Confédérations Paysannes du Centre et du...

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Confédérations Paysannes du Centre et du Loiret

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Confédérations Paysannes

du Centre et du Loiret

Pourquoi ce forum ? Jean-Marie VECTEN - porte-parole de la Confédération paysanne du Loiret « Ce forum a pu être organisé grâce au soutien du Conseil régional. Je remercie Gilles Deguet, vice-président du Conseil régional de sa présence parmi nous. Dans les préoccupations des paysans, leurs revendications, dans les discussions sur le développement et sur l’investissement, la maitrise de l'eau est très souvent mise en avant comme un facteur déterminant. On peut voir, et encore récemment dans l'actualité, combien la question de l'eau soulève des débats passionnés. Je suis souvent étonné, que sur un sujet aussi important, nous parvenions difficilement à sortir d'une confrontation stérile où chacun se borne à présenter son intérêt comme une évidence. Sans eau, il n'y a pas d'agriculture possible. Et plus largement, il n'y a pas de vie possible. Si eau et agriculture sont étroitement liées, la ressource en eau représente un enjeu majeur pour l'ensemble de la société et doit nécessairement être gérée dans l’intérêt commun. Je souhaite que ce forum soit l'occasion de dépassionner le débat et de dépasser le stade de la confrontation. Nous ne pouvons pas opposer continuellement l’économie agricole et les enjeux environnementaux. Nous devons concilier ces enjeux et les paysans doivent naturellement être acteur de cette démarche. Face aux affirmations que j’entends ici et là, nous avons sans doute besoin d’être mieux informé, de mieux comprendre, l’état de la ressource en eau, le cycle de l'eau, et les enjeux multiples, pour être à même de mieux raisonner l'utilisation que nous pouvons en faire. A côté de la question sur la ressource en eau se pose la question du partage de l'eau, des pratiques agricoles. Autour de la question de l'eau, on retrouve la plupart des questions qui se pose sur le mode de développement de notre agriculture. En particulier, le lien étroit qui existe entre la collectivité, l’agriculture, la vie des territoires, et la qualité de notre environnement. Si nous, paysans, nous voulons rester acteur de notre avenir, il faut que nous soyons à même d'avoir une approche globale de ces questions. »

La gestion et l’usage de l’eau en agriculture

Florence Denier-Pasquier – juriste en droit de l’environnement, administratrice à France Nature Environnement, siège au CESE (Conseil Economique Social et Environnemental). Le CESE est un conseil qui regroupe des structures de la société civile : syndicats, associations… Le principe du CESE est de trouver des voies de convergence sur des sujets polémiques. Il y a deux ans, j’ai conduit l’avis sur la gestion et l’usage de l’eau en agriculture : 4 mois d’audition sur le terrain et 2 mois de débats en interne.

Principaux défis identifiés :

Une production agricole diversifiée permettant l’autonomie alimentaire Les enjeux sanitaires, notamment la ressource en eau potable La conciliation les différents usages et activités liés à l’eau La contribution de l’agriculture à l’atteinte du bon état des eaux L’adaptation de la production agricole aux effets du changement climatique sur la ressource en eau

Idées – clés :

Liens INDISSOCIABLES entre l’eau, la terre et donc l’agriculture o Eau facteur de production agricole o Sols de bonne qualité, riches en matière organique permettent, de stocker et filtrer l’eau

Eau doit être gérée comme un BIEN COMMUN, à la bonne échelle o Exigence géographique et démocratique

LIENS QUALITE/QUANTITE = une ressource diversifiée de bonne qualité permet une conciliation des usages plus aisée

Lourds effets du CHANGEMENT CLIMATIQUE sur la ressource en eau o S’ADAPTER de façon coordonnée aux limites de la ressource en eau, propre à chaque territoire o Bien définir les BESOINS de chaque grand usage o SOBRIETE des besoins est un gage de sécurité

Les préconisations transversales du CESE : Conforter la politique de protection des captages d’eau potable Mettre en place une gestion intégrée de la parcelle au bassin versant et rechercher l’efficience

économique et écologique des exploitations Réduire les vulnérabilités de l’agriculture aux aléas météo et favoriser les adaptations au changement

climatique Privilégier l’irrigation efficiente et partager équitablement la ressource Améliorer les connaissances et rendre plus cohérente la gouvernance

1. Conforter la politique de protection des captages d’eau potable et en faire un enjeu d’aménagement du

territoire

- Défi alimentaire doit intégrer eau potable, enjeu sanitaire et économique o Coûts des traitements pour les collectivités et les ménages o Industries agro-alimentaires utilisent de l’eau potable o Facture d’eau potable des éleveurs

- Commencer par les zones les plus sensibles des aires d’alimentation o Priorité affirmée aux systèmes générant le moins de pollutions diffuses : agriculture

bio, forêt, agroforesterie o Sortie rapide de l’utilisation des pesticides sur les parcelles de prévention o Approche méthodique pour reconquête d’une qualité naturelle de l’eau potable :

capitalisation des connaissances entre agriculteurs

2. Mettre en place une gestion intégrée de la parcelle au bassin versant et rechercher l’efficience économique

et écologique des exploitations a. Agir de la parcelle au bassin versant

- Faciliter la stratégie agro-écologique de chaque exploitation o Convergence enjeux qualité eau, réduction dépendance énergétique et émission gaz

à effet de serre des intrants de synthèse o diminution coûts de production pour les agriculteurs o Promotion des alternatives agronomiques et techniques

Diversification et rotation longue des cultures Productions animales : autonomie alimentation, lien au sol Protection intégrée des cultures…

o Financer cette transition par redevances ciblées et progressives sur azote minéral et sur pesticides => accompagnement et formation

- Au delà des exploitations, des approches territoriales plus cohérentes o Promotion des systèmes de production économes en intrants, o Références agronomiques, économiques et écologiques o Faciliter le transfert d’expériences par mise en réseau o Evaluer différemment les performances économiques et écologiques des

exploitations o Accompagner initiatives d’acteurs en phase de changement

b. Réconcilier hydraulique agricole et gestion hydrologique

- Un héritage : les impacts négatifs de tous les aménagements hydrauliques, agricoles et urbains, sur les milieux aquatiques

disparition et dégradation des zones humides… Intérêt reconnu des « infrastructures vertes » pour régulation débits, filtrage des

pollutions, prévention inondations…

- Des convergences Entre réduction pollutions diffuses et bon état écologique des cours d’eau Entre protection des eaux et luette contre érosion des sols Techniques d’hydraulique douce, prairies permanentes, pratiques culturales adaptées,

couverture des sols… Coordination actions agricoles et locales renforcent efficacité des mesures

c. Gestion des milieux aquatiques

- Renforcer les solidarités entre amont et aval d’un bassin versant

- Soutenir territoires/exploitations qui contribuent aux fonctions essentielles des têtes de bassin versant et zones inondables

- Mieux prendre en compte les espaces de régulation écologique et réduire les nouvelles fragmentations (urbanisation, agrandissements parcelles)

- Méthodologie nationale pour mieux concilier aménagements hydrauliques agricoles et actions de restauration milieux aquatiques

d. Valoriser durablement les apports de l’agro-écologie

- "Cultures solutions" se heurtent à des blocages liés à l’organisation des filières et la recherche de débouchés

Cf INRA « freins et leviers de la diversification des cultures » => stratégie accompagnement changement doit aller au-delà des seuls agriculteurs et impliquer tous les acteurs des filières et les consommateurs

- Projets agricoles et alimentaires territoriaux, levier vers économie plus robuste et équitable à long terme

3. Réduire les vulnérabilités de l’agriculture aux aléas météo et favoriser les adaptations au changement

climatique a. Réduire les vulnérabilités de l’agriculture aux aléas météo

- Eau verte/eau bleu : « la plante se sert en premier » o Précipitations : 2/3 sols et évapotranspiration ; 1/3 « pluie efficace » pour les nappes

et cours d’eau o Cycles de recharge des nappes souterraines

- Renforcer robustesse agriculture pluviale (94% SAU métropolitaine)

- Evolution itinéraires techniques et variétés ayant moins de besoin en eau

- Favoriser conservation eau dans le sol et limiter évaporation

b. Favoriser les adaptations au changement climatique

- Lourds impacts CC sur cycle hydrologique et conditions agro-climatiques o Effet ciseau: forte diminution ressources en eau (nappes, cours d’eau) et

augmentation besoins cultures pour même rendement o Viabilité économique de l’irrigation à terme ?

- Favoriser la résilience des exploitations o PNACC : optimiser d’abord stockages eau existant, substitution prélèvement hivernal

à prélèvement d’étiage, nouveau stockage conditionné à optimisation efficience de l’utilisation eau

o Encourager recherches et travaux de prospective sur les territoires

4. Privilégier l’irrigation efficiente et partager équitablement la ressource a. Inscrire l’irrigation dans les équilibres territoriaux du grand cycle de l’eau

- Reconquête durable des équilibres sur les territoires en déséquilibre quantitatif et une démarche plus préventive ailleurs

- Améliorer les connaissances – banque nationale des prélèvements

- Généraliser la définition des priorités d’usage

- Systématiser la répartition des volumes prélevables entre catégories d’utilisateurs

b. Optimiser et mieux répartir l’eau d’irrigation disponible

- Organiser la répartition équilibrée du volume prélevable agricole

- Intégrer dans une politique nationale création de retenues de substitution au regard d’un bilan couts efficacité, de l’étude des alternatives et en dehors de zones protégées

- Réserver les financements publics à des programmes territoriaux visant en priorité des pratiques agro-écologiques des productions alimentaires et/ou à fort taux d’emplois

c. Moderniser les systèmes de gestion collective

- Maintenir en zone agricole protégée les territoires desservis par un réseau collectif d’irrigation

- Réguler collectivement les pointes de consommation Une conviction Si une transition est nécessaire, il n’y a pas d’opposition fondamentale entre gestion de l’eau et agriculture mais la nécessité d’un changement structurel dans la conciliation des enjeux. L’avis identifie des chemins de convergence, pour une agriculture durable, respectueuse des milieux et des hommes. L’eau est un bien commun, en cela elle appelle à une plus grande solidarité sur les territoires Une ambition Partager avec l’ensemble de la société civile ces enjeux fondamentaux, qui conditionnent à long terme la productivité de l’agriculture, le bon état des eaux, notre alimentation.

Témoignage paysan

Olivier Chaloche – agriculteur (céréales, à Cortrat (45)) Je suis céréalier sur une centaine d’hectares au sud de Montargis, en agriculture biologique depuis 1990. J’ai repris la ferme familiale. Au début, j’étais plutôt anti-irrigant de façon idéologique. J’utilisais d’autres leviers, agronomiques (gestion de l’humus) pour faire pousser mes céréales. Les années 1990-2000 ont été des années très sèches. Ainsi, au début des années 2000, j’ai eu le choix : soit arrêter l’agriculture, soit trouver d’autres solutions pour améliorer mon chiffre d’affaire. Le Loiret est un département où on irrigue beaucoup, pour plusieurs raisons sans doute :

- climat tempéré, 650mm d’eau par an,

- hétérogénéité des sols (chez moi par exemple, les sols sont calcaires et peu capables de garder une réserve en eau)

En 2000, donc, j’ai mis en place une réserve colinéaire (financée par le Conseil Général, l’Agence de l’eau et de l’autofinancement). Cette réserve me permet de stocker de l’eau en hiver pour l’utiliser pendant les périodes plus sèches (printemps, été).

Je me considère comme un privilégié d’avoir accès à la ressource en eau, j’ai donc une responsabilité vis-à-vis de cette ressource. Quand on parle de la ressource en eau, il y a deux angles d’attaque :

- l’aspect quantitatif. Il tombe 8 millions de m3 sur le Montargois. Quand il tombe 1mm, cela revient à 10 m3 d’eau/ha. Le problème est que la sécheresse peut arriver à n’importe quelle saison (par exemple, depuis 3-4 ans, ce sont des sécheresses de printemps). En terme économique, 1m3 sécurise 1€ de chiffre d’affaire en céréales, 60 € de chiffre d’affaire en élevage et 150 € de chiffre d’affaire en maraichage. L’eau est là pour sécuriser nos systèmes agricoles.

- L’aspect qualitatif est très important aussi. En agriculture biologique, on essaye de mettre en place des techniques pour avoir moins d’impact sur la ressource en eau. Il existe différentes techniques. Par exemple :

- Binage. Sur mon exploitation, je démarre mon irrigation quand les voisins ont déjà fait 1 tour, grâce au binage.

- Faire des rotations plus longues, en alternant des cultures d’hiver, de printemps et d’été. Cela permet de diversifier la pression par rapport à la sécheresse.

Ce n’est pas toujours évident de gérer la ressource sur l’année. Par exemple, en 2011, on a arrosé du blé. Cela peut paraitre étonnant. Il fallait choisir entre privilégier l’arrosage sur des cultures d’hiver ou de printemps. Pour conclure : l’eau est un privilège. On est dans un département qui irrigue beaucoup. On va devoir diminuer, mais il faudra du temps, pour déconstruire ce système, et déculpabiliser les agriculteurs. On a un rôle à jouer pour avoir moins de pression sur la quantité et la qualité de l’eau, mais cette responsabilité est bien collective

Eau et agriculture : quelles propositions ?

Jacques Pasquier – agriculteur, membre de la commission eau de la Confédération paysanne nationale Jacques Pasquier, paysan dans la Vienne, céréaliers sur 95 ha, sans irrigation. Les deux-tiers de la pluie alimentent les plantes. Selon le ministère de l’Ecologie, la moyenne annuelle des précipitations en France depuis 50 ans est estimée à 486 milliards de m3. Sur ce volume, 311 milliards de m3 rejoignent l’atmosphère par évapotranspiration. On entend souvent : « l’eau d’irrigation représente 1% de l’eau qui tombe sur la France ». Mais l’eau qui sert à faire pousser les plantes, c’est plus : 2/3 de l’eau qui tombe repart en évapotranspiration des plantes, le reste alimente les rivières, les nappes, l’agriculture…. La région Centre est la première région pour les surfaces irrigables et irriguées. En France, on compte : 9% de surface irrigable et à peine 6% irriguée *. *Surface irrigable : surface équipée pour l’irrigation / Surface irriguée = surface qui reçoit de l’eau d’irrigation

Part de la SAU irrigable par canton en 2010 6 cantons ont prélevés 25% des volumes des volumes régionaux d’irrigation (Janville, Voves, Orgères-en-Beauce, Patay, Outarville et Pithiviers.)

L’essentiel de l’irrigation se fait par pompage (et non pas par retenue) dans la nappe de Beauce : le prélèvement est « facile ».

En région Centre, plus de 60% des surfaces en maïs sont irriguées. En France, seules 33% des surfaces en maïs sont irriguées, le reste pousse sans irrigation. Le maïs pousse d’avril à septembre, période la plus sèche en général. (Le maïs ne pose pas de problème en soi : il consomme moins de pesticides que le colza par exemple. C’est la monoculture de maïs qui est un problème et le fait qu’il consomme de l’eau dans des périodes souvent plus sèches).

En théorie, l’irrigation est importante pour une petite ferme, cela permet de sécuriser du revenu (argument souvent défendu). En pratique, les fermes en grandes cultures qui irriguent sont plus grandes que les autres qui n’irriguent pas. Les fermes s’agrandissent davantage avec l’irrigation ; si l'irrigation génère vraiment plus de valeur ajoutée, ne faudrait-il pas moins d'hectares ? (« elles sont plus riches surtout par les subventions supplémentaires et peuvent absorber les autres »). Il y a des fermes qui n’irriguent pas et qui s’en sortent, c'est la majorité des fermes existantes en France! Les revendications de la Confédération paysanne Il y a un souci de partage car l’eau est un bien commun. Il faut alors définir des priorités d’usage.

1- Partant du principe que l’eau est un bien commun, elle doit être affectée en priorité au maintien de l’équilibre naturel des milieux hydrologiques, condition nécessaire aux autres usages.

2- Elle doit ensuite être affectée à la consommation humaine en eau potable (pour l’hygiène et l’alimentation). (Même si cela parait évident, ça ne l’est pas forcément : quand il y a eu des problèmes de pénurie d’eau à Poitiers, il y a eu de grands débats pour savoir si on allait pouvoir utiliser l’eau des forages profonds d’irrigants pour approvisionner la ville en eau. Cela ne semblait pas évident pour tout le monde).

3- Enfin, elle doit être affectée aux usages économiques dont l'agriculture : abreuvement du bétail (l’élevage participe à la dynamique des territoires), puis aux productions agricoles à forte valeur ajoutée (maraîchage, horticulture, production de semences…) ou destinée au fourrage des animaux, et ensuite, lorsqu'elle est disponible, pour d'autres usages agricoles. L'eau n'est pas un « intrant » comme les engrais ou les pesticides, ni un outil spéculatif pour cultiver n'importe quoi sur n'importe quels sols, mais comme une assurance face aux incertitudes du climat, pour sécuriser un système de production. L’eau est une ressource rare, il faut donc la préserver.

On entend souvent que le 1er consommateur d’eau est la production d’énergie, mais ce n’est pas une consommation nette, il y a restitution de l’eau (dans le cas des barrages par exemple). Incidence des pratiques agricoles sur la société : coûts de la dépollution pour l’eau potable Un rapport du commissariat général au développement rural estime que les dépenses additionnelles évaluées des ménages générées par ces pollutions liées aux excédents d’azote et de pesticides d’origine agricole, se situeraient au minimum dans une fourchette comprise entre 1 005 et 1 525 millions d’euros, dont 640 à 1 140 millions d’euros répercutés sur la facture d’eau. Cela coûte 70 € pour retirer l’azote dans l’eau, alors que les agriculteurs achètent 1€ le kg d’azote. Le lessivage de l’azote entraine une perte pour l’agriculteur mais également un coût pour la collectivité. Ces chiffres sont à mettre en lien avec la fameuse « agriculture compétitive, performante agronomiquement ». Si ces coûts-là étaient supportée par l’agriculture, peut être que l’agriculture que l’on appelle « compétitive » ne serait plus la même ! Les eaux souterraines

Les points rouges représentent les stations à plus de 54 mg/L de nitrates. On se rend compte que les nitrates ne sont pas forcément liés à l’élevage : dans les zones de montagne, il y a beaucoup d’élevage mais peu de nitrates. Ils sont plutôt liées à un certains types d’élevage. C’est bien un système agricole qui a conduit à ça. Ce n’est pas que de la responsabilité des agriculteurs, mais aussi des conseillers, chercheurs… : il s’agit d’une responsabilité collective !

En conclusion, il faut faire le constat collectif qu’il faut changer le modèle agricole (modifier l’accompagnement des agriculteurs…) sans s’arc-bouter sur les acquis (« on sait bien faire »). Il existe des alternatives : diversité des cultures, rotation, cultures plus économes, etc. Source : Agreste RA 2000 et 2010.

Florence Denier-Pasquier : Longtemps on a vécu sur le fait que la ressource en eau est illimitée (et on va la chercher de plus en plus loin). Les forages non utilisés servent de puits d’infiltration. L’eutrophisation des milieux et l’intoxication (lieux de baignade, dans les coquillages), c’est une question de désorganisation de cycle : ce sont des matières fertilisantes riches qu’on laisse partir dans la nature et qui créent un déséquilibre. Olivier Chaloche : Sur la commune de Cortrat, on a été privé d’eau à cause d’une panne dans l’usine de dénitrification. L’agriculture a joué un rôle là-dedans. (1kg de nitrates=1,8kg de pétrole). Il est temps de prendre ce problème à bras le corps. L’eau est polluée, c’est indéniable. J’ai vu des personnes ayant des problèmes de santé à cause de cette eau polluée. C’est irresponsable de dire que c’est de la responsabilité de l’Etat ! Tous les jours, il sort des études montrant le problème et la nocivité des nitrates. C’est une responsabilité collective. Il y a d’autres molécules aussi dont il faut parler. Actuellement, les néonicotinoides sont en ligne de mire. Ils entrainent des problèmes sur la santé, sur les êtres vivants (abeilles…). Pourquoi la profession « s’arc-boute » ? Nous, les agriculteurs, on va devenir une espèce en voie de disparition, on doit défendre notre métier. Question : J’ai découvert les bassines : ce sont des constructions de murs de terres de 10 m de haut pour stocker de l’eau pour l’irrigation (du maïs principalement). A l’époque, il était question de construire 100 bassines. Ont-elles été construites (avec l’argent de l’Europe) ? Question : Ce qui est très important, c’est qu’il n’y a pas que des usages de l’eau, d’abord l’écosystème a besoin de fonctionner. On a besoin du rapport entre l’eau douce et l’eau salée. Les poissons sont aussi des usagers de l’eau. Donc les prélèvements entrainent nécessairement une perturbation du système Les bassines ont été construites, avec un taux de subventions européen de 70%. Mais en ce moment il y a une vraie offensive, un vrai enjeu sur cette question, avec Sivens par exemple. Il faut arriver à recréer de la ressource.

Florence Denier-Pasquier : Le bon fonctionnement du milieu aquatique conditionne les usages. Les milieux naturels sont les 1ers signaux d’alarmes. Il faut assurer le cycle écologique pour sécuriser les usages. On peut se poser la question du bon usage de l’argent publique ? Par exemple, à Sivens, naturellement les agriculteurs irriguaient moins car ils avaient moins accès à la ressource. Il y a une différence entre l’irrigation de sécurité et l’irrigation de rendement qui n’a pas de limite => quel choix ? Attention l’avis est la position du CESE, pas la position de FNE. Jacques Pasquier : (Sur le problème des nitrates) Quand on a des problèmes de nitrates, on sait faire des usines de traitement. Avant, la carte des problèmes de nitrates correspondaient à la carte des captages d’eau potable ; aujourd’hui, elle correspond à la carte des usines de traitement. Sauf quand l’usine tombe en panne : jusqu’où va-t-on dans la dégradation de quelque chose par des pratiques qu’on utilise depuis 50 ans ? Il faut changer de cap! Des problèmes de santé sont favorisés par les nitrates, à quel moment on changera ? Sur les bassines, on a la même logique : il y a des « à sec », car trop de prélèvements, donc on fait des bassines (= réserves avec des digues en terre (15-20m d’eau) avec une géomembrane dessous). Le financement des bassines est très coûteux. Il vaudrait mieux payer les gens à ne rien faire que financer ça. Les agriculteurs qui doivent en payer ne serait-ce que 20% reculent car ce n’est pas rentable ! Cette agriculture consomme des redevances de l’eau, il y a de nombreux coût induits : PAC, dépollution eau, transports, etc. Alors que par exemple du maraîchage fait vivre une famille, sans soutien de la PAC, mais ils ne sont pas pris au sérieux. Au contraire, une exploitation agricole de 500 ha, subventionnée pour toutes sortes de raisons, dont la PAC pour 150 000 euros, avec 1 UTH est considérée comme de l’agriculture compétitive et est prise plus au sérieux. Témoignage : Je suis agriculteur dans le Gâtinais Est, mon exploitation est sur une zone de captage. Je suis d’accord avec les recommandations mais attention de ne pas pénaliser la liberté de l’agriculteur, alors qu’il y a du travail de fait (MAE), on essaye de gérer au mieux. Le maïs est une culture qui a bien aidé l’agriculture. L’eau est une valeur économique : quand on en a, on peut faire d’autres productions, diversifier la production, faire de l’irrigation de complément. En Beauce, si on consomme de l’eau, c’est qu’il y en a. Les agriculteurs ont pu alors se positionner sur des cultures types maïs, pommes de terre, betterave, etc. Dans le Gâtinais Est, il y a plus de 50 réserves. Réponse : Je suis animateur du contrat global pour l’eau (agence de l’eau/Conseil Régional/Conseil Général), sur le programme d’action sur le territoire du bassin du Loing. Sur le bassin du Loing, il y a 10 aires d’alimentation de captage (= territoire autour du captage d’eau potable). Les agriculteurs cotisent aux agences de l’eau effectivement. C’est le principe de pollueur – payeur mais ils récupèrent de l’argent par le subventionnement d’infrastructures. Il y a tout un travail avec les agriculteurs pour diminuer les pollutions diffuses sur la zone du captage : c’est l’aspect préventif. (Le curatif étant l’usine de traitement). On travaille notamment sur les filières : débouchés pour les cultures, mais aussi sur les MAE (mesures agro-environnementales). Aujourd’hui, la Chambre d’agriculture du Loiret n’est plus partenaire, ils considèrent qu’il n’y a pas assez de contrepartie financière (on travaille plus sur la base du volontariat). Question : Il y a aussi une responsabilité des consommateurs : produire un kg de viande, coûte très cher et consomme beaucoup d’eau !

Question : Je fais partie d’une association, Eau Secours 45. D’après un travail sur la pollution de l’eau, lié directement ou indirectement à l’agriculture, 1/3 des communes du Loiret sont touchées. Cela coûte 1euros supplémentaire/L d’eau de payer la dépollution. Il y a une notion d’urgence, dans un monde où on a l’impression de ne plus maîtriser grand-chose. Une remarque sur le parallèle entre médicaments et pesticides : la toxicité n’est pas la même. Question : Si on récupère l’eau d’hiver pour la redistribuer l’été, c’est une eau qui ne va pas à la mer, n’y a-t-il pas perturbation du cycle ? Quid de l’agroforesterie ? Jacques Pasquier : (Sur la PAC et les MAE) Il y a deux volets dans la PAC : un 1er pilier de paiement direct, qui incite les agriculteurs à produire et un 2ème pilier de développement rural qui aide au changement de systèmes de production. Les MAE par exemple rentrent dans ce 2ème volet : il s’agit d’aider financièrement l’agriculteur à changer son système en contrepartie d’un cahier des charges à respecter. Vous avez raison de dire que les choses sont excessivement complexes. La Directive Nitrates est un exemple. Elle existe depuis 1991 au niveau européen, en France les décideurs (gouvernements et syndicats majoritaires) ont tout fait pour gagner du temps, tergiverser. Maintenant la Commission européenne impose des mesures surtout bureaucratiques plus qu'agronomiques. Aujourd’hui, c’est une usine à gaz, impossible à mettre en place (toute la profession est d’accord sur ce point). Par contre, ce n’est pas le cas pour les captages. Il y a des choses complexes à mettre en place, et notamment des savoir-faire mais il existe un accompagnement, des formations…, c’est possible ! Le 2nd pilier de la PAC est là pour réparer les excès du système favorisé depuis plusieurs années avec le 1er pilier. Le budget est faible, mais il a tout de même été multiplié par 2. Reste aux agriculteurs de s’en saisir pour changer les choses. Olivier Chaloche : (MAE) L’Europe verse 8 milliards sur la ferme France. La dernière réforme n’est pas allée assez loin. La Confédération paysanne militait pour une meilleure répartition, une prise en compte de l’humain… Seul 160 millions d’euros sont attribués pour l’agriculture biologique (maintien et conversion) contre 8 milliards pour l’agriculture conventionnelle. Malgré des montants unitaires (300 €/ha) incitatif, les agriculteurs ne changent pas car l’agriculture biologique est un peu plus complexe (nécessite de l’observation, du travail) alors que depuis 40 ans on simplifie ! En région Centre, la région a fait l’effort de mettre des moyens sur l’agriculture biologique mais à des niveaux dérisoires. Cela montre à quel point il y a une réaction forte de la profession à ne pas vouloir changer ! (même quand il y a une incitation) Florence Denier-Pasquier : La question est comment on réparti l’argent : quand on construit des bassines, on trouve l’argent alors que quand on cherche à changer les systèmes, on ne trouve pas d’argent, du moins durablement. Question : Est-ce que cet argent pour la conversion en AB est utilisé ? Olivier Chaloche : Les enveloppes ne sont effectivement pas toujours consommées. Le ministre parle d’agro-écologie, mais c’est un effet d’annonce, il n’y a pas suffisamment de moyens derrière. Dans le Loiret, la Chambre d’Agriculture a du mal avec l’AB par exemple. Il faudrait encourager plus les conversions. Les conversions et le développement de l’AB poussent toute l’agriculture vers une agriculture plus vertueuse, cela emmène toute la profession (par des nouvelles techniques, l’échanges de pratiques…). Il faudrait encourager économiquement pour aller vers ces évolutions.

Question : Merci pour la clarté de vos propos. N’y a-t-il pas une loi pour la protection des périmètres de captage ? Quel est l’influence du drainage sur la qualité de l’eau ? Que fait l’Allemagne sur ces questions ? Florence Denier-Pasquier : Pour faire accepter les lois sur les périmètres de captage, on a exclu les questions de pollutions diffuses. Et on a créé de nouvelles procédures sur ces questions. C’est devenu très complexe ! Pour les aires d’alimentation, il y a un aspect volontaire. Si les objectifs ne sont pas atteints, on bascule sur du réglementaire. Mais on ne pourra pas toujours repousser. Certains périmètres ne sont toujours pas définis ! Témoignage et question : Je suis maraichère en bio dans le Loiret. Je travaille beaucoup en cultures sèches (j’utilise 1000 m3 d’eau par an, contre 3000 m3 chez les maraichers bio en général), grâce à différentes techniques : paillage, rotation, compost, couverture des sols en hiver, etc. Il ne faut pas avoir peur d’expérimenter, d’essayer ! Rôle CESE : quel impact dans la société ? A quoi servez-vous ? Florence Denier-Pasquier : Le rôle du CESE est de donner un avis au gouvernement mais il n’a été suivi en rien depuis 2ans. On peut se poser la question de ce que le gouvernement préfère écouter : un avis démocratique et concerté entre acteurs (celui du CESE) ou seulement l’avis d’un lobby ? Témoignage et question : Je suis éleveur laitier dans une zone sablonneuse, sans irrigation. On se débrouille pour faire des cultures mieux adaptées. On a mis en place un groupe d’échanges de pratiques entre bio et conventionnels sur les légumineuses et notamment sur les mélanges multi-espèces, qui sont des cultures moins sujettes à la sécheresse et qui fixent l’azote de l’air. Il faut travailler sur une alternative au maïs ensilage. Les prairies ont perdu de l’importance en élevage car c’est plus facile de faire du maïs avec des intrants. Mais il existe des alternatives, l’ensilage de céréales par exemple. Je voudrais témoigner aussi sur les problèmes de qualité des eaux de rivières. Il y a une rivière à côté de chez moi, la Bezombe, qui a énormément souffert des politique de l’eau. Elle traverse le Gâtinais qui s’est céréalisé, qui a du coup été drainé (disparition des prairies). La Bezombe fait moitié moins de linéaire. Tous les travaux ont été faits avec de l’argent public. Maintenant il y a beaucoup de pollution et d’inondation, et on va encore utiliser de l’argent public pour améliorer ça. Question : Et quand on remplace le fourrage par du maïs, on importe du soja du Brésil pour compléter les rations alimentaires. Témoignage : Je voudrais réagir à la question de pourquoi il n’y pas plus d’agriculteurs en bio. J’ai 65ha en Beauce, en céréales. Ce n’est pas possible pour moi aujourd’hui de passer en bio économiquement, pour plusieurs raisons mais notamment à cause du matériel. Il y a également un problème de formation. En conventionnel, la Chambre d’Agriculture organise des tours de plaine, il faudrait faire la même chose en bio (la Chambre d’Agriculture doit représenter toute la profession). Question : Il ne faut pas oublier que l’industrie nucléaire bousille l’eau aussi. Il faut aussi considérer l’évaporation tant dans l’irrigation que dans les retenues d’eau.

Question : En ce moment, il y a une enquête publique sur les deux SDAGE : bassin Normandie et Loire Bretagne. La question de l’équilibre des témoignages d’acteurs se pose. Il faut qu’on y aille pour dire tout ce qui a été dit ce soir, faire entendre notre voix. C’est encore une sollicitation pour s’emparer de cette question de façon collective ! Jacques Pasquier : Quelle est l’influence du drainage ? Cela accélère le dispositif surtout quand il s’accompagne d’un re-calibrage de la rivière. Cela entraîne une évacuation accélérée de l'eau du territoire et une accélération de la diffusion de la pollution vers les milieux hydrauliques. En ce qui concerne l’Allemagne, on idéalise souvent ce pays. Mais en réalité, certains territoires comme Munich ont une gestion plutôt intéressante sur la question de l’eau, mais d’autres territoires sont très intensifs. Ce n’est pas parfait du tout. Tout comme en Belgique ou aux Pays-Bas, mais ce n’est pas parce que c’est pire ailleurs qu’il ne faut rien faire ici ! Sur l’agriculture biologique, c’est une question de moyen. Il n’y a plus d’aides au maintien au-delà de 5 ans. Maintenant, les aides sont décidées au niveau régional (ce qui va créer de grandes disparités entre les territoires), et il y a toujours une insuffisance du budget. C’est un vrai problème de priorité budgétaire. Jean-Marie Vecten : Sur la question de la viande, l’élevage a quand même un intérêt : dans le centre de la France, il y a moins de problème d’eau car il y a plus de prairies (cela permet également le maintien de la biodiversité).

QUELQUES ELEMENTS DE CONCLUSION : Jacques Pasquier : L’affaire de l’agriculture dépasse de très loin les seuls agriculteurs (financement par le contribuable, enjeu de l’alimentation, aménagement du territoire). Des solutions existent : l’agriculture paysanne, la désintensification, etc, mais il y a des savoir-faire à acquérir. Il est indispensable de comprendre qu’on partage un territoire et qu’on partage les ressources (terre, eau, argent public). Ne pas donner son avis, c’est laisser son avis à quelqu’un d'autre ! Olivier Chaloche : Le consommateur, par son pouvoir d’achat, notamment sur l’alimentation (13% de son budget) a un vrai pouvoir politique. Si on veut se réapproprier des territoires de qualité et des produits de qualité, il faut le payer. L’AB est plus chère mais l’agriculture conventionnelle ne prend pas en compte tous les coûts induits (paysage, pollution…) Florence Denier-Pasquier : La qualité de vie de tous dépend du fonctionnement du milieu naturel : il faut travailler avec la nature (et pas contre elle). Il faut aussi encourager la participation à la consultation, donner son point de vue citoyen. Jean-Marie Vecten : Je suis satisfait qu’on ait abordé ce sujet. Je suis souvent choqué de voir que dans le milieu agricole, on « s’arcboute » sur les problèmes de l’eau. Il faut laisser de côté nos acquis pour avancer et échanger avec la société sur toutes ces questions-là.