans leurs travaux un engouement islamique « de l’Indonésie à Dakar », un

courant disparate qui « prône le rejet des codes occidentaux et l’adoption de la loi

islamique »22. La mutation du paysage politique, social et religieux ouest-africain a suscité

l’intérêt des chercheurs quant à la vivacité des mouvements sociaux, la transformation des

modes de communication, la multiplicité des mouvements religieux et la relation entre

l’État et la sphère religieuse 23. Dans le même ordre d’idées, les tendances de l’islam

essor en Péninsule arabique. Ce courant défend une application rigoureuse de la shari’a ou Loi islamique, fondée sur le Coran et a comme objectif de construire une unicité de la communauté sunnite et de faire reconnaitre l’existence d’un Dieu unique. L’histoire du courant et sa diffusion au Mali seront abordés au chapitre I. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Wahhabisme», loc. cit., 1996, p. 847. 16 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 391. 17 Frédérique Madore, « Islam, politique et sphère publique à Ouagadougou (Burkina Faso) », Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2013, p. 3. 18 David Robinson & Jean-Louis Triaud, Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, 583p. 19 Guy Nicolas, Dynamique de l’islam au Sud du Sahara, Paris, Publications orientalistes de France, 1981, 335p. 20 Christian Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire : religion et contre-culture, Paris, Karthala, 1983, p. 6. 21 François Constantin & Christian Coulon, Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 387p. 22 Ousmane Kane & Jean-Louis Triaud, « Introduction », Kane, Ousmane et Triaud, Jean-Louis (dir.), Islam et islamismes au Sud du Sahara. Paris, Karthala, 1998, p. 28. 23 Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud (dir.), Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Karthala, 1998, 330p.

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politique portées par divers mouvements et associations islamiques sont également

analysées24.

Le paysage africain connaît donc une multiplicité de courants prosélytes

durablement implantés localement; signe de l’existence de connexions et d’influences de

l’islam « global » sur l’islam « local » et inversement. Ces caractéristiques d’un islam dit

« mondialisé » se conjuguent dans l’ensemble des pays musulmans d’Afrique

subsaharienne. Partant de ce postulat, la problématique de l’intégration locale du religieux

dans un contexte d’ouverture territoriale et de mondialisation fut un incontournable dans

l’étude des sociétés musulmanes subsahariennes 25 . En ce sens, l’ouvrage Entreprises

religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest offre une nouvelle lecture sur les

dynamiques religieuses ouest-africaines inscrites dans une logique régionale et

transnationale 26 . Le flux d’échanges culturels, idéologiques et médiatiques, les

déplacements migratoires des populations musulmanes à travers le monde ont entraîné

l’effacement des frontières tangibles ou plutôt leur refonte. Quant à Olivier Roy, il soutient,

dans L’islam mondialisé, que « ce sont de nouvelles frontières qui s’établissent, dépourvues

de tout territoire concret. Elles se fixent dans les esprits, les comportements et les

discours »27. Cette lecture tend à faire valoir les communautés musulmanes subsahariennes

comme un acteur à part entière dans la umma28. Le caractère transnational de l’islam, tel

que souligné plus haut, n’est pas chose nouvelle. On peut même considérer qu’il est

inhérent à l’islam : Weber emploie la notion de « religion mondiale » 29 pour désigner

l’islam et le christianisme dans le sens où ils « sont par vocation transnationales »30. La

« nouveauté » réside dans la facilité et l’immédiateté des échanges transnationaux qui

24 René Otayek, « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires », Revue internationale et stratégique, vol. 4, 2009, p. 51-65; Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, 643p; William F. S. Miles (dir.), Political Islam in West Africa : State-Society Relations Transformed, Boulder, Lynne Rienner, 2007, 221p.; Benjamin Soares & René Otayek, Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009, 521p. 25 Olivier Roy, L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, 209p. 26 Laurent Fouchard, André Mary et René Otayek, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », 537p. 27 Olivier Roy, op. cit., 2002, p. 9. 28 La umma renvoie une unité, imaginée et souhaitée, de la grande communauté de musulmans. Transcendant les frontières et les nations, cette identité est revendiquée par plusieurs dirigeants d’associations et musulmans à travers le monde. Voir le collectif publié par le Centre d’étude d’Afrique noire en 2003, L’Afrique politique 2002 : l’islam d’Afrique, entre le local et le global, Paris, Karthala, 2003, 358p. 29 Max Weber, Études de sociologie de la religion, Paris, Éditions Plon, 1964, 3 volumes. 30 Laurent Fouchard et André Mary, loc. cit., 2005, p.10.

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conduisent à parler d’une « cocalisation » du monde, soit une uniformisation du fait culturel

et religieux31. Les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, abordent la question par

le prisme de l’économie religieuse globale dont la conjoncture mondiale – libéralisation de

l’économie de marché – a bénéficié aux marchands religieux, aux étudiants formés dans les

universités islamiques du monde musulman, et plus largement à la umma32.

Au vu de ces dynamiques, certains auteurs comme Charlotte Quinn et Frederick

Quinn rappellent que l’islam ne constitue pas un bloc monolithique, qu’il est plutôt animé

par de nombreuses tendances et contradictions 33 . Considérant l’éclatement du champ

musulman en Afrique subsaharienne, plusieurs chercheurs parleront d’islam au pluriel afin

d’exposer la multiplicité des courants et acteurs religieux. Cette pluralité est perceptible

dans les tensions existantes entre les confréries et les divers courants religieux musulmans

qui laissent voir une quête de légitimité et « d’influence au sein de la communauté

musulmane » 34 par les acteurs actifs, mais également dans les débats politiques à

connotation religieuse35.

Bien qu’elle ait été brièvement survolée, la littérature scientifique portant sur l’islam

en Afrique subsaharienne est foisonnante. Cependant, les études qui se penchent

spécifiquement sur le Mali sont beaucoup plus rares. Au tournant des années 1980,

d’importantes études ont été consacrées à l’émergence du wahhabisme et l’islam

traditionnel confrérique au Mali36. Provenant de la terre sainte de l’islam, et donc du centre

spirituel musulman, le wahhabisme porte un discours et une légitimité qui provoquent, dans

31 Jocelyne Cesari, L’islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, Éditions La Découverte, 2004, 291p. 32 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, « Introduction thématique. L’islam subsaharien entre économie morale et économie de marché : contraintes du local et ressources du global », Afrique contemporaine, vol. 3, no. 231, 2009, p. 23-42. 33 Charlotte A. Quinn et Frederick Quinn, Pride, Faith, and Fear: Islam in Sub-Saharan Africa, New York, Oxford University Press, 2003, 175p. 34 Muriel Gomez-Perez, « Autour de mosquées à Ouagadougou et à Dakar : lieux de sociabilité et reconfiguration des communautés musulmanes », in Fouchard, Laurent et al. (dir.), Lieux de sociabilité urbaine en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 21. 35 Adrianna Piga, Islam et villes en Afrique du sud du Sahara : entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala, 2003, 422p. 36 Louis Brenner, West African Sufi. The religious heritage and spiritual search of Cerno Bokar Saalif Taal, Londres, Hurst, 1984, 223p. ; Jean-Loup Amselle, « Le Wahhabisme à Bamako (1945-1985) », Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, vol.19, no. 2,1985, p. 345-357.; Jean-Louis Triaud, « Abd al-Rahman l’African (1908-1957). Pionnier et précurseur du Wahhabisme au Mali », in Odile Carré et Pierre Dumont (dir.), Les radicalismes islamiques, Paris, L’Harmattan, 1986, p.162-179; Louis Brenner, « Constructing Muslim identities in Mali », in Louis Brenner (dir.), Muslim Identity and Social Change in Sub-Saharan, Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 59-78.

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le cas du Mali, une rupture entre ses adhérents et le reste de la communauté musulmane37.

L’historien Lansiné Kaba soutient, dans le premier important ouvrage publié sur la

question, que le réformisme proposé par les wahhabia, qui s’implanta dans l’ensemble de

l’Afrique de l’Ouest dès les années 1950, provoqua un débat si passionnel que chaque

membre de la communauté musulmane dut prendre position38.

Les changements opérés aux plans politique et social dans les années 1990 –

avènement de la démocratie, libéralisation de la vie associative, élections multipartistes –

entrainent une nouvelle approche dans l’étude des dynamiques religieuses au Mali.

Effectivement, l’analyse développementaliste prédomine en établissant un lien de cause à

effet entre la faillite étatique et la prégnance de l’islam. La libération des restrictions des

droits d’expression et d’association, subséquente au processus démocratique, a entraîné une

profusion d’associations musulmanes 39 , et par là même l’élargissement de l’islam à

l’espace public. L’effervescence du religieux amène des auteurs tels que Bintou Sanankoua,

Rosa de Jorio et Louis Brenner à se pencher sur les mécanismes mis en place par les acteurs

qui en sont porteurs. À cet effet, Bintou Sanankoua met l’accent sur l’impact des structures

associatives féminines sur la vie des adhérentes en soulignant que « les associations

féminines sont un instrument de libération entre les mains des femmes musulmanes. Elle

leur permet de rompre le monopole de connaissance islamique des hommes et d’exiger leur

dû en connaissance de cause »40. Un mouvement féminin, qui le rappellera Rosa de Jorio,

reprend des idiomes religieux traditionnellement réservés aux hommes41.

L’émergence du religieux dans l’espace public n’est pas réduite par les auteurs à un

effet réactionnaire isolé. En soutenant que le « Mali a servi de laboratoire de l’islam

contemporain » 42 , certains chercheurs 43 mettent en exergue le rôle qu’a joué l’Arabie

37 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357. 38 Lansine Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French West Africa, Evanston, Northwestern University Press, 1974, p. 254. 39 Bintou Sanankoua, « Les associations féminines musulmanes à Bamako », in Bintou Sanankoua, dir., L’enseignement islamique au Mali, Bamako, Éditions Jamana, 1991, p.105. 40 Bintou Sanankoua, loc. cit., 1991, p. 125. 41 Rosa de Jorio, « Between Dialogue and Contestation: Gender, Islam and the Challenges of a Malian public sphere», Journal of the Royal Anthropological institute, vol. 15, no. 1, 2009, p.103. 42 Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud, loc. cit., 1998, p. 16. 43 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357; Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in René Otayek (dir.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara : Da'wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, Karthala, 1996, p. 161-186; Dorothea Schulz, « Remaking Society from within : Extraversion and the

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Saoudite dans la « montée » de l’islam dans la société malienne. Entre les années 1980 et

1990, ce pays a été un important pourvoyeur de la promotion islamique au Mali par le

financement de madâris, la construction de mosquées, l’octroi de bourses à des étudiants

maliens, etc. L’un des éminents spécialistes du Mali, Benjamin Soares, considère d’ailleurs

que ce serait la doctrine conservatrice musulmane prônée par l’Arabie Saoudite, soit le

wahhabisme, qui prédomine dans l’espace malien 44 . Cet auteur tout comme Stephen

Harmon dresse un portrait du paysage religieux et de la relation entre l’État et le religieux

qu’ils qualifient de poreuse à certains égards45. L’omniprésence de l’islam dans les us et

coutumes, l’espace public et les pratiques quotidiennes est telle que selon Benjamin Soares,

« être Malien équivaut à être musulman »46. Ce dernier soulève également la complexité de

l’influence des groupes sociaux dans l’espace public et les affaires politiques, en soulignant

non seulement la dynamique religieuse, alors animée par « l’éducation religieuse, les

sermons, un visuel médiatique omniprésent et des organisations musulmanes influencées

par les connexions transnationales et globales »47, mais aussi l’importante mobilisation de

jeunes étudiants à l’origine du renversement du régime Traoré 48 . L’espace public

musulman aurait ici nourri un double sentiment d’appartenance, à une communauté

musulmane malienne et à une communauté supranationale.

Afin de rendre compte des changements observés au Mali, des auteurs se sont

également intéressés aux dynamiques sociales, par le prisme des associations musulmanes,

du parcours de leaders religieux émergents ou des prêcheurs de plus en plus présents dans

l’espace public 49. Françoise Bourdarias s’est penchée sur les parcours de militants qui

social Forms of Female Muslim Activism in Urban Mali », in Barbara Bompani et Maria Frahm-Arp (dir.), Development and Politics from below: Exploring Religious spaces in the African States, Londres, Palgrave Macmillan, 2008, p.74-96. 44 Benjamin Soares, « Islam and Public Piety in Mali », in Dale Eickelman et Armando Salvatore (dir.), Public Islam and the Common Good, Boston, Brill, 2004, p. 205-226. 45 Benjamin Soares, « Islam in Mali in Neoliberal Era », African Affairs, vol. 105, no. 418, 2006, p.77-95; Stephen A. Harmon, « Religion and the Consolidation of Democracy in Mali : the dog doesn’t bark », Democracy and Development : Journal of West African Affairs, vol. 5, no. 1, 2005, p. 8-30. 46 Benjamin Soares, loc. cit., 2004, p. 217. 47 Ibidem. 48 Benjamin Soares, « Rasta Sufis and Muslim Youth Culture in Mali », in Linda Herrera et Asef Bayat (dir.), Being Young and Muslim: New Cultural politics in the Global South and North, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 241-257. 49 Naffet Keïta, « Mass médias et figures du religieux islamique au Mali : entre négociation et appropriation de l’espace public », Africa Development, no. 36, 2012, p. 97-118; Dorothea E. Schulz, « A Fractured Soundscape of the Divine. Female Preachers, Radio Sermons and Religious Place-making in Urban Mali », in

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s’inscrivent dans un courant réformateur et qui, par le fait même, s’éloignent de la figure du

militant privé de moyens50. Quant à Robert Deliège, il soulève le poids des associations

dans la construction identitaire et le sentiment d’appartenance des militants51. Par ailleurs,

les deux auteurs, Gilles Holder et Maud Saint-Lary, considèrent que l’espace public malien

est une illustration de l’interaction étroite entre le politique et le religieux, dans la mesure

où il sert « de lieu de subjectivation politique autour d’une revendication identitaire et

culturelle de l’islam en cohérence avec l’identité nationale »52.

L’investissement de l’espace public par une multitude d’acteurs religieux conduit

des chercheurs à analyser la notion d’espace public religieux. À ce titre, Naffet Keïta s’est

penché sur le regain de l’islam au Mali par l’entremise des prêcheurs dominant l’espace

public. Keïta soutient qu’au regard du pouvoir de captation des prêcheurs, « une troisième

voie à la religiosité est en train de se constituer [au Mali] en dehors des rivalités entre

l’islam traditionnel et puriste »53. Quant à Dorothea Schulz, elle souligne l’apparition de

nouveaux acteurs tels que des jeunes militants musulmans et des femmes prêcheuses.

L'auteure révèle dans ses travaux une multitude de courants ne formant pas un bloc

monolithique, mais qui se sont engagés dans un projet modernisateur symbolisé par un

« renouveau islamique » 54 . Utilisant des outils de diffusion diversifiés, ces nouveaux

acteurs ont gagné un statut de leaders religieux, participant du fait même à la

« démocratisation de la connaissance religieuse » 55 . Celle-ci a approché les nouveaux

courants moralisateurs par l’entremise des militants et s’est penchée sur les voies que ces

derniers adoptent pour « se rapprocher de Dieu ». Elle soulève alors dans son ouvrage,

Patrick Desplat et Dorothea E. Schulz (dir.), Prayer in the City : The Making of Muslim Sacred Places and Urban Life, Bielefeld, Transcript, 2012a, p. 239-264; Ferdaous Bouhlel Hardy, « Les médersas du Mali : réforme, insertion et transnationalisation du savoir islamique », Politique étrangère, no. 4, 2010, p. 819-830. 50 Françoise Bourdarias, « L’imam, le soufi et Satan : religion et politique à Bamako (Mali) », in Hélène Bertheleu et Françoise Bourdarias (dir.), Les constructions locales du politique, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2008, p. 115-139; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 51 Robert Deliège R., « Les associations comme supports identitaires », in Momar-Coumba Diop et Jean Benoist (dir.), L’Afrique des associations : entre culture et développement, Paris, Karthala, 2007, p. 103-107. 52 Gilles Holder et Maud Saint-Lary, « Enjeux démocratiques et (re)conquête du politique en Afrique », Cahiers sens public, vol. 1, no.15-16, 2013, p. 186. 53 Naffet Keïta, loc. cit., 2012, p.107. 54 Dorothea Schulz, « Evoking moral community, fragmenting Muslim discourse : Sermon audio-recordings and the reconfiguration of Public debate in Mali », Journal for Islamic Studies, vol. 27, no.1, 2007, p. 39-72. 55 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2012a, p. 243.

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 Muslims and New Media in West Africa. Pathways to God 56, l’ambiguïté du renouveau

moralisateur au Mali qui défie les mécanismes étatiques tout en cherchant à les intégrer, par

le biais de partenariats ou de collaborations. Au regard de ces dispositions, l’islam devient

un moyen d’accéder à un espace de négociation et d’expression.

Ceci nous amène à explorer un sujet sociologique largement étudié au cours des

dernières années par les historiens spécialistes de l’Afrique de l’Ouest, soit la jeunesse.

Dans la mouvance euphorique post-indépendance, certains auteurs soulignent les prémisses

de rapports inégaux entre aînés et « cadets sociaux »57 et une récupération politique de la

jeunesse 58. En ce qui a trait aux jeunes, proprement dits, à l’exception de l’important

ouvrage dirigé par Hélène d'Almeida-Topor et alii, Les jeunes en Afrique, XIXe et XXe

siècle, paru en 1992, qui offre une réflexion approfondie sur la question, peu d’historiens se

sont penchés sur le sujet avant les années 1990. La jeunesse a été en revanche

abondamment étudiée par des anthropologues, sociologues et politicologues59. Parmi les

différentes trajectoires, une vision plutôt défaitiste définit la jeunesse comme une

génération « perdue »60. Cette vision renvoie à une jeunesse appartenant à une époque

marquée par une morosité économique et politique qui persiste dès les années 1980, à la

suite des ajustements structurels imposés aux États africains par le Fonds Monétaire

International (FMI) et la Banque Mondiale. Dans l’ensemble, les ajustements structurels

ont entraîné la diminution du pouvoir d’achat et le désinvestissement de l’État dans les

affaires publiques, ce qui a eu pour effet d’accentuer les écarts de classes et le

mécontentement social61. Comme l’ont souligné Mamadou Diouf et René Collignon, « la

question des jeunes n’est visible que lorsqu’il s’agit de perturbations ou controverses de

56 Dorothea Schulz, Muslims and New Media in West Africa: Pathways to God, Bloomington, Indiana University Press, 2012c, 306p. 57 Karl Mannheim, Le problème des générations, Paris, Colin, 2011 [1928], 162p. 58 Achille Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire. Paris, L’Harmattan, 1985, 247p. 59 El-Kenz, « Les jeunes et la violence », in Stephen Ellis (dir.), L’Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995, p. 88-109; Tshikala Biaya, « Jeunes et culture de la rue en Afrique urbaine », Politique africaine, vol. 4, no. 80, 2000, p. 12-31; John Comaroff et Jean Comaroff, « Réflexions sur la jeunesse : du passé à la postcolonie », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 90-110; René Collignon & Mamadou Diouf, « Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p. 5-15; Filip De Boeck et Alcinda Honwana, Makers and Breakers : Children and Youth in Postcolonial Africa, Oxford, James Currey, 2005, 244p. 60 Donal Cruise O’Brien, « A lost generation? Youth identity and state decay in West Africa », in Richard Werbner, dir., Postcolonial identities in Africa, London, Zed Books, 1996, p. 55-74. 61 Benjamin Soares, loc. cit., 2010.

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l’ordre public »62. Les jeunes sont donc vus comme une source d’infortune63. En raison du

contexte socioéconomique difficile, les jeunes sont présentés comme porteurs de violence

et de dissidence64. De nombreux écrits soulignent la précarité, la marginalisation de la

jeunesse ce qui conduit à des dysfonctionnements sociopolitiques 65 et à une hybridité

identitaire qui s’articule entre l'individualisation (ou quête individuelle) et la fidélité à la

communauté, locale et élargie66.

Au tournant des années 2000, les auteurs ont défini la jeunesse africaine en la

distinguant de la jeunesse occidentale en tant que catégorie transhistorique et

transculturelle 67 . On dépeint alors une jeunesse qui s’organise soit en parallèle aux

systèmes étatiques ou en partage, et qui s’inscrit dans les logiques de la modernité, soit par

l’affirmation de son individualité et par l’intégration d’une dynamique culturelle et

économique mondialisée 68 . La « débrouillardise » et la capacité « d’agency » de cette

jeunesse désœuvrée 69 témoignent de l’espace de création et d’expression qu'elle s’est

approprié dans les sociétés ouest-africaines. C’est dans cette perspective que les travaux de

Muriel Gomez-Perez et de Marie Nathalie LeBlanc mettent en exergue les dynamiques

d’individualisation dans l’espace public et religieux 70 . Les auteures soulignent qu’en

investissant l’espace urbain, les jeunes cherchent à divulguer leur islamité par l’adoption de

nouveaux codes culturels, mode de vie et lieux de sociabilité. Cette démonstration publique

de leur islamité s’illustre en concomitance avec des appartenances locales et nationales et

62 Mamadou Diouf et René Collignon, « Introduction. Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p.10. 63 Filip De Boeck et Alcinda Honwana, op. cit., 2005. 64 Jennifer Cole et Deborah Durham, « Introduction : Age, Regeneration, and the Intimate Politics of Globalization », in Jennifer Cole et Deborah Durham (dir.), Generations and Globalization : Youth, Age, and Family in the New World Economy, Bloomington, Indiana University Press, 2007, p. 1-28; Ali El-Kenz, loc. cit.,1995. 65 Jon Abbink et Ineke Van Kessel, Vanguard or Vandals : Youth, Politics, and Conflict in Africa, Leiden, Brill, 2005, 300p. 66 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, « Jeunes musulmans et citoyenneté culturelle : retour sur des expériences de recherche en Afrique de l’Ouest », Sociologie et sociétés, vol. 39, no. 2, 2007, p. 39-59; Benjamin Soares, loc. cit., 2010. 67 Mamadou Diouf et René Collignon, loc. cit., 2001, p. 5-15. 68 John Comaroff et Jean Comaroff, loc. cit., 2000; Tshikala Biaya, loc. cit., 2000. 69 Jennifer Cole et Deborah Durham, loc. cit., 2007, p. 1-28; Alcinda Honwana, « Innocents et coupables : Les enfants-soldats comme acteurs tactiques », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 58-78. 70 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2007; Marie Nathalie LeBlanc, « Les trajectoires de conversion et l'identité sociale chez les jeunes dans le contexte postcolonial ouest-africain : les jeunes musulmans et les jeunes chrétiens en Côte-d'Ivoire », Anthropologie et société, vol. 27, no. 1, 2003, p. 85-110.

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avec un attachement à une « citoyenneté de type universel et contemporaine qui tient

compte d’une certaine manière des relations mondialisées »71.

Quant aux spécialistes du Mali, ils observent un élan de la jeunesse musulmane dans

l’espace public religieux. Benjamin Soares et Dorothea Schulz ont rendu compte du

dynamisme des associations religieuses au sein desquelles de jeunes activistes appellent à

un retour au fondamentalisme islamique et dénoncent toute dérive culturelle non conforme

aux pratiques religieuses, autrement qualifiées d’« unlawful innovations »72. Ces derniers

s’inscrivent dans un mouvement de revendications qui se fait par le biais d’actions

politiques dites non traditionnelles où les jeunes « invoquent couramment la religion au sein

des associations »73. Les capacités d’influence de la jeunesse malienne ne s’illustrent pas

seulement par la prépondérance des organisations sur des questions politiques, mais

également dans la mise en visibilité de son islamité dans l’espace public. Des chercheurs

avancent que des codes vestimentaires et langagiers sont adoptés par les disciples afin de

distinguer les courants musulmans, mais aussi, désigner le « bon musulman » du musulman

de naissance74. Benjamin Soares rapporte que les jeunes s’engagent dans la publicisation de

l’islam lorsque ceux-ci exposent ouvertement l’assiduité à laquelle ils fréquentent la

mosquée et en divulguant fièrement le seere 75 . Ces pratiques témoignent, certes d’un

engagement croissant du fidèle dans sa foi, mais également d’une montée du piétisme au

Mali. On observe, dans les espaces musulmans de sociabilité, un intérêt grandissant pour la

question sur la piété du musulman et les codes à adopter pour faire figure de « bon

musulman »76.

À la lecture du bilan historiographique, nous constatons que la littérature relève la

pluralité islamique et diverses figures de la jeunesse africaine. Les auteurs ont aussi centré 71 Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », p. 21. 72 Dorothea E. Schulz, op. cit., 2012c. 73 Benjamin Soares, loc. cit., 2010, p. 242. 74 Gilles Holder, «Vers un espace public religieux : Pour une lecture contemporaine des enjeux politiques de l’islam au Mali», in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008. 75 Le seere (en bambara, langue courante au Mali) est une tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique régulièrement la prière. L’un des mouvements du rituel de prière consiste à se prosterner et mettre la tête au sol, ainsi une tâche peut apparaître à force de répéter le mouvement. Elle témoigne aux yeux de tous de la foi du croyant, voir Benjamin Soares, loc. cit., 2004. 76 Benjamin Soares, loc. cit., 2004, p. 206.

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les études, au cours des vingt dernières années, sur les effets et les impacts locaux de la

globalisation de l’islam. Parallèlement, on remarque de nouvelles approches dans l’analyse

de la jeunesse qui mettent en exergue la « débrouillardise » et les multiples capacités

d’affirmation dont elle fait preuve. Le présent mémoire s’inscrit dans cette tendance en

centrant l’analyse autour du croisement du religieux, du politique, de l’individu et de

l'appartenance à une communauté afin de rendre compte de l'aspect ambivalent des

dynamiques identitaires de jeunes maliens dans des contextes de profondes crises

politiques.

C. Problématique et hypothèses

Au regard de l’importante montée du piétisme, de l’apparition de nouvelles figures

religieuses et de la proximité entre le fait religieux et politique, nous sommes amenés à

nous pencher sur les dynamiques d’une effervescence islamique au Mali fortement investie

par des jeunes urbains. Par l’entremise d’associations musulmanes, des jeunes activistes

bamakois appellent à une « remoralisation » de la société et dénoncent toute dérive

culturelle non conforme aux pratiques religieuses. Les actions de cette jeunesse 77 ne

s’illustrent pas seulement par leur investissement dans l’espace public et dans les affaires

politiques, mais également par la visibilité de leur « islamité » qui passe par l’adoption d’un

code de comportement ou d’un discours moralisateur78. Au-delà du cadre associatif, ces

actions trouvent écho dans des espaces à caractère laïque, tels que des grins de quartier, des

stades ou bien même des commerces.

Alors que l’on observe une montée du piétisme depuis les années 1990 et un

investissement croissant de la jeunesse musulmane dans la sphère islamique malienne, la

présente recherche se penchera sur la pluralité des systèmes d’appartenance et des

constructions identitaires qui en résultent. Cette pluralité est alimentée par des facteurs

77 Ce groupe à l’étude est constitué de jeunes musulmans bamakois. Ceux-ci sont définis par leur parcours de vie et par les différentes étapes d’insertion sociale qu’ils affrontent et qui les maintiennent dans un statut de «jeune social». L’emploi de cette notion justifie le fait que cette jeunesse n’est pas catégorisée par l’âge biologique mais plutôt par son insertion sociale. Or, les jeunes à l’étude se présente comme suit : jeunes musulmans scolarisés ou non, sans emploi, célibataire (civilement) et dépendant financièrement. Ainsi, un homme âgé d’une trentaine d’années correspondant à ce profil est encore considéré, aux yeux de sa famille et de la société, comme étant un jeune. 78 Gilles Holder, loc. cit., 2009.

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internes, tels que les tensions idéologiques entre les différents courants musulmans présents

au Mali, et par des facteurs externes, tels que les flux financiers provenant des pays du

Moyen-Orient, ainsi que par les conflits à caractère religieux qui traversent la région

sahélienne. On se penchera ainsi sur les mécanismes de quêtes identitaires qui s’inscrivent

dans un islam tant local que globalisé et dans des contextes politiques difficiles, soit la crise

nationale de 1990 et celle de 2012. Nous avançons donc l’idée que les jeunes s’insèrent

dans plusieurs systèmes d’appartenances religieuses selon les circonstances propres à leurs

époques. À l’image d’une sphère religieuse plurielle, les divers parcours des jeunes

musulmans illustrent de multiples voies d’être et d’affirmer son islamité. Nous pensons

donc que «l’étude des identifications diverses opérées au moyen du concept d’islam offre

[…] une clé importante pour la compréhension des rapports entre islam, conscience

nationale […] et processus d’internationalisation »79.

Il importe également de mentionner que ces identités, d’une jeunesse en quête

d’affirmation, s’inscrivent dans une société où le fait religieux s’illustre comme un fait

social total. Or, l’engagement de la jeunesse malienne dans la sphère islamique vivifie

véritablement le fait religieux, entraînant son intégration dans toutes les sphères de la

société. L’intrusion des affaires privées et religieuses dans l’espace public, dit indépendant,

entraînerait finalement sa refonte. Autrement dit, l’identité musulmane malienne serait

influencée par une dynamique quasi fusionnelle entre le public et le privé, le politique et le

religieux, le local et global80.

Cette pluralité d’appartenances met en exergue un processus d’individualisation81

qui répond à une recherche d’équilibre entre une quête personnelle d’affirmation et un

souci de s’intégrer à l’ensemble de la communauté musulmane 82 . Autrement dit,

l’accomplissement d’un projet de société serait réalisable avec la participation quotidienne

de chaque individu et le respect des valeurs islamiques. En effet, les jeunes, motivés à la

fois par une quête personnelle et par la volonté d’intégrer une communauté religieuse

79 Jacques Waarbenburg, « L’islam et l’articulation d’identités musulmanes », Social Compass, vol. 41, no. 1, 1994, p. 22 80 Lors de la célébration de la journée d’Al-Qods, tenue à la mosquée de Missira II, les représentants religieux présents ont fait appel « à l’unité de la Umma islamique » et à sa mobilisation pour la libération de la Palestine. Amadou N’Fa Diallo, « Journée d’Al-Qods : Musulmans, unissez-vous! », L’Aube, 8 octobre 2007. 81 Le concept d’individualisation sera défini au chapitre I, p. 18. 82 Benjamin Soares, loc. cit., 2004.

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élargie, s’évertuent à divulguer leur islamité par l’adoption de nouveaux codes culturels,

d’un nouveau mode de vie, par l’investissement d’associations islamiques et de lieux de

sociabilité à caractère religieux. Cet engagement dans divers ces réseaux renferme des

aspirations tant personnelles que collectives. Dans cette perspective, l’articulation des deux

quêtes de la jeunesse maliennne, l’une identitaire et l’autre sociale est mise en exergue. Le

désir de « remoraliser » la société est porté par les Maliens musulmans de toutes tendances,

profils et générations confondus. Ce projet social est attesté par une surenchère de l’identité

musulmane au quotidien.

Par ailleurs, ces appartenances révèlent des dichotomies identitaires. Les diverses

crises sociales et politiques, qui gagnent également un caractère moral, invitent les acteurs

de la communauté musulmane à participer aux débats sociaux qui concernent les valeurs

islamiques83. Dans certains cas, les jeunes mettent de l’avant leur identité confessionnelle

(islamité) au détriment de leur identité nationale (le fait d’être Malien avant tout) ou

l’inverse, tandis que d’autres sont en quête d’entre-deux. Dans un contexte de crise, où

l’unité et l’identité nationale sont mises à mal, on en vient à s’interroger sur l’impact du fait

global sur le local84. Un double discours surgit en réaction à l’influence des divers courants

et mouvements musulmans et transnationaux : certains jeunes rejettent vigoureusement les

pratiques religieuses considérées comme étrangères au Mali, tandis que d'autres appellent à

leur intégration voire à leur mise en exergue. On en vient à parler d’une scission identitaire

et confessionnelle.

83 Christian Coulon, op. cit., 1983, p. 26. 84 René Collignon et Mamadou Diouf, loc. cit., 2001.

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D. Plan du mémoire

Avant d’entamer la démonstration de la problématique, il sera question, dans un

premier temps, de la constitution du corpus et de la méthodologie adoptée. Les concepts

clés, les sources employées et l’approche méthodologique seront clarifiées dans un premier

chapitre. Le deuxième chapitre sera consacré aux stratégies des deux associations

musulmanes à l’étude, l’UJMMA et Ançar Dine, ainsi qu’aux tensions profondes qui

colorent les relations entre les représentants religieux. Ceci permettra de mettre en

perspective la complexité et le pluralisme de la sphère religieuse malienne. Le troisième

chapitre offrira une réflexion sur l’impact de la crise nationale, identitaire et morale

malienne sur les constructions identitaires et la représentation de l’Autre. Nous mettrons en

perspective la lecture qu’en font les membres associatifs et les leaders religieux, ainsi que

les solutions proposées pour une sortie de crise.

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Chapitre I

CONCEPTS, SOURCES et MÉTHODOLOGIE

Avant d’en arriver à la démonstration, il importe dans un premier temps, de définir

les concepts phares et utiles à la compréhension de la problématique, à savoir «espace

public», «jeunes» et «individualisation». Dans un deuxième temps, nous présenterons le

corpus de sources utilisées et la méthode employée. Dans un troisième temps, nous nous

attarderons sur le traitement des sources orales, une méthode largement exploitée dans les

travaux effectués en Afrique de l’Ouest, tant en anthropologie, en sociologie qu’en histoire

contemporaine. Pour terminer, nous effectuerons un retour sur le terrain de recherche afin

d’aborder ses limites et ses avantages.

A. « Espace public », « jeunesse » et « individualisation » : définition des

concepts clés

Il est incontournable, voire inévitable, d’élaborer une historiographie de l’espace

public sans souligner l’œuvre d’Habermas Jürgen 85 . Le philosophe et théoricien situe

l’espace public entre la sphère privée (de l’ordre du domestique) et la sphère du pouvoir

public (domaine de l’État). Bien que l’ouvrage de Calhoun propose une lecture critique de

son œuvre en regard notamment de l’absence du religieux86, l’étude du concept en Afrique

devient d’autant plus importante depuis l’affirmation de la société civile dans l’espace

public et religieux. Pour faire état des réalités ouest-africaines, il est essentiel de dépasser le

caractère normatif du concept habermassien d’espace public qui s’inscrit essentiellement

dans l’histoire européenne87. En ce sens, le collectif dirigé par Gilles Holder est pertinent;

l’auteur y analyse l’étroite relation entre l’espace public et religieux et l’organisation des

acteurs sociaux, notamment au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. On

fait part dans l’ouvrage d’une « densification du religieux dans l’espace public », alimentée

85 Voir Jügen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, 324p. 86 Voir l’ouvrage de Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere, Cambridge, MIT Press, 1992, 498p. 87 Michèle Leclerc-Olive, « Sphère publique religieuse : enquête sur quelques voisinages conceptuels », in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 38.

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par l’émergence de nouveaux acteurs politiques88. L’espace public, entendu comme une

sphère indépendante de l’espace privé et politique, ne s’applique pas de la même manière

au Mali. L’intrusion du religieux dans les affaires publiques et privées reconfigure les

limites théoriques du concept. Gilles Holder rejoint la notion du « fait social total » soutenu

par Marcel Mauss, en soulevant l’étroite articulation observée au Mali entre le public et le

privé, le politique et le religieux, et finalement l’individu et Dieu89. Dans le présent travail,

nous tenterons d’évaluer le poids des acteurs religieux dans les débats publics, la relation

entre ceux-ci et l’État et la dynamique religieuse dans l’espace public. L’usage du concept

d’espace public nous éclairera sur l’influence des associations musulmanes et des

confréries qui se substituent dans une certaine mesure à l’État90.

Par ailleurs, un autre concept, indispensable à la compréhension des interactions

sociopolitiques en Afrique de l’Ouest, est à prendre en compte, celui de jeunesse. Il ne se

définit pas uniquement selon des critères biologiques, mais également selon des critères

sociaux. L’anthropologue Meyer Fortes souligne dans ses travaux que les stades de la vie

sont déterminés par des signes biologiques, mais aussi par la structure sociale et culturelle

encadrant l’individu91. Dans la même lignée, l’anthropologue Deborah Durham souligne

que le concept de jeunesse ne peut être basé que sur un âge biologique. Elle suggère de

prendre en considération le contexte social et culturel et d’autres variables telles que le

genre, la religion, la classe sociale, les responsabilités et l’ethnie92. Autrement dit, dans les

sociétés africaines, un adulte peut être considéré comme tel s’il respecte plusieurs critères, à

savoir celui d’être indépendant financièrement, marié et en mesure de subvenir aux besoins

de sa famille93. Cette étape particulière de la vie, appelée « life-stage » par l'anthropologue

Karl Mannheim, située entre l’enfance et l’âge adulte est élastique. Cet auteur souligne que

le concept de la jeunesse, en tant que catégorie sociale, est à situer selon le contexte auquel

88 Gilles Holder, loc. cit., 2009, p. 12. 89 Ibidem. 90 Aminata Diaw, « Nouveaux contours de l’espace public en Afrique », Diogène, vol. 2, no. 206, 2004, p. 39. 91 Meyer Fortes, « Age, Generation, and Social Structure », in David I. Kertzer et Jennie Keith (dir.), Age and Anthropological Theory, Ithaca, Cornell University Press, 1984, p. 99-122. 92 Deborah Durham, «Youth and the Social Imagination in Africa : Introduction », Anthropological Quarterly, vol. 73, no. 3, 2000, p.116. 93 Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2003, p. 94.

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il appartient, suivant le partage d'un destin commun et au regard des relations et influences

mutuelles qu’il entretient avec les autres groupes d’âge94.

Enfin, considérant l’approche adoptée dans cette recherche, l’on ne pourrait faire

l’économie de définir un troisième et dernier concept, celui d’individualisation. L’on ne

saurait ignorer l’ouvrage d’Alain Marie, L’Afrique des individus, dans lequel il fait poindre

le concept « d’individuation » et « d’individualisation »95. Afin de saisir les dynamiques

sociales africaines, Alain Marie s’est penché, dans ses travaux, sur l’individu en tant que

sujet d’étude en avançant une thèse qui « exclut l’alternative entre individualisme et

communautarisme »96. Les nuances et les distinctions sont à établir afin de mieux saisir les

mécanismes d’émergence des jeunes musulmans. L’individuation définit l’individu en tant

que personnalité nécessaire au fonctionnement du système social, ses actions répondent au

bien commun. Autrement dit, on parle ici d’un « procès banal de la reconnaissance

quotidienne de l’individualité des individus […], sous conditions, quand il s’agit de gens

ordinaires, qu’ils sachent rester à la place qui leur est assignée » 97 . Tandis que

l’individualisation renvoie à l’émancipation de l’individu, soit un processus

d’affranchissement et de distanciation de la communauté. Une distanciation du groupe qui,

toutefois, peut s’effectuer de manière partielle ou relative, « en ce sens qu’elle implique non

pas de ruptures, mais des réaménagements sélectifs »98. Cette dernière définition rejoint

notre lecture de parcours des témoins rencontrés au Mali.

B. Corpus des sources primaires

Ce mémoire s’appuie sur un corpus de sources variées. Afin de mener à terme notre

démonstration, nous avons employé à la fois des sources orales issues d’entretiens menés

auprès de militants musulmans, de responsables d’associations religieuses et de leaders

religieux, dans le cadre d'un travail de terrain qui a duré deux mois, ainsi que de sources

94 Karl Mannheim, op. cit., 2011 [1928], p. 50. 95 Alain Marie, L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997, 438p. 96 Alain Marie, « Communauté, individualisme, communautarisme: hypothèses anthropologiques sur quelques paradoxes africains », Sociologie et société, vol. 39, no. 2, 2007, p.177. 97 Alain Marie, op. cit., 1997, p.73. 98 Alain Marie, op. cit., 1997, p.105.

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écrites, tels que des articles de journaux locaux et de documents légaux d’associations à

l’étude.

a) Les sources orales

Dans l’objectif de poursuivre des études de cas, la collecte des sources la plus

importante s’est effectuée à Bamako. En plus d’être la capitale du Mali, Bamako est le

centre administratif, politique et culturel du pays. La croissance démographique et

économique ainsi que le renouveau politique font de cette ville le lieu où siègent les

principales associations islamiques et où s’observe la plus importante mobilisation sociale.

Par ailleurs, notre choix s’est arrêté sur le quartier Bankoni, situé en périphérie de la

capitale, en raison de l’effervescence religieuse qui s’observe à la suite de l’implantation

des quartiers généraux d’Ançar Dine en 1991. On y retrouve aujourd’hui une mosquée

appartenant au mouvement, pouvant accueillir des milliers de fidèles et une école coranique

d’une capacité de 2000 élèves99. Le travail de terrain nous a menés dans d’autres quartiers

de Bamako, notamment dans la Dravéla et l’ACI-2000, le premier est un quartier populaire

situé au centre-ville et le deuxième, plus aisé, est occupé par les grandes organisations

religieuses internationales et les corps d’armée étrangers. On retrouve, par ailleurs, au cœur

de l’ACI-2000, le siège de l’UJMMA et la résidence de son leader, Macky Bah.

Notre objectif sur le terrain était d’abord de rejoindre deux générations de jeunes –

une première génération qui a connu une crise nationale et une transition démocratique en

1990 (13 personnes) et la génération de jeunes d’aujourd’hui (15 personnes). Questionner

ces deux générations, qui ont vécu des perturbations politiques et sociales à des époques

différentes, offre une lecture pertinente des constructions identitaires en période de crises

nationales. Cette approche est également une fenêtre sur les transformations

socioreligieuses qui se sont opérées au Mali au cours des deux dernières décennies. Parmi

les individus interviewés, nous avons ciblé des membres actifs au sein d’associations

musulmanes nationales à l’étude (six militants d’Ançar Dine et le fils aîné du guide

d’Ançar Dine, Ahmed Haïdara, trois membres du HCI et cinq membres de l’UJMMA, dont

99 Philippe Leymarie, «Irruption des religieux en politique», Monde diplomatique, janvier 2013, [En ligne] : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/01/LEYMARIE/48595, consultée le 7 avril 2014.

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le président, Macky Bah). Les contacts que nous avons effectués sur le terrain nous ont

également permis de diversifier les profils de militants et, de ce fait, rencontrer un militant

de l’Association malienne pour la solidarité, de la culture et du développement

(AMSODEC) et une militante de l’Agence Musulmane d’Afrique (AMA). Dans une

volonté d’atteindre un équilibre hommes-femmes, nous avons approché la branche

féminine de l’UJMMA qui nous a menés à une association de femmes de quartier,

l’Association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de

l’islam, au sein de laquelle trois femmes ont été rencontrées. Cette association œuvre dans

un quartier construit par l’État appelé les 1008 logements et situé au sud du fleuve Niger.

Toujours dans un souci de diversifier les profils, nous avons eu la chance de rencontrer des

jeunes étudiants (4), des jeunes non scolarisés (3), des personnes sans-emplois qui ne

militent auprès d’aucune association (5) et des membres du HCI (3). Somme toute, les

entretiens ont été conduits auprès de 28 personnes, dont six femmes, huit arabophones et

vingt francophones. Étant donné que nous nous sommes concentrés sur les membres des

deux associations à l’étude, une majorité de nos témoins sont francophones.

Les entretiens ont duré entre une heure et une heure trente, dans le lieu choisi par le

témoin. La plupart des militants, de toutes associations confondues, ont été rencontrés au

siège de leur association. D’autres entretiens ont été menés chez l’interviewé, dans les

« grins », les bureaux prêtés par notre contact, les commerces ou bureaux des témoins, et

exceptionnellement chez la chercheure. La très grande majorité des entretiens, anonymes,

se sont déroulés en privé, ce qui a eu pour effet de mettre en confiance les interviewés.

Nous avons choisi de ne pas enregistrer les échanges afin d’assurer une liberté de la parole.

Effectivement, en raison du contexte politique (crise au nord du Mali) et religieux sensible

(tensions entre les divers courants religieux) l’enregistrement audio nous paraissait peu

judicieux, car il pouvait susciter la méfiance auprès de nos informateurs. Nous avons alors

choisi d'opter pour une prise de notes active puis de retranscrire les entretiens, en prenant

bien soin de noter les réactions non verbales et les silences suite à une question.

Précisons que nous étions en contact avec deux individus avant de commencer le

terrain au Mali : un jeune malien d’obédience wahhabia vivant à Bamako, Issa, et l’imam

montréalais d’origine malienne, Omar Koné. L’apport de ces deux contacts fut précieux. Le

premier fut présent tout au long du séjour, nous ouvrant grand la porte de sa résidence

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familiale, notamment chaque soir durant le mois de carême, et ce, jusqu’à la fin du séjour.

Cette immersion a considérablement renforcé notre compréhension de la société malienne

dans la mesure où nous avons pu observer les rites religieux, de surcroît durant le ramadan,

les pratiques quotidiennes des membres de cette famille trigénérationnelle, les activités

ludiques, la structure familiale polygame et les dynamiques de cohabitation. Les relations

tissées avec cette famille nous ont également permis d’élargir notre réseau de témoins. Bien

qu’aucun membre du noyau familial n’ait été interviewé, de nombreux témoins ont été

rencontrés par leur entreprise, tel qu’un membre du HCI. En ce qui concerne l’imam Koné,

il nous a permis de rentrer en contact avec l’UJMMA par l’entremise d’un des membres

fondateurs. Après une première rencontre dans chaque lieu ciblé, tel que les sièges

d’associations, les informateurs ont été contactés principalement grâce à la méthode boule

de neige qui consiste à rejoindre le réseau des premiers interlocuteurs. Cette approche s’est

avérée très efficace sur le terrain. Nous avons rejoint des militants ou des jeunes non

scolarisés et des personnes sans-emploi soit au sein de leurs associations respectives ou lors

des rencontres de « grins » 100 . La plupart des entretiens ont été individuels et chaque

personne a été vue une fois au cours d'un terrain qui a duré deux mois, du 11 juin au 7 aout

2014. Seuls deux individus ont été rencontrés à deux reprises en raison d’un contretemps.

Par ailleurs, une séance a été menée auprès d’un groupe de quatre militants d’Ançar Dine

détenant des postes administratifs pour être ensuite rencontré de manière individuelle.

L'anonymat a été respecté lors des entretiens conformément à la politique du Comité

d'éthique de l'Université Laval, excepté pour Macky Ba et Ahmed Haïdara étant donné que

ce sont des personnes connues par le grand public. Mentionnons également que nous avons

eu recours à des services de traduction dans le cadre d’entretien, à deux reprises ; soit avec

un jeune wahhabia et un imam appartenant à la première génération. Maitrisant

parfaitement le français et le bambara, Issa, précédemment cité, a assuré la traduction.

Quant au travail d’observations, nous prévoyions initialement les mener de façon

concomitante dans les espaces de sociabilité de Bamako fréquentés par les jeunes

100 Banégas, Brisset-Foucault et Cutolo rapportent que ces espaces d’expression reflètent une division classique des rôles sociaux. La prise de parole publique (lors des grins) est attribuée aux hommes uniquement, et d’expériences, selon leur âge ou leur éducation. Voir Richard Banégas, Florence Brisset-Foucault et Armando Cutolo, « Introduction au thème : Espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique », Politique africaine, vol. 3, no. 127, 2012, p. 5-20.

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musulmans, soit à la sortie de la prière du vendredi, lors des cours de Coran du soir, dans

l’enceinte des mosquées du vendredi, dans les centres d’études coraniques, dans des lieux

de rassemblement de discussion (les « grins »). Cette méthode était inspirée des recherches

menées par l’anthropologue Janson Marloes effectuées auprès des jeunes du mouvement

musulman prosélyte Jama’at Tabligh101. La réalité de notre terrain à Bamako était quelque

peu différente dans la mesure où notre terrain s’est effectué durant le mois de ramadan et à

la période du grand pèlerinage, ce qui nous a empêchés de rencontrer certaines personnes,

alors occupées par leurs préparatifs pour se rendre à La Mecque. De surcroit, la durée de

notre terrain étant relativement courte, nous avons dû réévaluer nos objectifs en termes de

lieux à couvrir. Nous avons donc dû réduire les lieux d'investigation en menant nos

observations dans des mosquées lors de grands rassemblements associatifs, tels que les

prêches du vendredi, dans les quartiers généraux d’Ançar Dine et de l’UJMMA et dans un

« grin » situé dans la Dravéla. Finalement, en tant que femme, investiguer au sein de

milieux essentiellement masculins s’est avéré quelquefois être un obstacle. L’une des

principales difficultés du terrain fut de déceler, dans la mesure du possible, à quelle

tendance l’individu rencontré appartient afin de ne pas tendre la main s’agissant d’un

individu d’obédience wahhabia, et dans le cas inverse, de ne pas froisser l’interlocuteur en

manquant de le saluer « convenablement ». Outre ces quelques difficultés circonstancielles

relatives au ramadan et au pèlerinage, le terrain s’est très bien déroulé.

b) Les sources écrites

Dans la mesure où la presse est le reflet des préoccupations sociales et politiques de

la société civile, nous avons effectué un dépouillement de la presse écrite à des fins de

contextualisation et d’analyse. La presse malienne couvre largement les questions d’ordre

religieux et les débats qui en découlent. Les articles rapportant notamment des

rassemblements publics religieux, des célébrations religieuses ou des prises de paroles et

interventions du HCI ou de leaders religieux ont été sélectionnés. Considérant la dimension

101 Dans l’article Battle of Ages : Contests for Religious Authority in the Gambia, l’auteure expose la religiosité et la quête identitaire de jeunes appartenant au mouvement prosélyte Jama’at Tabligh. Celle-ci partage de manière tout à fait rigoureuse et honnête ses propres perceptions, les comportements observés chez ces jeunes, le langage employé par ces derniers et l’aide apportée par l’interprète sur le terrain.

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politique de notre problématique, des articles qui font état de l’intervention militaire de la

France au nord du Mali, de l’insurrection touareg ou des relations internationales et

transnationales avec les pays arabo-musulmans ont également été retenus. Notre corpus est

constitué d’une centaine d’articles.

En raison d’une libéralisation tardive de la liberté de presse, entreprise dès 1991, les

journaux maliens étaient beaucoup moins abondants à cette époque qu’aujourd’hui. Par

ailleurs, les archives accessibles sur les moteurs de recherche tels que Maliweb 102 et

Allafrica103 offrent une lecture très restreinte, voire inexistante, de la presse des années

1990. En ce qui a trait aux publications plus récentes (2012-2013), elles ne sont que

partiellement accessibles. L’accès à la presse étant incomplet dans ces moteurs de

recherche, la collecte des sources écrites s’est effectuée principalement par l’exploitation

des archives de la bibliothèque américaine Library of Congress. Le choix des journaux,

arrêté à trois quotidiens, justifie la nécessité d’un croisement des approches journalistiques.

La sélection des quotidiens constituant le corpus a été faite selon les dates de

fondations des journaux, leurs orientations et la pertinence de leurs analyses sur des

questions socioculturelles. Les deux seuls quotidiens existant au Mali en 1990, L’Essor et

Les Échos, ont été sélectionnés et dépouillés pour les années 1900 et 1991. Le premier,

quotidien propriété du gouvernement, fondé en 1947, fut un instrument de propagande pour

l’indépendance, et plus tard, pour l’État. Il est par ailleurs aujourd’hui sous la direction

d’un ancien Premier ministre, Ousman Maiga. Tiré à plus de 8 000 exemplaires par jour,

L’Essor est le quotidien de référence au Mali104. Tandis que le second, fondé en 1989, se

veut une vitrine d’expression populaire, perceptible notamment par le titre et par le biais de

la rubrique « Débats ». Les lignes éditoriales de ces deux journaux sont aux antipodes, ce

qui offre une lecture intéressante de la société malienne durant cette décennie.

Pour la borne chronologique supérieure, nous nous sommes heurtés à un problème

d’accessibilité d’articles sur Internet. Le moteur de recherche qui s’est avéré le plus efficace

pour collecter les articles, « Maliweb.net »105, ne diffuse pas l’ensemble des articles publiés

102 http://www.maliweb.net 103 http://allafrica.com 104 Thierry Perret, « Médias et démocratie au Mali : le journalisme dans son milieu », Politique africaine, vol. 1, no. 97, 2005, p. 24. 105 http://www.maliweb.net/

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sur version papier. Afin de recueillir un nombre suffisant d’articles portant sur les sujets

ciblés, nous avons dû élargir les sources journalistiques afin de recueillir suffisamment

d’articles pertinents : L’indépendant, le Flambeau, Maliba Info, Le Républicain, Le

Reporter, Le Prétoire, Le Progrès, Le Potentiel, L’Aube, L’Agora. Considérant l’emploi

d’un outil de recherche différent que celui utilisé pour la borne inférieure, nous avons

recueilli ces sources pour des sujets ciblés préalablement et soulevés par nos témoins :

Code de la famille, saccage de mausolées, instauration de la sharia au Nord, Maouloud, 2e

congrès du Haut Conseil Islamique.

Nous avons également exploité les documents stratégiques des associations à

l’étude (UJMMA et Ançar Dine). Les membres d’Ançar Dine nous ont donné accès aux

statuts, au rapport moral et financier pour l’année 2013-2014, au document régissant la

règlementation de la Fédération Ançar Dine Internationale (FADI), tandis que l’UJMMA

nous a transmis les statuts et les règlements intérieurs de l’association. Ces documents

administratifs nous ont permis de mieux saisir les structures organisationnelles et

financières des deux associations, leurs objectifs et stratégies.

C. Méthodologie de traitement des sources

Pour mener à bien cette recherche sociohistorique, nous avons mis l’accent sur

l’investigation et l’approche qualitative, et ce, par l’emploi d’entretiens semi-dirigés et

d’observations non participantes. Considérant l’influence du chercheur dans les échanges,

nous avons adopté pour une méthode semi-directive avec l’utilisation d’un guide

d’entretien, dans lequel nous nous sommes limités à orienter la discussion vers les thèmes

correspondant à la démonstration, à savoir les motivations de tout un chacun au sein d’une

association, l’évolution du militantisme religieux au Mali, l’analyse des tensions

interconfessionnelles, leur perception des leaders religieux et finalement leur lecture de la

crise au nord du Mali.

L’utilisation de ce guide a eu pour objectif d’offrir une liberté de parole à

l'interlocuteur. L’orientation de l’entretien nous a permis d’aborder le parcours personnel et

académique du témoin, de l’amener à partager les intérêts et les activités qui rythment sa

vie, à faire part de l’image qu’il se fait du modèle de bon musulman, de ses référents

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culturels, confessionnels et politiques. En ce sens, seules des questions ouvertes ont été

adressées aux témoins afin d’éviter tout biais dans la réponse, telles que « Pouvez-vous me

parler de votre parcours académique? », « Comment percevez-vous les actions des

associations musulmanes aujourd’hui? ». L’entretien débutait donc avec des questions dites

d’introduction, plutôt générale, qui s’affinaient au fur et à mesure que la confiance

s’établissait entre le chercheur et le témoin (par exemple : «  Pouvez-vous me parler d’une

journée type que vous passez à Bamako? », « Pourriez-vous me parler de votre milieu

familial?». Les discussions ont abouti à une réflexion sur l’identité nationale et musulmane,

ainsi que sur la figure d’un bon musulman et la façon de vivre l’islam. Plus précisément, les

personnes interviewées ont été invitées à partager leurs itinéraires de vie et leur vécu (en

termes de pratiques religieuses, de degré de connaissance de l’islam et des différents

courants présents au Mali, de lieux fréquentés, de lecture des enjeux sociopolitiques

nationaux, sous régionaux et internationaux). Elles ont également été amenées à se

prononcer sur certains faits d’actualité, religieuse et politique, malienne et internationale

(intervention militaire de la France, évènements entourant le 2e congrès du Haut Conseil

Islamique, l’adoption du Code de la famille).

Après les deux premiers entretiens, nous avons dû procéder à quelques ajustements.

Certaines questions mal formulées ou incomprises ont été revues (par exemple : « Quelles

sont les limites du politique dans le religieux? »). Nous avons également déplacé certaines

questions qui s’avéraient être trop sensibles, lorsqu’abordées en début d’entretien. En guise

d’illustration, la question suivante « Pouvez-vous me parler de vos journées types à

Bamako? » avec laquelle nous avons initialement prévu de commencer l’entrevue a été

déplacée pour devenir la 4e ou 5e question. Nous avons préféré débuter avec la question

suivante « Pouvez-vous me parlez de votre parcours scolaire? ». Une question a également

été retirée de la grille d’entretien106, car elle suscitait un malaise chez l’interlocuteur, à

savoir « Vous considérez-vous d’abord malien ou musulman? ». Finalement, la grille

d’entretien a également été épurée en cours de route en raison de la longueur des entretiens

initiaux et l’imprécision de certaines questions. Au vu des tensions entourant le 2e congrès

du HCI, la question suivante fut ajoutée : « Que pensez-vous des actions du Haut Conseil

Islamique? ». 106 Voir annexe I, p. 120.

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La valeur des témoignages est dans le présent travail, comme exprimé par

l’historienne Raphaëlle Branche, un « gisement de ressources propres »107. À cet énoncé,

Philippe Joutard met en garde le chercheur de la distance à avoir avec le témoignage et la

mémoire collective, souvent consubstantiels l’un à l’autre108. C’est là une des difficultés

auxquelles le chercheur peut être confronté dans l’histoire orale. Les limites d’une telle

approche tiennent également au fait que le chercheur s’implique physiquement et

émotionnellement dans la collecte de sources auprès de locuteurs. Acteur et témoin de sa

société, le chercheur est confronté, au même titre que l'informateur, à un questionnement

personnel en partie provoqué par la sensibilité des sujets abordés tels que l'identité,

l'islamité et les convictions personnelles.

En ce qui concerne les articles de journaux et les documents officiels des

associations à l’étude, nous les avons classifiées par thématique et par période. Les articles

des années 1990 et 1991, consultés sur microfilms, ont été numérisés puis imprimés. Ceux-

ci ont par la suite été classés dans les catégories suivantes : [islam], [musulman], [moral],

[ramadan], [pèlerinage], [AMUPI], [Ançar Dine], [jeunesse], [jeunes], [démocratie],

[insurrection], [Nord]. Pour le journal Les Échos, nous avons sélectionné les articles

principalement tirés des rubriques « débat », « parole aux lecteurs »109 et « échos-tribune »

qui sont une plateforme d’expression pour la société civile et, du même coup, cela nous a

permis de prendre connaissance d'une partie de l’opinion publique sur des événements

particuliers d'ordre social, politique et religieux. Pour le journal L'Essor, les rubriques

« actualité », « culture » et « international » ont été analysées ce qui nous a permis d'avoir

un portrait de l’actualité malienne du point de vue étatique. Quant à la presse des

années 2012-2013, nous avons procédé à une sélection unique par mots clés via un moteur

de recherche recoupant un nombre important de quotidiens maliens110 : [islam], [umma],

[musulman], [morale], [ramadan], [pèlerinage], [HCI], [Ançar Dine], [UJMMA],

[jeunesse], [jeunes], [démocratie], [Nord], [insurrection], [Qatar], [Arabie Saoudite]. Tel

que mentionné plus haut, considérant l’archivage restreint des articles de presse pour la

107 Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée, Paris, Éditions du Seuil, 2005, cité dans Philippe Joutard, Histoire et mémoires, conflits et alliance, Paris, La Découverte, 2013, p. 208. 108 Philippe Joutard, op. cit., 2013. 109 Voir annexe II, p. 122. 110 http://www.maliweb.net/

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borne chronologique supérieure, nous avons dû élargir l’étendue de nos sources

journalistiques. Pour cette raison, nous avons effectué des recherches par mots clés sur des

thèmes et des évènements que nous avons jugé pertinents et qui se sont confirmés, après le

terrain, fort à propos. En ce sens, l’analyse médiatique de certains évènements ayant

marqué la sphère religieuse malienne fut éclairante, notamment dans la lecture des

évènements entourant le 2e congrès du HCI, dont il sera question plus loin, ou encore le

saccage des mausolées au nord du Mali. Cette approche nous a aussi permis de mettre en

contexte les témoignages recueillis sur le terrain et confirmer les propos rapportés par nos

témoins.

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CHAPITRE II

Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté musulmane: portrait

des enjeux identitaires, idéologiques et financiers d’une sphère religieuse hétéroclite

Autrefois dominée par les lignages religieux, les oulémas et la mouvance sunnite

réformée111, la sphère religieuse malienne a bénéficié, dans les années 1990, du libéralisme

associatif. Avec l’avènement de la démocratie, du multipartisme et de la libéralisation du

droit associatif, une pléthore d’associations musulmanes a vu le jour au cours de cette

même décennie. Ce processus s'est accéléré au point que la sphère religieuse a

graduellement échappé à l’État112 alors que dès 1980, ce dernier, sous la présidence de

Moussa Traoré, avait mis en place l’Association Malienne pour l’Unité et le Progrès au

Mali (AMUPI) pour garder un contrôle sur le champ religieux mais qui perdit de

l’influence avec la venue du Haut Conseil Islamique (HCI) en 2002 113 . Premier

interlocuteur entre la population— constituée à 90 % de musulmans —, et l’État, le HCI a,

quant à lui, pour mission d’unifier l’ensemble des musulmans maliens de toutes les

tendances.

Au-delà de cette volonté d'unification, la communauté musulmane malienne est

traversée par d'importantes tensions doctrinales. Ançar Dine, une association musulmane

réformiste, a considérablement perturbé l’establishment religieux incarné par des leaders

religieux bien établis. Dans la même dynamique, une association, qui fédère une centaine

d’associations musulmanes, a gagné un poids considérable dans la sphère religieuse depuis

sa création en 2008. L’Union des Jeunes Musulmans du Mali (UJMMA), dirigée depuis ses

débuts par Macky Bah, est omniprésente dans les débats publics d'ordre religieux et social.

Concentrant ses actions sur des questions qui regardent la jeunesse malienne, à savoir la

formation, l’employabilité, la réussite sociale et économique, etc. l’UJMMA tend

également à rassembler autour de l’identité malienne, et plus largement, autour d’un islam

local. Les modalités d’actions déployées par ces deux associations à l’étude témoignent

d’une volonté de reconfigurer la société malienne par l’intégration du religieux dans la vie

111 Nous reprenons ici les termes employés par Gilles Holder qui parle de sunnisme réformiste lorsque qu’il réfère au courant wahhabia dont il sera question plus tard. Voir Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 389-425. 112 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008, p.116. 113 Ferdaous Bouhlel Hardy, loc. cit., 2010, p. 824.

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des fidèles. De ce point de vue, les modalités d’actions de l’UJMMA et d’Ançar Dine sont

centrales dans la compréhension des dynamiques de mise en visibilité de l'identité

musulmane au sein de la société malienne.

Tandis que le HCI est majoritairement constitué de musulmans d’obédience

wahhabia, depuis sa création, une fraction des leaders religieux, tel que le chérif Haïdara et

Macky Bah, d’obédience soufie, appelle à faire contrepoids à l’influence idéologique et

financière du courant wahhabia, accentuant du fait même les tensions déjà existantes. Ces

deux associations dont les structures s’apparentent à des confréries, prônent un islam local

et régional, rejetant du fait même l’appartenance à la grande communauté de musulmans.

La surenchère du discours identitaire et le rejet d’un islam qui va à l’encontre des traditions

maliennes accentuent les clivages au sein de la sphère religieuse. Les tensions au Mali entre

les « soufis » et les « wahhabias »114, dont le deuxième congrès du HCI fut un catalyseur,

témoignent, d’une part, de cette rivalité entre un islam dit traditionnaliste et l’autre « puriste

», et d’autre part, d’une hyper concurrence entre les leaders pour le contrôle de l’espace

public.

114 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 348.

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A. Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali : Structures

associatives ou confrériques ? Lecture des modèles associatifs et des figures

de leader du Chérif Ousman Haïdara et de Macky Bah

Majoritairement musulman, le paysage religieux malien fut investi par un regain

islamique au cours des deux dernières décennies. Ce phénomène de réaffirmation de

l’identité islamique est essentiellement porté par des associations qui, de loin, dominent la

sphère islamique malienne. De l’association de quartier à l’association nationale, elles sont

présentes dans tous les secteurs de la société et toutes les classes sociales115. Toutes créées,

ou du moins reconnues, au cours des vingt dernières années, elles mettent en place

conjointement ou distinctement un nouveau mode de militantisme. L’un des mouvements

qui incarne le mieux la transformation de la sphère religieuse, et qui l’a d’ailleurs portée,

est l’association Ançar Dine116. Dirigée depuis ses débuts par le Chérif Ousmane Madani

Haïdara, cette association a véritablement reconfiguré la sphère religieuse et est présente

aujourd’hui dans plus de vingt pays dans le monde et regroupe des centaines de milliers de

membres. Afin de saisir la nature de ce mouvement « à la fois populaire et controversé qui

a constitué l’un des principaux espaces de transformation au Mali »117, il importe de se

pencher d’abord sur le parcours du chef spirituel et la figure d’autorité qu’il incarne.

Né dans la région de Ségou en 1955, Chérif Ousmane Madani Haïdara, descendant

d’une famille de la tjijanya, prêchait dès l’âge de 13 ans118. Dès son arrivée à Bamako, en

1983, Haïdara se fait remarquer tant par les autorités que par des fidèles qui adhèrent

rapidement à ses prêches. Se présentant comme un enfant béni de l’islam, Haïdara

entreprend, dès lors, de remoraliser la société malienne qu’il juge en dérive. À cet effet, le

site officiel de l’association rapporte que le « Chérif Ousmane Madani Haïdara s’est

115 A titre d’exemple : les étudiants (Ligue islamique des élèves et étudiants du Mali), les jeunes (Union des jeunes musulmans du Mali), les femmes (Ligue nationale des femmes musulmanes), les imams (Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique), les leaders religieux (Ligue des leaders religieux), les oulémas (Ligue des oulémas), les intellectuels arabisants (Association islamique pour le salut) 116 À distinguer du mouvement armé du Nord Ansar Eddine, Ançar Dine existe depuis 1985, mais n’est reconnu par l’État qu’en 1991. 117 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 389. 118 Selon le site officiel d’Ançar Dine France : http://www.ancardine.com/ancardine/index.php?option=com_content&view=article&id=3&Itemid=105, page consultée le 8 novembre 2014.

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directement attaqué aux maux de la société malienne au début de ses prédications. Il a

dénoncé les pratiques amorales qui se pratiquaient dans la société »119.

Se proclamant descendant du Prophète Mahomet, le guide spirituel, à la contenance

droite et contestataire, adopte une figure prophétique justifiée par son parcours qualifié de

« miraculeux »120. L’analogie à établir avec le parcours du prophète Mahomet n’est pas

anodine, car elle est revendiquée par les membres d’Ançar Dine : « les prêches du guide, ce

sont comme celles du Prophète. On est contre la violence, on est tolérants. C’est aux gens

de choisir de devenir musulmans, on ne peut obliger personne. Il faut être correct. C’est

comme ça que le Prophète a diffusé l’islam »121. Gilles Holder va dans ce sens en qualifiant

le parcours du leader « d’épopée mohammadienne »; Haïdara « s’attache à capitaliser son

parcours religieux comme un modèle de vie sainte à l’image du prophète Muhammad, tout

en s’efforçant de pondérer les tentatives répétées faites par ses fidèles de le présenter

comme un saint, sans toutefois les en dissuader totalement »122. Selon les membres du

bureau d’Ançar Dine, le guide aurait d’ailleurs été choisi par ses adeptes : « ce qu’il faut

comprendre, c’est que ce n’est pas le guide qui a mis en place Ançar Dine, ce sont ses

adeptes qui sont allés le voir pour le soutenir. [Ce sont] les adeptes eux-mêmes qui lui ont

signifié qu’ils sont prêts à le soutenir »123. Ces derniers affirment que le guide s’est sacrifié

pour l’islam et ses adeptes.

Toujours selon la même analogie, il serait arrivé dans la capitale dans le but de

rétablir l’ordre moral, tout comme le Prophète est arrivé à Médine pour sauver la

population du pêcher. Ce dernier rappelle qu’à son arrivée à Bamako en 1983, il aurait eu

droit au même traitement que le Prophète, soit celui d’être condamné par les autorités

locales et aimé par le peuple en raison de son don d'orateur considéré comme un don de

Dieu124. En adoptant des discours pour la défense des sans voix et des illettrés125, dans

119 Ibidem. 120 Ibid. 121 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014. 122 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 398. 123 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014. 124 Sur le site officiel d’Ançar Dine France, l’on mentionne la chose suivante dans la rubrique « miracles » accomplis par le guide : « Relever tous les défis du savoir islamique en ayant que le niveau de la 6ème année d’étude. Il a un don de parole, de la connaissance et est vraiment un guide digne de confiance », site internet d’Ançar Dine international, [En ligne] : http://ancardinehaidara.com/qui-sommes-nous/, page consultée le 12 novembre 2014. À vrai dire, le Chérif Haïdara a bénéficié d’une éducation coranique un peu plus longue.

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lesquels il n’hésite pas à accuser l’État d’être à la source des inégalités

socioéconomiques126, Haïdara incarne dès lors un contrepouvoir de nature religieuse et

politique face à l'AMUPI et l'État. Le témoignage d'un membre de l'association, dans la

cinquantaine, souligne dans quelle mesure Haïdara symbolise une rupture et un modèle

subversif, dès les années 1980, dès lors qu'il prône à la fois l'ouverture religieuse et une

moralisation de la vie sociale et politique :

Dans un régime militaire, jamais personne n’a osé dire la vérité crue comme lui, l’a fait. Il disait pourquoi fermer les bars durant le ramadan s’il y a des non-musulmans et des chrétiens au Mali. C’est de l’hypocrisie de faire ça, il faut vivre et laisser les autres vivre. Il était puissant, il était subversif. Les gens n’osaient pas dire tout haut la moitié de ce qu’il disait. Il se permettait tout, il a condamné le vol, les mensonges et la tricherie127.

Notre témoin, qui a rejoint le mouvement au retour de ses études universitaires en URSS,

en 1993, poursuit comme suit :

Avant Haïdara, les gens ne faisaient que prier pour être musulman. Ils volaient, ils faisaient l’adultère, ils trompaient les gens et pensaient pouvoir aller au paradis. Mais ce n’est pas ça l’islam. Il était seul contre tout le monde. On a rejoint la vérité. […] Ça m’a rassuré davantage, je voyais que l’on ne pouvait être musulman et injuste et mauvais en même temps. Je voyais les gens dans la débauche et je n’aimais pas ça. Le discours

Selon les travaux de Louis Brenner, le jeune Haïdara a été retiré de l’école française à l’âge de neuf ans par son père pour être inscrit à la toute première madrasa fondée par un Malien. Il aurait mis fin à ses études à l’âge de 19 ans après la mort de son père. Cette « école de Saada Oumar Touré offrait une alternative doctrinale aux médersas de la réforme sunnite, en conciliant la modernité sociale à une pédagogie tijâni refondée », Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 392. Voir également Louis Brenner, « Médersas au Mali. Transformation d’une institution islamique », Bintou Sanankoua, et Louis Brenner, dir., L’enseignement islamique au Mali, Bamako, Jamana, 1991, p. 63-85. 125 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 2. 126 À titre d’exemple, lors du rassemblement du Maouloud, en 2008, celui-ci a interpelé le président de la République en rappelant qu’il est le premier responsable de l’injustice au pays et que « tant que les millions de pauvres n’auront pas de paix, le pays ne sera pas heureux et n’aura pas le bonheur tant attendu ». « Chérif Madani Haïdara à l’occasion du Maouloud 2008 : "La justice malienne fait pleurer le pauvre au profit du riche" », Bamako Hebdo, 29 mars 2008, [En ligne] : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:_0yjQxrs99kJ:www.maliweb.net/category.php%3FNID%3D28907+&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=ca, page consultée le 22 novembre 2015. Celui que l’on surnomme «wilibali», s’en prend régulièrement aux plus puissants (juges, hommes politiques, etc.), en prenant la défense des plus vulnérables en abordant notamment les questions suivantes : Comment un pauvre doit-il se comporter, comment le pauvre doit gérer sa situation financière et sociale, quels outils sont à sa disposition, etc.? 127Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014.

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d’Haïdara rejoignait mes idées. Si tu agis d’une telle façon, tu n’es pas un musulman128.

Quant à Seidou, trésorier de la Fédération Ançar Dine internationale, âgé alors de 39 ans, il

soulève également la dimension « innovante » des discours du Chérif Haïdara dans les

années 1990 :

Avant, j’étais contre Haïdara quand j’étais jeune. J’ai commencé à l’écouter en 1999, et en 2000, j’ai prêté serment d’allégeance. L’islam qu’on prêchait partout dans ce temps-là, tu tues, tu voles, violes… tant que tu pries, tu vas quand même au paradis […] J’étais contre Haidara parce que j’écoutais d’autres prêcheurs, ceux-là demandaient de prier seulement. Lui, disait qu’être musulman c’est plus que simplement faire la prière, il ne faut pas être égoïste, il ne faut pas voler, ne pas forniquer… c’est lui qui a dit ça en premier et c’était le seul à dire ça. Les autres prêcheurs répandent un message faux de l’islam. Mais pour nous, c’est obligatoire de prier et de respecter les six sermons. Avant, j’étais révolté contre lui, parce qu’il n’était pas dans nos habitudes […] Il a complètement changé les mentalités »129.

Haïdara remet en cause des pratiques millénaires de l’islam en soutenant que la prière ne

fait pas le musulman. En complète opposition à l’interprétation traditionnelle de l’islam, ce

dernier soutient que le messie ne ressuscitera pas à la fin du monde. De plus, en prêchant et

proposant une lecture coranique en bambara, le Chérif Ousmane Haïdara désacralise

l’arabe, ce qui lui confère un caractère populaire hautement critiqué 130. Finalement, il

considère que le respect du deuxième pilier de l’islam, les cinq prières quotidiennes, ne

suffit pas pour être musulman, mais qu’il faut réaffirmer son islamité pour se considérer

ainsi131. En faisant de ce principe son leitmotiv, le guide spirituel redéfinit l’identité de

« musulman de naissance » en opposition à celle du « vrai musulman ». En effet, Haïdara

propose de dépasser l’héritage familial islamique pour une redéfinition de son islamité au

quotidien. Dans ses prêches, ce dernier invite « les fidèles à une remise en ordre de leur vie

quotidienne [en abordant] les rapports entre les conjoints, la régulation des conflits entre les

128Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 129 Entretien avec Seidou, membre d’Ançar Dine, 43 ans, dans ses bureaux (quincaillerie), 15 juillet 2013. 130 Gilles Holder, loc. cit., 2012. 131 Lacine Diawara, « Chérif Ousmane Madani Haïdara àa Option: Une voix captivante sur la voie de Dieu », Option, 24 novembre 2012, [En ligne]: http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/interview_mali/56735-cherif-ousmane-madani-haidara-a-option-une-voix-captivante-sur-l.html, page consultée le 16 avril 2017.

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coépouses, les rapports d’autorité au sein de la famille, la répartition des ressources. Puis

les comportements dans l’espace de proximité doivent rendre visible, aux yeux de tous,

cette réforme de la famille : tenue vestimentaire et attitudes des femmes et des enfants,

déplacements dans l’espace urbain et rythme de vie, rapports au travail et à l’argent des

hommes adultes, relations de voisinage »132. Cet appel à réformer le cadre de vie des fidèles

et plus largement de la société met au-devant une culture du soi dans laquelle l’individu

rejoint un grand projet de « réenchantement » et de « remoralisation » de la société par la

redéfinition de son individualité. Fondamentalement tourné vers l’espace public, Ançar

Dine travaille à « renforcer l’idée que l’islam serait apte à assurer le bien public, maintenir

les identités nationales et redéfinir l’espace public africain »133. À ce sujet, les auteures

Marie Nathalie LeBlanc et Muriel Gomez-Perez ont démontré, dans une étude effectuée

dans quatre pays de l’Afrique de l’Ouest134, une spécificité de l’affirmation religieuse que

l’on retrouve chez les adhérents d’Ançar Dine, à savoir, une forme d' « adhésion à l’islam à

titre individuel pour mieux former une nouvelle communauté islamique »135.

D’autre part, dans un contexte autoritaire et unipartite où la liberté d’expression est

restreinte, les prêches de Haïdara très critiques, à cette époque, envers l’establishment

religieux conduisent à grossir les rangs de ses détracteurs lesquels dénoncent « sa

démagogie et son manque d’érudition religieuse »136, mais également la dimension nouvelle

qu’il attribue aux pratiques de l’islam. Sa relecture de l’islam, appelée kudra, dérange au

plus haut point les oulémas, imams et les leaders attachés à l’islam littéraliste.

L’administration de l’AMUPI, après avoir fait pression sur le gouvernement a obtenu sa

suspension dès 1983137, qui fut levée un an plus tard avant d’être ordonnée à nouveau

jusqu’à libéralisation de la vie associative en 1991. Depuis, le poids du leader dans l’espace

public a été accéléré par l’utilisation des mass médias et l’investissement d’espaces publics

à caractères religieux et laïc dans la diffusion des prêches. Interdit d’intervention dans les

chaines télévisées ou radiophoniques nationales jusqu’en 2000, Haïdara a employé des

moyens de diffusions indépendants pour contrecarrer le barrage étatique qui lui était

132 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 133 Gilles Holder, loc. cit., 2009, p. 16. 134 Plus précisément dans les centres urbains du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire. 135 Marie Nathalie LeBlanc et Muriel Gomez-Perez, loc. cit., 2007, p. 47. 136 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2007, p. 41. 137 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 394.

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imposé138. Contournant l’espace traditionnel de prédication, ce dernier diffuse ses prêches

et semons par divers moyens de communication : cassettes audio bon marché, DVD, CD-

ROM et vidéo cassettes139. Ces modes de diffusion, plutôt courants en Afrique de l’Ouest,

qui ont transformé le champ religieux malien, ont largement contribué au projet de

"réislamisation" observé dès les années 1990 et s'inscrivent dans une tendance visible dans

la sous-région. De cette économie religieuse alimentée par un marché important de

diffusion de CD et de DVD islamiques, Abdoulaye Sounaye souligne, qu’au Niger, « des

personnages ont émergé et des associations se sont constituées avec des programmes et une

rhétorique de la défense de l’identité islamique de la société nigérienne »140. Ces médias,

largement diffusés dans l’espace public (marchés, boutiques, quartiers associatifs), ont

aussi pris une importante place dans le quotidien des fidèles : « [ils] sont progressivement

devenus les moyens par lesquels le sujet musulman maintient le pont avec le prédicateur et

la communauté qui s’est formée autour de celui-ci. Dans l’intimité de chez soi, dans la

voiture ou du bureau, ces supports médiatiques entretiennent la présence quotidienne du

prosélytisme islamique »141.

C’est en misant sur ces outils de communication et en mettant l’emphase sur le

comportement du bon musulman au quotidien et le projet de remoralisation de la société

que les sermons de Haïdara ont atteint de nombreux jeunes en quête spirituelle et

identitaire142. La grande majorité des adhérents d’Ançar Dine interviewé a affirmé avoir

découvert le mouvement par l’entremise de cassettes audio écoutées par des proches, des

voisins ou des parents : « Des frères écoutaient les prêches d’Haïdara et j’écoutais avec eux

et j’ai rapidement apprécié ses prêches. À moins d’être malveillants, ses prêches prennent

le cœur. Au début, je me rendais aux grands évènements, je me rendais aux lieux de

prêches par curiosité, et j’ai davantage adoré (sic) » 143 . Les individus rencontrés ont

témoigné d’un modèle d’adhésion récurrent qui s’effectue en quatre temps : l’écoute des

prêches, la participation à des évènements publics, la quête d’information sur le mouvement

138 Dorothea Schulz, loc. cit., 2007, p. 41. 139 Voir l’article de Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 140 Abdoulaye Sounaye, «La « discothèque » islamique : CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », ethnographiques.org, no.22, 2011, p. 3. 141 Abdoulaye Sounaye, loc. cit., 2011, p. 4. 142 Keïta Naffet, loc. cit., 2011, p. 113. 143 Entretien avec Aboubakar, secrétaire exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, 16 juillet 2014.

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et finalement l’engagement par serment. Le gestionnaire de la boulangerie de l’association

et membre d’Ançar Dine a relaté son processus d’adhésion qui s’est étalé sur deux ans :

Je faisais des activités avec eux (Ançar Dine) dès 1994. J’étais avec la Ligue islamique des étudiants et élèves du Mali. Souvent, la Ligue accompagnait Ançar Dine dans ses activités […] c’était une association sans frontières, toutes les bases islamiques se côtoyaient. Mais c’est depuis 1995 que j’ai commencé à écouter sa musique. Il y avait un mécanicien à côté de chez moi, il écoutait Haïdara. Quand je terminais de travailler, j’allais écouter avec lui. J’en ai parlé à ce vieux et j’ai commencé mes recherches, ensuite j’ai commencé à les fréquenter avant d’y adhérer144.

L’hypermédiatisation des discours religieux prend un caractère militant dans la mesure où

l’investissement des lieux publics, laïcs ou religieux, devient l’une des principales

stratégies de diffusion. À cet égard, et tel qu’en témoignent des militants d’Ançar Dine et

non militants ainsi que la presse malienne, le rassemblement au Stade du 26 mars qui se

tient à chaque Maouloud, depuis 2003145, devient l’évènement majeur de l’association146.

L’évènement à caractère religieux rassemble chaque année dans un lieu laïc plus de 50 000

musulmans de toutes les tendances et associations. Renforçant à la fois l’image positive de

l’association et son poids dans l’espace public, ce rassemblement se veut surtout une

plateforme de débats à caractères politiques et sociétaux, où les prêcheurs abordent des

sujets tels que les bonnes et mauvaises pratiques quotidiennes, l’éducation, le code de la

famille, la rébellion au nord, etc.147

Cette omniprésence dans l’espace public est particulièrement visible dans le quartier

où s’est établie l’association. Il est frappant de constater à quel point le quartier populaire

de Bankoni est rythmé par les activités de l’association, un quartier où des fidèles,

144 Entretien avec Ali, gestionnaire de la boulangerie d’Ançar Dine, dans ses bureaux de travail, 16 juillet 2014. 145 Seydou Coulibay, « Maouloud 2009 : Le prêcheur Ousman Chérif Haïdara interpelle ATT », Le Républicain, 10 mars 2009, [En ligne]: http://malijet.com/a_la_une_du_mali/11260-maouloud_le_precheur_ousmane_cherif_haidara.html, page consultée le 20 octobre 2014. 146 Modibo Fofana, « Maouloud 2014 : le secret de la forte mobilisation d’Ançar Dine », Le journal du Mali, 17 janvier 2014, [En ligne] : http://www.journaldumali.com/article.php?aid=7723, page consultée le 17 novembre 2014. 147 Brahim Diamoutémé, « Maouloud 2012: Des bénédictions pour le Mali », Le Potentiel, 14 février 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/maouloud-2012-des-benedictions-pour-le-mali-47747.html, page consultée le 11 novembre 2016.

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provenant de partout du Mali et de l’Afrique de l’Ouest, viennent s’y installer afin de vivre

au sein de cette « famille ». Oumar, précédemment cité, qui n’habite pas Bankoni mais s’y

rend régulièrement, soutient que :

En 1990, il n’y avait rien à Bamako, c’était la brousse […] Bamako s’est agrandi et le quartier de Bankoni a pris forme. Les gens viennent de partout vers Bankoni, par forcement pour y emménager. On se retrouve tous là-bas durant le Maouloud, le ramadan, on y va tous durant les cérémonies148.

La mosquée d’Ançar Dine, située en plein cœur de Bankoni, est un lieu de rassemblement

pour les fidèles, même en dehors des heures de prière, il en est tout autant pour l’école

coranique, en face du lieu de prière. En passant par le boulevard qui porte le nom du chef

spirituel, force est de constater que sa figure est largement représentée par les habitants du

quartier et les petits commerçants; de nombreuses petites boutiques portent son nom, tandis

que son effigie est peinte sur plusieurs portes et murs des résidences ou des commerces. Le

terrain effectué à Bamako nous a permis de confirmer les observations de Keïta Naffet149 à

ce sujet : la voix du chef charismatique, connue de tous, a envahi les maisons, les rues et les

marchés de Bamako au cours des vingt dernières années150.

Ces divers éléments permettent de considérer que la structure associative mise en

place par Haïdara s’apparente à certains égards aux structures confrériques existantes en

Afrique de l’Ouest151. Bien que le chef spirituel d’Ançar Dine s’inscrive dans une logique

de rupture avec l’ordre religieux établi et une approche qui se veut centrée sur

l’individualité du fidèle, ce dernier reproduit la figure de guide suprême propre aux chefs

de confréries152. Homme moderne et traditionaliste à la fois, celui-ci suscite l’admiration de

148 Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 149 Keïta Naffet, loc. cit., 2011, p. 101. 150 À titre d’exemple, durant le terrain effectué à Bamako, nous avons eu la chance d’assister à la conférence annuelle de l’UJMMA. Le Chérif Ousmane Haïdara était pour l’occasion le président d’honneur. L’évènement était organisé dans la mosquée de Bamako située au centre-ville à proximité du marché, alors bondé à quelques jours de l’Aïd. Les prêches du guide d’Ançar Dine et de Macky Bah ont été entendus par plusieurs centaines d’individus présents à la mosquée et dans ses alentours (les hauts parleurs installés dans les minarets diffusent les prêches dans les rues avoisinantes). 151 Salilou Dramé, Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 216. 152 Ce qui définit une confrérie, appelée torîqa en arabe, est d’abord la centralité de la figure du guide religieux, voir glossaire, p. vi. Le groupement de dévots respecte religieusement les pratiques, parfois mystiques, imposées par le maître spirituel, appelé Cheikh. Dominique et Janine Sourdel mentionnent que

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ses fidèles en incarnant la réussite personnelle, la résistance à l’État et le dépassement de

contraintes d’un islam traditionnel et impersonnel. Il s’assure également de l’allégeance de

ses fidèles en polarisant l’existence de l’association sur son leadership. Le témoignage d'un

fidèle recueilli sur le terrain est éclairant à cet égard lorsqu'il nous disait ceci : « sur le plan

religieux, c’est le succès de la vérité que Haïdara promet sur le mensonge. Ici, en Afrique et

dans le monde, on reconnait sa valeur véridique et son objectivité d’analyse […] C’est un

atout pour nous que de réussir de coïncider l’islam avec notre temps. Il faut obligatoirement

avoir un éclaireur »153. En somme, au même titre que les mouvements néo-confrériques

observés au Sénégal par Fabienne Samson, Ançar Dine se donne pour mission de moraliser

l’environnement de ses fidèles et réislamiser la société dans l’espoir d’atteindre un modèle

de société islamique fidèle à sa conception154.

Usant de stratégies et modalités d’action semblables, l’UJMMA a, dans une moindre

mesure, gagné en poids dans la sphère religieuse depuis sa création en 2007. Fondée par un

militant impliqué dans la sphère religieuse depuis 1992, avec la création de l’Association

Malienne pour la Concorde, la Culture et l’Éducation Islamique (AMCECI), devenue une

ONG, l’UJMMA est présidée par Cheikh Macky Bah avec qui nous nous sommes

entretenus155 :

Je suis président de l’association depuis 2007, depuis sa création le 3 septembre 2007. L’association a été créée par un groupe de jeunes pour les jeunes. Dès le début nous avons regroupé environ 70 associations et mouvements de jeunes nationaux et locaux. C’est en grande partie dû à mon initiative, nous avons fédéré toutes les associations de jeunes déjà existantes. [Pouvez-vous me parler de votre parcours scolaire?] J’ai fait l’école coranique traditionnelle, l’école religieuse authentique. Je suis également allé en Libye, en Mauritanie, en Turquie… un peu partout pour des formations

« dans l’histoire du soufisme, les confréries sont apparues relativement tard, à partir seulement du XIIe siècle, mais jouèrent dès ce moment un rôle social et politique important, contribuant notamment à la diffusion de l’islam. En Afrique noire, elles connurent un essor spectaculaire et récent », in Dominique et Janine Sourdel, Dictionnaire de l’histoire de l’islam, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 1010. 153 Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 154 Fabienne Samson, « Identités islamiques dakaroises. Étude comparative entre deux mouvements néoconfrériques de jeunes urbains », Autrepart, no. 39, 2006 p. 4. 155Macky Bah est né le 25 décembre 1970. Avant cet entretien, nous n’avions que très peu d’informations à son sujet à travers la presse malienne ou la littérature. L’entretien de plus d’une heure tenu dans sa résidence privée, qui fait également office de lieu de ralliement pour les membres de l’Association, nous a permis d’enrichir considérablement nos sources dans la mesure où nous en avons appris davantage sur son parcours, ses motivations personnelles, sa vision sur la société malienne et les objectifs qu’il vise en tant que président d’association.

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connexes. [Êtes-vous allé en Arabie Saoudite ?] Ah non, en Arabie Saoudite j’y suis allé que pour y accomplir le pèlerinage. [Qui vous a encouragé dans cette voie?] Je viens d’une grande famille maraboutique, on m’y a encouragé naturellement. Mon père était un chef marabout. C’est aussi la main de Dieu qui m’a guidé. [Vous militiez déjà en 1990?] Depuis 1990, j’étais dans des associations et membre fondateur de certaines comme l’IMAMA156 et le HCI. Les mouvements associatifs sont nés après la chute du régime157. On était prêt et organisé avant quand même. Ma première association que j’ai fondée est l’AMCECI en 1992, on avait pour objectif de coordonner entre les musulmans la culture et la formation islamique158.

Celui qui est officiellement à la tête de l’UJMMA depuis le premier congrès tenu en

décembre 2009 est une figure pilier de l’association. Bien que le mandat du président soit

renouvelable tous les cinq ans, le Cheikh s’est accaparé le statut de chef religieux. Les

bureaux de l’association sont situés dans l’ACI 2000, un quartier récent de Bamako

relativement aisé. Nous avons rapidement constaté que les lieux sont généralement vides,

car les activités de l’association sont concentrées non loin de là, dans la résidence privée de

Macky Bah. En effet, ce dernier a consacré le premier étage de sa maison familiale à une

zawiya159 et les étages secondaires à sa famille et aux membres actifs de l’association. Le

journal Le progrès s’est rendu en ces lieux lors des célébrations du Maouloud; à cette

occasion, Macky Bah a ouvert sa résidence « aux fidèles de la secte tijaniya, fidèles et

autres élèves coraniques » pour réciter la toriqa160. La centralisation des activités dans un

lieu privé, qui est la résidence du président, témoigne d’une personnification du pouvoir

associatif, selon les mêmes modalités employées par Haïdara.

Cette appropriation du pouvoir associatif rappelle encore une fois les structures

confrériques dans la mesure où les appartements privés des cheikhs font souvent office de

lieux de rassemblement pour les membres de l’association. Ces espaces deviennent des

lieux de « spiritualité et de diffusion du savoir, mais aussi d’accueil, de convivialité,

156 Ligue Malienne des Imams et des Érudits pour la solidarité au Mali. 157 Le 26 mars 1991 a lieu la chute du régime de Moussa Traoré. 158 Entretien avec le Cheikh Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 159 Voir glossaire, p. vi. 160 Boubacar Sidibé, « Maouloud 2013 : la Zawiya de Cheikh Mohammed M. Bah fête l’événement avec éclat », Le Progrès, 1 février 2013 : http://www.maliweb.net/societe/maouloud-2013-la-zawiya-de-cheikh-mohamed-m-bah-fete-levenement-avec-eclat-123865.html, page consultée le 26 novembre 2014 ; Voir glossaire, p. vi.

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d’hospitalité et de prise en charge morale et matérielle »161. Dans cette logique, les deux

leaders sont donc les pivots et les dépositaires d’une autorité naturelle au sein de leurs

associations respectives. L’incarnation de cette autorité légitime leurs discours et leur

lecture du bien et du mal, de la bonne morale et de l’immoral162. Ces derniers personnifient

les objectifs des associatifs qu’ils dirigent en se présentant comme des modèles

d’identification 163 et il en résulte une fusion totale entre la figure du leader et la

communauté qui se réfère à lui.

Cette logique de personnification du pouvoir associatif témoigne d’une volonté

d’englober la transformation des fidèles en offrant la possibilité d’appartenir à « une

nouvelle famille autour d’un père modèle »164. En adhérant à l’association et aux discours

du cheikh, le fidèle se soumet également à son cheikh, lequel « s’engage à le diriger dans la

bonne voie, mais aussi de le protéger […] il prend en charge les besoins spirituels et

temporels de la sa communauté »165. Cette relation d’échanges mutuels est perceptible dans

les missions des associations à l’étude dans la mesure où les leaders se voient accorder par

les fidèles un rôle de protecteur et de guide en échange d’une adhésion spirituelle et

physique.

À cet égard, l’UJMMA se fixe pour objectif de « développer l’unité d’action des

associations et des mouvements de jeunes, revaloriser et faire la promotion de la culture

islamique au Mali, améliorer les conditions de vie socioéconomiques des jeunes,

promouvoir les actions des associations et mouvements de jeunes à travers les valeurs

islamiques et œuvrer pour la promotion et l’épanouissement de la jeunesse malienne »166.

Ces objectifs se traduisent dans une multitude d’actions déployées tant dans l’espace public

que dans l'espace privé. Suivant un modèle réformiste orienté vers les pratiques locales,

l’UJMMA a entrepris une mission de décloisonnement de l’islam en mettant de l’avant des

éléments identitaires nationaux et islamiques unificateurs (langue, pratiques religieuses

161 Rachida Chih, « Sainteté, maitrise spirituelle et patronage : les fondements de l’autorité dans le soufisme  », Archives des sciences sociales en religions, no. 125, 2004, p. 91. 162 Ouardi Hela, « De l’autorité en islam », Le Débat, no. 171, 2014, p. 159. 163 Aminata Ndiaye, « Processus d’individualisation chez les jeunes dakarois : Stratégies entre rupture et appartenant», Thèse de doctorat, Université Laval, Département de sociologie, 2010, p. 41. 164 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008, p.124. 165 Rachida Chih, loc. cit., 2004, p.85. 166 Statuts et règlement intérieur, « Objectifs », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), p. 3. Voir annexe III, à la page 124.

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locales et histoire de l’islam malien). Plus largement, la mission de l’association est centrée

sur l’épanouissement personnel et spirituel de la jeunesse malienne :

Convaincu de la nécessité de réaliser le regroupement des mouvements associatifs de jeunes afin de mieux propager l’islam, considérant le rôle important et indispensable que jouent les jeunes dans l’œuvre de la construction nationale et le développement d’un pays, nous, jeunes musulmans de la République du Mali, avons opté pour la création d’une structure nationale représentant la jeunesse musulmane du Mali167.

L’un des membres fondateurs soutient que c’est pour combler un vide associatif que

l’UJMMA a connu le jour :

Le HCI existait déjà. Il y avait aussi l’union des femmes musulmanes. Le HCI était une interface entre l’État et la population. Il manquait par contre une organisation de jeunes, un interlocuteur qui parle au nom des jeunes. On a donc voulu créer une fédération de jeunes, une nouvelle interface entre l’État et le peuple. On voulait formaliser, réunir et rapprocher les jeunes musulmans. Retrouver la solidarité musulmane et ne pas perpétuer les erreurs des ainés. Une unification sans tenir compte des divers courants et confréries168.

Concrètement, l’UJMMA organise des ateliers de lecture du Coran, des formations pour

les jeunes professionnels arabophones, des conférences, des tournées de formation pour les

plus jeunes dans les madrasas, etc.169 À titre d’exemple, en octobre 2014, l’association a

initié une formation en entrepreneuriat avec la collaboration de l’ambassade des États-Unis

au Mali 170 . La trentaine de jeunes arabophones qui ont bénéficié de cette formation

devaient à leur tour former des jeunes de leurs régions respectives. D’ailleurs, une des

167 Statuts et règlement intérieur, « Préambule », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), 28 décembre 2009, p. 2. 168 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 169 Étant donné que le terrain a été effectué en été et, de surcroit, durant le ramadan, les locaux de l’UJMMA, situés dans l’ACI-2000, étaient généralement vides. De plus, le contact avec l’association s’est fait tardivement durant le séjour à Bamako. Autrement dit, nous n’avons pas eu l’occasion d’assister aux activités de l’UJMMA, hormis une conférence organisée dans la grande mosquée de Bamako, avec la collaboration d’Ançar Dine. La conférence avait pour thème la réconciliation nationale et a réuni plusieurs centaines de fidèles, hommes et femmes. Des photographies de cette conférence se trouvent à l’annexe II, p. 122. 170 Maliki Diallo, « Mali : promotion de l’emploi des jeunes : Ujmma et l’ambassade des USA forment 35 jeunes arabophones en entreprenariat», http://maliactu.net/mali-promotion-de-lemploi-des-jeunes-ujmma-et-lambassade-des-usa-forment-35-jeunes-arabophones-en-entreprenariat/, page consultée le 12 mars 2018.

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préoccupations de l’association est le manque de perspectives d’emploi chez les jeunes

arabophones :

Nos objectifs étaient de cibler les grands problèmes que la jeunesse malienne affronte. Le premier étant l’emploi des arabophones, ceux qui étudient dans les médersas ici ou viennent de pays arabes. Ils ne peuvent pas travailler, car ils ne parlent qu’arabe. Ils ne maitrisent pas le français. On travaille à ce qu’ils aient accès aux emplois professionnels, on les oriente. On a déjà formé plus de 100 jeunes. Jusqu’à présent, on continue, on doit rassembler tous les acteurs. […] On se penche sur la formation professionnelle des jeunes arabophones171.

En effet, de nombreux jeunes diplômés d’écoles coraniques maliennes ou d’universités

islamiques de Libye, de Syrie ou d’Arabie Saoudite peinent à trouver un emploi au Mali.

Maitrisant mal le français, voire pas du tout, les jeunes arabophones n’ont que très peu

accès aux postes dans l’administration publique, ce qui les restreint à une carrière dans la

sphère religieuse telle que professeur de Coran, imam ou prêcheur, ou encore à des activités

commerciales. De nombreux chercheurs se sont penchés sur les difficultés d’insertion

professionnelle des jeunes arabophones dont la formation est essentiellement les sciences

islamiques172. Cette élite arabisée, qualifiée de « déclassée » par l’anthropologue Galilou

Abdoulaye, « se retrouve marginalisée au regard des fonctions publiques et de la

redistribution des ressources nationales [et cela témoigne] de l’idée générale selon laquelle

les écoles arabes, contrairement aux écoles publiques […] ne conduisent qu’au

chômage »173. Vécue comme une injustice, ils ont été nombreux, au Burkina Faso, au

Tchad et au Mali, à dénoncer « la marginalité sociale dans laquelle ils se retrouvent »174.

171 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. 172 Voir Abdoulaye Galilou, « Les diplômés des universités arabo-islamiques : une élite moderne “déclassée” en quête de légitimité socioreligieuse et politique », Document de travail pour le Département d’anthropologie et d’études africaines de l’Université Johannes-Gutenberg, no. 18, 2003, 19p.; Ousmane Kane, « Intellectuels non europhones », Document de travail, CODESRIA, Dakar, 2003, 71p.; Mamadou Youry Sall, Al-Azhar d’Égypte, l’autre institution d’enseignement des Sénégalais. Indicateurs statistiques, contributions explicatives et base de données, Le Caire, Édition dar El ittihad, 2009, 133p.; Marie Brossier, « Senegal’s Arabic literates : from translation education to national linguistic and political activism », Mediteranean Politics, vol. 22, no. 1, 2017, p. 155-175. 173 Abdoulaye Galilou, loc. cit., 2003, p.18. 174 Sylvie Bredeloup, « Étudiants arabophones de retour à Ouagadougou cherchent désespérément reconnaissance », L’Année du Maghreb, no. 11, 2014, p. 43.

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Sans chercher à se substituer à l’État, l’association s’évertue à offrir des solutions

alternatives aux jeunes en difficulté pour faire face à la crise morale, sociale et économique.

L’association collabore ainsi régulièrement avec le ministère de l’Emploi, le ministère de

l’Enseignement secondaire technique et professionnel, de l’Éducation de base et de

l’Alphabétisation et le ministère de la Jeunesse dans l’organisation de formations ou de

forum pour l’emploi. Lors de notre entretien, Macky Bah a souligné en effet les

rapprochements entre son association et le gouvernement malien : « Il y avait trop

d’associations qui se sont créées et on a voulu souder les liens avec l’État, chercher le

soutien de l’État. Nous avons travaillé avec le Ministère de l’Administration et celui de la

Jeunesse. L’UJMMA, ce n’est pas une association, c’est une fédération »175. À l’issue d’un

forum national des arabisants, organisé en 2013, l’UJMMA a d'ailleurs signé une entente

avec l’Agence pour la Promotion et de l’Emploi des Jeunes (APEJ) pour le financement et

la mise en place de plus de 60 projets pilotes entrepreneuriaux pour arabophones dont la

création de salons de coiffure, de librairies de livres coraniques, de boutiques d’habits, etc.,

toujours avec la collaboration des ministères cités ci-dessus176. De fait, l’UJMMA s’est

considérablement distinguée dans le milieu associatif de par sa singularité fédératrice et sa

proximité avec l’appareil étatique. Cette relation « d’égal à égal » n’empêche pas

l’UJMMA, comme nous le verrons plus tard, de réagir aux moindres dissensions commises

par l’État ou le HCI.

L’UJMMA se veut donc une fédération des associations islamiques spécialement

consacrée à la voix de la jeunesse malienne. La fédération serait le portevoix de cette

jeunesse en difficulté qui tend à agir pour le bien commun. C’est donc pour mieux les

outiller et les guider dans leurs actions que l’UJMMA se mobilise sur des enjeux locaux

d’ordre économique, sociétal et idéologique qui concernent les jeunes. Toujours selon le

modèle confrérique, c’est en adoptant des opérations socioéconomiques justifiées par la

bonne morale, la piété et le bien commun que les actions de l’UJMMA deviennent

175 Entretien avec le Cheikh Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 176 Abdoulay Diarra, « Le président de l’UJMMA de la commune I à l’issue d’une assemblée générale : la formation de 500 imams au Maroc est une meilleure arme contre le terrorisme, dit Mohamed Cissé », L’Indépendant, 8 octobre 2013, [En ligne] : http://mali-web.org/nord-mali/le-president-du-bureau-ujmma-de-la-commune-i-a-lissue-dune-assemblee-generale-la-formation-de-500-imams-au-maroc-est-une-meilleure-arme-contre-le-terrorisme, page consultée le 12 mars 2018.

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efficaces 177 . Dans un contexte de fragilisation socioéconomique, ce type de structure

engendre une solidarité « qui sert à raffermir les liens sociaux, à exprimer une identité ou

une appartenance collective » 178 . On retiendra pour l’instant que le sentiment

d’appartenance et de solidarité est au centre des stratégies de l’UJMMA et du discours de

ses militants, ce qui témoigne d’un enracinement identitaire local.

La stratégie d’Ançar Dine s'inscrit dans la même logique, bien que celle-ci dépasse

l'identité malienne pour promouvoir une construction identitaire ouest-africaine à travers

une stratégie prosélyte offensive. C'est ainsi qu'Ançar Dine s’est graduellement diffusée

dans les pays africains limitrophes et en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. La

mission prosélyte de la Fédération d’Ançar Dine internationale (FADI)179 est d'ailleurs

promulguée dans les documents officiels de l’association bien que les membres du bureau

exécutif ne montrent pas une unité quant à ce positionnement de l’organisation. Lorsqu’il a

été question des moyens de diffusion de l’association à l’échelle internationale, dans le

cadre d’un focus group avec des membres de l’administration, un militant présent a pris la

parole en coupant ses comparses, en argüant que l’association n’avait aucun dessein

prosélyte, et que ce sont les membres qui ont manifesté l’intérêt de partager les idées du

guide spirituel :

C’est surtout à travers la presse du guide que les gens ont entendu la bonne nouvelle, ils y sont intéressés. Des Maliens en parlaient à l’étranger, c’est sûr, mais ce n’est pas parce que des groupes spécifiques ont quitté le Mali qu’Ançar Dine (international) s’est organisé à l’étranger. Les adeptes qui y adhéraient se sont organisés seuls, ils ont eux-mêmes constitué des associations180.

177 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p.13. 178 Mamadou Ndongo Dimé, « Remise en cause, reconfiguration ou recomposition? Des solidarités familiales à l’épreuve de la précarité à Dakar », Sociologie et sociétés, vol. 39, no. 2, 2007, p. 159. 179 La Fédération Ançar Dine internationale a vraisemblablement été créée le 22 mars 2008 et officiellement reconnue le 18 février 2011, lors de la Conférence internationale tenue annuellement à Bamako. Sa création a pour objectif « d’harmoniser les politiques et orientations des organisations ançar nationales membres et opérationnaliser la vraie solidarité islamique […] » (Art. 4). Statuts, « Objectifs », Fédération Ançar Dine internationale (FADI), 18 février 2011, p. 3. 180 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.

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Pourtant, les documents officiels de la Fédération d’Ançar Dine International (FADI)181

attestent d’une organisation tentaculaire qui s’étend dans une vingtaine de pays et d’une

volonté de répandre un sentiment d’appartenance communautaire. L'intervention de ce

responsable lors de cette discussion de groupe montre clairement un climat général de

méfiance quand il est question de réseaux transnationaux musulmans, car les violences

perpétrées par des groupuscules radicaux, tant sur la scène internationale (Al Qaïda, Boko

Haram) que nationale (AQMI, Ansar Eddine), conduisent à un amalgame entre les réseaux

prosélytes purement idéologiques et les réseaux salafistes djihadistes menant des actions

terroristes. À ce propos, René Otayek souligne que, lorsqu’il est question de

transnationalisation islamique, « c’est souvent dans une perspective sécuritaire qu’entretient

la déterritorialisation de l’islam radical, si bien que l’usage même du terme réseau,

lourdement connoté […] s’avère problématique »182.

Malgré les différences linguistiques dans les divers pays où est basé Ançar Dine, le

fait que les prêches soient prononcés en bambara à l’international par l’association restreint

considérablement l’auditoire et atteste d’un afrocentrisme ouest-africain assumé. Cela étant,

l’appartenance à cette association qui s’apparente dans son organisation à une confrérie

transcende les limites frontalières, tel qu’en atteste l’un des membres : « Il y a certainement

une solidarité entre les Ançars, mais c’est bien plus que la umma islamique. Un Ançar d’ici

ou de Côte d’Ivoire, c’est exactement la même chose. Si je pars en Côte d’Ivoire, je deviens

ivoirien d’office. Je vais retrouver le bureau d’Ançar Dine et j’aurais les mêmes avantages

et prérogatives qu’eux »183. Ce témoignage révèle à quel point est priorisé le sentiment

d'appartenance à une communauté musulmane régionale. Il est d’autant plus pertinent

compte tenu de la question de l’« ivoirité » et des enjeux entourant la citoyenneté et

l’identité ivoirienne. En ce sens, les travaux menés par Marie Nathalie LeBlanc concernant

la dichotomie identitaire de jeunes musulmans maliens vivant en Côte d’Ivoire révèlent

qu’« à travers l’islam [les jeunes musulmans maliens] transcendent les frontières nationales

181 Voir annexe IV, p. 132. 182 René Otayek, op. cit.,, 2003, p. 52. 183 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.

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et s’identifient à l’univers commun de leur religion, en se référant notamment à

l’umma »184.

Nonobstant la démonstration de Marie Nathalie LeBlanc, il s’avère plutôt que les

membres d’Ançar dine se rattachent à une logique sous régionale musulmane concrète,

contrairement à celle de la grande umma. Depuis sa création, l’association a mis en place

un large réseau de services par la création d’une boulangerie et d’une banque islamique de

microcrédit à intérêt fixe, au sein desquels des fidèles travaillent, d’une agence de voyages

et d’un centre hospitalier, récemment construit dans le quartier de Bankoni. Ançar Dine

aurait également acquis 300 hectares185 de terre qu’elle met à disposition d’agriculteurs et

un centre d’hébergement qui peut accueillir plus 400 personnes dans le besoin 186 .

Finalement, calquée sur les logiques confrériques, l’association d’Haïdara a cultivé une

dynamique de solidarité entre les membres entrainant un fort sentiment d’appartenance

communautaire, si fort qu’il dépasse celui de la umma187.

Les deux associations à l’étude cultivent, de par leurs actions socioéconomiques,

prêches et discours, un sentiment d’appartenance qui se vit et se confirme au quotidien. Un

sentiment d’appartenance à la communauté associative est alimenté par les leaders et

confirmé par les militants, comme nous l'avons vu, à travers le processus d’adhésion, la

participation aux activités de l’association, la diffusion d’un discours commun et le

renforcement d’un attachement à la figure du leader religieux, figure de proue des

associations étudiées. Les objectifs associatifs de l’UJMMA et d’Ançar Dine s’inscrivent

dans une logique identitaire double; locale et régionale. Cependant, à travers ces cas de

figure, une construction identitaire territorialisée rejetant toute figure étrangère, prônant

l’adhésion à un « vrai islam », est mise en exergue. Bien qu’il existe « une variété

d’interprétations données de l’islam pur et simple, entre identité nationale et identité

184 Marie Nathalie LeBlanc, « L’orthodoxie à l’encontre des rites culturels. Enjeux identitaires chez les jeunes d’origine malienne à Bouaké (Côte d’Ivoire) », Cahiers d’études africaines, 2, no. 182, 2006, p. 422. 185 « L’homme de l’année : Ousmane Chérif Madani Haïdara : La personnalité religieuse qui a sauvé le Mali en 2012», Le Progrès, 4 janvier 2013, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/lhomme-de-lannee-ousmane-cherif-madani-haidara-la-personnalite-religieuse-qui-a-sauve-le-mali-en-2012-115303.html, page consultée le 12 mars 2018. 186 A. D., « Présidentielle de juillet 2013 : Le chef religieux Haïdara dévoilera le nom de son candidat », L’indicateur du Renouveau, 17 mai 2013, [En ligne]: http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/72002-presidentielle-de-juillet-2013-le-chef-religieux-haidara-devoile.html, page consultée le 12 novembre 2016. 187 Salilou Dramé, op. cit., 2011, p.112.

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ethnique, entre communauté naturelle et communauté musulmane »188, l’identité, mise de

l’avant par ces associations, est en effet celle qui se rattache à un héritage culturel et

religieux malien, à fort enracinement local.

188 Jacques Waardenburg, loc. cit., 1994, p. 32.

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B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et

conflits doctrinaux : entre complexité et ambigüité des relations entre les

acteurs religieux maliens

Les leaders religieux se sont emparés de l’espace public au cours des deux dernières

décennies, contrebalançant du fait même l’influence des politiques sur l’opinion publique.

Désignés par la jeunesse actuelle comme étant des références de l’ordre moral et les

représentants des musulmans, les leaders religieux font figure de médiateurs entre l’État et

la population. Dans ce paysage religieux multiple, des affronts se dessinent et des alliances

se forment entre les deux tendances dominantes dans la sphère religieuse, et ce, dans une

volonté de canaliser l’opinion publique. Ce jeu compétitif est d'autant plus remarquable que

la sphère religieuse malienne est plurielle, une pluralité qui se révèle dans les relations

intergénérationnelles, sociales et interconfessionnelles189, les divers courants religieux et

dans les associations islamiques.

L’incident du deuxième congrès du HCI illustre bien cette situation, car il dévoile

une rude concurrence entre les leaders religieux du Mali, le HCI et l’État. En effet, le

deuxième congrès du HCI devait se tenir, initialement, du 15 au 17 avril 2014, à

Bamako190. Lors de ce congrès, les 45 membres du bureau exécutif national et leurs 300

délégués devaient procéder au renouvèlement du bureau exécutif et du mandat du président

du HCI qui était échu depuis janvier 2013, jusqu’alors détenu par Mahamoud Dicko,

d’obédience wahhabia191. Les candidats à la présidence étaient Mamadou Dicko et son

adversaire d’obédience tijanya, Thiem Hady Oumar Thiam. Ce dernier était soutenu par le 189 Céline Thiriot, « Islam et espace public au Mali : une société civile religieuse très engagée », in Dominique Darbon, René Otayek et Pierre Sardan (dir.), Altérité et identité, itinéraires croisés. Mélanges offerts à Christian Coulon, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 214. 190Abdrahmane Dicko, « Haut Conseil Islamique : 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sin die », Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : http://maliactu.net/haut-conseil-islamique-le-2e-congres-ordinaire-sous-haute-tension-reporte-sine-die/, page consultée le 2 novembre 2014. ; Papa Sow, « Haut Conseil Islamique du Mali : Un congrès sous haute tension», Maliweb, 19 avril 2014, [En ligne ] : http://www.maliweb.net/societe/haut-conseil-islamique-du-mali-congres-haute-tension-252302.html, page consultée le 26 novembre 2014. ; A. Diakité, « Après le report du HCIM : Appel à la mise en place d’une commission ad hoc », L’indicateur du Renouveau, 17 avril 2014, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/apres-report-du-congres-du-hcim-appel-mise-en-place-dune-commission-ad-hoc-246922.html, page consultée le 16 novembre 2014. 191 Siaka Z. Traoré, « Du rififi au haut conseil islamique : l’Union des Jeunes Musulmans du Mali se révolte contre Mahmoud Dicko », Le Guido, 29 mai 2013, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/du-rififi-au-haut-conseil-islamique-lunion-des-jeunes-musulmans-du-mali-se-revolte-contre-mahmoud-dicko-149035.html, page consultée le 20 novembre 2014.

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Groupement de leaders spirituels musulmans (GLSM) 192 et par de nombreux délégués

venus des régions éloignées du Mali, tandis que le président sortant avait le soutien d’une

majorité de délégués wahhabia siégeant dans la région administrative de Bamako.

Un article du journal Le Prétoire, en date du 17 avril 2014, rapporte que le

communiqué du 14 avril, soit la veille du congrès, lu par le ministre des Affaires religieuses

et du Culte à la télévision nationale, annonçait le report du congrès pour une date encore

indéterminée. On justifiait ce report par le séjour à Dakar, aux mêmes dates, du chef d’État

qui devait alors présider la cérémonie d’ouverture du congrès 193 . Au lendemain de

l’annonce, il a été demandé aux 300 délégués de regagner leur foyer jusqu’à nouvel ordre.

Seulement, deux jours après leur départ, soit le 17 avril, il est annoncé que le chef d’État et

Mahamoud Dicko ont convenu de tenir le congrès le 19 avril 2014. Dans l’impossibilité de

revenir à la capitale, de nombreux délégués ont boudé la tenue du congrès qu’ils jugeaient

sous l’emprise du président Ibrahim Boubacar Keïta et les membres wahhabia du HCI.

Dans un entretien accordé au quotidien Le Prétoire, le 24 avril, Mohamed Macky

Bah justifie sa décision de ne pas s’être présenté à la tenue du second congrès en ces

termes:

J’avais demandé à nos partisans de ne pas participer à ce congrès, mais c’est le Chérif Ousmane Madani Haïdara qui a imploré les gens afin qu’ils participent pour sauvegarder la stabilité et la cohésion du pays. En tout cas, j’ai décidé de ne pas partir, car les informations que nous détenions n’auguraient pas la bonne tenue de cette assemblée. J’ai dit que si nous partons (sic), on allait regretter. Ils sont partis, ils ont regretté et ont par la

192 Le GLSM, qui serait, selon les dires du fils du Cheikh d’Haïdara, composé exclusivement de soufis, a été fondé au début de l’année 2012. Le GLSM regroupe des associations et des structures religieuses à tendance soufie qui luttent contre la radicalisation de l’islam par la promotion d’un islam tolérant et pacifique. Dirigé par le guide spirituel d’Ançar Dine, Chérif Haïdara, le groupement cherche à faire contrepoids à l’influence wahhabia dans la sphère religieuse. En ce sens, les leaders soufis, contrairement aux représentants religieux wahhabia, ont sévèrement condamné la destruction de lieux saints, héritage d’une longue tradition religieuse malienne. Alassane Ciné, « Mali : Chérif Madani Haidara (Groupement des leaders spirituels du Mali) “Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les béndictions de Dieu” », Notre printemps, 8 décembre 2015, [En ligne] : http://maliactu.net/mali-cherif-madani-haidara-groupement-des-leaders-spirituels-musulmans-du-mali-nous-nallons-pas-ceder-a-la-terreur-le-maouloud-aura-lieu-avec-les-benedictions-de-dieu/, consultée le 20 octobre 2016. 193 Bakary Sogodogo, « Report du congrès ordinaire du HCI : les éclairages de Mahmoud Dicko », Le Prétoire, 17 avril 2014, [En ligne] : http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99381-report-du-congres-ordinaire-du-hci-les-eclairages-de-mahmoud-dic.html, page consultée le 19 novembre 2014.

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suite boycotté le congrès, car il ne servait à rien de défendre une cause déjà perdue194.

Afin de témoigner leur désaccord, les membres du GLSM ont menacé de se retirer de

l’organisation après ces évènements et de créer leur propre Haut Conseil Islamique195. Bien

que ce projet n’ait certes jamais abouti, les activités du HCI ont été stoppées durant

quelques mois.

Une autre interprétation est donnée par un grand commerçant siégeant au HCI,

d’obédience wahhabia : « Plusieurs personnes prisaient la présidence, c’est toujours

comme ça les élections. Haïdara voulait avoir le poste, mais les gens ne voulaient pas. Ça

n’a pas plu à ses fans, à ses adhérents (sic). Dicko a été contraint à présider à nouveau, car

il voulait se retirer, mais on l’a choisi. Thiam voulait aussi, mais il a été rejeté par les

membres »196. Aux menaces de l’UJMMA et plus largement du GLSM, celui-ci répond

que « le Haut Conseil Islamique n’avait pas à réagir, c’était le travail de l’État. L’État a

immédiatement réagi en disant qu’il ne reconnait qu’un seul et unique HCI au Mali. On n’a

même pas eu à nous prononcer (membres du HCI). Des tiraillements du genre, il y en a

toujours, ça fait partie des choses »197.

Il n'en demeure pas moins que de nombreux témoins appartenant aux deux

associations à l’étude, Ançar Dine et UJMMA, ont fait part de leurs réserves quant à

l’immixtion de l’État dans l’organisation du congrès :

Un fin observateur s’attendait à ce problème. C’est regrettable! […] Il y a une forte opposition entre les soufis, tijania, les spirituels [GLSM] qui sont opposés à l’idéologie wahhabite. Et si le HCI ne peut défendre tous les musulmans, on s’en occupe. Mais on ne s’est pas détaché du HCI, on n’était pas prêt à le faire. C’est l’État qui a créé le HCI, mais ça ne devrait pas une branche dirigée par l’État. Ça ne peut pas se faire sans le peuple. Il y a des

194 Oumar Konaté et Bakary Sogodogo, « Mohamed Backi Ba : IBK a installé son Haut Conseil Islamique, nous allons installer le nôtre », Le Prétoire, 24 avril 2014, [En ligne] : http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99929-mohamed-macki-ba-«ibk-a-installé-son-haut-conseil-islamique,-nou.html, page consultée le 19 novembre 2014. 195 Ibidem. 196 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 197 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014.

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négociations entre nous aujourd’hui, ça en prend avant qu’il y ait une rupture. Des efforts sont accomplis des deux bords198.

La lecture des évènements survenus lors du 2e congrès du HCI que fait Habib Kan, membre

de l’UJMMA, reflète un certain malaise des membres de son association quant aux liens

étroits entre le HCI et l’État. L’intervention du président dans l’organisation du congrès

dévoile toute la complexité des rapports entre le politique et le religieux dans la sphère

religieuse malienne.

En ce sens, un jeune membre de l’UJMMA a partagé son opinion concernant la

relation ambigüe entre les autorités religieuses et publiques : « Les dirigeants de l’État

devraient considérer les leaders religieux comme de véritables conseillers afin de faire

avancer le pays. Cependant, je pense que [ces derniers] ne devraient que conseiller les

hommes politiques. Ils sont un socle sur lequel l’État devrait se reposer. Le rôle des leaders

(religieux) est aussi d’écouter la société civile, de transmettre son message et de collaborer

avec l’État »199.

La relation entre les deux sphères, religieuse et politique, laisse de nombreux

témoins ambivalents quant à la frontière à tracer entre l’État et les associations religieuses.

Le trésorier d’Ançar Dine, Seidou, a tenu à défendre la position de son association quant à

ses liens avec l’État et le HCI :

Avec ce qui est arrivé récemment, le HCI a pris en otage le congrès, tous les postes clés leur appartiennent (les wahhabias). Les autres, ils ont les petits postes comme adjoint ou 3e président. Si le président de la République a des problèmes au niveau du culte, les premiers qu’il va voir c’est les premiers responsables du HCI […] Mais on s’est réveillé, il ne faut pas les laisser. On n’a pas besoin de l’État […] C’est ici que les tendances ressortent réellement (dans les relations avec l’État). Le groupe des leaders religieux (GLSM), leur racine c’est l’islam authentique. Ils ont fait de l’islam une religion de stabilité et de paix200.

198 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 199 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. 200 Entretien avec Seidou, trésorier d’Ançar Dine, dans les bureaux du témoin (quincaillerie), 15 juillet 2014.

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La presse malienne présente les évènements avec les mêmes lunettes d’analyse en

soulignant ceci: « Deux clans se battent aujourd’hui à ce 2e congrès qui vient d’être reporté.

Il s’agit du clan du président sortant, Mahmoud Dicko, et celui de Thierno Hady Oumar

Thiam. Ce dernier est le candidat de ceux qui se réclament de l’islam traditionnel ou

modéré »201. Pour faire front au « clan » de Mahmoud Dicko, des hommes religieux qui se

réclament de l’islam traditionnel malien, pour reprendre les termes de nos témoins, ont

rejoint le GLSM. À cet effet, la création du GLSM s’est faite sur fond de querelle au sein

du HCI, certains leaders accusant les wahhabia de dominer le paysage religieux malien.

Cette lecture binaire fut relayée par de nombreux témoins, notamment le fils du

Chérif Haïdara qui nous a partagé sa lecture : « Beaucoup d’associations comme celle des

leaders religieux (GLSM), composées de soufis, se sont opposées au comportement du

HCI. Le problème vient des conflits, nous sommes tous sunnites, mais dans les sunnites, il

y a des wahhabia, au Mali ils forment maximum 15 % de la population. Et au HCI, ils sont

majoritaires, les soufis ne sont pas d’accord avec ça, ils ont donc suspendu le bureau »202.

En somme, le GLSM et Ançar Dine tendent à se détacher de l’influence idéologique et

financière des wahhabias, qui selon nos témoins d’obédience tijania, sont dominants dans

la sphère religieuse :

Le président du HCI est un wahhabia. Quand tu es président, il faut être impartial et être juste entre les deux tendances. Il a laissé le soufisme (sic). Nous, les femmes, nous ne voulons pas entrer dans ce combat, mais on demande la tolérance et la justice entre les deux tendances. C’est ma vision et celle de beaucoup de gens. […] De plus, les wahhabias sont minoritaires au Mali et ils nous dominent par notre tolérance et notre sens du pardon. Ils nous dominent parce qu’ils sont instruits, ce sont des intellectuels. […] Ils ont de l’argent et sont intelligents203.

Ces paroles, tenues par la fille du chérif Haïdara, renvoient à une pensée marquée de

clichés et de préjugés envers les musulmans d’obédience wahhabia partagée par quelques

membres de l’association : « Les wahhabites sont intelligents, ils sont beaucoup instruits.

201Abdrahamane Dicko, « Haut Conseil Islamique : le 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sine die », Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : https://maliweb-malijet.tumblr.com/post/82917273985/haut-conseil-islamique-le-2e-congr%C3%A8s-ordinaire, consultée le 22 novembre 2014. 202 Entretien avec Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, rencontré au siège de l’association, 14 juillet 2014. 203 Entretien avec Djenaba Haidara, fille du président d’Ançar Dine, rencontrée aux bureaux de l’agence de voyage de l’association, 20 juillet 2014.

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Sur 100 personnes, disons qu’il y a 50 personnes instruites, sur les 50, il doit y avoir 40 qui

sont wahhabites. Ils ont tout lu, ils savent faire les choses »204. Les paroles rapportées par

ces témoins sont symptomatiques de tensions qui perdurent entre deux clans distincts.

Dans les années 1990, Louis Brenner dressait déjà un portrait binaire de la communauté

musulmane malienne : « De profondes divergences les opposent les uns aux autres. La plus

notoire est celle qui dresse face à face ceux qu’on appelle les sunnites ou wahhabites et les

traditionalistes. […] La société malienne contemporaine est fortement segmentée »205. Les

évènements du HCI évoquent, certes, des relations difficiles entre les diverses fractions,

mais ils font par-dessus tout surgir des tensions jamais enterrées, qui s’inscrivent dans

l’histoire contemporaine malienne.

Ce clivage a fait surface au Mali au cours des années 1950 et dans plusieurs pays

musulmans de l’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.

Les tensions qui en résultèrent, entre ce que l’on peut qualifier de deux groupes doctrinaux,

sont encore perceptibles aujourd’hui. De nombreux témoins, des deux générations, se sont

référés à cette période de l’histoire du pays pour expliquer les tensions actuelles en

rappelant que la grande majorité des musulmans maliens s’identifient aux confréries

soufies (Tijaniya et Qadriya). Or, ces confréries renvoient à un islam implanté depuis plus

d’un millénaire au Mali. Au cours des siècles, le culturel et le religieux ont cohabité

entrainant un profond syncrétisme. Un syncrétisme islamique auquel le fondateur du

wahhabisme, Muhammad Abd al-Wahhab (1703-1793), s’opposait fermement. Ce dernier

proposait plutôt de « restaurer l’islam dans sa pureté originelle en bannissant les

innovations et superstitions et en pratiquant une politique d’expansion »206.

Afin de mieux saisir les tenants et aboutissants de ces divisions auxquels les témoins

font référence, il convient de survoler la diffusion du wahhabisme en Afrique de l’Ouest207,

dont la capitale malienne a été l’un des principaux foyers de cette doctrine dans la sous-

région208. Cette pensée originaire d’Arabie Saoudite fut partagée en Afrique de l’Ouest par

des pèlerins de retour la Mecque, dès les années 1930, et plus largement instaurée après la

Seconde Guerre mondiale par des diplômés de l’Université Al-Azhar (Caire, Égypte) de

204 Entretien avec Seidou, trésorier d’Ançar Dine, dans les bureaux du témoin (quincaillerie), 15 juillet 2014. 205 Louis Brenner, loc. cit., 1996, p. 185. 206 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345. 207 Au milieu du XXe siècle. 208 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345.

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retour au pays au milieu du XXème siècle. Bénéficiant d’une grande notoriété et d’un

important financement des fonds pétroliers, les hadjs et les diplômés de l’université

islamique ont ouvert de nombreuses écoles coraniques afin de transmettre aux plus jeunes

ce qu’ils considéraient être l’islam « vrai » et « pur »209. En « proclamant la supériorité de

leur orthodoxie sur les autres mouvances de l’islam et notamment les grands soufis »,210 les

adeptes du wahhabisme ont provoqué une véritable onde de choc dans une région où les

consultations maraboutiques et le culte des saints sont des pratiques largement répandues.

Effectivement, ce foyer religieux adresse de fortes critiques à l’égard des marabouts, des

pratiques mystiques, des confréries et de l’islam populaire. Cette lecture élitiste, car

longtemps réservée aux grands commerçants et intellectuels, a entrainé des conflits dans

tous les foyers du wahhabisme, dont Ouagadougou et Bamako211.

Dès les années 1950, au Burkina Faso et au Mali, des pogromes anti-wahhabia

furent mis en place par les pouvoirs coloniaux. Les désaccords furent tels que d’importants

conflits éclatèrent dans les deux capitales. À ce titre, Birama, un témoin appartenant au

courant littéraliste, et dont le père fut un acteur central dans la diffusion du mouvement à

Bamako, atteste de cette tension dans la capitale malienne :

Il (son père) est allé en Arabie Saoudite, a aimé la pratique et l’islam là-bas, il a cherché à comprendre et il a commencé à pratiquer la Sunna. Ça n’a pas été facile pour lui. Vous savez, la Sunna c’est la meilleure pratique, c’est la tradition issue du Prophète. Les gens s’y opposaient, ils n’aimaient pas parce que ce n’était pas leur pratique, ils voyaient ça comme une importation, ils l’appelaient le wahhabia. Il y a même eu une bagarre en 1957. Ils lui ont cassé sa boutique, il a dû aller à Dakar. [Le témoin ne précise pas qui sont les « ils »] Il est allé à Dakar pour avoir l’autorisation du gouverneur à pratiquer sa religion. Vous savez, ce n’était pas encore une République, mais c’était laïc, donc il avait le droit de pratiquer sa religion, il a dû se battre et avoir une autorisation. Et puis, il n’obligeait personne. Il pratiquait pour lui-même et les gens venaient vers lui parce qu’ils aimaient ça. Mais ça dérangeait beaucoup les imams bien installés. Eux ils avaient des pratiques de Marabouts, c’est contre l’islam […] C’est (le wahhabisme) un héritage familial, mais aussi au

209 Le courant propose une lecture littéraliste totalement épurée des emprunts culturels locaux, il en appelle à la plus pure tradition prophétique. 210 Maud Saint-Lary, « Du wahhabisme aux réformismes génériques. Réveil islamique et brouillage des identités musulmanes à Ouagadougou», Cahiers d’études africaines, no.206-207, « L’islam au-delà des catégories », 2012, p. 457. 211 Voir l’incontournable ouvrage de Lansiné Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French West Africa, Evanston, Northwest University Press, 1974, 285p.

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Mali. Le Président, en 1960 était contre lui. Tout le monde allait à une seule et la même mosquée de Bamako, la Grande mosquée aujourd’hui […] Mon père devait se cacher pour prier. La milice était impliquée aussi, il n’avait pas le droit, car il dérangeait. Finalement, après le coup d’État, lui et trois de ses fidèles amis sont allés voir Moussa Traoré. Leur principal problème et revendication étaient la religion. Ils voulaient une mosquée et pouvoir prier en paix. Moussa Traoré leur a donné l’autorisation. Et c’est de là que les mosquées sunnites ont proliféré. Par contre, Traoré ne voulait pas financer, ils ont donc construit la première mosquée sunnite Mazjt nour début des années 1970212.

Ce témoignage renvoie à un épisode de l’histoire malienne qui, à la lumière des

témoignages recueillis, a marqué les mémoires. Tel que l’explique Jean-Loup Amselle213,

le pogrome anti-wahhabia de mai 1957, dont les causes sont idéologiques et politiques214,

est à l’origine du pillage de plusieurs centaines de concessions de membres et de

sympathisants du RDA par « les éléments traditionalistes, c’est-à-dire représentant les

intérêts de l’administration coloniale, du chef de province et des marabouts »215. L’auteur

rapporte, tout comme notre témoin, que les leaders wahhabias ont réitéré leur demande au

gouvernement pour la construction d’une mosquée, ce qui fut à nouveau refusé. Par

ailleurs, comme le soulève Birama, le régime de Moussa Traoré sera beaucoup plus tolérant

envers le courant wahhabia avant de regrouper tous les courants musulmans maliens sous

l’AMUPI216.

Un autre témoin de la même obédience a fait mention de ces tensions toujours

existantes :

212 Entretien avec Birama entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 213 Les évènements auxquels fait référence le témoin sont largement couverts dans les travaux de l’anthropologue Jean-Loup Amselle (1985) et l’historien Lansine Kaba (1974). 214 Les intellectuels wahhabites furent séduits par les idées nationalistes durant leurs séjours académiques dans les pays arabes, ce qui les dressa naturellement contre les marabouts et les cheikhs perçus comme les « agents fidèles du colonisateur ». Ces derniers se sont donc rapprochés de l’organisation politique anticoloniale, le Rassemblement Démocratique Africaine (RDA). Ils en sont même venus à demander au RDA de financer la construction d’une mosquée wahhabia et d’une madrasa dans la capitale. Craignant que le mouvement ne gagne en influence, le pouvoir colonial entreprit d’affaiblir le RDA. Voir Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 351. 215 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 351. 216 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 352.

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Je suis sunnite et je l’ai vu l’intolérance, et ce, depuis 1948. Il y a eu une guerre entre les tendances. La tendance traditionnelle et les wahhabites, ça se réveille à travers des prêches. Mais le mouvement sunnite est béni. Ils ont mal agi à cette époque, car en venant affirmer que l’islam traditionnel est une déviation, ils les ont provoqués et ça les a frustrés. Des familles ont été saccagées et des maisons attaquées (sic), des wahhabites ont dû se cacher dans leurs puits. En plus, nous étions minoritaires, il y a eu beaucoup de pertes… Il y a encore des tensions, mais pas comme avant. Je suis sunnite, mais aujourd’hui je prie chez les traditionalistes et eux viennent prier chez les wahhabia. La guerre a tout larvé (aggravé)217.

Le fait que de nombreux individus rencontrés ont tenu à se détacher distinctement

de « cet islam » jugé fondamentaliste qui a secoué le pays et qui n’est pas à l’image de

« l’islam malien » pacifiste montre à quel point la récente « crise [malienne] a revivifié des

tensions alors étouffées »218 et a fait ressurgir à la surface une longue opposition entre

l’islam confrérique et le wahhabisme 219 . Au fil de nos entretiens, la condamnation

catégorique des wahhabia passait d’abord par la réaffirmation de son appartenance à

l’islam millénaire malien et par une opposition explicite entre le « bon islam millénaire et

pacifiste » et le « mauvais islam étranger radical ». Cela fait écho aux écrits du sociologue

Alix Philippon : « le soufisme s’est peu à peu imposé comme une forme religieuse

apolitique et tolérante constituant une alternative au radicalisme islamique »220. Pour autant,

cet islam, à priori pacifiste et tolérant, durcit le ton lorsqu’il s’agit du courant wahhabia221.

La fille du leader Chérif Haidara a soulevé ces antagonismes lorsque nous lui avons

demandé de se prononcer sur l’islamité de la jeunesse malienne :

Ceux qui pratiquent devraient se tendre la main, la seule chose qui me préoccupe au Mali c’est la paix. Il faut que les hommes et les femmes se donnent la main pour que l’autorité parvienne à ramener la paix au Mali. Les jeunes ne s’entendent pas du tout, ils vont jusqu’à s’insulter. L’un dit que

217 Entretien avec Mamadou Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 218 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, « Crise malienne : quelques clefs pour comprendre », Confluences en Méditerranée, no. 85, 2013, p. 205. 219 Toutefois, notons que les auteurs ne se sont pas penchés spécifiquement sur ce sujet au cours des dernières décennies. 220 Alix Philippon, « Bon soufi et mauvais islamistes. La sociologie à l’épreuve de l’idéologie », Social Compass, 2015, p. 189. 221 Ces antagonismes sont aussi visibles dans d'autres pays tels que le Burkina Faso, voir Issa Cissé, « Le wahhabisme au Burkina Faso : dynamique interne d’un mouvement islamique réformiste », Cahiers du cercle SHS, tome 24, 2009, p. 1-33.

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c’est noir, l’autre dit que c’est blanc. C’est devenu que juste (sic) le fait de se croiser les bras durant la prière et laisser pousser la barbe est un problème. Ça n’a rien avoir avec l’islam, ce sont des choses inutiles, il faut aller de l’avant […] Nous, qui fêtons le Maouloud, qui faisons la zawiya222, on peut réunir tout le monde, on n’est pas contre le HCI223

Celle-ci fait référence à un habitus arabisé adopté par les wahhabia, dans la mesure où

ceux-ci ont tendance à se saluer en arabe et à prier les bras croisés. Ces derniers refusent

également de serrer la main du sexe opposé. Ces comportements distinctifs créent une

division immédiate et visible entre les fidèles. Plus encore, les tensions qui se manifestent

dans les débats publics modèlent les constructions identitaires et les constructions

imaginaires de l’Autre.

Cette volonté de réitérer son attachement à l'islam local transcende les profils sociaux

des personnes rencontrées. Le propos d'un jeune dans la vingtaine rencontré dans un grin de

la Dravéla fait écho aux propos collectés auprès de la fille de Haidara. En effet, ce jeune a

réitéré à de multiples reprises son attachement à « l’islam malien », celui de ses ancêtres et

celui qui l’autorise à utiliser le chapelet224. Il a explicitement affirmé son appartenance à la

confrérie tijania avant d’accuser les sunnites de vouloir prendre le pouvoir au Mali. Ce

dernier soulève deux éléments fondamentaux de l’habitus musulman : l’éducation

religieuse transmise par le marabout et l’utilisation du chapelet, chose sévèrement critiquée

par le courant wahhabia.

L’adoption de marqueurs identitaires ostentatoires définis plus haut prend une

dimension contestataire affichée dans l’espace public et vient aussi en opposition avec le

culte des saints, les cérémonies ostentatoires dans le cadre du mariage, du baptême, des

funérailles ou du retour d’un pèlerin. Ces moments qui cadrent les cycles de la vie sont,

selon nos témoins soufis, indissociables de l’identité malienne. Le rassemblement annuel

d’Ançar Dine réunissant jusqu’à 50 000 personnes au stade de Bamako, lors du Maouloud,

s'inscrit dans cet ensemble cérémoniel et témoigne de l’attachement à cette tradition par de

nombreux Maliens. Ces marqueurs identitaires ne font qu'accentuer les particularismes

222 Voir glossaire, p. vi. 223 Entretien avec Djeneba, fille du Chérif Ousmane Haidara, dans les bureaux de l’agence de voyages de l’Association, 20 juillet 2014. 224 Entretien avec Mamadou, jeune étudiant, dans un grin situé dans la Dravéla, 23 juin 2014.

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religieux dans l'espace public. Les propos du président de l’UJMMA à l'encontre des

musulmans wahhabias en témoignent :

Les wahhabias, c’est des radicaux. Ils coupent les bras des innocents avec l’appui du gouvernement islamisé. Ce sont des salafistes radicaux. Nous, notre islam est authentique, il vient de Djenné, de Tombouctou… Le wahhabia est fabriqué par l’Occident et soutenu par l’Arabie Saoudite. On est tous musulmans, mais on comprend l’islam différemment. Il y a des divisions de fond entre les musulmans au Mali, s’ils semblent unis, ce n’est que de façade225.

Ces propos contrastent avec le discours rassembleur diffusé par l’association. Appartenant

à une longue lignée de marabouts, Macky Bah défend l’islam dit authentique, en référence

aux traditions maliennes. En tant que tijania modéré, dit-il, le leader spirituel a refusé de

recevoir une quelconque formation en Arabie Saoudite en raison des désaccords

idéologiques qu’il a avec la mouvance wahhabia. Ce discours ne fait pas exception,

largement repris par les militants rencontrés, il confirme la diabolisation du wahhabisme

qui est associé à la figure d’étranger 226, comme nous le verrons plus précisément au

prochain chapitre, mais aussi toute tendance qui propose le respect strict des préceptes

religieux par l’application de la sharia – Dieu étant perçu comme le législateur227 – et qui

affiche la volonté de contester le pouvoir en place.

En raison de l’approche littéraliste prônée par les wahhabias et l’expression puriste

de ce courant, de nombreux témoins rencontrés voient une confusion entre toutes les

formes de rigorisme islamique auquel se rattachent à la fois l'islamisme, le

fondamentalisme, le salafisme228. Le président de l’UJMMA qui voit d’ailleurs une rupture

225 Entretien avec Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, dans les appartements privés de l’individu, 24 juin 2014. 226 Issa Cissé, loc. cit., 2009, p. 7. 227 David Westerlund, « Reaction and Action: Accounting for the rise of Islamism », in D. Westerlund et E.E. Rosander (dir.), African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists, Athens, Ohio, Ohio University Press, 1997, p. 309. 228 Pour une analyse plus poussée sur ces différents termes, voir notamment : Kramer, M. « Coming to terms : fundamentalists or islamists? », The Middle East Quaterly, Spring, 2003, p. 65-77; Henri Lauzière, The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press, 2016; Nabil Mouline, Histoire du salafisme, Champs, Flammarion, 2017; Bassam Tibi, The Challenge of Fundamentalism : Political Islam and the New World Disorder, Berkeley, University of California Press, 2002; Bassam Tibi, « Changing Islamism: from Jihadism to institutional Islamism, a moderation? », Soundings : An Interdisciplinary Journal, 98 (2), 2015, p. 146-162; Frédéric Volpi, Political Islam : a critical reader, New York, London, Routledge, 2011; Quintan Wiktorowicz, « Anatomy of the Salafi Movement »,

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complète dans le monde musulman en raison de l’immixtion du politique dans le religieux,

en appelle tout de même à une unification des Maliens musulmans pour une restauration de

l’image de l’islam qui serait porteur de paix et de tolérance.

Nous observons donc un écart notable entre le discours du président et les objectifs

mêmes de l’association qui se veut fédératrice. Macky Bah, se définissant comme un

« fervent opposant du HCI »229 souligne que l’UJMMA fédère, car, elle regroupe plus de

100 associations islamiques maliennes et que l’une des premières missions de l’association

est de faire « converger les objectifs des musulmans et d’amoindrir la division »230 tout en

montrant une volonté d’affranchir la sphère religieuse malienne de l’influence idéologique

étrangère. Le journal L’indépendant rapporte d'ailleurs, dans un article du 9 aout 2012, les

paroles tenues publiquement par Macky Bah :

N’acceptez pas certains dons offerts par des monarchies du Golfe. Ces dons sont de véritables cadeaux empoisonnés. Parce que ce sont les mêmes pays qui ont armé les islamistes, les ont endoctrinés et leur font perpétuer leur idéologie dans notre pays231.

Ces propos tenus lors d’une lecture du Coran à la Grande mosquée de Bamako le 17e jour

du Ramadan ont été prononcés en présence du ministre délégué de la Jeunesse, du Travail,

de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Bruno Maïga, ainsi que le ministre de

l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mountaga Tall. Lors de son

discours, Macky Bah a mis en garde les autorités maliennes et le citoyen malien de la

nature des dons et du financement des pays du Golfe 232 . L’indépendant rapporte que

Haïdara, président d’honneur lors du rassemblement, a surenchéri : « Le guide spirituel, de

l’association Ançar Dine, a invité les uns et les autres à faire preuve de bon sens. Au-delà

des autorités, chacun à son niveau doit faire extrêmement attention, nous devons en

Studies in Conflict and Terrorism, 29, 2006, p. 207-239; Bernard Rougier, Qu’est-ce que le salafisme? Paris, PUF, 2008. 229 Entretien avec Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 230 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 231 Abdoulaye Diarra, « L’UJMMA s’adressant aux autorités sur la nature de certaines aides destinées au nord : N’acceptez pas les cadeaux empoisonnés offerts par les pays du golfe », L’Indépendant, 9 aout 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/lujmma-sadressant-aux-autorites-sur-la-nature-de-certaines-aides-destinees-au-nord-nacceptez-pas-les-cadeaux-empoisonnes-offerts-par-des-pays-du-golf-85170.html, page consultée le 12 octobre 2017 232 Ibidem.

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principe savoir ce que nous voulons pour notre pays » 233 . Ces deux figures d'autorité

entendent bien extraire la sphère religieuse malienne, du moins leurs associations

respectives, de l’influence wahhabia qui est largement financée par les pays du Golfe234.

Les propos qui tirent la sonnette d'alarme du danger de voir le Mali être dépendant

de l'aide financière des pays du Golfe et de son corollaire, celui de voir le wahhabisme

s'étendre, résultent d'un constat clairement dressé par Gilles Holder. Cet auteur soutient que

la manne saoudienne a largement soutenu et financé la sphère islamique malienne235. Au

tournant des années 1990, le pays renforce en effet considérablement ses liens

diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, mais également la Libye et le Qatar. Cette

coopération multilatérale s’est illustrée dans le domaine de la santé, du religieux, du

culturel, de l’éducation et de l’économique, et ce, dans l’ensemble des pays africains. En

réaction à un important financement accordé par l’Arabie Saoudite pour la construction du

deuxième pont de Bamako, un article dans le quotidien proche de l’État, L’Essor, datant du

19 janvier 1990 expose à quel point cette coopération est présente en faisant valoir que « le

geste est à saluer à un moment où la question de l’aide au développement inspire plus

d’inquiétudes qu’elle ne suscite d’espoirs sur [le] continent [africain]. L’Arabie Saoudite

s’est impliquée dans la réalisation de tous les grands desseins économiques de notre pays et

son soutien a toujours conservé un caractère fraternel et désintéressé. Comme le sont les

relations tissées entre nos deux pays »236. En octobre 2014, le même journal rapportait que

l’Arabie Saoudite a accordé une enveloppe de 4 millions de dollars au Mali pour de

multiples programmes dans le domaine minier, agricole, scientifique, etc.237.

C’est pour réagir à ce réseau transnational financier et idéologique que la fédération

dirigée par Macky Bah et le Chérif Ousma Haïdara cherchent à atteindre une autonomie

financière et idéologique 238. À ce titre, et comme l’atteste le témoignage du trésorier

233 Ibid. 234 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 14. 235 Gilles Holder, « Un pays musulmane en quête d’État-Nation », in P. Gonin, N. Kotlok et M.-A. Pérouse de Montclos (dir.), La tragédie malienne, Paris, Vendémiaire, 2013, p. 147. 236 « Le rêve devenu symbole », L’Essor, 19 janvier 1990. 237 F. Napho, « Mali-Arabie Saoudite : Une coopération multiforme », L’Essor, 8 octobre 2014, [En ligne] : https://malijet.co/politique/cooperation/mali-arabie-saoudite-une-cooperation-multiforme, page consultée le 22 octobre 2016. 238 Des travaux menés en Guinée et au Sénégal ont laissé poindre les mêmes aspirations de la part des responsables d’associations musulmanes opposés à un islam traditionnel et dont « la volonté est d’être à l’initiative de la réislamisation de la société », voir Muriel Gomez-Perez, Louis Audet-Gosselin et Jonathan Leclerc, « Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à

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d’Ançar Dine Bamako et les documents financiers de l’association, la première source de

revenus du mouvement est la cotisation mensuelle des membres qui s’élève à 1500 francs

CFA. Les deux tiers de la cotisation sont versés au bureau local, soit celui de Bamako, et le

tiers restant est versé à la FADI. Le montant de cotisation des membres est fixé chaque

année lors de « la Conférence internationale au cours de sa session ordinaire du

Maouloud » (art.51). Selon le rapport moral et financier de 2013-2014, déposé à l’issue

d’une réunion extraordinaire tenue le 16 janvier 2014, les dépenses de l’association

totalisent 643 765 386 francs CFA (1 396 846 $), tandis que les revenus atteignent

716 765 386 francs CFA (1 577 160 $), ce qui fait un écart positif de 73 008 163 francs

CFA (environ 180 314 $) pour l’année 2013. Ces sommes considérablement élevées sont

gérées par la Trésorerie internationale en concomitance avec tous les comités de trésoreries

locales.

Au-delà des cotisations obligatoires, Ançar Dine bénéficie d’autres sources de

financement, telles que des dons, des fonds de collecte et des bénéfices de ses activités

commerciales. Ces activités réfèrent à une économie morale valorisée par le

mouvement239. La capitalisation et la bureaucratisation du mouvement sont la résultante de

stratégies de gestion axées sur le prosélytisme et l’appui populaire. L’autonomie financière

d’Ançar Dine est donc la première stratégie de légitimation des actions morales, car tout en

procurant au mouvement une libre gestion des actifs, elle permet « l’élargissement de la

sphère d’influence de l’islam, et une participation plus décisive [de l’association] à la

gestion des pouvoirs publics »240. Il en va sans dire que le désengagement de l’État des

affaires publiques au tournant des années 1990 ont été favorables au renforcement des

réseaux financiers islamiques 241 . Le libéralisme politique et économique aidant, des

associations telles qu’Ançar Dine, et plus tard l’UJMMA, ont su pallier le manque à gagner

de politiques d’État ayant laissé le champ libre aux acteurs privés. En somme, les stratégies

d’investissement d’Haïdara révèlent dans quelle mesure l’économie morale peut nos jours) », in Isidore Ndaywel è Nziem et Elisabeth Mudimbe-Boyi (dir.), Images, mémoires et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Karthala, Paris, 2009, p. 437. 239 Ce concept fréquemment utilisé pour décrire un système économique parallèle anti-marchand et anticapitaliste a été introduit par « le Britannique E.P. Thomson, qui a défini le concept en l’appliquant à la classe ouvrière anglaise », Mara Vitale, « Économie morale, islam et pouvoir charismatique au Burkina Faso », Afrique contemporaine, vol. 231, no. 3, 2009, p. 233. 240 Mara Vitale, loc. cit., 2009, p. 236. 241 René Otayek, « Une production islamique de la mondialisation. Les relations Afrique-monde arable à l’ère du transnationalisme contemporain», Confluences Méditerranée, vol. 3, no. 90, 2014, p. 31.

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« véritablement guider la mutation de l’islam en Afrique, soutenir son engagement dans la

sphère sociale et redéfinir son accès à l’espace public »242.

Cette volonté d'autonomie, perceptible également chez l’UJMMA, conduit aussi à

dénoncer la dépendance au financement saoudien et qatari pour les projets de constructions

de mosquées ou de madrasa. Le propos suivant d’un membre de cette association illustre

bien cette volonté : « Les pays arabes donnent de l’argent, mais ils n’aident pas les jeunes

d’ici. Le deuxième [problème] vient du besoin de construire des mosquées, des écoles

coraniques; à chaque fois que le besoin se présente, on demande aux pays arabes. Il faut

cesser, on doit cotiser »243. Le secrétaire des communications et de la mobilisation de

l’association rapporte qu’un fonds pour la solidarité islamique a été ouvert par l’UJMMA

afin d’entreprendre des projets de construction. Sa création a cependant été paralysée en

raison de la crise que connait le pays depuis 2012. Nous l’aurons vu, les positions

autonomistes des associations à l’étude mènent à une professionnalisation du cadre

associatif qui nécessite une structure économique et administrative crédible. Cela étant dit,

ces structures révèlent une économie morale prospère, alimentée notamment par les dons

(zakat), le commerce d’articles religieux et le hadj.

En effet, le cinquième et dernier pilier de l’islam, le hadj, dont l’accomplissement

«apporte consécration qui sanctionne la réussite économique et sociale »244, constitue une

source financière inépuisable pour les entrepreneurs religieux. Parmi les informateurs, nous

avons rencontré quelques individus qui font figure de modèles de réussite dans l’islamo-

business. C'est le cas de Birama, d’obédience wahhabia, âgé de 50 ans. Ce dernier a

bénéficié d’une éducation laïque et religieuse. Il a gravité dans le milieu associatif

musulman dès son très jeune âge en accompagnant son père aux activités et réunions de

l’AMUPI. Au tournant des années 1990, à la suite de la libéralisation du droit associatif, il

242 Vitale Mara, loc. cit., 2009, p. 236. 243 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. Pour compléter son propos, il faut savoir que l’UJMMA se maintient principalement grâce à son autofinancement et à des subventions. Il est stipulé dans les documents officiels que les cotisations (2 $ par an pour les membres et 10 $ par an pour les associations), les subventions, les dons, legs et zakat sont les principales sources de financement de l’association. Voir à l’annexe III, p. 124 : le Règlement intérieur, « Dispositions générales », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), 28 décembre 2009, p. 2. 244 Karine Bennafla, « L’instrumentalisation du pèlerinage à la Mecque à des fins commerciales : l’exemple du Tchad », in Sylvia Chiffoleau et Anna Madoeuf (dir.), Les pèlerinages au Maghreb au Moyen-Orient, Beyrouth, IFPO, « Espaces publics, espaces du publics », 2005, p.196.

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est devenu président de comité de l’association Assilama, créée en 1992. Aujourd’hui très

actif au sein du HCI, il est également un grand commerçant à Bamako. En dehors des

échanges commerciaux qu’il entretient avec les pays du Golfe, Birama détient une agence

de voyages spécialisée dans le pèlerinage à la Mecque. À chaque Ramadan, l’entrepreneur

se rend en terre sainte avec une trentaine de personnes qui déboursent environ 3000$ pour

le voyage. Ce dernier considère également que l’Arabie Saoudite est l’État musulman

exemplaire à l’échelle mondiale. Par ailleurs, il associe étroitement ses activités

commerciales avec les bienfaits de l’islam :

C’est les lieux saints, ils sont incomparables, vous savez, une prière à Mecque vaut des centaines de prières qu’on fait ici. D’ailleurs j’organise des voyages chaque année vers la Mecque. J’en ai un d’organisé pour bientôt (le Ramadan). J’y suis allé plusieurs fois, vu que je l’organise, je pars aussi avec eux, j’encadre tout le voyage, leur hébergement… tout. Comme c’est leur première fois, ils ne connaissent pas bien, ils ont besoin de quelqu’un pour les encadrer. Je n’en fais qu’un seul dans l’année et c’est durant le carême. Le Prophète a dit, si tu fais le pèlerinage durant le mois de Carême c’est comme s’il fait le pèlerinage avec toi. On part les 10 derniers jours avec une trentaine de personnes. Tout est prêt pour cette année. Tout le monde m’a donné son passeport, j’ai préparé leur visa, compléter leur papier, tout est prêt245.

Le parcours du jeune Hamza d’obédience wahhabia – âgé de 22 ans – est également

pertinent à souligner. Ce dernier, qui ne milite dans aucune association musulmane, et ce,

par choix, affirme avoir fait le choix de se doter d’une éducation islamique complète afin

d’en faire la promotion par ses propres moyens. Hamza a commencé la madrasa à l’âge de

6 ans, comme ses trois autres frères. Tous les enfants de la famille ont poursuivi leurs

études islamiques jusqu’au niveau supérieur, excepté ses deux sœurs qui, pour reprendre les

termes du témoin, ont été mariées par la famille à l’âge de 16 ans. Le jeune arabophone

aspire à poursuivre ses études à Médine après l’obtention de son baccalauréat. Ce parcours

témoigne de ce que qualifie Marie Nathalie LeBlanc « d’un processus d’autoformation

religieuse »246. À ce propos, les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon notent que

245 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 246 Marie Nathalie LeBlanc, « Du militant à l’entrepreneur : Les nouveaux acteurs religieux de la moralisation par le bas en Côte-d’Ivoire », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 507.

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les étudiants de formation islamique supérieure bénéficient d’une notoriété au regard de la

population. Ces derniers rappellent que ces jeunes « formés à la langue et à la lettre des

textes deviennent des apprentis idéologues qui s’interrogent sur l’islam correct et son

éventuelle réforme »247. Aussi, ils deviennent les premiers interlocuteurs des commerçants

« toujours avides de bénéficier d’une proximité avec le ‘ilm (sciences islamiques), source

de connaissance, de bénédiction et de légitimation »248. En ce sens, ces savants sont au

service d’une économie marchande islamique, dans la mesure où ils l’encouragent ou y

participent directement.

À cet égard, Hamza s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Lorsque le jeune

étudiant a été interrogé à propos de ses projets après ses études, Hamza reste très humble et

évasif : « Je ne pense pas à cela, je fais tout simplement confiance à Dieu »249. Voulant

savoir ce qu’il souhaite dans l’avenir, il répond : « Je veux devenir professeur et faire du

commerce dans la région avec l’Arabie Saoudite. J’ai fait des études pour Dieu et je lui fais

confiance pour la suite»250. Ce dernier souhaite non seulement poursuivre ses études dans le

pays musulman qu’il considère exemplaire, mais aussi entretenir des relations

commerciales avec ce dernier. En effet, l’Arabie Saoudite et le Qatar sont selon lui les

leaders étatiques au sein de la grande communauté musulmane : « Alors que les

Occidentaux donnent une mauvaise image de l’islam, les Saoudiens et Qataris luttent pour

l’expansion de l’islam. Ils créent des écoles coraniques partout. Ils envoient des prêcheurs

et des professeurs et chaque année, ils donnent des bourses aux jeunes pour étudier

l’islam»251. Ce discours est aux antipodes des propos tenus par les militants de l’UJMMA

ou d’Ançar Dine qui sont catégoriquement opposés au financement étranger des mosquées,

prônant plutôt l’autofinancement de la sphère religieuse malienne.

En revanche, pour Hamza, la position de l'Arabie saoudite et du Qatar lui suffit pour

justifier et légitimer ses ambitions entrepreneuriales. À cet effet, Marie Nathalie LeBlanc

précise que « la figure contemporaine de l’entrepreneur souligne l’enchevêtrement entre les

flux matériels du religieux, les échanges économiques propres à la société néolibérale et la

247 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, loc. cit., 2009, p. 38. 248 Ibidem. 249 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014. 250 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014. 251 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014.

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nécessité de les inscrire dans une idéologie morale et non strictement marchande »252. Les

ambitions entrepreneuriales de Hamza et le parcours de Birama révèlent un marché

économique islamique important au Mali et par extension en Afrique de l'Ouest. Au même

titre qu’Ançar Dine, bien qu’à plus petite échelle, de nombreux entrepreneurs jouissent

d’une notoriété et d’une légitimité dans le cadre de leurs activités économiques en raison de

la dimension religieuse de leur commerce. Les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo

Villalon rappellent que l’impact de la mondialisation, dès les années 1980, combiné aux

pressions économiques connues en Afrique de l’Ouest ont ouvert « la voie à une place

accrue du religieux dans l’économie »253. Ainsi, de nombreux entrepreneurs jouissent de

l’ouverture des marchés et des relations étroites entre le Mali et l’Arabie Saoudite.

Les associations islamiques à l’étude ont su investir depuis leurs créations des

espaces délaissés par l’État. Dépassant les frontières du privé et du public, l’UJMMA et

Ançar Dine produisent un effet d’attraction identitaire auprès des jeunes et un sentiment

d’appartenant territorialisé qui dépasse largement celui de la umma. Le rejet de la grande

communauté musulmane supranationale est manifeste dans les projets et stratégies des

associations, les discours des adhérents et des leaders et finalement dans leur lecture des

conflits doctrinaux. Le réformisme incarné par ces deux associations cherche

essentiellement à préserver un islam malien de toute influence étrangère par la promotion

et le renforcement des identités locales. Les valeurs et préceptes islamiques ainsi que les us

et coutumes hérités étant associés à la sauvegarde de la nation, nous observons, dans ce

cas, une surenchère dans les discours et le comportement de l’identité musulmane et

malienne.

En rejetant vigoureusement l’influence financière et doctrinale d’un courant

musulman dit étranger à l’identité malienne, ceux-ci s’inscrivent dans une dynamique

locale et rejettent tout référent global. Il semblerait que ce rejet du global, témoigné par

une fraction des acteurs religieux, se soit accentué dans un contexte de crise nationale et

morale. Toutefois, dans leur ensemble, « ces promoteurs de l’islam cherchent à élever

252 Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2012, p. 508. 253 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, loc. cit., 2009, p. 28.

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[l’islam] à un principe fondamental d’organisation sociale »254. Du militant de l’UJMMA

au citoyen malien, en passant par un membre du HCI, tous reconnaissent l’islam comme

élément encadrant la vie des fidèles. Les divisions ressurgissent dans les modalités

d’instauration de ce cadre de vie, perceptible dans le domaine du privé et du public. En

effet, les deux associations se dressent, dans un contexte national conflictuel 255 , en

opposition à un islam qui serait étranger à la tradition et à l’identité malienne. Se portant à

la défense des traditions musulmanes maliennes et de l’unité nationale, celles-ci accusent,

selon un schéma binaire, le courant wahhabia de porter atteinte à l’islam malien qui se veut

pacifiste et tolérant. À la lumière des modalités d’actions des associations islamiques et des

tensions doctrinales perceptibles dans l’espace public, il s’agit à présent d’appréhender la

lecture qu’en font des jeunes musulmans, et d’ancrer celle-ci dans le contexte d’une crise

nationale et morale profonde.

254 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 60. 255 Nous développerons en profondeur le contexte national dans lequel gravitent ces associations au chapitre III.

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CHAPITRE III

Crise nationale et crise morale (2012) : intervention étrangère, stigmatisation des

identités et quête morale. Le sinueux chemin vers la réconciliation nationale

Le Mali a été présenté au cours des dernières décennies comme un modèle africain.

On lui attribue notamment un succès quant à la sécurité et l’unité nationale, la garantie du

respect des mécanismes démocratiques depuis 1991 (élections, alternances, liberté

d’expression et droit associatif), le respect du droit du culte et de la diversité ethnique,

etc256. Cependant, la crise nationale de 2012 a profondément atteint l’exemplarité malienne.

Le 12 janvier 2012, en réponse à l’offensive lancée vers le sud du pays par les groupes

islamistes, l’état d’urgence a été décrété au Mali. L’état de crise mis en place a paralysé

l’ensemble du pays pour des raisons sécuritaires. Les troubles dans le pays reflètent, d’une

part, « une crise de l’État, dans la mesure où son pouvoir n’a cessé de s’affaiblir étant

donné le développement des tensions entre les espaces locaux et le niveau central [menant]

jusqu’à des formes de cannibalisation territoriale de la part des réseaux criminels dans le

Nord »257, et d’autre part, une internationalisation des enjeux religieux et identitaires dans

le pays. Les divisions identitaires nord-sud et la dimension déterritorialisée du conflit sont,

selon nos témoins, les facteurs qui expliquent l’instabilité que connait le Mali. Cette crise

contemporaine, qui dépasse le cadre national, révèle des discours chargés de

représentations d’altérité et de différenciation. La dimension religieuse et identitaire aura eu

pour effet d’alimenter de profondes tensions territoriales et religieuses.

Sans pour autant adopter une lecture réductrice, mais bien pour reprendre les termes

employés par divers individus rencontrés et la lecture des médias maliens, le paysage

religieux serait divisé en clans. Le premier, appartenant à la tendance dite orthodoxe, est

porté par le HCI dont la très grande majorité des sièges est détenue par des musulmans

d’obédience wahhabia. Ces derniers, appartenant à la réforme hanbalite, prône l’islam

littéraliste, qui rejette les pratiques culturelles maliennes telles que les festivités à caractère

religieuses, la vénération des mausolées, les pratiques maraboutiques, etc., tandis que

256 Susanna D. Wing, « Briefing Mali: Politics of a crisis », African Affairs, vol. 112, no. 448, 2013, p. 476-485. 257 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise de l’État et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 2013, p. 17.

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l’autre clan, représenté par le Groupement de leaders spirituels musulmans (GLSM), prône

plutôt un islam populaire, enracinée dans les pratiques musulmanes locales.

La jeunesse militante appartenant aux associations à l’étude cherche à trouver un

équilibre entre « l’homme moderne et le bon musulman »258. En adoptant un discours

moralisateur et un comportement pieux, les militants rencontrés proposent un projet social

qui s’inscrit dans la continuité de la tradition malienne. Tandis que d'autres témoins

rencontrés proposent un retour à une lecture et application de l’islam épurée de la culture

locale. Malgré les différences d’interprétations, foncièrement, ces deux courants

renferment une vision fondamentaliste de l’application de l’islam. Dans ce cas de figure, le

terme fondamentaliste fait très largement référence à un éveil islamique observé depuis

plusieurs décennies au sein des sociétés musulmanes 259. Un éveil, disparate et éclaté,

« derrière lequel […] se trouve une véritable mosaïque de petites et moyennes associations

aux doctrines diverses, voire opposées […] proclamant chacune détenir la bonne

interprétation des textes saints et ainsi représenter Ahl Sunna, les partisans de la tradition

prophétique, dont l’orthodoxie parfaite assurera le salut »260.

Bien que disparate, l’ensemble des courants religieux maliens rejoint une définition

orthodoxe de l’application de l’islam dans l’espace public, ce qui révèle l’ambigüité des

discours qui font dissension. Car malgré tout, dans leur ensemble, « ces promoteurs de

l’islam cherchent à élever [l’islam] à un principe fondamental d’organisation sociale »261.

Du militant de l’UJMMA au citoyen lambda, en passant par un membre du Haut Conseil

Islamique, tous reconnaissent l’islam comme élément encadrant la vie des fidèles. La

valorisation des valeurs religieuses maliennes répond fondamentalement à un état de crise

nationale et morale. Porté par l’ensemble des militants musulmans, le projet collectif vise à

appeler les musulmans du Mali à rejoindre un projet qui semble commun et en accord avec

la devise nationale 262 . Afin d’en saisir la portée, il importe de soulever les éléments

suivants : les facteurs exogènes et internes du conflit, l’analyse qu’en font les témoins

258 Mame-Penda Ba, « La diversité du fondamentalisme sénégalais », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 586. 259 Martin Kramer, « Coming to Terms: Fundamentalists of Islamists? », Middle East Quarterly, 2003, p.65-77. 260 Mame-Penda Ba, loc. cit., 2012, p. 576. 261 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 60. 262 Un peuple, une foi, un pays.

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rencontrés et la presse malienne, et finalement les solutions proposées par ces derniers pour

le rétablissement de l’ordre moral et de l’unité nationale.

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A. Fracture territoriale et scission identitaire : faites entrer l’accusé. Les causes

profondes d’une crise multidimensionnelle contemporaine

La crise qui a secoué le Mali au printemps 2012 s’inscrit dans des réalités et

problématiques profondément ancrées dans l’histoire militaro-politique du pays. Le conflit

malien est le produit d’une conjonction de facteurs internes et externes qui dépassent les

frontières maliennes. Dans un contexte d’affaiblissement du modèle étatique westphalien et

dans la foulée de la guerre civile libyenne (2011), le Mali, en proie à des revendications

irrédentistes touarègues, portées notamment par le Mouvement National pour la Libération

de l’Azawad (MNLA), et à la menace jihadiste, est devenu le théâtre de luttes de pouvoir.

Les groupes Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), « avatar de la guerre civile

algérienne des années 1990 »263, Ansar Eddine et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad

en Afrique de l’Ouest (MUJAO), issu d’une scission avec AQMI en 2011, ont connu un

renforcement logistique avec l’arrivée de troupes rebelles fortement armées de la Libye264.

De nombreux auteurs265 avancent que la crise malienne de 2012 est la conséquence directe

de la guerre civile libyenne, bien qu’elle s’inscrive « dans des dynamiques plus anciennes

renvoyant à la fois à la perception de l’Autre, aux relations entre les pouvoirs et les

territoires et aux révolutions du sacré »266. Les effets collatéraux de la crise libyenne furent

vraisemblablement un catalyseur du conflit malien. Cependant, le «problème du nord»267,

s’inscrit dans le temps long et dévoile une incapacité de l’État à surmonter une

inadéquation entre l’État, la nation et le peuple268. Ces tensions territoriales qui remontent à

l’époque coloniale opposent les sociétés locales avec le pouvoir central, et par ailleurs, les

263 Jacques F., Lahouari A. et Henni A., « Crise malienne, quelques clefs pour comprendre », Confluences Méditerranée, vol. 85, no. 2, 2013, p.194. 264 Djallil Lounnas, « Confronting Al-Qa’ida in the Islamic Maghrib in the Sahel : Algeria and the Malian Crisis », The Journal of North African Studies, vol.19, no. 5, 2014, p. 822. 265 Salim Chena et Antonin Tisseron, « Rupture d’équilibres au Mali : Entre instabilité et recompositions », Afrique contemporaine, vol. 245, no. 1, 2013, p.71-84; Benjamin Soares, « On the recent mess in Mali », Anthropolgy Today, vol. 28, no. 5, 2012, p.1-2; Djallil Lounnas, « Confronting Al-Qa’ida in the Islamic Maghrib in the Sahel : Algeria and the Malian Crisis », The Journal of North African Studies, vol.19, no. 5, 2014, p.1-18. 266 Salim Chena et Antonin Tisseron, loc. cit., 2013, p.71. 267 Selon la politologue Susanne D. Wing, l’expression « problème du nord » est apparu lors de la rébellion touareg de 1990, employée par les médias et la population malienne. Voir Susanne D. Wing, loc. cit., 2013, p. 476-485. 268 Nicolas Rousselier, « Déconstruire l’État-nation. Travaux et discussion », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. 50, no. 2, 1996, p. 15.

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identités qui en sont porteuses se traduisent par une adhésion ou un rejet du projet

national269.

Bien que le pays ait connu une stabilité politique depuis les premières élections

multipartites en 1991, il s’inscrit tout de même dans une région géographique en proie « à

une criminalité importante et aux activités de groupes armés » 270 . La transition

démocratique malienne s’est effectuée dans un contexte économique et social plutôt

difficile; grandes sècheresses, répression populaire, insurrection au Nord271. En juin 1990,

une insurrection de Touaregs qui a pris naissance au Niger s’est étendue au Mali272. Mené

par le Mouvement Populaire de l’Azawad (MPA), le soulèvement sécessionniste a eu pour

effet de briser l’union nationale déjà fragile. Les aspirations et motivations des Touaregs

étaient multiples et complexes. Les revendications des rebelles concernaient principalement

l’autonomie territoriale, et ce, en réaction à la marginalisation de la population dans les

régions du Nord par les pouvoirs publics. Les demandes les plus significatives étaient

indubitablement l’accès aux pouvoirs locaux pour les collectivités et l’établissement d’un

programme régional de développement économique et social pour les régions déshéritées

du Nord273. En effet, la réalité territoriale malienne soulève une discordance colossale entre

la région centrale de Bamako et les régions éloignées. Pour pallier ces écarts et

l’inaccessibilité des populations locales aux biens et services, l’État malien s’est engagé

dans le projet de décentralisation dans les années 1990, devenu un objectif phare de la

269 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise et territoires de la crise au Mali », loc. cit., 2013, p. 3. 270 Vincent Bonnecase et Julien Brachet, « Les crises sahéliennes entre perceptions locales et gestions internationales», Politique africaine, 2, no. 130, 2013, p. 5. 271 Pendant plus de vingt ans, l’unique parti politique autorisé, l’Union Démocratique du peuple du Mali sous la présidence de Moussa Traoré, a brigué les rouages du pouvoir. Les répercussions des ajustements structurels imposés par les bailleurs de fonds, les grandes sècheresses qui ont frappé le pays (1973-1974, 1979-1980 et 1984-1985) et le vent d’espoir suscité par les transitions démocratiques dans l’ensemble de l’Afrique ont mobilisé un important pan de la population dans les rues de Bamako. D’importantes mobilisations populaires, majoritairement estudiantines, ont eu raison d’un régime dictatorial au pouvoir de 1968 à 1991. À ce titre, la marche historique du 22 mars 1991, organisée par l’Association des Élèves et Étudiants du Mali fut un catalyseur à quelques jours du renversement du président déchu, Moussa Traoré. Monique Bertrand, « Un an de transition politique : de la révolte à la troisième république », Politique africaine, no. 47, octobre 1992, p.10. 272 Entre 1964 à 1990, le Nord était sous tutelle militaire. Voir les développements de Salim Chena et Antonin Tisseron sur le sujet, loc. cit., 2013, p.71-84. 273 Ibrahim Siratigui Diarra, « La flamme de la paix du Mali 10 ans après : bilan de la réinsertion des anciens rebelles », in Yvan Conoir et Gérard Verna (dir.), Désarmer, démobiliser et réintégrer, Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, p.169.

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troisième république274. Bien qu’il ait été accompagné d’une bonne volonté de distribution

des pouvoirs et d’un important soutien financier des bailleurs de fonds internationaux, le

projet s’essouffla rapidement, accentuant les écarts entre le Nord et le Sud275.

En fonction des résolutions adoptées lors de la signature du Pacte National (1992)

et, plus tard, des Accords d’Alger (2006)276, le gouvernement malien a accordé un statut

particulier à la région de l’Azawad en retirant partiellement l’armée malienne de la

région277. La démilitarisation du Nord eut pour effet d’affaiblir le pouvoir de l’État dans

une région déjà difficile à sécuriser278. L’apparition de groupuscules aux revendications

politico-religieuses au tournant des années 2000 au nord du Mali s’est donc effectuée sous

le regard impuissant de l’État malien. Le coup d’État du 12 mars 2012 intenté contre le

président Amadou Toumani Touré et le conflit au nord du pays traduisent une continuité

« caractérisée par l’absence d’un État fort et légitime face aux multiples formes

d’appropriation, voire de captation des espaces et des ressources »279. En effet, la rébellion

touareg, qui a éclos le 17 janvier 2012, est la 5e insurrection au Mali depuis 1963. La

nouvelle crise qui a secoué le Mali au printemps 2012 s’inscrit donc dans ces réalités et

problématiques profondément ancrées dans l’histoire géopolitique du pays.

Loin d’être réduite au cadre territorial, cette crise latente aux multiples causes et

facettes est devenue effective avec l’arrivée de forces rebelles étrangères de Libye. Les

mouvements indépendantistes ont connu un renforcement armé avec l’arrivée

des troupes rebelles de Libye. La Libye faisait figure, depuis 1970, de terre d’accueil pour

les Touaregs et diverses ethnies migrantes. Avec la chute du Colonel Kadhafi, de nombreux

Touaregs ont quitté le pays pour retourner dans leurs terres d’origine280. Un lien direct a été

établi par les militants rencontrés et la presse malienne entre la chute de Kadhafi et

274 Stéphanie Lima, « Un État faible : des territoires en devenir », Patrick Gonin, Nathalie Kotlok et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, dir., La Tragédie malienne, Paris, Éditions Vendémiaire, 2013, p. 99. 275 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, loc. cit., 2013, p. 2. 276 Voir Ibrahim Siratigui Diarra, loc. cit., 2006, p. 165-188. 277 Ibrahim Siratigui Diarra, loc. cit., 2006, p. 170. 278 David Zounmenou, « The National Movement for the Liberation of Azawad factor in the Mali Crisis », African Security Review, no. 22, vol. 3, 2013, p. 170. 279 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, loc. cit., 2013, p. 3. 280 Ces migrations « du retour » ont provoqué, certes, une très grande pression militaire, mais aussi démographique et économique. En effet, on estime que 7 millions de résidents sub-sahariens et 2 millions de travailleurs immigrés de la même région habitaient la Libye avant l’éclatement du pays. Un grand nombre d’entres eux ont dû quitter le pays. Au Niger seulement, on rapporte que 260 000 travailleurs sont rentrés au pays. Voir sur le sujet Chena et Antonin Tisseron , loc. cit., 2013, p.73.

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l’instabilité au Mali, qui serait un effet domino orchestré par la France. D’ailleurs, une

expression couramment employée par les Maliens rencontrés lors du terrain en 2014

soutient que « la France a mis le feu et joue à présent au sapeur-pompier ». Cela fait écho à

un article du journal L’Aurore du 30 aout 2012 qui relaie cette expression281 et souligne

que:

La France, mécontente d’une part du régime laxisme d’ATT (Amadou Toumani Touré) face aux enlèvements de ses ressortissants par l’AQMI, et d’autre part voyant l’intention du gouvernement du Mali d’écarter les sociétés françaises dans l’attribution du marché d’exploitation de son futur pétrole au nord, a cherché à faire un deal (sic) avec la rébellion touareg. Cet idéal avait pour but de déstabiliser le régime d’ATT et d’inciter les rebelles à réclamer l’Indépendance (sic) sinon l’autonomie de leur zone (Azawad). En effet, la France s’était engagée à soutenir financièrement, diplomatiquement et stratégiquement le Mouvement National de Libération d’Azawad (MNLA) dans l’atteinte de l’indépendance de la république d’Azawad […] La nouvelle république d’Azawad s’était engagée à éradiquer AQMI du nord du Mali et aussi à confier aux sociétés françaises l’exploitation du pétrole du Nord282.

On ne peut faire l’économie de l’implication de la France dans la mesure où l’intervention

militaire française sur le territoire malien a mené à une sortie de crise283. L’armée française

est intervenue au Mali, avec le soutien de l’armée tchadienne et malienne, dès janvier 2013.

Connue sous le nom d’opération Serval284, l’intervention militaire avait pour objectif de

neutraliser et de désorganiser les divers groupes terroristes et irrédentistes, mettre un frein à

l’offensive engagée vers Bamako et rétablir l’intégrité du territoire malien285. Or, cette

intervention militaire qui fut encensée par les observateurs régionaux et internationaux a

également suscité opposition et controverse au sein des populations locales :

On ne veut pas de l’ONU ni de la France ici pour faire n’importe quoi. Ils allument le foyer et jouent ensuite aux pompiers. Est-ce qu’il y a eu la paix depuis le départ de Kadhafi et de Saddam, non ! Ils avaient des

281 Korkosse Oumar, « Crise du nord du Mali : Quand la France met le feu et joue au sapeur pompier », Aurore [En ligne], 30 aout 2012, http://www.maliweb.net/insecurite/crise-du-nord-du-mali-quand-la-france-met-le-feu-et-joue-au-sapeur-pompier-88635.html, page consultée le 15 février 2016. 282Ibidem. 283 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 2013, p. 2. 284 L’intervention Serval est une opération militaire engagée par la France de janvier 2013 à juillet 2014. Propulsée par le chef d’État, François Hollande, l’opération de soutien aux militaires maliens a contribué à repousser les troupes armées et à rétablir les conditions de stabilité au nord du Mali. 285 Propos de l’État-major français, l’amiral Édouard Guillaud. Dans Bruno Charbonneau, « De Serval à Berkhane : Les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel », Les temps modernes, no. 693-694, 2017, p. 335.

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projets. La paix n’arrange pas l’Occident, ils ont besoin de déstabiliser. […] On a tué les incorruptibles. Aujourd’hui, Kadhafi aurait eu l’union africaine. Les chefs commençaient à y adhérer. Qu’a-t-il fait réellement ? Qu’est-ce que Sankara ou Lumumba ont fait pour être tués. Dans d’autres pays, ils sont éliminés par les leurs, regarde le Zaïre, le Togo… C’est pourquoi je n’aime pas la France, je n’aime pas l’Occident. Ce sont nos ennemis. Ils sont l’ami de leurs propres intérêts. Ils sont avec toi seulement quand tu as quelque chose à offrir en retour. En France, on est français quand il le faut. […] L’Africain doit comprendre comment l’Occident se comporte avec nous286.

Les racines historiques d’un tel discours sont profondes. Elles s’attribuent notamment aux

relations conflictuelles entre la France et le Mali, et plus récemment à la sympathie

générale et populaire envers le Colonel déchu Mouammar Kadhafi. En effet, nombreux sont

les Maliens qui accusent la France d’avoir déstabilisé non seulement la Libye, mais

également toute la région sahélienne en s’acharnant sur un homme qui faisait l’unanimité

dans son pays287. Cette analyse qui condamne avec véhémence l’hypocrisie diplomatique et

militaire française est pour le moins fidèle à une réalité souvent ignorée. À ce sujet,

l’épistémologue des Sciences de l’information, Étienne Damome, rappelle que le siège du

Mouvement National de Libération de l’Azawad est posté en France et que ce mouvement

entretenait des relations étroites avec celle-ci, et ce, depuis le mandat de Nicolas Sarkozy

286 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 287Si le limogeage de Kadhafi fut largement salué sur la scène internationale, il en est tout autre au Mali en raison des zones d’ombres relatives à son assassinat qui persistent et de l’étroite relation que le régime entretenait avec le Mali. Une enquête menée par Human Rights Watch sur l’exécution de Kadhafi et de son convoi – « Mort d’un dictateur : vengeance sanglante à Syrte» –, remet en cause la version officielle en soulevant qu’au moins 66 membres du convoi, incluant le colonel, auraient été exécutés après leur capture par des milices, ce qui porte atteinte au droit international humanitaire. Un haut responsable de la rébellion libyenne aurait également révélé que parmi les insurgés impliqués dans son assassinat se trouvait un agent des services de renseignement français. Ces accusations font écho à l’éclatement de l’affaire Sarkozy-Kadhafi. Des investigations journalistiques et policières ont révélé que le régime de Kadhafi aurait financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Ces révélations font l’objet, depuis 2012, d’enquête et de procès devant le parquet de Paris. Or, cette affaire fut largement reprise par la presse malienne : «France-Libye : Sarkozy, Kadhafi et la piste malienne », Maliweb, 29 aout 2014, [En ligne], http://www.maliweb.net/societe/france-libye-sarkozy-kadhafi-piste-malienne-497272.html ; «La France a fait une erreur en Libye qu’elle ne doit pas répéter», Maliweb, 12 février 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/insecurite/la-france-a-fait-une-erreur-strategique-en-libye-quelle-ne-doit-pas-repeter-127151.html, page consultée le 12 avril 2016.

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(2007-2012) 288. L’hexagone se serait dissocié du mouvement indépendantiste quand ce

dernier s’est associé à Ansar Eddine le 26 mai 2012289.

Plusieurs sources médiatiques et analystes politiques, mais très peu d’articles

scientifiques évoquent une alliance entre la France et le MNLA. L’anthropologue et

politologue, Michel Gary, soutient toutefois que l’erreur de la France aurait été de s’allier

au MNLA en vue de libérer les otages français et éliminer AQMI, «sans imaginer que les

groupes islamistes supposés rivaux pourraient s’allier en une dizaine de jours et obliger le

gouvernement français à lancer une intervention militaire plus ou moins improvisée»290.

Bien qu’officiellement en guerre contre l’ensemble de ces groupes, le rapprochement entre

la France et le MNLA fut soulevé par certains observateurs. À ce propos, le journaliste de

terrain, Peter Tinti, a révélé en 2013 que le MNLA a bénéficié de certains passe-droits

accordés par l’armée française, tels que l’autorisation de prélever un droit de passage vers

Kidal291. Ce dernier rapporte que les contrôleurs routiers du MNLA remettaient alors un

papier aux conducteurs sur lequel on pouvait lire «État de l’Azawad : Unité, Liberté,

Sécurité»292.

La mise en place d’un État parallèle indépendant aurait vraisemblablement outré les

populations locales. Selon la politologue Susanna Wing, le groupe aurait pris le contrôle de

la ville de Kidal avec l’assentiment de l’armée française. Les forces armées françaises

auraient profité des connaissances régionales du MLNA pour la libération des otages

enlevés par les groupes jihadistes 293 . Toujours selon cette auteure, cette collaboration

suscita chez la population locale un sentiment de trahison émanant de la France.

Plus largement, l’intervention de l’Union européenne et de l’Union africaine, des

gouvernements africains, européens et américains dans le conflit, et ce, dans un contexte

d’instabilité régionale, suscitait également méfiance et incrédulité auprès de nombreux

288 Étienne Damome, « Mali : les responsabilités (ou pas) de la France », Outre-terre, vol. 3, no. 33-34, 2012, p. 491-501. 289 Pierre-François Naudé, « Mali : Aqmi, le grand gagnant de la fusion MNLA-Ansar Eddine? », Jeune Afrique, 28 mai 2012, [En ligne], http://www.jeuneafrique.com/175947/politique/mali-aqmi-le-grand-gagnant-de-la-fusion-mnla-ansar-eddine/ , page consultée le 16 avril 2016. 290 Michel Gary, dir., La Guerre au Mali : comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombre, Paris, La Découverte, 2013, p. 23. 291 Peter Tinti, « Tacit French support of separatists in Mali brings anger, chargers of betrayal », The Christian Science Monitor, 20 mars 2013, [En ligne], https://www.csmonitor.com/World/Africa/2013/0320/Tacit-French-support-of-separatists-in-Mali-brings-anger-charges-of-betraya, page consultée le 22 avril 2016. 292 Ibidem. 293 Susanna D. Wing, loc. cit., 2013, p. 476-485.

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témoins rencontrés. Loin d’être un conflit binaire, la crise malienne s’inscrit dans le

contexte géopolitique international, mobilisant de multiples acteurs locaux et

internationaux. Devenu une préoccupation de l’Union européenne au tournant des années

2000, le Sahel est considéré depuis «comme une région hautement stratégique, théâtre de

transformations sociales dont les enjeux économiques, politiques et sécuritaires dépassent

largement le cadre de ses frontières»294. Dès lors, l’affaiblissement du Mali ne serait que la

suite logique d’une stratégie géopolitique décidée par les grandes puissances295. À ce sujet,

le président de l’UJMMA soutient que le conflit du Nord dépasse les frontières maliennes,

étant plutôt le produit d’une stratégie géopolitique propulsée par des pays étrangers :

C’est un problème qui vient de l’Occident et des arabophones. Ils veulent coloniser le Mali pour une seconde fois, ils veulent imposer leur idéologie. Il y a des hommes politiques arabes qui ont condamné l’intervention Serval au Mali, dont le Président de la ligue islamique, le grand Kardani Mophti. On pense qu’il y a un complot des pays du Qatar. Ce n’est pas un problème du Mali, il est géré par la France. Peut-être pas toute la France, mais Sarkozy préparait déjà le plan. Il a planifié ça depuis longtemps, et tout ça est lié au printemps arabe296.

Celui-ci poursuit comme suit :

Les Qataris en ont profité, tout ça est une stratégie politique. Les Arabes veulent le soutien de l’Occident, ils veulent avoir les ressources. C’est le même problème depuis 50 ans maintenant au nord du Mali. C’est pas (sic) les Touaregs le problème, c’est un montage politique297.

Ces théories accusant les forces militaires françaises et le Qatar sont largement répandues

dans le pays et reprises par un important pan de la population. Nombreuses sont les

accusations relayées par la presse malienne quant à la prétendue implication du Qatar dans

le conflit au Nord : «L’opinion publique malienne a toujours cru en la culpabilité des

autorités du Qatar en ce qui concerne leur implication dans l’agression sécessionniste et

294 Vincent Bonne case et Julien Brachet, loc. cit., 2013, p.7. 295 Pour une lecture diversifiée du conflit malien et de l’intervention française, consultez les dossiers du CERI 2012 et 2013 : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/category/pays/mali 296 Entretien avec Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, rencontré au siège de l’association, 24 juin 2014. 297 Entretien avec Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, rencontré au siège de l’association, 24 juin 2014.

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barbare qui a commencé le 17 janvier 2012»298 ; «dans la multitude d’observations et de

commentaires formulés sur la crise malienne, ces derniers temps, le pesant soupçon généré

par le Qatar un temps remisé, a repris de plus belle et fait crier à l’insondable de plus en

plus de gens»299 ; «force est de constater que le Qatar avec son jeu trouble dans le dossier

malien est en train de franchir le Rubicon. Il s’agit d’un véritable cas de conscience en

acceptant de financer le terrorisme pour déstabiliser des pays, au nom d’une folie religieuse

qui ne se justifie que par un tableau sinistre et des scènes publiques d’amputations»300.

Enfin, pour en revenir à notre témoin, c’est dans un discours fantasmagorique que Macky

Bah met dans le même panier la France, le Qatar, et plus largement l’Occident, les accusant

tous d’être à l’origine du conflit. Cette analyse n’est pas singulière, elle s’inscrit dans un

courant de lecture largement relayé par la presse écrite et repris par de nombreux témoins

rencontrés. De plus, la dimension déterritorialisée du conflit alimente ces discours

imprégnés par une peur de l’étranger, vue comme une source d’instabilité.

Toujours dans une logique du stigma, Mamadou, un membre du Haut Conseil

Islamique (HCI) accuse une autre figure de l’étranger tout en nous mettant en garde du

discours erroné de la population : « Pour la population lambda, c’est la France qui est

complice et ça serait pour exploiter les richesses du Mali. Pour moi, qui suis allé négocier

avec les rebelles du Nord, c’est le côté culturel et racial qui est ancré. Ils refusent de se faire

gouverner par une certaine race, ils se disent supérieurs aux Noirs, mais ils prennent

d’autres alibis pour justifier leurs actes, ils disent que la région est mal développée et disent

agir au nom de l’islam, mais ce n’est pas ça l’islam !»301. Deux éléments clés sont à retenir

dans ce témoignage : d’une part, la dimension raciale du discours et l’imputabilité que notre

298 « Responsabilité dans la crise du nord : le Qatar blanc pour Dioncounda Traoré et noir pour Mahmoud Dicko », Le Matin, 24 janvier 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/responsabilite-dans-la-crise-du-nord-le-qatar-blanc-pour-dioncounda-traore-et-noire-pour-mahmoud-dicko-121604.html, page consultée le 16 avril 2016. 299 Boubacar Sangaré, « Nord-Mali : Du Qatar et du côté ombrageux de la crise malienne », La Nouvelle Patrie, 13 novembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/nord-mali-du-qatar-et-du-cote-ombrageux-de-la-crise-malienne-104502.html /, page consultée le 24 avril 2016. 300 « Crise au nord du Mali : le Qatar n’est pas content de la guerre mondiale contre le terrorisme », L’Agora, 29 janvier 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/crise-au-nord-du-mali-le-qatar-nest-pas-content-de-la-guerre-mondiale-contre-le-terrorisme-122962.html, page consultée le 3 octobre 2015. 301 Entretien avec Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014.

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témoin attribue aux peuples du Nord, d’autre part, son ouverture à la négociation avec les

rebelles que peu de témoins ont cautionnée.

Le témoignage de Mamadou est éloquent dans la mesure où cet homme qui soutient

avoir négocié (photos à l’appui) avec les troupes rebelles du Nord afin d’ouvrir un couloir

d’aide humanitaire rappelle que le HCI a eu un grand rôle à jouer dans l’apaisement des

tensions Nord/Sud et dans les efforts consacrés pour parvenir à l’unité nationale. La presse

malienne rapporte qu’un premier convoi humanitaire coordonné par le HCI est parti de

Bamako le 12 mai 2012 en direction des régions du nord du pays. Moins d’un mois plus

tard, le HCI, en collaboration avec des associations locales et internationales, a acheminé

un deuxième convoi vers le Nord302. Plus de 700 tonnes de vivres, des médicaments et de

provisions ont été expédiées aux populations privées de tout commerce extérieur.

Mamadou, membre du HCI dans la cinquantaine et d’obédience wahhabia, rappelle

fièrement les démarches de pacification entreprises par les membres du HCI :

Tout le monde au Nord s’est enfui (sic), les hôpitaux ont été désertés, le commerce a arrêté, donc il n’y avait plus de vivres et de médicaments. Le HCI a organisé une requête nationale pour venir en besoin (sic) à la population au nord du Mali. On connaissait déjà ces gens-là 303, on les a approchés pour ouvrir un corridor humanitaire. Nous avons demandé à Ansar Eddine (le mouvement armé créé en 2011) de remettre des militaires maliens en liberté, ils avaient 161 prisonniers. Ils ont accepté. C’est après qu’on a pu ouvrir le corridor humanitaire. Nous avons envoyé 6 remorques pleines de vivres et de médicaments vers le Nord. Certaines presses de mauvaise foi disaient qu’on donnait des vivres aux rebelles. J’ai des photos pour démentir tout cela 304 . On a rencontré tous les grands leaders rebelles. Je leur ai

302 « Aide aux déplacés du Nord : un 2e convoi humanitaire en route vers le septentrion malien », L’Informateur, 13 juin 2012, http://news.abamako.com/h/2150.html, page consultée le 19 octobre 2015. 303 Le témoin rapporte connaître de nombreux jeunes Maliens de Bamako qui se sont rendus au Nord pour rejoindre les troupes rebelles. Ce lien de proximité aurait facilité le dialogue avec les groupes rebelles du Nord : le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, Ansar Eddine et Al-Qaida Maghreb islamique. Il a par ailleurs partagé un échange qu’il aurait eu avec des jeunes rebelles qu’il connaît : « Ce qui m’a déçu c’est (un échange avec) un petit touareg que j’aimais bien avant tout ça. Il m’a dit “tonton nous ne sommes plus pareils. Tu es Malien, et moi azawade”. Je lui ai fait savoir devant un vieux qui a combattu la rébellion de 1991 que ce n’est pas la première fois que quelqu’un veut défaire le Mali […] ». Entretien avec Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 304 L’individu a partagé des photos attestant ces rencontres avec les troupes rebelles et leurs leaders. L’une d’elle, plutôt saisissante, laissait voir des hommes alignés en position de prière derrière celui qu’il affirme être Omar Ould Hamada, chef rebelle qui s’est affilié à Bel Mokhtar, chef djihadiste algérien à la tête d’AQMI. Les hommes, incluant l’interviewé, faisaient la prière derrière le rebelle à côté duquel des armes lourdes étaient alignées de chaque côté. Mamadou a dit être dans l’impossibilité de nous envoyer les photos en raison des rumeurs voulant qu’il soit de mèche avec les troupes rebelles.

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demandé pourquoi ils veulent la sharia, pourquoi ils descendent le drapeau du Mali pour celui d’Ansar Eddine, ils m’ont répondu que l’islam n’a pas de frontières. J’ai compris alors que leurs ambitions sont sous régionales, leurs ambitions ne s’arrêtent pas au Mali. Personne ne pouvait entrer dans cette région, seulement le HCI a été autorisé. Mais nous avons été accusés d’avoir collaboré avec les islamistes, mais nous les connaissions déjà305.

À cet effet, Radio France internationale (RFI) et la presse malienne306 rapportent qu’une

délégation du HCI s’est rendue à Gao pour entamer des négociations avec le groupe Ansar

Eddine. Effectivement, cette visite aurait eu lieu après la libération de 160 militaires

maliens au mois de mai de la même année307. Ces derniers auraient été remis à la première

autorité religieuse du Mali, le HCI. Seulement, contrairement aux dires du témoin,

l’objectif de la délégation était d’obtenir le départ des troupes rebelles armées du territoire,

et dans une moindre mesure revoir les conditions d’implantation de la sharia dans cette

région 308 . La presse malienne rapporte que le HCI a présenté un document lors des

pourparlers, élaboré par les érudits du regroupement et validé par l’État, dans lequel des

conditions d’implantation de la sharia sont évoquées, et ce, basées sur le Coran et des

hadiths309.

Dans ce contexte de tensions religieuses et politiques, le HCI fait figure

d’intermédiaire entre les rebelles et l’État. Par ailleurs, le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag

Ghali, aurait déclaré que les groupes rebelles ne reconnaissent qu’un seul canal de

négociations avec le Mali, celui du HCI310. Sa légitimé est due à son statut de représentant

officiel des musulmans du Mali. Cette démarche qui se voulait pacifiste et qui avait pour

305 Entretien avec Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014. 306 « Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao », Les Échos, 10 aout 2012, [En ligne], http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao/, page consultée le 20 septembre 2015. 307 « Mali : une délégation du HCI à la rencontre d’Ansar Dine alors qu’un couple a été lapidé dans le Nord », RFI, 31 juillet 2012, [En ligne], http://www.rfi.fr/afrique/20120731-mali-ansar-dine-Iyad-ag-ghali-mahmoud-diko-lapidation/, page consultée le 7 octobre 2015. 308 Ben Dao, « Crise au nord Mali : le président du HCI bientôt chez Iyad Ag Ghaly », L’Indicateur du Renouveau, 1er octobre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/crise-au-nord-mali-le-president-du-hci-bientot-chez-iyad-ag-ghaly-95351.html, page consultée le 15 octobre 2015. 309 Ibidem. 310 « Mali : influence grandissante des musulmans dans le champ politique à Bamako », Slate Afrique, 22 aout 2012, [En ligne], http://www.slateafrique.com/93281/mali-influence-grandissante-des-musulmans-dans-le-champ-politique-bamako, page consultée le 20 octobre 2015.

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dessein d’instaurer un dialogue a dérangé au plus haut point le citoyen lambda, d’autant

plus que cette initiative se serait produite dans un contexte de violence auquel la population

malienne est peu familière.

Effectivement, quelques jours avant l’arrivée de la délégation du HCI à Gao, un

couple a subi la lapidation pour déviance des bonnes mœurs et du non-respect des lois de la

sharia, une première au Mali311. La presse malienne et internationale rapporte en date du

20 septembre 2012 qu’au moins six personnes accusées de vol ont été amputées sur la

place publique312. Le témoignage d’une victime accusée d’avoir volé du bétail, Alhader Ag

Almahmoud, 30 ans, a d’ailleurs largement été diffusé dans la presse malienne313. L’un de

nos témoins, jeune dans la vingtaine, visiblement ébranlé par ces évènements, a partagé ses

impressions à ce sujet :

Les gens du Nord sont contre l’islam et contre le Mali. L’islam doit se faire connaitre et apprendre doucement, on ne peut pas forcer quelqu’un à devenir musulman du jour au lendemain. Le Prophète a dit amener les gens à l’islam avec sagesse, donc, ce n’est pas ça l’islam ! La manière dont ils sont venus va à l’encontre des dires de Dieu. Ils ont coupé des mains de personnes qui ont commis des vols et l’adultère, c’est à la loi malienne de les juger […] Des victimes ont témoigné à la télévision, on a entendu les récits des gens. Par exemple, un homme a témoigné à une radio de Bamako (radio niata) : Ansar Eddine a pillé l’équipement des soldats maliens et cet homme a trouvé par hasard le camion, il l’a repris et l’a redonné aux soldats. Les rebelles l’ont capturé et lui ont coupé la main et l’ont mise dans de l’huile bouillante (formation d’un moignon)314.

Amnestie Internationale rapporte que, le 10 septembre 2012, un homme accusé de vol fut

amputé de la main par des membres d’Ansar Eddin devant plus de 200 personnes 315.

Attachées sur des chaises, pieds et mains ligotés, les victimes sont exposées plusieurs

heures sur la place publique après leur amputation. Les groupes islamistes (MUJAO et

311 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. 312 « Au Nord-Mali : des amputations au nom de la charia », Maliweb, 20 septembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/au-nord-mali-des-amputations-au-nom-de-la-charia-93302.html, consultée le 28 novembre 2016. 313 « Sombre année au Nord Mali : entre occupation et confusion », Le Reporter, 27 décembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/politique/sombre-annee-au-nord-mali-entre-occupation-et-confusion-114423.html, page consultée le 22 octobre 2015. 314 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. 315 Amnesty International, 2012, Mali : Les civils paient un lourd tribut au conflit, AFR 37/007/2012, Londres, 16p.

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Ansar Eddine) justifient ces châtiments corporels et leur théâtralisation par l’application

stricte et rigoureuse de la sharia. D'un point de vue juridique, rappelons que la sharia est

incompatible au Mali en raison de la constitution laïque du pays. Toutefois, originellement,

elle représente un système de normes et de valeurs qui est déjà en vigueur au Mali dans la

mesure où il encadre la vie des Maliens : naissance, baptême, mariage, décès, héritage,

relations patrimoniales, etc.

Le secrétaire à la communication de l’UJMMA qui a tenu à souligner lors de notre

entretien que « l’islam du Nord »316 est une mauvaise interprétation de la loi islamique

relayée par certains leaders, a partagé son interprétation de la sharia lors d’un débat

radiophonique le 29 novembre 2012. Le quotidien Le Républicain résume ses propos : « la

sharia, selon Habib Kane, comprend trois choses qui sont : la profession de la foi (croire à

l’unicité de Dieu), les actes de dévotion (la prière, le pèlerinage, etc.) et les relations et

transactions financières (mariage, décès, etc.) »317. Selon notre témoin, la loi islamique

devrait dissuader les musulmans de commettre des actes violents. L’imam Mahamadou

Diallo, président d’honneur de l’UJMMA, a entériné ces propos en soulignant que « l’islam

n’est pas une religion de violence […] Ce qui se passe au nord du Mali est la (sic)

confusion, l’amalgame. Ce n’est pas la sharia. Car ceux qui applique la sharia commettent

eux aussi des actes délictueux »318.

Dans la même lignée, Ahmed Haïdara, fils du chérif Ousman Haïdara, a condamné

les violences dans le Nord et a critiqué l’application des lois islamiques au Mali : « dans

toutes les religions, on ne doit pas obliger quelqu’un à devenir musulman, ce n’est que par

la foi que l’on applique la religion. On l’a vu au nord du pays, ils veulent obliger les gens.

Le Prophète lui-même ne l’a pas fait! On ne peut pas appliquer la sharia comme ça »319. Ce

dernier appelle plutôt à suivre la voie du prophète, soit par la diffusion du message

pacifiquement. Fondamentalement, ce n’est pas l’encadrement juridique religieux qui est

questionné, mais plutôt ses limites dans un État de droit, laïc, de surcroit. Rappelons que 316Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 317Aguibou Sogodogo, « Débat : problématique de l’application de la charia : ce qui se passe au nord du Mali est la confusion, l’amalgame, pas la charia », Le Républicain, 29 novembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/insecurite/debat-problematique-de-lapplication-de-la-charia-ce-qui-se-passe-au-nord-du-mali-est-la-confusion-lamalgame-pas-la-charia-108542.html, page consultée le 12 octobre 2015. 318 Ibidem. 319 Entretien avec Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, au siège de l’association, 14 juillet 2014.

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tant au Nord qu’au sud du Mali, le quotidien de la grande majorité de la population est régi

par le droit musulman. Le débat entourant l’adhésion à la sharia au Mali relève la

dimension subjective du religieux, dans la mesure où l’interprétation de l’islam et de son

application donne lieu à de multiples recompositions. Cette pluralité s’est d’ailleurs

illustrée dans les débats publics. Les condamnations d’individus coupables au regard de la

loi islamique, par lapidation ou amputation, ont alimenté un débat public et ont

considérablement mobilisé l’opinion publique sur des questions idéologiques et

religieuses320. À ce propos, Benjamin Soares soutient que la couverture médiatique au Mali

et à l’international s’est intensifiée après la lapidation du couple dont il est question plus

haut, la multiplication des amputations et le saccage de tombeaux de Saints à

Tombouctou321.

Le saccage des mausolées, survenu entre avril et juin 2012, a frappé l’imaginaire de

la population malienne pour laquelle ces sites étaient sacrés. En effet, les 16 mausolées de

la ville de Tombouctou, datant de plusieurs siècles, ont une grande valeur dans l’héritage

culturel et religieux malien. D’ailleurs, la cité des « 333 saints » fait partie du patrimoine

mondial de l’UNESCO depuis 1988. L’un des membres fondateurs de l’UJMMA s’est

prononcé à ce sujet :

Quand ils ont attaqué Tombouctou (Ansa Eddine), les soufis ont demandé que les gestes soient condamnés, parce que nous, nous considérons (sic) les mausolées, alors que les wahhabias non. On voulait une déclaration officielle. Dicko et la majorité des membres du HCI n’ont pas voulu se prononcer. Le groupement des leaders, lui, a condamné ces saccages même s’il n’était pas encore reconnu officiellement. Pendant ce temps, Mamadou Dicko a fait une heure de discours sans qu’il ne se prononce sur la situation au Nord, on a perdu confiance en Dicko. Ils (wahhabia) sont en collaboration avec les djihadistes. Leurs attentats sont commis au nom de l’islam, tandis que c’est condamné par l’islam. Au même moment, les grands leaders (le Groupement des leaders spirituels du Mali (GLSM) ont fait une conférence de presse et ont condamné ces actions en disant ce qu’est le vrai islam et que, nous, vrais

320Voir les articles suivants : « Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao », Les Échos, 10 aout 2012, [En ligne] : http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao, page consulté le 20 septembre 2015, voir à l’annexe V, p. 139, et « Application de la charia aux populations du nord Mali : le gouvernement avoue son impuissance », Le Républicain, 22 juin 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/insecurite/application-de-la-charia-aux-populations-du-nord-mali-le-gouvernement-avoue-son-impuissance-74769.html, page consultée le 27 septembre 2015. 321 Benjamin Soares, loc. cit., 2012, p. 2.

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musulmans on condamne ces actions. […] D’ailleurs, lorsqu’ils ont commencé les frappes, l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique), présidé par Morsi a condamné l’intervention de la France. […]. Finalement, le HCI a rectifié sa position et a condamné les actions au Nord. Les leaders du HCI ont un rôle à jouer, mais le bureau ne peut pas rester comme il est présentement. Ça prend un changement pour que la majorité (composée de musulmans non wahhabia) prenne sa place322.

Le GLSM, qui serait, selon les dires du fils du Chéri d’Haïdara, composé exclusivement de

soufis, a été fondé au début de l’année 2012. Le GLSM regroupe des associations et des

structures religieuses à tendance soufie qui luttent contre la radicalisation de l’islam par la

promotion d’un islam tolérant et pacifique. Dirigé par le guide spirituel d’Ançar Dine,

Chérif Haïdara, le groupement cherche à faire contrepoids à l’influence wahhabia dans le

paysage religieux. En ce sens, les leaders soufis, contrairement aux représentants religieux

wahhabia, ont sévèrement condamné la destruction de lieux saints, héritage d’une longue

tradition religieuse malienne323.

Concernant la mobilisation du GLSM sur la question, la presse malienne rapporte

dans un article intitulé Destruction des Mausolées religieux au nord du Mali : non à l’islam

importé les propos du président d’Ançar Dine : « Il (Mamadou Dicko) doit la condamner en

sa qualité de premier responsable de la communauté musulmane, il est notre président et ne

peut pas ne pas condamner cette destruction des mausolées, il y va de l’entente entre les

musulmans de notre pays. Ce qui vient de se passer à Tombouctou est une atteinte grave à

la liberté de culte »324.

Face à l’inaction du HCI, le GLSM s’est mobilisé contre la destruction et la

profanation des mausolées. Au cours d’une première conférence tenue le 9 avril 2012, le

chef spirituel Ousmane Haïdara, l’imam Mahamadou Diallo, le prêcheur Thierno Hady

322 Entretien avec Koussa, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014. 323Voir Alassane Cissé, « Mali : Chérif Madani Haïdara (Groupement des leaders spirituels musulmans au Mali) : ‘‘Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les bénédictions de Dieu’’ », Notre Printemps, 8 décembre 2015, [En ligne] : http://maliactu.net/mali-cherif-madani-haidara-groupement-des-leaders-spirituels-musulmans-du-mali-nous-nallons-pas-ceder-a-la-terreur-le-maouloud-aura-lieu-avec-les-benedictions-de-dieu/, page consultée le 20 octobre 2016. 324 Propos du Chérif Haidara : Kassim Traoré, « En vue de dénoncer la profanation des mausolées et l’inertie du Gouvernement : Grande marche de protestation des leaders religieux, vendredi prochain, sur la primature », L’Indépendant, 3 juillet 2012, http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/en-vue-de-denoncer-la-profanation-des-mausolees-et-linertie-du-gouvernement-grande-marche-de-protestation-des-leaders-religieux-vendredi-prochain-sur-la-primature-77276.html, page consultée le 22 avril 2015.

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Thiam et d’autres leaders des confréries Tijania et Kadriya ont condamné les exactions

commises au Nord et l’instauration de la sharia sur le territoire malien325. Le silence du

HCI, qui selon la presse «n’a pas manqué de créer la polémique au sein de la communauté

musulmane du pays»326, est alors justifié par son statut d’interlocuteur avec les troupes

rebelles du Nord. En vue d’ouvrir le couloir humanitaire, le président du HCI a expliqué

aux médias qu’en temps de négociation une condamnation serait contreproductive327.

Les représentants du GLSM, « s’inspirant de l’islam traditionnel pratiqué au Mali

depuis des lustres »328 et défendant le culte des saints ont organisé une deuxième rencontre

le 1er juillet 2012 à Banconi pour sensibiliser la population à ces exactions et l’inviter à une

grande marche de protestation le 5 juillet329. Ces membres n’ont pas manqué d’accuser

Mamadou Dicko, et plus largement tous les leaders wahhabia, de mutisme330. Dans la

foulée de ces manifestations publiques, le président du HCI a condamné ces exactions le 10

juillet 2012, en présence des leaders du GLSM331. Les démarches du HCI, ou plutôt son

inaction, ont soulevé l’indignation au sein de la population et ont révélé tout le caractère

325 Mamadou Dabo, « Groupement des leaders musulmans du Mali :‘‘Nous condamnons toutes sortes d’instauration de la Charia par la violence’’, ‘‘Ançar Dine n’a rien avoir avec Ançar Eddine du terroriste Iyad Ag Ghaly’’ », Zénith Balé, 10 avril 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/groupement-des-leaders-musulmans-du-mali-nous-condamnons-toutes-sortes-dinstauration-de-la-chariya-par-la-violence-ancar-dine-na-rien-a-voir-avec-ancar-eddine-59511.html, page consultée le 27 avril 2016. 326Abdoulaye Diakité, « Sur la profanation d’un mausolée à Tombouctou : Le président du Haut Conseil Islamique s’explique », L’indicateur du Renouveau, 11 mai 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/sports/sur-la-profanation-dun-mausolee-a-tombouctou-le-president-du-haut-conseil-islamique-sexplique-65824.html, page consultée le 29 avril 2016. 327Ibidem. 328Abdoulaye Diarra, « Après la destruction des mausolées et les amputations : Les salafistes menacent de mort Chérif Ousmane Madani Haïdara et d’autres leaders religieux », L’indépendant, 26 décembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/apres-la-destruction-des-mausolees-et-les-amputations-les-salafistes-menacent-de-mort-cherif-ousmane-madani-haidara-et-dautres-leaders-religieux-114009.html, page consultée le 17 novembre 2017. 329Kassim Traoré, « En vue de dénoncer la profanation des mausolées et l’inertie du gouvernement : Grande marche de protestation des leaders religieux, vendredi prochain, sur la primature », L’indépendant, 3 juillet 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/en-vue-de-denoncer-la-profanation-des-mausolees-et-linertie-du-gouvernement-grande-marche-de-protestation-des-leaders-religieux-vendredi-prochain-sur-la-primature-77276.html, page consultée le 22 avril 2015. 330 À ce propos, les auteurs Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni confirment que s’agissant du « [Groupement des leaders spirituels du Mali], ce sont les grandes familles maraboutiques du Mali et les leaders spirituels d’obédience malékite — c’est-à-dire les antiwahhabites — qui ont dénoncé la destruction des mausolées à Tombouctou et à Gao […] ». Voir Jacques Fontaine, Addi Lahouari, Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205. 331 Lassa, « Destruction des mausolées religieux au Nord Mali : Non à l’islam importé », Maliba Info, 10 juillet 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/destruction-des-mausolees-religieux-au-nord-mali-non-a-lislam-importe-78827.html, page consultée le 11 octobre 2016.

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subjectif d’interprétation des textes sacrés. Plus encore, cet épisode souligne la persistance

de fractions profondes présentées par nos informateurs comme deux clans religieux.

Les négociations avec les troupes rebelles et l’inaction de l’organisation suite aux

saccages des mausolées ont entrainé une confusion quant aux motivations des représentants

du HCI, et du fait même, alimenté les tensions existantes. Selon une grille de lecture

prompte à la stigmatisation de l’étranger, ou plus précisément du musulman étranger à la

tradition religieuse malienne, les actions du HCI ont laissé percevoir, aux yeux de

nombreux témoins, une forme de connivence entre les leaders wahhabia et les rebelles du

Nord. Le rejet de l’islam rigoriste, étranger à la voie malienne qui se veut pacifiste et

tolérante, s’est traduit par une sur affirmation de l’identité musulmane malienne, et

inversement, une stigmatisation du musulman dont la pratique est détachée de la tradition

malienne. Ainsi « la crise a ravifié (sic) des tensions étouffées : une large opposition entre

les confréries d’obédience malékite — un rite musulman propre au Maghreb et à l’Afrique

— et le wahhabisme »332.

Par ailleurs, le regain nationaliste qui a gagné le Mali depuis l’insurrection au Nord

du pays a exacerbé les tensions déjà existantes entre les divers courants musulmans

millénaires au Mali (tijanya, malékiste) et le courant wahhabia, et plus largement, les

tensions nord-sud. Bien que la majorité des militants de l’UJMMA et d’Ançar Dine appelle

à une unification des musulmans du Mali, ils ont été nombreux à qualifier les Maliens du

Nord de « radicaux », « d’intégristes » ou « d’islamistes ». Ces termes à connotations

péjoratives entrainent, dans une confusion totale, la stigmatisation l’Autre, désigné de

fondamentaliste, et du même coup une dissociation de cette figure. L’identité, telle que

soulevée par Louis Brenner, se forme selon un « processus of naming : of self, of others and

by others »333. Or, dans un contexte de crise nationale et morale, la représentation de soi ou

de l’entité à laquelle l’individu attache un sentiment d’appartenance se voit menacée. En ce

sens, le vocabulaire connotatif, les comportements caractériels et les discours stigmatisants

créent une rupture nette entre l’Autre et le nous334.

Le discours d’un jeune militant de l’UJMMA, travailleur social de formation, sur le

conflit au Nord, est en ce sens évocateur. Ce dernier travaillait dans les bureaux de

332 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205. 333 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 59. 334 Voir l’article de Mame-Penda Ba, loc. cit., 2012, p. 575-602.

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l’association à Kidal qu’il a dû quitter en raison du conflit. Lors de notre rencontre, il était

temporairement posté dans les bureaux de Bamako. Ses interventions à caractères sociales

offrent une lecture intéressante de la situation :

Sur le plan de la sécurité, ça a (sic) toujours été dangereux, l’insécurité a toujours été là au nord. Il y a toujours eu des braquages, les ONG et associations sont les premières victimes, on leur vole leurs véhicules et le matériel. Sur le plan social, entre le nord et le sud, il y a de grandes disparités sur le plan socioculturel. Au Sud, il y a beaucoup plus d’hospitalité et d’humanité qu’au nord. Quand on est étranger et qu’on vient au sud, on respecte et aide l’étranger. Quand on va à Kidal, même en tant qu’agent de l’État, c’est difficile d’intégrer la population. Ça se comprend, ils n’ont pas la même culture et éducation ni le même mode de vie. Je comprends et accepte ces différences […] La première barrière est linguistique, on se comprend mal si on ne parle pas la même langue. Quand je travaille au nord, certains comprennent le français, mais le grand auditoire ne comprend pas. Le reste, c’est dû à des problèmes identitaires Nord/Sud. La télévision nationale par exemple, si vous regardez cette chaine, vous avez des informations sur le Mali. Mais à Kidal, ils ne regardent que les chaines arabes, mais pas celles du Mali. La plupart des marchandises qu’ils consomment viennent de l’Algérie, ils ne consomment que des produits algériens, rien de malien. Sur le plan culturel, leur identité ce n’est pas comme la nôtre, ils ne regardent pas la télévision, n’écoute pas la radio malienne, et ne consomment pas des produits du Mali. En matière d’exode, quand ils voyagent, ils ne vont qu’en Libye, en Algérie et en Mauritanie. Ces aspects font qu’ils ne reflètent pas la même identité que celle du Sud. C’est propre à eux, c’est une situation propre à toutes les régions frontalières, les villages s’identifient aux autres pays frontaliers avant le leur. Ils ne viennent jamais au Sud, d’ailleurs si ce n’est que pour récupérer leur passeport. Un autre aspect est que ces gens n’ont pas la culture du civisme, ne respecte pas les lois335.

Ce témoignage expose l’important clivage identitaire et social entre le Nord et le Sud. Le

jeune Mohamed pointe les principaux éléments identitaires qui distinguent ce qui semble

être deux franges d’une population qui partage le même territoire. Il en vient également à

souligner que les hommes du Nord ne participent pas à l’effort économique : « Au nord, les

enfants sont moins éduqués, c’est dangereux, ils prennent de la drogue, le père n’est jamais

présent pour les éduquer, le père ne détient même plus d’autorité et les gens ne travaillent

335Entretien avec Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014.

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même pas assez. Un Targui336, on le voit rarement travailler, même les activités comme

jouer au foot, il n’y participe pas. Les femmes travaillent, elles jardinent, font de l’artisanat.

Les hommes ne font presque rien. Au Sud, avec les maigres moyens, dans le commerce, les

gens se battent tous les jours pour survivre »337. On lit dans ce témoignage une rupture

identitaire dans la mesure où l’appartenance nationale se voit divisée en deux. À ce propos,

le politologue Edmond Keller soulève dans un important ouvrage sur les interactions

identitaires en situation de conflits que l’affront de groupes dans un contexte national

conflictuel a tendance à entrainer une communautarisation des appartenances

identitaires338. Ce décalage identitaire est le résultat «de processus sociaux, culturels et

politiques d’attribution, d’invocation et de revendication»339, et il se voit exacerbé par une

absence de dialogue et un racisme assumé. Un autre témoin, Djeneba, une militante de

première génération de l’UJMMA, accuse une forme de racisme dans le pays pour

expliquer la crise :

C’est du racisme au nord! Ceux qui ont la peau blanche voient encore les Noirs comme des esclaves, d’un! De deux, les Arabes ont leur propre éducation […] À chaque nouvelle génération, ils viennent pour nous combattre. Ces terroristes sont aidés par les autres pays arabes. Ils viennent de la Libye, ils viennent tous de là, ils ont d’abord essayé de se réfugier au Niger, mais on leur a refusé l’accès tant qu’ils gardaient leurs armes. Quand ils sont arrivés au Mali, ils ont trouvé les frontières ouvertes. Les choses se sont aggravées depuis et l’Algérie joue un grand rôle, de telle manière que quand l’Algérie se prononce sur le conflit, tout le monde se tait340. Le témoignage révèle un climat d’hostilité à l’égard des peuples touaregs considérés

comme étant étrangers à la culture et à la nation malienne. Les liens entre les logiques

identitaires et logiques territoriales sont, ici, clairement affichés. Ces déclarations révèlent

d’abord un sentiment de peur quant à la figure étrangère venue de Libye, ou simplement

étrangère aux réalités maliennes du Sud, mais également d’un sentiment d’impuissance

dans ce conflit. En effet, le Malien moyen considère, étant donné tous les facteurs exogènes

336 Touaregs au singulier. 337 Entretien avec Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014. 338 Edmond J. Keller, Identity, Citizenship, and Political conflict in Africa, Bloomington, Indiana University Press, 2014, p. 6. 339 Nicolas Rousselier, loc. cit., 1996, p. 19. 340 Entretien avec Djeneba, militante de l’UJMMA, à son domicile, 20 juillet 2014.

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et les acteurs impliqués dans la crise, que le conflit dépasse le pouvoir d’action des

citoyens, et même des hommes politiques maliens.

Dès lors que les témoignages recueillis révèlent une construction identitaire qui

s’articule autour de la stigmatisation et de la différenciation, les individus, vivant sur le

territoire malien qui ne partagent pas ces mêmes valeurs nationales et éléments identitaires

énumérés ci-dessus, sont étrangers à la nation. Autrement dit, la nation serait un ensemble

de valeurs et d’idées qu’un même peuple partage en cohésion. En ce sens, les peuples du

Nord seraient exclus de l’appartenance nationale en raison de leur éloignement culturel et

identitaire.

Ces représentations identitaires sont entre autres le résultat de politiques

d’administration nationales centralisées ayant conduit d’importantes disparités territoriales

et affaiblies l’État. Ces lectures remettent donc en question la réalisation de l’unité

nationale, si on part du postulat que chaque nation a besoin d’une orientation morale et de

valeurs issues de ses racines historiques et culturelles341. Questionnant viabilité de la nation

dans un État secoué par les conflits342, l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch avance

que c’est ce type de discours raciste qui a engendré des pogromes que l’on a connu sur le

territoire africain : « c’est une pure construction idéologique, où, comble de l’absurde, c’est

soi-même que l’on finit par définir comme autre, c’est-à-dire ceux qui vivent ensemble

depuis des siècles, qui parlent la même langue et ont hérité de la même culture »343.

Le risque est effectivement grand d'autant plus que la dimension religieuse et

identitaire du conflit donne lieu à une surenchère des marqueurs identitaires dans la mesure

où les acteurs sociaux définissent collectivement à partir de l’islam et de la nation.

Cependant, ces formes de réaffirmation identitaire, bien qu’elles soient centrées sur

l’appartenance religieuse, n’affaiblissent pas la véhémence nationaliste, elles semblent

plutôt l’alimenter.

En somme, cette lecture du conflit largement partagée par les Maliens rencontrés,

des deux générations, met en exergue une forte hostilité envers la figure étrangère, voire un

racisme assumé. Eu égard à ce qui précède, l’on perçoit qu’un véritable sentiment de

341 Gregory Baum, « La réponse de l’islam à la modernité : la pensée religieuse de Fethullah Gulen », Théologies, vol. 19, no. 2, 2011, p.178. 342 Catherine Coquery-Vidrovitch, « De la nation en Afrique noire », Le Débat, vol. 84, no. 2, 1995, p. 119-133. 343 Catherine Coquery-Vidrovitch, loc. cit., 1995, p. 126.

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xénophobie ressurgit des évènements récents. Notre compréhension de ces logiques

identitaires rejoint le postulat suivant de Pierre Kipré : « dans un contexte

d’institutionnalisation de la violence politique et d’exclusion des populations du débat

politique, les identités collectives parcellaires, manipulées par certaines élites sociales,

l’emportent sur une véritable politique de cohésion nationale »344. Effectivement, dans le

contexte malien, l’argument à caractère distinctif basé sur l’ethnicité nuit considérablement

à la réconciliation nationale dans la mesure où il divise les populations plutôt que de les

unir. À ce propos, l’auteur Claude Meillassoux souligne également toute l’importance de

l’unité et du consentement au sein d’une nation autour d’une même administration, de

mœurs codifiées, d’une même justice, d'une éducation et d’une langue commune345. Ces

derniers éléments, une fois combinés, édifient une cohésion nationale.

Nous l’avons vu, les identités sont dressées les unes contre les autres ce qui

accentue les clivages identitaires et témoigne d’une adhésion à la nation à divers degrés. Or,

ces clivages en viennent à exacerber les appartenances et souligner les divisions ce qui fait

sérieusement obstacle au projet d’unité nationale. N’étant pas un élément stationnaire et

immuable, l’identité est en constante redéfinition, questionnement et transformation.

Inhérentes à l’altérité, les constructions identitaires, dans ce cadre politique conflictuel,

semblent être alimentées par les différences. La peur de l’Autre, désigné comme

responsable de la crise, se lit dans les amalgames formulés. Dans une confusion totale, l’on

désigne les coupables de fondamentalistes tout en suggérant une solution religieuse

orthodoxe à une sortie de crise. L’islam, dans sa multiplicité interprétative, devient alors un

foyer de revendications et d’affirmations identitaires.

344 Pierre Kipré, « La crise de l’État-nation en Afrique de l’Ouest », Outre-terre, 2005, no.11, p. 32. 345 Claude Meillassoux, « Fausses identités et démocratie d’avenir », in Patrice Yengo (dir.), Identités et démocraties, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 11.

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B. Le redressement de la bonne morale au Mali : entre réformisme et

fondamentalisme. L’ambigüité d’un projet social total

Dans un contexte de crise nationale et identitaire, les acteurs religieux s’appliquent à

réévaluer le degré de bonnes mœurs de leur environnement social et à mettre de l’avant les

identités musulmanes, cela en épousant non seulement un discours qui prône un retour aux

traditions originelles, selon un modèle de quête du « vrai islam », de retour à l'ordre moral,

mais aussi en proposant une solution orientée vers les valeurs civiques islamiques telles

que la bonne moralité, la compassion, le dévouement, la tolérance et la paix. La

reconstruction nationale et morale ne serait possible que par un « renouveau » islamique et

sa diffusion dans toutes les sphères de la société. Projet collectif et individuel, ce

renouveau islamique doit être porté par l’ensemble des acteurs religieux.

Dans le but de faire respecter ces valeurs civiques islamiques, il est identifié des

sources de perdition, dont la figure féminine, considérée comme étant la source la plus

visible dans l’espace public. Son comportement, ses gestes et habillements sont critiqués et

condamnés dans un discours orthodoxe et moralisateur. Le recours aux lois islamiques

pour le contrôle du corps féminin dans l’espace public, et plus largement le maintien de la

bonne morale devient la voie naturelle. Ici repose toute l’ambivalence du discours collectif

dans la mesure où tout en prônant la tolérance et en critiquant la lecture orthodoxe du

wahhabisme, nous verrons que les militants de l’UJMMA et d’Ançar Dine musulmans

s’inscrivent dans une voie fondamentaliste de l’application des codes religieux. Cette

attitude, accentuée par la crise nationale, se réduit à exprimer une peur de l'Autre, un

sentiment d'opposition à ce qui est considéré comme une occidentalisation des pratiques

quotidiennes et une perte de repères moraux346.

En période d’instabilité, le religieux est dès lors perçu, d’une part, comme une

solution réelle pour le bien de la nation et d’autre part, comme une solution symbolique

pour la restauration de la morale et des bonnes mœurs. C'est ainsi que l’adoption de la voie

moralisatrice confère à l’individu, qui porte le projet, un champ de possibilités, spirituelles

346 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205.

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et sociales347. Par l’investissement d’un discours et d’un comportement pieux, le fidèle se

donne pour mission de moraliser sa société qu’il considère mise à mal et non conforme à sa

conception348.

Dans le cas qui nous occupe, à la lecture des discours des leaders religieux relayés

par la presse malienne, de discours de citoyens lambda et de militants musulmans toutes

confessions confondues, le rétablissement de la morale apparait comme la solution idoine

pour le rétablissement de l’unité nationale. À cet effet, le journal Le Flambeau349 dénonce

la dépravation des bonnes mœurs chez la jeunesse malienne qui mène à la dérive l’identité

culturelle. Dans un article en date du 8 mai 2012, l’auteur appelle au rétablissement des us

et coutumes nationales :

Certains comportements de la jeunesse vis-à-vis des mœurs émettent de plus en plus des inquiétudes sur l’avenir de nos sociétés africaines. La consommation de l’alcool et autre stupéfiant, le non-respect des personnes âgées, la violence juvénile, la prostitution et le style vestimentaire en sont les plus fréquents. Pour notre part, nous nous focaliserons plus sur la tenue vestimentaire de certaines de nos sœurs. Avec des centaines de jeunes filles maliennes qui se promènent presque nues, et le comble de l’absurdité en plein jour, le Malien lambda se demande aujourd’hui ce qui reste de nos valeurs sociétales? Ce triste constat, à la fois écœurant et interpellateur, n’émane en réalité que d’une défaillance éducationnelle des enfants en famille et dans la société? [...] Les Maliens ont démissionné et la jeunesse s’effondre. La responsabilité éducationnelle des parents et de la société et celle règlementaire des autorités sont engagées (sic). Nos sœurs doivent se ressaisir et faire la part des choses. Le corps de la femme est ce qu’elle a de plus sacré et mérite d’être préservé dans la dignité. Nos coutumes, notre culture, notre identité sont les seuls biens qui nous appartiennent dans ce monde dit de mondialisation. Pour notre développement et la préservation de notre patrimoine identitaire, nous nous devons de les protéger contre vents et marées350.

347 Ferdaous Bouhlel Hardy, loc. cit., 2010, p. 829. 348 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p. 4. 349 Ce quotidien dont le tirage est de 500 exemplaires par jour offre des enquêtes et des analyses de presse universitaire, depuis sa fondation en 2008, par des étudiants de l’Université de Bamako. 350 Hamady Diallo, « Dépravation des us et coutumes : Le style vestimentaire des filles, une menace pour notre identité culturelle », Le Flambeau, 9 mai 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/depravation-des-us-et-coutumes-le-style-vestimentaire-des-filles-une-menace-pour-notre-identite-culturelle-65291.html, page consultée le 12 avril 2015.

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Alimenté par une peur d’occidentalisation et de mondialisation de la société qui

entraineraient une perte de repères, un discours prônant le rétablissement de l’habitus

musulman comme solution réelle à la crise semble faire l’unanimité parmi les diverses

fractions musulmanes au Mali. Le journal le Républicain publiait un article en 2012

accusant les pratiques occidentales de pervertir la culture malienne :

Les mutations des sociétés ont abouti à un phénomène d’assimilations de cultures et de mode de vie. La forte influence des médias dans nos pays africains ont conduit les populations africaines à épouser les mœurs et comportements occidentaux. A bons échéants ou mal interprétés, la jeunesse malienne calque de plus en plus sa vie aux comportements occidentaux. […] Hommes et femmes assimilent le cliché occidental, côté vestimentaire, pantalons slim, taille-basse, cigarette, saourels et les sous-fesses sont à la tendance. Les coiffures des grandes stars sont également reproduites dans les salons de coiffure, actuellement le look de la star américaine, Rihana, fait tabac chez les jeunes filles […]351.

Comme en témoignent les deux articles ci-dessus, la première déviance contraire aux

bonnes pratiques musulmanes pointées du doigt – et la plus visible dans l’espace public –,

sont sans contredit l’habitus et, plus précisément, les tenues vestimentaires des jeunes filles

jugées provocatrices et trop légères. Figure maternelle et pilier familial, la femme est

perçue comme le véhicule premier de transmission de la tradition et de l’éducation

nationale et religieuse. En ce sens, les agissements de la femme considérés comme

provocateurs et ses tenues vestimentaires aguicheuses seraient à l’origine des dits fléaux

qui pervertissent la jeunesse malienne.

À cet égard, la fille du chérif Haïdara défendait les actions et discours de

l’association de son père qui, selon elle, rétablissent l’ordre moral au Mali, car aujourd’hui

« les jeunes se comportent très mal. Je suis contre le fait qu’une fille dit être habillée (sic)

alors qu’on voit tout d’elle, toutes ses formes. On ne sait même plus si elle est musulmane.

Au minimum, il y a la coutume. Il ne faut pas laisser voir les formes, je n’aime pas

l’habillement des jeunes filles au Mali. Sans oublier qu’il y a quelques garçons qui

351Khadydiatou Sanogo, « La jeunesse malienne, victime de l’influence occidentale mal assimilée », Le Républicain, 10 septembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/la-jeunesse-malienne-victime-de-linfluence-occidentale-mal-assimilee-90514.html, page consultée le 25 avril 2015.

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prennent des excitants, des drogues, ils se soulent, c’est ça notre jeunesse aujourd’hui,

heureusement elle ne forme qu’une partie seulement »352.

Selon de nombreux individus rencontrés, ces dépravations seraient propres aux

centres urbains où les cellules communautaires traditionalistes seraient décousues. Ces

positions moralisatrices témoignent d’un désir de récupération d’une identité fidèle à la

tradition musulmane. Les réalités sociologiques étant sensiblement pareilles entre Bamako

et Dakar, Fabienne Samson soulève des observations semblables dans la capitale du

Sénégal. Celle-ci pointe les particularités urbaines dakaroises qui alimentent les discours

moralisateurs chez des mouvements néo confrériques où « la ville devin pour eux le lieu

privilégié de perdition, de déviances et autres perversions. Ils (membres des mouvements

néo confrériques) commencèrent à critiquer les jeunes qui boivent de l’alcool, se droguent,

passent leurs journées à préparer du thé entre amis au lieu de se chercher un emploi. Les

filles furent les premières visées par ces critiques : considérées comme sources des

principaux problèmes de la société […] accusées de mœurs légères, de porter des

vêtements trop dénudés, de mal élever leurs enfants, etc. »353.

Le rôle dépeint de la femme a une forte portée symbolique en termes de transmission

de la culture, de la tradition et du religieux. Sous l’emprise du poids social, la femme se

voit dépossédée de son corps et de son symbolisme. Vecteur clé de la pratique religieuse,

le corps féminin porte le poids de la tradition et de la moralité sociale dans l’espace

public354. Le rôle de la femme dans le rétablissement de la bonne morale et de la nation

n’est pas anodin. En 1991, la sociologue Marie-Aimée Hélie-Lucas, exposait à travers

l’histoire nationale algérienne, iranienne et indienne le rôle des femmes dans des contextes

de crises nationales où l’identité est menacée : « le comportement et l’habillement des

femmes sont chargés d’une grande signification symbolique. Le nouveau régime [de

Khomeini, guide de la révolution iranienne] désigne explicitement les femmes comme

porteuses les plus dangereuses de la décadence morale »355. La gent féminine se retrouve

alors campée entre son rôle de dépositaire de la culture et de la religion, et celui de 352 Entretien avec Amina Haidara, fille du Chérif Haïdara et représentante de la cellule familiale d’Ançar Dine, dans les bureaux de la banque de l’association, 17 juillet 2014. 353 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p.10. 354 Charmaine Pereira et Jibrin Ibrahim, « Le corps des femmes, terrain d’entente de l’islam et du christianisme au Nigeria », Cahiers du genre, vol. 3, no. 3, 2012, p. 90. 355 Marie-Aimée Hélie-Lucas, « Les stratégies des femmes à l’égard des fondamentalismes dans le monde musulman», Nouvelles questions féministes, no. 16-18, 1991, p. 38.

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« traître » de la nation 356 . La sexualité féminine est alors perçue comme une source

d’immoralité, désignant la femme pour responsable de l’effritement de l’ordre moral et

l’instabilité sociale. Le désir de transformer l’environnement religieux s’exprime, dans le

cas présent, par la volonté de contrôle du corps féminin dans l’espace public. La sexualité

féminine étant perçue comme une source d’immoralité et de perversion, son contrôle est

donc suggéré comme outil pour contrer l’effondrement de l’ordre moral357.

À cet égard, les discours entendus lors d’un travail d’observation358 dans un grin,

situé dans le quartier populaire de la Dravéla, par des jeunes hommes rejoignent les propos

de la fille du président d’Ançar Dine, présentés plus haut. Selon notre associé, Issa, qui a

également assuré la traduction lors des entretiens donnés en bambara, les jeunes hommes

présents, âgés dans la vingtaine, ont largement parlé du comportement déviant des jeunes

maliennes et de la consommation d’alcool chez leurs confrères. Sans jamais aborder la

question de la bonne morale religieuse, ceux-ci dénonçaient les relations sexuelles avant le

mariage, « sans toutefois se plaindre »359. En effet, Issa rapporte que bien qu’il y ait eu un

débat sur la question, ces jeunes hommes ne sont pas véritablement dérangés par cela tant

et autant que ça n’ait pas lieu sous leur toit. Ce dernier explique que les jeunes ont

tendance à accuser la démission des parents, et plus précisément celle des mères de famille

dans l’éducation des enfants. Ces jeunes auraient également critiqué le comportement des

jeunes filles et leur habillement : « pantalon trop serré et jupe courte, elles sont considérées

comme provocatrices dès qu’on voit leurs formes. On critiquait aussi les filles qui font les

saintes-nitouches devant la famille, qui vont à la mosquée régulièrement et qui se

transforment une fois la nuit tombée »360.

Les témoignages rapportés par notre associé révèlent l’omniprésence du discours

moralisateur dans l’espace public. Le discours prônant la transformation de

l’environnement par le strict respect des préceptes de l’islam est présent tant à la mosquée

qu’aux grins de quartier. L’instabilité territoriale, entrainant une perte de repères, a

renforcé ces appels moralisateurs. Le rétablissement de la bonne morale est vu comme le

lien unificateur des diverses fractions religieuses et sociales qui luttent pour l’unité

356 Marie-Aimée Hélie-Lucas, loc. cit., 1991, p. 37. 357 Charmaine Pereira et Jibrin Ibrahim, loc. cit., 2012, p.104. 358 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014. 359 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014. 360 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014.

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nationale. À ce propos, le politologue Richard Banégas soulève que « les appels à défendre

l’intégrité du territoire national (malien) […] témoignent d’une forte demande sociale

d’intégrité politique et de régénérescence morale, notamment de la part d’une certaine

fraction de la jeunesse urbaine »361.

En réaction aux reproches qui sont adressés aux femmes maliennes par de nombreux

représentants religieux, la société civile et la presse, des associations de femmes

musulmanes, à l’avant-garde du mouvement de réforme morale, s’organisent afin de

déconstruire les critiques adressées à la gent féminine. Les associations de femmes de

quartiers ou les cellules féminines de grandes associations telles que l’UJMMA cherchent à

intégrer les normes de conduites morales dans l’espace privé par l’entremise d’un

enseignement islamique. À cet effet, des femmes de la seconde génération que nous avons

rencontrées ont souligné l’apport de l’enseignement islamique dont elles bénéficient au sein

de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de

l’islam. Cette association qui regroupe des veuves ou des femmes en difficulté offre

régulièrement des cours d’arabe, des séances de lecture du Coran, des conférences, des

cercles de discussion, ainsi que des projets de développement économique par l’artisanat.

Fondé en 2010 par la présidente de la cellule féminine de l’UJMMA, ce regroupement de

femmes de quartiers cherche également à faire valoir le rôle de la femme dans la

réconciliation nationale et le redressement de la bonne morale. De nombreuses femmes

rencontrées ont fait part de leurs appréhensions quant au rétablissement de l’unité nationale

et de la bonne morale. Sénabou, une technicienne de laboratoire dans la cinquantaine et

divorcée affirme ainsi que les objectifs de l’association des femmes musulmanes des

logements sociaux pour le rayonnement de l’islam concordent avec le grand projet national

et ses propres projets personnels :

Je voulais réussir ma vie familiale et avoir des enfants, je voulais m’occuper d’eux, je ne voulais pas me retrouver accrochée à qui que ce soit, je voulais subvenir à mes besoins. Aujourd’hui, ce que je veux, c’est mieux comprendre l’islam, ses droits et devoirs. Je me suis engagée à former des femmes et continuer ma propre formation. Certaines femmes viennent me voir si le maitre (coranique) n’est pas là, on discute généralement, on se retrouve à parler beaucoup d’islam et de son application dans la vie courante. En bref, nos activités permettent de nouvelles rencontres et d’apprendre ce qu’on ne

361 Richard Banégas, « Afrique de l’Ouest : des crises de la citoyenneté », CERI, 2012, p. 3.

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connait pas et de transmettre ce qu’on connait. C’est un échange constant et on ne fait que commencer. Avant, les femmes n’allaient qu’à la mosquée, allaient à la prière uniquement. Maintenant, il est question de solidarité, on peut venir en aide aux femmes dans le besoin […] Nous allons parfois aux activités de l’UJMMA, je vais souvent aux conférences organisées. Au début du mois de juin, il y a eu une conférence sur la réconciliation nationale, on ne parle que de ça ces derniers temps. Les leaders parlent de ce qu’Allah nous a enseigné, sur le pardon mutuel, s’entraider et pardonner les autres et invitent les femmes à s’investir362.

Ce type d’organisation sociale est assez courant dans le paysage religieux malien. À

cet effet, les travaux de Dorothea Schulz effectué à Gumbu, au nord de la capitale

malienne, suggèrent une prééminence des femmes dans le courant moralisateur au Mali.

Celles-ci s’appliquent à diffuser les valeurs islamiques, à savoir la modestie, l’endurance, la

patience, le pardon, et à propager une nouvelle conception de l’islam. Ces femmes qui

d’après les termes de l’auteure « present themselves as articulators and icons of moral

reform » 363 s’inscrivent incontestablement dans la diffusion de l’islam dans la société

malienne. À cela, l’auteure Janson Marloes soutient que, selon ces jeunes musulmans,

éduquer une femme revient à éduquer la nation entière364. Il y a là l’idée que pour répondre

aux critiques qui leur sont adressées et pour agir pleinement dans le mouvement du

renouveau islamique, le savoir religieux est la voie à adopter.

Les femmes militantes rencontrées partageaient toutes la même conviction et

motivation, soit celle de rompre avec la domination masculine dans le cadre religieux en

offrant une éducation islamique aux femmes de leur entourage. À ce propos, la littérature

scientifique s’emploie à étudier ces dynamiques féminines par le prisme de l’agency. Orit

Avishai soulève que dans le cadre strict de certaines religions traditionnellement

patriarcales365, les femmes s’organisent et innovent afin d’intégrer pleinement la sphère

religieuse selon quatre modèles différents : la résistance, l’empowerment,

362 Entretien avec Sénabou, membre de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de l’islam, à son domicile, 24 juillet 2014. 363 Dorothea Schulz, loc. cit., 2008, p. 75. 364 Janson Marloes, « Renegotiating Gender : Changing Moral Practice in the Tablight Jama’at in the Gambia », Journal of Islamic Studies, vol. 28, 2008, p. 20. 365 Par là, l’auteur entend notamment le catholicisme, protestantisme, judaïsme orthodoxe et certains courants de l’islam.

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l’instrumentalisation et le conformisme366. Faisant donc preuve d’agency367, ou encore de

pious agency 368, celles-ci tendent à participer pleinement au redressement de la bonne

morale en intégrant les principes de l’islam dans touts les aspects de la vie. Cette démarche

à double portée, individuelle et collective, permet aux femmes de faire entendre leur voix et

d’être à l’initiative du changement, tout en participant pleinement au projet collectif.

En ce sens, une jeune mère de famille et prêcheuse nous a fait part de ce qui la motive

à s’impliquer dans la sphère religieuse :

Je voulais m’engager pour aider l’islam, c’était mon premier objectif. El hamdoullah, il y a des musulmans au Mali, mais il est mal compris, il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas. Il faut leur montrer en faisant des prêches et des écoles, autant pour les femmes que les hommes, surtout les femmes mariées. Il faut organiser des séminaires, des cours de lecture… c’est bénéfique pour la société369.

Aïchata fait partie d’une Ligue de prédicatrices fondée en 2004 et reconnue par l’État que

quelques mois avant notre rencontre. Elle affirme faire des prêches sur les stations radios

Dramé et Niéta, mais aussi à la station nationale ORTM et quelquefois à la chaine TV

Sunna. En abordant des questions qui concernent les femmes, l’éducation des enfants, le

carême, les préceptes fondamentaux de l’islam, celle-ci soutient venir en aide à l’islam et à

la collectivité. De par ses actions et son discours, Aïchata fait preuve de pious agency dans

la mesure où elle s’investit pleinement en tant que sujet moral tout en questionnant, que

partiellement, le rapport de genre dans l’islam.

Plus largement, par l’adoption d’un comportement pieux et le respect des codes

régissant les relations personnelles et familiales conformes à la loi islamique, les acteurs

religieux se portent garants du redressement de la bonne morale en société. Dans un souci

de remoralisation de la société, un habitus islamique est affiché dans l’espace public en vue

de servir d’exemple et rejoindre un plus grand nombre d’adeptes370. Cet affichage d’un soi

moral révèle également une dissonance au sein des acteurs moraux. L’identification à

366 Orit Avishai, « Doing Religion’ in Secular World : Women in Conservative Religions and the Questions of Agency », Agency and Society, no. 22, 2008, p. 409-433. 367 Voir Laura Leming, « Sociological Explorations : what is religious agency? », The Sociological Quarterly, vol. 48, no. 1, 2007, p.73-92. 368 Par pious agency, Saba Mahmood entend la propension des femmes à intégrer pleinement la sphère religieuse sans toutefois chercher à la réformer : voir Saba Mahmood, The politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton, Princeton University Press, 2005, 272p. 369 Entretien avec Aïchata, prêcheuse d’obédience wahhabia, à son domicile, le 5 juillet 2014. 370 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p. 12

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l’islam dit malien passe notamment par l’éducation, mais également par l’habitus qui

englobe le comportement à adopter envers ses comparses, l’expression corporelle, le code

langagier, les pratiques quotidiennes, etc. L’affirmation de l’islamité est d’autant plus

exacerbée en fonction de deux visions orthodoxes : la première, celle d’un wahhabisme qui

refuse toute intégration de la culture malienne aux pratiques musulmanes et la deuxième,

celle d’un courant réformisme qui appelle à l’instauration d’une éthique musulmane

rigoriste.

Les divisions ressurgissent lorsqu'il est question des pratiques quotidiennes, à savoir

l’esthétique corporelle371, les modes de célébrations (mariage, baptême, funérailles, retour

d’un pèlerin) et les pratiques religieuses syncrétiques (consultations maraboutiques et le

culte des saints). Malgré cela, et en réaction à l’affaiblissement du noyau dur de la sécurité

sociale 372, les individus recomposent les solidarités dans un nouveau cadre social. Au

regard des comportements non islamiques observés dans leur entourage direct, « des

hommes et des femmes activistes cherchent à articuler les normes de conduite avec les

principes islamiques, pour les rendre obligatoires chez tous les Maliens pour le bien

collectif »373.

Dans cette optique, une jeunesse militante se soulève et dénonce le fléau – la perte de

repères moraux – qui gangrène le pays et le mène à sa ruine. Les valeurs islamiques sont

mises de l’avant, d’une part, pour faire opposition aux pratiques dites occidentales, et

d’autre part, pour rétablir l’ordre moral et revivifier l’identité malienne. Des pratiques telles

que les relations sexuelles hors mariage, la consommation d’alcool et de drogues, la

prostitution où les tenues féminines provocatrices sont pointées et accusées d’importation

occidentale. Afin de restaurer l’ordre moral, l’on appelle à revivifier les pratiques et les

principes islamiques, bien que déjà ancrés dans la société malienne.

Des jeunes se sont donc engagés dans une modernité sans toutefois nier la tradition

islamique et malienne. Autrement dit, tout en étant inscrits dans leur époque, des jeunes

371 Les wahhabia arborent une tenue vestimentaire bien distinctive : pantalon mi-mollet et barbe pour les hommes ; voile foncé et habits amples pour les femmes, certaines vont jusqu’à porter des gants en permanence et porter le voile intégral. Initialement, le port de la barbe témoigne d’une volonté de ressembler au Prophète, et par le fait même, adopter son comportement. Aujourd’hui, cette esthétique fait plutôt référence à l’appartenance au courant wahhabia et la mise au-devant d’une forme de sagesse religieuse. Maud Saint-Lary, loc. cit., 2012, p. 462. 372 Dorothea Schulz, loc. cit., 2010, p. 79 373 Ibidem.

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musulmans composent entre des éléments de la modernité et la tradition culturelle et

islamique héritée. Une conjugaison qui, verra-t-on, est accentuée dans un contexte de crise

nationale et morale. Par ailleurs, il ne suffit pas de mettre en duel deux concepts qui

semblent coexister dans l’exemple malien, soit le « traditionalisme » et le « réformisme »,

entendu également comme « modernisme ». Pour autant, les revendications pour un

redressement de la bonne morale et le retour aux pratiques et valeurs islamiques reflètent

toute l’ambigüité dans la volonté d’application des normes religieuses. Rappelons que la

grande majorité de nos témoins, des leaders religieux et de la presse malienne s’opposait

vigoureusement à l’application des lois islamiques dans le pays. Bien que la vie

quotidienne du commun des Maliens musulmans soit régie par le droit musulman,

l’analyse des témoignages recueillis atteste d'une opposition intransigeante quant à

l’application de la sharia dans un État de droit. Cette ambigüité s’explique par la

subjectivité de l’adhésion à la sharia374, dans la mesure où le principe d’application des

lois coraniques est très élastique. Effectivement, la subjectivité d’interprétation de l’islam

donne lieu à de multiples recompositions qui témoignent d’une individualisation du rapport

des croyants au religieux 375 étant donné que la lecture des codes islamiques et leur

application divergent d’un individu à l’autre et d’une communauté à l’autre. En effet, les

mêmes témoins et militants qui s’opposaient catégoriquement à l’application de la sharia

au Mali, qualifiant ses promoteurs de fondamentalistes, se sont également mobilisés au

tournant des années 2000 pour le maintien des lois islamiques dans les lois du Code civil

régissant les relations entre époux et enfants, considérant que le nouveau Code de la

famille était une réforme juridique qualifiée d’immorale et contraire aux traditions

maliennes et religieuses.

Le projet de réforme du Code de la famille du Mali s’inscrit dans le programme de

Promotion de la Démocratie et de la Justice du Mali. Impulsé par les bailleurs de fonds et

des ONG féministes étrangères, le projet a connu une première phase de réflexion en 1996,

à la suite de la Conférence de Pékin qui « a bel et bien servi de détonateur »376. Ce n’est

que deux ans plus tard que le président Alpha Oumar Konaré commande au ministre de la

374 Vincent Bonnecase et Julien Brachet, loc. cit., 2013, p. 20 375 Malika Zeghal, « Le gouvernement de la cité : un islam sous tension », Pouvoirs, vol. 1 no. 104, 2003, p. 55. 376 Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p. 230.

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Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille d’entreprendre un vaste chantier de

consultation qui ne prendra fin que 13 ans plus tard.377 Ce projet a cristallisé les tensions

entre les divers groupes de la société civile – fonctionnaires, représentants religieux

musulmans, catholiques et protestants, associations islamiques, associations féministes et

des citoyens. Il est, de ce fait, révélateur d’une société préoccupée des enjeux sociétaux

fondamentaux et à l’affut des actions gouvernementales la concernant. La prééminence du

droit moderne sur le droit coutumier, l’écart entre les pratiques et les normes sociales, les

principes civiques fondamentaux et le poids des valeurs islamiques dans un État laïc ont

été au centre du débat durant cette décennie, bien que ponctuellement378.

Le grand débat sur la réforme du Code de la famille aura mobilisé, et unifié, les

divers courants religieux et associations islamiques. La participation populaire aux

manifestations et aux débats sociétaux est certainement plus visible lorsqu’il s’agit de

controverses sur le bien commun islamique379. Dorothea Schulz qualifie le projet de

réforme du Code du Mariage et de la Tutelle, de « the most furious clashes between the

gouvernment under president Alpha Konaré, women’s rights activists and the Muslim

clergy, since the multiparty democrary was introduced in 1991 »380. Céline Thiriot précise

que « le maitre mot de cette réforme est sans aucun doute celui de la concertation, puisque

ce dossier a été ouvert avec les différentes composantes de la société civile à pas moins de

trois reprises, sous la pression des associations religieuses »381. Les associations islamiques

ont été très actives dans l’élaboration d’un nouveau code de la famille, et ce, dès 1998.

Suite à la dissolution de l’AMUPI, le HCI a rallié toutes les associations et acteurs

musulmans pour qui le texte de loi « allait à l’encontre des valeurs culturelles du Mali »382.

Les points de désaccords entre l’État et les acteurs religieux concernent des pratiques

377 Père Alain Fontaine, « Quel code pour les personnes et la famille au Mali ? La réponse des croyants », Les Échos, 24 mai 2010, [En ligne] : http://bamanet.net/actualite/les-echos/quel-code-pour-les-personnes-et-la-famille-au-mali-la-reponse-des-croyants.html, page consultée le 26 novembre 2014. 378 Effectivement, le projet de relecture du code de la famille a été mis en suspens durant plusieurs années, entre 1999 et 2005. En raison de son aspect délicat et de sa dimension juridique, le Ministère de la Justice a repris le dossier en 2005 avant de créer, à la demande du président Amadou Toumani Touré, un nouveau cadre de réflexion : Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p.232. 379 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2010, p. 41. 380 Dorothea Schulz, « Political Factions, Idelogical Fictions : The Controversy over Family Law Reform in Democratic Mali », Islamic Law and Society, vol. 10, no. 1, 2003, p.132. 381 Dorothea Schulz, loc. cit., 2003, p. 229. 382 Amadou Toumani Touré, « Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste », Rfi, 3 décembre 2011, [En ligne] : http://www.rfi.fr/afrique/20111203-mali-adoption-code-famille-plus-traditionnaliste/, page consultée le 20 novembre 2014.

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coutumières défaites dans les dispositions du texte. Sur les 1143 articles du code de lois,

nombreux sont les articles qui dérangent les acteurs musulmans. Les principaux points de

désaccord concernent, si ce n’est que pour en nommer quelques-uns, la dote du mariage, le

consentement des époux lors de l’union, le choix du modèle matrimonial adopté,

l’obéissance de l’épouse à l’égard de son mari, l’âge minimal autorisé pour le mariage et

l’héritage familial. Les opposants à la réforme rappellent, à ce propos, qu’il est

préjudiciable de remettre en cause l’ordre établi et que cette réforme est purement imposée

par l’Occident. En effet, selon le même modèle opératoire employé dans les années 1980

par le FMI, les États occidentaux, avec l’appui d’ONGs pourvoyeuses de fonds, ont

encouragé le gouvernement, sous des formulations implicites, à réformer le code de la

famille « en échange d’appui budgétaire supplémentaire »383.

En ce sens, un prêcheur membre du HCI et l’un des fondateurs de la radio islamique

Dambé nous a répondu la chose suivante lorsqu’on l’a interpelé sur le rôle de la jeunesse

dans l’espace public :

La jeunesse musulmane a beaucoup contribué. D’ailleurs, le Mali allait adopter un code de la famille calqué sur la France, mais le Mali a une culture, une longue histoire de civilisation et une religion. Nous avons manifesté le 15 aout 2009 ou 2010. Il y avait plus de 50 000 personnes, nous avons organisé quatre grandes marches. Nous avons également organisé un rassemblement au stade du 26 mars avec le HCI et les associations musulmanes. Nous avons initié et soutenu ce mouvement populaire384.

Les manifestions dont fait mention le prêcheur sont notamment une marche organisée le 15

aout 2009 à Bamako et un rassemblement populaire au stade du 26 mars qui a rassemblé

plus de 50 000 personnes. Dans le cas présent, la première marche organisée était en

réaction à la première étape du processus final qui est l’adoption du Code à l’Assemblée

nationale. Dans la nuit du 3 au 4 aout 2009, 117 députés se sont prononcés en faveur du

texte contre 5 oppositions et 4 abstentions 385 . Le quotidien L’Essor rapporte que les

leaders religieux ont dû faire des efforts pour contenir les débordements lors de la

manifestation qui s’est déroulée dans une atmosphère tendue. Les marcheurs, composés de 383 Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p. 233. 384 Entretien avec Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 385 « Les Maliens vont-ils passer le code? », L’Essor, 19 octobre 2009 : http://mali.blogs.liberation.fr/helsens/2009/10/un-nouveau-code-de-la-famille.html, page consultée le 20 novembre 2014.

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femmes et d’hommes de tous les groupes d’âge ont scandé et porté des pancartes pour le

moins parlantes : « Non à un code satanique, féministe et libertin » ou « Nos valeurs

religieuses nous suffisent » 386 . La mobilisation populaire, fortement soutenue par les

associations islamiques et le HCI, a rassemblé moins de 10 jours plus tard 50 000

personnes au stade du 26 mars. Dans un article de la presse local, intitulé Les Maliens vont-

ils passer le code ?, l’on rapporte l’opinion du Secrétaire du HCI : « Le code adopté par

l’Assemblée nationale le 3 aout 2009 ne sera pas appliqué à nous, Maliens et Maliennes

attachés à nos valeurs et tenant à vivre pleinement notre religion »387. Le journal L’Essor

qui se montre très critique envers cette mobilisation populaire et l’opposition des acteurs

religieux fait également mention d’un sentiment partagé par les musulmans faisant fi de

l’ignorance des hommes politiques à l’égard des réalités culturelles et religieuses

maliennes.

De nombreux jeunes maliens rencontrés ont pris pour exemple la question du Code

de la famille pour exprimer le décalage manifeste entre les réalités de la population

paupérisée et celles de l’élite politique. Dans cette suite d’idées, ces derniers avancent avoir

confiance en la bienveillance des leaders musulmans plutôt que celle des politiques. Un

jeune francophone scolarisé et sans emploi a justement mentionné cette problématique :

Les politiciens ne doivent pas encourager des lois ou des principes contre la religion, comme le code de la famille [Pouvez-vous m’en dire plus?] par exemple pour les femmes, dans notre société, le mari, si la femme sort, elle doit l’en informer et avoir son autorisation. Dans ce code de la famille, on autorisait la femme à sortir, le mari n’aurait plus de pouvoir, mais c’est contre nos coutumes. C’est la même chose avec l’héritage, ce qui est dit dans le Coran est en contradiction avec le code de la famille. Ce n’est pas passé, ça n’allait pas avec les réalités de notre société. Sinon, les leaders religieux doivent répondre aux désirs des musulmans. Si les musulmans veulent que la sharia soit instaurée au pays, les leaders vont répondre à cette demande de la population388.

386 L. Diarra, « Nouveau code de la famille : marche de protestation », L’Essor, 17 aout 2009 : http://malijet.com/a_la_une_du_mali/16740-nouveau_code_de_famille_marche.html, page consultée le 20 novembre 2014. 387 « Les Maliens vont-ils passer le code? » loc. cit. 19 octobre 2009, [En ligne] : http://mali.blogs.liberation.fr/helsens/2009/10/un-nouveau-code-de-la-famille.html, page consultée le 20 novembre 2014. 388 Entretien avec Samaké, jeune non militant, à son domicile, le 5 juillet 2014.

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Dans le même ordre d’idées, le président de l’Association malienne pour la solidarité, de la

culture et du développement, et proche collaborateur d’Ançar Dine a manifesté son

désaccord quant au premier texte voté le 3 aout 2009 :

95 % de la population malienne est musulmane, si quelque chose joue en notre défaveur, le HCI se manifeste et s’y oppose. On l’a vu avec le Code de la famille, le HCI a mobilisé les musulmans contre la loi. [Et pourquoi cela] Il faut laisser le pouvoir au chef de la famille, mais dans la loi, on l’accordait aux deux (à l’homme et la femme). Ils s’opposaient à l’égalité dans l’héritage homme et femme, car c’est contre nos pratiques389.

En effet, la version du Code du Mariage et de la tutelle du 3 aout stipule que « les parents

du défunt au même degré ont les mêmes droits. Ils succèdent par égale portion et par tête »

(Art. 750), ce qui est contraire aux dispositions de la loi islamique qui prévoit que l’héritier

de sexe féminin doit bénéficier de la moitié accordée à l’héritier mâle. Dans un second

temps, le président de l’association critique l’affaiblissement de l’autorité patriarcale dans

le texte de loi. Effectivement, la version de 2009 prévoyait la reconnaissance de l’autorité

parentale partagée entre les deux époux plutôt que masculine : « Les époux contractent

ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation d’assurer la direction morale et matérielle

de la famille, de nourrir, entretenir, élever leurs enfants et préparer l’établissement de ceux-

ci» (Art. 313). Le partage des responsabilités matrimoniales de façon égalitaire a dérangé

au plus haut point les représentants religieux et le musulman lambda. D’autant plus qu’un

article, de l’ancien code de la famille, stipulant que le devoir de l’épouse est d’être soumise

à son mari en échange de sa protection a été supprimé du texte. C’est donc en regard de ces

nouvelles dispositions que les associations ont mobilisé l’opinion publique pour une

relecture du texte de loi qui prend en considération les réalités et les valeurs véhiculées par

l’islam. Les débats entourant la modernisation du code de la famille sont, dès lors,

révélateurs des contradictions internes d’une société en quête de repères moraux.

Au terme de cette mobilisation, le président Amadou Toumani Touré n’a pas

promulgué le texte de loi et a demandé la tenue d’une seconde lecture. Le texte a été adopté

et promulgué de façon définitive le 2 décembre 2011 après de nombreux changements

389 Entretien avec Kkoussa Traoré, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014.

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apportés aux articles controversés390. Le nouveau Code de Mariage et de Tutelle que de

nombreuses ONG internationales ont qualifié d’anti-progressiste ou de discriminatoire a

satisfait les acteurs religieux mobilisés dans cette lutte. En somme, 49 articles ont été

modifiés, tandis que d’autres ont été supprimés391. Le terme obéissance a été réinséré afin

de rétablir l’autorité patriarcale, l’article portant sur l’âge minimal du mariage a été

subtilement détourné autorisant du fait même le mariage des mineurs et le mariage

religieux a été juridiquement reconnu. La mobilisation sociale aura eu raison de la réforme

législative, révélant non seulement le poids politique des leaders religieux et des

associations musulmanes, mais aussi la place prépondérante qu’occupent les valeurs

islamiques au Mali dans l’espace public et le caractère ambivalent de leur application. Cette

ambivalence soulève toute la complexité du réformisme religieux que l’on observe au Mali.

En somme, plus qu’une religion, l’islam est un fait total au Mali. Tel qu’illustré par

la problématique de la réforme du Code de la famille, le religieux fait partie intégrante du

cycle de la vie des musulmans maliens. En ce sens, la jeunesse malienne en quête

d’affirmation identitaire et motivée par la volonté de s’inscrire dans un projet de société

tangible s’applique à réévaluer le degré de bonnes mœurs de leur environnement social et à

corréler ses actions quotidiennes et ses discours aux enseignements islamiques. Plusieurs

courants musulmans se rencontrent et s’affrontent pour l’atteinte d’un projet double

commun, celui de la remoralisation de la société et de la réconciliation nationale. Nous

aurons compris, dans ce cas de figure, que l’islam est pensé comme un outil de légitimation

des revendications politiques et religieuses. Perçu comme une solution réelle et symbolique

à l’effritement de l’ordre moral, les militants y voient un espace d’expression à large portée.

Les pratiques quotidiennes et l’habitus conformes aux valeurs islamiques deviennent une

vitrine d’un réformisme exacerbée par un discours moralisateur et accusateur de toute

pratiques déviantes de la bonne moralité. Cependant, le poids de l’imposition des codes 390 « Le nouveau code de la famille malien : droits fondamentaux bafoués, discriminations consacrées », ONG fidh, 8 décembre 2009 : https://www.fidh.org/fr/afrique/mali/Le-nouveau-Code-de-la-famille, page consultée le 20 novembre 2014. 391 Amadou Toumani Touré, « Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste », 3 décembre 2011, [En ligne] ; http://www.rfi.fr/afrique/20111203-mali-adoption-code-famille-plus-traditionnaliste/, page consultée le 20 novembre 2014.

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islamiques nuit considérablement à la cohésion sociale dans la mesure où cela a pour effet

d’assujettir tout groupe de la société civile n’y adhérant pas. Plus encore, étudier la lecture

et l’analyse de la crise malienne par les acteurs musulmans nous a conduits à mettre en

lumière le principe d’altérité dans les constructions identitaires. Effectivement, au-delà de

l’instabilité territoriale et de l’insécurité nationale, cette crise révèle un malaise identitaire

profond.

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CONCLUSION

L’historiographique fait état d’une sphère religieuse malienne hétéroclite et en

pleine effervescence. La lecture que nous en faisons confirme ce constat au regard du

paysage religieux dans lequel se dessinent des alliances et des affronts entre les divers

acteurs. De ces relations complexes découle une pluralité identitaire et idéologique

perceptible dans les relations sociales et interconfessionnelles et exacerbée en raison d’une

surenchère de discours stigmatisants portés par des leaders religieux dans l’espace public et

récupérés par les acteurs musulmans. En ce sens, l’analyse des parcours identitaires de

jeunesses musulmanes et militants ayant vécu des crises nationales et identitaires, celle de

1990 et de 2012, nous permet de saisir les rapports entre les milieux associatifs et l’État, les

leaders religieux et leurs adhérents, les divergences idéologiques entre les diverses

tendances islamiques, et finalement les rapprochements et les dissensions entre les ces

groupes.

Au lendemain de la chute du régime de Moussa Traoré, en 1991, et de la transition

démocratique entamée dès lors, le paysage religieux malien s’est vu transformé par la

libéralisation du droit associatif. L’arrivée massive d’associations religieuses dans l’espace

public a certainement transformé la sphère religieuse jusqu’alors sous le contrôle de l’État

par l’entremise de l’AMPUPI. L’un des acteurs majeurs de cette transformation est Ançar

Dine qui œuvrait jusqu’en 1991 sans reconnaissance étatique. Figure de proue d’un

militantisme musulman prônant un réformisme religieux conforme aux traditions

maliennes, le chef spirituel d’Ançar Dine, Chérif Ousmane Madani Haïdara, a su investir

l’espace public par l’adoption d’outils de communications innovants et la mise en place

d’une organisation associative proche des structures confrériques. Cultivant une dynamique

de solidarité et un sentiment d’appartenance autour de sa personne et de la communauté des

« Ançars », qui se vit et se confirme au quotidien, Haïdara reconstitue les logiques

confrériques au sein même de son association. Une personnification du pouvoir associatif

que l’on retrouve également dans les structures de l’UJMMA, association qui œuvre

notamment auprès des jeunes musulmans arabophones pour leur insertion

socioéconomique. Son guide spirituel, Cheikh Macki Bah, d’obédience tijania, dont la

figure d’autorité est centrale au sein de l’association, a développé, selon les mêmes

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logiques, un réseau associatif qui s’inscrit dans une dynamique identitaire double, locale et

régionale.

Ces deux associations, dont les actions sont orientées sur l’épanouissement

individuel et le développement socioéconomique des fidèles, mettent de l’avant

l’attachement à un héritage culturel et religieux malien. En développant un réseau de

solidarité perçu par les fidèles comme une nouvelle famille, ces associations ont investi au

fil des années des espaces délaissés par l’État. À cet effet, l’UJMMA s’est largement

mobilisée, parfois en collaboration avec les autorités étatiques, pour la formation

professionnelle des jeunes arabophones, et plus largement, la formation islamique des

jeunes. S’agissant du réseau d’Ançar Dine, dont les quartiers généraux sont situés dans un

quartier populaire de Bamako, l’association a mis en place un réseau au sein duquel les

fidèles peuvent bénéficier de services que peut offrir, à titre d’exemple, une banque, une

agence de voyages, des commerces de biens, des centres éducatifs et des cliniques. Selon

une stratégie prosélyte offensive, la communauté des « Ançars » s’est diffusée à la grandeur

de la région ouest-africaine et dans quelques pays hors du continent. Ce sentiment

d’appartenance, qui confond l’espace privé de l’espace public, produit un effet d’attraction

identitaire qui dépasse l’appartenance à la grande communauté de musulmans, la umma.

Plus encore, par l’appel d’un enracinement local et la mise en valeur d’une identité

nationale et régionale, Haïdara et Macky Bah en viennent à rejeter la communauté

musulmane supranationale. Leur poids et omniprésence dans l’espace public

contrebalancent un espace longtemps occupé par les lignages religieux, les oulémas et la

mouvance sunnite réformée, aussi appelée wahhabia. Vivement critiqué par cette dernière

mouvance religieuse pour ses discours «innovants», et ce, depuis ses débuts, Haïdara

multiplie les attaques contre ce courant qu’il juge au service des pays arabes, plus

précisément de l’Arabie Saoudite. Un évènement survenu en avril 2014, à première vue

anecdotique, a révélé l’ampleur des tensions entre les leaders religieux du Mali.

Le HCI, largement dominé par des membres d’obédience wahhabia, devait tenir son

deuxième congrès du 15 au 17 avril 2014. L’enjeu étant de renouveler le mandat de

président, jusqu'alors détenu par Mahamoud Dicko – d’obédience wahhabia – des délégués

provenant de tous les coins du pays ont été invités, une fois arrivés à Bamako, à regagner

leurs régions en raison d’un report promulgué par le chef d’État, Ibrahim Boubacar Keïta.

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Jugeant le congrès volé par le chef d’État et les membres du HCI d’obédience wahhabia,

des figures religieuses membres du Groupement de leaders spirituels du Mali, composé

exclusivement de soufis, ont alors menacé de quitter l’organisation. Cet évènement qui fut

un catalyseur de tensions interconfessionnelles a secoué la sphère religieuse malienne et

questionné la relation entre l’État et les leaders religieux. Dans ce cas de figure, l’étroite

interaction entre les acteurs des deux sphères, religieuses et politiques, laisse voir une

forme d’ingérence du politique dénoncée par le GLSM. C’est donc pour boycotter une

organisation « prise en otage », que les leaders du GLSM ont boudé le report du deuxième

congrès du HCI. Selon une lecture binaire, les associations et ses membres se sont

positionnés pour un groupe ou pour un autre, véhiculant des discours chargés de clichés ou

de préjugés envers les musulmans d’obédience wahhabia, considérés comme« intelligents»,

« plus instruits », « riches » et « dominant la sphère religieuse ». Au-delà de ces querelles

d’influence, cet épisode a ravivé des conflits doctrinaux, installés depuis longtemps.

La diffusion du wahhabisme, courant religieux prosélyte et littéraliste, portée alors

par des intellectuels, des commerçants et des pèlerins, a provoqué au tournant des années

1950 une onde de choc dans le pays. Prônant un islam « vrai » et « pur », qui rejette toute

forme de syncrétisme religieux, les adeptes du wahhabisme se vont vu persécutés par les

pouvoirs coloniaux. La condamnation des consultations maraboutiques, du culte des saints

et de la célébration, entre autres, du Maouloud, exacerba les tensions entre deux tendances,

l’une dite « réformiste » et l’autre « littéraliste ». Les tensions furent telles que des conflits

éclatèrent dans la capitale malienne. Ce à quoi de nombreux acteurs musulmans font

référence afin d’expliquer les tensions doctrinales perceptibles encore aujourd’hui dans

l’espace public. Ces divisions identitaires sont d’autant plus visibles, et mises de l’avant,

par l’adoption d’un habitus islamique propre au courant wahhabia ; à savoir, le port de la

barbe et de pantalons à mi- mollets pour les hommes, et d’un voile foncé, parfois intégral,

pour les femmes. Des divisions surgissent donc dans l’esthétique corporelle, mais

également dans les modes de célébrations et les pratiques syncrétiques. Dès lors, une

concurrence s’installe entre ce que l’on peut qualifier de deux clans doctrinaux, le premier

prônant un islam local et l’autre un islam transnational. L’interaction entre ces deux

visions, celle d’un islam local et déterritorialisé, fait l’objet de débats quant à l’autonomie

de la sphère religieuse malienne.

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Originaire d’Arabie Saoudite, la mouvance wahhabite est largement financée par les

pays du Golfe, via la construction de mosquées ou de centres islamiques, l’attribution de

bourses attribuées pour des études en sciences islamiques ou encore de financements pour

un pèlerinage vers la Mecque. Le désengagement de l’État des affaires publiques au

tournant des années 1990 et le libéralisme politique et économique qui suivit ont laissé le

champ libre à une économie morale qui fut profitable aux réseaux islamiques

transnationaux, mais également à des associations locales telle qu’Ançar Dine. Dénonçant

le financement de la sphère religieuse malienne par les pays du Golfe, Haïdara a fait de la

capitalisation de la solidarité religieuse la première stratégie de l’association. Pour l’atteinte

d’une autonomie financière, Ançar Dine bénéficie des cotisations obligatoires de ses

adhérents, qualifiés par ses membres de zakat, de dons, de fonds de collectes et de

bénéfices de ses activités commerciales. Dans une moindre mesure, l’UJMMA bénéficie

également d’un réseau financé par ses membres, mais aussi de subvention de l’État, chose

que Ançar Dine rejette catégoriquement. Ultimement, ces associations justifient leurs

stratégies financières par une volonté d’atteindre une autonomie idéologique et faire

contrepoids à l’influence du courant wahhabia, et plus largement de l’État.

Ces interactions se dessinent dans un contexte de crise nationale et morale qui a

secoué le Mali en 2012. Bien que profondément ancrée dans l’histoire politique du pays, la

crise au Nord est un effet collatéral de la crise libyenne. Avant toute chose, l’insurrection

au Nord reflète l’incapacité de l’État à surmonter une inadéquation entre la nation, le

peuple et l’État. L’échec du projet phare de la Troisième République, la décentralisation

des pouvoirs publics, aura mis de côté des populations en proie à une criminalité importante

et à un contexte économique et social difficile. De surcroit, les disparités territoriales entre

le Nord et le Sud du pays, tant sur le plan économique, social que culturel, fragilise l’unité

nationale. Ainsi, le 17 janvier 2012 éclot la 5e insurrection au Mali depuis 1963. Menée par

le groupe armé MNLA, qui décréta l’indépendance de l’Awazad le 6 avril 2012, cette

insurrection s’inscrit, plus que jamais, dans un contexte géopolitique et religieux

international. Effectivement, la crise, dont les causes sont multiples, révèle l’implication

d’une multitude d’acteurs. De l’arrivée de rebelles armés provenant de Libye, à

l’intervention de l’armée française ou encore l’implication obscure de pays étrangers, les

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accusations portées par les acteurs musulmans se dressent et se croisent, témoignant d’une

incapacité à saisir les tenants et aboutissants d’une crise multidimensionnelle.

Avec l’arrivée de nouveaux groupes islamistes, tels qu’Ansar Eddine – à distinguer

de l’association Ançar Dine –, du MUJAO et d’AQMI – avatar de la guerre civile d’Algérie

–, le nord du pays est alors soumis à la sharia. Les exactions qui s’en suivirent, par

lapidation ou amputation, et le saccage de mausolées de Tombouctou créèrent la

consternation. L’instauration de la sharia au Nord a été décriée par les représentants

religieux sur l’espace public. L’on appelle dès lors l’ensemble des leaders religieux à

condamner ces exactions et à défendre une vision de l’islam pacifiste et tolérant. À cet

effet, les membres du GLSM, d’Ançar Dine et de l’UJMMA reprocheront au HCI d’avoir

tardé avant de faire une sortie publique afin de condamner les actions commises au Nord

par les groupes islamistes. La réponse tardive du HCI aura soulevé l’indignation au sein de

la population et une confusion quant aux motivations de ses membres, accentuant du fait

même les tensions existantes. Percevant là une forme de connivence entre les rebelles du

Nord et les membres du HCI, des leaders soufis et les membres de l’UJMMA et d’Ançar

Dine traduisirent cette ambigüité par un rapprochement entre le courant wahhabite et les

groupes islamistes du Nord. Cette confusion, largement diffusée, alimente la peur de

l’Autre et accentue les clivages identitaires.

Outre les paramètres extrinsèques à la crise, les troubles dans le pays reflètent

également de profondes divisions identitaires nord-sud et tout le caractère subjectif

d’interprétation des lois islamiques. Le conflit malien, qui dépasse le cadre national, aura eu

pour effet de diviser le pays en deux et libérer un discours chargé de représentations

stigmatisantes. Dans une volonté de distinction de cet islam véhiculé au Nord, l’on désigne

alors les Touaregs, les Maliens du Nord et les rebelles de « fondamentalistes », de « racistes

» et « d’extrémistes ». Ne partageant pas la même culture, la même langue ou les mêmes

référents identitaires, ceux-ci sont alors exclus de l’idée nationale. Ces représentations

identitaires alimentent une forme d’hostilité, voire de racisme, et nuisent considérablement

à la réconciliation nationale.

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Dans ce contexte de crise nationale, la jeunesse malienne militante s’applique à

réévaluer le degré de bonnes mœurs et à réformer son environnement social en vue de

rétablir l’ordre moral. À cet égard, la femme, perçue comme une source d’immoralité et de

perversion, est la première ciblée pour atteinte à l’ordre moral et pour déviance aux bonnes

mœurs. Dépositaire de la tradition et de l’éducation religieuse, elle se retrouve alors campée

entre un projet de ré-enchantement moral et une orthodoxie religieuse. Paradoxalement,

l’on propose une solution orthodoxe à la sortie de crise, à savoir le rétablissement des

valeurs civiques islamiques et des traditions maliennes et leur diffusion dans toutes les

sphères de la société. Certes, le projet de moralisation de la société est une réponse à la

crise morale et nationale malienne, mais il n’en est pas une conséquence directe. Le projet

de réforme du Code de la famille, dont le débat a cristallisé les divers courants religieux, est

en ce sens évocateur d’une orthodoxie de la pratique musulmane intégrante à la société

malienne. Au tournant des années 2000, le Mali a connu une importante mobilisation

sociale regroupement représentants religieux, associations islamiques, associations

féminines, etc. Craignant un libéralisme des mœurs et une occidentalisation des lois

encadrant les structures sociales et familiales, la société civile s’est largement mobilisée

contre la réforme du Code de la famille. En cohérence avec le projet de moralisation de la

société, on a donc appelé à maintenir les principes islamiques dans les lois régissant les

relations entre époux et enfants. Au terme de la mobilisation sociale, l’autorité patriarcale a

été maintenue et le principe d’obéissance de la femme à l’égard de son époux a été réinséré.

Il apparaît alors que les valeurs islamiques font partie intégrante de la société malienne.

Plus encore, la lecture des critiques à l’égard de l’instauration des lois islamiques révèle un

fondamentalisme composite.

L’histoire de l’islam au Mali ces deux dernières décennies dévoile une sphère

religieuse fragmentée en raison, notamment, des divers courants qui la traverse. La

libéralisation associative aidant, l’émergence de nouveaux acteurs aura donc eu pour effet

de la dynamiser, mais aussi d’accentuer les divisions. Toutefois, malgré les divergences et

les dissensions idéologiques, l’ensemble des acteurs musulmans converge vers un projet

commun, celui de remoraliser la société malienne. Les jeunes musulmans s’inscrivent donc

dans cette dynamique depuis deux décennies, voyant dans ce projet collectif un espace

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d’émancipation individuelle. Somme toute, les interactions entre les divers acteurs

musulmans, tantôt hostiles, tantôt cordiaux, reflètent la friction des identités qui coexistent.

Au regard de ces éléments, et considérant la situation toujours fragile au Mali, il

serait intéressant de se pencher davantage sur la relation entre l’État et les leaders religieux.

La crise de 2012 a mis à l’avant-scène des groupes irrédentistes et islamistes qui continuent

de menacer la stabilité du pays. Or, bien que toujours fragilisé, l’État se voit dans

l’obligation d’accroitre son champ d’action dans une sphère religieuse qui nécessite une

régulation étatique considérant les dynamiques supranationales qui l’habitent. Malgré les

relations complexes avec l’État, les représentants religieux réclament davantage d’espace

dans les débats politiques et religieux. Inversement, l’intervention du politique dans les

questions religieuses donne lieu à des débats passionnels. Il est, d’ailleurs, fort probable que

les leaders religieux gagnent en influence dans l’espace public. Sachant cela, le défi est de

définir une ligne entre la sphère religieuse et politique, comme le réclament de nombreux

Maliens.

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SOURCES

1. Sources écrites

a) Archives associatives

Règlement intérieur, Fédération Ançar Dine internationale, 11 février 2011, 8p. Statuts, Fédération Ançar Dine internationale, 18 février 2011, 4p. Rapport moral et financier, «Exercice de l’année 2013-2014», Fédération Ançar Dine internationale, 2013, 11p. Règlement intérieur, Union nationale des Jeunes musulmans du Mali, 28 décembre 2009, 10p. Statuts et règlement intérieur, Union nationale des Jeunes musulmans du Mali, 28 décembre 2009, 8p.

b) Rapport Amnesty International, 2012, Mali : Les civils paient un lourd tribut au conflit, AFR 37/007/2012, Londres, 16p.

c) Journaux Aurore Korkosse Oumar, « Crise du nord du Mali : Quand la France met le feu et joue au sapeur pompier », Aurore, 30 aout 2012. Bamako Hebdo «Chérif Madani Haïdara à l’occasion du Maouloud 2008 : "La justice malienne fait pleurer le pauvre au profit du riche"», Bamako hebdo, 29 mars 2008. Jeune Afrique Pierre-François Naudé, «Mali: Aqmi, le grand gagnant de la fusion MNLA-Ansar Eddine?», Jeune Afrique, 28 mai 2012. La Nouvelle Patrie Boubacar Sangaré, «Nord-Mali : Du Qatar et du côté ombrageux de la crise malienne», La Nouvelle Patrie, 13 novembre 2012.

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L’Agora «Crise au nord du Mali : le Qatar n’est pas content de la guerre mondiale contre le terrorisme», L’Agora, 29 janvier 2013. L’Aube Amadou N’Fa Diallo, «Journée d’Al-Qods : Musulmans, unissez-vous!», L’Aube, 8 octobre 2007. Les Échos Père Alain Fontaine, «Quel code pour les personnes et la famille au Mali ? La réponse des croyants», Les Échos, 24 mai 2010. «Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao», Les Échos, 10 aout 2012. Abdrahmane Dicko, «Haut Conseil Islamique : 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sin die», Les Échos, 16 avril 2014. L’Essor «Le rêve devenu symbole», L’Essor, 19 janvier 1990. L. Diarra, «Nouveau code de la famille : marche de protestation», L’Essor, 17 aout 2009. «Les Maliens vont-ils passer le code ?», L’Essor, 19 octobre 2009. Napho, «Mali-Arabie Saoudite : Une coopération multiforme», L’Essor, 8 octobre 2014, Le Guido Siaka Z. Traoré, «Du rififi au haut conseil islamique : l’Union des Jeunes Musulmans du Mali se révolte contre Mahmoud Dicko», Le Guido, 29 mai 2013. L’indicateur du Renouveau Abdoulaye Diakité, «Sur la profanation d’un mausolée à Tombouctou : Le président du Haut Conseil Islamique s’explique», L’indicateur du Renouveau, 11 mai 2012. Ben Dao, «Crise au nord du Mali : le président du HCI bientôt chez Iyad Ag Ghaly», L’Indicateur du Renouveau, 1er octobre 2012. A. Diakité., «Présidentielle de juillet 2013 : Le chef religieux Haïdara dévoilera le nom de son candidat», L’indicateur du Renouveau, 17 mai 2013.

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Le Prétoire Bakary Sogodogo, «Report du congrès ordinaire du HCI : les éclairages de Mahmoud Dicko», Le Prétoire, 17 avril 2014. Oumar Konaté et Bakary Sogodogo, «Mohamed Backi Ba : IBK a installé son Haut Conseil Islamique, nous allons installer le nôtre», Le Prétoire, 24 avril 2014. Le Progrès «L’homme de l’année : Ousmane Chérif Madani Haïdara : La personnalité religieuse qui a sauvé le Mali en 2012», Le Progrès, 4 janvier 2013. Boubacar Sidibé, «Maouloud 2013 : la Zawiya de Cheikh Mohammed M. Bah fête l’événement avec éclat», Le Progrès, 1 février 2013. Le Reporter «Sombre année au nord Mali : entre occupation et confusion», Le Reporter, 27 décembre 2012. Le Républicain Seydou Coulibay, «Maouloud 2009 : Le prêcheur Ousman Chérif Haïdara interpelle ATT», Le Républicain, 10 mars 2009. «Application de la charia aux populations du nord Mali : le gouvernement avoue son impuissance», Le Républicain, 22 juin 2012. Khadydiatou Sanogo, «La jeunesse malienne, victime de l’influence occidentale mal assimilée», Le Républicain, 10 septembre 2012. Aguibou Sogodogo, «Débat : problématique de l’application de la charia : ce qui se passe au nord du Mali est la confusion, l’amalgame, pas la charia», Le Républicain, 29 novembre 2012. Maliba Info Lassa, «Destruction des mausolées religieux au Nord Mali : Non à l’islam importé», Maliba Info, 10 juillet 2012. Maliweb «Au Nord-Mali : des amputations au nom de la charia», Maliweb, 20 septembre 2012. Papa Sow, « Haut Conseil Islamique du Mali : Un congrès sous haute tension», Maliweb, 19 avril 2014.

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«France-Libye : Sarkozy, Kadhafi et la piste malienne», Maliweb, 29 aout 2014. Monde diplomatique Philippe Leymarie, «Irruption des religieux en politique», Monde diplomatique, janvier 2013. Notre Printemps Alassane Cissé, «Mali : Chérif Madani Haïdara (Groupement des leaders spirituels musulmans au Mali) : ‘‘Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les bénédictions de Dieu’’», Notre Printemps, 8 décembre 2015. Option Lacine Diawara, «Chérif Ousmane Madani Haïdara àa Option: Une voix captivante sur la voie de Dieu», Option, 24 novembre 2012, Radio France internationale (Rfi) Amadou Toumani Touré, «Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste», RFI, 3 décembre 2011. «Mali : une délégation du HCI à la rencontre d’Ansar Dine alors qu’un couple a été lapidé dans le Nord», RFI, 31 juillet 2012. Slate Afrique «Mali : influence grandissante des musulmans dans le champ politique à Bamako», Slate Afrique, 22 aout 2012. The Christian Science Monitor Peter Tinti, «Tacit French support of separatists in Mali brings anger, chargers of betrayal», The Christian Science Monitor, 20 mars 2013. Zénith Balé Mamadou Dabo, «Groupement des leaders musulmans du Mali : ‘‘Nous condamnons toutes sortes d’instauration de la Charia par la violence’’, ‘‘Ançar Dine n’a rien avoir avec Ançar Eddine du terroriste Iyad Ag Ghaly’’», Zénith Balé, 10 avril 2012.

2. Sources orales

a) Membres d’Ançar Dine

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Aboubakar, secrétaire exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, 16 juillet 2014. Ali, gestionnaire de la boulangerie d’Ançar Dine, dans ses bureaux de travail, 16 juillet 2014. Amina Haidara, fille du Chérif Haïdara et représentante de la cellule familiale d’Ançar Dine, dans les bureaux de la banque de l’association, 17 juillet 2014. Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, au siège de l’association, 14 juillet 2014. Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. Seidou, membre d’Ançar Dine, 43 ans, dans ses bureaux (quincaillerie), 15 juillet 2013. Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.

b) Membres de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, au siège de l’association, 24 juin 2014. Djeneba, militante de l’UJMMA, à son domicile, 20 juillet 2014. Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. Koussa, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014. Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014. Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014.

c) Membres du Haut Conseil Islamique Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014.

d) Militants – Autre associations musulmanes Sénabou, membre de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de l’islam, à son domicile, 24 juillet 2014. Aïchata, prêcheuse et membre de l’AMA, à son domicile, le 5 juillet 2014.

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e) Non militants Samaké, jeune non militant, à son domicile, le 5 juillet 2014. Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. Mamadou, jeune étudiant, dans un grin situé dans la Dravéla, 23 juin 2014.

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Bibliographie

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2. Approches conceptuelles

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7. Travaux universitaires

NDIAYE, Aminata. «Processus d’individualisation chez les jeunes dakarois : Stratégies entre rupture et appartenant». Thèse de doctorat, Université Laval, Département de sociologie, 2010, 300p. MADORE, Frédérique. «Islam, politique et sphère publique à Ouagadougou (Burkina Faso)». Mémoire de maitrise, Université Laval, 2013, 248p.

8. Rapports GALILOU, Abdoulaye. «Les diplômés des universités arabo-islamiques : une élite moderne “déclassée” en quête de légitimité socioreligieuse et politique». Document de travail, le Département d’anthropologie et d’études africaines de l’Université Johannes-Gutenberg, 18, (2003), 19p. «Le nouveau code de la famille malien : droits fondamentaux bafoués, discriminations consacrées». ONG fidh, 8 décembre 2009.

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ANNEXE I : GRILLE D’ENTRETIEN

GRILLE D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ

N.B. CERTAINS ÉLÉMENTS, TELS QUE LES ÉVÉNEMENTS SUR LESQUELS LES PARTICIPANTS SONT APPELÉS À SE PRONONCER, SERONT PRÉCISÉS UNE FOIS L’ANALYSE DE LA PRESSE ÉCRITE COMPLÉTÉE. Présentation de l’intervieweur

Bonjour, je m’appelle ____________________. Au cours de l’entretien, d’une durée d’une heure, j’aimerais que nous abordions des questions concernant votre parcours personnel et académique, vos inspirations et vos perceptions de la société malienne et de l’identité de musulman. En ayant ces thèmes en tête, je vous invite à développer et exprimer le plus librement possible vos idées. Milieu, parcours académique et habitudes Questions principales Questions

complémentaires Questions de clarification

Pourriez-vous me parler de votre parcours scolaire ?

Public ou privé, laïc ou religieux ?

Êtes-vous allé à la madrasa ?

Qui vous a encouragé dans cette voie ?

À la maison, qui a fait votre éducation religieuse ?

Durant vos études, quels étaient vos objectifs pour l’avenir ?

Quel âge aviez-vous lorsque vous alliez à la madrasa ?

Vos frères et sœurs ont suivi le même parcours ?

Que faisait votre père comme métier ?

Si c’est le cas : pourquoi avez-vous arrêté les études?

Avez-vous bénéficiez de bourses d’études ?

Quels lieux fréquentiez-vous durant vos études ?

Avez-vous milité durant votre jeunesse ?

Quels étaient les objectifs de ou des associations ?

Qu’est-ce que cela signifiait pour vous ?

Militez-vous aujourd’hui auprès d’une association ?

Auprès de quelles associations ?

Depuis quand militez-vous ?

Vos parents ont-il également milité ?

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Dimension politique et identité Questions principales Questions complémentaires

Dans les vingt dernières années, quels évènements politiques vous ont marqué (au Mali et à l’international)

Quel intérêt portez-vous à la politique ?

Comment percevez-vous les actions des associations musulmanes aujourd’hui ?

Quelles différences percevez-vous avec le militantisme d’aujourd’hui et en 1990 ?

Quelle différence percevez-vous entre les diverses associations musulmanes ?

En tant que musulman, comment percevez-vous la situation au nord du Mali ?

Comment percez-vous les tensions entre les différents courants religieux au Mali ?

Qui fait figure d’autorité religieuse ? Pourquoi ?

Pourriez-vous nommer 2-3 pays qui

correspondent à l’exemple d’un État musulman ?

Pour vous, qu’est-ce qu’être un bon musulman ?

Questions de clarification

Quelles sont les différences entre les divers courants musulmans ?

Quelles sont les limites du politique dans le religieux ?

Comment expliquez-vous le conflit entre le HCI et l’UJMMA ?

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ANNEXE II: EXEMPLE DE PAGE DÉDIÉE AUX LECTEURS DANS LES ÉCHOS,

DÉCEMBRE 1990

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ANNEXE III: RASSEMBLEMENT D’ANÇAR DINE À LA GRANDE MOSQUÉE, 19 JUILLET

2014

Plusieurs centaines de fidèles étaient présents

Source : photographie personnelle

Une barrière métallique séparait les hommes des femmes

Source : photographie personnelle

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Une chaine humaine formée par des jeunes scouts protégeait les leaders

religieux et les dignitaires à leur sortie de la mosquée Source: photographie personnelle

Les fidèles scandaient avec frénésie le nom d’Haïdara

Source: photographie personnelle

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ANNEXE IV: STATUT ET RÈGLEMENTS INTÉRIEURS DE L’UNION NATIONALE DES

JEUNES MUSULMANS DU MALI (UJMMA)

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ANNEXE V: RÈGLEMENT INTÉRRIEUR DE LA FÉDÉRATION ANÇAR DINE

INTERNATIONALE

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ANNEXE VI : ARTICLE DE PRESSE

NORD-MALI : Le président du HCI fait la leçon au Mujao 10 août 2012 Source : Les Échos http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao/

« Le Mali a toujours pratiqué et pratiquera un islam modéré. C’est aux Maliens de décider s’ils veulent d’une charia. Une solution négociée est possible avec Ançar Eddine puisque ce sont des Maliens, nés et grandis au Mali« . C’est El hadj Mahmoud Dicko, le président du Haut conseil islamique (HCI), qui parlait en ces termes jeudi matin sur RFI, revient d’une mission au nord. Il s’est dit optimiste sur une issue de la crise et manifesté son dégoût des islamistes du Mujao.

« Ceux qui veulent appliquer la charia au Mali doivent être chassés hors du territoire« . Le message de Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique du Mali est clair et l’allusion est faite au groupe de rebelles du Mouvement unifié pour le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Parti au nord pour rencontrer les rebelles et jeter les bases d’une discussion, le président du HCI a regagné Bamako et était l’invité d’Afrique-Matin de RFI, le jeudi 9 août. Le Haut conseil islamique du Mali est contre la charia que veut imposer les islamistes du Mouvement unifié pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et est d’avis que ces étrangers doivent être boutés hors du territoire malien. C’est la conclusion à laquelle a abouti Mahmoud Dicko le président du Haut conseil islamique en tournée la semaine dernière à Gao. Le président du HCI était la semaine dernière à Gao, une des trois régions du nord du Mali, occupées par les groupes islamistes rebelles Ançar Eddine et le Mujao depuis le 1er avril 2012. Cette visite entre dans le cadre des négociations entreprises par les autorités maliennes et le burkinabé pour chercher une issue pacifique à la crise.

Interrogé par Radio France internationale le président du HCI a affirmé n’avoir pas pu rencontrer le chef d’Ançar Eddine Iyad Ag Ghali, mais soutient que son organisation était prête pour un dialogue dont les contours sont encore à déterminer lorsqu’un gouvernement d’union nationale sera mis en place et lorsque ces groupes rebelles se seraient concertés pour négocier d’une seule une même voix.

Trafiquants sans vergogne

À entendre M. Dicko, le Mali n’a nullement besoin de la charia que le Mujao se propose d’instaurer sur notre sol. « Si charia il devait y en avoir au Mali, ce serait aux Maliens dont

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95 % sont musulmans d’en décider et pas des étrangers« , a martelé El Hadj Mahmoud Dicko qui a estimé qu’une solution négociée est possible avec Ançar Eddine. Quant au Mujao, une franche dissidente de l’organisation terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le Haut conseil islamique est d’avis que ses éléments, essentiellement, des combattants étrangers soient chassés du territoire. Le Mujao est aussi supposé avoir des liens avec l’organisation terroristes Boko Haram. Ses activités préférées sont le trafic de drogue et la prise d’otages.

Des vices jusqu’à une époque récente inconnus et non pratiqués par les Maliens et autres ressortissants ouest africains. Dès lors, on comprend maintenant pourquoi le médiateur dans la crise, le président du Faso, Blaise Compaoré, a demandé dès sa première rencontre avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et Ançar Eddine que ces deux groupes rompent leurs liens avec les organisations terroristes.

Au vu de l’évolution de la situation au nord caractérisée par les défaites du MNLA à Gao et dans d’autres localités, la destruction des mausolées et la détermination à appliquer la charia, le Mujao, après avoir combattu et chassé Ançar Eddine (une hypothèse plausible), pourrait avoir la suprématie et s’installer en maître incontesté au nord. Un scénario que ne veut point la communauté internationale parce que consciente que dans une telle hypothèse le prix à payer pour la libération serait plus fort pour le Mali et la communauté internationale. Denis Koné

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ANNEXE VII : RÉCIT DE VIE D’OUMAR, UN MILITANT DE PREMIÈRE GÉNÉRATION

D’ANÇAR DINE

[L’entretien s’est déroulé en français] « Parlez moi de votre parcours académique. » « J’ai étudié l’hydraulique à l’université en Union Soviétique, de 1984 à 1990. Et j’ai fait une thèse de l’environnement. Après l’université, j’ai travaillé 4 ans à Bamako et je suis allé en 1994 faire ma thèse en Chine, à Nanjing. [Vous avez obtenu des bourses ?] Oui j’y suis allé grâce à des bourses des pays d’accueil, c’était des bourses de coopération. La sélection s’effectue au niveau des classes, avec l’URSS, ils prenaient les 3 premiers de classe. La Chine demandait d’avoir de l’expérience de travail avant, ils prennent aussi les meilleurs. » […] « Quel âge aviez-vous en 1990 et militez-vous déjà à cette époque? » « En 1990…. J’avais… 27 ans ! Wow, je me voyais vieux à cette époque, je n’étais qu’un bébé. On a vu paraitre beaucoup d’associations, je faisais partie d’une association de jeunes diplômés, des ressortissants de mon village, association des enseignants, et j’étais déjà militant de l’Ançar Dine, et ce, depuis 1990. [Qui vous a fait connaitre Ançar Dine] C’est mon ami ici présent, il m’a amené des cassettes d’Haidara. Il m’a parlé de lui en me disant qu’il est extraordinaire dès mon retour, je l’ai donc écouté. Avant Haidara, les gens ne faisaient que prier pour être musulman. Ils volaient, ils faisaient l’adultère (sic), ils trompaient les gens et pensaient pouvoir aller au Paradis. Mais ce n’est pas ça l’islam. Il était seul contre tout le monde. On a rejoint la vérité. » « Qu’est-ce que ça signifiait pour vous (militantisme)? » « Ça m’a rassuré (sic) davantage. Je ne croyais pas que l’on pouvait être musulman et injuste et mauvais en même temps. Je voyais les gens dans la débauche et je n’aimais pas ça. Le discours d’Haidara rejoignait mes idées. Si tu agis d’une telle façon, tu n’es pas un musulman. C’était ma profonde conviction et j’ai entendu Haidara, je l’ai entendu dire ce que je pensais. » « Percevez-vous des différences dans Ançar Dine entre 1990 et aujourd’hui? » « Fondamentalement, rien n’a changé. Sauf qu’en 1990, nous étions 100, tandis qu’aujourd’hui, on est un million. On était déjà dans quelques régions comme Sikasso, Ségou et Bamako. Aujourd’hui nous sommes sur tout le territoire. Vers 1990, nous étions en Côte-d’Ivoire, au Burkina Faso et au Gabon. Aujourd’hui on se trouve dans tout continent et plusieurs pays à l’étranger. En 1990, il n’y avait rien à Bamako, c’était la

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brousse, il y avait des serpents et plusieurs animaux. Bamako s’est agrandi et le quartier de Bankoni a pris forme. Les gens viennent de partout vers Bankoni, pas forcément pour y emménager. On se retrouve tous là bas durant le Maouloud, on y va tous durant les cérémonies » […] « Au cours des vingt dernières années, quels évènements politiques vous ont marqué (Mali et international)? » « Au Mali, l’avènement de la démocratie en 1991, le 26 mars plus précisément. On croyait que c’était un changement digne de ce nom. Ce qui a provoqué la révolution, c’était l’injustice, la corruption, l’empêchement du processus de développement, tous les obstacles que la société affrontait. On avait de l’espoir pour que tout cela change, que ça soit corrigé et ce n’est toujours pas le cas. Vous savez, je n’aimais pas la politique, je ne voulais pas être politicien. Je me suis concentré sur les sciences et le développement. On a laissé les politiciens dans leurs histoires. Rapidement, on s’est rendu compte que le développement personnel ne peut être assuré que si le politique s’y met. Dans le monde, c’est la disparition de l’URSS. Son éclatement ne pas plu du tout, ça m’a frappé. Mais il y avait des défaillances terribles, on le sentait déjà. La disparition du bloc soviétique m’a peiné. Sur le plan religieux, c’est le succès de la vérité que Haidara promet sur le mensonge. Ici, en Afrique et dans le monde, on reconnaît sa valeur véridique et son objectivité d’analyse. Ça m’a permis de voir clair dans tout ça. Les règles, les principes et les lois de l’islam, il expliquait enfin le Coran de la bonne façon. C’est un atout pour nous que de réussir de coïncider l’islam avec notre temps. Il faut obligatoirement avoir un éclaireur. Sans ça, il y a beaucoup trop de confusions montées artificiellement. Il y a énormément d’explications tendancieuses du Coran et des comportements de musulmans contradictoires. Aujourd’hui, l’islam est connu au Mali, à moins que l’on ferme les yeux. Être musulman, ce n’est pas seulement faire la prière. Un musulman doit avoir la tête sur les épaules. Il ne doit surtout pas croire que tout se résume à lui, il est dans un monde, une société et se doit de respecter les autres. Tout le monde n’est pas musulman au Mali, il faut respecter les autres. Un choix libre qu’Haidara nous a permis de comprendre. Si tu n’es pas musulman, ce n’est pas grave. Il faut montrer que l’islam et son comportement sont bons. L’islam ce n’est pas la force et les bombes. Un homme bon doit rejeter les jugements de non musulmans. En gros, c’est la liberté dans la foi et la tolérance. Avec Haidara, les luttes et les différentes tendances (les wahhabias, les tijania…) ces luttes ont pratiquement cessées. Enfin, il y en a beaucoup moins qu’avant, c’est presque fini aujourd’hui. Les conflits sont sans objets, ils sont artificiellement montés. Il est monté (sic) par ceux qui ne veulent pas l’unité de la société, de la communauté musulmane. La politique cherche à diviser pour mieux régner, si le monde musulman devient UN commun, ça devient problématique pour plusieurs. C’est pourquoi on a détruit la Syrie, l’Iraq, le Mali, l’Iran… On a déclenché ces guerres volontairement pour opposer, diviser et être maitre du terrain. Haidara a joué un rôle dans la compréhension de l’islam pour plusieurs, il a expliqué qu’il est inutile de tuer. Les djihadistes tuent sans fondements, tous les musulmans sont frères. Dans le peu de Hadiths que j’ai lu, j’ai compris que deux musulmans qui prennent l’épée l’un contre l’autre vont directement en enfer. Je ne comprenais pas avant que l’on puisse considérer ça comme l’islam. Même s’insulter, je considère que c’est hors classe. On peut très bien ne pas être en accord, mais il ne faut pas s’affronter. On ne peut pas forcer ou changer par la force.

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Haidara explique tout cela à tous les niveaux, pour que tout le monde puisse comprendre, du bas niveau jusqu’aux pensées philosophiques. » « Pourtant il y’a encore des tensions entre les tendances, on l’a vu lors du 2e congrès du HCI. » « Les deux tendances s’affrontent encore, mais c’est surtout une question de choix et d’hommes. Il y a ceux qui veulent perpétuer le conflit et ceux qui veulent y mettre fin. Beaucoup ne pourraient plus vivre sans conflits, ils ne vivent que de ça. Ils embobinent beaucoup de gens qui veulent simplement bien pratiquer l’islam mais ne le comprennent pas bien. Tout cela c’est une question leaders. Une division de l’islam purement fondé sur ça, le conflit est volontairement maintenue. À la base on vivait bien au Mali. Avec l’arrivée d’Haidara, les wahhabites se sont mis à prier derrière les non wahhabites. Tandis qu’avant, chacun avait sa mosquée et les wahhabites ne voulaient pas prier avec les autres. Haidara a expliqué à tout le monde qu’on est tous frères après tout. Il y avait même des conflits à l’intérieur des familles. Les wahhabites croisent les bras et les autres non. Il y a plein de cas dans les familles. C’était surtout l’idéologie qui dérangeait. Un frère pouvait décider de ne plus manger avec son frère qui appartient à une autre tendance, ne va pas à des funérailles ou mariages qui le concernent… Les tensions ont diminué aujourd’hui. C’est un montage pour nous diviser, eux ne vivent que de ça. Les politiques veulent garder cette division, seuls ceux qui veulent être influents tiennent à cette division. Ils font tout pour que la division existe, pour que leur tendance reste au Mali même si elle cause des problèmes. Chacun tien à sa tendance pour ses intérêts. Au fond, l’homme est un homme tout court. Ce que je ne veux pas pour moi, je ne le fais pas pour les autres. C’est ça l’islam. Comme je ne veux pas être tué, je ne tue pas quelqu’un d’autre. C’est simple, c’est avec un comportement pareil qu’on peut avancer dans la société. On doit se respecter les uns les autres, il ne faut violer aucun principe ou règle, la loi de la République est là pour rendre justice. » […] Source: Oumar, militant de première génération auprès d’Ançar Dine, ses bureaux à l’École

nationale des ingénieurs, 10 juillet 2014.

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ANNEXE VIII: RÉCIT D’AICHATA, PRÉDICATRICE ET MEMBRE DE L’AGENCE

MUSULMANE D’AFRIQUE « Parlez-moi de votre parcours scolaire. » « J’ai étudié l’Arabe dès le premier cycle jusqu’à l’université. Ensuite, j’ai fait un an de formation pour devenir enseignante. J’ai été professeure d’Arabe dans une madrasa franco-arabe. D’ailleurs, j’ai fondé une madrasa en 2007. Chez nous au Mali, tout est difficile, j’ai tout fait toute seule, depuis le début. J’ai ouvert la madrasa, j’ai attendu 2-3 avant de recevoir l’autorisation de l’État. C’est toujours comme ça, tu ouvres et tu attends la réponse. Ça donne une reconnaissance de l’État, c’est le seul avantage. [D’où provient le financement] Le financement vient principalement des élèves. Ça prenait un bon fonds pour commencer, mais on n’a jamais sollicité les pays musulmans. [Vous n’aviez aucun associé au début?] Comme c’est une école privée, j’ai tout financé au début, maintenant c’est les inscriptions. Si tu amènes des gens pour créer un projet, tu amènes des problèmes aussi, ils ne veulent que de l’argent, mais il faut travailler pour gagner de l’argent. » « Parlez-moi un peu plus de vos études. » « J’ai commencé la madrasa à l’âge de 7 ans. Le premier cycle dure 6 ans, le 2e cycle dure 3 ans, ensuite on fait 3 ans de lycée et 4 ans d’université. Au primaire, je n’ai pas fait l’école publique, je suis seulement allée à la madrasa, mais on y faisait un peu de Français, c’était une école franco-arabe. Je suis allée au Niger pour mes études universitaires, à l’université islamique, j’y ai fait ma formation là-bas aussi. J’ai obtenu une bourse après avoir passée un concours. Après avoir terminé ma formation, je me suis inscrite à l’université Médine nationale en Malaisie. À la suite d’un concours aussi, j’ai été admise pour une formation à distance, mais je ne l’ai pas terminé. L’université a mis fin à la formation à cause de problèmes de bourse et c’est trop cher pour que je paye moi-même, j’ai arrêté en 2002. » « Quels étaient vos objectifs pour l’avenir? » « Je voulais m’engager pour aider l’islam, c’était mon premier objectif. El Hamdoullah, il y a des musulmans au Mali, mais il est mal compris, il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas. Il faut leur montrer en faisant des prêches et des écoles, autant pour les femmes que les hommes, surtout les femmes mariées. Il faut organiser des séminaires, des cours de lecture…c’est bénéfique pour la société. Ce sont les objectifs de l’Agence musulmane d’Afrique, je collabore avec eux. » « Parlez-moi de cette agence. » « C’est une agence du Koweit pour aider les Africains, ils sont implanté à Bamako. J’en ai entendu parlé lorsque je suis allée en Arabie Saoudite pour les études. [Vous avez étudié en Arabie Saoudite?] Non, j’ai accompagné mon mari, j’avais 19 ans. Je n’ai pas pu y étudié parce que je n’ai pas réussi à obtenir le permis d’étude à temps. Donc on organise des

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activités pour les femmes chez l’agence. On est 6 à y travailler. On va souvent dans des grands centres d’orphelin, on leur vient en aide. Chaque deux semaines, on y va pour leur parler et organiser des activités avec les enfants. C’est un peu loin d’ici. Des fois, on reçoit des étrangères qui viennent pour du bénévolat, c’est nous qui les prenons en charge. Avec tout ça, je travaille aussi à l’agence pour El Hadj. C’est prenant surtout durant la période du Hadj, le reste de l’année c’est assez tranquille. J’y vais à chaque années avec les clients, je pars au Hadj avec eux en tant que guide, de Bamako jusqu’en Arabie Saoudite, on prend tout en charge. » « Faites-vous partie d’une association. » « Oui, je fais partie de la Ligue des prédicatrices, fondée en 2004, on eu les statuts officiels il y a deux mois seulement. Je suis prédicatrice, on fait des prêches et des séminaires. On a des émissions à la Radio Dramé et Niata, mais aussi à la station nationale ORTM, à la chaîne 2 et des fois sur la chaine de télévision TV Sunna. La TV sunna est diffusé pour tout le oulama de l’Afrique. On prêche en bambara. [Quels sont les principaux sujets?] On parle de l’éducation des enfants, de choses qui concernent les femmes, du carême, des devoirs dans l’islam, des choses à faire et ne pas faire, et toujours en Bambara. Je fais tout ça pour aider l’islam et c’était mon premier objectif. » « Quelles sont les limites entre le politique et l’islam? » « La politique dans l’islam, c’est bon. Mais en dehors du cadre de l’islam, ça devient autre chose. La parole de l’islam est ancienne, il faut savoir l’adapter à notre temps. Si on parle de politique avec les musulmans, on voit qu’ils n’y croient pas. Les hommes politiques ne sont pas bons, ils mentent, ils trompent et c’est contre l’islam. Les Marabouts et les Oulama considèrent que l’homme politique doit avoir peur de Dieu. Ce n’est pas la politique le problème, c’est les hommes. » « Comment percez-vous la jeunesse d’aujourd’hui? » « On voit que les jeunes d’investissent plus dans l’islam et la société, mais il y a encore beaucoup de problèmes avec la jeunesse musulmane. On doit travailler pour changer le comportement des jeunes Maliens, l’éducation ne semble pas suffisante. [Quels comportements?] Quels comportements ? Tu n’es pas sortie dans Bamako ? Il suffit de marcher un peu et tu verras. » […] « Qu’est-ce qu’être un bon musulman? » « C’est lui… [Elle rit et réfléchi longuement] Tous les êtres sont bons, avec le Coran, les gens se complètent, c’est avec cela qu’on devient un bon musulman, avec les hadiths et la sunna. Le bon musulman, c’est celui qui fait tout ce qui doit être fait au nom de l’islam et selon le Prophète. »

Source : Aichata, prédicatrice et membre de l’Agence musulmane d’Afrique, à sa résidence, 5 juillet 2014