Connaisement et conflits

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Le Connaissement Maritime Et Conflit De Lois Binnaz Topaloğlu, LL.M. SOMMAIRE INTRODUCTION SECTION I – LE CADRE DU TR ANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES I. Le connaissement maritime A. La triple fonction du connaissement maritime a) Preuve du contenu du contrat de transport b) Reçu des marchandises c) Titre représentatif de la marchandise B. Discussion sur le caractère négociable du connaissement maritime a) Le caractère non négociable du connaissement maritime b) L’exclusion des « autres instruments négociables » de la Convention et du Règlement II. La diversité des sources règles régissant le connaissement maritime A. Les conventions internationales sur le connaissement maritime a) La convention de Bruxelles du 25 août 1924 b) Les règles de Visby c) Le Protocole DTS d) La Convention des Nations Unies du 31 mars 1978 dite Règles de Hambourg

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Le Connaissement Maritime Et Conflit De Lois

Binnaz Topaloğlu, LL.M.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

SECTION I – LE CADRE DU TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES

I. Le connaissement maritime A. La triple fonction du connaissement maritime

a) Preuve du contenu du contrat de transport b) Reçu des marchandises c) Titre représentatif de la marchandise

B. Discussion sur le caractère négociable du connaissement maritime a) Le caractère non négociable du connaissement maritime b) L’exclusion des « autres instruments

négociables » de la Convention et du RèglementII. La diversité des sources règles régissant le connaissement maritime

A. Les conventions internationales sur le connaissement maritime a) La convention de Bruxelles du 25 août 1924 b) Les règles de Visby c) Le Protocole DTS d) La Convention des Nations Unies du

31 mars 1978 dite Règles de Hambourg

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e) La Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer, dite les Règles de Rotterdam

B. La Convention de Rome du 19 juin 1980 et le Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles

C. La loi française du 18 juin 1966

SECTION II - LA CONCURRENCE DES METHODES DANS LA DETERMINATION DE LA LOI APPLICABLE A UN CONNAISSEMENT MARITIME

I. Concurrence de la méthode directe et de la méthode indirecte en matière de connaissement maritime : discussion sur l’applicabilité directe d’une convention internationale A. Illustrations jurisprudentielles : confusion des méthodes B. Confrontation des méthodes

d’application des Conventions maritimes a) La convention « unifiantes » en dehors

du système législatif des Etats parties b) La convention « unifiante » intégrée

dans le système législatif des Etats parties c) Le recours nécessaire à une règle de conflit d) Le recours nécessaire à une loi étatique

comme support de la conventionII. La concurrence de la méthode des lois de police et

la méthode indirecte en matière de connaissement maritime : discussion sur le caractère de loi de police de l’article 16 de la loi française de 1966 A. Difficulté de qualification : hésitation entre la

qualification de loi de police ou règle de conflit unilatéral B. L’article 16 de la loi de 1966 et les textes communautaires

sur la loi applicable aux obligations contractuelles

SECTION III - LES CLAUSES SPECIFIQUES DU CONNAISSEMENT MARITIME

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I. La clause Paramout A. Le statut de la clause Paramout devant le juge français B. La clause Paramout et les limites à la liberté contractuelle

II. La clause d’élection du for du connaissement maritime A. Divergence jurisprudentielle quant à

l’opposabilité de la clause attributive de juridiction au tiers porteur du connaissement maritime

B. La démarche conflictuelle instaurée par la Cour de Justice des Communautés Européennes

ConclusionBibliographie

Introduction

Prenons trois exemples empruntés à la jurisprudence française afin d’appréhender comment le juge français détermine la loi applicable à un connaissement maritime international1.

Dans l’arrêt navire Lucy rendu par la Cour d’Appel de Paris le 2 décembre 19982, il s’agissait d’un contrat de transport qui a été conclu en 1994 au Kenya, pays du port de départ et de l’émission du connais-sement, et s’est exécuté en Italie, pays de livraison. Le Kenya a adhéré en 1930 à la version d’origine de la Convention de Bruxelles du 25 août 19243 pour l’unification de certaines règles relatives au connaissement. 1 C’est-à-dire à un contrat de transport par voie maritime entre ports relevant de deux

Etats différents, en effet même si la nationalité du navire, du transporteur, du destina-taire sont différentes, ou bien même s’ils ont leur établissement principal dans des Etats différents, du moment où il y a un contrat de transport entre ports relevant d’un même Etat, ce contrat n’est pas international selon le droit français. Aujourd’hui, il est acquis que les transports entre ports français sont exclusivement soumis au régime de la loi du 18 juin 1966.

2 CA Paris (5ème ch. Sec. A), 2 déc. 1998 Navire Lucy (DMF 1999.596, note P.-Y. NICO-LAS).

3 Convention international pour l’unification de certaines règles en matière de connaisse-ment signée à Bruxelles, le 25 août 1924.

http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/util/documents/accede_document.php

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Mais sans dénoncer cette dernière, il a adhéré en 1989 à la Convention des Nations unies du 31 mars 1978, dite Règles de Hambourg4, laquelle est entrée en vigueur le 1er novembre 1992 dont ni l’Italie ni la France ne font partie. L’Italie a ratifié la Convention de Bruxelles d’origine puis les deux protocoles qui l’amendent, n’étant ainsi liée qu’à la Convention révisée5. Quant à la France, on sait qu’elle a ratifié les trois versions de la Convention de Bruxelles, sans n’en dénoncer aucune, mais qu’elle n’est pas liée aux Règles de Hambourg. En l’espèce, la Cour d’appel a appliqué la Convention révisée par référence au droit italien désigné par la règle de conflit de la Convention de Rome6. Le paradoxe de cet arrêt réside sur le point de rendre applicable la Convention révisée, alors que les conditions d’application de cette dernière n’étaient pas remplies. L’article 10 de la Convention révisée prévoit en effet qu’elle doit être en vigueur dans l’Etat du port de départ ou du lieu d’émission du connaissement, ou qu’elle doit être choisie par les parties. Or en l’espèce, les parties n’avaient pas fait ce choix, selon les constatations de l’arrêt. Quant au port de dé-part et au lieu d’émission du connaissement, ils se trouvaient au Kenya qui n’a pas adopté la Convention révisée.

Tandis que dans l’arrêt navire Aton, la Cour d’Appel de Paris par une décision du 5 mai 19997 a directement appliqué la Convention interna-tionale de Bruxelles du 25 août 1924, sans s’interroger au préalable sur la détermination de la loi applicable au contrat. Dans cette espèce, le contrat

4 Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer 1978 (Règles de Hambourg).

http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/transport/hamburg/hamburg_rules_f.pdf5 Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification des certaines règles en ma-

tière de connaissement, modifiée par les Protocoles du 23 février 1968 et du 21 décem-bre 1979 (Règles de la Haye-Visby).

http://www.idit.asso.fr/legislation/documents/Trmarchparmer_ReglesLaHayeVis-by_1924_68.pdf

6 Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980 (Conven-tion de Rome).

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:1980:266:0001:0010:FR:PDF

7 CA Paris (5ème ch. Sec. A), 5 mai 1999 Navire Aton (DMF 2000.603, note P.-Y. NICO-LAS).

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de transport en litige a été conclu aux Etats-Unis, pays du port de départ et de l’émission du connaissement, et s’est exécuté en Egypte, pays du déchargement et de la livraison. L’Egypte a ratifié la version d’origine de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 (« Règles de la Haye »), et sa version révisée par le Protocole de Bruxelles du 23 février 1968 (« Rè-gles de Visby »). Mais sans dénoncer ces deux textes, au moment des faits, l’Egypte a ratifié les « Règles de Hambourg » dont ni les Etats-Unis ni la France ne font partie.

Les Etats-Unis ont ratifié la Convention de Bruxelles d’origine, sans la dénoncer, et n’ont pas adopté ses versions révisées par les Règles de Visby et le Protocole de Bruxelles du 21 décembre 1979, dit « Protocole DTS ». Quant à la France, on sait qu’elle a ratifié les trois versions de la Convention de Bruxelles, sans n’en dénoncer aucune, mais qu’elle n’est pas liée aux Règles de Hambourg. Les magistrats parisiens y écartent en effet les Règles de Hambourg, en faveur de la Convention de Bruxelles, au motif que cette dernière était en vigueur aux Etats-Unis, pays de l’émis-sion du connaissement, sans s’interroger sur la loi régissant le contrat de transport.

Dans un autre arrêt navire Hornsea de la CA de Rouen du 9 septem-bre 20048, le juge français a mis en œuvre la règle de conflit de lois de la Convention de Rome du 19 juin 1980 pour en aboutir à l’application de la loi française alors que les parties avaient choisi la loi allemande comme lex contractus.

En effet, il s’agissait d’un dommage survenu de l’absence de bran-chement du conteneur sur le terminal portuaire. Le connaissement contenait une clause selon laquelle « le contrat de transport […] est régi par le droit allemand […], subsidiairement par la Convention de Bruxelles originelle de 1924 ». Il instituait une livraison sous palan. Le raisonnement des juges a été le suivant : (i) la Convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations contractuelles est applicable au litige ; (ii) selon celle-ci, le contrat est régi par la loi choisie

8 CA Rouen (2ème Ch. Civ.), 9 sept. 2004 Navire Hornsea (DMF 2005.663 note S. SANA CHAILLE DE NERE).

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par les parties ; (iii) la loi rendue applicable par le connaissement est la loi allemande ; (iv) l’Allemagne ayant adopté la Convention de Bruxelles amendée par le protocole 1968 est applicable ; (v) celle-ci s’applique depuis le chargement jusqu’au déchargement du navire et ne gouverne pas l’exécution du contrant de transport au-delà du déchargement du na-vire ; (vi) l’article 7.2 de la Convention de Rome dispose qu’elle ne peut porter atteinte à l’application de la loi du for qui régit impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ; (vii) le dommage est survenu après le déchargement du navire mais avant la livraison de la marchandise au destinataire ; (viii) la loi française du 18 juin 19669 s’applique aux opérations de transport qui sont hors du champ d’appli-cation de la Convention ; (ix) la loi précitée régit donc impérativement les opérations depuis le déchargement du navire jusqu’à la livraison au destinataire ; (x) la loi française fait obligation au transporteur maritime d’aviser le manutentionnaire s’il entend faire juger que ce dernier a agi pour le compte du destinataire ; (xi) le transporteur maritime n’ayant pas avisé le manutentionnaire qu’en recevant la marchandise il agissait pour le compte du destinataire, la livraison n’était pas intervenue ; (xii) le transporteur maritime est responsable. La solution retenue repose donc sur l’application de la loi française rendue applicable en tant que loi de police sur le fondement de la Convention de Rome.

Par ces trois arrêts, nous nous apercevons que l’état de la jurispru-dence n’est pas fixé quant à la méthode de la détermination de la loi ap-plicable au connaissement maritime. Face à un connaissement maritime international, le juge français doit-il interroger ses règles de conflits de lois pour déterminer la loi étatique applicable à ce contrat ou doit-il directe-ment appliquer la convention internationale en vigueur en France (c’est-à-dire la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 dite « les Règles de la Haye », amendée par les protocoles de Bruxelles en date du 23 février 1968 et du 21 décembre 1979, appelés respectivement « les Règles de

9 Loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes, cette loi fut abrogée par l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. 7 et cer-taines de ses dispositions ont été reprises par le nouveau Code des transports publié en annexe de l’ordonnance 2010-107 du 28 octobre 2010.

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Visby » et le « Protocole DTS ») aux situations internationales entrant dans leur champ d’application ?

Quant à la méthode des lois de police, l’article 16 de la loi française du 18 juin 1966 qui disposait que : « [Elle] est applicable aux transports effectués au départ ou à destination d’un port français, qui ne sont pas soumis à une convention internationale à laquelle la France est partie,… » ; pouvait-elle être considérée comme une loi de police française justi-fiant la solution de l’arrêt navire Hornsea ?

Le contrat de transport maritime s’est développé dans le milieu in-ternational des affaires, et c’est à propos des contrats maritimes interna-tionaux que s’est développée la jurisprudence des conflits de lois en ma-tière contractuelle. En France, la première affirmation claire du principe d’autonomie concernait, dans l’arrêt American Trading Company rendu le 5 décembre 1910 par la Chambre civile de la Cour de cassation10, un contrat de transport ou d’affrètement maritime, la différence des qualifi-cations étant, à l’époque, moins nette qu’aujourd’hui.

Aujourd’hui, les connaissements maritimes internationaux susci-tent de nombreux problèmes quant à la détermination de la loi applicable à ces contrats : quelle est la méthode applicable en présence de nom-breuses conventions internationales, le juge français met-il en œuvre la méthode directe ou la méthode indirecte ? Quelle est la valeur respective de ces méthodes eu égard à la spécificité du droit maritime et eu égard aux principes fondamentaux du droit international privé ?

Par ailleurs, diverses dispositions contractuelles des connaissements maritimes ont fait l’objet de vives discussions : les clauses Paramout, et les clauses attributives de juridiction insérées dans les connaissements maritimes.

En effet, la jurisprudence a affirmé dans l’arrêt navire Hilaire Mau-rel du 4 février 199211 de la chambre commerciale, que dès lors que les 10 B. ANCEL, Y. LEQUETTE : Grands arrêts de la jurisprudence française de droit inter-

national privé, Dalloz 5ème édition, 2006, n°11.11 Cass. Com. 4 févr. 1992, navire Hilaire Maurel (Rev. Crit. DIP 1992. 497 note

P.LAGARDE).

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parties avaient désigné dans leur clause Paramout l’application d’une convention internationale spécifique, les dispositions de cette conven-tion étaient impératives dans leur ensemble, les parties ne pouvant pas déroger à certaines d’entre elles, alors même que la convention n’impo-sait pas son application au cas d’espèce. Qu’en est-il alors de la théorie d’incorporation des règles par la volonté des parties telle que posée par l’arrêt de principe d’American Trading Company ?

La dernière discussion en date sur les connaissements maritimes est l’opposabilité de la clause attributive de compétence au tiers porteur. Bien que les clauses attributives de juridiction relèvent d’avantage du do-maine du conflit de juridictions, elles nous intéressent particulièrement dans cet exposé parce que selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes12 et dernièrement de celle de la Cour de cassation qui s’est ralliée avec la première, il faut interroger la loi applica-ble au connaissement maritime pour savoir si le tiers porteur succède ou non aux droits et obligations du chargeur qui a donné son consentement à la clause attributive de juridiction.

Dans un premier abord, nous apercevons qu’il est délicat de trou-ver la loi applicable à un connaissement maritime international dans ses différents aspects tant les solutions ne sont pas claires et les méthodes employées divergentes et embrouillées.

Dès lors, pour comprendre la position du droit positif et de la doc-trine, il convient dans un premier temps de présenter le cadre du droit maritime dans le domaine des transports des marchandises (SECTION I). Ce droit est le terrain d’élection pour le développement des différen-tes méthodes de conflits de lois au sens large du terme ; de nombreuses conventions internationales coexistent avec les règles étatiques et la matière intéresse le domaine public. Il en résulte par conséquent une concurrence entre les diverses méthodes de résolution de conflit de lois (SECTION II). Dernièrement, la spécificité du droit maritime affecte la validité et l’efficacité de certaines clauses insérées dans les connais-

12 Devenue la Cour de Justice de l’Union Européenne depuis l’entrée en vigueur le 1er décembre 2009 du Traité de Lisbonne

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sements maritimes, engendrant des régimes dérogatoires. Ce sont les clauses Paramout et les clauses attributives de juridictions insérées dans le connaissement maritime (SECTION III).

Section I – Le Cadre Du Transport Maritime De Marchandises

Le connaissement maritime est le contrat de transports de marchan-dises par voie de mer qui est presque par essence un contrat international (I). Comme tout contrat international, ce connaissement est nécessai-rement régi par un droit étatique dont la détermination se réalise par le biais des règles de conflit de lois. Cependant, de nombreuses conventions internationales ont été conclues afin de régir la matière. Ces conventions ne se présentent pas comme de corps de règles complets mais ont été plutôt élaborées afin de résoudre quelques problèmes précis découlant de ce mode de transport de marchandises. Il en résulte par conséquent une diversité de sources de règles susceptibles de régir un connaissement (II).

Le connaissement maritime

La spécificité du connaissement comme contrat maritime découle de sa triple fonction (A). Quant à la détermination de son caractère né-gociable, elle présente un intérêt en vue de son intégration ou non dans le champ d’application des textes communautaires sur la loi applicable aux obligations contractuelles (B).

A. La triple fonction du connaissement maritime

Le connaissement maritime est le contrat de transport par excellence et la forme la plus commune des contrats maritimes, même plus fréquem-ment utilisé que la charte-partie (le contrat d’affrètement par excellence). Par ailleurs, comme le transport maritime se réalise en général entre les ports des divers Etats, les connaissements maritimes arborent un caractère international, les faisant une féconde source de conflit de lois.

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En effet, le connaissement maritime est un document exceptionnel arborant une triple fonction : le connaissement est, avant tout, l’instru-mentum du contrat de transport, par conséquent il établit la meilleure preuve des modalités du contrat de transport. D’autre part, il constitue le reçu des marchandises et il a acquis la qualité de titre représentatif de la marchandise.

a) Preuve du contenu du contrat de transport

Pour les transports de lignes régulières, sur le recto figurent le nom et le « logo » du transporteur, le nom du chargeur, celui du destinataire et du « notify », le nom du navire, le port de chargement et le port de déchargement, éventuellement le point de départ et le point de destina-tion finale de la marchandise, les mentions décrivant les marchandises, la mention qu’elles ont été chargées en bon état apparent, éventuellement les réserves émises par le transporteur ou son agent, enfin les signatures des parties. Au verso figurent les conditions du contrat, le plus souvent imprimées en très petits caractères.

Les clauses du connaissement définissent les conditions du contrat de transport. Curieusement, cet instrumentum d’un contrat tripartite ne comporte qu’une seule signature, celle du transporteur.

b) Reçu des marchandises

La délivrance du connaissement signé par le transporteur établit la quantité et l’état des marchandises qu’il a reçues pour embarquement sur son navire ou effectivement embarquées sur tel de ses navires.

Le connaissement maritime n’est pas un contrat d’adhésion en lui-même, mais une forme standard de contrat : une forme de document imprimé auquel le transporteur ajoute certains éléments et conditions au vue de l’expédition à accomplir. Cependant, ce sont les chargeurs qui complètent ce document sur l’état et la nature des marchandises. Ensuite

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le connaissement est signé par le transporteur qui vérifie l’exactitude de la description du chargeur et il le remet au chargeur.

c) Titre représentatif de la marchandise

C’est la fonction la plus originale du connaissement. Ses deux autres fonctions sont également assurées, plus ou moins complètement, par les autres titres de transport ; en revanche, la fonction de représentation de la marchandise n’est assurée que par le connaissement maritime. Même si la valeur documentaire du connaissement a été reconnue par les praticiens dès le début du 19ème siècle, ce n’est qu’en 1859 que la Cour de cassation posait le principe que « la propriété des marchandises voyageant par mer est représentée par le connaissement », la Cour ajoutant que « le connaissement, ainsi que les marchandises dont il est la représentation, se transmet par la voie de l’endossement ».13 Il en résulte que, d’un point de vue pratique, le connaissement « est » la marchandise ou que, plus exac-tement, tout se passe comme si le connaissement était la marchandise.

Cette fonction de titre représentatif de la marchandise du connais-sement suscite une discussion sur le caractère négociable de ce docu-ment. Cette question nous intéresse particulièrement, parce que de cette qualification va dépendre l’applicabilité ou non de la Convention de Rome et du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

B. Discussion sur le caractère négociable du connaissement maritime

Le connaissement maritime est décrit dans l’article 1er b) de la Convention de Bruxelles de 1924 comme un document de titre14. 13 Cass. 17 août 1859, D. 1859.I.347.14 Article 1er (b) : « Contrat de transport » s’applique uniquement au contrat de trans-

port constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par mer; il s’applique également au connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte-partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement.

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William Tetley préfère l’appeler un « document of transfer »15, c’est-à-dire un document de transfert.

Il a été suggéré que les connaissements maritimes sont des titres négociables et c’est pourquoi ils doivent être exclus du domaine d’appli-cation de la Convention de Rome de 30 juin 1980 sur la loi applicable en matière contractuelle et du Règlement Rome I qui, respectivement dans leur articles 1er, §2 c) et 1er, §2 d) excluent de leur champ d’application, les « obligations nées de lettres de change, chèques, billets à ordre ainsi que d’autres instruments négociables, dans la mesure où les obligations nées de ces autres instruments dérivent de leur caractère négociable ».

En effet, cette proposition ne peut pas être admise pour deux raisons: les connaissements maritimes ne sont pas des instruments négociables et l’article 4-4 de la Convention de Rome de 1980 régit clairement les contrats de transport dont le connaissement est l’instrumentum.

a) Le caractère non négociable du connaissement maritime

Le connaissement maritime n’est pas un instrument négociable tant dans le Common law que le Civil law. Un instrument négociable est un document qui se transmet par livraison ou par endossement, qui confère un bon titre au cessionnaire de bonne foi malgré les défauts du titre du cédant16. 15 W.TETLEY, R.C. WILKINS: International Conflict of Laws Common, Civil and Maritime,

International Shipping Publications 1994, p.308.16 C. DEBATTİSTA: Sale of Goods Carried by Sea, Butterworths, London, 1990 p. 23;

“...thus, while a holder in due course [of a bill of exchange] may defeat the real creditor even if the holder received the bill of exchange from a thief, an endorsee of a bill of lading in a similar position cannot prevail over the real owner because that circumstance lies outside the cases envisaged by ss. 24 and 25 of the Sale of Goods Act 1979.”

W.P. BENNETT: The Bill of lading as a Document of Title, Cambridge U.P., 1914 p. 20: “ A Bill of Lading is not negotiable as a Bill of Exchange; but assignable; and passes such right, and no better as the person assigning it had”.

RODİÈRE : Traité général de droit maritime, Affrètements et Transports, Tome II, Dal-loz, Paris, 1968 para. 480, pp. 109-110, qui caractérise d’ “erreur fondamentale” l’assimi-lation d’un connaissement à un instrument négociable.

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Dans ce sens, le connaissement maritime n’est pas un titre négociable parce que le cessionnaire n’obtient pas par le transfert du connaissement un meilleur titre que le cédant.

La confusion entre le caractère négociable et non négociable du connaissement maritime viendrait du fait qu’il est un document de titre, c’est-à-dire que son endossement et/ou sa délivrance transfère la pro-priété des biens identifiés par ce document du cédant au cessionnaire.

Cependant, la propriété des biens identifiés dans le connaissement ne se transmet pas par l’effet de l’endossement ou par la délivrance mais par le contrat de vente sous-latent. En effet, le connaissement est mieux défini comme un document de transfert qui donne droit au porteur de connaissement de revendiquer la livraison des marchandises au port de déchargement du transporteur qui en a la possession physique sur la mer.

Le terme « document de transfert » est plus conforme à l’idée que le connaissement est la meilleure preuve du contrat de transport mais non la preuve du titre de propriétaire des marchandises. Cette preuve devra être trouvée dans le contrat de vente plutôt que dans le contrat de transport.

b) L’exclusion des « autres instruments négociables » de la Convention et du Règlement

Sur l’exclusion des « autres instruments négociables » de l’article 1er §2 c) le rapport Giuliano&Lagarde sur la Convention de Rome17 fait ces observations :

- Ou bien un document est caractérisé comme un instrument négociable et n’est pas régi par cette Convention et relève du droit du for, ces règles de droit international privé inclues.

Cependant, dans le droit allemand le connaissement maritime est caractérisé comme un instrument négociable.

17 M. GIULIANO et P. LAGARDE : Rapport concernant la Convention sur la loi appli-cable aux obligations contractuelles, Journal Officiel des communautés européennes n°282 du 31/10/1980 p. 0001 - 0050.

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- Si un document n’est pas désigné comme un instrument négo-ciable, il n’est pas exclu du domaine de la Convention même si les obligations en découlant sont transmissibles ;

Les documents comme le connaissement maritime ou tout do-cument similaire émis en rapport avec le contrat de transport seraient seulement exclus par le paragraphe c) de l’article 1er §2 de la Convention « s’ils peuvent être désignés comme des instruments négociables, et même s’ils sont désignés tels, l’exclusion ne concerne que les obligations découlant de leur caractère négociable »18 et que ce serait le cas « si la question posée était de savoir si le transporteur peut ou non opposer au porteur actuel d’un connaissement les exceptions qu’il aurait pu opposer à un porteur antérieur ».

L’effet d’une telle interprétation n’est pas clair.

Au mieux, elle signifierait que même si le contrat de transport étayé par le connaissement maritime est soumis aux choix de loi de la Conven-tion de Rome, les questions telles que si le porteur du connaissement a plus et de meilleurs droits que le précédent titulaire du connaissement seront traitées en dehors du champs d’application de la Convention.

Par ailleurs, le rapport précise que « la question de savoir si un do-cument a ou non un caractère négociable ne relève pas de la convention mais de la loi du for (y compris ses règles en matière de droit internatio-nal privé) »19.

Cependant, la première chambre civile a tranché cette difficulté en jugeant que « la détermination des effets du connaissement à l’égard du destinataire de la marchandise s’effectuait selon la loi applicable au contrat de transport »20, cette loi étant désignée selon les règles de conflit de lois de la Convention de Rome.

18 Ibid., point 4.19 Ibid.20 Cass. 1ère ch. Civ. 12 juillet 2001 Bulletin 2001 I N° 224 p. 140

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Au titre de ces précisions, nous pouvons en conclure que la question de la loi applicable à un connaissement revient à déterminer la loi appli-cable au contrat de transport de marchandises.

Cependant, il convient de remarquer qu’en l’état du droit positif, il existe plusieurs règles de sources variées destinées à régir ce rapport contractuel : il y a la Convention de Bruxelles de 1924 amendée deux fois, la Convention de Hambourg, dans le futur il y aura la Convention de Rotterdam21, puis il y a la loi française de 1966 qui concerne les juges français et potentiellement toutes les autres lois étrangères nationales.

II. La diversité des sources des règles régissant le connaissement maritime

Le connaissement maritime est régi par les dispositions des conven-tions internationales (A), par les textes communautaires sur la loi appli-cable aux obligations contractuelles (B) et était régi par la loi française du 18 juin 1966 (C).

Le contrat de transport maritime est né de l’avènement de la vapeur. A partir de la moitié du 19ème siècle, la propulsion à vapeur permet d’assu-rer des escales régulières, à date fixe : des lignes fixes entre divers ports se créent lesquelles engendrent un flux croissant d’échanges commerciaux. Dès lors le commerce maritime cesse d’être l’apanage des gros industriels capables d’affréter un navire entier. Divers marchands commencent à commercer par le biais de transports maritimes en expédiant leurs marchandises : ils ne sont plus obligés de louer un navire en entier. Un nouveau contrat de transport est né : le contrat de transport maritime de marchandises.

L’armateur délivre des connaissements au chargeur pour le trans-port. Le transporteur y insère de nombreuses clauses qui tendent à faire 21 Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises

effectué entièrement ou partiellement par mer du 11 décembre 2008 (Règles de Rotter-dam).

h t t p : / / w w w. u n c i t r a l . o r g / u n c i t r a l / f r / u n c i t r a l _ t e x t s / t r a n s p o r t _goods/2008rotterdam_rules.html

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peser l’intégralité du risque du transport sur le chargeur : clauses « said to contain » (qui dit être) ou « poids et quantité inconnus », permettant au transporteur de contester la quantité de marchandise reçue au départ ; clauses d’exonération du fait des fautes de l’équipage, clauses limitatives de responsabilité.

Les principales de ces clauses de style, empruntées à la pratique bri-tannique, ont été universellement utilisées sous le nom de « negligence clauses ». Ces clauses avaient pour objet d’exonérer le transporteur ma-ritime de toute responsabilité. La Cour de cassation avait par un arrêt de principe le 20 janvier 186922, déclaré la validité de ces clauses. En effet, la Haute juridiction est allée encore plus loin : il n’était pas nécessaire que le transporteur rapportât la preuve de la cause de l’avarie puisque, par définition, qu’elle qu’en soit la cause, il s’en était valablement exonéré par le jeu de la « negligence clause ».

La position de faiblesse du chargeur lui interdisait toute négociation contractuelle : il devait en passer par les clauses du transporteur ou re-noncer au contrat. Les réactions n’allaient pas tardées.

A la fin du 19ème siècle, les Etats-Unis, pays des chargeurs, refusent de subir la loi des armateurs anglais. Le 13 février 1893, le Congrès amé-ricain vote le Harter Act23, qui impose de nouvelles règles à tout navire commerçant avec les Etats-Unis. C’est une loi de police américaine en ce sens qu’il régit impérativement toute situation rentrant dans son champ d’application: les clauses du connaissement dérogatoires seront nulles.

Cette loi est révolutionnaire pour son époque. Premièrement, l’ar-mateur doit faire diligence pour armer et équiper correctement le navire. Deuxièmement, s’il le prouve, il est libéré de sa responsabilité du fait des « faults or errors in navigation » ou « in the management of the vessel », dans la navigation ou l’administration du navire, fautes que la loi fran-çaise traduira par fautes nautiques. A contrario, il reste tenu des fautes

22 Cass. civ. 20 janv. 1869, D. 1869, I, p.98.23 Harter Act 1893 Act of February 13, 1893, Chap.105, 27 Stat. 445-46, 46 U.S. Code

Appendix 190-196. http://www.mcgill.ca/files/maritimelaw/Harter_Act.pdf

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« commerciales » de l’équipage « faults or errors in the management of the cargo ».

Très vite, la doctrine du Harter Act se répandit dans le monde maritime. Cependant, les armateurs tentèrent d’échapper à une régle-mentation internationale impérative, en suscitant la rédaction de règles contractuelles, beaucoup moins généreuses pour eux que les « negligence clauses » classiques.

Par conséquent, l’International Law Association, avec le concours du CMI, adopta lors de sa conférence de septembre 1921 à la Haye, les Règles de la Haye de 1921. Celles-ci, sur le modèle des Règles d’York et d’Anvers, ne constituaient pas un texte impératif, mais un connaissement type qui ne pouvait tirer sa force que d’une référence contractuelle et qui pouvaient donc être écartées au bénéfice d’une negligence clause classique.

Ces règles étaient destinées à être adoptées comme loi nationale par les Etats mais ce fut un échec, par conséquent le recours à une conven-tion internationale en la matière fut inévitable. Ce fut la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 encore appelée par les anglais « Règles de la Haye » en référence à l’origine de cette convention.

A. Les conventions internationales sur le connaissement maritime

a) La convention de Bruxelles du 25 août 192424

Le texte qui fut proposé reprenait, purement et simplement, les Règles de la Haye de 1921, c’est-à-dire non pas un texte de convention internationale, mais le texte d’un contrat type.

24 La Convention est entrée en vigueur le 2 juin 1931. Elle n’a été ratifiée par la France que par la loi du 9 avril 1936. A ce jour, la Convention a fait l’objet, progressivement, d’une large ratification : plus de cent Etats l’ont ratifiée, parmi lesquels toutes les grandes puissances maritimes. Par ailleurs, elle a été incorporée ou transposée dans la législation nationale de certains Etats. Elle fait aussi souvent l’objet d’un choix contractuel par les parties à un transport maritime, ce par le jeu de la clause Paramout. Par conséquent, la

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Techniquement, la Convention de 1924 est une convention inter-nationale classique de droit substantiel. Elle a pour but d’harmoniser les règles substantielles applicables et prétend supprimer donc les conflits de lois entre les Hautes Parties contractantes. Les rédacteurs de la Conven-tion ont défini le domaine d’application de leur texte, aux termes de son article 10, « Les dispositions de la Convention s’appliquent à tout connaisse-ment créé dans un des Etats contractants ».

Quant au fond, la Convention consacre un compromis habile entre les intérêts des armateurs et les intérêts des chargeurs : le trans-porteur supporte une responsabilité de plein droit (ou « responsabilité présumée »). Cependant, en contrepartie de cette présomption de res-ponsabilité, le transporteur maritime se voit accorder des possibilités d’exonération beaucoup plus larges qu’en droit commun, la Convention les énumérant limitativement dans dix sept cas exceptés, dont les « acte de négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l’administration du navire » (art. 4-2 a). Surtout, le transporteur maritime se voit consentir le bénéfice d’une contrepartie concrètement considérable : une limitation légale de responsabilité plafonnant la réparation des dommages à un seuil.

Du fait de l’évolution des données économiques (modification des valeurs monétaires ; apparition des conteneurs), la Convention de 1924 a fait l’objet de protocoles modificatifs, adoptés en 1968 et en 1979.

b) Les règles de Visby25

Ce protocole n’emporte aucune révision d’ensemble de la Conven-tion de 1924 dont il se borne à actualiser certaines dispositions, principa-

Convention de Bruxelles de 1924 constitue aujourd’hui le texte le plus utilisé en matière de transport maritime international.

25 Protocole du 23 février 1968 portant modification de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, signée à Bruxelles le 25 août 1924.

http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/util/documents/accede_document.php Le Protocole est entré en vigueur le 23 juin 1977. La France l’a ratifié le 10 juillet 1977.

Cependant, il faut noter que le Protocole n’a pas fait l’objet d’une ratification massive.

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lement relatives à la limitation de réparation, afin de relever le montant de celle-ci et d’intégrer les conséquences de la conteneurisation croissante des marchandises.

Rejetant toute référence à un critère subjectif, l’article 10 nouveau, tel que modifié par le Protocole de 1968 (Règles de Visby), prévoit dé-sormais dans son alinéa premier, que les dispositions de la Convention s’appliquent « à tout connaissement relatif à un transport de marchan-dises entre ports relevant de deux Etats différents », précisant au même alinéa premier, in fine, qu’il en est ainsi « quelle que soit la nationalité du navire, du transporteur, du chargeur, du destinataire ou de toute autre personne intéressée ».

En effet, l’article 10 assortit ce critère d’autres exigences, d’ordre alternatif. La Convention ne sera ainsi applicable que si le connaissement a été émis dans un Etat contractant (même si le transport a lieu au départ d’un Etat non contractant), ou encore si le transport a lieu au départ d’un Etat contractant (même si le connaissement a été émis dans un Etat non contractant). Par ailleurs, la Convention s’appliquera même si le trans-port ne répond à aucune des deux conditions énoncées ci-dessus, dès lors que « le connaissement prévoit que les dispositions de la présente Convention ou de toute autre législation les appliquant ou leur donnant effet régiront le contrat » (a.10c) – la stipulation ici envisagée étant tra-ditionnellement qualifiée de clause Paramout.

c) Le Protocole DTS26

Ce second protocole modificatif a été rendu indispensable par la réforme du système monétaire international survenue le 1er avril 1978. Il

En effet, seule une trentaine d’Etats ont adhéré au texte de 1968. 26 Protocole portant modification de la convention internationale pour l’unification de

certaines règles en matière de connaissement du 25 août 1924, telle qu’amendée par le protocole de modification du 23 février 1968, fait à Bruxelles le 21 décembre 1979.

http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/util/documents/accede_document.php Ce protocole est entré en vigueur le 14 février 1984 et ratifié par la France le 18 novem-

bre 1986, mais n’a été ratifié, au total que par une vingtaine d’Etats.

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n’était plus possible de se référer à l’or. Il substitue alors le droit de tirage spécial (DTS) à l’unité de compte d’origine.

d) La Convention des Nations Unies du 31 mars 1978 dite Règles de Hambourg27

L’adoption des Règles de Hambourg se situe dans le processus de changement des structures d’élaboration du droit maritime internatio-nal. L’émergence des pays en voie de développement – pays essentiel-lement de chargeurs – remit en cause la légitimité de la Convention de Bruxelles de 1924 qui était jugée trop favorable pour les transporteurs. La CNUCED et la CNUDCI prirent le problème en charge. Une conférence diplomatique réunie à Hambourg, en mars 1978, aboutit à l’adoption de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, le 30 mars 1978, dite Règles de Hambourg.

Conformément aux objectifs qui avaient été fixées, la convention nouvelle consacre un renforcement de la responsabilité du transporteur. Celle-ci demeure fondée, sur une responsabilité de plein droit, ainsi qu’il résulte de son article 5, le transporteur perdant le bénéfice de nombreux cas exceptés qui allègent sa responsabilité dans la Convention de 1924 et, notamment, de la très contestée exonération pour faute nautique.

Les Règles de Hambourg précisent dans son article 2 son champ d’application très étendu. Elles s’appliquent à tous les contrats de trans-port par mer entre deux Etats différents lorsque le port de chargement ou de déchargement (désigné ou effectif) est situé dans un Etat contractant, ou lorsque le connaissement ou autre document faisant preuve du contrat de transport est émis dans un Etat contractant, ou lorsque la clause Para-mout du connaissement les désigne.

27 Les Règles de Hambourg ne sont entrées en vigueur que le 1er novembre 1992. En effet, dans les trente-quatre Etats signataires qui ne représentent au total, qu’environ un demi pour cent du tonnage de la flotte mondiale, il n’y a aucune grande puissance maritime.

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d) La Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer, dite les Règles de Rotterdam28

Dès 1996, la CNUDCI, consciente de l’échec des Règles de Ham-bourg, a engagé un travail de concertation avec le CMI et un certain nombre d’organisations professionnelles pour élaborer un nouveau texte. Un groupe de travail a été constitué, dont était membre le professeur Phi-lippe Delebecque. Ce texte se place dans une perspective multimodale.

Il a un large domaine d’application. En premier lieu les Règles de Rotterdam ne régiront pas seulement les transports maritimes, mais aussi les contrats de transport prévoyant un autre mode de transport. Seront soumis à la Convention les transports non nationaux, dès lors que se trouve dans un Etat contractant soit le lieu de réception (lieu de prise en charge de la marchandise), soit le port de chargement, le port de déchargement ou le lieu de livraison. Et la Convention s’appliquera alors, « quelle que soit la nationalité du bâtiment, du transporteur, des parties exécutantes, du chargeur, du destinataire ou de toute autre partie intéressée ».

B. La Convention de Rome du 19 juin 198029 et le Règlement Rome I30 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

Le connaissement maritime qui fait état d’un contrat de transport international est régi par les dispositions de la Convention de Rome et

28 Le texte définitif de la Convention a été adopté par la CNUDCI le 3 juillet 2008, le 11 décembre 2008 l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention. Aux termes de l’article 94, la Convention entrera en vigueur le premier jour du mois suivant l’expiration d’un délai d’un an à compter de la date du dépôt du vingtième instrument de ratification.

29 La Convention de Rome du 19 juin 1980 est entrée en vigueur le 1er avril 1991 et régit donc les contrats conclus à partir de cette date.

30 Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur

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du Règlement Rome I devant le juge français. Les instruments commu-nautaires instaurent un système dualiste, consacrant au premier chef la loi d’autonomie. A défaut de choix par les parties, ils localisent objecti-vement le contrat par les « liens les plus étroits » entre le contrat et un territoire étatique, au moyen de diverses présomptions.

Cependant, la Convention régit spécialement dans son article 4§4 les contrats de transport de marchandises en édictant une présomption différente pour la localisation objective de ces contrats : dès lors qu’il y a coïncidence entre le pays de l’établissement principal du transporteur lors de la conclusion du contrat et, soit le lieu du chargement, soit celui du déchargement, soit enfin le lieu de l’établissement principal de l’expé-diteur, c’est la loi de ce pays qui normalement régira le contrat.

Cependant, le jeu de ces présomptions est écarté par l’alinéa 5 de l’article 4 « lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ». En outre, aux termes de l’alinéa 1 de l’article 4, « si une partie du contrat est séparable du reste du contrat et présente un lien plus étroit avec un autre pays, il pourra être fait application, à titre exceptionnel, à cette partie du contrat de la loi de cet autre pays ».

Les contrats de transport sont régis par l’article 5 du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles qui leur est spécialement consacré.

S’agissant du transport de marchandises, le rattachement complexe qui figure sous forme de présomption dans l’article 4§4 de la convention de Rome est maintenu. La loi du pays de résidence du transporteur s’ap-plique, mais à condition que le chargement ou la livraison ait lieu dans ce pays ou que l’expéditeur y réside également. Par rapport à la convention, le règlement ajoute toutefois que si ces conditions ne sont pas satisfaites,

la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:177:0006:0016:

FR:PDF Le Règlement Rome I du 17 juin 2008 est entré en vigueur le 17 décembre 2009 et régit

donc les contrats conclus à partir de cette date.

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la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison que les parties ont convenu s’applique.

Pour être complet, il faut mentionner la clause d’exception prévue spécialement par l’article 5.3 du règlement, rédigée sur le modèle de celle de l’article 4.3. Cette disposition introduit de la souplesse dans la résolution du conflit de lois puisqu’elle permet de faire échec aux ratta-chements posés plus haut lorsque le centre de gravité du contrat se situe dans un autre pays. Par rapport à la clause d’exception de l’article 4§5 de la convention de Rome, le principal apport du nouveau texte tient à l’exigence de liens « manifestement » plus étroits avec le pays en cause.

C. La loi française du 18 juin 1966

La loi du 18 juin 1966 consacrait son titre II au contrat de transport maritime, de même que le décret d’application du 31 décembre 1967.

L’article 16 de la loi précisait son champ d’application : elle s’ap-pliquait à tout contrat de transport non régi par les dispositions d’une convention internationale ratifiée par la France dès lors que le transport intervenait « au départ ou à destination d’un port français » et aux opé-rations de transport qui étaient hors du champ d’application de telles conventions.

Le nouveau Code des transports a éliminé l’article 16 de la loi du 18 juin 1966 concernant la loi applicable au contrat de transport, le domaine étant aujourd’hui préempté par le Règlement communautaire Rome I31.

Cependant, l’analyse de cette loi du 18 juin 1966 a été couverte dans cette étude, premièrement parce que cette loi a été fréquemment appliquée par les juridictions françaises ; deuxièmement parce que son application suscite un débat sur les méthodes de conflit de lois qui vont être présentées dans la section subséquente.

31 « Le texte le plus important, en matière de dr », DMF 2011 Supplément n°15.

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Section II - la Concurrence des Methodes dans la Determination de la Loi Applicable a un Connaissement Maritime

Déterminer le régime précis applicable à un contrat de transport donné n’est pas chose aisée, en raison notamment de la diversité des situations concrètes comme de la diversité et de la complexité des textes. Du point de vue des tribunaux français, un transport peut présenter un caractère strictement national32, étant effectué entre deux ports français. Cependant, nous allons traiter que du transport international qui peut aussi présenter diverses configurations.

Il peut s’agir d’un transport au départ d’un port français vers un port étranger ou, réciproquement, au départ d’un port étranger à destination d’un port français, ou encore d’un transport effectué entre deux ports étrangers. Divers textes sont susceptibles de régir le transport en cause : la loi française, la Convention de Bruxelles de 1924 dans ses divers ava-tars, les Règles de Hambourg ou tel droit étranger, dans le futur les règles de Rotterdam. La situation se complique d’avantage par le fait que ces divers textes n’ont pas la même appréhension du domaine spatial du régime du transport, les uns limitant ce domaine à la partie strictement « maritime » du transport, les autres l’étendant au-delà. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les textes communautaires sur la loi applicable aux obligations contractuelles, la Convention de Rome et le Règlement Rome I sont amenés à régir le contrat de transport maritime.

Le problème majeur en matière de connaissement est de savoir se-lon quelle méthode de droit international privé il faut déterminer la loi applicable. En effet, au regard de la jurisprudence, il existe une concur-rence entre la méthode directe et la méthode indirecte (I) et aussi entre la méthode des lois de police et la méthode indirecte (II).

32 Il était acquis, dans la jurisprudence française, que les transports entre ports français étaient exclusivement soumis au régime de la loi du 18 juin 1966.

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I. Concurrence de la méthode directe et de la méthode indirecte en matière de connaissement maritime : discussion sur l’applicabilité directe d’une convention internationale

Quand on analyse les arrêts de la jurisprudence française (A), il n’est pas aisé de déterminer une méthode précise dans la détermination de la loi applicable du fait de la vocation des conventions internationales à régir le connaissement maritime. La confrontation de deux méthodes (B) nous conduit à une solution intermédiaire.

A. Illustrations jurisprudentielles : confusion des méthodes

Reprenons quelques exemples empruntés à la jurisprudence fran-çaise pour illustrer notre propos.

Dans l’affaire du « G&C Admiral »33, le tribunal de commerce de Marseille applique directement les dispositions de la Convention de Bruxelles de 1924 sans passer par la méthode des règles de conflit. Le transport maritime litigieux reliait Anvers à Conakry, la Belgique ayant ratifié la Convention de Bruxelles d’origine et ses deux protoco-les d’amendement. La Guinée, pour sa part, n’était liée à aucune de ces Conventions mais avait ratifié les Règles de Hambourg. Ces dernières n’étaient pas applicables au moment des faits puisqu’elles ne sont entrées en vigueur que postérieurement. Par ailleurs, la France a ratifié les trois versions de la Convention de Bruxelles sans dénoncer l’originaire et n’est pas liée par les Règles de Hambourg.

De fait, le connaissement avait été émis en Belgique et le port du dé-part se trouvait également dans ce pays. Deux des conditions d’application de la Convention de Bruxelles révisée (a. 10-a et 10-b) étant accomplies, le tribunal a appliqué cette convention sans se poser la question préalable de détermination de la loi étatique régissant le connaissement.

33 TC Marseille, 15 févr. 1994 (Scapel 1994.105).

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Dans l’affaire « Aïn Oussera »34, le transport maritime avait été effec-tué par un armateur domicilié en Algérie, entre les Etats-Unis et l’Egypte, ce dernier pays ayant ratifié les Règles de Hambourg. Le connaissement avait été émis aux Etats-Unis qui ont ratifié les Règles de la Haye, mais ne sont pas liés aux Règles de Hambourg, et il comportait une clause Paramout désignant la loi américaine, le Carriage of Goods by sea Acte (COGSA) de 1936.

Le tribunal de Paris a décidé à l’application directe des Règles de Hambourg au motif que ses conditions d’application étaient remplies (le port de déchargement était à l’Égypte). Or la Convention de Bruxelles était également applicable puisque les connaissements avaient été émis aux Etats-Unis, pays contractant. Par ailleurs, le connaissement désignait la loi américaine, le COGSA.

Notre dernière illustration est tirée de l’affaire « Vassili Klochlov »35. Il s’agissait d’un transport maritime entre le Vietnam et la Sierra Leone, effectué par un armateur domicilié en Ukraine. Le connaissement avait été émis au Vietnam et comportait une clause Paramout que la Cour d’ap-pel d’Aix-en-Provence interpréta comme désignant la loi de Sierra Leone. Le Vietnam n’était pas partie aux Conventions maritimes et la Sierra Leone avait ratifié les Règles de Hambourg sans dénoncer la Convention de Bruxelles d’origine.

La Cour d’appel en l’espèce, a raisonné en termes de conflit de lois. Elle s’est fondée sur les Règles de Hambourg, dont les conditions d’application étaient remplies contrairement à celle de la Convention de Bruxelles originaire, en tant qu’elles faisaient partie intégrante de la légis-lation de Sierra Leone désignée par la règle de conflit française comme loi choisie par les parties.

Dans le domaine de la détermination des règles applicables à un connaissement maritime, nous constatons que la jurisprudence est confuse : appliquant tantôt directement une convention internatio-nale qui remplit ses conditions d’application, tantôt l’écartant au profit 34 TC Paris, 10 sept. 1997 (BTL 1998.183).35 CA Aix-en-Provence, 7 mai 1997 (DMF 1998, H. Sér. n°2, §95 P. BONASSIES).

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d’une autre convention internationale, tantôt en passant par la méthode conflictuelle36. Les Règles de Hambourg, les Règles de la Haye, ou de la Convention de Bruxelles révisée, peuvent-elles s’appliquer directement, sans mettre en œuvre la règle de conflit française ou européenne préala-blement ; ou doivent-elles au contraire s’appliquer indirectement après que cette mise en œuvre ait été entreprise ?

Il est crucial que la jurisprudence se fixe une méthode parce que les solutions résultant des deux méthodes sont le plus souvent différentes, cette confusion des méthodes devant le juge français peut être préjudi-ciable pour les intérêts des parties : celles-ci ne pourront pas déterminer en avance de quelle loi dépendent leurs droits et obligations respectives, même si elles ont eu la diligence d’insérer une clause d’élection juris dans leur contrat (appelée clause Paramout en droit maritime).

B. Confrontation des méthodes d’application des Conventions maritimes

Cette confrontation entre la méthode directe et la méthode indirecte est celle opposant les maritimistes et les internationalistes en doctrine.

Il convient de préciser en premier lieu que les conventions dont il est question en droit des transports par voie de mer, ce sont des conventions dites « unifiantes ». Ces conventions ne s’appliquent qu’aux relations in-ternationales liées par un certain élément (qu’elles définissent) avec l’un, ou plusieurs, des Etats contractants. Elles ne donnent pas nécessairement lieu à l’élaboration d’une loi conforme dans les pays signataires. A ce type appartient, la Convention de Bruxelles du 25 août 192437, les protocoles du 23 février 196838 et du 21 décembre 1979 modifiant cette convention, les règles de Hambourg 39 et les règles de Rotterdam40.

36 Y. TASSEL: « Transports maritimes » Répertoire de droit international, février 2004 (dernière mise à jour : septembre 2011) para 34.

37 Article 10 des Règles de la Haye.38 Article 10 des Règles Hague-Visby.39 Article 2 des Règles de Hambourg.40 Article 5 des Règles de Rotterdam.

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Appliquer directement une convention internationale consiste à la déclarer applicable du simple fait que les conditions qu’elle prévoit sont remplies, sans mettre en œuvre les règles de droit international privé du juge saisi. Par exemples, les Règles de la Haye (a.10) s’appliqueraient du simple fait que le connaissement a été créé dans un Etat contractant.

A l’opposé, selon la méthode indirecte, le juge « doit recourir à une règle de conflit afin de déterminer le droit étatique compétent, et si celui-ci comporte des règles de source conventionnelle, il les appliquera dans l’interprétation qui prévaut selon les tribunaux de l’Etat désigné »41.

Les partisans de la méthode directe justifient cette dérogation aux règles de conflit de lois par les fonctions d’adaptation et d’harmonisation qu’ils attribuent à cette méthode. Par ailleurs, les maritimistes arguent du caractère « self executing » de ces conventions. A l’opposé, il a été claire-ment démontré que cette méthode ne permet pas l’harmonisation des solutions du fait des divergences d’interprétation de ces conventions par les juges42. Par ailleurs, il a été argué que la fonction d’adaptation ne jus-tifie pas l’imposition des conceptions du for par une atteinte injustifiée aux prévisions des parties43.

En effet, les deux thèses trouvent un point de conciliation, si le consensus est fait sur l’intégration de la Convention « unifiantes » dans l’ordonnancement juridique des Etats signataires.

41 P. MAYER : « L’application par l’arbitre des conventions internationales de droit pri-vé », L’internationalisation du droit, Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn, Dal-loz 1994, p. 280, §4-1°.

42 ‘‘Surtout, ce qu’il faut constater, c’est qu’il n’y a pas de loi commune lorsque l’unifica-tion législative ne s’est accompagnée d’une unification juridictionnelle. Le droit, vu du côté des sujets, ne s’identifie pas à l’ordre du législateur ; il est composé des règles que les tribunaux appliquent en fait. Autant d’ordres juridictionnels, autant d’ordres juridi-ques’’. P.MAYER, V.HEUZE :Droit international privé, 9e édition Montchrestien, p. 71 n°93.

43 ‘‘Mais c’est oublier que l’objectif essentiel du droit international privé est la sécurité et non pas la justice; il doit fournir non la réglementation la plus juste ou la mieux adaptée, mais celle dont l’application en l’espèce est la plus conforme aux prévisions des parties.’’ P.MAYER, V.HEUZE Droit international privé, 9e édition Montchrestien, p.13 n°19.

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a) La convention « unifiantes » en dehors du système législatif des Etats parties

En effet, selon certains partisans de la méthode directe, une conven-tion « unifiante » demeurerait un monument unique, à la fois commun et extérieur aux divers systèmes législatifs des Etats parties à la conven-tion ; elle serait donc « appliquée directement par les tribunaux des Etats membres sans qu’il y ait place pour un conflit de lois ».44

Premièrement, il convient de remarquer que les divergences d’inter-prétation ne sont pas exclues. Mais une autre conséquence, plus difficile à accepter en résulte de cette conception des Conventions « unifiantes ». Si le juge saisi est celui d’un Etat tiers, dont la règle de conflit désigne la loi de l’un des Etats signataires, et que les conditions d’application de la convention sont remplies, logiquement il devrait les ignorer puisqu’elles ne font pas partie du droit national étranger, et d’autre part, ne s’impo-sent qu’aux Etats signataires.

Une analyse différente des conventions unifiantes, sur laquelle paraissent s’entendre les internationalistes et les maritimistes, permet d’éviter ce résultat.

b) La convention « unifiante » intégrée dans le système législatif des Etats parties

Pour les maritimistes la Convention de Bruxelles, dans ses diverses versions, est « self executing ». Cette thèse consiste à considérer que les Conventions maritimes doivent être appliquées impérativement par les juges des Etats contractants, sans avoir égard à leurs règles de conflit de lois, pour la simple raison que l’Etat dont ils sont l’organe s’y est engagé formellement, en ratifiant la convention internationale, de sorte qu’un refus d’application engagerait sa responsabilité politique et juridique envers les autres Etats contractants. Cette application impérative qui se fondrait sur les engagements internationaux de l’Etat du for relèverait par là-même de l’ordre public.44 P. LAGARDE, Rev. Crit. DIP 1964.235, p. 241, 242 et 247.

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En effet, cette thèse fait la différence entre une application directe infondée et une application impérative. Cette différence est jugée cru-ciale puisqu’elle permet d’intégrer la convention « unifiante » dans l’or-dre juridique des Etats signataires : « Le propre de l’application directe des conventions internationales est d’être soumise aux seules conditions qu’elles posent, alors que leur application impérative nécessite en outre leur intégration dans l’ordre juridique du juge saisi »45.

De l’autre côté, la thèse des internationalistes a pour point de départ le postulat qu’une convention internationale ne peut constituer un ordre juridique autonome et complet, comme l’est un ordre juridique national, et par conséquent, ne peut pas être choisi comme loi du contrat sans le support d’une loi étatique.46

En effet, selon cette thèse, les dispositions des Conventions « uni-fiantes » s’intègrent dans l’ordre juridique des Etats parties : « Celle-ci n’est normative qu’à l’égard des Etats, en les rendant responsables de l’ap-plication des règles adoptées en commun ; elle est en revanche dépourvue de valeur normative à l’égard des individus. En effet, l’ordre international n’ayant pas mis ses organes juridictionnels et de contrainte au service de l’application des règles substantielles édictées, celles-ci ne constituent des normes véritables que dans la mesure où les ordres nationaux sont chargés de les appliquer ; mais ce sont alors des normes nationales, qui coexistent dans chaque Etat signataire avec les règles de droit commun, dont elles viennent restreindre le champ d’application »47.

Cette intégration permet à un juge d’un Etat tiers d’appliquer les dispositions conventionnelles comme loi étrangère désignée par sa règle de conflit. Cependant l’opposition persiste quant à une application di-recte ou une application indirecte devant le juge d’un Etat partie.

45 P.-Y. NICOLAS : « Les Règles de Hambourg devant les tribunaux français », DMF Juin 1998, p. 560 n°41.

46 P. LAGARDE, obs. ss. Cass. com. 4 févr. 1992, navire Hilaire Maurel (Rev. Crit. DIP 1992.497, spéc. p. 500, §8 in fine)

47 P. MAYER V. HEUZE Droit international privé p. 72 n°94

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c) Le recours nécessaire à une règle de conflit

Du moment où les dispositions conventionnelles sont intégrées dans l’ordre juridique de l’Etat signataire, le recours à une règle de conflit devient nécessaire : « Et entre ces règles nationales, seule une règle de conflit permet de choisir ».48 « On ne peut résoudre un conflit de lois sans l’aide d’une règle qui désigne une loi parmi celles qui sont en présence ; le procédé direct pur ne se suffit pas à lui-même, il doit être combiné avec le procédé indirect, même si celui-ci se réduit à donner automatiquement compétence à la loi du for »49.

Peut-on cependant décerner des règles de conflit spéciales dans les règles d’applicabilité de ces conventions ? Ainsi par exemple, l’article 10 de la Convention de Bruxelles désignerait la loi de l’Etat d’où a été émis le connaissement maritime. Si cela est envisageable pour la Convention originaire, cette analyse ne tient pas pour les autres instruments conven-tionnels du fait qu’ils prévoient plusieurs critères de rattachement de la Convention avec les Etats contractants. Cette analyse aboutirait à attri-buer compétence à plusieurs lois étatiques potentiellement désignées par les règles d’applicabilité de ces conventions.

Procédons à l’analyse par un exemple. Il s’agit d’un contrat de transport de France vers la Turquie dont le connaissement a été émis en France. Les parties ont choisi d’appliquer la loi thaïlandaise qui est plus libérale que les conventions internationales en la matière, c’est-à-dire qu’elle accepte par exemple des clauses de type « negligence clause ». La Thaïlande n’a ratifié aucune convention internationale en la matière, la France a ratifié toutes les versions de la Convention de Bruxelles et la Turquie la version originaire de la Convention.

En application de la méthode indirecte c’est la loi thaïlandaise qui va régir ce contrat de transport alors que la Convention de Bruxelles veut s’appliquer. Est-il légitime de laisser à la libre volonté des parties ou plu-tôt à la libre volonté du transporteur le choix de la loi dans une matière où les besoins d’encadrement se font sentir.48 Ibid.49 P. MAYER, V. HEUZE, Droit international privé, p.101 n° 136.

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La Convention de Bruxelles veut s’appliquer, le contrat de transport n’a aucun lien avec la Thaïlande. Que faire ? Dans cette hypothèse, on voit que le besoin de l’application directe de la Convention (amendée par ce que le litige étant soumis au juge français, il va appliquer la loi la plus nouvelle) se fait sentir.

En effet, il faut regarder l’origine de ces conventions internationales en matière de transport maritime. Ces conventions ont été adoptées à la suite des réactions des chargeurs contre les transporteurs qui en abu-saient de leur position de force en leur imposant des clauses très limita-tives de responsabilités ou même exonératoires. Ces conventions ont été élaborées en vue de freiner ces transporteurs. En effet, la première de ces normes protectrices des intérêts des chargeurs provient des Etats-Unis le Harter Act qui est une loi de police d’application immédiate toutes les fois que le transport présente des liens avec le territoire américain.

Ces conventions internationales ont été adoptées sur la base de ce Harter Act donc sur la base d’une loi de police étatique. Et on observe que plus les traités sont nouveaux plus les règles de protection de char-geurs augmentent de degrés. Par conséquent, il ne serait pas illogique de soutenir que ces conventions sont des sortes des lois de polices adoptées en commun par les Etats signataires de ces traités.

Ces conventions veulent s’appliquer à chaque fois que le transport présente des liens avec l’un des pays signataires parce qu’elles veulent éviter que des transporteurs en choisissant une quelconque loi étatique puissent échapper à leur responsabilité.

Tout de même, la qualité de lois de police des dispositions de conven-tions internationales sur le transport maritime des marchandises n’est pas acquise. Par ailleurs, à part les Règles de la Haye, les autres conventions veulent s’appliquer impérativement quand les parties les choisissent par une clause du connaissement dite Paramout. Par conséquent, il est facile d’objecter que dans ce cas, il ne peut s’agir des dispositions à caractère de lois de police puisque le connaissement peut ne pas présenter aucun lien avec un des Etats contractants.

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d) Le recours nécessaire à une loi étatique comme support de la convention

Le défaut majeur de la thèse maritimiste d’application impérative de la Convention provient du fait qu’elle n’indique pas à quelle loi étatique le connaissement est soumis. Or tout contrat international est néces-sairement régi par une loi étatique, depuis la prohibition par la Cour de cassation dans l’arrêt Messageries Maritimes50 des contrats sans loi. Par ailleurs, les conventions internationales sur le connaissement maritime ne régissent qu’une partie résiduelle du contrat de transport.

Il en résulte de cette analyse deux conséquences : soit soumettre l’entier régime du contrat de transport à la loi étatique du juge saisi qui doit impérativement appliquer la Convention. Celle-ci s’auto-désignant applicable rendrait compétente la loi étatique qui l’intègre. Soit, appli-quer impérativement la Convention pour la partie du contrat qu’elle régit (mais prenant toujours appui de la loi étatique du juge donc selon les interprétations de ce juge), et pour l’autre partie non couverte par les dispositions de la Convention appliquer la loi étatique désignée par les règles de conflit de lois telles qu’issues des instruments communautaires. Par conséquent, le connaissement serait potentiellement soumis à deux lois étatiques.

Par conséquent nous proposons que la loi étatique applicable à un connaissement soit déterminée préalablement par le jeu des règles de conflit de lois. Si la loi désignée intègre la convention internationale et que si les conditions d’application de cette convention sont remplies, le juge appliquera cette convention selon la loi étatique compétente. Cependant, si la loi étatique compétente n’intègre pas la convention « unifiante », mais que la convention veut toujours s’appliquer alors le juge l’appliquera en tant que règles impératives du for puisque le législa-teur en ratifiant cette convention s’est engagé à l’égard des autres Etats contractants.

50 B. ANCEL, Y. LEQUETTE : Grands arrêts de la jurisprudence française de droit inter-national privé, Dalloz 5ème édition n°22.

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II. La concurrence de la méthode des lois de police et la méthode indirecte en matière de connaissement maritime : discussion sur le caractère de loi de police de l’article 16 de la loi française de 1966

Le transport maritime est un domaine fortement teinté des règles d’ordre public au niveau interne. La loi française de 1966 qui régissait le connaissement maritime pouvait-elle accéder à la qualification de loi de police au niveau international ? Il a été un temps discuté en doctrine la qualification de la loi française de 1966 (A). Aujourd’hui, avec l’en-trée en vigueur du Règlement Rome I, le doute parait se dissiper (B). Par ailleurs, il convient d’indiquer que cette loi de 1966 a été abrogée en Octobre 2010 et certaines de ses dispositions ont été reprises dans le nouveau Code des transports. Mais, l’article 16 de cette loi n’a pas été repris laissant la place dans la détermination de la loi applicable à un contrat de transport aux règles communautaires.

Cependant, malgré cette abrogation, nous allons tout de même dis-cuter de la nature de l’article 16 de la loi française afin de pouvoir analy-ser l’utilisation de la méthode de lois de police par les tribunaux français dans la détermination de la loi applicable à un connaissement maritime.

A. Difficulté de qualification : hésitation entre la qualification de loi de police ou règle de conflit unilatéral

Cet article 16 énonce: « Le présent titre [relatif au transport de marchandises] est applicable aux transports, effectués au départ ou à destination d’un port français, qui ne sont pas soumis à une convention internationale à laquelle la France est partie, et en tout cas, aux opérations de transport qui sont hors du champ d’application, d’une telle conven-tion ».

D’éminents auteurs, au lendemain de la loi de 1966, ont vu dans ce texte une loi de police ou d’application immédiate. Cette opinion a

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été largement suivie par la jurisprudence, notamment dans l’arrêt navire Hornsea, la cour d’appel de Rouen a désigné la loi française comme lex contractus sur le fondement de l’article 16 de la loi du 18 juin 1966 appli-qué en tant que loi de police51.

Dans la sixième édition de leur Précis de droit international privé, publiée en 1999, MM. Loussouarn et Bourel citent l’article 16 comme l’un des rares exemples de ce que pourrait être une vraie loi de police, en raison du forcement du rattachement normal qu’ils y constatent52.

De nombreux maritimistes considèrent aussi que l’article 16 était une loi de police ce qui, pour eux, justifie l’application des dispositions du titre II de la loi française sur les transports maritimes au départ ou à destination de France à l’encontre de la loi choisie, fût-ce expressément, par les parties, sans pour autant méconnaître l’existence de la Conven-tion de Rome53. Celle-ci, prévoit elle-même, dans son article 7.2 sous le titre « Lois de police », « l’application des règles du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable ».

Cependant, MM. Rémery et Heuzé ont une autre analyse de cet article 16. L’article 16, par lui-même, ne fait que déterminer le champ d’application dans l’espace des dispositions matérielles de la loi fran-çaise sur le transport maritime qui suivent et qui, seules, et au cas par cas, pourraient recevoir l’appellation de lois de police, en raison d’une impérativité particulière.54 En effet, l’article 16 serait une règle de conflit unilatérale qui « sert à la désignation, uniquement, du droit français », selon l’expression de M.Heuzé.

Selon M. Rémery55, même si toutes les lois maritimes françaises sur le contrat de transport sont d’ordre public interne, elles ne pourraient pas 51 Op.cit., CA Rouen (2ème Ch. Civ.), 9 sept. 2004 Navire Hornsea.52 LOUSSOUARN, BOUREL: Précis de droit international privé, 6ème édition 1999.53 A. CHAO : « Le transporteur peut-il s’exonérer pour les dommages survenus à ter-

re? »54 Certaines des dispositions du titre II de la loi de 1966 n’ont pas le caractère impératif

d’une loi de police, par exemple l’article 30 qui autorise ‘‘toutes clauses relatives à la responsabilité ou la réparation... dans les transports d’animaux vivants...’’

55 J.P., REMERY : « Remarques sur le droit applicable au contrat international de trans-

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systématiquement devenir des lois de police au plan international, car il n’y aurait pas d’identité conceptuelle entre les deux notions et qu’il ne serait guère raisonnable de faire aucune place au principe d’autonomie dans le rattachement du contrat international de transport maritime de marchandises.

Si on retient la qualification de règle de conflit unilatérale, celle-ci doit s’effacer devant les règles de conflit bilatérales fixées par la Conven-tion de Rome et maintenant le Règlement Rome I. Cependant, si la qualification de loi de police est retenue, l’article 16 peut être amené à s’appliquer sous le régime de la Convention de Rome. Cette solution de-vient plus discutable avec l’entrée en vigueur du Règlement Rome I qui donne une définition plus précise des lois de police dans son article 9.

B. L’article 16 de la loi de 1966 et les textes communautaires sur la loi applicable aux obligations contractuelles

S’agissant de l’application de la loi de 1966 à titre de loi de police, l’article 7 de la Convention de Rome dispose que la notion s’applique « aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ». Et l’alinéa 2 du même article ajoute que « les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’ap-plication des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ». La Convention de Rome ne précisant pas la notion de loi de police, elle ouvrait la voie à une application assez large de cette notion. C’est en tout cas dans cette voie que s’est engagée la Cour d’appel de Rouen dans l’arrêt Hornesea. On ne peut lui reprocher d’avoir appliqué les dispositions de l’article 7 telles qu’elles sont écrites – renvoyant au seul droit du juge saisi la déter-mination des « lois impératives ».

port maritime de marchandies », Mélanges offertes à Pierre Bonassies, p. 283

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Tandis que la Convention de Rome, ne donne aucune définition de la notion de loi de police, ce qui autorisait des interprétations différentes, le Règlement Rome I précise dans son article 9 qu’une loi de police « est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, social ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ». Par conséquent, il devient plus difficile de faire entrer les dispositions de l’article 16 de la loi de 1966 dans les exigences ainsi affirmées par le Règlement Rome I.

Même si les intérêts particuliers mis en jeu par un transport maritime à destination de la France sont importants, il serait excessif de dire que le respect de ces intérêts est crucial pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’Etat français. Par ailleurs, si une disposition de la loi désignée par le Règlement Rome I était véritable-ment contraire aux principes fondamentaux du droit maritime interna-tional (par exemple, une limitation de responsabilité même en cas de faute volontaire), le recours à la notion d’ordre public suffirait à l’écarter. Il faut donc conclure que l’article 16 ne présente plus aucun intérêt dans la détermination de la loi applicable à un connaissement maritime dans le cadre du Règlement Rome I.

Section 3 - Les Clauses Specifiques du Connaissement Maritime

Les parties à un contrat de transport maritime peuvent insérer une clause Paramout (I) dans leur connaissement qui permet de désigner applicable à leur contrat les conventions internationales. Par ailleurs, elles insèrent généralement une clause d’élection de for (II) qui pose le problème de son opposabilité au tiers porteur du connaissement.

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I. La clause Paramout

La Convention de Bruxelles de 1924, dans sa version actuelle liant la France, qui résulte du protocole du 23 février 1968, énonce, à l’article 10, parmi les critères d’application du traité, le fait que :

« …c) le connaissement prévoit que les dispositions de la présente convention ou de toute législation les appliquant ou leur donnant effet ré-giront le contrat, quelle que soit la nationalité du navire, du transporteur, du chargeur, du destinataires ou de toute autre personne intéressée ».

La Convention de Hambourg de 1978 contient une disposition analogue, à l’article 2 :

« Les dispositions de la présente convention s’appliquent à tous les contrats de transport par mer entre deux Etats différents lorsque : c) le connaissement ou autre document faisant preuve du contrat de transport par mer prévoit que les dispositions de la présente convention ou celles d’une législation nationale leur donnant effet régiront le contrat. »

Ces deux textes permettent donc aux parties, par une clause dite « Paramout » dans la pratique du commerce maritime, de rendre appli-cables les dispositions de l’une ou l’autre de ces deux conventions par le seul effet de leur volonté.

Il convient de préciser le statut de cette clause devant le juge français (A) et les limites à la volonté contractuelle des parties ainsi affirmées par les conventions internationales (B).

A. Le statut de la clause Paramout devant le juge français

Lorsque la clause Paramout désigne dans ces conditions, la Conven-tion de Bruxelles révisée, celle-ci s’appliquerait en tant que traité régu-lièrement ratifié par la France et « rendu applicable, selon ses propres dispositions, par la volonté des parties », selon la formule de M. Lagarde commentant l’arrêt navire Hilaire-Maurel rendu le 4 février 1992 par la

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Chambre commerciale de la Cour de cassation56. Selon J.M Jacquet57 : « Lorsqu’une clause Paramout désigne la Convention révisée, celle-ci s’applique selon l’une des conditions qu’elle a mise à sa propre applica-tion et il n’y a aucune raison de considérer qu’elle est incorporée ».

Selon notre thèse, la Convention de Bruxelles révisée s’appliquera soit en tant que règles de la loi désignée objectivement par la règle de conflit et la volonté des parties ne serait alors qu’une confirmation de la compétence de la loi étatique désignée. Ou bien, à défaut de son inté-gration dans la loi objectivement compétente, elle s’appliquerait en tant règles impératives du for, la volonté des parties constituant alors une des conditions de l’impérativité de ces règles.

Mais lorsqu’une clause Paramout se réfère à la convention de 1924 non révisée, dont aucune disposition ne prévoit l’application par le seul effet de la volonté des parties, le statut d’une telle clause est nécessaire-ment inférieur. Dans ce cas, la Convention de Bruxelles non révisée n’est, en effet, plus applicable en tant que traité international parce que, par hypothèse, aucun des éléments qui délimitent de plein droit son champ d’application ne se rencontre58. Les dispositions de la Convention de Bruxelles adoptées par les parties « dégénèrent » alors, en simples stipu-lations contractuelles.

C’est un raisonnement du même type qu’il faut suivre lorsque la clause Paramout renvoie à la Convention de Hambourg qui n’a pas été ratifiée par la France, bien que cette Convention, au contraire de la pré-cédente, prévoie son application par l’effet de la volonté des parties. En France, la Convention de Hambourg ne peut donc jamais être appliquée en tant que traité international, mais seulement en ce qu’elle se trouve incorporée matériellement par les parties dans leur contrat de transport, soit qu’elles en reproduisent les dispositions, soit qu’elles renvoient à la

56 Op.Cit., Cass. Com. 4 févr. 1992, navire Hilaire Maurel.57 J.M. JACQUET : « L’incorporation de la loi dans le contrat », Tavaux du Comité fran-

çais de droit international privé, 1993-1995, p. 23, spéc. p. 30 58 S. CHEVAL: « La clause Paramout : aspects de droit international privé », Gazette du

Palais, 5 août 2006, n°17, p. 17.

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Convention de Hambourg directement ou par le choix d’une législation maritime dans laquelle celle-ci se trouve intégrée.

B. La clause Paramout et les limites à la liberté contractuelle

Si les parties au contrat de transport étaient libres, sans limites, de se référer à une convention internationale maritime de droit matériel, comme à un modèle, nous ne saurions pas expliquer pourquoi elles n’auraient pas la faculté d’écarter certaines des dispositions convention-nelles, puisqu’elles pourraient ne se référer à aucune. Si la Cour de cassa-tion, dans l’arrêt navire Hilaire-Maurel, le leur interdit, en refusant qu’elles puissent s’affranchir de la référence à la livre or, unité de compte utilisée pour fixer les plafonds d’indemnisation par la Convention de Bruxelles non amendée, c’est, certes, parce que, sur ce point, la Convention ne per-met pas effectivement de dérogation. Mais la convention internationale n’est applicable que parce que les parties l’ont bien voulu, leur volonté constituant ainsi l’unique clé d’application du traité, ces dispositions se trouvent incorporées dans leur contrat.

M. Paul Lagarde explique cette solution par l’idée que la conven-tion constitue « un texte que son origine internationale permettrait de reconnaître comme un ordre juridique, pouvant faire l’objet d’un choix des parties à l’instar des ordre juridiques nationaux ». Cependant, cette position est critiquable, une convention ne constitue pas en elle-même un ordre juridique auquel le contrat serait soumis.

En réalité, l’ordre juridique auquel se trouve soumis le contrat inter-national de transport maritime de marchandises est déterminé par les rè-gles de conflit du for et les dispositions de la Convention internationale, non applicable en tant que traité, se trouvent simplement incorporées dans le contrat, et seulement « dans la mesure laissée à la liberté contrac-tuelle par les dispositions impératives de la loi étatique applicable » à celui-ci. Si, par exemple, cette loi prévoit, sans dérogation, un plafond d’indemnisation plus élevé que celui de la convention internationale

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choisie par les parties, et si cette convention n’est applicable que par leur volonté, alors qu’elle ne prévoit pas elle-même un tel critère d’application ou que l’Etat du for n’est pas lié par elle, le droit étatique du contrat s’ap-pliquera même à l’encontre de la Convention.

La « contractualisation » du traité international entraîne, dans ce cas, sa soumission aux dispositions impératives du droit national norma-lement applicable. Nous ne sommes plus, dans ce type d’hypothèse, en présence d’un traité international, mais d’un contrat qui emprunte son contenu, ou une partie de celui-ci, à une convention internationale.

Cependant, comment concilier une clause spéciale du contrat que la Convention annule à laquelle les parties se sont référées expressément et qui est simplement incorporée au contrat ? M. Pierre Mayer propose la solution suivante qui a pour base la recherche psychologique de la volonté des parties : si la clause spéciale contredit ouvertement les dispositions de la Convention « incorporée », la clause spéciale doit l’emporter en vertu de la règle lex specialis derogat generali. Mais si au contraire une clause du contrat exprime une volonté des parties mais que cette clause est annulée par la Convention, il faut respecter les termes de la Convention puisqu’il n’y a pas une contradiction logique.

II. La clause d’élection du for du connaissement maritime

Dans sa thèse de doctorat, Mme. Gaudemet-Tallon observait que la clause de juridiction stipulée dans un connaissement maritime « paraît bien être opposable au destinataire ». On sait, en effet, que « du contrat conclu entre l’armateur et le chargeur naît un droit au profit du destina-taire. Mais ce droit ne jouit pas d’une autonomie suffisante pour permet-tre au destinataire d’échapper aux clauses attributives de juridiction ».59

Cependant cette position n’est pas partagée en doctrine et il existait une divergence d’interprétation sur cette question d’opposabilité entre

59 H. GAUDEMENT-TALLON : « La prorogation volontaire de juridiction en droit in-ternational privé », Dalloz, 1965. 292 p., spéc. § n°420, p. 256.

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la 1ère chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation (A), la Cour de Justice des Communautés Européennes est intervenue sur cette question mettant en place un système similaire à celui de juris-prudence De Bloos/ Tessili60 à propos de l’article 5-1° de la Convention de Bruxelles I61 (B).

A. Divergence jurisprudentielle quant à l’opposabilité de la clause attributive de juridiction au tiers porteur du connaissement maritime

La chambre commerciale de la Cour de cassation, juge habituel des questions de droit commercial et de droit maritime, veillait au respect du « particularisme du droit maritime » par l’affirmation répétée de l’ « inopposabilité » au destinataire des clauses relatives à la compétence internationale. En effet, elle subordonnait le jeu de la clause de juridiction à son acceptation spéciale par le destinataire. De l’autre, la première cham-bre civile, « compétente au titre de son portefeuille internationaliste », affirmait que les clauses de juridiction et mêmes les clauses d’arbitrage font partie de l’ « économie de la convention de transport maritime » et par conséquent affirmait leur caractère opposable au tiers destinataire des marchandises62.

Lorsqu’un contrat de transport maritime proprement dit est conclu, un connaissement est établi qui stipule en général une clause attributive de juridiction et une clause d’electio juris. Il s’agit d’une pratique contrac-tuelle très répandue, tant à l’initiative des organismes proposant des contrats types qu’à l’initiative des armements eux-mêmes.

60 CJCE 6 oct. 1976, De Bloos, Aff 14-76, Recueil de jurisprudence 1976 p. 01497; CJCE 6 oct. 1976, Tessili, Aff. 12-76, Recueil de jurisprudence 1976 p. 01473.

61 Convention du 27 sept. 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

http://curia.europa.eu/common/recdoc/convention/fr/c-textes/brux-idx.htm62 O.CACHARD : «La force obligatoire vis-à-vis du destinataire des clauses relatives à la

compétence internationale stipulée dans les connaissements », Mélanges en l’honneur de Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008 p. 189.

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Ces clauses relatives à la compétence internationale sont stipulées avant le voyage maritime par le transporteur ; elles rencontrent le consen-tement du chargeur. Mais c’est à l’arrivée du voyage, lorsque des avaries ou des manquements sont constatés qu’elles sont mises en œuvre. Le transporteur oppose ces clauses aux « intérêts cargaison », c’est-à-dire au destinataire de la marchandise ou aux assureurs facultés subrogés dans ses droits. L’enjeu est alors de savoir si les intérêts cargaison peuvent agit devant leurs juridictions et jouir d’un forum actoris ou bien s’ils devront se soumettre aux clauses relatives à la compétence internationale.

En effet, le droit commun français raisonne en termes de stipulation pour autrui face à cette question de droits et obligations du destinataire résultant du contrat de transport. Il voit dans le destinataire un tiers ap-pelé à devenir partie au contrat, à y adhérer et à donner son acceptation spéciale aux clauses qu’il n’est pas censé connaître, à l’exemple des clauses de compétence.

Les deux chambres de la Cour de cassation avaient cependant essayé de poser une règle matérielle de droit international privé sur l’opposabi-lité de telles clauses. Certes leur solution était complètement opposée mais la méthode utilisée pour ce faire était identique. Cependant, la CJCE avait opté pour une démarche conflictuelle que les chambres ont décidé de suivre par deux décisions du 16 décembre 200863. Cependant, la question reste posée pour l’opposabilité des clauses d’élection de for ne relevant pas du mécanisme de la Convention de Bruxelles I ou du Règlement 44/200164, c’est-à-dire pour toute clause désignant les juri-dictions d’un Etat tiers ou bien dont aucun des contractants ne résidant sur le territoire communautaire.

63 Cass. Civ.1ère, 16 déc. 2008, Sté CMA-CGM c/ Sté BNP Paribas Suisse, Bull.civ., I n° 283; Cass. Com., 16 déc. 2008, navire Delmas Mascareignes, Bull.civ., IV, n° 215.

64 Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compé-tence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et com-merciale.

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:012:0001:0023:FR:PDF

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B. La démarche conflictuelle instaurée par la Cour de Justice des Communautés Européennes

S’agissant des litiges intra-communautaires, la Cour de Justice des Communautés Européennes avait décidé dans ses arrêts Tilly Russ65, Castelleti66 et Coreck67 qu’une clause attributive de compétence convenue entre un transporteur et un chargeur et stipulée dans un connaissement produisait ses effets à l’égard du tiers porteur, pour autant qu’en ac-quérant ledit document ce dernier ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable. Cette jurisprudence conduit, pour s’assurer de l’opposabilité de la clause de compétence au tiers porteur, à consulter le droit national applicable au connaissement. Si le droit applicable prévoit que la transmission du connaissement entraîne un transfert de droits et actions, le tiers porteur succède au chargeur et se trouve ainsi tenu par la clause d’élection de for. Si, en revanche, le droit applicable ne raisonne pas en ces termes et ne voit pas dans le tiers por-teur un ayant-cause du chargeur mais une partie contractante, la question de l’opposabilité de la clause doit s’apprécier au regard des exigences de l’article 17 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ou de l’article 23 du Règlement 44/2001.

Par deux décisions rendues le même jour par la 1ère chambre civile (16 décembre 2008 Sté CMA-CGM) et la chambre commerciale (16 dé-cembre 2006 Navire Delmas Mascareignes), ces deux chambres s’allient sur la position communautaire.

Dès lors, si le droit français est applicable, il n’est plus question de rechercher si la clause de compétence a fait l’objet d’une acceptation spé-ciale de la part du destinataire. Le consentement du destinataire requis pour pouvoir conclure à l’opposabilité de la clause, ne doit être éprouvé qu’à l’aune de l’article 23 du règlement communautaire.65 CJCE 19 juin 1984 Partenreederei ms Tilly Russ v haven & Vervoerbedrijf Nova,

C-71/83, ECR 2417.66 CJCE 16 mars 1999 Transporti Castelletti Spedizioni Internazionali SpA v Hugo Trum-

py SpA, C-159/97, ECR I-1597.67 CJCE 9 novembre 2000 Coreck Maritime GmbH v Handelsveem BV & Ors, C-387/98,

ECR I-9337.

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327Le Connaissement Maritime Et Conflit De Lois

Cependant, un éminent maritimiste M. Delebecque attire l’attention sur le point c) de l’article 17 de la Convention et 23 du Règlement68. Il suggère que les tribunaux devront être vigilants et affirme que « chaque compagnie a son propre connaissement et, comme on peut l’imaginer, chacun de ces connaissements diffère sur la juridiction compétente. D’où une première difficulté pour identifier la clause précise dont les parties seraient censées avoir connaissance, l’usage devant s’apprécier non pas par rapport au fait que les connaissements contiennent une clause de compétence, ce qui est une évidence, mais par rapport au fait qu’ils sti-pulent telle clause attributive à telle juridiction »69.

Conclusion

Le droit maritime de transport de marchandises est un domaine de prédilection de conflits de lois. En effet le contrat de transport de mar-chandises par voie de mer, constaté dans le connaissement maritime, est un contrat presque par essence international. De ce fait, le droit étatique régissant sa formation, ses effets et conditions, est déterminé par le jeu des règles de conflit de lois qui sont issues de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et aujourd’hui du Règlement Rome I.

Cependant, le connaissement maritime étant un document de trans-port présentant certaines particularités, il se pose, à son sujet, la question de savoir s’il est un titre négociable ou non, l’applicabilité ou non des instruments communautaires sur la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles en dépendant. Nous avons pu constater que le connaissement maritime n’est pas un titre négociable mais un titre de « transfert »70. La position de la jurisprudence converge en ce sens 68 a.23-c) du Règlement Bruxelles I: ‘Cette convention attributive de juridiction est

conclue: c) dans le commerce international, sous une forme conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est lar-gement connu et régulièrement observé dans ce type de comme par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée’.

69 P. DELEBECQUE : « Clauses attributives de compétence, transport maritime et textes communautaires: une unification de la jurisprudence par le bas », DMF 2009 n°700.

70 Op.cit., W.TETLEY, R.C. WILKINS: International Conflict of Laws Common, Civil and Maritime.

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328 Binnaz Topaloğlu [Annales XLIII, N. 60, 283-336, 2011]

aussi71. Par conséquent, le connaissement maritime est entièrement sou-mis au régime de la Convention de Rome et du Règlement Rome I.

Cependant, nous avons pu constater qu’il existait un grand nombre de traités internationaux sur le contrat de transport maritime, définissant leur propre champ d’application. Ces conventions dites « unifiantes » posent le problème d’application de leurs dispositions directement aux connaissements maritimes rentrant dans leur champ d’application ou indirectement par le biais de leur désignation par les règles de conflit bilatérales.

Nous avons pu constater que la jurisprudence n’était pas fixée sur ce point tantôt recourant à la méthode directe72, tantôt à la méthode in-directe73. Cette position, compromettant les attentes de prévisibilité des parties, est regrettable. Nous avons essayé d’analyser le fondement et les conséquences de deux méthodes concurrentes, appliquées aux contrats internationaux de transport maritime. Nous avons arrivé à la conclusion que la méthode indirecte doit être respectée au premier, évitant ainsi l’imprévisibilité des parties liées à la divergence d’interprétation des tribunaux des conventions internationales. Puis, dans un second plan, afin de respecter les termes précis des ces conventions, il convient de les appliquer, à chaque fois que la situation rentre dans leur domaine d’appli-cation, au titre de règles impératives du for.

Par la suite, nous avons fait été d’une difficulté de qualification de la loi française du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de trans-ports maritimes. Cependant, nous avons conclu que s’il était légitime de retenir la qualification de loi de police sous le régime de la Convention de Rome, aujourd’hui avec le Règlement Rome I, il est plus douteux de la qualifier comme une loi de police française.

71 Op.cit., Cass. 1ère ch. Civ. 12 juillet 2001.72 Op.cit., CA Paris (5ème ch. Sec. A), 5 mai 1999 Navire Aton ; TC Marseille, 15 févr.

1994.73 Op.cit., CA Paris (5ème ch. Sec. A), 2 déc. 1998 Navire Lucy ; CA Aix-en-Provence, 7

mai 1997.

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329Le Connaissement Maritime Et Conflit De Lois

Dernièrement, nous avons analysé les clauses spécifiques du connaissement maritime : les clauses Paramout, et les clauses attributives de juridiction. Les clauses Paramout désignent les conventions interna-tionales comme applicables au connaissement. En effet, cette clause a une fonction d’incorporation des dispositions conventionnelles dans le contrat, à moins que les conventions imposent elles mêmes leur applica-bilité par le seul fait de leur désignation dans une clause Paramout. Dans ce cas spécifique, les dispositions conventionnelles s’appliquent en tant que loi impérative du for, à la condition que la Convention les édictant a été adoptée et ratifiée par l’Etat partie.

Les clauses attributives de juridictions soulèvent leur problème d’opposabilité au tiers porteur du connaissement. La divergence de solu-tions retenues par la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation trouve une limite dans la position consacrée par la Cour de Justice des Communautés Européennes74. En effet, celle-ci adopte une démarche conflictuelle : l’opposabilité de la clause de com-pétence au tiers porteur doit être déterminée selon le droit national applicable. Ce droit national applicable a été jugé être la loi du contrat par la jurisprudence française75, ce faisant elle consacre le caractère non négociable du connaissement maritime.

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