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Conférences petit-déjeuner Des 23 et 24 juin 2016 DECRYPTAGE DU PROJET DE « LOI TRAVAIL » 1 I. INTRODUCTION I.1 Une genèse difficile Un projet de Loi Travail manquant de cohérence Avec 54 articles et pas moins de 224 pages, le projet de loi ressemble à une usine à gaz. On est loin du rapport Combrexelle qui prônait que toute création d'une disposition nouvelle soit compensée par la suppression d'une disposition obsolète. Le projet de loi embrasse une trop grande diversité de sujets. Alors que projet de loi initial était centré sur la négociation collective, son périmètre a notamment été étendu, entre autres choses, à sécurisation des parcours professionnels, au portage salarial, aux licenciements économiques, à la responsabilité sociale des plateformes électroniques, au harcèlement sexuel, à la réforme de la médecine du travail … Il devrait même inclure le fait religieux dans l’entreprise si l’amendement porté par la sénatrice Françoise Laborde et adopté par le Sénat est retenu par l’Assemblée Nationale. Un projet de loi qui arrive en fin de mandat présidentiel et à un moment où la côte de popularité du Président de la République et celle du Premier ministre sont particulièrement basses. Il est difficile pour un exécutif affaibli de porter un projet de loi d’une telle ampleur. Une communication pas toujours heureuse de la part du Gouvernement Le projet de loi a été mal expliqué et défendu par le gouvernement, laissant la tâche facile à ceux qui souhaitaient le décrédibiliser. Certaines maladresses de rédaction allant jusqu’au titre même du projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Le projet a été divulgué trop tôt, le 17 février 2016, avant même d’être soit soumis au Conseil d’Etat et dans une version qui était loin d’être finalisée. Le Premier ministre et Ministre du travail ont très/trop tôt parlé de la possibilité de recourir à l’article 49-3, ce qui était un aveu de faiblesse. Les réactions des syndicats contestataires relèvent de la posture Le projet de Loi Travail avait été précédé par plusieurs rapports rendus publics et, dans l’ensemble, plutôt bien accueillis par la plupart des organisations syndicales :

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Conférences petit-déjeuner

Des 23 et 24 juin 2016

DECRYPTAGE DU PROJET DE « LOI TRAVAIL »

1

I. INTRODUCTION

I.1 Une genèse difficile

Un projet de Loi Travail manquant de cohérence

Avec 54 articles et pas moins de 224 pages, le projet de loi ressemble à une usine à

gaz. On est loin du rapport Combrexelle qui prônait que toute création d'une

disposition nouvelle soit compensée par la suppression d'une disposition obsolète.

Le projet de loi embrasse une trop grande diversité de sujets. Alors que projet de loi

initial était centré sur la négociation collective, son périmètre a notamment été

étendu, entre autres choses, à sécurisation des parcours professionnels, au portage

salarial, aux licenciements économiques, à la responsabilité sociale des plateformes

électroniques, au harcèlement sexuel, à la réforme de la médecine du travail … Il

devrait même inclure le fait religieux dans l’entreprise si l’amendement porté par la

sénatrice Françoise Laborde et adopté par le Sénat est retenu par l’Assemblée

Nationale.

Un projet de loi qui arrive en fin de mandat présidentiel et à un moment où la côte de

popularité du Président de la République et celle du Premier ministre sont particulièrement

basses. Il est difficile pour un exécutif affaibli de porter un projet de loi d’une telle

ampleur.

Une communication pas toujours heureuse de la part du Gouvernement

Le projet de loi a été mal expliqué et défendu par le gouvernement, laissant la tâche

facile à ceux qui souhaitaient le décrédibiliser.

Certaines maladresses de rédaction allant jusqu’au titre même du projet de loi

« visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les

entreprises et les actifs ».

Le projet a été divulgué trop tôt, le 17 février 2016, avant même d’être soit soumis

au Conseil d’Etat et dans une version qui était loin d’être finalisée.

Le Premier ministre et Ministre du travail ont très/trop tôt parlé de la possibilité de

recourir à l’article 49-3, ce qui était un aveu de faiblesse.

Les réactions des syndicats contestataires relèvent de la posture

Le projet de Loi Travail avait été précédé par plusieurs rapports rendus publics et,

dans l’ensemble, plutôt bien accueillis par la plupart des organisations syndicales :

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le rapport Combrexelle visant à donner à la négociation collective une place

prépondérante et le rapport Césaro proposant des pistes de réflexion pour

dynamiser la négociation collective au sein des entreprises.

Les organisations syndicales ne peuvent donc faire semblant de découvrir le projet

de Loi Travail, ce d’autant que le rapport Combrexelle dont il s’inspire très

largement avait pour principal objet, aux termes même de la lettre de mission du

Premier ministre, de réfléchir sur « l’élargissement de la place de l’accord collectif

dans notre droit du travail et la construction de normes sociales » afin « de faire

une plus grande place à la négociation collective et en particulier à la négociation

d’entreprise, pour une meilleure adaptabilité des normes aux besoins des

entreprises ainsi qu’aux aspirations des salariés ».

Le projet de Loi Travail intervient dans un cadre légal qui, depuis 2013, s’est

considérablement réformé afin de renforcer le dialogue social et le rôle des

partenaires sociaux par le biais notamment de :

la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, qui a permis à la plupart

des plans de sauvegarde de l’emploi d’être adoptés dans le cadre d’accords

collectifs conclus avec des organisations syndicales majoritaires au sein des

entreprises ;

la loi relative à la formation professionnelle et à la démocratie sociale du

5 mars 2014, qui a modifié les règles sur la représentativité syndicale et

patronale) ;

la loi relative au dialogue social du 17 août 2015 tendant notamment au

regroupement des négociations obligatoires et à l’extension de la DUP.

I.2 Le projet de Loi Travail va dans le bon sens

Il conforte la légitimité de la négociation d'entreprise en confiant l'élaboration de la norme

juridique à ceux chargés de la mettre en œuvre dans l’entreprise et qui sont les plus à

même d'en évaluer la pertinence, au plus près des intérêts des salariés.

Il acte ce qui se passe déjà dans la réalité puisque depuis 2013, pas moins de 44.000

accords d’entreprise ont été signés par l’ensemble des organisations syndicales dont la

CGT.

Il élargit enfin les domaines de compétence de la négociation collective afin de permettre

aux partenaires sociaux de passer d’une culture de l’affrontement à une culture du

compromis et de la négociation.

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I.3 Quand le projet de Loi Travail sera-t-il voté ?

Avec le rejet de la motion de censure du gouvernement, le jeudi 12 mai 2016, le projet de

loi a été considéré comme adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Le texte

est désormais entre les mains des Sénateurs, qui, réunis en séance publique depuis le 13

juin 2016, l’ont largement amendé.

Compte tenu des divergences de vues entre les deux chambres du Parlement, la

Commission Mixte Paritaire (« CMP ») devrait être réunie afin de trouver un compromis.

Après un probable échec de la CMP, le texte reviendra à l’Assemblée Nationale où il sera

adopté, selon toutes vraisemblances, au début du mois de juillet 2016, après un nouveau

recours à l’article 49-3 de la Constitution.

II. LA NOUVELLE ARCHITECTURE DU CODE DU TRAVAIL

II.1 Une architecture en trois strates

Les dispositions d’ordre public, auxquelles il ne sera, par principe, pas possible de

déroger en la défaveur des salariés car elles fixent les garanties minimales qui leur sont

accordées ainsi que le cadre de référence de l’organisation collective du travail. C’est ainsi

qu’il ne sera pas possible de déroger à la durée hebdomadaire du travail fixée à 35h, au

SMIC ou encore à la nécessité de justifier d’un motif figurant dans la loi pour licencier un

salarié en raison de difficultés économiques.

La négociation collective au niveau de l’entreprise :

Le projet de Loi Travail consacre la primauté des accords d’entreprise sur les

accords de branche car ce n’est, en principe, qu’à défaut d’accords d’entreprise que

les accords de branche recouvreront leur compétence. Ainsi, il sera possible de

négocier un accord d’entreprise abaissant le taux de majoration des heures

supplémentaire à 10% quand bien même l’accord de branche contiendrait des

dispositions l’interdisant expressément.

Le supplétif :

A défaut d’accord d’entreprise, il sera fait application du droit existant. Par

exemple, en cas d’absence d’accord d’entreprise sur le taux de majoration des

heures supplémentaires, il sera fait application des dispositions légales actuellement

applicables, selon lesquelles « les heures accomplies au-delà de la durée légale

(…) donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour les 8 premières heures

et (…) de 50 % pour les suivantes ».

Dans ces conditions, le projet de Loi Travail ne représente en rien un recul des

droits des salariés car, en l’absence d’accord, ce sont les dispositions légales et

réglementaires ainsi que les accords de branche et la jurisprudence applicable qui

retrouveront effet.

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II.2 Il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes

Les accords d’entreprise restent strictement encadrés par la loi

Si le projet de Loi Travail consacrait le principe de l’inversion de la hiérarchie des

normes, les partenaires sociaux pourraient créer de la norme comme bon leur

semble. Or, le projet de loi ne leur donne pas une telle prérogative.

Il faut savoir, en effet, que si le champ des accords d’entreprise est élargi, c’est

uniquement parce que la loi l’autorise.

C’est ainsi que les accords d’entreprises ne pourront pas :

abaisser en deçà de 10% le seuil de majoration des heures supplémentaires ;

déroger, sauf exceptions strictement encadrées par la loi, aux 11 heures de

repos quotidien ;

étendre au-delà de 46 heures hebdomadaires la moyenne de la durée du

travail sur une période de 12 semaines ;

déroger à la durée hebdomadaire fixée à 48 heures pour la porter à 60

heures, sauf à strictement remplir les conditions requises par la loi ;

adapter à leur guise la règlementation sur les licenciements économiques,

celle-ci demeurant totalement en dehors du champ de négociation des

accords collectifs.

Les accords de branche gardent certaines compétences exclusives et prévalent donc sur

les accords d’entreprise sur des sujets tels que :

la durée minimale du travail pour les contrats de travail à temps partiel ;

les classifications ;

les salaires ;

la protection sociale complémentaire ;

la modulation du temps de travail au-delà d’une période de 12 mois.

II.3 Le projet de Loi Travail remet en cause le principe de « faveur »

En application du principe de faveur, une norme inférieure ne peut déroger à une norme

supérieure en la défaveur des salariés.

La remise en cause du principe de faveur n’est pas chose nouvelle :

Il convient de rappeler que la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative au dialogue

social permettait déjà aux accords d'entreprise ou d'établissement de déroger aux

accords de branche, dès lors si ces derniers ne l’interdisaient pas.

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Saisi de cette difficulté, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du

29 avril 2004, avait considéré « que le principe en vertu duquel la loi ne peut

permettre aux accords collectifs de travail de déroger aux lois et règlements ou aux

conventions de portée plus large que dans un sens favorable aux salariés ne résulte

d'aucune disposition législative antérieure à la Constitution de 1946, et […] ne

saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la

République […] ».

La loi du 20 août 2008 sur la réforme du temps de travail est allée encore plus loin

dans la remise en cause du principe de faveur puisqu’elle a permis aux accords

d’entreprise de déroger aux accords de branche en la défaveur des salariés dans de

nombreux domaines (par ex. conventions de forfait jours, fixation du contingent

d'heures supplémentaires ou encore mise en place du compte épargne temps) et

surtout en supprimant toute possibilité de verrouillage de ces domaines par les

branches. En d’autres termes, la loi de 2008 permettaient aux accords d’entreprise

de déroger aux accords de branche dans un sens moins favorable aux salariés même

si les accords de branche l’interdisaient expressément.

La Loi Travail va encore plus loin en étendant les domaines dans lesquels il est

possible aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche dans un sens

moins favorable aux salariés. Pour s’en convaincre, examinons la partie « durée du

travail » du projet de loi.

III. LA DUREE DU TRAVAIL

Encore plus de flexibilité pour les entreprises :

Ainsi que nous venons de le voir, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la

démocratie sociale et réforme du temps de travail permet de faire primer l’accord

d’entreprise sur l’accord de branche même dans l’hypothèse où ce dernier

l’exclurait. Seulement, cette loi ne le permettait que dans les six catégories

suivantes :

fixation du contingent d’heures supplémentaires et conditions de son

dépassement ;

mise en place d’un repos compensateur de remplacement et conditions de

prise du repos ;

conventions de forfait en heures ou en jours sur l’année : il est ainsi possible

de fixer par accord d'entreprise un nombre de jours supérieur à celui fixé par

l’accord de branche, même si ce dernier l'interdit expressément ;

aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et

au plus égale à l’année ;

mise en place d’un compte épargne-temps ;

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et, enfin, choix de la date de la journée de solidarité.

Le projet de Loi Travail élargit les possibilités existantes. Ainsi, la primauté est

accordée aux accords d’entreprise sur les accords de branche dans les domaines

suivants et sous réserve, le cas échéant, de respecter les conditions posées par la

loi :

fixation du taux de majoration des heures supplémentaires dès lors qu’il ne

va pas en deçà de 10% ;

dépassement de la durée hebdomadaire moyenne de travail dans la limite de

46 heures sur une période quelconque continue de 12 semaines ;

durée quotidienne maximale de travail pouvant être portée jusqu’à 12h

dérogation au repos quotidien minimal de 11 heures consécutives ;

détermination du contingent d’heures complémentaires ;

dépassement du temps normal de déplacement professionnel ;

fixation des contreparties aux temps d’habillage/déshabillage ;

rémunération des temps de restauration et de pause ;

modalités de report en cas d’horaires individualisés,

Durée légale de 35 heures et majoration des heures supplémentaires

Si la durée légale de 35 heures, comme seuil de déclenchement des heures

supplémentaires, est maintenue comme dispositif d’ordre public, les parties à

l’accord d’entreprise auront la possibilité de fixer la période de référence de la

durée hebdomadaire légale (35 heures) sur toute période de 7 jours déconnectée de

la semaine civile.

Le fait que les heures supplémentaires ne soient plus nécessairement

décomptées sur une période civile permettra à l’employeur de décaler le

point de départ des 7 jours de manière à neutraliser le seuil de

déclenchement des heures supplémentaires en fonction du cycle d’activité

de l’entreprise.

Dorénavant, et c’est une différence avec ce qui existe aujourd’hui, la

dérogation à la semaine civile de référence pourra intervenir :

dans les branches d’activité autres que celles qui ont un caractère

saisonnier mentionnées à l’article L.3132-7

Sans subordonner la signature de l’accord d’entreprise à la conclusion

préalable d’un accord de branche étendu ou à la publication d’un décret.

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En matière d’heures supplémentaires, priorité sera donnée à l’accord d’entreprise :

La majoration de 25 % pourra désormais être abaissée à 10 % par accord

d’entreprise, peu importe que l’accord de branche ait entendu verrouiller le taux de

majoration des heures supplémentaires à 25%.

La majoration de 50 %, au-delà de l’accomplissement des huit premières heures

supplémentaires, pourra être supprimée.

Si, comme actuellement, l’employeur pourra exiger du salarié qu’il accomplisse des

heures supplémentaires dans la limite et au delà du contingent annuel applicable

dans l’entreprise, le projet de Loi Travail met cependant fin à l’obligation de

l’employeur d’informer (dans la limite du contingent) ou de consulter (au-delà du

contingent) le comité d’entreprise, ou à défaut les délégués du personnel.

Toutefois, rien n’interdira aux organisations syndicales d’exiger dans l’accord que

le CE ou le CHSCT soient, selon le cas, informés ou consultés.

Durée journalière maximale :

Il est d’ores et déjà possible de déroger à la durée journalière maximale du travail :

une dérogation peut être accordée par l’inspection du travail en cas de surcroît

temporaire d’activité (travaux devant être exécutés dans un délai déterminé en

raison de leur nature, des charges imposées à l’entreprise ou des engagements

de celle-ci) ;

l’employeur peut de lui-même et sous sa propre responsabilité déroger à la

durée journalière du travail en cas d’urgence et sous réserve que la

régularisation de sa demande de dérogation auprès de l’inspection du travail

intervienne dans les plus brefs délais ;

enfin, cette dérogation peut résulter d’un accord de branche étendu ou d’un

accord d’entreprise ou d’établissement dès lors que la durée journalière du

travail n’est pas portée au-delà de 12 heures.

Le projet de loi ne revient pas sur la durée maximale quotidienne de 10 heures. Il

reprend les cas de dérogation susvisés. C’est ainsi qu’il sera toujours possible de

déroger en cas de :

réalisation de certains travaux spécifiques et après autorisation de la Direccte

(au lieu de l’autorisation de l’inspection du travail, comme c’est le cas

actuellement) ;

en cas d’urgence ;

par accord collectif, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à

l’organisation de l’entreprise, et toujours dans la limite de 12 heures.

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On peut ainsi dire que le projet de Loi Travail ne modifie pas substantiellement la

réglementation actuelle sur l’amplitude maximale de la journée du travail.

Durée hebdomadaire maximale

Le projet de loi ne revient pas sur la double limite de 48 heures au cours d’une

même semaine et de 44 heures sur une période quelconque de 12 semaines. Il ouvre

cependant de nouvelles souplesses, par la conclusion d’accords d’entreprise

majoritaires, pour organiser le temps de travail au plus près du terrain.

Actuellement, il ne peut être dérogé, dans une entreprise, à la durée maximale de 44

heures en moyenne sur 12 semaines (dérogation à hauteur de 46 heures) que si un

décret, pris après conclusion d’une convention ou d’un accord collectif de branche,

le permet (Cf. article L.3121-36).

Dans le cadre du projet de loi, ce dépassement pourrait être autorisé par simple

accord ou par l’autorité administrative, à condition que ce dépassement n’ait pas

pour effet de porter cette durée à plus de 46 heures sur une période de 12 semaines

(et non plus de 16 semaines, comme prévu dans le projet de Loi Travail initial).

Le projet de loi maintient le plafond existant de 48 heures en présence d’un accord.

Toutefois, alors que cette possibilité n’était autorisée que par la conclusion d’un

accord de branche validé par décret, il sera désormais possible de passer par un

accord d’entreprise ou d’établissement, et ce dernier niveau de norme

conventionnelle sera prioritaire sur l’accord de branche. Il ne sera plus nécessaire

de faire « valider » par décret l’accord ainsi conclu.

En d’autres termes, si la double limite de 44 heures et de 48 heures est maintenue,

on peut néanmoins dire que ses conditions de mise en œuvre sont assouplies.

Modulation du temps de travail

L’enjeu de ce dispositif est de mieux répondre aux besoins des entreprises – petites

et grandes – en matière d’aménagement du temps de travail. Plus particulièrement,

cette mesure vise à permettre aux entreprises qui sont en capacité de prévoir leur

charge d’activité au-delà d’un an de moduler la durée du travail des salariés au plus

près de la variation prévisionnelle de cette charge (cas des entreprises dont

l’activité porte par nature sur des projets pluriannuels (construction aéronautique,

navale, automobile, transport, etc.)

Aux termes du projet de loi, la modulation peut se faire sur une période allant

jusqu’à trois ans, après accord d’entreprise, mais uniquement si l’accord de branche

l’autorise. Aujourd’hui, le temps de travail ne peut être aménagé que sur une

période maximale d’un an.

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D’après le projet de loi, si la période de référence est supérieure à un an, l’accord

devra nécessairement prévoir un seuil, supérieur à 35 heures, au-delà duquel les

heures accomplies au cours d’une même semaine « sont en tout état de cause des

heures supplémentaires rémunérées avec le salaire du mois considéré ».

Il est donc inexact de dire, comme le prétendent certains adversaires du projet de

loi, que le salarié devra attendre 3 ans pour que ses heures supplémentaires soient

payées.

À défaut d’accord collectif sur la modulation du temps de travail, l’employeur

pourra toujours aménager unilatéralement le temps de travail sur une période ne

pouvant excéder 4 semaines lorsque l’effectif salarié est d’au moins 50 salariés. En

dessous de ce seuil, l’employeur pourra moduler le temps de travail, de façon

unilatérale sur une période d’au moins 9 semaines (au lieu de 16 semaines dans

l’avant-projet de loi initial).

III. SECURISATION DES FORFAITS JOURS

Les forfaits annuels, en heures ou en jours, ont été mis en place par la loi n°2000-37 du 19

janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (dite « Aubry II »).

A partir de 2011, la Cour de cassation est venue renforcer l'encadrement juridique du forfait

en jours. C’est ainsi qu’aux termes d’un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a jugé que

« toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les

stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des

repos, journaliers et hebdomadaires ». Puis, le 24 avril 2013, la Cour de cassation a jugé que

« l’amplitude et la charge de travail [doivent être] raisonnables et [assurer] une bonne

répartition, dans le temps du travail de l’intéressé [afin d’] assurer la protection de la

sécurité et de la santé du salarié ».

Cela a conduit la Cour de cassation à déclarer illicites les stipulations de 7 accords de branche

instituant le forfait en jours (par ex. convention collective de l'industrie chimique ou encore

commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire), ce qui a conduit à l’annulation de

l’ensemble des conventions individuelles conclues sur le fondement des accords de branches

jugés illicites.

Le projet de Loi Travail reprend les dispositions actuelles du code du travail et la

jurisprudence susvisée sur les conventions de forfait.

Le projet de Loi Travail prévoit qu’afin de mieux prendre en compte les impératifs de

protection de la santé et de la sécurité des salariés liés à leur charge de travail, l’accord

d’entreprise mettant en place les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année devra

déterminer :

Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier

de la charge de travail de sorte que celle-ci demeure raisonnable. Le projet de Loi

Travail n’indique cependant pas ce qu’il faut entendre par « charge de travail

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raisonnable ». N’aurait-il pas cependant été plus simple de prévoir que « toute

convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les

stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi

que des repos, journaliers et hebdomadaires », ainsi que la Cour de cassation l’a

déjà jugé dans son arrêt du 29 juin 2011 ?

Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiqueront

périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son

activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur

l’organisation du travail dans l’entreprise.

Les modalités selon lesquelles le salarié pourra exercer son droit à la déconnexion.

On peut regretter, compte tenu de l’importance du sujet, que le projet de loi ne

contienne aucune disposition particulière sur le droit à la déconnexion. Cela donne

davantage le sentiment que le législateur a voulu se débarrasser du sujet plutôt que

de le voir traité par les partenaires sociaux au niveau de l’entreprise.

Vers plus de sécurisation des forfaits jours

Que se passe t-il si l’accord d’entreprise conclu antérieurement à la publication de la Loi

Travail ne contient pas les dispositions susvisées ? Encourra t-il le risque d’être déclaré

invalide et d’entraîner, dans sa chute, l’annulation des conventions individuelles conclues sur

son fondement ?

Fort heureusement, la réponse est négative car le projet de Loi Travail prévoit un cadre

supplétif pour les entreprises couvertes par des accords dont le contenu ne correspondrait pas

à celui défini par le projet de loi.

Ainsi, selon le projet de Loi Travail, même si l’accord d’entreprise ne comporte pas les

dispositions susvisées, l’employeur aura toujours la possibilité de conclure valablement une

convention individuelle de forfait-jours avec les salariés, sous réserve :

d’avoir établi un document de contrôle du nombre de jours travaillés ;

de s’être assuré que la charge de travail est compatible avec le respect des temps de

repos quotidiens et hebdomadaires ;

d’organiser un entretien annuel avec le salarié.

Autrement dit, l’employeur pourra combler unilatéralement les carences de l’accord collectif,

ce que la jurisprudence actuelle n’admet pas (Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-19807). De ce

point de vue, le projet de loi fait preuve d’un réel pragmatisme et on ne peut que s’en féliciter.

Les dispositions supprimées, que l’on regrette déjà :

On déplore que le projet de Loi Travail ait fait passer à la trappe la possibilité pour les

entreprises de moins de 50 salariés d’accéder au forfait annuel en jours en l’absence de tout

accord de branche car c’était là une vraie souplesse pour les PME.

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Désormais, pour recourir au forfait-jours, les entreprises de moins de 50 salariés devront

passer par un accord avec un salarié mandaté ou un accord-type de branche.

On déplore également la disparition de la possibilité donnée à l’accord d’entreprise de fixer

les modalités selon lesquelles le salarié en forfait-jours peut, à sa demande et avec l’accord de

l’employeur, fractionner son repos quotidien ou hebdomadaire dès lors qu’il choisit de

travailler en dehors de son lieu de travail au moyen d’outils numériques. Il s’agissait là

d’entériner une pratique qui existe déjà et à laquelle bon nombre de salariés, notamment ceux

en télé-travail, sont attachés.

V. DIALOGUE SOCIAL

Accord majoritaire et référendum

Avènement de l’accord majoritaire

Jusqu’à présent, la validité des accords d'entreprise ou d'établissement est subordonnée

à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés

représentatives ayant obtenu au moins 30 % des suffrages aux élections

professionnelles prises en compte pour mesurer l’audience ;

à l’absence d’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicales de salariés

représentatives ayant obtenu au moins 50 % des suffrages aux élections prises

en compte pour mesurer l’audience (l'opposition est exprimée par écrit dans un

délai de huit jours à compter de la date de notification de cet accord).

Le projet de Loi Travail réforme en profondeur les modalités de validation des accords

d’entreprise.

En effet, la validation de ces accords sera subordonnée à leur signature par l’employeur ou

son représentant et une ou plusieurs organisations syndicales » représentatives ayant recueilli

plus de 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives (c'est-à-dire

ayant recueilli un minimum de 10% des voix exprimées) au premier tour des élections

professionnelles.

En imposant le principe majoritaire, le projet de Loi Travail recherche des accords fondés sur

un consensus large. La généralisation de ce principe, qui tend à renforcer les syndicats dans la

négociation d’entreprise, est vue par le gouvernement comme le corollaire nécessaire de la

place beaucoup plus importante donnée aux accords collectifs.

Comment cela fonctionne concrètement ?

Si l’accord d’entreprise n’arrive pas à fédérer les organisations syndicales représentatives

« majoritaires », il sera possible pour l’employeur de signer avec une ou plusieurs

organisations syndicales ayant recueilli au moins 30% des suffrages. Ces organisations

syndicales étant minoritaires, leur signature apposée sur l’accord collectif ne suffira pas à le

faire entrer en vigueur.

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Ces organisations syndicales disposeront cependant d’un délai d’un mois pour indiquer à

l’employeur qu’elles souhaitent une consultation des salariés pour valider l’accord. Si, à

l’issue d’un délai de huit jours à compter de cette demande, les éventuelles signatures d’autres

organisations syndicales représentatives n’ont toujours pas permis d’atteindre le taux de 50%

et que les organisations à plus de 30% le demandent toujours, cette consultation devra être

organisée dans un délai maximal de deux mois.

L'accord sera validé s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.

Faute d’approbation, l’accord sera réputé non écrit.

L’objectif poursuivi par le projet de Loi Travail est d’éviter toute paralysie du dialogue social

lorsque la majorité s’avère difficile à obtenir puisqu’à l’accord majoritaire pourra être

substituée une procédure de consultation directe des salariés permettant aux syndicats

signataires de l’accord et représentant plus de 30% des suffrages exprimés en faveur

d’organisations représentatives aux dernières élections professionnelles, de faire valider le

projet d’accord.

On peut s’étonner que la CGT et FO soient « vent debout » contre le principe de l’accord

« majoritaire » car quelle organisation syndicale peut sérieusement considérer que la

consultation des salariés, à l’initiative des organisations syndicales, sur leurs conditions de vie

au travail et les choix qui les concernent directement, soit une régression sociale.

Le projet de Loi Travail est d’autant moins défavorable aux organisations syndicales que

l’employeur n’aura pas la possibilité de contourner les syndicats en consultant directement les

salariés car, d’après le gouvernement, ce serait contraire à la philosophie du projet de loi qui

vise à renforcer le pouvoir des syndicats dans les entreprises

Application dans le temps

Le principe de l’accord majoritaire et, le cas échéant, de l’accord minoritaire avec

consultation des salariés entera en vigueur à compter du 1er janvier 2017 s’agissant des

accords d’entreprise portant sur la durée du travail, les repos et les congés ainsi que des futurs

accords de préservation et de développement de l’emploi sur lesquels nous reviendrons plus

loin.

A compter du 1er septembre 2019, tous les autres accords, y compris les accords sur les PSE

(mais à l’exclusion des accords de maintien de l’emploi dont on peut considérer qu’ils vivent

leurs deniers instants), seront soumis aux règles décrites ci-dessus.

VI. ACCORD DE PRESERVATION ET DE DEVELOPPEMENT DE L’EMPLOI

Le projet de Loi Travail créé un nouveau cas d’accord collectif pour favoriser la flexibilité des

entreprises : les accords de préservation et de développement de l’emploi.

On qualifie couramment ces accords d’accords « offensifs » par opposition aux accords de

maintien de l’emploi considérés comme des accords « défensifs ».

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L’une des principales différences entre ces deux accords est qu’au contraire des accords de

maintien de l’emploi, les accords de préservation et de développement de l’emploi ne

nécessitent pas, pour être valablement signés, de reposer sur le constat d’une situation

économiquement dégradés de l’entreprise.

Les accords de préservation et de développement de l’emploi pourront ainsi être conclus dans

des cas où la société, loin d’être dans la nécessité de se réorganiser en raison de difficultés

économiques, a gagné un nouveau marché ou un appel d’offre et envisage de demander à ses

salariés de travailler davantage.

L’objet de cet accord majoritaire d’une durée déterminée (soit 5 ans, sauf mention contraire

dans l’accord) vise « à la préservation ou au développement de l’emploi ». Cela devra être

rappelé dans le préambule de l’accord sous peine de nullité, par la fixation d’objectifs en

matière de préservation ou de développement de l’emploi ».

Une fois signé, les stipulations de l’accord de préservation et de développement de l’emploi se

substitueront aux clauses même contraires du contrat de travail du salarié, y compris celles

relatives à la rémunération horaire et à la durée de travail. En revanche, l’accord ne pourra pas

entraîner la diminution de la rémunération mensuelle du salarié, la définition de cette

rémunération mensuelle devant encore être précisée par décret.

Le salarié qui refusera de se voir appliquer l’accord pourra être licencié individuellement pour

motif économique sur la base d’un motif sui generis, qui, de fait, interdira au salarié

d’engager une action devant le conseil de prud’hommes pour contester la rupture de son

contrat de travail. Le licenciement de 10 salariés ou plus en raison du refus exprimé par ces

salariés de se voir appliqués l’accord de préservation et de maintien de l’emploi ne donnera

pas davantage lieu à la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

De plus, ce licenciement n’ouvrira pas droit au reclassement, contrairement aux licenciements

économiques collectifs, mais à un accompagnement personnalisé auprès de Pôle Emploi, qui

reste à définir par décret. On peut néanmoins d’ores et déjà considéré que le salarié

bénéficiant de cet accompagnement aura le statut de stagiaire de la formation professionnelle.

Cet accompagnement sera financé pour partie par l’employeur, via « un versement

représentatif de l’indemnité compensatrice de préavis », dans la limite de trois mois de salaire.

Plus particulièrement, ce dispositif spécifique d’accompagnement s’appuiera sur deux volets

complémentaires :

d’une part, un accompagnement renforcé et personnalisé assuré par Pôle

emploi et dont les modalités devront être définies par décret. Le salarié pourra

notamment bénéficier d’un accès facilité aux périodes de formation et de

travail ;

d’autre part, les bénéficiaires justifiant d’une ancienneté d’au moins douze

mois auront bénéficieront du versement d’une allocation d’un montant

supérieur à celui de l’allocation d’aide au retour à l’emploi.

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VII. REVISION DES ACCORDS COLLECTIFS

Aux termes de l’actuel article L.2261-7 du code du travail, les seules organisations syndicales

habilitées à signer des avenants de révision d’un accord entreprises sont les organisations

syndicales de salariés représentatives et ayant obtenu au moins 30% des suffrages exprimés

lors des dernières élections professionnelles, qui sont soit signataires de l’accord, soit

adhérentes à l’accord dans les conditions prévues à l’article L. 2261-3 du code.

Or, les conditions actuelles de validité d’un avenant de révision, qui supposent donc de

franchir le seuil des 30 %, pour les organisations syndicales représentatives, ne sont plus

forcément adaptées lorsque les organisations signataires de l’accord ont disparu ou ne sont

plus représentatives lors des élections professionnelles suivant la signature de l’accord.

Dès lors, se fondant sur le rapport du Professeur Césaro, le projet de Loi Travail prévoit que :

jusqu’à la fin du cycle électoral de 4 ans au cours duquel l’accord collectif est

conclu, seules les syndicats représentatifs signataires ou adhérents pourront réviser

l’accord ;

à l’issue de ce cycle, lorsqu’une nouvelle mesure de la représentativité aura eu

lieu et que les organisations syndicales signataires de l’accord considéré ne

seront plus nécessairement représentatives, le projet de loi prévoit d’étendre la

possibilité de déclencher une procédure de révision à l’ensemble des

organisations entrant dans le champ d’application de l’accord, sans aucune

condition d’adhésion ou de signature de l’accord, sous réserve que

l’organisation syndicale en question soit représentative.

VIII. LA FIN DES AVANTAGES INDIVIDUELLEMENT ACQUIS

L’avantage individuel acquis a été défini par la Cour de cassation comme « l’avantage qui, au

jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une

rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit

déjà ouvert et non à un droit éventuel ». Tel est, par exemple, le cas de la rémunération d’un

temps de pause prévue dans un accord collectif pour les salariés qui en bénéficiaient.

En cas de dénonciation du statut collectif des salariés (à la suite, par exemple, du rachat de

l’entreprise), et en l’absence de conclusion d’un accord de substitution dans les quinze mois

suivant cette dénonciation, les salariés bénéficient, sous la loi actuelle, d’une intégration à leur

contrat de travail de leurs « avantages individuels acquis ».

Le projet de Loi Travail prévoit de ne conserver strictement que la rémunération annuelle, en

faisant disparaître l’ensemble des autres avantages individuels acquis comme ceux relatifs aux

droits au repos ou aux droits familiaux.

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Concrètement, cela signifie que le salarié dont le statut collectif est dénoncé aura le droit au

maintien de sa rémunération au moins équivalente à celle versée au cours des douze derniers

mois, au sens de l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale et ce, pour une durée du

travail équivalente à celle prévue par son contrat de travail.

Dès lors, entreront dans la rémunération du salarié toutes les sommes versées en contrepartie

ou à l'occasion du travail, et notamment les salaires et les heures supplémentaires, les

indemnités de congés payés, toutes indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages

en argent, tous avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par

l'entremise d'un tiers à titre de pourboire.

Il est à craindre, selon nous que le maintien d’une rémunération aussi favorable, ait un effet

dissuasif à l’égard des éventuels repreneurs qui n’auront pas nécessairement envie de payer

aux salariés repris, en l’absence d’accord de substitution, des éléments de rémunération autres

que leur rémunération fixe.

IX. LICENCIEMENTS ECONOMIQUES

L’objectif affiché du gouvernement est de sécuriser les licenciements économiques. On peut

réellement douter que cet objectif soit rempli.

Le fait que le projet de loi ait entendu caractériser les difficultés économiques notamment

par l’évolution « significative » d’un indicateur comme une baisse des commandes ou du

chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de

l’excédent brut d’exploitation ou « par tout autre élément de nature à justifier ces

difficultés » n’est pas de nature à sécuriser les licenciements.

On voit mal, en effet, en quoi le fait qu’une baisse de commandes ou de chiffre d’affaires

soit avérée dès lors qu’elle se produit, en comparaison avec la période équivalente de

l’année précédente (soit 1 trimestre pour une entreprise jusqu’à 10 salariés, 2 trimestres

consécutifs de 11 à 49 salariés, 3 trimestres consécutifs de 50 à 299 et 4 trimestres

consécutifs à partir de 300 salariés) démontre de quelconques difficultés économiques.

Il est bien évident que des indicateurs économiques reposant uniquement sur un critère de

durée ne sont d’aucune utilité pour caractériser des difficultés économiques. Cela signifie

que nonobstant une éventuelle diminution du chiffre d’affaires de l’entreprise, l’employeur

devra continuer à démontrer devant le juge prud’homal la réalité de ses difficultés

économiques au regard de leur ampleur.

On est tout aussi déçu que le projet de Loi Travail se contente de reprendre, parmi les

motifs possibles de licenciement économique, la réorganisation de l’entreprise nécessaire à

la sauvegarde de sa compétitivité (ce qui était déjà admis par les juges). Compte tenu de la

complexité de cette notion, on aurait souhaité que le législateur donne des critères

permettant aux employeurs, syndicats, représentants du personnel et juges de savoir dans

quel cas l’entreprise se trouve dans la nécessité de sauvegarder sa compétitivité.

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Le Sénat s’y est, pour sa part, essayé en considérant qu’une entreprise doit pouvoir se

réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité si elle est conduite à perdre un marché

représentant au moins 30 % de son chiffre d'affaires ou de ses commandes

On notera également que le périmètre d’appréciation des difficultés économiques ne sera

finalement pas circonscrit au niveau national. En effet, après bien des débats et

changements, le gouvernement a finalement choisi d’abandonner la seule référence au

périmètre national pour l’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise

souhaitant procéder à des licenciements économiques.

On en revient donc à la jurisprudence actuelle retenant, si l’entreprise appartient à un

groupe, une appréciation au niveau du secteur d’activité du groupe. Le juge pourra donc,

comme c’est le cas actuellement, prendre en compte la dimension européenne ou mondiale

du groupe auquel appartient l’entreprise qui envisage de procéder à des licenciements

économiques.

Cela est assez regrettable car cela signifie qu’une entreprise connaissant de réelles

difficultés économiques ne pourra pas procéder à des licenciements économiques s’il avère

que le secteur d’activité du groupe dont elle relève ne connait, pour sa part, aucune

difficulté particulière.

X. TRANSFERT D'ENTREPRISE

Le projet de loi traite du sort des accords collectifs lorsque, à la suite d’une restructuration

d’entreprise (fusion, cession, scission, par exemple), un accord collectif est mis en cause

Aux termes du projet de loi, dès lors qu’est envisagée une fusion, une cession, une scission ou

toute autre modification juridique qui aurait pour effet la mise en cause d’une convention ou

d’un accord, les employeurs des entreprises concernées et les organisations syndicales de

salariés représentatives dans l’entreprise qui emploie les salariés dont les contrats de travail

sont susceptibles d’être transférés pourront négocier et conclure l’accord de substitution prévu

au premier alinéa de l’article L. 2261-14.

Ainsi, avec le projet de loi, la négociation et la conclusion d’un accord sera possible dès

qu’une opération est envisagée, soit chez le cédant, entre les employeurs des entreprises

concernées et les syndicats représentatifs du cédant ; soit chez le futur cessionnaire, entre les

deux employeurs et les organisations syndicales du cédant et du cessionnaire.

Ce faisant, le projet de loi répond aux difficultés pratiques actuelles. En effet, actuellement, il

faut attendre que l’opération de fusion soit intervenue pour négocier et conclure des

négociations d’harmonisation des statuts conventionnels … ce qui créé une forte incertitude

pour le cédant, le cessionnaire et les salariés car, en pratique, le sort de l’opération de

restructuration est souvent lié au succès ou à l’échec de ces négociations.

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XI OFFRE D’ACHAT D’UNE ENTREPRISE EN CAS D’APPLICATION DE LA LOI FLORANGE

En cas de cession d’activité, l’ensemble des salariés bénéficient normalement du transfert

automatique de leur contrat de travail au cessionnaire. Le projet de loi a créé une exception à

cette règle afin de favoriser la reprise d’entreprise et le sauvetage d’emplois.

Plus particulièrement, lorsque l’entreprise, appartenant à un groupe de plus de 1.000 salariés,

souhaite fermer un site et a engagé la procédure Florange dans l’objectif de trouver un

repreneur avant de procéder au licenciement des salariés concernés, il sera possible de déroger

au transfert automatique des contrats de travail si l’entreprise fait l’objet d’une offre de reprise

qu’elle envisage d’accepter, notamment au regard de la capacité de l’auteur de l’offre à

garantir la pérennité de l’activité et de l’emploi de l’établissement.

Dans un tel cas, un plan de sauvegarde de l’emploi pourra être mis en place avant la cession et

ne concernera que les seuls salariés non repris dans le cadre de l’offre d’achat.