Concilier l'accompagnement social et la protection...

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000 Ecole Nationale de la Santé Publique CAFDES 2000 ARAFDES LYON CONCILIER L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL ET LA PROTECTION JUDICIAIRE DES ADULTES HANDICAPES DANS UN S.A.V.S. (service d’accompagnement à la vie sociale) Patrick CLAVEL « On entre en éthique quand à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit. » Paul RICOEUR

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Ecole Nationale de la Santé Publique

CAFDES 2000ARAFDES LYON

CONCILIER L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL ET LAPROTECTION JUDICIAIRE DES ADULTES HANDICAPES

DANS UN S.A.V.S.(service d’accompagnement à la vie sociale)

Patrick CLAVEL

« On entre en éthique quand à l’affirmation parsoi de la liberté, s’ajoute la volonté que la libertéde l’autre soit. »

Paul RICOEUR

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

SOMMAIRE 1

INTRODUCTION 3

1ère Partie

1. Délimiter le cadre d’intervention 6

1.1. L’accompagnement : un projet ancré dans une organisation complexe 61.1.1. L’association, 61.1.2. La création du service d’accompagnement 7

1.2. Présentation des bénéficiaires et des actions 101.2.1. Les personnes adultes handicapées accompagnées 101.2.2. Le personnel, les actions développées 14

1.3. Approcher l’idée d’accompagnement 151.3.1. Le sens de l’accompagnement 151.3.2. L’intérêt d’une contractualisation 19

1.4. La Protection des majeurs dans l’esprit de la loi 221.4.1. Les fondements de la protection des majeurs 221.4.2. Les différentes mesures de protection des majeurs 26

2ème Partie

2. La personne handicapée protégée, un vécu source de tensions 30

2.1. Les dispositifs évitent la rencontre avec le bénéficiaire 332.1.1. La protection invite à la substitution 332.1.2. La protection ignore l’avis du majeur et de son environnement 352.1.3. La protection autorise une privation d’intimité 37

2.2. La protection n’autorise pas : 362.2.1. la remise en cause des dispositifs 362.2.2. la citoyenneté 372.2.3. l’universalité des droits 48

2.3. Repérer ce qui fait tension dans les dispositifs 412.3.1. Du point de vue de la législation 412.3.2. Dans les interventions sociales 462.3.3. Dans la superposition de la tutelle et de l’accompagnement 52

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3ème Partie

3. Dépasser les tensions pour retrouver l’adulte accompagné 55

3.1. Un ajustement du projet 553.1.1. La confrontation avec les textes 553.1.2. Mobiliser les partenaires 583.1.3. Impliquer l’équipe 62

3.2. L’éthique dans une logique d’accompagnement 693.2.1. L’éthique ou la complexité du projet 703.2.2. L’éthique ou la recherche de l’altérité 733.2.3. Ethique professionnelle 75

CONCLUSION 78

ANNEXE : Pages I à IX

Recommandation du Conseil de l’Europe N° R (99) 4 du 23/02/99

Bibliographie Page X

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INTRODUCTION

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La loi du 30 juin 1975 consacre dans le droit français la reconnaissance des personnes

handicapées. Cette reconnaissance est faite à tout un groupe social, par l’attribution d’un

statut. Mais ce statut, étape préalable et nécessaire, ne peut-être considéré comme une fin en

soi. Les associations concernées revendiquent aujourd’hui bien au delà du statut : la dignité

(campagne nationale de l’UNAPEI1 en 1996) ou la citoyenneté. C’est reconnaître ici que la

condition de « handicapé » a changé ainsi que leur mode de vie et leurs attentes.

Depuis fin 1989, j’ai participé à la mise en place d’un service d’accompagnement pour adultes

handicapés mentaux. Ce service propose un suivi pour ces personnes accédant à un habitat

individuel en milieu ordinaire. L’ADAPEI2 de la Loire est le promoteur de ce projet.

Le projet est très largement influencé par un contexte social et politique qui privilégie cette

approche.

Les lois de décentralisation de 1982 vont ainsi favoriser l’émergence d’une nouvelle pratique

sociale en direction des personnes adultes handicapées mentales. Elles inscrivent tout

particulièrement l’intervention sociale dans une proximité de terrain et dans la volonté de

développer des stratégies d’aide à domicile, et donc d’accompagnement.

D’autres facteurs concourent également au développement de cette nouvelle pratique sociale.

Ainsi la probable atténuation des solidarités familiales qui par le passé assumaient pleinement

la charge et l’hébergement des personnes handicapées, invite-t-elle au développement des

logiques d’accompagnement. Ces logiques sont par ailleurs privilégiées dans un contexte

économique tendu car leur coût social est moindre au regard du coût d’hébergement en

structure collective. L’hébergement collectif est lui même largement remis en cause comme le

sont les logiques d’enfermement qu’avaient initiées la psychiatrie. Enfin et peut-être surtout,

l’amélioration des conditions sanitaires et l’allongement de l’espérance de vie des personnes

handicapées mentales, appellent d’autres formes de réponse. Les parents eux-mêmes, encore

récemment, pouvaient « espérer » partir après leur enfant handicapé, assumant dès lors, la

maîtrise de la destinée de cet enfant. Aujourd’hui ils ne sont plus du tout assurés d’être les

seuls à devoir trouver des solutions adaptées, qui devront tôt ou tard s’aménager sans eux.

1 UNAPEI : Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés2 ADAPEI : Association Départementale des Amis et Parents d’Enfants Inadaptés

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C’est donc dans un contexte socio-économique et politique favorable que ce projet peut voir

le jour. Cependant, les administrateurs de l’association, s’ils apportent leur soutien à ce projet,

souhaitent cependant s’entourer de quelques précautions.

Par volonté de faciliter l’adhésion de l’ensemble des partenaires sur ce projet et pour rassurer

les parents, éventuellement administrateurs, un certain nombre de prescriptions protectrices

sont dans la phase de démarrage, énoncées. Cela va de l’ouverture du service 24 h / 24 avec

des permanences téléphoniques et un système d’astreinte, à la précaution écrite de

« l’obligation d’une protection tutélaire pour l’ensemble des personnes accompagnées »3.

Des trois prescriptions rassurantes, cinq années après l’ouverture, seule subsiste l’obligation

de protection judiciaire pour les adultes accompagnés par ce service. La loi les nomme alors

« majeurs protégés ».

On pourrait même supposer que la nécessité de protection est renforcée par la disparition des

astreintes et des permanences téléphoniques. Il y aurait alors un corollaire entre la protection

et l’insécurité réelle ou supposée, le risque pris par le « parent » représenté ici par

l’association. La protection est alors inscrite dans une logique de contrôle, ou comme une

assurance, une garantie contre les risques de ce mode de vie en milieu ordinaire.

C’est cette obligation que j’interroge dans ce travail et qui amène cette question :

« Comment concilier une protection judiciaire de personnes adultes handicapées et un projet

d’accompagnement à la vie sociale qui permettent la citoyenneté ? »

Je prends ici le parti d’insister sur la citoyenneté qui va au-delà de l’accompagnement social

en milieu ordinaire. Elle suppose que l’adulte handicapé soit effectivement repéré, non

seulement comme un bénéficiaire mais comme un partenaire. L’adulte handicapé mental n’est

plus seulement hors des murs, hors de l’institution, il est dans la cité. Il ne peut plus être réduit

à son altérité, à sa différence, il peut légitimement revendiquer d’être CITOYEN.

ETRE Citoyen ne peut cependant pas se résumer en une formule incantatoire, il ne suffit pas

d’être dans la cité pour être reconnu citoyen, et j’en réfère pour cela au sens étymologique du

mot citoyen, celui qui participe à la cité, membre « libre » d’une cité, « opposé à serf » 4.

3 Projet du service départemental d’accompagnement écrit en 19884 Citoyen : XII ème siècle – opposé à serf – dans Larousse étymologique

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Dans le projet initial de ce service d’accompagnement, la citoyenneté ne figurait pas

explicitement comme l’un des objectifs à atteindre. Pour autant, c’est bien l’idée maîtresse qui

devrait inspirer tout projet d’accompagnement.

Est-il dès lors envisageable de la conjuguer avec l’idée « d’Adulte Handicapé Accompagné

sous Tutelle » ?

Je perçois de la place d’un directeur de service d’accompagnement que cette conjugaison ne

va pas toujours de soi et que la notion de tutelle met souvent à mal l’idée de citoyenneté.

L’équipe dans le quotidien de l’accompagnement est confrontée à ces mêmes interrogations :

Jusqu’où accompagner et comment le tuteur et l’accompagnateur trouvent-ils chacun leur

place ? Comment la citoyenneté transcende, dépasse la logique d’accompagnement et

interroge la volonté de protection ?.

La recherche de la conciliation d’une protection judiciaire de personnes adultes handicapées et

d’un projet d’accompagnement à la vie sociale doit autoriser la citoyenneté .

Concilier parce que c’est de la mission d’un directeur de rechercher la conciliation :

- Conciliation entre les intérêts des adultes sujets de notre mission et la société

commanditaire, l’association gestionnaire.

- Conciliation des projets collectifs ou individuels d’une équipe éducative et de la

commande institutionnelle ou des intérêts de chacun des adultes accompagnés.

- Conciliation entre des aspects techniques, juridiques et une certaine idée de ma mission

que je nommerai la position éthique.

- Conciliation entre un statut de personne adulte handicapée mentale, sous protection

judiciaire dite pour majeur protégé, communément admise comme la contrepartie légitime

du statut, à concilier avec un projet d’accompagnement à la vie sociale, qui suppose

autonomie, capacité et indépendance.

Concilier c’est donc permettre à la question de se poser et je la décline en trois étapes, d’abord

délimiter le cadre d’intervention (I), puis dans un second temps expliquer les tensions dans

cette perspective de citoyenneté (II), pour enfin dans une intention éthique, proposer de

dépasser les tensions, pour retrouver l’adulte accompagné (III).

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1ère Partie

Délimiter le cadre d’intervention

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1. Délimiter le cadre d’intervention.

Toute intervention sociale suppose de pouvoir être analysée de différents points de vue afin

d’en percevoir la complexité. Je propose ici, quatre approches différentes et complémentaires

de cette question de l’accompagnement en milieu ordinaire de personnes handicapées

mentales : tout d’abord une présentation de l’association, et de la création de ce service, puis

une présentation des bénéficiaires et des actions développées. Dans une troisième étape, nous

proposons d’approcher l’idée d’accompagnement, avant une présentation juridique pour situer

le contexte de la protection judiciaire des majeurs.

1.1. L’accompagnement un projet ancré dans une organisation

complexe

1.1.1. L’association

Comme la plupart des institutions intervenant dans le secteur de l’aide et de l’action sociale, le

service d’accompagnement est géré par une institution de droit privé à but non lucratif,

association dite de la loi du 1er juillet 1901 : l’ADAPEI de la LOIRE.

L’association est née de la volonté mais aussi de l’intérêt personnel de quelques familles dont

l’un des proches était touché par le handicap mental. L’association déclarée à la Préfecture de

St Etienne en octobre 1957, énonce ses buts en 4 points :

Informer l’opinion, les pouvoirs publics et obtenir sur le plan législatif et financier les

moyens de réaliser l’éducation des enfants présentant une déficience ou une inadaptation.

Créer les réalisations pour assurer le traitement, la rééducation et la formation

professionnelle.

Réunir les familles et étudier les problèmes posés par le handicap.

Faciliter les rapports entre les familles et l’administration.

Le titre de l’association : Association des parents et amis, ainsi que les buts ci-dessus

affirment avec force un des aspects principaux de cette association qui s’est créée autour du

handicap de leurs enfants. La création progressive des établissements confirme cette

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hypothèse : d’abord établissements d’enfants, puis IMPro5, puis CAT6 ou foyers, au gré des

besoins de leurs enfants.

Les personnes morales qui prennent en charge l’action sociale et médico-sociale se créent

librement, dans le respect des textes spécifiques à chacun des publics ciblés. La

réglementation du secteur social et médico-social ne concerne que les établissements ou

services qu’elles gèrent. C’est ainsi que sont conciliés le respect de la liberté d’initiative (ici

privée et de forme associative) et le nécessaire contrôle de la puissance publique sur ses

activités engagées par délégation de service public.

La réglementation est définie alors par la loi 75.535 du 30 juin 1975, dite loi sociale relative

aux institutions sociales et médico-sociales. La liberté associative se voit donc encadrée et

limitée pour ce qui concerne la création des établissements, et ultérieurement leur gestion.

On peut considérer que l’association est organisée à deux niveaux :

ADAPEI, « association » de parents, et ADAPEI « entreprise » appelée aujourd’hui à gérer

plus de 50 établissements ou services et près de 1000 salariés dans le département de la Loire.

Une organisation en sections locales, six sur le département, permet une certaine proximité

des représentants associatifs sur le terrain et auprès des établissements.

1.1.2. La création du service d’accompagnement.

C’est en 1983 que se met en place une « commission associative » travaillant sur le projet

d’accompagnement. Si habituellement une commission est constituée pour répondre à une

interrogation des familles, il s’agissait plus ici de prendre en compte une préoccupation de

professionnels, et de répondre à un besoin, du fait de l’absence de structures d’hébergement,

prolongeant ainsi un travail amorcé sur le terrain (expérience de mise en appartement pour

quelques individus qui étaient jusque là hébergés en foyer).

Il faut pour l’occasion souligner que la création du service d’accompagnement repose plus sur

la volonté de professionnels que sur la volonté de familles et par voie de conséquence de

l’association. C’est ici l’une des originalités fortes de ce service : ne pas avoir répondu à un

besoin ou un désir personnel des administrateurs, mais d’être la réponse à une réflexion menée

par les professionnels, et à un besoin direct des personnes adultes handicapées.

5 IMPro : Institut Médico-Professionnel6 CAT : Centre d’Aide par le Travail

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Le service ne concerne de fait pas d’enfant d’administrateur de l’association et peu d’enfants

d’adhérents. Cette originalité s’illustre par une statistique constante depuis la création du

service : 80 % du public accompagné n’a pas ou peu de liens familiaux stables.

Le travail de cette commission aboutira in fine à la rédaction d’un projet qui sera soumis à

l’autorité territoriale compétente depuis la décentralisation, le Conseil Général.

Si ce type de structure dite « service d’accompagnement » n’est pas expressément prévue par

la loi 75.535 du 30 juin 1975, art 3, on peut cependant faire référence par défaut à l’art 1er :

« Mènent avec le concours de travailleurs sociaux […] des actions à caractère social […] de

soutien, de maintien à domicile. » ou l’alinéa 5 du même article : « Assurent […] dans le

cadre de vie ordinaire…l’éducation spéciale, l’adaptation aux personnes […] adultes

handicapées ».

En accord avec les autorités de tutelle, le projet de service référé à ce texte, suivra donc la

procédure et la réglementation prévues par la loi 75.535 du 30 juin 1975.

• L’avis de la CRISMS7 (aujourd’hui le CROSS8) pour ce projet a été rendu le 30.09.87 et

transmis au Président du Conseil Général de la Loire. Celui-ci délivre une autorisation de

création d’un service départemental d’accompagnement le 16 novembre 1987.

• Cette autorisation vaut habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale, car

aucune mention contraire n’est portée dans l’arrêté de création.

Quatre services, dans les années 1988 à 1992, ont été successivement mis en place sur le

département sous l’égide de l’association. Ces quatre services étaient à l’origine liés par une

direction centrale sous l’entité d’un service départemental d’accompagnement (SDA). Ces

quatre services dits « modules » étaient présentés, à cette époque comme des services

«autonomes», ce qui sous entendait «non-rattachés» à une structure d’hébergement collectif,

dont ils pouvaient être le prolongement.

La création d’un service départemental d’accompagnement annonçait probablement la volonté

associative de détacher la gestion des établissements de l’activité associative locale.

Le service d’accompagnement, module de Roanne, s’est ouvert officiellement en janvier

1990, avec une dotation budgétaire afférente. J’ai été embauché sur un poste de responsable

de service dès le mois d’octobre 1989, avec pour mission pendant cette transition,

7 CRISMS : Commission Régionale des Institutions Sociales et Médicosociales8 CROSS : Comité Régional de l’organisation Sanitaire et Sociale

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l’intervention sur un service de suite rattaché à un foyer, et le repérage de bénéficiaires

potentiels.

Au cours des années 1990, un mouvement de recentralisation des établissements autour d’un

siège départemental va s’opérer.

Cette création de groupements d’unités géographiques par type d’activité place chaque

établissement ou service sous la responsabilité directe et unique d’un pouvoir centralisé. Il est

vrai, pour expliquer cette évolution, que l’association a doublé son activité depuis 1989 et

représente en 1998 près de 1000 salariés pour plus de cinquante établissements et services.

Les sections associatives locales se sont aussi vues repositionnées hors du champ de gestion

directe des établissements.

L’ensemble des services et établissements intègre donc ces nouvelles entités, dites

groupement d’IME9 groupement de CAT ou groupement d’Habitat et d’Accompagnement.

Les services d’accompagnement, constitués en un service départemental, seront en janvier

1994, rattachés chacun à un groupement de centre d’habitat et d’accompagnement, entité

géographique de l’ensemble des structures d’hébergement qui interviennent sur un même

secteur géographique.

Cette mise en groupement signe le renoncement à la logique d’indépendance de

l’accompagnement à l’égard des structures collectives. Chaque module du service

départemental d’accompagnement, dont on pouvait craindre qu’il soit trop autonome , comme

un « électron libre » est ainsi « mis sous tutelle ».

Dans le même temps le système de permanence assurée 7 / 7 jours et 24 h / 24 heures par

l’équipe éducative, est supprimé. Cette suppression a d’ailleurs été imposée contre l’avis des

quelques familles localement impliquées dans le projet, marquant ainsi la prééminence du

« départemental » sur le local, mais aussi la faible participation familiale dans le projet

d’accompagnement.

C’est donc sous couvert d’un directeur de groupement, avec le titre de chef de service

remplaçant permanent du directeur, que j’exerce la fonction de responsable de ce service dit

« Service d’Accompagnement Nord ».

9 IME : Institut Médico-Educatif

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1.2. Présentation des bénéficiaires et des actions

1.2.1. Les personnes adultes handicapées accompagnées

29 personnes adultes handicapées mentales sont accompagnées par le service

d’accompagnement Nord (Roanne et Charlieu) de l’ADAPEI de la Loire à la fin 1998.

Origine en fonction de leur travail

• 25 sont ouvriers de CAT ;

• 2 sont travailleurs handicapés en milieu ordinaire ;

• 1 est encore scolarisée en IME, application de l’amendement CRETON ;

• 1 travaille en atelier protégé ;

L’activité du service est exclusivement orientée vers des adultes ‘travailleurs handicapés’, à

l’exception de l’accompagnement d’une jeune en IME en attente d’intégrer un CAT. Ils sont

tous bénéficiaires d’une reconnaissance par la COTOREP10 (section 1).

Initialement, était envisagé le critère de travailleur de CAT, qui a disparu au bénéfice de la

notion de travail protégé, en conformité à l’évolution du parcours professionnel de certains

adultes accompagnés. La condition travailleur est à rapprocher de l’idée de ressources. En

effet, ce projet d’accompagnement s’entend avec plus de facilité si l’adulte, pour le vivre,

dispose de moyens suffisants, qui évacuent la difficulté financière, la difficulté ‘sociale’

apparaissant déjà suffisamment complexe.

La notion de travail est aussi à rapprocher de la notion « d’occupation » ou d’activité plus

conforme à l’organisation du service avec des intervenants sociaux à mi-temps de 16 h à 20 h.

Origine en fonction du secteur géographique

• 20 adultes habitent sur le secteur de Roanne

• 9 habitent sur le secteur de Charlieu

Ces deux sites d’intervention sont distants d’une vingtaine de kilomètres, les intervenants sont

attachés à un secteur unique, mais les réunions d’équipes sont communes ainsi que l’action

« d’analyse de la pratique ».

10 COTOREP : Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel

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Origine en fonction du mode de vie

• 26 vivent seuls en appartement ;

• 2 vivent en couple ;

• 1 vit en famille d’accueil ;

Le projet de service a volontairement exclu l’idée que deux ou plusieurs personnes qui

n’avaient entre eux ni lien de sang ni lien affectif puissent cohabiter. A ce jour un seul couple

est constitué, mais cette première expérience d’une relation amoureuse qui se concrétise par

un habitat commun réveille et révèle d’autres demandes, qu’il conviendra de prendre en

compte.

Origine en fonction de l’orientation COTOREP

Ø 27 ont une décision COTOREP pour un taux d’invalidité supérieur à 80 % ;

Ø 2 ont une décision COTOREP entre 50 et 79 % ;

Ø 26 ont une orientation d’hébergement en foyer ;

Ø aucun n’a d’orientation vers un service d’accompagnement.

Si le projet d’origine prévoyait expressément une orientation COTOREP (section 2) de type

« accompagnement » pour les adultes bénéficiaires du service, la COTOREP du département

de la Loire a toujours refusé cette perspective au motif qu’aucun cadre légal n’existait pour les

services d’accompagnement. L’administration se réfère en cela à l’absence dans la loi de 1975

de la notion d’accompagnement.

Aujourd’hui, afin de rendre plus lisible l’action réelle du service, et d’en permettre une

certaine évaluation, nous engageons les bénéficiaires à solliciter une orientation COTOREP

« Foyer d’hébergement ». Cette orientation est effective pour 26 d’entre eux. Cela nous

semble un indicateur du niveau d’intervention en situant notre activité dans une réelle

alternative au placement en foyer d’hébergement collectif. En outre cette orientation permet

un bon ajustement du projet de l’adulte si l’accompagnement social en milieu ordinaire n’était

plus ou pas adapté.

Répartition Hommes Femmes Moyenne d’âge

Ø 14 hommes Hommes 38 ans

Ø 15 femmes Femmes 36 ans

Ensemble 37 ans

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Durée de l’accompagnement

Depuis combien d’année sont-ils accompagnés ?

9 ans : 5 personnes 8 ans : 5 7 ans : 1

6 ans : 3 5 ans : 4 4 ans : 0

3 ans : 4 2 ans : 4 1 an : 3

Cette indication doit être rapprochée du critère Flux (ci-dessous), sachant qu’il n’y a pas ou

peu de ‘sorties’ et que le nombre d’entrées est surtout fonction de l’étalement des embauches

du personnel éducatif. Un mi-temps de personnel éducatif étant susceptible, selon la

convention passée avec le Conseil Général, d’accompagner 5 personnes handicapées.

Mode d’hébergement précédant l’accompagnement

• Foyer - Service de suite …… 4

• Foyer classique 14

(Ensemble Foyer 18)

• Service d’accompagnement 1

• IMPro / Internat 3

• Habitat seul 1

• Famille 4

• Famille d’accueil 2

Il semble utile de préciser que pour les 18 adultes originaires d’un foyer, 8 personnes sont

inscrites dans une relation avec leur famille naturelle. Huit autres sont « d’anciens enfants de

la DDASS », placés en famille d’accueil Aide Sociale à l’Enfance, avec laquelle ils

entretiennent ou non des relations. Ce qui porte à plus d’un tiers le nombre de personnes

accompagnées issues d’une famille d’accueil.

Cette donnée renforce notre hypothèse que ce service a pu être créé, à l’origine pour des

adultes handicapés qui n’ont pas de famille présente. (voir le critère famille ci-dessous)

Origine en fonction du lien familial

• 21 n’ont pas ou peu de liens familiaux

• 8 ont une famille naturelle présente

Ce constat confirme l’hypothèse d’un service d’accompagnement qui ne concerne pas les

familles et donc peu les adhérents de l’association de parents.

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Flux

• Un seul adulte a cessé d’être accompagné pour accéder à une vie sociale « sans filet ».

• Deux adultes, après un accompagnement, ont rejoint une structure d’hébergement

collectif.

• Deux personnes ont rejoint une structure hospitalière de psychiatrie.

• Une personne a fait un accident cérébral et est aujourd’hui accueillie en MAS11

• Quelques autres expériences dites ‘à l’essai’ ont conduit les bénéficiaires à retrouver à

l’issue d’un temps assez court, le mode de vie précédent (famille ……)

En fait nous observons une activité de flux très faible. Cette particularité relève probablement

du niveau de handicap de ces personnes handicapées dites avec un retard mental moyen, pour

lesquelles l’accompagnement apparaît véritablement comme une substitution de

l’hébergement collectif. De là, il ressort que sans étayage « accompagnement » de proximité,

ces personnes handicapées rejoindraient sans aucun doute une structure d’hébergement

collectif, une structure psychiatrique, ou bénéficieraient d’une solidarité familiale, si elle était

encore active.

L’orientation COTOREP « Foyer d’hébergement» dont la plupart peuvent se prévaloir,

confirme cette hypothèse. Il devient ainsi prévisible qu’à l’issue de ce temps

d’accompagnement, les adultes aujourd’hui accompagnés, intègrent ou réintègrent un foyer

d’hébergement pour adultes handicapés mentaux.

Statut de protection

Ø 4 sont sans statut de majeur protégé

Ø 6 tutelles d’état gérées par un organisme de type familial (ATI)12

Ø 4 gérances de tutelle et TPS 13 avec un organisme de type professionnel (Entraide)14

Ø 1 tutelle d’état et TPS avec un organisme de type professionnel (Entraide)

Ø 2 curatelles d’état 512 et TPS avec un organisme de type professionnel (Entraide)

Ø 1 curatelle d’état 512 avec un organisme de type professionnel (Entraide)

Ø 1 curatelle d’état avec un organisme de type professionnel (Entraide)

Ø 2 tutelles en gérance avec l’UDAF 15(organisme professionnel)

Ø 4 curatelles gérées par des membres de la famille

Ø 2 tutelles gérées par des membres de la famille

Ø 1 curatelle exercée par un tuteur privé 11 MAS : Maison d’accueil spécialisée12 ATI Association Tutélaire des Inadaptés13 TPS : Tutelle aux prestations sociales14 Entraide Sociale du Département de la Loire

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Ø 1 curatelle 512 exercée par un tuteur privé

Les différentes modalités de protection sont expliquées plus en avant. De ce tableau il ressort

que peu d’adultes ne sont pas protégés, moins de 14 %, l’obligation de protection posée

comme préalable à l’accompagnement n’est donc pas toujours respectée. Il apparaît également

que l’organisme tutélaire de type familial est centré sur une seule et même mesure, la tutelle

d’état, alors que l’Entraide Sociale, organisme professionnel, propose une grande diversité de

mesures. Il n’y a pas de mesure sociale (TPS) seule, par contre plus de 25 % des mesures

civiles sont doublées d’une TPS. Enfin il convient d’observer que plus de la moitié des

mesures sont des mesures de tutelle (tutelle en gérance ou tutelle d’état).

1.2.2. Le personnel, les actions développées

Les actions du service dans une logique d’accompagnement s’articulent autour de six axes :

• L’intervention au domicile de l’adulte : c’est bien sur la recherche de logement et l’aide à

l’emménagement, mais aussi des interventions de maintenance du logement.

• La vie quotidienne : au delà des apprentissages acquis sous l’impulsion de la famille ou

des équipes éducatives des structures collectives, il faut développer certaines stratégies

spécifiques qui permettront à l’adulte de vivre seul, comme les déplacements, l’alimentation,

l’hygiène ou le ménage.

• Le budget : la logique d’accompagnement suppose, même si l’adulte est majeur protégé,

qu’il puisse accéder à la gestion d’un budget vie quotidienne, plus ou moins souple en

fonction de ses capacités, et qui va devenir un support dans le projet d’accompagnement.

• Une intervention individualisée : chaque adulte réagit différemment à cette perspective

d’autonomie, d’indépendance, qui suggère aussi la solitude. Cela suppose donc un soutien

psychologique attentif et adapté, une prise en compte de cette question de la solitude et une

certaine vigilance pour l’organisation du temps libre. Pour d’autres, leur pathologie ou leurs

difficultés engagent à un suivi médical.

• Les activités d’apprentissage sont souvent des prétextes à une mise en relation, mais elles

sont aussi l’occasion d’acquisitions de compétences nécessaires à une vie autonome. Pour

l’adulte accompagné, la confrontation à la réalité facilite l’apprentissage ou le réapprentissage

de notions dites scolaires comme la lecture, l’écriture ou le calcul.

• Des actions de « médiation » : avec les parents, l’employeur, les administrations, les

voisins. Ces activités ou actions sont facultatives et éventuellement complémentaires, en ce

15 UDAF Union Départementale des Associations Familiales

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

sens ou chacun des adultes « bénéficie » d’un plan d’action qui lui est propre, en référence à

son potentiel personnel et son projet, envisagé au travers d’un contrat d’accompagnement.

Pour mener à bien l’ensemble de ces actions, l’équipe qui structure ce service

d’accompagnement est composée de :

0,10 ETP Directeur de groupement

1. Chef de service Remplaçant permanent du directeur

0,2 Secrétariat

6 x 0,5 Educatif : éducateur spécialisé (2) assistante sociale (1) conseillère ESF (3)

L’équipe est volontairement pluridisciplinaire pour une meilleure adaptation de la réponse

apportée aux situations rencontrées. Un temps d’analyse de la pratique est animée chaque

mois par un intervenant extérieur, à raison de 2 heures par mois.

1.3. Approcher l’idée d’accompagnement

1.3.1. Le sens de l’accompagnement

Le projet du service d’accompagnement rappelle dans son préambule :

« Le service a pour but de promouvoir l’insertion sociale en milieu ordinaire des personnes

handicapées mentales ou déficientes intellectuellement et de leur apporter l’aide nécessaire

pour leur permettre de vivre en milieu non protégé, sans se substituer à elles.

L’accompagnement doit reposer sur un concept dynamique de la personne qui devient alors

acteur. La personne handicapée n’est plus dans un centre spécialisée, elle est au centre de

son projet de vie»

L’accompagnement n’est pas un terme juridiquement défini et pourtant : « l’accompagnement

doit être l’attitude fondamentale de toute action sociale. […] le terme d’accompagnement est

l’acte éducatif par excellence. » 16

Il paraît donc nécessaire de le préciser et de l’éclairer pour l’envisager dans le sens de mon

propos : l’accompagnement social.

16 F.ROLIN : L’éminente dignité de la personne – dans la revue Union Sociale – février 1992 – P 7 à 11

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

L’accompagnement suggère l’idée de compagnon, étymologiquement celui qui mange son

pain avec le copain17.

17 Accompagner : XIIème siècle – Le Robert – dictionnaire étymologique

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« C’est en quelque sorte revenir au contrat idéal, celui où la seule ressource rare, la

nourriture nécessaire, est divisée équitablement entre les compagnons. Image archétypale de

l’Evangile, le partage du pain suppose une communauté de destin. La dimension

étymologique de l’accompagnement est présente au moins comme symbole si ce n’est comme

éthique dans l’action sociale (une sorte de désir transcendant les conditions effectives des

acteurs) ». 18

Dans une approche plus pragmatique nous dirons que l’accompagnement se fonde toujours sur

une logique de « discrimination positive » pour reprendre la formulation de R.CASTEL à

propos des politiques d’insertion : « elles ciblent des populations particulières et des zones

singulières de l’espace social, et déploient à leur intention des stratégies spécifiques » 19

Le concept d’accompagnement suppose donc trois « acteurs » :

• un usager – bénéficiaire

• un dispositif d’action ou d’intervention sociale

• un intervenant – accompagnateur.

Cette règle se trouve parfaitement illustrée par les nouvelles politiques transversales initiées

depuis les années 1980 (insertion professionnelle des jeunes, Loi Besson, R.M.I.20, loi contre

les exclusions…) qui prévoient chacune des dispositifs d’accompagnement social. Celui-ci

est parfois la contrepartie obligée d’un financement (R.M.I).

C’est donc un concept résolument moderne que l’on retrouve dans les secteurs de

l’économique, du social ou du médical. On parle ainsi des mesures d’accompagnement pour

les plans sociaux (elles atténuent la violence des licenciements), on parle aussi de

l’accompagnement des mourants. Loin de la définition ancienne du copain, on allie

aujourd’hui l’idée d’accompagnement à la détresse d’un autre, d’une situation, ou d’un

événement, le chômage, la mort, la maladie ou le handicap.

Le dictionnaire Larousse nous dit pudiquement : « Accompagner : mettre en place des

mesures visant à atténuer les effets négatifs de quelque chose : assister, aider. Accompagner

un malade, un mourant, lui apporter les soins et le soutien nécessaire pour l’aider à

supporter ses souffrances physiques et morales. »21

18 Dictionnaire critique d’action sociale – ouvrage collectif – Bayard Editions – Paris 1995 – P.1619 Robert CASTEL – Les métamorphoses de la question sociale – Fayard – 1995 – P.418 20 RMI : revenu minimum d’insertion21 Bibliorom Larousse CDROM version 1.0 - 1996

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Que dire alors de l’accompagnement social :

Ø accompagnement dans la société qui suggère l’idée d’insertion et de citoyenneté,

ou

Ø accompagnement de la société qui évoque plus l’idée d’intervention sociale, de contrôle

ou de compassion. Ou peut-être d’intimité comme le décrit avec force Marie de HENNEZEL

« Ceux qui ont le privilège d’accompagner quelqu’un dans ses derniers instants de vie, savent

qu’ils entrent dans un espace de temps très intime. La personne, avant de mourir, tentera de

déposer auprès de ceux qui l’accompagnent l’essentiel d’elle-même » .22

L’intimité c’est sans aucun doute le point commun de cet accompagnement des mourants et

celui qui fait le quotidien de ce service. L’intimité, comme le décrit au cours d’une

intervention, Bernard PETREL, aumônier auprès de tziganes : « Il faut aller vers cet autre

espace qu’il y a dans chacun de nous, pour accompagner l’autre. Il y a dans tout homme un

jardin secret où il faut aller (un petit peu) pour qu’il y ait rencontre […] » 23

C’est dans cette rencontre, violence de l’intrusion, limitée mais nécessaire, que s’exprime tout

le paradoxe et la difficulté de l’accompagnement : respect, réserve, distance et intimité. Tout à

la fois dans un rapport proche du partage du pain : « Au quotidien, l’accompagnement se

traduit, plus souvent que ne l’envisage les manuels techniques ou les consignes officielles, par

des situations microsociales qui s’apparentent au partage du pain. L’acte ou le processus

interactif de comprendre ou de faire comprendre exige des relations de proximité où

l’échange s’effectue dans une sphère affective, «Un moment vécu en commun », un partage

fictif mais intense et vécu comme «vrai» par les protagonistes. »24, et dans le même temps, au

titre de l’intervention sociale, dans un registre professionnel, donc de prise de distance.

L’éthique dans le registre de la morale, le juridique dans le registre du technique sont alors les

remparts qui garantissent une relation d’accompagnement professionnelle. Car ajouter le mot

de professionnalisme à l’accompagnement c’est éviter de tomber dans le piège d’un

accompagnement / copain, qui réduirait l’espace entre l’intervenant social et le sujet de

l’intervention sociale.

Parler d’accompagnement c’est aussi prendre le risque de nommer le handicap, car la

démarche n’est pas neutre, elle rappelle à l’autre sa différence et le stigmatise. Il est difficile

de voir dans le déficient un « être comme nous », car c’est sa différence qui justifie notre

22 Marie de HENNEZEL – La mort intime – éditions R.Laffont – 1995 – P.14 23 B.PETREL : intervention au cours du 10 ème colloque MAIS - 4-5-6 juin 1996 24 Dictionnaire critique d’action sociale - op. cit. P.16

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intervention . Certains auteurs revendiquent d’ailleurs plus qu’un droit à la différence, un droit

à l’indifférence, à leurs yeux véritable préalable à l’intégration.25

L’accompagnement des adultes handicapés mentaux ne fait référence à aucun dispositif

spécifique. Il n’est pas repéré dans la panoplie des politiques sociales et les chevauche

pourtant fréquemment, il touche souvent à la fois l’exclusion, le logement, la vie

professionnelle et l’insertion. Pour le qualifier, l’identifier, les intervenants sociaux ont utilisé

le titre générique de Services d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS) et se sont donnés

une structure de représentation nationale le M.A.I.S.26.

L’un des objectifs du M.A.I.S. est de militer pour une reconnaissance législative de la notion

d’accompagnement. C’est d’ailleurs une originalité forte de ce type de structures qui très

souvent transcendent des logiques associatives fermées pour s’intégrer dans des logiques

transversales. Toutefois le défaut d’une définition claire de l’accompagnement dit social,

permet à chacun de se retrouver sous cette même banderole au risque de ne pas l’envisager

avec le même projet.

La difficulté de l’accompagnement est dans une recherche permanente d’un équilibre entre

l’aide, l’assistance et la tentation de représentation. Un équilibre dans la réponse apportée à

des commanditaires qui imposent des contraintes parfois contradictoires :

Ø réponse de l’adulte, de son projet clairement énoncé ou non, de ses désirs et de sa réalité,

et la capacité qu’il a de réaliser ses désirs,

Ø la commande associative, commande explicite de protection de la part de parents

Ø la commande de la société, contrôle, garant, protecteur, médiateur et comptable

Ø la position tutélaire qui, comme nous le verrons, peut avoir un projet contraire au projet

d’accompagnement, et qui se sent légitimée pour en exiger l’application.

Pourtant il reste une étape nécessaire si, comme nous l’évoquions dans l’analyse des flux,

l’accompagnement doit s’inscrire entre deux modes de prise en charge familiale ou collective,

et un retour après cette expérience, au collectif.

L’équipe éducative, consciente de cette réalité, insiste tout particulièrement sur l’idée de

l’accompagnement, comme un « temps », un moment, nous dirions aujourd’hui une « tranche

de vie ».

25 DIEDRICH Nicole - Biographie et témoignages, rapport MIRE 1988 26 MAIS : Mouvement pour l’accompagnement et l’insertion sociale

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Ce n’est ni mieux, ni moins bien, c’est un autre temps. « Pas de vie sans alternance ni sans

alternative » nous dit Yves GENIN « la lutte contre la fixité mortifère et donc contre

l’aliénisme est à ce prix, lequel n’est jamais qu’un droit inscrit dans les différentes

déclarations des droits de l’homme. » 27

L’adulte, « majeur protégé », accompagné, concentre sur lui un regard stigmatisant. Ses

difficultés, son handicap, occultent la dimension de citoyen. Il est d’abord cet être étrange qui

nécessite un accompagnement social. Le projet d’accompagnement dans la cité invite à l’idée

d’insertion, être un au milieu des autres, mais ne suppose pas encore l’intégration, citoyen

comme les autres.

Bien au contraire pour éviter que l’adulte ne se fonde totalement dans la cité, et pour éviter

que la société ne l’envahisse, il est nommé : « majeur protégé ». Majeur protégé, dont on peut

lire à l’évidence les deux versants, majeur protégé de ou dans la société ou, autre lecture,

société protégé du majeur (handicapé).

C’est donc, à priori pour clarifier les intentions, la mission et les moyens mis en œuvre avec

chacun des bénéficiaires qu’il apparaît nécessaire d’envisager une contractualisation.

1.3.2. L’intérêt d’une contractualisation.

Ce service est volontairement inscrit dans une logique de contractualisation avec l’adulte

accompagné, les objectifs recherchés et les moyens mis en œuvre font donc l’objet d’un

projet élaboré, écrit et soumis à l’adulte. Ce projet est régulièrement questionné et évalué..

Ce cadre contractuel écrit, a souvent été présenté comme la contrepartie nécessaire à l’absence

de cadre conventionnel ou législatif pour la pratique de l’accompagnement social. Mais au-

delà de la compensation de l’absence d’orientation par la COTOREP, la notion de contrat

inscrit le service d’accompagnement dans un mandat conféré par l’adulte lui même.

La relation contractuelle n’est cependant que le corollaire de la notion d’accompagnement.

Accompagner suppose toujours l’accord implicite ou formel de la personne accompagnée, le

contrat est donc la contrepartie de cette adhésion. Sans cette adhésion que l’on souhaite

« écrite » pour ce service, l’accompagnement se dirait avec d’autres termes : tutelle pour le

versant judiciaire, suivi pour une option contrainte, tutorat ou exemple dans une perspective

de modélisation, assistance dans une logique bienveillante.

27 Yves GENIN : Communication d’ouverture du colloque ITINIRAIRES – De “ l’incapable majeur au sujet –citoyen dépendant ” ou la relativité de l’universalité des Droits de l’Homme et du Citoyen – Avignon 1998

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L’accompagnement porte donc en lui-même l’expression de la volonté manifeste du

demandeur et suppose sa participation. Le contrat permet aussi de préciser clairement les

motivations de l’accompagnement, il sort du champ d’une relation duelle gratuite, pour

positionner le projet dans le cadre d’une intervention sociale organisée et institutionnelle.

La portée du contrat, l’adhésion du demandeur et la compréhension des enjeux institutionnels,

ne sont toutefois pas une réalité pour tous les bénéficiaires. En effet il peut exister des enjeux

ou des réalités extérieures qui masquent la volonté réelle de l’adulte handicapé. Le déficit

intellectuel est une première limite à la compréhension par l’adulte handicapé, qui du même

coup interroge la portée et la validité du contrat signé. La famille et l’environnement limitent

également d’autorité les choix possibles qui s’offrent à lui.

Ses choix sont souvent réduits à un foyer d’hébergement collectif ou un service

d’accompagnement. Il rêvait, peut-être, quant à lui d’une autre perspective, qui lui est

implicitement ou explicitement refusée. Autant de compromis qu’il faut prendre en compte

pour faire émerger une véritable demande, un projet personnel pour chacun des bénéficiaires.

La contractualisation, en repérant le champ de l’intervention éducative, nomme l’espace social

extérieur : activités, logement, administrations, médical… Elle introduit explicitement

l’individu comme acteur dans cet espace, intégré ou en projet d’intégration, et donc en

citoyenneté.

La contractualisation de l’accompagnement permet de préciser l’intervention sociale. En effet

le concept d’accompagnement reste flou et souvent présenté comme une intervention très

généraliste. L’accompagnateur n’est pas repéré comme un expert et sa mission, son travail

n’appellent pas, à priori, de compétences particulières ou spécifiques. A contrario, le tuteur

tient son mandat du judiciaire et peut revendiquer le titre d’expert. L’accompagnateur est

d’emblée inscrit sur tous les champs à la fois : le logement , le médical, l’administratif, le

psychologique, le droit , le financier. L’intervenant social devient polyvalent pour l’individu.

Aux yeux des partenaires il est un trait d’union entre eux et l’adulte accompagné. Il peut alors

apparaître comme celui qui autorise la mise à distance, la mise à l’écart. Il a reçu un mandat

social de la part des autorités de tutelle, de la famille, du tuteur, avec un droit d’ingérence dans

la vie privée de l’adulte handicapé mental.

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Est-il nécessaire de préciser ici que tous les adultes accompagnés par ce service sont dotés de

l’usage de la parole et qu’il sont nombreux à accéder au moins partiellement à l’écrit ? Il n’est

pourtant pas rare, lorsqu’un travailleur social est physiquement présent à ses côtés, chez le

médecin ou dans une administration que l’interlocuteur interpelle non pas l’adulte handicapé

mais l’accompagnateur présent : Quel âge a-t-il ? Où a-t-il mal ? Que désire-t-il ?

L’adulte lui-même se prête à cette substitution dans un jeu de complicité – confusion. C’est

lui qui remet son courrier au travailleur social avant même de l’ouvrir, c’est lui qui livre son

intimité au delà même de la demande de l’accompagnateur.

Le rôle de l’accompagnateur mérite donc d’être clarifié, celui-ci ne peut être le double de

l’adulte, le substitut d’une mère bienveillante, le porteur du désir de l’adulte accompagné. Il

ne peut répondre à tout, ni pour tous. Il répond à une commande intrinsèque au contrat .

Ce dernier ne peut être un blanc seing donné par l’adulte, il signe et il délimite le champ de

l’intervention et de compétence du travailleur social. Il est le préalable de l’accompagnement

mais il ne peut être préétabli. Il resitue l’intervenant dans une mission précise et éteint toute

velléité d’une action bénévole, d’une bonne volonté qui a d’autant moins de limite qu’elle

serait gratuite, donc inscrite dans le don qui n’admet ni critique ni compensation.

L’accompagnement a un coût, et ce coût contractualisé permet d’envisager une intervention

sociale limitée.

L’accompagnement n’est pas un domaine figé, il est sujet à caution, à évolution et à

controverse. La contractualisation permet de définir et d’impliquer l’adulte dans cette

démarche et d’envisager son évaluation, voire sa remise en cause.

La protection des majeurs qui a sa source et ses fondements dans les textes de loi s’offre en

apparence avec beaucoup plus de contrainte, de fiabilité et de permanence.

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1.4. Le point de vue juridique

1.4.1. Les fondements de la protection des majeurs

Le fondement juridique de la protection des majeurs repose sur les articles 488 à 515 du Code

Civil regroupés dans un titre onzième : De la majorité et des majeurs qui sont protégés par

la loi. Les articles 488 et 490 posent le principe de cette protection.

Ø ART 488

« La majorité est fixée à dix huit ans accomplis ; à cet âge, on est capable de tous les actes de

la vie civile. Est néanmoins protégé par la loi, soit à l’occasion d’un acte particulier, soit

d’une manière continue, le majeur qu’une altération de ses facultés personnelles met dans

l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts.

Est pareillement protégé le majeur qui, par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté,

s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’éducation de ses obligations familiales. »

Ø ART 490

« Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un

affaiblissement dû à l’âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l’un des régimes de

protection prévus aux chapitres suivants. Les mêmes régimes de protection sont applicables à

l’altération des facultés corporelles, si elle empêche l’expression de la volonté. L’altération

des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie. »

La protection des majeurs est héritière de la législation sur l’interdiction qui date de la

révolution française. Décrété le 8 germinal An XI, le titre XI du code civil traitait « de la

majorité, de l’interdiction et du conseil judiciaire ». Ce texte sera appliqué jusque 1968 et fait

référence dans son article 489 au « majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, de

démence ou de fureur lequel devait être interdit, même lorsque cet état présente des

intervalles lucides.... Un conseil judiciaire était prévu pour les majeurs « présentant une tare:

débiles, déséquilibrés, vieillards affaiblis et prodigues ».

Comme le rappelle Jean HAUSER à propos de ce texte de 1804 « la loi ne se préoccupait que

de la fortune de l’incapable, sa personne n’étant visée que sommairement ».28 Le régime de

protection sera très souvent combiné avec la loi de 1838, qui traitait du statut du malade

mental.

28 Jean HAUSER Origine et genèse de la loi du 3 janvier 1968 sur les incapables majeurs – article paru dans“ les mesures de protection des majeurs ” Ecole Nationale de la Magistrature – Bordeaux - 1995 – P.7

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Cette combinaison de NAPOLEON pour le code civil et d’ESQUIROL pour le texte sur les

malades mentaux, sera décrite comme une loi du tout ou rien – Loi de protection sanction.

Mais surtout le mode d’appréciation du déficit mental, de l’imbécillité, de la démence ou de la

fureur, pour justifier de l’interdiction, ne reposait que sur l’appréciation parfois subjective ou

intéressée de membres de la famille, d’un tribunal ou de simples honnêtes gens.

La loi du 3 janvier 1968 est donc venue modifier ces deux textes.

Le premier principe de la loi de 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, est de

renoncer à « l’interdiction », pour inscrire l’idée de « protection des majeurs », la loi précisant

: « dans tous les textes où il est fait mention de l’interdiction et de l’interdit, cette mention

sera remplacée par celle de la tutelle des majeurs et du majeur en tutelle ».

Si cette incapacité a disparu en 1968, nombreux praticiens du droit parlent toujours

aujourd’hui, à propos des majeurs sous tutelle ou sous curatelle « d’incapables majeurs ».

L’incapacité en droit n’existe plus, ou n’existe que dans son acception « incapacité

d’exercice ». L’individu, majeur protégé est pleinement sujet de droit.

La loi de 1968 convoque quatre acteurs essentiels : le juge, le médecin, la famille et le majeur.

• Le juge et le médecin

La réforme de 1968 va apporter quelques éclairages nouveaux s’appuyant sur l’évolution de

la société et sur l’évolution des connaissances médicales. Il est ainsi essentiel de rappeler que

cette loi a probablement été préparée et par des juristes et par des médecins.

Ce duo justifie la place primordiale de ces deux acteurs dans le dispositif de protection des

majeurs. Le médecin intervient désormais au premier chef comme le rappelle l’article 490 du

code civil : « l’altération des facultés mentales doit être médicalement prouvée. »

Pour autant la loi de 1968 s’attache à dissocier la question de la protection des majeurs de la

question hospitalière. Elle traite donc du versant Napoléonien du dispositif NAPOLEON –

ESQUIROL. La réforme de la loi de 1838 pour le statut du malade mental interviendra

beaucoup plus tard avec la loi du 27 juin 1990 qui vise à mieux garantir les conditions du

placement du malade, et définir ses droits pendant l’hospitalisation.

L’article 490.1 du code civil précise « Les modalités du traitement médical […] sont

indépendantes du régime de protection appliqué aux intérêts civils. Réciproquement, le

régime applicable aux intérêts civils est indépendant du traitement médical. » Ce qui revient à

dire : au juge la protection du patrimoine, au médecin le soin du malade ou déficient.

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La césure n’est cependant ni totale ni étanche, puisque le médecin reste garant de l’altération

des facultés mentales, donc acteur incontournable dans la mise en œuvre de la mesure de

protection. Il peut également donner des indications sur la mesure en précisant la nature des

actes que la majeur pourra exécuter. Il oriente ainsi le jugement vers tel type de mesure ou tel

autre et le juge confirmera fréquemment son indication.

L’interaction entre l’acteur judiciaire et l’acteur médical est si réelle que le juge des tutelles

par son ordonnance de protection valide le diagnostic médical ce qui fait dire à F.RUELLAN :

« C’est un bien singulier pouvoir que celui conféré au juge des tutelles : reconnaître la folie,

lui donner un statut juridique et la gérer»29.

Interaction réelle lorsque le médecin saisit le juge en fonction de l’intérêt que représente une

mesure de protection dans la perspective d’un traitement thérapeutique. « L’analyse présentée

par le médecin, et qui servira à la décision du juge n’est pas neutre. Elle obéit à ses propres

logiques, qui ne recoupent pas forcément les préoccupations du juge. Et la tentation pour le

médecin d’imposer (subrepticement) sa propre norme à celle que doit faire émerger le juge

est grande »30.

L’interaction judiciaire - médical perd aujourd’hui de son exclusivité avec l’envahissement du

dispositif de la protection par de nouveaux bénéficiaires qui ne relèvent pas, à priori, du

champ thérapeutique. Le handicap mental ou sensoriel, pour lesquels une expertise médicale

garde toute son utilité et les handicaps sociaux , n’empiètent pas sur le champ du

thérapeutique.

L’intervention du médecin est ainsi clairement délimitée en amont de la procédure. Le critère

principal de l’organisation de la protection sera alors plus patrimonial que médical .

• Le majeur protégé et son patrimoine

Nous avons vu qu’au travers des textes sur l’interdiction, la protection du patrimoine de

l’incapable et de l’aliéné était fondamentale. Cette volonté se retrouve dans le texte de 1968,

ne serait-ce déjà que par la formulation de l’article 488 visant expressément la prodigalité,

l’intempérance ou l’oisiveté, notions qui nous apparaissent aujourd’hui non seulement

patrimoniales mais aussi bien souvent désuètes. Le critère patrimonial est si essentiel qu’il

modifie à lui seul le mode de protection. C’est ainsi que si le patrimoine de la personne est de

faible importance le juge peut se borner à désigner un gérant de tutelle.

29 François RUELLAN : Le statut des majeurs protégés et des mineurs – E.N.M. 1997 – P.530 François RUELLAN - op.cit. - P 6

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T.FOSSIER constate au sujet de la loi du 03.01.1968 « L’écrasante majorité de ces

dispositions concernent la vie du patrimoine », il précise en outre que ce texte avait la volonté

de « détruire le ghetto juridique que la loi de 1838 avait édifié autour de l’asile et réintégrer

les richesses dans le circuit économique »31.

Une autre expression du critère patrimonial se lit dans la nouvelle autonomie financière que

confère la loi du 30 juin 1975 avec le versement de l’allocation aux adultes handicapés. Cette

attribution et donc cette relative autonomie, a bien souvent été complétée d’une mesure de

protection, nous confirmant la prééminence patrimoniale de la mesure.

Cette volonté d’un dispositif plus patrimonial qu’humaniste, nous oriente vers une approche

qui s’intéresse peu à la question de la personne et certains disent ici que c’est plus par

prudence que par oubli. « La loi de 1968 expose de façon précise les règles d’organisation et

de gestion du patrimoine de la personne majeure, (…) elle est muette pour tout ce qui est de

l’accompagnement du majeur (…) plus par prudence que par indifférence. »32

Je pense aussi que le public concerné à l’origine du texte, majoritairement malade mental,

fréquemment hospitalisé, appelait peu cette question de la personne, cet aspect étant supposé

traité ailleurs. Or de nouveaux bénéficiaires (adultes handicapés) et de nouvelles stratégies

sociales (maintien à domicile) interpellent le dispositif sur cette question non seulement du

patrimonial mais aussi de l’individu.

• La famille

La loi de 68 rappelle la place prééminente de la famille dans le dispositif de protection. C’est

la famille qui peut saisir la justice en vue de l’ouverture d’une mesure de protection, et elle

peut également assumer la gestion de la mesure. Sauf dans le cas du mariage où : « L’époux

est tuteur de son conjoint » la mesure peut être confiée à un membre de la famille mais ce

n’est pas une obligation. Il est souvent évoqué la résistance des juristes et des médecins dans

cette disposition, les uns souhaitant éviter la confusion entre les intérêts du majeur et celui de

son tuteur familial. Les autres, en référence aux avancées de la psychiatrie, à la suite de

FREUD, évoquant les rapports ambigus qui pouvaient se nouer entre parents et enfants. Les

chiffres confirment que les familles n’interviennent que pour une mesure sur deux ( source

ministère de la justice 1997).

31 Thierry FOSSIER Les libertés et le gouvernement de la personne incapable majeure - article de 198532 Chantal SCHERRER – Citoyenneté et pénalité de l’accompagné – Actes du colloque MAIS - 1995

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

« Prévue avec la conviction que le rôle de protection revenait à la famille, elle a été

confrontée au bouleversement des mœurs rendant souvent irréaliste le recours au cercle

familial pour assurer le fonctionnement des mesures »33.

La loi de 1968 n’a pas seulement organisé les interactions entre ces différents acteurs, elle a

aussi précisé la possibilité de différencier et de graduer les mesures de protection.

1.4.2. Les différentes mesures de protections des majeurs

Les régimes de protection organisés par le Code Civil sont destinés à aider une personne qui a

un handicap ou une maladie mentale ou même simplement une maladie ou une incapacité

physique qui la gêne pour s’occuper de ses affaires (par exemple gérer ses biens, effectuer des

démarches administratives, remplir des papiers). Une personne va être désignée par le juge des

tutelles pour l’aider ou faire les démarches à sa place suivant sa capacité.

LES TUTELLES :

La tutelle est le régime dans lequel le tuteur est chargé de représenter la personne c’est-à-dire

d’effectuer tous les actes en son nom. La tutelle peut fonctionner selon plusieurs modalités.

La tutelle complète avec un conseil de famille présidé par le juge des tutelles. Sa fonction est

d’autoriser les actes importants concernant le patrimoine de la personne. Un tuteur et un

subrogé tuteur sont désignés par le conseil de famille. Le tuteur a pour mission de gérer les

affaires courantes. Le subrogé tuteur contrôle la gestion du tuteur et le remplace s’il y a

opposition d’intérêts entre le tuteur et la personne protégée.

L’administration légale est une modalité simplifiée de fonctionnement de la tutelle qui

permet au juge de désigner un membre de la proche famille pour gérer les affaires courantes,

les actes importants étant autorisés par le juge des tutelles.

La gérance de tutelle est une troisième modalité qui permet au juge de désigner une personne

privée agréée ou une personne employée par l’établissement de traitement spécialisé, ou

encore une association employant des personnes recrutées notamment en fonction d’une

qualification professionnelle reconnue. Le gérant de tutelle a pour simple mission de gérer les

affaires courantes.

33 Pierre CALLOCH – Tutelles et Curatelles – Editions TSA – 1995 - page 10

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

La tutelle d’état : La protection des majeurs repose sur le principe de mesure dite familiale,

en ce sens où le juge devra avant tout rechercher dans l’environnement familial la personne

susceptible d’assumer cette charge. Lorsque aucune autre forme de tutelle n’est possible et

lorsque aucun membre de la famille ne peut assumer cette fonction soit par absence de liens

soit parce que cette relation serait préjudiciable, le juge peut déclarer la tutelle (ou la curatelle)

vacante et la déférer à l’état.

La tutelle d’état est exercée par une association tutélaire ou une personne agréée. Elle

fonctionne comme une administration légale.

Les personnes désignées sont responsables de leur gestion et sont contrôlées par le juge.

Chaque année, ils doivent rendre des comptes de gestion récapitulant les ressources et les

dépenses de la personne protégée. Les personnes désignées, autres que les membres de la

famille, sont rémunérées selon des pourcentages des ressources de la personne protégée, le

barème étant fixé par arrêté ministériel. Dans le cas de la tutelle d’état, l’état verse une

indemnité forfaitaire.

La protection est inscrite en marge du registre d’état civil. La personne sous tutelle ne peut

plus voter ni être juré, son tuteur ne peut pas le faire à sa place.

Dans le jugement ouvrant la tutelle ou dans un jugement postérieur, rendu après avis du

médecin traitant, le juge peut permettre à la personne sous tutelle d’accomplir seule ou avec

l’assistance de son tuteur certains actes (ex. testament). En revanche, il est impossible de

restituer son droit de vote à la personne sous tutelle.

LES CURATELLES :

Si la personne à protéger a seulement besoin d’être conseillée et contrôlée, le juge peut ouvrir

un régime de curatelle. Toute personne digne de confiance peut être désignée par le juge, aussi

bien un membre de la famille proche ou éloignée qu’un voisin, un ami, un gérant de tutelle,

une association tutélaire. Si personne ne peut être désigné, le juge nomme un curateur d’état.

Il existe deux formes de curatelle :

La curatelle simple permet à la personne protégée de gérer ses affaires courantes. Pour tous

les actes importants comme acheter une maison, placer un capital, son curateur doit l’assister.

La curatelle renforcée suit le principe inverse : le curateur gère les affaires courantes et les

actes importants sont effectués en commun. Si le curateur refuse de contresigner un acte, un

contrat que la personne protégée voudrait faire, cette dernière peut demander au juge de

l’autoriser.

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DURÉE DE LA PROTECTION

Les régimes de protection ne sont pas limités dans le temps, il n’est pas prévu de révision

systématique ou d’échéance. Toutefois, comme la capacité de la personne peut évoluer, le

Juge peut être saisi ou se saisir d’office d’une demande de mainlevée de la protection ou

d’aggravation de cette protection. Dans ce cas, le juge suit la même procédure que celle qui a

été décrite pour l’ouverture de la mesure.

Afin de donner une certaine efficacité aux régimes de protection, ils sont mentionnés en

marge de l’acte de naissance de la personne, ce qui les rend opposables à tout le monde et

permet d’obtenir l’annulation des actes accomplis irrégulièrement.

Toutefois, une certaine confidentialité est préservée, les audiences ne sont pas publiques, les

copies de jugement ne peuvent être délivrées qu’à des personnes déterminées ou sur

autorisation spéciale. Les droits de la personne restent toujours préservés par le fait qu’elle

peut se faire assister d’un avocat et exercer des recours légaux contre les décisions qui la

concernent.

LA TUTELLE AUX PRESTATIONS SOCIALES ADULTE (TPSA)

La tutelle aux prestations sociales se différencie des mesures civiles en ce sens où ce n’est pas

une mesure qui touche au sujet de droit, il ne s’agit pas juridiquement parlant d’un régime

d’incapacité. La TPSA vise exclusivement à protéger les revenus sociaux du majeur, le

patrimoine né des prestations sociales et au travers d’un accompagnement social approprié, à

améliorer les conditions de vie du majeur. Ce dispositif est parallèle au dispositif des mesures

civiles, il se fonde sur la loi du 18 octobre 1966 et est intégré dans le code de la sécurité

sociale.

« Déjà dès le milieu du siècle passé, alors même que des employeurs humanistes décidaient

de l’octroi de sursalaires, s’installa un contrôle de l’usage des aides accordées. La naissance

des prestations sociales, des allocations familiales, s’accompagna constamment d’un contrôle

de l’usage que pouvaient en faire les familles bénéficiaires, (…) dès lors nous pouvons dire

que l’aide est née mais aussi qu’elle cohabite avec un important contrôle des conduites

sociales. » 34

La TPSA vise expressément un double objectif : la protection des prestations et un

accompagnement social des bénéficiaires. Elle porte en elle-même un objectif de contrôle et

un objectif éducatif.

34 M.BAUER et T.FOSSIER – Les tutelles – Ed ESF 1994 – page 23

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Le législateur affirme dans ce dispositif sa volonté d’éviter le recours à une mesure civile de

protection, privative des libertés individuelles. Dans le même temps le législateur prend

prétexte de l’origine publique des prestations versées pour imposer une moralisation de leur

usage, voire un contrôle social.

Contrairement aux mesures civiles, la TPSA est limitée dans le temps , répondant en cela à la

volonté éducative de la mesure qui suppose un apprentissage, des acquisitions pour le

bénéficiaire, afin d’arriver à terme à une main levée de la mesure.

L’aspect éducatif est renforcé par le fait que la mesure ne peut être exercée que par une

personne qualifiée travailleur social : éducateur, assistant social ou conseiller en économie

sociale et familiale, ce qui exclue et la famille et un intervenant bénévole.

Il est aujourd’hui très fréquent, contrairement à la volonté du législateur qu’une mesure civile

soit prononcée en même temps qu’une TPSA. Dans le cas de ce service d’accompagnement

toutes les mesures de TPSA doublent une mesure civile. Il est alors admis que l’aspect

éducatif de la TPSA pourrait utilement compléter la protection civile du majeur. Cependant la

véritable motivation de ces doublures résident bien plus dans un montage financier comme le

rappelle M.BAUER et T.FOSSIER : « Faute de financement correct de la tutelle du code

civil, les associations obtiennent des juges le prononcé d’une TPSA en plus de la tutelle ou de

la curatelle.(…) Rien ne justifie la double mesure, sauf le besoin financier, cela est

pervers. »35

En 1997 les doublons TPSA / tutelle ou curatelle civiles représentent 12,4 % du nombre des

mesures contre 4,2 % en 1994 (source CNAF, 1998) le rapport de la commission d’enquête

interministérielle note : « L’émergence d’une logique financière, mis en lumière par la très

forte progression des doublons »36. Chaque mesure perd dans ce montage un peu de sa

spécificité.

L’environnement décrit ici selon quatre points de vue – historique – économique –

idéologique et juridique permet d’entrevoir que ces quatre approches centrées sur un seul et

même sujet, l’adulte handicapé mental, n’ont pas la même motivation, et que l’idée même de

citoyenneté n’est la préoccupation majeure d’aucune de ces approches. Ces différentes

logiques créent des tensions lorsqu’elles se confrontent, voire contredisent un projet de

citoyenneté. J’illustre dans le chapitre suivant quelques unes de ces tensions pour essayer de

les comprendre.

35 M.BAUER et T.FOSSIER - op. cit. – Les tutelles – Ed ESF 1994 – page 22

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2ème Partie

La personne handicapée protégée, un vécu source de tensions

36 Rapport d’enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs – Ministère de l’économie,des finances et de l’industrie – Ministère de la justice – Ministère de l’emploi et de la solidarité – juillet 1998

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2. La personne handicapée protégée, un vécu source de tensions

Le directeur est celui qui doit, à partir de situations concrètes, des quotidiens des équipes, et

des dispositifs, donner du sens à l’action sociale entreprise, vérifier son adéquation avec le

projet initial, la valider ou intervenir pour son ajustement. L’objet de cette partie est de

s’appuyer sur des situations concrètes, vécues, pour introduire ou illustrer le propos. Le

directeur est l’interface, le pont suspendu entre les champs de la pratique et la philosophie du

projet. Il est le garant qui ancre la pratique à la philosophie du projet. Les situations présentées

ne sont que des photos, non des caricatures ni des généralités. L’accompagnement social et les

mesures de protection ne sauraient être réduits à ces clichés.

2.1. Les dispositifs évitent la rencontre avec le bénéficiaire

2.1.1. La protection invite à la substitution

M.Louise, 47 ans, sous tutelle d’état, ouvrière de CAT, sollicite le service d’accompagnement

pour le remplacement de sa cuisinière électrique par une cuisinière à gaz. Ce projet est

réalisable techniquement, et nous avons au cours de multiples séances d’apprentissage, vérifié

sa compétence dans cette manipulation. Le volet financier du projet est présenté par Marie

Louise à l’organisme tutélaire. Celui-ci ne répond pas sur la faisabilité budgétaire du projet,

mais sur l’aspect technique : « le gaz est dangereux ». Ils engagent dès lors Marie Louise à

l’acquisition d’un four à micro-ondes.

• Le désir de l’adulte

Cette situation illustre bien une difficulté majeure dans l’intervention tutélaire ou dans

l’accompagnement, difficulté que je nommerai : au désir de l’adulte accompagné se substitue

le désir de l’autre (tuteur ou accompagnateur). Cet effet de substitution est sans aucun doute

l’une des difficultés de la relation d’aide. Le désir de l’adulte handicapé s’efface au détriment

du désir de l’adulte dominant, tuteur ou accompagnateur. Le désir d’aider l’autre cache

souvent une volonté de vouloir dominer l’autre. La plupart des métiers de relation sont ceux

où la distinction entre identité personnelle et identité professionnelle est la plus « poreuse ».

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Dans la relation d’accompagnement, notre affectivité, notre désir est déjà impliqué.

Quand on travaille avec des gens fragiles, cela nous engage à travailler dans une grande clarté.

Ne pas vouloir réparer, être « la bonne mère » ou le père absent.

Il faut accepter la frustration de l’échec de l’adulte handicapé et ne pas attendre de

gratification, de retour, accepter de ne pas être dans la dette. L’adulte n’a pas à nous remercier

de ce qu’on lui donne qui lui appartient déjà, parce que c’est son argent, parce qu’il s’en est

acquitté, parce que c’est un autre qui l’a payé pour lui (le commanditaire). Cesser de désirer à

la place de l’autre est bien la condition première pour pouvoir reconnaître son propre désir.

Accompagner, c’est marcher en retrait et accepter de ne pas anticiper le désir, c’est le

reconnaître comme sujet désirant, sinon sa différence est niée. Pour permettre d’accéder à la

notion d’autonomie il faut détacher la réalisation de l’objet à la nécessité de la demande. Parce

que la demande à un tiers de la réalisation de son propre désir réduit le demandeur à la

position d’un enfant.

• Des enjeux extérieurs à l’adulte accompagné

Cela suppose que l’enjeu de l’accompagnement soit tout entier centré sur l’adulte

accompagné. La démarche ne doit donc pas être parasitée par des contraintes extérieures au

projet. Je pense ici à l’enjeu que représente pour le service, la réussite ou la difficulté

rencontrée par l’adulte accompagné. Dès lors il n’est pas sommé de réussir pour lui-même,

mais parce que de sa réussite dépend la crédibilité supposée du service ou des agents qui y

travaillent. Ce phénomène n’est pas rare mais parait d’autant plus fort que le service est dans

une phase de création et que ses détracteurs réels ou imaginaires sont nombreux. Le projet de

l’adulte accompagné n’est plus seulement son projet mais devient aussi le projet du service, la

réussite, l’erreur ou l’échec du service. Se détacher de cette contrainte, fut-elle imaginaire, est

une nécessité pour permettre à l’adulte d’être véritablement seul au centre de son projet,

réalisé par et pour lui-même.

On retrouve le même fonctionnement lorsqu’un environnement familial est présent. L’adulte

est là aussi sommé de réussir pour d’autres enjeux que lui-même, réactivant le lien

infantilisant qui le lie à ses parents. L’infantilisation de l’adulte handicapé est aussi forte si

l’organisme tutélaire est proche d’un fonctionnement familial. Le glissement de la tutelle aux

biens vers la tutelle à la personne est renforcé par le glissement de la fonction tutélaire vers la

fonction parentale.

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Ce qui, nous dit Yves GENIN, « conduit à maintenir entre les partenaires un lien infantile

réciproque, le tuteur parent continue de considérer son enfant devenu adulte comme un adulte

resté enfant et l’adulte sous tutelle s’installant dans une relation de dépendance fusionnelle

qui freine, interdit l’affirmation d’une pensée et de désirs autonomes »37.

Pour permettre un bon positionnement de l’adulte handicapé mental, il convient donc d’éviter

dans la mesure du possible que le tuteur parent « soit affectif » .

Cette nécessaire distanciation n’est effectivement pas entendue par certains organismes

tutélaires. Ils se positionnent alors dans une action motivée par la tutelle à la personne, ou

autrement dit par la réparation d’une défaillance familiale, ils s’inscrivent très logiquement

dans une intervention en « bon père de famille » dépassant la volonté du législateur qui s’était

limitée à une gestion (patrimoniale) en bon père de famille.

2.1.2. La protection ignore l’avis du majeur et de son environnement

Marie-Thérèse, 37 ans, ouvrière de CAT depuis près de 15 ans, entretient une relation

affective sincère avec la famille d’accueil qui l’a recueillie à la demande de la DDASS jusqu’à

ses 21 ans. A l’issue d’un parcours scolaire spécialisé, le désir de M.Thérèse est d’occuper un

emploi de ménage dans une collectivité. Ce projet ne lui sera jamais accessible, la seule

proposition qui lui est faite est un emploi dans une structure de travail protégé. La famille

d’accueil dit qu’elle même n’a pas été entendue concernant l’orientation professionnelle et la

mesure de protection.

On peut supposer que l’avis de M .Thérèse n’a pas été entendu du fait de son handicap, et que

celui de la famille d’accueil n’a pas été pris en compte car il n’avait pas de caractère légitime.

M.Thérèse a aujourd’hui la possibilité de réaliser une part de ce projet. A la suite d’une

mission d’évaluation financée par l’AGEFIPH38, elle sera la seule des ouvrières du CAT à

être reconnue apte à un emploi en milieu ordinaire. Elle devrait donc intégrer une MAPAD39

en qualité de contrat emploi solidarité, agent d’entretien, affectée à la lingerie. L’organisme

tutélaire envisage cependant de refuser ce projet au prétexte de la sécurité de l’emploi, et se

demande s’ils devront signer le contrat de travail en cas de concrétisation de ce projet.

37 Yves GENIN : Communication d’ouverture – Colloque Itinéraires – Avignon 16.10.9838 AGEFIPH : Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés39 MAPAD : Maison d’accueil pour personnes âgées dépendantes

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L’expérience de M.Thérèse appelle les développements qui suivent :

• La place des familles d’accueil

Le premier tient au statut très particulier des familles d’accueil, et nous avons vu au

paragraphe 1.2.1 que nombreux sont les adultes accompagnés à avoir été des enfants de la

DDASS.

A l’âge de 21 ans, la plupart sont restés en lien avec ces familles d’accueil, voire sont restés

accueillis par ces familles par affection, car le lien administratif n’existait plus.

Toutefois, à l’ouverture des structures d’hébergement et des CAT, qui se sont multipliés sous

l’effet de la loi de 1975, ils ont été les premiers publics concernés. L’avis des familles

d’accueil a probablement peu été pris en compte.

Il semble utile de préciser ici que depuis le 10 juillet 1989, une loi prévoit et organise l’accueil

par une famille à son domicile et contre rémunération des adultes handicapés (et des

personnes âgées). Est ainsi offert une alternative et un cadre juridique à ces situations

d’adultes handicapés qui quittent le giron de l'Aide Sociale à l'Enfance (anciennement la

DDASS), à l’âge de 21 ans, sans toujours pouvoir accéder à une autonomie suffisante, ni à

une place certaine dans un établissement spécialisé.

Cependant, la prise en compte de l’avis de la famille d’accueil n’est pas encore une réalité

comme l’illustre leur absence de participation aux conseils d’établissement. L’association n’a

en effet pas souhaité répondre à la demande de certaines familles d’accueil de siéger à cette

instance consultative, en se limitant à une application stricte du texte qui prévoit une

représentation familiale jusqu’au 4ème degré, ou à défaut au représentant légal. Certaines

familles d’accueil participantes et motivées par le devenir des enfants devenus adultes,

qu’elles avaient élevés, regrettent ainsi de n’être que bien peu associées à la vie des

institutions.

Aucune des familles d’accueil n’est d’ailleurs tuteur ou curateur des anciens enfants de l'Aide

Sociale à l'Enfance. Pour autant, la plupart ont conservé des liens avec ceux-ci. Si le principe

de subsidiarité avait prévalu, la tutelle ne devrait être déclarée vacante et donc déférée à l’état

que dans la mesure où aucune autre solution n’a pu être envisagée. La solution d’une mesure

confiée à la famille d’accueil n’est, pour les situations de ce service, jamais retenue par les

juges. Ceci étant, le principe même d’une mesure de tutelle confiée à un proche, pose de

nombreuses questions, mais il n’en reste pas moins l’un des fondements de la loi de 1968.

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• L’expression de la volonté de l’adulte

L’autre réflexion que suggère la situation de M.Thérèse relève d’un autre caractère de

subsidiarité de la protection des majeurs. Il faut entendre ici que « la représentation »

n’intervient que lorsque le point de vue du majeur ne peut-être retenu. Or si la personne peut

raisonnablement faire entendre son avis, rien ne justifie que cet avis ne soit pas suivi.

En l’occurrence aucun danger ni sur sa personne ni sur son patrimoine ne guette M.Thérèse,

quant à cette perspective professionnelle. Il s’impose donc au tuteur comme le confirmera le

juge des tutelles sollicité sur cette question. Ce principe vaut à priori pour tous les majeurs

protégés, les tuteurs doivent toujours rechercher leur avis et leur consentement, la

représentation ne peut se dire comme une délégation.

Quant à la question de la signature du contrat de travail par le tuteur, elle ne me paraît pas plus

fondée juridiquement, car depuis l’abolition de l’esclavage, il y a plus de 100 ans, nul ne

devrait pouvoir souscrire à la mise au travail d’un autre.

2.1.3. La protection autorise une privation d’intimité

• Le droit à une correspondance privée

Marie Thérèse, ouvrière en milieu professionnel ordinaire, habitant seule un logement

individuel, est sous tutelle d’état, légalement représentée, est aussi « assignée à résidence ».

Elle ne peut pas être domiciliée totalement à son habitation réelle, puisque sa correspondance,

ses factures sont « détournées » par l’organisme tutélaire, comme le prévoit le code civil

indiquant que le majeur sous tutelle comme le mineur est domicilié chez son tuteur.

Faisant fi du droit à une correspondance privée, nombreux sont les tuteurs qui, au prétexte de

l’efficacité, se font adresser l’ensemble des courriers administratifs directement au siège du

tuteur. Or nous constatons très souvent que la correspondance administrative est la seule qui

leur reste et qui peut représenter à leurs yeux l’idée d’un lien social. Cette fonction de lien, ils

en sont dépossédés. Faute de ces missives personnelles, fussent-elles administratives, il ne

leur restera plus que le papier glacé des pubs qui remplissent nos boîtes aux lettres pour leur

donner l’illusion d’exister pour quelqu’un.

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• Le droit d’être domicilié

Comment cette disposition « d’assignation à résidence » peut-elle s’entendre dans un projet

d’accompagnement en milieu ordinaire ?

C’est le sens d’un plaidoyer lancé par Yves GENIN, concernant des personnes encore plus

fragilisées que celles accompagnées par ce service. « Le droit d’être domicilié : Toute

personne a droit à un domicile. La domiciliation de l’adulte handicapé au lieu même de son

habitation n’est pas systématique. C’est le résident d’une collectivité, non une personne

effectivement, juridiquement, locataire... Il a un domicile de secours, celui de son tuteur, qui

dans le cas d’une tutelle associative, est l’adresse du service ou encore le siège social de

l’association gestionnaire. Il est domicilié ailleurs que là où il habite, dans une dépendance

infantilisante à ses parents ou dans une abstraction administrative où sa domiciliation n’est

pas celle de la personne mais celle du lieu d’archivage de son dossier Charité de la loi qui a

prévu un domicile de secours pour quelqu’un qui n’est pas SDF! »40

Citons aussi la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1948 article 8 :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa

correspondance. Il ne peut y avoir d’ingérence d’autorité publique que pour autant que cette

ingérence soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société

démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, la sûreté publique, au bien être

économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la

protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A moins de considérer les personnes handicapées mentales comme des terroristes des temps

modernes, il n’y a pas lieu de leur appliquer des dispositions qui ne les concernent pas.

La jurisprudence est revenue sur cette question au travers d’un arrêt de la cour de cassation du

11 juin 1991, arrêt par lequel est déclarée illicite la désignation d’un mandataire spécial en la

personne d’un gérant de tutelle qui avait pour mission de recevoir le courrier du majeur. La

cour casse l’arrêt d’appel sur le fondement de « l’atteinte à la vie privée et à la liberté

individuelle ».

Le majeur protégé peut revendiquer de choisir, ou de recevoir sa correspondance, il n’est pas

pour autant citoyen. La protection offerte aux majeurs n’autorise pas encore cette perspective.

40 Yves GENIN : Communication d’ouverture – Colloque Itinéraires – Avignon 16.10.98

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2.2. La protection n’autorise pas

Nous décrivons ici des situations pour lesquelles, au prétexte de protection, des stratégies sont

développées pour éviter la remise en cause du statut des majeurs protégés, éviter la

citoyenneté, éviter l’application d’un droit universel.

2.2.1. N’autorise pas la remise en cause des dispositifs

Jean-Claude, 41 ans, ouvrier de CAT depuis 20 ans, vit seul en logement individuel depuis

1983 et est sous tutelle depuis cette date. A l’approche des dernières élections régionales, il

fait le projet d’obtenir une carte d’électeur.

Cette demande suppose la modification de la mesure de protection. Il fait la démarche auprès

de l’organisme tutélaire, qui lui signifie son désaccord, et lui propose cependant de formuler

lui-même cette demande au juge des tutelles.

Le juge répond dans le droit que la demande de modification doit être confirmée par une

expertise médicale. Le médecin expert propose ses services moyennant une contribution

financière d’environ 1.000 francs. Ce qui renvoie donc l’adulte handicapé devant son tuteur

pour obtenir le financement de cette expertise, qui, en cohérence avec sa position initiale,

refuse d’accéder à cette demande.

La question que pose Jean Claude permet d’aborder deux nouveaux axes de réflexion.

Les mesures de protection ne sont que très rarement remises en cause et génèrent une

inévitable fixité, aliénante pour le sujet qui ne peut former aucun projet de modification. Cette

absence de remise en cause du projet tient bien sûr au public handicapé mental qui n’est pas

rompu à contester, mais aussi au dispositif de protection que l’on peut difficilement contester

parce que « bienveillant ».

Comme fréquemment, la question qui se pose est celle de l’institution toute bonne qui répond

pleinement à sa mission. Dans le même temps, elle ne peut percevoir la nécessité d’une

modification ou d’une fin pour cette mission, n’étant contrainte par aucune limite d’âge ou de

durée d’intervention.

Jean-Claude sera le premier des adultes accompagnés par ce service à bénéficier d’une

modification de mesure. Et cette modification a probablement été vécue comme une trahison

par l’organisme tutélaire qui n’a pas souhaité assumer la charge de la mesure de curatelle

décidée par le juge des tutelles.

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Cet exemple nous suggère l’image d’une structure familiale trop possessive et trop protectrice,

qui ne peut que dans la violence envisager le départ de leur enfant devenu adulte : « si tu pars,

tu ne remettras plus les pieds à la maison… ».

Le rapport interministériel sur la protection des majeurs protégés met d’ailleurs l’accent sur

cette pérennisation excessive des mesures. « Un tel système, en ce qu’il n’impose pas au juge

une obligation de réévaluation périodique et ne comporte aucun mécanisme autorisant au

moins la connaissance systématique des changements de situation intervenue, est porteur de

dérives. »41

2.2.2. N’autorise pas la Citoyenneté

• Le droit de vote

L’autre question que la situation de Jean Claude soulève, est l’exercice du droit de vote pour

les majeurs protégés et donc une forme d’expression de la citoyenneté.

La tutelle complète, à l'origine tutelle aux biens, est aussi privative des droits civiques. Ce

point de vue peut s’entendre, si bien évidemment l'altération des facultés mentales est telle

qu'elle ne permette d'aucune façon l'expression d'une volonté ou d’une pensée. Or ce n’est le

cas ni pour Jean-Claude, ni pour aucun des adultes accompagnés. La privation du droit de vote

n'a donc d’autre légitimité que celle d’être inscrite dans les dispositions concernant la tutelle.

R.Castel affirme « on ne fonde pas la citoyenneté sur de l’inutilité sociale ».42 J.Roman

prolonge ce propos « la signification fondamentale du suffrage universel : c’est de manifester

une volonté d’inclusion, tenir compte de tous, y compris ceux qui n’ont plus de voix » 43

Il y a une voix, une parole à restituer aux personnes handicapées. Leur parole est importante à

écouter. N’est-ce pas là le signe d’une réelle volonté d’insertion ? D’ailleurs quel risque y

aurait-il à donner le droit de vote aux personnes handicapées ? N’aurait-on pas plus à craindre

des candidats que de leurs électeurs ? Dans une société française qui se répartit aussi

équitablement entre deux forces politiques presque équivalentes, il y a bien un électeur sur

deux qui devrait trouver le vote des électeurs handicapés si ce n’est juste au moins judicieux.

41 Rapport interministériel – op cit – p 4242 Robert CASTEL - Les métamorphoses de la question sociale -Editions Fayard 1995 - page 42943 Joël ROMAN - la démocratie des individus – Editions Calman Levy - page 10

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• Le contrôle social

Au-delà du droit de vote, c’est bien la question de la citoyenneté que pose Jean-Claude, avec

une volonté farouche d’être citoyen sans dépendance, sans contrôle. Car pour lui , en quittant

un foyer d’hébergement collectif, l’autonomie envisagée était bien assortie d’un contrôle

social, pour ne pas dire contrôle judiciaire, qui est exercé par la tutelle et par

l’accompagnement. Le prix à payer de cette autonomie était donc l’acceptation du contrôle.

L’accompagnement ou la tutelle visent à donner aux adultes accompagnés des espaces

d’autonomie financière et matérielle, mais pas l’accès à une citoyenneté « totale ».

L’adulte handicapé est dans la même position que le RMIste, qui se retrouve, pour justifier de

l’attribution d’une allocation, à accepter un suivi social qui en est la contre partie. On peut

penser que l’attribution de ressources, issues de la redistribution publique, justifie la mise sous

tutelle des adultes handicapés. Les ressources d’un travailleur de CAT sont en effet pour de 5

à 15 % seulement issues de son travail direct, le solde est constitué par un complément de

rémunération versé par l’état, une AAH différentielle, et d’une éventuelle prestation logement.

Il y a ici, d’un côté l’attribution des moyens de son autonomie, et dans le même temps le

contrôle de l’usage de cette autonomie. On comprend mieux pourquoi les travailleurs sociaux

usent si facilement de cette injonction paradoxale : « il faut les autonomiser … » .

L’injonction colle au statut, comme l’insertion colle au RMIste, sans que le statut crée les

conditions suffisantes pour y parvenir.

2.2.3. N’autorise pas l’universalité des droits

Sophie est l’une des personnes accompagnées par le service qui ne bénéficie d’aucune mesure

de protection. Agée de 24 ans, elle a connu un parcours cursus assez classique : IMP, IMPro,

CES, CAT., avec une famille naturelle peu présente. Elle s’investit dans la perspective d’une

nouvelle vie en appartement et de travail en CAT avec volonté mais aussi une certaine crainte.

L’essentiel des apprentissages pour les aspects de la vie quotidienne ont été guidés par

l’équipe de l’Institut Médico Professionnel. Elle débute dans la vie active avec quelques

meubles, un chéquier et 30.000 francs d’économies réalisées sur son salaire de CES cumulées

avec une AAH.

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Sur les conseils d’un organisme de placement financier, les 30.000 francs sont placés pour les

deux tiers sur des bons aux porteurs remboursables dans sept ans. Les 10.000 francs seront

déposés sur un compte de capitalisation également bloqué.

L’ensemble de son patrimoine est donc immobilisé. Durant les trois premiers mois de CAT,

Sophie ne dispose d’aucune ressource, elle doit néanmoins faire face aux nombreuses

dépenses liées à son installation. Elle cherchera donc à accéder à son capital économisé, ce

que l’organisme financier refuse au motif que ces placements sont sur des comptes bloqués.

Il nous revient alors, certes un peu tard, d’expliquer à Sophie, les avantages et les

inconvénients du système bons aux porteurs qui, il faut bien reconnaître, n’est pas adapté à sa

personnalité et à ses difficultés. Sophie nous dit qu’elle n’était pas au courant des

engagements pris et des conséquences de ce mode de placement.

L’organisme de placement refuse la résiliation des placements. Sophie est donc obligée de

s’engager dans une procédure judiciaire pour obtenir l’annulation et le remboursement de ces

placements. Elle bénéficie de l’aide judiciaire pour obtenir dans cette démarche le concours

d’un avocat qui plaide l’abus de faiblesse pour tenter d’obtenir l’annulation et le

dédommagement.. La société de placement argumente sur l’absence de mesure de protection

pour justifier de la validité du contrat.

A tous les stades de la procédure, chaque intervenant est tenté de dire : mais pourquoi n’est-

elle pas sous tutelle ?

• Rechercher l’application d’un droit généraliste

Il serait effectivement tentant de promouvoir l’idée d’une mise sous tutelle pour les pauvres,

les indigents et tous les vulnérables de notre société et par là même de les positionner dans un

droit d'exception qui se lirait comme un droit d'exclusion.

Il me semble préférable de poser le principe d'une protection généraliste, non pas une mesure

d'exception, mais une réponse que l'on peut trouver dans la loi applicable à tous. Ainsi il en va

de l'article 313.4 du Nouveau Code Pénal qui prévoit l’infraction d’abus de faiblesse :

« L’abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit

d'une personne dont la vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une

déficience physique et psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son

auteur, pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont

gravement préjudiciables, est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 2.000.000 F. d'amende. »

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Est ainsi posée la question de l'universalité des droits. Ce n'est plus la personne qui aurait à se

défendre de l'action d'autrui et à prouver pour en obtenir l'annulation d’un acte léonin qu'elle

est « incapable », c’est l’acte commerçant qui devient nul de plein droit lorsqu'il est passé

avec un individu affaibli.

Cette inversion des responsabilités est salutaire, même si elle met à mal le principe d'une

société marchande libérale dont on ne peut justifier qu’elle s’enrichisse sur le dos des plus

faibles.

• Faire la preuve de la faiblesse

L’autre question posée par la situation de Sophie sera alors la reconnaissance de la faiblesse

de l’individu. Peut-être sera-t-il suffisant de s'en tenir au texte : « vulnérabilité due à l’âge, à

la maladie à une infirmité » ou conviendra-t-il de rapprocher le juge de l'autorité

administrative qui a reconnu le statut de travailleur handicapé : la COTOREP ?

Pour la plupart, les adultes accompagnés sont reconnus inaptes au travail et invalides du fait

d’un déficit intellectuel. Cette reconnaissance, parce que fondée sur le déficit mental, porte en

elle même l’idée de faiblesse sans qu’il soit peut-être nécessaire de lui adjoindre un statut

coercitif, privatif de droit, un statut d’exception qui fait dire à Y.GENIN « L’universalité des

droits est toute relative. Il est en France et par le monde, des hommes citoyens qui, du fait de

leurs déficiences et de leurs incapacités, ne sont toujours pas des sujets « juridiquement

libres » » 44

La mise sous tutelle pour se protéger d’un courtier en placement peu scrupuleux, est-ce la

meilleure réponse ? L’argument développé par l’avocat de Sophie appartient au code pénal, il

n’est pas une règle d’exception, il est une règle de droit public qui s’impose à tous les

justiciables dans une situation de faiblesse. Sophie n’a simplement ni le besoin, ni le désir

d’un droit d’exception. Le statut de personne handicapée que lui a reconnu la COTOREP sur

la foi d’une expertise médicale, pourrait suffire à justifier sa demande d’annulation d’un

contrat notoirement en sa défaveur.

L’ensemble des situations évoquées dans les deux chapitres précédents mettent en évidence le

difficile positionnement des majeurs protégés que tout concoure à maintenir dans une position

de dépendance. Dans le chapitre qui suit, au-delà des exemples concrets, je m’attache à

rechercher dans la loi et dans les dispositifs eux-mêmes ce qui fait tension.

44 Yves GENIN : Communication d’ouverture – Colloque Itinéraires – Avignon 16.10.98

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2.3. Repérer ce qui fait tension dans les dispositifs

2.3.1. Du point de vue de la législation

• Le droit en évolution

La circulaire 19 AS du 13/06/84 relative aux tutelles précise : « la tutelle se distingue des

actions confiées aux différents services concourants à l’insertion sociale et professionnelle

des personnes handicapées (par exemple services de suite ou services d’accompagnement) ».

Cette précaution est cependant largement contredite par l’idée développée en cour de

cassation qui entérine la protection de la personne, et qui du même coup envisage les

mesures de protection judiciaire comme un accompagnement. Mais elle est aussi contredite

par la tutelle aux prestations sociales qui prévoit expressément un accompagnement social, et

qui justifie une meilleure rémunération de la prestation. Cette différence de rémunération est

d’ailleurs contestée par les intervenants qui constatent qu’il n’y a plus aujourd’hui de

distinction entre les différentes mesures, chacune étant investie du même mandat

d’accompagnement.

Plusieurs auteurs ont tenté d’apporter, avec des sensibilités différentes, des réponses à cette

question de la tutelle à la personne.

Un premier courant porté par P.CALLOCH : « Le tuteur, dans notre droit, ne dispose pas du

pouvoir de coercition reconnu aux parents dans le cadre de l’autorité parentale afin

d’assumer leur tâche éducative. On peut (...) présenter ainsi le majeur sous tutelle : il s’agit

d’un individu doté de la personnalité juridique mais qui ne peut faire valoir ses droits que par

l’intermédiaire d’un tiers. Cet individu n’étant que partiellement assimilé à un mineur, le tiers

chargé d’exercer ses droits ne dispose sur lui d’aucun pouvoir coercitif et n’a pour mission

d’assumer une quelconque tâche éducative. Ce cadre étant posé, reste à définir quel espace

d’autonomie est ainsi laissé à la personne handicapée, mineure pour ses biens, majeure pour

sa personne. » 45

Cette position présente clairement un espace de liberté et d’autonomie pour le majeur protégé,

c’est la théorie des actes personnels - le mariage, reconnaître son enfant, avoir l’autorité

parentale, la stérilisation.

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Un deuxième courant pose le principe préalable de la tutelle à la personne. T.FOSSIER s’en

fait l’écho en précisant « il faut donc, n’en déplaise aux détracteurs de la tutelle en gérance,

proclamer que la tutelle à la personne est une mission de tout tuteur ».46

Jusqu’à une date récente, les auteurs s’accordaient à limiter l’idée d’une tutelle à la personne à

la seule tutelle ou curatelle d’état organisée par un décret du 6 novembre 1974, qui la

prévoyait expressément. Il était précisé par le décret (aux articles 2 et 7) que « la tutelle à la

personne » et « la tutelle aux biens » pouvaient être confiées à deux tuteurs différents.

T.FOSSIER s’accordait sur cette traduction dans un texte de 1985 où il reconnaissait pour le

regretter : « les gérants de tutelle n’ont aucune attribution de plein droit en ce qui concerne la

protection de la personne ». 47

La jurisprudence donne pourtant aujourd’hui raison à une approche générale de la tutelle à la

personne au terme d’un arrêt du 18 avril 1989. La cour de cassation a ainsi jugé que les

régimes de protection « ont pour objet, d’une façon générale, de pourvoir à la protection de

la personne et des biens de l’incapable ».

Cela sous entend, selon T.FOSSIER que sont concernés non pas les modes de protection mais

bien tous les régimes de protection. Cet arrêt précise en outre la possibilité de faire coexister

un régime de tutelle aux prestations sociales destiné à permettre la réadaptation de l’individu

et un régime civil qui vise la protection de la personne et de ses biens, et confirme que cette

position s’applique à tous les régimes de protection donc tutelle et curatelle y compris le

régime de la tutelle en gérance, régime à l’origine expressément limité à la gestion de

patrimoine de faible valeur.

Un arrêt plus récent de la cour de cassation (février 1993) vient par ailleurs de préciser que la

reproduction d’image de personnes handicapées mentales ne peut se faire sans l’autorisation

de leurs représentants légaux. La cour précisera à cette occasion que le gérant ne peut

accomplir seul les actes relatifs à la personne du majeur protégé, ce qui permet de supposer

que le majeur ne peut faire seul ces actes relatifs à sa personne, ni le gérant de tutelle, qui doit

requérir l’avis du juge des tutelles ou de la personne elle-même.

45 Pierre CALLOCH - Actes du colloque ITINERAIRES mars 1997 page 188- Dans la revue ITINERAIRES N°5 – 1998 46 Thierry FOSSIER - la tutelle à la personne des incapables majeurs l’exemple du consentement médical –P 4 47 Thierry FOSSIER – op.cité

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T.VERHEYDE propose : « L’arrêt interdit simplement au gérant de tutelle d’accomplir

« seul » les actes relatifs à la personne du majeur protégé. (...) Cette précision pourrait bien

s’interpréter comme une réserve, fort logique et rassurante, concernant le cas où le majeur

protégé, bien que juridiquement incapable par l’effet de la mesure de tutelle, serait capable,

en fait, d’exprimer sa volonté quant à l’acte en question. (...) Dans ce cas, l’accord du gérant

de tutelle suffirait, sans autorisation supplémentaire du juge des tutelles... » 48

Le doute né de ces différentes positions est résumé par G.BROVELLI et H.NOGUES : « C’est

pourquoi la cour de cassation a cru bon de rappeler que les régimes d’incapacités ont aussi

pour objet de pourvoir à la protection de la personne. Mais quand il s’agit de préciser les

modes d’intervention des tuteurs et des curateurs, la jurisprudence devient plus prudente.

Entre ceux qui craignent une intervention législative en matière de « tutelle à la personne » et

ceux qui aspirent à davantage de clarté sous la forme éventuellement d’une minorité

maintenue sur une fraction de la population protégée ou de la mise en place d’une mesure

supplémentaire d’assistance éducative en milieu ouvert pour majeur, force est de constater

que la loi est muette et qu’il subsiste un vide juridique ».49

Je conclurai ce débat en me tournant de nouveau vers Thierry FOSSIER :

« La question du statut personnel n’est donc pas la recherche d’un ‘gouvernement de la

personne’ ou pire, d’une ‘tutelle à la personne’ mais bien une tentative de répartir les rôles et

surtout de limiter les ardeurs. (…) La cour de cassation pose le principe que les régimes ont

pour objet d’une manière générale de pourvoir à la protection – mais pas à la direction - de

la personne et des biens de l’incapable, le seul objectif légitime est de faire surgir et

triompher la volonté du majeur lui même si elle est sans danger réel ».50

Le dispositif de protection des majeurs ne peut donc s’entendre que par le principe préalable

et définitif de la recherche de la volonté manifeste du majeur protégé, aucun des acteurs en

présence n’ayant de légitimité à lui seul. La plupart des auteurs s’accordent aujourd’hui à

évoquer une tutelle aux biens et une curatelle à la personne.

48 Thierry VERHEYDE – article non daté - le gouvernement de la personne des majeurs protégés 49 BROVELLI et NOGUES – La tutelle au majeur protégé – la loi de 68 et sa mise en œuvre - synthèse - P.12 50 Thierry FOSSIER - La jurisprudence de la Cour de Cassation en matière de tutelle des majeurs – 1984 – 1994– ENM 1994 p.35

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• La question du financement et des compétences

Le flou juridique tend à se dissiper mais l’éclairage que propose la cour de cassation confirme

peu ou prou le possible chevauchement de la question des majeurs protégés et de

l’accompagnement social. Les organismes tutélaires eux-mêmes s’appuient sur cet argument

pour justifier leur demande de financement : « L’accompagnement devrait être reconnu dans

les textes et ainsi revalorisé. Je rappelle qu’il ne s’agit pas là de consacrer l’introduction

dans la mesure d’une action socio-éducative, mais simplement de reconnaître la charge réelle

que représente l’exercice de toute mesure ».51

La question du financement est importante, car elle induit elle aussi un chevauchement. En

effet, un service d’accompagnement pour adultes handicapés mentaux est un service financé

par le Conseil Général, au regard de la compétence qui lui est dévolue depuis la mise en

œuvre des lois de décentralisation. L’accompagnement dans le dispositif des tutelles est

financé par l’état sous la forme d'un mois tutelle, ou par la CAF dans le cas de la tutelle aux

prestations sociales. Cette approche des modes de financement met en lumière que pour une

même intervention sociale, plusieurs financeurs peuvent intervenir parfois simultanément.

Nous percevons un chevauchement similaire à partir des compétences des autorités de

contrôle où l’on retrouve la compétence des conseils généraux pour la mise en œuvre de la

politique en faveur des personnes handicapées (hébergement et accompagnement),

l’intervention de l’état pour la mise en œuvre des mesures de protection judiciaire, et l’autorité

judiciaire pour la décision concernant la mesure.

• la question de la responsabilité

Jusqu’à récemment, le principe de la responsabilité pour les établissements reposait d’abord

sur une notion de faute, à charge pour la victime de prouver qu’il existait un lien de causalité

entre le dommage et la faute.

L’évolution de la jurisprudence sur cette question amène aujourd’hui à une tout autre analyse.

Depuis un arrêt de la cour de cassation du 29 mars 1991, dit – arrêt BLIECK – la

responsabilité d’association sanitaire et sociale peut-être retenue dès lors qu’il est reconnu

qu’elle accepte « d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie des personnes

qui lui sont confiées ».

51 M.BAUER et autres : La nouvelle protection des majeurs, enjeux et propositions, UNAF 97 annexe - P. 36

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La jurisprudence amplifiera assez vite la portée de ce texte en supprimant l’idée de

« contrôler à titre permanent » d’une part et en reconnaissant la responsabilité en l’absence de

faute, d’autre part (arrêt du 26 mars 1997).

L’idée même de cette jurisprudence de responsabilité sans faute est à analyser comme la

simplification des principes d’indemnisation des victimes, avec la recherche évidente de

solvabilité des personnes mises en cause.

Cependant, la conjugaison de ces deux arrêts donne un éclairage particulier sur le secteur

social en énonçant une responsabilité exorbitante à l’encontre des établissements et par voie

de conséquence des publics concernés. Si la motivation « indemnitaire » de ce principe paraît

légitime, il interroge inévitablement la question de la responsabilité des services

d’accompagnement ou des services de tutelle qui ont reçu plus ou moins implicitement la

mission « d’organiser et de contrôler le mode de vie », et ce, malgré le handicap.

Et qu’en sera-t-il de l’action possible en responsabilité pénale qui ne manquera pas de se poser

en cas d’incident ou d’accident ?

Pourra-t-il y avoir une faute retenue contre l’intervenant social qui aura pris le risque avec la

personne handicapée d’un accompagnement en milieu ordinaire, ou qui aura eu connaissance

d’un danger manifeste encouru par le bénéficiaire (comme usager du gaz, des transports en

commun … ), et à ce titre condamnable au regard de l’article du code pénal sur la « non

assistance à personne en danger » ?

N’est-ce pas vouloir se protéger soi-même, voire s’exonérer d’une responsabilité

éventuellement engagée, que de systématiser la reconnaissance par l’autorité judiciaire du

statut de « majeur protégé », recherchant par là à qualifier l’irresponsabilité ?

Ce que l’on nomme aujourd’hui la « judiciarisation » n’est-elle pas à terme la tentation pour

les intervenants sociaux d’éviter la prise de risque ?

Il y a sur ces questions une nécessaire rencontre entre le judiciaire et le social.

Si l’on veut éviter l’immobilisme par excès de judiciarisation, il faudra bien prévoir de

dégager l’intervenant social d’une possible responsabilité pénale si le risque est mesuré et

légitime.

« Le travail social nécessite une prise de risque qui doit être supportée par toute la société»52.

Ce qui ne suggère pas pour autant que le travail social soit dans un champ de non droit.

52 Colloque ADICOD des 5 et 10 décembre 1993, Nîmes, Association pour la diffusion du droit dans le secteursocial, médico-social et éducatif, 5 allée du Trident, Nîmes.

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Le manque de précision des textes de loi, l’évolution constante de la jurisprudence, la

superposition des financements et des compétences, l’incertitude née de la question de la

responsabilité, mais aussi une modification sensible des profils des adultes concernés,

affectent le dispositif de protection des majeurs. Les organismes tutélaires, ou les services

d’accompagnement s’inscrivent dans cet espace fluctuant pour adapter à la commande sociale

assez librement leur philosophie ou leurs propres motivations .

2.3.2. Dans les interventions sociales

• Les organismes tutélaires adaptent le dispositif des majeurs protégés à leur propre

considération et ne tiennent pas toujours compte des réalités et des potentiels des adultes

concernés, ni même de la modulation des différentes mesures.

Le recensement des mesures de protection des adultes accompagnés par ce service (voir 1.2.1)

permet d’observer que les associations se sont chacune spécialisées dans la gestion de mesures

très précises.

Ø L’organisme professionnel (Entraide Sociale) accepte tous types de mesures, et accepte

la modification de ces mesures en fonction des capacités ou de l’évolution du majeur. Par

contre très majoritairement les mesures civiles de protection sont doublées d’une TPSA.

Ø L’autre organisme professionnel (UDAF) semble privilégier la tutelle en gérance.

Ø L’organisme de type familial (ATI) intervient pour des mesures de tutelle d’état, sans

pour autant que l’étendue du patrimoine ou le niveau de handicap des adultes ne le justifie.

Les organismes sont donc vraisemblablement porteurs auprès du juge des tutelles, de la

demande de prononcer telle ou telle mesure de protection. Les contraintes économiques qui

pèsent sur les organismes tutélaires influencent aussi le choix du type de mesure de protection

et par conséquent le projet de l’adulte handicapé mental. « Ce choix est en général guidé par

la demande de l’association et sa capacité à convaincre le juge que la survie de l’association

dépend ou non du financement par l’Etat des mesures de protection ».53

Le choix de faire appel à des organismes professionnels renforcent ce phénomène, car il

semble évident que l’organisme professionnel ne saurait se contenter d’une gratification

53 Rapport interministériel – 1998 – op. cit. p.30

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symbolique, peu compatible avec l’économique et les exigences du droit du travail ou des

conventions collectives en vigueur.

• La particularité de l’organisme tutélaire de type familial

L’organisme familial est pour sa part moins contraint par des nécessités économiques. Les

intervenants – tuteurs sont pour la plupart des bénévoles. Pour autant, la philosophie propre à

l’association influence là encore le choix de la mesure. Si l’organisme tutélaire sollicite auprès

du juge et de façon quasi systématique des mesures de tutelle d’état, c’est bien que ce type de

mesure est plus proche de l’idéal tutélaire qu’il envisage, et donc de l’idéal parental.

Cet idéal parental, nous le retrouvons dans les mots recueillis au cours d’un interview de ce

délégué à la tutelle de l’ATI : « le problème c’est que les professionnels, je ne veux pas dire

tous, mais une majorité quand même, n’ont pas la même optique que nous. Le professionnel

n’agit pas d’un point de vue personnel, en père et mère de famille. Nous, nos pupilles, on les

considère comme nos enfants ».54

Cet organisme tutélaire, l’ATI, est héritier de la même tradition familiale que celle qui a fondé

l’association ADAPEI. L’épouse du fondateur de l’ADAPEI est fondatrice de l’ATI.

Ils s’inscrivent dans une logique de substitution parentale et le revendiquent fortement.

L’exercice de la tutelle aux majeurs est dans la stricte logique d’une tutelle aux mineurs et ils

parlent de « leurs pupilles », terme juridique réservé aux mineurs sous tutelle.

« Il faut souligner que les grandes associations d’handicapés et notamment l’UNAPEI

étaient très demandeuses de cette réforme et c’est ainsi qu’une fois la loi votée, notre Union

Nationale a recommandé la mise en place dans chaque département d’une association

spécifique devant être agréée et en mesure d’assurer les tutelles que les juges voudraient bien

leur confier dans les cas où les majeurs à protéger n’avaient plus de parents ou de personnes

de leur entourage susceptibles d’exercer dans de bonnes conditions cette protection. »55

L’accompagnement, dans sa version d’insertion en milieu ordinaire, est à leur yeux un projet

inquiétant, plus inquiétant que les structures fermées, et donc peu compatible avec leurs

exigences de protection et de sécurité. L’assimilation à la tutelle des mineurs, la substitution

parentale amène inévitablement la confusion des responsabilités. Le tuteur a le sentiment

légitime qu’il est responsable de l’autre, et au-delà, qu’il est responsable à la place de l’autre.

D’où effectivement, apparaît cohérente la réponse faite à Marie-Louise (2.1.1) : une prise de

54 Interview réalisé par une stagiaire école en formation de Conseillère ESF 55 Revue l’Unisson, ADAPEI de la Loire, page 10

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risque minimum, un micro-onde à la place d’une cuisinière gaz, préservant ainsi la

responsabilité du tuteur.

• La pression de la société

Les organismes tutélaires ne sont pas les seuls responsables de cette évolution vers

l’accompagnement, car bien souvent ils apparaissent comme les derniers bastions de l’ordre

social contre les phénomènes d’exclusion, quand ils ne sont pas tout simplement des « ponts-

levis » entre le monde des exclus et la société. Leur mission d’accompagnement est alors

explicite, et ce mandat là est judiciaire. Ce que le social n’arrive pas de lui-même à réguler, le

judiciaire est invité à le traiter. On assiste là comme ailleurs à la judiciarisation de la société.

Le seuil de tolérance des citoyens a diminué, son niveau d’intégration aussi, la seule forme de

réponse devient alors le judiciaire, sous forme d’accompagnement social.

« Doit-on considérer que l’on assiste à un transfert de normes, le déficit des normes sociales

serait comblé par l’inflation de normes juridiques ? […] c’est dans ce sens que nous parlons

de la socialisation de la tutelle. N’y a-t-il pas un enjeu de légitimité derrière cette

revendication de l’accompagnement social, une recherche de spécificité et d’autonomie ? »56

Les intervenants sociaux chargés d’exercer des mesures de protection confirment ici la

volonté que soit reconnu leur action d’accompagnement social. Ils demandent la

reconnaissance de la mission qui leur est confiée au nom d'une protection, et plus encore au

nom d’un contrôle social mais aussi au nom d’une contrepartie. Celle-ci correspond à la dette

de l’adulte handicapé a vis à vis de la société, dette à l’égard du statut qu’on a bien voulu lui

attribuer et des ressources, qu'il tient de l'assistance publique. Pour s'exonérer de cette dette et

de cette reconnaissance, il est obligé d'accepter la tutelle et le contrôle social, ce qui fait dire à

H.NOGUES : « en d'autres termes, une nouvelle fois il semble que pour protéger, il faille

contraindre. Jamais la proximité des interventions sociales et du contrôle social n’apparaît

aussi nettement qu'en matière de tutelle ». 57

Il faut en effet constater que bien peu d'adultes handicapés sont par eux-mêmes demandeurs

d’une mesure de protection et qu'elle leur est imposée par la famille ou par les travailleurs

sociaux. La protection ne peut dans ce contexte être que contrainte, même si au titre de la

dette ou des contreparties, elle est acceptée. Dans bien des cas la tutelle est d’ailleurs le

dernier recours, le dernier filet de protection qui autorise l’adulte à rester inscrit dans un mode

56 FOUDRIGNIER Marc – Protéger un majeur, une pratique sociale à modifier – ENM 1994 p 130

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vie « ordinaire ». La tutelle ne chevauche plus l’accompagnement social, elle occupe tout

l’espace jusqu’à occulter l’adulte lui-même.

• La reconnaissance par la consommation

Le tuteur a une fonction tout à fait particulière, qui explique aussi pour partie ces tensions, car

la reconnaissance sociale aujourd’hui est essentiellement liée à l’instance économique.

Or c’est bien dans ce champ là que le majeur protégé est contrôlé, ou privé, ou plus

exactement auquel il n’accède que par procuration.

Le tuteur devient alors l’interprète de ce langage social, qu’est le bien de consommation. Nous

pourrions voir dans ce constat une hypothèse justifiant l’inflation des mesures de protection :

plus l’échange social est défaillant, plus l’individu se rachète sur des biens de consommation,

et tombe ainsi dans le gouffre de l’endettement qui va appeler la mesure de protection. Ce qui

fait dire à G.CAUQUIL : « La société de consommation ne fabrique pas forcément des

citoyens, mais assurément des consommateurs […] car la consommation est une pratique

plus solitaire que solidaire ».58

• Recréer des institutions

Le développement des services d’accompagnement a également participé au développement

récent des mesures de protection des majeurs.

J’évoquais en introduction quelques hypothèses quant à ce développement, mais il faut surtout

mettre l’accent sur la disparition des logiques d’enfermement, qui, dans la foulée d’une

psychiatrie hors des murs, autorise à imaginer des handicapés mentaux hors des institutions

closes. La « désinstitutionnalisation », qu’elle soit psychiatrique ou sociale, a permis la

promotion d’alternatives d’hébergement en milieu ouvert. Mais ce déplacement a nécessité,

par manque d’expérience ou de confiance dans les dispositifs d’accompagnement mis en

place, de rechercher des garanties. Dans ce contexte, où l’on passe d’un milieu protégé à un

milieu ouvert, on peut très facilement imaginer que les craintes et les angoisses des différents

protagonistes du projet sont réactivées et qu’ils développent une logique très largement

sécuritaire.

Cette logique amène les institutions, les familles, les professionnels à compenser le manque

de cadre institutionnel (les murs) par un cadre juridique qui est d’autant plus fort, que l’adulte

57 NOGUES H. – A la croisée du judiciaire, du médical et du social, les mesures de protection : un enjeuéconomique et social – CESB – article non daté 58 Guy CAUQUIL – actes du colloque – la loi, l’aide et l’argent ITS Lyon Caluire - P.84

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handicapé mental est dans une position d’autonomie. C’est en quelque sorte la tentation d’une

protection exorbitante, pour les personnes adultes handicapées accompagnées.

On peut dès lors remplacer l’injonction faite lors de la mise en place du projet

d’accompagnement « ils doivent tous être sous tutelle », par : « plus ils sont autonomes plus

ils sont à protéger ».

La question de la protection peut s’envisager à l’inverse dans l’idée d’une protection, non plus

en direction des adultes handicapés, mais de la société vis à vis de ces adultes. Le contrôle

social exercé par la mesure de protection viserait aussi à protéger la société des débordements,

des agissements éventuels de la personne handicapée. La mesure serait ainsi une mesure de

protection de la cité.

• Pour une association de parents

Dans une association de parents, ce phénomène de crainte est amplifié. La tutelle aux majeurs

protégés offre cette garantie, cette assurance, elle apparaît comme la caution de la société sur

l’expérience menée. La position de l’association à la création du service était que ces adultes,

très souvent sans lien familial, devraient d’autant plus « être protégés », plus protégés que

ceux qui ont une famille, qui sont parfois gravement handicapés et qui souvent vivent en

institution. Cela renforce à l’évidence le paradoxe d’une protection proportionnelle à

l’autonomie.

Cette injonction paradoxale peut apparaître légitime de la part du « parent - protecteur » ou de

l’association qui le représente. Mais elle n’a jamais été contredite ni par les professionnels des

structures d’accueil ou d’accompagnement, ni par les professionnels des services de tutelle.

• Tous les partenaires trouvent leur compte

Pour les premiers on peut supposer qu’elle offre la garantie de la légalité dans le contexte de

l’accompagnement social dont les fondements juridiques sont fragiles.

Pour les seconds, elle offre peut-être un groupe de clients ciblés et privilégiés dont la double

prise en charge tutelle–accompagnement permet d’alléger le poids des autres mesures non-

accompagnées.

Au-delà de ces partenaires de proximité, cette injonction paradoxale est portée et même

souhaitée par tout un système social dans son ensemble :

- Le bailleur qui s’assure ainsi du juste paiement de son loyer ;

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- L’employeur qui s’estime responsable d’une bonne utilisation des salaires versés à son

ouvrier, et d’autant plus s’il est une institution médico-sociale (CAT) ;

- L’ensemble des concitoyens, voisins, commerçants, administrations qui s’accommodent

très vite d’un système de représentation qu’opère ainsi cette logique de protection ;

- Jusqu’à l’adulte handicapé lui-même qui se satisfait de cette substitution tant elle est pour

lui aussi, à bien des égards, sécurisante et confortable. Mais surtout en ce qu’elle lui donne

l’illusion d’un lien social réel et sincère, et qu’elle agrandit le cercle de ses relations.

• Le poids du handicap

L’accompagnement repose, tout au moins dans le département de la Loire, sur une libre

adhésion de la personne handicapée accompagnée, d’autant plus que la COTOREP a refusé de

statuer sur l’orientation des adultes vers un service d’accompagnement. Cette position valorise

l’idée de l’adhésion de la personne sur ce projet.

Or il est illusoire de penser que la personne handicapée mentale a véritablement fait le choix

de l’accompagnement. 90 % de la population accompagnée est issue d’un établissement

d’hébergement collectif vers lequel elle a été orienté par la COTOREP. Lorsque les adultes

quittent cette structure, il paraît évident pour la plupart d’entre eux que l’accompagnement,

c’est à dire l’intervention d’un tiers dans un projet de vie autonome ne sera pas seulement un

contrat à durée déterminé, mais un projet de vie permanent ; un étayage durable nécessaire. Et

très souvent, ce projet ne sera qu’une étape, une transition pour, à terme, un nouvel accueil

dans un projet collectif.

L’analyse des flux sur la population accompagnée par ce service montre d’ailleurs que sur les

neuf années d’exercice, une seule personne est partie sans autre forme de soutien. Par contre

cinq adultes handicapés ont intégré ou réintégré après cette expérience un projet de vie

collective, un établissement de soins (psychiatrie), ou un accueil familial spécialisé.

• La gestion de l’argent des majeurs protégés

L’accompagnement a appelé la tutelle dans ce souci de protection, très certainement, mais ce

n’est pas seulement une commande des parents, de la société, car les travailleurs sociaux eux-

mêmes ont très souvent revendiqué la mise en place d’agents spécifiques pour les questions

d’argent. Ce refus des professions sociales à « toucher à l’argent » est peut-être une

réminiscence des origines ‘bénévoles’ du social, ou la peur de mêler l’éducatif à l’argent.

Toujours est-il qu’il y a de la part des travailleurs sociaux une grande défiance vis à vis des

questions d’argent, et au-delà de leur propre culpabilité à faire de l’argent avec du social, il y a

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très souvent la crainte d’être suspecté de détournement ou de malhonnêteté. Alors l’argent

c’est un autre, c’est un expert, le tuteur.

La tutelle appelle l’accompagnement et l’accompagnement appelle la tutelle, mais les tensions

naissent aussi de l’intervention simultanée de ces deux dispositifs.

2.3.3. Dans la superposition de la tutelle et de l’accompagnement

Le glissement que l’on observe souvent entre tutelle aux biens vers une tutelle à la personne

renforce le glissement de la fonction tutélaire à la fonction parentale. La conjugaison

« superposition » de la mesure d’accompagnement et de la mesure de tutelle est souvent un

frein à la mise en place d’un projet d’autonomie.

• Les organismes tutélaires attendent une reconnaissance du majeur protégé

En effet, si le service d’accompagnement se situe dans la réponse éducative, alors l’organisme

tutélaire se retrouve dans une position de censure : « financièrement c’est possible ou ce n’est

pas possible ». Le tuteur ne tire pas de bénéfice de son positionnement, ni aucune

gratification. La réponse pour laquelle il est sollicité est uniquement patrimoniale : « oui » si

le majeur a les moyens de son projet, « non » s’il n’en a pas les moyens. Le tuteur ne serait

alors pas convoqué dans le champ du relationnel, il serait cantonné dans le champ du

rationnel. Le tuteur professionnel qui agit pour le compte d’une commande publique et qui

perçoit une reconnaissance au titre de son statut professionnel et de sa rémunération peut s’en

accommoder. Par contre le bénévole qui agit au nom d’une « bonne volonté » envisage très

fréquemment une gratification, une rémunération, une reconnaissance qu’il attend de l’adulte

lui-même, l’engageant dès lors dans un processus de dette.

C’est pourquoi les organismes tutélaires aspirent à répondre outre le « possible » ou le « pas

possible », le « c’est bien » ou « pas bien » qui les positionne dans un champ éducatif

directement en concurrence avec le service.

Ceci est également vrai pour les organismes professionnels qui, parce qu’il sont aussi des

travailleurs sociaux, revendiquent un positionnement éducatif.

• Le statut de protection invite à une relation triangulaire

En psychologie, la relation avec l’enfant nécessite une triangulation. Pour certains

intervenants, la relation avec l’adulte handicapé mental doit s’envisager dans un même

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registre éducatif avec une triangulation symbolique aisément décrite lorsqu’il y a trois

protagonistes en présence.

D’où découle le schéma :

v Le service de tutelle dans une fonction paternelle

v Le service d’accompagnement dans une fonction maternelle

v L’adulte accompagné au centre dans une position infantile.

Ce schéma renforce incontestablement la position infantile de l’adulte handicapé. Cette idée

satisfait pleinement les positions de tuteurs familiaux, qui se présentent comme des substituts

parentaux, mais qui ne répondent pas au projet pour lequel milite l’accompagnement social.

Se rajoute à cette organisation le positionnement du juge des tutelles, « grand Autre »,

détenteur de la LOI , médiateur possible entre les protagonistes mais qui laisse aussi à penser

que le conflit est possible entre les deux parents symboliques. Dans les faits nous sommes très

souvent dans un registre de négociation avec le tuteur sur le bien fondé de telle ou telle action

ou de tel ou tel achat. Si la réponse de l’organisme tutélaire est ailleurs que dans le technique :

c’est « patrimonialement » possible, un conflit de position est inévitable. L’objet central de la

discussion est la position des intervenants sociaux et leur prééminence sur la situation.

L’adulte handicapé s’efface devant des logiques institutionnelles. Pour lui, la seule alternative

est la confusion entre le statut de majeur protégé et le statut de mineur.

Les institutions qui gravitent autour de l’adulte handicapé mental cherchent toujours la

justification de leur propre existence, non pas dans une logique de complémentarité mais dans

un registre de concurrence puisqu’ici elles ont un seul et même objet : l’accompagnement de

la personne handicapée. Ceci crée des conflits d’intérêts entre chaque institution. Les services

d’accompagnement font de la tutelle à la personne et les services de tutelle revendiquent

l’accompagnement. Quelle place reste-t-il à l’adulte handicapé ?

Mais la protection judiciaire est légitime, elle est légale. Cette nature lui confère une force

exécutoire que n’a pas l’accompagnement, et qui ne permet pas la remise an cause.

• La protection génère une dette

L’adulte handicapé mental est donc au centre d’un dispositif tutelle et accompagnement qui le

contraint, qui le met en dette. L’argent qu’il a, il le doit toujours à quelqu’un, et il doit en

rendre compte. Il rend doublement des comptes, une fois au service d’accompagnement, et

une autre fois au tuteur. Il est toujours dans une position de dette, même vis-à-vis de son

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propre argent. Cette situation fragilise la personne handicapée mentale, car elle n’est jamais

dupe des tiraillements nés du conflit de position, et s’inscrit alors dans une conflit de loyauté

difficilement soutenable.

Les intervenants sont inscrits dans des caricatures :

v Le tuteur est celui qui empêche, qui tue le désir de l’adulte, qui l’encadre, ou qui interdit.

v L’accompagnateur est celui qui autorise, qui permet l’expression du désir.

Mais dans certaines situations les rôles sont inversés,

v L’accompagnateur est alors celui qui enjoint, qui contrôle, qui frustre et qui contraint.

v Le tuteur est celui qui donne l’argent, qui autorise.

Cette position est à plus ou moins court terme intenable, parce qu’elle condamne l’adulte

handicapé à des jeux d’alliance qui l’éloignent de son propre projet, de son propre devenir. Il

y a donc nécessité de concilier car il y a bien l’accompagnement d'un adulte handicapé mental

d'une part et la protection judiciaire de cet adulte d'autre part.

Les interventions sociales auprès d’un public adulte handicapé protégé et accompagné

reposent sur des motivations maintenant repérées, juridiques pour l’un, socio-économiques

pour l'autre. Leur chevauchement est flagrant parce que centré sur le même sujet « l'adulte

handicapé ». Le constat fait, il était possible d'en rester là, de répondre à la commande des

pouvoirs publics, de l'association gestionnaire. Or j’ai choisi au nom de l'éthique de permettre

à la question de la conciliation de l’accompagnement et de la protection judiciaire d'être posée

au-delà du mandat que me confie l'association gestionnaire, au-delà de la demande même des

adultes accompagnés, des autorités de tutelle. Vouloir concilier, c’est admettre que cela ne va

pas de soi, que cela ne suffit pas, imaginer qu'il est nécessaire de rechercher un équilibre et

qu'il faut dépasser les tensions pour un objectif commun « l’adulte accompagné ».

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3ème Partie

Dépasser les tensions pour retrouver l’adulte accompagné

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3. Dépasser les tensions pour retrouver l’adulte accompagné

Le travail de connaissance et d'explication étant engagé, un travail de dépassement peut dès

lors s’envisager. Ce n’est pas la condamnation de l'une ou l'autre partie, ce n'est pas la

comptabilité des désaccords, c’est, pour chaque intervenant, s'investir dans ce même but et

dans un même projet, dans l'intérêt exclusif de l'adulte handicapé. Ce travail est aujourd'hui

possible parce que nous nous détachons de l’idéal de la création, qui masque les difficultés,

qui dans la fusion qu'elle impose à ses participants, induit de la confusion, et qui dans

l'incertitude et la crainte conduit à la justification. Le dépassement des tensions peut s’opérer

et il suppose un ajustement du projet avec les textes qui fondent l’action d’accompagnement

et les dispositifs de protection. Cela nécessite aussi l’implication des familles, des tuteurs, et

de l’équipe. Là encore le directeur est le maître d’œuvre de cette implication et il en est le

garant.

3.1. Un ajustement du projet

3.1.1. La confrontation avec les textes

La mission du directeur est d'adapter le projet au cadre juridique et réglementaire en vigueur.

Cela est un impératif, car la responsabilité qui lui incombe en dépend. La loi définit quelques

grands principes, et ne répond que très rarement avec précision sur tel ou tel sujet. À ce titre,

la loi sur les majeurs protégés est surtout axée sur la protection du patrimoine et ne dit rien de

la tutelle à la personne, encore moins de l'accompagnement social. À l'origine, le texte, pensé

pour un public très déficitaire ( malades mentaux, prodigues, intempérants ) est aujourd'hui

sollicité pour atténuer les phénomènes d'exclusion sociale et de précarité économique, mais

aussi pour la mise en œuvre de contrôle social. La jurisprudence, la pratique au quotidien,

conduisent le texte initial à évoluer, et l'on peut aujourd'hui appuyer l’ajustement du projet

d’accompagnement à la protection des personnes handicapées mentales sur des textes qui font

référence.

• Revendiquer l’application des textes en vigueur

Ainsi la cour de cassation au travers d’un arrêt récent (Cass. civ du 31.01.95) rappelle que la

mise sous tutelle exige la constatation que soient remplies les deux conditions légales, à savoir

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l'altération des facultés mentales ou corporelles d'une part, et la nécessité pour la personne en

question d'être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile d'autre part.

En outre, la mise sous protection judiciaire est possible, non seulement si elle est

médicalement justifiée, mais si elle est nécessaire et, si elle n'est pas et ne pourra pas être

assurée autrement. Est rappelé ici le principe de nécessité et de subsidiarité des mesures de

protection judiciaire. La cour de cassation évoque par ailleurs la nécessité d'une évaluation

périodique des conditions de mise sous tutelle : « constatation que ces conditions sont

actuellement réunies ».59

Le principe de nécessité, que rappelle la loi, signifie que la protection ne devrait pas être a

priori, mais effectivement s'appuyer sur le fait que la personne « se mette en danger ». La

mesure devrait être limitée à ses effets, tenant compte des compétences propres de la

personne, ou plus exactement de ses incapacités.

Le principe de subsidiarité prévoit la mise en œuvre de la protection (non seulement des

biens, mais aussi de la personne) si elle n'est pas ou ne pourrait pas être assurée de manière

satisfaisante par un mandataire, par la famille, par des proches ou par des tiers

(établissements, services sociaux, etc.). Cette position est également rappelée par la circulaire

19 AS du 13/06/84 « la tutelle se distingue des actions confiées aux différents services

concourants à l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (par exemple

services de suite ou services d’accompagnement) ».

D’autres éléments juridiques sont abordés au travers de trois rapports très récents sur les

tutelles et les mesures de protection des majeurs.

• Un rapport de 1991 du Commissariat au plan réalisé par G.BROVELLI et H.NOGUES :

« La tutelle au majeur protégé - la loi de 1968 et sa mise en œuvre »

• Le rapport FORS de juin 1997 : « Fonction tutélaire évolution des pratiques et

transformation de la professionnalité des délégués. »

• Et le très récent rapport d’enquête sur « le fonctionnement du dispositif de protection des

majeurs » commandé par les ministères de l’économie de la justice, de l’emploi et de la

solidarité, publié en novembre 1998.

Ces travaux mettent tous l’accent sur un dispositif dont la croissance en terme de nombre et

de coût est inquiétant, le rapport de 98 fait état de 500.000 majeurs protégés ce qui représente

59 Recueil Dalloz Sirey 1996 page 124 note de Thierry VERHEYDE

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1 % de la population française. Mais aussi sur un certain nombre de dysfonctionnements au

titre desquels :

Ø Une indifférenciation dans l’application des mesures, les délégués aux tutelles gérant dans

le même esprit une tutelle, une curatelle, ou une TPS, s’éloignant ainsi de l’esprit de la

loi ;

Ø Aucun réexamen systématique des mesures et de leur nécessité sauf pour la TPS ;

Ø De moins en moins de priorité familiale ;

Ø Des contrôles sur les fonds gérés par les organismes tutélaires, et sur les patrimoines des

majeurs quasi inexistants.

Il y a à l’évidence de nombreux dysfonctionnements qui confirment la nécessaire adaptation à

la loi, des pratiques tutélaires.

• Militer pour la prise en compte de l’intérêt exclusif de l’adulte

Ce travail de militant suppose aussi de ne pas se contenter de l’ordre établi ou de la force de

la loi, mais aussi de pointer les besoins des adultes accompagnés. Les dysfonctionnements

devraient être observés et transmis aux autorités compétentes, associations, tutelles

administratives et financières, autorités politiques. Il importe de rappeler dans l’intérêt des

adultes, que la mesure de tutelle est une mesure d’exception qui doit être justifiée par la

gravité des déficits de la personnes concernée, et que des impératifs de financement des

organismes tutélaires ne sauraient influer sur le choix de la mesure. La mesure ne devrait être

que transitoire et donc réellement s’adapter à l’état ou la nécessité de la personne .

Si une autre possibilité de soutien pour la personne peut être activée, elle doit être privilégiée.

Cela suppose de limiter les cas de mise sous tutelle aux situations les plus extrêmes lorsque

l’adulte n’est pas à même d’exprimer un désir ou de faire des choix. On peut déjà supposer

qu’aucun d’adulte accompagné ne relève de ce type de mesure. G.BROVELLI et H.NOGUES

plaident en ce sens : « Le but recherché est de faire dépendre la décision de protection du

degré de l’incapacité et non de facteurs externes à son évaluation, en particulier des modes

de gestion et des financements. En ce sens, la tutelle, mesure retirant toute capacité juridique,

devrait devenir l’exception et ne concerner que les personnes en situation d’incapacité

totale ».60

Les textes portent déjà les possibilités d’application ou de lectures, conformes aux

perspectives développées ici. Mais des précisions ou des modifications sont néanmoins

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nécessaires et celles ci ne seront possibles que dans la mesure où l’ensemble des partenaires

seront mobilisés sur ces questions.

60 G.BROVELLI et H.NOGUES : op.cit. page 16

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3.1.2. Mobiliser les partenaires

• Impliquer la famille

Nous avons évoqué en début de ce travail la faible implication des familles et pour certains

l'absence totale de famille. Cette constatation n'est pas propre à ce service, et l'on retrouve des

tendances similaires dans nombre de services d’accompagnement, mais aussi dans les services

de tutelle. « On remarque que dans cette population suivie, une partie importante est

dépourvue de liens familiaux ou relationnels proches, et que leur seul interlocuteur social

reste en fin de compte l’association tutélaire ». 61

Ce fait traduit probablement la solitude des personnes concernées par le dispositif et de

l’absence de solidarité familiale, mais il se peut aussi que le dispositif lui-même amplifie la

désertification des solidarités familiales. Nous avons évoqué la situation de M.Thérèse au

2.1.2, et la mise à l’écart de sa famille d’accueil. Nous pourrions aussi présenter quelques

situations où la solidarité familiale, précaire certes, fragile sûrement, mais malgré tout

présente, s'est totalement dissolue lors de la mise en place d'une protection judiciaire. Cet effet

est tout à fait contraire à l'esprit de la loi qui privilégie l'intervention de la famille. Il est vrai

qu'il y a lieu, dans quelques situations, d'éviter l’intervention de familles dites pathologiques,

ou motivées par la seule idée de captation. Cependant il est de la responsabilité des autorités

judiciaires d'une part et des intervenants sociaux d'autre part de susciter l'adhésion de la

famille, sa participation, et son implication dans la mise en place du projet

d’accompagnement. Or nous ne pouvons ignorer que le parent ne peut bien sûr que répondre

de sa place de parent, ce qui sous-entend que l'adulte reste dans une place d'enfant.

L'effet tutelle va confirmer, voire amplifier cette position en reconnaissant au parent-tuteur

que l'adulte n'est pas en capacité d'accéder au statut d’adulte et qu’est ainsi reconnu le droit

d'être maintenu dans un statut d'enfant. Si cette position est dans certaines situations

acceptable, et ce n'est pas l'objet de ce propos, elle ne l’est pas pour les adultes accompagnés

qui vivent hors du domicile familial. Et pour autant, pour l'avoir expérimenté, l'intervention, la

présence familiale est une chance supplémentaire dans la réussite du projet

d’accompagnement, et encore plus quand aucun lien judiciaire, monétaire ne lie les enfants

devenus adultes. Le lien affectif, détaché des contingences matérielles opère pleinement et

l'adulte est dans une relation à sa famille comme une dépendance librement choisie.

61 J.M.ELCHARDUS – L’intervention socio-éducative auprès des majeurs en tutelle – Colloque justice etpsychiatrie – ENM 1992 - page 228

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

Il y a dans cette perspective un réel travail d’équilibriste pour le directeur et son équipe,

impliquer l’environnement familial et éviter sa démission, tout en ne lui conférant pas de

pouvoir sur un adulte handicapé fragilisé.

• Ecouter les familles

Cela suppose d’entendre la souffrance des familles vis à vis de la déficience de leurs enfants,

et de prendre en compte la succession d’échecs et de déconvenues dont l’enfance de la

personne a été jalonné. Cette réalité éclaire bien différemment le désir de surprotection et

l’anxiété des parents qui compliqueront inévitablement un projet d’accompagnement social en

milieu ordinaire. Le projet d’accompagnement ne peut pas leur être proposé comme une

réponse magique, où tout deviendrait possible alors que rien ne l’a été jusqu’à ce jour, au

risque de nier les difficultés rencontrées par les familles et donc de paraître les mépriser.

Il y a donc au travers d’un projet d’accompagnement pour une personne handicapée mentale,

un projet parallèle d’accompagnement des familles pour ne pas s’affranchir de leur avis, ou

banaliser leurs craintes mais que celles ci ne soient pas un frein au projet des bénéficiaires. Et

au delà, que le désir de l’adulte puisse réellement s’exprimer, cette expression ne pouvant se

réaliser que dans la mesure où l’adulte accompagné ne vit pas sa demande, son projet comme

une trahison à l’égard de sa propre famille.

Cette position idéale ne reflète cependant pas les ruptures brutales qu’ont pu connaître l’une

ou l’autre des personnes accompagnées par ce service, tant le décalage entre le projet proposé

et le regard porté sur lui par sa propre famille était grand, ne lui laissant aucun espoir

d’adaptation.

• Rendre compte pour impliquer l’association

J'ai par ailleurs évoqué le contexte particulier de cette association de parents d’enfants

inadaptés qui, de par son originalité, convoque de fait le statut d’enfant et nous avons vu

combien la confusion entretenue autour de ce statut d’enfant complique le projet

d’accompagnement à la citoyenneté.

Faudra-t-il comme le suggère J.M. MIRAMON 62, distinguer l'associatif gestionnaire des

équipements, de l'associatif militant ?

A la recherche d’une meilleure efficacité et clarifiant la commande passée aux institutions, le

commanditaire ne serait alors plus le bénéficiaire. Le social gagnerait probablement en

transparence, en crédibilité, en efficacité dans cette clarification des missions.

62 J.M. MIRAMON - Manager le changement dans l’action sociale - ENSP – 1996- page 9

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Mais l’une des missions du directeur est de faire avec et pour le conseil d'administration,

l’association gestionnaire. Cela suppose de notre place de ne pas nous approprier le projet, ne

pas faire comme s’il était le nôtre, même si l'on a été l’un des promoteurs. Cela suppose de

rendre compte, de rendre lisible et publique l’activité de nos services. A mon niveau, cela

implique de partir d'un projet écrit, qui nomme les outils et leur finalité, et qui ne s’affranchit

pas des contraintes réglementaires, d’un projet qui évolue et qui motive ses évolutions.

L'obligation de mise sous tutelle pour les adultes accompagnés, posée comme préalable dans

le projet initial, n'est pas motivée, pas plus que ne l'était la résistance des professionnels à aller

vers la mise en place de cette commande. Les deux approches peuvent l’une et l’autre se

concevoir et appellent un échange pour être comprises, validées et appliquées. Un ajustement

entre les attentes des familles, des adultes, de l'association et la réponse apportée est donc une

nécessité. C’est dans cette confrontation que le projet pourra s’adapter.

• Favoriser le débat, expliquer le projet

La confrontation est possible, et certains lieux la favorisent, le conseil d’établissement étant

l’un de ces lieux. Prévu par l’article 8 bis de la loi 75.535 le conseil d’établissement ne

s’impose pas au service d’accompagnement en vertu d’une circulaire de 92 qui précise que les

services en qualité de : « service social ou médico-social intervenant dans le maintien à

domicile ou l'action éducative, ne sont pas concernés par la mise en place des conseils

d'établissement. » Cette instance paraît toutefois très importante, parce qu’elle permet de

rendre publique l'action du service, de la faire exister ailleurs que dans l’intimité des

bénéficiaires, mais aussi parce que le conseil d’établissement est un lieu d'échange et de

participations multiples : association, parents, bénéficiaires, salariés, municipalité. Cette

instance est déjà l'expression d’une citoyenneté et donc de son apprentissage. Cela est d’autant

plus nécessaire que l’un des critères d’évaluation de la performance de l’accompagnement

réside dans le fait que l’on ne parle pas d’eux, qu’ils ne sont pas dans leurs lieux de résidence

habituelle, repérés comme dérangeant, ou inadaptés.

Les partenaires et l’association n’ont pas toujours conscience du travail réalisé par ce type de

service, il est vrai moins palpable, moins quantifiable, moins visible qu’une structure fermée.

Il convient donc de se saisir de tous les outils pour faire concrètement exister ce projet auprès

de ceux qui en ont une part de responsabilité. Le conseil d’établissement est par essence un

véritable outil d’expression et de citoyenneté.

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• Impliquer les organismes tutélaires

Envisager ce travail d’ajustement impose d’associer les organismes tutélaires et les juges des

tutelles, car l'éclairage que nous apportons sur cet accompagnement les concerne directement.

Nous n'avons aucun pouvoir direct sur la mesure décidée par le juge des tutelles et mise en

œuvre par un organisme tutélaire. S'il est vrai que pour certains adultes des modifications

s'avèrent nécessaires, elles devront se faire avec l'accord du tuteur avant d’être validées par le

juge. Je sais, pour avoir à plusieurs reprises eu des échanges tendus avec des représentants

d’organismes tutélaires que ce débat n’est pas chose facile. Mais il est cependant nécessaire,

pour la cohérence du projet, pour son efficacité. L’ajustement ne pourra pas se faire sur « le

dos » des personnes accompagnées. Bien au contraire, la réussite de cet échange passe par la

préoccupation exclusive de son intérêt personnel.

Il sera peut-être nécessaire, dans certaines situations, de faire le choix entre un

accompagnement social ou une mesure de protection judiciaire. Il n'y a plus dès lors de

conciliation entre les deux dispositifs. Cette solution devrait être envisagée chaque fois que

possible. Car toujours plus d’intervenants, de réponses spécifiques génèrent toujours plus de

dépendance entre un bénéficiaire et la société, une dette qui s’accroît et qui compromet la

possibilité d’une réelle insertion sociale, et d’une réelle citoyenneté. Le morcellement et la

segmentation du secteur social rendent inopérant la perspective d’une action globale et

cohérente.

• Redéfinir les missions des intervenants

Dans la plupart des situations actuellement envisagées pour ce service, la conciliation passera

par une redéfinition des missions de chacun des intervenants, cela suppose la mise à plat des

pratiques sous la forme d'une table ronde réunissant l'ensemble des partenaires. Cet échange

devra être validé par l’autorité judiciaire et par l’autorité administrative en l’occurrence le

Conseil Général. Cette rencontre multi-partie permettrait de positionner l’existant d'une part et

préciser les compétences et les commandes d’autre part. Les personnes handicapées ont droit à

une réponse cohérente et uniforme des différents partenaires à laquelle ils puissent référer.

Cette cohérence doit en tout premier lieu s’exercer au sein de l’équipe.

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3.1.3. Impliquer l’équipe

La conciliation ne peut s'envisager indépendamment de l'implication de l'équipe. Cette

implication est celle qui ramène le directeur et donc le responsable que je suis, à l'une de ses

missions essentielles, celle de l’animation de l'équipe. Il n'y a pas de directeur sans équipe, ni

d'équipe sans projet. L'expérience de cette réflexion est le fruit d’un travail d'équipe et si, à un

moment donné j’en ai été l'instigateur et l'animateur, ellel aura été porté par toute l'équipe, ce

qui lui donne de la cohérence et de la force.

Cette réflexion est l'aboutissement d’un travail en plusieurs étapes.

• Sortir de l'illusion de la création

La fondation du service, parce que récente, mais aussi parce qu’initiée par des professionnels

plus que par des administrateurs ou des parents, génère une « fusion » entre les membres de

l'équipe autour du projet. Cette hypothèse rejoint l’idée développée par E. ENRIQUEZ qu'il

nomme « l’instance mythique »,63 par laquelle il décrit comment le mythe crée le groupe,

unifie les pensées et les comportements, et comment le groupe génère des craintes collectives

vis-à-vis de l'extérieur. Nous retrouvons ici des attitudes de l'équipe très protectionnistes voire

défensives vis-à-vis des partenaires extérieurs, mais aussi très réactives et parfois dans la

confusion entre le projet de l'adulte et le projet de l'équipe comme évoqué par ailleurs. Cette

phase de création est riche de dynamisme et d'enthousiasme, elle fédère l’équipe autour du

projet, mais cette logique fusionnelle crée « l’illusion groupale »64 entre les membres dont il

convient de sortir pour permettre tôt ou tard un retour de l'altérité, et que soit ainsi mis un

terme à l’illusion de la fondation.

La position du directeur est primordiale, car il peut, plus qu'aucun autre, s’arc-bouter sur les

bienfaits du passé, ou au contraire, favoriser l'émergence d'une évolution. Il paraît essentiel,

pour accompagner l’équipe dans cette démarche, qu’il ne soit pas trop « collé » dans le

quotidien des situations éducatives. Cette condition de distanciation permet de se recentrer sur

le projet individuel de chaque adulte accompagné, et d'envisager que le projet de service soit

réévalué.

63 Eugène ENRIQUEZ L’organisation en analyse – PUF - 199264 Eugène ENRIQUEZ op.cit.

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• Réévaluer le projet

La sortie de l'illusion de la fondation permet que le projet soit remis en question. C'est un

exercice délicat, car il suppose un renoncement non seulement aux idéaux fondateurs, mais

aussi aux idées reçues et à l'ordre établi.

En l'occurrence, pour le projet qui nous intéresse, cela veut dire s'autoriser à interroger une

perspective cautionnée par tous (la mise sous tutelle), et inscrite dans la loi. Cette volonté ne

peut pas être qu’une déclaration d'intention, elle doit se concrétiser dans les faits avec des

temps repérés pour ce débat et ces échanges. Nous avons en ce sens fait le choix, dans ce

service, de consacrer chaque année une journée entière pour débattre du projet global et des

perspectives concernant chacun des bénéficiaires. D’autre part une journée annuelle

thématique est proposée à l'ensemble des équipes d’accompagnement de l’association. Le

thème de l’année 98 a été consacré à « tutelles et accompagnement social ».

Nous privilégions ainsi une dynamique où le changement n'est pas seulement une création

extérieure, il peut être produit de l'intérieur. Ce qui nous rapproche à nouveau

d’E.ENRIQUEZ : « plus une institution est vivante, se rend compte de ses contradictions

internes, se pose des questions, est capable d'ouverture, laisse la place à l'imaginaire moteur,

est travaillé par la réflexion et la réflexivité, plus elle maintient à l'intérieur d'elle même le

mouvement instituant, et moins elle risque de tomber dans l'institué ».65

Mais le débat au sein de l'équipe suppose que les participants possèdent des clés de

compréhension des dispositifs en vigueur.

• Donner des outils de connaissance des dispositifs

Il semble indispensable d'asseoir ce débat, ces échanges sur une connaissance rigoureuse des

dispositifs en vigueur. A cet égard, et pour parler de la protection des majeurs, le dispositif est

presque totalement méconnu des professionnels dans les institutions d'hébergement ou

d’accompagnement. Il apparaît donc nécessaire que ces questions ne soit pas seulement

l'affaire de spécialistes ou d'un expert, mais que l’ensemble des intervenants, puisse être, si ce

n'est formé, au moins informé des dispositifs qu’ils sont amenés à côtoyer ou à utiliser. Nous

avons en ce sens développé trois outils qui peuvent répondre à cet objectif :

Ø Orienter les actions de formation des professionnels du service autour de cette réflexion,

Ø Proposer l'intervention d'experts lors des journées thématiques : un juge des tutelles et une

juriste sont intervenus dans le cadre de la journée « tutelles et accompagnement social ».

65 Eugène ENRIQUEZ op.cit. - p 86.

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Ø Offrir la possibilité à chaque salarié de réaliser un stage auprès d'autres services

d’accompagnement, de services tutelles ou de structures d'hébergement classique.

Cette dernière perspective permet d'élargir le champ d'horizon des intervenants sociaux et

donc d'avoir une certaine compréhension de ce qui se passe ailleurs mais qui permet aussi, par

l'effet de permutation, de donner à voir ce qui se passe à l'intérieur de notre propre service.

C'est ici une excellente formule pour engager le début d'une communication.

• Communication

Mettre en débat suppose aussi de communiquer sur cette question. Cette communication peut

s'envisager à trois niveaux : tout d’abord en interne pour l’équipe, puis au niveau de

l'association, et enfin au niveau des partenaires externes.

Plusieurs outils peuvent répondre à ce souci : comptes-rendus des réunions d'équipe, comptes-

rendus des journées thématiques, conseils d'établissement. Ce dernier lieu n'est pas un lieu de

décision, mais un lieu tout à fait adapté pour une présentation des réflexions menées par une

équipe. Cette question de la communication est une question délicate et importante.

Importante parce que la réussite d'un projet dépend aussi de la façon dont il a été communiqué

à l’association, au conseil d'administration, et délicate parce que la communication peut

amplifier à son tour, déformer et stigmatiser encore plus le handicap.

Le secteur social paraît très en retard dans le domaine de la communication. Ce déficit se

retrouve dans la difficulté de sortir d’une certaine tradition orale alors même que l’écrit donne

plus de permanence et plus de force aux messages. Aujourd’hui il y a une nécessité, non

seulement de donner à voir, mais aussi de convaincre et de prouver, qui rend indispensable le

passage à l’écrit. Il en va ainsi du projet d'établissement qui doit être écrit, voire réécrit pour

prendre en compte les évolutions suggérées ici.

• Réécriture du projet

Parce que de création récente, le projet de ce service ne s'est pas fondu totalement, ni délité

dans le temps. Toutefois, emprunt de « l'idéal de la fondation », il mérite effectivement d'être

revisité et d'être adapté. L’équipe pluridisciplinaire : assistante sociale - conseillère en

économie sociale et familiale et éducateur spécialisé, donc de formation de tradition et de

compétences différentes, élargit et dynamise le projet institutionnel. Cependant, dans sa

première version, le projet était tout orienté vers la concrétisation d'un habitat individuel pour

des personnes handicapées mentales.

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Aujourd’hui nous percevons combien ce n'est ici qu'une étape, voire un moyen pour, si nous

reprenons l'expression de F. ROLIN, « au-delà du logement, habiter »66, et viser ainsi un

idéal que nous nommons la citoyenneté.

Ce projet final n'était jusqu’à présent pas nommé dans le projet du service et il convient donc

de l'inscrire pour que l'action entreprise s'articule autour de ce projet. Celui-ci devrait en outre

préciser l'organisation et les limites de la protection judiciaire des adultes accompagnés, ne

pas la poser comme préalable mais comme un outil à ajuster avec le projet

d’accompagnement. Ce travail d'écriture implique l'équipe dans son ensemble et devra être

soumis à l'association gestionnaire pour qu'elle puisse le valider. Le projet de ce service, et

c'est l'une de ses forces, reste inscrit dans un projet associatif, donc dans une palette de

réponses apportées par une association à un public de personnes handicapées mentales.

Cet emboîtement d'un service dans une association rappelle la logique et la nécessité d'une

cohérence associative et institutionnelle puis professionnelle pour constituer une équipe.

• Des outils pour la cohérence de l'équipe

Le travail d’accompagnement suppose un travail dans l'intimité de l'adulte accompagné, et

écrit souvent une histoire « indivi-duelle » de la relation de l'intervenant social et d’un

bénéficiaire. Cette relation se joue dans une fréquente solitude qu’il faut prendre en compte, et

pour ne pas laisser le travailleur social seul face à une situation trop empathique ou trop

conflictuelle, des relais sont dès lors nécessaires.

Dans le cadre de ce service, et pour que ces relais soient efficaces, nous avons fait le choix de

ne pas nous orienter vers des intervenants « référents » mais au contraire de privilégier

l’intervention sur un même secteur géographique de deux travailleurs sociaux. La régulation,

un bilan du projet d’accompagnement a lieu tous les semestres en présence du bénéficiaire,

des deux intervenants et du responsable de service. La mise en place d’une analyse de la

pratique répond aussi à la nécessité de distanciation si importante lorsque l’affectivité, le désir

ou le besoin de l'autre nous renvoie comme un miroir notre propre image. Il y a, avec ce

public particulièrement, à résister à cette empathie, voire à cette confusion, où leur difficulté à

dire « je » est proportionnelle à notre propension à nous substituer à eux.

66 François ROLIN - L’éminente dignité de l’homme- Revue Union Sociale N° 42 – février 1992 - page 11

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J.M.ELCHARDUS précise sur ces deux aspects : « Le travail ne peut être fait par un

praticien isolé, mais celui-ci doit intervenir au sein d'une équipe, au vrai sens du terme, c'est-

à-dire capable d’évaluation de ses actions et d'élaboration permanente .

Cette équipe a tout intérêt à se faire superviser pour ce travail par un clinicien, là encore

référence extérieure, capable de l'aider dans l'analyse des situations relationnelles complexes

engageant, et pour cause, la subjectivité de chacun ».67

• La place du directeur

L’autre relais, et certainement le premier pour l’équipe est le responsable de tout service. La

mission de responsable est ici facilitée par la petite taille de la structure, ce sont six personnels

éducatifs qui interviennent dans la relation d’accompagnement. Mais elle appelle une

attention et une vigilance toute particulière compte tenu de la spécificité de l’intervention

sociale, non seulement individuelle mais aussi à domicile et dans l’intimité du bénéficiaire. Ce

contexte qui n’autorise pas la comparaison, le regard sur le travail de l’autre est par essence

porteur d’une certaine crainte ou interrogation : Comment l’autre (le collègue) fait dans cette

situation ? Comment s’en sort-il ? Et comment l’adulte accompagné réagit-il avec lui ?

L’échange, la concertation, les réunions d’équipe et l’analyse de la pratique, mais aussi et tout

simplement « le cahier de liaison » sont des outils indispensables dans un service

d’accompagnement pour combler la solitude de l’intervention. Ils sont l’occasion de donner à

voir aux autres, un peu de son travail. Le responsable du service doit particulièrement être

attentif à ce que ces paroles, ces écrits soient lus et repris pour qu’il n’y ait pas de silence ou

de non dits sur la pratique éducative. Il est donc avant tout disponible.

Le directeur est dans l’évaluation, dans le conseil, parce que détaché du quotidien, il permet à

l’intervenant social une prise de recul. Il rappelle la nécessaire distanciation dans la relation

affective qui s’insinue entre un adulte handicapé et le salarié.

Le directeur est aussi dans le contrôle. Car le contrôle est avant tout la prise en compte du

travail réalisé et ensuite la vérification de son adéquation au projet.

L’intervention individuelle interroge toujours la cohérence d’un travail collectif et le directeur

est le garant de ce projet.

67 J.M.ELCHARDUS –op. cit. p.238

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• La citoyenneté comme volonté pour l’équipe

La revendication à la citoyenneté pour les personnes handicapées, est développée tout au long

de ces quelques pages et interpellée dans une ultime partie au nom de l’éthique. Elle ne peut

s’envisager sans fonder pour soi-même et pour l’équipe des principes d’action. Le projet de

service est à cette condition. Il ne peut y avoir de citoyenneté pour autrui si le fonctionnement

du service ne repose pas sur ce même principe.

La phrase de P.RICOEUR placée en exergue de ce travail « A l’affirmation par soi de la

liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit 68», nous suggère la nécessaire

recherche de la liberté de l’autre, usager bien sûr mais aussi salarié. Cette revendication à

l’origine de citoyen, membre libre d’une cité, augure des rapports sociaux et hiérarchiques

particuliers. La liberté qui est ici invitée n’est pas l’anarchie, bien au contraire, elle est la

liberté qui se construit à partir de la position de l’autre, donc qui suppose une construction

sociale.

Derrière cette invitation, il y a l’implication des membres de l’équipe dans la construction

collective au niveau du service mais aussi au niveau associatif (entreprise). Cette dynamique

est visible à la participation fréquente des différents salariés aux instances représentatives du

personnel, aux groupes d’échange inter-services, ou dans les rencontres avec d’autres

établissements ou d’autres associations. Le service d’accompagnement est dès lors perçu

comme vecteur d’échanges. Le directeur est aussi à l’affût des compétences particulières et

recherche à valoriser des espaces d’initiatives propres à chacun. Ce sont autant d’espaces de

liberté mais aussi d’engagement et de responsabilité. Les membres de l’équipe sont, à partir de

missions spécifiques, appelés à contribuer à une construction collective. Ces actions

collectives développées à l’initiative des salariés peuvent être diverses : développement

d’outils informatiques à destination des bénéficiaires, mise en place d’un dispositif d’accueil

familial spécialisé, relations spécifiques avec tel ou tel partenaire, élaboration de projets de

formation collective.

Tous les membres de l’équipe sont chacun à leur manière, en fonction de compétences

personnelles, mandatés sur des actions spécifiques qui appuient ou dépassent le projet

d’accompagnement. Loin d’en faire leur pré carré, cela les met en position de responsabilité et

donc d’en rendre compte.

Le directeur est là encore chargé du contrôle et de l’évaluation de ces actions et de vérifier

leur cohérence avec le projet global.

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• A propos de l'argent

Le travail d’accompagnement doit investir d'autres champs qui sont aussi des outils pour que

l'adulte accompagné accède à la réalisation de son propre désir. Il en va ainsi de la question de

l'argent, outil éducatif par excellence dans une société où la citoyenneté s'exprime aussi par les

modes de consommation. C’est ici un levier fort pour que l'adulte handicapé mental prenne la

pleine mesure de ses capacités à être et de ses capacités à faire. L'argent permet aussi la

sensation d'une reconnaissance et d’un lien social. Si un accompagnement budgétaire

spécifique pour l’adulte accompagné est nécessaire, il pourra s'envisager dans le cadre de la

tutelle aux prestations sociales. La TPS est une mesure éducative à part entière qui n'a pas

d’effet sur la personnalité juridique. La nature même des ressources des adultes accompagnés

plaide dans ce sens. Cette démarche supposera alors l'agrément du service à cet effet, mais

aussi la mise en place de formations adaptées.

Cette dernière hypothèse impose la mise en œuvre rigoureuse de moyens de contrôle.

• Outils d’évaluations et de contrôle

Le travailleur social éprouve parfois quelques difficultés à rendre compte, par crainte d'être

remis en cause, et parce que son travail, forcément pour partie subjectif, manque de repères et

d'évaluation. Or dès lors que l'on entre dans un champ de contractualisation, d’une

intervention à durée limitée, il y a nécessité d'une évaluation. La mesure de tutelle aux

prestations sociales adulte elle-même fait l'objet, et c’est nécessaire, de contrôle sur la

question des ressources du patrimoine et de l’accompagnement.

Le contrôle doit donc être effectué à plusieurs niveaux : le directeur sur l'équipe, l'association

sur le service, les autorités de tutelle sur l’association, le juge des tutelles sur les comptes du

bénéficiaire. La rigueur dans les procédures de contrôle traduit la fiabilité d’un projet et

implique nécessairement tous les intervenants.

De même le projet de chaque adulte est nécessairement évalué et remis en cause pour

s’adapter pleinement à chacun et à ses évolutions.

La démarche présentée ici ne peut se contenter d’être un catalogue d’outils ou d’objectifs.

Chacun s’inscrit dans un projet global, dans une même logique et est porté par une volonté

que l’on nomme l’éthique. La réflexion autour de la protection judiciaire et de

l’accompagnement appelle cette question de l’éthique.

68 Paul RICOEUR - L’Ethique – article paru dans Encyclopaedia Universalis – CDROM vers 4.0 - 1999

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3.2. L’ETHIQUE DANS UNE LOGIQUE D’ACCOMPAGNEMENT

Poser l’éthique comme fondement de cette démarche, c’est sortir du cadre initialement

imparti, c'est déplacer notre regard au delà de la commande initiale faite par les parents,

l'association, les partenaires, les professionnels, la société, et ne pas se contenter du projet

pour le projet, mais accepter et reconnaître que tout ne va pas de soi. Cette question de la

protection des majeurs accompagnés se pose depuis toujours, mais n’interrogeait pas plus le

responsable que je suis, que d'autres. C'était déjà un bouleversement d’imaginer des

personnes, historiquement recluses dans leur famille, accédant à des structures adaptées, puis

pour certaines d'entre elles, à un logement individuel. Alors la question de la citoyenneté est

somme toute subsidiaire, ou pour le moins, elle vient après.

La morale veut que l'on respecte le cadre, la loi et la règle, alors que l'éthique interroge et pose

des questions. Il n'y a d'éthique que dans le questionnement, dans le doute. Ce travail est

aujourd’hui possible parce que nous nous détachons de l’idéal de la création qui dans la fusion

induit la confusion, et dans l’incertitude conduit à la justification. Il n’a de sens que parce

qu’il est porté par une intention éthique, pour reprendre la formulation de Paul RICOEUR69.

L’intention renforce le caractère dynamique, et évite l’éthique comme une fin en soi. La

réflexion engagée ici pose la question de l’éthique, et l’éthique appelle à la réflexion engagée.

L’accompagnement est dans le flou juridique et la tutelle dans le droit, personne ne s'autorise

à la remise en cause du dispositif de protection, car le droit sacralise les choses, les stabilise.

On est alors tenté de chercher des réponses ailleurs, des réponses qui déplacent la question et

qui contournent la difficulté.

En débutant ce travail de réflexion sur la tutelle et l’accompagnement, je pensais que la

question de la protection des majeurs accompagnés trouverait une réponse évidente dans la

gestion des tutelles par le service d'accompagnement. Cet aménagement aurait évité les

tensions entre la tutelle et l’accompagnement, évité la conciliation. Or cette réponse,

probablement opérante, évite surtout la question fondamentale de l'adulte handicapé et de la

citoyenneté.

Alors que tout concourt à respecter l’ordre établi, la loi, la famille, l’adulte handicapé lui-

même, le directeur fait le choix de l’éthique au delà de la morale. Son rôle est ici essentiel.

Sortir du cadre, éviter l'évidence, pour interroger, remettre en cause sans cesse le projet et

ainsi prévoir son adaptation.

69 Paul RICOEUR - L’Ethique – article paru dans Encyclopaedia Universalis – CDROM vers 4.0 - 1999

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

«Elle (la morale) est déterminée par ce rapport de soumission / aliénation à une référence

nécessairement vraie, intangible, immuable que l'on appelle le dogme » […] «fonctionner à

la morale, c'est référer ses actes ou ses pratiques à un ensemble plus ou moins organisé de

réponses préétablies qui les ordonnent, les définissent, les légitiment, réponses intangibles

qu'on ne saurait interroger. L’éthique n’est pas la loi. Elle est nécessairement anti-juridique

en tant que processus de mise en question permanente de la légitimité de ses actes. L’éthique

est le lieu d’une interrogation systématique de la justesse du droit ». 70

Ce travail est donc au sens premier, une intention éthique parce qu’il nous détache de l'ordre

établi. On perçoit ainsi combien ce travail est complexe. D'abord se détacher de la loi et

revendiquer qu'elle ne soit pas immuable. Si à un moment donné elle répond à une nécessité,

elle ne répond pas à tout et en fin de compte, parce que le majeur évolue, elle est détournée de

son objet. Il y a urgence à réinvestir la loi comme un outil au service des adultes handicapés

mentaux. Ce qui suppose qu'elle s'adapte, et enfin, parce que définie comme un droit

d'exception, qu’elle disparaisse, pour laisser toute la place à l’adulte et son projet.

3.2.1. L’éthique ou la complexité du projet

L'adulte handicapé mental réinvestit la position centrale du projet. La conciliation a lieu

autour de lui, centrée sur lui. Ce qui importe donc ce n'est pas le projet de tel ou tel service

mais le projet de l'adulte. Il y a parfois un détournement dans nos institutions sociales où le

projet institutionnel prime et l’adulte devient la caution du projet institutionnel. Or ce n'est pas

parce qu'une institution existe qu’elle est justifiée, elle doit accepter la remise en cause

régulière du projet pour vérifier son adéquation, sa pertinence au regard de la demande et des

besoins des bénéficiaires. Il y a dès lors complexité si le projet se construit de la singularité de

chacun.

• La complexité n’est pas la complication

Dans la situation qui nous préoccupe, deux intervenants sociaux occupent un même espace.

Or au titre de la cohérence et dans un souci économique, il n'apparaît pas possible de découper

la réponse sociale sous forme de guichet, « ici le patrimonial » et « là le relationnel -

l’éducatif ». Segmenter l'intervention sociale revient à problématiser le bénéficiaire sous

70 JC OTTOGALLI – éthique et responsabilité – Revue Traverses – IRFAS – Firminy 1998 – P 6

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

forme de superposition de difficultés, quand il n'y a pas la création de besoins nouveaux. C’est

vouloir homogénéiser les réponses sociales et éviter leur complexité.

Au titre de cette homogénéité, l'intervention éducative s’accompagne d'exigences

exorbitantes, au-delà du normal, et peut-être du nécessaire. L'adulte est sollicité sur tous les

fronts à la fois : travail, hygiène, tenue du logement, vestimentaire, loisirs, gestion budgétaire,

alimentaire. La commande passée est toujours celle de l’idéal, sans possibilité d’y échapper.

C’est l’invitation, parfois la vérification d’un lit fait quotidiennement, comme si au travers de

ce détail de la vie quotidienne pouvait se mesurer toute la capacité d’insertion du sujet. La

personne handicapée, qui a toujours devoir de bien faire, se retrouve parfois à faire mieux (son

lit) que l’intervenant social. Au prétexte du handicap, il y a une réponse sous forme de « sur-

qualité », le bénéficiaire est invité dans tous les champs à la fois, et se doit d’y répondre bien

mieux que nombre de citoyens anonymes.

La protection que nous offrons et les interventions sociales ne laissent que peu de répit : entre

le temps du travail, le temps du tuteur, le temps de l’accompagnement, du médecin, de la

famille, bien sûr interconnectés entre eux, il n'a plus de temps pour lui. Et lorsqu'il trouve ce

temps c'est naturellement parce qu’il est seul, solitaire, solitude.

• A la quête de l’indépendance

L’éthique nous rappelle ici à la liberté de l'autre, et il y a dans cette intention éthique qui nous

motive la nécessité de redéfinir l'objet du travail d’accompagnement, pour lequel à partir de la

notion de l'adulte handicapé mental se réalise l’idée d'insertion sociale en milieu ordinaire,

d'autonomie et d'indépendance. L'autonomie définie par rapport aux besoins, l'indépendance

définie par rapport à autrui. La difficulté de l'accompagnement est bien d'aider l'adulte

handicapé dans la satisfaction de ses besoins, sans l'enfermer dans une dépendance aliénante.

« Un enfant devient adulte quand sa dépendance envers les autres s'est dégagée de la

satisfaction de ses besoins, pour laisser la place libre au jeu de ses choix et de ses désirs. Il

peut alors accepter d'être affectivement lié à autrui et s'engager ainsi dans une relation

comportant sa part de dépendance librement consentie ».71

De cet équilibre entre indépendance et autonomie découle toute la philosophie et la force du

projet d’accompagnement. L’indépendance génératrice de lien social doit être voulue et

choisie par l'adulte handicapé mental, elle ne doit pas être aliénante. L'autonomie suppose

l’expression même de la volonté de l'adulte, et donc l'absence de l'autre, un blanc, un silence

71 J.M. ELCHARDUS – L’intervention socio-éducative auprès des majeurs en tutelle – Colloque justice etpsychiatrie – ENM 1992 - P 235

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qu'il est capable d'investir par et pour lui-même. Si l’autre est toujours là omniprésent,

omnipotent, l'autre (alius) est aliénant.

• La complexité autorise l’échec

La complexité du projet passe aussi par l’interrogation de la commande associative, et par sa

nécessaire précision. Il faut donc que les exécuteurs, le directeur, l’équipe, entendent la

commande réelle, la comprennent, pour la décoder et la préciser. Si l’injonction paradoxale :

« plus ils sont autonomes et plus ils doivent être protégés » persiste, il faut y percevoir

l’angoisse, la crainte des parents face à la violence qui leur est faite au travers du handicap.

L'action sociale, celle de l’accompagnement, ne peut agir sur cette angoisse, réactivée

amplifiée par la vie en milieu ordinaire. La mise en place de substitution parentale ne fait que

déplacer, différer l'apprentissage nécessaire. Le fait même d'être au cœur d’une association de

parents complique singulièrement cette tâche. Le commanditaire, ne serait-ce que par

délégation ou filiation, est le bénéficiaire. Il devient dès lors complexe d'influer, de modifier la

nature de la commande et la réponse qui y est faite. Ces difficultés ne sont pas ignorées et ne

devraient pas pour autant justifier une « éthique parapluie ».72

L'éthique parapluie, c'est celle qui justifie, avant même de vérifier la compétence au titre de la

prévention, d’avoir enfermé un adulte dans un système carcan. La loi sur la protection des

majeurs est ainsi faite qu’elle autorise à protéger avant même la prise de risques. L’éthique

parapluie, c'est ne pas se laisser d'espace pour essayer, c'est anticiper les échecs, les erreurs,

c’est éviter la prise de risque. « Souvent on appelle éthique un ensemble de principes, de

critères, voire de réponses plus ou moins codifiées, pour parer à tout imprévu, pour dégager

toute responsabilité. Ethique parapluie vouée à confirmer à tout prix l'idéal de maîtrise ».73

Il faut ici rappeler que l'apprentissage, le travail éducatif suppose l'échec, et qu'à trop prévenir

on empêche. P.FUSTIER, dans un travail sur l’accompagnement auprès d'enfants en

institution dit : «La réussite d'une prise en charge par une relation d’accompagnement de la

vie ordinaire n’est possible qu'à la condition que l'on prenne en considération son nécessaire

échec, […] L'éducateur doit prendre en compte que l'enfant le met à la place de la mère

dévouée et que l’institution favorise ce processus par son système d’étayage forcé. Mais

l’éducateur échoue obligatoirement à tenir cette place impossible. Sa ‘réussite‘ auprès de

72 Saül KARSZ : L’éthique, le retour (du refoulé ?) ASH 6 novembre 1998 N°) 2092 - page 2173 S.KARSZ : op.cit.

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l'enfant ne peut advenir qu'à partir d'un travail de deuil portant sur cet échec, travail qui

introduit l’ordre du symbolique ».74

Cette hypothèse est non seulement transposable au projet d’accompagnement d’adultes

handicapés mentaux mais elle en est même le préalable, comme l’est aussi une approche

éthique du handicap.

3.2.2. L’éthique ou la recherche de l’altérité

Evoquer l'éthique pour le handicap c'est aller au-delà, malgré le handicap. C'est bousculer ce

statut reconnu en juin 75 et dire qu'il ne suffit pas, qu'il y a encore à revendiquer et que

l'éthique nous invite à la rencontre de l'autre dans ses libertés, non pas seulement son altérité

et sa différence, son handicap mais dans sa capacité à être autrement que ce pourquoi je le

rencontre. Il faut aujourd'hui « déconstruire » nos projets et nos perspectives et passer à l'étape

suivante, ne pas renier, ni renoncer, mais aller au delà parce que la seule justification de

l’accompagnement redevient la citoyenneté. Le handicap lui-même est appelé à redevenir

fondateur de lien social et prétexte à la citoyenneté.

• Au delà de la loi de 75

Reconnaître l'histoire pour la dépasser c’est prendre en compte la nécessaire et importante

étape du 30 juin 1975 qui confère un statut aux personnes handicapées. Elles ne sauraient

cependant y être enfermées et s’il convient de prendre en compte, il convient aussi de dépasser

le premier stade de ce statut. C'est le sens de cette démarche d’accompagnement. Au-delà du

statut, c’est inviter les gens à une revendication supplémentaire.

Jusque là je me suis contenté d’accompagner dans le statut, il me faut maintenant

accompagner dans le devenir, il faut donner du sens à l’accompagnement, parce que

l’autonomie n’est pas encore la citoyenneté. Cette perspective est une violence légitime pour

éviter une « fixité mortifère »75 et il faut pour cela convaincre l'adulte handicapé, l'association,

le partenaire et les professionnels. L'équipe est en chantier, la question de la protection et de

l’accompagnement n'est plus la mienne, elle est la nôtre, elle investit notre pratique, nos

réunions, nos formations. D'interrogation elle devient objet, elle fédère, elle aère, elle donne le

sens.

74 P.FUSTIER : Les corridors du quotidien – P.U.L. – 1993 – P.5275 Yves GENIN, op. cit.

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• Au delà du quotidien

Dans le quotidien de l'accompagnement des personnes handicapées mentales se pose sans

cesse la question du sens et de la légitimité. Le rituel, la répétition et l’habitude sont la

garantie de leur reconnaissance, de leur survie, de leur sécurité.

Il faut alors détacher les intervenants de ce quotidien qui les aspire. Il n'y a plus de création car

alors il y aurait incertitude et doute, et la personne handicapée plus que tout autre est effrayée

par le changement. On ne peut plus alors croire l’accompagnement, (ad-compagnis), comme

un itinéraire, seul suffit le contrôle social, la tutelle qui régule le désir, l’institution recréée

hors des murs.

Des stratégies de changements sont à porter, à construire avec l'ensemble de l'équipe, rassurer,

donner la légitimité de l'action, former, partir à la quête de sens. Comme le rappelle F.ROLIN

citant Paul RICOEUR : « Ce dont manque les hommes, c’est de justice certes, d'amour

sûrement mais plus encore de signification ».

F.ROLIN poursuit : « La personne n'a pas seulement besoin de manger, elle désire être

convive. Elle n'a pas seulement besoin d'être logée, elle désire habiter. Le droit au logement

doit s’ouvrir au droit à l'habitat, et même à l'habitat adapté. La personne n'a pas seulement

besoin d'être vêtue, elle désire s'habiller, elle n'a pas seulement besoin d’un travail elle désire

l'activité créatrice (c'est en créant que l'homme se crée) ».76

• Le handicap créateur de lien

Il y a là tout un projet d’accompagnement, un projet particulièrement adapté à la personne

handicapée qui par ce jeu de la mise en action (re)devient un être social, capable de création,

de lien social, renouant avec les racines du mot handicap.

Le handicap au XVIIème siècle est un jeu irlandais, façon d'échanger des objets sans en

connaître la valeur, par tirage au hasard dans un chapeau (hand in cap) « Les enjeux étaient

représentés par des objets personnels qui n'avaient pas tous la même valeur. Le rôle de

l'arbitre était essentiel puisqu'il était chargé d’égaliser les chances des joueurs en

rééquilibrant les lots de façon à leur donner à chacun une valeur marchande équivalente. »77

76 François ROLIN, page 11 Union Sociale N°)42 février 199277 Dictionnaire critique d’action sociale – Op.Cit. page 188

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Cette perspective nous permet d’entrevoir le handicap comme créateur de lien social dans la

logique développée par M.MAUSS 78.

Les dons échangés supposent la réciprocité (le lien social) et l’idée de « hau » évoquée par

M.MAUSS est portée ici par l’objet personnel, objet de l’échange, (je donne quelque chose de

moi et il reste quelque chose de moi dans l’objet donné). Il y a aussi la compensation de

l'inégalité des chances par l'intervention du handicapeur, l'arbitre égalisateur. En ce sens le

handicap n’est pas quelque chose en moins, mais quelque chose en plus.

La question du don traverse ce travail de part en part parce que nous prenons le pari de dire

que le don fonde la capacité d’être citoyen, comme le rappelle G.CAUQUIL « […] être

inséré, c’est avoir une place dans l’échange social. C’est l’un des enjeux non seulement du

RMI, mais plus généralement de l’ensemble des interventions sociales. Il s’agit de travailler à

ce que dans l’échange, les bénéficiaires ne se tiennent pas à une position passive et assistée,

mais qu’ils puissent être mis en situation de donner. […] on est pas citoyen à part entière si

l’on est pas en situation de pouvoir donner. Parce que c’est cela qui assure une place dans la

société. […] »79

Nous devons lire ici une invitation claire à autoriser le don chez la personne handicapée et au

delà à percevoir que la société a tout à gagner à ce don.

Il n’y a pas d’utopie dans les revendications développées ici. Il n’y a pas de négation des

acquis de ces 25 dernières années, où le droit des personnes handicapées s’est largement

développé. Il y a une invitation à aller au delà. Les professionnels doivent participer à cette

concrétisation.

3.2.3. Ethique professionnelle

• Le don et le contre don

L’éthique professionnelle suppose l’engagement du professionnel que nous opposons bien

volontiers ici à engagement bénévole parce qu'il faut dans la démarche d’accompagnement

clarifier la motivation de l'action sociale. Nous avons déjà évoqué comment la dette fondait le

lien social, une dette qui nécessite le contre don pour que la chaîne de l'existence sociale

s’active : donner – recevoir - rendre. Dans la position du bénévole, le jeu de la dette est tout à

78 Marcel MAUSS – Essai sur le don – PUF 5 ème édition - 199379 G.CAUQUIL – L’argent et la consommation, facteur d’insertion ou d’exclusion – colloque Lyon - P.90

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fait particulier et s’apparente beaucoup plus à une dette unilatérale sans possibilité pour le

bénéficiaire d’un contre don.

« Le don dans l'acte de bienfaisance, engendre une dette mais en dehors de toute

comptabilité, sous la forme de reconnaissance. » 80

Celui qui, dans ce lien, est reconnu c'est le donateur, l’autre. Celui qui reçoit sans possibilité

de retour reste l’obligé du donateur. La bienfaisance, l’assistance engendrent un rapport de

dépendance. Cette hypothèse rejoint l’idée développée par M.MAUSS en conclusion de son

essai sur le don : « le don non rendu, rend encore inférieur celui qui l’a accepté ».81

Les bénévoles qui n’attendent rien en retour de leur geste, rendent d’autant plus inférieurs les

bénéficiaires de leur obole, faux parents, faux donateurs. Leur intérêt personnel est en fait le

seul moteur de leur action ; reconnaissance, bienfaisance, le don sans retour. Mais la personne

reste dans la dette, et surtout dans la dépendance d’une aliénation dont l’adulte handicapé ne

peut plus s’exonérer. Nous avons vu plus en avant avec la présentation de la situation de

J.Claude, combien il était difficile de rompre cette relation pour l’adulte handicapé lorsqu’elle

ne tenait que par le lien affectif ou la substitution parentale.

Dans le cas du tuteur professionnel, ou de l'intervenant en accompagnement social, l'adulte

s'exonère de sa dette même petitement car l’intervenant social lui doit quelque chose de son

salaire, son intervention n’est pas gratuite, et le contre don peut alors s’opérer.

J.C. OTTOGALLI va au-delà considérant l'engagement du travail social : « s’engager c'est

donner des gages aux éduqués, leur garantir une vie proprement humaine dans laquelle leur

humanité puisse se déployer en eux comme être raisonnable et comme ipséité. Le second sens

du terme gage est celui de salaire qu'on remet à un domestique. L’étymologie nous amène à

considérer que celui qui reçoit des gages pour éduquer est celui qui est au service de

l’éduqué ».82

• Les limites de l’intervention sociale

L’éthique professionnelle, c’est faire la nécessité de percevoir ses limites, limites par rapport

à son champ d’intervention, mais aussi limite par rapport à la durée de son intervention.

Dans cette perspective, il semble nécessaire d’interroger son propre champ d'intervention pour

aller au-delà, plus loin encore, mais respecter la liberté de l'autre et ne pas empiéter sur le

domaine de l'autre. C’est donc ne pas vouloir être omniprésent, omnipotent, ne pas vouloir

80 Nathalie SARTHOU LAJUS – Ethique de la dette – PUF 1997 – page 1781 Marcel MAUSS – op. cit. – page 258

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occuper tout l'espace, ne pas vouloir tout contrôler car je n'ai pas compétence sur tout.

Pourtant l’adulte handicapé attend de nous une réponse de tous les instants de toutes les

difficultés rencontrées pour ne pas y être par lui-même confronté.

Il faut ici résister pour infléchir sa propension à toujours compter sur les autres et ne plus

jamais compter sur lui même. Il est vrai que l’intervenant social éprouve une certaine

jouissance à maîtriser tout et à tout contrôler, quitte à investir d’autre champ que le sien.

Cette hypothèse vaut pour tous les intervenants y compris pour les juges comme le rappelle

Gilles MICHAUD :

«[…] Les juges qui voulaient au nom du peuple français, investir le champ social par

humanisme, par messianisme. Cette position est dangereuse pour les libertés, car la frontière

est étroite, par l'humanisme, entre le messianisme et le totalitarisme, quasiment sans contrôle,

dans des contentieux comme l’assistance éducative et la protection tutélaire ; et plutôt que de

songer en ânonnant qu'elle est ma légitimité ? le juge des enfants ou le juge des tutelles

devrait se demander qu'elle est notre légalité ?. À travers cette question chacun d'entre nous,

ici, aujourd'hui et demain, doit donc se poser celle-ci : quelle est ma compétence ? »83

L’éthique professionnelle, c’est aussi accepter que l’intervention sociale soit limitée dans le

temps, que le travail éducatif concourt à sa propre perte, que l’éducateur mesure pleinement

son efficacité à son inutilité. Aboutissement d’un travail, d’un accompagnement, l’intervenant

social peut se retirer, parce qu’il a conduit l’adulte handicapé à l’autonomie. Cette perspective

est souvent plus difficile que douloureuse, car dans beaucoup d’institutions, y compris dans

les services d’accompagnement, l’adulte accueilli, accompagné, se fond dans le projet, adhère

petit à petit, s’oublie et se fait oublier. Pourquoi prendre le risque de remettre en cause cet

équilibre précaire, au risque de déstabiliser ou d’inquiéter. pourquoi alors même qu’aucune

limite contractuelle ou légale ne s’impose contrairement aux établissements pour enfants où

l’intervention est limitée à 18, 20 ou 21 ans.

« Toute pratique éducative est condamnée à se penser comme finitude et à se préparer à se

donner la mort pour que l’autre puisse accomplir sa responsabilité d’être et devenir auteur de

lui même et de sa propre vie. »84

82 J.C. OTTOGALLI – op. cit. – page 783 Gilles MICHAUD - violences légales, violences légitimes – colloque DEFI mars 199784 J.C.OTTOGALLI – op. cit.

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CONCLUSION

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La superposition d’une mesure de protection pour majeurs et d’un accompagnement social en

milieu ordinaire interroge l’économique bien sûr, et pour une saine gestion des fonds

consacrés à l’action sociale, nous avons aujourd’hui une mission de vigilance. Il est possible

d’ailleurs que l’intervention de différents financeurs, complique la lisibilité de ces dispositifs,

qu’ils soient la DDASS pour sa compétence en matière de tutelles, la CAF pour les tutelles

aux prestations sociales, le Conseil Général en matière de financement des dispositifs

d’accompagnement de personnes adultes handicapées. Mais plus que tout, cette superposition

quelque soit son coût social, n’est pas toujours dans l’intérêt du bénéficiaire. Ainsi il apparaît

évident qu’elle ne lui permet pas toujours d’accéder à une citoyenneté pleine et entière.

La citoyenneté est aujourd’hui la nouvelle bataille que les personnes handicapées mentales

auront à mener, car si dans le cadre des dispositions des lois de 1975, un grand bond dans la

reconnaissance a été réalisé, il reste à achever ce combat pour une véritable citoyenneté, qui

ne peut pas toujours s’accommoder d’une protection judiciaire trop contraignante.

Si cette protection est nécessaire elle devrait d’abord s’envisager dans le registre d’un droit

ordinaire, comme tout autre citoyen qui pourrait être abusé et que le droit viendrait épauler.

Des dispositions sont aujourd’hui contenues dans le code à cet usage. Mais si une protection

spécifique est à envisager, elle devrait être parfaitement adaptée à la situation de la personne

protégée, et prendre en compte non seulement son patrimoine mais aussi ses capacités

propres.

Eventuellement elle pourrait ne s’envisager que pour une circonstance, sous la forme d’une

protection ad hoc, à l’occasion d’un événement (héritage par exemple).

Il paraît en outre important de rappeler qu’une mesure de protection sous la forme d’une

tutelle est peu adaptée à un projet d’accompagnement en milieu ordinaire qui suppose une

capacité à faire seul. Qui plus est, cette intervention devrait systématiquement être limitée

dans le temps et donc remise en cause à échéance régulière, comme c’est le cas pour la

TPSA.

Ces perspectives ne sont pas propres à une situation d’accompagnement dans un SAVS, car de

multiples interventions sociales sont superposées à d’autres actions parfois nécessaires aux

bénéficiaires, les maintenant dans une relation de dépendance à l’égard de multiples

intervenants. L’intervention sociale génère une dette dont il importe que le bénéficiaire puisse

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s’exonérer. Le lien social est fondé sur cette idée d’un don accepté et rendu, la personne

handicapée mentale est ici soumise aux mêmes contraintes que d’autres.

L’inflation des mesures de protection signifie la précarisation grandissante d’une partie de la

société, mais aussi une modification sensible des habitudes et des modes de consommation.

La crainte de la prise de risque incite elle aussi à une judiciarisation, comme si le judiciaire

pouvait compenser toutes les difficultés du social. A tel point que les organismes tutélaires

apparaissent non plus comme des auxiliaires de justice mais bien souvent comme des

auxiliaires du social, ce qui conduirait à envisager qu’en qualité d’institutions médico-

sociales, les contraintes et les prérogatives de la loi du 30 juin 1975, leur soient appliquées

dans l’intérêt des bénéficiaires

L’objectif ultime est bien de toujours ajuster l’accompagnement et la protection en impliquant

dans cette démarche les tutelles, les administrateurs, les organismes tutélaires, les familles, et

l’équipe qui donnent véritablement sens et corps à ce travail d’accompagnement, dans un

souci éthique qui est tout à la fois la conséquence et la motivation de ce travail.

Ce travail de réflexion partagé avec l’équipe a débuté il y a plusieurs années. Je pensais qu’il

devait être limité à notre champ d’intervention, voire condamné à rester à l’état d’hypothèse

sans lendemain, tant il est vrai que cette question de la citoyenneté des personnes handicapées

mentales n’est pas prioritaire sur d’autres préoccupations sociales fortes. Or cette question

n’est plus seulement la mienne, ni l’affaire de ce travail. Elle n’est pas non plus le seul

problème des personnes handicapés mentales accompagnées en milieu ordinaire.

La question est portée par d’autres et pour d’autres publics. Ainsi au moment ou j’écris cette

conclusion, se réunit la commission présidée par Jean FAVARD85, nommée après le rapport

d’enquête interministériel86, chargée de proposer les réformes pour la protection des majeurs.

Le Conseil de l’Europe s’est également penché sur la question de la protection des majeurs au

travers d’une recommandation votée en février 1999, que l’on trouvera annexée à ce travail.

Elle affirme avec force la revendication d’une protection adaptée, aménagée, proportionnelle

et limitée dans le temps et dans ses effets, dans le respect des intérêts et du bien être de la

personne, et dans le respect de ses souhaits et de ses sentiments. Elle permet aussi d’imaginer

que le travail de réflexion engagé ici, débouche demain sur une autre conception de

85 Jean FAVARD : magistrat, conseiller à la cour de cassation86 rapport d’enquête interministériel sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs op.cit.

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l’accompagnement et de la protection des majeurs, qui ne sera plus une utopie, dès lors que la

recommandation du Conseil de l’Europe sera transposée dans notre droit.

ANNEXE

Recommandation du Conseil de l’Europe

N°) R 99 – 4 du 23/02/99

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Patrick CLAVEL - Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique - 2000

CONSEIL DE L'EUROPE

COMITÉ DES MINISTRESRECOMMANDATION N°R (99) 4

DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ÉTATS MEMBRESSUR LES PRINCIPES CONCERNANT LA PROTECTION JURIDIQUE

DES MAJEURS INCAPABLES(adoptée par le Comité des Ministres le 23 février 1999,

lors de la 660e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des ministres, en vertu de l'article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,

Considérant la Déclaration universelle des droits de l'homme proclamée par l’AssembléeGénérale des Nations Unies le 10 décembre 1948 ;

Considérant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte internationalrelatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;

Considérant la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertésfondamentales du 4 novembre 1950 ;

Considérant la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'êtrehumain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, Convention sur les Droitsde l'Homme et la biomédecine, du 4 avril 1997 ;

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre sesmembres, notamment par la promotion de l'adoption de règles communes en matièrejuridique;

Notant que les changements démographiques et médicaux ont entraîné l'augmentation dunombre de personnes qui, bien que majeures, sont incapables de protéger leurs intérêts enraison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés personnelles ;

Notant également que les changements sociaux ont entraîné un besoin accru de dispositionslégislatives appropriées en vue d'assurer la protection de telles personnes ;

Notant que des réformes législatives sur la protection des majeurs incapables, par le biais de lareprésentation ou de l'assistance, ont été élaborées ou sont à l'examen dans un certain nombred'Etats membres et que ces réformes ont des caractéristiques communes ;

Reconnaissant toutefois que de larges disparités existent encore dans ce domaine dans leslégislations des Etats membres ;

Convaincu de l'importance dans ce contexte du respect des droits de l'homme et de la dignitéde chaque personne en tant qu'humain,Recommande aux gouvernements des Etats membres de prendre ou de renforcer, dans leurlégislation et leur pratique, toutes les mesures qu'ils considèrent nécessaires en vue de la miseen œuvre des principes suivants.

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PRINCIPES

Partie I - Champ d’application

1. Les principes qui suivent s'appliquent à la protection des personnes majeures qui nesont pas, en raison d'une altération ou d'une insuffisance de leurs facultés personnelles, enmesure de prendre, de façon autonome, des décisions en ce qui concerne l'une quelconque oul'ensemble des questions touchant à leur personne ou à leurs biens, de les comprendre, de lesexprimer ou de les mettre en œuvre et qui, en conséquence, ne peuvent protéger leurs intérêts.

2. Cette incapacité peut être due à un handicap mental, à une maladie ou à un motifsimilaire.

3. Les principes s'appliquent aux mesures de protection ou aux autres mécanismesjuridiques permettant de faire bénéficier ces personnes d'une représentation ou d'uneassistance pour ces questions.

4. Aux fins des présents principes, en entend par « majeur » toute personne qui estconsidérée comme majeure du point de vue du droit applicable à la capacité en matière civile.

5. Aux fins des présents principes, on entend par « intervention dans le domaine de lasanté » tout acte professionnel pratiqué sur une personne pour des raisons de santé. Ce termecomprend en particulier les interventions aux fins de prévention, de diagnostic, de traitement,de rééducation ou de recherche.

Partie II - Principes directeurs

Principe 1 - Respect des droits de l'homme

Concernant la protection des majeurs incapables, le principe fondamental servant de base àceux dégagés dans le présent texte est le respect de la dignité de chaque personne en tantqu'être humain. Les lois, procédures et pratiques concernant la protection des majeursincapables doivent reposer sur le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales,en tenant compte des restrictions de ces droits contenues dans les instruments juridiquesinternationaux pertinents.

Principe 2 - Souplesse dans la réponse juridique

1. Les mesures de protection et les autres mécanismes juridiques destinés à assurer laprotection des intérêts personnels et économiques des majeurs incapables devraient êtresuffisamment larges et souples pour permettre d’apporter une réponse juridique appropriéeaux différents degrés d'incapacité et à la variété des situations.

2. Des mesures de protection ou d'autres mécanismes juridiques appropriés devraient êtreprévus en cas d'urgence.

3. La législation devrait offrir des mesures de protection ou d'autres mécanismesjuridiques simples et peu onéreux.

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4. Parmi l'éventail des mesures de protection proposées devraient figurer, dans les casappropriés, des dispositions ne restreignant pas la capacité juridique des intéressés.

5. L'éventail des mesures de protection proposées devrait comporter des dispositions selimitant à un acte spécifique et ne nécessitant pas la désignation d'un représentant ou d'unreprésentant doté de pouvoirs permanents.

6. Il conviendrait d’envisager des mesures faisant obligation au représentant d'agirconjointement avec le majeur concerné, et d'autres mesures prévoyant la désignation de plusd'un représentant.

7. Il conviendrait de prévoir et d'organiser les dispositions juridiques qu’une personneencore dotée de sa pleine capacité serait en mesure de prendre pour prévenir les conséquencesde toute incapacité future.

8. Il conviendrait d'envisager la possibilité de prévoir expressément que certainesdécisions, particulièrement celles présentant un caractère mineur ou de routine et touchant à lasanté ou au bien-être, puissent être prises au nom du majeur incapable par des personnes dontles pouvoirs émanent de la loi plutôt que d'une mesure judiciaire ou administrative.

Principe 3 - Préservation maximale de la capacité

1. Le cadre législatif devrait, dans toute la mesure du possible, reconnaître que différentsdegrés d'incapacité peuvent exister et que l'incapacité peut varier dans le temps. Parconséquent, une mesure de protection ne devrait pas automatiquement conduire à unerestriction totale de la capacité juridique. Toutefois, une limitation de cette dernière devraitêtre possible lorsqu’elle apparaît de toute évidence nécessaire à la protection de la personneconcernée

2. En particulier, une mesure de protection ne devrait pas automatiquement priver lapersonne concernée du droit de voter, de tester, de donner ou non son accord à unequelconque intervention touchant à sa santé, ou de prendre toute autre décision à caractèrepersonnel, ce à tout moment, dans la mesure où sa capacité le lui permet.

3. Il conviendrait d'envisager des mécanismes juridiques qui, même lorsqu’unereprésentation est nécessaire dans un domaine particulier, permettent au majeur incapable,avec l'accord de son représentant, d’accomplir des actes spécifiques ou des actes dans undomaine spécifique.

4. Chaque fois que cela est possible, le majeur devrait avoir la possibilité d’accomplir defaçon juridiquement effective des actes de la vie quotidienne.

Principe 4 - Publicité

L'inconvénient d'une publicité donnée automatiquement aux mesures de protection ou auxmécanismes juridiques similaires devrait être évalué par rapport à la protection pouvant êtreaccordée à l'adulte concerné ou à des tiers.

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Principe 5 - Nécessité et subsidiarité

1. Aucune mesure de protection ne devrait être instaurée à l'égard d'un majeur incapable àmoins que celle- ci ne soit nécessaire, compte tenu des circonstances particulières et desbesoins de l'intéressé. Cependant, une mesure de protection peut être instaurée avec leconsentement libre et éclairé de la personne concernée.

2. En se prononçant sur la nécessité d’une mesure, il convient d'envisager toutmécanisme moins formel et de tenir compte de toute assistance qui pourrait être apportée pardes membres de la famille ou par toute autre personne.

Principe 6 - Proportionnalité

1. Lorsqu’une mesure de protection est nécessaire, elle doit être proportionnelle au degréde capacité de la personne concernée et adaptée aux circonstances particulières et aux besoinsde cette dernière.

2. La mesure de protection devrait limiter la capacité juridique, les droits et les libertés dela personne concernée seulement dans la limite nécessaire pour atteindre le but del'intervention auprès de celle-ci.

Principe 7 - Caractère équitable et efficace de la procédure

1. Les procédures conduisant à l'adoption de mesures de protection de majeurs incapablesdevront être équitables et efficaces.

2. Des garanties procédurales appropriées devraient être prévues pour protéger les droitsde l'homme de la personne concernée et pour prévenir les abus éventuels.

Principe 8 - Prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée

1. Lors de l'instauration ou de la mise en œuvre d’une mesure de protection d'un majeurincapable, les intérêts et le bien-être de ce dernier doivent être pris en compte de manièreprééminente.

2. Ce principe implique notamment que le choix d'une personne pour représenter ouassister le majeur incapable doit être avant tout régi par l'aptitude de cette personne à protégeret à promouvoir les intérêts et le bien-être du majeur concerné.

3. Ce principe implique également que les biens du majeur incapable soient gérés etutilisés à son profit et pour assurer son bien-être.

Principe 9 - Respect des souhaits et des sentiments de la personne concernée

1. Lors de l'instauration ou de la mise en œuvre d'une mesure de protection d'un majeurincapable, il convient, dans la mesure du possible, de rechercher, de prendre en compte et derespecter dûment les souhaits passés et présents, et les sentiments de l'intéressé.

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2. Ce principe implique en particulier que les souhaits de l'adulte concerné relatifs auchoix d'une personne pour le représenter ou l'assister doivent être pris en compte et, dans lamesure du possible, dûment respectés.

3. Il en découle également qu'une personne représentant ou assistant un majeur incapabledoit lui fournir des informations adéquates chaque fois que cela est possible et approprié,notamment en ce qui concerne toute décision importante affectant le majeur, et ce afin que cedernier puisse exprimer son avis.

Principe 10 - Consultation

Lors de l'instauration et de la mise en œuvre d'une mesure de protection, il conviendrait deconsulter, dans la mesure de ce qui est raisonnable et possible, les personnes ayant un intérêtparticulier au bien-être du majeur concerné, qu'il s’agisse de son représentant, d'un membreproche de sa famille ou d'autres personnes. Le cercle des personnes à consulter et les effets dela consultation ou de l'absence de consultation devraient être déterminés par le droit interne.

Partie III - Principes procéduraux

Principe11 - Engagement des procédures

1. Les catégories de personnes pouvant engager les procédures conduisant à l'adoption demesures de protection de majeurs incapables devraient être suffisamment larges pourpermettre d'envisager des mesures de protection dans tous les cas où elles apparaissentnécessaires. Il pourrait notamment être nécessaire de prévoir la possibilité de solliciterl'ouverture de telles procédures par un agent ou un organe de l'Etat, ou encore par le tribunalou toute autre autorité compétente d’office.

2. La personne concernée devrait être informée rapidement et dans une langue, ou partout autre moyen qu’elle comprend, de l'engagement d'une procédure pouvant avoir uneincidence sur sa capacité juridique, l'exercice de ses droits ou de ses intérêts, à moins qu'unetelle information ne soit manifestement sans objet ou qu'elle ne présente un danger sérieuxpour la santé de la personne concernée.

Principe 12 - Enquête et évaluation

1. Il conviendrait de prévoir des procédures appropriées en ce qui concerne l'enquête, etl'évaluation des facultés personnelles de l'adulte.

2. Aucune mesure de protection ayant pour effet de restreindre la capacité juridique d'unmajeur incapable ne devrait être prise à moins que la personne qui prend la mesure n'ait vul'intéressé ou n'ait pris connaissance de sa situation et qu'un rapport récent, établi par au moinsun expert qualifié, n'ait été produit. Le rapport devrait être écrit ou enregistré par écrit.

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Principe 13 - Droit d'être entendu personnellement

La personne concernée devrait avoir le droit d'être entendue personnellement dans le cadre detoute procédure pouvant avoir une incidence sur sa capacité juridique.

Principe 14 - Durée, révision et recours

1. Les mesures de protection devraient, dans la mesure de ce qui est possible et indiqué,être d'une durée limitée. Il conviendrait d’envisager des révisions périodiques.

2. Les mesures de protection devraient être révisées dans le cas d'un changement decirconstances, en particulier d'une modification de l'état du majeur. Il conviendrait d'y mettreun terme dès que les conditions qui les justifient ne sont plus réunies.

3. Il conviendrait de prévoir des voies de recours appropriées.

Principe 15 - Mesures provisoires en cas d'urgence

Si une mesure provisoire est requise dans un cas d'urgence, les principes 11 à 14 inclusdevraient s'appliquer, dans la mesure du possible, en fonction des circonstances.

Principe 16 - Contrôle adéquat

Il conviendrait de prévoir un système approprié de contrôle de la mise en œuvre des mesuresde protection, ainsi que des actes et décisions des représentants.

Principe 1 7 - Personnes qualifiées

l. Des mesures devraient être prises aux fins de garantir l'existence d'un nombresuffisant de personnes qualifiées pour assurer la représentation et l'assistance des majeursincapables.

2. Il conviendrait notamment d'envisager la création ou de soutenir les associations ouautres organes chargés de fournir et de former de telles personnes.

Partie IV- Rôle des représentants

Principe 18 - Contrôle des pouvoirs conférés au titre de la loi

1. Il conviendrait d'envisager la nécessité d'assurer que les pouvoirs conférés à unepersonne au titre de la loi, et lui permettant d'agir ou de prendre des décisions au nom d'unmajeur incapable sans intervention d'une autorité judiciaire ou administrative, soient limitésou leur exercice contrôlé.

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2. Le fait de conférer de tels pouvoirs ne devrait pas priver le majeur concerné de sacapacité juridique.3. De tels pouvoirs conférés à une personne devraient pouvoir faire l'objet demodification ou d'une mainlevée à tout moment par une mesure de protection adoptée par uneautorité judiciaire ou administrative.

4. Les principes 8 à 1 0 s'appliquent à l’exercice de tels pouvoirs tout comme à la mise enœuvre de mesures de protection.

Principe 19 - Limitation des pouvoirs des représentants

1. Il appartient au droit interne de définir quels actes juridiques sont de nature sipersonnelle qu'ils ne peuvent pas être accomplis par un représentant.

2. Il appartient également au droit interne de déterminer si les décisions prises par unreprésentant sur certaines questions importantes doivent être spécifiquement approuvées parun tribunal ou un autre organe.

Principe 20 - Responsabilité

1. La responsabilité des représentants dans l'exercice de leur mission devrait êtreengagée, en conformité avec le droit interne, en cas de fait dommageable survenu au majeurprotégé, qui leur serait imputable.

2. En particulier, la législation relative à la responsabilité en cas de dol, de négligence etde mauvais traitements devrait avoir vocation à s'appliquer au représentant et à toute autrepersonne intervenant dans les affaires d’un majeur incapable.

Principe 21 - Rémunération et dépenses

1. Le droit interne devrait envisager la question de la rémunération et celle duremboursement des dépenses encourues par les personnes chargées de représenter oud’assister les majeurs incapables.

2. Des distinctions peuvent être opérées entre les représentants agissant à titreprofessionnel et les autres, ainsi qu’entre la gestion des affaires personnelles du majeurincapable et la gestion de ses intérêts économiques.

Partie V- Interventions dans le domaine de la santé

Principe 22 - Consentement

1. Lorsqu'un majeur, même s'il fait l'objet d'une mesure de protection, est en fait capablede donner son consentement libre et éclairé à une intervention déterminée dans le domaine dela santé, celle-ci ne peut être pratiquée qu'avec son consentement. Le consentement doit êtresollicité par la personne habilitée à intervenir.

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2. Lorsqu'un majeur n’est de fait pas en mesure de donner son consentement libre etéclairé à une intervention déterminée, celle-ci peut toutefois être pratiquée à condition :

- qu’elle soit effectuée pour son bénéfice direct, et- que l'autorisation en ait été donnée par son représentant ou par une autorité, ou unepersonne ou instance désignée par la loi.

3. Il conviendrait d’envisager la désignation par la loi d'autorités, de personnes oud’organes habilités à autoriser des interventions de différente nature, lorsque l'adulte inapte àdonner un consentement libre et éclairé ne dispose pas d'un représentant doté de pouvoirsappropriés. Il conviendrait également d'envisager la nécessité de prévoir l'autorisation par untribunal ou un autre organe compétent pour certaines interventions graves.

4. Il conviendrait d'envisager l'établissement de mécanismes permettant la résolution deconflits qui peuvent intervenir entre les personnes ou les organes habilités à donner ou àrefuser le consentement pour des interventions dans le domaine de la santé concernant desmajeurs qui ne sont pas capables de donner leur consentement.

Principe 23 - Consentement (règles alternatives)

Aussi longtemps que le gouvernement d'un Etat membre n'appliquerait pas les règlescontenues aux paragraphes 1 et 2 du principe 22, les règles suivantes seraient applicables :

1. Lorsqu'un majeur fait l'objet d'une mesure de protection dans le cadre de laquelle uneintervention particulière dans le domaine de sa santé ne peut être pratiquée qu'avecl'autorisation d'une instance ou d'un tiers désigné par la loi, le consentement du majeur doitnéanmoins être recherché si ses facultés de discernement le permettent.

2. Lorsque, selon la loi, un majeur n'est pas en mesure de donner son consentement libreet éclairé à une intervention dans le domaine de la santé, celle-ci peut toutefois être pratiquée,à condition qu'elle soit effectuée pour son bénéfice direct, et que l'autorisation en ait étédonnée par son représentant ou par une autorité, ou par une personne ou une instance désignéepar la loi.

3. La loi devrait prévoir des voies de recours permettant à la personne concernée d'êtreentendue par une instance officielle indépendante avant qu’une intervention médicaleimportante ne soit effectuée.

Principe 24 - Cas exceptionnels

1. Le droit interne peut prévoir, conformément aux instruments internationaux envigueur, des dispositions particulières applicables aux interventions qui, en raison de leurcaractère spécial, exigent une protection supplémentaire de l'intéressé.

2. De telles dispositions peuvent prévoir une dérogation limitée au critère de bénéficedirect à condition que la protection supplémentaire soit telle qu'elle limite au minimum lesrisques d'abus ou d'irrégularité.

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Principe 25 - Protection des majeurs atteints de troubles mentaux

La personne qui souffre d'un trouble mental grave ne peut être soumise, sans sonconsentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l'absenced'un tel traitement risque d'être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve desconditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et decontrôle ainsi que des voies de recours.

Principe 26 - Possibilité d'intervenir en situation d'urgence

Lorsque, en raison d'une situation d'urgence, le consentement ou l'autorisation approprié nepeuvent être obtenus, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalementindispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée

Principe 2 7 - Application de certains principes concernant les mesures de protection

1. Les principes 8 à 10 s'appliquent à toute intervention dans le domaine de la santéconcernant un majeur incapable de la même façon qu'ils s'appliquent aux mesures deprotection.

2. En particulier, et conformément au principe 9, il y a lieu de tenir compte des souhaitsprécédemment formulés par le patient quant à une intervention médicale si celui-ci, aumoment de cette intervention, n'est pas en mesure de les exprimer.

Principe 28 - Possibilité d'appliquer des dispositions particulières à certaines interventions

Le droit interne peut prévoir, conformément aux instruments internationaux en vigueur, desdispositions particulieres applicables aux interventions qui constituent des mesuresnécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention desinfractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertésd'autrui.

Lors de l'adoption de cette décision le Représentant de l’Irlande a indiqué qu'en vertu de l’article 10.2c du Règlementintérieur des réunions des Délégués des Ministres, il réservait le droit de son Gouvernement de se conformer ou non auxprincipes 5 et 6 de la Recommandation.

Lors de l'adoption de cette décision, la Représentante de la France a indiqué qu'en vertu de l’article 10-2c du Règlementintérieur des réunions des délégués des Ministres, la France émet la réserve suivante: la France considère l’application duprincipe 23 paragraphe 3 comme devant être subordonné à une demande de la personne concernée.

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