Conciliation en Droit Arabe

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Cette étude est divisée en deux parties. La première est consacrée à la conciliation en matière de divorce dans les législations des pays arabes1. La deuxième partie traite de la conciliation traditionnelle dans ces pays, notamment en Jordanie. (Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh)

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LA CONCILIATION DANS LES PAYS ARABES

La conciliation dans les pays arabesparSami A. Aldeeb Abu-Sahlieh1Dr en droit et diplm en sciences politiques; collaborateur scientifique pour le droit arabe et musulman l'Institut suisse de droit compar, Lausanne (1980-2009), et professeur invit aux facults de droit d'Aix-en-Provence et de Palerme.

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Partie I. la conciliation en matire de divorce2Chapitre I. la conciliation et le divorce en gnral2I. La conciliation21) Lgitimit du recours la conciliation22) Sens de la conciliation3I. Le divorce41) Dcision unilatrale du mari42) Rachat de la part de la femme43) Dcision du juge 4Chapitre II. la conciliation dans le divorce5I. Auto-conciliation5II. La Conciliation dans la rpudiation et le rachat61) Une procdure sans base coranique62) Solutions lgislatives actuelles6III. La conciliation dans le divorce judiciaire pour prjudice71) Position du problme72) Raisons pour la nomination des arbitres8A) Droit classique8B) Lgislations arabes8a) Dfinition du prjudice9b) Modalits d'invoquer le prjudice93) Caractre obligatoire ou facultatif de la nomination des arbitres11A) Droit classique11B) Lgislation arabe114) Qui nomme les deux arbitres. 12A) Droit classique12B) Lgislations arabes125) Conditions des arbitres 12A) Droit classique12B) Lgislations arabes136) Tche des deux arbitres14A) Droit classique14B) Lgislations arabes157) Dmission des arbitres16A) Droit classique16B) Lgislations arabes17Partie II. la conciliation traditionnelle17Chapitre I. Meurtre chez les bdouins de Jordanie17I. Les conciliateurs18II. Mesures provisoires18III. Rituel de la conciliation19IV. Sanctions adoptes lors de la conciliation20V. Non-respect de la dcision de conciliation20Chapitre II. Affrontement entre deux clans en Cis-Jordanie 21Chapitre III. Considrants de la procdure de conciliation22I. Indpendance du bdouin22II. Charisme du juge bdouin et des conciliateurs22III. Solidarit collective22IV. Honneur du bdouin23V. Sanctions23VI. Rapidit et gratuit23Conclusion24

Cette tude est divise en deux parties. La premire est consacre la conciliation en matire de divorce dans les lgislations des pays arabes2Pas tous les pays arabes ont un code de famille crit. Nous nous basons ici sur les codes de droit de famille musulman des pays suivants: Algrie, Egypte, Irak, Jordanie, Kuwait, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie, Ymen du Nord et Ymen du Sud, ainsi que sur le projet de code arabe unifi du statut personnel de la Ligue des Etats Arabes. Certaines de ces dispositions sont reproduites dans l'annexe

. La deuxime partie traite de la conciliation traditionnelle dans ces pays, notamment en Jordanie.

Partie I. la conciliation en matire de divorce

Avant de parler de la conciliation en matire de divorce en Islam, il faudrait commencer par prsenter ces deux institutions.

Une mise en garde s'impose ici. Exposer la conciliation en matire de divorce en droit musulman implique des rfrences parfois critiques aux rapports entre l'homme et la femme. Il est, cependant, ncessaire de ne pas faire de l'islam un souffre-douleur. Les deux autres religions monothistes, le christianisme et le judasme, laissent aussi dsirer dans ce domaine.

Chapitre I. la conciliation et le divorce en gnral

I. La conciliation

1) Lgitimit du recours la conciliation

Le Coran dit:

O vous qui croyez, obissez Dieu, obissez l'aptre et ceux d'entre vous dtenant l'autorit (4:59).

En vertu de ce principe, le juriste musulman a constamment besoin de lgitimer les institutions avant d'y recourir. Il lui faut savoir si une telle institution a t prvue, ou tout au moins n'a pas t interdite, par le Coran ou un prcdent confirm (Sunnah) de Mahomet.

Le Coran mentionne la conciliation dans sept passages3Coran 2:224; 4:35; 4:114; 4:124; 5:94-95; 8:1; 49:9-10.

. Il utilise le mot sulh ou islah, repris par les lgislations arabes, ce qui signifie en fait remettre en fonction ce qui ne fonctionne plus. De ce fait, nous parlerons ici de conciliation au lieu de mdiation. Pour dsigner le conciliateur, le Coran utilise gnralement le terme hakam, qu'on peut traduire par arbitre ou dcideur.

On retrouve aussi la conciliation dans les rcits de Mahomet qui ont valeur de source juridique. Un de ceux-ci mrite d'tre mentionn:

La conciliation est permise entre musulmans, sauf celle qui interdit ce qui est permis, ou permet ce qui est interdit. Les musulmans sont tenus de respecter les conditions qu'ils s'imposent, sauf celles qui interdisent ce qui est permis, ou permettent ce qui est interdit"4Rapport par At-Tirmidhi: Sunan At-Tirmidhi, Dar al-fikr, Beyrouth, , vol. 2, p. 403. Pour d'autres rcits, voir Yasin Muhammad Yahya: 'Aqd as-sulh bayn ash-Shari'ah al-islamiyyah wal-qanun al-madani, Dar al-fikr al-'arabi, Le Caire, 1978, pp. 151-161.

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2) Sens de la conciliation

L'institution de conciliation a acquis en droit musulman et en droit arabe un sens trs large qui couvre tous les conflits: entre pays musulman et un pays ennemi, entre le chef de l'Etat musulman et des rebelles, entre l'auteur d'un dlit et sa victime, entre le crancier et le dbiteur, entre conjoints. Selon le cas, elle peut tre traduite par la paix, la transaction ou la conciliation. Un des versets le plus important et qui a t souvent cit pendant la guerre du Golfe:

Si deux groupes de croyants se combattent, alors, conciliez-les. Puis, si l'un d'eux se rebelle contre l'autre, alors combattez celui qui se rebelle, jusqu' ce qu'il s'incline devant l'ordre de Dieu. Puis s'il s'incline, alors conciliez-les avec justice, et jugez avec quit (49:9-10).

Si la communaut internationale avait suivi ce verset au lieu de pencher pour la guerre, la situation actuelle dans la rgion du Golfe aurait t totalement diffrente. La raison d'Etat malheureusement a triomph sur la raison tout court.

L'article 1531 de la Magallah, code ottoman compilant l'cole hanafite, dfinit la conciliation/sulh comme suit: "Le sulh est un acte qui se forme par l'offre et l'acceptation et qui consiste terminer d'un commun accord une contestation". Le code civil gyptien contient une dfinition similaire en traduisant le mot sulh par transaction. L'article 549 dit: "La transaction (sulh) est un contrat par lequel les parties terminent une contestation ne ou prviennent une contestation natre et ce au moyen de concessions rciproques d'une partie des prtentions de chacune d'elles". Il s'agit ici d'un vritable contrat de droit civil.

En matire de droit pnal musulman, il est aussi question de sulh. Dans un certain nombre de dlits commis intentionnellement, les parties peuvent se concilier en ngociant une solution qui vitera la victime l'application stricte de la peine contre le versement d'une compensation. Le Coran dit:

La loi du talion vous est prescrite en cas de meurtre: l'homme libre pour l'homme libre; l'esclave pour l'esclave; la femme pour la femme. On doit user de procds convenables envers celui auquel son frre a remis une partie de la dette, et lui-mme ddommagera celui-ci de la meilleure faon; cela constitue un allgement et une misricorde accords par votre Seigneur. Un chtiment douloureux est rserv quiconque, aprs cela, aura transgress la loi (2:179).

La conciliation comme moyen pour mettre fin un litige cependant n'est pas autorise dans certains dlits qualifis de hudud/limites dtermins par le Coran comme tant les droits de Dieu. Il s'agit du vol, du brigandage, de l'adultre, du dlit d'accusation mensongre d'adultre, de la consommation d'alcool et de l'apostasie. Le Coran met en garde contre la transgression de ces limites de Dieu5Voir les versets coraniques 2:187 et 229. Voir ce sujet Yahya, op. cit., pp. 37-45.

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Dans tous ces cas o le sulh est permis, on retrouve souvent l'intervention d'arbitre/mdiateur pour rapprocher les points de vue des parties.

I. Le divorce

L'Islam prvoit plusieurs formes de dissolution du mariage. Nous nous basons ici sur le projet de code arabe unifi du statut personnel tabli par la Ligue arabe qui compile les diffrentes lois des pays arabes6Adopt par le Conseil des Ministres arabes de la justice lors de sa sixime session par dcision no 105-56 du 4.4.1988. Texte arabe, franais et anglais dans Recueil de documents du Conseil, no 3, Janvier 1989. Sur ce projet, voir Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh: Unification des droits arabes et ses contraintes, in Conflits et harmonisation: mlanges en l'honneur d'Alfred E. von Overbeck, Editions universitaires, Fribourg, 1990, pp. 177-204.

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L'article 83 prvoit, part le dcs d'un conjoint, trois manires de dissoudre le mariage.

1) Dcision unilatrale du mari

Le mari a le droit de congdier sa femme par dcision unilatrale en prononant trois fois une formule signifiant qu'elle est renvoye. Cette institution est dite rpudiation (talaq) (art. 85)7Si la formule de rpudiation a t prononce une ou deux fois, le mari garde le droit de reprendre sa femme, mme sans son consentement, avant l'expiration du dlai de sa retraite lgale. Pass ce dlai, la rpudiation devient irrvocable de mode mineur: pour la reprise de la femme il faut un nouveau contrat de mariage et un nouveau douaire (montant pay par le mari en faveur de la femme). Si par contre la formule de rpudiation a t prononce trois fois, la rpudiation devient irrvocable de mode majeur: pour la reprise de la femme il faut qu'il y ait eu auparavant un mariage consomm avec un autre et sa dissolution (art. 89).

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En cas de rpudiation, le mari doit payer la femme- une pension d'entretien pendant sa retraite (art. 92);- une deuxime pension qui tient compte des ressources du mari et de la situation sociale de la femme si le mariage a t rgulirement consomm (art. 93);- la moiti du douaire convenu lors du mariage si la rpudiation a lieu avant la consommation, et un don de consolation s'il y a eu consommation (art. 37).

2) Rachat de la part de la femme

La femme peut s'entendre avec son mari pour qu'il lui accorde sa libert moyennant compensation paye par elle et perte de sa pension. La dissolution du mariage est dite alors en arabe khol'; elle est assimilable au divorce par consentement mutuel mais il s'agit en fait d'une forme de rpudiation (art. 96-99).

3) Dcision du juge

La dissolution du mariage peut tre obtenue sur dcision du juge pour diffrents motifs8Projet de la Ligue, art. 100-120.

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1) Vice rdhibitoire qui constitue un empchement la vie conjugale et dont la gurison n'est pas possible ou n'est possible qu'aprs dlai suprieur une anne.2) Non paiement de la partie chue du douaire: l'pouse peut demander la dissolution du mariage avant sa consommation.3) Dfaut d'entretien: l'pouse a la facult de demander le divorce lorsque son poux ne s'acquitte pas de son devoir d'entretien son gard.4) Absence ou disparition du mari.5) Serment de continence et dlaissement.6) Le mariage ne remplit pas ses conditions de validit.7) Svices et dissension.

Deux remarques s'imposent ici:

- Le mari a le droit de rpudier sa femme par sa simple volont. S'il renonce ce droit et recourt au tribunal pour avoir une dcision judiciaire de divorce, c'est afin de pouvoir chapper ses obligations l'gard de sa femme.- Seul le code irakien prvoit expressment la possibilit de demander le divorce pour cause d'infidlit conjugale (article 40).

Chapitre II. la conciliation dans le divorce

On peut distinguer trois formes de conciliations:- l'auto-conciliation;- la conciliation en cas de rpudiation et de rachat;- la conciliation en cas de divorce pour prjudice.

C'est ce que nous tudierons dans les pages qui suivent avec des rfrences au droit musulman classique, au droit arabe actuel et au projet de la Ligue arabe9Pour la position des juristes classiques, signaler ici un excellent ouvrage rcent: Qahtan 'Abd-ar-Rahman Ad-Duri: 'Aqd at-tahkim fi al-fiqh al-islami wal-qanun al-wad'i, matba'at al-khulud, Bagdad, 1985. Cet ouvrage sur l'arbitrage en gnral consacre les pages 363-530 la conciliation entre les poux en matire de divorce sur le plan du droit musulman classique, avec trs peu de rfrences au droit actuel, malgr son titre. Nous nous y basons dans cette tude en ce qui concerne le droit classique.

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I. Auto-conciliation

Le Coran invite les deux poux tenter la conciliation par eux-mme. C'est ce qu'on peut appeler une aut-conciliation. elle revient dans deux passages du Coran:

Quand une femme redoute l'abandon ou l'indiffrence de son mari; nul grief ne leur sera fait s'ils se concilient, car la conciliation est un bien.... Vous ne pouvez tre parfaitement quitables l'gard de chacune de vos femmes, mme si vous en avez le dsir. Ne soyez donc pas trop partiaux et ne laissez pas l'une d'entre elles comme en suspens. Si vous vous conciliez, si vous craignez Dieu, sachez qu'il est celui qui pardonne et qu'il est misricordieux. si les poux se sparent, Dieu les enrichira tous deux de son abondance (4:128-130).

Si les maris dcident de rpudier leurs femmes,...les femmes rpudies attendront trois priodes avant de se remarier. Il ne leur est pas permis de cacher ce que Dieu a cr dans leurs entrailles... Mais si leurs maris dsirent la conciliation, ils ont le droit de les reprendre durant ce temps (2:227-228).

II. La Conciliation dans la rpudiation et le rachat

1) Une procdure sans base coranique

Le Coran a permis au mari de rpudier sa femme par une dcision unilatrale. Il a aussi permis la femme, contre paiement d'une compensation, de ngocier sa libration avec son mari10La rpudiation par volont unilatrale et le rachat sont rgls par le verset 2:229: "La rpudiation peut tre prononce deux fois. Reprenez donc votre pouse d'une manire convenable, ou bien renvoyez-la dcemment. Reprendre quelque chose de ce que vous lui avez donn ne vous est pas permis. A moins que tous deux craignant de ne pas observer les lois de Dieu. Si vous craignez de ne pas observer les lois de Dieu, nulle faute ne sera impute l'un ou l'autre, si l'pouse offre une compensation".

. Ceci ne signifie pas que l'Islam est pour le relchement total des liens conjugaux. La rpudiation est considre par Mahomet comme la permission la plus dtestable auprs de Dieu (abghad al-halal 'ind Allah at-talaq). De ce fait, le Coran a prvu une restriction punitive: le mari ne peut reprendre sa femme divorce qu'aprs consommation du mariage de cette dernire avec un autre homme et la dissolution de ce dernier11Cette restriction est prvue par le verset 2:230: "S'il divorce d'avec elle, alors elle ne lui est plus permise tant qu'elle n'en a pas pous un autre".

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Les lgislateurs arabes ne pouvaient pas interdire les deux institutions susmentionns qui sont autorises par le Coran. Mais ils ne manquent pas de subtilits pour essayer de les freiner. Parmi ces mesures il y a la prescription du passage devant le juge pour faire constater la.rpudiation unilatrale ou par rachat. Profitant de ce passage, certains lgislateurs arabes demandent ce dernier de ne prononcer la dissolution qu'aprs avoir tent la conciliation entre les deux poux et aprs avoir prescrit un dlai de rflexion.

Une telle procdure n'est pas prescrite par le Coran. C'est la raison pour laquelle pas tous les pays arabes la prescrivent. Le lgislateur qui institue cette procdure applique, nanmoins, une norme du droit classique musulman dite des "intrts non-rgls" (al-masalih al-mursalah). Selon cette norme, celui qui est charg de l'application du droit peut dicter des normes pour combler des lacunes condition qu'il ne viole pas les objectifs de la Shari'ah (maqasid ash-Shari'ah). Ceci correspond pratiquement l'article premier alina 2 du Code civil suisse qui accorde au juge le pouvoir "de faire acte de lgislateur" pour combler une lacune.

2) Solutions lgislatives actuelles

Le code algrien de 1984 dit que le divorce (par rpudiation ou par rachat) ne peut tre tabli que par jugement prcd par une tentative de conciliation du juge qui ne saurait excder un dlai de 3 mois (art. 49). Le dcret de 1959 prvoyait un dlai d'un mois. Il prcisait que le juge, "entend les deux poux hors la prsence de tout conseil et leur fait les reprsentations qu'il croit propres oprer un rapprochement" (art. 13). La loi actuelle, assez sommaire, ne supprime que les dispositions contraires elle (art. 223). La doctrine est d'avis que le juge doit tenir compte de l'ancienne loi sur la procdure de conciliation. Si le juge prononce le jugement avant de tenter la conciliation, sa sentence est vicieuse et doit tre casse12'Abd-al-'Aziz Sa'd: Az-zawag wat-talaq fi qanun al-usrah al-gaza'iriyyah, 2me dition, Dar al-ba'th, Costantine, 1989, p. 346.

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Le code de statut personnel tunisien accorde aux deux poux un droit gal demander la dissolution du mariage sans cause ou par consentement mutuel (art. 31). Il exige du prsident du tribunal ou son dlgu de ne prononcer le divorce qu'aprs une tentative de conciliation demeure infructueuse. Aucun dlai n'est prescrit (art. 32 al. 1).

Le code syrien donne des dtails importants. Il demande au juge de remettre pendant un mois l'acceptation d'un divorce par rpudiation ou par rachat. Si le mari ou les deux conjoints insistent aprs ce dlai, le juge les appelle et essaie de rsoudre leur conflit en recourant des personnes parmi les parents des deux conjoints ou des personnes capables de rsoudre leur diffrend. Si ces tentatives chouent, le juge autorise l'enregistrement de la rpudiation ou du rachat avec effet partir de la date de sa prononciation. L'action est classe dans les trois mois si aucun des deux conjoints n'y revient (art. 88). Remarquons ici que le passage devant le juge n'est pas obligatoire. Mais si le couple n'y passe pas, il devrait le faire en cas de contestation ultrieure; le passage devant le juge sert en fait de moyen de preuve13Nagat Qassab Hassan: Qanun al-ahwal ash-shakhsiyyah, 2me dition, Damas, 1985, pp. 107-108.

Aucune procdure de conciliation n'est prvue en cas de rpudiation ou de rachat dans les codes gyptien, marocain, nord-ymnite, kuwaitien, jordanien, irakien et libanais mme si le passage devant le juge est prvue, voire exige, par certains de ces pays.

Le projet de la Ligue arabe demande au juge de procder une tentative de conciliation "avant de prendre acte de la dclaration de rpudiation". Aucun dlai n'est prvu. Il ne considre pas moins comme valable la rpudiation dont le prononc est tabli non pas par un juge mais par tmoignage de deux adouls/tmoins ou par reconnaissance publique (art. 91). Aucune procdure de conciliation, par contre, n'est prvue en cas de rachat.

III. La conciliation dans le divorce judiciaire pour prjudice

1) Position du problme

La conciliation en cas de rpudiation ou de rachat relve du pouvoir discrtionnaire des lgislateurs arabes puisqu'aucune base coranique ne la fonde. Ceci n'est pas le cas de la conciliation en cas de msentente/prjudice qui trouve sa lgitimation dans le texte coranique suivant que nous citons ici dans son contexte large pour mieux le comprendre:

Les hommes ont autorit sur les femmes, en vertu de la prfrence que Dieu leur a accorde sur elles, et cause des dpenses qu'ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses: elles prservent dans le secret ce que Dieu prserve. Admonestez celles dont vous craignez l'insubordination, laissez-les seules dans leur lit et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obissent.... Et si dans un couple vous craignez la sparation, convoquez alors un arbitre dans sa famille lui, et un arbitre dans sa famille elle. S'ils veulent, les deux, la conciliation, Dieu rtablira l'entente entre eux deux (4:34-35).

En raison de sa base coranique, cette conciliation constitue une norme d'ordre publique; elle est donc obligatoire De ce fait, tous les codes arabes l'ont intgre avec des divergences importantes dcoulant de l'interprtation donne ce verset.

Pour comprendre le sens de ces versets, il faut connatre leur historique. Sa'd Ibn-ar-Rabi' avait frapp sa femme Habibah Bint Zayd. Le pre de cette dernire est venu se plaindre auprs de Mahomet. Celui-ci lui dit que sa fille a le droit de frapper son mari comme il l'a frappe. Entre-temps, l'ange Gabriel rvla Mahomet ces versets. Mahomet appela alors la femme et son pre et leur annona la nouvelle en disant: "Nous avons voulu une chose, et Dieu a voulu une autre, et ce que Dieu veut est meilleur". Il annula alors le droit de la femme de se venger sur son mari.

Le Coran commence par tablir la supriorit de l'homme sur la femme. Ensuite, il conseille aux maris plusieurs tapes pour faire entendre raison aux femmes dont ils craignent l'insubordination: les admonester, les laisser seules dans leur lit et, enfin, les frapper14Muhammad 'Ali As-Sabuni: Rawa'i' al-bayan, tafsir ayat al-ahkam, Maktabat Al-Ghazali, Damas, 3me dition, vol. I, 1980, p. 466.

. Si malgr ces trois mesures le dsaccord continue et que la crainte de la sparation entre l'homme et la femme persiste, alors le Coran prconise de recourir deux arbitres, l'un de la famille du mari, et l'autre de la famille de la femme. C'est le sens gnral des versets coraniques en question.

Ces versets laissent cependant de nombreuses questions sans rponse:

- Quelles sont les raisons pour la nomination des arbitres?- Est-ce obligatoire le recours des arbitres?- Qui les nomme?- Quelles sont les conditions remplir par les arbitres?- Quelle est la tche des arbitres?- Peut-on dmettre les arbitres?

Voyons maintenant les solutions ces questions dans le droit classique, les codes arabes et le projet de la Ligue arabe.

2) Raisons pour la nomination des arbitres

A) Droit classique

Le Coran parle du recours l'arbitrage lorsqu'il y a crainte de sparation (in khuftum shiqaq). Le terme shiqaq, traduit le plus souvent par sparation, dsigne dans ce verset un dsaccord ou une msentente conduisant la sparation. A la suite de l'Imam Malik (8me sicle), ce verset a t tendu au cas de prjudice subi par la femme de la part de son mari, le prjudice tant dfini comme "ce qui n'est pas permis lgalement". Cette extension est base sur un principe musulman selon lequel il n'est pas permis de faire subir un dommage autrui.

La crainte de la sparation a t comprise par certains comme signifiant "la probabilit de sparation", et par d'autres "la certitude de la sparation". Les premiers disent que si la sparation est certaine, il ne reste que le recours au juge pour rsoudre le problme. L'intervention des arbitres n'est utile que s'il y a le moindre espoir de voir les deux conjoints se concilier15Ad-Duri, op. cit., pp. 366-371.

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Avant de recourir deux arbitres, certains croient qu'il faut dsigner un observateur de confiance dans le but d'indiquer aux deux conjoints la voie de la droiture, et pour s'enqurir du conflit qui risque de les sparer afin d'en rapporter au juge. D'autres disent qu'il faut dsigner directement les deux arbitres ds le moment qu'un conjoint prtend subir des prjudices de la part de l'autre conjoint. D'autres enfin pensent que la nomination des arbitres doit tre faite aprs rptition de la plainte16Ibid., pp.378-384.

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B) Lgislations arabes

Les pays arabes dans ce domaines divergent comme l'ont t les juristes classiques.

a) Dfinition du prjudice

Le divorce peut tre demand pour prjudice. Mais ce prjudice n'est pas dtermin par les lois arabes d'une manire univoque.

L'Egypte parle de torts rendant impossible la vie commune entre personnes de la condition des deux conjoints (art. 6). La doctrine et la jurisprudence prcisent qu'il s'agit de svices par paroles ou par actes touchant la femme, ses ascendants ou ses descendants. Ces svices doivent tre imputables au mari. Celui-ci cependant peut chtier sa femme en vertu des versets coraniques susmentionns, condition qu'il n'attente pas l'intgrit physique17Cour de cassation, civil, anne 28, sance du 9.11.1977, p. 1644.

. Est considr comme prjudice le fait que le mari maltraite sa femme, ne lui parle plus, s'approprie ses biens, l'insulte, l'empche de visiter sa famille, ou l'abandonne18Ahmad Nasr Al-Gundi: Al-ahwal ash-shahsiyyah, Nafs, Le Caire, 1987, pp. 195-200.

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L'Algrie parle de msentente (art. 56). Dans ce pays, les faits suivants sont considrs comme raison de msentente pouvant conduire au divorce

- Battre fortement la femme sans une justification islamique ou lgale au point de l'empcher travailler, ou lui faire subir un dommage permanent.- Accusation d'adultre porte par l'un des deux conjoints sans possibilit de preuve.- Dbauche ou immoralit blessant la sensibilit de la femme; ivresse l'intrieur ou l'extrieur de la maison.- Renvoyer la femme la maison de ses parents pendant quatre mois ou plus et ne pas s'occuper d'elle ou de ses enfants.- Obliger la femme d'habiter dans la maison du mari si dans cette maison il y a ceux qui l'humilient, la frappent ou la privent de sa libert d'action avec son mari ou ses enfants.- Abandon par la femme de la maison conjugale pour aller habiter chez ses parents sans s'occuper de ses enfants et de son mari19Sa'd, op. cit., pp. 346-351.

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Le Ymen du Nord parle de "rpugnance" et du fait que le mari s'adonne l'alcool (art. 52-53).

b) Modalits d'invoquer le prjudice

Les pays arabes ne se sont pas entendus sur les modalits d'invoquer le prjudice. Ces pays peuvent tre classs en quatre catgories:

1) Le lgislateur gyptien a prvu deux cas de recours la conciliation et l'arbitrage:

- La femme porte plainte pour prjudice20L'Egypte n'a pas encore assimil l'ide que le mari et la femme puissent demander, d'une manire gale, le divorce pour tort subi de la part de l'autre conjoint rendant impossible la vie commune. Le code officieux de Qadri Pacha appliqu en Egypte jusqu'en 1929 n'avait pas fait mention de la conciliation. Il n'tait non plus permis la femme de demander le divorce pour svices. La femme n'y avait que trois possibilits pour se librer de son mari: l'amadouer pour qu'il lui accorde sa libert, avec ou sans paiement (art. 273 et sv.), et invoquer l'impuissance de son mari (art. 298 et sv.) ou son abandon de l'islam (art. 303 et sv.).

Si elle arrive le prouver, le juge lui-mme tente de concilier les deux poux et, en cas d'chec, il accorde le divorce la femme. Si par contre la femme n'arrive pas prouver le tort, le juge rejette sa demande; il ne procde la nomination des arbitres que si la plainte se renouvelle sans possibilit d'tablir la preuve21Code gyptien, art. 6. La Cour de cassation a affirm que la procdure de conciliation par les deux arbitres n'intervient qu'en cas de l'ouverture d'un deuxime procs de la part de la femme sans que celle-ci puisse prouver le tort subi (Cour de cassation, civil, anne 26, sance du 28.5.1975, p. 1108)

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- Le mari porte plainte pour insoumission de la femme sans motif valable (ne revient pas au domicile conjugal alors que son mari lui a enjoint de le faire par voie d'huissier). Une premire sanction est prise contre elle: la pension alimentaire cesse de lui tre verse du jour de son refus. Si le problme n'est pas rsolu et que la femme fait opposition ou que l'un des deux poux le demande, le tribunal essaie de concilier les poux. Si la femme insiste et demande le divorce, alors le tribunal recourt deux arbitres (art. 11bis).

Il faut ajouter ici la conciliation par le juge uniquement lorsque la femme demande le divorce pour prjudice subi la suite du remariage de son mari (art. 11bis).

La tentative de conciliation de la part du tribunal et le recours aux arbitres sont considrs en Egypte comme d'ordre public avec, pour effet, nullit du jugement qui ne respecte pas cette procdure22Cour de cassation, civil, anne 37, sance du 27 mars 1984, p. 865.

. Malgr cela, il s'agit d'une procdure formelle puisque la prsence des deux conjoints n'est pas requise23Cour de cassation, civil, anne 26, sance du 12.2.1975, p. 378.

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Le Maroc prvoit la possibilit de conciliation par voie d'arbitres seulement en cas de plainte de la femme et dans les mmes conditions que l'Egypte. Aucune conciliation n'est prvue en cas de plainte de la part du mari (art. 56).

2) D'autres pays prvoient la mme procdure pour l'homme et pour la femme, sur la base des mmes griefs: pour prjudice de la part de l'autre poux (Tunisie, art. 25), msentente entre les poux (Algrie, art. 56), pour svices par parole ou par acte, rendant impossible la vie conjugale eu gard leur condition sociale (Kuwait, art. 126), pour prjudice rendant la vie en commun impossible (Syrie, art. 112).

Une tentative de conciliation de la part du juge est prvue. Pour l'Algrie, cette tentative ne doit pas dpasser les trois mois. S'il choue les concilier, et que le tort est prouv, le juge doit prononcer le divorce. Si par contre, le tort n'est pas prouv, le juge procde la nomination des arbitres. Dans le cas de la Syrie, le juge, avant de nommer les arbitres, doit ajourner le procs pour une dure non-infrieure un mois, et le demandeur doit ritrer sa plainte avec insistance. En Tunisie, il suffit pour nommer les arbitres que la preuve ne soit pas tablie et que le juge ne puisse pas dterminer l'poux responsable du tort (art. 32).

En Algrie, les tribunaux considrent qu'il est difficile pour la femme d'tablir les agissements blmables qu'elle impute son mari. Dans ce cas, ils estiment qu'il y a lieu de placer les poux sous la surveillance d'un homme honorable et impartial qui a la facult de pntrer chez les poux pour s'informer sur la faon dont ils remplissent leurs obligations rciproques afin d'clairer utilement le tribunal sur le bien-fond des griefs invoqus par l'pouse. Cette procdure ne s'impose au juge qu'autant que, saisi de plaintes ritres et non justifies de la part de l'pouse, il ne possde aucun lment pouvant asseoir sa conviction et motiver sa dcision24Chambre de rvision musulmane, 30 avril 1951, no 201 cit par Ghaouti Benmelha: Elments du droit algrien de la famille, Publisud, Paris, 1985, p.144. Voir aussi Fernand Dulout: Trait de droit musulman et algrien moderne, tome II, Maison du Livre, Alger, 2me dition, 1951, pp. 201-202.

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3) La Jordanie permet aux deux poux de demander le divorce pour prjudice par parole ou par acte rendant impossible la vie conjugale. Le plaignant, cependant, doit prouver le prjudice. Et c'est l, contrairement aux autres pays, que le juge essaie de les concilier et remet le procs pour une dure d'un mois au moins. Au cas o les deux poux ne se concilient pas, alors le juge nomme deux arbitres pour la conciliation (art. 132). La mme attitude est adopte par le lgislateur libanais (art. 338) et irakien (art. 41)25L'Irak permet aussi de nommer des arbitres si la demande de divorce sur la base large de l'article 40 a t rejete pour manque de preuve et qu'une nouvelle demande ait t introduite (article 42). Le Ymen du Nord, qui n'ouvre la procdure de conciliation par les arbitres qu'en cas de plainte de la part de la femme pour rpugnance (karahiyyah) (art. 52), exige aussi que le juge soit convaincu qu'il existe des raisons pour cette rpugnance avant de nommer les arbitres.

. Le Ymen du Sud exige aussi la preuve du prjudice avant d'engager la procdure de conciliation, celle-ci tant faite non pas par des arbitres, mais des comits populaires (art. 25).

4) La Libye fait intervenir la procdure de conciliation seulement lorsque les poux n'acceptent pas divorcer par consentement mutuel. Le tribunal charge alors deux arbitres les concilier (art. 36). Si les arbitres chouent, et que le prjudice est prouv, le tribunal son tour procde la conciliation huis clos (art. 39). La procdure, donc ici, est inverse. La conciliation par les arbitres intervient avant la conciliation par le tribunal.

Le projet de la Ligue arabe permet chacun des poux de demander le divorce pour svices rendant impossible la vie conjugale. Le juge doit pralablement procder une tentative de conciliation. Si le prjudice est tabli, le juge accorde le divorce. S'il ne l'est pas et que le juge choue les concilier, ce dernier choisit deux arbitres (art. 103-104). Si le mariage n'a pas t consomm, est prvue une procdure acclre sans recours aux arbitres et sans ncessit de prouver les torts respectifs des deux conjoints. Le juge dans ce cas procde seul la tentative de conciliation. Le but est d'viter de prolonger la procdure, ce qui crerait plus de dommage (art. 110).

3) Caractre obligatoire ou facultatif de la nomination des arbitres

A) Droit classique

Un des problmes poss par les normes drivant du Coran est de savoir si ces normes sont obligatoires, recommandes ou simplement facultatives.

La majorit des juristes affirment que la nomination des arbitres est obligatoire en raison de la forme imprative utilise par le Coran f-ab'athu/convoquez. Certains cependant disent que cette nomination n'est obligatoire que s'ils sont indispensables pour pouvoir parvenir une conciliation. Si la conciliation est faisable sans eux, il n'est pas ncessaire de les dsigner26Ad-Duri, op. cit., pp. 385-389

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B) Lgislation arabe

Dans les pays arabes, le tribunal procde lui-mme la conciliation, et en cas d'chec, il est tenu de recourir l'arbitrage avec les diffrences qui sont mentionnes plus haut entre pays qui exigent que le prjudice soit prouv et ceux qui exigent, au contraire, qu'il ne le soit pas. Seule la Libye commence par la conciliation des arbitres et termine par la conciliation devant le tribunal. La procdure de conciliation par le juge et par les arbitres ne dpend pas du bon vouloir des parties. Selon la jurisprudence syrienne, les parties ne peuvent pas cder sur l'arbitrage et remettre la dcision au juge27Ahmad Ad-Daghistani: Al-marga' fi qada' al-ahwal ash-shakhsiyyah, Dar al-anwar, Damas, 1983, p. 331.

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La jurisprudence et la doctrine du Ymen du Sud sont d'avis qu'il ne faudrait pas soumettre le divorce la conciliation s'il y a eu un jugement contre le mari pour atteinte l'intgrit physique de sa femme. La conciliation dans ce cas est inutile28Nagib Shumayri: Qanun al-usrah fi al-yaman ad-dimuqratiyyah, Dar al-hamadani, Aden, pp. 103-105.

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Le projet de la ligue arabe prescrit aussi au pralable la conciliation par le juge avant de passer par les arbitres, passage obligatoire en cas d'chec (art. 103).

4) Qui nomme les deux arbitres.

A) Droit classique

Le Coran dit: Si dans un couple vous craignez la sparation, convoquez alors un arbitre dans sa famille lui, et un arbitre dans sa famille elle. Les juristes divergent sur le destinataire. La majorit pensent qu'il s'agit de l'autorit laquelle s'adresse le plaignant. Cela dsigne le tribunal. D'autres pensent que c'est aux deux poux de procder la nomination des deux arbitres, ce qui constitue une erreur grammaticale puisque le Coran utilise la forme du pluriel au lieu de la forme du duel. D'autres pensent que le Coran s'adresse ceux qui craignent la sparation: soit les deux poux, soit l'autorit, soit les parents des deux poux. Certains font mme de la nomination des deux arbitres une action populaire incombant tout croyant de la communaut musulmane29Ad-Duri, op. cit., pp. 389-403.

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B) Lgislations arabes

Les lgislations arabes envisagent toujours la nomination des arbitres par le juge. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de tentatives prives prises par les familles des conjoints pour les rconcilier. Mais seule la tentative de conciliation par des arbitres nomms par le juge remplit les conditions requises par la loi.

L'Irak prvoit la possibilit que les deux conjoints choisissent les deux arbitres s'il n'y a pas d'arbitres parmi leurs proches. S'ils ne se mettent pas d'accord, le tribunal y procde (art. 41). La doctrine syrienne propose que les deux arbitres soient nomms ou accepts par les deux conjoints; cela rendrait plus facile rsoudre les problmes30Hasan, op. cit., pp. 122-124.

.Selon la jurisprudence jordanienne, c'est au juge de nommer les arbitres; il n'a pas le droit de confier leur choix aux conjoints31Muhammad Hamzah: Al-mabadi' al-qada'iyyah al-lati istaqar 'alayha igtihad mahkamat al-isti'naf ash-shar'iyyah, vol. 1, Maktabat al-aqsa, Amman, 1973, p. 59.

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Le projet de la Ligue arabe charge le juge de dlguer deux arbitres (art. 104).

5) Conditions des arbitres

A) Droit classique

Les deux arbitres doivent tre choisis, un parmi la famille de l'poux et l'autre parmi la famille de l'pouse selon le Coran. Les juristes disent que ce choix est motiv par le fait que ceux-ci connaissent mieux la situation des deux conjoints, et ces derniers leur font plus facilement confiance qu' des trangers. Si les conjoints n'ont pas de parents capables de fonctionner comme arbitres, il faut recourir des voisins. Si on peut trouver un arbitre dans la famille d'un des deux conjoints, mais pas dans la famille de l'autre, alors il faut choisir pour les deux des arbitres trangers afin d'viter le dsquilibre. Certains juristes pensent que le choix des arbitres parmi les deux parents est prfrable, mais non obligatoire du fait que des trangers peuvent parfois tre de meilleurs arbitres32Ad-Duri, op. cit., pp. 414-424

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Les arbitres doivent remplir plusieurs conditions: tre musulmans, libres (non-esclaves), 'adl/quitables, majeurs et comprenant la cause pour laquelle ils sont nomms. La majorit des juristes classiques exigent aussi qu'ils soient de sexe masculin. Certains parmi ceux qui admettent la nomination d'une femme, la considre non pas comme arbitre mais comme contrleuse. Dans tous les cas, on ne peut nommer un arbitre qui soit ennemi avec les conjoints ou un condamn pour dlits. Peut-on nommer un seul arbitre au lieu de deux? Certains juristes l'admettent si les deux conjoints acceptent une telle nomination; il est alors l'arbitre des deux. Certains, dans ce dernier cas, exigent qu'il soit tranger la famille des deux conjoints33Ibid., pp. 425-

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B) Lgislations arabes

Les codes arabes ne s'tendent pas sur les conditions remplir par les arbitres qui doivent tre au nombre de deux34Dans une dcision jordanienne, il est dit que tribunal ne peut pas nommer plus que deux arbitres. En cas de divergence, il leur adjoint un troisime (Muhammad Hamzah, vol. I, op. cit., p. 59).

. Dans ce cas, les lacunes sont complter par le droit classique.

L'Egypte (art. 7), le Kuwait (art. 128), la Jordanie (art. 132) et la Syrie (art. 112) disposent que les deux arbitres doivent tre quitables/'adl, choisis parmi les familles des deux conjoints, si possible, sinon parmi les personnes ayant connaissance de leur situation et tant mme de raliser une conciliation entre les parties. Dans la version de 1929 de la loi gyptienne, il tait prcis qu'ils devaient tre deux hommes quitables. Bien qu'il n'y ait aucune mention de la religion, il est clair que les deux arbitres doivent tre musulmans. Ceci est implicite dans le terme 'adl qui signifie avoir les conditions pour tmoigner35La Cour de Cassation gyptienne dit que les deux arbitres doivent tre pris dans la famille des deux conjoints. Et dfaut,on peut recourir deux arbitres 'adl en dehors de la famille, parmi les musulmans (Cour de cassation, civil, anne 26, sance du 28 mai 1975, p. 1109).

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Le Liban parle de deux arbitres jouissant des qualits requises par le droit musulman, choisis dans la famille des deux poux; dfaut, ils pourront tre choisis en dehors de la famille parmi les personnes juges capables d'amener la conciliation, ou dans la famille de l'un des poux, parmi les personnes inscrites sur la liste des arbitres (art. 338).

L'Algrie (art. 56) et le Ymen du Nord (art. 52) parlent de deux arbitres, l'un choisi parmi les proches de l'poux et l'autre parmi ceux de l'pouse. La Tunisie (art. 25) et le Maroc (art. 56) prvoient simplement la nomination de deux arbitres.

La Syrie parle de "deux arbitres choisis parmi les parents des poux ou parmi les personnes capables de les concilier" (art. 112). Selon la jurisprudence syrienne, l'arbitre ne doit pas tre analphabte car il ne pourrait pas remplir sa fonction36Shumayri, op. cit., p. 336.

. Il n'est pas permis, pour raison d'quit, de nommer un arbitre proche d'un conjoint et un autre loin de l'autre. De mme, on ne peut pas nommer arbitre un mandat d'un conjoint37Ibid., p. 337, p.345

. Si un conjoint dclare qu'il n'existe pas de proches pour tre nomms comme arbitres, et que l'autre se tait, le juge peut nommer alors des arbitres sans liens familiaux avec les poux38Ibid., p. 345

Ces rgles sont d'ordre public39Ibid., p. 330

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Une dcision jordanienne, se basant sur l'article 80 du statut des fonctionnaires, dit que ceux-ci ne peuvent pas tre nomms comme arbitres40Hamzah, vol. I, op. cit., p. 59

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Le Ymen du sud parle du comit populaire au lieu d'arbitres choisis dans la famille des deux conjoints (art. 25). L'union gnrale des femmes ymnite exige qu'elle puisse intervenir dans la procdure de conciliation en lieu et place de ce comit41Watha'iq an-nadwah al-qanuniyyah, 10-12 oct. 1977, Wazarat al-'adl wal-awqaf, Aden, p. 81.

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Le projet de la Ligue arabe prcise que les deux arbitres doivent tre parmi les membres de la famille des poux, ou sinon parmi les personnes connues pour leur force de persuasion conciliatrice (art. 104). Aucune autre prcision n'est donne sur ces arbitres.

6) Tche des deux arbitres

A) Droit classique

Les deux arbitres devraient procder la conciliation des deux conjoints. Les commentateurs pensent que le pronom "ils" dans l'expression si ils veulent, les deux, la conciliation (in yurida islahan), Dieu rtablira l'entente entre eux deux se rfre aux deux arbitres en question. Ceci signifie que si les deux arbitres ne parviennent pas concilier les deux poux, c'est en raison de leur mauvaise intention initiale. La plupart des traducteurs renvoient le pronom "ils" aux deux conjoints.

Les arbitres doivent rechercher les causes de la discorde pour les concilier les deux conjoints et, le cas chant, tablir la responsabilit dans l'chec du mariage42Ad-Duri, op. cit., pp. 403-414.

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Quel est le pouvoir de ces arbitres? Ont-ils, par exemple, le pouvoir de dcider la dissolution du mariage? La plupart des juristes rpondent par l'affirmative en raison du sens du terme hakam, utilis par le Coran pour dsigner les arbitres en question. Leur dcision est valable mme sans l'accord des deux conjoints. D'autres, par contre, pensent qu'ils ne peuvent prendre une telle dcision qu'avec l'accord des poux; ils sont dans ce cas des mandataires des deux poux, ces derniers tant les seuls pouvoir disposer du droit de rpudier (droit reconnu l'homme) ou de racheter la libert (droit de la femme). Si les deux poux refusent de mandater les arbitres pour prononcer la dissolution du mariage, l'autorit recourt alors aux arbitres comme des tmoins et prononce la sentence qu'elle juge quitable. D'autres, enfin, pensent que les deux arbitres fonctionnent dans tous les cas comme des tmoins envoys par l'autorit pour qu'ils lui rapportent ce qu'ils ont constat43Ibid., pp. 451-515

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B) Lgislations arabes

Les lois et le projets arabes ne prcisent pas toujours les tches des arbitres. Pour les lacunes, il faut recourir au droit classique. Ci-aprs, nous donnons les lments les plus importants trouvs dans les diffrents lgislations analyses:

- Prter serment: Les arbitres doivent prter un serment de remplir leur mission dans un souci de justice et d'honntet44Code gyptien, art. 8; code syrien, art. 112 chiffre 3; code libyen, art. 37b.

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- Prendre connaissance du diffrend qui oppose les conjoints. Les codes arabes utilisent diffrentes formules: prendre connaissance exacte des causes du litige entre les poux45Code gyptien, art. 9, code marocain, art. 56 chiffre 3;

; tudier la situation46Code tunisien, art. 25.

; rechercher les causes du dsaccord et du conflit entre les deux poux, auprs d'eux, de leurs voisins ou de toute personne qu'ils jugent utile dans leur recherche47Code jordanien, art. 132 d.

; se renseigner sur les causes du diffrend entre les poux et les runir par la suite dans un mme conseil patronn par le juge, conseil auquel n'assisteront que les poux et les personnes appeles par les arbitres48Code syrien, art. 113; code libanais, art. 339-340.

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Selon la jurisprudence syrienne, les arbitres ne peuvent se satisfaire des conclusions des conjoints et accepter leurs accords pralables. Il leur faut suivre la procdure qui est prvue pour la conciliation par la loi, sous peine de cassation49Adib Al-Istanbouli: Al-murshid fi qanun al-ahwal ash-shakhsiyyah, 1985, vol. I, p. 496-497

. On ne tiendra pas compte du rapport des arbitres qui serait prsent le mme jour de la runion du conseil de famille; ceci est jug expditif. De mme, il faut que les parties aient le temps de discuter ce rapport; un jugement rendu pendant la sance de la remise du rapport sans possibilit de discussion des parties serait attaquable en cassation. Les arbitres ne peuvent pas tablir leur rapport seulement sur leurs connaissances prcdentes sans faire un effort de conciliation. Dans ce cas le tribunal doit mettre fin leur mission. Une seul runion avec les poux ne suffit pas50Shumayri, op. cit., p. 387-391

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- S'efforcer concilier: Les arbitres doivent concilier les poux51Code algrien, art. 56; code du Ymen du Nord, art. 52.

; s'efforcer d'aboutir une conciliation par tous les moyens possibles52Code gyptien, art. 9; code marocain, art. 56 chiffre 3; code kuwaitien, art. 129; code syrien, art. 114,

ou dans la mesure du possible53Code tunisien, art. 9. Le code jordanien, art. 132 d, dit que si les arbitres voient une possibilit de mettre d'accord les conjoints et de les concilier par une voie acceptable, ils le dcident. Selon une dcision jordanienne, les arbitres n'ont pas la comptence de rgler un conflit qui toucherait le montant du douaire. Ceci relve du tribunal seulement (Cour d'appel musulman, 21 sept. 1986, in Hamzah, op. cit., vol. 2, dar al-furqan, Zarqa', 1984, p. 90)

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- S'ils ne peuvent concilier, les arbitres doivent dterminer les torts des conjoints et proposer les mesures pcuniaires prendre l'encontre du conjoint fautif54Code gyptien, art. 10, code kuwaitien, art. 130; code syrien, art. 114; code jordanien, art. 132, code libanais, art. 343.

, ou simplement indiquer la partie responsable au juge55Code irakien, art. 41 chiffre 3.

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- En cas de divergence entre les deux arbitres, le juge devrait nommer un troisime arbitre prpondrant asserment et suivre l'opinion de la majorit; au cas o les trois arbitres arrivent des opinions divergentes, il continue la procdure normale sans leur concours56Code gyptien, art. 11; code kuwaitien, art. 131-132; code irakien, art. 40 al. 3; code libyen, art. 11;

. Selon d'autres, le juge a le choix entre nommer deux nouveaux arbitres ou adjoindre aux deux premiers un troisime57Code jordanien, art. 132 h; code syrien, art. 114 chiffre 4; code libanais, art. 345.

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- Les arbitres doivent soumettre au tribunal un rapport. Pour l'Egypte, ce rapport doit tre assorti des motifs de leurs dcisions (art. 11). Pour le Maroc, le rapport ne doit tre prsent qu'en cas d'chec de la conciliation; rien n'est dit des motivations (art. 56). Pour la Syrie, le rapport des arbitres ne doit pas tre (ncessairement) motiv (art. 115), cela afin que les arbitres puissent garder le silence sur ce qu'ils auraient entendu et qui pourrait nuire aux enfants et l'honneur de la famille. Selon la jurisprudence syrienne, le tribunal ne doit pas se mler des raisons de conviction des arbitres. Les deux autorits sont spares. Le tribunal, mme de cassation, ne peut contrler cet lment. Les arbitres ne sont pas tenus d'tayer leur rapport puisque la loi les a dispenss58Shumayri, op. cit., p.379-380

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- Dlai du rapport: L'Egypte prescrit la prsentation du rapport des arbitres dans les six mois; ils peuvent tre prolongs de trois mois supplmentaires une seule fois; s'ils ne prsentent pas leur rapport dans le dlai imparti, le tribunal continuera la procdure sans leur concours (art. 8 et 11). L'Algrie parle de deux mois (art. 56). Aucun dlai cependant n'est fix par les codes de la Tunisie, du Maroc, du Kuwait, de la Jordanie, de la Syrie, du Liban, des deux Ymens et de l'Iraq.

- L'Egypte, la Tunisie et l'Algrie ne disent pas quelle est la valeur du rapport des arbitres59L'ancienne version de l'article 11 du dcret gyptien no 25 du 10 mars 1929 prcisait que que le juge rendra son jugement conformment la dcision des arbitres.

. Le Maroc dit qu'en cas d'chec de conciliation de la part des arbitres, le juge sera saisi pour examiner le litige la lumire du rapport des deux arbitres (art. 56). Pour le Kuwait (art. 131) et la Jordanie (art. 132), le juge rendra son jugement en conformit avec la dcision des arbitres. Pour la Syrie, le juge est tenu de rendre sa sentence conformment ce rapport ou le rejeter en dsignant dans ce cas deux autres arbitres pour la dernire fois (art. 115).

Le projet de la Ligue arabe ne fait pas mention du serment des arbitres60Dans l'article 109 de l'avant projet, qui correspond l'article 104 du projet, il tait fait mention d'assermenter les deux arbitres de remplir leur mission avec quit et d'une manire srieuse (bi-'adl wa-amanah). Le mmoire explicatif ajoute que sans ce serment, l'opration d'arbitrage serait nulle. Il prcise que les arbitres ne doivent ni se presser ni avoir trop de retard

..Ces arbitres "rechercheront les causes de la dissension existant entre les deux poux et s'efforceront de les ramener de meilleurs sentiments en de les concilier". Ils disposent d'un dlai fix par le juge. S'ils ne peuvent pas concilier, ils tablissent dans leur rapport "le degr de prjudice subi par l'un ou l'autre des deux poux". En cas de divergence entre les deux arbitres, "le juge aura la facult soit d'en dsigner d'autres, soit d'adjoindre un troisime aux deux premiers". Rien n'est dit si le rapport des arbitres devrait tre motiv; le projet parle seulement d'un rapport indiquant les efforts dploys par les arbitres, leurs propositions et le degr de prjudice par un poux. Le juge peut accepter le rapport des arbitres ou le rejeter pour dsigner deux autres arbitres. En cas d'impossibilit de conciliation, il prononce le divorce sur la base des conclusions du rapport des arbitres (art. 104-108).

7) Dmission des arbitres

A) Droit classique

Ceux qui soutiennent que les arbitres sont des mandataires des poux, appliquent les rgles du mandat sur la dmission. Les poux peuvent, selon eux, les dmettre et les deux arbitres ont le droit de renoncer leur fonction. Ceux qui considrent les arbitres comme dsigns par l'autorits, ne permettent qu' l'autorit de les dmettre. Certains prcisent que la dmission des arbitres par la volont des deux poux n'est possible que si ces derniers le dcident de commun accord61Ad-Duri, op.cit., pp. 526-530.

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B) Lgislations arabes

Rien n'est dit dans ce domaine dans les lois arabes et le projet de la Ligue arabe. Il faut donc revenir au droit classique.

Selon une dcision jordanienne, il n'est pas permis de dmettre les arbitres nomms par le tribunal sur plainte d'un conjoint sans la prsence de l'autre conjoint62Hamzah, vol. I, op. cit., p. 58

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Partie II. la conciliation traditionnelle

La conciliation en matire de divorce dont nous venons de parler est base sur le Coran. Il existe cependant une autre conciliation qui se pratique et se base sur une procdure traditionnelle, sans rfrence au Coran ou mme en contradiction avec lui63Dans un colloque organise en 1989 l'Universit jordanienne et du Centre culturel islamique Amman, les participants ont recommand en premier lieu la mise par crit des coutumes tribales et de les rendre conformes au droit musulman pour qu'elles soient capables de s'adapter au dveloppement socio-conomique (Nadwat al-'urf al-'asha'iri bayn ash-shari'ah wal-qanun, Amman, 1990, p. 506).

. A titre d'exemple, le Coran fixe le prix du sang de la femme la moiti du prix du sang de l'homme, alors que la justice bdouine la fixe au quadruple de celui-ci.

Cette conciliation, dite sulh (ou sulhah), est encore utilis pour dsigner la voie visant rgler des conflits entre des familles tant nomades que sdentaires comme alternative la procdure judiciaire. Elle est parfois le seul moyen possible pour pacifier des groupes humains. Un proverbe arabe dit que "La conciliation est le matre des jugements" (as-sulh sayyid al-ahkam). Un autre proverbe ajoute que la conciliation gurit les blessures (as-sulh yimhi al-gurh).

Chapitre I. Meurtre chez les bdouins de Jordanie

Jusqu' 1976, la Jordanie admettait l'existence de deux justices distinctes: tatique (appele justice civile) administre par les tribunaux sur la base des lois tatiques, et bdouine, administre par des qadis/juges bdouins sur la base de leurs coutumes. A l'intrieur de la justice bdouine, il tait aussi possible de recourir la procdure de conciliation, toujours selon les coutumes bdouines. Cette procdure vient donc doubler la justice bdouine.

En 1976, la Jordanie a supprim la justice bdouine, donnant ainsi aux tribunaux tatiques une comptence exclusive et gnrale. Malgr cela, la procdure de conciliation continue tre en vigueur parmi les bdouins. Nous nous limitons donc ici la procdure de conciliation, laissant de ct le systme judiciaire bdouin64Nous nous basons ici sur les crits suivants:- 'Abd-al-Hadi As-Suwaydi: As-Sulh fi al-qada' al-'asha'iri, in Dirasat, Universit jordanienne, Amman, vol. 17A, no 4, 1990, pp.249-271.- Muhammad Abu-Hassan: Turath al-baduw al-qada'i, Manshurat da'irat ath-thaqafah wal-funun, Amman, 2me dition 1987.- Nadwat al-'urf al-'asha'iri bayn ash-shari'ah wal-qanun, op. cit.- Muhammad Hassan Abu-Hammad Ghayth: Qada' al-'asha'ir fi daw' ash-shar' al-islami, 2me dition, Moderne Arab Press, Jrusalem, 1990.- Ahmad 'Uwaydi Al-'Abbadi: Al-qada' 'ind al-'asha'ir al-urduniyyah, Dar al-Bashir et Dar Al-'Abbadi, Amman, 1988;- Ahmad 'Uwaydi Al-'Abbadi: Gara'im al-ginayat al-kubra 'ind al-'asha'ir al-urduniyyah, Ad-dar al-'arabiyyah lit-tawzi' wan-nashr, Amman, 1986;

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La conciliation peut avoir pour objet tous les domaines de droit civil ou de droit pnal l'exception du vol et de l'escroquerie, dlits soumis avant 1976 aux qadis tribaux, et par la suite aux tribunaux tatiques. Voyons ici comment on procde dans la conciliation entre deux tribus dans un dlit comme le meurtre.

I. Les conciliateurs

Si quelqu'un cause la mort d'une personne d'une autre tribu, sa tribu contacte des notables les priant d'intervenir pour rgler le problme avec la tribu de la victime. L'Etat parfois s'associe de telles dmarches et prpare le terrain pour la conciliation afin d'tablir la paix et la scurit. Les notables chargs de la conciliation portent le nom de Gahah, et que nous traduirons sinplement par conciliateurs. Les bdouins disent d'eux qu'ils sont les "porteurs des fautes" (al-gahah hammalat adh-dhunub): ils portent sur eux les fautes du coupables et reconnaissent les droits de la tribu lse.

Les conciliateurs essaient de rencontrer le chef de la tribu dde la victime, par exemple en prennent part la crmonie d'enterrement et de condolances.

II. Mesures provisoires

La premire mesure que prendront les conciliateurs est de ngocier avec le chef de la tribu de la victime une armistice ('utwah) en faveur de l'autre tribu pour viter la vengeance. Parfois elle est accorde contre le paiement d'une compensation financire la tribu lse65Cette compensation est appele 'uluq al-'ani, firash al-'utwah ou badal al-'utwah. Elle est ensuite dduite du montant de ddommagement que devrait payer le coupable en cas d'accord de conciliation.

. Sa dure peut varier de 3 jours et un tiers plusieurs mois. On distingue diffrentes sortes d'armistice selon son objectif: armistice du bouillonnement du sang ('utwat fawrat ad-dam) pour permettre aux esprits de se calmer en cas de meurtre; armistice du droit ('utwat haq) pour dterminer le coupable; armistice d'honneur ('utwat sharaf) obtenue aprs atteinte l'honneur tout en assurant la sauvegarde de l'honneur de la victime et de sa tribu; armistice de vivant/mort ('utwat hay mayyit) obtenue au cas o la victime est entre la vie et la mort; armistice dilatoire ou d'approche ('utwat imhal aw iqbal) permettant au coupable et sa tribu de prendre leurs dispositions ou d'avoir le temps d'aller vers la conciliation; armistice complte ou partielle ('utwah tammah aw naqissah) couvrant tous les membres de la tribu ou excluant le coupable en cas de crime trs grave. Pour obtenir cette armistice, les conciliateurs et parfois des reprsentants de l'Etat vont dans la maison de la victime; les notables de la tribu lse les reoivent avec les honneurs et leur offre le caf. Les intermdiaires refusent alors de boire le caf avant d'avoir l'engagement que leur demande sera exauce. Ils discutent alors ensemble de la dure de l'armistice et des garants. Un document est alors dress, sign par les deux parties et par des tmoins.

Pendant ce temps, le coupable et sa tribu recherchent une protection (dakhalah), souvent auprs d'une autre tribu, en allant dans la maison d'un notable. Cette protection dure tant que dure le conflit et sa ralisation engage l'honneur du notable protecteur. Le notable ne saurait sans se dshonorer refuser une telle protection quelqu'un qui la lui demande dans sa maison. C'est une question d'honneur. Dans certaines tribus, cette protection est accorde contre une compensation qui varie selon l'importance du dlit.

Une autre mesure, est l'expatriation (gala'): les conciliateurs peuvent conseiller, voire faire pression sur le coupable et les membres de sa tribu jusqu'au cinquime anctre de quitter leur rgion au cas ils ne l'ont pas fait spontanment. La dure de cette expatriation varie selon la gravit du crime, entre 7 ans, un demi sicle ou toute la vie.

III. Rituel de la conciliation

Une fois, les mesures provisoires prises, les conciliateurs se dirigent vers le lieu de campement de la tribu lse. Ils sont reus avec les honneurs par les notables de cette dernire; ensemble ils prennent place dans une maison dsigne pour la conciliation (bayt as-sulh). Le caf est servi aux conciliateurs, mais ceux-ci refusent de la boire, en mettant la tasse devant eux. Les discussions alors commencent entre les notables de la tribu lse et les conciliateurs sur des cas similaires qui avaient abouti la conciliation. Le chef de tribu lse invite alors les conciliateurs boire le caf en promettant de ne pas les dcevoir dans leur demande. La crmonie du caf que nous avons vu aussi plus haut joue un rle important. Il est trs mal vu que les invits partent sans avoir bu leur caf. Le bdouin dit: "Celui dont le caf n'est pas bu ne saurait marier sa fille". Ceci signifie qu'il s'est dshonor et personne ne voudrait prendre la fille d'un homme dshonor66Cette crmonie du caf intervient aussi dans le mariage dans la socit paysanne palestinienne. Lorsqu'un homme veut se marier, il se fait accompagner par les notables de sa famille chez la famille de la fille. Le caf leur est servi, mais les notables du futur mari refuseront de boire le caf si leur demande n'est pas exauce.

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Signalons ce niveau que la conciliation se fait avec l'accord des deux parties. Le bdouin aime savoir son d et son devoir; il souhaite rapidement mettre fin aux litiges. Un tel accord de conciliation est donc facile obtenir. D'autre part, la dcision de procder par conciliation ne saurait tre prise par le coupable ou un autre individu indpendamment de sa tribu puisque tous les membres de la tribu sont concerns.

Aprs avoir bu le caf, on nomme un garant de l'excution des accords de la part de la tribu du coupable (kafil wafa'), et un garant pour la sauvegarde des droits de la victime (kafil dafa'). Avant de conclure la paix, il faut avoir la garantie que la dcision soit excute par la suite.

Une fois nomms ces deux garants, le chef de la tribu lse prsente alors ses revendications, souvent trs exagres. Les conciliateurs les acceptent immdiatement et commencent ngocier leur rduction un niveau raisonnable: une rduction en l'honneur de Dieu et du Prophte Mahomet, une autre en l'honneur des autres prophtes et saints, une troisime pour le roi et le gouverneur, une quatrime en l'honneur de la maison des conciliateurs, etc. L'accord atteint, un des conciliateurs met un drapeau blanc (ghaz ar-rayah) au dessus de la maison de conciliation en signe de l'ouverture d'une nouvelle page et de nouvelles relations pacifiques. Une formule de louange de circonstance l'gard de la tribu lse est prononce par les conciliateurs suivie d'une rplique convenue. Cette opration est appele "le blanchiment du visage" (tabyid al-wagh).

A ce stade, la tribu du coupable n'est pas prsente dans la maison de conciliation, mais attend dans un lieu convenu. Une fois les conciliateurs parvenus un accord avec la tribu lse, le garant d'excution cherche le coupable et les membres de sa tribu et les fait entrer dans la maison de conciliation en mettant le cordon dont ils se ceignent la tte ('iqal) autour du cou en signe de soumission et d'acceptation des revendications de la tribu lse67Ce geste se retrouve dans la socit paysanne palestinienne. Lorsqu'un chauffeur crase un enfant, il quitte immdiatement sa voiture, met le cordon dont il se ceigne la tte autour du cou et court la maison d'un notable pour demander sa protection. Mme si le notable est l'oncle de l'enfant, il est tenu de protger le chauffeur. C'est le seul moyen pour qu'il vite le lynchage.

, parfois en se mettant genou devant le chef de cette tribu. Dans certains cas, le coupable remet la tribu de la victime son arme en demandant de se venger sur lui, et la tribu accorde le pardon en faisant preuve de gnrosit son gard.

La paix obtenue, tous les prsents se dirigent vers la maison des conciliateurs pour prendre le repas. Parfois, le repas est prpar dans la maison de la victime.

IV. Sanctions adoptes lors de la conciliation

L'accord de conciliation peut comporter diffrentes sanctions, dont les suivantes:

- Le paiement du prix du sang, parfois trs lev, ou d'un ddommagement, pays la tribu lse par le coupable et les membres de sa tribu jusqu'au cinquime anctre. La distribution du prix du sang se fait de la mme manire, jusqu'au cinquime anctre de la victime.- Attribution d'une fille, avec ses habits et sa parure, en mariage un membre de la tribu lse, sans paiement de douaire de la part du mari. Cette sanction, appele al-ghurrah, s'applique en cas de meurtre et remplace le prix du sang. La fille reste dans la tribu lse jusqu' ce qu'elle engendre un enfant. Si cet enfant est jug par le chef de la tribu lse comme suffisant pour remplacer la victime, la femme peut choisir entre rester auprs de son mari ou revenir dans sa tribu. Si elle choisit de rester, le mari doit faire un mariage en ordre et payer le douaire. Cette procdure a t expressment interdite par la loi jordanienne.- Application de la loi du talion.- Le pardon pur et simple de la part de la tribu lse en signe de gnrosit. - Le rachat: Le coupable s'engage venir en aide la tribu lse en cas de guerre ou de difficult matrielle.

Signalons ici que les tribus appliquent souvent la rgle de la rciprocit dans les rapports humains. Si la tribu demanderesse se montre svre, on s'en souvient lorsqu'elle est mise en cause dans un cas.. Il en est de mme de la gnrosit ou d'autres gestes sociaux, comme la protection d'une fille attaque. Gnration aprs gnration, la tribu de la fille protge gardera une gratitude l'gard de la tribu du protecteur et considrera comme de son devoir de rendre le bien pour le bien. Le bdouin dit: "Toute chose est crance et dette, mme les larmes des yeux"; "Celui qui tend un matelas , s'y asseoit>.

L'accord de conciliation peut s'tendre tous les membres de la tribu du coupable, prsents et absents, grands et petits, y compris les foetus dans les ventres de leurs mres, selon l'expression bdouine. Il peut cependant exclure le coupable, la tribu de ce dernier acceptant qu'il soit objet de vengeance de la part de la tribu lse; C'est une opration de rejet du coupable (tashmis). L'accord peut aussi assurer la protection au coupable condition qu'il abandonne sa tribu et s'expatrie.

V. Non-respect de la dcision de conciliation

Si la partie coupable n'excute pas les engagements pris lors de la conciliation, la partie lse ne peut pas mettre en question unilatralement l'accord de conciliation. Elle doit respecter une certaine procdure prvue cet effet:

La partie lse s'adresse au garant d'excution (kafil al-wafa') pour qu'il exerce une pression contre l'autre partie en vue du respect de ses engagements. Si rien n'est fait, alors elle s'adresse au garant de protection (kafil ad-dafa'). Ce garant doit forcer le coupable s'excuter, payer lui-mme les obligations du coupables ou, enfin, dclarer publiquement qu'il retire sa protection au coupable. Dans ce dernier cas, la partie lse a le droit de se faire justice par le moyen qu'il juge appropri, le cas chant par la vengeance.

Chapitre II. Affrontement entre deux clans en Cis-Jordanie

Le systme de conciliation chez les bdouins de Jordanie se retrouve aussi chez les sdentaires, notamment dans les campagnes. Nous donnons ici un cas concret de conciliation dans ce dernier milieu68Ce cas nous a t cont par le cur en question. Il a aussi fait l'objet d'une publication dans une revue dont nous n'avons pas le titre.

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En 1977, un affrontement entre deux clans musulmans d'un village de Cis-Jordanie a dgnr en bataille range avec jets de pierre de part et d'autre.

Au plus fort de la dispute, les notables du village ont envoy une dlgation au cur catholique d'un village chrtien voisin, le suppliant d'intervenir pour sparer les deux groupes. Aussitt, avec six chrtiens, le cur s'est rendu sur place. Il est all d'un clan l'autre pour qu'ils fassent la paix. Ce fut impossible. Ils taient trop excits, d'autant plus qu'il y avait eu un mort et plusieurs blesss.

Proccup, le cur catholique est all consulter un notable musulman trs respect dans la rgion qui habite un autre village. Il tait dj au courant de l'incident, comme l'taient d'ailleurs tous les villages 50 kilomtres la ronde.

Le conseil du notable fut catgorique: "Dans un cas semblable, il faut user de la mthode forte. Vous tes jeune et fort. Le premier qui refuse de faire la paix, empoignez-le au cou et couchez-le terre. Pas un second refusera de faire la paix. N'ayez pas peur. Allah est avec vous".

Le lendemain, le cur est retourn au village du conflit avec un groupe de chrtiens. Il a runi les gens chez un notable. Il essaya de les convaincre de faire la paix. Ils sont rests silencieux. Finalement l'un, qui lui paraissait une forte tte, lui rpliqua qu'il n'y aurait pas la paix. Il n'avait pas fini de parler que le cur s'est approch de lui, l'a empoign la gorge et l'a pris partie en criant. Aussitt tous se sont levs pour le calmer et l'assurer qu'ils taient disposs faire la paix. Dix minutes aprs, tout tait arrang et ils sont alls la mosque pour sceller la paix. L, il a improvis une homlie, base sur l'Evangile et le Coran, et il a exig que les deux groupes s'embrassent. Ce qu'ils ont fait.

Quelques jours aprs, la famille du mort acceptait la paix conclue dans la mosque, mais elle exigeait le prix du sang selon la coutume orientale. Le cur est retourn au village du conflit pour persuader le clan responsable de la mort de payer ce prix. Il fut impossible de la dcider rembourser un centime. Dans cette impasse, il lui est venu une ide et il leur a dit: "Le prix du sang, ce sont les chrtiens de mon village qui vont le payer". Avec l'accord des notables de ce dernier village, une collecte a t effectue et a rapidement runi la somme exige par la famille de la victime.

Ce cas montre qu'il n'est pas toujours ncessaire d'avoir recours un conciliateur du groupe religieux des parties en conflits. Parfois, la neutralit du conciliateur est un avantage. Le conciliateur cependant ne saurait perdre de vue les rgles rituelles et les coutumes pour parvenir ses fins.

Chapitre III. Considrants de la procdure de conciliation

Nous avons dit plus haut que la Jordanie a supprim la justice bdouine et sa loi. Dsormais les justiciables, qu'ils soient bdouins ou non, doivent se rendre devant la justice tatique pour se voir appliquer la loi tatique. Malgr cela, la conciliation, affirment les auteurs jordaniens, continue fonctionner, en milieu bdouin comme ailleurs. Bien plus, ces auteurs rclament que l'Etat modifie sa lgislation reue de l'Occident pour l'adapter aux coutumes bdouines en tant qu'expression des valeurs morales arabes. Ces auteurs se plaignent notamment des relchements des moeurs dcoulant, d'aprs eux, de l'adoption de lois trangres la socit arabe. Voyons ici certains lments pris en considration par la justice bdouine, qu'elle soit applique par les juges bdouins ou par des conciliateurs.

I. Indpendance du bdouin

Le bdouin considre toute autorit en dehors de sa tribu comme une atteinte sa libert. Il rejette donc la justice tatique avec ses lois inconnues (souvent emportes d'Occident), ses tribunaux, ses procureurs, ses policiers, ses menottes, ses prisons. Cette rpugnance est d'autant plus forte chez le bdouin qu'il avait t souvent perscut par l'autorit politique travers les sicles. Le mot mahkamah/tribunal a t vacu du langage de la justice bdouine et il a t associ l'oeuvre du diable. Le bdouin dit: "Le serviteur n'est jug que par son Seigneur (Dieu)". Il dit aussi: "Les tribunaux tatiques ne gurissent pas le malade et ne dsaltrent pas l'assoiff". Le fait que le bdouin se prsente devant un tribunal tatique est considr comme un dshonneur. La justice bdouine, elle, se passe avec des juges et des conciliateurs bdouins, dans le lieu o on reoit normalement les invits, autour d'une tasse de caf, sans rapport hirarchique, avec un langage, des formules et des normes consacrs par les coutumes ancestrales et accepts par tout un chacun. Le bdouin dit: "Nous suivons , nous ne faisons pas de lois". La discussion entre les justiciables et le qadi ou le conciliateur bdouin est empreint de familiarit, signe de l'galit revendique par le bdouin, chose qu'il ne trouve pas dans les tribunaux o le juge reprsente l'autorit et le pouvoir.

II. Charisme du juge bdouin et des conciliateurs

Les personne qui rendent la justice chez les bdouins sont dots d'un certain charisme en raison de leurs qualits personnelles. Ce sont des notables respects et connus pour leur grandeur d'me. Ceci diffre de la justice civile applique par des personnes inconnues par les parties, parfois jeunes, remplissant leur rle en vritables fonctionnaires. Ainsi, la justice tatique n'inspire pas la confiance chez le bdouin.

III. Solidarit collective

Le bdouin appartient une tribu qui compte sur la solidarit de ses membres pour son existence. Toute atteinte l'un d'eux est une atteinte tous. Si un membre refuse cette solidarit envers un autre membre de la tribu, il perd alors automatiquement la possibilit d'en bnficier en cas de difficults personnelles. Le bdouin dit: "Ce que tu offres tu le retrouves". La justice bdouine tient compte de cet lment. Le dlit retombe sur l'ensemble de la tribu du coupable. Le bdouin dit: "La bte galeuse est badigeonne par ses propritaires". De ce fait, le coupable n'est jamais seul devant le qadi ou du conciliateur; en cas de meurtre, le prix du sang est support non seulement par le coupable, mais aussi par les membres mles de sa tribu jusqu'au 5me anctre; sa distribution est distribue de la mme manire. Dans la justice tatique, la responsabilit est individuelle; on ne tient compte que du coupable et de la victime, et rarement de leur tribus respectives, ce qui donne lieu des vengeances ultrieures.

IV. Honneur du bdouin

Le bdouin tient beaucoup son honneur et considre comme dlit trs grave les rapports illgitimes entre homme et femme. Le consentement de la victime, quel que soit son ge, n'est pas pris en considration. Si un acte est motiv par l'honneur, le coupable est anobli et n'est pas puni. L'Etat, au contraire, ne punit pas en cas de consentement dans les rapports sexuels, et ne tient pas compte des motifs des actes. Un autre cas dmontre le dcalage entre la justice bdouine et celle tatique: Certaines mots ou insinuations sont considrs comme des dlits chez les bdouins, alors que la justice civile les considre comme appartenant au langage commun sans gravit. Ainsi, aux yeux du bdouin, certains actes punissables restent impunis par l'Etat alors qu'il punit des actes qui ne devraient pas l'tre. Ainsi le bdouin assiste un renversement total des valeurs.

V. Sanctions

En ce qui concerne les sanctions, celles prvues par la justice bdouine diffrent de celles prvue par la justice tatique. Citons titre d'exemple celle qui consiste, en cas de diffamation, couvrir la tente du ls avec une toffe blanche, ou porter un drapeau blanc d'une tente l'autre de la tribu lse et des tribus voisines en rptant la formule: "Dieu blanchit le visage et l'honneur de telle personne". La non-prvision de cette sanction symbolique contre le coupable est considre par le bdouin ls comme un dni de justice. La prison ou l'arrestation judiciaire est par contre inconnue de la justice bdouine. Elle est particulirement rpugnante pour le bdouin: c'est un chtiment qui touche les enfants et la femme du bdouin en les laissant sans soutien, et ne satisfait pas la partie lse. D'autre part, le bdouin n'admet pas que son droit soit prescrit. Il dit: "Un droit rclam par son ayant droit n'est jamais teint". La vengeance, de ce fait, peut passer d'une gnration l'autre si le problme n'est pas rgl d'une manire satisfaisante. Ceci n'est pas le cas du droit tatique.

VI. Rapidit et gratuit

Le bdouin est un grand voyageur: aujourd'hui ici et demain ailleurs, sans grands moyens financiers. Il aime aussi savoir ses droits et ses torts assez rapidement et ne pas vivre toujours dans le doute et la crainte d'une vengeance. La justice bdouine est adapte cette situation: elle est rapide et presque gratuite. Un procs est souvent rgl en quelques jours, et rares sont ceux qui durent quelques semaines ou mois. Le bdouin dit des procs de la justice tatique: "Les tribunaux sont des aller-retours sans fin et des humiliations". Rien en commun donc avec les procs devant la justice tatique qui durent parfois des annes et cotent les yeux de la tte.

Conscients de ces problmes, certaines tribunaux tatiques, aprs avoir rendu leur sentence d'aprs leurs lois, exigent des bdouins de procder la conciliation. Sans une telle conciliation selon les normes bdouines, ils savent que la situation peut dgnrer en tout moment et la vengeance prend le dessus.

Conclusion

Dans cette tude nous avons vu la place qu'occupe la conciliation dans la socit arabe. Il y a avant tout la conciliation en matire de divorce prvue par le Coran, premire source crite du droit, et que les pays arabes ont d intgrer dans leurs lgislations. Nous avons vu comment partir d'un verset coranique, ces lgislations ont abouti des solutions diffrentes. Ceci prouve qu'il est toujours possible de flchir une loi religieuse qualifi d'immobile.

Il y a ensuite la conciliation telle que prescrite par la coutume, la source orale par excellence dans la socit arabe. Ce genre de rsolution des conflits a pu persister malgr la volont de l'Etat d'avoir un instrument judiciaire et juridiques crit et unifi pour grer la socit. Le maintien de cette conciliation traditionnelle prouve que l'Etat n'a pas su rpondre aux attentes de ses sujets.Annexes

Nous reproduisons ici les dispositions relatives la conciliation dans les lois des pays suivants: Algrie, Egypte, Jordanie, Maroc, Syrie, Tunisie, Ymen du Nord et Ymen du Nord et Ymen du Sud69J'ai traduit entirement les dispositions relatives la Jordanie, au Ymen du Nord et au Ymen du Sud, et partiellement les dispositions de la Syrie. Pour les autres lois et pour le projet de la Ligue des Etats arabes cits dans la premire partie de cette tude, voir:- Irak: art. 40-42 de la loi de 1959, modifie plusieurs reprises;- Kuwait: art. 126-135 du code de statut personnel promulgu par la loi no 51 de 1984;- Liban: art. 337-345 de la loi du 16 juillet 1962 portant adoption du projet relatif l'organisation des juridictions musulmanes, sunnites et ja'afarites. Ces dispositions ne s'appliquent qu' la communaut sunnite en vertu de l'article 346 de cette loi;- Libye: art. 35-39 de la loi no 10 de 1984 relative au mariage et au divorce;- Ligue des Etats arabes: art. 100-110 du Projet de code arabe unifi du statut personnel tabli par la Ligue arabe, adopt par le Conseil des Ministres arabes de la justice lors de sa sixime session par dcision no 105-56 du 4.4.1988. Texte arabe, franais et anglais dans Recueil de documents du Conseil, no 3, Janvier 1989;

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Annexes

Nous prsentons ici les dispositions relatives la conciliation en matire de divorce dans plusieurs pays arabes classs par ordre alphabtique ainsi que les dispositions compltes relatives au divorce dans le projet arabe unifi de statut personnel70J'ai traduit moi-mme les textes relatifs l'Irak, la Jordanie, au Kuwait, la Libye, au Ymen du Nord et au Ymen du Sud

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Algrie71Code de la famille du 9 juin 1984 (la loi no 84-11). Les dispositions relatives la conciliation dans ce code sont trs rduites par rapport aux lois prcdentes. Ainsi le dcret no 59.1082 du 17 sept. 1959 prvoyait ce sujet:

Art. 13 - En cas de demande de dissolution du mariage pour cause de consentement mutuel, les poux prsentent oralement requte conjointe au juge qui fixe la date et l'heure de leur comparution.Dans tous les autres cas, l'poux demandeur expose oralement sa requte au juge, ce dernier, aprs l'avoir entendu et lui avoir fait les observations qu'il croit convenables lui donne permission de citer en conciliation son conjoint pour la date et l'heure qu'il fixe.La citation doit, peine de nullit, tre notifie par huissier l'poux dfendeur trois jours au moins avant la date de comparution. Elle doit contenir, peine de nullit, les motifs de la requte, le jour et l'heure fixs pour la comparution et ventuellement l'autorisation de rsider sparment accorde l'poux demandeur.Au jour fix par le juge, celui-ci entend les deux poux hors la prsence de tout conseil et leur fait les reprsentations qu'il croit propres oprer un rapprochement.L'ensemble de cette procdure de conciliation ne doit pas excder un mois compter de la prsentation de la requte.Art. 14 - En cas de non-conciliation ou de dfaut de l'poux dfendeur, le juge constate cette non-conciliation ou le dfaut, et il convoque les parties pour tre statu au fond.Le juge peut, mme d'office, ordonner toutes mesures utiles d'instruction. En cas de demande de dissolution de mariage par consentement mutuel, ces mesures peuvent notamment porter sur la libert du consentement donn par chacun des poux.Le jugement sur le fond doit tre rendu une date qui n'excdera pas trois mois partir de la constatation de la non-conciliation ou du dfaut la conciliation.

Art. 49 - Le divorce ne peut tre tabli que par jugement prcd par une tentative de conciliation du juge, qui ne saurait excder un dlai de 3 mois.

Art. 55 - En cas d'abandon du domicile conjugal par l'un des deux poux, le juge accorde le divorce et le droit aux dommages et intrts la partie qui subit le prjudice.

Art. 56 - Si la msentente s'aggrave entre les deux poux et si le tort n'est pas tabli, deux arbitres doivent tre dsigns pour les rconcilier.Les deux arbitres, l'un choisi parmi les proches de l'poux et l'autre parmi ceux de l'pouse, sont dsigns par le juge charge pour lesdits arbitres de prsenter un rapport sur leur office dans un dlai de deux mois.

Egypte72Le divorce a t rgl par le dcret-loi no 25 de 1929, amend une premire fois par la loi 44 de 1979 avant que celle-ci soit dclare comme inconstitutionnelle le 4 mai 1985 par la Haute cour constitutionnelle gyptienne et remplace par la loi no 100 de 1985. Ici nous donnons la dernire version actuellement en vigueur

Art. 6 - Si l'pouse prtend que son mari a envers elle des torts tels qu'ils rendent impossible la vie commune entre personnes de leur condition, elle pourra demander au juge de prononcer le divorce. Le juge prononcera au profit de l'pouse un divorce irrvocable, lorsque ces torts sont tablis et qu'il n'a pu concilier les poux. Si, aprs rejet, la demande est renouvele et que les torts ne soient pas tablis, le juge dlguera deux arbitres et jugera de la manire prescrite par les articles 7, 8, 9,10 et 11 de la prsente loi.

Art. 7 - Les deux arbitres doivent tre deux personnes quitables choisies parmi les familles des deux conjoints, si possible, sinon parmi les personnes ayant connaissance de leur situation et tant mme de raliser une conciliation entre les parties.

Art. 8 - a) La dcision de nomination des arbitres devra comporter la date du dbut et de la fin prvues de leur mission, celles-ci ne devant pas dpasser six mois. Le tribunal avisera les arbitres et la partie adverse, il fera prter serment aux arbitres de remplir leur mission dans un souci de justice et d'honntet.b) Le tribunal pourra accorder aux arbitres un seul dlai supplmentaire ne dpassant pas trois mois. Si aucun rapport n'est prsent dans ce dlai, ce silence sera considr comme un refus.

Art. 9 - L'absence de l'un ou de l'autre poux aux sances du conseil d'arbitrage ne devra pas affecter leur droulement normal, du moment qu'ils en ont eu notification. Les arbitres prendront une connaissance exacte des causes du litige entre les poux et s'efforceront d'aboutir une conciliation par tous les moyens possibles.

Art. 10 - Au cas o les deux arbitres ne parviendraient pas un compromis:1- Si les torts sont du ct de l'poux, les arbitres peuvent proposer un divorce irrvocable sans que se trouvent alins les droits de l'pouse du fait du mariage et du divorce.2. Si les torts sont du ct de l'pouse, les arbitres peuvent proposer le divorce contre une juste indemnit qu'ils calculeront et dont l'pouse sera tenue de s'acquitter.3. Si les torts sont partags, ils peuvent proposer le divorce sans indemnit ou avec une indemnit proportionnelle au prjudice subi.4. Si la situation n'est pas claire et qu'on ne sait pas qui des deux a caus le tort, les arbitres peuvent suggrer le divorce sans indemnit.

Art. 11 - Les arbitres prsenteront leur rapport au tribunal assorti des motifs de leur dcision.S'ils ne parviennent pas un accord, ils seront assists par un tiers-arbitre expriment et habilit trouver un compromis, asserment suivant les dispositions de l'art. 8. S'ils ne parviennent pas un accord ou, s'ils ne prsentent pas leur rapport dans le dlai imparti, le tribunal continuera la procdure. Si le tribunal choue concilier les deux poux et parvient la conviction de l'impossibilit pour les poux de continuer la vie commune, et si l'pouse insiste pour obtenir le divorce, le tribunal prononce un divorce irrvocable entranant pour l'pouse la perte de tout ou partie de sa pension et l'obligera s'acquitter d'une juste indemnit si cela est justifi.

Art. 11 bis - Le mari doit fournir dans le contrat du mariage une dclaration crite prcisant son statut personnel. S'il est mari il doit mentionner le nom ou les noms de la ou des femmes avec qui il est li par mariage ainsi que leur domicile. Il appartient au notaire d'informer ces dernires du nouveau mariage, par lettre recommande avec accus de rception.L'pouse peut demander le divorce au cas o son mari s'est remari avec une autre, si elle a subi un prjudice matriel ou moral qui rend la vie entre les poux impossible, mme si elle n'a pas prcis dans son contrat qu'il ne devrait pas avoir d'autre pouse qu'elle.Si le juge n'arrive pas concilier les deux poux, il accorde le divorce irrvocable l'pouse. Le droit de l'pouse demander le divorce est forclos l'expiration d'un dlai d'un an compter du jour o elle a eu connaissance du mariage de son poux, mme si elle a exprim son accord manifeste. Le droit de l'pouse demander le divorce se renouvelle chaque fois que son poux se remarie.Au cas o la nouvelle pouse ignorait que son mari est dj mari et qu'elle vient l'apprendre, il lui appartient de demander le divorce.

Art. 11 bis 2 -Si l'pouse refuse de se soumettre son mari sans motif valable, la pension alimentaire cesse d'tre verse du jour de son refus.L'pouse sera considre comme insoumise sans motif valable si elle ne revient pas au domicile conjugal alors que son mari lui a enjoint de le faire par voie d'huissier; il doit indiquer le domicile dans sa dclaration.L'pouse a droit de faire opposition devant le juge de premire instance dans les trente jours suivants la date de la demande et doit indiquer dans sa requte les motifs juridiques sur lesquels elle se fonde pour refuser d'obir son poux; si elle ne le fait pas, sa requte sera rejete.Le paiement de la pension alimentaire est interrompue l'expiration du dlai prvu pour faire opposition, si elle ne se prsente pas dans ce dlai.En cas d'opposition ou la demande de l'un des deux poux, le tribunal doit intervenir pour mettre fin au litige et rtablir les liens conjugaux et une bonne entente entre les poux. S'il lui semble que le litige est grave et si l'pouse demande le divorce, le tribunal prendra les mesures d'arbitrage prvues par les articles 7 11 de cette loi.

Irak73La loi irakienne de 1959, modifie plusieurs reprises.

Art. 40 - Chacun des deux poux peut demander le divorce pour les raisons suivantes:1) Si l'un des deux poux cause un prjudice l'autre poux ou leurs enfants rendant impossible la vie conjugale. Est considre comme prjudice la dpendance l'alcool ou aux stupfiants, condition que la dpendance soit prouve par un rapport d'une commission mdicale officielle spcialise. Il en est de mme du jeu de hasard la maison conjugale.2) Si l'autre conjoint commet l'adultre. Est considr comme adultre, la pratique de la sodomie sous toutes ses formes.3) Si le contrat de mariage a t conclu avant que l'un des poux ait atteint l'ge de 18 ans sans l'accord du juge.4) Si le mariage a eu lieu en dehors du tribunal par voie de contrainte et a t consomm.5) Si le mari pouse une deuxime femme sans l'autorisation du tribunal; dans ce cas, la femme ne peut pas intenter une action en vertu de l'alina 1 du paragraphe 1 de l'article 3 de la loi sur la procdure pnale no 23 de 1971 en lieu et place de l'alina 6 de l'article 3 de cette dernire loi.

Art. 41 - 1) Chacun des deux conjoints peut demander le divorce en cas de dsaccord entre eux, avant ou aprs la consommation du mariage.2) Le tribunal doit effectuer une enqute pour dterminer les causes du dsaccord. S'il en est convaincu, elle nomme un arbitre de la famille de l'pouse, et un arbitre de la famille de l'poux - si possible - afin d'essayer de les concilier. Sinon, le tribunal charge les deux conjoints choisir deux arbitres. S'ils ne se mettent pas d'accord, le tribunal s'en charge.3) Les deux arbitres doivent s'efforcer concilier. S'ils chouent, ils le signalent au tribunal en lui indiquant la partie responsable. S'ils ne sont pas d'accord entre eux, le tribunal leur adjoint un troisime arbitre.4) a) Si le tribunal est convaincu de la poursuite du dsaccord entre les deux conjoints et choue les concilier, et que le mari refuse de rpudier sa femme, le tribunal les sparent.b) Si le divorce a lieu aprs la consommation, le dcompte restant du douaire tombe si la femme est responsable, qu'elle soit demanderesse ou dfenderesse. Si elle avait dj reu tout le douaire, elle est oblige en rendre au maximum la moiti. Si la responsabilit est imputable aux deux, le douaire restant est partag entre eux en proportion de leur responsabilit respective.c) Si le divorce se fait avant la consommation et que la responsabilit est imputable la femme, elle est oblige rendre le douaire reu.

Art. 42 - Si la demande de divorce pour une raison prvue l'article 40 a t rejete pour manque de preuve et que la dcision de rejet a acquis la force de la chose juge, et qu'une deuxime demande est introduite pour la mme raison, le tribunal doit procder l'arbitrage selon l'art. 41.

Jordanie74Code de statut personnel promulgu par la loi no 61 de 1976.

Art. 132 - En cas de litige et de discorde entre les deux conjoints, chacun d'eux peut demander le divorce s'il prtend qu'il subit un prjudice de la part de l'autre, par parole ou par acte, rendant impossible la vie conjugale.a) Si la femme demande le divorce et qu'elle prouve le prjudice, le juge doit faire un effort pour concilier les deux conjoints. S'il n'y parvient pas, il somme le mari de se concilier avec sa femme et remet le procs pour une dure d'un mois au moins. Si la conciliation n'a pas lieu entre les deux conjoints, il soumet l'affaire aux deux arbitres.b) Si le mari demande le divorce et qu'il prouve l'existence du litige et de la discorde, le juge doit faire un effort pour concil