CONGRES 2016 LYON 6 au 8 septembre 2016 -...

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1 Association des Cadres de Direction Retraités des industries électrique et gazière CONGRES 2016 LYON, 6 au 8 septembre 2016 COMPTE RENDU

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Association des Cadres de Direction Retraités

des industries électrique et gazière

CONGRES 2016

LYON, 6 au 8 septembre 2016

COMPTE RENDU

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Notre migration annuelle vers le congrès nous mène à Lyon cette année. Soit ! Après Bordeaux, avant Rodez, nous voici

donc à Lyon, curieux de découvertes, en toute innocence !

Les mystères de Lyon. Dès le premier soir madame Bénédicte Roy, notre conférencière nous met en garde ; elle nous

présente une ville multiple, mystérieuse, brumeuse, ésotérique… Lyon, nous apprend-t-elle, était le Lugdunum romain, la

colline de la Lumière, dédiée d’abord à Lug, un dieu celte à la fois guerrier, artisan et magicien, toujours accompagné de

corbeaux. Déjà tout est dit. Nous sommes au confluent du Rhône et de la Saône et c’est là que se forme leur couple. Le Y

qu’ils dessinent est un signe alchimique essentiel, la trinité agissante du mercure, du soufre et du sel. Ce que savent, bien

sûr, les adeptes de la pierre philosophale. Coincée entre les Alpes et le Massif Central, cette zone du confluent est aussi une

zone de tellurisme, où agissent des puissances secrètes que les hommes ont tenté d’apprivoiser. A l’époque romaine un

temple dédié à Cybèle célébrait ses cultes à mystères venus de Phrygie ; on y a retrouvé des autels tauroboliques. Ici sont

accourus au cours des siècles des légions de médecins-astrologues que les autorités catholiques voyaient d’un mauvais œil

mais qui se trouvaient souvent de puissants protecteurs ; sinon ils ne faisaient pas long feu malgré leur science ! Citons

Simon de Paris, astrologue de Charles VIII au XVème

siècle, puis l’humaniste allemand Cornélius Agrippa que protégea

Marguerite de Navarre, Lazare Meissonnier qui deux siècles plus tard survécut à la peste, conversa en songe avec

l’archange Gabriel et se fit apprécier du pape Alexandre huit. Enfin maître Philippe, accueilli et protégé par Nicolas II de

Russie. Des forces occultes baignent la cathédrale St Jean Baptiste et rayonnent de ce centre d’énergies alchimistes vers

d’autres sanctuaires chrétiens lyonnais. Ici foi et magie s’affrontent et se défient.

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L’alchimie parle le langage secret dit « des oiseaux » ; la « panacée » qu’on recherche est la médecine universelle, et

jusqu’à la fin du XIXème

siècle on a prescrit de la thériaque, un célèbre contrepoison pouvant faire accéder à l’immortalité, à

laquelle Théophraste déjà faisait allusion. L’hermétisme est une science. On évoque les épreuves du Grand Œuvre censé

transformer le plomb en or, ses couleurs et étapes successives reliées aux planètes, le noir à Saturne, le blanc à la lune, le

jaune à Vénus, enfin le rouge au soleil ! Même la cathédrale Saint-Jean, elle encore, porte les traces de ces secrets car ses

sculpteurs gravaient sans que l’on sache ce qu’ils signifiaient de pas chrétien du tout, ainsi un médaillon de quatre lièvres

reliés par les oreilles et évoquant l’Œuvre au noir, les signes du zodiaque, un lapin dévoré par un corbeau, toutes choses pas

vraiment catholiques ! Autres animaux suspects, la licorne et certains détails de ses célèbres tapisseries restent mystérieux.

L’outarde aussi : rare aujourd’hui, elle a inspiré un jeu de l’oie en 63 cases dont les étapes sont celles d’une initiation

secrète. Les contes de la Mère L’Oie relaient ce jeu. Le conte de Peau d’Ane est truffé de signes connus des initiés, la bague

d’émeraude, l’âne producteur d’or, les trois robes au trois couleurs. Comprenne qui pourra. Ajoutons l’ombre sulfureuse de

Petrus Borel qui influença ses contemporains Théophile Gautier et Charles Baudelaire et relança la peur du loup-garou.

Dans le Rhône se cache encore la Machecroûte (appelée Tarasque en Provence) que décrivait déjà Rabelais au XVIème

siècle. Des fêtes rituelles et cruelles eurent longtemps lieu autour du fleuve comme celle des Merveilles où une procession

religieuse aboutissait au Pont au Change, premier pont lyonnais, pour y supplicier un bœuf puis l’écorcher et s’en repaître.

Citons encore des sectes plus récentes, les convulsionnaires du XVIIIème

siècle près de l’église St Nizier, Nostradamus, les

francs maçons de rite écossais rectifié, dont Casanova et La Fayette initiés à Lyon ; le spiritisme grâce auquel on peut

converser avec le monde des morts fut créé par le mage Allan Kardec, et eut beaucoup d’adeptes dont Victor Hugo. Pour

finir ? Lyon avec son Y magique reste foisonnante de mystères sous nos yeux … et sous nos pieds. Aucune autre ville ne

possède autant de traboules, ces passages connus des seuls initiés et qui les rendent insaisissables alors qu’ils passent

invisibles de maison en maison. Si beaucoup de ces chemins secrets sont aujourd’hui munis de grilles et ne remplissent plus

leur rôle initial, s’y retrouver la nuit ou dans le brouillard peut être angoissant. Et il faut y ajouter les restes retrouvés de

deux tunnels, vestiges enfouis d’aqueducs romains et tout un réseau encore inexpliqué de voies en arêtes de poisson sur

lequel les archéologues se penchent avec une perplexité gourmande. Tous ces mystères font le charme sulfureux d’un Lyon

secret qui n’a sûrement pas fini d’enfanter des prophètes illuminés et de faire fantasmer ses visiteurs.

Mercredi 7 septembre 2016

L’essentiel de la journée est placé sous le signe du vin mais pas

exclusivement. Nous quittons notre centre de congrès de Valpré dans un

superbe car à étage, un seul pour tout le groupe (62 personnes), que notre

chauffeur, Daniel, mènera avec maestria. Nous quittons aussi le Beaujolais

du sud que les amis du vin qualifient dédaigneusement de « Beaujolais

bâtard » car les grands crus sont plus loin. Discussion entre les pros sur le

chemin à prendre pour rejoindre Oingt, notre premier site de visite : Lyon

est connue pour ses embouteillages. L’autoroute ce matin ? Non. Et

finalement, oui. Un petit bout de l’A6, puis l’A89, une autoroute entreprise en 1991, récemment achevée, sauf ses

raccordements sur Lyon. Nous traversons Lozanne, qui a constitué longtemps un important relais de diligences sur la route

dite « buissonnière » ou « des lapins » qui menait de Fontainebleau à Lyon ; l’arrivée d’une ligne ferroviaire la ruina mais

elle possède depuis 54 ans une usine de prestige, l’usine Lafarge, maintenue grâce à un partenariat avec la Suisse, célèbre

par ses réalisations dans le monde entier. Nous sommes à présent dans la région dite « des pierres dorées » ; la pierre locale,

un calcaire teinté par des oxydes de fer, colore et embellit toutes les constructions d’une quarantaine de localités autour

d’Oingt.

Oingt et ses pierres dorées. Nommé

Iconium par les Romains, ce village est un

parfait poste d’observation de toute la région,

perché sur sa colline avec une vue qui porte

jusqu’à Lyon et jusqu’au Mont Blanc. Trois

voies romaines s’y croisaient dont l’une

menait de Rome à la Cornouaille. On y entre

aujourd’hui par la grande porte de Nizy, percée

dans les fortifications, qui porte encore le

blason de son seigneur, blanc barré de rouge

avec trois étoiles dorées. Deux châteaux

successifs furent édifiés et le premier, sur sa

motte féodale, incluait une chapelle devenue

église par la suite. Il subsiste de ces temps lointains un grand pan de mur aveugle du second château, juste percé d’une

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petite ouverture trilobée, un chemin de ronde, et une tour de trois étages qui anoblit l’ensemble du site. Notre guide nous

fait remarquer à quelque distance une carrière jouxtée à une tuilerie produisant des tuiles rondes, faites à la commande et à

la main, précieuses pour les restaurations. Autre particularité du lieu un antique pressoir dit « à perroquet », témoin d’une

activité viticole qui se réduit de nos jours. En 2005 Oingt a été proclamé « un des plus beaux villages de France », et si

aujourd’hui il semble presque désert ce sont des hordes de touristes qui s’y pressent au week-end et aux vacances pour le

plus grand dam de ses quelques centaines d’habitants désireux de calme ! C’est la rançon de la gloire et de nombreux

artistes s’y sont installés pour y créer et vendre…Le handicap le plus sérieux fut longtemps la rareté des points d’eau, deux

seulement pour une population bien plus nombreuse qu’aujourd’hui.

Ses rues portent des noms peu engageants, tels Coupe-jarret,

Tire-laine ou Traîne-cul, mais la porte de sa prison reste de

taille modeste, et un groupe de bénévoles très actifs règne sur

ses nombreuses festivités. En effet Oingt est une ville de

traditions et de fêtes. A commencer par la « Vague » qui a lieu

en mars, là et dans les villes des environs. Elle regroupait

jadis les conscrits assez riches pour se racheter en se trouvant

un remplaçant ; ils célébraient leur chance par des chants et

des danses tout au long des rues. La coutume a perduré en se

modifiant : tous les habitants mâles dont l’année de naissance

correspond au millésime en cours, six cette année, se

regroupent, tous âges confondus, pour cavalcader dans les

rues ; la couleur du ruban de leur chapeau indique le nombre

de dizaines d’années dont ils sont riches ! Les femmes se

réunissent de leur côté. En septembre succède le festival des

orgues mécaniques : Oingt possède un musée d’orgues de

Barbarie et s’emplit alors de musiques. Enfin en décembre

arrive la période des crèches qui s’exposent au nombre d’une

centaine pour la joie des badauds. Ne croyez pas pourtant que

la vie à Oingt fut toujours sans nuages ; elle connut invasions,

incendies, destructions, mais au XVIIIème

siècle le curé de Net

entreprit de la restaurer, ainsi que l’église et la cure. Avant de

la quitter, rendons hommage à deux de ses enfants les plus

illustres ; d’abord Marguerite d’Oingt, religieuse, directrice

du couvent de la

Chartreuse de Poleteins

dans l’Ain, dont on a

conservé les écrits

rédigés en trois langues et qui mourut en 1310 ; et le sieur Gaspard de Prony, un

ingénieur, directeur des ponts et chaussées, qui inventa le frein de Prony, un

mécanisme pour la machine à vapeur, et mit au point le cadastre. Nous quittons les

lieux, un peu à regret, en méditant une sentence inscrite sur un mur pour interpeller les

passants : « Le jour où l’on enfermera les cons dans les placards il restera peu de

monde pour fermer les portes. » Que répondre à cela ?

Château de La Chaize. Nous roulons à présent vers le château de La Chaize, construit au XVIIème

siècle par le frère

du Père de La Chaize, confesseur de Louis XIV. Les deux frères sont parvenus à la postérité, par des chemins bien

contrastés, associant leur souvenir, l’un à un superbe domaine de chasses puis de vignobles, l’autre à un illustre cimetière :

les vignes du Seigneur ? Nous avons traversé des vignes peu prestigieuses qui au mieux produisent le Beaujolais nouveau

ou le Beaujolais Village, les dix crus illustres se situant tous au nord de Villefranche/Saône. C’est la capitale administrative

du Beaujolais, une sous-préfecture jadis riche en usines, très diversifiées, qui produisaient de la Blédine, des remorques, des

chambres froides, de la teinturerie, les bleus Lafond. Chemin faisant, Daniel Carret, membre organisateur du congrès et

natif des lieux nous informe que les habitants d’ici sont appelés Caladois car ils se promènent régulièrement devant l’église

Notre Dame où le sol est recouvert de larges dalles, les calades. Nous voici arrivés au château, et en priorité au Caveau, un

bâtiment de plus de cent mètres avec deux ouvertures en son milieu par où sortir les visiteurs trop alcoolisés ! Classé

monument historique le cuvage de la Chaize possède une superbe charpente. Le château, que nous verrons sans y entrer fut

construit en 1676 par l’architecte Jules Hardouin Mansard; c’était à l’origine un vaste domaine de chasses, voué ensuite à la

polyculture puis depuis soixante ans à la vigne exclusivement.

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Le responsable technique qui nous accueille parle de l’appellation Brouilly, la plus au sud, qui s’étend sur 1300 hectares

dont huit pour cent sur la propriété. Trois vins sont produits à partir du même raisin de cépage Gamay, raisin à petits grains

serrés, peau noire et jus blanc. A l’entrée du caveau trône un pressoir

« écureuil » datant de 1872, l’œuvre de compagnons, et qu’on pourrait

encore utiliser. Mais par commodité on privilégie aujourd’hui des cuves

en inox où l’on peut vinifier plus longtemps et un pressoir pneumatique.

Les vignes jeunes, jusqu’à quinze ans, sont soutenues par des piquets ;

ensuite on leur installe des cordons et des palissages ; leur moyenne d’âge

est de 43 ans mais certaines ont jusqu’à 84 ans. Ces ancêtres vénérables

et vénérées produisent peu mais un nectar de qualité exceptionnelle !

Toutefois elles craignent le froid et n’ont rien donné en 2012. Une

remarque en passant : si dans d’autres régions la vigne plonge ses racines

loin dans le sol (10 mètres parfois pour les Bordeaux), ici le granite les arrête à un mètre sous terre.

Les vendanges vont commencer bientôt, vers le 25 septembre, et c’est

toujours un évènement. Trouver de la main d’œuvre française est devenu

quasi impossible et deux hectares seulement se prêtent à une vendange à la

machine. Il y a au château une unité de mise en bouteilles, et soixante pour

cent de la production part à l’export, surtout au Canada et aux USA, un peu

en Chine. Surtout du vin rouge mais aussi du rosé depuis 2008, et il existe

un projet de blanc. En France on le trouve chez Métro. Autre précision : le

vin fermente entre sept et

vingt jours; on laisse leurs

rafles aux raisins de jeunes vignes et on retire celles des autres. Tous les

détails comptent ! Cette production n’est pas bio mais « d’agriculture

raisonnée », ce qui implique de justifier toutes les opérations, d’avoir une

vraie traçabilité, et une surveillance stricte des traitements effectués. Notre

guide nous convie à goûter son vin et c’est toujours un moment fort

plaisant ! La dégustation commence par un rosé 2015 marquise de Roussy

de Challes de plus de treize degrés. Puis un rouge 2014, et un autre d’une

cuvée vieilles vignes de 2013 qui recueille tous nos suffrages. Nous

apprécions les vins mais aussi la clarté des explications fournies et la

gentillesse de l’accueil.

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Hameau Georges Duboeuf. L’heure du déjeuner approche, et notre repas nous attend à Romanèche-Thorins, au

hameau Georges Duboeuf, le fief du Beaujolais

nouveau. Une fois installés dans la vaste halle

métallique toute verte qui fut un hangar de la gare

toute proche et qui sert maintenant de salle de

restaurant, nous avons largement le temps de déguster

de bons vins (Saint Véran, Morgon et Saint Amour)

du fait d’un service un peu long. Mais cela n’entame

pas la bonne humeur du groupe qui est ensuite guidé

vers les attractions du hameau, diversifiées pour

satisfaire tous les publics. Munis de lunettes nous

assistons à un film en 3D sur les vendanges de jadis.

Paul Bocuse et Bernard Pivot en sont les vedettes,

assistés par une jeune fille censée être Cérès, la déesse

des vendanges. Nous traversons alors le chai principal

où le vin est entreposé dans des cuves de chêne

français et se charge en tanin. Chaque barrique

contient 228 litres ; la température ambiante,

climatisée, est de 14 degrés ; le taux d’humidité de 70

pour cent laisse s’évaporer la « part des anges ». De là

nous passons devant des personnages de cire,

personnalités locales regroupées dans un bouchon

lyonnais pour faire la promotion de ce fameux

Beaujolais nouveau lancé dans les années 70. Mais le

plus spectaculaire de notre visite est à venir ! Nous

voici en « nacelles » pour admirer un superbe

panorama de vignobles, qui fait penser à ceux de

l’émission « des racines et des ailes », guidés par deux

petites abeilles plutôt remuantes! En allant du sud vers

le nord du Beaujolais nous traversons des sols de plus

en plus riches, qui donnent des vins de plus en plus

corsés. Quelquefois des lys sont plantés près des

vignes ; les deux fleurissent en même temps et 90

jours plus tard on peut vendanger. Nous visitons

ensuite rapidement une sorte de musée un peu

hétéroclite. Une partie consacrée à l’art du verre nous

offre d’énormes bouteilles, Salomon,

Nabuchodonosor, même Balthazar ! et des verres de

toutes formes et tailles, dont de gros « Bacchus » pour

les assoiffés. Suit une collection de matériel viticole

du XIXème

siècle, des charrues étroites pour passer

entre les vignes, un vieux pressoir en chêne de huit

tonnes, le matériel de traitement des maladies. Par

exemple l’oïdium, le mildiou en 1882, ou en 1873 le

terrible phylloxera qui obligea à arracher tous les ceps

pour les remplacer par des pieds greffés de souches

américaines qu’on se mit alors seulement à planter en

lignes. Nous remarquons aussi un beau vieux bar en étain, qui voisine avec une amphore romaine et une concrétion de

taste-vins de César, nettement plus récente. Une nouvelle dégustation nous attend avec un Chirouble 2015 très fruité suivi

d’un Juliénas 2014. D’anciens orgues de Barbarie avec automates s’animent pour nous. Tout cela se veut récréatif et même

le créateur des lieux, Monsieur Georges Duboeuf, est là. Hélas, c’est sans le remarquer que nous croisons ce personnage de

83 ans, présent aujourd’hui pour le lancement d’un livre sur sa vie et son œuvre.

Tandis que le car nous rapatrie vers Lyon pas question de rêvasser. Nos organisateurs, en la voix de Guy Dupré la Tour,

veulent à présent nous informer sur le pisé. Pourquoi diable le pisé ? Parce qu’il sert à construire des murs de terre crue,

tassée à l’aide d’un pisoir, mot gracieux venu du XVIème

siècle. Et que Lyon est en 2016 la capitale mondiale de la terre

crue. Non ? Le vin d’accord, mais la terre crue ? Qui l’eût cru ? Et bien si ! Son douzième congrès mondial se tient à Lyon

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cette année avec huit cents participants, moult manifestations dans Lyon et l’Isère, et une formule forte : « ma terre

première ». Sachez, bonnes gens, que depuis dix mille ans l’homme construit en terre et qu’aujourd’hui dans le monde un

tiers des maisons sont faites de terre. On peut en faire des châteaux, des maisons-fortes, des fermes, même paraît-il des

HLM : on croit rêver ! La terre requise est issue de dépôts glaciaires de l’ère quaternaire ; attention, pas de sable de rivière.

On fabrique des coffrages pour faire les murs en terre un peu humide, bien tassée et très longue à sécher. Beaucoup

d’architectes travaillent sur ce matériau pas vraiment nouveau mais tellement prometteur, qu’il convient de ne pas

confondre avec du vulgaire torchis. Vous voilà avertis !

Guignol et l’ACDRIEG. Vous croyez sans doute que cette journée si bien remplie est proche

de sa fin ? Et bien vous vous trompez. Le car à peine arrêté, les congressistes se ruent dehors car il

leur faut s’apprêter et revêtir leurs plus beaux atours afin d’assister au repas de gala qui sera

précédé d’un spectacle de marionnettes ! Lyon n’est-il pas la patrie de Guignol ? Il fut inventé vers

1808 par Laurent Mourguet, ainsi que Gnafron qui lui donne la réplique. Ce petit héros incarne

l’humour, l’indépendance et la joie de vivre. Les pièces de son répertoire ne sont pas l’œuvre de

gens instruits mais d’observateurs avisés de la comédie humaine, de la vie des petites gens aussi bien que de celle des

bourgeois. Un magistrat qui fréquentait ces spectacles eut l’excellente idée de les transcrire et sur ces trames souples les

marionnettistes improvisent en toute liberté selon leur public d’enfants ou d’adultes, avec un slogan porteur : « le théâtre

de Guignol amuse les enfants et les gens d’esprit ». Depuis 1948 ce théâtre a installé son castelet au Parc de la Tête d’Or

mais se déplace à la demande. Il est donc à Valpré ce soir et ses spectateurs adultes ne boudent pas leur plaisir. Guignol met

en boîte notre association au sigle compliqué qu’il traduit à sa façon et par la même occasion se moque de Georges Lepin,

délégué Rhône-Alpes, qui a piloté le congrès;

l’ACDRIEG devient ainsi l’association des Croix

Roussiens désireux de se remplir indéfiniment le

gosier ! et se trouve un diminutif « queue de rif ou

queue de rat ». Guignol au chômage est devenu

marchand de coups de bâton, et cette profession

insolite qui ne coûte rien lui rapporte gros d’abord

quand il est payé par un mari pour rosser sa femme

puis par la femme pour rosser le mari. Quand il

comprend que la prochaine volée sera pour lui ce

malin refile au benêt Gnafron ce travail à risque !

Pendant l’apéritif qui suit le spectacle les

marionnettistes se joignent à nous, y compris une

dame très âgée, rieuse et pittoresque, madame

Yvonne Moritz, celle-là même qui installa le castelet au parc de la Tête d’ Or et qui poursuit sa carrière auprès de ses

enfants. On sent que c’est sa vie. Foin de la retraite !

Suit le repas de gala, toujours bon, et apprécié parce que convivial. Et ses rites, discours, remises de médailles, annonce

attendue du prochain congrès, Rodez en 2017, avant que les danseurs ouvrent le bal…Après les agapes du Beaujolais, ce

sera demain une visite de Lyon.

Jeudi 8 septembre 2016.

Le car nous transporte sur la colline

de Fourvière, et de là notre guide

entreprend d’esquisser une

présentation de l’énorme ville

couchée sous nos pieds. Au début,

dit-elle, était la colline de Fourvière

et ses premières habitations autour du

Forum romain, au premier siècle

après J .C. Quand l’eau manqua à

cause d’aqueducs déficients la ville

descendit en bord de Saône, là où se

dresse maintenant la cathédrale

Saint-Jean Baptiste. Au XVIIème

siècle on investit la « presqu’île » et sous Louis XIV la place Bellecour était place Royale. Au XIXème

siècle la colline de la

Croix Rousse était le fief des canuts avec ses traboules et ses appartements de tisseurs, tous orientés au sud. Le Rhône

endigué, ses rives furent ensuite bâties. A l’est la Part-Dieu devint un centre d’affaires quand arriva le TGV en 1983 ; ses

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trois hautes tours dont celle qu’on surnomme le crayon ont belle allure. Pourtant, aux dires de la guide, ce quartier a été

bricolé à l’origine ; c’était un lieu de travail et non de vie, un centre européen dont le nœud ferroviaire est devenu trop

important et où il est évident qu’on n’a rien prévu pour les piétons. L’autre gare plus ancienne, appelée la PLM, fut la

première créée à Perrache, dans la presqu’île où on a construit depuis le grand stade olympique lyonnais. Revenons à

Fourvière. Derrière nous une haute tour métallique édifiée pour l’exposition internationale de 1894 imite la Tour Eiffel ! Ce

fut un lieu d’observation panoramique où on a placé à présent un émetteur. Quant à la basilique Notre-Dame-de-Fourvière,

elle est à peu près contemporaine du Sacré-Cœur-de-Montmartre. Il y avait là une chapelle mariale au Moyen-âge : en 1870

l’archevêque fit vœu de la remplacer par une grande église si la guerre de 1870 épargnait la ville, et ce fut le cas. La

basilique entreprise dès 1872 n’a rien de classique et ne fut jamais vraiment achevée mais elle a grande allure avec ses

mosaïques dorées et ses vitraux qui irradient la lumière. Fourvière conserve de son lointain passé des restes d’aqueduc,

ceux d’un amphithéâtre où des spectacles ont lieu en juin, un riche musée gallo-romain.

L’hyper-centre et la presqu’ile. On ne peut dire que les rues étroites conviennent au passage des cars mais notre

chauffeur est un pro et nous arrivons sans encombre au bord de la Saône. Place des Terreaux, nous observons des vestiges

de l’enceinte qui cernait la ville au Moyen Age. Notre guide désigne les monuments que nous rencontrons, le palais de

Justice dit « des vingt quatre colonnes », l’hôtel de ville où campe Henri IV car c’est à Lyon qu’il vint épouser Marie de

Médicis, l’Opéra transformé par l’architecte Jean Nouvel avec l’ajout d’une très haute verrière à laquelle les Lyonnais

d’abord réticents ont fini par s’habituer. Et nous voici

devant l’atelier d’impression sur soie qui est le lieu de

notre prochaine visite, et où une famille de soyeux

perpétue une technique développée à Lyon depuis le

XVIIème siècle. Dans la première salle l’ouvrier qui

nous accueille, Gabriel, est debout derrière une très

longue table recouverte d’une large bande de soie

blanche bien tendue. Il est à la fois sérigraphiste et

coloriste. Chaque motif, créé par un artiste, est étudié

pour déterminer le nombre de couleurs qu’il contient,

puis ces couleurs sont produites par de savants

mélanges. La pâte d’impression obtenue contient de

la fibre animale et de la gomme arabique : la couleur

ne fuse pas et le motif est donc d’une grande

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précision, identique à l’endroit et à l’envers. Des pochoirs sont préparés par

photogravure, avec un négatif sur polyester obtenu en chambre noire. Il en faut un par

couleur, et il y a donc autant de passages successifs sur le tissu que le motif compte

de couleurs. Le pochoir est fixé sur son cadre et l’ouvrier l’incline légèrement puis

d’un geste rapide et sûr, avec son racloir, il répand la couleur sur le tissu. C’est un

travail d’une grande précision, que nous voyons se répéter huit fois sur la bande de

soie, avec le même pochoir. La couleur sera ensuite fixée à cent vingt degrés puis

lavée pour que la soie ne soit pas rigide. Après intervient l’apprêteur qui projette de la

cire d’abeille sur la soie pour la rendre plus brillante et plus lourde. La finition des

foulards ou cravates se fait à la machine où à la main ; dans ce cas les pièces de soie

sont confiées à des ouvrières travaillant chez elles. Un ourlet rouleauté parfait,

presqu’invisible, sur un carré de 90 sur 90, ne leur prend que quarante minutes : essayez ! Le prix, élevé, dépend de la

qualité de la soie, et les fils proviennent de Chine ou du Brésil ; mais aussi du nombre de couleurs, de la qualité des

finitions, des droits prélevés par les créateurs des motifs. La maison Hermès est parvenue à mécaniser ce travail, permettant

de réaliser en une journée cinq à sept mille carrés, soit plus que ce qu’un ouvrier

produit en un an. Du coup il ne reste plus à Lyon que deux ateliers manuels, où les

ouvriers apprennent leur métier sur le tas. Encore ces ateliers confient-ils le fixage

des couleurs à Hermès, sans jamais entrer dans leurs locaux : top secret ! A l’étage

une autre salle où Laetitia fait de la peinture sur panne de velours, un produit réalisé

uniquement à Lyon. Le velours n’est pas une matière mais la conjonction de deux

couches de mousseline cousues ensemble. Une carte perforée guide

l’entrecroisement des fils, selon une mécanique jacquard. Sur le tissu travaillé

aujourd’hui de gros points sombres et d’autres de couleurs vives, posés de façon

aléatoire, au pinceau ici mais au coton tige si les motifs sont plus fins ! Les couleurs

sont fixées à la vapeur et le tissu lavé a besoin d’un deuxième passage pour écraser la

panne. Une écharpe peut coûter 180 euros. Nous comprenons maintenant pourquoi. Et nous repartons, aussi pensifs

qu’admiratifs devant la complexité de ces arts textiles qui ont fait la gloire de Lyon.

Sur la place des Terreaux la fontaine Bartholdi, la plus célèbre de Lyon, est en réfection depuis un temps certain. La

commande avait été faite par Bordeaux mais le prix la fit renoncer et c’est Lyon qui jouit de cette œuvre, au prix de

quelques transformations. Ainsi la figure féminine du centre ne représente-t-elle plus la Garonne mais la France, et les

quatre chevaux les quatre fleuves français. Nous rencontrons la navette autonome lancée il y a moins d’une semaine ; elle

se passe de conducteur, mais pour l’instant un vigile reste à bord et la surveille ! Elle suscite beaucoup d’enthousiasme et

les Lyonnais sont fiers de sa modernité. Nous traversons maintenant le quartier La Martinière qui doit son nom à un

Lyonnais enrichi au service de la compagnie des Indes orientales, Claude Martin, devenu un important mécène. Cet homme

du siècle des lumières fonda à Lyon le premier lycée technique, encore le

plus grand de la région Rhône-Alpes au début du XIXème

siècle, méritant le

nom de bienfaiteur de la ville. Dans ce quartier on a beaucoup construit de

bâtiments Art Nouveau.

Puis notre périple nous amène devant un grand immeuble dont la façade

donne sur le quai St Vincent, mais deux de ses autres murs sont aveugles et

sur une idée empruntée à Barcelone ils sont devenus prétexte à une œuvre

peinte, le mur des lyonnais célèbres. Bernard Pivot semble sortir d’une

librairie, l’abbé Pierre d’un couloir, Paul Bocuse campe devant le Pot

Beaujolais. Frédéric Dard, le père de San Antonio est là aussi, tandis qu’au

premier étage Jussieux, Mérieux, les frères Lumière et Claude Bernard se

sont regroupés. Plus haut Antoine de Saint Exupéry, né à Lyon en 1900,

tient compagnie à son petit prince, voisinant avec Laurent Mourguet le

créateur de Guignol, André-Marie Ampère et Jean Baptiste Say. Aux étages

supérieurs et dans un certain désordre on reconnaît Maurice Scève et

Louise Labbé, Juliette Récamier, Claude Bourgelat qui fonda la première

école vétérinaire pour chevaux à Lyon puis à Alfort. sainte Blandine et

saint Irénée les observent de haut. Sur un autre mur on trouve l’empereur

romain Claude, Pierre Puvis de Chavannes, Bertrand Tavernier qui réalisa

l’ « horloger de Saint Paul », et d’autres encore, ici illustres mais non

cités ! De l’utilité de ces murs, faussement dits aveugles puisque tant de

célébrités s’y sont installés et nous regardent passer, nous les anonymes !

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Le Vieux Lyon et ses traboules. Ayant traversé la passerelle Saint Vincent et admiré les eaux d’un bleu lumineux de

la Saône nous rejoignons le Vieux Lyon, longtemps en sommeil mais à qui les lois Malraux de 1964 rendirent vie et

activité. Là se trouve la gare Saint Paul qui dessert la banlieue ouest de Lyon. Quantité d’immeubles ont été restaurés avec

des enduits respirants et des couleurs à l’italienne ; le quartier en a été métamorphosé ! Des façades Renaissance étonnent

par leur étroitesse. Nous découvrons quelques traboules et des cours admirables, avec balcons ouverts, loggias et escaliers

en colimaçon d’une élégance raffinée bien que discrète

car les Lyonnais souvent protestants aimaient rester

cachés et discrets. Lyon fut au XVIème

siècle une ville

d’imprimeurs, proche de Genève : ceci explique cela.

Arrivés rue Soufflot nous voici devant le luxueux

musée Gadagne à l’origine d’une expression locale

«riche comme Gadagne », Crésus si vous préférez. Son

entrée modeste donne sur une grande cour qui relie

trois maisons et possède puits et lavabo. La guide parle

même de jardins sur deux niveaux qui mériteraient

notre visite. Ce sera pour une autre fois, peut-être. Il

faut savoir que les Italiens de la Florence des Médicis,

quand ils devenaient trop riches, s’exilaient à Lyon. Ils

ont tissé la soie avant les Français, mais en 1536 deux

genevois ont trahi les secrets de leur art ; François Ier a

donné alors le privilège du tissage aux lyonnais ; Louis

XI à son tour s’y est intéressé. Ce bâtiment est devenu

un musée d’histoire puis le musée international de la marionnette. Nous continuons à trabouler, sortant au dix de la rue St

Jean pour y ré entrer au vingt sept et ressortir au six de la rue des trois Maries ; un vrai labyrinthe réservé aux initiés !

Une passerelle nous attend devant le palais de Justice ; quai des Célestins où il y eut un monastère de cet ordre siège le

théâtre de la ville. Près de la place Bellecour se dresse un cinéma Pathé au design rétro. Nous commençons tous à en avoir

plein les pattes !

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Par chance nous voici enfin

arrivés devant le bouchon

Chabert, un restaurant archi

connu des Lyonnais, et nous

aussi en serons très satisfaits.

La famille propriétaire

possède plusieurs bouchons,

dont celui appelé des

carnivores juste en face du

nôtre. Ce nom de bouchon,

classique ici, fait allusion

paraît-il aux lieux où les

cavaliers de jadis venaient

bouchonner leurs chevaux :

sans doute se restauraient-ils

par la même occasion ? Bien que sans chevaux nous sommes

très bien accueillis alors que notre groupe se fait remarquer,

certains d’entre nous réclamant plus de vin à cor et à cris

comme l’un des héros de Rabelais. Tout cela dans la bonne

humeur ! Les entrées, lentilles, haricots blancs, saucisson,

hareng sont assaisonnés d’une vinaigrette crémée. Des

quenelles à la sauce Nantua les suivent et parmi les desserts

est proposée la fameuse cervelle de canut qui fort

heureusement ne doit pas son nom aux ingrédients qui la

composent.

Musée des Confluences. Nous voilà lestés pour aborder la dernière étape, mais non la moindre, de notre exploration,

à savoir la visite de l’illustrissime et modernissime Musée des Confluences dont la silhouette hors normes ne peut se

confondre avec rien d’autre ! Il ressemble, dit-on, à un nuage qui se serait matérialisé. Il s’agissait pour ses concepteurs de

se détacher des contraintes de l’époque où Le Corbusier alliait le verre à l’acier. Tout a été dessiné à l’ordinateur, les

éléments de construction appropriés étant cherchés ensuite ! On ne peut voir ni boulons ni soudures. Cette architecture

déconstructiviste est née à New York en 1988. Ce projet n’était pas « faisable à l’économie » et en effet les soixante et un

millions prévus ont été multipliés par six ! Les délais prévus n’ont pas pu être respectés non plus. La structure d’ensemble

mesure 190 mètres de long sur 90 de large et 41 de haut. Le projet est composé de trois ensembles, socle, cristal et nuage.

Au niveau du Socle de béton sont les espaces techniques et d’accueil, la restauration et un auditorium. Et les calculs pour

que ses quatorze piliers supportent sans vaciller l’énorme poids de l’ensemble n’ont pas été simples. Cristal, entièrement

vitré, est un libre espace de circulation et offre une perspective sur les berges du Rhône. Quant au Nuage, c’est l’espace des

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expositions avec à son sommet une cafétéria et deux points de vue panoramiques exceptionnels. Les collections exposées

sont très riches : collection de sciences

naturelles à partir d’un cabinet de curiosités du

XVIème

siècle, très grande collection de momies

animales venues d’Egypte, dons du musée des

œuvres pontificales , et beaucoup d’objets

rituels africains récoltés au cours de voyages

exploratoires. Dans quatre grandes salles ont

lieu des expositions à dimension existentielle,

ainsi une sur Antarctica, avec un film sur

l’Antarctique et la marche de l’empereur. Notre

guide nous fait observer le coteau urbanisé de la

Saône, les ponts dont un récent à triple tablier,

toujours le modernisme, la circulation sur

l’autoroute et la voie ferrée qui coupent la

presqu’île en deux. Redescendant par les ascenseurs nous sommes tourneboulés par cet ensemble où tout est clarté, par ce

tournoiement sans cesse recomposé de lignes courbes qui s’entrecroisent et offrent des perspectives toujours changeantes !

Assurément ce musée des Confluences est unique. Derrière lui, au fond du confluent, un parc sera aménagé. Nous sommes

au cœur de cet Y magique dont nous parlait mardi notre première conférencière.

Il nous reste à regagner Valpré et à organiser notre départ après un dernier pot, sans alcool cette fois. A l’année prochaine à

Rodez ! Et d’ici là nous méditerons un dicton lyonnais savoureux et riche en Y: « Le tout, c’est pas d’y faire, c’est d’y

penser. Mais le difficile, c’est pas d’y penser, c’est d’y faire »

JocelYne Bernard