Concevoir la conception

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Concevoir la conception Un levier pour renouveler les pratiques professionnelles D r Louis Toupin

description

La démarche de conception transforme de plus en plus la configuration de notre monde, privé et public. Elle révolutionne aussi les méthodes de travail, non seulement dans ses domaines traditionnels, artisanat et production d’objets, mais aussi dans des domaines nouveaux tels que la gestion, la formation, les systèmes d’informations, les services publics, l’écologie. La conception fait dorénavant partie intégrante du processus de réalisation de produits, de procédés, de services et de stratégies qui apportent des solutions significatives du point de vue des utilisateurs. Cet ouvrage s’intéresse au processus de conception et aux activités intellectuelles qui l’accompagnent. Il a pour point de départ l'analyse réflexive des pratiques professionnelles dans les divers domaines où l’on utilise, en totalité ou en partie, la démarche de conception.

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Concevoir la conception Un levier pour renouveler les pratiques professionnelles

Dr Louis Toupin

Page 2: Concevoir la conception

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Toupin, Louis, 1950-

Concevoir la conception : un levier pour renouveler les pratiques professionnelles

Publ. en collab. avec TheBookEdition.com.

Comprend des réf. bibliogr. et un index.

ISBN 978-2-9813434-0-6

1. Conception technique. I. Société Magitiel. II. Titre.

TA174.T682 2012 620'.0042 C2012-942015-8

Éditions : TheBookEdition.com 113 rue Barthélemy Delespaul 59021 Lille cedex France [email protected] Société Magitiel 32, rue Émile Laval (Québec), H7N 4K8 Canada [email protected] ISBN : 978-2-9813434-0-6 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2012 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2012 © Louis Toupin, 2012

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(...) Penser, rêver, concevoir de belles œuvres, est une occupation

délicieuse. C'est fumer des cigares enchantés, c'est mener la vie de

la courtisane occupée à sa fantaisie. L'œuvre apparaît alors dans la

grâce de l'enfance, dans la joie folle de la génération, avec les

couleurs embaumées de la fleur et les sucs rapides du fruit dégusté

par avance. Telle est la Conception et ses plaisirs.

Honoré de Balzac

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TABLE DES MATIÈRES

Page

Préface .......................................................................................................... 1

1. CHAPITRE 1 : PERTINENCE ET IMPORTANCE DE LA

CONCEPTION ...................................................................................... 2

1.1 Conception et système technique .............................................. 2

1.2 Conception et co-configuration ................................................... 6

1.3 Expansion du domaine de la conception .................................... 9

2. CHAPITRE 2 : CONCEPTION ET COMPÉTENCE ........................... 19

2.1 Champ et définition de la conception ....................................... 19

2.2 Compétence et éléments de la compétence ............................ 23

2.3 Processus de conception ......................................................... 27

2.4 Critères de performance de la conception ............................... 32

2.5 Contexte de réalisation de la compétence ............................... 36

3. CHAPITRE 3 : PROCESSUS DE CONCEPTION ............................. 38

3.1 Analyse des termes de la demande ......................................... 38

3.2 Observation, documentation et consultation ............................ 43

3.3 Développement du concept ..................................................... 51

3.4 Réalisation d'une projection du concept .................................. 56

3.5 Révision et adaptation du concept ........................................... 63

3.6 Réalisation du projet de conception ......................................... 71

3.7 Évaluation et suivi .................................................................... 73

4. CHAPITRE 4 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES

SOLLICITÉES PAR LA CONCEPTION ........................................... 82

4.1 Analyse des besoins pour des fins de conception .................... 87

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TABLE DES MATIÈRES

Page

4.2 Interprétation de l’information ................................................. 115

4.3 Développement des idées ...................................................... 132

4.4 Structuration du projet de conception ..................................... 150

4.5 Communication et conception ................................................ 169

4.6 Résolution de problèmes de conception ................................ 179

4.7 Évaluation de la conception ................................................... 185

Conclusion ................................................................................................ 195

Lexique...................................................................................................... 199

Sites Internet ............................................................................................. 209

Bibliographie et références ........................................................................ 211

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Conception traditionnelle et conception agile ......................... 5

Tableau 2 : Domaines d’application de la conception .............................. 13

Tableau 3 : Différents types de savoirs liés à la conception .................... 26

Tableau 4 : Processus de conception dans différents domaines

professionnels ...................................................................... 29

Tableau 5 : Comparaison entre deux processus de conception .............. 30

Tableau 6 : Activités de « gestion de l’amont flou » ................................. 31

Tableau 7 : Critères de performance de la conception ............................ 32

Tableau 8 : Quatre types d’apprentissage d’un système d’action............ 86

Tableau 9 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées

à l’analyse des besoins ......................................................... 89

Tableau 10 : Matrice d’analyse du travail d’équipe assisté

par ordinateur ....................................................................... 93

Tableau 11 : Pratiques professionnelles non réflexives ........................... 106

Tableau 12 : Pratiques professionnelles réflexives .................................. 108

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TABLE DES MATIÈRES

Page

Tableau 13 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées

à l’interprétation de l’information ......................................... 117

Tableau 14 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées au

développement des idées ................................................... 134

Tableau 15 : Diverses stratégies pour développer les idées ................... 135

Tableau 16 : Méthodes de formulation de nouvelles idées ...................... 139

Tableau 17 : Pensée analytique et pensée design .................................. 149

Tableau 18 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées à la

structuration du projet de conception .................................. 153

Tableau 19 : Approches et méthodes de conception ............................... 158

Tableau 20 : Gestion opérationnelle, tactique et stratégique

de la conception.................................................................. 159

Tableau 21 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées à la

communication ................................................................... 171

Tableau 22 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées à la résolution

de problèmes ...................................................................... 181

Tableau 23 : Connaissances, habiletés et attitudes reliées

à l’évaluation de la conception ............................................ 186

Tableau 24 : Avantages et inconvénients de l’évaluation experte

et des tests d’utilisabilité ..................................................... 188

LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Comparaison entre la démarche scientifique et la démarche

de conception ....................................................................... 15

Figure 2 : Représentation du traitement de l’information ...................... 46

Figure 3 : Cycle de conception d’un système interactif ......................... 76

Figure 4 : Système d’action dans un contexte de conception ............... 84

Figure 5 : Modèle en cascades ........................................................... 100

Figure 6 : Modèle itératif ..................................................................... 101

Page 7: Concevoir la conception

TABLE DES MATIÈRES

Page

Figure 7 : Modèle incrémental ............................................................ 102

Figure 8 : Modèle évolutif ................................................................... 103

Figure 9 : Pyramide des besoins de Maslow à l’heure du web 2.0 ..... 104

Figure 10 : Cycle de développement selon Engeström ........................ 115

Figure 11 : Quatre types de savoirs complémentaires .......................... 121

Figure 12 : Dynamique de production du savoir tacite .......................... 122

Figure 13 : Processus de transformation des données

en connaissances ............................................................... 125

LISTE DES ENCADRÉS

Encadré 1 : Petite histoire de la conception ............................................. 10

Encadré 2 : Flaminio Bertoni .................................................................... 42

Encadré 3 : Histoire de fromage .............................................................. 42

Encadré 4 : Exemples de pratiques collaboratives dans le domaine de la

conception ............................................................................ 48

Encadré 5 : Les communautés de pratiques ............................................ 49

Encadré 6 : Atari, un concept toujours actuel .......................................... 55

Encadré 7 : Linux, un concept ouvert ....................................................... 55

Encadré 8 : Histoire de maquette ............................................................. 61

Encadré 9 : Vue en fil de fer .................................................................... 62

Encadré 10 : La technique du portrait chinois ............................................ 66

Encadré 11 : Exemples d’erreurs à éviter dans la conception

de sites web .......................................................................... 69

Encadré 12 : Le pâtissier Pierre Hermé ..................................................... 72

Encadré 13 : La norme ISO 13407-1999 ................................................... 76

Encadré 14 : L’analyse des besoins informatique ...................................... 91

Encadré 15 : Un architecte de l’âme humaine ......................................... 110

Encadré 16 : La conception orientée objet (COO) ................................... 111

Page 8: Concevoir la conception

TABLE DES MATIÈRES

Page

Encadré 17 : Histoire du vélo BIXI ........................................................... 113

Encadré 18 : Co-configuration et services de santé ................................. 130

Encadré 19 : Une dynamique dialogique ................................................. 131

Encadré 20 : TRIZ .................................................................................... 145

Encadré 21 : La pensée design ............................................................... 147

Encadré 22 : Éco conception ................................................................... 162

Encadré 23 : La conception agile ............................................................. 163

Encadré 24: Conception d’ontologies ..................................................... 166

Encadré 25 : L’opéra de Pékin ................................................................. 168

Encadré 26 : Souffler le chaud et le froid ................................................. 177

Encadré 27 : Analyse réflexive des pratiques d’innovation ...................... 192

Encadré 28 : Concevoir sa mort ............................................................... 193

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1

PRÉSENTATION

La pensée technique n’est pas un sous-produit de la science. Elle a

existé de tout temps et, selon les époques, elle s’est structurée en

un système technique où domine une activité intégratrice.

Aujourd’hui, à l’ère de la co-configuration, cette activité intégratrice

s’appelle « conception ».

Ainsi, la démarche de conception transforme de plus en plus la

configuration des entreprises publiques et privées. Son domaine

d’application n’est plus confiné à l’habillage et à la stylisation des

produits. Elle permet dorénavant de réaliser des produits, des

procédés, des services, des stratégies qui apportent des solutions

significatives du point de vue des utilisateurs. Elle est au cœur de ce

que Deladalle appelle une « épistémologie de l’invention ».

Cet ouvrage s’intéresse au processus de conception et aux activités

intellectuelles qui l’accompagnent en tant que levier de

renouvellement des pratiques professionnelles. Il a pour point de

départ l'analyse réflexive des pratiques professionnelles dans les

divers domaines où l’on utilise cette démarche. Cette analyse permet

de mettre en relief les éléments constitutifs de la conception, son

contexte de réalisation, ses standards de réalisation et son

processus de travail-type. Cette démarche permet aussi d’identifier

les connaissances, les méthodes, les attitudes qui sont mobilisées

tout au long du processus de conception ainsi que les modes

d’apprentissage et de pensée qui la caractérisent, notamment

l’apprentissage expansif, l’abduction et la pensée intégrative.

Cette analyse réflexive de la conception permet d’entrevoir l’étendue

de son utilité sociale. Les méthodes et le mode d’appréhension de la

réalité de la conception sont porteurs de nouvelles priorités et de

nouvelle façon d’organiser le travail dans des domaines aussi

variées que la formation, la gestion, la production et la résolution des

problèmes sociaux du XXI siècle.

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2

Chapitre 1 : Pertinence et importance de la

conception

Le design est devenu l'outil le plus puissant avec lequel l'homme

forme ses outils et son environnement

Victor Papanek

La conception existe de toutes les époques. Qu’elle soit le fait d’un

ingénieur militaire chinois concevant pour son empereur de

nouvelles machines de guerre, d’un architecte de pyramide, d’un

peintre de la renaissance utilisant les nouvelles techniques de

perspective dans l’exécution d’un portrait ou encore d’un architecte

explorant de nouvelles solutions pour résoudre des problèmes de

portée et de poids, la conception accompagne l’humanité depuis ses

débuts. Elle possède même ses figures emblématiques, par

exemple, celle de Leonard De Vinci.

Ce qui met aujourd’hui la conception au-devant de la scène c’est

qu’elle est dorénavant au cœur de ce que l’historien des techniques

Bertrand Gille (1978) appelle le « système technique » de notre

époque.

1.1 Conception et système technique

L’expression « système technique » désigne un ensemble cohérent

de techniques principales et affluentes qui caractérisent une époque

et qui permettent de résoudre des problèmes de quantité, de

diversité et de coûts. Ainsi, selon Gille, le système technique du

début de l’ère industrielle repose sur l’intégration de techniques

telles que la machine à vapeur, la houille, le fer, le chemin de fer et

les industries textiles.

Page 11: Concevoir la conception

3

De plus, le murissement d’un système technique exige une mise en

cohérence avec un système social compatible, d’où, pour reprendre

l’exemple précédent, la concomitance du système technique du

début de l’ère industrielle avec le capitalisme naissant.

Ainsi, pour obtenir un système technique il ne suffit pas qu’une

technique soit disponible. Par exemple, les Grecs de l’Antiquité

disposaient déjà de la machine à vapeur, mais celle-ci ne s’est pas

intégrée au sein d’un système technique faute de techniques

affluentes (par exemple : la qualité du métal de l’époque n’aurait pas

permis la construction de machines pouvant résister à un usage

intensif) et d’un système social compatible (l’esclavagisme

fournissait alors une main d’œuvre abondante et peu dispendieuse).

De nos jours, il serait possible de faire les mêmes parallèles avec

l’influence positive du programme spatial des États-Unis sur

l’industrie nationale américaine alors que, du côté soviétique, cette

même influence n’a pas débordé le cercle élitaire de quelques

personnes et quelques villes.

Le système technique actuel est basé principalement sur le couple

électronique /informatique et, pour certains, sur le triptyque

électronique /informatique /biologie.

Ainsi, le couple électronique/informatique exprime la convergence

d’une foule d’inventions et d’innovations telles que les circuits

intégrés (Robert Noyce et Jack Kilby), les semi-conducteurs (Gordon

Moore de Intel), le web (Tim Berners-Lee), l’informatique domestique

(Steve Jobs de Apple, Don Estridge pour le PC d’IBM), les systèmes

d’exploitation (Bill Gates pour Windows, Linus Torvalds pour Linux),

les langages de programmation (Grace Murray Hopper pour le

Fortran et Cobol, Bill Joy pour Java, Alan Kay pour la programmation

par objet), les logiciels d’application (Charles Simonyi pour Word et

Excel, Dan Bricklin et Bob Frankston pour Visicalc), les moteurs de

recherche (Alan Emtage, Bill Heelan et Mike Parker, Larry Page et

Sergey Brin de Google, Udi Manber), la souris informatique (Doug

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4

Engelbart), les fenêtres et les barres de menu (Bill Atkinson), les

portails (Jerry Yang et David Filo pour Yahoo), le WI-FI (Vic Hayes).

Cette énumération, très incomplète, d’innovations et d’inventions

illustre le fait que le système technique actuel se développe grâce à

des techniques affluentes, catalysantes et convergentes qui se

supposent et se supportent mutuellement et permettent au système

technique d’atteindre sa pleine maturité.

Comme la thèse de Bertrand Gille le précise, le développement

complet d’un système technique doit aussi aller de pair avec son

intégration dans un système social compatible. Cette évolution

sociale engendrée par les possibilités du système technique

dominant est devenue, aujourd’hui, davantage perceptible. Ainsi, le

magazine Times a choisi comme personnalité de l’année 2006

« VOUS » afin de souligner le fait que l’évolution des sociétés

modernes passe dorénavant, en grande partie, par un réseau

Internet centré sur ses utilisateurs grâce notamment à des

techniques plus « sociales », dites 2.0, offrant des outils de

publication, permettant de publier et de partager des contenus,

mettant en relation des individus et des groupes, offrant des loisirs et

des ressources professionnelles1. Internet est devenu un outil

1 Selon Andrew Keen (2008), dans un essai polémique publié en anglais en

2007 et intitulé Le Culte de l’am@teur : comment Internet tue notre culture,

cet optimisme doit être tempéré. Le jugement qu'il porte sur les impacts de

ce nouvel âge du numérique est dévastateur. MySpace et Facebook

auraient créé «une culture du narcissisme numérique», Wikipédia minerait

l'autorité des enseignants et des experts, YouTube, «par l'inanité et

l'absurdité de son contenu», aurait engendré une génération «davantage

intéressée à s'exprimer elle-même qu'à connaître le monde réel», et le

règne des blogues insensibiliserait «les jeunes aux voix des spécialistes

informés et des journalistes professionnels». Keen conclut à «une cité

numérique d'une médiocrité prodigieuse» qui contribue «à répandre le

dilettantisme, le fiel et le mensonge au sein de nos sociétés».

Page 13: Concevoir la conception

5

décentralisateur et ses réseaux répondent à une individualisation de

plus en plus forte de la demande. Ce que l’on appelle dorénavant

« la société du savoir » émerge avec l’arrivée de nouvelles cohortes

de citoyens et de consommateurs motivés par un fort courant de

personnalisation, suscité par l’interactivité des systèmes et des

réseaux employés.

Cette interactivité est responsable de l'actuel passage d’une logique

de l’offre à celle de la demande. Ce passage a commencé avec la

personnalisation de masse qui est devenue le fondement du

commerce électronique. Elle a fait surgir des produits de plus en plus

spécialisés destinés à des groupes cibles avec, comme corollaire

économique, la bataille pour la fidélisation des clientèles et, comme

contre partie sociale, le droit à la différence.

Actuellement, dans ce nouveau système technique, l’énergie des

développeurs est moins tournée vers les composantes techniques,

mais davantage vers les composantes financières, commerciales et

sociétales. C’est, en effet, le début d’une époque de maturité pour le

système technique car il peut enfin démontrer pleinement sa

capacité à livrer des produits et des services en quantité, plus

diversifiés, et à meilleur coût. Dans ce contexte, les enjeux de ce

L'amateurisme, désormais, remplacerait l'expérience, le savoir et le talent,

«une nouvelle attitude qui menace l'avenir de nos institutions culturelles».

L'idéal de l'amateur noble serait «une variante informatique du bon

sauvage de Rousseau: [il] représente le triomphe de l'innocence sur

l'expérience, du romantisme sur le pragmatisme éclairé de la raison».

Dans Wikipédia, par exemple, le point de vue d'un collaborateur anonyme

vaut celui d'un spécialiste reconnu et la «sagesse» de la masse peut

même avoir raison de l'érudition. Cette encyclopédie à contenu autogéré

surpasse maintenant en popularité un site de référence comme

l'Encyclopædia Britannica, pourtant nettement plus digne de confiance,

mais qui en est réduit, aujourd'hui, à diminuer son personnel.

Page 14: Concevoir la conception

6

que l’on appelle la « nouvelle économie » sont colossaux et la

conception y joue un rôle clé.

1.2 Conception et co-configuration

La phase de maturité du système technique actuel est marquée par

ce que Victor et Boynton (1998) appellent la « co-configuration »,

laquelle peut être caractérisée de la façon suivante :

• Le produit ou le service est tourné vers le client. Il peut être

adapté de manière continuelle aux conditions changeantes

et aux besoins du client. Ce qui exige des produits et des

services plus « intelligent » et de meilleures combinaisons

produits/services;

• La valeur est produite à travers un système collaboratif.

Celle-ci n’est pas redevable à la seule activité du producteur

non plus à celle de l’utilisateur, mais à l’interaction et à la

collaboration existant entre eux. Cette collaboration se

construit sur de longues périodes de temps;

• L’adaptation est continue. Le producteur n’adapte pas le

produit ou le service ponctuellement, mais de manière

continue grâce à l’engagement de l’utilisateur dans la

configuration du produit ou du service. En ce sens, dans un

contexte de co-configuration, il n’est pas possible de parler

de produits ou de services « définitifs ». À la place, on

retrouve un réseau de partenaires, producteurs, utilisateurs

et organisations, qui recherchent l’amélioration continue des

produits et services;

• L’apprentissage émerge des interactions entre les parties

prenantes d’une configuration.

La co-configuration exige ainsi un dialogue continu et orienté vers le

développement entre le producteur et l’utilisateur. Elle remet en

cause la séquence traditionnelle de développement linéaire d’un

Page 15: Concevoir la conception

7

produit ou d’un service : recherche-développement du produit /

production / mise en marché. Ces phases deviennent plutôt des

aspects concomitants au sein d’une collaboration continue existant

entre le producteur et l’utilisateur. Ainsi, dans un cadre de co-

configuration, une part du développement est réalisée avec le client

ou l’utilisateur. Au sein de cette collaboration étroite, les partenaires

apprennent l’un de l’autre et de la collaboration elle-même. Cette

dynamique relationnelle transforme le travail et exige de nouveaux

types d’apprentissages. Parvenu à ce stade, le système technique

se veut agile et flexible.

La conception, dans le cadre d’un système technique basé sur la co-

configuration, est devenue une composante essentielle de ce

nouveau système technique. Bien sûr la conception était là dès les

premiers balbutiements du couple électronique/informatique puisque

la plupart des innovations et inventions qui lui ont donné forme sont

le fruit du travail de concepteurs ou d’équipes de conception. Mais,

au début, ce sont les produits, la quincaillerie informatique diront

certains, qui ont occupés le devant de la scène et les premières

applications, telle que faciliter le calcul de la paye des employés,

étaient relativement spécialisées. Il a fallu la démocratisation en

quelque sorte du couple électronique/informatique, notamment avec

l’arrivée de l’ordinateur personnel, et sa jonction avec les

technologies hertziennes, pour créer un effet de masse critique au

sein de la société. C’est cette massification de la production, suivie

de sa personnalisation et maintenant de sa co-configuration, qui

permet aujourd’hui à la conception de devenir une des techniques

fécondantes du système technique actuel.

Ainsi, le système technique actuel doit se doter d’un outil qui

démontre sa pleine puissance en permettant, notamment, de

produire mieux en quantité, en diversité et en coût, et ce, dans la

cadre de la production de produits et services possédant des cycles

de vie longs et où la demande, celles de consommateurs plus

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8

instruits, plus sophistiqués, plus exigeants est dorénavant le signal

absolu. Cet outil, cette technique, c’est celui de la conception agile

dont le Tableau 1 présente les principaux traits au regard d’une

vision plus traditionnelle de la conception.

TABLEAU 1 : CONCEPTION TRADITIONNELLE ET CONCEPTION AGILE CONCEPTION TRADITIONNELLE CONCEPTION AGILE

• La stabilité est la norme • Le changement est la norme

• Les prévisions précises sont possibles

• L’incertitude et la complexité sont prises en compte

• Rigueur et contrôle augmentent le niveau de sécurité et la probabilité de réussir

• Flexibilité et adaptabilité augmentent la probabilité de réussir et de dépasser les attentes

• Planification rigide • Pilotage à partir des enjeux et des risques

• Maintenir le cap • Saisir les opportunités et encourager le changement

• Production « définitive » • Prototypage actif, itératif et incrémental

• Approche contractuelle • Travail d’équipe et de collaboration

• Réactif, validation figée • Proactif, revalidation fréquente

Il existe aussi d’autres « techniques » qui peuvent revendiquer un

rôle aussi central que la conception, par exemple le marketing.

Toutefois seule la conception peut se positionner stratégiquement à

l’interface des techniques « dures » du couple

électronique/informatique et de la nouvelle société qui émerge. Les

grandes entreprises ont d’ailleurs bien perçu le rôle de la conception

dans la production de valeur ajoutée. Par exemple, dans les

stratégies actuelles de délocalisation de la production, il est assez

rare que les entreprises délocalisent aussi leurs services de

recherche et de développement. La production de vêtements peut se

Page 17: Concevoir la conception

9

faire dans les nouveaux territoires manufacturiers du monde actuel,

en Chine, en Inde ou aux Philippines mais les designers de mode

continuent à habiter les grandes villes où se crée l’imaginaire de la

mode telles que Paris, Londres, New York, Shanghai. La conception

devient ainsi constitutive des stratégies de valeur ajoutée qui

permettent de conserver des parts de marchés, d’innover

constamment, d’occuper sa place dans l’imaginaire collectif.

La conception moderne, ou design en anglais ou diseño en

espagnol, joue ainsi un rôle important dans la phase actuelle de

maturation du système technique. La conception moderne, en se

voulant agile, peut rencontrer les impératifs de diversité de la société

actuelle tout en continuant de répondre aux contraintes de quantités

et de coûts. Les entreprises qui se sont mises à l’heure de la

production flexible (lean manufacturing) attribue un rôle important à

la conception car, pour en arriver à rendre flexible la production, il

faut souvent passer, au départ, par une problématique de conception

des machines, des outils, des réglages, de la mise en place, de la

signalisation, etc.

1.3 Expansion du domaine de la conception

La position stratégique de la conception en fait plus qu’une simple

technique au sens strict du terme. Il s’agit dorénavant d’un outil de

transformation et de structuration de la pensée qui se diffuse de plus

en plus dans les sciences, les techniques, les arts… Elle est au

cœur de ce Peter Drucker appelle la productivité du travail

intellectuel. Selon lui, le 21ième siècle s’attaquera au problème de la

productivité intellectuelle tout comme le 20ième siècle s’est attaqué à

celui de la productivité manuelle.

La conception apparaît, dans ce sens, comme un puissant outil de

transformation qui, dorénavant, voit son champ d’application

s’étendre bien au-delà de l’habillage et de la forme des produits pour

toucher des domaines aussi variés que les services publics, les

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10

structures organisationnelles, les descriptions de tâches, la

circulation routière, les soins médicaux, les repas de cantines

scolaires, les stratégies de performance des entreprises... Par

exemple, dans le domaine de la recherche, la professeure Elga

Nowotny (2008) plaide pour une science qui répond davantage aux

problèmes de la société, et ce, dans un cadre qui dépasse les

frontières disciplinaires et qui fait appel à la délibération et à la

participation. De même, du côté des sciences de la gestion, Roger

Martin (2006), doyen de la Rotman School of Management de

Toronto remet en question les méthodes d'enseignement usuelles

dans les MBA en privilégiant davantage une approche qui cherche à

appliquer la « pensée design » (ou Design Thinking) dans la gestion

des entreprises et des services car, selon lui : une bonne conception

est caractérisée par une compréhension profonde de l’utilisateur, la

résolution créative de tensions, le prototypage collaboratif et un

processus continu d’amélioration des idées et des solutions. La

bonne conception est caractérisée par la pensée intégrative.

L’application de ces principes au domaine des affaires est ce que

nous appelons « Design Affaires » (ou Business Design). Qui aurait

pu imaginer qu’un domaine où il y a peu l’approche dite

« scientifique » du management dominait, proposerait que les

compétences du manager du XXIième siècle soit un croisement entre

la conception et la gestion?

Encadré 1 : Petite histoire de la conception La conception s'est historiquement développée à partir de l'activité artisanale, avec le concepteur en tant qu'artisan et sa muse comme source principale d'inspiration. La conception de produits moderne plonge ses racines dans une nouvelle vision des arts et métiers inaugurée par le mouvement Bauhaus en Allemagne entre les deux grandes guerres du XXième siècle. Après la seconde guerre, on a assisté à un mouvement progressif vers un marché orienté vers le client, et alors que les machines devenaient plus complexes, l'exécution et la différentiation des produits sont devenues plus importantes. De même, la facilité d'utilisation est

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devenue un facteur important dans la conception des produits. Au cours des années 50, les pionniers des « facteurs humains », (tel que le concepteur industriel américain Henry Dreyfuss qui a défendu l’idée que les machines faciles d'utilisation seraient les plus efficaces) ont introduit la pensée ergonomique dans la conception de produits. Les éthiques alternatives à celles des méthodes de la fabrication de masse de Henry Ford ont commencé à émerger au cours des années 60, principalement en Scandinavie et dans le secteur des industries lourdes. Un ordre du jour plus social, où les ouvriers et le management s’engagent dans la définition des rôles et des tâches associés au travail, a créé les conditions de ce qui est convenu d’appeler la « conception participative », rendant ainsi le processus de conception ouvert aux personnes concernées par ses résultats. Dans les années 70 et 80, l'industrie du logiciel a adopté l'idée qu’un logiciel devait être développé en fonction des besoins des utilisateurs, et ce, comme manière de s'attaquer au problème de la complexité des nouvelles technologies. L’image caricaturale étant alors celle du réveille-matin dernier look, mais inprogrammable par le commun des mortels. Au cours des années 80, l’introduction de grapheurs dans les logiciels a fait appel pour la première fois aux concepteurs graphiques d'interface dans le processus de conception de logiciel. Pendant que les compagnies employaient ces concepteurs pour exploiter les possibilités de la nouvelle génération des affichages graphiques, elles ont été mises en contact avec les méthodes employées par ces concepteurs de logiciels qui se basent sur les exigences des utilisateurs. Ce transfert de connaissance a grandement influencé l'approche contemporaine de la conception de produits qui a émergé au cours des années 90, soit la conception centrée sur l’utilisateur. Cette approche accorde la première place aux besoins de l'utilisateur, à savoir la personne qui, ultimement, utilisera un produit ou l'entretiendra, lorsqu’il s’agit de fixer les buts et les résultats d’un processus de conception. Dans ces premières décennies du 21ième siècle, nous expérimentons deux changements importants. D’une part, dans l’étendue des domaines où les compétences en conception sont appliquées et, d’autre part, dans l’identification de celui qui fait réellement la conception. Ainsi, plusieurs équipes de conception ont élargi la portée de celle-ci pour y inclure des domaines faisant appel à l'interaction, à l'expérience et au service. Ces nouveaux domaines exigent une approche holistique, une pensée systémique, une compréhension du comportement individuel et collectif ainsi qu’une capacité à orchestrer l’introduction de nouveaux

Page 20: Concevoir la conception

12

intrants dans le processus de conception. De même, d'autres concepteurs sont allés plus loin que la simple réponse à un cahier des charges. Ils ont entrepris d’aider des clients à définir le ou les problèmes qu'ils doivent prendre en compte. Ils se sont ainsi frayés un nouveau chemin vers la conception et l’innovation stratégique. Des bureaux de conception sont dorénavant consultés sur des questions qui, traditionnellement, étaient réservées aux consultants en gestion. Et, au-delà des équipes et des consultants en conception, l'apparition de produits comme les vélos de montagne et de sports comme le surf cerf-volant, mettent en scène une « révolution de l'utilisateur », où des personnes ou des groupes que l’on peut qualifier « d’utilisateurs experts », ont pris en main la conception de produits et d’activités.

Source: Burns, C., Cottam, H., Vanstone, C. Winhall, J. (2006)

La conception a donc de beaux jours devant elle et les entreprises

l’adoptent d’autant mieux qu’elles sont placées devant l’impératif de

se distinguer. La place qu’occupe la conception au sein du système

technique éclaire cette nouvelle réalité qui fait de la création et de la

génération d’idées un facteur de différenciation des organisations et

partant, de leur compétitivité ou, tout simplement de leur pertinence.

Non seulement par rapport à la concurrence étrangère, mais aussi

relativement aux exigences des consommateurs qui réclament

désormais des produits et des services hyper diversifiés,

personnalisés, sur mesure, à moindre coût et produits de plus en

plus rapidement et en temps.

Le Tableau 2 qui suit illustre la diversité des domaines d’application

directe de la conception. À ces domaines s’ajoutent les nombreuses

situations ou la conception fait partie du cheminement ou de la tâche

d’un professionnel ou d’un décideur. Et, comme il a été indiqué ci-

dessus ce qui peut s’appeler la « conception transformationnelle »

conquiert de nouveaux territoires et adeptes qui, souvent, n’ont

aucune connaissance directe de ce qu’est la conception, seulement

leur expérience authentique d’utilisateur.

Page 21: Concevoir la conception

13

C’est ainsi sur la base de couple technique électronique/informatique

que s’est bâti une véritable industrie de la conception qui embrasse

des domaines aussi divers que le jeu vidéo (Nolan Bushnell, Shigeru

Miyamoto, Dino Dini), les styles de caractères et les émoticônes

(Susan Kare), l’architecture de l’information (John Sowa), la

modélisation agile (Scott Ambler). Nul doute que l’étendue des

domaines d’application de la conception est appelée à s’étendre au

cours des prochaines années, grâce à de nouveaux outils, au

raffinement et à l’optimisation des méthodes actuelles, à l’intégration

de différentes perspectives (économique, organisationnelle,

ergonomique), pénétrant ainsi les sphères d’activités inusités des

émotions, de l’alimentation, de la santé, du sport, des stratégies

commerciales, des interfaces homme/machine. La conception offre

cette capacité unique d’ancrer les rêves et les utopies dans le

monde vécu.

TABLEAU 2 : DOMAINES D’APPLICATION DE LA CONCEPTION PRODUITS • Conception de produits

• Conception d’aliments, de breuvages

• Jeux

• Logiciels

• Conception de livres

• Architecture

• Moyens de déplacement : voitures, avions, etc.

• Design industriel

• Travail du verre et de la céramique

• Bijoux

• Meubles et fournitures

• Outils de travail

• Urbanisme

• Design de mode

• Génie civil

PROCÉDÉS • Conception de systèmes

• Génie mécanique

• Ergonomie

• Fabrication modulaire

• Fabrication flexible

• Conception expérimentale (en science)

• Procédé de traitement (information)

• Contrôle de procédés

• Système qualité

Page 22: Concevoir la conception

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• Processus d’affaires

RÉSULTATS • Emballage

• Design expérientiel

• Interface d’utilisation

• Design interactionnel

• Conception visuelle

• Conception sonore

• Conception d’ambiance

• Ontologies

• Architecture de l’information

• Scénarisation

• Graphisme

• Graphique en mouvement

• Psychologie des couleurs

• Web schématique

• Web sémantique

• Habillage de produits

• Maquettes, prototypes

• Sculpture, dessins

• Typographie

SERVICES • Services de santé

• Publicité

• Utilisation de site Web

• Conception d’événements

• Site Web

• Production artistique

• Animation

• Programmes de formation

• Fleuristerie

• Design de réparation

• Design de modification

• Coiffure

• Design intérieur

• Aménagement paysager

STRATÉGIES • Plan d’affaires

• Développement de nouveaux produits

• Design organisationnel

• Plan de formation

• Développement durable

• Stratégies économiques

• Stratégies commerciales

La Figure 1 présente deux triangles imbriqués. Le triangle ascendant

présente le parcours de la science tel qu’on l’a institutionnalisée

dans les sociétés modernes, souscrivant à l’idéal de la raison et de

la connaissance, faisant du « savant » une image clé du XXième

siècle. Le triangle descendant présente quant à lui le parcours de la

conception en tant que technique partant de la sphère d’idéation du

monde pour en arriver à son ancrage dans les modes de vie.

Page 23: Concevoir la conception

15

FIGURE 1 : DÉMARCHE SCIENTIFIQUE ET DÉMARCHE DE CONCEPTION

DÉVO

ILEMENT : TEC

HNIQUE, C

ONCEP

TION, A

GIR

LUMIÈRES : SCIENCE, RAISON, C

ONNAÎTRE

Incarnation dans le monde

Espace normatif

o Comportement o Perceptions o Émotions o Expériences

Espace conceptuel

Ingénieur Concepteur

Artiste

Idéation du monde

Fonctionnalité Esthétisme

Sens

o Conscience o Imaginaire o Valeurs o Intelligibilité

Observation Données

Classification

Problème Besoin

Tendance

Vérité Universalité Progrès

Solutions/validation Savant Intellectuel

Maître

Citoyen

Utilisateur

Artéfacts

Éducation

Fiabilité/validité

Expérimentation

ACTEURS MÉTHODES / FINALITÉS SUPPORT

Problématique

Inspiration

Structuration

Utilisabilité

Analys

Formation

Ce triangle indique que la démarche de conception procède du

monde de la technique. Ce monde a sa vie propre et n’est pas,

comme une certaine idéologie scientiste a pu le laisser croire, un

sous produit de l’activité scientifique, une sorte de « science

appliquée » en quelque sorte. En fait, la démarche scientifique et la

démarche technique s’influencent mutuellement. Sans l’invention

Page 24: Concevoir la conception

16

des lentilles optiques les mondes de l’infiniment grand et de

l’infiniment petit auraient été inaccessibles à la science. De même, la

science fournit de nouveaux « matériaux », matériels ou intellectuels,

aux concepteurs qui pourront en utiliser les lois, les propriétés ou

tout simplement le discours dans le processus de conception.

Cette figure indique aussi qu’au départ le concepteur2 disposera

d’une base large concernant les idées et l’imaginaire qui vont

inspirer son travail. Le concepteur peut ainsi puiser dans un bassin

de connaissances, de mythes, de légendes, de valeurs et

d’innovations. Le concepteur puisera, par exemples, son inspiration

dans les chiffres de la Kabbale ou du Vaudou, ou encore s’inspirera

des principes du Feng shui ou du vastu shastra pour concevoir un

projet architectural. Le scientifique sera quant à lui restreint dans ce

domaine puisque la connaissance produite doit être démontrable et

reproductible.

Par contre, au fil d’arrivée, le concepteur ne pourra pas incarner

toutes ses idées, plusieurs s’avérant être des solutions non-viables.

Il devra donc, en cours de route, faire le deuil d’idées stimulantes

mais qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas s’incarner

dans les conditions actuelles. Par contre, du côté du scientifique la

réalité du monde se présente comme un vaste réservoir dont on peut

en extraire des connaissances, des modèles et des théories.

Dans cette perspective, la conception se présente comme une quasi

« revanche de Protagoras », ce philosophe grec qui déclarait

que : l’homme est la mesure de toutes choses, pour celles qui sont,

de leur existence ; pour celles qui ne sont pas, de leur non-

existence.

2 Dans le texte nous utilisons, pour des motifs de simplification, l’expression

« le concepteur ». Mais il est entendu qu’il s’agit, le plus souvent, d’un

travail collectif.

Page 25: Concevoir la conception

17

Ainsi, la conception représente davantage une démarche de type

socioconstructiviste qui a pour point de départ un problème ou un

besoin socialement formulé et, comme point d’arrivé, une solution

modifiant cette réalité selon un certain nombre d'interprétations de

celle-ci, résultat d’une interaction entre le concepteur, les parties

prenantes et le problème lui-même. Le risque de relativisme,

qu’introduit la proposition de Protagoras, est tempéré par les accords

intersubjectifs et collaboratifs qu’il faut déployer pour en arriver à des

solutions viables.

Les deux parcours, ascendant et descendant, utiliseront aussi des

artéfacts. Ceux-ci apporteront leurs avantages et leurs contraintes.

Par exemple, en science, pour étudier un modèle simplifié de la

réalité et, en conception, pour mettre à l’épreuve des prototypes qui

permettront d’anticiper la faisabilité de certaines solutions. Mais les

artéfacts joueront un rôle différent selon la démarche. Du côté de la

conception ils serviront à développer un concept qui fera ensuite

l’objet d’une validation, alors que du côté science ils permettront de

donner forme à une problématique de recherche et de conduire des

expérimentations qui serviront à confirmer ou infirmer les hypothèses

retenues.

Tout au long de son parcours la conception pourra compter sur les

compétences de certains acteurs clés, à commencer par celles du

concepteur lui-même. Celui-ci aura dans sa visée un éventuel

utilisateur alors que la démarche scientifique s’adressera ultimement

à un citoyen informé. Ce citoyen sera éduqué grâce à un curriculum

puisant dans les connaissances et la culture universelle, alors que le

concepteur et les utilisateurs feront davantage appel à une formation

qui permettra d’actualiser les compétences qui serviront à tirer tous

les avantages des solutions proposées.

Les démarches, scientifiques et de conception empruntent ainsi une

à l’autre. Même si généralement leurs finalités sont différentes, et

leurs héros aussi, il est possible d’éclairer une méthode à partir de

Page 26: Concevoir la conception

18

l’autre. Par exemple, la notion d’universalité est une caractéristique

de la production scientifique. La conception pourra aussi prétendre à

une forme d’universalité, et ce, paradoxalement, d’autant mieux

qu’une solution, une fois son corpus universel établi, se prête à une

célébration des différences politiques, sociales et culturelles. Ce

potentiel d’universalité ne met toutefois pas la conception à l’abri des

manipulations. Il n’est que de constater l’influence de la culture

américaine sur les contenus Internet, le choix des logos, les

représentations graphiques. Toutefois, plusieurs indices démontrent

que les fraudes et dérives conceptuelles, à l’instar des fraudes et

dérives intellectuelles, font aussi leur temps dans le domaine de la

conception grâce à des mécanismes sociaux puissants et vigilants.

Page 27: Concevoir la conception

19

Louis Toupin : Concevoir la conception

Chapitre 2 : Conception et compétence

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Nicolas Boileau

Dans la mesure ou cet ouvrage s’intéresse moins aux produits et

aux résultats de la conception et davantage à son processus et aux

activités intellectuelles qui l’accompagnent il apparaît pertinent

d’appréhender la conception comme une compétence. Au cours de

ce chapitre, il s’agira donc d’identifier cette compétence et ses

éléments constitutifs, son contexte de réalisation, ses standards de

réalisation et, enfin, son processus de travail-type. Mais, tout

d’abord, une définition de la conception s’impose.

2.1 Champ et définition de la conception

Il existe plusieurs définitions de la conception :

• Le Petit Robert définit la conception comme la réalisation de

quelque chose qui n’existait pas encore. Dès lors plusieurs

synonymes sont liés à ce concept, dont les suivants : créer,

former, imaginer, inventer, concrétiser et accomplir.

• Le Webster définit la conception (design) comme un projet

ou un schème mental dans lequel la signification finale est

spécifiée3. Ce qui rapproche la conception de termes tels

que : intention, plan.

• Le Dictionnaire de technologie industrielle (éd. Foucher)

définit quant à lui la conception comme un ensemble des

tâches permettant d’aboutir aux choix définitifs des solutions

3 A mental project or scheme in which means to an end are laid down.

Page 28: Concevoir la conception

20

Louis Toupin : Concevoir la conception

satisfaisant les exigences fonctionnelles et les performances

attendues.

• Enfin, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office

québécois de la langue française définit la conception

comme une activité créatrice qui consiste à élaborer un

projet, ou une partie des éléments le constituant, en partant

des besoins exprimés, des moyens existants et des

possibilités technologiques dans le dessein de créer un bien

ou un service.

À côté de ces définitions plus formelles il existe aussi une foule de

réflexions portant sur la conception et son processus qui permettent

de saisir l’étendue et la complexité de cette technique. Ainsi :

• L’initiateur moderne de la conception industrielle, Raymond

Loewy, suggère que la conception implique un effort

conscient dans le but de créer un objet qui soit à la fois

fonctionnel et esthétique. Cette réflexion se confond avec la

compréhension que l’on a aujourd’hui du design industriel,

soit une activité qui a la capacité d’intégrer, dans un objet,

une fonctionnalité, un sens et une esthétique;

• Pour le développeur de jeux vidéo, Dino Dini, la conception

recouvre toutes les formes de création allant d’objets tels

que des chaises jusqu’à la manière dont nous planifions et

réalisons notre vie. Dans cette perspective assez large, il

importe, selon lui, d’identifier des structures communes qui

peuvent s’appliquer à ces diverses formes de conception. De

plus, Dino Dini estime que le processus de conception peut

être défini comme un processus de gestion des contraintes,

lesquelles peuvent être négociables ou non négociables.

• L’International Technology Education Association définit la

conception comme un processus décisionnel itératif qui

produit les plans par lesquels des ressources sont converties

Page 29: Concevoir la conception

21

Louis Toupin : Concevoir la conception

en produits ou systèmes qui répondent aux besoins humains

et à leurs attentes ou qui résolvent des problèmes4. Ceux qui

voient la conception comme une forme d’art rigoureuse

estiment que cette définition évacue les aspects émotifs et

esthétiques de la conception. À cet effet, il faut reconnaître

que les traditions et les sensibilités entourant la conception,

ou le design, n’ont pas la même origine selon les pays. Par

exemple, en France, le design a pour origine le domaine des

beaux-arts alors que, dans le monde anglo-saxon, ses

racines plongent davantage dans le monde de l’ingénierie.

Ces différentes définitions et réflexions mettent en évidence le

caractère intentionnel de la conception. Ainsi, l’idée de projet

apparaît ici comme centrale car la conception prend souvent forme

dans un projet, ou une projection, qui trouve son aboutissement

dans un produit (par exemple : un objet), un service (par exemple :

l’amélioration d’un service après-vente), un procédé (par exemple :

un procédé de fabrication industrielle) ou encore un résultat (par

exemples : une étude qui servira à prendre des décisions, une

composante qui s’intègrera dans une composante plus globale ou

encore une expérience de consommation). Et, tel un projet, la

conception voit souvent son existence se terminer avec la réalisation

du produit, du service, du procédé ou du résultat. En fait, il serait

plus juste de dire qu’il s’agit d’une activité continue où la fin entraîne

une autre phase de conception.

Elles mettent aussi en évidence que la conception est une activité

créatrice spécifique, ce qui la distingue de la création au sens

4 An iterative decision-making process that produces plans by which

resources are converted into products or systems that meet human needs

and wants or solve problems.

Page 30: Concevoir la conception

22

Louis Toupin : Concevoir la conception

« pur » du terme. La conception pourrait ainsi se définir comme de la

créativité sous contraintes.

La conception doit, en effet, répondre à des exigences

fonctionnelles, des performances attendues, des besoins exprimés,

des expériences recherchées. Le concepteur peut ne pas être

l’auteur de ces spécifications, par exemple en les recevant de

l’extérieur sous la forme d’un cahier des charges, mais cela ne le

dispense pas de réfléchir à la nature, à la portée et à la signification

sociale de ces « besoins ».

Souvent la conception est aussi confondue avec le processus

d’innovation car la conception peut, à bien des égards, être

considérée, brevet en moins, comme de l’innovation. Mais si on

insiste pour faire une distinction fine entre conception et innovation il

est possible de mettre en relief le caractère davantage appliqué et

pragmatique de la conception. Par exemple, le velcro mis sous

brevet en 1951 par l’ingénieur suisse Georges de Mestral peut être

considéré comme une innovation alors que les multiples applications

qui en découlent, tel le remplacement des boutons, des lacets, des

attaches sous pressions par des bandes auto adhésives, font partie

du travail de conception.

Enfin, la conception se rapproche aussi de la notion de style.

Cependant, la conception est davantage concernée par la

dynamique profonde d’un problème et de sa solution alors que le

stylisme se dédie davantage aux modes de représentations et

d’externalisation d’une solution.

Ces différentes définitions laissent supposer l’existence d’un

processus car la conception a un point de départ, parfois flou et

imprécis, pour en arriver à réaliser un produit, un procédé, un service

ou un résultat répondant à un ou des besoins. Dans cette relation

début-fin on devine qu’il existe des étapes intermédiaires qui

peuvent être analysées pour elles-mêmes.

Page 31: Concevoir la conception

23

Louis Toupin : Concevoir la conception

Enfin, ces différentes définitions invitent à appréhender la

conception, au sens contemporain du terme, avec une approche

d’ensemble dont les termes sont les suivants :

• La conception nécessite une vue globale des

transformations sociales, économiques telles : la

globalisation de l’économie, les changements dans

l’organisation du travail, le repli de l’État providence, la

montée des groupes d’intérêts;

• Elle doit aussi être comprise à travers un processus qui fait

appel à un apprentissage continu, non pas une suite

d’interventions accidentelles ou isolées;

• Elle suppose aussi de se situer dans un continuum

organisationnel puisque le concepteur, par exemple en

milieu industriel, se retrouve souvent dans une dynamique

impliquant la production, le marketing et la direction de

l’entreprise où il devra tenir compte des moyens disponibles,

des contraintes techniques ou commerciales. Elle peut être

le fait d’ingénieur, d’architecte ou de styliste qui

développeront le concept global d’un ouvrage, d’un produit

ou d’une collection tandis que les détails de la conception

seront développés par des techniciens.

2.2 Compétence et éléments de la compétence

C’est dorénavant à la conception en tant qu’activité relativement

structurée que nous allons nous intéresser. Ce qui facilite son

observation et son analyse. C’est souvent en contexte professionnel

que l’on rencontre une activité de conception structurée. Elle prend

alors la forme d’une compétence professionnelle.

Une compétence est un ensemble intégré de connaissances, de

savoir faire et de savoir être. En formation professionnelle, on définit

une compétence comme un pouvoir d’agir, de réussir et de

Page 32: Concevoir la conception

24

Louis Toupin : Concevoir la conception

progresser qui permet de réaliser adéquatement des tâches, des

activités et qui se fonde sur un ensemble organisé de savoirs

(connaissances, habiletés de divers domaines, perceptions,

schémas opératoires, etc.). Cette approche par compétence est de

plus en plus reconnue et répandue et sert même à la convergence

des différents systèmes éducatifs (par exemple : le projet européen

Tuning dans le domaine de l’enseignement supérieur).

Aborder la conception en tant que compétence implique donc

d’identifier celle-ci à travers une formulation générale et de la

détailler à travers ses composantes, ou éléments de compétence. Il

devient alors davantage facile de repérer les différents savoirs,

savoir faire et savoir être qui la compose. Cette formulation est

nécessairement générale et mériterait, selon les contextes

professionnels où elle s’actualise, des adaptations et certaines

reformulations. Cependant, comme nous le verrons, la conception

reste une technique relativement transverse.

La formulation suivante de la compétence du concepteur sera

retenue. Ainsi, le concepteur est celui qui est capable de :

Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et

esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un

résultat de manière à trouver des solutions à des besoins

socialement spécifiés

Dans cet énoncé de la compétence le terme « projet » évoque l’idée

d’un processus ayant un début et une fin. L’intégration de la

fonctionnalité, du sens et de l’esthétique dans un produit, un service,

un procédé ou un résultat indique la nature du projet en question. Il

ne s’agit pas, en effet, de n’importe quelle sorte de projets mais de

projets de conception où l’on tente de concilier fonctionnalité, sens et

esthétique. Cette activité est aussi tendue vers des solutions qui

Page 33: Concevoir la conception

25

Louis Toupin : Concevoir la conception

peuvent se limiter à satisfaire une fonction ou résoudre un problème,

mais aussi, plus largement, à intégrer dans les produits, services,

procédés ou résultats des espoirs, des aspirations, des attraits, des

enchantements qui transformeront les relations avec les utilisateurs.

Enfin, l’utilisation de l’expression « répondre à des besoins

spécifiés » indique que la conception se distingue des activités de

création et d’invention. Ces dernières répondent aussi à des besoins

humains, mais leur utilité ou application peuvent différer dans le

temps et, surtout, elles n’ont pas un caractère « socialement

spécifié ».

Cette définition de la compétence du concepteur doit être complétée

par les composantes, ou éléments, de cette compétence. Ces

éléments permettent d’identifier l’ensemble des capacités que la

compétence doit mobiliser à un moment ou l’autre. Cependant,

aucun de ces éléments ne peut se substituer à la compétence elle-

même car, pris un à un, ils ne permettent pas de conduire au produit,

au service ou au résultat recherché.

Ces éléments fonctionnent comme la parabole d’un seigneur du

Japon médiéval, Mōri Motonari, lequel, soucieux de préserver l’unité

de son royaume après sa mort, donne à chacun de ses fils une

flèche et leur demande de la briser. Chacun des fils réussit cet

« exploit ». Il leur donne alors trois flèches réunies et leur demande

s'ils peuvent les briser. Tous échouèrent. Motonari leur enseigna

ainsi comment il est facile de briser une flèche, mais non trois

flèches reliées ensemble. Suivant le sens de cette métaphore, les

éléments de la compétence forment un ensemble intégré qui donne

force et cohérence à la compétence.

Les éléments de la compétence en conception sont les suivants :

1. Analyser des besoins pour des fins de conception;

2. Interpréter de l’information au regard d’une problématique de

conception;

Page 34: Concevoir la conception

26

Louis Toupin : Concevoir la conception

3. Développer des idées;

4. Structurer un projet de conception;

5. Communiquer en situation de conception;

6. Résoudre des problèmes de conception;

7. Évaluer le processus et les résultats de la conception.

Le Tableau 3 ci-dessous donne un aperçu général des différents

types de savoirs liés à la conception. À travers cette énumération de

savoirs on peut constater l’importance des savoirs être, ou des

attitudes, dans le travail du concepteur. Ces différents savoirs

seront, au chapitre 4, repris et détaillés en fonction de chacun des

éléments de la compétence en conception.

TABLEAU 3 : DIFFÉRENTS TYPES DE SAVOIRS LIÉS À LA CONCEPTION Savoir faire Savoir Savoir être

• Processus d’analyse de besoins

• Maîtrise des outils de conception

• Technique de recherches et de gestion de l’information

• Capacité d’analyse et de synthèse

• Types et méthodes d’évaluation

• Méthodes et outils de suivi

• Logiciels informatiques

• Culture générale de base

• Culture scientifique et technique

• Approches et théories de la conception

• Culture de l’entreprise et connaissance de sa situation socio-économique et de ses réseaux

• Langage mathématique et informatique

• Notions et vocabulaire technique liées au domaine d’application (par exemple : thermodynamique et aérodynamique dans le

• Curiosité • Créativité • Travail en équipe • Minutie

• Gestion du stress et des priorités

• Capacité permanente d’apprendre

• Sens de l’esthétique • Habilités interpersonnelles

• Capacité d’adaptation / Tolérance à l’ambiguïté

• Capacité d’influencer / Leadership

Page 35: Concevoir la conception

27

Louis Toupin : Concevoir la conception

Savoir faire Savoir Savoir être

propre au domaine professionnel (Par exemple : le logiciel CATIA dans le domaine de l’aéronautique)

• Techniques de présentation et de visualisation propre au domaine

• Outils de gestion du temps

• Techniques d’analyse des marchés et de leurs tendances

• Techniques de résolution de problèmes

• Gestion de projet

• Comptabilité

domaine de la conception aéronautique)

• Connaissances des matériaux et des composés propres à son domaine

• Connaissances des procédés de fabrication et d’assemblage propres à son domaine

• Communication orale et écrite dans sa langue

• Communication orale et écrite dans une langue seconde

• Connaissances des normes de santé et sécurité propres à son domaine

• Connaissances des processus de gestion propres à son domaine

• Connaissances en art • Connaissances en sémiologie

• Capacité de critique et d’autocritique

• Capacité de communication avec différents publics, experts et non-experts

• Initiative et esprit entreprenant

• Préoccupation pour la qualité et le travail bien fait

• Motivation de réalisation

2.3 Processus de conception

Avant d’aborder le processus de la conception il faut souligner que

celle-ci fait aussi partie de processus de travail plus globaux. Par

exemple, on retrouve souvent, en amont de la conception des

activités de programmation ou de planification et, en aval, des

activités d’implantation, de généralisation, de réalisation ou de

production.

Page 36: Concevoir la conception

28

Louis Toupin : Concevoir la conception

Le processus de conception comprend généralement les phases

suivantes :

1. Analyser les termes d’une demande ;

2. Observer, se documenter et consulter ;

3. Développer un concept ;

4. Réaliser une projection du concept (devis, plans, esquisses,

maquettes, prototypes, story-boards, synopsis, etc.) ;

5. Réviser la projection du concept ;

6. Réaliser le projet de conception ;

7. Assurer le suivi-évaluation.

Cette proposition de processus doit toutefois être vue comme une

abstraction qu’il faudra, lorsque confronté à un projet réel, adapter.

En effet, le processus de conception se prête difficilement à une

standardisation à cause de sa nature itérative, non linéaire, de la

variabilité des domaines de conception, des attentes et exigences

des clients, utilisateurs, promoteurs.

Le Tableau 4, à la page suivante, présente les processus de

conception de différents domaines.

Grâce au Tableau 5 il est aussi possible de comparer le processus

de conception retenu avec un des premiers processus de conception

proposé, en 1965, par Bruce Archer. Comme on peut le constater,

avec un peu plus de 40 ans de distance entre les deux propositions,

le processus de la conception reste relativement le même, à ceci

près que notre proposition insiste plus sur l’ancrage du processus

avec un amont et un aval.

Page 37: Concevoir la conception

29

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 4 : PROCESSUS DE CONCEPTION DANS DIFFÉRENTS

DOMAINES PROFESSIONNELS Site Internet, cédérom, borne interactive ou DVD

Jeu électronique

1. Définir le projet; 2. Réaliser l’architecture du

produit à concevoir (préparer un plan de navigation, planifier l’interactivité, etc.) ainsi que diverses maquettes;

3. Concevoir les éléments graphiques et réaliser des animations, au besoin;

4. Réaliser la programmation; 5. Intégrer l’ensemble des

éléments; 6. Soumettre le projet au client

pour approbation.

1. Mettre au point le concept du jeu;

2. Réaliser les activités liées au volet artistique;

3. Réaliser les activités liées au volet technique;

4. Réaliser les activités liées au testage du jeu et à sa mise en marché.

Films d’animation Programme de formation sur mesure

1. Concevoir un scénario avec indications techniques et dialogues;

2. Produire diverses esquisses (personnages, décors, etc.);

3. Réaliser le scénarimage (story-board), qui comprend une série de dessins définissant le cadrage et le contenu des images de chaque plan;

4. Réaliser l’animatique qui vise la production de brèves animations permettant d’obtenir un premier aperçu du rendu;

5. Produire les images (décors, environnement, personnages, etc.).

1. Identifier les besoins de formation continue en entreprise;

2. Déterminer les contenus et les activités de formation à dispenser;

3. Planifier les activités de formation continue;

4. Évaluer les résultats de l’intervention de formation.

Page 38: Concevoir la conception

30

Louis Toupin : Concevoir la conception

Aéronautique Mode

1. Analyser une demande 2. Se documenter et consulter 3. Développer un concept 4. Établir et faire approuver un

devis 5. Réviser le devis 6. Réaliser les dessins finaux 7. Assurer le suivi

1. Analyser les besoins et tendances du marché

2. Planifier l’exécution d’une collection

3. Choisir un thème 4. Concevoir la collection 5. Présenter et adapter le projet

de collection 6. Valider le projet de collection 7. Terminer le projet de collection

TABLEAU 5 : COMPARAISON ENTRE DEUX PROCESSUS DE

CONCEPTION

Phase analytique

Programmation

Collecte de données

Analyser les termes d’une demande

Observer, se documenter et

consulter

Observation

Mesure

Raisonnement abductif

Phase créative

Analyse

Synthèse

Développement

Développer un concept

Réaliser une projection du concept

Réviser la projection du concept

Évaluation

Jugement

Pensée intégrative

Décision

Phase d’exécution Communication

Réaliser le projet de conception

Assurer le suivi-évaluation

Description

Traduction

Transmission

Page 39: Concevoir la conception

31

Louis Toupin : Concevoir la conception

Cette tendance à faire de la conception un processus s’intégrant

dans un ensemble plus vaste est d’ailleurs confirmée par des

versions plus contemporaines du processus de conception. Ainsi,

selon Ulrich et Eppinger (2003), dans le cas de la conception de

produits industriels le processus de conception est assimilé, comme

on peut l’observer dans le Tableau 6, à une activité de gestion plus

englobante que l’on peut désigner sous le nom de « gestion de

l’amont flou » (Fuzzy front-end ou FFE) compte tenu de son

caractère incertain et imprédictible.

TABLEAU 6 : ACTIVITÉS DE « GESTION DE L’AMONT FLOU »

Plan de

développement Lettre de

mission

Identifier les

besoins des

clients

Établir des

cibles de

spécifications

Générer des

concepts du

produit

Sélectionner le

concept du

produit

Tester le

concept du

produit

Établir les

spécifications

finales

Planifier le

développement

futur

Réaliser les analyses économiques

Étalonner par rapport aux produits concurrents

Construire et tester des modèles et des prototypes

Source : Ulrich & Eppinger (2003)

Une autre tendance, encore plus récente, consiste à faire de la

conception un processus silencieux (silent design) dont le processus

est plus informel. La conception silencieuse serait ainsi constituée de

multiples activités stratégiques que l’on retrouve dans les

entreprises. Celles-ci se développent sans que jamais on ne les

assimile directement à de la conception, alors qu’elles en épousent

toutes les caractéristiques. Celles-ci seraient le fait de gestionnaires,

Page 40: Concevoir la conception

32

Louis Toupin : Concevoir la conception

de professionnels et d’employés qui ne sont pas des concepteurs au

sens professionnel de ce terme. Dans ce nouveau modèle qui fait

passer la compétitivité des entreprises par les activités de

conception silencieuses le rôle des « non concepteurs » est vital,

non seulement pour développer de nouveaux produits mais aussi

des artéfacts, des expériences, des stratégies. La conception

silencieuse devient ainsi une manière informelle de lier conception et

développement des affaires.

2.4 Critères de performance de la conception

Chaque élément de la compétence en conception renvoie, lors de sa

réalisation, à des critères de performance qui peuvent être observés

et, ainsi, se prêter à une forme d’évaluation. Le Tableau 7, ci-après,

présente les principaux critères de performance associés à chacun

des éléments de la compétence.

TABLEAU 7 : CRITÈRES DE PERFORMANCE DE LA CONCEPTION ÉLÉMENTS DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

1. Analyser des besoins pour des fins de conception

• Analyse judicieuse des besoins, de la demande, ou du cahier des charges

• Identification précise des clients, commanditaires, bailleurs de fonds et parties prenantes

• Recherche de données complémentaires compatibles avec la demande

• Identification du contexte d’émergence de la demande initiale

• Détermination complète des exigences liées aux caractéristiques attendues du

Page 41: Concevoir la conception

33

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENTS DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

produit, du service ou du résultat

• Présélection judicieuse des données susceptibles d’être exploitées sur le plan des idées

• Détermination complète des contraintes et des possibilités du milieu

2. Interpréter de l’information au regard d’une problématique de conception

• Interprétation juste des objectifs du projet de conception

• Choix judicieux des sources d’information

• Repérage adéquat des informations économiques, sociétales, technologiques, réglementaires, financières pertinentes au projet

• Identification correcte des caractéristiques, des standards et des tendances du domaine

• Analyse adéquate des parties prenantes, de leurs besoins et de leurs exigences

• Analyse des caractéristiques des produits, services, ou résultats qui ont la réputation d’être parmi les « pratiques exemplaires » du domaine

3. Développer des idées • Recherche et mise en place de conditions favorisant le processus d’idéation

• Application de techniques visant à stimuler l’inspiration

• Recherche et développement d’éléments originaux à intégrer à la conception

• Exploration approfondie des

Page 42: Concevoir la conception

34

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENTS DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

traitements possibles d’une idée

• Mise en évidence des caractéristiques, des standards, des tendances à retenir dans la conception

• Vérification constante de la pertinence et de la cohérence des idées avec le contexte d’émergence du projet

• Identification des éléments significatifs du message

4. Structurer un projet de conception

• Justification des choix retenus

• Anticipation des résultats

• Relevé et prise en considération des contraintes s’imposant à la conception (temps, lieux, matérielles, humaines, techniques, ergonomiques, sécuritaires, environnementales, budgétaires, etc.)

• Adaptation itérative des idées en fonction des exigences de la demande initiale et des contraintes identifiées

• Définition complète des caractéristiques finales des produits, services et résultats

• Rendu approprié des concepts retenus

• Établissement d’une structure séquentielle des travaux de réalisation

5. Communiquer en situation de conception

• Relevé exhaustif des tâches à accomplir et des collaborations requises

• Formulation de mandats précis pour l’avancement du travail

• Coordination optimale du travail de conception

Page 43: Concevoir la conception

35

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENTS DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

• Transmission des idées à l’aide de techniques de présentation appropriées

• Démonstration de la pertinence et de la cohérence des idées développées

• Mise en évidence des éléments distinctifs des idées développées

• Mise en perspective judicieuse des idées et de leurs avantages (faisabilité, simplicité, rapidité, qualité, respect des normes et des standards, adaptabilité, optimisation face aux contraintes)

• Manifestation de réceptivité devant les réactions d’autrui

• Interprétation juste des messages verbaux et non-verbaux

• Respect des idées, des opinions et des compétences des personnes

6. Résoudre des problèmes de conception

• Application correcte d’une méthode de résolution de problèmes

• Manifestation de créativité et d’initiative

• Résolution efficace des problèmes

• Conformité avec les normes et standards établis

• Faisabilité et rentabilité des solutions proposées

• Coordination de son travail avec celui des autres intervenants

7. Évaluer le processus et les résultats de la conception

• Manifestation d’objectivité et d’esprit critique

• Réceptivité par rapport à la critique

• Évaluation juste des concepts compte tenu des exigences de la demande

• Évaluation juste de la signification, de

Page 44: Concevoir la conception

36

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENTS DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

la fonctionnalité, de l’originalité et de l’esthétisme des concepts développés

• Prise de décision pertinente concernant l’acceptation, le rejet ou l’adaptation des concepts

• Recherche de solutions de rechange

2.5 Contexte de réalisation de la compétence

Les concepteurs sont en interaction constante avec d'autres

personnes. En contexte industriel, les échanges se font entre la

plupart des services de l'entreprise (ingénierie, méthodes, qualité,

production, achats, vente, etc.), avec les fournisseurs et à l'occasion

avec la clientèle. En contexte de production artistique, les échanges

se font avec un producteur, un réalisateur, le personnel chargé de la

conception dans des domaines complémentaires (éclairage, sons,

décors, effets spéciaux) et avec le personnel de coordination de la

production ou de la postproduction. Les échanges visent à

transmettre et à recevoir de l'information, à prendre part aux

décisions, à persuader, à conseiller et à résoudre différents

problèmes.

Les concepteurs travaillent généralement à partir d’une demande

initiale plus ou moins documentée selon le cas. Ils travaillent aussi à

partir de nombreuses données qui portent sur les spécifications

techniques, les standards, les normes, les procédures, etc. De plus,

la collecte, l'analyse, l'interprétation, la synthèse et les comparaisons

de données sont aussi de leur ressort. Ils doivent également

procéder à des calculs variés. Ils produisent aussi un très grand

nombre d’artéfacts en raison des dessins, schémas, diagrammes ou

Page 45: Concevoir la conception

37

Louis Toupin : Concevoir la conception

tableaux qu'ils réalisent. Le soutien et la documentation technique

sont aussi de leur responsabilité.

Ils travaillent de plus en plus à l’aide de logiciel de conception et de

dessin, et ce, en tenant compte des contraintes humaines,

matérielles et physiques propres à l'entreprise. Ils doivent

continuellement rechercher et développer de nouvelles stratégies de

conception et de planification dans une perspective d'amélioration

continue de la qualité et de la productivité.

Les concepteurs travaillent la majorité du temps dans un bureau, au

sein, par exemples, d’un service d'ingénierie, d’une unité de

recherche et développement, ou d’un bureau d’études ou de projet.

De plus, de temps à autre, ils peuvent être appelés à passer une

partie leur temps en milieu de production.

Les concepteurs travaillent le plus souvent seuls. Le temps consacré

au travail d'équipe fluctue selon l'envergure et la phase de

développement du projet. Ainsi, en phase préliminaire, le travail

d'équipe représente 40 % du temps, alors qu’il n’est que de 5 à 10 %

à la phase de détail.

Le niveau de responsabilité des concepteurs est généralement très

élevé par rapport aux produits livrables. Dans ce contexte, les

concepteurs ont l'entière responsabilité du travail qui leur incombe.

Bien que leur marge de manœuvre soit importante par rapport à

l'organisation de leur travail, ils sont contraints de suivre les

directives avec une très grande rigueur et de respecter les standards

de leur entreprise ou de leur milieu. Ils doivent donc soumettre leurs

travaux au chef de projet ou à un responsable hiérarchique.

Page 46: Concevoir la conception

38

Louis Toupin : Concevoir la conception

Chapitre 3 : Processus de conception

Je ne conçois pas des vêtements. Je conçois des rêves.

Ralph Lauren

Ce chapitre aborde le processus de la conception qui, rappelons-le,

comprend les 7 étapes suivantes :

1. Analyser les termes d’une demande

2. Observer, se documenter et consulter

3. Développer un concept

4. Réaliser une projection du concept (devis, plans,

esquisses, maquettes, prototypes, story-boards,

synopsis)

5. Réviser la projection du concept

6. Réaliser le projet de conception

7. Assurer un suivi

Chacune de ces étapes sera analysée plus en détail au cours de

chapitre.

3.1 Analyse des termes de la demande

L’analyse des termes de la demande peut ne pas présenter de

difficultés majeures, notamment dans les cas de travaux de

conceptions simples et d’adaptation de produits, de services ou de

résultats existants. Cependant, le plus souvent, l’analyse des termes

de la demande présente plusieurs niveaux de difficultés.

La principale difficulté en est une de communication. Ainsi, la

demande initiale peut prendre la forme d’un cahier des charges, de

Page 47: Concevoir la conception

39

Louis Toupin : Concevoir la conception

termes de référence, de rencontres avec des clients, ou de

demandes de la part de divers services (ventes, marketing).

Le modèle habituel considérant que cette demande est de

l’information transmise entre émetteur et récepteur et qu’il s’agit,

pour assurer une bonne lecture et interprétation de celle-ci, d’éviter

les distorsions et les « bruits », ne suffit pas.

En fait, dès l’analyse de la demande, le concepteur est plongé dans

une relation, une communication, où il espère interpréter le sens,

manifeste ou caché, du message émis par un locuteur, proche ou

lointain. D’ailleurs, souvent il n’y a pas de contact direct avec ce

locuteur. Ce contact se fait à travers, par exemple, un cahier des

charges, plus ou moins bien élaboré, qui est lui-même un produit de

conception.

Ici la communication prend vraiment le sens que les théories

modernes lui donnent, c’est-à-dire le transfert de significations entre

des personnes et des groupes. Ce processus de transfert implique

davantage qu’une simple transmission de données ou d’informations

d’un émetteur à un récepteur. Il implique la création d’un sens chez

l’émetteur et la recréation de ce sens chez le récepteur. On conçoit

facilement dès lors que ce qui peut poser difficulté dans la

communication ce n’est pas le bruit ou de la distorsion de celle-ci au

cours de sa transmission mais la « distance interprétative » qui,

souvent, sépare les parties prenantes d’une communication.

Analyser une demande initiale recouvre un ensemble d’activités

telles que :

• Identifier des besoins;

• Définir la portée d’un projet de conception et ses objectifs;

• Identifier les contraintes, les moyens, les rôles et les

responsabilités de chacun.

Page 48: Concevoir la conception

40

Louis Toupin : Concevoir la conception

Cette analyse de la demande initiale permet de préciser le « quoi »

du projet. Elle engage le concepteur dans un processus

d’interprétation où il doit identifier le sens induit par la demande

initiale du « demandeur », et ce, afin de réduire cette « distance

interprétative ».

Généralement dans une demande, il est facile d’identifier ce qu’il faut

concevoir : développer un produit ou un objet, concevoir un nouveau

service ou améliorer un service existant, offrir une prestation

intellectuelle. Ce qui est moins facile, et qui alimente la « distance

interprétative », est l’identification du contexte, des enjeux, des buts,

des intentions et des finalités dans lesquelles s’inscrira le travail de

conception.

Selon la demande, la conception peut, en effet, concerner un

problème précis ou une situation très circonscrite ou bien ouvrir sur

des horizons et des perspectives très larges. Par exemple, dans le

cas d’une prestation intellectuelle portant sur l’élaboration d’une

formation, celle-ci peut s’inscrire dans un programme plus large, une

réforme, des orientations industrielles ou gouvernementales qui

peuvent affecter le cadrage du travail de conception. Il convient alors

de bien identifier les objectifs et les finalités dans lesquelles le travail

de conception devra s’inscrire. De même, l’architecte devra situer

son travail dans le cadre d’un plan d’urbanisme alors que le designer

devra bien identifier les tendances de la mode auquel son travail va

apporter une réponse.

Au cours du processus d’analyse initial le concepteur, ou l’équipe de

conception, identifiera les objectifs et les contraintes inhérents à la

demande. Par exemple, si le concepteur veut répondre à une

demande d’IKEA, il sait par avance qu’il devra mettre l’accent sur la

fonctionnalité et la simplicité de l’objet et enlever tous les éléments

superflus. S’il peut, en plus, incorporer quelque chose d’inattendu

dans cet objet (et peu coûteux), cela jouera aussi en sa faveur. Par

contre, si la demande provient de Roche Bobois, la conception

Page 49: Concevoir la conception

41

Louis Toupin : Concevoir la conception

mettra davantage l’accent sur l’originalité de l’objet et la qualité des

matériaux.

Comme le précise le concepteur de jeux vidéo Dino Dini, certaines

contraintes sont négociables et d’autres ne le sont pas. Selon lui la

première étape d'un travail de conception consiste à identifier et

classifier les contraintes. À partir de là, le processus de conception

consiste à manipuler ces contraintes, cherchant à satisfaire celles

qui sont non négociables et à tirer le maximum de celles qui le sont.

Dès lors le concepteur, s’il veut proposer une nouvelle chaise dans

une collection existante d’IKEA, devra, parmi les contraintes non

négociables, tenir compte des caractéristiques générales de la

collection, du poids que doit supporter une chaise et d’un coût de

production qui la rend compatible avec les autres composantes de la

collection. Par contre, le concepteur peut, parmi les contraintes

négociables, avoir une certaine marge de manœuvre dans le choix

des matériaux et l’aspect esthétique de la chaise.

Selon Dino Dini, une piètre conception est la conséquence d’une

mauvaise gestion des contraintes. Il donne à cet effet un exemple

tiré de l’industrie du jeu vidéo où l’on traite la contrainte « doit

apporter du plaisir » comme une contrainte négociable alors que,

selon lui, elle devrait être une contrainte non négociable. De la

même façon, une contrainte généralement négociable, par exemple

l’emballage et la présentation d’un produit peuvent, selon les

marchés visés se transformer en contraintes non négociables. Ainsi,

sachant que les Japonais apportent une attention toute particulière à

l’emballage des produits, négliger cet aspect sur un tel marché

équivaudrait à se faire « hara-kiri ».

Dès lors, lorsqu’il interprète une demande le concepteur se retrouve

devant une arborescence de possibilités dont il devra réduire la

portée et la complexité en faisant les bons choix, et ce, afin que le

processus de conception se maintienne dans un registre gérable. Il

faut, en effet, que la conception permette de répondre à l’une ou

Page 50: Concevoir la conception

42

Louis Toupin : Concevoir la conception

plusieurs des caractéristiques qui en font une composante du

système technique actuel : augmenter les quantités, réduire les

coûts, diversifier les produits, services ou solutions.

Nous verrons plus loin les procédés et outils intellectuels que le

concepteur peut mobiliser lors de cette étape de la conception. Pour

le moment retenons qu’à l’étape de l’analyse de la demande, le

concepteur est au début d’un processus dont, paradoxalement, il doit

déjà percevoir la ou les finalités. La perception correcte de ces

finalités et de leur contexte d’émergence aidera le concepteur à faire

les bons choix quant aux contraintes négociables et aux contraintes

non négociables. Nous verrons, plus loi, le rôle que joue la pensée

abductive dans ce processus d’anticipation des solutions.

Encadré 2 : Flaminio Bertoni Le nom de Flaminio Bertoni est lié à celui de la marque de voiture Citroën dont il élabora entre autres les célèbres modèles 2CV (1948) et DS (1955). Pendant le processus de conception de la célèbre 2CV de Citroën, un des objectifs était de créer une voiture pouvant transporter des objets fragiles tandis que la voiture se déplaçait en terrain cahoteux, et ce, sans les endommager. Le résultat fut la création d'une voiture possédant d'excellents amortisseurs, économique et sûre. La DS proposa quant à elle une ligne audacieuse et futuriste jamais imaginée pour l'époque, issue d'un « morphisme » entre un poisson et une voiture. En 1999, la DS, fut élue par un Jury international de sommités en la matière « Meilleur objet design mondial du XXième siècle ».

Encadré 3 : Histoire de fromage Clotaire Rapaille est un psychanalyste français controversé qui a publié le livre «Culture Codes», dans lequel il consigne le fruit de dizaines d’années de recherches. Il a travaillé pour des entreprises telles que Procter & Gamble, General Motors, l’industrie du luxe, et Chrysler pour la conception de la PT Cruiser. Selon lui chaque pays a ses codes culturels. Ces codes imprègnent profondément la fibre identitaire de chaque pays (La France = idée,

Page 51: Concevoir la conception

43

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’Amérique = rêve, l’Angleterre = classe), mais aussi ses activités sociales, ses objets, ses valeurs. Rapaille intègre ces perceptions dans le travail de conception ainsi que le marketing des produits et services. Il faut que le concepteur fasse contact avec ces codes s’il veut éventuellement atteindre le public auquel est destiné un produit. Par exemple, les Américains et les Français n’ont pas la même perception de la jeep. Chez les Américains, elle est associée au cheval, à l’espace. En France, elle est associée à fin de la guerre de 1945 lorsque les forces alliées ont libéré la France. Conséquemment il faut mettre en marché différemment la jeep dans ces deux pays. Il en est de même pour bien d’autres produits. Le fromage, par exemple, est considéré comme « vivant » en France. On connaît son âge, on le palpe, on le garde à la température de la pièce pour favoriser son mûrissement. Aux États-Unis le fromage est une matière «morte». On le place au frigo, on le pasteurise, on le momifie dans un emballage plastique sous vide. Concevoir une campagne publicitaire pour vendre un fromage aux consommateurs américains en se basant sur les valeurs françaises traditionnelles serait ainsi proprement suicidaire et inversement.

3.2 Observation, documentation et consultation

Une fois que la demande initiale a été sommairement identifiée le

concepteur peut réunir autour de lui une masse d’information qu’il

obtiendra à partir d’observations, de documents-papiers ou

numérisés, de consultations au sein de son environnement.

Cette séquence du processus de conception fait elle-même appel à

un sous processus de traitement de l’information. Ce sous processus

doit générer, du point de vue du concepteur qui en est l’utilisateur,

une valeur ajoutée, de la pertinence, une capitalisation des

informations et des connaissances déjà acquises. Autrement dit, en

s’entourant d’informations précises, des connaissances les plus à

jour, des meilleures idées, le concepteur peut améliorer

substantiellement son travail.

Le processus de traitement de l’information mettra donc le

concepteur en position de rechercher la meilleure information, celle

Page 52: Concevoir la conception

44

Louis Toupin : Concevoir la conception

qui contextuellement et synthétiquement se rapproche le plus des

termes de la demande identifier lors de l’étape précédente. Le

concepteur utilisera donc un processus de traitement de l’information

qui lui permettra de capturer, de raffiner, d’utiliser et de contrôler les

informations recueillies. Tout au long de ce processus, le concepteur

aura intérêt à retenir les informations à « valeur ajoutée ».

La figure 2, tiré des travaux de Hubert Saint-Onge (2003), illustre

cette stratégie à valeur ajoutée. Ainsi, dans une société du savoir, la

valeur ajoutée se déplace vers les connaissances, voire la sagesse.

Des données brutes aux connaissances, les informations sont

traitées par étapes, chacune exigeant un effort de synthèse de plus

en plus grand :

• Les données brutes sont disparates et éparses, donc

souvent hors contexte. Elles servent surtout à répertorier des

faits ou des observations. Par exemple, sur Internet, elles

correspondent aux résultats obtenus à partir d’interrogations

par mots clés en utilisant des moteurs de recherche.

• L'information est le résultat d'une interprétation de données

reliées entre elles dans un contexte défini et en fonction d'un

référentiel. Par exemple, dans l’information « Paris est la

capitale de la France » les mots « Paris », « capitale »,

« France » pris un à un représentent des données. Lorsqu’ils

sont reliés ensemble ils produisent une information qui

provoque un effet entre les locuteurs qui sont au fait de ce

que représente pour une ville d’être la capitale d’un pays. Si

on se rapporte à l’exemple d’Internet proposé

précédemment, le concepteur qui, grâce à des mots clés, a

généré des données pourra commencer ici à analyser ces

sources, à les contextualiser en fonction de ce qu’il

recherche, à établir des liens entre différentes informations.

• Les connaissances sont des informations sur un thème

précis qui sont colligées, présentées de façon analytique et

Page 53: Concevoir la conception

45

Louis Toupin : Concevoir la conception

intégrées à un domaine de connaissances qui permet de les

classifier et de la hiérarchiser. Ces informations sont

intégrées par une personne, souvent par une équipe, par

rapport à un contexte particulier. Ici le concepteur aura en

main des outils tels que des analyses de tendances, des

rapports de ventes, des synthèses textuelles, des schémas

visuels, des analyses croisées, des présentations de

concepts clés, des études de faisabilité, etc. Comme la

Figure 2 l’indique, on distingue généralement deux types de

connaissances à gérer :

o Les connaissances explicites : elles représentent

environ de 20% à 30%5 des connaissances

présentes dans un milieu de travail. Dans une

entreprise, elles se présentent sous la forme de

procédures, de plans, de documents, de banques de

connaissances sur les produits qui rassemblent des

informations concernant les normes, les

caractéristiques, les brevets, les pratiques, non

seulement les produits de l'entreprise mais aussi

ceux des concurrents.

o Les connaissances tacites : elles représentent de 70

à 80% des connaissances présentes dans un milieu

de travail. Elles sont davantage liées aux savoirs

faire des employés. Ce sont les habiletés, les

routines, les trucs du métier, les traditions partagées

par les membres d’un groupe de travail. Ces

connaissances se développent surtout dans l'action.

5 Selon Carla O’Dell et Jack Grayson (1998) le capital intellectuel d'une entreprise serait composé de 30 % de connaissances explicites et de

70 % de connaissances tacites.

Page 54: Concevoir la conception

46

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Les savoirs : les savoirs sont formés de connaissances,

mais ils se distinguent de celles-ci par leur intégration

immédiate à des schèmes d’action et, en ce sens, on les

qualifie souvent de savoirs tacites car ils ne prétendent pas à

l’universalité mais à l’efficacité dans l’action. On apporte

aussi une distinction entre savoir, savoir-faire et savoir-être.

Les savoirs se rapprochent le plus de la « compétence » car

celle-ci exprime justement la mise en œuvre des savoirs,

des savoir-faire et des savoir-être dans l’action. Parvenu à

cette étape du processus de traitement de l’information, le

concepteur utilisera des outils de validation des

connaissances, des scénarios, des outils d'aide à la prise de

décisions ou d'actions, etc.

Source d

’interp

rétatio

n

- Profondeur du sen

s +

Éléments dispersés

Données

Données organisées

Information

Base valide pour l’action

Connaissances

Intégration des

connaissances dans des

schèmes d’action

Savoirs

Tacite

Explicite

FIGURE 2 : REPRÉSENTATION DU TRAITEMENT DE L’INFORMATION

Adaptation de H. Saint-Onge, 2003

Page 55: Concevoir la conception

47

Louis Toupin : Concevoir la conception

Ce processus de traitement de l’information permet de mettre en

évidence trois facteurs importants :

• L’identification des informations et l’évaluation de leur

caractère critique ou stratégique : le processus de

traitement de l’information devrait s’apparenter à une veille

stratégique de façon à identifier, dans un contexte de

mondialisation, les tendances porteuses, de mettre en

perspectives plusieurs choix complexes et de choisir le

meilleur scénario possible. Plus le concepteur se rapproche

de connaissances validées, plus les démarches de type

« cartographie de connaissances » peuvent permettre au

concepteur d’évaluer le caractère critique de certaines

informations et connaissances.

• L’importance de la contextualisation : le traitement

successif des informations permet d’observer une intégration

de plus en plus grande aux structures cognitives du

récepteur. Celui-ci accorde un « poids de pertinence » aux

informations en fonction des problèmes, de solutions et des

questions qu’il se pose à un moment précis. Ainsi, pour le

concepteur, l'information en soi n'existe pas. Elle est relative

à un contexte donné.

• L’importance des pratiques de collaboration : le

traitement de l’information est aussi le résultat d’un

apprentissage continu car, d’une part, il faut accroître l’acuité

de l’information, son exhaustivité et la saisir dans des délais

raisonnables, d’autre part, il faut réduire les bruits, les

distorsions (publicité, propagande, etc.), les manipulations,

la surcharge informationnelle qui souvent l’accompagne.

Cette dynamique d’apprentissage qui permet l’affinage de

l’information le concepteur peut l’appliquer seul mais il peut

aussi, plus efficacement, le faire collectivement. Deux

Page 56: Concevoir la conception

48

Louis Toupin : Concevoir la conception

approches concernant les modalités de collaboration

pouvant supporter l’apprentissage peuvent ici être retenues.

Pour l’une, plus traditionnelle, il s’agira de favoriser le tutorat

et le compagnonnage. Le concepteur pourrait ainsi

bénéficier d’un espace d’échange et de services avec des

experts du domaine qui ont la capacité de transférer leurs

informations, leurs connaissances et compétences (voir

encadré 4). Une autre approche, plus contemporaine, misera

sur les échanges à l’intérieur de communautés de pratique

ou sur le travail en réseau au moyen d’outils collaboratifs

(voir encadré 5).

Encadré 4 : Exemples de pratiques collaboratives dans le domaine de la conception Le cas 7-Eleven Le directeur de la chaîne de magasins 7-Eleven, Joe DePinto, a voulu reproduire au sein de son entreprise l’esprit de camaraderie qu’il a expérimenté dans les forces armées. Il a mis en place, en 2006, le programme I.C.A.R.E. (I – Intégrité, C – Centration sur le Consommateur, A – Accountability ou responsabilisation, R - Reconnaissance, E – Excellence dans l’Exécution). Ce programme vise à favoriser la mis en place de pratiques de collaboration afin de mieux servir le client. Ainsi, les employés doivent participer à la prise de décision, produisent des « feuilles de partage d’information » et se réunissent entre collègues pour discuter, par exemple, du potentiel d’un produit, d’une tendance particulière, etc. Cette démarche participative, formelle et institutionnalisée crée un espace d’interaction entre les employés et avec les clients favorisant ainsi l’échange de connaissances. Le cas Danone Danone favorise la collaboration dans le domaine de l’innovation en utilisant le concept de ventes d’idées à la criée, ou market places. Pendant une séance annuelle, une vingtaine de crieurs (givers) vendent les bonnes pratiques développées dans leur filiale. Les autres participants, les preneurs (takers), se promènent de stand en stand en quête d'idées à

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Louis Toupin : Concevoir la conception

acheter au moyen de chèques factices. Un cadre raconte qu’il a pu ainsi « acheter » la méthodologie, développée par un collègue d’une autre filiale, pour adapter les produits mondiaux aux habitudes de consommation locales. Cette méthode permet à Danone de réduire le temps de cycle pour développer une innovation, notamment en étant plus rapide dans l'échange d'informations et en contournant les longs circuits hiérarchiques. Pour les inventeurs, il n'est prévu aucune récompense. Juste la satisfaction de voir leurs idées référencées dans un guide. Les gestionnaires peuvent également partager directement leurs innovations via un site intranet.

Encadré 5 : Les communautés de pratiques Comme le souligne Denis Meignan (2007) : une communauté de pratique est un groupe de professionnels, de taille variable, qui met en commun des connaissances, travaille ensemble, crée des pratiques communes, enrichit ses savoir-faire sur un domaine d’intérêt (expertise, compétences, processus…) qui est l’objet de leur engagement mutuel. Elle est différente :

• D’un service ou d’un département car elle établit une collégialité entre ses membres et ne vise pas à en opérer le management;

• D’une équipe de projet, car elle fonctionne autour d’intérêts réciproques et non de la réalisation des tâches et la fourniture des livrables comme un projet;

• D’un réseau, car elle n’est pas fondée sur un ensemble de relations interpersonnelles, mais se positionne sur un autre registre, la fédération de professionnels autour d’un ou plusieurs sujets qui les préoccupent.

Celles-ci ont vu leur nombre et leur importance s’accroître au cours des dernières années car elles facilitent le transfert des connaissances explicites et, encore mieux, tacites. Les communautés de pratiques sont des lieux, généralement virtuels, riches en interactions. Elles permettent de partager expériences et connaissances, et de trouver des solutions pratiques à ses problèmes particuliers. Les communautés de pratiques existent sous plusieurs formes. Elles peuvent être internes à une entreprise. On en retrouve d’ailleurs dans des entreprises telles qu’IBM, Xerox, Banque Mondiale, Arcelor (…) qui ont pris conscience de leur importance dans le cadre d’une économie basée sur les connaissances et sur la reconnaissance de l’importance accrue des réseaux organisationnels.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Les communautés de pratiques peuvent aussi être communes à tout un domaine. Certaines ne regroupent que des professionnels d’un même domaine. Par exemple, on retrouvera une communauté de pratiques réunissant les professionnels en santé du cœur. D'autres communautés de pratiques peuvent regrouper des membres concernés par un même produit ou service, fournisseurs et clients. On retrouvera, par exemple, une communauté des tuteurs à distance dans le cadre de formation en ligne (e-learning) qui réunit tuteurs et étudiants. Certaines communautés de pratiques sont plus soutenues que d'autres, notamment lorsqu'elles génèrent des connaissances stratégiques et qu’elles ont des effets notables sur une organisation, sa culture, son mode de fonctionnement, sa relation avec ses clients et avec ses fournisseurs. Les bénéfices liés au développement des communautés de pratiques peuvent concerner l’innovation et la conception, mais aussi le renforcement du capital intellectuel et des processus d’apprentissage de l’organisation, la réduction du temps de réponse aux clients, l’identification de nouvelles opportunités de marché, la création de partenariat. La participation à des communautés de pratiques peut aussi contribuer à l’émergence de bénéfices intangibles, comme le renforcement de l’identité organisationnelle, l’accès à l’information et à l’expertise au sein de l’organisation ainsi que le temps d’acclimatation et de socialisation des nouveaux employés. Dans le Tableau situé ci-dessous Denis Meignan propose une lecture des avantages associés aux communautés de pratiques. Le déploiement de communautés de pratiques au sein d’une organisation permet ainsi de développer considérablement ses schémas communicationnels, l’échange de connaissances stratégiques relatives à l’ensemble de la chaîne de valeur et de renforcer le sentiment d’appartenance et de loyauté des employés.

MEMBRES COMMUNAUTÉS SOCIÉTÉ

MESURABLE

• Amélioration du mode de travail de chacun

• Augmentation des compétences

• Développement d’un langage commun pour le domaine

• Création de nouvelles connaissances

• Amélioration de la performance opérationnelle

• Développement du potentiel d’innovation

Page 59: Concevoir la conception

51

Louis Toupin : Concevoir la conception

NON-MESURABLE

• Enrichissement du périmètre de travail

• Valorisation des initiatives, de la créativité et des innovations

• Insertion des experts dans un espace de collaboration

• Renforcement de la cohésion des collaborateurs

• Valorisation du patrimoine de connaissances

• Prise de conscience des limites d’un mode de fonctionnement basé sur des processus

• Développement d’une culture de partage

• Décloisonnement de la société

3.3 Développement du concept

Cette troisième étape du processus de conception permet au

concepteur d’explorer comment on peut répondre à la demande

initiale. Comment les choses seront-elles structurées ? Qu’est-ce qui

est important ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Est-ce que la demande

initiale est totalement prédéfinie (built-in) ? Ou bien, laisse-t-elle

beaucoup d’initiative au concepteur ?

À cette étape, il ne s’agit pas de se concentrer sur les aspects

fonctionnel ou esthétique du produit, du service ou du résultat à

réaliser, mais davantage sur sa signification, son sens : quel est le

concept, et les idées, qui vont permettre de répondre au besoin

initial ? C’est ce concept qui va donner du sens à la conception, à

son contenu et même à la technologie utilisée.

Pour parvenir à cette première identification, on procédera

généralement à une « pluie d’idées » (brainstorming) comme moyen

de réinvestir les résultats pertinents de l’étape précédente

(observation, documentation et consultation).

Si la demande initiale porte sur l’adaptation d’un concept connu de

produit, de procédé, de service ou de résultat, plusieurs

représentations ou réalisations antérieures du concept peuvent être

Page 60: Concevoir la conception

52

Louis Toupin : Concevoir la conception

utilisées comme autant d’outils intellectuels afin de guider le

processus de conception. On se basera sur le connu afin de faire

évoluer, en l’améliorant, le produit, le service ou le résultat. Par

exemple, la Citroën DS, lancée en 1955, n’a reçu ses phares

pivotants qu’en 1968.

Lorsque la demande initiale exige le développement d’un tout

nouveau concept, le processus de développement ne peut pas être

atteint en mobilisant les représentations ou réalisations antérieures.

Non seulement parce que le nouveau concept n’est pas encore

connu mais aussi parce que les anciennes conceptions peuvent faire

obstacle au renouvellement des idées.

Il est alors possible d’utiliser un symbole ou une représentation

paradoxale qui incarnera ce qui n’est pas encore connu et ce qui

devra être appris ou inventé. Une manière de faire est d’identifier

une contradiction qui devra être surmontée au sein du système de

l’activité. Par exemple, le système Linux (voir Encadré 7) a été

développé comme une alternative au quasi-monopole exercé par le

système d’exploitation Windows alors qu’Internet ouvre des

possibilités de collaboration quasi infinie. De même, le système de

production Toyota a été développé à partir d’une contradiction

croissante entre le concept de la production de masse et l’existence

de petits marchés au Japon. Ainsi, pour s’adapter à ce type de

marché qui exige la différentiation des produits, le système Toyota a

privilégié la production dite flexible qui mise sur les changements

rapides et les petits volumes de production.

Mais d‘où viennent les idées? En 1992, le conférencier Joël Arthur

Baker estimait que le développement des idées, des nouveaux

concepts, reposait sur ce qu’il appelait les changements de

paradigmes (paradigm shift). S’inspirant du concept de paradigme

de l’historien des sciences Thomas Khun, il définissait celui-ci

comme un ensemble de règles et de régulations qui produit deux

choses : tout d’abord, il fixe des frontières; ensuite, il indique

Page 61: Concevoir la conception

53

Louis Toupin : Concevoir la conception

comment se comporter à l’intérieur de ces frontières pour obtenir des

succès, notamment de nouvelles idées porteuses. À partir de là

Baker indique comment notre époque est mûre pour un changement

de paradigme car nos vieilles conceptions et façons de percevoir la

réalité nous empêchent de saisir les opportunités qui s’offrent à nous

dans une société où le changement est devenu la norme. Cette

approche khunienne du changement estime que le développement

des idées est le résultat d’un nouveau processus d’apprentissage au

cours duquel nous allons construire une façon de percevoir, de

penser, d’évaluer et de faire qui sera compatible avec une nouvelle

vision de la réalité. Cette approche privilégie l’hégémonie des

grandes théories, ou visions, ou systèmes de pensée qui ensuite se

déclinent en applications diverses.

Cependant, l’étude des processus de découvertes et d’innovations

montre souvent que ceux-ci épousent davantage une dynamique

locale d’apprentissage sociale. Ainsi, un autre historien des

sciences, Hans-Jörg Rheinberger (1997), estime que c’est

davantage la configuration technique, instrumentale, institutionnelle,

sociale et épistémique d’un lieu qui favorise la découverte,

l’innovation. Autrement dit, Rheinberger attribue beaucoup de

pouvoir aux configurations matérielles dans le processus

d’acquisition de connaissances par rapport aux concepts et aux

théories. Dans une configuration matérielle, une idée peut être émise

par quelqu’un, recadrée par un collègue et développée par quelqu’un

d’autre. Dans ce contexte, la question « qui a eu l’idée? » devient

secondaire par rapport à la « puissance du lieu ». C’est dans ce

sens qu’on peut parler de certains lieux mythiques, comme Venise

au XVième siècle, la Sillicone Valley aujourd’hui, Paris pour la mode,

la City de Londres pour les finances. L’individu, le concepteur, joue

certes un rôle important mais c’est son imbrication dans une

configuration matérielle qui le met davantage en situation de générer

de nouvelles idées.

Page 62: Concevoir la conception

54

Louis Toupin : Concevoir la conception

Une étude de Boris Ewenstein et Jennifer K. Whyte (2005) sur un

bureau d’architectes situé dans au nord de Londres met en

perspective le rôle joué par les outils de représentations visuelles

dans le travail de conception. Cette étude rappelle d’abord que le

premier ensemble de connaissances qui se maintient à travers le

processus de conception est formé par les intérêts et les

spécifications du client. C’est de cet ensemble d’objectifs et de

spécifications qu’émergent les premières idées et solutions qui

seront par la suite développées par une équipe interdisciplinaire. Elle

démontre ensuite comment les représentations visuelles (les plans,

les dessins), jouent un rôle moteur dans l’expression des idées et

dans les ajustements mutuels de celles-ci au regard des attentes du

client et des contraintes découlant de la nature des travaux

d’architecture.

Ainsi, selon cette étude, différentes « communautés épistémiques »

interviennent dans un projet d’architecture d’envergure, telles que :

les architectes, les ingénieurs, les contrôleurs financiers, les

consultants en environnement, les urbanistes, les organisations

civiles. Les représentations visuelles agissent comme artéfacts

« trans-épistémiques » car elles permettent de traverser les barrières

de ces différentes communautés en offrant une base matérielle de

discussion, permettant ainsi d’intégrer différents types de

contribution. Plutôt que de miser sur une expression directe du

concept en développement, les artéfacts permettent à celui-ci de se

transformer en « récit » (ou storytelling) ce qui donne au concept

beaucoup de fluidité et facilite son appropriation par différentes

communautés épistémiques.

Ces artéfacts de connaissances, ou « objets épistémiques », jouent

non seulement un rôle moteur dans l’identification des problèmes

mais aussi dans l’exploration des solutions et leur incorporation dans

le corpus des connaissances esthétiques, techniques et sociales

mobilisées par le projet. Ces objets épistémiques évoluent

Page 63: Concevoir la conception

55

Louis Toupin : Concevoir la conception

conséquemment avec le projet architectural. Ils se caractérisent ainsi

par leur souplesse ontologique, leur fluidité théorique, et leur méta-

indexicalité car ils peuvent autoriser plusieurs significations et

favorisent une mutualisation de la compréhension entre les

différentes parties prenantes du projet.

Le rôle des objets épistémiques, dans ce cas-ci les représentations

visuelles, dépend ainsi, de manière significative, du contexte spatial

et temporel dans lequel ils sont engagés. Ils peuvent prendre la

forme de modèles, de concepts, de plans, de maquettes, de

tableaux, d’objets, physiques ou numérisés, qui vont servir à

formuler des questions de façon à dégager une ou des hypothèses

de travail pour changer des pratiques, des compréhensions et, ce

faisant, conduire à de nouvelles conceptions.

Encadré 6 : Atari, un concept toujours actuel Atari est en quelque sorte « l’ancêtre » des jeux vidéo. Le nom d’Atari se confond avec celui de son fondateur Nolan Bushnell. La vision initiale de Bushnell était de rendre les jeux vidéo accessibles à domicile. Ce concept s'est concrétisé presque conformément aux plans originaux de Bushnell. La console de jeux était née. Aujourd’hui on reconnaît qu’Atari et Nolan Bushnell ont ouvert la voie à toutes les consoles de jeu lancées ultérieurement et qui provoquent encore un engouement des amateurs de jeux vidéo lors de leur lancement.

Encadré 7 : Linux, un concept ouvert… Linus Torvalds est l’initiateur d'une solution de rechange à Windows comme système d’exploitation des ordinateurs de type IBM. Le système d'exploitation Linux est en développement incessant depuis sa création en 1991, et il ne cesse de gagner en popularité à chaque année. On estime qu’en 2008 ce système d'exploitation occupe plus de 2 % du marché des ordinateurs de bureau. Ce système se caractérise par l’accessibilité à son code source, par opposition au code fermé de Windows. Dans un essai intitulé, La cathédrale et le bazar, Eric S. Raymond a décrit le modèle de développement du système Linux. Il compare le modèle de

Page 64: Concevoir la conception

56

Louis Toupin : Concevoir la conception

développement de Linux à celui d’un bazar où des milliers de programmeurs coopèrent, grâce au code ouvert de Linux, au développement de logiciels libres et de divers services informatiques, et ce, sur fond de trame misant sur l’adaptabilité, la flexibilité, l’interopérabilité. À l’opposé, l’autre système de développement est comparé à une cathédrale. Il utilise un code fermé afin de favoriser la création de logiciels propriétaires. Son adaptabilité, selon Raymond, serait moins grande. De plus il entretiendrait des problèmes structurels de vulnérabilité face aux virus, comme c’est le cas là où on pratique de façon intensive la mono culture. Ces idées de code ouvert et de logiciels libres se présentent comme une façon d’accélérer le développement de nouveaux concepts, notamment en favorisant la collaboration horizontale entre des entreprises ou des unités qui réalisent le même type d’activité. Les utilisateurs d’un même système technique dans différents contextes peuvent échanger les améliorations qu’ils réalisent lors de l’usage du logiciel. Ce faisant, la technologie devient plus robuste et une plus grande variété d’applications est créée pour différents usages. La possibilité de réaliser des inventions collectives est basée sur une combinaison de similitudes et de variations qui rendent l’échange possible. Sur la base d’une même technologie, les utilisateurs développent des applications différentes car ils doivent répondre à des contextes ou des objectifs différents.

3.4 Réalisation d’une projection du concept

Parvenu à cette étape du processus de conception, le concepteur,

ou l’équipe de conception, raffineront le concept développé au cours

de la phase précédente. Pour ce faire, et selon le domaine

professionnelle, diverses représentations seront développées telles

que : devis, plans, esquisses, maquettes, prototypes, scénarimage

(story-boards), synopsis, croquis, ébauche, démo…

Ces diverses représentations permettent de projeter des solutions

aux besoins qui ont déclenché le projet de conception, et ce, en

permettant d’explorer la solution envisagée, d’en éprouver la

faisabilité et la viabilité. Elles ont le mérite de rendre tangible (pas

nécessairement physique) le projet de conception du point de vue

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57

Louis Toupin : Concevoir la conception

des futurs utilisateurs. Dès lors, quel que soit le type de projection

utilisée, cette étape du processus de conception est cruciale car elle

permet de valider, du point de vue du « client » ou du futur

« utilisateur », la solution proposée. Dans ce contexte de validation,

il importe que la représentation choisie permette une projection

assez réaliste de la fonctionnalité, de l’esthétisme et de la

signification du concept qui a été retenu.

Voici une présentation, non exhaustive, de diverses représentations

qui sont couramment utilisées à cette étape du projet de conception.

� Devis

Le devis est un jeu de documents décrivant une activité particulière,

qui permet d'évaluer cette dernière et de décider de l'approuver ou

de la rejeter. On retrouve souvent dans le devis la description des

ressources humaines nécessaires pour accomplir les travaux, un

calendrier de travail ainsi qu’un état détaillé et estimatif des travaux à

accomplir. Lorsque les travaux sont longs et complexes, on peut

aussi retrouver une présentation de la méthodologie de travail. On

parle aussi d’avant-projet ou de soumission.

� Esquisse

L’esquisse constitue un premier projet, souvent à l'état de plan,

indiquant l'essentiel d'un travail. On parle aussi d’ébauche.

Chez les stylistes et les concepteurs qui utilisent le dessin, l’esquisse

est un dessin préliminaire des grandes lignes d'un ouvrage ou d'une

partie d'ouvrage, établi en vue de définir les grandes lignes du parti

ou de permettre une mise au net ultérieure. On parle aussi de

croquis ou de crayonné.

� Maquette

La maquette se présente comme un état intermédiaire entre

l'esquisse et un développement plus poussé du projet de conception.

Comme les exemples proposés ci-dessous l’illustrent la maquette

Page 66: Concevoir la conception

58

Louis Toupin : Concevoir la conception

est utilisée dans de nombreux domaines de la conception (voir

Encadré 8) :

• Enregistrement généralement peu coûteux d'une ou de

plusieurs pièces musicales afin de les faire connaître ou

évaluer. On parle aussi de démo;

• Construction à échelle réduite et en trois dimensions des

décors d'une production;

• Modèle à échelle réduite d'un ouvrage, d'un édifice ou d'un

groupe d'édifices;

• Première ébauche de réalisation d'une émission ou d'une

série d'émissions;

• Première ébauche d'un bien, en réduction ou en grandeur

nature, qui vise à établir les possibilités de fonctionnement

ou à tester les performances du produit envisagé. On parle

aussi de produits pilotes;

• Document de travail d'un dessinateur, montrant l'état

d'avancement d'une annonce ou d'un matériel publicitaire,

assez poussé pour qu'on puisse avoir déjà l'idée de ce que

sera la réalisation définitive;

• Projet poussé à partir du crayonné, permettant de donner

l'aperçu le plus juste de ce que sera la réalisation;

• Système expert de démonstration limité pour des raisons

méthodologiques à un sous-ensemble représentatif du

problème que l'on souhaite résoudre par la méthode des

systèmes experts;

• Modèle à échelle réduite d'un appareil, d'un véhicule.

� Prototype

Le prototype est un modèle ou une mise en œuvre préliminaire

permettant d’évaluer la conception d'un système, de sa réalisation à

son potentiel d'exploitation, ou encore de parvenir à une meilleure

Page 67: Concevoir la conception

59

Louis Toupin : Concevoir la conception

identification et compréhension des besoins. Le prototype est

capable de traiter un certain nombre de cas concrets, mais n'a pas

encore la solidité requise pour être mis entre les mains des usagers.

Un prototype doit pouvoir être utilisé pour résoudre des problèmes

réels dans des conditions d'utilisation éventuellement restrictives.

Comme pour la maquette, il existe, selon les domaines, de

nombreux types d’utilisations des prototypes :

• Exemplaire d'un engin spatial ou d'un appareil de vol qui

n'est généralement pas destiné à être lancé et auquel on fait

subir des essais de qualification;

• Maquette de tout ou d’une partie d'un appareil, destinée à

prouver la validité de la conception et à servir de référence

pour la réalisation des modèles ultérieurs, mais qui ne subit

pas d'essais complets;

• Premier exemplaire construit industriellement d'un produit

destiné à des essais en vue de sa construction en série;

• Voiture de présentation qui permet au constructeur de

donner un avant-goût des innovations à venir dans la

construction et l'équipement automobiles, et de mesurer

l'intérêt des automobilistes pour les nouveautés proposées.

� Scénario

Méthode d'analyse employée dans la solution de problèmes, dans le

choix de traitements à adopter dans une situation donnée et, de

façon générale, dans toute situation appelant un choix entre

plusieurs solutions possibles, qui consiste à se représenter différents

scénarios ou hypothèses et à comparer l'incidence de chacun sur le

résultat ou d'autres facteurs pertinents, en posant des questions du

type « Qu'arriverait-il si... », et ce, de manière à mieux éclairer la

prise de décision.

Page 68: Concevoir la conception

60

Louis Toupin : Concevoir la conception

� Schéma

Le schéma permet de saisir des données, des informations d’ordre

relationnel, structurel, fonctionnel ou technologique.

Différents types de schémas permettent un passage progressif de

l’idée à la solution, sans s’enfermer trop tôt dans des choix

techniques limitant la créativité. Ces schémas utilisent généralement

des symboles normalisés propres à différents domaines : électrique,

structurel, cinématique, architecture.

Le schéma peut aussi servir d’outil de communication sur un produit

à d’autres intervenants (utilisateurs, vendeurs, réparateurs). Dans ce

cas précis, le schéma est en quelque sorte libéré de ses contraintes

techniques au profit d’une expression plus créative, et ce, pour

permettre davantage de « faire passer le message ».

� Simulation

La simulation, qu’elle soit numérique, analogique ou par modèle

réduit, est une technique permettant d'imiter, aussi fidèlement que

possible, des phénomènes réels grâce à des programmes intégrant

des modèles fondés sur des paramètres qui interviennent dans la

réalité. En reproduisant un phénomène à l’aide d’un modèle

mathématique, la simulation permet de modifier arbitrairement les

paramètres du modèle et d'observer les conséquences de ces

modifications.

Le succès de la simulation dépend de la qualité des informations

entrées dans le modèle de départ, de la solidité de ce modèle et de

la puissance du système de traitement, souvent informatique.

L'ordinateur a considérablement contribué au progrès de la

simulation. On peut créer des simulations 2D ou 3D à partir de

logiciels de dessins tels que Visio, Autocad, COREL Draw.

Page 69: Concevoir la conception

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Louis Toupin : Concevoir la conception

� Story-board / scénarimage

Série de dessins comparables à une bande dessinée, réalisée avant

le tournage d'une séquence cinématographique et définissant le

cadrage et le contenu des images de chaque plan.

� Synopsis

Résumé très succinct d'une émission, d'un film, d’un livre développé

en quelques lignes ou en quelques pages.

Il existe aussi d’autres modes de représentations qui remplissent les

mêmes fonctions que celles déjà présentés telles la structure de

répartition des travaux en gestion de projet, la vue en fil de fer (voir

Encadré 9), la réalité augmentée (voir : définition).

Encadré 8 : Histoire de maquette Elhadi Yazi est le graphiste qui a signé, en 2007, la nouvelle maquette du magazine d'Air France. Cette nouvelle maquette veut réaffirmer la dimension internationale et contemporaine du magazine en privilégiant une présentation plus rythmée, plus aérée, plus lisible et donnant la vedette à la photographie. Yazi présente ainsi la genèse du travail de conception de cette nouvelle maquette : Air France Magazine a fait appel à la compétition pour renouveler l’édition du magazine. Trois concurrents de poids se sont alors affrontés : Gallimard, Condé Nast et Le Monde. Gallimard, la maison avec laquelle Yazi collabore, a été retenu. Gallimard souhaitait une maquette qui tranche radicalement avec la précédente. Celle-ci était effacée derrière des photographies omniprésentes et donc, complètement dépendante de leur qualité. Face aux contraintes (notamment le bilinguisme) et à la volonté de trancher avec l’ancienne maquette, Yazi, en collaboration avec le directeur du magazine, a choisi d'être assez innovant, en proposant un concept différent de ce qu'on voit dans la presse magazine. Le délai de mise en place de la nouvelle maquette était court et un mélange de nervosité et de jubilation envahissait toute l'équipe. De plus, la nécessité d'un relookage coïncidait parfaitement avec un changement de

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Louis Toupin : Concevoir la conception

rédaction en chef, insufflant ainsi un nouvel élan. Dans cette urgence, la réflexion ne s'est étalée que sur quinze jours et la mise au point s'est limitée à un mois et demi. Dans cette maquette, il fallait, selon Yazi, créer des espaces, des blancs, des tensions pour l'animer. Il a donc proposé une maquette toute en tension entre les pleins et les vides à laquelle il a ajouté quelques signes très simples qui évoquent le décollage. Enfin, il a redessiné le logo et simplifié les mots Air France. Cette approche permettait de trancher radicalement avec la formule précédente. Le nouvel Air France Magazine est conçu en quatre parties : « Air du Temps », « Rencontres », « Partir » et « Air France News ». A chaque partie correspond une ouverture. Ainsi, souligne Yazi, pour les ouvertures des pages Reportage, nous sommes dans du multi-écran. C'est imposé. Nous souhaitons des ouvertures très fortes avec une image très belle, qui permette d'identifier le sujet, complète-t-il. Le rythme est très important, nous alternons les mises en page découpées avec des mises en page plus calmes. Dans cette maquette, on ne trouve pas de gros blocs, tout est découpé. Nous avons semé des décrochés, des vides. J'ai d'ailleurs demandé aux maquettistes de composer les blancs. Je ne veux pas qu'ils soient là par défaut. Une maquette pas toute blanche, au demeurant, puisque pour chacune de ces quatre rubriques un code couleur a été choisi (rouge, gris vert, orange et bleu). La couleur concernée est systématiquement reprise dans la première phrase de chaque article. Cela nous évite la lettrine, trop classique, précise Yazi. Ces décrochements, le lecteur les découvre dès la couverture. Nous avons inscrit un décrochement avec le titre, confirme Elhadi Yazi. Sa lecture est plurale. Quant au petit picto de la flèche, visible tout au long du magazine, il est un clin d'œil à l'univers aéroportuaire. C'est une déclinaison de ces flèches que l'on voit partout dans les aéroports. Pour faire passer le côté aérien, déstructuré de la mise en page, il nous fallait être très carré dans nos choix typographiques, admet Elhadi Yazi. Des choix qui les ont menés vers la Big Caslon pour les titres, la Giacomo pour les chapôs et les relances. Nous souhaitions instaurer une confrontation harmonieuse entre une typo sérif et une autre sans sérif, explique le graphiste. Quant au texte, il est en Hoefler Text parce que c'est très lisible.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Encadré 9 : Vue en fil de fer Une « vue en fil de fer » (Wireframe) est une représentation squelettique d’un futur site web. Elle indique les éléments de navigation, les fonctionnalités et les zones de contenu du site et ce sans les éléments graphiques. Ce type de vue est réalisé avant même que n'importe quel dessin-modèle soit développé. Lorsqu’approuvée par le client elle deviendra un plan directeur pour le design et le contenu définitif qui seront rajouté après coup. La vue en fil de fer permet également de maintenir une uniformité de conception à travers l’ensemble du site Web. La vue en fil de fer occupe une place importante de l'étape initiale de développement parce qu'elle permet d’entrer en contact avec les attentes des futurs utilisateurs et contribue déjà à développer une certaine familiarité avec le site Web en développement. La vue en fil de fer facilite également la communication entre les parties prenantes d’un projet telles que : concepteurs, ingénieurs, développeurs. Tout au long du projet, la vue en fil de fer fonctionne comme un « objet épistémique » à partir duquel on pourra considérer les changements, divers chemins pour les utilisateurs, et toutes autres conditions d’utilisation. Les architectes de site Web et les concepteurs utilisent ainsi les vues en fil de fer comme objet de questionnement et d’intégration des idées. Ces vues deviennent ainsi de véritables documents de travail qui permettent d’intégrer les langages, les contenus et les structures de pensée des parties prenantes d’un projet de conception d’un site Web.

3.5 Révision et adaptation du concept

Une fois qu’une première version du concept est prête, il est temps

de valider avec le client ou les initiateurs du projet, afin de

déterminer si le produit, service ou résultat en développement est

sur la bonne voie.

Le travail de révision et d’adaptation d’un concept, que l’on désigne

aussi par l’expression « validation », est largement un travail itératif.

Celui-ci peut se dérouler sur une ou plusieurs rencontres. Il implique

généralement les principales parties prenantes du projet et les

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Louis Toupin : Concevoir la conception

artéfacts qui représentent le concept en développement jouent un

rôle moteur dans les échanges. Le processus de validation peut

prendre plusieurs formes selon la nature du concept, sa portée et les

parties impliquées.

Parvenu à cette étape, il s’agit donc d’avoir les feedbacks des

parties prenantes les plus concernées par le projet. Notamment,

dans bien des cas, il s’agit du ou des clients bailleurs et du ou des

clients utilisateurs. Les commentaires et remarques de ces parties

prenantes peuvent aller du détail, par exemple on n’aime pas une

couleur, on identifie une difficulté, jusqu’aux remises en questions

importantes. Dans ce dernier cas de figure, souvent les

commentaires identifieront, comme le veut la théorie des contraintes

(Goldratt et Cox, 1984), une contrainte majeure qui limite le

développement du produit, du service ou du résultat. Cette

contrainte portera soit sur l’esthétisme, la fonctionnalité, ou la

signification du concept.

Les remises en question profondes se concentrent sur une ou

quelques contraintes majeures parce que la conception exige, tout

au long de son processus de concilier les aspects esthétiques,

fonctionnels et signifiants du produit, service ou résultat. Cette

conciliation est difficile à obtenir car souvent les contraintes

répondent à des logiques justement difficiles à réconcilier. Une

contrainte majeure identifiée peut être intrinsèque, c’est-à-dire, lié au

développement même du produit, du service ou du résultat, ou bien

extrinsèque, c’est-à-dire qu’elle est liée à des conséquences

externes telles que marketing (prix, positionnement par rapport à la

compétition, habitudes de consommation…), normes

environnementales, difficultés d’entretien ou d’approvisionnement.

Ainsi, par exemple, il est possible d’identifier la sécurité comme une

contrainte intrinsèque majeure dans le développement d’un produit

car elle peut créer des difficultés de conception importantes du point

de vue de la fonctionnalité ou de l’esthétisme. Le design de voitures

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Louis Toupin : Concevoir la conception

est souvent aux prises avec ce dilemme. De même, il est possible

d’insister sur l’originalité d’un produit, par exemple en y incorporant

les dernières technologies, mais cela risque de créer une contrainte

extrinsèque, notamment un problème important d’utilisation. À cet

effet, on se souviendra des réveils matins à cadran lumineux et

« programmables » ou des autos « parlantes ». Les premiers étaient

d’une utilisation difficile et, sous une lumière directe, ils affichaient

tous la même heure, soit 88:88. Les secondes, les autos

« parlantes », une fois l’effet de nouveauté dissipé, devenaient vite

ennuyeuses et « moralisantes ». La contrainte extrinsèque était que,

même en réglant et améliorant tous les problèmes de fonctionnalité,

ces produits étaient conçus à partir d’innovations qui, à toutes fins

utiles, n’avaient pas de marchés.

La validation du concept sera donc l’occasion de rechercher une

combinaison optimale entre signification, fonctionnalité et

esthétisme. Selon la gamme du produit, du service ou du résultat,

selon les budgets disponibles, selon les intentions commerciales de

départ les contraintes, les normes et les spécifications peuvent être

débattues afin d’en arriver à une combinaison optimale des

contraintes de développement.

Pour faciliter les échanges on utilisera les « objets épistémiques »,

soit les artéfacts qui ont été développées afin de rendre plus

repérable et concret le processus de conception (plans, esquisses,

prototypes, maquettes, etc.). Tout au long du processus de

conception, ces artéfacts seront utilisés à la fois pour poser des

questions, identifier des problèmes, chercher des solutions et les

intégrer. Les parties prenantes ont, avec ces artéfacts, des relations

physiques et émotives. On les manipule, on les touche, on les

affiche, on y écrit des commentaires, on en fait de nouvelles

versions. Peu à peu ils deviennent la mémoire collective et évolutive

du projet.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Une fois les discussions terminées au regard de cette étape du

processus, il est possible de se retrouver devant au moins deux cas

de figures :

• D’une part, le concept est validé et, à quelques retouches

près, le concepteur, ou l’équipe de conception, peut alors

développer un plan projet plus complet et détaillé;

• D’autre part, il se peut aussi que le concepteur, ou l’équipe

de conception, doive retourner plus ou moins à la case

départ. Des modifications majeures et substantielles sont

exigées au concept, à un point tel qu’il vaut mieux parler de

« re-conception » ou d’une nouvelle conception. Le

processus redémarre alors pratiquement au début, à ceci

près qu’il est possible de faire une évaluation du concept qui

n’a pas été retenu et ainsi retenir les leçons qui s’imposent.

Ce redémarrage requiert à nouveau, comme il a été souligné

au cours des étapes précédentes, beaucoup de recherche,

de réflexions, de développements d’artéfacts, de discussions

et d’ajustements. Dans ce cas de figure ce ne sont pas

toujours les errances de l’équipe de conception qui sont en

cause. Le client, le promoteur du projet, peut aussi être en

cause. Dans ce cas, il importe de bien définir les attentes du

client ou du promoteur du projet. La technique du portrait

chinois (voir Encadré 10) peut servir à mieux cerner celles-

ci.

Encadré 10 : La technique du portrait chinois La technique du portrait chinois permet aux gens de se découvrir, à travers des questions amusantes telles que « si j'étais un objet », « si j'étais un animal », « si j'étais un plat ». L’interprétation du portrait chinois peut se faire de façon individuelle ou en groupe. Pour établir son portait chinois le Tableau ci-dessous peut être utilisé, en version longue ou courte selon la disponibilité de la personne ou du groupe.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Si j’étais Je serais

Un animal

Un vêtement

Un plat

Un véhicule

Un meuble

Un objet

Un personnage de fiction

Un(e) chef ou leader

Une vedette ou artiste

Une marque d’automobile

Une saison

Une chanson

Une couleur

Un roman

Une légende

Un film

Un dessin animé

Une arme

Un endroit

Une devise

Un oiseau

Un air

Un élément

Un végétal

Un fruit

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Un bruit

Un climat

Un loisir

Une planète

Une pièce

Un adverbe de temps

L'agence de design et de création Dragon Rouge a utilisé la technique du portrait chinois dans une étude visant à déterminer à quoi s’apparente une marque dans l’imaginaire masculin. L’étude s’est déroulée dans 4 grands marchés européens : Allemagne, France, Angleterre et Pologne. L'enquête a ciblé 5 familles de produits : voiture, mode, soin du corps, nouvelles technologies, boissons, plus une catégorie regroupant les meilleures marques des 5 familles. Le but de l’étude était de prendre les marques numéro 1 de chaque catégorie et de leur donner forme sous les traits d'une ville, d'une voiture, d'un évènement et d'un animal. L'étude montre que l'homme européen n'existe pas vraiment. Cependant, certains modèles se dessinent et peuvent inspirer les annonceurs dans leur stratégie future de marketing et design. Par exemple, le mâle français est plus éclectique que ses voisins européens, avec des choix liés à une culture et une identité forte. Ainsi, la marque préférée des Français dans le domaine de la beauté, L'Oréal, est associée à une limousine blanche, au Festival de Cannes, à New York ou encore Paris. Le chat persan complète ce portrait glamour et tendance, mais fait également ressortir des notions telles que la célébrité, la séduction ou le désir. Nike, la griffe préférée des Français toutes catégories confondues, est quant à elle, associée à une panthère, une BMW et à une soirée rassemblant artistes de hip-hop et athlètes et se déroulant plutôt dans une ville comme Miami. Ici, la vision américaine prédomine avec une image de compétition et un style de vie plus insouciant. La marque Audi est en France, contrairement aux autres pays questionnés, en première place dans la catégorie automobile. Les 4 anneaux attirent majoritairement des hommes de plus de 30 ans et sont comparés à une montre alliant le design luxueux et la performance. Une ville cosmopolite d'Allemagne et un tigre complètent ce portrait chinois qui met en exergue une culture des beaux objets, l'importance du design ainsi qu'un certain

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Louis Toupin : Concevoir la conception

élitisme dû à une réussite sociale maîtrisée. Dans l'univers de la mode, Hugo Boss arrive en tête. Le couturier est associé à une Porsche noire, à une soirée rassemblant des hommes d'affaires, mais aussi à une ville moderne et à un étalon. Aux yeux du mâle français Hugo Boss est synonyme de succès et d'élégance griffée. Coca-Cola se place numéro un dans la catégorie des boissons. Cette marque est comparée à une Mustang rouge et à une soirée entre amis, à New York, mais aussi à un ours polaire. Dans l’imaginaire masculin des Français, le rêve américain occupe une place importante. Enfin les Français identifient Sony comme symbole des nouvelles technologies. Sony est identifié à une voiture japonaise, à Tokyo, grande ville cosmopolite qui abriterait en son sein un évènement dans une boîte de nuit branchée empreinte d'électro-musique, le tout accompagné d'un papillon ou d'un panda en animal de compagnie. Les origines asiatiques de la marque transpirent au travers de l'image de Sony qui allie en plus de la jeunesse, la technologie, le dynamisme et la qualité.

Encadré 11 : Exemples d’erreurs à éviter dans la conception de sites Web Utilisation des cadres (frame) L'utilisation de cadres pose de nombreux problèmes à l'utilisateur. Dans la plupart des cas, si on met la page dans les signets, quand on y retourne, on tombe sur le cadre et non sur la page. De même pour l'impression, on risque d'imprimer le mauvais cadre. Il faut donc mieux utiliser des tableaux. Utilisation des dernières technologies Les dernières technologies attirent quelques personnes, mais l'essentiel des utilisateurs n'arrivera pas à s'en servir. Si leurs systèmes échouent à cause des technologies, ils ne reviendront plus sur le site. Il vaut mieux attendre que la technologie soit devenue un standard. Texte défilant, dessin et animation constante Les animations constantes sur les pages attirent l'attention et ne permettent pas à l'utilisateur de se concentrer sur le contenu de la page. Les URL complexes L'utilisateur essaye souvent de décoder la structure du site à l'aide l'URL. l'URL doit donc comprendre un texte compréhensible qui reflète la nature de l'information. Mais pour minimiser les erreurs il est conseillé d'écrire en minuscule, sans caractères spéciaux.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Les pages orphelines Il faut s'assurer que toutes les pages ont un lien avec la page d'accueil de manière à ce que l'utilisateur ne se retrouve pas dans un cul-de-sac. De même, la page d'accueil doit permettre d'accéder facilement à toutes les pages. Les pages trop grandes Les pages trop larges peuvent poser problèmes sur des écrans de petites tailles. Il ne faut pas non plus abuser des pages trop longues, car certains utilisateurs ne prennent pas la peine de faire dérouler les pages. Pas d'aide à la navigation L'utilisateur ne connaît pas le site comme le concepteur. Il a peut-être des difficultés pour trouver l'information qu'il cherche. Il faut donc communiquer de manière explicite la structure du site à l'utilisateur. Utilisation de couleurs de liens non-standards Les liens doivent être en bleu, ceux déjà vus en violet ou en rouge. Ces couleurs sont standards et aident l'utilisateur dans sa navigation. Information trop ancienne Il ne suffit pas de construire un site, il faut aussi l'entretenir. La plupart des gens passent plus de temps à créer de nouvelles pages qu'à maintenir les pages existantes. Temps de téléchargement trop long Le temps de téléchargement ne doit pas dépasser 10 à 15 secondes, donc les pages ne doivent pas faire plus de 30 ko et au pire 60 ko. Casser ou ralentir le bouton "précédente" (Back) Le bouton « précédent » est un élément essentiel du Web. C'est la fonction de navigation la plus utilisée après les liens hypertextes. L'utilisateur sait qu'il peut essayer n'importe quoi sur le Web et il pourra toujours revenir en arrière sur un territoire familier. Utilisation non standard des éléments d'interface utilisateur La constance est un des principes de bases de l'utilisabilité. Un élément a toujours le même comportement. L'utilisateur à donc des attentes et plus il contrôle le système, plus il l'apprécie. Et plus le système déçoit les attentes de l'utilisateur, plus celui-ci, se sent déstabilisé. Absence de biographies Les utilisateurs cherchent à connaître la personne qui est derrière l'information présentée sur le Web. La biographie et une photo de l'auteur peuvent aider à rendre le Web moins impersonnel et augment la confiance dans le contenu. Absence d'archives

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Une veille information est souvent une bonne information et peut être utile au lecteur. Souvent les nouvelles informations ont plus d'importance, mais il y a toujours une certaine valeur dans celle plus anciennes. De plus ça ne coûte rien de faire des archives online. Pour 10% de travail en plus, on augmente l'utilité de 50%. Changer l'adresse URL des pages À chaque fois que l’on change l'adresse d'une page on brise les liens qui pointent d'autres sites vers le vôtre. Pourquoi embêter les gens qui vous envoient gentiment des visiteurs ? Les gros titres qui n'ont pas de sens en dehors du contexte Les gros titres doivent être écrits différemment pour le Web que pour les supports traditionnels. Ce sont des éléments de l'interface qui doivent aider l'utilisateur à naviguer. Les titres sont souvent sortis de leur contexte pour être utilisé dans des tables des matières ou dans les résultats des moteurs de recherche. Utiliser le dernier gadget Internet On peut être tenté d'utiliser les derniers gadgets à la mode pour dynamiser son site (Push, communauté, chat, email gratuit, enchère, etc.). Mais cela va prendre beaucoup de temps et d'argent pour un bénéfice qui sera sans doute inexistant. C'est autant de moyen perdu pour améliorer la qualité des services de bases. Et de toutes manières, il y aura le mois prochain un nouveau gadget à la mode. Temps de réponse des serveurs trop longs De plus en plus de sites utilisent des images et surtout des images trop grosses, des applets ou du Dynamic HTML. Et donc, on a toujours des temps de téléchargement trop long. Mais le temps de téléchargement n'est plus le seul en cause. Beaucoup de sites utilisent des pages Web créées dynamiquement. Résultat, il faut aussi prendre en compte les performances des serveurs. L'utilisateur ne sait pas pourquoi le temps de réponse est long. Mais un temps de réponses long est, pour l'utilisateur, souvent synonyme de mauvaise qualité. Donc l'utilisateur va aller voir ailleurs. N'importe quoi qui ressemble à de la publicité L'attention sélective est très efficace et les utilisateurs apprennent très vite à ignorer les pubs tout en trouvant leurs chemins pour atteindre leurs buts. C'est pourquoi le ratio de clique sur les pubs diminue de moitié chaque année. Les utilisateurs ignorent tous ce qui ressemble à une pub. On trouve trois stratégies pour cela :

• Aveugle aux bannières : l'utilisateur ne fixe jamais ses yeux sur ce qui ressemble à une bannière aussi bien par la forme que par la

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Louis Toupin : Concevoir la conception

position;

• Esquive les animations : l'utilisateur ignore les zones qui gigotent ou flashent et toutes les autres animations agressives;

• Élimination des fenêtres : l'utilisateur ferme les fenêtres "pop-up" qui surgissent avant même que le contenu soit téléchargé.

3.6 Réalisation du projet de conception

La réalisation du projet de conception implique que le client ou le

promoteur du projet de conception ainsi que les principales parties

prenantes concernées ont accepté la solution, ou le dossier

préliminaire, qui leur a été proposé au cours de l’étape précédente.

Le dossier préliminaire comprend généralement, selon la nature du

concept qui est développé, des éléments tels qu’esquisses, dessins

préliminaires, devis sommaires. Ceux-ci spécifient les matériaux, les

procédés, les équipements et les divers systèmes qui composent

l’ouvrage, le service ou le résultat attendu. On y retrouve aussi une

justification du concept qui sera développé et une estimation

préliminaire des coûts.

Lorsque le concepteur, ou l’équipe de conception, reçoit un feu vert

pour aller de l’avant il peut enfin construire et exécuter, en portant à

la vie réelle l'idée initiale et ce, au moyen de matériels et de

processus productifs. C’est à ce moment que le styliste modéliste

réalisera sa collection, qui le concepteur industriel complètera et

finalisera les devis techniques, que l’architecte proposera un dossier

définitif.

À cette étape, d'autres intervenants peuvent contribuer au projet de

conception afin d’en préciser, par exemple, les coûts, les

composantes techniques, les exigences environnementales. Le

concepteur se doit alors de coordonner l'apport de ces spécialistes

au projet. L’apport de ceux-ci est un élément essentiel qui permet de

procéder éventuellement aux appels d'offres et à la réalisation du

projet.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Le dossier définitif décrit la solution finale en termes techniques, il

comprend, selon la nature du concept des éléments tels que les

dessins d'exécution et le devis descriptif du projet. Le promoteur du

projet reçoit alors une nouvelle estimation des coûts du projet.

Encadré 12 : Le pâtissier Pierre Hermé Pierre Hermé est célèbre pour ses combinaisons de goûts, de textures et de saveurs. Ses créations sont reconnaissables entre mille. Ses idées lui viennent de la gourmandise, du plaisir, des sensations, des rencontres, des fragrances, des textures. Pierre Hermé est curieux de tout et tout l’inspire. Cela paraît facile ! Lui voyage, ses créations, elles, nous transportent. On a tout écrit sur Pierre Hermé. « Picasso de la pâtisserie, Virtuose du sucré, Architecte des émotions, Dior des desserts »... mais comparaison n’est pas raison. On a cherché à comprendre et à expliquer : la lignée de pâtissiers dont il est issu, son apprentissage auprès du maître Gaston Lenôtre, ses origines alsaciennes. À tout cela Pierre Hermé reconnaît devoir sa « passion du métier » et son goût immodéré du « travail bien fait ». Aussitôt il ajoute, le « sens du détail » et son « terroir mental ». Des images qui nous laissent entrapercevoir son paysage sensible intérieur, une sorte de jardin zen où chaque pierre recèlerait une émotion, qu’inlassablement, patiemment, Pierre Hermé ordonne avec délicatesse, comme il saisit chaque chose, et la tendresse qui se lit dans son regard. Terroir mental dans lequel il puise, cultive, compose, imagine, regarde, soupèse et invente ce qui demain va nous régaler. (…). En commençant dès 1986 à s’inspirer du rythme des saisons pour inventer de nouveaux plaisirs sucrés, Pierre Hermé choisissait la voie que lui indiquait la Nature. La fraîcheur des fruits de saison, le climat, les fluctuations de ses envies ordonnaient de nouvelles recettes, de nouvelles créations. Ce n’était pas la voie de la facilité. Un bon millier de recettes et nombre de devantures de pâtisseries témoignent encore aujourd’hui de cette époque-là. Nul n’est prophète en son pays, dit-on. Est-ce pour cela qu’il nous aura fallu aller jusqu’au Japon pour ouvrir la première boutique « Pierre Hermé Pâtissier Paris » en 1998? En inventant à l’époque le concept de « Pâtisserie Haute-Couture » et en popularisant cette idée de « Collections », nous ne cherchions qu’à faire entendre cette différence à un public japonais averti et avide de nouveautés. Le succès fut au rendez-vous.

Adaptation de : Le mystère Pierre Hermé

Page 82: Concevoir la conception

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Louis Toupin : Concevoir la conception

3.7 Évaluation et suivi

Dans un système technique dominé dorénavant par les exigences

de la co-configuration, le suivi et l’évaluation de la conception

occupent une place importante dans le processus de développement

des produits, services et résultats. Dans ce contexte, l’évaluation et

le suivi servent surtout à renforcer les processus de conception

centrés sur les utilisateurs. Cette façon de faire permet d’éviter une

évaluation qui ne serait centrée que sur les aspects techniques de

façon à permettre une meilleure identification des éléments

conceptuels qui sont adaptés à la réplication, à la réutilisation, au

management de connaissances, à la fiabilité et à la conception de

systèmes répondant aux exigences de la co-configuration. Cette

approche du suivi-évaluation qui est centrée sur l’utilisateur s’inspire

beaucoup de la norme ISO 13407 qui a été adoptée en 1999 pour le

développement de systèmes interactifs (voir Encadré 13).

Parvenue au stade de l’évaluation et du suivi, la conception devient

un processus janusien, c’est-à-dire comme le dieu romain Janus

regardant à la fois le passé et l’avenir. Ainsi, en ce qui concerne le

suivi, pour le concepteur, ou l’équipe, le travail de conception se

poursuivra au-delà des strictes exigences portant sur le

développement du produit, du service ou du résultat. Par exemple, le

concepteur industriel, une fois le produit développé, apportera une

assistance technique lors de la mise en production de la première

unité ou série du produit. Par la suite, et selon le cycle de vie du

produit, il apportera des améliorations au concept et contribuera à

l’implantation des modifications. Après plusieurs années, le concept

original peut s’en trouver considérablement modifié.

Concernant l’évaluation, on utilisera, le plus souvent une approche

normative qui s’adapte à la nature du concept qui a été développée.

Ainsi, concernant certains produits il y a parfois des normes qui

existent pour la conception de ceux-ci et, dans ces cas, il est

souhaitable de les connaître et de les appliquer. Quant à l’évaluation

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Louis Toupin : Concevoir la conception

de concepts qui ont été développés pour des services, les difficultés

inhérentes à l’évaluation sont nombreuses. Le développement de ce

type de concept nécessite souvent une approche pluridisciplinaire.

De plus, les services, de par leur nature, visent une population non

captive et le contexte d’expérimentation de ceux-ci est ouvert. On

parlera alors davantage d’évaluation participative, soit une

évaluation multidisciplinaire et concertée dont le protocole est co-

réalisé par des experts de différentes disciplines.

Bien que l’étape du suivi-évaluation soit présentée à la fin du

processus de conception, il n’en demeure pas moins que cet aspect

du processus est, de plus en plus, considéré comme devant

accompagner toutes les étapes du processus de conception.

D’ailleurs, comme l’indique l’approche de la conception « centrée sur

l’utilisateur », plus tôt une erreur ou une insuffisance est décelée

dans le processus de conception et plus cela rapporte, tant d’un

point de vue économique, car les changements apportés en début

de processus coûtent moins cher que ceux apportés plus tard, que

du point de vue de la conception elle-même, car le concept

développé répond davantage aux exigences de fonctionnalité,

d’esthétisme et de signification, et ce, du point de vue de l’usager.

Plusieurs types d’évaluation sont possibles et peuvent contribuer à la

construction de connaissances dans le domaine de la conception,

elles que :

• Les évaluations thématiques comparatives menées à travers

plusieurs projets;

• Les évaluations globales du produit, du service ou du

résultat;

• Les évaluations de projets de conception;

• Les évaluations de composantes ou d’étapes des projets de

conception.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Les évaluations permettent ainsi d’identifier, de documenter et de

diffuser les connaissances sur ce qui s'avère efficace dans la

conception et qui pourrait être démultiplié en tant que bonnes

pratiques. Ces bonnes pratiques peuvent alors être organisées par

sujet, thème ou toute autre catégorisation.

L’évaluation contribue ainsi à aborder le travail de conception dans

une perspective réflexive, permettant à l’expérience acquise de se

transformer en savoirs professionnels, identifiant ce qui fonctionne et

ce qui ne fonctionne pas, contribuant ainsi au développement

stratégique des activités de conception.

Encadré 13 : La norme ISO 13407-1999 La norme ISO 13407 permet d'encadrer la conception de systèmes interactifs (interface Web, logiciels, didacticiels de formation, etc.) et ce, afin que la conception de ceux-ci soit guidée par les besoins des utilisateurs. Cette norme permet ainsi de concevoir des dispositifs permettant à des utilisateurs identifiés, d’atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d'utilisation spécifié. Le modèle d’utilisation de la norme ISO 13407 est proposé à travers la Figure 3 :

1. Planifier une conception

centrée sur l’utilisateur

2. Spécifier le contexte

d'utilisation

3. Spécifier les conditions

d’utilisation pour l'utilisateur

et l'organisation

5. Évaluer les conceptions

par rapport aux exigences

des utilisateurs

4. Proposer des solutions de

conception

6. Répondre aux exigences

des utilisateurs et de

l'organisation

FIGURE 3 : CYCLE DE CONCEPTION D’UN SYSTÈME INTERACTIF

Comme l’indique la Figure 3 ci-dessus la norme ISO 13407 s’applique de façon itérative. Ainsi, les étapes 2 à 5 forment une boucle itérative. Lorsque

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Louis Toupin : Concevoir la conception

le système répond aux besoins, il est possible de passer à l'étape 6, le cycle de conception est alors terminé. Étape 1 : Planifier une conception centrée sur l’utilisateur Cette première étape exige l'engagement des parties prenantes dans un processus de développement centré sur l’utilisateur, ce qui implique la possibilité d’étudier en profondeur les besoins des utilisateurs et de pouvoir examiner les aspects plus techniques du développement. Un plan de validation est le « livrable » de cette première étape. Il spécifie combien d'itérations seront effectuées. Il énumère aussi les critères de réussite associés à chaque étape et précise les méthodes qui seront utilisées pour atteindre ces critères. Le plan de validation est un document de travail qui est d'abord produit en termes d'ensemble et qui est alors examiné, maintenu, prolongé et mis à jour pendant la conception et le processus de développement. Étape 2 : Spécifier le contexte d'utilisation L'utilisation d'un produit, d’un service ou d’un résultat dépend de sa capacité à répondre aux caractéristiques des utilisateurs, ainsi qu’aux tâches et au contexte organisationnel et physique dans lequel le système interactif sera déployé. Ici l'analyse de la tâche permet de bien comprendre et de cibler le contexte d'utilisation ainsi que les exigences liées à l'utilisateur et à l'organisation. Cette analyse permet de guider de premières décisions de conception, et aussi de constituer un référentiel qui permettra d’évaluer « l’utilisabilité » du système interactif. S’il s’agit d’améliorer un système interactif existant, le contexte peut déjà être saisi à travers des rapports de service ou d'autres données factuelles qui permettent d’identifier les modifications à apporter au système interactif. Pour les nouveaux systèmes interactifs, il sera nécessaire de recueillir des informations à l’aide d’entrevues et de rencontres avec les parties prenantes du projet. L’information recueillie devra permettre de répondre aux exigences suivantes :

1. Les caractéristiques des utilisateurs; 2. Les tâches que les utilisateurs effectueront; 3. Une ventilation de chacune des tâches globales; 4. Les buts globaux de l'utilisation du système interactif pour chaque

catégorie d’utilisateurs, ainsi que les caractéristiques des tâches qui peuvent influencer « l’utilisabilité » dans les scénarios typiques d’utilisation, par exemple la fréquence et la durée de l'exécution;

5. La description des tâches ne devrait pas s’arrêter aux fonctions et

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Louis Toupin : Concevoir la conception

l’on devrait distinguer entre ce qui relève des ressources humaines et ce qui relève des ressources technologiques;

6. L'environnement dans lequel les utilisateurs emploieront le système interactif;

7. Il est aussi important d'établir qu’elles seront les conditions minimales et maximales d’utilisation du système interactif. Des caractéristiques pertinentes de l'environnement physique et social doivent également être identifiées.

Différentes méthodes peuvent être employées pour recueillir des informations au sujet du contexte d'utilisation. Ainsi, il est possible de réunir les parties prenantes les plus immédiatement concernées par le projet (chef de projet, développeurs, spécialiste des ventes, représentants des divers types d'utilisateurs, expert en ergonomie) pour discuter des détails du contexte d'utilisation prévu. Là où des informations précises sont exigées, il peut être nécessaire de réaliser une analyse des tâches qui fournira une description systématique des activités des utilisateurs. Le « livrable » de cette étape peut être un descriptif de l'utilisation du système interactif qui fera des caractéristiques des utilisateurs, des tâches, de l'environnement et qui identifiera les aspects qui ont un impact important sur la conception du système. Étape 3 : Spécifier les conditions d’utilisation liées à l'utilisateur et à l'organisation Dans chaque processus de conception il y a une fonction importante que doit remplir le système interactif. Dans le cadre d’une conception « orientée utilisateur » il est essentiel de prolonger cette identification afin de spécifier des conditions d’utilisation liées à l’utilisateur et à l’organisation, notamment en termes de :

1. Qualité de l'interface personne / machine ainsi que les caractéristiques du poste de travail ;

2. Qualité et contenu des tâches : répartition du travail, y compris entre différentes catégories des utilisateurs, de même que les conditions de confort, de sécurité, de santé et de motivation liées aux tâches;

3. Transparence, du point de vue de l’utilisateur, dans l’exécution des tâches ;

4. Coopération et communication entre différentes catégories d’utilisateurs et d'autres intervenants ;

5. Performance des nouveaux systèmes par rapport aux objectifs opérationnels et financiers de l’organisation.

Cette analyse permettra de dériver des critères de performance et de fixer

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des objectifs par rapport à chacune de ces conditions. Ainsi, pour chaque classe d’utilisateurs, on devrait retrouver des objectifs d’efficience, d’efficacité et de satisfaction. Des objectifs devraient être fixés pour tous les domaines importants d’utilisation du système interactif. L'analyse de conditions est largement reconnue comme étant la partie la plus cruciale du développement d’un système interactif. En effet, le succès de l'approche « centrée sur l’utilisateur » dépend en grande partie de la réalisation de cette étape. Étape 4 : Proposer des solutions de conception Cette quatrième étape vise à créer les solutions potentielles de conception en tirant parti de l’analyse de la situation actuelle et de l'expérience et la connaissance des participants. Ce processus implique :

• Utiliser les connaissances existantes (normes, exemples de directives, systèmes existants, etc.) pour développer une solution de conception;

• Concrétiser la solution en utilisant des simulations, des prototypes, des maquettes, etc.;

• Proposer les prototypes aux utilisateurs et observer comment ils effectuent des tâches spécifiques, avec ou sans l'aide d’experts;

• Utiliser cette rétroaction pour améliorer la conception;

• Réitérer ce processus jusqu'à l’atteinte des objectifs de conception. La fiabilité du prototype et le nombre d'itération pour y parvenir variera dépendra de plusieurs facteurs, selon l'importance que l’on accorde à optimiser la conception. Pour certains développements, le prototypage peut commencer par des représentations papier ou à l’écran et progresser, à travers plusieurs itérations, jusqu’aux démonstrations offrant des fonctionnalités limitées du système. Plus tard, les prototypes peuvent être évalués dans un contexte encore plus réaliste. Pour améliorer un prototype l'évaluation participative peut être utile. Un expert rencontre alors un utilisateur et discute avec lui des problèmes au fur et à mesure qu'ils se produisent. Pour obtenir le maximum de ce type d’évaluation, il vaut mieux effectuer de telles évaluations au cours de plusieurs itérations avec quelques utilisateurs, plutôt que moins d'itération avec plus d'utilisateurs. Ce type d’évaluation met l’accent sur la rétroaction qualitative. L’évaluation par les experts est également utile, à condition que les experts soient des experts en matière de domaines d'application. Un des problèmes majeurs de la conception « orientée utilisateur » est de vérifier le développement du système interactif en le confrontant à

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l'expérience et aux pratiques de vrais utilisateurs. Un ensemble de documents de type technique n'est pas une représentation adéquate pour la plupart des utilisateurs qui sont habituellement peu familiers avec les méthodes et les terminologies adoptées. Les utilisateurs peuvent davantage apprécier une maquette, un prototype de papier, ou un scénarimage (story-board) et ainsi donner un feedback significatif. Étape 5 : Évaluer les conceptions par rapport aux exigences des utilisateurs L'évaluation de la conception peut être employée au moins deux manières :

• Formative : ce type d’évaluation a pour but de recueillir les feedbacks permettant d’améliorer la conception;

• Sommative : Ce type d’évaluation a pour but de vérifier si les objectifs ont été atteints.

Quel que soit le genre d'évaluation employé, les résultats d'évaluation seront aussi significatifs que le contexte dans lequel le système a été examiné. Ainsi, si le système est examiné dans des environnements peu réalistes, alors les résultats sont susceptibles d'être invalidés une fois confrontés à la réalité. Si un processus itératif est employé, alors, au début du processus, l'accent sera mis sur l’évaluation formative, alors que plus tard, quand un prototype réaliste est disponible, il sera possible de mesurer si les objectifs sont atteints. Un avantage notable d'un processus itératif est que, au début du processus de conception, il est peu coûteux d’apporter des changements. Par contre, plus le processus a progressé, plus le système est défini, et plus l'introduction des changements sera coûteuse. Les techniques d'évaluation varieront dans leur degré de formalité, de rigueur, et de participation des concepteurs et des utilisateurs selon l'environnement dans lequel l'évaluation est effectuée. Les choix seront déterminés par des contraintes de temps, de budget, la nature et l’espérance de vie du système en développement, ainsi que par le degré de maturité de l'organisation avec la conception « centrée sur l’utilisateur ». Toutes les évaluations devraient être consignées dans un rapport d'évaluation qui fournira au lecteur plus de détails au fur et à mesure que le rapport progresse. Ainsi, on trouvera, au début du rapport, des recommandations pour la conception et un sommaire et, plus avant dans le rapport, des données statistiques sur lesquelles les recommandations sont basées. Le rapport d’évaluation devrait décrire le contexte d'utilisation dans une annexe. En général les évaluations sommatives sont menées tôt et sans

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interruption au début du cycle de vie du système interactif. Techniques Afin de mener à terme la conception d'un système interactif selon la norme ISO 13407, plusieurs techniques sont utilisées :

• L'analyse de la tâche : elle permet de bien comprendre et de cibler le contexte d'utilisation ainsi que les exigences liées à l'utilisateur et à l'organisation;

• Les maquettes et les prototypes : elles sont conçues en suivant des normes et lignes directrices préétablies;

• L'évaluation par les experts : elle consiste en une inspection systématique des éléments constituant l'interface d'un dispositif interactif au moyen d'une grille d'évaluation;

• Le test d'utilité : il consiste en l'exécution de scénarios prédéterminés par des utilisateurs représentatifs de ceux visés. L'analyste observe et recueille des données lors de ces tests. Ces données permettent d'évaluer les solutions par rapport aux exigences.

Avantages ISO 13407 permet la participation active des utilisateurs et une compréhension claire des exigences liées à l'utilisateur et à la tâche. Plusieurs raisons expliquent l'intégration de cette approche dans le développement des systèmes interactifs :

• Facilité de compréhension et d'utilisation de l'interface;

• Satisfaction de l'utilisateur;

• Productivité et efficience opérationnelle;

• Qualité, esthétique et impact du produit, et avantages concurrentiels.

Page 90: Concevoir la conception

82

Louis Toupin : Concevoir la conception

Chapitre 4 Connaissances, habiletés et

attitudes sollicitées par la

conception

Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli

de parfums, de sons, de projets et de climats

Marcel Proust

Tout au long de ce chapitre ce sont les éléments de la compétence

en conception, présentés au premier chapitre, qui seront abordés.

Rappelons-les ici :

1. Analyser des besoins pour des fins de conception

2. Interpréter de l’information au regard d’une problématique de

conception

3. Développer des idées

4. Structurer un projet de conception

5. Communiquer en situation de conception

6. Solutionner des problèmes de conception

7. Évaluer le processus et les résultats de la conception

Ces éléments de la compétence se conjuguent et se confondent

parfois avec le processus de travail en conception. Cependant, ils

ont davantage pour fonction de mettre en évidence les

connaissances, les habiletés et les attitudes qui sont mobilisées par

le concepteur. En ce sens, ils permettent une présentation plus

introspective et subjective du travail de conception.

L’activité de conception ne peut cependant être comprise comme

étant celle d’une « personne isolée ». Elle exige une configuration

Page 91: Concevoir la conception

83

Louis Toupin : Concevoir la conception

sociale, culturelle et technique de l’activité humaine. Ainsi, plutôt

qu’un système de représentations mentales dépendant d’une seule

personne qui prend des décisions, classifie, mémorise, exécute,

évalue, la conception est une activité, comme il sera vu plus en

détail au cours de chapitre, qui s’imprègne d’une forte médiation

sociale. Pour rendre compte de cette configuration sociotechnique

les travaux de Engeström (1987) permettent de définir un système

d’action à travers les interactions entre les six composantes

suivantes (voir Figure 4) :

1. L’objet du travail : l’activité de conception cherche à produire

des solutions répondant à des besoins socialement spécifiées.

Les résultats de cette activité peuvent être des produits, des

services, des procédés ou des résultats. La finalité du travail de

conception peut induire des normes ou encore donner une

inclinaison particulière au travail. L'objet n'est pas seulement une

somme d’opérations logiques faites par le sujet, mais aussi une

entité interprétée à travers son activité intentionnelle. L’objet de

l’activité, qui peut être un processus s’étalant dans le temps,

occupe ici une place centrale dans l’analyse, évitant ainsi de faire

de la conception un processus totalement « objectif »,

« subjectif » ou « construit ». Ainsi, le concept qui sera produit

grâce au processus de conception n’est pas livré à la seule

volonté toute-puissante des acteurs, non plus totalement

dépendant de structures toutes-puissantes qui le conditionnent.

L’objet possède sa propre dynamique et sa résistance.

2. Le sujet : soit une personne ou un groupe qui est engagé dans

les activités de conception. Ces personnes sont animées par des

intentions et des motivations;

3. Le contexte du travail : notamment la communauté ou le

contexte social dans lequel le résultat du travail s’externalise. Le

contexte immédiat du travail peut aussi faire partie d’un contexte

plus large;

Page 92: Concevoir la conception

84

Louis Toupin : Concevoir la conception

4. Les outils de travail : les artéfacts et concepts qui sont

employés pour accomplir les tâches de conception. Les outils,

matériels ou intellectuels, accumulent et cristallisent les

expériences des personnes engagées dans le système d’activité.

Les outils évoluent car ils sont créés et transformés pendant le

développement des activités et portent avec eux une culture

particulière. L'utilisation des outils devient ainsi un puissant

moyen d'accumulation et de transmission de la connaissance

sociale. Ils influencent la nature, non seulement du comportement

externe, mais également du fonctionnement mental des

personnes engagées dans le système d’activité;

5. La division du travail : la répartition des tâches, les strates

sociales, la structure hiérarchisée des activités, l'équilibre des

activités entre les personnes engagées dans l’action;

6. Les règles et conventions : les code et directives, implicites ou

explicites, qui encadrent les comportements et les attitudes dans

le système d’action.

FIGURE 4 : SYSTÈME D’ACTION DANS UN CONTEXTE DE CONCEPTION

Sujet

Règles Communauté Division du

travail

Intention

Produits

Résultats

Objet Services

Médiation par

des artéfacts

Procédés

Adaptation de : Engeström, 1987

Page 93: Concevoir la conception

85

Louis Toupin : Concevoir la conception

Le système d’action permet d’expliquer comment des artéfacts et un

certain type d’organisation du travail affectent le travail de

conception. Un tel système est aussi générateur d’apprentissage et

producteur de connaissances. Ce qui va nous intéresser c’est la

forme que prennent ces apprentissages et ces connaissances dans

un contexte plus global où la conception est devenue partie

importante du système de co-configuration. À cet effet, Engeström

(2003) propose un cadre de réflexion intéressant en proposant deux

axes de polarisation. Premièrement, il estime qu’un système d’action

est confronté à des objets existants ou bien à des objets émergents.

Deuxièmement, le système d’action exploite des connaissances

existantes ou bien il explore ou recherche de nouvelles

connaissances. Selon lui, ces deux axes engendrent quatre types

d’apprentissage au sein d’un système d’action. Le Tableau 8, ci-

après, présente ces quatre types d’apprentissage.

Les apprentissages d’un système d’action consacré à la conception,

dans un cadre de co-configuration, dépendent des interactions avec

les clients, ou les utilisateurs. De ce fait, ces apprentissages sont

permanents, mais discontinus, et ils se distribuent sur de longues

périodes de temps. Ils impliquent aussi d’autres systèmes d’action,

locaux ou globaux, représentant diverses expertises, traditions et

langages. Ces apprentissages sont imbriqués dans un processus de

transformation car les produits, les services ou les résultats ne sont

jamais « définitifs ». Dans ce contexte, il apparaît clairement que les

personnes qui font de la conception œuvrent dans un cadre

d’exploration radicale et doivent surtout réaliser des

« apprentissages expansifs ». Ils pourront aussi faire appel à

d’autres types d’apprentissage, car ceux-ci ne sont pas

mutuellement exclusifs, mais ils resteront subordonnés aux

exigences et à la dynamique de l’apprentissage expansif.

Page 94: Concevoir la conception

86

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 8 : QUATRE TYPES D’APPRENTISSAGE D’UN SYSTÈME D’ACTION

ANCIENS OBJETS ET ANCIENNES ACTIVITÉS

EXPLORATION

NOUVEAUX OBJETS ET NOUVELLES ACTIVITÉS

Exploration incrémentale Le système d’action construit de nouvelles connaissances, et ce, à l’intérieur des activités existantes. Ce type d’apprentissage est souvent associé à l’implantation de technologies complexes telles que, par exemple, la production assistée par ordinateur. Contexte d’expérimentation

Exploration radicale L’exploration radicale, ou apprentissage expansif, débute lorsque l’expérimentation déborde le cadre des activités existantes. Elle consiste à apprendre ce qui n’existe pas encore. C’est la création de connaissances et de pratiques pour de nouvelles activités. Contexte de transformation

Exploitation adaptable L’exploitation adaptable est l’appropriation de connaissances et d’habiletés que l’on retrouve dans les activités existantes. On retrouve ce type d’exploitation dans le cadre de systèmes d’apprentissage visant à former de nouveaux employés. Contexte de participation

Exploitation transférable L’exploitation transférable est la mobilisation de connaissances existantes pour faire face à de nouveaux objets, de nouvelles activités. Par exemple, lorsque les compagnies américaines se sont approprié les approches qualité développées au Japon. Contexte de transmission

EXPLOITATION

La dominante de l’apprentissage expansif dans le travail de

conception introduit au moins deux exigences :

• Il s’agit tout d’abord de développer sa capacité à apprendre

« dans » un cadre de co-configuration, c’est-à-dire à

apprendre constamment de ses échanges et interactions

avec les utilisateurs, les promoteurs, les producteurs, les

spécialistes, les acteurs de la conception. Ce type

d'apprentissage vise surtout à améliorer le travail des

acteurs de la conception, notamment les activités et les

Page 95: Concevoir la conception

87

Louis Toupin : Concevoir la conception

processus de conception. Ce type d’apprentissage peut se

ressourcer aux contacts de domaines comme la gestion, la

psychologie, la sociologie.

• Il s’agit aussi d’apprendre « pour » travailler dans un cadre

de co-configuration, ce qui implique l’acquisition de

connaissances, d’habiletés et d’attitudes flexibles qui

permettent de travailler dans une pluralité de lieux et de

réseaux de pratiques et, de développer une plasticité

permettant de collaborer, de négocier et de renégocier,

d’organiser et de réorganiser. Il s’agit donc de développer

une capacité de conception orientée vers les utilisateurs,

c'est-à-dire ceux qui utiliseront les produits, services ou

résultats qui auront été conçus.

C’est avec l’aide de ce cadre conceptuel que seront abordés, dans

les pages qui suivent, les connaissances, habiletés et attitudes

mobilisées par chaque élément de la compétence en conception.

4.1 Analyse des besoins pour des fins de conception

L’analyse des besoins permet essentiellement d’éviter de concevoir

des produits, des services ou des résultats inadéquats, c’est-à-dire

qui ne répondent pas aux exigences de départ qui ont justifié le

lancement du projet de conception. Ainsi, il est admis, quasi

universellement, que le succès d’un projet de conception se mesure

essentiellement à la satisfaction des utilisateurs et à l’utilisabilité du

concept qui sera développé; ce qui dépend directement de la

capacité des concepteurs à bien identifier les besoins et à y

répondre de manière adéquate.

Qu’il s’agisse de concevoir des produits, des services ou des

résultats il faudra faire, selon le concept à développer, un mixe

judicieux de divers types d’analyse des besoins :

Page 96: Concevoir la conception

88

Louis Toupin : Concevoir la conception

• L’identification des tendances, des goûts et des

caractéristiques des consommateurs ou utilisateurs : ce

type d’analyse est souvent utile pour la conception d’objets

tels que des vêtements, des voitures personnelles, des

produits de consommation courante;

• L’analyse de l’activité : un type d’analyse qui s’impose

impérativement s’il s’agit de concevoir des produits ou

services complexes, multi-usagers, tels que des systèmes

d’information, des bâtiments, des services publics ou privés;

• L’analyse du contexte : la conception de certains types de

produits, services ou résultats, exige la prise en compte de

données contextuelles telles que contraintes climatiques ou

géographiques, exigences sécuritaires, réglementaires, et

administratives, normes environnementales, capacité

d’absorption des organisations, disponibilité (ou

indisponibilité) de matériels, de techniques, de services de

maintenance.

L’analyse des besoins est un élément de compétence qui

accompagnera toutes les étapes du processus de conception

permettant ainsi de revisiter les « besoins » à travers plusieurs

itérations. Au début du projet, l’analyse des besoins prend

davantage la forme d’une analyse de l’activité ou des attentes des

utilisateurs alors que parvenu à sa phase d’implantation, le produit,

le service ou le résultat fera l’objet d’ajustements afin de mieux

s’intégrer aux dimensions humaines, techniques et

organisationnelles du système d’action de référence. Et, en co-

configuration, l’analyse des besoins devient continue.

Il convient cependant d’apporter la nuance suivante à cet idéal

d’analyse continue des besoins : à cause de l’augmentation

exponentielle des coûts qu’impliquent les correctifs au concept au fur

et à mesure que l’on avance dans le processus de conception, les

Page 97: Concevoir la conception

89

Louis Toupin : Concevoir la conception

méthodes et approches d’analyse des besoins tenteront, pour la

plupart, de concentrer le maximum d’effort sur une bonne

identification des besoins, et cela, dès les débuts du processus de

conception.

Le Tableau 9, ci-dessous, rappelle les critères de performance liés à

l’analyse de besoins et présente les connaissances, les habiletés et

les attitudes qui sont mobilisées, à un moment ou l’autre, par cet

élément de la compétence en conception.

TABLEAU 9 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À L’ANALYSE DES BESOINS

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE

PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET

ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Analyser des besoins pour des fins de conception

• Analyse judicieuse des besoins, de la demande, ou du cahier des charges

• Identification précise des clients, commanditaires, bailleurs de fonds et parties prenantes

• Recherche de données complémentaires

• Identification du contexte d’émergence de la demande initiale

• Détermination complète des exigences fonctionnelles du

Connaissances � Notions de : psychologie de l’utilisateur/consommateur, sociologie, ergonomie, sémiotique

� Marchés et cultures � Historique des approches et des méthodes d’analyse

Habiletés � Analyse de systèmes d’activités

� Interprétation d’analyse économique

� Capacité de réaliser des entrevues ou d’animer des panels

� Méthodes d’analyses de besoins :

• Modèle en cascades

Page 98: Concevoir la conception

90

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE

PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET

ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

produit, du service ou du résultat

• Présélection judicieuse des données susceptibles d’être exploitées sur le plan des idées

• Détermination complète des contraintes et des possibilités du milieu

(waterfall)

• Modèle itératif

• Modèle incrémental

• Modèle évolutif � Formulation de spécifications Attitudes � Souplesse � Adaptabilité � Discernement � Réflexivité � Esprit critique

On définit souvent, et peut être trop rapidement, le besoin comme

étant l’écart entre la situation actuelle et la situation désirée. Un

concepteur pourra choisir de se limiter à ce slogan car certains

travaux n’en exigent pas plus mais, comme il a été mentionné, la

conception est aussi affaire d’esthétisme et de signification. De plus,

il arrive que la « situation désirée » soit difficilement identifiable,

notamment dans un contexte d’innovation technologique (technology

push) où les usagers peuvent difficilement, du moins au début, se

formuler une idée claire des potentialités que leur offre la nouvelle

technologie. Ainsi, le concepteur ne fait pas toujours que répondre

aux besoins (demand driven). Il peut observer, analyser et

interpréter le milieu dans lequel se développe l’être humain pour y

découvrir de nouveaux besoins et proposer un futur possible. En ce

sens, il est aussi un diffuseur d’innovation et un créateur de diversité

et de culture.

Page 99: Concevoir la conception

91

Louis Toupin : Concevoir la conception

Une autre raison de mieux approfondir l’analyse des besoins tient au

fait qu’il s’agit d’une notion de sens commun et souvent statique. Le

besoin d’aujourd’hui peut, en effet, ne pas être celui de demain car,

entre temps, le système d’action aura évolué et les utilisateurs

auront aussi apporté leur part d’inventivité. De même, il faut souvent

distinguer entre besoins et faux besoins ou encore contourner des

intérêts corporatistes, des chasses gardées, des zones de privilèges

qui font écran avec une lecture correcte des besoins. Enfin, l’analyse

des besoins ne sera spécifiée de la même façon selon le niveau ou

le point de vue d’où l’on se place. Ainsi, pour les promoteurs d’un

projet de conception ce sont les « objectifs » organisationnels,

programmatiques ou commerciaux qui font office de besoins (Par

exemple : pour le responsable d’un service d’urgence d’un hôpital, il

s’agira de « réduire la liste d’attente »…) alors que, pour les

utilisateurs, souvent un public hétérogène, ce sont des « cibles » ou

des attentes personnelles qui comptent davantage (…connaître le

délai d’attente ou son positionnement dans la liste, obtenir des

informations procédurales, avoir accès à des services connexes

pendant le temps d’attente…).

L’analyse des besoins est ainsi souvent devant des difficultés

inattendues telles que donner une place et un statut réel aux

utilisateurs, ou encore bien identifier la complexité des tâches et du

contexte de travail (voir Encadré 14 : L’analyse des besoins

informatiques).

Encadré 14 : L’analyse des besoins informatiques L’analyse des besoins informatiques a connu une évolution notable où le rôle des usagers est devenu de plus en plus important. Ainsi, les premières analyses de besoins en informatique adoptaient, plus ou moins, les points de vue suivants :

• Plusieurs analyses assimilaient les concepteurs au rôle d’utilisateur conduisant ainsi à la construction d’un « modèle de l’utilisateur » abstrait qui ne tenait pas compte des qualifications, de

Page 100: Concevoir la conception

92

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’environnement de travail, de la division du travail entre les véritables usagers;

• Ces analyses négligeaient généralement le rôle d’interface des artéfacts techniques qui conditionnent les interactions entre les utilisateurs, le matériel, les objets, les résultats. Par exemple, les artéfacts inscrivent déjà certains choix limitatifs dans l'action;

• En validant les résultats des analyses de besoins on se préoccupait beaucoup des utilisateurs novices (i.e. l’informatique pour les nuls), alors que l’utilisation quotidienne était surtout le fait d’utilisateur expérimenté. Conséquemment, leurs attentes et problèmes étaient peu pris en compte;

• L’analyse des besoins procédait souvent à partir d’une analyse idéalisée des tâches des utilisateurs. Ce faisant elles ne réussissaient pas à rendre compte de la complexité et des contingences de l’action en situation réelle;

• Les analyses de besoins ont souvent privilégié l’observation « d’un utilisateur avec un ordinateur » ce qui a eu pour effet de secondariser les modalités de coopération et de coordination dans les situations réelles de travail;

• Les utilisateurs ont souvent été perçus comme des objets d’étude passifs.

Depuis, les analyses de besoins en informatique ont évolué vers un modèle d’analyse du travail d’équipe assisté par ordinateur (TÉAO, computer-supported cooperative work, ou CSCW). Ce modèle d’analyse prend en compte des dimensions importantes du travail coopératif, telles que :

• L’attention : les personnes travaillant ensemble doivent acquérir un certain niveau de connaissances de leurs activités réciproques;

• L’articulation du travail : les personnes travaillant ensemble doivent être en mesure de fractionner le travail en unités, se partager celles-ci et, une fois le travail exécuté, les recombiner ensemble;

• L’appropriation : les personnes d’un milieu de travail adaptent les technologies à leurs situations particulières car elles sont souvent aux prises avec des variations, des résistances et des inattendus au niveau du travail qu’elles sont les seuls à pouvoir maîtriser. De plus, les utilisateurs d’une technologie peuvent parfois s’approprier celle-ci d’une manière complètement inattendue par les concepteurs. On se rappellera le film Les dieux sont tombés sur la tête dans lequel une bouteille de coca-cola tombée du ciel en plein bush land connaît une destinée des plus étonnantes.

Le modèle TÉAO (ou CSCW) utilise, pour l’analyse des besoins une matrice

Page 101: Concevoir la conception

93

Louis Toupin : Concevoir la conception

(voir Tableau 10) qui permet une lecture du travail collectif à partir de deux dimensions : premièrement la collaboration peut se faire dans un même lieu (co-localisée) ou elle peut être répartie géographiquement; deuxièmement les personnes peuvent collaborer en temps réel (synchroniquement) ou en temps différé (asynchroniquement).

TABLEAU 10 : MATRICE D’ANALYSE DU TRAVAIL D’ÉQUIPE ASSISTÉ PAR ORDINATEUR

TRAVAIL EN TEMPS RÉEL TRAVAIL EN TEMPS DIFFÉRÉ

UNITÉ DE LIEU

Interactions co-localisées Réunion de travail, tables partagées, mur afficheur, tableau blanc virtuel, système d’aide à la décision, affichage propre au collecticiel (groupware), fichiers et travaux partagés

Tâche continue Réunion de coordination, affichages publics, notes de rappel, travail par quarts, management de projet

DIFFÉRENTS LIEUX

Interactions à distance Vidéo conférence, fonctionnement du collecticiel en temps réel, messageries (courriel, clavardage, forums de discussion, etc.), éditeur multi-usagers

Communication et coordination Courriel, blogue, visioconférence diachronique, flux de travaux, site wiki, contrôle de versions, calendrier de travail

L’analyse des besoins en début de projet, même si elle sera raffinée

par la suite, a souvent pour point de départ un cahier des charges,

des termes de référence ou une réunion avec un client ou

promoteur. Ce premier point de départ constitue déjà, en soi, une

première lecture des besoins. D’ailleurs, afin de clarifier la nature

des « besoins » à cette étape, il vaut mieux utiliser le terme

« exigences ». Ainsi, par exemple, les auteurs-concepteurs d’un

MATRICE DU COLLECTICIEL

TEMPS / ESPACE

Page 102: Concevoir la conception

94

Louis Toupin : Concevoir la conception

cahier de charges ont souvent déjà réfléchi aux exigences que devra

rencontrer le projet de conception, notamment en spécifiant :

• L’expression stratégique du besoin en fonction d’un état des

lieux : problèmes, dysfonctionnements, insuffisances…

• Le rôle du futur concept (produit, service, résultat ou

stratégie) ;

• Le champ ou périmètre d'application du concept;

• Les parties prenantes et les acteurs significatifs;

• Les ressources disponibles et requises ;

• Les modalités d'utilisation : hiérarchie des utilisations

potentielles, contraintes d’utilisation, situations

exceptionnelles ;

• Les performances attendues;

• Etc.

C’est à partir de cette mince zone de compréhension, qui peut

prendre la forme d’un « Plan de gestion des exigences » dont on

pourra vérifier la mise en œuvre jusqu’à la fin du projet, que le

concepteur doit appréhender le ou les besoins, la portée du futur

projet, les objectifs, les contraintes, les moyens, les rôles et les

responsabilités de chacun. Pour ce faire il peut se faire aider, selon

le concept à développer, par un service de marketing, un bureau

d’études, un bureau de style qui pourra, en quelque sorte, déblayer

le terrain en fournissant une expertise large ou pointue selon le cas.

Le choix de ses outils et de sa démarche sera aussi fonction de sa

position dans la division du travail. Dans ce processus, il existera

une grande différence entre être à l’extérieur ou à la périphérie d’un

système d’action faisant appel à une démarche de conception, par

exemple le concepteur fait partie d’un bureau d’études, et être déjà

situé à l’intérieur du système d’action, le concepteur fait partie d’un

service interne à une entreprise.

Page 103: Concevoir la conception

95

Louis Toupin : Concevoir la conception

À cette étape et pour la suite des travaux de conception, il est

possible d’adopter plusieurs postures, qui ne sont pas mutuellement

exclusives, pour analyser les besoins, dont les suivantes :

• La posture anticipative : elle consiste, pour le concepteur,

à se projeter dans un futur immédiat où il peut « imaginer »

les utilisateurs faisant usage du produit, du service ou du

résultat qui sera éventuellement développé. Cette posture

est parfois la seule possible au début d’un processus de

conception, par exemple lorsque l’on répond à un cahier de

charge ou à des termes de référence. Il est alors possible de

raffiner cette position en ayant en main des études ou des

données préalables. Cependant, plus le processus de

conception ira de l’avant et plus les limites de la posture

anticipative se feront sentir.

Outre l’expérience du concepteur, la posture anticipative

fera appel, surtout s’il s’agit de concevoir des produits, à des

connaissances générales sur le fonctionnement humain

(vision, auditions, fonctionnement cognitif, habiletés

psychomotrices...) et à des connaissances plus spécifiques

et techniques concernant l'adaptation des produits à

différents publics. S’il s’agit de concevoir des services, les

connaissances culturelles, psychologiques, sociologiques

reliées au travail ou à la consommation peuvent être d’un

apport certain.

• La posture agrégative : elle consiste à mobiliser, surtout au

début du projet de conception, des concepts, ou parties de

concepts, déjà développés dans des projets similaires afin

d’identifier les éléments apparemment transférables, à

quelques adaptations près, au nouveau projet. Cette façon

de faire allège et accélère le travail de conception, mais

aussi fait courir le risque d’imposer des solutions toutes

faites aux futurs utilisateurs. La conception orientée objet

Page 104: Concevoir la conception

96

Louis Toupin : Concevoir la conception

(Voir Encadré 16) qui a débuté en informatique, et dont

l’approche inspire d’autres domaines de la conception,

propose d’accélérer la conception en créant des « objets »

réutilisables d’un projet à l’autre et aussi permettant

l’agrégation d’objets de bases, ou modules, de façon à

construire des objets plus complexes. Dans le cadre de cette

approche, pour l’analyse des besoins, le concepteur étudiera

les attentes des utilisateurs, afin d'identifier les « objets de

gestion » ou les « objets métier » qu'ils identifient dans leur

activité. Ce sera alors le point de départ de la conception.

• La posture simulative : il s’agira de mettre au point un

prototype ou une maquette qui permettra aux futurs usagers

d’interagir avec le concept en phase de développement. On

pourra alors, par exemple à partir d'un plan, d’une maquette,

ou mieux encore d’un prototype, demander aux utilisateurs

de décrire ou d’exercer certaines activités futures ou encore

de réagir à des situations problématiques ou extrêmes du

genre « que se passera-t-il, si… ? ». On pourra ensuite

réunir un panel représentatif d’utilisateurs qui feront part de

leurs observations. La posture simulative permet ainsi de

recueillir les attentes des utilisateurs finaux, et ce, afin de

rationaliser les choix de conceptions. Cependant, cette

posture peut difficilement être mobilisée au tout début du

processus de conception car l’élaboration d’artéfacts n’est

possible que sur la base d’une analyse préalable.

L’analyse des besoins qui résultera de cette posture sera,

fort probablement, plus fiable et détaillée que celle qui

résulte de la posture anticipative. Toutefois, un plan, une

maquette, ou un prototype sont des construits qui impliquent

nécessairement de faire des choix à propos de ce qui est

principal ou secondaire dans le concept en développement.

Une fois ces choix faits il devient difficile et coûteux de faire

Page 105: Concevoir la conception

97

Louis Toupin : Concevoir la conception

marche arrière. L’analyse des besoins sera dépendante de

la pertinence, de la précision de ces choix et du moment où

ceux-ci seront soumis aux utilisateurs, le plus tôt étant le

mieux. De plus, en situation de d’innovation ou de pression

technologique, l’utilisation d’artéfacts devra, compte tenu de

la relative ignorance des futurs utilisateurs, être compensée

par des protocoles d’apprentissage qui permettront aux

futurs usagers d’augmenter leur niveau d’appropriation

d’une technologie qu’ils ne connaissent pas.

Pour analyser les besoins dans le cadre de cette posture, il

faudra établir un dialogue avec les experts du domaine et,

pour ce faire, le concepteur devra connaître et utiliser des

méthodes plutôt cognitives telles que : entretiens,

questionnaires, observation de l'existant et étude de

situations similaires.

• La posture dialogique : cette posture part du principe que

la maturation d’un concept est trop complexe pour qu'une

seule personne dispose de toutes les ressources

intellectuelles et matérielles nécessaires à son

développement. Les acteurs doivent donc collaborer. La

régulation des choix de conceptions devient alors le rôle du

concepteur qui, pour y arriver, devra configurer des

situations d’interactions pertinentes et continues. Ces

situations d’interactions feront nécessairement appel à un

langage commun qui ne s’obtient qu’au prix

d’apprentissages partagés. Ce type de posture convient

particulièrement bien à la conception de type co-

configuration où il s’agit de rendre la conception flexible du

point de vue de ses futurs usagers.

Ici, selon Pascal Béguin et Marianne Cerf (2004), il est

possible de distinguer deux types de flexibilité. D’une part,

une flexibilité diachronique, où le concept évolue dans le

Page 106: Concevoir la conception

98

Louis Toupin : Concevoir la conception

temps et où les utilisateurs, réunis en communauté réelle ou

virtuelle, deviennent graduellement auto-définisseurs de

leurs besoins. Les systèmes à code ouvert, par exemple

UNIX, ou les sites Wiki, qui laisse les textes ouverts à de

nouvelles contributions, sont des concepts qui évoluent et se

restructurent constamment et ce, en fonction du degré

d’implication, d’auto-vigilance et d’autorégulation de la

communauté des usagers. En cela ils imitent presque le

fonctionnement millénaire de la Torah où la Parole divine

initiale se doit d’être réappropriée et renforcée par le

commentaire de chaque génération de lecteurs. Le

fonctionnement de ce type de conception implique

nécessairement des options d’ouverture au cours de la

conception initiale, et la possibilité de construire de

nouveaux éléments à partir d'éléments existants.

D’autre part, une flexibilité synchronique, où le concept

laisse des marges de manœuvres et d’interprétation aux

utilisateurs. Ce type de conception flexible implique une

analyse des formes possibles de l’activité future, notamment

une identification des sources de variabilité qui sont

souhaitables et viables.

La posture dialogique implique donc la prise en compte,

dans le processus de conception, de l’activité constructive

des utilisateurs. Ce type d’activité implique à son tour la

possibilité de réaliser, à la fois pour les concepteurs et les

utilisateurs, des apprentissages expansifs, soit des

apprentissages qui permettent de composer avec la

nouveauté et le caractère fluctuant ou transitoire des

situations dans lesquelles sont plongés les acteurs. Ce type

d’apprentissage va émerger surtout lorsque l’on effectuera

des retours réflexifs sur l’action, lors de débriefing par

exemple, car dans une mise en situation, l’attention des

Page 107: Concevoir la conception

99

Louis Toupin : Concevoir la conception

utilisateurs est absorbée par la conduite de l’action. Ces

apprentissages renforcent le dialogue entre concepteurs et

utilisateurs car ils permettent une meilleure appropriation du

concept en développement et de faire émerger un langage

commun qui facilite les échanges.

Le choix de l’une ou l’autre de ces postures conditionnera à son tour

le choix des méthodologies d’analyses des besoins. Il est possible

de distinguer quatre types de modèles d’analyse de besoins :

• Le modèle en cascades (waterfall) : la Figure 5 présente le

modèle en cascades. Ce modèle se présente comme une

démarche séquentielle en plusieurs étapes. Dans ce

modèle, l’analyse des besoins se concentre surtout sur les

deux premières étapes. Ainsi, à l’étape de la définition du

projet, on tentera de définir la problématique à laquelle le

projet de conception devra répondre alors qu’au cours de la

seconde phase, on procédera à la cueillette des besoins des

futurs utilisateurs et à l’élaboration des spécifications. Ce

modèle tente donc de concentrer l’analyse des besoins sur

une très courte période de temps et d’y allouer un niveau

d’effort limité. Au cours des étapes qui suivent, aucun

mécanisme d’actualisation des besoins n’est prévu. Ce

modèle a l’avantage de faciliter la planification d’un projet et

l’estimation des coûts puisque le déroulement des étapes est

défini dès le début du projet. De plus, ce modèle anticipe,

qu’à la fin du processus de conception, le produit, le service

ou le résultat est terminé, prêt à être exploité.

Page 108: Concevoir la conception

100

Louis Toupin : Concevoir la conception

FIGURE 5 : MODÈLE EN CASCADES

Définition du

projet

Analyse du

concept

Conception

Développement

Implantation

Exploitation

Généralisation

• Le modèle itératif : la Figure 6 ci-après présente le modèle

itératif. Ce modèle introduit des mécanismes de rétroactions

à l’intérieur de la phase d’analyse des besoins. Cependant,

tout comme le modèle en cascades, il favorise une analyse

des besoins de durée limitée, concentrée sur le début du

projet, qui s’arrime ensuite à un développement séquentiel

en cascades. Le déroulement de l’analyse des besoins,

prévue par ce modèle, dépend fortement de la possibilité de

développer un prototype. Le nombre d’itérations nécessaires

permettant de parvenir à un raffinement satisfaisant des

besoins varie d’un projet à l’autre, selon son ampleur et sa

complexité. Ces itérations doivent être plutôt courtes, de

quelques jours à quelques semaines et ce, afin de conserver

un niveau d’implication élevé des utilisateurs et d’obtenir des

rétroactions fréquentes et régulières.

Page 109: Concevoir la conception

101

Louis Toupin : Concevoir la conception

FIGURE 6 : MODÈLE ITÉRATIF

Définition du

projet

Conception rapide

Conception

Développement

Implantation

Exploitation

Généralisation

Analyse du concept

Collecte de besoins

Prototype(s)

Raffinement des besoins

• Le modèle incrémental : le modèle incrémental prévoit que

tout le processus de développement se fait en itération.

Selon ce modèle, on peut diviser un projet de conception en

plusieurs « sous projets », chacun faisant l’objet d’une

itération. Comme l’illustre la Figure 7, ce modèle peut se

présenter comme une répétition du modèle en cascades

pour chaque itération. Chaque itération représente un

incrément. À la fin d’un incrément, de nouvelles

fonctionnalités sont ajoutées au concept. Le cumul des

incréments constitue le concept final. En ce qui concerne les

livrables présentés aux utilisateurs, il est possible de

présenter le résultat de chaque incrément aux utilisateurs, ce

qui permet d’évaluer régulièrement le concept durant le

développement et de procéder aux améliorations

demandées par les utilisateurs.

Page 110: Concevoir la conception

102

Louis Toupin : Concevoir la conception

FIGURE 7 : MODÈLE INCRÉMENTAL

• Le modèle évolutif : le modèle évolutif se présente comme

un processus permanent d’évaluation et de décision,

notamment en mettant l’accent sur l’adaptabilité et la

participation des acteurs du projet à toutes les étapes. De

cette façon l’analyse, la planification et la solution du projet

s’adaptent à l’évolution du contexte, plutôt que d’être

complètement définies et figées. Ce modèle va ainsi plus

loin que l’acceptation du changement. Il le recherche. Il

privilégie aussi une équipe de projet réduite, composée d’un

personnel homogène de type « concepteur-développeur »

qui pilote le développement d’une solution validée en

permanence par les utilisateurs réels. La réévaluation

constante sert de base à une prise de décision de type « go

ou stop » lorsque de grands changements sont appliqués au

Page 111: Concevoir la conception

103

Louis Toupin : Concevoir la conception

projet initial. Cependant, même si toutes les étapes (analyse,

conception, développement, implantation) se retrouvent à

l’intérieur de chaque itération, l’effort consacré à chacune

varie selon l’avancement du projet. C’est ainsi que, même si

un effort d’analyse est prévu tout au long du projet, un plus

grand effort est fourni au début, et ce, afin d’identifier la

plupart des attentes tôt dans le projet. Ce modèle

s’apparente beaucoup au prototypage évolutif et il est la

base fondamentale des méthodes AGILE. La Figure 8 ci-

dessous propose une représentation du modèle évolutif.

FIGURE 8 : MODÈLE ÉVOLUTIF

Cadrage

Première estimation

Conception

Expression des besoins

Go ou stop

Affinement de l’estimation

+ Contraintes et dépendances

Spécifications générales

Recherche de solutions techniques / org. Conception détaillée +

Réalisation simultanée

Construction

Go ou stop

Go ou stop

Suivi de la réalisation

Information

Action ou adaptation

Les différents modèles présentés ne constituent pas une liste

exhaustive de ce qu’il est possible de faire en matière d’analyse des

besoins. Il existe, en effet, plusieurs modèles et théories

Page 112: Concevoir la conception

104

Louis Toupin : Concevoir la conception

fonctionnelles, critiques, actantielles, structurelles, interprétatives qui

peuvent, à un moment ou l’autre, aider le concepteur dans cette

entreprise complexe qu’est l’analyse des besoins : par exemple, la

hiérarchie des besoins de Maslow (Voir la Figure 9 pour une version

réinterprétée de cette théorie).

Dans l’univers éclaté des théories et des modèles actuels, il est

difficile de recommander un modèle, une approche, ou une théorie

particulière. Le concepteur choisira une approche avec laquelle il se

sent en phase ou qui est susceptible de contribuer directement à

solutionner le problème auquel il est confronté. Ce positionnement

libertaire au regard des théories et des modèles indique que le

concepteur utilisera davantage une approche comme celle de la

science de l’action (Argyris, Putnam et Smith, 1985), soit une

approche qui privilégie la production de connaissances qui sont

directement utiles à la résolution de problèmes pratiques.

FIGURE 9 : PYRAMIDE DES BESOINS DE MASLOW À L’HEURE DU WEB 2.0

Source : Fred Cavazza

Page 113: Concevoir la conception

105

Louis Toupin : Concevoir la conception

La science action est basée sur une pragmatique. Ici le terme

« pragmatique » n’est pas tout à fait équivalent ou synonyme de

« pratique » que le sens commun lui accorde. La pragmatique

consiste davantage, selon le philosophe Jürgen Habermas (1987), à

juger les choses dans leurs conséquences. Autrement dit, il ne suffit

pas qu’une connaissance ou une technique soit « pratique » encore

faut-il qu’elle contribue à l’épanouissement de certaines valeurs ou à

l’atteinte de certains objectifs jugés désirables au sein d’une société.

Dans cette optique pragmatique, le concepteur peut revendiquer un

certain éclectisme dans l’utilisation de théories, de modèles et de

techniques parce que, au premier degré, c’est le résultat « qui

compte », mais aussi, au second degré, parce que ses réflexions

l’amèneront graduellement, à travers sa pratique professionnelle, à

mieux cadrer et à améliorer les objectifs de la conception.

C’est, en effet, à travers sa pratique professionnelle que le

concepteur intégrera des notions de marketing, de technologies, de

formation qui l’aideront à définir des solutions qui répondent aux

besoins. Il sera aussi conduit à se poser des questions d’un point de

vue moral, politique, éthique, esthétique, ludique, philosophique,

environnemental. Ces questions seront souvent en conflit avec son

travail immédiat, avec une efficacité à court terme, avec des clients

ou des promoteurs insensibles à certaines valeurs. Mais c’est à

travers celles-ci qu’il se forgera une identité professionnelle forte.

Le concepteur pourrait s’en tenir à analyser les besoins au premier

degré. Mais, selon la science de l’action, cette posture n’engendrera

à la longue que des apprentissages de premier niveau. Ces

apprentissages sont généralement destinés à produire le résultat

attendu tout en évitant les questions sur les finalités de l’action.

Comme le montre le Tableau 11 ci-dessous ce type d’apprentissage

même s’il donne, au départ, l’illusion de la performance, conduit à la

longue, à l’inefficacité professionnelle.

Page 114: Concevoir la conception

106

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 11 : PRATIQUES PROFESSIONNELLES NON-RÉFLEXIVES VARIABLES

GOUVERNANTES STRATÉGIES

D’ACTION CONSÉQUENCES SUR

L’ACTION CONSÉQUENCES SUR

L’APPRENTISSAGE EFFICACITÉ

Définir des buts et essayer de les atteindre

Concevoir et gérer l’environnement unilatéralement : être persuasif, faire appel à des visées larges

Professionnel défensif, contradictoire, inconvenant, compétitif, contrôleur, craintif, manipulateur, peu sensible et peu préoccupé par les autres

Auto-enfermement

Efficacité décroissante

Maximiser les gains et minimiser les pertes

Possession et contrôle des tâches

Relations interpersonnelles défensives, peu de collaboration

Apprentissages de premier niveau

Minimiser l’expression de sentiments négatifs

Protection personnelle unilatérale : incohérence entre le discours et l’action, comportements défensifs tels que blâmer, caricaturer

Normes défensives : méfiance, prise de risque limitée, conformité, luttes de pouvoirs, rivalités

Peu de vérifications publiques des hypothèses de travail, reflux sur le privé

Manque de pertinence

Être rationnel Protection unilatérale des autres contre l’adversité : rétention de l'information, censure, réunions privées

Peu de liberté de choix, d’engagement personnel, de prises de risques

Adaptation de: Argyris, Putnam et Smith (1985)

Page 115: Concevoir la conception

107

Louis Toupin : Concevoir la conception

Par contre, quand le concepteur agit, non seulement pour atteindre

les résultats prévus, mais également pour identifier et traiter

ouvertement les difficultés et les conflits il peut alors transformer les

variables gouvernantes qui conditionnent sa pratique. Il peut alors

devenir un « praticien réflexif » et réaliser alors des apprentissages

de premier et de second niveau. Le Tableau 12 présente quelques

variables gouvernantes qui peuvent émerger dans le contexte de

pratiques réflexives. Ce type de variables gouvernantes est

davantage compatible avec une approche de la conception basée

sur la co-configuration qui implique, comme il a été mentionné, une

interaction forte et suivi avec le client ou le promoteur d’une activité

de conception.

Au cours des dernières décennies plusieurs variables gouvernantes

ont été modifiées dans le travail de conception, dont les suivantes :

• La place de l’utilisateur dans le processus de

conception : d’acteur périphérique ou final de la conception,

en passant par le statut de participant, l’utilisateur a été

propulsé au rang d’acteur premier, intervenant au début,

pendant et à la fin du processus de conception car il est celui

qui vivra avec les solutions qui émergeront du processus de

conception;

• L’élargissement du champ d’application de la

conception : traditionnellement tournée vers les produits, le

champ de la conception s’est étendu aux procédés ainsi

qu’aux services, à la gestion, aux interactions entre les

humains et avec les machines, aux expériences vécues par

les utilisateurs, aux transformations et changements que

vivent les personnes, les organisations et les systèmes;

Page 116: Concevoir la conception

108

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 12 : PRATIQUES PROFESSIONNELLES RÉFLEXIVES VARIABLES

GOUVERNANTES STRATÉGIES

D’ACTION CONSÉQUENCES SUR

L’ACTION CONSÉQUENCES SUR

L’APPRENTISSAGE EFFICACITÉ

Privilégier l’information valide

Concevoir des situations où les participants peuvent développer un sentiment d’engagement personnel élevé

Le professionnel adopte des rôles de facilitateurs, de collaborateurs

Processus ouvert

Efficacité accrue à long terme, notamment dans la résolution de problèmes difficiles et la prise de décision

Effectuer des choix libres et informés

Les tâches sont contrôlées conjointement

Dynamique interpersonnelle minimalement défensive

Apprentissage de second niveau

S’engager au regard des choix et de leur mise en œuvre

Les enjeux identitaires deviennent une entreprise commune orientée vers la croissance

Normes d’action orientées vers l’apprentissage : confiance, respect des individualités, discussion ouverte sur les enjeux difficiles

Protection et valorisation des autres

Validation publique des hypothèses de travail

Adaptation de: Argyris, Putnam et Smith (1985)

• L’augmentation du nombre d’acteurs : chaque projet de

conception implique dorénavant un nombre plus ou moins

important d’acteurs selon les effets attendus du projet. De

plus, ces acteurs couvrent un large éventail de compétences

et d’expertises, incluant aussi la présence des non-

spécialistes;

• Les solutions attendues de la conception : des produits

aux services et, aujourd’hui, de l’expérience des situations à

la reconfiguration de celles-ci, la conception évolue vers des

solutions qui favorisent et inspirent la participation,

Page 117: Concevoir la conception

109

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’élargissement des possibilités, la transformation des

relations, des rôles, des organisations, des systèmes, des

stratégies et des politiques;

• Le rôle du concepteur : de spécialiste ou « vedette » du

processus de conception, prescrivant forme et fonction, le

concepteur voit son rôle se déplacer vers celui

d’orchestrateur, de catalyseur, de promoteur du processus

de conception;

• La production de nouveaux apprentissages et de

nouvelles connaissances : le concepteur, surtout en

contexte de co-configuration, est appelé à réaliser ou à

s’insérer au sein d’une communauté de pratique avec des

personnes qui, souvent, ont une identité disciplinaire forte.

Le processus de conception aura pour point de départ un

problème ou une situation à dépasser qui invitera chacun à

réaliser des apprentissages expansifs qui vont permettre de

transformer la situation et d’élargir les possibilités d’action.

Cette dynamique de collaboration exigera la mobilisation des

savoirs tacites de chacun et le recours à la « pensée

design » (voir Encadré 21). Cette dynamique sera d’autant

plus facile à créer si elle prend appui sur des instruments de

médiation et des artéfacts. Il en résultera une communication

réflexive qui permettra de re-conceptualiser et de

transformer les interactions et les interprétations en relation

avec les problèmes et la situation partagés.

Le texte encadré ci-après (Encadré 15), proposé par le professeur

Marc Schoonderbeek présente une version réflexive du travail de

l’architecte Daniel Libeskind dont le projet a été retenu pour la

reconstruction du World Trade Center à New York. À la lecture de ce

texte on se rend compte que Libeskind fait partie de ces praticiens

réflexifs qui ont développé au cours de leur carrière une lecture

inusitée des besoins humains, permettant à la conception d’explorer

Page 118: Concevoir la conception

110

Louis Toupin : Concevoir la conception

et d’investir le domaine de l’expérience humaine et de la

transformation de celle-ci.

Encadré 15 : Un architecte de l’âme humaine Daniel Libeskind est un architecte américain. On lui doit, entre autres, la réalisation du Musée Juif de Berlin. Ce musée n'est pas seulement qu’un bâtiment mais lui-même un élément de l'exposition. Son architecture très particulière répond au but de l'existence du musée. Libeskind a, par exemple, tracé dans le bâtiment ce qu'il appelle la ligne du vide, composée de six vides traversant le musée sur toute sa hauteur, et ce, afin de symboliser l'absence dans l'histoire allemande des personnes disparues pendant la Shoah. Ce bâtiment est chargé de symbolisme. C’est le projet de Daniel Libeskind qui a été retenu pour la reconstruction du World Trade Center à New York. Son projet veut à la fois rappeler la tragédie du 11 septembre mais aussi donner espoir. Le souvenir et le devoir de mémoire seront symbolisés par la préservation de « Ground Zero » en sous-sol (les Memory Foundations) tandis que l'espoir en l'avenir sera représenté par une tour en flèche (Freedom Tower) qui devrait atteindre plus de 541 mètres de hauteur, ce qui en fera la plus haute tour habitée au monde. Autre point remarquable et hautement symbolique du projet : tous les ans, le 11 septembre, le site sera éclairé par le soleil sans aucune ombre de 8h46, heure du premier crash, à 10h28, heure de l’effondrement de la deuxième tour. Le texte suivant, de Marc Schoonderbeek, nous nous introduit à la dimension réflexive du travail de Daniel Libeskind :

L'expérience du mystère de l'architecture occupe une place importante dans le travail de Daniel Libeskind. Dans sa vision, l'architecture est partie prenante du domaine spirituel, un royaume de la présence invisible qui traite de l'indescriptible. Sans contenu spirituel et sans un engagement plus profond de notre être. Il ne peut y avoir aucune signification dans n'importe quel bâtiment. Son travail nous montre une sensibilité qui est en accord avec les profondeurs de l'âme humaine. Libeskind désire que son travail inaugure une nouvelle période où l'expérience de l'architecture contribuera à la libération de l'espace. Ici, la littérature, les mathématiques, la musique, l’astrologie, la philosophie font partie du monde de la connaissance humaine et c'est la tâche de l'architecture de cartographier cette connaissance et d'y ajouter quelque chose qui n'existait pas auparavant. Nous vivons dans le monde de l’après l'holocauste et de l’après-Hiroshima et « nous sommes tous des survivants, nous avons transformé la mort ».

Page 119: Concevoir la conception

111

Louis Toupin : Concevoir la conception

C’est la pensée rationnelle qui nous a amené jusque-là et qui a échoué. Par conséquent cet outil n’est plus celui avec lequel nous pouvons comprendre l'être humain. Dorénavant, chaque création humaine devra se présenter d'une façon totalement différente. Nous avons besoin d’une nouvelle façon de penser qui soit construite à l’aide de différentes méthodes et basée sur différents principes. Notre rapport avec l'Esprit ne devrait pas être rétabli, mais réinventé d'un point de vue différent, considérant les expériences du 20ième siècle. Bien que les temps soient sombres et complexes, l’Espoir est là et nous sommes peut-être au bord d'une nouvelle et fabuleuse ère créatrice. Libeskind ne recherche pas une synthèse des solutions, il essaye plutôt constamment d'intensifier le mystère.

Encadré 16 : La conception orientée objet (COO) Dans l’évolution des processus de développement, la conception orientée objet (COO) se positionne comme une façon de réduire le temps de cycle du développement de nouveaux produits. Tout d’abord mise au point dans le domaine de l’informatique, la COO s’exporte graduellement vers de nouveaux domaines tels que l’architecture, l’avionique, la formation. Le premier objectif de la COO est de réutiliser ce qui a déjà été produit, et ce, afin de ne pas repartir à chaque fois de zéro. En informatique, la COO est une méthode de développement qui conduit à des architectures logicielles fondées sur les objets que le système manipule, plutôt que sur la fonction qu'il est censé réaliser. Dès le départ, lors de l’analyse, on étudie les attentes des utilisateurs et leurs activités professionnelles, afin d'identifier les objets de gestion ou les « objets métier » qu'ils invoquent dans leurs activités. Il peut s’agir d’actes de gestion (par exemple : une demande de réservation sur un vol), d’objets essentiels que l’utilisateur consulte (par exemple : une base de données sur les vols disponibles), des services et titres auxquels les objets peuvent conduire (par exemple : une réservation). Muni de ces informations le projet de conception consistera à construire un système qui appuiera les utilisateurs dans leurs activités professionnelles. Ce système permettra :

o De présenter des informations sur une interface utilisateur; o D'interpréter les actions demandées par les utilisateurs sur cette

interface; o De mettre en œuvre les règles de gestion attendues;

Page 120: Concevoir la conception

112

Louis Toupin : Concevoir la conception

o De consulter ou mettre à jour une ou plusieurs bases de données. Un tel projet de conception s’appuiera sur trois personnages clés. Tout d’abord, le chef de projet qui travaillera de façon étroite avec les futurs utilisateurs et verra à assurer la conduite globale du projet, notamment à travers l’intégration cohérente de chacun des sous-systèmes qui sera développés de façon à apporter des solutions aux utilisateurs. Ensuite, l’architecte qui verra à procurer aux utilisateurs et à leurs directions une vision claire, globale et intégrée des systèmes et domaines d’informations, à dessiner des frontières claires entre les sous-systèmes, à assurer l’arrimage entre systèmes et données, à améliorer la précision des estimations de coûts et, aussi, à vérifier que tous les systèmes nécessaires ont bel et bien été identifiés. Avec le chef de projet, il verra aussi à améliorer la coordination et l’intégration des sous-systèmes et solutions. Enfin, il y aura les spécialistes du développement par composants. Ceux-ci verront à assembler des composants existants ou à développer ceux qui manquent et à élaborer un cadre d’implantation et de gestion de ceux-ci (formation, évolution, maintenance). La COO se présente comme une alternative aux solutions « progiciels ». Le développement à base de composants réutilisables apporte ainsi aux entreprises la possibilité de développer plus rapidement, à moindre coût, permettant ainsi de s'affranchir des solutions toutes faites qui empêchent la diversification et qui renforcent la mainmise des éditeurs sur leur système d'information.

Encadré 17 : Histoire du vélo BIXI Après Paris, Barcelone et Stockholm, Montréal aura son premier vélo communautaire en libre-service. Pour réaliser ce projet, la ville de Montréal confie, en 2007, à Stationnement de Montréal la prise en charge logistique de ce réseau roulant. Il portera le nom de BIXI, pour bicyclette et taxi. Il sera définitivement lancé en avril 2009. Le cahier des charges de Stationnement de Montréal prévoit un budget 15 millions et comprend plusieurs exigences, telles que : un vélo qui soit unique à Montréal, adapté à toutes les catégories d’usagers, se prêtant à une utilisation intensive, qui soit à l'épreuve du vol et du vandalisme, et qui puisse résister aux chocs, aux écarts de température et aux nids-de-poule: Pour concevoir ce vélo spécialement adapté à la réalité urbaine, on a fait appel au designer québécois Michel Dallaire et à la firme DeVinci qui assurera la mise en production.

Page 121: Concevoir la conception

113

Louis Toupin : Concevoir la conception

Au début de cette collaboration c’est le syndrome de la page blanche. Le concepteur demande à la firme DeVinci de commencer le travail. Débute alors les premiers échanges entre un fabricant qui est spécialisé dans le montage de vélos complexes et un concepteur qui, de son côté, veut un vélo simple, répondant à une approche minimaliste où tout le superflu est enlevé. Le premier défi que se donne l’équipe de conception c’est de créer un symbole, un vélo qui aura une personnalité, une signature immédiatement identifiable, à la manière des taxis jaunes de New York. Cette première approche du concept permet de voir ce vélo comme un moyen de transport communautaire, fonctionnel, urbain, sécuritaire, qui répond à des besoins de déplacements courts et rapides auxquels l’autobus ne peut pas répondre. Le travail de conception technique commence par le cadre du vélo lequel doit répondre à des contraintes majeures. Rapidement on opte pour l’aluminium, pour ses qualités de légèreté et anticorrosive. Mais le vélo doit être solide, sans dépasser 20 kilos. Pour y arriver on fait appel à la simulation géométrique sur ordinateur qui permet de jouer avec le dimensionnement et la forme des tubes. On opte pour un cadre central important ce qui permet de cacher plusieurs éléments, même la chaîne du vélo. Par rapport aux risques de vol, plusieurs solutions sont aussi trouvées : beaucoup de pièces du vélo sont non compatibles avec d’autres vélos, une attache innovatrice est développée pour le raccordement du vélo à sa borne. Les premiers tests ont porté, en laboratoire, sur les composantes critiques du futur vélo, par exemple les soudures du cadre, et ce, afin d’abaisser le poids des composantes, éviter les surcharges, éliminer les structures trop massives. Un premier prototype a pu être testé par la suite dans les rues de Montréal. Des capteurs ont été installés sur le vélo afin d’enregistrer les moindres comportements du vélo soumis aux conditions de tous les environnements familiers des montréalais. L’objectif était de parvenir à un vélo durable, soit une durée de vie de 5 ans, agréable à conduire, et qui soit une référence dans ce nouveau domaine du transport urbain. La fin de ce processus de développement du vélo prévoit que 40 exemplaires seront testés dans le cadre d'un projet-pilote afin d’apporter les dernières modifications et ajustements au concept. La conception du vélo n’est cependant qu’un élément du concept global. Car, il s’agit de développer un nouveau service de transport collectif. Ainsi, tout le concept de gestion de ce nouveau service doit aussi être développé. Pour ce faire Stationnement de Montréal a fait appel à 8D, un leader mondial dans la conception et le développement de solutions et de

Page 122: Concevoir la conception

114

Louis Toupin : Concevoir la conception

systèmes de point de vente intelligents multifonctionnels, afin de vérifier, d'une part, l'efficacité et la robustesse de la technologie de 8D dans le cadre du service de location de vélo et, d'autre part, l'attitude de la population à l'endroit du nouveau service de location de vélo. Le service permettra aux particuliers de louer un vélo à une station libre-service prévue à cette fin, de le rendre à une autre et de payer les frais de location au comptant ou en utilisant une carte de crédit. Le système pourra aussi éventuellement prendre en charge une carte d'abonnement sans contact (« clé ») pour les utilisateurs fréquents. Le paiement sera effectué lorsque le vélo est rapporté. Le système pourra aussi être relié à d'autres systèmes, tels que le système de transport public, permettant ainsi une intégration multimodale du transport. Une des particularités du système 8D est qu'il sera alimenté par énergie solaire, la borne étant pourvue de capteurs solaires en son sommet. Aussi, les bornes seront reliées par connexion sans fil entre elles et avec les systèmes de gestion de la Ville et les ordinateurs de poche (PDA) utilisés par les agents de contrôle du stationnement. Ces derniers pourront vérifier à distance le paiement ou non des services, tandis que les gestionnaires de la Ville pourront établir diverses statistiques d'utilisation.

Page 123: Concevoir la conception

115

Louis Toupin : Concevoir la conception

4.2 Interprétation de l’information

La connaissance s'acquiert par l'expérience,

tout le reste n'est que de l'information

Albert Einstein

L’interprétation de l’information est un élément de compétence que

l’on retrouvera à toutes les étapes du processus de conception.

Cependant, la nature de l’information et le type de traitement qu’on

lui appliquera varieront selon le cycle de développement du produit,

du service ou du résultat que l’on veut concevoir. Ce cycle peut être

assimilé à celui développé par Engeström (1999) présenté à la

Figure 10.

FIGURE 10 : CYCLE DE DÉVELOPPEMENT SELON ENGESTRÖM

7. Consolidation de la nouvelle pratique

1. Questionnement

2. Analyse historique et recueil de

données empiriques

3. Formulation d’une nouvelle

solution 4. Nouveau modèle pour agir

5. Mise en place du modèle

6. Réflexion sur le processus

Source : Engeström, 1999

Au début du processus de conception, soit les étapes 1 et 2,

l’information prendra la forme d’analyses scientifiques ou

Page 124: Concevoir la conception

116

Louis Toupin : Concevoir la conception

commerciales, de documents techniques, de brevets, de rapports

d’expériences, de rapports de ventes, d’enquêtes, de statistiques, de

standards, de normes qui vont permettre de positionner le projet de

conception, ne serait-ce que pour assurer son financement. Ce

travail en amont permettra au concepteur :

• De faire un état des lieux : questionner la situation présente,

identifier des problèmes, des contradictions, des tensions;

• D’établir une problématique de départ;

• D’analyser les tendances et les courants actuels;

• D’étudier des solutions mises en place dans des domaines

connexes;

• D’identifier des besoins et des spécifications ;

• De documenter les solutions;

• De présenter (énoncé, pré-projet, offre de services) les

solutions proposées.

Viendront ensuite, dans le cadre de l’étape 3, des informations

diverses, hétéroclites, parfois superficielles ou contextuelles qui vont

alimenter la pensée divergente du concepteur et favoriser

l’innovation. Ces informations permettront :

• De repenser le système d'activité de façon à explorer de

nouvelles façons de résoudre les problèmes, contradictions

ou tensions identifiés;

• De rechercher des idées originales;

• D’identifier de nouveaux buts, de nouvelles façons de faire;

• De développer un nouveau concept, un nouveau modèle

d’activité.

Par la suite, étapes 4 et 5, ce sont les informations plus cadrées,

plus techniques et plus analytiques qui reprendront le dessus, cette

fois-ci pour concrétiser le concept. Ces informations permettront :

Page 125: Concevoir la conception

117

Louis Toupin : Concevoir la conception

• De développer le concept, de l’améliorer, de le raffiner;

• De mettre à l’essai le nouveau concept;

• D’identifier les outils, les moyens, les méthodes qui

permettront une meilleure appropriation des solutions.

La fin du processus, étapes 6 et 7, sera davantage dominée par les

informations synthétiques, comparatives, évaluatives. Ces

informations serviront :

• À réfléchir sur les résultats du processus de conception, les

consolider, les disséminer;

• À établir un sommaire du processus de conception et de ses

résultats;

• À dégager des leçons pour de futurs projets de conception;

• Si nécessaire, à reconcevoir, en apportant des corrections,

les solutions apportées.

Le Tableau 13, ci-dessous, rappelle les critères de performance liés

à l’interprétation de l’information et présente les connaissances, les

habiletés et les attitudes qui sont mobilisées, à un moment ou l’autre,

par cet élément de la compétence en conception.

TABLEAU 13 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À L’INTERPRÉTATION DE L’INFORMATION

ÉLÉMENT DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ

ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Interpréter de l’information au regard d’une problématique de conception

• Interprétation juste des objectifs du projet de conception

• Choix judicieux des sources d’information

• Repérage adéquat des

Connaissances � Modèles et approches de l’information

� Connaissances des sources d’information : études de marchés,

Page 126: Concevoir la conception

118

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ

ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

informations économiques, sociétales, technologiques, réglementaires, financières pertinentes au projet

• Identification correcte des caractéristiques, des standards et des tendances du domaine

• Analyse adéquate des parties prenantes, de leurs besoins et de leurs exigences

• Analyse pertinente des caractéristiques des produits, services, ou résultats qui ont la réputation d’être parmi les « pratiques exemplaires » du domaine

recherches ethnographiques, rapports de vente, etc.

� Notions de gestion des connaissances

Habiletés � Techniques d’interprétation des informations : veille stratégique, démarche prospective, cartes cognitives, benchmarking (étalonnage), scénarios, recueil d’histoires significatives, dictionnaire des termes, etc.

� Techniques d’analyse des parties prenantes

� Techniques d’analyse des exigences

� Synthèse de multiples informations

Attitudes � Mentalité « usager » � Anticipation

Cet élément de compétence, l’interprétation de l’information, a pris, à

l’heure des technologies de l’information et des communications, une

importance grandissante car, de plus en plus, les usagers, les

clients, les parties prenantes d’un processus de conception sont en

mesure d’accéder à des sources d’informations diversifiées, de faire

Page 127: Concevoir la conception

119

Louis Toupin : Concevoir la conception

des comparaisons, d’exiger le meilleur. Souvent, le concepteur lui-

même doit avoir une longueur d’avance dans ce domaine afin d’être

au fait des informations les plus récentes, les plus sensibles, les plus

significatives.

Ainsi, une partie du travail relié à cet élément de compétence

consistera à être une « éponge », c’est-à-dire à s’abreuver à

différentes sources documentaires, et ce, souvent et simplement afin

de « rester dans l’air du temps », ce que, en langue allemande, on

appelle « zeitgeist », soit l’esprit intellectuel, culturel, éthique et

politique d’une époque. Ce qui peut ne pas être trop difficile compte

tenu que l’information est aujourd’hui à un double-clic du doigt. De

plus, pour saisir l’air du temps, certaines entreprises mettront leurs

concepteurs en état de « recherche-action », par exemples en

visitant et observant les utilisateurs dans leur milieu, en faisant des

stages pratiques dans des unités de ventes pendant un certain

temps, en organisant régulièrement des groupes de discussions

(focus group).

Toutefois, être dans l’air du temps ne suffira pas. Il faudra au

concepteur, sous peine d’être submergé par l’information, apprendre

à mieux cadrer ses sources d’informations afin de se mettre en

contact avec ce qui se fait de mieux dans son domaine. Ici, les

techniques de veille, que l’on nomme aussi intelligence

informationnelle, permettront de réduire la masse d’information.

Aussi, afin de réduire le décalage entre les sources d’information et

le processus de conception, par exemple entre une tendance

identifiée par une étude et la façon d’y répondre, on privilégiera une

méthode de travail où les idées de conception émergent en même

temps que l’on s’immerge dans l’information.

Cependant, au bout du compte, dans ce processus en entonnoir

qu’est le traitement de l’information, c’est la capacité à interpréter

celle-ci qui importera davantage. Ce travail d’interprétation

consistera à tirer de l’information des connaissances significatives

Page 128: Concevoir la conception

120

Louis Toupin : Concevoir la conception

pour le processus de conception en cours. Ainsi, que ce soit avec

beaucoup d’information, à informations égales et parfois moindres,

certains concepteurs vont parvenir à extraire davantage

d’informations significatives que d’autres. Ils arrivent, à travers

l’interprétation, à apporter une valeur ajoutée à l’information en

l’amenant au statut de connaissance utile pour l’action. Et, comme la

citation introductive nous l’indique, ce travail interprétatif sur

l’information dépend de l’expérience ou, si l’on préfère, des savoirs

tacites accumulés par le concepteur.

Les savoirs tacites sont des savoirs complexes qui vont contribuer à

l’interprétation des informations. Ils sont, selon Ikujiro Nonaka et

Hirotaka Takeuchi (1995) hautement personnels, peu formalisables,

enracinés dans l’action, ce qui les rend difficile à communiquer et à

partager avec d’autres. Si les savoirs tacites sont difficilement

formalisables, il est, par contre, possible d’examiner la manière dont

se construisent ces savoirs.

Les savoirs tacites sont le résultat d’une reconstruction interne de

savoirs externes. Ils mettent en scène, comme l’indique la Figure 11,

quatre types de savoirs :

• À l’extrême gauche on retrouve le savoir théorique. C’est le

savoir savant qui a une prétention universelle. Ainsi, au

départ, personne ne réfléchit dans le vide, sans matériaux.

Pour penser, pour observer, pour analyser, il faut des

concepts, qui appartiennent à des champs conceptuels, à

des typologies, à des fragments de théorie. Ce sont ces

savoirs qui permettent de mettre de l’ordre, de distinguer des

aspects et des traits, de comparer, de mettre en relation, de

formuler des questions ou des hypothèses.

• Le savoir appliqué est en lien avec les exigences et les

contraintes de l’action. Il vérifie la cohérence des données

du savoir théorique dans la résolution de problèmes, simulés

Page 129: Concevoir la conception

121

Louis Toupin : Concevoir la conception

ou réels. C’est avec ce savoir que se font les applications

concrètes de ce qui est issu des théories pures.

• À l’extrême droite du continuum on retrouve le savoir

d’expérience. Ce savoir est très singulier, il est situé dans

une réalité particulière, locale. Il se superpose aux

expériences antérieures et suppose de multiples décisions à

prendre dans le feu de l’action. Ce savoir met également en

scène un individu unique ayant lui-même une base culturelle

spécifique, un système de valeurs qui lui est propre. Ce

savoir est donc qualitatif dans l’application des actions et des

gestes au quotidien.

• Le savoir praxique est une conceptualisation des gestes

posés dans la pratique quotidienne. C’est un savoir qui se

construit avec et par le retour réflexif sur une pratique. C’est

la conceptualisation du savoir d’expérience, une

représentation explicite de «sa» pratique de concepteur. Ce

dernier n’a pas seulement la capacité de faire l’action, mais il

a aussi la capacité de la voir, de l’analyser et de la nommer.

FIGURE 11 : QUATRE TYPES DE SAVOIRS COMPLÉMENTAIRES

Savoir

théorique

Savoir

appliqué

Savoir

praxique

Savoir

d’expérience

Source : Laurin, 1993

Dans un cadre de co-configuration, où prédomine une dynamique

d’apprentissage expansif, tous les savoirs du praticien s’interpellent,

s’alimentent mutuellement. Comme l’indique la Figure 12, les savoirs

s’animent et se recombinent différemment. Le savoir tacite du

praticien est le résultat d’un processus d’intégration des différents

Page 130: Concevoir la conception

122

Louis Toupin : Concevoir la conception

savoirs qui évolue aussi bien à l’intérieur du champ théorique (flèche

A) qu’à l’intérieur du champ pratique (flèche B) et finalement d’un

champ à l’autre (flèche C). Une synergie favorable à l’intégration du

savoir théorique et du savoir pratique est ainsi optimisée, car chacun

des champs respectifs supporte l’autre. Le résultat de ce processus

d’intégration des différents savoirs permet la production du savoir

tacite, ou savoir complexe. Le savoir tacite se présente donc comme

un amalgame de quasis théories, de modèles, de représentations,

de schémas opératoires, d’expériences pratiques, d’affects, que le

concepteur va mobiliser dans une situation où il doit interpréter de

l’information.

FIGURE 12 : DYNAMIQUE DE PRODUCTION DU SAVOIR TACITE

Savoir

théorique

Savoir

appliqué

A

Savoir tacite

C Intégration des savoirs

B Savoir

praxique

Savoir

d’expérience

Toutefois, il serait plus juste de dire que, dans un processus de

conception, l’interprétation de l’information ne sera pas que le fait du

concepteur. Celui-ci, le plus souvent, ne sera pas le seul à

interpréter l’information disponible, surtout en situation de co-

configuration. Dès lors, l’interprétation de l’information sera le

résultat d’un processus dialogique mettant en scène des savoirs

tacites provenant d’horizons différents. Ce processus comporte

beaucoup d’hésitation et de va-et-vient. Jonna Kangasoja (2002)

Page 131: Concevoir la conception

123

Louis Toupin : Concevoir la conception

qualifie cette dynamique complexe « d’ignorance symétrique » où,

malgré tout, les acteurs détiennent les connaissances pour trouver

les solutions à leurs problèmes. Ajoutons que le processus

dialogique met aussi en lumière plusieurs zones de « non savoir ».

Ainsi, Steve McConnell (1996), un développeur de logiciels, présente

plusieurs cas de figures où le concepteur peut rencontrer des limites

quant à l’information que l’on peut recueillir auprès des futurs

utilisateurs :

• Les utilisateurs ne savent pas ce qu'ils veulent ;

• Les utilisateurs ne veulent pas s'engager à écrire les

exigences ;

• Les utilisateurs insistent sur de nouvelles exigences après

que le coût et le calendrier ont été fixés ;

• La communication avec les utilisateurs est lente ;

• Les utilisateurs ne participent le plus souvent pas aux revues

ou sont incapables de le faire ;

• Les utilisateurs manquent de compétence technique ;

• Les utilisateurs ne comprennent pas le processus de

développement.

Ainsi, face à un concept en développement, on observe la

cohabitation de différents savoirs tacites, qui eux-mêmes renvoient à

différents systèmes de référence, différentes façons de définir une

même réalité, différentes exigences, différents systèmes de valeurs

et, parfois, des zones de « non savoir ». Mais, à travers ce dédale

interprétatif, le concepteur a le rôle d’extraire l’information

significative et pertinente, celle qui apportera une valeur ajoutée au

processus de conception. Pour ce faire, il procédera, comme

l’indique la Figure 13, par itération successive pour réduire la masse

d’information et, peu à peu, faire émerger les connaissances qui

serviront le processus de conception.

Page 132: Concevoir la conception

124

Louis Toupin : Concevoir la conception

Pour ce travail, il disposera de plus ou moins de temps ce qui

affectera la qualité des connaissances mais aussi le coût de

production de celles-ci. Un équilibre se fera en fonction de

l’importance de la contrainte financière. Pour optimaliser cette

contrainte il utilisera, comme il a été mentionné, des artéfacts,

matériels ou symboliques, qui permettront en quelque sorte de

manipuler le concept en développement, de le transformer en

fonction des exigences des utilisateurs. Cette manipulation facilitera

et accélérera l’expression d’informations fonctionnelles, mais aussi

normatives, culturelles, finalisées. Elle permettra aussi de mieux

contextualiser l’information, notamment en fonction de la

communauté qui fera usage du produit, du service ou du résultat.

Ainsi, l’artéfact qui sera utilisé interagira avec les savoirs tacites qui

lui préexistent. Il débusquera les zones de « non savoir », ce qui

sera susceptibles d'orienter les apprentissages des concepteurs et

des utilisateurs. Il identifiera aussi les motifs de résistances qui

peuvent être reliés au statut des acteurs, à des modifications dans

l’organisation du travail, à des prérogatives hiérarchiques, aux

frontières entre informations que l’on peut ou veut partager et

informations stratégiques que l’on veut préserver.

Ce travail interprétatif du concepteur, qui s’appuie en bonne partie

sur les savoirs tacites, permettra, comme le précisent Michael

Polanyi et Harry Porsch (1975), de donner du sens aux choses. Les

informations prendront formes et reliefs en fonction du travail à

effectuer. Cependant, selon la nature du concept en développement,

le sens ira du concret vers l’imaginaire, ou de l’imaginaire vers le

concret. Ainsi, le concepteur qui travaille sur un objet, par exemples

concevoir un meuble, une automobile ou un vêtement, devrait être à

la recherche d’interprétations qui permettront d’intégrer cet objet

dans un imaginaire. C’est le cas du designer de mode qui

développera une collection en structurant celle-ci autour d’un thème

porteur. Par contre, le concepteur qui d’emblé développe un concept

Page 133: Concevoir la conception

125

Louis Toupin : Concevoir la conception

campé dans l’imaginaire, par exemples un jeu vidéo, une publicité,

un spectacle d’humour devra, pour lui donner du sens, parcourir un

chemin inverse. Il devra rechercher des informations factuelles afin

d’en démontrer la viabilité, l’utilité, l’attractivité. C’est ce qui se passe

lorsque vient la mise en marché d’un nouveau jeu vidéo, en insistant

sur le nombre de précommandes, en filmant les files d’attentes des

amateurs désireux d’être les premiers à se procurer le nouveau jeu,

en tentant de susciter des phénomènes de type « publicité virale ».

FIGURE 13 : PROCESSUS DE TRANSFORMATION DES DONNÉES EN

CONNAISSANCES

Source : Michel Cartier

Le dialogue entre les savoirs tacites permettra au concepteur, à son

équipe et aux parties prenantes d’interpréter l’information. Ceux-ci

pourront s’aider de stratégies d’interprétation de l’information qui

Page 134: Concevoir la conception

126

Louis Toupin : Concevoir la conception

renforceront ce que l’on pourrait appeler « l’intelligence collective »

de la situation, dont les suivantes :

• Veille stratégique :

La veille stratégique consiste à définir les axes stratégiques

permettant de focaliser les recherches d'informations sur un

certain nombre de domaines. Ces informations sont ensuite

extraites, triées, comparées, croisées les unes avec les

autres, afin de mettre en évidence les convergences existant

entre certaines tendances. Ces informations sont stockées,

diffusées à d'autres, évaluées et comparées, afin d'être

directement appliquées ou réinjectées dans le processus

d’interprétation pour corriger les axes stratégiques et

conduire à de nouveaux critères de veille.

• Démarche prospective :

La démarche prospective consiste à réaliser à partir de la

veille, des analyses de tendances en étudiant les

convergences entre secteurs (par exemple : le

rapprochement entre la biologie et l’informatique). La mise

en lumière de ces convergences sera facilitée par la

définition d’un scénario situé dans un avenir proche et qui

focalise les tendances les plus pertinentes. À partir de ce

scénario, on pourra rechercher dans des bases de données

des éléments complémentaires ou plus détaillés,

nécessaires pour valider ou invalider le scénario proposé.

Cette démarche pourra conduire, soit à déplacer le scénario

dans le temps, soit à en changer les paramètres constitutifs.

C'est la démarche rétro prospective. Par itération, on précise

ainsi, non seulement le scénario, mais aussi les tendances

convergeant vers ce scénario.

Page 135: Concevoir la conception

127

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Cartes cognitives

Une carte cognitive aide à simplifier, à coder l'interaction

complexe de l'humain avec son environnement. Ainsi, la

carte cognitive traduit de manière visuelle et dynamique des

schémas mentaux. Ces relations peuvent être représentées

par des flèches ou des traits différenciés qui signifient

quelque chose : par exemple un lien de dépendance, une

implication logique, une hypothèse. On peut donner aussi

une représentation qualifiée des entités : par exemple des

signes « ++ » pour l'importance d'un acteur dans un

processus. C'est une manière visuelle de décrire la

complexité. Les cartes cognitives sont utilisées pour

représenter des ensembles conceptuels, ou des situations et

stratégies, des projets, ou même pour prendre des notes.

Construire une carte cognitive fait apparaître des éléments

qui seraient restés cachés; donne une représentation

dynamique des réalités observées; éclaire des

problématiques complexes. On les utilise pour représenter

des ensembles conceptuels, des situations, des stratégies

ou des projets.

• Benchmarking (étalonnage)

Le benchmarking est la méthodologie, l'état d'esprit, alors

que le benchmark est l'outil principal de cette méthodologie.

On distingue différents niveaux de mise en œuvre de cette

méthode d’interprétation comparative :

• Interne : comparaison entres les opérations semblables

dans une même organisation;

• Concurrentiel : comparaison avec le meilleur de ses

concurrents directs (par exemple, dans le cas de

l’éducation publique : les écoles privées);

• Fonctionnel : comparaison avec les méthodes

d'organisations ayant les même processus;

Page 136: Concevoir la conception

128

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Processus générique : comparaison des processus de

travail avec d'autres secteurs plus innovants ou ayant

des processus exemplaires.

• Méthode des scénarios

Construire des scénarios ne sert pas seulement à imaginer,

en groupe, l'avenir. C'est une manière très puissante de

mobiliser expertise et créativité pour éclairer le présent.

La méthode des scénarios peut devenir un outil puissant de

création de connaissances collectives. Elle permet d'orienter

des décisions et stratégies, mais aussi de préciser et

partager une vision, du sens, et de les rendre actifs,

prégnants, et d'inspirer directement les réalisations

communes.

• Recueil d’histoires significatives

Suivant l'art ancien des conteurs, il s’agit de construire, sous

forme narrative, les expériences ou les pratiques vecteurs

de changement, d’innovation, d’expériences utiles au projet.

Cette approche est reconnue comme un puissant moyen

d’évaluation des valeurs courantes de la culture d’une

organisation, et comme un levier efficace pour évoluer

collectivement. En fait, la conduite d’importants

changements, l’identification et la constitution de

communautés d’intérêt et de pratiques, la communication

dans des organisations globales, sont des contextes dans

lesquelles pratiquer les « histoires » est particulièrement

intéressant.

Elles visent à une évolution rapide des idées ou des

représentations mentales et donnent de nouveaux repères

partagés, facilitent la communication, permettent une

mobilisation large là où on pensait trouver surtout des

blocages. La clé, c'est le langage. Et les histoires constituent

Page 137: Concevoir la conception

129

Louis Toupin : Concevoir la conception

un fantastique vecteur de création et diffusion du sens, de

compréhension spontanée et d'approche de ce qui est

complexe. Les résultats sont puissants, car les référents

sont concrets. Les personnes réceptrices peuvent s’y

projeter librement et sont marquées par le récit qu‘elles

habitent. Enfin, les conclusions à retenir sont clairement

formalisées.

Il est possible d’introduire des récits dans des bases de

connaissances, mais aussi de les faire circuler dans les

communautés de pratiques, ou même de les concevoir en

groupe et en ligne.

La technique est aisée et se transmet facilement en la

pratiquant. On peut la pratiquer ensuite collectivement,

même sur un support collaboratif, et constituer des

bibliothèques permettant de les mobiliser selon les

situations.

Dans le cadre d’une conception de type co-configuration, où

l’apprentissage expansif prédomine, les histoires

significatives, ou récits, occupent une place privilégiée dans

le travail de conception.

• Dictionnaire des termes

Lors d’un nouveau projet où se combinent les actions de

groupes issus de contextes, d’origines et d’identités

différentes, il est nécessaire de trouver un langage commun.

Au-delà de la langue utilisée, il faut pouvoir assurer à tout

moment la cohésion des contenus. Le « dictionnaire »

devient alors un élément fédérateur, sur mesure, qui permet

de suivre la trace de l’évolution des projets, en même temps

qu’il assure la transmission des contenus d’un secteur à

l’autre. Par la suite, il constitue un ancrage linguistique de

référence pour les autres activités de l’organisation.

Page 138: Concevoir la conception

130

Louis Toupin : Concevoir la conception

Un dictionnaire des termes permet de :

• Garantir des définitions communes aux différentes

communautés en évitant les ambiguïtés;

• Fournir des textes ou des traductions « localisées »

c'est-à-dire basées sur les besoins propres d’une

communauté ciblée;

• Éviter le risque les flottements interprétatifs dans la

communication;

• Intégrer les nouveaux participants à une communauté

qui s’identifie et reconnaît dans son langage;

• Préparer le terrain lorsque des équipes sont fusionnées

ou regroupées.

Encadré 18 : Co-configuration et services de santé La co-configuration est un mode de travail et de production très exigeant. Cependant, elle offre des avantages stratégiques quand les objets du travail l'exigent. La conception de services de santé plus efficaces et efficients en est un exemple. Ainsi, un pourcentage croissant des patients a des maladies chroniques multiples pour lesquelles de simples diagnostics normalisés s’avèrent insatisfaisants. Par exemple, à Helsinki, 3,3% des patients mobilisent près de la moitié de toutes les dépenses en soin de santé tandis que 15,5% des patients consomment, à eux seuls, 78,2% de toutes les ressources. Une part significative de ces patients représente des coûts prohibitifs parce qu'ils passent d'un médecin à l'autre sans que personne ait une vue d'ensemble et une responsabilité globale de leurs soins. Le travail de co-configuration devient alors une priorité stratégique parce que le personnel soignant et les patients doivent apprendre à produire ensemble des trajectoires de soins à long terme, coordonnées et adaptables.

Encadré 19 : Une dynamique dialogique Dans le cas de la conception d'outils d'aide à la lutte contre un pathogène

Page 139: Concevoir la conception

131

Louis Toupin : Concevoir la conception

des cultures dans un institut technique agricole, Marianne Cerf (2003) met en évidence que le système d'activité qui s'est construit depuis une dizaine d'années autour de cet objet inclut certes les concepteurs de ce type d'artéfact, mais mobilise couramment d'autres acteurs. Il s'agit des expérimentateurs de l'institut, des conseillers agricoles qui en participant au travail d'expérimentation, apprennent l'usage des artéfacts, des agriculteurs chez qui se déroulent parfois les expérimentations, et des ingénieurs régionaux de l'institut qui ont pour mission de faire remonter les besoins des agriculteurs, de participer au développement d'innovations (comme par exemple les outils d'aide à la décision), de faire la promotion de ces innovations auprès des agriculteurs et surtout de leurs conseillers (Chambres d'Agriculture, coopératives agricoles, etc.). Ce « collectif de travail » est régi par une certaine répartition des tâches. Les concepteurs font les modifications sur l'artéfact et élaborent les protocoles de test. Les expérimentateurs, qu'ils soient internes à l'institut ou qu'ils travaillent dans des organismes externes, exécutent les protocoles et font remonter les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre opératoire ainsi que les données expérimentales. Les ingénieurs régionaux définissent les partenaires qui seront impliqués dans le travail d'expérimentation. Implicitement les règles qui régissent les relations entre le collectif de conception et les autres acteurs du collectif « exigent » que les concepteurs prennent les décisions, mais aussi qu’ils interagissent avec les autres acteurs pour les prendre. Ce système d'activité orienté par la conception d'outils d'aide au raisonnement des techniques culturales préexiste à l'intervention ergonomique. En visant à développer des apprentissages, mais aussi à introduire les utilisateurs comme partie prenante du processus de conception, l'intervention perturbe le système : elle conduit, en effet, à interroger les règles au sein du collectif, la division du travail, l'usage des essais au champ qui servent jusqu'ici à tester la robustesse et la fiabilité des aides en cours d'élaboration. L’intégration des « univers épistémiques » des opérateurs (agriculteurs, conseillers agricoles) dans le processus de conception, vient questionner l'expertise des ingénieurs régionaux censés représenter ces opérateurs. Par exemple, en proposant de considérer les conseillers agricoles comme des utilisateurs (et pas uniquement comme des relais d'une innovation), permet une activité constructive de ces derniers sur d'autres outils d'aide au raisonnement des traitements fongicides. On questionne également l'expertise des ingénieurs régionaux en structurant la diversité des situations de travail à partir de la façon dont les opérateurs mobilisent des ressources informationnelles plutôt que sur des critères agronomiques.

Page 140: Concevoir la conception

132

Louis Toupin : Concevoir la conception

De plus, travaillant sur le développement conjoint des situations et des personnes, l'ergonome vient remettre en cause les protocoles expérimentaux et la place des expérimentateurs : que signifie expérimenter dans cette perspective ? Par exemple, comment concevoir les protocoles de telle sorte qu'ils deviennent des supports d'apprentissage, et pas seulement des tests de fiabilité et de robustesse des outils ? Ici, le problème n'a pas réellement émergé car les concepteurs, aidés de l'ergonome, se sont prêtés à cette transformation de leurs actions et à la réalisation d'entretiens avec les utilisateurs. Mais ces entretiens n'ont pas pour autant permis la construction d'une dimension réflexive évoquée plus haut, dans la mesure où les règles entre les acteurs laissaient le pouvoir de décision aux concepteurs qui en retour ont plutôt conduit l'entretien comme un recueil d'informations que comme l'accompagnement d'un travail réflexif.

Source : Pascal Béguin et Marianne Cerf, 2004

4.3 Développement des idées

Le moment de la spontanéité créatrice est la plus infime présence du

renversement de perspective. C'est un moment unitaire, c'est-à-dire

un et multiple. L'explosion du plaisir vécu fait que, me perdant, je me

trouve ; oubliant qui je suis, je me réalise. La conscience de

l'expérience immédiate n'est rien d'autre que ce jazz, que ce

balancement.

Raoul Vaneigem

La conception, comme il a été mentionné lors de la phase de

« développement du concept » du processus de conception, est

souvent déclenchée par la présence d’une contradiction ou d’une

tension au sein d’un système d’action. Pour apporter une ou des

solutions à cette contradiction ou cette tension il sera nécessaire de

Page 141: Concevoir la conception

133

Louis Toupin : Concevoir la conception

développer des idées. Cependant, le développement des idées se

retrouve aussi dans l’ensemble du processus de conception et ce,

de diverses façons :

• En explorant les possibilités et les contraintes entourant la

conception d’un produit, d’un service ou d’un résultat, par

exemples en faisant appel à la pensée critique, en

redéfinissant la manière de poser les problèmes, en

proposant de nouvelles catégories, de nouvelles approches;

• En redéfinissant les spécifications des solutions de

conception pour en arriver à de meilleures directives de mise

en production;

• En améliorant les artéfacts de conception, notamment en

proposant des prototypes, des scénarios, des simulations ou

des solutions qui permettent une meilleure anticipation de la

situation désirée;

• En interprétant mieux certains processus à l’œuvre en

conception tels que : l’analyse des besoins, l’analyse des

tendances, l’analyse des parties prenantes.

Le Tableau 14 présente les connaissances, les habiletés et les

attitudes qui permettront au concepteur de développer des idées tout

au long du processus de conception. On y notera, outre les habiletés

techniques, l’importance des attitudes pour cet élément de la

compétence.

Bien que le développement des idées soit nécessaire tout au long du

processus de conception, ce qui va intéresser et distinguer le

concepteur, ou l’équipe de conception, c’est l’idée-force, le symbole,

le concept qui sera à la base du produit, du service ou du résultat

que l’on désire obtenir. Ce moment privilégié où naît un « concept »

porteur et source d’inspiration est considéré comme un moment

Page 142: Concevoir la conception

134

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 14 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES AU

DÉVELOPPEMENT DES IDÉES

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Développer des idées

• Recherche et mise en place de conditions favorisant le processus d’idéation

• Application de techniques visant à stimuler l’inspiration

• Recherche et développement d’éléments originaux à intégrer à la conception

• Exploration approfondie des traitements possibles d’une idée

• Mise en évidence des caractéristiques, des standards, des tendances à retenir dans la conception

• Vérification constante de la pertinence et de la cohérence des idées avec le contexte d’émergence du projet

• Identification des éléments significatifs du message

Connaissances � Rôle, place et importance de la créativité dans le travail de conception

� Connaissances des freins à la créativité (par exemples : habitude, jugement, attitude d’expert, logique, freins intellectuels, inertie psychologique)

Habiletés � Conception et utilisation de référentiels

� Techniques d’accompagnement de la créativité

� Techniques et méthodes de créativité

� Pensée intégrative Attitudes � Tolérance au doute et à l’incertitude

� Réceptivité à la critique � Acceptation de la critique et des remises en questions

� Écoute des autres � Leadership � Intelligence émotionnelle

Page 143: Concevoir la conception

135

Louis Toupin : Concevoir la conception

important en conception et il ne manque pas de techniques et de

moyens pour stimuler et accompagner celui-ci comme le démontre le

Tableau 15. Ces techniques et moyens ont comme dénominateur

commun la création de conditions favorable au processus d’idéation.

Ce moment peut être précédé d’une phase d’exploration-inspiration

faite d’hésitations, de tâtonnements, d’angoisses et d’incertitudes

mais, quand il survient, il peut aussi provoquer des sentiments

d’euphorie, de communion intense, d’exaltation, qui feront oublier

bien des désagréments et des frustrations. Ainsi, pour ce moment

précieux, mais éphémère, se situant en le syndrome de la « page

blanche » et l’effet « eurêka », le concepteur va accepter de passer

par une gamme d’émotions souvent difficiles à gérer. Certains

concepteurs vont même se spécialiser dans ce moment unique

laissant à d’autres le soin de développer le concept dans tous ses

aspects.

TABLEAU 15 : DIVERSES STRATÉGIES POUR DÉVELOPPER LES IDÉES

Vivier et commandos

Objectifs • Créer un climat créatif dans toute l’organisation,

faciliter l’accueil spontané des idées, faire en sorte que les idées ne se perdent pas;

• Résoudre rapidement des problèmes ponctuels, occasionnels, nécessitant un apport créatif;

• Disposer d’une source de production d’idées d’utilisation rapide;

• Disposer d’un outil souple, flexible, malléable, peu coûteux, participatif.

Outil / démarche Formation d’un grand nombre de personnes à la créativité afin de créer un « vivier » créatif. On pourra « puiser » dans ce «vivier » pour constituer des équipes «commandos » temporaires qui s’attelleront à des recherches ponctuelles. Cette formation étendue, cette démarche participative, crée un climat très propice à

Page 144: Concevoir la conception

136

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’innovation.

Les contrats créatifs ou la cellule de créativité temporaire

Objectifs • Il s’agit de résoudre un problème particulier,

exceptionnel, qui appelle un apport créatif, pendant une durée limitée : par exemple, le lancement d’un nouveau programme; la conception d’un nouvel outil; la mise en place d’une nouvelle organisation du temps de travail, etc. On veut mobiliser un groupe de réflexion créative, sans pour cela lui donner une permanence.

Outil / démarche On décide de constituer une cellule de créativité temporaire, de 8 à 10 personnes, recrutées et formées spécialement pour cet objectif, (en général sous forme d’un ou deux séminaires résidentiels de 2 jours). Cette équipe se réunit régulièrement (par ex. un jour tous les 15 jours). Elle se dissout à la fin du projet, comme une équipe de cinéma à la fin du tournage du film.

Le groupe de créativité externe ou club d’innovation

Objectifs • Considérer les problèmes habituels de l’organisation

avec un regard neuf, sans a priori, sans contraintes; • Faire travailler en créativité des personnes venant

d’horizons différents; • Recueillir des idées neuves, sortant de l’ordinaire,

tranchant avec la culture de l’organisation ou la façon habituelle de poser un problème.

Outil / démarche Réunir des personnes extérieures à l’organisation, de style et de formation différents, en fonction du sujet traité. Former ces personnes à la créativité (un week-end, par exemple). Les faire travailler en mode créatif (le soir, ou le week-end ou en semaine)

Le forum créatif

Objectifs • Faire participer un grand nombre de personnes à

une réflexion créative ou prospective; • Associer des populations différentes regroupées en

fonction de critères variés; • Faire exprimer les différences, puis rechercher un

consensus. Faire exprimer les critiques, puis

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Louis Toupin : Concevoir la conception

déboucher sur des propositions positives. Outil / démarche Le même jour, dans le même lieu, 5 à 7 groupes de 10 à 12 personnes, réunis dans des salles séparées, avec un animateur spécialisé (appel aux techniques de créativité : pluie d’idées, sketches, dessins, etc.). Les salles sont reliées en circuit vidéo (facultatif). Chaque groupe travaille séparément pendant une heure environ, sa production et ses propositions sont retransmises dans toutes les salles à l’occasion de carrefours de synthèse (animation centrale)

La cellule innovation

Objectifs • Assurer le développement d’un concept innovant,

depuis son origine jusqu’à sa mise en œuvre; • Respecter méthodiquement toutes les phases du

processus : clarification des objectifs, recueil des informations nécessaires, appel aux experts compétents, recours à la créativité à différentes étapes de la démarche, test des hypothèses en cours de route, définition des étapes de lancement;

• Bien distinguer les phases rationnelles et les phases créatives.

Outil / démarche On crée une cellule d’innovation (outil de pilotage, d’évaluation et de jugement) composée de responsables et d’experts, avec le concours éventuel de spécialistes extérieurs. Cette cellule se réunit régulièrement tout au long du processus (une matinée par semaine, par exemple) pour les phases rationnelles. Elle fait appel, lorsque c’est nécessaire, à des groupes de créativité, en utilisant l’un des outils décrits par ailleurs, pour irriguer le processus d’innovation par des idées originales

La boîte à idées intranet

Objectifs • Inciter les collaborateurs d’une structure,

(organisation, collectivités diverses), à proposer des solutions nouvelles, à faire des suggestions, à apporter des idées.

• Diffuser les pratiques innovantes • Stocker les idées de chaque unité dans une banque

de données que chacun pourra consulter, pour ne

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Louis Toupin : Concevoir la conception

pas « réinventer l’eau chaude ». Outil / démarche Un outil intranet ou extranet dans lequel chacun peut apporter une idée ou faire connaître une innovation, en suivant un processus. Le système est stimulé par des encouragements. Organiser un système de stockage et de consultation des idées ou des innovations par mots clés, permettant ainsi de vérifier pour un problème donné, si quelqu’un dans le réseau a déjà résolu ce problème ou a proposé une idée.

La cellule de créativité permanente

Objectifs • Organiser des recherches créatives d’une manière

permanente, pour répondre à des besoins fréquents, soit pour poursuivre une recherche à long terme, nécessitant un travail sur une longue durée, soit pour irriguer les projets de recherche par des apports créatifs stimulants de manière régulière;

• Créer un dispositif de créativité très efficace, composé de collaborateurs très entraînés.

Outil / démarche Une cellule permanente de 8 personnes, ayant suivi une formation approfondie aux techniques de créativité. Elle se réunit à un rythme régulier (par exemple, un jour toutes les 2 semaines, ou une semaine au vert tous les deux mois) dans un lieu approprié.

Les métaphores qui décrivent l’élaboration d’un concept empruntent

beaucoup leur vocabulaire à la logique du vivant : incubateur,

irrigation, pollinisation, germination, contamination, capteur,

amplificateur. Autant de termes utilisés qui évoquent le fait que le

concept, à ses débuts, a la fragilité d’un nouveau plan et a besoin de

protection. Ces métaphores « bio » évoquent aussi le pouvoir de

conviction du concept qui commence, bien sur, par le concepteur lui-

même. Pour générer cet instant de découverte, il n’y a pas de

recettes miracles et les cahiers des concepteurs sont souvent

remplis d’idées qui n’aboutiront jamais. C’est à travers ce travail

itératif, pas toujours productif, que le concepteur forgera ses choix

Page 147: Concevoir la conception

139

Louis Toupin : Concevoir la conception

esthétiques, se donnera un style, privilégiera une approche de la

conception plutôt qu’une autre.

Le processus de formulation de nouvelles idées peut être divisé en

trois grandes phases : inspiration, idéation et implantation. Les deux

premières phases s’inscrivent dans une dynamique de divergence

car il s’agit de produire le plus d’idées que possible, la qualité de

celles-ci n’étant pas une contrainte à ce stade. L’implantation est

davantage placée sous le signe de la convergence car les idées se

démarqueront alors par leur qualité, leur pertinence, leur faisabilité,

leur viabilité. Le Tableau 16 présente ces phases ainsi que les

méthodes qui favorisent la formulation d’idées.

TABLEAU 16 : MÉTHODES DE FORMULATION DE NOUVELLES IDÉES PHASES DE DIVERGENCE PHASE DE

CONVERGENCE EXPLORATION IDÉATION

• Les pourquoi ?

• La défectuologie

• Les rôles

extrêmes : le

martien / l’habitant

de Sirius / l’enfant

/ le stagiaire / le

débutant

• L’expérience client

exceptionnel

• Le pense-bête

• L’amont de

l’amont

• Plus-moins-

intéressant

• Le cœur du sujet

• L’ambition de

l’objectif

• La pluie d’idées

(brainstorming)

• La carte cognitive

• TRIZ (voir

Encadré 20)

• Le portrait chinois

(voir Encadré 8)

• La synectique

• L’analyse de

tendances

• La check-list

• Le FAST de

créativité

• Le concassage

• L’analyse

morphologique

• La méthode

aléatoire

• L’arbre de solutions

• L’arbre conceptuel

• L’abaque de

Reignier

• La résolution

créative de

problèmes

• La loi de Murphy

• TRIZ (voir Encadré

20)

Page 148: Concevoir la conception

140

Louis Toupin : Concevoir la conception

PHASES DE DIVERGENCE PHASE DE

CONVERGENCE EXPLORATION IDÉATION

• L’avocat de l’ange

• L’arbre à problème

• TRIZ (voir

Encadré 20)

• Le paradoxe

• Le décalage

• La méthode

onirique

Il ne s’agira pas ici de décrire toutes les méthodes présentées dans

le Tableau 16 car de nombreux ouvrages et sites Internet sont

consacrés à la description de celles-ci et le concepteur développera

ses préférences personnelles. De plus, chaque situation de

conception exigera sa propre configuration de méthodes pertinentes.

Le choix de l’une ou l’autre de ces méthodes dépendra de la nature

du projet de conception. S’il s’agit d’un projet lié à l’amélioration d’un

système technique la méthode TRIZ offre des avantages certains.

Par contre, s’il s’agit de concevoir une campagne électorale, des

méthodes comme le pense-bête, l’analyse de tendances et la pluie

d’idées seront, fort probablement, plus utiles. Ci-dessous on trouvera

une description sommaire de quelques méthodes de développement

des idées liées à la phase d’idéation :

• Analyse de tendances

Résultante de la veille stratégique l’analyse de tendances

permet d’identifier, par exemple, les meilleures pratiques du

domaine.

• Chek-list

Il s’agit de faire une liste, plus ou moins critériée selon le

temps dont on dispose, des spécificités auxquelles les

solutions à un problème doivent répondre. Plus une solution

Page 149: Concevoir la conception

141

Louis Toupin : Concevoir la conception

répond à un maximum de spécifications et plus elle a de

chance d’être adoptée (on coche le nombre de

spécifications rencontrées, d’où le nom « check-list »).

• FAST de créativité

Le FAST de créativité est un mode de visualisation qui

permet de relier et d’ordonner toutes les fonctions

techniques répondant à la satisfaction d’un besoin et d’en

déduire des principes de solutions. On créera un groupe de

travail (5 à 8 personnes) qui génèrera dans un premier

temps beaucoup d’idées (Pluie d’idées ou brainstorming).

Les idées seront ensuite triées en éliminant les redondances

et l’on exprimera de façon rigoureuse les fonctions

techniques des idées les plus intéressantes. Les fonctions

techniques seront classées selon trois questions : Dans quel

but ? Comment ? Quand ? Et ce, afin de pouvoir établir une

arborescence fonctionnelle et de déduire des principes de

solutions sous la forme de croquis ou de schémas.

• Analyse morphologique

Méthode qui permet la construction de scénarios

exploratoires dans tous les domaines d'innovation et de

recherche d'idées nouvelles. Bien que surtout utilisée en

prévision technologique, cette méthode se prête de plus en

plus fréquemment à la construction de scénarios. Les

dimensions démographique, économique, technique ou

sociale pouvant être caractérisées par un certain nombre

d'états possibles (hypothèses ou configurations), un

scénario ne sera alors rien d'autre qu'une combinaison

d’hypothèses reliées à chaque dimension.

La méthode exige, dans une première étape, de

décomposer de manière exhaustive un système étudié en

sous-systèmes ou dimensions. Chaque dimension peut

Page 150: Concevoir la conception

142

Louis Toupin : Concevoir la conception

alors prendre plusieurs configurations. Il y aura autant de

scénarios possibles que de combinaisons de configurations.

L'ensemble de ces combinaisons représente le champ des

possibles, aussi appelé espace morphologique. Cependant,

cet espace morphologique croît très vite, exponentiellement,

dès lors que le nombre de dimensions augmente. La

deuxième phase du travail consistera donc à réduire

l'espace morphologique initial en un sous-espace utile, par

l'introduction de contraintes d'exclusion, de critères de

sélection (économiques, techniques), à partir duquel seules

les combinaisons pertinentes pourront être examinées.

• Synectique

Cette technique de créativité consiste à imaginer des

solutions en recherchant des analogies avec des problèmes

résolus dans des domaines différents. Il s’agit, par exemple,

de transposer le problème à résoudre dans un autre univers

où il se situe et à imaginer de nouvelles solutions. Plusieurs

types d’analogies peuvent alors être mobilisés. Il y a les

analogies par identification : elles consistent à s’imaginer

que nous sommes complètement à la place ou à l’intérieur

du problème (voir Encadré 18 pour une utilisation de cette

méthode en phase d’exploration). Il y a les analogies avec la

nature : elles consistent à imaginer comment la nature

résout un tel problème (par exemple le problème de

l’adhérence à conduit, en étudiant les insectes, au velcro. Le

caractère « toujours sec » du lotus conduira à de nouvelles

innovations). D’autres types d’analogies sont aussi

possibles : l’artificiel, le fantastique, le symbolique. Cette

méthode s’utilise en groupe.

Page 151: Concevoir la conception

143

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Concassage

Il s’agit d’une méthode de créativité qui consiste à déformer

un problème, une situation, un produit, un procédé, afin d’en

extraire de nouvelles idées de solutions. Ainsi, on peut

utiliser plusieurs mécanismes de pensée tels que :

• Réfléchir en grossissant ou en augmentant : tout un

objet, une partie, une caractéristique (par exemple :

augmenter la longueur d’un crayon-feutre permet

d’écrire dans des endroits auparavant inaccessibles);

• Réfléchir en enlevant ou diminuant : l’idée de réduire la

durée de vie d’un produit à conduit aux crayons jetables;

• Réfléchir en supprimant : cela permet d’imaginer ce qui

arrive si on supprime quelque chose. Par exemple, on

découvre souvent que la suppression de telle ou telle

procédure n’entraîne aucun effet néfaste dans la qualité

d’un service;

• Réfléchir en inversant : c’est penser à l’envers en

imaginant ce que pourrait être l’inverse d’un objet, d’un

procédé, d’une situation (par exemple : imaginons un

crayon qui empêche d’écrire, une musique qui sonne

faux). Cette manière de réfléchir est particulièrement

efficace pour identifier des défaillances possibles;

• Réfléchir en associant : en faisant rencontrer, par

exemple, deux choses, produits, constituants qui

n’avaient a priori aucune raison de le faire.

• D’autres mode de réflexion sont aussi possibles : unifier,

multiplier, rompre la symétrie, caricaturer… Il suffit

d’imaginer

• Pluie d’idées (remue-méninges ou Brainstorming)

La pluie d’idées, remue-méninges ou brainstorming, se

réalise en trois phases : l’analyse du problème et sa

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144

Louis Toupin : Concevoir la conception

reformulation, la chasse aux idées, la sélection des idées.

Pour chaque idée retenue, le groupe procède à un contre

remue-méninges : comment cette idée pourrait-elle échouer,

comment améliorer cette idée. Il détermine ainsi les

arguments pouvant supporter cette idée et ceux qui

pourraient la contester ou nuire à sa réalisation.

• Méthode aléatoire

Elle consiste à entrecroiser certains éléments d’un problème

avec des stimuli aléatoires : mots choisis au hasard dans un

dictionnaire, batteries de photos abstraites, stimuli divers.

C’est une méthode qui suppose un groupe bien entraîné, et

qui donne, dans ce contexte, de bons résultats. D’autre part,

cette méthode a une excellente fonction pédagogique,

consistant à apprendre à relier de force des éléments non

cohérents pour trouver une connexion créative.

• Rêve éveillé ou méthode onirique

De nombreux inventeurs racontent que c’est en rêve qu’ils

ont entrevu le principe de leur découverte (particulièrement

au moment intermédiaire entre le sommeil et le réveil),

lorsqu’ils étaient particulièrement « obsédés » par leur

recherche. C’est compréhensible, durant le rêve, les

mécanismes de contrôle sont relâchés, l’esprit vagabonde.

Quand un groupe d’idéation travaille sur un même sujet

durant plusieurs jours, on demande aux participants de noter

leurs rêves au réveil, c’est souvent utile. Dans la pratique, il

est plus simple d’organiser en groupe un « rêve éveillé

collectif ». Le rêve éveillé collectif est une méthode très riche

sur le plan imaginaire, mais qui suppose, encore une fois, un

groupe bien entraîné (techniques de relaxation,

entraînement aux associations) et bien imprégné du sujet

pour que le rêve ne diverge pas trop loin, rendant ensuite le

retour difficile.

Page 153: Concevoir la conception

145

Louis Toupin : Concevoir la conception

Encadré 20 : TRIZ TRIZ est l'acronyme russe de la « théorie de résolution des problèmes inventifs ». Cette approche est, aujourd’hui, souvent utilisée par les consultants pour résoudre des problèmes techniques et concevoir des solutions. On observe que cette méthode est aussi, de plus en plus, employée en dehors de la sphère technique, par exemple pour résoudre des problèmes de gestion. Cette méthode fut développée à partir de 1946 par l'ingénieur russe Genrich Altshuller en étudiant des milliers de brevets. Il découvrit alors que l'évolution des systèmes techniques est régie par des lois objectives. Réduite à sa plus simple expression la méthode TRIZ peut s’énoncer ainsi : innover signifie éliminer une contradiction technique à l’aide de certains principes. TRIZ cherche à favoriser la créativité et à stimuler la recherche de concepts innovants en proposant d’abord à ses utilisateurs des outils de déblocage de l'inertie mentale. À partir de la créativité propre à chacun, TRIZ oriente le concepteur et le guide à chaque étape de la résolution d’un problème ou d’une contradiction, en proposant des solutions génériques et des outils éprouvés. Ceci permet de profiter de l'expérience acquise dans différents domaines d'activité et des principes fondamentaux simples qui en ont été tirés. La démarche TRIX fonctionne à la manière d’un algorithme. TRIZ conduit d’abord l'utilisateur vers la bonne formulation du problème ou de la contradiction. Un schéma fonctionnel en résulte. À partir de divers outils de réflexion et diverses pistes de solutions fournies par TRIZ, car TRIZ met en relation des problèmes abstraits avec des solutions abstraites, le concepteur peut identifier des solutions concrètes et contextuelles adaptées à sa propre recherche. Un répertoire de connaissances scientifiques et techniques permet alors d'affiner le ou les concepts générés et d'en trouver d'autres. Enfin TRIZ analyse la ou les solutions, fait le tri des idées les plus intéressantes et génère un rapport concernant les solutions réelles et potentielles. TRIZ permet de résoudre les contradictions qui apparaissent dans le cadre d’un projet conception, par exemples : pour les moteurs, la contradiction poids/puissance, pour les autos, la contradiction esthétisme/sécurité, en informatique, la contradiction vitesse/empreinte mémoire, ou encore, pour les services, la contradiction accessibilité/exclusivité.

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Un exemple de fonctionnement de la méthode TRIZ : (proposé par Claude Meylan, 2007)

Prenons l’exemple d’une souris d’ordinateur sans fil et cherchons à traiter le principal problème qui la caractérise. À ce jour, admettons que la durée de vie des piles est largement insuffisante et que ces périphériques sont susceptibles de devenir non-opérationnels rapidement. Il faudrait ne pas avoir besoin de changer de pile, que la souris ne tombe pas en panne, bref que l’alimentation puisse avoir lieu sans interruption tout au long de la durée de vie de l’objet. Voilà posé le problème spécifique ! Mais l’est-il vraiment ? N’y a-t-il pas d’autres situations parfaitement semblables ? En l’occurrence, on établit sans grand effort la relation entre ce problème spécifique et celui que présente une montre-bracelet ou un dispositif médical implantable comme un stimulateur cardiaque ou cet autre qui agit directement par stimulation électrique sur le nerf vagal pour réduire la charge pondérale. L’objectif à atteindre est en fait toujours le même : alimenter le système durant toute la durée de vie du produit, sans enregistrer de défaillance et sans devoir changer de piles.

Avec TRIZ, on va extraire l’essence de ce problème en retenant d’une part le paramètre que l’on cherche à améliorer – la disponibilité en énergie ou «puissance» et, d’autre part, le paramètre qui se détériore simultanément ou qui empêche l’amélioration du précédent, à savoir la «fiabilité» ou la «robustesse». On obtient ainsi une expression générique du problème, soit un conflit qui n’est pas seulement propre à la souris sans fil, mais qui correspond aussi à celui d’autres systèmes à pile. À partir de là, il est facile d’identifier les principes d’inventivité qui ont le plus de chances de révéler un maximum de solutions concrètes de valeur. Poursuivant notre exemple, la matrice du système TRIZ fournit les six heuristiques suivantes : «action périodique», «interaction non mécanique», «dilatation», «intermédiaire», «porosité» et «valeur d’un paramètre». Pour ceux qui ne connaissent pas parfaitement la méthode, ces suggestions restent sans doute bien abstraites. Bien que des bulles d’information permettent de mieux comprendre leur signification, qu’ils nous suffisent ici de préciser que ces pistes permettent déjà de concentrer toute l’attention sur les seules voies les plus prometteuses de succès. Une alternative se présente alors : en premier lieu, utiliser le module de recherche avancée et recourir aux bases de données en ligne avec les mots-clés que représentent les éléments du conflit générique… Cette option risque évidemment d’être assez laborieuse, compte tenu du volume de renseignements à traiter. En général, on préfère donc la seconde option, soit la consultation des listes de «solutions techniques et d’effets

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Louis Toupin : Concevoir la conception

scientifiques» rattachées à chaque principe. À l’aide de la matrice en ligne du système TRIZ, on obtient alors facilement, parmi d’autres, les propositions suivantes : capteur de pression, capteur de son, effet Faraday, induction magnétique avec effet de résonance, ondes radio, ultrasons, thermoélectricité (effet Seebeck, effet Peltier) ou piézoélectricité. Ces pistes sont déjà beaucoup plus concrètes, pour des ingénieurs en tout cas, et en plus, elles renvoient directement à des pages Web, la plupart du temps de l’encyclopédie Wikipédia. Rapidement donc, on est susceptible d’identifier des solutions techniques spécifiques telles qu’un système de transmission d’électricité sans fil, un chargeur à ondes radio, un système de conversion de l’énergie thermique du corps humain en électricité, ou encore, un micro-générateur alimenté par des ultrasons ou autres vibrations mécaniques telles que les mouvements de l’utilisateur… Et c’est à ce stade qu’apparaît à l’évidence un autre des avantages du système TRIZ : plusieurs solutions sont mises à jour simultanément, si bien qu’on évite d’en privilégier une a priori qui pourrait finalement s’avérer difficile à réaliser. En plus, cas échéant, plusieurs pistes combinées entre-elles peuvent conduire à l’élaboration d’un concept encore plus robuste.

Encadré 21 : La pensée design Timothy Brown, dans le cadre d’une conférence donnée au MIT Sloan School of management en juin 2006, définit la pensée design (ou design thinking) comme une approche humaine de l’innovation où le concepteur se doit non seulement d’être collaborateur, mais aussi empathique et capable de rendre tangible le concept en développement dans le monde des utilisateurs. Selon lui, la conception touche tous les domaines de notre existence, le concepteur se doit d’explorer un ensemble d’innovations afin de prendre en compte les besoins des personnes (le désirable) tout en tenant compte du contexte technologique (le faisable) et d’affaires (le viable) dans lequel les innovations évoluent. Selon Brown, la pensée design se décline en trois phases: l’inspiration, l’idéation et l’implantation. Lors de la phase inspiration, les concepteurs doivent explorer et observer, à travers différents rôles (anthropologues, ethnologues, psychologues, collaborateurs, utilisateurs extrêmes, expérience client), comment les gens expérimentent et ressentent le monde physiquement, affectivement et cognitivement. Par exemple, les concepteurs peuvent expérimenter ce qu’une salle d'urgence représente comme expérience pour un patient. Cette expérience permet, selon Brown, de se mettre dans la peau du patient et de débuter un « récit » (ou storytelling) qui va inspirer le

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Louis Toupin : Concevoir la conception

processus de conception : comme patient «vous voyez pendant 20 minutes les tuiles du plafond», alors que « le plus important est de savoir ce qui se passe ». De même, la visite d’un stand de course NASCAR permet aux concepteurs, par analogie, de débuter un récit de conception plus efficace de la gestion d’une salle d’urgence dans un hôpital. Brown estime que les concepteurs ne se préoccupent pas assez de la phase inspiration, préférant souvent, trop vite et trop tôt, se concentrer sur la phase « idéation ». Pour appuyer cette observation, il met en évidence l’importance de la pensée intégrative. Il examine comment les penseurs intégrateurs approchent le processus de décision en élaborant des solutions supérieures, et ce, en quatre étapes :

1. Tout d'abord, lorsqu'il s'agit de déterminer les fonctionnalités d'un problème qui sont importantes, ils vont au-delà de celles qui sont, de toute évidence, pertinentes;

2. Ils considèrent les relations multidirectionnelles et non linéaires, pas seulement les relations linéaires;

3. Ils voient l'ensemble du problème et comment les pièces s'emboîtent;

4. Ils résolvent avec créativité les tensions entre des idées divergentes et génèrent de nouvelles solutions de rechange.

Selon lui la pensée intégrative est une source importante d’inspiration et elle peut se développer. Après l'inspiration vient l’idéation, phase au cours de laquelle plus d'une centaine de prototypes peuvent être créés rapidement, à la fois pour « apprendre par prototypage » mais aussi pour mobiliser les parties prenantes dans le processus de conception. Dans le cadre de cette phase, il insiste sur l’importance de la « salle projet » (ou project room) qui doit permettre à l’équipe de conception d’échanger rapidement sur les idées. Cette salle permet, davantage que les liens et échanges par Internet, de véhiculer nombre d’interactions subtiles qui faciliteront, à terme, le processus d’idéation. Lors de la phase implantation Brown note que beaucoup de bonnes idées ne parviennent pas à la mise en marché parce qu'elles n’arrivent pas à naviguer dans le système corporatif. Pour faciliter cette navigation, Brown suggère d’emprunter, encore une fois, la voie du « récit », davantage que la voie conceptuelle ou intellectuelle, et ce, afin de faciliter la dissémination du concept et, plus facilement, convaincre des acteurs provenant d’horizons différents. Le Tableau 17 présente certaines caractéristiques de la pensée design, notamment en comparant celle-ci à la pensée analytique.

Page 157: Concevoir la conception

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Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 17 : PENSÉE ANALYTIQUE ET PENSÉE DESIGN

PENSÉE ANALYTIQUE PENSÉE DESIGN

• Justification basée sur des événements passés

• Justification basée sur des événements qui peuvent être prouvés que dans l'avenir

• Leçon du passé pour savoir comment agir

• Logique de ce qui pourrait être : raisonnement par abduction (déterminer la ou les causes les plus probables d’une observation)

• Raisonnement déductif : avoir une règle et l’appliquer

• Induction et déduction ne déterminent pas de nouvelles choses • Raisonnement inductif :

prendre beaucoup d'exemples et déduire

• Emploi d’un nombre limité de variables objectives

• Utilisation d'un large nombre de variables diverses. Tout ne peut pas être mesurable et quantifiable

• Utilisation minimum du jugement pour réduire la possibilité de biais

• Intégration du jugement et reconnaissance de la réalité des biais

• Organisation basée sur de longues périodes de temps

• Organisation par projets

• Mode de raisonnement : déclaratif, identification de ce qui est vrai ou faux

• Mode du raisonnement : génératif, logique de ce qui pourrait être

• Source de statut : gestion d’un budget et d’un personnel important

• Source de statut : solution de problèmes faiblement structurés

• Attitude dominante : les contraintes sont l'ennemi

• Attitude dominante : les contraintes s'ajoutent au défi et sont sources d’excitation

• Le but est la fiabilité : produire des résultats reproductibles et conformes

• Le but est la validité : production de résultats qui répondent à des objectifs ou des besoins spécifiés

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Louis Toupin : Concevoir la conception

En théorie, ces deux types de pensées devraient se compléter. En pratique, elles se confrontent souvent. Les tenants de la pensée analytique déclarent « prouvez-le » et les tenants de la pensée design leur répondent « si vous nous demandez de le prouver, alors nous ne pouvons plus rien faire ». Roger Martin (2007) propose aux concepteurs les conseils suivants pour pouvoir travailler dans un monde où la pensée analytique est répandue :

• Considérez les remarques hostiles comme des défis de conception : découvrez ce qu’elles essayent de communiquer ;

• Parlez la langue de la fiabilité : uniformité, efficacité, besoin etc. Il faut un langage commun;

• Utilisez les analogies et les récits. À l’aide de ceux-ci faites le lien avec quelque chose qui s'est produit dans le passé;

• Identifiez au moins une petite composante de votre travail qui peut engendrer une preuve ou une croyance.

De la même façon, Roger Martin propose les conseils suivants à ceux qui travaillent avec les concepteurs :

• Relativiser la fiabilité comme défi de gestion;

• Adoptez une attitude empathique avec les remarques hostiles à la fiabilité;

• Parlez la langue de la validité;

• Partagez les données et les raisonnements, pas les conclusions. Aidez les concepteurs à lier ce qu'ils croient dans l'avenir avec le passé;

• Protégez l’innovation et les idées nouvelles afin de leur donner la plus grande chance de réussite.

4.4 Structuration du projet de conception

Q.: Quelles sont les frontières de la conception ?

R.: Quelles sont les frontières des problèmes…?

Charles Eames

La structuration du projet de conception est un élément de la

compétence en conception qui se confond presque entièrement avec

une des phases du processus de conception, soit la phase : réaliser

Page 159: Concevoir la conception

151

Louis Toupin : Concevoir la conception

une projection du concept. Comme il a été mentionné, c’est au cours

de cette phase que seront mobilisés des artéfacts de conception tels

que : devis, plans, esquisses, diagrammes, maquettes, simulations,

scénarios, prototypes, jeux de rôles, story-boards, synopsis et

autres. L’apport d’information provenant de diverses sources

continuera à alimenter cette partie du travail de conception. Le

cadrage du concept en développement prendra forme, peu à peu, à

travers des rencontres de travail et le choix des éléments

fonctionnels, signifiants et esthétiques.

Le but général de cet élément de compétence et de cette phase est

d’apporter les idées de conception à leur forme la plus tangible que

possible et à créer, chez les utilisateurs, un sentiment

d’appropriation de la ou des solutions envisagées.

Afin de structurer le projet de conception le concepteur devra situer

celui-ci dans un contexte plus large qu’il ne l’a fait jusqu’à

maintenant. Il devra, par exemple, tenir compte du contexte

financier, de la compétition provenant de produits semblables, de la

situation sociale, économique, environnementale, réglementaire

dans laquelle le concept est appelé à évoluer. Dans le cas de

produits, le concept en développement devra s’inscrire dans les

stratégies commerciales de l’entreprise et être faisable du point de

vue technique. Dans le cas de services, le concept devra, tout en

répondant aux besoins des utilisateurs, s’inscrire dans un univers

réglementaire, budgétaire, politico-administratif.

Cet élément/processus de la compétence démarre généralement

avec la production d’un argumentaire du projet de conception. La

force ou la conviction de cet argumentaire assurera un feu vert (stop

ou go) du bailleur, du client ou de la hiérarchie pour aller de l’avant

avec le développement du concept, notamment en recevant un

appui budgétaire et faisant l’objet d’un suivi par les responsables

hiérarchiques du projet. Cet argumentaire, qui peut parfois ne pas

faire plus qu’une page, décrit le concept, les sources d’information

Page 160: Concevoir la conception

152

Louis Toupin : Concevoir la conception

internes et externes qui appuient son développement et sa

convergence avec les objectifs de l’entreprise ou de l’institution ainsi

que son potentiel commercial. Cet argumentaire peut être complété

par un plan qui décrit les étapes à suivre pour concrétiser le concept,

notamment quant à la mise à l'essai du concept, l’identification de

son marché, l’estimation du budget nécessaire à son développement

et l'examen des nouvelles compétences dont pourraient avoir besoin

la direction et les employés.

Ayant reçu son feu vert, le projet de conception peut être raffiné. Le

travail de conception fera alors appel intensivement au travail en

équipes multidisciplinaires et ce, afin de recueillir des avis et

d’intégrer des expertises dans le développement du concept.

L’équipe de conception utilisera aussi des techniques de

visualisation et de reportage (photos, vidéos, schémas de

réalisation, représentations graphiques ou statistiques) qui

permettent de suivre le développement du concept en fonction des

échéances fixées et des exigences de ses commanditaires, internes

et externes. Ce sera aussi le moment de procéder au travail de

développement itératif du produit, du service, du procédé ou du

résultat, notamment en développant rapidement des prototypes du

futur concept afin de le soumettre à des essais, internes ou externes.

Chaque itération devient alors un feedback qui sera réinjecté au sein

l’équipe projet et communiqué aux parties prenantes. Une itération

peut parfois produire une idée susceptible de changer de façon

importante les spécifications du concept en développement. De

même, un temps de développement qui s’étire rend le processus de

conception plus vulnérable aux conditions externes car, pendant

cette même période, de nouvelles données apparaissent, des

changements s’annoncent chez les compétiteurs, ce qui va

inévitablement exiger des modifications de dernière minute.

Page 161: Concevoir la conception

153

Louis Toupin : Concevoir la conception

Le Tableau 18 présente les connaissances, les habiletés et les

attitudes qui permettront au concepteur de structurer le projet de

conception.

TABLEAU 18 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À LA STRUCTURATION DU PROJET DE CONCEPTION

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Structurer un projet de conception

• Justification des choix retenus

• Anticipation des résultats

• Relevé et prise en considération des contraintes s’imposant à la conception (temps, lieux, matérielles, humaines, techniques, ergonomiques, sécuritaires, environnementales, budgétaires)

• Adaptation itérative des idées en fonction des exigences de la demande initiale et des contraintes identifiées

• Définition complète des caractéristiques finales des produits, services et résultats

• Rendu approprié des concepts retenus

Connaissances � Connaissances des dynamiques de changement

� Connaissances des diverses approches du travail de conception

� Connaissances du processus de fabrication et du cycle de développement d’un produit, d’un service, d’un procédé, d’un résultat

� Connaissances des types d’entreprises et des secteurs

� Connaissance de l’environnement technique, réglementaire et politico-administratif

� Notions de comptabilité � Notions concernant les appareils de mesure et les prises de mesures

Page 162: Concevoir la conception

154

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

• Établissement d’une structure séquentielle des travaux de réalisation

� Connaissances des types de projets de conception

� Connaissance de la démarche qualité

Habiletés � Techniques participatives

� Techniques d’analyse de la valeur

� Techniques d’analyse fonctionnelle

� Élaboration de cahier de charges

� Techniques de prototypage

� Utilisation de logiciels appropriés au domaine de conception

� Travail en équipe multidisciplinaire

� Gestion des risques (logistiques, temps de développement, demande du marché)

� Gestion de projets de conception (mémoire d'identification de projet, mémoire d'avant projet, cadre logique, indicateurs de suivi, plan d’exécution, plan de travail, définition des tâches et

Page 163: Concevoir la conception

155

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

responsabilités des membres de l'équipe, PERT, GANTT, estimation des coûts, gestion axée sur les résultats, courbe d'avancement « en S » ou rapport de performances)

� Techniques documentaires (tenue de dossiers, journal de bord d'équipe)

Attitudes � Écoute � Intelligence émotionnelle

� Empathie � Expression tangible des idées

� Observation, analyse et synthèse du point de vue de l’utilisateur final

� Leadership � Anticipation

La structuration du projet de conception exigera aussi, de la part du

concepteur, le choix d’une approche et de méthodes de conception

compatibles avec la nature du concept retenu. Le Tableau 19, ci-

après, présente près d’une vingtaine d’approches de conception que

l’on retrouve décrites de façon plus détaillées dans la littérature. Ces

nombreuses approches et méthodes de conception ne se

Page 164: Concevoir la conception

156

Louis Toupin : Concevoir la conception

démarquent pas toujours de façon importante en pratique,

privilégiant tantôt un angle plutôt qu’un autre, parfois se différenciant

que sur certains détails ou sensibilités. L’emploi de ces approches

variera selon le contexte, la nature du concept en développement et

les préférences du concepteur ou de l’équipe de conception. Par

exemples, selon le cas, le travail de réflexion pourra privilégier

certaines approches telles que :

• La conception orientée usager : une approche qui

s’intéresse aux besoins, attentes, exigences et limitations de

l’utilisateur final. L’industrie du logiciel utilise fréquemment

cette approche;

• La conception orientée usage : une approche qui

s’intéresse davantage aux buts, aux tâches et aux activités

auxquels le concept tentera d’apporter des solutions. Le

développement de certains concepts, par exemple dans le

domaine du logiciel libre, doit beaucoup aux utilisateurs.

Ceux-ci trouvent des problèmes et des possibilités de

développement différents car ils appliquent le concept dans

des contextes ou pour des objectifs différents;

• La conception minimaliste : une approche qui cherche à

aller à l’essentiel en éliminant tout ce qui est superflu.

Certaines entreprises privilégient cette approche car elle est

compatible avec leur positionnement marketing faisant du

prix leur premier argument commercial;

• La conception critique : la conception critique (Dunne,

1999), ou radicale, s’oppose au statu quo en produisant des

artéfacts qui proposent des réflexions critiques sur les

valeurs et les pratiques liées à la société de consommation,

et ce, afin de déstabiliser les modes de pensée habituel et

proposer de nouvelles façons de voir les objets, leur

utilisation et leur place dans l’environnement.

Page 165: Concevoir la conception

157

Louis Toupin : Concevoir la conception

• La conception développementale ou

transformationnelle : plus qu’une approche, le Design

council de Grande-Bretagne fait de la conception

transformationnelle rien de moins qu’une nouvelle

« discipline ». Il s’agit d’une discipline adaptée aux

problèmes complexes de notre époque, exigeant un

élargissement considérable du champ d’activité de la

conception, une nouvelle façon de penser, une attitude

interdisciplinaire, des outils et des méthodes faisant une

large place aux utilisateurs et aux non-experts, une nouvelle

vision du rôle du concepteur dans le processus de

conception et un engagement en faveur de changements

fondamentaux. Conséquemment à cette vision sans frontière

de la conception, on peut retrouver ses applications, en plus

des domaines traditionnels, dans des domaines aussi variés

que ceux de la conception des repas scolaire, de

l’organisation du transport public dans une communauté

éloignée, de la reconfiguration d’une chaîne

d’approvisionnement, de l’organisation des soins de santé

de personnes soufrant de diabète, de la configuration d’un

dispositif de sélection de la main d’œuvre;

• La conception sociale : soit la conception développée par

les utilisateurs eux-mêmes, souvent des utilisateurs-experts,

à travers l’adaptation de produits existants ou la création de

nouveaux produits répondants à leurs besoins particuliers.

Les sports extrêmes, les jeux en ligne, les logiciels libres, la

décoration, la mode, la santé sont autant de domaines où

l’on retrouve des concepts développés directement par les

utilisateurs. Outre son souci pour les utilisateurs, la

conception sociale se préoccupe aussi des conditions de

travail de ceux qui vont fabriquer, transporter, vendre les

produits de la conception.

Page 166: Concevoir la conception

158

Louis Toupin : Concevoir la conception

TABLEAU 19 : APPROCHES ET MÉTHODES DE CONCEPTION

• Co-conception

• Modèle

conception-

construction

• X-design

• Éco-conception

(voir Encadré 22)

• Conception

fonctionnelle

• Méta conception

• Conception

minimaliste

• Conception

orientée usager

• Conception

orientée objet

• Conception

transcendantale

• Conception

orientés usage

• Conception

réflexive (Design

thinking)

• Ingénierie de la

conception

(Engineering

design process)

• Conception anti-

erreur (Poka-

Yoke)

• Conception

tolérante aux

erreurs (Fault

tolerant design)

• Conception agile

(voir Encadré 23)

• Conception ouverte

(open design)

• Conception

participative

• Conception fiable

(Reliable system

design)

• Conception

transformationnelle

(Transformation

design)

• Conception

universelle

• Conception sociale

(User innovation)

• Conception radicale

ou critique (Critical

design)

La structuration du projet de conception fera aussi appel à des

méthodes de gestion. Les méthodes de gestion d’un projet de

conception se manifesteront aux niveaux opérationnel, tactique et

stratégique.

Le Tableau 20, ci-après, présente la gestion de la conception dans

un contexte de grandes entreprises. Cependant, ces méthodes de

gestion doivent être différenciées selon la taille de l’entreprise. Par

exemple, les petites entreprises n’ont pas toujours les moyens et

l’expertise pour mobiliser l’ensemble de ces méthodes. Elles

pourront développer leurs propres méthodes de gestion de la

conception dans la mouvance de celles appliquées dans les grandes

Page 167: Concevoir la conception

159

Louis Toupin : Concevoir la conception

entreprises dont elles sont, souvent, des fournisseurs ou des sous-

contractants. Il en est de même pour les bureaux de conception

indépendants qui utiliseront des méthodes de gestion qui s’inspirent

des standards fixés par les grands opérateurs et donneurs d’ordre.

TABLEAU 20 : GESTION OPÉRATIONNELLE, TACTIQUE ET STRATÉGIQUE DE LA CONCEPTION

NIVEAU APPLICATION

GESTION OPÉRATIONNELLE DE LA CONCEPTION

STRATÉGIE • Traduction des visions en stratégies

• Définition du rôle joué par la conception dans l‘image de la marque

PLANIFICATION • Traduction des stratégies en projets de conception

• Décisions au sujet de la qualité du produit et des expériences du consommateur

• Définition des politiques concernant la conception, les produits, la communication et les marques

ORGANISATION • Sélection d’agences et d’individus externes à l’organisation

• Création d’alliances

• Structuration des équipes de conception et identification des personnes qui seront en contact avec les concepteurs

• Création d’un milieu propice pour le leadership et la créativité

• Adhésion de l'ensemble des parties prenantes (représentants du personnel, direction, clients, etc.) au projet de conception

FINANCES • Gestion des budgets alloués aux projets de conception

• Estimation des coûts de conception : o Les coûts des services d'ingénieurs, de

scientifiques, de techniciens, de dessinateurs, d'analystes de marché, de chercheurs et de main-d’œuvre essentiels à

Page 168: Concevoir la conception

160

Louis Toupin : Concevoir la conception

NIVEAU APPLICATION

l'exécution du projet o Les coûts des matériaux achetés

expressément pour l'exécution du projet ou tirés de stocks existants et utilisés en vue de la production d'échantillons et de prototypes ou pour des expériences pilotes

o Le matériel spécifique acheté ou construit exclusivement pour l'exécution du projet et les frais de location connexes

o Les frais de déplacement engagés pour l'exécution du projet

o Les coûts d'établissement des devis pour le produit, le service ou le procédé, y compris les services de sous-traitants et de consultants

o Les coûts d’acquisition de technologies de pointe

o Autres coûts tels que : services de tests, brevets, location des locaux, acquisition de droits, préparation d'un premier manuel à l'usager, études de marketing et de faisabilité, coûts de lancement du produit, du procédé ou du service

• Réduction des coûts de la conception, responsable du transfert des investissements des projets moins porteurs vers les projets porteurs

RESSOURCES

HUMAINES • Développement des compétences

INFORMATION • Conseils auprès des directeurs de production et des directeurs généraux

COMMUNICATION • Création de synergie avec les universités et d’autres entreprises

• Adhésion des concepteurs aux objectifs de l’entreprise

RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT

• Création de standards d’évaluation de la conception

Page 169: Concevoir la conception

161

Louis Toupin : Concevoir la conception

NIVEAU APPLICATION

GESTION TACTIQUE DE LA CONCEPTION

STRATÉGIE • Coordination de la stratégie de conception avec les départements de marketing, de communication et d’innovation

PLANIFICATION • Définition de la politique qualité

• Structuration des outils et du langage de conception

• Amélioration continue du processus de conception

• Adaptation du processus de conception au processus d’innovation

ORGANISATION • Implantation d’un service interne de conception

• Stabilisation du rôle de la conception dans le processus d’innovation

FINANCES • Gestion dans le cadre du budget fixé

RESSOURCES

HUMAINES • Partage d’une compréhension commune de la

conception entre les partenaires de l’entreprise

• Mobilisation et animation du personnel interne, contractualisation de ressources externes

INFORMATION • Élaboration de plans de marketing, de conception et de production

COMMUNICATION • Adoption d’un langage commun entre les différentes disciplines de conception

• Compréhension commune des décisions prises à tous les niveaux de l’entreprise

RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT

• Transformation des théories de conception en outils de recherche pratique

GESTION STRATÉGIQUE DE LA CONCEPTION

STRATÉGIE • Définition d’une stratégie d’affaires qui inclue la conception

• Définition d’une stratégie de conception qui est en phase avec la stratégie de l’entreprise

PLANIFICATION • Gestion des projets de conception

• Création de standards de conception

ORGANISATION • Création d’un milieu propice pour le leadership, la

Page 170: Concevoir la conception

162

Louis Toupin : Concevoir la conception

NIVEAU APPLICATION

conception et la créativité

• Support à la stratégie d’affaires avec des outils de conception

FINANCES • Fixation d’un budget assez élevé permettant d’appliquer la stratégie de conception

RESSOURCES

HUMAINES • Influence sur l’embauche et de la gestion du

personnel de conception

INFORMATION • Diffusion de l’information concernant la mission/vision de l’entreprise.

COMMUNICATION • Implantation de la pensée design au niveau de la haute direction

• Articulation d’une communication, explicite et implicite, qui reflète les valeurs de l’entreprise

• Planification, implantation et amélioration de moyens de communication véhiculant l’image de la marque auprès des consommateurs

RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT

• Création de liens entre le développement technologique et la conception

Adaptation de : Wikipédia/ Design management

Encadré 22 : Éco conception L’éco conception, ou éco design, ou design écologique, ou design durable ou encore design responsable sont des termes exprimant la même idée, à savoir la volonté de concevoir des produits respectant les principes du développement durable. Cela veut dire des produits limitant leurs empreintes sur l'environnement en utilisant mieux et moins de matières premières, en faisant appel à des processus de fabrication non polluant, en pensant au cycle de vie du produit (c'est-à-dire à toutes les étapes par lesquelles l'objet va passer durant sa vie, de l'extraction des matières premières jusqu'à sa fin de vie : aliénation, recyclage, réutilisation ou revalorisation). L'un des penseurs de l'éco-design est Victor Papanek (1995), designer et enseignant, il a consacré sa vie à la promotion d'un design utile et responsable. Aujourd'hui à la mode comme le développement durable, l'éco-design est une démarche contemporaine cherchant à revenir aux sources de la création de produit, à savoir la

Page 171: Concevoir la conception

163

Louis Toupin : Concevoir la conception

fonction définissant la forme, simplicité et efficacité, dénonçant les abus de la société de consommation et tentant de redonner du sens à la production industrielle. Exemples d’éco conception L’éco-conception ne se limite pas à la création du produit lui-même, mais elle évalue aussi de quelle façon le produit, actuel ou futur, peut minimiser son impact sur l’environnement. Ainsi, remplacer un produit par un service est une manière d’innover. Les services de messagerie téléphonique, par exemple, accessibles directement via le téléphone, remplacent peu à peu les répondeurs classiques qui se branchaient sur la prise téléphonique. Cette innovation réduit l’impact sur l’environnement en remplaçant des machines par un service. L’informatique en nuage (cloud computing) offre les mêmes avantages en délocalisant sur la toile des applications informatiques. Autre exemple, les photocopieurs demeurent très longtemps en place dans les entreprises et ne se remplacent pas à la moindre panne. Un réseau de dépannage organisé et fiable permet aux machines de fonctionner longtemps et de préserver ainsi l’environnement. Pour le responsable qualité chez Gautier France, Pierre-Emmanuel Berthault, leader européen du mobilier contemporain, l’éco-design est une démarche globale portant sur les interactions du produit avec l’environnement tout au long de son cycle de vie. C’est une démarche d’amélioration continue, car il n’y a pas de produit 100% écologique. La qualité écologique des produits se décide en bonne partie dès leur conception, puis dans les phases d’amélioration. NF-Environnement, l’écolabel français, définit quinze critères écologiques portant sur les matières premières, la fabrication, le transport, l’utilisation, la fin de vie du produit. Ainsi, le consommateur choisit des produits «verts» en connaissance de cause, à l’aide de repères fiables et les industriels sont encouragés à améliorer la qualité écologique de leur production. Ces nouvelles contraintes suscitent la réflexion et constituent un levier de l’innovation, poussant les concepteurs à réfléchir à la réversibilité du produit, sa durabilité ou son optimisation.

Encadré 23 : La conception agile La conception agile tire son origine d’une méthode appelée « RAD » (RAD pour : Rapid Application Development) qui a été développé par James

Page 172: Concevoir la conception

164

Louis Toupin : Concevoir la conception

Martin en 1991 afin d’accélérer le développement d’application en informatique. Le RAD était une réponse aux processus de développement rigides des années 70 et 80 qui faisaient appel au modèle en cascade (voir Figure 5). Ces méthodes consommaient tellement de temps que les conditions initiales du projet avaient le temps de changer avant même que le système soit complété, rendant celui-ci insatisfaisant, voir même, inutilisable. Un autre problème avec ces méthodes était leur prétention à identifier les besoins et les conditions critiques d’utilisation au cours d’une seule phase d'analyse au début du projet. Ce qui était rarement le cas, et ce, même dans le cadre de projets faisant appel à des professionnels expérimentés à tous les niveaux. La conception agile désigne aujourd’hui une approche qui utilise une série de techniques, dont le développement itératif et la construction de prototypes, qui ont pour objectif d’accélérer le développement. Cette approche peut entraîner des compromis dans la fonctionnalité et l'exécution, mais permet, en revanche, un développement plus rapide et facilite l'entretien et la mise à jour des applications. La conception agile fait appel aux dix principes de travail suivants : 1. Confier l’expression des besoins aux utilisateurs : même s’il s’agit d’aller vite, il est nécessaire de déterminer ce qui est attendu du futur système avant de commencer à le construire. Cela permet gagner du temps en évitant les retours en arrière. La responsabilité et la description de ces attentes sont confiées aux utilisateurs. 2. Organiser l’expression des besoins : il ne suffit pas de recueillir des besoins ou d’observer un fonctionnement existant. L’expression des besoins requiert un travail de distanciation et d’imagination de la part des utilisateurs. La méthode les aide, sans leur demander un apprentissage spécifique. La méthode permet aussi de gérer la diversité des points de vue, car les besoins exprimés peuvent être multiples et contradictoires. 3. Introduire une dimension temporelle dans l’expression des besoins : il est souvent difficile d’arrêter l’expression des besoins au terme d’un délai réduit. La méthode permet d’affiner progressivement les besoins, par une organisation adéquate, suffisamment souple pour prendre en compte des modifications. 4. Ajuster les besoins : la méthode propose un renversement dans la définition du périmètre de l’application. Classiquement, l’identification des fonctions du futur système permettait de déterminer l’amplitude du projet de développement. La méthode agile offre une perspective inverse : on limite volontairement la durée du développement et on ajuste le contenu de l’application. Cela conduit les utilisateurs à faire des choix. Ils se centrent

Page 173: Concevoir la conception

165

Louis Toupin : Concevoir la conception

sur les fonctions essentielles. D’autres, jugées secondaires, sont réduites, abandonnées ou différées. 5. Raccourcir les circuits de décision : sans décision, l’avancement du projet est fictif. L’expérience montre que les décisions se prennent difficilement dans les projets qui mettent en jeu de nombreux utilisateurs. Cela pénalise la durée de projet. C’est pourquoi la méthode agile organise le projet de façon à y intégrer les décideurs. Les modalités de conception et de développement sont adaptées à des décisions rapides. 6. Structurer les problèmes selon la structure de décision : pour aller vite, il faut pouvoir partager le travail. Le découpage du domaine se base en grande partie sur la structure de décision de l’entreprise. Chaque élément du domaine relève d’un décideur pertinent qui participe au projet. 7. Utiliser des techniques existantes : la méthode agile ne mise pas sur l’invention d’une technique « miracle ». La réussite réside dans l’assemblage de différentes techniques utilisées de façon judicieuse telles que technique d’expression des besoins, technique de participation des utilisateurs, technique de type « time-box » qui limite la durée du projet, technique de pilotage du projet qui permet un contrôle efficace des travaux. 8. Travailler en session participative intensive : le travail en session participative est un mode de travail collectif, intense et limité dans le temps. Il réunit utilisateurs et informaticiens. Cela permet aux utilisateurs de faire une coupure dans leur activité opérationnelle, pour prendre des décisions à moyen terme. Par ailleurs, cela favorise la constitution d’une équipe et accompagne la recherche de consensus. 9. Anticiper : pour aller vite, tout en conservant le principe du travail en groupe, il est nécessaire d’organiser rigoureusement les travaux préparatoires aux sessions. Toute réunion doit être préparée. La charge de préparation est répartie entre différents acteurs. Cela permet d’engager chaque participant et d’alléger le poids du travail en groupe. 10. Utiliser des outils performants : les outils allègent le travail. L’outil de prototypage s’accompagne en général d’une aide à la conception et d’un référentiel, facilitant la documentation et la réutilisation. La mise en application de ces principes fera en sorte que l’on retrouvera fréquemment, dans la gestion des projets de conception agile, les comportements suivants :

• Le travail en développement est présenté fréquemment (semaines plutôt que mois);

• La fonctionnalité du logiciel est la principale mesure de progrès du projet;

• Les changements tardifs dans les exigences sont les bienvenus;

Page 174: Concevoir la conception

166

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Le projet progresse à travers des relations étroites et quotidiennes entre les utilisateurs et les développeurs;

• Les conversations en face-à-face constituent la meilleure forme de communication;

• Les projets sont organisés autour d’individus motivés et responsables;

• Le processus de développement doit apporter une attention continue à l’excellence technique et à la qualité de la conception;

• La simplicité est une exigence continue;

• Les projets sont réalisés par des équipes semi-autonomes;

• Les adaptations régulières à des situations changeantes sont nécessaires.

Encadré 24: Conception d’ontologies Souvent la conception de produits, procédés ou services se nourrit de résultats intermédiaires qui, eux-mêmes, font appel au travail de concepteur pour leur développement. Une fois le développement de ces « résultats » terminés ils seront incorporés dans un ensemble plus vaste ou serviront au processus décisionnel dans le processus de conception. La conception d’ontologies informatiques dans le domaine de l’ingénierie cognitive appartient à ce type de conception. Les ontologies informatiques sont des outils qui permettent de représenter un domaine de connaissances sous une forme utilisable par un ordinateur. La conception d’ontologies exige donc des choix quant à la manière de décrire le domaine de connaissance, sa conceptualisation, et une description formelle de celle-ci. Il en résulte un réseau sémantique qui regroupe un ensemble de concepts décrivant un domaine de connaissance tel qu’il peut être représenté par un ordinateur. Ces concepts sont liés les uns aux autres par des relations taxonomiques (hiérarchisation des concepts) et sémantiques (rapports de sens). Les ontologies informatiques servent à assurer la représentation, la gestion, l'interopérabilité et l'application de la sémantique dans la représentation d’un domaine de connaissance. Une fois développées, ces ontologies deviennent un « résultat » tel que, par exemple, la norme ISO 21127, résultat d'un travail de normalisation effectué dans le cadre de la définition du patrimoine culturel immatériel effectuée par l'UNESCO, qui décrit les ontologies nécessaires à la description des données concernant

Page 175: Concevoir la conception

167

Louis Toupin : Concevoir la conception

le patrimoine culturel. Les ontologies informatiques sont au cœur de la prochaine génération du Web, le Web 3.0, où l’architecture de l’information sera un enjeu important. Le Web, première génération (à partir de 1994) a développé le système d'adressage, les hyperliens et le langage HTML. Le Web deuxième génération (à partir de 1997) a surtout développé la présentation visuelle. Le Web de troisième génération, qui se développe actuellement, veut offrir aux utilisateurs plus de pertinence et de rapidité dans leur recherche d’information. Parmi les applications susceptibles de figurer sur le Web 3.0, et auxquelles les ontologies informatiques apportent leur contribution, on retrouve les services suivants :

• Éditeur permettant la gestion de tous types de relations entre les sujets contenus dans une base de données;

• Service d'édition automatisé de textes réglementaires à partir d'une base de connaissance des produits et de la réglementation;

• Centre de ressources décrivant l'ensemble des ressources gérées, les projets, les actions, les acteurs, les contenus associés;

• Accès aux études scientifiques dans un portail de connaissance et repérage par chercheur, domaine, date, mot-clef, action;

• Capitalisation des connaissances dans des domaines variées (gestion de projets, conduite du changement, renforcement d’équipes);

• Portail d'accès à des articles de presse s'appuyant sur une base de connaissance des acteurs économiques et de leurs relations;

• Gestion de lexiques et de référentiels métiers;

• Gestion multilingue;

• Indexation de contenus multimédias internes ou externes;

• Interfaces Web pour la gestion et mise à jour collaborative des données;

• Raisonnements automatisés. L’élaboration d’ontologies informatiques repose aujourd’hui sur des bases théoriques plus larges que celles des sciences cognitives. Elle puise dorénavant à des sources théoriques multiples. Elle s’inspire de travaux de philosophes, tels Heidegger et Wittgenstein, qui ont servi à identifier les limites des recherches dans le domaine de l’intelligence artificielle (Winograd et Flores 1986, Dreyfus et Dreyfus 1986). Elle prend en compte un courant de la psychologie européenne basé sur le matérialisme dialectique et les travaux du psychologue russe Vytgotsky (Engeström

Page 176: Concevoir la conception

168

Louis Toupin : Concevoir la conception

1987) ainsi que sur le développement d’une théorie de l’activité (Bødker et Grønboek, 1996, Bannon & Kuutti 1993, Kuutti 1996, Nardi 1996). Elle puise aussi dans l’ethnométhodologie (Suchman 1987).

Encadré 25 : L’opéra de Pékin Plusieurs pays émergents font appel à des projets grandioses, souvent architecturaux, pour asseoir leur nouveau statut de puissances émergentes. Ces projets bénéficient d’importants appuis politiques permettant d’accélérer ou de court-circuiter certaines étapes de leur conception, ainsi que de budgets colossaux. Ces projets peuvent s’attirer les meilleurs talents à travers des appels d’offres internationaux. Malgré cela, au final, on y retrouve le pire et le meilleur. Parmi le meilleur, certains projets se distinguent, dont le nouvel opéra de Pékin conçu par l’architecte français Paul Andreu. Paul Andreu a réalisé auparavant les aéroports de Roissy, d'Abu Dhabi, de Jakarta, du Caire, de Nice... Il a inventé le concept de l'aéroport du Kansaï (Osaka) et a assuré la construction de la Grande Arche de la Défense à Paris. En Chine, il est l'auteur des salles de spectacle du Centre des arts orientaux de Shanghai. Il a construit également en Chine l'aéroport de Shanghai (Pudong), le gymnase de Canton et un vaste centre administratif à Chengdu. Parmi ses nombreuses récompenses, Paul Andreu a reçu, en décembre 2006 pour l'ensemble de son œuvre, le grand prix de l'Académie internationale d'architecture. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont : « J'ai fait beaucoup d'aérogares : Les dessins et les mots » (Descartes & cie, 1998) et « L’Archipel de la mémoire » (Léo Scheer, 2004). Paul Andreu s'est consacré pendant neuf ans à la conception et à la construction de l'Opéra de Pékin officiellement inauguré en 2007. Celui-ci, de forme ovoïde, est composé de trois salles, d’allées, de restaurants, d’aires de repos, de plantations. Paul Andreu présente ainsi sa réalisation :

Il y a sous la voûte trois salles, une grande salle d'opéra, une salle de concert et un théâtre, qui sont chacune, à chaque représentation ou à chaque concert, le lieu de rencontre d'un public et d'artistes. Le public, pour venir, traverse des jardins, parcourt la longueur d'un passage sous l'eau, s'oriente dans l'espace public qui entoure les salles de toutes parts. Les artistes viennent d'un vaste monde souterrain où se trouvent des loges, des salles de répétition, des salles d'enregistrement, des magasins et des ateliers de décors et de costumes, un monde où se prépare tout ce qui fera le spectacle, un monde qui débouche sur la scène du théâtre et de l'opéra,

Page 177: Concevoir la conception

169

Louis Toupin : Concevoir la conception

dans la fosse d'orchestre, mais aussi dans ces espaces plus secrets mais non moins essentiels que sont les régies. Tout le brillant, bien sûr, est du côté public. C'est l'espace que l'on décrit volontiers. Il est simple, du moins en apparence, accueillant, coloré, lumineux. Tout est plus austère du côté de la conception, plus tendu et surtout plus précis. Chaque fois que j'ai pu assister à une répétition ou à un spectacle depuis les coulisses ou une des régies, j'ai été frappé d'admiration pour la précision avec laquelle chacun, artistes, machinistes, maîtrisait le temps et coordonnait son action avec celles des autres. Chaque fois je me suis dit que ce qui était requis de moi, c'était que je maîtrise l'espace avec la même précision et que cette maîtrise, qui contribuerait pour une part à réclusion et au développement du spectacle, résulterait de quelques grandes idées mais aussi, davantage encore peut-être, d'une foule de détails humbles et cachés que le public ne verrait jamais. Cela pourra sembler paradoxal ou outré à ceux qui n'ont pas vu comment se fait un spectacle, mais c'est dans la confrontation aux exigences authentiques du monde caché de la création que j'ai chaque fois retrouvé la force que le travail pour les espaces publics épuisait. Mais comment raconter ces espaces servants du spectacle, si divers, si particuliers, si indispensables ? Comment expliquer leur enchaînement, détailler leurs équipements ? C'est impossible en peu de mots. Je ne crois pas d'ailleurs que je saurais le faire avec tout le détail nécessaire. Pour ces espaces en effet, plus encore que pour les espaces publics, le travail a été collectif, rassemblant de nombreuses compétences différentes, soumettant chacune aux autres. Mais après tout, il est sans doute mieux que tout ce travail, lié à celui constamment répété de la création du spectacle, reste comme lui obscur. Le spectacle, après tout, sort souvent tout entier de l'ombre. Peut-être d'ailleurs est-ce la tâche la plus importante pour l'architecte d'un théâtre : aider le spectateur à s'approcher au plus près de la frontière de cette ombre et à attendre, là, une lumière. Aider, je ne suis pas sûr que ce soit le mot juste, je l'utilise faute de mieux.

Page 178: Concevoir la conception

170

Louis Toupin : Concevoir la conception

4.5 Communication et conception

Tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même

Jacob Von Uexküll

Successful execution of a design depends on communication,

and capturing the design rationale is an important component of this.

Bill Buxton

À l’heure où la conception voit son champ professionnel s’élargir, où

les problèmes à traiter sont plus complexes, où les parties prenantes

prennent une place de plus en plus importante, où les échanges et

les débats entre professionnels sont vitaux, où les technologies de

l’information permettent de nouvelles relations au temps et à

l’espace, on ne sera pas étonné de constater que la communication

occupe une place de plus en plus importante dans le travail du

concepteur.

À cet effet, une étude publiée dans Computerworld en 1994

identifiait que la cause principale des dépassements de coûts et

d'échéanciers dans un projet de développement était que les

différents acteurs engagés dans celui-ci n'arrivaient pas à se

comprendre. Ce n'est qu'à la toute fin qu'on s'apercevait que le

résultat ne correspondait pas aux attentes. La solution préconisée

par la revue était la suivante : délaisser les formalismes traditionnels,

formels et abstraits et utiliser des personnages, des scénarios, des

maquettes, des cartes heuristiques, et ce, pour communiquer.

La communication est un élément de la compétence en conception

qui servira de la phase initiale à la phase finale du développement

d’un concept. Elle concernera, d’une part, le projet de conception lui-

même, sa gestion et sa conduite et, d’autre part, le contenu du projet

de conception, les idées et leur développement.

Page 179: Concevoir la conception

171

Louis Toupin : Concevoir la conception

Le Tableau 21 présente les connaissances, les habiletés et les

attitudes qui permettront au concepteur de communiquer en situation

de conception.

La communication, dans le cadre d’un projet de conception, se fera à

trois niveaux. Tout d’abord, il s’agira de la communication pour

faire le travail. Celle-ci prendra généralement la forme de mandats

confiés à des personnes ou des équipes. Ces mandats rappelleront

le contexte, les objectifs à atteindre, la méthodologie ou la démarche

proposée, les résultats attendus, le calendrier de travail, les coûts et

budgets associés.

TABLEAU 21 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À LA COMMUNICATION

ÉLÉMENT DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ

ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Communiquer en situation de conception

• Relevé exhaustif des tâches à accomplir et des collaborations requises

• Formulation de mandats précis pour l’avancement du travail

• Coordination optimale du travail de conception

• Transmission des idées à l’aide de techniques de présentation appropriées

• Démonstration de la pertinence et de la

Connaissances � Rôle de la communication aux différentes étapes du processus de conception

� Connaissances des facteurs qui favorisent ou font obstacles à la communication

� Notion de gestion des connaissances

� Notions de psychologie de groupe

� Notions de sémiologie Habiletés � Techniques participatives et

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172

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE LA

COMPÉTENCE CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ

ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

cohérence des idées développées

• Mise en évidence des éléments distinctifs des idées développées

• Mise en perspective judicieuse des idées et de leurs avantages (faisabilité, simplicité, rapidité, qualité, respect des normes et des standards, adaptabilité, optimisation par rapport aux contraintes)

• Manifestation de réceptivité devant les réactions d’autrui

• Interprétation juste des messages verbaux et non verbaux

• Respect des idées, des opinions et des compétences des personnes

d’animation � Techniques de rétroaction

� Techniques de présentation et de visualisation

� Travail en équipe multidisciplinaire

� Technique de motivation

� Gestion de conflits Attitudes � Écoute � Intelligence émotionnelle

� Empathie � Expression tangible des idées

� Conviction � Observation, analyse et synthèse en se plaçant du point de vue de l’utilisateur final

La communication pour coordonner le travail constituera le

second niveau. Ce type de communication exigera l’identification

d’un responsable de projet, une répartition claire des rôles et des

responsabilités de chacun, notamment quant à l’animation de

Page 181: Concevoir la conception

173

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’équipe, des mécanismes de circulation de l’information ainsi que

des mécanismes de suivi, de supervision et de contrôle en fonction

d’un cheminement critique. Les exigences de communication pour

coordonner le projet de conception dépendront aussi de l’existence,

ou non, d’un bureau de projet et de la proximité, ou non, des

différents collaborateurs. La coordination devra aussi composer avec

des enjeux d’identification, d’appartenance et de motivation des

différentes personnes associées au projet.

Enfin, le troisième niveau concernera la communication pour

contextualiser le travail. Ce type de communication visera à

rattacher le projet de conception à des enjeux plus globaux, par

exemples, la stratégie d’affaires de l’entreprise, le cadre logique d’un

programme, les besoins sociaux auxquels le projet tente d’apporter

une ou des solutions. Ce niveau de communication qui vise à

asseoir la légitimité du projet peut être le fait du responsable du

projet mais aussi des champions et des leaders qui assureront la

défense et la promotion de celui-ci.

Bien que les activités de communication associée à la conduite du

projet soient importantes, il n’en demeure pas moins que la partie la

plus significative de ces activités sera consacrée aux idées et à leur

développement. Le concepteur, et son équipe, devront démontrer la

pertinence de leur concept et situer celui-ci avantageusement par

rapport à d’autres solutions existantes. Pour y arriver, ils

s’appuieront — en plus des rapports écrits plus exhaustifs — sur des

techniques de présentation et de communications visuelles, telles

que diaporamas électroniques, maquettes, prototypes, illustrations,

graphiques. Ces techniques visuelles, bien utilisées, permettent de

rendre plus tangibles le concept en développement et facilitent la

discussion, l’animation et la prise de décision. Elles peuvent aussi

Page 182: Concevoir la conception

174

Louis Toupin : Concevoir la conception

comporter certaines dérives. Par exemple, on fera un diaporama qui

tient à la fois de support de présentation et de rapport à présenter6.

Cependant les principaux enjeux de la communication portant sur les

idées et leur développement ne tiennent pas à la maîtrise des

techniques de présentation. Ils tiennent surtout au fait que le

concepteur est appelé à informer, expliquer, former, convaincre,

séduire des publics, internes et externes, de plus en plus exigeants

qui varieront d’un projet de conception à l’autre.

Pour une conception industrielle, les acteurs suivants pourront

intervenir à un moment ou l’autre du processus de conception :

responsables production, responsables marketing, responsables de

la distribution et des ventes, responsables des finances,

programmeurs, ergonomes, chefs de projets, consultants, experts,

fournisseurs, ergonomes, futurs utilisateurs.

Pour la conception d’une expérience narrative dans le cadre d’une

exposition muséale thématique ce processus de conception fera

appel à des historiens, des statisticiens, des rédacteurs, des artistes,

des infographes pour les supports visuels, des spécialistes du son

pour les supports audio.

Cette multiplication des acteurs dans le processus de conception,

conjuguée au fait que le rôle du concepteur se modifie, en devenant

moins un « expert » et davantage un catalyseur du processus de

conception, exige une approche de la communication qui considère

celle-ci sous un angle participatif et cognitif plutôt que sous un angle

transmissif privilégiant le contrôle du message ainsi que l’autorité ou

6 Les spécialistes appellent ce type de présentation des “presentument“,

contraction de “presentation” et de “document“). Ce type de support de

communication est généralement trop chargé pour être utile comme

support de projection et incomplet comme rapport à lire. Pour une

présentation convaincante de ce type de dérive on consultera la

présentation de Don McMillan disponible sur Youtube.

Page 183: Concevoir la conception

175

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’expertise de l’émetteur et son pouvoir de persuasion (modèle de

Lasswell 1936, modèle de Shannon-Weaver 1949).

Les travaux d’auteurs tels que Bateson (1977, 1980), Watzlawick

(1980), Birdwhistell (1970), Goffman (1974) et Winkin (1981) ont

permis de faire émerger le modèle orchestral de la communication,

où il n’y a pas véritablement de chef d’orchestre et où chacun arrive

avec sa partition. Ce modèle de la communication convient

particulièrement bien au domaine de la conception car il considère

que la communication est une construction du sens intégrée dans

une dynamique sociale. Cette construction du sens sera, en grande

partie, dédiée à la création de nouvelles connaissances utiles pour le

processus de conception.

Généralement ce processus de construction du sens menant à la

création de nouvelles connaissances partagées est considérée

comme relevant du traitement de l’information, et ce, par le

regroupement des informations et la création de liens entre celles-ci,

pour aboutir au traitement cognitif de haut niveau d’un individu, soit

l’exploitation et l’organisation des informations dans le but d’émettre

des jugements ou des conclusions sur la base d’observations

(Benhamou, Ermine, Rosenthal-Sabroux, Rousseau, Tounkara

2000).

Le modèle orchestral invite davantage à associer la création du sens

et de connaissances à une dynamique de communication, un

dialogue, qu’à une activité cognitive individuelle portant sur le

traitement de l’information. Le traitement de l’information apporte

certes les ingrédients, mais c’est dans la communication, à travers

une dynamique cognitive collective et intersubjective, que les

arbitrages, les confrontations, les liens de causalité, d’influence,

d’opposition permettent de construire de nouvelles connaissances.

Ce processus collectif implique, surtout en mode de co-configuration,

la réalisation d’apprentissage expansif pour l’ensemble des acteurs

impliqués dans le processus de conception.

Page 184: Concevoir la conception

176

Louis Toupin : Concevoir la conception

La réalisation d’apprentissages expansifs porteurs de nouvelles

solutions au sein d’un système d’action habité par des acteurs de

statuts différents, occupant des places différentes dans la division du

travail et provenant d’horizons disciplinaires différents est une tâche

complexe comportant plusieurs exigences. Il s’agira, par exemple,

de mettre à niveau les connaissances des participants, et ce, même

si les écarts de spécialisation ne pourront être totalement résorbés

dans le cadre d’un projet.

La complexité de la tâche tient au fait que les groupes d’acteurs

forment des « communautés épistémiques » ou appartiennent à des

« mondes » où les acteurs, abordant une réalité commune, partent

de point de vue différent (Béguin, Cerf 2004, voir aussi Encadré 26).

Afin de rendre poreuses les frontières entre ces mondes le

concepteur tentera de construire un « monde commun » en partant

du principe que les acteurs appartenant à des mondes différents

partagent les mêmes problèmes et doivent devenir parties prenantes

des solutions. Dans ce sens, la réalisation d’apprentissage commun

et la production de nouvelles connaissances à travers un dialogue

entre différents mondes sont susceptibles d’engendrer une

dynamique renouant avec conviction, enthousiasme et action. À cet

effet, Simon Lamarre, responsable du design intérieur des voitures

chez Volvo, tire de son expérience les propos suivants concernant

l’importance de la communication (cité dans Bourdon, 2012) : aux

yeux des étudiants, les designers automobiles passent pour les stars

du rock’n roll mais le design des voitures consiste autant, sinon plus,

à vendre ses idées que de faire de jolis dessins. Pour chaque

esquisse on doit passer des heures en présentations et en

négociations.

Le nécessaire dialogue entre ces communautés ou mondes pour la

recherche de solutions impliquera donc la réalisation

d’apprentissages expansifs que le concepteur peut faciliter. Le

concepteur devra être au fait des facteurs qui favorisent le dialogue,

Page 185: Concevoir la conception

177

Louis Toupin : Concevoir la conception

par exemples l’écoute, la participation, le dépassement des

frontières disciplinaires ou statutaires. Il devra, de la même façon,

être au fait des obstacles qui freinent le dialogue, comme les

barrières culturelles, l’autoritarisme, les préjugés, les attitudes

défensives, les doubles messages.

Ce qui facilitera aussi le dialogue entre des publics hétérogènes, ce

sera l’usage d’artéfacts (plan, esquisse, maquette, prototype) qui

agiront, mieux que tous les discours sur l’interdisciplinarité, comme

outil pratique de construction d’un référentiel commun capable de

rendre poreuses les disciplines et les expertises l’une à l’autre et de

créer une dynamique d’intégration des différents points de vue,

favorisant ainsi la création d’une « zone de connaissances

communes ». Ces artéfacts permettront l’expression distanciée des

différents points de vue et la « glissabilité » des concepts dont la

performance dépendra moins de leur cohérence avec une discipline

ou une expertise pratique mais davantage de leur capacité à

résoudre des problèmes et à améliorer des situations. Ce dialogue

où chacun apprend de l’autre permettra une meilleure prise en

compte des enjeux de la conception et pourra même conduire à une

reconfiguration durable des relations entre les différents acteurs

participant au processus de conception. Le concepteur favorisera

cette dynamique, non seulement en produisant des artéfacts utiles,

mais aussi en assurant une rétraction continue et réflexive entre les

parties prenantes.

Encadré 26 : Souffler le chaud et le froid Le texte qui suit est tiré d’un article de Pascal Béguin et Marianne Cerf intitulé « Formes et enjeux de l’analyse de l’activité pour la conception des systèmes de travail ». Lors de la conception d'une alarme destinée à des PME/PMI de la chimie, les concepteurs et les opérateurs mobilisent deux mondes bien distincts. Les opérateurs disent conduire au froid, en s'éloignant le plus possible des températures hautes du produit. En effet, ce dernier est exothermique : un

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Louis Toupin : Concevoir la conception

réchauffement produit un « emballement de réaction » capable de faire exploser l'installation.

La conduite au froid n'est cependant pas sans risque : un produit trop froid s'épaissit, pourrait casser certains matériels en verre, le réchauffement du produit est alors nécessaire ce qui est dangereux. Pour gérer ce risque, et conduire l'installation, les opérateurs prélèvent tout un ensemble d'indices sur le produit, des « zébrures », des « marbrures », etc. qui traduisent la présence de représentations opératives, auxquelles correspondent des concepts : les opérateurs parlent de « cristallisation », et « d'amorce » de cristallisation. Ils se sont aussi dotés d'instruments spécifiques comme une « feuille de conduite » pour disposer d'une mémoire de l'évolution de la température du processus, car les conséquences diffèrent selon la rapidité avec laquelle on « s'approche du froid ». Bref, les opérateurs travaillent dans un « monde du froid », avec ses instruments, ses concepts et ses représentations opératives, organisés en système. Un monde pour l'action, qui donne sa cohérence à la succession des opérations élémentaires qui composent la conduite au froid. Ce monde du froid est bien distinct du « monde du chaud » des ingénieurs, spécialistes des théories de l'emballement et des explosions. Un monde gazeux et explosif, avec ses théories que l'alarme intègre. Un monde lui aussi produit : les ingénieurs passent le plus clair de leur temps dans un bunker, procédant à des explosions (des « essais en grand ») et réalisant sur cette base des observations minutieuses à partir d'instruments spécifiques. Un monde lui aussi construit par et pour l'action, mais où la référence n'est plus la « cristallisation », mais l'emballement de réaction. Entre ces deux mondes, les références partagées ne sont pas constituées a priori. Pour concevoir l’alarme, il était impossible de rester sur un face à face. D’une part, les opérateurs sont peu outillés pour faire face au monde du chaud des ingénieurs alors qu'un événement non maîtrisable, casse ou panne, est toujours possible. D’autre part, les ingénieurs sont mal préparés pour concevoir des aides bien adaptées au monde du froid des opérateurs alors même que les incidents éprouvés sur le site ont tous été consécutifs à un refroidissement trop important. D'où l'idée, pour les concepteurs, de réaliser deux simulations bien distinctes :

Une première simulation, centrée sur le monde du froid des opérateurs, durant laquelle les concepteurs apprennent des opérateurs car ces derniers ont utilisé l'alarme comme un thermomètre. Étant donné les coûts de développement et les coûts associés à l'étude, il s'agissait d'un thermomètre fort coûteux mais néanmoins utile car les opérateurs conduisaient au 1/10iéme de degré avec des thermomètres gradués au 1/2 degré ! Les concepteurs tiendront compte de cette réalité : une nouvelle

Page 187: Concevoir la conception

179

Louis Toupin : Concevoir la conception

version de l'alarme intégrera un affichage analogique, couplé à un afficheur digital avec mémoire.

Une seconde simulation, centrée sur le monde du chaud, durant laquelle les opérateurs apprennent des concepteurs. Des situations ont donc été construites, durant lesquelles les opérateurs conduisaient le procédé avec un liquide inerte (de l'eau), alors que la cinétique thermique du produit était simulée à partir de données issues d'une explosion expérimentale. Ce processus est édifiant pour les personnels du site : il montre qu'étant donné les conditions architecturales et organisationnelles, il est impossible d'éviter un emballement de réaction. On pourrait finalement résumer notre position en disant qu'il s'agit de construire un monde commun, c'est-à-dire un système de positions différenciées, une cartographie à plusieurs entrées à partir de laquelle l'activité des uns est mise à l'épreuve dans le monde des autres, dans des situations construites pour l'occasion.

4.6 Résolution de problèmes de conception

J'essaie d'ouvrir une voie vers des objets pour non-consommateurs,

des rebelles modernes

Philippe Starck

La résolution de problèmes est un élément de la compétence en

conception que l’on retrouve tout au long du processus de

conception et qui varie selon la nature du concept à développer. La

conception étant elle-même une entreprise de recherche de

solutions, il est possible, comme certains l’affirment, d’assimiler cette

activité à un vaste processus de résolution de problèmes impliquant

des décisions cumulatives qui auront des conséquences sur la

fonctionnalité, le sens et l’esthétique du concept qui sera développé.

De fait, la résolution de problèmes commence dès le début du

processus de conception. Les concepteurs sont aux prises avec une

description succincte du produit, du service, du procédé ou du

Page 188: Concevoir la conception

180

Louis Toupin : Concevoir la conception

résultat à concevoir. Seules quelques fonctionnalités générales et

quelques contraintes ou exigences sont alors précisées. Comme il a

été mentionné, pour résoudre ce problème le concepteur adopte le

plus souvent, dans ce contexte, une posture anticipative qui permet

une première itération, nécessairement incomplète et imprécise, du

concept à développer. Par la suite, et le plus rapidement que

possible, la résolution de problèmes se concentrera sur la production

d’artéfacts, parfois par centaines. Il s’agira alors d’échouer souvent,

mais rapidement. Enfin, vers la fin du processus, la résolution de

problèmes se concentrera sur les questions d’évaluation des

solutions, de finition, de livraison, d’implantation et d’amélioration

continue du concept.

La résolution de problèmes prendra aussi une coloration différente

selon la nature du concept à développer. Dans le cas des produits et

procédés la résolution de problèmes proviendra généralement de

deux sources. D’une part, d’une tension vers un objet ou un système

idéal. Ainsi, plus la barre des exigences sera mise haute et plus

nombreux et complexes seront les problèmes à résoudre. Un

système complexe peut entraîner la cohabitation d’une dizaine de

contraintes qui permettront de formuler des spécifications, lesquelles

se traduiront ensuite dans les artéfacts qui seront mis à l’essai.

D’autre part, quel que soit le niveau d’exigence, il se formera un

réseau de contradictions techniques et physiques, qu’il faudra

simplifier pour se concentrer sur la ou les contradictions les plus

importantes au regard du produit ou du procédé à développer.

Le développement de services, de résultats ou de stratégies,

produira aussi des problèmes selon le niveau d’idéal que l’on veut

atteindre. Par contre, les contradictions seront moins le fait de

composantes techniques et physiques, mais davantage de normes

sociales et culturelles. Ces dernières concernent aussi les produits

et procédés, mais elles doivent, tôt ou tard, prendre une forme

technique ou physique alors que dans le cas des services et des

Page 189: Concevoir la conception

181

Louis Toupin : Concevoir la conception

résultats, la solution aux problèmes normatifs et culturels peut

prendre une forme administrative, réglementaire, organisationnelle.

Par exemple, une voiture fabriquée en Amérique du Nord qui est

destinée au marché asiatique devra s’ajuster au fait que l’on roule à

gauche dans le pays destinataire. Cette norme exprime une

contrainte qui se traduira par un signal qui réorganisera le montage

de la voiture de façon à pouvoir installer le volant à droite. Par

contre, la conception d’un service funéraire, basée sur une religion

historiquement non majoritaire dans un pays (voir Encadré 28),

impliquera une approche conseil qui prend en charge les valeurs de

la famille tout en informant celle-ci sur les contraintes légales et

réglementaires prévalant dans le milieu où se déroulera le service

funèbre.

Le Tableau 22, ci-dessous, présente les connaissances, les

habiletés et les attitudes qui permettront au concepteur de

solutionner des problèmes de conception.

La résolution de problèmes de conception va progressivement aider

le concepteur à compléter et à préciser sa représentation mentale au

regard du concept à développer.

TABLEAU 22 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Résoudre des problèmes de conception

• Application correcte d’une méthode de résolution de problèmes

• Manifestation de créativité et d’initiative

Connaissances � Rôle des analogies et des métaphores

� Glossaire de concepts � Notion de rendu � Notions de

Page 190: Concevoir la conception

182

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

• Résolution rapide et efficace des problèmes

• Conformité avec les normes et standards établis

• Faisabilité et rentabilité des solutions proposées

• Coordination de son travail avec celui des autres intervenants

connaissances conditionnelles (si→alors)

Habiletés � Identification et formulation d’un problème

� Gestion des contraintes � Extraction d’informations dans l’environnement

� Construction de représentations mentales

� Pensée intégrative � Anticipation de l’évolution du concept

� Standardisation � Évaluation des solutions Attitudes � Ouverture à la multidisciplinarité

� Écoute � Contrôle de l’anxiété � Patience

Au cours de cette activité, le concepteur mobilisera principalement

deux mécanismes cognitifs (Bonnardel, 2006) :

• L’utilisation d’analogies et de métaphores : l’analogie

consistera à mobiliser des structures de connaissances

génériques ou encore à réutiliser des solutions analogues

qui peuvent permettre d'élargir l'espace de recherche

Page 191: Concevoir la conception

183

Louis Toupin : Concevoir la conception

d'idées, et ce, afin de parvenir à des solutions de conception

créatives. La métaphore permettra de fournir aux

concepteurs un cadre de compréhension unifié et,

éventuellement, elle permettra aussi une meilleure

compréhension du concept par un éventuel utilisateur en

faisant référence à ce qu’il connaît déjà. Par exemple,

l’utilisation des icônes « chariot de supermarché » pour la

fonction du choix d’articles dans les sites de commerce

électronique ou de « nuage informatique» (cloud computing)

pour symboliser la conception de l’offre de services

informatiques sur Internet offerts, directement ou en sous-

traitance, par une myriade des prestataires distants, et

atomisés, au travers de la planète. La métaphore permet

ainsi de simplifier considérablement les contenus et de

gagner du temps dans l’appropriation de produits ou de

services complexes.

Analogies et métaphores pourront être produites lors de la

production et la mise à l’essai d’artéfacts. La conception

impliquant un travail dont la réalisation concrète

n'interviendra qu'ultérieurement il devient nécessaire

d’anticiper, à partir de représentations visuelles et tangibles,

ce que sera le concept final. Une « conversation réflexive »

s'instaure à ce moment-là entre le concepteur, les

utilisateurs et les artéfacts produits. Un processus

interprétatif naît alors et nécessite le recours à des

analogies et des métaphores afin de créer un espace de

compréhension et de discussions rapidement assimilable,

pour rapprocher le « monde des concepteurs » du « monde

des utilisateurs ». Plus tard, ces analogies et métaphores

seront reprises dans le cadre d’un « récit » qui servira à

diffusion du projet de conception.

Page 192: Concevoir la conception

184

Louis Toupin : Concevoir la conception

• La gestion de contraintes : la gestion de contraintes est un

aspect important de l'activité de conception au point que,

comme il a été mentionné, certains définissent

essentiellement la conception comme un processus de

« gestion de contraintes » ou de « création sous

contraintes ». S’il n’est jamais possible de satisfaire toutes

les contraintes, il est par contre possible de circonscrire

l’espace de recherche, de mieux cerner le ou les problèmes

ainsi que leurs implications. Ainsi, selon Bonnardel (2006),

on ne peut pas identifier une solution optimale pour un

problème donné mais seulement des solutions plus ou

moins satisfaisantes selon les critères adoptés. Tout au long

de ce parcours, il s’agira surtout de traiter les contraintes et

les exigences qui font partie du cahier des charges initial

mais aussi celles que l’on découvre en cours de route et qui

s’ajoutent aux précédentes. Le concepteur se retrouvera

alors devant une arborescence de possibilités et il lui faudra

faire un élagage pertinent de façon à manifester des

préférences, des priorités, des décisions. Les méthodes de

résolution de problèmes varieront alors d’un concepteur à

l’autre, d’une équipe à l’autre, d’une situation à l’autre. Elles

pourront prendre la forme d’une organisation opportuniste de

la résolution de problèmes, de séquences itératives d’essais

et d’erreurs à travers la transformation d’artéfacts, ou encore

de la mobilisation de méthodes sophistiquées, par exemple,

la méthode TRIZ (voir Encadré 20). Cette activité cognitive

aura aussi ses limites du fait que les problèmes en

conception sont la plupart du temps, ouverts et mal définis.

Les activités cognitives de résolution de problèmes pourront avoir

lieu en situations individuelles ou collectives, de même que dans des

situations stables ou dynamiques. Ces activités cognitives requièrent

la mise en œuvre de différents traitements portant notamment sur

Page 193: Concevoir la conception

185

Louis Toupin : Concevoir la conception

l’extraction d’informations pertinentes dans l’environnement, la

construction de représentations mentales, et l’anticipation de

l’évolution des processus.

La résolution de problèmes comportera aussi une dimension

affective importante, surtout dans un monde où les produits, les

services, les expériences doivent être plus que fonctionnels et

facilement utilisables. Ceux-ci devront aussi véhiculer une émotion

particulière (joie, plaisir, beauté). À cet égard, la conception

deviendra un accélérateur d’émotions et devra être attentive à la

notion artistique de « rendu » comme cela se passe pour quelqu’un

qui apprécie l'impression plus ou moins satisfaisante que laisse un

dessin, une peinture, une photographie, un spectacle, un plat, sans

pour autant pouvoir préciser les conditions très complexes d'une telle

impression. La résolution de problèmes devra faire appel, de façon

intégrée, à la cognition, à la créativité et à l’émotion.

La résolution de problèmes trouvera aussi sa continuité dans la

manière d’organiser le travail. Ainsi, par exemple, l’utilisation

d’équipes multidisciplinaires peut avoir un effet notable sur la

résolution de problèmes car celles-ci permettront de briser les murs

disciplinaires et les silos organisationnels, notamment entre

conception et production. La résolution de problèmes s’en trouvera

accélérée en cernant plus facilement les enjeux et en identifiant les

goulots d’étranglements ainsi que les difficultés prévisibles dès le

début du processus de conception.

4.7 Évaluation de la conception

La conception qui m’intéresse va au-delà de l’objet

et ne peut être pensée indépendamment d’un contexte physique,

émotionnel et social plus large dans lequel elle se déroule.

Bill Buxton

Page 194: Concevoir la conception

186

Louis Toupin : Concevoir la conception

L’évaluation est un élément de compétences qui accompagne toutes

les étapes du processus de conception. Bien sûr la véritable

évaluation consistera à mesurer l’effet du produit, du procédé, du

service ou du résultat qui aura été développé sur les utilisateurs :

est-ce que ceux-ci le considère utile, adapté à leurs besoins et

attentes? Facile à apprendre et à utiliser? Mesurer l’effet d’un

concept se fera en recueillant des données provenant de plusieurs

sources, par exemple en réalisant des études de satisfaction auprès

des utilisateurs ou, plus indirectement, en utilisant certains

indicateurs liés à la stratégie d’affaires de l’entreprise telle que

l’accroissement de la part de marché suite à l’implantation d’un

nouveau produit, ou encore l’augmentation de la fréquence

d’utilisation d’un service suite à l’amélioration de celui-ci.

Le Tableau 23, ci-après, présente les connaissances, les habiletés

et les attitudes qui permettront au concepteur de solutionner des

problèmes de conception.

TABLEAU 23 : CONNAISSANCES, HABILETÉS ET ATTITUDES RELIÉES À L’ÉVALUATION DE LA CONCEPTION

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

Évaluer le processus et les résultats de la conception

• Manifestation d’objectivité et d’esprit critique

• Réceptivité par rapport à la critique

• Évaluation juste des concepts compte tenu des exigences de la

Connaissances � Connaissance des divers types d’évaluation et des conditions de leur application (temps, lieu, type de concept)

� Connaissances des divers outils d’évaluation

Page 195: Concevoir la conception

187

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉLÉMENT DE

LA

COMPÉTENCE

CRITÈRES DE PERFORMANCE CONNAISSANCES, HABILETÉ ET ATTITUDES

COMPÉTENCE : Concevoir un projet intégrant fonctionnalité, sens et esthétique dans un produit, un service, un procédé ou un résultat de manière à trouver des solutions à des besoins socialement spécifiés

demande

• Évaluation juste de la signification, de la fonctionnalité, de l’originalité et de l’esthétisme des concepts développés

• Prise de décision pertinente concernant l’acceptation, le rejet ou l’adaptation des concepts

• Recherche de solutions de rechange

� Connaissance des rôles de chacun au cours d’une évaluation

� Notions de marketing � Notions d’ingénierie de production

Habiletés � Élaboration d’un cadre d’évaluation

� Détermination de critères de jugement

� Élaboration d’indicateurs � Détermination de seuils de réussite

� Élaboration d’outils de cueillette de données

� Élaboration de listes de contrôle

� Évaluation de projet � Technique d’analyse des pratiques en conception

Attitudes � Esprit critique � Ouverture à la critique � Flexibilité

Le critère d’utilité, ou utilisabilité, reste le critère fondamental du

succès d’un concept qui aura été développé au terme d’un

processus de conception. Cependant, parvenu à cette étape, les

attentes en termes d’évaluation sont, rien de moins, que le succès,

car l’échec signifie la perte de milliers d’heures de développement.

Page 196: Concevoir la conception

188

Louis Toupin : Concevoir la conception

Ainsi, afin de garantir ce succès, chacune des étapes du processus

de conception fera l’objet d’une forme d’évaluation conduisant à une

décision de type « go ou stop », réduisant la probabilité d’un échec à

la fin du processus.

La phase d’analyse des besoins ou des tendances va ainsi confirmer

la pertinence d’explorer certains concepts, de retenir certaines

hypothèses de développement tout en identifiant mieux les cibles,

les utilisateurs et le contexte. L’évaluation permettra ici, non pas de

proposer de multiples options, mais de recommander le

développement des quelques-unes qui offrent le meilleur potentiel,

celles qui seront développées à travers plusieurs itérations.

La phase qui suit est centrée sur le prototypage. C’est au cours de

cette phase que seront élaborés différents artéfacts (maquettes,

prototypes, dessins) qui permettront de tester et de valider les choix

de conception et de développer graduellement les spécifications du

futur produit, procédé ou service. L’évaluation pourra alors faire

appel, comme l’indique le Tableau 24, aux experts ou aux tests

d’utilisabilité tout en étant conscient des avantages et des limites de

ces types d’évaluation. Cette phase lie aussi l’évaluation à une

décision de type « go ou stop ».

TABLEAU 24 : AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DE L’ÉVALUATION EXPERTE ET DES TESTS D’UTILISABILITÉ

ÉVALUATION EXPERTE TESTS D'UTILISABILITÉ

Avantages Avantages

• Permet de détecter les problèmes majeurs (ex. : problème ergonomique, problème de navigation, problème de faisabilité);

• Fournit rapidement de la rétroaction sur la conception (tôt dans le cycle de développement);

• Permet de détecter les problèmes majeurs (ex. : problème ergonomique, problème de navigation, problème de faisabilité);

• Permet de valider les hypothèses de conception grâce à l’évaluation de la compatibilité avec les tâches

Page 197: Concevoir la conception

189

Louis Toupin : Concevoir la conception

ÉVALUATION EXPERTE TESTS D'UTILISABILITÉ

• N’exige pas l’implication d’utilisateurs qui peuvent être difficiles à recruter;

• Est rapide et peu coûteuse en comparaison des tests d’utilisabilité.

ou les besoins;

• Peut fournir des solutions concrètes d’amélioration;

• Permet d’établir une priorité de résolution des problèmes détectés.

Inconvénients Inconvénients

• Ne permet pas toujours de détecter les problèmes de manque de compatibilité avec la tâche;

• Ne permet pas toujours de déterminer l’importance des problèmes (priorité de résolution);

• Biais de la subjectivité : les problèmes détectés peuvent varier d’un expert à l’autre.

• Exige de former un échantillon représentatif d’utilisateurs qui peuvent être difficiles à recruter;

• Implique qu’un prototype très fonctionnel existe;

• La capacité de réaction des utilisateurs au regard de certains aspects du concept peut être très limité

• Peut s’avérer coûteux en temps et en argent en comparaison de l’évaluation experte.

Adaptation de : Millerand et Martial, 2001

Les critères d’évaluation varieront d’une entreprise à l’autre, d’un

concept à l’autre, mais on retrouve fréquemment les suivants :

• La fonctionnalité : est-ce que le concept fonctionne ? Est-il

pratique ? Facile d’utilisation ? Est-ce qu’il facilite le travail

ou la vie en général ? Est-il facile d’entretien ? Est-il

durable ?

• Sens, mémoire, imagination : est-ce que le concept est

agréable ? Laisse-t-il une impression durable ? Engendre-t-il

une émotion recherchée ?

Page 198: Concevoir la conception

190

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Communication : est-ce que le concept donne à son

éventuel utilisateur un avantage, un statut, une position

stratégique ? Est-ce qu’il s’inscrit dans les tendances

actuelles ? Est-ce que l’on parle du concept aux collègues,

aux amis ?

• Prix : est-ce que le concept peut être développé et produit à

un coût compétitif, par rapport à des concepts similaires et

par rapport à la valeur qu’un éventuel utilisateur peut lui

accorder.

La phase de prototypage conduira, si un feu vert est donné, à la

mise en production du concept. Des études de marketing pourront

se greffer à cette étape afin d’évaluer le potentiel du produit, du

service ou du procédé tandis que, parallèlement, l’ingénierie de

production sera complétée car il faudra fabriquer des gabarits, des

moules, des emporte-pièce, des outils, configurer des machines

avant de lancer la production. Cette étape peut exiger des retours en

arrière sur la conception car, entre temps, on aura découvert ou

mieux évalué les effets de certains problèmes liés à la production.

Cette période peut aussi faire l'objet de la mise à l’essai d’une

« première série », ce qui permettra d’apporter de légères

modifications avant un lancement en grande série.

Au bout de ce cycle, et encore plus en mode de co-configuration,

l’évaluation se voudra un processus continu. Les entreprises, surtout

celles qui voient dans la conception une extension de leur image,

organiseront des rétroactions continues auprès des consommateurs,

des opérateurs, des fournisseurs afin de perfectionner leurs produits,

services ou procédés. On se comparera aussi aux compétiteurs. On

cherchera à communiquer les succès. Les informations recueillies

alimenteront les équipes de conception qui verront à traduire ces

rétroactions dans la conception ou la re-conception des produits,

procédés ou services.

Page 199: Concevoir la conception

191

Louis Toupin : Concevoir la conception

L’évaluation ne s’arrête pas aux seuls extrants du processus de

conception. Le projet de conception pourra, lui-même, faire l’objet

d’une évaluation sous divers angles : respect des délais, contrôle

des coûts, des standards de qualité, communication, travail d’équipe,

analyse de risques, planning, capitalisation des connaissances.

De même, le concepteur pourra se livrer à une analyse réflexive de

ses pratiques de conception, et ce, afin d’améliorer ses propres

pratiques et évoluer professionnellement. L’encadré 27 propose une

forme d’analyse des pratiques dans le domaine de l’innovation dont

les énoncés peuvent, pour la plupart, s’appliquer au domaine de la

conception. Le terme « analyse des pratiques » est ici préféré à celui

de « bonnes pratiques » car le domaine de la conception est

difficilement référable à des pratiques exemplaires. Il s’agit plutôt

d’un domaine caractérisé par les « problèmes faiblement

structurés » (wicked problem), qui rendent difficile l’émergence de

pratiques standardisées. Ces problèmes peuvent être, selon Horn

(2001), l’un ou l’autre ou une combinaison des suivants :

• Il n’existe pas une compréhension unique et « correcte » du problème;

• Il existe différentes solutions contradictoires;

• La plupart des problèmes sont reliés à d’autres problèmes;

• Les données sont souvent incertaines ou manquantes;

• Les conflits de valeurs sont fréquents;

• Les contraintes idéologiques et culturelles sont difficiles à concilier;

• Les contraintes politiques éliminent certaines options;

• Les contraintes économiques sont sévères;

• La présence de raisonnements illogiques;

• Plusieurs cibles d’interventions sont possibles;

• Difficultés à anticiper les effets et les conséquences;

• Niveau élevé d’ambiguïté et d’incertitude;

• Résistance élevée au changement;

Page 200: Concevoir la conception

192

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Les concepteurs sont déconnectés des problèmes et des solutions potentielles.

L’analyse des pratiques sera ainsi une forme d’autoévaluation du

concepteur conduisant à des apprentissages expansifs dans un

contexte fréquent au domaine de la conception, celui où les

problèmes sont faiblement structurés. Ainsi, selon Engeström

(2001), alors que l’éducation permet généralement l’acquisition de

connaissances ou d’habiletés identifiables, les personnes dans les

organisations actuelles font plutôt l’apprentissage de choses

instables et mal définies. La transformation des pratiques exige alors

l’apprentissage de nouvelles formes d’activités qui n’existent pas

encore. Celles-ci sont apprises au moment où elles sont créées. Il

n’y a pas, dans ce contexte, de formateurs compétents mais des

praticiens qui font émerger de nouveaux apprentissages à travers

l’analyse réflexive de leurs pratiques.

Encadré 27 : Analyse réflexive des pratiques d’innovation L’innovation était au cœur de la journée Infopresse 360 tenue à Montréal le 3 décembre 2008 à laquelle étaient invités 2 vice-présidents innovation, Anita Sands de Citibank et Peter Andrews d’IBM, le professeur à HEC Laurent Simon et la vedette Malcom Gladwell. Ceux-ci ont proposé leurs réflexions sur les pratiques d’innovation. Bien que ces réflexions portent sur l’innovation, elles peuvent très bien s’appliquer à la conception. Les voici regroupées en 10 principes et 10 recommandations pour les pratiques professionnelles du domaine : Les principes : 1- Ne perdez pas votre temps à définir l’innovation. 2- L’innovation n’est pas juste une question d’idéation. Il faut plutôt la

voir comme un processus de bout en bout (end-to-end) qui traite autant d’idéation que d’accomplissement de projets.

3- L’innovation progressive (incrémentielle) peut avoir un impact majeur;

4- L’innovation n’est pas une affaire de nouveaux produits ou de nouvelles technologies;

5- Placer vos clients au cœur de vos initiatives d’innovation;

Page 201: Concevoir la conception

193

Louis Toupin : Concevoir la conception

6- Il est plus facile de vendre de l’aspirine que des vitamines (trouver les maux à solutionner);

7- L’innovation doit ajouter une valeur nouvelle, pas de nouvelles choses;

8- L’innovation n’est pas nécessairement synonyme d’invention; 9- Innover au bon moment; 10- Ne perdez pas votre temps à mesurer l’innovation. L’innovation

n’est pas une fin en soi, c’est un moyen d’atteindre un objectif. Les pratiques : 1- L’innovation est une façon de penser, pas un service ou une

division de l’organisation; 2- L’innovation est une activité sociale : recruter les bonnes

personnes, identifier les héros obscurs, former des équipes balancées (le monde est composé d’artistes et de comptables. Il faut les faire travailler ensemble pour obtenir un équilibre), recueillir les idées, favoriser la collaboration, et surtout, gérer le changement;

3- Mettez en place un portfolio, un pipeline d’innovation; 4- Échouez souvent, échouez rapidement; 5- Si ça semble stupide mais que ça fonctionne, alors ce n’est pas

stupide (les meilleures idées sont souvent les plus simples); 6- Croire qu’il y a une meilleure façon de faire; 7- Trouver à innover à l’intérieur des limites qui nous confrontent (don’t

rage against the machine, outsmart it). 8- N’écoutez pas uniquement vos clients. Il faut écouter ses clients,

mais il faut aussi écouter ceux qui ont le potentiel de le devenir. Nintendo en est le parfait exemple. Ainsi, Nintendo a conçu des plateformes de jeux simples permettant à un nouveau public de s’adonner aux jeux vidéo (par exemple Brain Age qui connaît un grand succès auprès des Baby Boomers).

9- Ne faites pas uniquement ce que vos clients veulent. Si Ford avait écouté les consommateurs des années 1900, la compagnie aurait innové en vendant des chevaux plus performants.

10- L’innovation d’une personne n’est pas une fonction d’éléments incontrôlables comme la chance, mais plutôt une fonction de plusieurs éléments définissables comme le travail acharné (le chiffre 10 000 heures a été mentionné), le désir d’apprendre, la patience et le concept voulant que compenser pour ses faiblesses et difficultés est plus efficace que capitaliser sur ses forces.

Bien qu’elle soit rébarbative à circonscrire précisément de ce que doit être l’innovation, s’il faut absolument en donner une définition, explique Anita

Page 202: Concevoir la conception

194

Louis Toupin : Concevoir la conception

Sands, la voici: l’innovation réunit ce qui est possible avec ce qui offre une valeur aux clients, il faut que ça ait un impact sur les résultats.

Encadré 28 : Concevoir sa mort L’évolution de l’industrie funéraire n’échappe pas à la pensée design. Ainsi, les entreprises qui œuvrent dans ce domaine ont dû, depuis les dernières années, adapter considérablement leur offre de services. Pour ce faire, elles se sont mises à l’écoute des tendances :

• Évolution démographique : taille réduite des familles, recul de l’âge de la mort;

• Les nouvelles attitudes face à la mort : mortalité de personnes très âgées, mortalité suite à des soins palliatifs, mortalités anticipées, mortalités soudaines, mortalités « contre nature »;

• L’évolution des croyances et des pratiques religieuses : accroissement du pluralisme religieux, baisse de la pratique religieuse, perte de repères de sens et de rites religieux,

• Évolution des pratiques funéraires : augmentation des crémations, baisse de fréquentation des lieux de cultes pour les obsèques, recours à de nouvelles pratiques mémorielles (columbarium, vidéo, site internet, urne funéraire, dispersion des cendres, témoignages)

Ces tendances ont fait passer ce que l’on appelait les « pompes funèbres » à des « services funéraires » où, dorénavant, l’accompagnement et le conseil prédominent. Ces services peuvent dorénavant être modulés selon la religion, le genre, l’âge, les traditions familiales ou communautaires, les croyances, les préférences musicales, culinaires, vestimentaires, décoratives, caritatives de la personne. Ils proposent une approche intégrée qui englobe les préparatifs avant la mort (pré arrangements, testament légal, testament biologique), les obsèques civiles ou religieuses (lectures de texte, interventions des proches, musique, gestes d'adieu particularisés) ainsi que les démarches après décès (lettre et photo aux médias, carte de remerciement, lecture du testament, entreposage de l’urne funéraire). Positionnement de ces services en termes de qualité, prix et éthique.

Page 203: Concevoir la conception

195

Louis Toupin : Concevoir la conception

CONCLUSION

Tout au long de ces chapitres il a été proposé de s’attacher aux

conditions d’émergence d’une pratique sociale en pleine mutation et

en expansion, soit la conception. Pour ce faire, les résultats et

produits de la conception ont été mis de côté. De même, il n’a pas

été question de prescrire des pratiques pour la conduite de projets

de conception, car ceux-ci dépendent de contextes sociaux et

culturels particuliers et d’enjeux spécifiques. Il a plutôt été choisi de

rendre intelligible cette pratique à partir de son processus et de la

compétence qui s’y exprime. De plus, les conditions d’émergence et

de professionnalisation de cette pratique ont été inscrites dans le

cadre où le système technique actuel évolue, soit celui de la co-

configuration.

Cette démarche a permis d’identifier les connaissances et les

méthodes de travail susceptibles d’être mobilisées à un moment ou

à un autre d’un projet de conception, ainsi que les significations et

les interprétations susceptibles d’être mises en jeu par les différents

acteurs.

Ce parcours réflexif a aussi permis d’analyser les pratiques de

conception et de mieux comprendre le rôle de celles-ci dans la

société actuelle ainsi que les forces et tendances qui la propulsent

en dehors du cercle restreint où elle était maintenue il y a encore

peu. Ce sont là toutefois de nouvelles avancées dont il conviendra

au cours des prochaines années de mieux cerner la dynamique de

construction et d’évolution.

Au terme de cet ouvrage il convient aussi de souligner certaines

applications qui pourraient bénéficier de cette analyse réflexive de la

conception :

• Analyses de cas : les pratiques des projets de conception

pourraient être analysées et renforcées en utilisant cet

ouvrage comme un référentiel ;

Page 204: Concevoir la conception

196

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Curriculum de formation initiale en conception : la

compétence et les éléments de compétences proposés dans

cet ouvrage peuvent servir d’amorce à une réflexion sur le

curriculum à dispenser aux jeunes qui désirent s’orienter

vers une carrière dans le domaine de la conception. Selon le

domaine d’application, il faudra recadrer les éléments de la

compétence et mieux préciser le contexte de réalisation ainsi

que les outils et les méthodes utilisées ;

• Pratiques de formation continue : nombre d’éléments de

cet ouvrage pourraient faire l’objet de modules de formation

destinés non seulement aux professionnels qui œuvrent

directement en conception, mais aussi à plusieurs catégories

d’acteurs qui tantôt utilisent les approches de conception

sans le savoir ou qui accompagnent à un moment ou à un

autre, un processus de conception. Et, comme il a été

mentionné, ces activités de formation continue pourraient

s’inscrire dans de nouveaux formats qui utilisent davantage

les situations de travail et les possibilités virtuelles liées à

celles-ci : communautés de pratiques, groupes de

discussions, blogues, dispositifs d’accompagnement et de

professionnalisation. Cette dernière, la professionnalisation,

pourrait d’ailleurs être définie comme une manière

d’appréhender la transformation des compétences qui

résultent des apprentissages expansifs, eux mêmes

résultant d’une transformation continue des activités dans un

contexte de co-configuration.

De plus, le processus de conception se prête directement à

cette approche de la formation continue basée sur ce que

l’on désigne comme le 70-20-10 (Lombardo et Eichinger,

2007). Soit une approche de la formation professionnelle qui

est basée à 70% sur des apprentissages fait à travers des

expériences offrant un chalenge (le projet de conception

Page 205: Concevoir la conception

197

Louis Toupin : Concevoir la conception

étant de cette nature), à 20% sur le coaching et le mentorat

d’un accompagnateur immédiat (le concepteur occupant

dorénavant ce genre de rôle) et à 10% sur des cours et

programmes de formation structurés de manière plus

« conventionnelle ».

• Identification et renforcement du potentiel en

conception : que ce soit dans le cadre de la reconnaissance

des compétences (portfolio) ou de tests d’évaluation du

potentiel de personnes désireuses d’évaluer leur

prédisposition pour se lancer dans le domaine de la

conception, il est possible d’utiliser les divers éléments de la

compétence en conception pour en faire un outil

d’autoévaluation;

• Normes et standards pour l’évaluation de projets en

conception : les divers standards identifiés tout au long de

cet ouvrage, à quelques adaptations près, peuvent servir à

l’évaluation, en totalité ou en partie, d’un projet de

conception;

• Renforcement des capacités en conception dans les

organisations : qu’il s’agisse d’organisations publiques ou

privées plusieurs éléments de cet ouvrage peuvent servir,

dans le cadre d’activités conseils, à la formulation de

recommandations qui auront pour effet de renforcer les

organisations qui font (ou devraient faire) appel à la

conception dans des domaines tels que : gestion de projets,

communication, travail en équipe, créativité, résolution de

problèmes, descriptions de postes de travail et autres. Les

conseillers de carrières, les professionnels RH, les coachs,

les managers ainsi que les apprenants peuvent utiliser les

approches présentées dans ce livres pour évaluer des

besoins, identifier des écarts, proposer des plans de

renforcement des compétences.

Page 206: Concevoir la conception

198

Louis Toupin : Concevoir la conception

• Reconnaissance du rôle de la conception dans les

stratégies d’affaires des entreprises : il d’accompagner

les dirigeants d’entreprises dans les défis du monde actuel,

notamment en structurant des activités des entreprises en

fonction du processus de conception.

Ce sont là quelques domaines d’intervention qui peuvent permettre

d’ancrer les réflexions sur la conception dans une pratique. Ces

pratiques auront à être vigilantes car le positionnement favorable de

la conception dans le monde actuel peut aussi conduire à des effets

pervers. Dans ce sens, les quelques mots suivants, tirés d’une

entrevue donnée par Anthony Dunne en 2008 au journaliste

Christian Brändle du JRP-Ringier de Zurich, font écho au souhait

des situationnistes de révolutionner la vie quotidienne :

Au bout du compte, je pense que la meilleure conception est celle

qui est inspirée par une vision forte. Cela peut être le travail d’une

seule personne, mais si cette vision sert aux autres je n’ai pas de

problème avec cela. Je pense que les problèmes commencent

quand des concepteurs égoïstes nous imposent leurs médiocres

visions des choses et je peux comprendre pourquoi cela peut

amener certaines personnes à questionner le rôle de la conception

et qui en bénéficie vraiment. (…) Si tout est déterminé par le marché,

nous allons vivre dans un monde appauvri et ennuyant où on ne

rencontre que le plus bas niveau de culture, de besoin et de désir.

Ce sera le règne de la banalité. Tout sera déterminé par les critères

de la popularité, de l’impact immédiat, de la rentabilité économique

et de l’accessibilité. La conception ne sera plus alors qu’une couche

de sucre qui nous aide à consommer davantage et plus facilement.

Je crois que la conception possède un plus grand potentiel, car elle

peut contribuer à ce que nos expériences de la vie quotidienne

soient riches, intrigantes et engageantes. Cette sorte de conception

doit se développer en dehors du système de marché qui confine la

conception à un rôle étroit.

Page 207: Concevoir la conception

199

Louis Toupin : Concevoir la conception

LEXIQUE

Abduction

Processus d’inférence qui part de faits particuliers pour arriver à la meilleure

explication plausible de ces faits.

Analyse Fonctionnelle

Démarche qui consiste à rechercher, ordonner, caractériser, hiérarchiser et /

ou valoriser les fonctions du produit ou du service attendu par l'utilisateur.

Apprentissage

Ensemble d'activités qui permettent à une personne d'acquérir des

connaissances théoriques et pratiques, ou de développer des aptitudes.

Apprentissage expansif

Apprentissage qui prend naissance dans un système d’action, qui est

supporté par une communauté, qui porte sur un objet (le but conscient de

l’activité) et qui est médiatisée par des outils matériels (artéfacts),

psychologiques ou cognitifs, comme le langage.

Les différents pôles de l’activité collective s’influencent réciproquement et

dynamiquement de sorte que le système s'ajuste continuellement, s'adapte,

et change. Ces influences créent des contradictions (tensions) qui peuvent

faire évoluer l’activité prescrite vers une nouvelle activité (nouvel objet,

nouveaux outils). L’apprentissage expansif est par conséquent le processus

qualitatif par lequel une organisation résout ses contradictions internes de

manière à construire de nouvelles façons de travailler.

L’apprentissage expansif fait nécessairement appel à une co-formation

basée sur l’expérience de situations nouvelles et stimulantes.

Approche participative

Où les populations bénéficiaires participent étroitement à la conception du

projet. Son contraire serait l'approche directive.

Artéfact

Partie d'information utilisée ou produite lors du processus de développement

d'un concept. Les artéfacts peuvent prendre des formes multiples : modèle

d'architecture, description, documentation, prototype, devis, esquisse, etc.

Autoévaluation

Évaluation d'un individu ou d'un groupe par lui-même au moyen de critères

choisis ou imposés déjà élaborés, par lui ou par un tiers indépendant. Dans

Page 208: Concevoir la conception

200

Louis Toupin : Concevoir la conception

le cadre des échanges d'information entre offreur et demandeur de

formation, les critères de l'autoévaluation devraient être précisés.

Benchmarking (ou étalonnage)

Technique qui consiste en prendre le meilleur comme référence, afin de

rendre plus performant un produit, une méthode, un service, une stratégie,...

Cartes mentales (ou cartes cognitives)

Une carte cognitive (CC) est une manière visuelle de décrire la complexité

des relations de l'humain avec son environnement. Ces relations peuvent

être représentées par des flèches ou des traits différenciés qui signifient

quelque chose : par exemple un lien de dépendance, une implication

logique, une hypothèse. On peut donner aussi une représentation qualifiée

des entités : par exemple des « ++ » pour l'importance d'un acteur dans un

processus. On utilise les CC pour représenter des ensembles conceptuels,

des situations, des stratégies, des projets. Construire une CC fait apparaître

des éléments qui seraient restés cachés; donne une représentation

dynamique des réalités observées; éclaire des problématiques complexes.

Changement

Transformation d’un milieu existant après l’introduction d’une innovation.

Co-configuration

Forme d’organisation du travail qui s’adapte continuellement aux besoins

changeants des utilisateurs dans une optique de rapidité, de variété et de

coût. Cette forme de travail fait nécessairement appel aux apprentissages

expansifs, aux stimuli expérientiels, aux outils et artefacts pour transformer

et enrichir une relation continue entres les parties prenantes.

Concept

Idée-force d'un projet de conception qui sera développée à travers plusieurs

itérations avant de prendre la forme d’un produit, d’un procédé, d’un service

ou d’un résultat.

Conception

Processus de développement, souvent d’une innovation, allant de l’idée à

son prototype.

Conception orientée par l’usage

Processus de conception orienté par l’«usage» et non plus par les pressions

techniques : on essaie, d’enrichir le point de vue des concepteurs par le

Page 209: Concevoir la conception

201

Louis Toupin : Concevoir la conception

point de vue des utilisateurs, pour orienter les choix de développements

(notamment accompagner les arbitrages entre les fonctions possibles).

Conseil

Forme d’accompagnement d’une activité professionnelle. On a recours au

conseil à la fois pour intégrer temporairement des compétences dont une

organisation ne dispose pas en interne et pour bénéficier d’un regard neuf.

Le rôle de conseil consiste essentiellement à aider une équipe à porter un

projet innovant à l’aide de préconisations.

Créativité

Nom générique donné à des méthodes et outils utilisés dans la première

phase de conception (la recherche d’idées).

Critère

Principe qui permet de distinguer une chose d’une autre afin d’émettre un

jugement.

Devis

Le devis est un jeu de documents décrivant une activité particulière, qui

permet d'évaluer cette dernière et de décider de l'approuver ou de la rejeter.

On retrouve souvent dans le devis la description des ressources humaines

nécessaires pour accomplir les travaux, un calendrier de travail ainsi qu’un

état détaillé et estimatif des travaux à accomplir. Lorsque les travaux sont

longs et complexes, on peut aussi retrouver une présentation de la

méthodologie de travail. On parle aussi d’avant-projet ou de soumission.

Ergonomie

À l’origine, une discipline qui se consacrait à l’amélioration des postes de

travail. Elle est devenue progressivement une science et une technique

d’évaluation de la rationalité de l’ensemble des activités humaines

(exemples : ergonomie « cognitive », ergonomie des interfaces hommes

machines, etc.). La simplicité d’usage facilite l’accès à la valeur. Le couple

simplicité d’usage / signification d’usage est un modèle performant

d’enrichissement du processus de conception.

Esquisse

L’esquisse constitue un premier projet, souvent à l'état de plan, indiquant

l'essentiel d'un travail. On parle aussi d’ébauche.

Page 210: Concevoir la conception

202

Louis Toupin : Concevoir la conception

Expérience utilisateur

C'est l'émotion ressentie par un utilisateur lorsqu'il utilise un produit, un

procédé, un service dans l'atteinte d'un objectif.

Fonction

Exprimée par un verbe d’action, c’est une des activités proposées par un

produit/procédé/service.

Formateur

Personne exerçant une activité reconnue de formation qui comporte une part

de face à face pédagogique et une part de préparation, de recherche et de

formation personnelles, au service du transfert des savoirs et du savoir-faire.

Formation

La formation renvoie à l’ensemble des connaissances générales, techniques

et pratiques liées à l’exercice d’un métier, mais aussi aux comportements,

attitudes et dispositions qui permettent l’intégration dans une profession et,

plus généralement, dans l’ensemble des activités sociales.

Identité professionnelle

Manière dont une personne conçoit son rôle et sa place dans un milieu de

travail.

Imaginaire

Capacité de l’esprit à construire une représentation fictive.

Imagination

Extrapolation de l’esprit à partir d’une réalité.

Innovation

Processus de création de valeur à partir d’un objet, d’une idée, d’une

politique ou d’une pratique qui est perçue comme une nouveauté par un

milieu concerné, que ce soit le cas ou non. L’innovation induit

nécessairement un processus de changement. On distingue différent type

d’innovation, par exemple l’innovation de rupture, l’innovation incrémentale.

Management de la qualité

Ensemble des activités de la fonction générale de management qui

déterminent la politique de qualité, les objectifs et les responsabilités, et les

mettent en œuvre par des moyens tels que la planification de la qualité, la

maîtrise de la qualité, l'assurance de la qualité et l'amélioration de la qualité

dans le cadre du système qualité.

Page 211: Concevoir la conception

203

Louis Toupin : Concevoir la conception

Maquette

La maquette se présente comme un état intermédiaire entre l'esquisse et un

développement plus poussé du projet de conception. Comme les exemples

proposés ci-dessous l’illustrent la maquette est utilisée dans de nombreux

domaines de la conception :

o Enregistrement généralement peu coûteux d'une ou de plusieurs

pièces musicales afin de les faire connaître ou de les faire évaluer.

On parle aussi de démo;

o Construction à échelle réduite et en trois dimensions des décors

d'une production dramatique;

o Modèle à échelle réduite d'un ouvrage, d'un édifice ou d'un groupe

d'édifices;

o Première ébauche de réalisation d'une émission ou d'une série

d'émissions;

o Première ébauche d'un bien, en réduction ou en grandeur nature,

qui vise à établir les possibilités de fonctionnement ou à tester les

performances du produit envisagé. On parle aussi de produits

pilotes;

o Document de travail d'un dessinateur, montrant l'état d'avancement

d'une annonce ou d'un matériel publicitaire, assez poussé pour

qu'on puisse avoir déjà l'idée de ce que sera la réalisation

définitive;

o Projet poussé à partir du crayonné, permettant de donner l'aperçu

le plus juste de ce que sera la réalisation;

o Système expert de démonstration limité pour des raisons

méthodologiques à un sous-ensemble représentatif du problème

que l'on souhaite résoudre par la méthode des systèmes experts;

o Modèle à échelle réduite d'un appareil, d'un véhicule. On parle

aussi de modèle réduit.

Marketing

Ensemble de préceptes visant à maximiser le succès commercial d’un

produit/procédé/service. Il y a deux grands types de marketing : le marketing

amont (ou marketing stratégique), qui définit l’adéquation entre des publics

et des opportunités de produits/services, et le marketing aval, qui s’intéresse

aux conditions de sa diffusion (dont la communication).

Page 212: Concevoir la conception

204

Louis Toupin : Concevoir la conception

Modèle

Schémas, image, discours organisé qui représente la complexité des

situations abordées.

Projet

Ensemble d’activités ayant pour finalité la réalisation, dans un intervalle de

temps fixé, d’un objet correspondant à un besoin bien défini et unique.

Prototype

Le prototype est un modèle ou une mise en œuvre préliminaire permettant

d’évaluer la conception d'un système, de sa réalisation à son potentiel

d'exploitation, ou encore de parvenir à une meilleure identification et

compréhension des besoins. Le prototype est capable de traiter un certain

nombre de cas concrets, mais n'a pas encore la solidité requise pour être

mis entre les mains des usagers. Un prototype doit pouvoir être utilisé pour

résoudre des problèmes réels dans des conditions d'utilisation

éventuellement restrictives. Comme pour la maquette, il existe, selon les

domaines, de nombreux types d’utilisations des prototypes :

o Exemplaire d'un engin spatial ou d'un appareil de vol qui n'est

généralement pas destiné à être lancé et auquel on fait subir des

essais de qualification;

o Maquette de tout ou partie d'un appareil, destinée à prouver la

validité de la conception et à servir de référence pour la réalisation

des modèles ultérieurs, mais qui ne subit pas d'essais complets;

o Premier exemplaire construit industriellement d'un produit destiné à

des essais en vue de sa construction en série;

o Voiture de présentation qui permet au constructeur de donner un

avant-goût des innovations à venir dans la construction et

l'équipement automobiles, et de mesurer l'intérêt des

automobilistes pour les nouveautés proposées.

Qualité

Ensemble des caractéristiques d'une entité qui lui confère l'aptitude à

satisfaire des besoins exprimés ou implicites.

Réalité augmentée

Page 213: Concevoir la conception

205

Louis Toupin : Concevoir la conception

Système informatique qui rend possible, en temps réel, la superposition d’un

modèle virtuel 3D ou 2D à la perception habituelle de la réalité.

Représentation

Image que se fait un sujet, ou un groupe social, d'un objet, d'un concept,

d'un contexte, d'un événement, d'un système, d'un comportement.

Les représentations sont des images mentales, visuelles et/ou auditives.

Elles influencent énormément notre perception et nos modes de réactions.

Prendre conscience de ses représentations permet d'en modifier l'impact en

l'ajustant aux objectifs. Se former c'est modifier ses représentations.

Référentiel

Inventaire d'actes détaillant un ensemble de capacités (référentiel de

formation) liées aux référentiels de métiers ou de fonctions correspondantes.

Inventaire d’activités ou de compétences nécessaires à l’exercice de ces

activités. Ce mot est notamment utilisé dans les deux expressions suivantes

inscrites dans la procédure d’élaboration des diplômes professionnels : le

Référentiel d’activités professionnelles et le Référentiel de certification.

Réflexivité

Se distancer pour transposer. La réflexivité est une des composantes

essentielles de la professionnalité. Elle consiste pour le professionnel à

savoir prendre du recul par rapport à ses pratiques, à ses représentations, à

ses façons d'agir et d'apprendre. Il peut les mettre en mots, les mettre en

forme figurative et les soumettre à une analyse critique. C'est cette capacité

qui le rend non seulement acteur mais auteur. Il crée son savoir

professionnel, ses compétences, en leur donnant forme. C'est cette

réflexivité qui permettra de réinvestir ses expériences et ses pratiques sur

des pratiques et des situations professionnelles diverses.

Savoir

Ensemble des connaissances théoriques et pratiques. Le savoir est

constitué d'informations mises en relation, organisées par l'activité

intellectuelle du sujet, ou du groupe social. Contrairement à l'information qui

n'est stockable que spatialement, le savoir s'organise dans le temps en

s'intégrant au savoir antérieur du sujet, ou du groupe social. Ainsi le savoir

est avant tout une construction pour l’action.

Savoir être

Page 214: Concevoir la conception

206

Louis Toupin : Concevoir la conception

Terme communément employé pour définir un savoir-faire relationnel, c'est-

à-dire, des comportements et attitudes attendus dans une situation donnée.

Savoir-faire

Mise en œuvre d'un savoir et d'une habileté pratique maîtrisée dans une

situation spécifique.

Savoir-faire comportementaux ou relationnels

Ils désignent les capacités utiles pour savoir se comporter ou se conduire

dans un contexte professionnel particulier. Ces savoir-faire, décrits en

termes « être capable de », sont acquis dans la diversité des lieux et des

moments non seulement d'un parcours professionnel, mais d'une

biographie : éducation familiale, vie associative, pratique d'un sport, d'une

activité culturelle, formation continue, expérience professionnelle, activités

scolaires et parascolaires, voyages,...

Savoir-faire opérationnels

• Savoir-faire procéduraux : ce sont les démarches, méthodes,

procédures dont les agents maîtrisent l'application pratique;

• Savoir-faire expérientiels : ils sont issus de l'habitude de l'action, les

« tours de main », les trucs, les astuces;

• Savoir-faire cognitifs : il s'agit des opérations intellectuelles

intériorisées, soit simples (décrire, comparer, définir), soit plus

complexes (induire, déduire, raisonner par analogie, formuler des

hypothèses, généraliser). Ils permettent de créer des informations

nouvelles à partir d'informations existantes.

Scénario

Méthode d'analyse employée dans la solution de problèmes, dans le choix

de traitements à adopter dans une situation donnée et, de façon générale,

dans toute situation appelant un choix entre plusieurs solutions possibles.

Méthode qui consiste à se représenter différents scénarios ou hypothèses et

à comparer l'incidence de chacun sur le résultat ou d'autres facteurs

pertinents, en posant des questions du type « Qu'arriverait-il si... », et ce, de

manière à mieux éclairer la prise de décision.

Schéma

Page 215: Concevoir la conception

207

Louis Toupin : Concevoir la conception

Le schéma permet de saisir des données, des informations d’ordre

relationnel, structurel, fonctionnel ou technologique.

Différents types de schémas permettent un passage progressif de l’idée à la

solution, sans s’enfermer trop tôt dans des choix techniques limitant la

créativité. Ces schémas utilisent généralement des symboles normalisés

propre à différents domaines tels que électrique, structure, cinématique,

architecture.

Le schéma peut servir d’outil de communication sur un produit à d’autres

intervenants (utilisateurs, vendeurs, réparateurs). Dans ce cas précis, le

schéma est en quelque sorte libéré de ses contraintes techniques au profit

d’une expression plus créative, et ce, pour faciliter la communication.

Sens

Manière dont un individu comprend, juge, perçoit son environnement.

Signification d'usage

Sens et valeur que l’utilisateur attribue au concept qui lui est proposé.

Simulation

La simulation, qu’elle soit numérique, analogique ou par modèle réduit, est

une technique permettant d'imiter, aussi fidèlement que possible, des

phénomènes réels grâce à des programmes intégrant des modèles fondés

sur des paramètres qui interviennent dans la réalité.

L'ordinateur a considérablement contribué au progrès de la simulation. On

peut ainsi créer des simulations 2D ou 3D à partir de logiciels de dessins tels

que Visio, Autocad, COREL Draw, Catia.

Story-board / scénarimage

Série de dessins comparables à une bande dessinée, réalisée avant le

tournage d'une séquence cinématographique et définissant le cadrage et le

contenu des images de chaque plan.

Synopsis

Résumé d'une émission, d'un film, d’un livre développé en quelques lignes.

Travail coopératif

Production personnelle incluant la confrontation de son travail avec celui

d'autres apprenants engagés dans la même démarche de production.

Travail collaboratif

Page 216: Concevoir la conception

208

Louis Toupin : Concevoir la conception

Travail à deux ou a plusieurs, à distance, avec des outils logiciels en réseau

permettant une interaction entre des personnes ou des apprenants pour

coproduire un même objet ou résultat.

Usage

Se servir de manière intentionnelle et volontaire d'un objet (produit ou

service) dont on pense qu'il a des caractéristiques intéressantes (on fera

l'effort de s'adapter à l'objet et/ou d'adapter l'objet).

Utilisabilité

L’utilisabilité est le degré auquel un produit, un procédé, un système ou un

service peut être utilisé par un ensemble d’utilisateurs afin de réaliser des

tâches ou de répondre à des besoins dans un contexte précis.

Utilisateur

Celui qui fait usage. On distingue généralement 3 types d’utilisateurs :

l’utilisateur final, l’utilisateur intermédiaire (souvent prescripteur) et les

porteurs de projets.

Valeurs

Sens 1 : Principes moraux et références fondés sur des critères personnels

et sociaux. Sens 2 : Fondements de l’usage et de l’échange des choses

(pour les économistes classiques).

Veille

Activité consistant à réunir une information existante pour répondre à une

problématique. Activité continue visant à rechercher, traiter et diffuser des

renseignements sur un environnement donné. On distingue la veille

concurrentielle, la veille documentaire, la veille stratégique, la veille

méthodologique, etc. La veille efficace permet d'accéder, au moment

opportun, à une information adaptée aux besoins et aux attentes. Elle doit

favoriser l'amélioration des pratiques de travail et contribuer à la

professionnalisation individuelle et collective. Organisée et structurée en

plusieurs étapes, elle concourt à améliorer le temps de recherche et à livrer

des renseignements utiles (informations traitées : ordonnées, synthétisées et

d'appropriation facile). Afin d'optimiser le système de veille, les services

doivent développer l'utilisation de toutes les technologies de l'information et

de la communication, et faciliter la mise à disposition et la diffusion des

renseignements.

Page 217: Concevoir la conception

209

Louis Toupin : Concevoir la conception

SITE INTERNET

Site de Dino Dini, concepteur de

jeux vidéo

dinodini.com/diki/index.php/Dino_Di

ni

Site de Web design Index

webdesignindex.org/publication/inde

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Site de Index design

index-

design.ca/FRA/EcoDesign.cfm

Blogue de Fredéric Cavazza

fredcavazza.net

Blogue de Nicolas Minvielle

design-

blog.info/index.php?tag/Design%20

Thinking

Site de la Rotman School of

Management

rotman.utoronto.ca

Site du Stanford Institute of

Design

stanford.edu/group/dschool/big_

picture/our_vision.html

Site du groupe alchimie

groupe-

alchimie.ch/pages/fr/conception_red

action.htm

Site du Design Management

Institute

dmi.org/dmi/html/index.htm

Site de RED / Design Council

designcouncil.info/RED

Site de Design Dictionary

designdictionary.co.uk

Blogue de Daniel Lafrenière

daniellafreniere.com/blogue.html

Site de Boxes and Arrows

boxesandarrows.com

Site de Cjuste

cjuste.net

Site de la revue Actualité

http://www.activites.org

Site de méta-morphose

meta-morphose.ca

Site de Philippe Stark

philippe-starck.com

Site de Ideat

ideat.fr

Blogue de Elektra lab

blog.elektramontreal.ca

Site du Ilinois Institute of Design

id.iit.edu

Blogue de Tim Brown

designthinking.ideo.com

Site de European Design

ed-awards.com

Page 218: Concevoir la conception

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Louis Toupin : Concevoir la conception

Site de Society for Professional

Designer

csd.org.uk

Site de Design Association

design-association.org

Site de la Communauté

européenne, droits d’auteurs /

dessins

ec.europa.eu/internal_market/

indprop/design/index_fr.htm

Site de IDEO

ideo.com

Site de Dunne et Raby

dunneandraby.co.uk/

content/projects

Site du Center for Activity Theory

and Developmental Work

Research

edu.helsinki.fi/activity/pages/

research/newforms

Site de Design Training

design-training.com/what-is-

design.html

Site de l’Usability Professionals’

Association

usabilityprofessionals.org

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