Concours d’entrée en 2 année 2012 ... - Sciences Po Lyon€¦ · Sciences Po Lyon Concours...
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Sciences Po Lyon
Concours d’entrée en 2ème
année
2012
Epreuve sur dossier
Thème : Les paradis fiscaux
A partir de la lecture des éléments du dossier, les candidats répondront aux questions
suivantes (5 points par question) :
- Après avoir décrit les pratiques financières, légales ou délictueuses auxquelles
renvoient les qualifications de paradis fiscaux, centres financiers offshore,
paradis règlementaires, et lieux de blanchiment de l’argent sale, vous indiquerez
de quelles institutions internationales la surveillance de ces pratiques relève. (5
points)
- A quels besoins spécifiques des différents acteurs (firmes, banques, compagnies
d’assurance, Etats, institutions internationales) les paradis fiscaux répondent-
ils ? (5 points)
- En quoi l’existence des paradis fiscaux menace-t-elle la souveraineté des Etats
et la stabilité de l’ordre économique international ? (5 points)
- Quelles sont, à votre avis, les raisons de douter de la pertinence et de l’efficacité
des mesures prises en vue de soumettre la finance offshore à une régulation
multilatérale ? (5 points)
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Document n°1 : La lutte contre les flux financiers illicites. Document mis en ligne sur le site
France-Diplomatie le 16 novembre 2010 (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-
internationaux/affaires-economiques/regulation-economique/la-lutte-contre-les-flux/article/evasion-
fiscale-et-paradis-fiscaux)
Évasion fiscale et « paradis fiscaux » : état des lieux et perspectives
1. Définition et fonctionnement
a. Des paradis fiscaux enracinés dans l’Histoire
Des pays ont favorisé l’émergence des paradis fiscaux et centres financiers offshore favorisant
l’évasion fiscale, dans le but d’attirer des entreprises étrangères ou de favoriser leurs entreprises à
l’étranger. Cette « offre offshore » s’est schématiquement construite en quatre étapes historiques :
Mise en œuvre par certains États fédérés américains, dans la deuxième moitié du XIXème
siècle,
d’une politique d’attractivité des entreprises basée sur une faible imposition : la politique du
« moins-disant » fiscal.
Ensuite, face au problème de la taxation des entreprises actives à l’international, le juge
britannique décide en 1906 (affaire De Beers) qu’une « entreprise réside, pour son imposition, là où
elle mène son activité, (…) c’est-à-dire là ou se trouvent ceux qui la contrôlent et la dirigent ». A
contrario, dès lors qu’une entreprise peut justifier d’une direction installée en dehors du Royaume-
Uni, ses revenus en provenance de l’étranger sont exemptés de l’imposition, même s’ils résultent
d’activités engagées par des résidents britanniques.
Dans le contexte de crise bancaire des années 1930, la loi bancaire suisse de 1934 a rendu
inviolable, sous peine de poursuites pénales, le secret bancaire.
Enfin, le Royaume-Uni est à l’origine, dans les années 1960, d’une autre innovation avec la
création d’un marché des eurodollars, c’est à dire la possibilité pour deux non résidents de réaliser
sans contrôle réglementaire des transactions financières sur le marché britannique dans une autre
monnaie que la livre sterling. Elle a ouvert la voie à la finance off-shore, favorisée par la
libéralisation des mouvements de capitaux qui s’est accélérée dans les années 1980 (abolition du
contrôle des changes en 1979, dérégulation des marchés en 1986).
Les paradis fiscaux sont définis par l’OCDE, depuis 1998, comme des territoires présentant quatre
caractéristiques : fiscalité faible ou nulle, faiblesse des activités économiques substantielles,
absence de transparence des législations fiscales, échange de renseignements en matière fiscale
insatisfaisant. L’attention se concentre aujourd’hui essentiellement sur les deux derniers critères :
l’absence de transparence fiscale et la faiblesse des échanges d’informations en matière
fiscales. En 2000, l’OCDE avait identifié 38 paradis fiscaux tels Jersey, le Liechtenstein, les îles
Caïman etc.
b. Trois concepts doivent être distingués : « optimisation fiscale », « évasion fiscale » et
« fraude fiscales ».
La fraude fiscale est une pratique illégale visant à dissimuler des sommes imposables afin de ne pas
payer les taxes dues. Elle est susceptible de sanctions pénales.
L’optimisation fiscale est l’utilisation habile des lois et conventions fiscales en vue de supprimer ou
de réduire la charge fiscale.
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On qualifiera d’évasion fiscale l’ensemble des comportements du contribuable qui visent à réduire
le montant des prélèvements dont il doit normalement s’acquitter. S’il a recours à des moyens
légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation. À l’inverse, s’il s’appuie sur des
techniques illégales ou dissimule la portée véritable de ses opérations, l’évasion s’apparentera à la
fraude.
La stratégie d’optimisation devient de l’évasion fiscale dès lors que le montage juridique mis en
place par l’entreprise apparaît artificiel et aurait pour but de contourner la législation fiscale
française, notamment pour « permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle
est soumise à un régime fiscal privilégié » (article 209B du CGI). La fraude fiscale est définie à
l’article 1741 du CGI de la manière suivante : « quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a
tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des
impôts ».
2. Montants en jeu
Les chiffres présentés pour estimer le montant de l’évasion fiscale dans le monde sont produits par
des institutions diverses (organisations économiques internationales, ONG…), employant des
méthodologies variées pour identifier des flux financiers, qui sont, par définition et construction,
opaques. Les montants de l’évasion fiscale dans le monde, pour approximatifs qu’ils puissent être,
confirment l’ampleur du phénomène, qui touche tant les pays du Nord que du Sud.
En termes de stocks, à l’échelle mondiale, entre 5 000 et 7 000 Mds USD seraient placés dans les
centres financiers off-shore selon l’OCDE. La moitié des investissements directs étrangers dans le
monde transitent par des centres financiers offshore, ce qui explique que les Bermudes reçoivent
plus d’investissements américains que la Chine et que les îles Vierges britanniques soient le
deuxième investisseur en Chine (derrière Hong Kong).
3. Des conséquences graves pour la sécurité internationale et le développement
Pour les pays en développement, la question de l’évasion fiscale est une question majeure, au
carrefour de plusieurs considérations : renforcement des États fragiles, efficacité et transparence des
administrations fiscales, compensation des pertes de ressources fiscales liées à l’érosion des recettes
douanières, alternative ressources internes / recours aux ressources externes (APD, dette).
Plus généralement, la problématique des centres financiers off-shore et des paradis fiscaux est
intimement liée à des considérations de sécurité internationale : blanchiment d’argent, financement
de la prolifération nucléaire et balistique et du terrorisme, etc. Selon le FMI, le blanchiment
d’argent sale dans le monde représenterait entre 2 et 5 % du PNB mondial, c’est-à-dire entre 500 et
1 500 milliards USD.
Le développement des centres off-shore et des paradis fiscaux constitue aussi un problème croissant
pour la stabilité économique et financière internationale : la quasi-totalité des fonds spéculatifs ou
hedge funds y sont domiciliés ; des mouvements spéculatifs sur les monnaies peuvent s’y
développer sans contrôle ; la situation réelle du bilan des entreprises peut y être dissimulée ; la
plupart des grands scandales financiers des dernières années - Parmalat, Enron, Worldcom, affaire
Madoff notamment - impliquaient ainsi des paradis fiscaux.
4. L’action des organisations internationales
Trois organisations jouent un rôle moteur dans l’action internationale à destination des paradis
fiscaux : le Conseil de stabilité financière, l’OCDE et le GAFI. Leur action, si elle aborde la
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question sous des angles différents (transparence financière pour le FSF, lutte contre le blanchiment
pour le GAFI, pratiques fiscales dommageables pour l’OCDE) repose sur des instruments
comparables : définition des concepts clés, élaboration de normes et standards, mise en place de
modèles pour des accords bilatéraux, mise en place de mécanisme de suivi et de pression (revue par
les pairs, publication de « listes noires »…).
Une mobilisation internationale contre les paradis fiscaux largement impulsée et soutenue
par la France
À la suite des affaires bancaires survenues au printemps 2008 (affaires de la banque LGT au
Liechtenstein et UBS aux États-Unis) et de la crise financière, la question de la transparence et de
l’échange d’informations en vue de lutter contre l’évasion fiscale a connu une actualité nouvelle.
Le sommet du G20 de Londres du 2 avril dernier a constitué une étape majeure de la lutte contre les
paradis fiscaux :
Les chefs d’État et de Gouvernement du G20 ont pris note d’une nouvelle classification des
juridictions en fonction de leur degré de coopération en matière de transparence et d’échange
d’informations. La publication de ce Progress report a constitué une impulsion politique forte : la
perspective de l’examen par le G20 de la situation des juridictions non coopératives a conduit
l’ensemble des juridictions à s’engager à respecter les standards de l’OCDE en matière de
transparence et d’échange d’informations fiscales.
Le G20 a également décidé de développer une boîte à outils de contre-mesures.
Comme la France le souhaitait, l’approche adoptée pour les juridictions non coopératives englobe
également le champ prudentiel et la lutte contre le blanchiment. C’est la multiplication des flux
financiers illicites et l’insertion du crime organisé dans la mondialisation qui est appréhendée.
Ainsi, en matière de lutte contre le blanchiment, le G20 a demandé au GAFI de « réviser et
renforcer le processus d’examen du respect des standards en matière de lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme ». (…)
Document n°2 : Trois extraits du Rapport d’information n° 1902 déposé le 10 septembre 2009
en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des finances, de l’économie
générale et du contrôle budgétaire sur les paradis fiscaux et présenté par MM. Didier Migaud,
Président, Gilles Carrez, Rapporteur Général, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli, Jean-François
Mancel et Nicolas Perruchot, Députés. Assemblée Nationale, 13ème
législature.
(http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1902.asp )
Extrait n°1
Rapport cité p.8
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Extrait n°2
(1) Ces étapes sont décrites par Christian Chavagneux et Ronen Palan dans « Les paradis fiscaux », éd. La
Découverte, Paris, 2006, p. 33-43. Extrait n°3
« On parle également de territoire offshore pour évoquer les paradis fiscaux : on entend ainsi
généralement un territoire dont la place financière est utilisée comme une plate-forme
d’investissement ou de placement par des non résidents.
De ce point de vue, un paradis fiscal peut être considéré comme une place offshore sans qu’un
territoire offshore soit obligatoirement défini comme un paradis fiscal.
On notera également que la notion de paradis fiscal n’est pas définie, ni reconnue dans le droit
français, qui renvoie à ces territoires par le biais de la définition du « régime fiscal privilégié »
figurant à l’article 238 A du code général des impôts : « Les personnes sont regardées comme
soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas
imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le
montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont
elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été
domiciliées ou établies ».
Rapport cité pp.12-13
Document n°3 (page suivante)
« Le charme des paradis fiscaux séduit toujours les entreprises ». Source : Le Figaro, 21 janvier 2004, p. 2
(http://doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Bases/DP/)
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Document n° 4 : Charbel Nahas LEXIQUE/ Définition /Paradis fiscaux, Magazine Le
commerce du Levant, n°34, juin 2009
http://www.lecommercedulevant.com/sites/default/files/5593032.pdf
LE MARCHÉ
DES “PARADIS FISCAUX”
La question est de comprendre
les raisons qui font prévaloir
l’approche pragmatique sur les
considérations théoriques et
les discours sur l’équité et
l’efficacité. L’institution des
“paradis fiscaux”, en affectant
la gestion économique et la
souveraineté des États, induit
des conséquences majeures.
D’abord, sur la distribution de
la richesse entre les pays mais
surtout dans chaque pays.
Ensuite, sur les effets
économiques de l’allocation
des charges fiscales et sur le
modèle social et politique, et
ce qu’il produit comme
concept du délit.
Enfin, sur l’efficacité relative
des leviers politiques : richesse
interne ou externe, rôle des
frontières politiques et
symboliques, et la primauté du
politique ou de l’économique.
De manière plus précise, la
distinction entre les deux
modalités principales du
“paradis fiscal” est importante.
La demande de “régimes
offshore” suppose une fiscalité
forte dans le pays d’origine, ce
qui est rarement le cas pour les
nationaux des pays concernés.
Il en va autrement pour les
entreprises étrangères qui
relèvent de juridictions des
pays riches à fiscalité directe
“forte” ; elles sont intéressées
aux régimes offshore.
Le sentiment d’insécurité, par
contre, suscite une demande
sur le “secret bancaire” ; c’est
ce sentiment que l’on observe
chez les ressortissants du
Moyen-Orient par exemple. La
“sécurité” du paradis fiscal est
autrement plus difficile à
asseoir qu’un régime
“offshore”, elle s’inscrit
doublement dans la durée :
elle doit avoir fait ses preuves
sur une période suffisamment
longue et ceux qui la
recherchent pour placer leur
patrimoine comptent sur elle
pour une longue période (à
l’exception des opérations de
blanchiment).
Cette légitimité ne dépend pas
seulement de l’autorité du
pays, elle suppose aussi
l’assentiment des autorités qui
sont capables de garantir
internationalement la validité
des droits sur capital que
constituent les créances et les
titres financiers, c’est-à-dire
l’assentiment des grandes
puissances capitalistes
d’Occident ; elles seules sont
capables d’asseoir la légitimité
d’un pôle de “secret bancaire”.
Un cas révélateur à cet égard
est celui de la Syrie qui a
promulgué une loi sur le secret
bancaire alors qu’il n’y avait
pratiquement pas de banques
dans le pays.
L’offre du service par
l’autorité locale est loin d’être
déterminante toute seule. On
peut, à cet égard, distinguer
quatre situations types pour
l’offre des paradis fiscaux :
• Les cas spontanés où
l’imposition des revenus du
capital se trouve
particulièrement légère pour
des raisons internes
(ressources naturelles
pléthoriques ou besoin vital
d’attirer les capitaux) en ce qui
concerne les nationaux, rien
n’empêchant plus alors en
théorie de desservir les
étrangers avec les services
d’offshores, c’est le cas de
Dubaï.
• Les cas artificialisés d’États
ou de juridictions
pseudoétatiques spécialement
maintenus par une grande
puissance économique comme
paradis fiscaux pour favoriser
l’activité financière du pays
ordonnateur, c’est le cas des
îles anglo-normandes ou des
Caraïbes, où les fonctions
fiscales et bancaires coexistent
et, dans une moindre mesure,
celle de Bahreïn.
• Les cas volontaristes où un
pays décide de développer une
activité de “paradis fiscal”
pour saisir une opportunité
externe sans rien changer dans
ses structures internes, il s’agit
alors d’un régime d’enclave,
Chypre constitue un exemple
typique.
• Les cas historiques où une
évolution interne propre au
pays retrouve une évolution de
l’environnement économique
et politique de sorte à aboutir à
la satisfaction d’une double
demande, celle du pays pour
développer une fonction
financière spécifique et celle
de l’environnement pour la
légitimer et s’y adresser, le cas
typique étant la Suisse où le
secret bancaire ne
s’accompagne d’aucune
souplesse fiscale particulière,
c’est aussi dans une certaine
mesure et à une échelle réduite
le cas du Liban.
Publié depuis 1929, le Commerce
du Levant est le seul mensuel
économique francophone au
Liban et au Moyen-Orient.
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Document n° 5: Extraits de l’article d’Aude Carasco, « L'argent sale prospère dans les paradis
fiscaux », La Croix, 17 mai 2008, p. 2-3. (http://www.la-croix.com/Actualite/S-
informer/Economie/L-argent-sale-prospere-dans-les-paradis-fiscaux-_NG_-2008-05-16-671348)
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Document n°6 : La lutte contre la délinquance financière, Eva Joly : « Bannir les paradis fiscaux
d’Europe », propos recueillis par Olivier Milot, entretien réalisé par pour Télérama.fr le 16 avril
2009 à 17h00 ( http://www.telerama.fr/monde/eva-joly-ii,41639.php)
En France, Eva Joly est la femme par qui le plus important scandale politico-financier est arrivé. L’affaire
Elf aura été l’acmé de sa carrière de magistrate et le point de départ d’un combat opiniâtre contre la
corruption internationale. Infatigable, elle revient aujourd’hui sur tous les fronts. Au côté du gouvernement
islandais pour essayer de comprendre comment ce pays a été balayé par la crise financière. Au côté de Daniel
Cohn-Bendit comme candidate sur la liste Europe Ecologie pour les prochaines européennes. Avec un livre,
Des héros ordinaires (Les Arènes), dans lequel elle dresse le portrait de quelques personnalités courageuses
en lutte contre la corruption et les paradis fiscaux. Des thèmes brûlants d’actualité qu’Eva Joly connaît bien
et sur lesquels elle livre une analyse qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Suite et fin de l’entretien
qu’elle nous a accordé.
Télérama : Quel jugement portez-vous sur les mesures prises contre les paradis fiscaux (1)
par le G20 ?
Eva Joly : Il n’y a pas de volonté politique suffisante pour en finir avec les paradis fiscaux. Partout
les liens sont très forts entre le pouvoir et le capital. Barack Obama ne fait pas exception. Personne
ne peut se fait élire président des Etats-Unis sans l’appui de Wall Street. Les plus gros donateurs de
sa campagne s’appellent Goldman Sachs, UBS, J.P. Morgan, Chase et Citigroup. Tous des géants
de la finance. En Europe, Angela Merkel était très offensive contre les paradis fiscaux, mais son
propre secrétaire d’Etat à l’Economie, Axel Nawrath, m’avait un jour confié : « Madame Joly,
l’Europe ne fera jamais rien contre les paradis fiscaux. Au cœur de l’Europe, nous avons le
Luxembourg et la City de Londres. Et vous croyez que les Anglais ou les Luxembourgeois
accepteront qu’on réforme un système dont ils sont les premiers bénéficiaires ? »
L’annonce de la fin du secret bancaire et la publication par l’OCDE de listes de pays « non
coopératifs » ne constituent donc pas, à vos yeux, une avancée ?
Seuls les particuliers seront touchés par ces mesures, et encore, ceux qui ne sont pas astucieux. Les
autres se cacheront derrière des sociétés fictives ou des trusts [NDLR : entités juridiques permettant
de dissimuler les véritables propriétaires]. En effet, on ne va pas toucher aux structures car elles
sont utilisées par les multinationales. Quant aux listes noires et grises de l’OCDE, elles existent
depuis dix ans et ont beaucoup varié avec le temps sans jamais empêcher la croissance des paradis
fiscaux.
Ces listes sont en plus le fruit de compromis entre Etats, et de nombreux paradis fiscaux y
échappent. Prenez l’île Maurice, elle n’est présente sur aucune liste alors que c’est un très grand
paradis fiscal. Qui sait que cette île de un million d’habitants réalise à elle seule 57 % des
investissements étrangers en Inde, alors qu’il n’y a d’autres activités que des sociétés fictives gérées
par 150 individus ?
Neuf de ces individus se retrouvent même à eux seuls derrière 1 500 sociétés dont ils sont à la fois
gestionnaires et membres du conseil d’administration. Qui peut croire que cela a une réalité
économique ? Personne.
Comment les multinationales se servent-elles, concrètement, des paradis fiscaux ?
La technique la plus répandue est celle des prix de transfert, qui permet aux entreprises de maquiller
leurs comptes pour payer moins d’impôts dans les pays où elles sont implantées. Le système est
simple. Une société vend son produit, par exemple du minerai, à un prix délibérément sous-estimé à
une filiale installée dans un centre offshore. La filiale revend le même minerai, cette fois-ci au prix
fort. Quand la société publie ses comptes dans le pays où se trouve la mine qu’elle exploite, elle
affiche des résultats modestes sur place, qui limitent les impôts dont elle doit s’acquitter. Ses vrais
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profits sont ailleurs. Grâce à ce subterfuge, l’entreprise américaine Exxon n’a ainsi pas payé
d’impôts pendant vingt-six ans au Chili sur les mines de cuivre acquises lors des privatisations par
le régime Pinochet. Quand Exxon a revendu la mine, elle a touché plus de 1,8 milliard de dollars.
La mine était donc très rentable ! Mais au Chili, pas un contribuable n’a vu passer les profits sur le
cuivre. Quand vous savez que l’OCDE estime qu’environ 60 % des échanges internationaux sont
réalisés par des multinationales qui achètent et vendent à leurs propres filiales et succursales,
imaginez l’ampleur des manipulations possibles.
Qu’aurait du faire les dirigeants du G20 pour lutter efficacement contre les paradis fiscaux ?
Ils auraient dû au moins interdire aux banques bénéficiant de fonds publics de posséder des filiales
dans les paradis fiscaux. Ils n’ont pas osé prendre ce risque car la moitié des transactions bancaires
mondiales passent par les paradis fiscaux ! Ils auraient également pu rendre automatique et
obligatoire, dans le monde entier, l’échange d’informations fiscales entre les pays. C’est un système
que l’Union européenne a instauré depuis l’été 2003 avec la directive sur la taxation des revenus de
l’épargne. Chaque Etat membre est tenu de déclarer une fois par an les intérêts touchés dans leur
pays par des ressortissants européens disposant de comptes chez eux. La France informe par
exemple chaque année le fisc allemand des intérêts touchés par des Allemands qui ont ouvert des
comptes sur son sol. Et inversement. C’est un outil précieux pour éviter l’évasion fiscale entre pays
membres de l’Union européenne, et, comme par hasard, la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche,
ont négocié un régime dérogatoire à ce système.
Ils auraient également pu imposer aux multinationales de publier leurs bénéfices pays par pays.
C’est une mesure simple, qui ne coûte rien et qu’on pourrait introduire immédiatement.
Actuellement, les entreprises ne publient que des comptes consolidés. Du coup, on sait par exemple
que Total a gagné près de 13 milliards d’euros l’année dernière, mais on ignore où. Si ces
informations étaient publiées en annexe des comptes, on verrait alors qu’elle réalise d’importants
bénéfices à l’Ile Maurice et aux Bermudes et très peu en Algérie ou en Angola. Vous le voyez, ce
ne sont pas les mesures efficaces qui manquent, juste la volonté politique de les décider, de les
mettre en place et de créer un système de sanctions pour rendre obligatoire leur application.
L’Europe a-t-elle vocation à être en pointe dans cette lutte ?
Je ne sais pas si « elle a » mais il faudrait qu’« elle ait » vocation. Nous devrions bannir les paradis
fiscaux de notre continent en imposant leur boycott absolu par les banques et les entreprises
européennes. C’est ma position, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je me présente aux
européennes. Comme citoyenne, j’ai épuisé toutes les possibilités dans ce combat. Il faut
maintenant qu’il devienne un enjeu politique, un enjeu de société.
Comment, très concrètement, un citoyen lambda peut-il lutter contre les paradis fiscaux ? En
faisant pression sur son gouvernement, en boycottant les banques et les entreprises qui les
utilisent ?
On peut adhérer à des ONG comme Transparency International ou Tax Justice Network. On ne peut
pas en revanche boycotter les grandes entreprises cotées en Bourse, ou alors il faudrait les boycotter
toutes. Aux Etats-Unis comme en France, presque toutes ces grandes entreprises ont des filiales
dans les paradis fiscaux. Même en Norvège, nous avons une société nationale qui est allée se faire
défiscaliser en Belgique. C’est hallucinant ! Quant à Lehman Brothers, qui est à l’origine de la crise
des subprimes, elle possédait cent quarante et une filiales dont cinquante-sept dans les paradis
fiscaux.
(1) Pays ou territoires alliant souvent le secret bancaire à une fiscalité basse ou nulle.
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Document n°7 : « Quand l’Europe torpille les efforts de l’OCDE », Le Figaro, 21 janvier 2004.
(http://doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Bases/DP/)
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Document n°8 : « En finir avec l'enfer des paradis fiscaux ». Propos recueillis par Nathalie
Guibert, Pascale Robert-Diard et Adrien de Tricornot. Entretien avec Olivier Pastré et Renaud Van
Ruymbeke, respectivement économiste dirigeant d'IM Bank et juge financier. Article paru dans
l'édition du 23.11.2008 © Le Monde.fr
La crise a relancé le débat sur les paradis fiscaux, qui abritent les deux tiers des
fonds spéculatifs (hedge funds). Peut-on réguler sans s'attaquer aux centres
offshore ? Renaud Van Ruymbeke : Non. On ne peut être que surpris que des responsables politiques réalisent
subitement qu'il existe des places offshore ! Nous l'avions dénoncé avec d'autres juges en 1996, en lançant
l'appel de Genève contre ces zones de non-droit, car les paradis fiscaux sont aussi des "paradis" judiciaires.
Les juges travaillent sur l'argent criminel mais il ne transite pas que de l'argent criminel par ces centres
offshore. Pourquoi a-t-on tant attendu ? Politiquement, il est envisageable de leur enlever toute capacité de
nuisance.
Olivier Pastré : Nous sommes d'accord sur le diagnostic, pas forcément sur les solutions. En 1999-2000, le
rôle des paradis fiscaux avait déjà été mis en évidence avec le scandale Enron, entreprise qui s'était livrée à
des turpitudes financières et comptables dont on n'avait pas idée jusqu'alors. L'entreprise avait créé 3 000
"special purpose vehicles" pour dissimuler son endettement, dont 1 000 étaient basées dans les îles Caïman...
On a alors découvert que des pays vendaient de l'opacité, à deux types de clientèle : des criminels, mais aussi
des sociétés cotées à la Bourse de New York, a priori respectables. Et rien n'a été fait... Notre divergence
porte sur les modalités et le calendrier. Il ne faut pas être candide : on ne fera pas disparaître les paradis
fiscaux d'un coup de baguette magique.
R. V. R. : Et pourquoi ?
O. P. : Il faudrait que l'humanité entière soit d'accord pour le décider. La question est celle de la concurrence
fiscale. Je ne crois pas qu'une gouvernance mondiale parfaite soit vraisemblable. Soyons donc modestes et
néanmoins volontaristes.
R. V. R. : De plus en plus d'argent transite par les paradis fiscaux : 50 % des flux financiers mondiaux. Je ne
dis pas qu'il faut les supprimer du jour au lendemain, mais ce doit être un objectif. On reproche au
Luxembourg d'abriter des avoirs non fiscalisés. En France, le fichier des comptes bancaires et assimilés
(Ficoba) centralise tous les comptes bancaires à la direction générale des impôts (DGI). Pourquoi le
Luxembourg ne fait-il pas de même ? Les renseignements de cet organisme seraient transmis aux pays
concernés. Ce pourrait être une règle simple au sein de l'Union européenne. Faisons déjà le ménage chez
nous !
O. P. : Si l'on applique cette proposition, cela n'aura qu'un effet : appauvrir le Luxembourg tandis que le
Liechtenstein ou les îles Caïman s'enrichiront...
R. V. R. : On nous a soutenu le même raisonnement pour la corruption : "Si vous sanctionnez les entreprises
françaises qui corrompent des dirigeants africains, ce sont les entreprises américaines qui prendront le
marché." Pour sortir de ce système, il faut une autorité publique qui défende l'intérêt collectif. La
mondialisation est économique et financière. Sur un plan politique, elle est en retrait : les Etats veulent
conserver leurs privilèges. La régulation signifie qu'ils acceptent de déléguer une part de leur souveraineté à
un organisme qui puisse leur taper sur les doigts, à partir de règles de transparence communes à tous.
Une sorte d'ONU de la finance ?
R. V. R. : Oui, mais pas une ONU qui regarde deux armées se tirer dessus !
O. P. : L'économie de marché, c'est comme un combat de boxe. On se tape dessus, mais sous les yeux d'un
arbitre et sur un ring entouré par des cordes. Ces cordes ont été relâchées. Il faut les retendre. A l'occasion de
la crise, on découvre que les règles peuvent être utiles : même les plus libéraux le reconnaissent.
R. V. R. : Mais il n'y a pas d'arbitre.
O. P. : Disons qu'il y a un arbitre myope... Un énorme pas serait déjà franchi si les principaux établissements
financiers mondiaux s'interdisaient d'opérer dans certains paradis fiscaux. Il faut être ambitieux mais réaliste.
L'OCDE a établi une liste des paradis fiscaux non coopératifs. Seuls trois d'entre eux - Andorre, Monaco et le
Liechtenstein - y figurent alors que trente-cinq se sont engagés à coopérer. Est-ce vraiment la réalité ?
R. V. R. : Le fait de ne plus avoir que trois paradis fiscaux reconnus, alors qu'il y en a beaucoup plus, montre
toute l'hypocrisie du système. Il est vrai que, techniquement, le problème n'est pas simple à régler. Mais, par
exemple, la volonté politique de l'Allemagne vis-à-vis du Liechtenstein me paraît réelle (L'Allemagne a
infiltré le système bancaire de la principauté alpine pour connaître les avoirs dissimulés par ses
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ressortissants). C'est le premier cas d'un Etat qui tape du poing sur la table d'un micro-Etat voisin. J'aimerais
que l'on m'explique pourquoi on peut aller faire la guerre en Irak mais qu'on est incapable de fixer un
minimum de règles applicables à de petits Etats sans poids politique ou militaire.
O. P. : On a fait quelques pas de fourmi en matière de coopération. Je ne vois pas les paradis fiscaux
disparaître à court terme, car il n'y a pas de volonté américaine de coopérer, Barack Obama compris.
Cependant, l'occasion est historique de poser le problème. Les dirigeants politiques ont découvert que la crise
avait pour origine la difficulté de repérer les risques bancaires, pour des raisons techniques, et à cause de leur
localisation dans les paradis fiscaux. Les autorités de régulation vont, au moins peut-on l'espérer, se pencher
sur ce sujet. Personne ne pouvait dire en février que Gordon Brown et Georges W. Bush nationaliseraient les
banques. Il n'est pas impossible non plus que les Etats conditionnent leur aide au fait qu'elles fassent des
progrès dans ces domaines. L'autorégulation peut aussi jouer : je n'exclus pas que les plus grandes banques
mondiales se mettent d'accord pour ne pas se concurrencer là-dessus.
R. V. R. : Je ne suis pas le seul Candide... Mais ce serait le minimum. Car il est choquant de voir que les
banques qui ont profité du système sont secourues, non par le Liechtenstein, mais par les contribuables de
leur pays. Il y a un paradoxe : on méprise les Etats, on les contourne, et le jour où tout éclate, on se retourne
vers eux.
Les obstacles que rencontrent les juges financiers ne vous inclinent pas à croire en l'autorégulation...
R. V. R. : Quand on fait une enquête sur des affaires de corruption, on se heurte toujours à des obstacles
infranchissables. En vingt-quatre heures, l'argent peut tourner de Singapour à Gibraltar, en passant par le
Delaware, Monaco et le Liechtenstein. Nos enquêtes finissent au bout de plusieurs années par buter sur un
coupe-circuit : des valises de billets sont sorties d'un compte offshore et reversées sur un autre compte. C'est
un constat d'échec. Les solutions passent par de la transparence : pouvoir identifier les vrais titulaires d'un
compte et les véritables porteurs de sociétés offshore. Une société devrait avoir une activité, un conseil
d'administration, des responsables. Aujourd'hui, je peux aller en Suisse, pour 5 000 euros, acheter clés en
main une société des îles Caïman et piloter des grands navires pétroliers qui font le tour de la planète ! La
transparence existe au sein de chaque Etat. Le contrôle existe aux Etats-Unis, hormis au Delaware qui est
considéré par les Américains comme un paradis fiscal. Mais à l'échelle supranationale, c'est la loi de la
jungle.
O. P. : Les Etats sont intéressés à la disparition des paradis fiscaux puisque c'est une perte en matière fiscale.
Mais aucune réforme n'a de sens si elle n'est pas intégrée à de nouvelles règles du jeu : mieux contrôler les
agences de notation, redéfinir les normes comptables et prudentielles, réduire le poids des marchés de gré à
gré, introduire une forme de régulation des fonds spéculatifs, etc. Cela ne veut pas dire réguler plus, mais
réguler mieux.
R. V. R. : Je crains qu'une fois l'économie repartie, la régulation ne semble plus nécessaire. Le choc est-il
assez fort pour qu'il y ait une volonté de contrôle ?
Monaco s'est engagé à faire des efforts en matière de coopération. Où en est-on dans cet Etat, mais
aussi en Suisse, ou à Londres ?
R. V. R. : Monaco affiche une transparence. Mais, là comme ailleurs, les enquêtes s'enlisent dès lors que
l'argent circule d'un paradis fiscal à l'autre. Au bout du compte, il nous est impossible de déterminer
l'ensemble des avoirs qui y sont cachés. Monaco reste un trou noir de la mondialisation. Il y a toujours du
blanchiment. A Londres, le secret bancaire est très fort. Il est presque plus difficile d'obtenir des informations
de la City que de Jersey. La Suisse, comme le Luxembourg, ont des sociétés fiduciaires qui fournissent
l'ingénierie financière et organisent la circulation des capitaux de façon qu'on ne puisse pas les retrouver.
O. P. : Je corrigerais : Monaco est plutôt un trou "gris". Je tire de mon expérience bancaire la certitude qu'il y
a moins de capitaux contestables à Monaco. Quant à la Suisse, si un paradis fiscal est un lieu où existe une
forte opacité comptable et financière, il est clair que c'en est un.
Faut-il supprimer le secret bancaire ?
O. P. : Je suis, sur le principe, pour le secret bancaire, c'est un droit de la personne, un garant de la
démocratie. Il ne faut y toucher qu'avec la plus extrême prudence.
R. V. R. : Je ne peux pas laisser dire ça. Si c'est un droit de la personne, alors seuls trois pays en Europe
assurent ces droits : le Liechtenstein, le Luxembourg et la Suisse, car ils permettent à ceux qui font l'objet
d'investigations bancaires de les contester ! Au regard de l'intérêt public, il ne doit pas y avoir de secret
bancaire.
La régulation est-elle une question de morale ou d'efficacité ?
O. P. : Si ce n'était qu'une question de morale, on pourrait être beaucoup plus pessimiste...
R. V. R. : Sur ce point, nous sommes entièrement d'accord !
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Document n°9 : Extrait de « L’économie déboussolée ». Rapport écrit par Jean Merckaert
avec Cécile Nelh, en collaboration avec Laurence Estival. CCFD-Terre Solidaire, décembre 2010,
56 pages. (www.leparisien.fr/event/pdf/RAPPORT_CCFD_101206_BD.pdf )
15
Document n°10 : Extraits de l’article de J-M. FIGUET et B. SIONNEAU « Paradis fiscaux et
places offshore : opérations et régulation », Ecoflash n°244, janvier 2010, p.4 . Publication du
SCEREN-CNDP.
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Document n° 11 : « Paradis fiscaux : la France a encore une vingtaine de pays dans le
collimateur », Les Echos, 1er décembre 2009, p. 5
http://archives.lesechos.fr/archives/2009/LesEchos/20563-28-ECH.htm
Les services de Bercy viennent d'établir une liste encore provisoire des pays qui, s'ils n'évoluent pas
avant le 1 er janvier, seront considérés comme des paradis fiscaux par la France. Les entreprises qui
y sont implantées risquent d'être fortement pénalisées.
Les paradis fiscaux qui souhaitent rentrer dans le rang devront mettre le mois de décembre à profit
pour normaliser leurs relations fiscales avec la France : le 1er janvier, le gouvernement publiera une
première liste, différente de celle de l'OCDE, des pays qui refusent tout échange d'information avec
l'administration française. En l'état actuel des accords signés, ce sont pas moins de 24 pays qui sont
menacés, selon une liste établie par les services de Bercy et qui reste, à ce stade, encore provisoire.
Outre de nombreuses îles des Antilles (Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Barbade, Grenade, Montserat,
Anguilla, Antigua-et-Barbuda, la Dominique, Saint Kitts) et du Pacifique (Samoa, Vanuatu, Nauru,
Niue, Marshall, Cook), la liste dont les « Echos » ont obtenu copie comprend plusieurs pays
d'Amérique centrale et du Sud, et d'Asie, dont la puissance économique n'est pas négligeable : le
Chili, l'Uruguay, le Guatemala, les Philippines, le Costa Rica et Panama. S'y ajoutent encore le
Liberia, Brunei et Bélize.
Pas d'échange d'information
Cette liste n'a encore jamais été publiée. Et pour cause : le projet de loi de Finances rectificative
2009, qui en prévoit la création, ne sera examiné que la semaine prochaine à l'Assemblée nationale,
pour une adoption avant la fin du mois. Selon la nouvelle législation, les pays « non coopératifs »
sont ceux qui ont signé moins de 12 accords d'assistance administrative, qui ne pratiquent pas
d'échange d'information avec la France et qui n'appartiennent pas à l'Union européenne (lire ci-
contre). Cette liste n'est pas encore totalement arrêtée, plusieurs pays espérant signer un accord avec
la France dans les prochaines semaines. Les discussions sont notamment bien avancées avec les
Philippines et le Chili. Ce dernier dispose déjà d'un accord avec la France mais il n'est pas conforme
aux normes exigées, le droit chilien interdisant, pour l'instant, la levée du secret bancaire. « In fine,
il y aura au maximum une vingtaine de pays sur la liste », explique une source gouvernementale.
Avec cette première liste, révisable le 1er janvier de chaque année, la France a choisi l'approche la
plus restrictive et la moins contestable possible : les pays qui y figurent sont aussi sur la liste grise
de l'OCDE. Les paradis fiscaux auraient été plus nombreux si les nouveaux critères avaient été
appliqués à l'ensemble des Etats. A terme, c'est bien ce que compte faire Bercy. « La France a
choisi un point de départ qui reste cohérent avec l'action de l'OCDE. Elle privilégie une montée en
charge progressive », explique un conseiller. A défaut d'être exhaustive, la liste aura le mérite d'être
publiée dans des temps record, ce qui accroîtra la pression sur les pays « non coopératifs ». En
2011, le gouvernement se placera exclusivement du point de vue de l'Etat français. Les pays
potentiellement visés seront encore plus nombreux : Colombie, Tchad, Arabie saoudite, Oman, etc.
Pour éviter un tel cas de figure, l'Arabie saoudite s'apprête à mettre sa convention en conformité au
standard requis. Les entreprises qui sont implantées dans les pays de la liste noire française
s'exposent à de lourdes sanctions financières. Les taux de retenue à la source sur les revenus passifs
(dividendes, intérêts, redevances) seront notamment relevés de 15 % à 50 % dès lors que les flux
transitent vers ces paradis fiscaux.
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Document n° 12 : « La France relance la lutte contre les paradis fiscaux ».
© Christian Chavagneux, pour L’Economie politique. Cet article a été posté le 24 novembre 2011
(http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux/2011/11/24/la-france-relance-la-lutte-contre-
les-paradis-fiscaux/)
Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef
de la revue L’Economie politique.
« Juste de retour d’une conférence de presse à Bercy avec Valérie Pécresse, la ministre du Budget,
sur ce que fait la France en matière de lutte contre les paradis fiscaux. La ministre a fait des
annonces importantes et fourni plusieurs données intéressantes.
Non aux banquiers suisses
D’abord, elle a, enfin, officiellement et fermement rejeté tout accord de type Rubik avec les
banquiers suisses qui leur permet de protéger l’anonymat de leurs clients contre un prélèvement à la
source. Le rapporteur du budget, Gilles Carrez, présent à la conférence, a confirmé que si quelques
parlementaires de sa majorité ont été tentés en ces périodes de disette budgétaire d’accepter la
proposition suisse qui aurait démarré par le paiement d’environ 1 milliard d’euros histoire de régler
le passé des fraudeurs français en Suisse, la majorité n’y est pas favorable. On attend de Bercy un
rapport sur le sujet pour le 1er décembre, il y a donc de grandes chances pour qu’il soit négatif sur
les modalités de l’accord Rubik. Gilles Carrez s’est également félicité que l’accord signé entre la
Suisse et l’Allemagne ne soit pas assuré de recueillir une majorité au parlement allemand. On peut
ajouter que certains Länder ont déjà dit implicitement ce qu’ils en pensaient en continuant à acheter
des CD de données sur des fraudeurs éventuels !
Le cadre d’échange d’information du G20 ne fonctionne pas
Ensuite, dans le cadre mis en oeuvre par le G20 depuis avril 2009, la France a signé 36 conventions
d’échanges d’informations fiscales dont 22 sont en vigueur. Le fisc français peut donc a priori
demander des informations aux fiscs des paradis fiscaux lorsqu’il a un doute sur les activités de tel
ou tel contribuables.
Il peut le faire mais le fait-il ? Pour la première fois, la ministre a donné des informations : sur les 8
premiers mois de l’année, la France a envoyé 230 demandes d’information à 18 pays ; elle a obtenu
un taux de retour de 30 % seulement. Et pour les pays qui ont répondu, l’information n’est pas
forcément de qualité a précisé la ministre : « les éléments de nature juridique (statuts, noms des
actionnaires, bilans de société…) sont généralement transmis. En revanche, la transmission des
éléments plus concrets relatifs aux contribuables (information sur les soldes des comptes bancaires,
montant des rémunérations) semblent soulever plus de difficultés, et certains Etats semblent
considérer que la coopération vise à valider une information déjà connue par les autorités
françaises, plutôt qu’à en donner de nouvelles».
Il semble donc clair au vu des données fournies par la ministre que le dispositif d’échange
d’informations à la demande mis en place par le Forum global sur la transparence fiscal n’est pas
encore au point. Ce qui renforce la demande des ONG internationales de passer à un échange
automatique d’informations fiscales.
Si les paradis fiscaux continuent à faire de la rétention d’information, la ministre et le rapporteur
général du budget ont indiqué, ont menacé, qu’ils étaient prêts à mettre les pays récalcitrants sur la
liste officielle française des paradis fiscaux (qui ne comporte aujourd’hui que des petits territoires
sans importance), ce qui signifie par exemple que tout transfert d’argent à destination de ces
territoires fait l’objet d’une retenue à la source de 50 %.
La ministre conclue à juste titre de ces résultats que tant que les échanges d’informations ne seront
pas de qualité, « nous devons compter d’abord sur notre capacité de contrôle national ». C’est
pourquoi elle va proposer au parlement de porter le délai de prescription en matière d’avoirs
détenus à l’étranger et non déclarés de 3 ans à 10 ans. C’était déjà le cas depuis 2008 pour les pays
listés comme paradis fiscaux mais comme la liste s’est réduite comme peau de chagrin, la mesure
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sera désormais effective pour tous les pays, ce qui permet de continuer à enquêter dans la durée, y
compris dans les pays supposés échanger des informations avec le fisc français. La ministre n’a par
contre pas annoncé de recrutement de postes pour faciliter le travail du fisc en la matière, ce qui
aurait crédibilisé le dispositif.
A signaler également les données fournies dans le cadre du droit de communication, renforcé par
Eric Woerth : toutes les banques installées en France doivent fournir au fisc, quand il le demande,
des informations sur les mouvements de fonds réalisés vers l’étranger : 40 000 virements ont ainsi
été identifiés mettant en cause 8000 contribuables sur la période 2006-2008 (pourquoi les
statistiques s’arrêtent-elles à 2008, on ne le saura pas…). Le fisc surveille également de près les
achats réalisés en France au moyen de cartes de crédits étrangères pour trouver des comptes non
déclarés à l’étranger.
La fraude des entreprises pas oubliée mais une action moins forte
La ministre n’a pas oublié les pratiques douteuses des entreprises mais, comme toujours jusqu’à
présent avec ce gouvernement, l’attaque est plus molle.
La ministre a directement ciblé les pratiques de prix de transfert des entreprises en rappelant qu’Eric
Woerth avait imposé aux entreprises une obligation de documentation. Ce qu’elle n’a pas dit c’est
que Woerth voulait que les grandes entreprises donnent l’info ex ante, avant de mettre en oeuvre
leurs choix en matière de prix de transfert, ce qui aurait permis au fisc de cibler rapidement les
choix douteux, et que la majorité actuelle a retoqué le projet imposant aux entreprises uniquement
de garder l’information au chaud pour la donner ex post si le fisc la demande, ce qui laisse les
contrôleurs face au même dilemme de savoir qui contrôler en priorité avec leurs faibles moyens
humains.
La ministre a indiqué que les redressements de prix de transferts avaient rapporté 1,9 milliard
d’euros en moyenne par an sur les 3 dernières années et qu’elle confiait une mission à l’Inspection
générale des finances d’expertiser les politiques mises en œuvre par les autres pays européens en
matière de lutte contre les pratiques douteuses de prix de transfert.
Enfin, à une question posée par votre serviteur, la ministre a répondu que « la mise en oeuvre d’une
comptabilité pays par pays pour les banques est une piste que l’on peut envisager » ce qui réjouira
les ONG internationales de lutte contre les paradis fiscaux qui se battent pour cela. Il ne faudra pas
lâcher Valérie Pécresse sur le sujet.
Au total, la ministre a complètement assumé une politique répressive envers les fraudeurs. Le rejet
de Rubik, la transparence sur le peu d’efficacité de l’échange d’information à la demande,
l’allongement du délai de prescription et l’utilisation concrète de la capacité d’échange
d’information à la demande avec les banques vont indéniablement dans le bon sens. A bien entendre
la ministre, on comprenait que, contrairement aux déclarations du président de la République, les
paradis fiscaux, c’est loin d’être fini. Surtout si le gouvernement reste mou sur leur utilisation par
les entreprises. Il doit continuer ce qu’il a entrepris vis-à-vis des particuliers aisés. Mais il doit aussi
s’attaquer fermement aux pratiques douteuses des grands groupes. »
Document n° 13 : « Rubik sème le doute aussi en Suisse », par Daniele Mariani, swissinfo.ch,
13 janvier 2012.
(http://www.swissinfo.ch/fre/politique_suisse/Rubik_seme_le_doute_aussi_en_Suisse.html?cid=31
916664)
Les accords fiscaux que la Confédération a signés avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne sont
fragilisés. Désormais, des doutes sont aussi soulevés au sein de la Confédération. Pourtant, le
modèle dit «Rubik» est loin d’avoir dit son dernier mot.
«Nous vous versons les milliards récoltés avec un nouvel impôt libératoire et vous, vous renoncez à
exiger l’échange automatique d’informations»: avec les accords signés respectivement en septembre
et en octobre avec Berlin et Londres, le gouvernement suisse semblait avoir découvert l’œuf de
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Colomb. Soit la solution qui permettait de préserver ce qu’il reste du secret bancaire, tout en
donnant satisfaction aux autorités fiscales de ces deux pays.
Lame de fond
Pourtant, depuis quelques semaines, les pronostics sur le modèle de Rubik semblent s’assombrir. En
Allemagne par exemple, la formule n’a pas l’heur de plaire aux sociaux-démocrates du SPD, aux
Verts ainsi qu’à certains Länder (…)
En Suisse également, le doute surgit et les accords allemand et britannique, pourraient se heurter à
des obstacles parlementaires. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) ne voit
pas Rubik d’un bon œil, car le projet comporte davantage d’effets négatifs que positifs, tandis qu’à
gauche, les demandes européennes de renseignements automatiques suscitent une certaine
sympathie.
De plus, certains économistes et experts en fiscalité ont récemment mis en doute la validité de ce
type d’accord. Pour le professeur d’économie de l’Université de Fribourg, Sergio Rossi, «il s’agit
d’un modèle basé sur une philosophie du siècle dernier, lorsque les capitaux étrangers étaient
parqués en Suisse pendant de longues décennies sans être touchés». «Si on veut véritablement
affronter l’avenir, il faut aller vers l’échange automatique d’informations (...) en négociant
habilement avec nos partenaires pour obtenir le maximum d’avantages pour notre pays», a-t-il
déclaré récemment sur les ondes de la Radiotélévision de la Suisse italienne (RSI).
Une partie politique
Selon Paolo Bernasconi, professeur de droit bancaire et fiscal, tout n’est cependant pas perdu:
«Probablement que l’Allemagne réclamera des modifications sur certains points qui posent des
problèmes de compatibilité avec l’UE. L’accord est de toute manière conçu comme le cube Rubik,
avec de nombreux segments qui forment un tout, et ce n’est pas en ôtant une partie que le cube
s’effondre», déclare-t-il.
«Il est évident qu’il y a une partie politique qui se joue entre Bruxelles d’une part, et Berlin et
Londres d’autre part, comme à l’intérieur de l’Allemagne», remarque pour sa part Michel Dérobert,
secrétaire général de l’Association des banquiers privés suisses. (…)
Liquidités bienvenues
La Suisse pourrait profiter du besoin urgent d’argent frais manifesté par de nombreux pays
européens. Selon une étude de la société de conseil Booz & Company, à la fin de 2010, quelque 270
milliards de francs détenus par des contribuables allemands et britanniques étaient déposés dans les
banques suisses.
Toujours selon ce rapport, 60% de ces avoirs ne seraient pas déclarés aux autorités fiscales
respectives. Pour régulariser ces fonds, les banques devront prélever un impôt libératoire entre 19 et
34% du capital. Les ministères du Trésor de ces deux Etats encaisseront alors des sommes
considérables.
«La position européenne, qui consiste à réclamer l’échange automatique d’informations, est
idéologique. J’ai le plus grand respect pour les concepts de justice fiscale, d’équité, d’égalité de
traitement. Cependant, d’un point de vue pragmatique, l’Etat doit avant tout encaisser sans créer de
coûts supplémentaires», lance Paolo Bernasconi.
Echange automatique?
L’échange automatique d’informations découragerait certainement les fraudeurs en puissance. Par
contre, il compte de nombreuses inconnues. «Ce n’est pas parce que l’on reçoit des informations sur
un contribuable que l’argent remonte immédiatement à la surface. Les informations doivent d’abord
être évaluées. Ce qui entraîne une procédure qui peut durer plusieurs années, sans avoir la certitude
de pouvoir encaisser des arriérés d’impôt au bout du compte», précise encore Paolo Bernasconi.
Et si l’accord échouait? La situation resterait inchangée, assure le secrétaire de l’Association des
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banquiers privés suisses. «C’est surtout l’UE qui est sous pression, avec son système de fiscalité de
l’épargne qu’elle ne parvient pas à réformer.»
Lorsque Bruxelles aura adopté une ligne claire, l’UE demandera à la Suisse de revoir les accords
existants et d’accepter l’échange automatique d’informations. Berne refusera, et on recommencera à
négocier pour parvenir un jour à une solution», prédit Michel Dérobert.
Paolo Bernasconi se montre moins optimiste: «Considérant que le G20 et les grandes organisations
poussent vers l’échange automatique d’informations, les banques helvétiques ont eu le mérite de
présenter cette proposition alternative, qui est une sorte de lampe d’Aladin. Les Etats étrangers
encaissent des milliards rapidement, sans frais et avec une précision toute helvétique. Mais si cette
proposition devait être rejetée, la situation se compliquerait singulièrement pour la Suisse,
puisqu’elle n’aurait plus rien à offrir. Je crains que l’on ne se dirige alors tout droit vers l’échange
automatique d’informations. Ce qui serait catastrophique pour une partie du secteur financier suisse,
qui perdrait beaucoup de son attractivité ».
(RUBIK
Les accords signés avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne prévoient une régularisation des
avoirs non déclarés et détenus en Suisse par des ressortissants de ces deux pays. Le cas échéant, le
versement d’un impôt forfaitaire unique sur le capital déposé, prélevé par un agent débiteur (en
principe une banque), et versé de façon anonyme (le nom de l’épargnant n’est pas mentionné) aux
autorités fiscales allemandes ou britanniques permet de régler le passé.
Le taux d’imposition prévu varie entre 19 et 34%. Pour les futurs rendements sur les capitaux, un
impôt libératoire sur les intérêts et sur les dividendes est prévu. Pour l’Allemagne, le taux
applicable est fixé à 26,375%, ce qui correspond à celui en vigueur dans ce pays. En revanche, pour
la Grande Bretagne, il varie entre 27et 48% selon la catégorie des rendements sur les capitaux.)