Confrontations familiales dans la tragédie grecque

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    Ressources antiques pour le franais

    Les scnes daffrontement familial dans la tragdie grecque et romaine

    Ces cinq groupes de textes illustrent les querelles familiales les plus clbres dans la mythologie et la tragdieantiques, presque toutes reprises dans des tragdies franaises classiques ou modernes.

    1. DIPE:a. extrait ddipe-roide Sophocle : affrontement dOedipe et de Tirsias,v. 300462.b. extrait ddipede Snque : affrontement dOedipe et de Cron,v. 660708.

    2. ANTIGONE : affrontement dAntigone et de Cron,v. 446581.

    3. MDE :a. extrait de MdedEuripide: affrontement de Mde et de Jason,scne finale.b. extraits de Mdede Snque : affrontement de Mde et de Jason,v. 431578

    Mde tue ses enfants,scne finale.

    4. LES ATRIDES : extrait de Thyestede Snque : affrontement de Thyeste et dAtre,v. 9691112.

    5. LECTRE :a) extrait des ChophoresdEschyle: affrontement de Clytemnestre et dlectre,v. 890932.b) extraits dlectrede Sophocle : affrontement de Clytemnestre et dOreste,v. 516633.

    affrontement dOreste et dgisthe,v. 1442fin.c) extrait dAgamemnonde Snque : affrontement Clytemnestregisthelectre,v. 944 - 1000.

    On trouvera une brve introduction au thtre antique dans deux dossiers sur le mme site :La tragdie Athneset Tragdie et comdie Rome.

    Pistes pdagogiques :1. Dans les classes du 2ecycle les programmes applicables partir de 2011 prvoient dinclure dans le corpus

    duvres thtrales des textes et documents permettant de dcouvrir les uvres du thtre grec et latin,aussi bien en Seconde (objet dtude la tragdie et la comdie au XVIIe sicle : le classicisme ) quenPremire (objet dtude le texte thtral et sa reprsentation, du XVIIe sicle nos jours ).

    2. Cette srie de textes prsente un point de vue particulier, les rapports conflictuels au sein des familles dehros mythologiques vus par les principaux auteurs tragiques anciens.Ces textes sont mettre en relation avec de nombreuses tragdies franaises, non seulement les rcrituresdes grands mythes (Oedipe et ses descendants, les Atrides, Mde, Phdre), mais aussi dautres pices o leconflit lintrieur dune ou plusieurs familles est un thme central : chez Corneille, par exemple Horace,Polyeucte, Nicomde, La Mort de Pompe; chez Racine, Britannicus, Bajazet, Mithridate, Athalie. Au XIXesicle, certaines pices de Hugo (Lucrce Borgia, Le Roi samuse), de Dumas, Chattertonde Vigny, Pellaset Mlisandede Maeterlinck. Et au XXe sicle, les pices de Claudel ou Cocteau jusqu Kolts, Lagarce et

    bien dautres nhsitent pas reproduire et rnover les affrontements familiaux lancienne.3. On pourra faire porter ltude sur une comparaison entre textes anciens et textes modernes avec les mmes

    personnages : Mde, lectre, Antigone.On pourra tudier aussi certains thmes particuliers :

    la progression dramatique de la violence verbale les rapports parents - enfants dans leurs diffrentes formes (mre fille, beau-pre belle-fille,

    beau-prebeau-fils) les rapports entre adultes de mme rang (frres, beaux-frres, poux) la tension dramatique amene par le langage (les phrases double entente, les anticipations

    prophtiques, les maldictions, les hypotyposes) les conflits de valeurs et lopposition des stratgies argumentatives

    Franois Hubert, fvrier [email protected]

    http://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/lettres/langues-et-cultures-de-lantiquite/ressources-antiques-pour-le-francais/http://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/lettres/langues-et-cultures-de-lantiquite/ressources-antiques-pour-le-francais/http://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/lettres/langues-et-cultures-de-lantiquite/ressources-antiques-pour-le-francais/mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/lettres/langues-et-cultures-de-lantiquite/ressources-antiques-pour-le-francais/
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    DIPE

    1. Sophocle, dipe Roi, v. 300462. Traduction Hachette, 1898. Source :Hodoi.

    Tragdie joue peut-tre vers 430 av. J.-C, qui servit un sicle plus tard de modle Aristote dans sa Potique.dipe vient de convoquer le devin aveugle Tirsias pour apprendre de lui les causes de la peste sur Thbes, dontloracle de Delphes a rvl quelle tait lie au meurtreancien du roi Laos, qui Oedipe a succd.

    DIPE. Tirsias, qui comprends toutes choses, permises ou dfendues, ouraniennes

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    et terrestres, bien que tune voies pas, tu sais cependant de quel mal cette ville est accable, et nous n'avons trouv que toi, Seigneur, pourprotecteur et pour sauveur. Phoibos 2, en effet, si tu ne l'as appris dj de ceux-ci, nous a rpondu par nos envoysque l'unique faon de nous dlivrer de cette contagion tait de donner la mort aux meurtriers dcouverts de Laos 3,ou de les chasser en exil. Ne nous refuse donc ni les augures par les oiseaux, ni les autres divinations ; dlivre la villeet toi-mme et moi ; efface cette souillure due au meurtre de l'homme qu'on a tu. Notre salut dpend de toi. Il n'estpas de tche plus illustre pour un homme que de mettre sa science et son pouvoir au service des autres hommes.TIRSIAS.Hlas ! hlas ! qu'il est dur de savoir, quand savoir est inutile ! Ceci m'tait bien connu, et je l'ai oubli,car je ne serais point venu ici.DIPE.Qu'est-ce ? Tu sembles plein de tristesse.TIRSIAS.Renvoie-moi dans ma demeure. Si tu m'obis, ce sera, certes, au mieux pour toi et pour moi.DIPE.Ce que tu dis n'est ni juste en soi, ni bon pour cette ville qui t'a nourri, si tu refuses de rvler ce que tusais.

    TIRSIAS.Je sais que tu parles contre toi-mme, et je crains le mme danger pour moi.DIPE. Je t'adjure par les Dieux ! ne cache pas ce que tu sais. Tous, tant que nous sommes, nous nousprosternons en te suppliant.TIRSIAS.Vous dlirez tous ! Mais je ne ferai pas mon malheur, en mme temps que le tien !DIPE.Que dis-tu ? Sachant tout, tu ne parleras pas ? Mais tu as donc dessein de nous trahir et de perdre la ville ?TIRSIAS.Je n'accablerai de douleur ni moi, ni toi. Pourquoi m'interroges-tu en vain ? Tu n'apprendras rien de moi.DIPE.Rien ! le pire des mauvais, tu ne diras rien ! Certes, tu mettrais la fureur dans un cur de pierre. Ainsi turesteras inflexible et intraitable ?TIRSIAS. Tu me reproches la colre que j'excite, et tu ignores celle que tu dois exciter chez les autres. Etcependant tu me blmes !DIPE.Qui ne s'irriterait, en effet, en entendant de telles paroles par lesquelles tu mprises cette ville ?TIRSIAS.Les choses s'accompliront d'elles-mmes, quoique je les taise.

    DIPE.Puisque ces choses futures s'accompliront, tu peux me les dire.TIRSIAS.Je ne dirai rien de plus. Laisse-toi entrainer comme il te plaira, la plus violente des colres.DIPE.Certes, enflamm de fureur comme je le suis, je ne tairai rien de ce que je souponne. Sache donc que tume sembles avoir pris part au meurtre, que tu l'as mme commis, bien que tu n'aies pas tu de ta main. Si tu n'taispas aveugle, je t'accuserais seul de ce crime.TIRSIAS.En vrit ? Et moi je t'ordonne d'obir au dcret que tu as rendu, et, ds ce jour, de ne plus parler aucun de ces hommes, ni moi, car tu es l'impie qui souille cette terre.DIPE.Oses-tu parler avec cette impudence, et penses-tu, par hasard, sortir de l impuni ?TIRSIAS.J'en suis sorti, car j'ai en moi la force de la vrit.DIPE.Qui t'en a instruit ? Ce n'est point ta science.TIRSIAS.C'est toi, toi qui m'as contraint de parler.DIPE.Qu'est-ce ? Dis encore, afin que je comprenne mieux.

    TIRSIAS.N'as-tu pas compris dj ? Me tentes-tu, afin que j'en dise davantage ?DIPE.Je ne comprends pas assez ce que tu as dit. Rpte.TIRSIAS.Je dis que ce meurtrier que tu cherches, c'est toi !DIPE.Tu ne m'auras pas impunment outrag deux fois !TIRSIAS.Parlerai-je encore, afin de t'irriter plus encore ?DIPE.Autant que tu le voudras, car ce sera en vain.TIRSIAS.Je dis que tu t'es uni trs honteusement, sans le savoir, ceux qui te sont les plus chers et que tu nevois pas en quels maux tu es !DIPE.Penses-tu toujours parler impunment ?TIRSIAS.Certes ! S'il est quelque force dans la vrit.DIPE.Elle en a sans doute, mais non par toi. Elle n'en a aucune par toi, aveugle des oreilles, de l'esprit et desyeux !TIRSIAS. Malheureux que tu es ! Tu m'outrages par les paroles mmes dont chacun de ceux-ci 4 t'outragerabientt !

    1Clestes.2Autre nom dApollon, le dieu de la divination3Roi auquel a succd dipe, qui ne sait pas encore quil est son fils et son meurtrier.4Tirsias dsigne le chur, compos de vieillards thbains.

    http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/files/aclassftp/TEXTES/SOPHOCLE/oedipe_roi_fr.txthttp://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/files/aclassftp/TEXTES/SOPHOCLE/oedipe_roi_fr.txthttp://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/files/aclassftp/TEXTES/SOPHOCLE/oedipe_roi_fr.txthttp://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/files/aclassftp/TEXTES/SOPHOCLE/oedipe_roi_fr.txt
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    DIPE.Perdu dans une nuit ternelle 1, tu ne peux nous blesser ni moi, ni aucun de ceux qui voient la lumire.TIRSIAS.Ta destine n'est point de succomber par moi. Apollon 2y suffira. C'est lui que ce soin regarde.DIPE.Ceci est-il invent par toi ou par Cron 3?TIRSIAS.Cron n'est point cause de ton mal. Toi seul es ton propre ennemi.DIPE. richesse, puissance, gloire d'une vie illustre par la science et par tant de travaux, combien vousexcitez d'envie ! puisque, pour cette mme puissance que la ville a remise en mes mains sans que je l'aie demande 4,Cron, cet ami fidle des l'origine, ourdit secrtement des ruses contre moi et s'efforce de me renverser, ayant sduitce menteur, cet artisan de fraudes, cet imposteur qui ne voit que le gain, et n'est aveugle que dans sa science !

    Allons ! dis-moi, o t'es-tu montr un sr divinateur ? Pourquoi, quand elle tait l, la Chienne

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    aux paroles obscures,n'as-tu pas trouv quelque moyen de sauver les citoyens ? tait-ce au premier homme venu d'expliquer l'nigme,plutt qu'aux divinateurs ? Tu n'as rien fait ni par les augures des oiseaux, ni par une rvlation des Dieux. Et moi,Oedipe, qui arrivais ne sachant rien, je fis taire la Sphinx par la force de mon esprit et sans l'aide des oiseauxauguraux 6. Et c'est l l'homme que tu tentes de renverser, esprant t'asseoir auprs de Cron sur le mme trne !Mais je pense qu'il vous en arrivera malheur, toi et celui qui a ourdi le dessein de me chasser de la ville commeune souillure. Si je ne croyais que la vieillesse t'a rendu insens, tu saurais bientt ce que coutent de tels desseins.LE CHUR. Autant que nous en jugions, ses paroles et les tiennes, Oedipe, nous semblent pleines d'une chaudecolre. Il ne faut point s'en occuper, mais rechercher comment nous accomplirons pour le mieux l'oracle du Dieu.TIRSIAS. Si tu possdes la puissance royale, il m'appartient cependant de te rpondre en gal. J'ai ce droit eneffet. Je ne te suis nullement soumis, mais Loxias 7; et je ne serai jamais inscrit comme client de Cron. Puisque tum'as reproch d'tre aveugle, je te dis que tu ne vois point de tes yeux au milieu de quels maux tu es plong, ni avecqui tu habites, ni dans quelles demeures. Connais-tu ceux dont tu es n ? Tu ne sais pas que tu es l'ennemi des tiens,

    de ceux qui sont sous la terre et de ceux qui sont sur la terre. Les horribles excrations maternelles et paternelles,s'abattant la fois sur toi, te chasseront un jour de cette ville. Maintenant tu vois, mais alors tu seras aveugle. O negmiras-tu pas ? Quel endroit du Cithron 8ne retentira-t-il pas de tes lamentations, quand tu connatras tes nocesaccomplies et dans quel port fatal tu as t pouss aprs une navigation heureuse ? Tu ne vois pas ces misres sansnombre qui te feront l'gal de toi-mme et de tes enfants. Maintenant, accable-nous d'outrages, Cron et moi, caraucun des mortels ne succombera plus que toi sous de plus cruelles misres.DIPE.Qui pourrait endurer de telles paroles ? Va-t'en, abominable ! hte-toi ! sors de ces demeures, et sansretour !TIRSIAS.Certes, je ne serais point venu, si tu ne m'avais appel.DIPE.Je ne savais pas que tu parlerais en insens ; car, le sachant, je ne t'eusse point press de venir dans mademeure.TIRSIAS.Je te semble insens, mais ceux qui t'ont engendr me tenaient pour sage.

    DIPE.Qui sont-ils ? Arrte ! Qui, parmi les mortels m'a engendr ?TIRSIAS.Ce mme jour te fera natre et te fera mourir.DIPE.Toutes tes paroles sont obscures et incomprhensibles.TIRSIAS.N'excelles-tu pas comprendre de telles obscurits ?DIPE.Tu me reproches ce qui me fera grand.TIRSIAS.C'est cela mme qui t'a perdu.DIPE.J'ai dlivr cette ville et je ne le regrette pas.TIRSIAS.Je m'en vais donc. Toi, enfant 9, emmne-moi.DIPE.Certes, qu'il t'emmne, car, tant prsent, tu me troubles et tu me gnes ! Loin d'ici, tu ne me pserasplus.TIRSIAS.Je m'en irai, mais je dirai d'abord pourquoi je suis venu ici sans peur de ton visage, car tu es impuissant me perdre jamais. Cet homme que tu cherches, le menaant de tes dcrets cause du meurtre de Laos, il est ici.

    On le dit tranger, mais il sera bientt reconnu pour un Thbain indigne, et il ne s'en rjouira pas. De voyant ildeviendra aveugle, de riche pauvre, et il partira pour une terre trangre 10. Il sera en face de tous le frre de sonpropre enfant, le fils et l'poux de celle de qui il est n, celui qui partagera le lit paternel et qui aura tu son pre.Entre dans ta demeure, songe ces choses, et si tu me prends mentir, dis alors que je suis un mauvais divinateur.

    haut du document

    1Allusion la ccit du devin.2Apollon, qui a envoy la peste, protge Tirsias, et accablera Oedipe.3Cron, frre de la reine Jocaste, est souponn de vouloir renverser Oedipe, arriv comme un tranger Thbes.4Oedipe tait de passage Thbes quand il a rpondu victorieusement lnigme de la Sphinx et reu le pouvoir avec la main de Jocaste.5Surnom de la Sphinx.6Le vol des oiseaux tait un moyen de divination.7Autre nom encore dApollo, lOblique.8Montagne sauvage proche de Thbes.9Laveugle est guid par un petit esclave.10dipe mourra en exil Athnes.

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    2. Snque, Oedipe, v. 660-708. Traduction Nisard, 1850. Source :remacle.org.

    Au 1ersicle de notre re, le philosophe stocien latin Snque, qui fut le prcepteur du futur empereur Nron, crivitaussi des tragdies dont neuf ont t conserves. Sur des sujets mythologiques grecs, elles sont pourtant trsdiffrentes des tragdies grecques et nont probablement pas t reprsentes au thtre.

    dipe, devenu roi de Thbes, a appris quil aurait tu son pre et pous sa mre, mais ne sait pas quil est unenfant trouv. Il accuse donc de complot Cron, frre de sa femme (et mre) Jocaste, et Tirsias, le devin aveugle.

    OEDIPE.Tout ce que je craignais de faire, on m'accuse de l'avoir fait ! Mrope, toujours unie Polybe 1, repoussecet incestueux hymen. Polybe vivant me justifie du parricide qui m'est imput. Mon pre et ma mre m'absolvent demeurtre et d'inceste. De quoi pourrait-on encore m'accuser ? Thbes pleurait la mort de Laus 2longtemps avant que

    j'eusse touch le sol de la Botie 3. Le devin s'est-il tromp ? ou Apollon veut-il accabler cette ville d'un nouveaumalheur ? Non, non : je dcouvre les complices d'une adroite conspiration. C'est une calomnie de Tirsias qui faitmentir les dieux pour faire passer mon sceptre dans vos mains.CRON.Moi, penser dtrner ma sur ? Quand la foi qui me lie ma famille ne suffirait pas pour me retenir ma place, j'aurais craindre, au moins, les dangers d'une lvation entoure de soucis et d'alarmes. Tandis que tu lepeux encore sans pril, c'est toi de dposer volontairement un fardeau qui bientt taccablera. Une moindre fortuneest pour toi plus sure.OEDIPE.Quoi ! tu m'invites dposer le sceptre, comme trop pesant pour moi !CRON.C'est un conseil que je donnerais des rois qui seraient libres de rester sur le trne ou d'en descendre.

    Mais toi, tu es forc de subir les ncessits de ton rang.OEDIPE. Louer la mdiocrit, vanter le repos et les dlices d'une vie oisive, telle est la marche ordinaire d'unambitieux qui veut rgner. Ce calme apparent n'est souvent que le masque d'un esprit inquiet.CRON.Ma fidlit toute preuve ne rpond-elle pas suffisamment de tels reproches ?OEDIPE.La fidlit n'est pour les perfides qu'un moyen de nuire.CRON. Sans porter le poids de la royaut, je jouis de tous les avantages du rang suprme. Mes concitoyenss'empressent dans mon palais. Voisin du trne, je vois tous les jours leurs dons enrichir ma demeure. Meublessomptueux, table opulente, grces obtenues par mon crdit, que manque-t-il mon bonheur ?OEDIPE.Ce que tu n'as pas. Jamais on ne se contente du second rang.CRON.Tu me condamnes donc comme coupable, sans m'entendre.OEDIPE. Moi-mme, vous ai-je rendu compte de ma vie ? Tirsias a-t-il examin ma cause ? Cependant il medclare criminel. C'est un exemple que vous me donnez, je veux le suivre.CRON.Et si je suis innocent ?OEDIPE.Pour les rois un soupon vaut une certitude.CRON.S'effrayer ainsi sans sujet, c'est mriter de courir un danger rel.OEDIPE.Un coupable absous hait toujours celui qui lui a fait grce.CRON.C'est ainsi qu'on s'attire la haine.OEDIPE.Un roi qui craint trop la haine ne sait pas rgner. La crainte est le rempart des trnes.CRON.Le roi qui gouverne avec un sceptre de fer finit par redouter ceux qui le redoutent. La crainte retourne celui qui l'inspire.OEDIPE.Arrtez ce coupable et renfermez-le dans une tour. Je rentre dans mon palais.

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    1Parents adoptifs ddipe, Corinthe.Comme ils sont toujours en vie, Oedipe considre que loracle est faux.2Pre rel ddipe, tu dans une rixe par un inconnu, loin de Thbes.3Rgion de Grce, dont la capitale est Thbes.

    Oedipe et le Sphinx, v. 480 av. J.-C. Source :wikimedia commons

    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/seneque/oedipe.htmhttp://remacle.org/bloodwolf/philosophes/seneque/oedipe.htmhttp://remacle.org/bloodwolf/philosophes/seneque/oedipe.htmhttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oidipous_sphinx_MGEt_16541_reconstitution.svg?uselang=frhttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oidipous_sphinx_MGEt_16541_reconstitution.svg?uselang=frhttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oidipous_sphinx_MGEt_16541_reconstitution.svg?uselang=frhttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oidipous_sphinx_MGEt_16541_reconstitution.svg?uselang=frhttp://remacle.org/bloodwolf/philosophes/seneque/oedipe.htm
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    ANTIGONE

    Sophocle,Antigone, v. 446581. Traduction Leconte de Lisle. Source :remacle.org.

    La tragdie de Sophocle (496-406) a probablement t joue en 441 av. J.-C, avant le milieu dune carrire qui duraprs de soixante-dix ans. Des cent trente pices quon lui attribuait seules sept ont survcu peu prs entires. Lextrait suivant se situe la fin du deuxime pisode: Antigone vient dtre saisie par le garde sur la tombe dePolynice et amene Cron.

    CRON.Mais toi, rponds-moi en peu de mots et brivement : connaissais-tu l'dit qui dfendait ceci ?ANTIGONE.Je le connaissais. Comment l'aurais-je ignor ? Il est connu de tous.CRON.Et ainsi, tu as os violer ces lois ?

    ANTIGONE.C'est que Zeus ne les a point faites, ni la Justice qui sige auprs des Dieux souterrains. Et je n'ai pascru que tes dits pussent l'emporter sur les lois non crites et immuables des Dieux, puisque tu n'es qu'un mortel. Cen'est point d'aujourd'hui, ni d'hier, qu'elles sont immuables ; mais elles sont ternellement puissantes, et nul ne saitdepuis combien de temps elles sont nes. Je n'ai pas d, par crainte des ordres d'un seul homme, mriter d'trechtie par les Dieux.Je savais que je dois mourir un jour, comment ne pas le savoir ? mme sans ta volont. Et si je meurs avant le temps,ce me sera un bien, je pense. Quiconque vit comme moi au milieu d'innombrables misres, celui-l n'a-t-il pas profit mourir ? Certes, la destine qui m'attend ne m'afflige en rien. Si j'avais laiss non enseveli le cadavre de l'enfant dema mre 1, cela m'et afflige ; mais ce que j'ai fait ne m'afflige pas. Et si je te semble avoir agi follement, peut-tre

    suis-je accuse de folie par un insens.LE CORYPHE. L'esprit inflexible de cette enfant vient d'un pre 2 semblable elle. Elle ne sait point cder aumalheur.CRON.Sache cependant que ces esprits inflexibles sont dompts plus souvent que d'autres. C'est le fer le plussolidement forg au feu et le plus dur que tu vois se rompre le plus aisment. Je sais que les chevaux fougueux sontrprims par le moindre frein, car il ne convient point d'avoir un esprit orgueilleux qui est au pouvoir d'autrui. Celle-ci savait qu'elle agissait injurieusement en osant violer des lois ordonnes ; et, maintenant, ayant accompli le crime,elle commet un autre outrage en riant et en se glorifiant de ce qu'elle a fait. Que je ne sois plus un mle, qu'elle ensoit un elle-mme, si elle triomphe impunment, ayant os une telle chose ! Mais, bien qu'elle soit ne de ma sur 3,bien qu'elle soit ma plus proche parente, ni elle, ni sa sur 4 n'chapperont la plus honteuse destine, car jesouponne cette dernire non moins que celle-ci d'avoir accompli cet ensevelissement. Appelez-la. Je l'ai vue dans lademeure, hors d'elle-mme et comme insense. Le cur de ceux qui ourdissent le mal dans les tnbres a coutumede les dnoncer avant tout. Certes, je hais celui qui, saisi dans le crime, se garantit par des belles paroles.

    ANTIGONE.Veux-tu faire plus que me tuer, m'ayant prise ?CRON.Rien de plus. Ayant ta vie, j'ai tout ce que je veux.

    ANTIGONE.Que tardes-tu donc ? De toutes tes paroles aucune ne me plait, ni ne saurait me plaire jamais, et, demme, aucune des miennes ne te plait non plus. Pouvais-je souhaiter une gloire plus illustre que celle que je me suisacquise en mettant mon frre sous la terre ? Tous ceux-ci 5diraient que j'ai bien fait, si la terreur ne fermait leurbouche ; mais, entre toutes les flicits sans nombre de la tyrannie, elle possde le droit de dire et de faire ce qui luiplait.CRON.Tu penses ainsi, seule de tous les Cadmens 6.

    ANTIGONE, dsignant le choeur.Ils pensent de mme, mais ils compriment leur bouche pour te complaire.CRON.N'as-tu donc point honte de ne point faire comme eux ?

    ANTIGONE.Certes, non ! car il n'y a aucune honte honorer ses proches.CRON.N'tait-il pas ton frre aussi, celui qui est tomb en portant les armes pour une cause oppose 7?

    ANTIGONE.De la mme mre et du mme pre.CRON.Pourquoi donc, en honorant celui-l, es-tu impie envers celui-ci ?

    ANTIGONE.Celui qui est mort 8ne rendrait pas ce tmoignage.CRON.Il le ferait sans doute, puisque tu honores l'impie autant que lui.

    ANTIGONE.Polynice est mort son frre et non son esclave.CRON.Il est mort en dvastant cette terre, tandis que l'autre combattait vaillamment pour elle.

    ANTIGONE.Hads applique tous les mmes lois.CRON.Mais le bon et le mauvais n'ont pas le mme traitement.

    ANTIGONE.Qui peut savoir si cela est ainsi dans l'Hads ?CRON.Jamais un ennemi, mme mort, ne devient un ami.

    ANTIGONE.Je suis ne non pour une haine mutuelle, mais pour un mutuel amour.

    1

    Polynice.2dipe.3Il sagit de Jocaste ; Cron a pris le pouvoir Thbes aprs le suicide de celle-ci et lexil ddipe, mort entre temps Ahnes.4Ismne na pas particip lacte interdit, mais elle va venir partager le sort dAntigone.5Dsigne le chur, des vieillards de Thbes.6Dsigne les habitants de Thbes, du nom de Cadmos, le fondateur de la ville.7tocle.8Expression volontairement ambigu, qui dsigne tocle mais peut sappliquer Polynice.

    http://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Antigone.htmhttp://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Antigone.htmhttp://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Antigone.htmhttp://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Antigone.htm
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    CRON.Si ta nature est d'aimer, va chez les morts et aime-les. Tant que je vivrai, une femme ne commandera pas.

    LE CORYPHE.Voici, devant les portes, Ismne qui verse des larmes cause de sa sur. Le nuage qui tombe deses sourcils altre son visage qui rougit, et sillonne de larmes ses belles joues.CRON.Hol ! toi, qui es entre secrtement dans ma demeure, comme une vipre, pour boire tout mon sang, car

    je ne savais pas que je nourrissais deux calamits, deux pestes de mon trne, viens ! Parle enfin : avoueras-tu que tuas aid cet ensevelissement, ou jureras-tu que tu l'ignorais ?ISMNE.J'ai commis ce crime, si celle-ci l'avoue pour sa part. J'ai particip au fait et au crime.

    ANTIGONE.La justice ne consent point cela, car tu n'as point voulu agir et je n'ai rien fait en commun avec toi.ISMNE.Mais je n'ai point honte, dans ton malheur, de partager ta destine.ANTIGONE.Hads et les Ombres 1savent qui a fait cela. Je n'aime pas qui ne m'aime qu'en paroles.ISMNE.Je te supplie, sur, de ne point ddaigner que je meure avec toi pour avoir rendu de lgitimes devoirs aumort.

    ANTIGONE.Tu ne mourras pas avec moi et tu n'auras point l'honneur que tu n'as pas mrit. C'est assez que jemeure.ISMNE.Comment la vie peut-elle m'tre douce sans toi ?

    ANTIGONE.Demande-le Cron, puisque tu t'es inquite de lui.ISMNE.Pourquoi m'affliges-tu ainsi sans profit pour toi ?

    ANTIGONE.Certes, je gmis de te railler ainsi.ISMNE.De quelle faon puis-je te venir en aide maintenant ?

    ANTIGONE.Sauve ta propre vie. Je ne t'envie point d'chapper la mort.

    ISMNE.Oh ! malheureuse que je suis ! je ne partagerai point ta destine.ANTIGONE.Tu as souhait de vivre, et j'ai souhait de mourir.ISMNE.Mes conseils du moins ne t'ont pas manqu.

    ANTIGONE.Tu parlais sagement pour ceux-ci 2, et moi je semblais sage aux morts.ISMNE.Mais cette faute est la ntre toutes deux.

    ANTIGONE.Prends courage, vis ! Pour moi, mon me est dj partie et ne sert plus qu'aux morts.CRON.Je pense que l'une de ces jeunes filles a perdu l'esprit et que l'autre est ne insense.ISMNE.L'esprit des malheureux, Roi, ne reste pas ce qu'il a a t et change de nature.CRON, Ismne.Certes, le tien est chang, puisque tu veux avoir mal agi de moiti avec les impies.ISMNE.Comment pourrai-je vivre seule et sans elle ?CRON.Ne parle plus d'elle, car elle n'est plus dsormais.ISMNE.Tueras-tu donc la fiance de ton propre fils 3?

    CRON.On peut ensemencer d'autres seins.ISMNE.Rien ne convenait mieux l'un et l'autre.CRON.Je hais de mauvaises pouses pour mes fils.ISMNE. trs cher Hmon, combien ton pre t'outrage !CRON.Vous m'tes importunes, toi et tes noces.LE CORYPHE.Priveras-tu ton fils de celle-ci ?CRON.Hads mettra fin ces noces.LE CORYPHE.Il est rsolu, semble-t-il, qu'elle recevra la mort.CRON.Il te semble comme moi. Que tout retard cesse, et menez-les dans la demeure, esclaves ! Il convient degarder ces femmes avec vigilance et de ne pas les laisser aller librement, car les audacieux s'chappent, quand ilsvoient que l'Hads est proche.

    haut du document

    1Le texte grec dit ceux den bas, cest--dire les morts, fantmes sur lesquels rgne Hads.2Cron et le chur, et en gnral ceux qui font le choix de vivre.3Hmon, qui Antigone tait destine.

    Plaque de Limoges. Source :RMN.

    http://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/Z9WY52/06-532099.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/Z9WY52/06-532099.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/Z9WY52/06-532099.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/Z9WY52/06-532099.jpg
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    MDE

    Texte 1. Euripide, Mde, v. 1293-1419. Traduction Berguin. Source :remacle.org.

    La pice est date de 431.La scne est Corinthe, o Mde a accompagn son mari Jason avec leurs deux enfants. Mais aprs avoir apprisque Jason la rpudiait et allait pouser la fille du roi de Corinthe, elle se venge en empoisonnant la fiance et en tuantses propres enfants.

    JASON. Femmes 1, qui vous tenez ici prs du palais, est-elle encore dans la maison, Mde qui a commis ceshorribles crimes, ou s'est-elle loigne en fuyant ? Car il faut qu'elle se cache sous la terre ou qu'elle s'lve sur desailes dans les profondeurs de l'ther si elle ne veut pas payer sa dette la maison royale. Croit-elle qu'aprs avoir tules souverains du pays, impunment elle s'enfuira de ce palais ? Mais je me soucie moins d'elle que des enfants. Elle,ses victimes lui vaudront le mal qu'elle leur a fait. C'est la vie de mes enfants que je suis venu sauver : je crains queles parents de Cron 2ne leur fassent du mal et ne vengent le meurtre impie de leur mre.LE CORYPHE. Infortun ! Tu ne sais pas l'tendue de tes malheurs, Jason ; sinon, tu n'aurais pas tenu celangage.JASON.Qu'y a-t-il ? Veut-elle me tuer moi aussi ?LE CORYPHE.Tes fils sont morts de la main de leur mre.

    JASON.Malheur ! Que me dis-tu ? Ah ! quel coup mortel pour moi, femme !LE CORYPHE.Oui, tes enfants ne sont plus, sache-le bien.JASON.O les a-t-elle tus ? Dans le palais ? ou dehors ?LE CORYPHE.Ouvre les portes : tu verras tes enfants gorgs.JASON ( des esclaves).Tirez les verrous, serviteurs. Vite ! Faites sauter les gonds, pour que je voie mon doublemalheur ; eux qui sont morts, et elle (dans un rugissement) que je chtierai. (Mde apparait sur un char train pardes dragons ails, les corps de ses enfants ses pieds.)MDE. Pourquoi branles-tu et forces-tu ces portes ? Pour chercher les morts et moi qui les ai fait prir ?pargnetoi cette peine : si tu as besoin de moi, dis ce que tu veux. (Jason s'lance pour l'atteindre.) Ta main ne metouchera jamais. Voil le char que le Soleil, pre de mon pre, m'a donn comme rempart contre une main ennemie.JASON. monstre ! femme odieuse entre toutes aux dieux, moi, et la race entire des hommes ! Quoi ! sur

    tes enfants tu as os porter le glaive, aprs les avoir mis au monde, pour me faire prir en m'enlevant mes fils ! Etaprs ce forfait tu regardes le Soleil et la Terre, quand tu as os le crime le plus impie ! Puisses-tu prir ! Pour moi,aujourd'hui je suis sens, mais j'tais insens quand de ta demeure et d'un pays barbare je t'ai emmene en Grce mon foyer, horrible flau, tratresse ton pre et la terre qui t'avait nourrie. Ton gnie vengeur, c'est contre moique l'ont lanc les dieux, car tu avais tu ton frre ton foyer quand tu montas sur le navire Argo la belle proue 3.C'est par l que tu as commenc. Devenue ma femme et aprs m'avoir donn des enfants, par jalousie tu les as faitprir. Il n'est pas de femme grecque qui et jamais os un tel crime et pourtant avant elles je t'ai choisie pourpouse, alliance odieuse et funeste pour moi ! toi, une lionne, non une femme, nature plus sauvage que laTyrrhnienne Scylla 1. Mais assez, car toi mille outrages ne pourraient te mordre, telle est l'impudence de ta nature.

    Va-t'en, ouvrire de hontes, souille du sang de tes enfants ! Pour moi, il ne me reste qu' pleurer mon sort : de monnouvel hymen je ne jouirai pas, et mes fils que j'avais engendrs et levs je ne pourrai plus leur adresser la parole

    vivants : je les ai perdus.MDEJe me serais longuement tendue rpondre tes paroles, si Zeus mon pre ne savait les services que jet'ai rendus et ce que tu m'as fait. Allons ! tu n'allais pas, aprs avoir outrag ma couche, mener agrable vie te rirede moi avec la princesse, et celui qui te l'avait donne pour femme, Cron, impunment me chasser de ce pays !

    Aprs cela, appelle-moi, si tu veux, lionne ou Scylla, qui habite le sol tyrrhnien : comme tu le mrites, mon tour jet'ai bless au coeur.JASONToi aussi tu souffres et partages mes malheurs.MDESache-le bien : ma douleur est un avantage, si de moi tu ne te ris pas.JASON mes enfants, quelle mre criminelle vous avez eue !MDE mes fils, comme vous a perdus la perfidie d'un pre !

    JASONNon, ce n'est pas ma main qui les a fait prir.

    1Le chur est constitu de femmes de Corinthe.2Nom du roi de Corinthe, sans rapport avec le beau-frre ddipe. Le mot signifie en grec puissant.3Srie dallusions lexpdition des Argonautes mene par Jason en Colchide (= Gorgie actuelle) la recherche de la Toison dor, quil conquit ensduisant Mde.

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    MDEC'est ton outrage et ton nouvel hymen.JASONC'est pour ta couche que tu as accept de les tuer.MDECrois-tu que ce soit pour une femme un lger malheur ?JASONOui, si elle est sage ; mais pour toi tout devient offense.MDE (montrant le corps des enfants)Ils ne vivent plus : voil qui te mordra le coeur.JASONIls vivent : cruels vengeurs, pour ta tte.MDELes dieux connaissent le premier auteur de leur malheur.

    JASONIls connaissent donc ton me abominable.MDEAbhorre. Je dteste ton odieux entretien.JASONEt moi le tien : la sparation est aise.MDEComment donc ? Qu'ai-je faire ? Je la dsire vivement moi aussi.JASONLaisse-moi ensevelir ces morts et les pleurer.MDE Non certes : c'est moi qui de ma main les ensevelirai. Je les porterai au sanctuaire d'Hra, la dessed'Acraea 2, pour qu'aucun de mes ennemis ne les outrage en bouleversant leurs tombes. Et sur cette terre deSisyphe3nous instituerons jamais une fte solennelle et des crmonies, en expiation de ce meurtre impie. Pourmoi, je vais sur le territoire d'rechthe 4 vivre avec ge, fils de Pandion. Toi, comme il convient, tu mourras,misrable ! misrablement, frapp la tte par un dbris d'Argo, et tu auras vu les amers rsultats de ton nouvelhymen.

    JASONAh ! puissent te faire prir l'Erynis 5de tes enfants et la Justice vengeresse du meurtre !MDEQui donc t'coute, dieu ou gnie, toi le parjure et l'hte perfide ?JASONHlas ! hlas ! Femme infme ! Infanticide !MDEVa-t'en au palais ensevelir ton pouse.JASONJ'y vais, priv de mes deux enfants.MDECe n'est encore rien que tes pleurs : attends la vieillesse.JASON mes enfants adors !MDEDe leur mre, oui, de toi, non.JASONPourquoi les as-tu tus ?MDEPour faire ton malheur.JASONHlas ! Je veux embrasser les lvres chries de mes fils, malheureux que je suis !

    MDEMaintenant tu leur parles, maintenant tu les chris ; tout l'heure tu les repoussais.JASONLaisse-moi, au nom des dieux, toucher la douce peau de mes enfants.MDEImpossible. C'est jeter en vain tes paroles au vent. (Le char disparait.)JASONZeus, tu entends comme on me repousse, comme me traite cette femme abominable qui a tu ses enfants,cette lionne. Ah ! puisque c'est tout ce qui m'est permis et possible, je pleure mes fils et j'en appelle aux dieux, lesprenant tmoin qu'aprs avoir tu mes enfants tu m'empches de toucher et d'ensevelir leurs corps de mes mains.Plt aux dieux que je ne les eusse pas engendrs pour les voir gorgs par toi ! ( Il sort.)LE CORYPHE De maints vnements Zeus est le dispensateur dans l'Olympe. Maintes choses contre notreesprance sont accomplies par les dieux. Celles que nous attendions ne se ralisent pas ; celles que nous n'attendionspas, un dieu leur fraye la voie. Tel a t le dnouement de ce drame.

    FINhaut du document

    1Il sagit du monstre associ Charybde, dans le dtroit de Messine en mer Tyrrhnienne.2Sanctuaire dHra Corinthe.3Roi fondateur de Corinthe, connu pour le rocher quil pousse ternellement aux enfers.4Priphrase dsignant Athnes. ge, roi dAthnes, a accept de recueillir Mde.5Divinit infernale qui punit les meurtriers.

    Jason et Mde, estampe de Ren Boyvin, XVIe s. Source :RMN.

    http://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/BFVUYL/04-509399.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/BFVUYL/04-509399.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/BFVUYL/04-509399.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/BFVUYL/04-509399.jpg
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    Textes 2. Snque, Mde. Traduction Greslou modifie. Source :remacle.org.

    Inspire de la pice dEuripide, celle de Snque, sans doute destine la lecture dans les milieux de la cour deNron, est plus brve, et les personnages de Jason et de Mde sont plus marqus.La scne est Corinthe, devant la maison de Mde, le jour des noces de Jason et de Crse, fille de Cron. Mdeest exile par Cron et cherche se venger. Jason ne russit pas lapaiser.

    1. Discussion entre Jason et Mde (v. 431-578)

    JASON. destine cruelle, sort impitoyable, et toujours galement cruel dans sa faveur et dans sa haine ! Lesdieux ne savent-ils donc trouver mes malheurs que des remdes pires que les maux ? Si je veux garder la foiconjugale et la reconnaissance que je dois mon pouse, il me faut dvouer ma tte la mort ; si je ne veux pasmourir, je suis forc de devenir parjure. Ce n'est pas la crainte pourtant qui me fait oublier mes engagement d'poux,c'est ma tendresse alarme ; car la mort de mes enfants suivrait de prs la ntre. Si tu habites le ciel, sainte justice,

    je t'invoque, et te prends tmoignage ! c'est mes enfants que je me dvoue ; leur mre elle -mme, j'en suis sr,malgr sa violence et son humeur intraitable, tient plus ses enfants qu' son poux. Je viens essayer l'effet de mesprires sur son me irrite. Voici qu' ma vue, elle s'agite et bondit de fureur ; la haine respire sur tous ses traits, etson visage exprime toute la colre qui bouillonne dans son cur.MDE.Je fuis, Jason, je fuis ; l'exil n'est pas nouveau pour moi ; c'est la cause de l'exil qui est nouvelle. C'estpour toi que j'ai fui, jusqu' ce jour ; maintenant.... je quitte ces lieux, je pars. Mais en me chassant de ton palais, oveux-tu que j'aille ? vers le Phase 1, en Colchide, dans le royaume de mon pre, dans ces plaines arroses du sang demon frre ? en quel pays m'ordonnes-tu de porter mes pas ? quelles mers faut-il que je traverse encore ? le dtroit del'Euxin, par o j'ai ramen toute une arme de hros, en suivant un amant adultre travers les Symplgades ? est-ce l'humble Iolchos, la Thessalie ou Temp que tu me donnes pour sjour ? toutes les voies que je t'ai ouvertes, jeme les suis fermes moi-mme.

    O me renvoies-tu ? tu m'imposes l'exil, mais tu ne m'en indiques pas le lieu ; il faut partir, voil ce qu'ordonnele gendre de Cron. Je consens tout ; accable-moi des plus cruels traitements, je les ai tous mrits ; que le roidans sa colre puise toutes les cruauts contre la rivale de sa fille, qu'il charge mes mains de chaines, qu'il meplonge dans l'ternelle nuit d'un cachot affreux, c'est moins encore que je ne mrite. Homme ingrat ! souviens-toidonc de ces taureaux la brulante haleine 2, de ces monstres effrayants qui glaaient de terreur tes compagnons et

    toi-mme, dans cette plaine d'o sortait une moisson furieuse de soldats arms, ces ennemis inattendus, ns de laterre, et qui, mon commandement, prirent tous de la main les uns des autres. Rappelle-toi encore le blier dePhryxus dont tu venais conqurir la riche dpouille 3, et le dragon vigilant forc pour la premire fois de cder lapuissance du sommeil ; et mon frre mis mort, et tous les crimes rsums par moi en un seul crime, et les filles dePlias abuses par mes artifices jusqu' mettre en pices le corps de leur vieux pre qui ne devait point revivre.N'oublie pas non plus que, pour chercher sur tes pas un autre royaume, j'ai abandonn le mien.

    Par les enfants que tu espres d'une nouvelle pouse, par le repos que tu vas trouver dans le palais de Cron,par les monstres que j'ai vaincus, par ces mains toujours dvoues te servir, par les prils dont je t'ai dlivr, par leciel et la mer tmoins de nos serments, prends piti de ma misre, je t'en supplie, et rends-moi aux jours de tonbonheur le prix de mes bienfaits. De toutes ces richesses que les Scythes 4 vont ravir si loin et rapportent desbrlantes plaines de l'Inde, de ces amas d'or si considrables que nos palais ne peuvent les contenir et que nous en

    faisons l'ornement de nos bois, je n'ai rien emport dans ma fuite, rien que les membres de mon frre 5 ; encoretait-ce pour toi. Ma patrie, mon pre, mon frre, ma pudeur, je t'ai tout sacrifi : ce fut ma dot ; rends-moi tous cesbiens puisque tu me renvoies.JASON.Cron dans sa colre voulait tter la vie ; mes larmes l'ont apais, il borne sa vengeance un ordre d'exil.MDE.Je regardais l'exil comme un chtiment ; il me faut, ce que je vois, le recevoir comme une faveur.JASON.Tandis que tu le peux encore, fuis, sauve-toi de ces lieux. Les rois sont terribles dans leur colre.MDE. Ce que tu me conseilles, c'est pour Crse que tu penses l'obtenir. Tu veux l'affranchir d'une rivaleodieuse.JASON.Mde me reproche mes amours ?MDE.Oui, et tes meurtres, et tes perfidies.

    1Rappel des tapes de la vie de Mde la suite de Jason : le Phase est un fleuve de Colchide ; pour schapper Mde a tu son frre ; lEuxinest la mer Noire ; larme des hros est lexpdition des Argonautes; les Symplgades sont des rcifs au dbouch du Bosphore sur la mer Noire ;Iolcos et Temp en Thessalie sont la patrie de Jason.2Nouvelles allusions : Jason a d domestiquer deux taureaux de feu, puis affronter des guerriers ns de dents de dragon.3La toison dor du blier qui permit la fuite de Phryxus jusquen Colchide. Nouvelle srie dallusions savantes la lgende des Argonautes4Nom gnrique des populations barbares dAsie centrale.5Pour chapper son pre, Mde a dispers les membres de son frre aprs lavoir tu, forant son pre les retrouver au lieu de la poursuivre.

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    JASON.Mais de quels crimes enfin peux-tu m'accuser ?MDE.De tous ceux que j'ai commis.JASON.Il ne reste plus qu' me dclarer coupable mme de tous tes forfaits.MDE.Ces forfaits sont les tiens, oui les tiens ; le crime est celui qui en recueille les fruits. Quand je seraisinfme pour tous les autres, toi seul devrais me dfendre, et soutenir mon innocence. Celui qui se rend coupable pourton service doit tre pur tes yeux.JASON.La vie est un supplice quand on rougit de celui dont on l'a reue.

    MDE.On ne la conserve pas quand on rougit de l'avoir reue.JASON.Que ne calmes-tu plutt ces mouvements de fureur ? tu es mre, songe tes enfants.MDE.Je n'en veux plus, je les renie, je les repousse de moi si Crse doit leur donner des frres.JASON.Elle est reine pour offrir un asile des fils d'exils, et puissante pour les protger dans leur infortune.MDE.Que les dieux m'pargnent ce malheur affreux, de voir un sang illustre ml au sang d'une race infme, etles descendants du Soleil unis aux enfants de Sisyphe 1.JASON.Pourquoi cette obstination cruelle vouloir nous perdre ainsi tous les deux ? pars, je ten conjure.MDE.Cron lui-mme a cout mes prires.JASON.Que puis-je faire pour toi, dis-le moi ?MDE.Pour moi ? tout, jusqu'au crime.JASON.Je suis entre deux rois 2qui me pressent.

    MDE. Tu as aussi Mde plus puissante qu'eux, et plus redoutable. Faisons-en l'preuve, laisse-moi lescombattre, et que Jason soit le prix de la victoire.JASON.Le malheur a bris mon courage ; toi-mme, crains le retour des maux qui dj tont accable.MDE.Dans tous les temps je suis reste matresse de la fortune.JASON.Acaste s'avance ; Cron, plus proche encore, est aussi plus redoutable.MDE.Il faut les fuir tous les deux. Je n'exige pas que tu prennes les armes contre ton beau-pre ; Mde neveut pas que tu souilles tes mains du sang de ta famille : conserve ta vertu, mais suis-moi.JASON.Et qui nous dfendra, si nous avons soutenir une double guerre ? si Cron et Acaste runissent leursarmes contre nous ?MDE.Ajoute leurs armes celles de Colchide, sous la conduite d'ets 3, joins les Scythes aux Grecs, et tuverras tous ces ennemis prir au sein des flots.

    JASON.L'clat du sceptre m'inspire de l'effroi.MDE.Prends garde plutt qu'il n'excite tes dsirs.JASON.Cet entretien pourrait devenir suspect, ne le prolongeons pas plus longtemps.MDE. Puisqu'il en est ainsi, puissant Jupiter, fais retentir le ciel du bruit de ton tonnerre, arme tes mains etprpare tes flammes vengeresses. Que tes feux branlent le monde en dchirant les nuages. Tu n'as pas besoin dechoisir la place o tu dois frapper ; lui ou moi, n'importe ; qui que ce soit de nous deux qui meure, ce sera toujoursun coupable ; et ta foudre ne s'garera pas en tombant sur nous.JASON.Reviens des penses plus sages, et parle avec moins de fureur. S'il y a dans le palais de mon beau-prequelque chose qui puisse adoucir l'amertume de ton exil, tu n'as qu' le demander.MDE.Je sais mpriser les trsors des rois, et c'est, tu ne l'ignores pas, ce que j'ai toujours fait. Seulement laisse-moi prendre mes enfants, pour qu'ils m'accompagnent dans mon exil et que je puisse rpandre mes larmes dans leursein ; toi, ta nouvelle pouse te donnera d'autres enfants.JASON.Je voudrais pouvoir consentir ce que tu me demandes, je l'avoue, mais l'amour paternel me le dfend ;Cron lui-mme, tout roi qu'il est, et mon beau-pre, n'obtiendrait jamais de moi un pareil sacrifice. Mes enfants sontles seuls liens qui m'attachent la vie, la seule consolation de mes cuisantes peines ; je renoncerais plutt l'air que

    je respire, mes propres membres, la lumire du jour.MDE.Voil donc comme il aime ses enfants ! c'est bien, il est en ma puissance, j'ai un endroit o le frapper.Permets au moins qu'en partant je leur parle une dernire fois, que je leur donne mes derniers baisers de mre : tune peux me refuser cette faveur ; ce sont les dernires paroles que tu entendras de moi ; oublie tout ce que j'ai pu tedire dans le dsordre de la colre : conserve de moi un souvenir plus favorable, et que ces paroles furieuses sortentde ta mmoire.

    JASON.Je les ai toutes oublies ; ce que je te demande seulement, c'est de modrer l'excs de ta douleur, et derendre la paix votre me : la rsignation dans le malheur en adoucit l'amertume. ( Il sort).

    1Mde descend du Soleil, Cron et sa fille de Sisyphe, brigand devenu roi.2Cron, qui veut hter le mariage et se dbarrasser de Mde, et Acaste, fils et vengeur de Plias, roi de Thessalie tu par Mde.3Pre de Mde.

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    MDE.Il s'en va ! Quoi ? Tu me quittes ainsi, oubliant et moi-mme, et tous mes bienfaits ! Ne te souvient-il plusde moi ? il faut qu'il t'en souvienne jamais. Maintenant, l'uvre, Mde ; dploie toute ta puissance et toutes tesressources. Le fruit de tant de crimes pour toi, c'est de ne plus connatre de crimes ; la ruse ne servirait de rien ici, onte craint. Frappe l'endroit o l'on ne peut songer se dfendre ; allons, il faut oser, il faut excuter ce qui est en tapuissance, et mme ce qui est au dessus de tes forces.

    Et toi, ma fidle nourrice, la confidente de mes peines, la compagne de ma vie agite, viens seconder mes tristesrsolutions. Il me reste un manteau prcieux, don cleste consacr dans ma famille et le plus bel ornement du

    royaume, donn par le Soleil mon pre comme une marque de sa haute origine ; j'ai de plus un beau collier d'or etun peigne d'or tincelant de pierreries, qui me sert parer ma tte : je veux que mes enfants les offrent de ma part la nouvelle pouse, mais aprs que je les aurai moi-mme imprgns d'un poison magique par la force de mesenchantements. Il faut invoquer Hcate 1et prparer l'affreux sacrifice ; dressons l'autel, et que le feu s'allume.

    2. Mde tue ses enfants (v. 9711027)

    Mde vient de tuer lun de ses enfants pour apaiser les mnes de son frre.

    MDE.Mais quel bruit soudain frappe mon oreille ? On arme contre moi, on en veut ma vie. Je vais monter sur

    la terrasse leve de ce palais, ma vengeance moiti satisfaite. Toi, nourrice, viens, je t'emporterai avec moi de ceslieux. Maintenant, courage ! il ne faut pas que ta puissance reste cache dans l'ombre ; il faut montrer tout unpeuple ce dont tu es capable.JASON.Sujets fidles qui pleurez le malheur de vos rois, accourez tous, et que l'auteur de ce crime tombe entrenos mains : ici, braves guerriers, ici, frappez, dtruisez ce palais de fond en comble.MDE (du toit de sa maison).J'ai recouvr mon sceptre, mon frre et mon pre ; la Colchide a reconquis la richetoison du blier de Phryxus. Je reprends ma couronne et ma virginit ravie. dieux redevenus propices ! jour degloire et d'hymne !.... Va, maintenant ton crime est consomm.Ta vengeance ne l'est pas. Achve donc pendantque tes mains sont l'uvre. Pourquoi hsiter, mon me ? pourquoi balancer ? Tu peux aller jusqu'au bout. Macolre est tombe, je me repens, j'ai honte de ce que je viens de faire. Qu'ai-je donc fait, malheureuse ? Le repentirne sert de rien, maintenant que je l'ai fait. Voil que, malgr moi, la joie rentre dans mon cur ; elle s'augmente et

    devient plus vive ; il ne manquait ma vengeance que Jason lui-mme pour tmoin. Il me semble que je n'ai rien faitencore ; ce sont des crimes perdus que ceux que j'ai commis loin de ses yeux.JASON. La voil sur le bord du toit : lancez des feux contre elle et qu'elle prisse, consume dans les flammesinstruments de ses forfaits.MDE.Tiens, Jason, occupe-toi de faire les funrailles de tes enfants et de leur lever un tombeau : ton pouseet ton beau-pre ont reu de moi la spulture et les derniers honneurs qu'on doit aux morts. Celui-ci a dj cess devivre ; l'autre va subir le mme sort et tes yeux le verront.JASON. Au nom de tous les dieux, au nom de nos fuites communes, au nom de cet hymen dont je n'ai pasvolontairement bris les nuds, pargne cet enfant. Siquelqu'un est coupable, c'est moi : tue-moi donc, et que lechtiment tombe sur ma tte criminelle.MDE. Non, je veux frapper l'endroit douloureux pour toi, l'endroit que tu veux drober mes coups. Vamaintenant chercher la couche des vierges, en dsertant celle des femmes que tu as rendues mres !JASON.Mais un seul coup doit suffire ta vengeance.MDE.Si j'avais pu me contenter d'une seule victime, je n'en aurais immol aucune. Mais c'est mme trop peu dedeux pour apaiser l'ardeur de ma colre. Je vais fouiller mon sein pour voir s'il ne renferme pas quelque autre gagede notre hymen, et le fer l'arrachera de mes entrailles.JASON. Achve et comble la mesure de tes crimes, je ne te fais plus de prires ; seulement ne prolonge pasdavantage la dure de mon supplice.MDE.Jouis lentement de ton crime, ma colre, ne te presse pas : ce jour est moi, je dois profiter du tempsqu'on m'a laiss 2.JASON.Mais te-moi la vie, cruelle !

    MDE.Tu implores ma piti ! (Elle frappe le deuxime enfant.) C'est bien, mon triomphe est complet : je n'ai plusrien te sacrifier, ma vengeance. Ingrat poux, lve tes yeux pleins de larmes : reconnais-tu Mde ? (Un char ail

    1Desse malfique invoque en sorcellerie.2Rappel du dlai dun jour accord par Cron.

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    descend.) Voil comme j'ai coutume de fuir 1: un chemin s'ouvre pour moi travers le ciel ; deux serpents ails secourbent sous mon joug et s'attlent mon char. Tiens, reois tes enfants, et moi je m'envole travers les airs.JASON.Oui, lance-toi dans les hautes rgions de l'espace, et proclame partout que, sur ton passage, il n'y a pointde dieux !haut du document

    1Allusion aux deux meurtres quelle a commis en fuyant: ceux de son frre en Colchide et de Plias en Thessalie.

    Fresque de Pompi, 1ers. ap. J.-C. : Mde projette la mort de ses enfants.Source :wikimedia Commons

    http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medea_children_MAN_Napoli_Inv8977.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medea_children_MAN_Napoli_Inv8977.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medea_children_MAN_Napoli_Inv8977.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medea_children_MAN_Napoli_Inv8977.jpg
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    Snque, Thyeste(fin, v. 9691112). Traduction Cabaret-Dupaty, 1863, modifie. SourceItinera

    Contrairement aux huit autres tragdies conserves du philosophe latin Snque (4 av. J.-C. 65 ap. J.-C.), Thyestena pas demodle grec connu. Lvocation explicite de la cruaut dans cette pice inspira les auteurs baroques.Plops, roi dans la mythologie grecque, fut maudit aprs un parjure et un meurtre. La maldiction toucha ses fils Atre et Thyeste,qui se dchirrent aprs que Thyeste eut sduit la femme de son frre ; Atre se vengea en tuant les enfants de Thyeste, puisinvita son frre un banquet de rconciliation ; il vient de lui faire servir la chair de ses enfants.

    ATRE, THYESTE.

    ATRE.Unissons-nous, mon frre, pour clbrer dignement ce grand jour. Il affermit le sceptre dans mes mains, etme donne le gage assur d'une paix inviolable.THYESTE.Je suis rassasi de mets et de vin. Le seul dsir que je puis former pour mettre le comble ma joie, c'estde la partager avec mes enfants.

    ATRE.Imagine-toi qu'ils sont dj dans les bras de leur pre. Ils y sont, ils y seront ; rien d'eux ne te sera t. Tuveux voir leurs visages : tu les verras, et je les mettrai tous dans ton sein. Je t'en rassasierai, sois tranquille. En cemoment ils sont avec les miens, assis table, et dans la joie d'un festin qui convient leur ge. Mais je les ferai venir.En attendant, vide cette coupe de famille.THYESTE.Je la reois des mains de mon frre. J'offrirai une libation 1aux dieux paternels, et je boirai le reste. Maisquoi ? ma main refuse d'obir : cette coupe devient lourde, et je n'en puis plus soutenir le poids. Le vin, approch dema bouche, s'en retire, et fuit mes lvres trompes. Le sol tremble, et la table mme a tressailli. Les flambeauxbrillent peine. Que dis-je ? Le ciel, entre le jour et la nuit, semble surpris de n'avoir plus de clart. Qu'est-ce donc ?

    La cleste voute s'branle de plus en plus, les tnbres s'paississent, l'obscurit devient plus grande, la nuit se cachedans la nuit 2. Tous les astres ont disparu. Puissances du ciel, pargnez du moins mon frre et mes enfants ! Que surma tte impie s'puise tout l'effort de la tempte ! Ah ! rends-moi mes enfants !

    ATRE.Je te les rendrai, et rien au monde ne pourra te les ravir.THYESTE.Quel est ce trouble qui agite mes entrailles ? Que sens-je trembler dans mon corps ? Je sens un fardeauqui m'accable, et j'entends rsonner dans ma poitrine des gmissements qui ne sont pas les miens. Venez, mesenfants, votre malheureux pre vous appelle. Venez : votre vue dissipera ma douleur. Mais d'o vient donc leur voix ?

    ATRE.Ouvre tes bras, heureux pre : les voici. Reconnais-tu tes enfants ?THYESTE.Je reconnais mon frre. Terre ! peux-tu supporter un si monstrueux forfait ? Tu ne te plonges pas avecnous dans le Styx ! Tes flancs ne se sont pas ouverts pour entrainer dans les tnbres du chaos ce royaume et sonroi ! Tu ne renverses pas de fond en comble toute la ville de Mycnes 3? Ah ! lui et moi, nous devrions tre djauprs de Tantale 4! Entr'ouvre-toi d'un ple l'autre, et, s'il est un lieu plus profond que le Tartare 5, plus profond

    que celui o gmissent nos aeux, prcipite-nous dans cet abime o l'Achron6

    nous couvrira de tous ses flots. Queles mes coupables se promnent sur nos ttes, et que le brulant Phlgthon, devenu l'instrument de notre supplice,roule sur nous ses sables embrass. Terre ! peux-tu rester immobile comme une masse inerte ? Il n'y a plus dedieux !

    ATRE.Songe plutt recevoir avec amour tes enfants si impatiemment dsirs. Ton frre ne veut plus retarderton bonheur. Jouis de leur prsence, embrasse-les, partage entre eux tes caresses.THYESTE.Voil donc ce trait de paix, cette amiti rendue, cette foi jure entre frres ? C'est donc ainsi que tuabjures ta haine ? Ce ne sont plus mes fils vivants que je te demande. Frre, je demande mon frre une grce quine prend rien sur son crime et sur sa haine, la permission de les ensevelir. Rends-moi d'eux ce que tu me verrasbruler l'instant 7. Ce n'est pas pour les garder que je les demande, mais pour les perdre.

    ATRE.Tu auras de tes fils tout ce qui en reste ; ce qui n'en reste plus, tu l'as dj.THYESTE.En as-tu fait la pture des oiseaux cruels ? Les as-tu jets en proie aux btes froces8?

    ATRE.C'est toi-mme qui les as mangs dans cet horrible festin.THYESTE.Voil donc pourquoi les dieux ont t saisis d'horreur ! Voil pourquoi le soleil est retourn en arrire 9!Malheureux ! quels cris, quelles plaintes faire entendre ? Quelles paroles suffiront ma douleur ? Je vois leurs ttescoupes, leurs mains arraches et tous leurs os mis en pices. Ce sont l les seules parties que leur pre n'a pudvorer. Mes entrailles sont bouleverses. Ce crime enferm dans mon sein s'efforce d'en sortir, et cherche vainementune voie. Frre, donne-moi ton pe. Elle est dj tout abreuve de mon sang. Que j'ouvre avec le fer une issue mes fils. Tu me la refuses ! je vais briser ma poitrine force de coups. Arrte, infortun ! pargne les ombres de tesenfants. Qui jamais vit une telle monstruosit ? Quel sauvage habitant des roches inhospitalires du Caucase, quelProcruste 10, flau de l'Attique, a jamais commis un tel forfait ? Moi pre j'touffe mes enfants, et mes enfantsm'touffent. N'y a-t-il point de mesure dans le crime ?

    1Geste religieux qui consiste verser quelques gouttes de liquide en lhonneur des dieux.2Voir la note 6 ci-dessous.3

    Capitale dAtre.4Pre de Plops et grand-pre des deux personnages, lourdement puni aux Enfers aprs avoir dj servi son fils en banquet aux dieux.5Partie des Enfers o sont enferms les pires criminels.6LAchron et plus bas le Phlgthon sont des fleuves des Enfers.7Lusage est debruler les cadavres et densevelir les restes.8Deux formes doutrages.9Daprs la lgende le soleil aurait refus de se lever aprs ce crime.10Brigand particulirement cruel.

    http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htm
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    ATRE. On peut garder une mesure dans le crime, jamais dans la vengeance. J'ai trop peu fait encore pour lamienne. J'aurais d baigner ton visage de leur sang lorsqu'il s'chappait de leurs blessures, lorsqu'ils vivaient encore,et te le faire boire ainsi tout chaud. J'ai trahi ma vengeance en la prcipitant. J'ai frapp tes fils de l'pe, je les aiimmols aux pieds des autels, comme des victimes expiatoires. Aprs leur mort, j'ai dcoup leurs membres, je les aimis en pices ; j'en ai fait bouillir une partie, et rtir lentement l'autre. Ils vivaient encore lorsque je dtachais leursmembres et leurs muscles ; j'entendais leurs fibres mugir embroches, et j'attisais la flamme de ma propre main.C'est leur pre qu'il fallait charger de ce soin. Ah ! ma colre s'est trompe. Thyeste a broy ses fils sous ses dentsimpies ; mais il n'en savait rien, mais eux ne le savaient pas.

    THYESTE.Mers aux flots mouvants, apprenez ce crime ; apprenez-le, dieux, en quelque rgion que vous ayez fui ;Terre, Enfers, apprenez-le ! Profonde et affreuse nuit du Tartare, prte l'oreille mes cris. C'est toi qui m'attends ; toiseule dois tre le tmoin de ma misre, nuit sans toiles. Je ne formerai point de voeux coupables. D'abord je nedemande rien pour moi. Eh que pourrai-je demander ? c'est pour vous seuls, dieux, que je vous prie. Souverainmatre du ciel, roi suprme de l'empyre 1, bouleverse le monde dans un tourbillon d'affreux nuages, dchaine tousles vents, et que tout s'branle aux clats de ton tonnerre. Arme ta main, non de ces foudres lgres qui brisent lestoits et les demeures innocentes des mortels, mais de celle qui mit en poudre trois montagnes entasses l'une surl'autre, et les Gants non moins normes qu'elles. Voil les traits, voil les feux que tu dois lancer. Rends-nous le jourqui nous a fuis, darde tes carreaux 2, et supple la lumire du ciel par celle des clairs. N'hsite pas, frappe-noustous les deux comme coupables, sinon frappe-moi seul, et traverse ma poitrine de ta foudre terrible. Pour rendre lesderniers devoirs mes fils et bruler leurs corps, il faut me bruler moi-mme. Si rien ne touche les dieux, s'ils nesavent point chtier les impies, que cette nuit du moins soit ternelle, et que ses tnbres soient proportionnes l'immensit de ce crime. Alors, soleil ! je ne regretterai point ta lumire.

    ATRE.Maintenant je suis content de mon oeuvre, maintenant je jouis de ma victoire. Sans l'excs de ta douleur,mon crime serait perdu. C'est maintenant que je me sens le pre de mes enfants, et que la fidlit de mon pouse est

    justifie.THYESTE.Quel tait le crime de mes enfants ?

    ATRE.D'tre ns de toi.THYESTE.Servir des enfants leur pre !

    ATRE.Oui, leur pre, et, ce qui me ravit, leur vritable pre.THYESTE.J'en appelle aux dieux protecteurs de l'innocence !

    ATRE.Et ceux de l'hymen ?THYESTE.Doit-on se venger d'un crime par un crime ?

    ATRE. Je sais ce qui t'afflige : tu souffres d'avoir t prvenu. Tu ne regrettes pas d'avoir gout ces metsabominables, mais de ne les avoir pas prpars. Tu avais song servir un pareil repas ton frre abus, et te

    liguer contre mes fils avec leur mre pour leur faire subir une mort semblable. Un seul obstacle t'en a empch : tu ascru qu'ils taient toi.THYESTE.Les dieux te puniront ; mes imprcations te livrent leur vengeance.

    ATRE.Et moi, je te livre celle de tes enfants.

    FINhaut du document

    1Sphre cleste o sjournent les dieux. Le dieu invoqu est Jupiter.2= lance ta foudre.

    Mycnes, la porte des Lions, dessin de D. L. Papety, 1846. Source :RMN

    http://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/V3I0G/06-502583.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/V3I0G/06-502583.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/V3I0G/06-502583.jpghttp://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/V3I0G/06-502583.jpg
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    LECTRE

    Le mythe dlectre clt la saga des Atrides, les descendants dAtre victimes de la maldiction initiale.

    ESCHYLE, Chophores, v. 890932. Traduction Leconte de Lisle, 1872. Source :wikisource.

    Eschyle (525 456 av. J.-C.) fit reprsenter la trilogie LOrestieen 458. La premire pice,Agamemnon, montre lemeurtre du roi par sa femme Clytemnestre, aprs son retour de la guerre de Troie.Dans les Chophores(les porteuses de libations), Oreste, fils dAgamemnon et de Clytemnestre et frre de la dfunteIphignie et dlectre, revient venger son pre. Assist de son ami Pylade il tue dabord gisthe, cousin dAgamemnonet amant de Clytemnestre, et se retrouve devant sa mre.

    LE PORTIER.O est Clytemnestre ? que fait-elle ? Je pense quelle aussi va tomber, prs dgisthe, frappe par lavengeance.CLYTEMNESTRE.Quy-a-t-il ? Pourquoi pousses-tu ces clameurs dans la maison ?LE PORTIER.Je dis que les vivants sont tus par les morts.CLYTEMNESTRE.Malheur moi ! Je comprends lnigme. Nous prirons par la ruse, comme nous avons tu parruse. Quon me donne promptement une hache tueuse dhommes, deux tranchants ! Sachons si nous vaincrons, ousi nous serons vaincus. Nous en sommes cette extrmit.ORESTE.Je te cherche aussi, toi ! Celui-ci 1est pay.CLYTEMNESTRE.Malheur moi ! Tu es mort, trs cher gisthe !

    ORESTE.Tu aimes cet homme ? Tu coucheras avec lui, dans la mme tombe, et tu ne le trahiras pas, bien quil soitmort.CLYTEMNESTRE.Retiens ta main, mon enfant ! Respecte le sein o tu as tant de fois dormi et o de tes lvres tuas suc le lait nourrissant !ORESTE.Pylade ! que ferai-je ? Je crains de tuer ma mre.PYLADE.Et que fais-tu des oracles de Loxias 2, rendus Pyth, et de tes promesses sacres ? Mieux vaut avoir tousles hommes pour ennemis plutt que les dieux.ORESTE.Tes paroles sont les plus fortes et ton conseil est bon. Toi, suis-moi ! Je veux te tuer auprs de cethomme. Pendant sa vie, par toi il la emport sur mon pre ; morte, couche-toi avec cet homme que tu aimes, tandisque tu dtestais celui que tu devais aimer.CLYTEMNESTRE.Je tai nourri, et maintenant je voudrais vieillir !ORESTE.Ainsi, toi, meurtrire de mon pre, tu habiterais avec moi !

    CLYTEMNESTRE.Cest la Moire3

    , mon enfant, qui est seule coupable.ORESTE.Et cest aussi la Moire qui va tgorger !CLYTEMNESTRE.Ne redoutes-tu pas les maldictions de la mre qui ta conu, mon enfant ? ORESTE.Mayant conu, tu mas jet dans la misre !CLYTEMNESTRE.Tai-je rejet en tenvoyant dans une demeure hospitalire 4?ORESTE.Jai t deux fois vendu, moi, fils dun pre libre ! CLYTEMNESTRE.O donc est le prix que jai reu ? ORESTE.Jaurais honte de te le nommer.CLYTEMNESTRE.Naie point honte ; mais dis aussi les fautes de ton pre.ORESTE.Naccuse point celui qui travaillait au loin5 tandis que tu restais assise dans la demeure.CLYTEMNESTRE.Cest un grand malheur pour une femme dtre loin de son mari, mon enfant ! ORESTE.Le travail du mari nourrit la femme assise dans la demeure.CLYTEMNESTRE.Ainsi, mon enfant, il te plait de tuer ta mre ?ORESTE.Ce nest pas moi qui te tue, cest toi-mme !CLYTEMNESTRE.Vois ! crains les chiennes 6 furieuses dune mre.ORESTE.Et comment chapperai-je celles dun pre, si je ne le venge point ?CLYTEMNESTRE.Ainsi, vivante, je me lamente en vain au bord de ma tombe ?ORESTE.Le meurtre de mon pre te fait cette destine.CLYTEMNESTRE.Malheur moi ! Jai conuet nourri ce serpent. Le songe qui ma pouvante disait vrai!ORESTE.Tu as tu le pre, tu mourras par le fils.LE CHUR DES CHOPHORES7.Pleurons encore ce double meurtre. Oreste, qui a tant souffert, vient de mettre lecomble tant de crimes !

    haut du document

    1Dsigne gisthe.2Dsigne Apollon, dieu de la divination, qui a ordonn Oreste de venger son pre. Pyth est Delphes, lieu du culte dApollon.3Divinit du destin.4Pour chapper la vengeance Clytemnestre a exil Oreste ds son enfance. Il est revenu en secret.5Allusion la guerre de Troie, qui a dur dix ans.6Dsigne les desses de la vengeance familiale.7Le chur est compos de femmes captures Troieet devenues esclaves.

    http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Kho%C3%A8phores_%28Eschyle,_Leconte_de_Lisle%29http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Kho%C3%A8phores_%28Eschyle,_Leconte_de_Lisle%29http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Kho%C3%A8phores_%28Eschyle,_Leconte_de_Lisle%29http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Kho%C3%A8phores_%28Eschyle,_Leconte_de_Lisle%29
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    SOPHOCLE, lectre, v. 516633 et 14421510. Traduction Leconte de Lisle modifie. Source :wikisource.

    Cette tragdie peut dater des annes 418 410.

    EXTRAIT 1,V.516-633.Alors quOreste et son ami Pylade sont arrivs incognito Mycnes, lectre se plaint de son sortet de lexil dOreste ordonn par leur mre Clytemnestre. Celle-ci apparait et se dispute violemment avec sa fille.

    CLYTEMNESTRE.Tu vagabondes de nouveau, et librement, semble-t-il. gisthe, en effet, nest point ici, lui qui a

    coutume de te retenir, afin que tu nailles pas au dehors diffamer tes parents. Maintenant quil est sorti, tu ne merespectes point. Et, certes, tu as dit souvent et beaucoup que jtais emporte, commandant contre tout droit etjustice et taccablant doutrages, toi et les tiens. Mais je nai pas coutume doutrager ; si je te parle injurieusement,cest que tu minjuries plus souvent encore. Ton pre, et tu nas point dautre prtexte de querelle, a t tu par moi,par moi-mme, je le sais bien, et il ny a aucune raison pour que je le nie. Car non moi seule, mais la justice aussi lafrapp ; et il convenait que tu me vinsses en aide, si tu avais t sage, puisque ton pre, sur qui tu ne cesses degmir, seul des Hellnes, a os sacrifier ta sur 1aux dieux, bien quil net point autant souffert pour lengendrerque moi pour lenfanter. Mais, soit ! dis-moi pourquoi il la gorge. Est-ce en faveur des Argiens 2? Or, ils navaientaucun droit de tuer ma fille. Si, comme je le crois, il la tue pour son frre Mnlas3, ne devait-il pas en tre chtipar moi ? ce mme Mnlas navait-il pas deux enfants quil tait plus juste de faire mourir, ns quils taient dunpre et dune mre pour qui cette expdition tait entreprise ? lHads dsirait-il dvorer mes enfants plutt que les

    leurs ? Lamour de cet excrable pre pour les enfants que javais conus tait -il teint, et en avait-il un plus grandpour ceux de Mnlas ? ces choses ne sont-elles pas dun pre mauvais et insens ? Je pense ainsi, bien que tupenses le contraire, et ma fille morte dirait comme moi, si elle pouvait parler. Cest pourquoi je ne me repens point dece que jai fait ; et toi, si je te semble avoir mal agi, blme aussi les autres, comme il est juste.LECTRE.Maintenant tu ne diras pas que tu minterpelles aprs avoir t provoque par mes paroles amres. Mais,si tu me le permets, je te rpondrai, comme il convient, pour mon pre mort et pour ma sur. CLYTEMNESTRE.Va ! je le permets. Si tu mavais toujours adress de telles paroles, jamais tu naurais t blessepar mes rponses.LECTRE.Je te parle donc. Tu dis avoir tu mon pre. Que peut-on dire de plus honteux, quil ait eu raison ou tort ?Mais je te dirai que tu las tu sans aucun droit. Le mauvais homme avec lequel tu vis 4ta persuade et pousse.Interroge la chasseresse Artmis, et sache ce quelle punissait, quand elle retenait tous les vents Aulis ; ou plutt je

    te le dirai, car il ne test point permis de le savoir delle 5. Mon pre, autrefois, comme je lai appris, stant plu poursuivre, dans un bois sacr de la desse, un beau cerf tachet et haute ramure, laissa chapper, aprs lavoirtu, je ne sais quelle parole orgueilleuse. Alors, la vierge fille de Lto 6, irrite, retint les Achens 7jusqu ce que monpre et gorg sa propre fille cause de cette bte fauve quil avait tue. Cest ainsi quelle a t gorge, carlarme ne pouvait, par aucun autre moyen, partir pour Ilios 8ou retourner dans ses demeures. Cest pourquoi monpre, contraint par la force et aprs y avoir rsist, la sacrifia avec douleur, mais non en faveur de Mnlas.Cependant si je disais comme toi quil a fait cela dans lintrt de son frre, fallait-il donc quil ft tu par toi ? Au nomde quelle loi ? Songe quelle douleur et quel repentir tu te livrerais, si tu rendais une telle loi stable parmi leshommes. En effet, si nous tuons lun pour en avoir tu un autre, tu dois mourir toi-mme afin de subir la peinemrite. Mais reconnais que tu avances un prtexte. Apprends-moi, en effet, si tu le peux, pourquoi tu commets cettesi honteuse action de coucher avec le meurtrier laide duquel tu as autrefois tu mon pre, pourquoi tu as conu desenfants de lui, et pourquoi tu rejettes les enfants lgitimes ns de lgitimes noces. Comment puis-je approuver detelles choses ? Diras-tu que tu venges ainsi la mort de ta fille ? Si tu le disais, certes, ce la serait honteux. Il nest pointhonnte dpouser ses ennemis pour la cause de sa fille. Mais il ne mest pas permis de te conseiller sans que tumaccuses partout avec des cris doutrager ma mre. Or, je vois que tu agis envers nous moins en mre quenmaitresse, moi qui mne une vie misrable au milieu des maux continuels dont vous maccablez, toi et ton amant.Mais cet autre, qui sest grande peine chapp de tes mains, le misrable Oreste, il traine une vie malheureuse, luique tu mas souvent accuse dlever pour tre ton meurtrier. Et, si je le pouvais, je le ferais, certes, sache -le

    1Iphignie, sacrifie par Agamemnon pour permettre lexpdition de Troie.2Habitants dArgos, la ville proche du palais; le mot dsigne aussi plus gnralement les Grecs.3Mnlas, frre dAgamemnon, est le mari dHlne, dont lenlvement a caus la guerre de Troie.4gisthe, cousin dAgamemnon, traditionnellement prsent comme fourbe et lche.5Clytemnestre, marie et mre, ne peut clbrer de sacrifice la vierge Artmis, au contraire dlectre toujours clibataire. Artmis a demand lesacrifice dIphignie Aulis, port o tait bloque la flotte grecquepar labsence de vent, en chtiment du sacrilge qulectre va raconter.6Lto ou Latone enfanta de Zeus les jumeaux Apollon et Artmis.7Autre nom des Grecs.8Ou Ilion, autre nom de Troie

    http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89lectre_%28Sophocle%29http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89lectre_%28Sophocle%29http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89lectre_%28Sophocle%29http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89lectre_%28Sophocle%29
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    surement. Dsormais dclare tous que je suis mauvaise, injurieuse, ou, si tu laimes mieux, pleine dimpudence. Sije suis coupable de tous ces vices, je nai pas dgnr de toi et je ne te suis pas dshonneur.LE CHUR1.Elle respire la colre, je le vois, mais je ne vois pas quon se soucie de savoir si elle en a le droit. CLYTEMNESTRE.Et pourquoi me soucierais-je delle qui adresse sa mre des paroles tellement injurieuses, lgequelle a ? Ne te semble-t-il pas quelle doive oser quelque mauvaise action que ce soit, ayant rejet toute pudeur ? LECTRE. la vrit, sache-le, jai honte de ceci, quoi quil te semble ; je comprends que ces choses neconviennent ni mon ge, ni moi-mme ; mais ta haine et tes actions me contraignent : le mal enseigne le mal.

    CLYTEMNESTRE. insolente bte, est-ce moi, sont-ce mes paroles et mes actions qui te donnent laudace de tantparler ?LECTRE.Cest toi-mme qui parles, non moi ; car tu accomplis des actes, et les actes font naitre les paroles.CLYTEMNESTRE.Certes, par la maitresse Artmis ! je jure que tu nchapperas pas au chtiment de ton audace,ds qugisthe sera revenu dans la demeure.LECTRE.Vois ! maintenant tu es enflamme de colre, aprs mavoir permis de dire ce que je voudrais, et tu nepeux mentendre.CLYTEMNESTRE.Ne peux-tu mpargner tes clameurs et me laisser tranquillement sacrifier aux dieux 2, parce que

    je tai permis de tout dire ?LECTRE.Je le permets, je le veux bien, sacrifie, et naccuse pas ma bouche, car je ne dirai rien de plus.

    1

    Le chur est compos de femmes dArgos.2Clytemnestre est sortie du palais pour faire un sacrifice Apollon aprs un songe de mauvais augure.haut du document

    EXTRAIT 2,V.1442 LA FIN. lectre se prpare assouvir seule sa vengeance, quand Oreste se fait reconnaitre de sasur. Il tue dabord Clytemnestre, puis attend le retour au palais dgisthe. Celui-ci se prsente sur scne, devant lepalais.

    GISTHE.Qui de vous sait o sont ces trangers Phocens, qui sont venus nous annoncer quOreste avait perdu lavie dans les dbris dun char 3? Certes, cest toi que je parle, toi, dis-je, toujours si opinitre jusquici ; car jepense que tu dois tre en grand souci de cette nouvelle et que tu dois la savoir au mieux.LECTRE.Je la sais, comment ne la saurais-je pas ? Je serais en effet ignorante de ce qui mest le plus cher.GISTHE.O sont donc ces trangers ? dis-le moi.LECTRE.Dans la demeure. Ils y ont reu une hospitalit amicale.GISTHE.Ont-ils annonc quil tait surement mort ?LECTRE.Ils ont rendu la chose manifeste ; ils nont point parl seulement.GISTHE.Il nous est donc permis de nous en assurer clairement.LECTRE.Sans doute, et cest un spectacle lamentable.GISTHE.Certes, contre ta coutume, tu me causes une grande joie.

    LECTRE.Rjouis-toi, si cela est de nature te rjouir.GISTHE. Jordonne quon se taise et quon ouvre les portes, afin que toute la multitude des Mycniens et des

    Argiens 4regarde, et que, si quelquun dentre eux tait encore plein despoir, il dsespre du retour de cet homme envoyant son cadavre, et, revenant de saines rsolutions, accepte le mors que je leur mets, sans y tre contraint parla force ou par le chtiment.LECTRE.Jai fait ce qui pouvait tre fait par moi. Jai appris enfin tre sage et me soumettre aux plus forts.GISTHE, dcouvrant le cadavre de Clytemnestre, encore voil, entour dOreste et Pylade quil ne reconnait pas. Zeus ! Je vois une forme tombe sous la jalousie des dieux. Sil nest point permis de parler ainsi, je nai rien dit.Enlevez ce voile hors de mes yeux, afin que par mes lamentations jhonore mon parent. ORESTE.Enlve-le toi-mme. Cest toi et non moi de regarder ces restes et de leur parler affectueusement.

    GISTHE. Tu me conseilles bien, et je ferai ce que tu dis. Pour toi, appelle Clytemnestre, si elle est dans lademeure.ORESTE.Elle est l, prs de toi. Ne regarde rien autre chose.

    3Pour sapprocher du palais sans difficult, Oreste a fait annoncer sa mort dans la course de chars des jeux delphiques ; Pylade et lui se fontpasser pour des trangers venus de Phocide, cest--dire de la rgion de Delphes.4Mycnes est la forteresse autour du palais, Argos la ville proche.

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    GISTHE.Malheur moi ! que vois-je ?ORESTE.Que crains-tu ? ne la reconnais-tu pas ?GISTHE.Malheureux ! au milieu des piges de quels hommes suis-je tomb ?ORESTE.Ne devines-tu pas que tu parles depuis longtemps des vivants comme sils taient morts ?GISTHE.Hlas ! je comprends cette parole, et celui qui me parle ne peut tre autre quOreste.ORESTE.Bien que tu sois un excellent divinateur, tu tes tromp longtemps. GISTHE.Hlas ! je suis mort. Mais permets-moi au moins de dire quelques mots.LECTRE. Par les dieux, mon frre, ne permets pas quil parle plus longtemps et quil prolonge ses discours.

    Pourquoi, en effet, quand un homme en proie au malheur doit mourir, lui donner un peu de dlai ? Tue-le doncpromptement et abandonne-le, mort, ceux qui lenseveliront loin de nos yeux, dune faon d igne de lui. Ce sera leseul remde mes longues misres.ORESTE.Hte-toi dentrer. Il ne sagit pas maintenant de discours, mais de ta vie. GISTHE. Pourquoi me conduis-tu dans la demeure ? si laction que tu commets est bonne, pourquoi laccomplirdans les tnbres ? pourquoi ne pas me tuer linstant ?ORESTE.Ne commande pas. Va o tu as tu mon pre, afin de mourir la mme place.GISTHE.Il tait donc dans la destine que cette demeure vt les calamits prsentes et futures des Plopides 1?ORESTE.Pour les tiennes, assurment. En ceci je serai pour toi un trs vridique divinateur.GISTHE.Tu te vantes dune science que ne possdait pas ton pre. ORESTE.Tu parles trop, et tu ne fais pas un pas. Marche donc. Il pousse gisthe vers le palais.GISTHE.Va devant.

    ORESTE.Il faut que tu me prcdes.GISTHE.Crains-tu que je ne te fuie ?ORESTE.Certes, tu ne mourras point comme tu lentends, mais comme il me convient, afin que ta mort ne manquemme pas de cette amertume. Ce chtiment devrait tre celui de tous ceux qui veulent tre plus puissants que leslois, cest--dire la mort. De cette faon, les sclrats seraient moins nombreux.LE CHUR. race dAtre 2, que dinnombrables calamits tu as subies avant de taffranchir par ce dernier effort !

    FINhaut du document

    1Les descendants de Plops, lanctre dont les crimes ont entrain la maldiction familiale.2

    Atre, fils de Plops, est la fois loncle dgisthe et le grand-pre dOreste.

    Pierre-Narcisse Gurin, Clytemnestre et Agamemnon, vers 1822. Source :wikimedia commons.

    http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Narcisse_Gu%C3%A9rin_-_Clytemnestra_and_Agamemnon_-_WGA10974.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Narcisse_Gu%C3%A9rin_-_Clytemnestra_and_Agamemnon_-_WGA10974.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Narcisse_Gu%C3%A9rin_-_Clytemnestra_and_Agamemnon_-_WGA10974.jpghttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pierre-Narcisse_Gu%C3%A9rin_-_Clytemnestra_and_Agamemnon_-_WGA10974.jpg
  • 7/25/2019 Confrontations familiales dans la tragdie grecque

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    Snque,Agamemnon, vers 9441000. Traduction Cabaret-Dupaty, 1863, modifie. SourceItinera.

    Dans cette tragdie crite vers 60 ap. J.-C., une srie de dialogues et de descriptions voque le retour dAgamemnon Mycnes et la colre de Clytemnestre, attise par gisthe et par la prsence de Cassandre ; cest par cette princessetroyenne, devenue lesclave dAgamemnon, que le meurtre de celui-ci est prsent.

    A la fin de la pice, lectre, qui vient dloigner Oreste, retrouve sa mre.

    LECTRE.[Oreste] est parti, il est sauv ; le char, dans sa fuite rapide, est dj loin de mes yeux. Maintenant jepuis attendre mes ennemis sans crainte ; j'irai moi-mme au-devant de leurs coups. La voici, cette femme couvertedu sang de son poux. Les traces de son crime sont empreintes sur sa robe ; ses mains sont encore souilles dumeurtre qu'elle vient de commettre, et son visage furieux respire les forfaits. Je vais chercher un asile au pied de cesautels. Cassandre, laisse-moi ceindre mon front de tes bandelettes 1; car le mme danger nous menace.CLYTEMNESTRE.Ennemie de ta mre, fille coupable et dnature, de quel droit, vierge encore, oses-tu paratre enpublic ?LECTRE.Vierge, j'ai fui un palais o rgne l'adultre.CLYTEMNESTRE.Qui reconnatrait une vierge ce langage ?LECTRE.Elle est ta fille.CLYTEMNESTRE.Respecte ta mre.LECTRE.Toi, m'apprendre mes devoirs !CLYTEMNESTRE. Tu portes dans ton coeur orgueilleux toute l'audace d'un homme ; mais le malheur saura teramener aux sentiments de ton sexe.

    LECTRE.Il me semble que le fer va bien aux mains d'une femme.CLYTEMNESTRE.Oses-tu bien, insense, te comparer nous ?LECTRE. vous ? Quel est donc ici ton nouvel Agamemnon ? Ton poux ne vit plus : tu es veuve.CLYTEMNESTRE.Je suis reine et je punirai bientt ce langage d'une fille rebelle et impie. En attendant, apprends-moi o est mon fils, o est ton frre.LECTRE.Il est sorti de Mycnes.CLYTEMNESTRE.Rends-moi mon fils.LECTRE.Et toi, rends-moi mon pre.CLYTEMNESTRE.O est-il cach ?LECTRE.En lieu sr ; il est hors de danger, et n'a rien craindre du nouveau roi 2. Une tendre mre s'en rjouirait,mais une mre furieuse le trouvera mauvais.CLYTEMNESTRE.Tu mourras aujourd'hui mme.

    LECTRE. Tant mieux, si c'est de ta main. Je quitte cet autel. Veux-tu plonger le fer dans mon sein ? Le voici.Prfres-tu me frapper comme une victime qu'on immole ? la gorge tendue j'attends tes coups. Tu viens decommettre un crime. Lave dans mon sang tes mains souilles et dgouttantes du meurtre de ton poux.CLYTEMNESTRE.Toi qui partages mes prils et ma puissance, gisthe, viens. Cette fille dnature charge sa mred'outrages. Elle a cach son frre.GISTHE.Fille insolente, tais-toi, et pargne l'oreille d'une mre tes infmes paroles.LECTRE.Il veut aussi m'apprendre mon devoir, lui lauteur d'un crime abominable, lui le fruit du crime, lui que safamille ne sait comment nommer, lui le fils de sa soeur et le petit-fils de de son pre 3!CLYTEMNESTRE.gisthe, qui t'empche de faire tomber sous le glaive sa tte coupable ? Qu'elle rende son frre ouqu'elle meure l'instant.GISTHE.On va la plonger dans un cachot taill dans le roc pour y passer sa vie au milieu de tous les tourments. Ilfaudra bien qu'elle dcouvre ce qu'elle nous cache aujourd'hui, quand elle se verra rduite la misre, la faim,

    emprisonne dans un rduit infect, veuve avant d'avoir connu l'hymen, spare du monde et du commerce desvivants, prive de la lumire du jour. Elle finira par succomber ses maux.LECTRE.Donne-moi la mort.GISTHE.Je te la donnerais, si tu ne la demandais pas. C'est tre novice en tyrannie, que de tuer ceux qu'on veutpunir.LECTRE.Y a-t-il un plus cruel supplice que la mort ?GISTHE.Oui, la vie quand on veut mourir.CLYTEMNESTRE. Gardes, entrainez ce monstre loin de Mycnes, dans le coin le plus recul de ce royaume, etplongez-la charge de fers dans un noir cachot pour dompter son esprit rebelle.

    La pice se termine par le meurtre de Cassandre, qui se rjouit de voir la perfidie rgner chez les Grecs.

    Haut du document

    1Cassandre est prtresse dApollon, et ce titre elle a des visions prophtiques.2gisthe.3Thyeste, priv de ses fils par Atre, a commis linceste avec sa fille Plopiapour engendrer un fils qui le vengera, gisthe.

    http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htmhttp://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/default.htm