Conclusions du Colloque international « Biodiversité et Gestion des Ecosystèmes prairiaux »...
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Conclusions du Colloqueinternational « Biodiversitéet Gestion des Ecosystèmesprairiaux » (Metz, 8–10 juin1995)René Delpech aa Groupe d'Etudes et de Recherches en EcologiePrairiale , Société botanique de France , 1 rueHenriette, F-92140 , ClamartPublished online: 27 Apr 2013.
To cite this article: René Delpech (1996) Conclusions du Colloque international« Biodiversité et Gestion des Ecosystèmes prairiaux » (Metz, 8–10 juin1995), Acta Botanica Gallica: Botany Letters, 143:4-5, 463-470, DOI:10.1080/12538078.1996.10515742
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Acta bot. Gallica, 1996, 143 (415), 463-470.
Conclusions du Colloque international « Biodiversite et Gestion des Ecosystemes prairiaux » (Metz, 8-10 juin 1995)
par Rene Delpech
Groupe d'Etudes et de Recherches en £cologie Prairiale, Societe botanique de France, I rue Henriette, F-92140 Clamart
Reswne.- Les definitions de Ia biodiversite, de ses niveaux d'organisation ainsi que du concept d'ecosysteme sont discutees. Les facteurs naturals et humains de Ia biodiversite des ecosystemes prairiaux sont rappeles. Nous signalons !'interet d'une typologie biologique des peuplements en relation avec Ia preservation des ressources genetiques. Les causes de degradation de Ia biodiversite ainsi que les relations entre celle-ci et Ia productivite sont evoquees. Les bases scientifiques des gestions conservatoire et restauratoire de Ia diversite specifique et cenotique sont analysees en soulignant !'importance du long terme. Un apervu est donne des roles respectifs des mesures agri-environnementales et de Ia Directive europeenne" Habitats"· Des propositions son! faites pour une politique de preservation de Ia diversite des ecosystemes prairiaux, d'information et de sensibilisation sur ce sujet.
Summary.- Definitions of the biodiversity, its organization levels and ecosystem concept are debated. The natural and human factors of grassland ecosystems biodiversity are recalled. We draw attention to the interest of biological typology of plant communities in connection with genetic resources preservation. The causes of degradation of biodiversity and their relations with productivity are evoked. The scientific bases of conservation and restoration managements of specific and cenotic diversity are analysed with emphasizing the long time. A survey is given on respective parts of " agri-environmental ., policies and European " Habitats ., Directive. Proposals are made for a policy of grassland biodiversity protection and people information.
Key words : Biodiversity - ecosystem - organization level - permanent grassland - conservation management.
©Societe botanique de France 1996./SSN 1253-8078.
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Je voudrais d'abord, en tant que representant de Ia Societe botanique de France et de I' Amicale internationale de Phytosociologie rappeler que ces deux associations ont deja organise sept colloques ayant pour theme Ia prairie, dont les actes ont ete publies en:
- 1960 sur les prairies en general, - 1975 sur Ies pres sales, - 1976 sur Ies prairies humides et inondables, - 1977 sur les pelouses seches, - 1978 sur les prairies tourbeuses, - 1982 sur les pelouses calcicoles, - 1988 sur les relations entre phytosocio-
logie et pastoralisme. Le Professeur Serge Muller m'a confie
Ia redoutable mission de conclure ce coHoque. Je n'aurai pas Ia pretention de vouloir tenter une synthese de communications extremement diverses dans leurs contenus comme dans leurs finalites. Je me contenterai d'exposer quelques reflexions personnelles qu' elles m' ont inspirees.
Une premiere constatation qui se degage est Ia difficulte de trouver un denominateur commun a tout ce qui a ete presente, mise a part Ia prairie et encore dans un sens tres large. Cette difficulte a deux causes principales, a notre avis. La premiere provient du fait que deux categories d'intervenants : professionnels du secteur agricole d'une part, naturalistes d'autre part, ne parlent pas toujours le meme langage et poursui vent des buts differents. Rares sont ceux qui, possedant Ia double formation, cherchent a harmoniser des finalites difficiles a concilier, ce qui souleve d'ailleurs des problemes de nature philosophique et historique dont il n'y a pas lieu de discuter aujourd'hui (1). La seconde, en partie Iiee a Ia premiere, mais qui n' est pas particuliere a ce colloque, tient a ce que certains mots qui ont ete largement utilises sont charges d' ambigui"tes ou correspondent a des representations diverses. II en est ainsi de biodiversite, terme « mediatise » depuis Ia con-
ference de Rio, qui semble devoir suivre un chemin analogue a ceux suivis auparavant par ecologie ou environnement. II en va de meme pour ecosysteme, milieu, vegetation, entre autres. Or, comme I' a dit le philosophe Alain : « On peut tout prouver si les mots dont on se sert ne sont pas parfaitement definis ».
Cette constatation m'amene a proposer des definitions qui peuvent eventuellement contribuer a elargir le champ d' etudes dans certaines directions, mais aussi ale restreindre dans d'autres. II n'est d'ailleurs pas inutile de rappelerque le theme de l'appel d'offres lance en 1991 par Ia Fondation Limagrain etait : « Diversite biologique des especes herbacees sauvages et gestion de Ia prairie permanente ».
La biodiversite est un concept d'origine recente (1986) qui ne s' applique en toute rigueurqu'au monde vivant comme le souligne le prefixe. II convient de ne pas l'oublier. Mais, comme cela a ete dit, elle peut s'envisager a differents niveaux d'organisation : genes, genotypes, populations, especes, communautes, ensembles ou complexes de communautes. On parlera alors de diversite genotypique, intrapopulationnelle ou interpopulationnelle, de diversite specifique, intracommunautaire ou intercommunautaire, de diversite cenotique (c'est-a-dire de diversite de communautes ou de biocenoses appurtenant a une meme formation vegetale dans une aire biogeographique definie), soit au total six niveaux au moins.
Certains vont meme plus loin et appliquent le concept de biodiversite aux paysages, c'est a dire a des ensembles comprenant des formations vegetales mais aussi d'autres objets non biologiques. On doit toutefois remarquer, qu'a partir de ce niveau d'integration, on quitte le domaine de Ia biologie au sens strict pour celui de Ia geographie. Les especes - et a fortiori Ies populations et les biocenoses- ne sont plus
(1) Voir, entre autres references sur ce sujet: Wintz M., 1995- De Ia nature produite a Ia nature sans I' hom me. Courrier de I'Environnement de I'INRA, no 24, 43-48 et aussi: Robin J., 1989- Changer d'ere, 350p. (Seuil).
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prises en compte en tant que telles, mises a part quelques especes dominantes de grande taille, surtout ligneuses.
L'analyse de ces differents niveaux fait appel a plusieurs disciplines biologiques : genetique, biologie des populations, systematique et biosystematique, floristique et faunistique, phytosociologie, biogeographie. Ces disciplines doivent- ou devraient - intervenir de concert d'autant plus que les niveaux d'organisation ne sont pas independants com me I' a montre I' expose de Mile Blaise. C'est ainsi qu'il existe des relations indiscutables entre les ecotypes d'une espece et les types de communautes ou ils se trouvent. Par exemple, les populations de Dactyle (Dactylis glomerata L.) sont reparties (en Europe occidentale) dans 28 groupements vegetaux du niveau « alliance», entre 0 et 2000 m d'altitude. Le Trefle des pres (Trifolium pratense L.) comporte des populations dans 13 alliances entre 0 et 3000 m. De nombreux travaux ont mis en evidence de telles relations pour une cinquantaine d'especes prairiales. Ces travaux doivent etre poursuivis puisque, sur un ensemble de pres de 200 « especes » prairiales communes en Europe occidentale, environ 80 (soit 40 %) correspondent a des ensembles polymorphes genetiquement complexes.
Ainsi, Ie concept de biodiversite (et son analyse), en s'axant sur les differences, done sur l'originalite des genotypes, des populations, des especes et des communautes, s'oppose a Ia fois a une approche hoIistique (ou global e) chere a certains ecologues theoriciens contemporains et a un reductionnisme d' essence physico-chimique qui postule l'unicite moleculaire du vivant !
II faut aussi insister sur le fait que Ia biodiversite ne peut etre evaluee au seul point de vue quantitatif, par exemple par Ie nombre d'especes presentes dans un peuplement ou par un « indice de diversite » ou d' « equitabilite ». Le point de vue qualitatif est au moins aussi important : une espece rare a plus de valeur qu'une espece
commune. II s'agit alors de« valeur patrimoniale ».
Dans les forums ou symposiums internationaux, on souligne souvent Ie manque d'informations et de connaissances sur Ia biodiversite. C'est sans doute vrai a l'echelle de Ia biosphere si I' on envisage Ia totalite des milieux (y compris marins) et des organismes, des protistes aux mammiferes et aux phanerogames. Cette affirmation oublie toutefois deux choses :
- d'abord le fait que Ia biodiversite s'apprehende concretement au sein de populations, de peuplements ou de communautes biologiques definis ;
- ensuite, que Ia biodiversite des organismes heterotrophes depend fondamentaIement de celle des organismes autotrophes, c'est a dire, en premier lieu, des vegetaux chlorophylliens. Or ceux-ci sont relativement beaucoup mieux connus que les organismes heterotrophes pris dans leur ensemble et sont done d'une approche plus facile. Cela n' em pee he pas I' existence - et meme Ia necessite - de relations inverses, par exemple dans Ie cas des pollinisateurs et de certains agents de dispersion des graines.
A Ia difference de Ia biodiversite, l'ecosysteme n'est pas un concept de nature exclusivement biologique puisqu'il inclut le biotope, c'est a dire Ie milieu physique caracterisant )'habitat des organismes. Mais il est fondamentalement base sur une entite biologique qui est Ia biocenose. C'est ainsi que l'avait defini Tansley, createur du terme, en 1935 : « L' ecosysteme est forme de I' ensemble d' une biocenose et de son biotope »,cet ensemble etant envisage aux points de vue structural, spatial, relationnel et fonctionnel. Nous ajouterons que seuls les aspects structural et spatial permettent de definir et de delimiter de maniere operationnelle un ecosysteme. Ces deux aspects sont done prealables aux deux autres, sinon on ne sait pas de quoi on parle precisement ! Certaines connotations actuelles, qui tendent a estomper, voire igno-
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rer, cette constatation essentielle et a centrer les etudes et recherches sur le concept de systeme et sur les aspects cybemetiques, mecanistes, thermodynamiques ou chimiques, procectent, sous couvert holistique, d'une deviation epistemologique a caractere « cryptoreductionniste », inspiree de conceptions discutables, posterieures a celle de Tansley.
La quasi totalite des ecosystemes terrestres sont organises au tour des vegetaux superieurs. La biocenose s'exteriorise alors au niveau du peuplement vegetal (phanerogamique en general). Les peuplements vegetaux spontanes etant structures en communautes definies et ctelimitables spatialement (faits connus et demontres en Europe depuis bientot un siecle !), Ia biocenose n 'est pas du tout une « entite floue » comme certains I' affirment car alors I' ecosysteme le serait aussi par definition ! En outre, du point de vue structural, Ia diversite des formes biologiques, des strates et eventuellement des microcommunautes ou synusies est a considerer au meme titre que Ia diversite specifique.
Quant a Ia prairie, il s'agit bien sur ici de prairie permanente a vegetation spontanee. II faut y inclure aussi les pelouses qui en diflerent notamment par Ia hauteur moindre du peuplement a complet developpement. Ce vaste ensemble comprend surtout des formations semi-nature lies d' origine secondaire, du moins en Europe occidentale, ainsi que quelques formations naturelles primaires comme les pres-sales ou les pelouses alpines.
Venons en maintenant a Ia gestion au regard de Ia biodiversite. Celie d'un ecosysteme anthropise comme Ia prairie implique evidemment toutes les techniques ou pratiques d'intervention, directe ou indirecte, de l'homme sur Ia biocenose ou sur le biotope ou sur les deux : fauche, paturage ou altemance, reguliere ou non, des deux avec des particularites tres diverses, feu, apport de semences ...
Trois orientations peuvent etre envisagees:
- on peut, d' abord, se limiter a constater, de maniere empirique, les effets d'un certain mode de gestion, c'est-a-dire d'une pratique ou d'un ensemble de pratiques, sur Ia biodiversite des peuplements auxquels elles s'appliquent;
-on peut aussi essayer de mettre au point un mode de gestion permettant de conserver Ia biodiversite existante ;
- on peut enfin chercher a restaurer une biodiversite qui s'est degradee a Ia suite d'interventions inopportunes sur l'ecosysteme ou son environnement.
Encore faut-il disposer de « points de reperes » temporels dans le cadre de Ia dynamique interne des peuplements.
Independamment des elements d'enquete sur Ia situation anterieure, le choix initial d'une methode de gestion ale plus grand interet a tenir compte d'un diagnostic ecologique stationnel precis, base notamment sur les groupes d'especes indicatrices des facteurs influen~ant Ia biodiversite des peuplements.
Mais Ia biodiversite d'un peuplement ne depend pas seulement de Ia gestion de I' ecosysteme correspondant. Elle est aussi fonction de deux elements importants :
- d'une part, du niveau regional de biodiversite, pouvant s'exprimer par exemple par Ia diversite intrinseque (richesse areale) d'un groupe systematique dans Ia region consicteree, qui est liee a des facteurs his to-. . nques anciens ;
- d'autre part, des contraintes du milieu physique.
C'est ainsi qu'il existe des peuplements prairiaux a diversite specifique naturellement elevee, par exemple les prairies subalpines de Ia region duMont Cenis ou confluent plusieurs corteges biogeographiques et ou !'on peut observer jusqu'a 70 especes de phanerogames sur quelques metres carres.
En revanche, d'autres peuplements ont une biodiversite naturellement faible, com-
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me certaines prairies mesophiles sur sols profonds et riches de regions sublittorales du Nord-Ouest europeen ou, a l'oppose, certaines pelouses a Nard (Nardus stricta L.) sur sols oligotrophes tres acides, avec seulement une douzaine d'especes vascuIaires, parfois mains. II ne faut pas esperer, dans de telles situations, accroltre Ia biodiversite par des mesures de gestion (sauf en modifiant fondamentalement Ies caracteres du substrat et en introduisant par semis d'autres especes).
II en est de meme pour Ia diversite cenotique intraregionale qui est elevee dans certaines regions, faible dans d'autres en fonction de )'importance des contrastes ecologiques qui les caracterisent.
C' est pourquoi une comparaison valable des modes de gestion au niveau regional - et plus encore interregional- devrait s'appuyer sur une typologie biologique des peuplements suffisamment fine. Cette typologie existe puisque, rien qu' en France, 487 associations vegetales de prairies et pelouses, reparties entre 97 alliances, ont pu etre identifiees et decrites. Mais elles restent tres mal connues des non specialistes et un effort devrait etre consenti pour Ies faire mieux connaltre, au niveau de chaque region, a )'aide d'un langage approprie, comprehensible des non inities.
La diversite cenotique peut aussi etre envisagee a un niveau beaucoup plus fin, par exemple a l'interieur d'une parcelle si I' on considere Ies microhabitats qui peuvent s'y rencontrer comme des mouilleres, sources, berges de ruisseaux, fosses, talus, rochers, « murgers », ourlets et lisieres, etc.). Chacun de ces microhabitats comporte une biocenose qui lui est propre.
Un autre probleme evoque a plusieurs reprises au cours du colloque est celui des relations entre Ia biodiversite et Ia productivite des ecosystemes prairiaux. Si I'on prend Ia precaution de se placer dans des conditions comparables a l'interieur d'une meme region naturelle, on constate tres
generalement un antagonisme entre biodiversite et productivite. Les experiences realisees dans divers pays europeens (dont Ia France) ont ainsi montre que Ia fertilisation reguliere de prairies a peuplements initialement diversifies entralne en quelques annees Ia regression de 20 a 50% de Ia biodiversite specifique des vegetaux superieurs.
Cet antagonisme s'explique facilement: Ies peuplements Ies plus productifs comportent generalement une ou deux especes vegetales dominantes tres competitives qui ne laissent guere de place aux autres especes.
La reside Ia cause principale de Ia degradation de Ia biodiversite des peuplements prairiaux depuis un demi-siecle, resultat d'une economie essentiellement productiviste. Cette degradation a affecte non seulement Ia diversite specifique, mais aussi les diversites populationnelle et cenotique. Les peuplements biologiquement Ies plus riches, done les moins productifs, ont Ie plus sou vent disparu, soit par intensification, soit par abandon d'exploitation, soit par reconversion a d'autres usages : culture intensive, boisement, populiculture, industries extractives, tourisme et loisirs, sports, etc. C'est ainsi qu'en France, plus de 2 millions d'hectares de« surfaces toujours en herbe »,
souvent Ies plus interessantes du point de vue de Ia biodiversite, ont disparu en un quart de siecle ! Et c'est precisement dans Ies regions ou Ia biodiversite des peuplements prairiaux est encore relativement elevee qu'elle est Ia plus menacee a terme (par exemple dans Ies regions montagneuses et le pourtour mediterraneen).
Si cette regression a sans doute peu affecte globalement le nombre d'especes -bien qu' on ne dispose pas de donnees precises pour le prouver - elle a vraisemblablement affecte d'une maniere importante l'aire et Ia repartition de certaines especes peu frequentes et plus encore Ies patrimoines genetiques des populations d'especes prairiales. Ce phenomene peut avoir des
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consequences pratiques importantes en matiere de ressources genetiques disponibles, non seulement pour 1, amelioration des especes fourrageres, mais aussi pour toute une serie d'autres especes d'interet alimentaire, pharmaceutique, horticole, industriel ou autre, qui sont presentes dans les prairies a flore spontanee.
Comment se posent le probleme de Ia conservation de Ia biodiversite et celui de sa restauration, tant au niveau populationnel ou specifique qu'au niveau cenotique?
Une remarque prealable doit etre faite : les ecosystemes prairiaux etant en grande majorite des ecosystemes secondaires (du moins en Europe), ils ne sont pas stables et il est vain d' en vi sager une conservation statique de Ia biodiversite. 11 faudrait plutot parler d'equilibre dynamique
La conservation de Ia biodiversite specifique implique plusieurs conditions :
D'une part, il convient d'eviter toute intervention risquant d'affecter defavorablement Ia croissance, le developpement et Ia reproduction des populations les moins frequentes des peuplements. Cela suppose une bonne connaissance des caracteristiques biologiques de ces populations. De nombreuses recherches restent a entreprendre dans ce domaine.
En particulier, il est important de connaitre les causes de Ia rarete d'une espece dans un peuplement ou dans un territoire. Ces causes peuvent etre historiques, par exemple processus evolutif, action humaine passee, espece a Ia limite de son aire. Elles peuvent etre aussi ecologiques par exemple : exigences tres strictes pour un ou plusieurs facteurs, sensibilite a Ia competition, limite climatique, moyens de multiplication ou de dispersion limites, liaison obligatoire avec une espece animale elle-meme rare (un pollinisateur par exemple).
D'autre part, Ia competition entre individus ou populations d'especes differentes doit rester limitee. Cela veut dire en pratique eviter:
- toute elevation, directe ou indirecte, du niveau trophique ;
- les modifications du regime hydrique ; - les exploitations trop frequentes aussi
bien que 1' absence d' exploitation qui favorise, ainsi que cela a ete dit, le developpement d'especes sociales envahissantes (Brachypodium spp., Agrostis spp., Molinia coerulea, Pteridium aquilinum, etc.) et des ligneux.
La mise au point de techniques appropriees, en particulier pour faire regresser les especes dominantes, necessite des connaissances precises sur le developpement et Ia reproduction de toutes les especes du peuplement, notamment sur les periodes de reconstitution des reserves, Ia phenologie de Ia floraison et de Ia fructification, Ia dissemination des graines, les conditions ecologiques favorisant leur germination et Ie developpement des jeunes pi antes au regard de Ia concurrence.
Enfin Ia conservation de Ia biodiversite au niveau regional peut etre favorisee par I' existence de« corridors» ou de« ponts » ecologiques entre les peuplements pour assurer Ies migrations et les echanges geniques necessaires au maintien des potentialites evolutives des especes. Dans le cas des prairies, ces corridors peuvent etre les lisieres herbacees, talus et « delaissees » de voies de communication, berges de cours d'eau et, d'une maniere generale, toutes les formations herbacees non prairiales.
La restauration de Ia biodiversite specifique des peuplements suit les memes regles que Ia conservation. Mais cela ne suffira pas toujours et il sera parfois necessaire d'envisager des operations plus complexes ou plus difficiles comme Ia « deseutrophisation »progressive du sol (notamment pour l'azote et le phosphore ainsi que l'a evoque le Professeur Peeters). Si le stock de graines viables d'especes interessantes dans le sol ou dans l'environnement proche est trop appauvri, il faudra penser a leur reintroduction par semis a partir d'ecotypes locaux, s'il en existe encore. De toute
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maniere, Ia restauration de Ia biodiversite specifique demande du temps et doit etre envisagee sur le long terme.
La conservation de Ia biodiversite cenotique au niveau regional se situe a une autre echelle et les problemes poses soot d'une autre nature. Elle suppose une gestion traditionnelle diversifiee des peuplements. On rentre alors dans Ia problematique des reserves biologiques dirigees dans divers cadres institutionnels ou associatifs (pares, reserves naturelles, conservatoires ... ). Mais se pose aussi Ia question des criteres de choix des peuplements a preserver, notamment sur Ia base de leur valeur patrimoniale. Plusieurs criteres peuvent etre utilises, par exemple :
- richesse floristique ou/et faunistique ; - presence d'une ou plusieurs especes
rares ou protegees au niveau national ou regional, d'espece(s) endemique(s) ou en limite d'aire;
-existence de populations isolees d'une espece;
- combinaison d'especes originale ou peu frequente.
Enfin, Ia restauration de Ia biodiversite cenotique est, de loin, le probleme le plus difficile a resoudre. S'il est prouve, a Ia Iumiere de documents historiques recents non discutables, que Ia biodiversite cenotique prairiale a fortement regresse dans une region, c' est so us I' effet conjugue de I' intensification.agricole, du boisement (spontane ou artificiel) ou des politiques successives d'amenagement du territoire.
Dans Ie cas ou une restauration serait envisageable, I' action devrait porter sur une extensification agricole et pastorale, une reconversion de terres cultivees en prairies (et non en jacheres !) sur differents biotopes. Ce typed' operation se projette obligatoirement sur le long terme (20 a 50 ans) ce qui n'est guere compatible avec des mesures a caractere socio-economique qui soot toujours a court terme pour des raisons evi-
dentes ! Par exemple, on a pu observer (en Ile-de-France) que )'apparition d'especes prairiales banales sur un terrain auparavant cultive demandait une dizaine d'annees. II faut probablement beaucoup plus longtemps pour voir apparaitre spontanement des especes moins frequentes (ce qui incite a Ies introduire par semis, si toutefois elles consentent a germer eta se developper).
Les nouvelles mesures « agri-environnementales » peuvent, au moins dans certains cas, avoir un effet benefique sur Ia biodiversite, mais elles demeurent insuffisantes en raison principalement de leur manque de perennite. Pour Ies ameliorer, il faudrait peut-etre arriver a moduler les primes accordees dans le cadre des contrats de partenariat en les indexant sur un accroissement dfiment constate de Ia biodiversite des peuplements, comme cela commence a se pratiquer dans certains pays. En outre, un controle effie ace et pertinent de I' application des normes inscrites dans Ies cahiers des charges pourrait faire appel a I'utilisation des bioindicateurs comme cela a ete propose en Belgique (2), a condition que ce controle soit confie a des agents reellement competents et specialement formes a cette fin.
Enfin, en matiere de gestion conservatoire, )'herbivore domestique devrait etre considere comme un outil et non seulement comme une finalite de production.
Si les mesures agri-environnementales semblent connaitre quelque succes, au moins dans certaines regions, on a toutefois peu evoque I' application prochaine de Ia Directive europeenne « Habitats » et Ia mise en place du « Reseau Natura 2000 ».
Jusqu'a present, Ia conservation de Ia biodiversite, assortie de mesures de gestion etait surtout assuree dans les zones centrales des Pares nationaux et dans certaines reserves naturelles. Or, chacun sait que Ie choix et surtout Ia delimitation de ces zones ou reserves ne s'est pas effectue sur Ia
(2) Lambert J. eta/., 1990- Les possibilites de contr61e des pratiques culturales en reserves naturelles et plus particulierement en prairies. Actes du colloque" Gerer Ia Nature ",Anseremme 1989, Ministere de Ia Region wallonne, Namur, I. 2 Ateliers, 483-500
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seule base de leur biodiversite intrinseque. En outre, de nombreux secteurs dignes d'interet au titre de Ia biodiversite [tels que ceux repertories dans le cadre des Z.N.I.E.F.F. C)J se situent hors des pares et reserves. C'est pourquoi il convient d' accorder une grande attention au choix eta Ia delimitation des « zones speciales de conservation » qui seront designees, a partir de 1998, au titre de Ia directive« Habitats » et qui seront inscrites dans les legislations nationales dans un delai de six ans. D'ici Ia, on peut craindre que certains peuplements « eligibles » aient disparu so us I' effet de causes diverses en depit de I' obligation faite aux Etats de prendre toutes mesures conservatoires appropriees durant cette peri ode transitoire !
II est temps de terminer. Je pense que tous les convaincus seront d'accord sur l'urgence d'une action coordonnee autour d'un programme a long terme de preservation et de gestion de Ia biodiversite prairiaIe a tous les niveaux. II est sans doute bien tard pour s'y atteler, mais il n'est peut-etre pas trop tard.
A cette fin, une politique devrait etre mise en oeuvre portant sur les etudes et recherches de base, I' experimentation de methodes de gestion dans differents « contextes » et aussi sur Ia formation de specialistes, !'information et Ia sensibilisation des esprits.
Parmi les etudes ou recherches a envisager ou a developper on peut citer, non limitativement :
- un inventaire actualise de Ia biodiversite des peuplements prairiaux qui serait a mener (en France) avec !'aide (ou a !'initiative) du Service du Patrimoine nature) (Museum national d'Histoire naturelle) ;
- le developpement des recherches de biosystematique sur les especes prairiales ;
-!'etude du role des microhabitats dans Ia diversification genetique des populations ;
- celle de !'incidence des stocks de graines viables dans les sols sur les possibilites de restauration de Ia biodiversite specifique, comme I' a montre T. Dutoit en Normandie.
-des etudes sur Ia physiologie, l'autoe-
cologie et Ia synecologie des especes rares ou peu frequentes ;
- des experiences comparatives de longue duree sur les methodes de gestion .
Parallelement, il conviendrait : -decreer et developper des reserves phy
logenetiques prairiales correspondant aux principaux types regionaux de peuplements, selon des criteres biogeographiques, phytosociologiques et ecologiques ;
- de rationaliser Ia prospection des populations dans le cadre de Ia preservation des ressources genetiques et de l'approvisionnement des banques de genes, en s' appuyant notamment sur une typologie coherente des peuplements a base phytosociologique, analogue a celle mise en oeuvre pour Ia directive « Habitats ».
II faudrait par ailleurs que se creent et se developpent des relations plus etroites et plus sui vies entre les gestionnaires et Ia recherche.
II faut en fin souligner que I' etude et Ia mise en oeuvre d'une gestion conservatoire ou restauratoire de Ia biodiversite prairiale implique de soli des connaissances bionaturalistes (notamment tloristiques, faunistiques, biogeographiques, biosystematiques, phytosociologiques, ecologiques, entre autres). Or, en France du moins, les politiques scientifiques et educatives poursuivies depuis pres d'un demisiecle ont conduit a sacrifier deliberement le developpement et Ia diffusion de ces connaissances a d'autres objectifs. C'est ce qui explique, d'une part Ia penurie actuelle de specialistes, d' autre part, ce qui est plus grave encore, !'absence de sensibilisation d'une grande partie des jeunes - et des moins jeunes - done des citoyens, a I' egard des problemes de protection de Ia Nature!
II serait grand temps de faire evoluer cette situation, grace aux competences et aux bonnes volontes disponibles bien sur, mais aussi et surtout avec Ia volonte politique et le soutien financier d'institutions et organismes qui voudront bien s' y impliquer et sans lesquels aucune entreprise scientifique n'est possible aujourd'hui.
(3) Zones naturelles d'interet ecologique, faunistique et floristique.
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