Conception et interaction

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Les Objets Intermédiaires de la conception : Modélisation et Communication Stéphane Mer Lab. 3S Alain Jeantet CRISTO Serge Tichkiewitch Lab. 3S RESUME. La conception est une activité de type cognitif mais qui relève aussi du registre de l'action. De nombreux objets sont produits au cours d'un processus de développement. Ces objets, que nous appelons "objets intermédiaires" sont de nature hybride : ils sont à la fois modélisation de la réalité et instrument de coordination des acteurs. En les voyant dans cette globalité, ils sont significatifs de la conception. Une approche par les objets permet une bonne lecture de l'acte de concevoir. Enfin, ce regard global sur les objets nous permet de repositionner la question des modèles et des formalismes des nouveaux outils pour la conception intégrée, afin qu'ils puissent favoriser la coopération. MOTS CLES. Conception, Modèle, Coopération, Coordination, Objet, Médiation 1 Introduction

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Les Objets Intermédiaires de la conception : Modélisation et Communication

Stéphane Mer Lab. 3S

Alain Jeantet CRISTO

Serge Tichkiewitch Lab. 3S

RESUME. La conception est une activité de type cognitif mais qui relève aussi du registre de l'action. De nombreux objets sont produits au cours d'un processus de développement. Ces objets, que nous appelons "objets intermédiaires" sont de nature hybride : ils sont à la fois modélisation de la réalité et instrument de coordination des acteurs. En les voyant dans cette globalité, ils sont significatifs de la conception. Une approche par les objets permet une bonne lecture de l'acte de concevoir. Enfin, ce regard global sur les objets nous permet de repositionner la question des modèles et des formalismes des nouveaux outils pour la conception intégrée, afin qu'ils puissent favoriser la coopération.

MOTS CLES. Conception, Modèle, Coopération, Coordination, Objet, Médiation

1 Introduction

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H.A. SIMON définit la conception comme l'activité intellectuelle par

laquelle sont imaginées quelques dispositions visant à changer une situation existante en une situation préférée[Simon, 1991]. La conception de produits mécaniques entre tout à fait dans cette définition. En la contextualisant, elle peut être précisée de la façon suivante "La conception consiste à donner un ensemble de propositions permettant de décrire le produit (forme, dimension, moyen d'obtention) et répondant globalement à un cahier des charges " [Tic et al, 1993].

La conception a donc un côté paradoxal. Située en effet dans le monde des idées, de la connaissance, elle relève aussi de la sphère de l'action : elle "vise à". Ainsi ne faut-il pas la limiter à une activité intellectuelle : c'est en même temps une activité de création et de décision. En témoigne la production des multiples objets intermédiaires qui en ponctuent le cours, que ceux-ci soient immatériels (règlements, logiciels, modèles numériques,) ou matériels (dessins techniques, textes, maquettes).

Le but de notre présentation est de montrer que ces objets intermédiaires constituent les vecteurs les plus pertinents des activités de communication omniprésentes dans le processus de conception. Dans la mouvance actuelle qui tend à intégrer de plus en plus ce processus, il devient urgent de prendre en compte la place qu'occupent les objets intermédiaires dans une communication devenue vitale pour la mise en place de la conception intégrée.

Dans cette perspective, nous allons tout d'abord montrer la nature hybride des objets intermédiaires : ils sont, à la fois, la modélisation du futur produit et le vecteur de la coopération ou de la coordination des acteurs de la conception.

Ensuite, nous montrerons l'efficacité du concept d'"objet intermédiaire" comme analyseur de l'activité de conception. Nous sommes, en effet, à l'orée d'une évolution très importante de cette activité et pourtant nous ne la connaissons que très peu. Cet outil d'analyse doit nous permettre d'entrer au coeur de l'action de concevoir avec une double vue : la première orientée vers le contenu de la conception dont l'objet est la représentation, la seconde orientée vers les interactions entre les acteurs de la conception dont ces objets sont le centre.

2 Nature hybride des "objets intermédiaires" : Pour illustrer le concept d'objet intermédiaire, nous allons regarder

les objets qui ponctuent le processus de conception d'une entreprise d'équipements techniques pour l'aéronautique. Formellement, la

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conception y reste encore séquentielle, ce qui nous permet de bien voir le rôle des objets dans un environnement à première vue plus simple à appréhender.

21 Des objets intermédiaires ... En suivant la conception d'un nouvel équipement, nous

rencontrons 5 types de plans produits et utilisés par les acteurs : - Une "Fiche d'instruction technique", constituée d'un seul dessin

sur une feuille A4, - Un "Plan, Prix et Délais", constitué d'un seul plan sur une feuille A3, - Un "Plan de définition", constitué de 2 à 4 planches A3, - Un "Plan de fabrication", constitué de 5 à 12 planches A3, - Des "Plans d'opération" au nombre d'une quarantaine. En ne regardant que le volume physique de chaque objet, nous

pouvons déjà voir plusieurs caractères du processus de conception. L'augmentation des connaissances spécifiques dédiées au projet, tout d'abord, que la quantité et la précision des objets viennent matérialiser. L'intention accompagnant leur existence, ensuite, que la nature des informations qu'ils contiennent peut laisser supposer. En effet, le premier objet doit avoir un rôle d'identification, les deux suivants un rôle de mise en accord, et les deux derniers un rôle de prescription. Ainsi, en ne partant que de la matérialité des objets on peut déjà faire des hypothèses sur les intentions qui ont accompagné leur naissance.

Ce petit exemple illustre bien notre méthodologie de travail : partir

de la matérialité de l'objet et ne jamais la perdre de vue. Nous avons adopté cette posture pour la description détaillée de chaque objet en interaction et pour les interprétations que l'on peut en faire.

De plus, nous devons introduire le concept de situation d'action. Les objets ne peuvent être vus en dehors de leur situation d'usage. C'est dans leur construction et dans leur usage que nous nous proposons de les caractériser.

• La "fiche d'instruction technique" est la traduction approximative

du cahier des charges fonctionnel du client en une esquisse de l'équipement. C'est la première représentation graphique du futur produit à l'intérieur de l'entreprise. Ce dessin est produit afin que tous les acteurs de la conception aient une image du futur produit. Si elle n'existait pas, seul le bureau d'études qui reçoit ou conçoit au moment de l'appel d'offres une représentation graphique sommaire de l'équipement, pourrait s'en faire une idée. Pour l'éviter, ce

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document est distribué à tous les services de l'entreprise : service commercial, bureau des méthodes, responsable de fabrication.

Or bien qu'il soit censé n'avoir qu'un rôle de présentation et d'identification du futur produit, cet objet est pourtant au centre des premières discussions. A sa vue, les différents acteurs peuvent avoir des réactions.

Par exemple, le fabricant soulève des points à éclaircir, ou des interrogations : cette forme est irréalisable ! A-t-on cette dimension en stock ? Chez qui devons-nous nous fournir pour cette matière ? Devons-nous sous-traiter et si oui chez qui ?

Mais le commercial formule lui aussi des remarques sur la position du produit dans le gamme, sur un ordre de grandeur du prix de vente, sur la concurrence

Ainsi, cet objet "esquisse" est-il un bon support de coopération entre les acteurs. A partir du même objet chacun se fait sa vision du futur produit et l'exprime devant les autres : le commercial se souvient des difficultés de négociation avec ce client, de la taille de sa marge, confortable ou non, pour cette famille de produits, il suppute sur les enjeux du marché; l'industriel remarque les difficultés d'usinage ou d'approvisionnement; des hypothèses sur les efforts auxquels sera soumis l'équipement ou sur les conditions dans lesquels il sera utilisé et ce qu'il en résulte dans sa définition viennent à l'esprit du concepteur

Des discussions s'instaurent ainsi entre les différents services avant les toutes premières actions de conception. Elles ne sont toutefois, le plus souvent, que de nature technique. Cet objet est, en fait, un lieu d'intégration au plus tôt de la fabrication dans la conception. Il permet l'intégration car les différents acteurs interviennent sur les problèmes qui peuvent se poser au cours du développement avec leur point de vue d'experts dans un métier. Cet objet est d'autant plus efficace qu'il permet une distribution des tâches entre les acteurs afin d'anticiper les différents écueils possibles.

• Le "plan de définition" est un dessin du produit répondant aux

besoins du client. C'est un plan d'ensemble de l'équipement et de ses composants. Il est produit par le bureau d'études sur la base du cahier des charges du client et de l'offre technique acceptée par le client (nous sommes ici dans une entreprise sous-traitante située sur un marché fonctionnant principalement sur des réponses à appels d'offres; la commande s'effectue sur la base d'une offre commerciale et technique; cette dernière n'est pas à proprement parler le résultat de la conception, ce n'est qu'une esquisse et peut être assimilée à un schéma de principe). Comme il propose la réponse technique de l'entreprise à un besoin du client, ce plan est peu renseigné: il ne contient que les parties techniques relatives au client. Ainsi, toute la

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partie interne de l'équipement, qui est celle où se situe le savoir-faire de l'entreprise, n'apparaît pas ou très peu.

Ce plan est à usage exclusif du client, les services de l'entreprise ne le voient pas. A travers lui, le client vérifie la justesse de la traduction effectuée par le fournisseur des besoins qu'il a exprimés. Il vérifie aussi la cohérence du produit proposé avec sa propre conception du sous-ensemble fonctionnel dans lequel celui-ci va entrer. C'est le support privilégié de la communication entre les bureaux d'études du donneur d'ordres et du sous-traitant. Il fait entre eux plusieurs allers-retours, avec des modifications apportées par l'une ou l'autre des parties concernées.

Ainsi, support des échanges techniques entre donneur d'ordres et sous-traitant, cet objet est au centre des coordinations inter-firmes. Il fait partie du document contractuel qui va les lier. Il est le support et le lieu où se concrétisent les compromis techniques entre les deux entreprises contractantes.

• Le "plan de fabrication" est le dessin du produit à destination du

bureau des méthodes. Ce document est un plan détaillé de chaque composant de l'équipement. Il est produit par le bureau d'études, à la suite du plan de définition. Il est beaucoup plus détaillé que ce dernier : la partie interne est totalement définie, tout est tolérancé, soit directement sur le dessin, soit à travers les références aux spécifications qualité présentes dans le cartouche.

Le premier rôle de ce dessin est de transmettre la définition de l'équipement au bureau des méthodes en vue de le fabriquer. Ainsi, à partir de ce document, les préparateurs construisent les gammes détaillées de fabrication et les plans d'opération pour chaque opération d'usinage.

Cependant, un second rôle lui a été assigné : il est sensé permettre le retour de la fabrication dans la conception. Au centre des discussions techniques entre le bureau d'études et le bureau des méthodes, il est utilisé au cours d'une revue de conception où l'industriel doit faire des remarques sur la conception, avant sa clôture définitive. Cette revue a lieu en fin de parcours, elle est donc, dans les faits, une réunion où le fabricant avalise la définition : "on sait faire / on ne sait pas faire". Ainsi, n'est-ce pas un moyen réellement efficace de retour de la fabrication dans la conception. A cela nous avançons plusieurs raisons :

- Il est utilisé trop tard dans le processus de développement. En effet, le client vient d'accepter la conception proposée par l'intermédiaire du "plan de définition". Pour pouvoir effectuer des modifications importantes sur la définition il faut, maintenant, l'accord du client, ce qui rend le processus de modification long et coûteux.

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- Le plan étant complètement terminé, le bureau d'études accepte mal de devoir en refaire une partie importante car cela devient aussi long que sa création initiale.

Ainsi, ces deux facteurs s'ajoutant, les préparateurs et les fabricants ne font que des remarques et des demandes de modifications qui ont des chances d'être acceptées et celles-ci ne concernent que des points de détail.

Le plan de fabrication, au centre des relations techniques entre le bureau d'études et le bureau des méthodes, influe donc sur le type de communication qui s'instaure entre les deux services tant sur la forme que sur le contenu des échanges.

22 ... à leur rôle dans le processus de conception. • Les objets intermédiaires, aussi techniques que puissent l'être des

dessins ou des modélisations, ont donc un rôle de communication très important au sein du processus de conception. Non seulement comme support d'information mais aussi, et surtout, comme instrument de coordination entre les acteurs. Nous parlons de "nature hybride" [Jeantet et al., 1994] de l'objet intermédiaire de la conception : il est à la fois modélisation de la réalité et instrument de coordination ou de coopération, et ces deux aspects sont indissociables.

Il est modélisation de la réalité comme modèle de représentation du futur produit. Cette représentation est contextualisée, elle évolue avec la connaissance croissante relative au projet. L'objet est aussi le représentant du processus de sa construction : il est le porte-parole de son (ou ses) producteur(s). Son rapport à la matière s'intègre dans une double temporalité : il représente le futur produit et, en même temps, le processus dont il est le résultat.

Il est instrument de coordination ou de coopération des acteurs de la conception. Plusieurs personnes vont s'en saisir et l'utiliser : l'objet diminue alors le champ de leurs divergences. Et même s'ils divergent, c'est à partir de "cet" objet-là qu'ils le font. Les objets intermédiaires sont au centre des nombreux échanges qui ont lieu durant la conception. Ils sont vecteurs de communication entre les services d'une même entreprise, dans les relations inter-métiers, mais aussi entre plusieurs entreprises dans les relations inter-firmes.

• Nous renforçons cette vision hybride de la nature de l'objet

intermédiaire en avançant l'hypothèse supplémentaire que ces deux aspects se renforcent l'un l'autre. Autrement dit, si un objet a un fort rapport à la matière, s'il est une modélisation pour résoudre des

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problèmes techniques, son efficacité comme vecteur de coordination et de communication est renforcée parce qu'il est directement relatif au contenu même de l'activité de conception en cours. Et cela, qu'il soit matériel, virtuel, prototype, dessin ou texte. Cependant, il ne faut pas croire que la représentation doive toujours être la plus juste possible, la plus proche possible des connaissances acquises sur le futur produit. La "fiche d'instruction technique", le plan "esquisse" présenté précédemment reste le référentiel commun à tous les acteurs du comité de pilotage du projet tout au long du développement. Alors que la définition du produit peut s'éloigner peu à peu de celle de l'esquisse au cours des différentes modifications, ce plan reste, quand même, le document auquel se réfèrent les acteurs du projet pour avoir une image de l'équipement tout au long du processus. Ceci nous montre qu'il faut définir le niveau de précision à apporter, dans chaque type de coordination, afin qu'elle soit la plus optimale possible. Un objet trop "loin" de la réalité ne peut pas permettre une bonne coordination autour des détails. Inversement, il n'est pas indispensable que l'objet situé au centre d'échanges sur la forme globale du produit, contienne toute la connaissance, mise à jour, sur le projet. Ainsi, la cohérence entre le niveau de représentation du produit et la forme de coordination semble être un point important dans le rôle de l'objet comme instrument de communication et de coordination.

• Il doit relever d'un modèle de référence partagé. Ainsi, dans

l'entreprise dont nous parlons, en même temps que le plan "esquisse", est distribuée une "fiche d'instruction commerciale" qui présente, sous forme textuelle, les données économiques et commerciales liées au futur produit. "Ce document ne nous parle pas " nous a dit un intervenant de la conception, et il ne sert quasiment à rien dans l'avancement du projet. Cet exemple souligne le rôle important du modèle de référence (nous pourrions aussi parler de "monde" au sens de Becker [Becker, 1988] qui est caractérisé par des conventions de communication) sur lequel est fondé l'objet. La "fiche d'instruction commerciale" s'appuie sur le modèle économique pour représenter le produit. Or ce modèle n'est pas familier à tous les acteurs du projet. En revanche, la "fiche d'instruction technique", largement utilisée au cours du processus, s'appuie sur le formalisme du dessin technique commun à tous.

Le modèle sur lequel s'appuie l'objet influence la forme des coordinations dont il est le centre. Nous voyons donc l'importance de mettre en place l'objet dans les "mondes communs" à tous les acteurs qu'il doit coordonner : Susan STAR parle à ce propos d'objets frontières [STAR89]. Sinon, on court le risque de le voir échouer dans son rôle de vecteur de communication mais aussi dans son rapport au contenu.

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La représentation du futur produit n'est efficace que si elle peut être transmise à d'autres acteurs, permettre qu'ils s'en saisissent et créer, ainsi, de la coordination. Un exemple d'objets inefficace dans ce contexte est le modèle numérique par "éléments finis" qui n'est un instrument de coopération que pour les experts. Le résultat de calculs par éléments finis n'est un vecteur de coordination dans un projet que de manière prescriptive à moins que les experts n'en effectuent une traduction permettant de le transmettre aux autres intervenants. Mais cette traduction peut s'accompagner d'une perte de connaissance et se réduire à : "la structure tient / la structure ne tient pas".

• En bref, notre hypothèse suppose à première vue l'existence d'un

"monde commun" ou d'un langage commun à tous les acteurs de la conception. Mais existe-t-il ? Comment peut-on le repérer? N'est-on pas plutôt le plus souvent en présence d'un système dans lequel se confrontent différents points de vue ? Mais que devient alors notre hypothèse ? Est-elle invalidée ? Sinon comment ? Nous n'avons pas encore de réponse formelle à apporter à ces interrogations qui constituent pour la recherche une des pistes nouvelles ouvertes par la vision hybride de la nature de l'objet intermédiaire.

3 Caractériser les objets intermédiaires dans l'action. Nous venons de décrire comment et pourquoi nous pouvons voir

l'objet intermédiaire comme étant de nature hybride, à la fois rapport à la matière et vecteur de coopération ou de coordination. Cette nouvelle vision nous permet d'introduire différents axes pour caractériser ces objets en interaction dans le processus même de la conception.

31 Axes de caractérisation. • Comme instrument de coordination des acteurs, l'objet

intermédiaire en interaction peut être étudié à travers un axe [Vinck et al., 1995]:

objet commissionnaire <--------------------> objet médiateur. Un objet commissionnaire est un objet transparent qui ne fait que

transmettre une intention, une idée. Il ne modifie en rien l'idée ou l'intention de son producteur.

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En revanche, l'objet médiateur, modifie l'idée, l'intention initiale, de par son existence et son utilisation comme support de transmission. Une idée exprimée par oral n'est déjà plus la même à l'écrit, et encore moins sous forme de plan ou de maquette. Ici, l'objet s'interpose entre l'idée (comme représentation mentale chez son émetteur) et son usage (comme information ou action chez son récepteur) : il est médiateur.

Mais pas plus qu'un objet totalement transparent, n'existe d'objet totalement médiateur. Il n'y a pas d'objet intermédiaire de la conception que ne transporte une ou des intention(s), sinon le type de produit final serait totalement aléatoire ! Ainsi, nous formons un axe dont les extrémités peuvent être vues comme des limites ou des tendances de l'action des différents agents.

Nous pouvons aussi définir les termes "commissionnaire" et "médiateur" à partir des interactions entre le produit et ses utilisateurs : dans sa situation d'action. L'acteur utilisant un objet commissionnaire est en interaction, à travers l'objet, avec les intentions, les idées du producteur de l'objet même si elles sont quelque peu déformées. En revanche l'utilisateur d'un objet médiateur est en interaction avec l'objet lui même. Dans cette situation, l'objet devient "acteur". Il médiatise, au moins partiellement, le processus de conception antérieur. Représentant une partie de la conception, il fonctionne cependant "par lui-même" et agit comme un acteur à part entière.

Ainsi, nous supposons que des outils ou des objets bien choisis peuvent se placer sur cette "échelle" dans la position que l'on désire, mais sans garantir que l'objet va fonctionner à cette place. Une instance de contrôle voulant maîtriser le plus possible son processus de conception tentera de placer les objets vers le premier cas. Un créatif aura plutôt des objets qui seront placés vers le second. Le grand problème, actuellement, est de concevoir des objets qui permettent la création tout en ayant un minimum de directivité de la part de l'instance de contrôle.

• Cependant, cet axe ne suffit pas pour caractériser le plus

finement possible les objets en interaction. Nous avons donc créé une seconde direction :

Objet ouvert <--------------------> Objet fermé La notion d'ouverture est liée à un objet laissant à l'utilisateur une

marge de manoeuvre au sein de laquelle il peut plus ou moins diverger. En revanche, un objet fermé diminue et tend à faire disparaître cette marge de manoeuvre. L'objet ouvert incite à un travail d'interprétation, tandis que l'objet fermé transmet une prescription.

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Le "plan de fabrication" rencontré précédemment est un objet fermé. Totalement fini, il ne permet que très peu de modifications. Restons un instant sur cet exemple. Ce plan doit permettre le retour de la fabrication dans la conception. Or, comme nous venons de le voir, il ne permet que très peu de modifications à cause de sa complétude : les modifications entraînent un travail quasi aussi important que sa création, de plus certaines sont assujetties à l'approbation du client. Il est enfin d'autant plus fermé qu'il n'est pas hypothétique, qu'une seule version y est présentée, sans alternative. La mise en place de variantes sur un dessin avec le même niveau de détails pourrait le rendre plus ouvert, mais cela rendrait plus fastidieuse la création de tels objets.

Ainsi, cet objet, trop fermé pour jouer un rôle d'intégration de la fabrication dans la conception, ne permet qu'une "avalisation" par l'industriel de la définition du produit. Il ne laisse pas assez de marge de manoeuvre à son utilisateur, contrairement à l'esquisse contenue dans la "fiche d'instruction technique". Alors que la coordination doit se faire dans une perspective d'intégration et de coopération, les relations entre le bureau d'études et le bureau des méthodes restent prescriptives.

Il nous faut insister sur le fait que nous venons de caractériser l'objet en interaction, c'est-à-dire l'objet dans sa situation d'action. En effet, nous pouvons imaginer qu'un même objet, paraissant fermé dans un dispositif organisationnel, peut être plus ou moins ouvert dans un tout autre dispositif.

32 Hypothèses de fonctionnement de ces axes. • Le type de l'objet influe sur le contenu et la forme que peut

prendre la communication entre deux services ou deux acteurs de la conception. La coordination peut être riche ou pauvre, prescriptive ou non suivant le modèle sur lequel il est composé, sa forme lui conférant par ailleurs un caractère plus ou moins ouvert. Pour une meilleure intégration de la conception dans l'entreprise dont nous avons parlé, nous pourrions imaginer des objets plus ouverts et situés plus en amont dans le processus . C'est pourquoi nous émettons l'hypothèse suivante : Afin de permettre l'intégration des différents points de vue métiers, liés à la vie du produit, l'objet doit être le plus ouvert possible.

• Pour cela, cette notion de clôture de l'objet doit être mise en

perspective avec la situation de l'objet dans le processus de conception. En d'autres termes, il nous paraît intéressant de faire un

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lien entre la position de l'objet sur l'axe ouvert / fermé et la phase dans laquelle il est utilisé. En effet, Midler définit trois temps dans un projet automobile [ECOSIP, 1993; Midler 1993]. Nous les étendons à tous les type de projet en précisant que ces temps seront plus ou moins distincts suivant les cas et les secteurs d'activités :

- un premier temps pour rechercher, dans toutes les directions, les solutions envisageables. Il y faut une maîtrise peu contraignante de la part de l'instance de contrôle. C'est une "phase de dispersion".

- un second temps pour figer le produit. Ici les choix de solutions doivent être faits et de façon ne permettant pas d'équivoque. C'est la "phase de fixation"

- enfin, un temps pour réaliser le plus rapidement possible la solution choisie. C'est la "phase de réalisation".

Pour compléter l'hypothèse précédente, nous supposons l'existence d'un lien entre la plus ou moins grande ouverture des objets et leur place dans le processus de conception. En effet, un objet ouvert permet une dispersion importante tandis qu'un objet fermé entraîne une convergence rapide des acteurs vers le produit final.

33 Conclusion Ces exemples et ce développement nous montrent que même les

plans, objets de type technique, ne contenant à première vue que de la technique, sont en eux-mêmes vecteurs de communication et de coordination. C'est ce que nous entendons quand nous parlons de la nature hybride de l'objet intermédiaire de conception. La coordination dont ils participent peut être prescriptive ou non, riche ou pauvre, selon le contenu et la forme de l'objet.

Pour réaliser l'objectif de concevoir des outils producteurs d'objets intermédiaires adéquats à un environnement de conception intégrée, objectif que poursuit le laboratoire "Sols, Solides, Structures", nous ne pouvons pas penser les objets uniquement dans leur rapport à la matière ou au produit. Nous devons les construire en les considérant comme, indissociablement, modélisation de la matière et vecteurs de communication entre acteurs. Cette vision devient d'autant plus vitale pour la mise en place de la conception intégrée que celle-ci s'accompagne de changements organisationnels qui le plus souvent se traduisent par un rapprochement des différents acteurs métiers. Par ce regroupement d'experts d'origines diverses, les problèmes de communication et de coopération présents dans la conception prennent toute leur ampleur.

En résumé, afin de mieux caractériser l'objet dans sa nature hybride, nous avons défini des concepts associés : commissionnaire-

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médiateur suivant la transparence ou l'opacité de l'objet, ouvert-fermé suivant la marge de manoeuvre laissée à son utilisateur par l'objet et son environnement organisationnel. Nous avons montré, à travers quelques exemples la capacité de ces concepts à décrire et expliciter les situations de conception rencontrées.

4 Lire le processus de conception à travers les objets

intermédiaires. Le concept d'objet intermédiaire est un moyen efficace de lecture

de l'activité réelle de conception. Il permet, de par sa nature hybride, de voir simultanément le contenu de la conception et sa dynamique organisationnelle, ce qui n'est pas le cas des approches globales ne s'intéressant qu'aux aspects organisationnels [ECOSIP, 1993]. Nous allons illustrer ceci à travers une comparaison de deux systèmes de conception rencontrés au cours de notre étude :

- dans une unité de câblage d'une grande entreprise du secteur spatial

- dans une unité d'équipements de garage d'une entreprise du secteur de l'outillage.

41 Des organisations coopératives identiques. • La première unité, d'environ 50 personnes, conçoit et fabrique les

câblages pour lanceurs de satellites. Ce sont des produits de petites séries évolutives : aucun câblage n'est rigoureusement l'identique du précédent. De plus, dans les premiers temps d'un lanceur, les écarts entre deux versions de câbles peuvent atteindre 50 %. Dans le cadre du développement d'un nouveau lanceur, une nouvelle organisation de la conception a été initiée. La première action a été de créer une équipe projet constituée de tous les acteurs de la conception : bureau d'études, bureau des méthodes, achats, ordonnancement, contrôle, qualité et fabrication. Tous ces experts sont d'origines diverses et dépendent de différentes hiérarchies, ce qui a entraîné au début de nombreuses tensions qui se sont atténuées par la suite. Les représentants des différents métiers ont été regroupés dans un même lieu avec la création d'un plateau projet. Ce plateau est situé à côté de l'atelier afin de permettre une meilleure intégration de la fabrication dans la conception par le simple rapprochement des acteurs. Ainsi, les concepteurs, l'acheteur, le gestionnaire sont maintenant en relation directe avec la vie de l'atelier, ce qui permet un recentrage vers le produit et un retour, plus ou moins important, de

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la fabrication dans la conception, tout d'abord par le simple contact quotidien, puis petit à petit par la participation à la vie de l'atelier.

• L'unité de l'entreprise d'outillage conçoit, fabrique et

commercialise des équipements de garage : analyseurs de gaz, équilibreuses de roues Son effectif est d'environ 70 personnes dont une quinzaine liée au développement des nouveaux produits. Le chiffre d'affaires stagnant depuis quelques années, il a été décidé d'opérer un changement organisationnel de la conception afin de rendre celle-ci plus rapide et plus innovante. Tous les acteurs de la conception sont regroupés sur un lieu unique. Cette unicité de lieu est accentuée par la pièce centrale où tout le monde est obligé de passer au moins une fois par jour. De plus, tous les bureaux sont regroupés dans un même espace : les parois entre eux sont transparentes et ne vont pas jusqu'au plafond. Ainsi, les concepteurs ont-ils le sentiment qu'ils sont tous dans une même salle. En plus de ce plateau projet, des équipes de projet sont constituées pour chaque nouveau produit en développement. Ces produits sont conçus en parallèle. Enfin, le centrage des esprits sur le produit s'effectue par l'intermédiaire du prototype présent au centre du lieu commun.

• Ainsi, ces deux entreprises ont mis en place le même dispositif

organisationnel basé sur : - une équipe projet constituée de tous les acteurs métiers, - un plateau projet permettant un rapprochement physique des

acteurs, - un centrage sur le produit par sa mise en présence dans

l'équipe projet . Ce dispositif organisationnel semble assez répandu dans les

entreprises voulant mettre en place la conception coopérante. Il nous paraît donc intéressant de le détailler davantage.

La concourance est produite par les rapports informels qui se mettent en place plus facilement avec la proximité spatiale. Le contenu de ces relations est plus ou moins formalisé suivant le cadre réglementaire accompagnant ce dispositif. Le principe des plateaux projet est de laisser aux acteurs l'initiative de réagir sur la conception en cours. Ainsi, l'intervenant métier juge par lui même le moment opportun pour effectuer ses remarques, ses suggestions. Ce jugement est basé sur le niveau des connaissances acquises sur le projet et sur la pertinence de son expertise dans son domaine. La richesse des relations informelles qui se tissent dans un côtoiement quotidien permet une mise à jour continue des connaissances sur le projet afin de pouvoir systématiser le parallélisme du travail.

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Le dispositif organisationnel commun au deux entreprises s'appuie

en outre sur le recentrage vers le produit qui doit permettre une convergence plus rapide des différents points vue métiers des experts en présence. A défaut du produit final, absent par définition puisqu'il est en cours de conception, seuls jusqu'à maintenant un prototype ou le produit le plus proche en cours de fabrication permettent d'instaurer cette présence du produit à l'esprit des concepteurs. Mais nous pouvons imaginer d'autres modalités de recentrage de la conception vers le produit matériel. Si nous utilisons la théorie des réseaux [M. Callon, 1986] pour traduire le rôle du produit dans la coordination des équipes de conception, nous pouvons faire un parallèle avec le protocole dans les réseaux scientifiques, et l'illustrer par le schéma suivant utilisé par D. Vinck dans [D. Vinck, 1992]. Le produit comme le protocole, permettrait de mettre en place le processus d'intéressement et de donner une direction plus précise à la conception.

Présence du produitSans le produit

Figure 1 : Le réseau avant et après sa mise en face du produit.

Ainsi, dans une vision globale de type managérial, les deux

entreprises sont au même niveau d'intégration de la conception, mais si on entre au coeur du processus à l'aide des objets intermédiaires créés, saisis et utilisés par les acteurs, nous nous apercevons que cette similitude peut être remise en cause.

42 Des différences de processus dévoilées par les objets

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Pour dévoiler ces différences, regardons les types d'objets présents

dans les relations entre le bureau d'études et le bureau des méthodes de chaque entreprise. Dans un processus classique où la linéarité est présente, cette relation est prescriptive. Elle est illustrée par l'entreprise d'équipements technique pour l'aéronautique présentée ci-dessus, dans laquelle le bureau des méthodes ne peut faire remonter ses remarques que tardivement et que sur des détails, la conception étant finie dans son ensemble. Or dans un processus intégré, il devient indispensable de diminuer le caractère prescriptif et tardif de ces relations. Dans ce cadre, l'étude des objets participant à ces interactions doit nous permettre d'avoir une bonne approximation du niveau d'intégration du processus décrit.

• Dans l'unité de câblage, l'objet support de ces échanges est une

liasse de trois documents appelée "Document de Synthèse" (que nous abrégerons dans la suite du texte par "D.S.") :

-un plan filaire qui définit les connexions fil à fil du câble, -un plan image qui décrit la morphologie du câble, -une nomenclature très détaillée des différentes pièces de

connectique et des fils utilisés. Nous devons ici signaler un fait remarquable : un changement

d'objet a déjà été effectué après la mise en place du nouveau dispositif organisationnel. Nous sommes passés de deux liasses de définition (une pour les études et une autre pour la fabrication), à une seule. De plus, cette nouvelle liasse a été enrichie par des plans plus lisibles que les nomenclatures. La nouvelle organisation a eu un effet sur la nature et la forme des objets utilisés.

Cet ensemble de documents définit complètement le câble. Il est d'ailleurs, une fois finalisé, le support utilisé dans l'atelier afin de fabriquer le câble. Ce sont des documents informatiques accessibles sur le système d'information de l'entreprise. Cependant c'est une version papier qui est utilisée dans les relations devant permettre les retours de la fabrication dans la conception. La définition du câble terminée, une version est diffusée au bureau des méthodes, à partir de laquelle, il effectue ses remarques et ses suggestions de modifications. Celles-ci sont directement notées en rouge sur les documents, ce qui permet leur matérialisation. Une rencontre entre le dessinateur et le préparateur méthode est ensuite organisée afin de permettre un compromis entre les modifications qui seront effectivement faites et celles qui ne le seront pas.

Nous ferons ici le même type de réflexion que celles déjà

effectuées avec le "plan de fabrication" de l'entreprise

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d'équipements techniques pour l'aéronautique dont le processus d'utilisation est sensiblement identique à celui du "D.S.".

La première remarque est sur la nature même de l'objet qui, de par sa complétude, demande un travail d'analyse long et fastidieux (surtout en ce qui concerne la nomenclature).

La seconde est liée au processus d'utilisation, une évaluation, qui oblige la complétude des documents.

Ces deux facteurs entraînent la fermeture de l'objet car limitent fortement les possibilités de modifications du produit venant de la fabrication. L'objet étant trop défini, le bureau d'études consacre beaucoup de temps à le produire et en consacrerait presqu'autant à le modifier s'il prenait en compte toutes les remarques venant de la fabrication. Ainsi, seules les modifications importantes, du point de vue du concepteur, sont prises en compte. Cela se traduit, par exemple, par des modifications liées à la connectique mais jamais à la définition des fils. Or, cette nomenclature servant d'outil pour l'approvisionnement, l'atelier peut être aussi bloqué par une mauvaise référence sur le connecteur que par un manque de fil.

Alors qu'il devrait permettre un retour de la fabrication dans la conception, l'objet au centre des relations entre le bureau d'études et le bureau des méthodes, n'instaure, en fait, qu'une relation prescriptive. Basé sur une logique d'analyse, le bureau d'études fait d'abord la conception complète qui est ensuite avalisée, vérifiée par les intervenants des phases aval. Cet objet ne permet pas l'intégration souhaitée.

• Dans l'entreprise d'outillage, les relations entre le bureau d'études

et le bureau des méthodes se font autour du prototype placé au centre du plateau projet mais aussi avec un second type d'objets plus classiques que sont les plans.

Mais ces plans au centre des relations Etudes / Fabrication sont d'un caractère particulier. En effet, ils sont flous ou incomplets. Il seront complétés par le bureau des méthodes suivant son point de vue avec évidemment des indications partielles des concepteurs à prendre en compte. De plus, certains plans sont faits dans leur intégralité par la fabrication. Ce sont, essentiellement, les plans de câblage qui sont produits par l'atelier suivant leurs contraintes propres. Ici, nous ne sommes pas en présence de la remontée de la fabrication vers la conception sous forme d'évaluation, mais plutôt de l'évolution inverse : un transfert de la conception vers l'atelier. Ainsi, l'intégration se fait directement par une participation commune, concepteurs - fabricants, dans la définition du produit.

Cependant, comme nous a dit un responsable de projet, "le plan est seulement le support des remarques, le travail se fait en 3D sur les prototypes". Ces derniers paraissent être vraiment l'outil de travail en

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commun des différents acteurs métiers que ce soient les concepteurs, les fabricants, les commerciaux ou le service après vente. Ils sont de plusieurs types suivant l'avancement du projet :

- La maquette initiale qui permet de valider l'apparence extérieure, les choix de design. Elle fait réagir le designer, le bureau d'études, le marketing, le commercial et de façon plus limitée le service après vente. Elle est présente dans une première phase de la conception où la fabrication ne peut pas encore, faute de connaissances assez précises, intervenir.

- Le prototype fonctionnel qui permet essentiellement de valider les choix technologiques et d'effectuer des essais sur les fonctions. Il se situe au coeur de la conception et c'est lui qui est au centre des interactions entre les différents métiers de l'équipe projet. Les pièces qui le composent sont fabriquées à partir des plans établis par l'atelier comme s'il s'agissait du produit final. C'est ce dernier point qui permet l'intégration de la fabrication dans la conception. Dans un premier temps le concepteur définit les différents composants de l'appareil à partir d'une analyse fonctionnelle. Ensuite, l'atelier construit ces composants. Durant cette fabrication, il fait remonter au concepteur toutes ses remarques, en particulier celles qui sont liées aux difficultés rencontrées. Ce dernier les prend en compte immédiatement et une négociation pour parvenir à un compromis s'instaure.

La construction commune du prototype est, en fait, la matérialisation des compromis. De plus, comme il est situé au centre de la pièce commune, tous les acteurs le voient évoluer et dès qu'ils soupçonnent une difficulté liée à leur métier, ils en font part au concepteur qui peut, dès lors, en tenir compte. Ainsi, certaines difficultés de montage sont décelées dès les premiers temps de la conception, ce qui est très rarement le cas dans un processus classique.

La conception, ici, peut être qualifiée de conception coopérante.

Les relations entre les deux services sont très peu prescriptives même s'il reste une linéarité qui nous apparaît sans doute inévitable car elle est fondée sur des enchaînements logiques liés à la définition progressive du produit.

• Cette description détaillée à l'aide des objets intermédiaires,

nous permet de faire apparaître des différences importantes entre deux organisations de conception qui, à première vue, semblaient sensiblement identiques. Le premier site, malgré la mise en place d'un dispositif organisationnel tendant vers la conception coopérante, a encore des relations prescriptives et une forte séquentialité métier. Tandis que, la seconde entreprise semble avoir réussi à mettre en

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place un système de conception coopérante dans laquelle la séquentialité toujours présente est liée à la définition progressive du produit à laquelle tous les métiers participent.

Cependant, il faut voir que ce faible niveau d'intégration dans la

première entreprise n'est dû qu'en partie à l'utilisation d'objets qui ne sont pas appropriés à l'intégration. Elle provient aussi de l'environnement socio-économique des équipes de conception. En effet, nous venons d'effectuer une comparaison entre deux entreprises qui ne sont pas totalement identiques tant sur le plan de la culture d'entreprise (l'une est sur un marché qui devient concurrentiel tandis que l'autre y est confrontée depuis sa création) que sur le plan du secteur d'activités (l'une est liée au secteur spatial avec toutes les procédures qui l'accompagnent, l'autre se situe dans un secteur beaucoup moins procédurier). Nous pouvons aussi voir des différences entre les deux organisations formelles. Dans l'entreprise d'outillage, tous les intervenants de la conception dépendent de la même hiérarchie : le responsable du site. En revanche, dans l'unité de câblage, vu la taille du site, tous les acteurs sont rattachés à différentes hiérarchies métier qu'il faut prendre en compte. Le travail pour intégrer la conception dans cette entreprise sera plus long et plus difficile que dans d'autres environnements.

Ceci nous amène à soulever un point important dans l'étude des processus de conception, à savoir la prise en compte de l'environnement socio-économique de l'équipe de conception. C'est ici que la puissance d'une approche globalisante telle que celle des gestionnaires prend toute son ampleur. En effet, elle permet de faire une bonne "photographie" de la situation de conception. Une approche comme celle développée par Midler dans [ECOSIP, 1993], permet cette mise en situation [Mer, 1994]. De plus, ceci nous permet de nous questionner sur la pertinence d'un modèle générique de la conception intégrée. Ne devrait-on pas penser la conception intégrée comme la mise en place de la conception coopérante adaptée à un secteur d'activité précis ? N'y aura-t-il pas un type de processus de conception adapté à un secteur donné et non un modèle valable pour tous ? Mais dans ce contexte, quelle forme doivent prendre les outils de la conception, un des objectifs du laboratoire 3S, pour qu'ils puissent être transportables ?

En résumé nous venons d'illustrer la puissance du concept d'"objets

intermédiaires" comme analyseur du processus de conception. Pour cela, il faut voir ces objets dans leur nature hybride de rapport au contenu et vecteur de coordination. Ils permettent, alors d'entrer au coeur de la conception en restant le plus neutre possible. Les étudier à travers leur production et leur utilisation, nous permet d'avoir le lien

Page 19: Conception et interaction

entre le contenu de la conception et ses aspects organisationnels, sociologiques et communicatifs. Nous faisons donc l'hypothèse que les objets intermédiaires parlent de la conception, ils sont significatifs du processus de conception sans séparer son organisation de son contenu.

Ces considérations sont particulièrement utiles lorsque s'opère le passage d'une organisation fondée sur la coordination des tâches à un dispositif de travail fondé sur la coopération des compétences : comment opérer cette mutation sans l'évolution, voire la mutation, des objets intermédiaires de la conception ? Derrière cette question il y a une hypothèse lourde. Ne peut-on se demander, en effet, si le dessin industriel, par exemple, ne serait pas lié, au delà de ses conventions de codification technique dont la puissance et l'économie ne sont plus à démontrer, à un système de conventions plus global, celui dans lequel s'origine une organisation industrielle fondée sur la séparation des fonctions et l'importance de la prescription ? En d'autres termes, ce type d'objet est-il apte à entrer dans un autre cadre de travail et à quelles conditions ? Ou bien quels autres types de codifications ou de modélisation faut-il imaginer ? Si l'on voit le passage de la conception linéaire à la conception intégrée ou coopérante comme le passage de la coordination des tâches à la coopération des compétences, alors quelle est la forme adéquate des objets à construire ? Quelle nouvelle place peut prendre le dessin ? Nous sommes ici au fond de nos questions actuelles sur les objets et ne pouvons avoir une réponse affirmative à la première question avant d'avoir répondu aux suivantes.

5 Conclusions Nous avons montré que les objets intermédiaires de la conception

qu'ils soient matériels ou immatériels sont de nature hybride, c'est-à-dire qu'ils sont, à la fois, modélisation de la réalité et vecteur de communication.

De plus, cette nouvelle vision de l'objet nous permet une entrée

neutre au coeur de l'acte de concevoir, ce que nous avons illustré par une description de deux systèmes de conception apparaissant, avec une vue globale, sensiblement identiques mais qui s'avèrent assez différents après une étude détaillée basée sur les objets.

Avec ce nouveau regard sur l'objet, nous pouvons faire les

conclusions suivantes:

Page 20: Conception et interaction

• Pour constituer un bon vecteur de coopération, l'objet intermédiaire doit concerner le contenu même du futur produit. Plus ce rapport au contenu sera fort, plus l'efficacité de l'objet en tant qu'instrument de coopération sera grande. Ceci rejoint le problème de la pragmatique qui est d'introduire le référentiel au coeur de la communication.

• La nature, la forme, le contenu de l'objet influent sur la forme de la communication entre les acteurs de la conception. Ils peuvent aussi, plus ou moins, déterminer s'il y aura plutôt de la coordination ou de la coopération.

• En postulant que la conception intégrée est une forme de conception coopérante, on peut voir que les objets doivent être ouverts (autant que possible)pour l'atteindre. En d'autres termes, ils doivent laisser une marge de manoeuvre à leurs utilisateurs, mais aussi traduire une forte présence du futur produit afin d'être un moyen de coopération efficace. Cependant, la notion d'ouverture de l'objet doit être associée à l'objet en interaction, c'est-à-dire en action dans son environnement organisationnel, que ce soit dans sa production comme dans son utilisation. L'ouverture de l'objet ne se traduit pas seulement par son caractère non complet, flou mais aussi par sa capacité à susciter des variantes.

• Ainsi, nous ne pouvons plus penser séparément objets techniques et dispositifs d'action collective [Guffond J.L. et al., 1993]. Il nous faut penser comme un système complexe et unique le dispositif d'action collective et les objets techniques.

Enfin, le concept d'objet intermédiaire, dans une perspective de

développement d'outils permettant l'intégration des métiers dans la conception, permet de repositionner les questions sur le modèle adapté à une bonne représentation du produit. En effet, le formalisme de l'objet, en plus d'être une représentation significative de la réalité, doit aussi, dans le même temps permettre la coopération des différents métiers à faire intervenir dans la conception. Or, ces métiers ont tous un langage propre. Quel modèle doit-on utiliser ? lié à quel référentiel : économique, technique ? Le langage commun existe-t-il ? Probablement non. Donc, comment imaginer un modèle permettant d'avoir la globalité des points de vue ? En tout état de cause, le problème de la traduction se pose non seulement dans le passage d'un référentiel à un autre mais apparaît surtout dès que l'on veut intégrer un métier dans un autre.

Page 21: Conception et interaction

Bibliographie (Becker, 88) Les mondes de l'art. H. Becker, Flammarion. (Callon, 86) Eléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des

coquilles St Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de St Brieuc. M. Callon, in L'année Sociologique 1986.

(ECOSIP, 93) Pilotages de projet et Entreprises, Diversités et Convergences, ECOSIP,

Economica. (Guffond, Lecomte, 93) Conduite de Projet de Prévention Intégrée; la construction du

Synchrotron. J.L. Guffond, G. Lecomte, Plan construction et Architecture, Collection Recherches.

(Jeantet et al, 94) La coordination par les objets dans les équipes intégrées de conception

de produit. A. Jeantet, H. Tiger, D. Vinck, S. Tichkiewitch. Séminaire "coopération et conception" LAAS, Toulouse, 1er et 2 décembre 1994.

(Mer, 94) Processus de conception de produit : Expérimentation du concept "d'objet

intermédiaire" dans la conception. S. MER, Mémoire de DEA, Ecole National Supérieure de Génie Industriel, Grenoble.

(Midler, 93) L'auto qui n'existait pas. Management des projet et transformations de

l'entreprise. C. Midler, Inter-éditions. (Simon, 91) Sciences des systèmes. Sciences de l'artificiel. H.A. Simon, Dunod. (Star, 89) The structure of ill-structured solutions : Heterogeneous problem-solving,

boundary objects and distributed artificial intelligence. S. Star, in Huhns M., Gasser L. (eds), Distributed artificial intelligence, vol 2, San Mateo CA, Morgan Kaufman, pp37-54.

(Tichkiewitch et al, 93) Ingénierie Simultanée dans la conception de produits, S.

Tichkiewitch, H. Tiger, A. Jeantet, Universités d'été du pôle productique Rhône-Alpes. (Vinck, 92) Du laboratoire aux réseaux. Le travail scientifique en mutation. D. Vinck,

Office des Publications Officielles des communautés Européennes, Luxembourg. (Vinck, Jeantet, 95) Mediating and Commissionning Objects in the Sociotechnical

Process of Product Design : a conceptual approach. D. Vinck, A. Jeantet, COST Social Sciences Serie, CCE. (à paraître 1995)

(Zreik, Trousse, Eds, 95) Conception et organisation. K. Zreik, B. Trousse, Europ'IA.

Page 22: Conception et interaction

Modèles de conception : place de l’utilisateur.

Michel Tollenaere*, Jean Bigeon**, Eric Escande** * Laboratoire des Sols, Solides, Structures - URA CNRS 1511

Grenoble. Domaine Universitaire BP 53 38 041 Grenoble Cedex 9. ** Laboratoire d’Electrotechnique de Grenoble - INPG Grenoble

RESUME. Cet article présente, au travers de l’analyse d’expériences de mise au point de systèmes intelligents de conception, les besoins qu’il est nécessaire de prendre en compte dans les systèmes de conception du futur. Ces besoins sont analysés en considérant le point de vue de l’utilisateur dans une optique de conception intégrée et éventuellement innovante.

MOTS-CLES. Conception mécanique, électrotechnique, intelligence artificielle, supports de conception.

1. Introduction

La conception de nouveaux produits performants et la rapidité de leur mise sur le marché sont, outre la réduction des coûts et la maîtrise de la qualité, les enjeux majeurs de la compétition industrielle [Tichkiewitch, 94]. Or, l’accès lors de la conception à des produits plus performants nécessite d’élargir l’espace des solutions que le bureau d’études ou les équipes de concepteurs envisagent Le balayage d’un espace de solutions élargi, en des temps contraints par les délais de mise sur le marché, suggère la nécessité d’outils informatiques puissants qui soient de réels supports pour le travail du concepteur [Zhu, Lowther, 91]. Nous avons œuvré dans un passé récent à la mise au point de tels outils pour des lignes de produits bien particuliers : blocs forés hydrauliques, moteurs asynchrones, contacteurs

Page 23: Conception et interaction

électromécaniques, mécanismes… (voir [Tsang, 91] pour une revue des travaux français). Ces systèmes dédiés, nécessairement très spécifiques, manquent malheureusement d’évolutivité pour prendre en compte les mutations technologiques et l’adoption de nouvelles méthodes de calcul. De plus, l’accès des différents utilisateurs aux connaissances intégrées est rendu difficile par le manque d’interfaces génériques. Nous avons donc confronté nos expériences respectives pour tenter de mettre en lumière nos besoins pour concevoir des systèmes de conception avec comme objectif de définir un modèle informatique dont nos applications dédiées pourraient être des instances [Bigeon and al., 93].

Cet article présente succintement les applications que nous avons développées dans les domaines du génie électrique et du génie mécanique. Nous nous focaliserons en particulier sur les modèles de connaissances qui y ont été intégrés. Ces modèles ont été implantés sur des environnements de développement à base d’intelligence artificielle dont nos études ont montré les limites. Nous dégageons ensuite un ensemble de contraintes qu’il nous semble fondamental de prendre en considération pour les futurs systèmes de conception en terme de performances, d’interactivité avec les utilisateurs et d’évolutivité.

2. Quelques systèmes dédiés de conception

2.1. Mécabor

Ce système de conception de blocs forés hydrauliques (pendant en 3D des cartes électroniques pour l’hydraulique industrielle) a dans un premier temps été développé dans une optique de conception automatique, l’utilisateur saisissant un cahier des charges sous la forme d’un schéma hydraulique et de contraintes client, le système délivrant un produit géométriquement et technologiquement défini [Chambon, Tollenaere, 91]. La figure 1 montre un exemple de schéma hydraulique exploité en entrée pour la conception du bloc foré dont une solution fait l’objet de la figure 2. Le produit et son cahier des charges sont implantés sous forme d’objets en Le_LISP 15.2, les connaissances techniques étant mises en œuvre par l’intermédiaire de règles de production qui pour chaque type d’objets à concevoir présentent des conseils hiérarchisés de l’expert. Ces conseils sont exprimés par des prédicats symboliques de placement qui ont également été réifiés en vue d’être exploités par envoi de messages. Des démons permettent une propogation automatique de contraintes mises en place par les règles Devant la complexité des algorithmes de placement routage [Pimont,

Page 24: Conception et interaction

Tollenaere, 93] et l’inadaptation des solutions fréquemment proposées, une interface permettant à l’utilisateur de fixer à tous moments des contraintes symboliques de placement a été développée [Tollenaere, Chambon, 92]. Les contraintes fixés par l’utilisateur sont exploitées au même titre que les actions issues des règles de production avec un degré de préférence maximal.

A B

P T

T2 R

Pm

G F DE C AB

A B

P T

P P1 R1

30 bars

T1

LP

100 bars

EV4 EV3 EV1 EV2

FRCP

C2

EV6EV5

C1

A , D, G 3/8” gaz, C, E, F 1/2” gaz, B, T1, T2 3/4” gaz, P, P1 3/4” sae Figure 1 Exemple de schéma hydraulique

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C1

P1

P

LP

FR

C2

EV3 EV4

EV1 EV2

Figure 2 Le bloc foré résultat de la conception du schéma figure 1

Ce projet nous a permis de mettre en évidence la nécessité, très tôt dans son déroulement, de disposer d’une interface graphique pour évaluer les solutions fournies par le système. Ce projet a montré la pertinence et l’intérêt d’un développement en “objet”, pour modéliser le produit en évolution structurellement et fonctionnellement, les contraintes et processus de conception et classiquement les éléments de l’interface utilisateur (fenètres, boutons, menus). La mise en place d’un processus de conception s’apparentant à un parcours d’arbre en profondeur avec retours arrière éventuels nous a contraint à mémoriser une trace du raisonnement sans aller jusqu’à la gestion parallèle d’hypothèses multiples.

2.2. Damoclès

Le logiciel DaMoCLES a été développé au Laboratoire d’Electrotechnique de Grenoble dans le cadre d’un projet BRITE (2089-5-87) en collaboration avec, entre autres, l’entreprise ELORIAGA INDUSTRIA ELECTRICA SA de Bilbao, pour prédimensionner des machines asynchrones de forte puissance [Trichon, 91].

Les principaux objectifs qui ont guidé le développement de ce système sont d’une part que la maintenance des bases de connaissances, soit assurée par un expert du domaine, ici un ingénieur électrotechnicien, d’autre part que cet expert ne soit pas obligé d’être, aussi, un expert informaticien. La définition de la

Page 26: Conception et interaction

structure de la machine asynchrone, la définition des règles de calcul ainsi que la modification de ces règles doivent être accessibles à un utilisateur avant tout technologue. Au delà de la nécessité de développer des interfaces graphiques nécessairement conviviales, cette approche a une répercussion sur la structuration interne des données dans le système. Les points les plus importants à cet égard sont présentés ci dessous.

Les connaissances sont essentiellement exprimées au travers de règles d’expertise ; pour garantir l’évolution de cette connaissance, un même moule celui du “paramètre” a permis de l’unifier quelle que soit sa nature. Toutes les données étant représentées par des “paramètres”, la définition des règles d’expertise devient alors générique et facilement assimilable : une règle d’expertise s’appuie sur des paramètres d’entrée et calcule des paramètres de sortie. La définition d’un paramètre doit alors supporter les informations permettant le calcul de celui-ci, et son exploitation lors de l’affichage. La structure détaillée d’un paramètre dans le système DaMoCLES est décrite par la figure 3.

Page 27: Conception et interaction

is-interface-of

has-methods

depends-of

has-depends

Paramètre

Processus de raisonnementRelation avec l'objet méthode (inverse "a-pour-interface-d'entrée")Relation avec l'objet méthode (inverse "est-méthode-pour")

Relation mise à jour par l'intermédiaire de l'interface d'entrée et de l'interface de sortie des méthodes

Relation inverse de "dépend-de"

Légende

Propriété acceptant plusieurs valeurs prop Propriété devant être

introduite par l'utilisateur

Propriété relationnelle

Propriété acceptant des valeurs contextuelles

Symbols

external_name

system_units

expert_units

Communication utilisateurNoms donnés par les expertsNom usuel du paramètreUnité SI du paramètre

unité de l'expert suivie du facteur de conversion

default_value

parameter_of

valeur par défaut pour le dessinrelation "a pour composant"

Evaluation des solutionshas_dec_functions

min_val_param

max_val_param

Relation "a_pour_critère_ decroissant" reliant un paramètre à un critère selon une fonction d'évaluation strictement décroissante

valeur mini d'un paramètre pour toutes les hypothèsesvaleur maxi d'un paramètre

has_functions

has_inc_functions

Relation "a_pour_critère"

Relation "a_pour_critère_croissant" reliant un paramètre à un critère selon une fonction d'évaluation strictement décroissante

Type

definition_param

specified_value

ContrôleContient le type de la valeur (réel, entier, chaîne…) Domaine de

définition (intervalle ou ensemble de valeurs)

Valeur spécifiée par l'utilisateur

Trace et explicationsestimated_used Ces 4 propriétés

contiennent les noms des méthodes utilisées, méthode d'estimation, de calcul, de vérification ou d'optimisation.

Valeurs successives du paramètre lors de l'optimisation

computed_value

initial_value

computation_used

check_method_used

loop_method_used

accumulation_of_values

Valeur calculée du paramètre

Valeur initiale du paramètre

Figure 3. La définition du concept de paramètre dans DaMoCLES

La saisie des règles d’expertise est facilitée par le fait qu’elles manipulent des paramètres en entrée et en sortie : toute règle d’expertise traite des connaissances que l’expert a nécessairement définies sous la forme de paramètres. L’expert dispose donc de cette connaissance qu’il modifie suivant les formules qu’il associe à ces règles. Ce moule de “paramètres” permet à l’expert de décrire une

Page 28: Conception et interaction

quelconque structure et de lui associer des comportements à l’aide des règles d’expertise.

Lors de la définition d’une règle d’expertise, il est important que la saisie puisse se faire indépendemment de toutes les autres règles déjà existantes dans la base de connaissances, par un effet de myopie lors de la déclaration d’une règle. Cette myopie est indispensable en terme d’évolutivité de la base de règles. En effet, si l’on conçoit qu’un expert puisse se documenter sur les règles déjà présentes, il n’est pas concevable que celui-ci soit obligé, pour définir sa règle, de connaitre toutes celles existantes. Il n’est pas concevable non plus qu’il doive modifier celle-ci pour assurer la compatibilité avec les autres, en terme de conditions de déclenchement par exemple.

On conçoit aisément qu’une telle architecture où les règles sont nombreuses et travaillent sur un ensemble commun de paramètres, ne soit pas sans poser des problèmes, notament en termes de cohérence lors de la résolution d’un cahier des charges. En effet deux experts (donc deux règles d’expertise) peuvent être, suivant les démarches suivies par ces experts, temporairement contradictoires. Il faut alors des mécanismes et une organisation du raisonnement qui controlent la cohérence du déclenchement de ces règles. Cette difficulté lors de la résolution est incontournable, elle est liée à la volonté de faire coexister, au sein d’un même système, des expertises diverses. C’est un point délicat de la modélisation, mais surtout l’un des enjeux du système final, DaMoCLES.

Pour garantir un déroulement correct de la résolution, et considérant le point précédent, une stratégie globale de résolution a été définie en lui associant une stratégie spécifique (voir figure 4). La stratégie globale est indépendante des règles d’expertise, elle repose contextuellement sur l’existence et l’état des paramètres à calculer. La stratégie spécifique est assurée par un typage des règles d’expertise et un mécanisme de contrôle à priori et à posteriori du déclenchement des règles d’expertise. Le typage des règles d’expertise est un élément qui permet entre autres, de gérer la cohérence des valeurs affectées aux paramètres et la cohérence du déclenchement des régles d’expertise. Les types disponibles sont hiérarchisés par ordre décroissant de priorité, ce sont les règles d’optimisation, les règles de calcul, les règles de vérification et enfin les règles d’estimation qui, elles, permettent de générer de nouvelles hypothèses de résolution.

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non

non

non

non

non

non

oui

oui

oui

oui

oui

oui

non

non

non

non

non

non

ouinon

oui

oui

oui

oui

Changement de valeur d'un paramètre : • détermination d'une nouvelle valeur • modification d'une valeur

Op

timisa

tion

Ca

lcu

lV

érif

ica

tion

Estim

atio

n

Fin

Cycle

Générations d'hypothèses

Estimations

Simulations

Méthodes de calculs

Contraintes géométriques

Vérifications

Méthodes d'optimisation

Générations d'hypothèses

Estimations

Simulations

Méthodes de calculs

Contraintes géométriques

ouiVérifications

Méthodes d'optimisation

non

Stratégie globale

Stratégie spécifique

oui

oui

Figure 4. Les stratégies de résolution et de conception dans DaMoCLES

Pour terminer cette présentation du système DaMoCLES, il faut préciser que la structuration autour des concepts de paramètre et de règles permet au système de déclencher les règles d’expertise en fonction des données dont il dispose, étant entendu que le typage des règles et les stratégies assurent la cohérence du déroulement d’une session. Cette organisation nous permet donc d’avoir un système dont la résolution est dirigée par les données.

2.3. Cocase

Le système COCASE est un autre système expert réalisé au Laboratoire d’Electrotechnique de Grenoble, en collaboration avec la société TELEMECANIQUE. Ce système a été conçu afin de prédimensionner des contacteurs électromécaniques [Gentilhomme, 91]. Ses objectifs restent, à l’image du système précédent, toujours

Page 30: Conception et interaction

très tournés vers un utilisateur final non informaticien. Cependant, le modèle informatique mis en oeuvre a été modifié. Il diffère de DaMoCLES tant sur la représentation du produit à concevoir, ici le contacteur, que sur le plan de la connaissance déductive où une approche par “agents” a été développée.

Le produit à concevoir est modélisé en tirant les bénéfices de la technologie “objet”1 : héritage des propriétés et des comportements, déclaration des liens de composition entre les divers éléments du contacteur. Les règles d’expertise sont considérés comme des agents différents, travaillant sur des données communes. Cette approche nous a naturellement conduit vers une architecture et une modélisation du raisonnement de type “tableau noir”. Une “sur-couche” au logiciel SMECI a été développé de façon à mettre en oeuvre ce modèle “black-board” où chacune des règles d’expertise définie par l’expert est considérée comme un agent. Là encore, les agents sont hiérarchisées et classés de façon à intégrer, lors du déroulement d’une session, la cohérence du déclenchement des règles d’expertise.

Cette approche de modélisation, du produit sous forme d’objets et des règles d’expertise sous forme d’agents, a permis de mettre en évidence deux points particuliers du système. Le premier concerne la notion d’ “action”, qui représente le lien entre une même règle et les différents jeux d’instances sur lesquelles elle peut se déclencher. Ce concept permet de définir la notion d’objectifs contextuels qui modélise une partie de la stratégie de résolution. Il permet par ailleurs de minimiser le nombre de règles d’expertises, apportant par conséquent un confort pour le concepteur chargé de définir et de maintenir ces règles. Ce dernier point n’est valable que pour la définition de classes du produits comportant plusieurs instances, comme par exemple la classe des ressorts comportant le ressort de rappel et le ressort de pôles. Deuxièmement, les agents étant eux-même définis sous forme d’objets, on peut utiliser le modèle black-board pour définir de façon déclarative la stratégie de résolution. Celle-ci est alors définie sous forme d’objets contenus et disponibles dans le black-board. Ce nouveau niveau de représentation permet de définir des règles d’expertise travaillant dynamiquement sur la stratégie. Là encore, le modèle propose à l’utilisateur du système, non informaticien, un formalisme et un degré de généricité dans l’expression de sa connaissance.

Enfin, la gestion d’un arbre des états dans SMECI, comme c’était le cas dans DaMoCLES, permet de gérer des mondes en parallèle et donc d’envisager diverses variantes du produit à concevoir. Dans

1 l’outil informatique utilisé dans ce travail est SMECI de la société ILOG.

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chacune de ces branches, les données disponibles sont différentes, et l’utilisateur observe un déclenchement des règles d’expertise associé aux valeurs disponibles, donc un raisonnement différent. Cette souplesse de développement de diverses solutions de son problème est possible sans que l’utilisateur n’ait à se soucier lors de la saisie des règles d’expertise, de la gestion de ces mondes multiples. Une interface graphique minimale a été développée permettant à un ingénieur du domaine de l’électrotechnique de définir et de faire évoluer sa connaissance de manière autonome.

2.4. SygMoPro

Ce système en cours de développement vise à permettre une aide pour la conception de mécanismes [Rieu and al., 94]. Contrairement aux applications précédentes, notre démarche ne vise pas la conception automatique, mais au contraire un support à la conception innovante et intégrée. La conception innovante fait bien entendu appel aux capacités de créativité de l’utilisateur, le système informatique lui apportant une modélisation explicite des fonctions du cahier des charges et le lien de ces fonctions avec les éléments structurels qui constituent progressivement la “solution” du problème. Les fonctions et les structures sont exprimées sur la figure 5 respectivement sur un axe vertical et horizontal. Le modèle comporte donc d’une part des capacités pour gérer des objets évolutifs [Tollenaere and al., 94], tels qu’une liaison mécanique qui se matérialise petit à petit comme décrit sur la figure 6. La réutilisation d’éléments fonctionnels constitue une des capacités du système, ouvrant la voie à des requètes analogiques, qui constituent une des primitives nécessaires à la conception innovante.

Page 32: Conception et interaction

pt1 pt2 pt1

Lia. rotule pt1 cyl2/pl_0

Lia. annulaire (pt2 axe1) cyl2/pl_0

Liaison pivot axe1 cyl_2/plan_0

Liaison arbre/carter

compresseur

Carter

cyl_2 plan_0axe_1 axe_1

Arbre BielleEvolution de la conception

pt2

pt1

plan_0

Axe_1

Figure 5. Modèle structurel et fonctionnel d’un compresseur dans SyGMoPro

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Liaison lin. annulaire

Liaison rotule

Liaison mécanique

Liaison pivot

Liaison cyl_2/plan_0

Evolution de la

conception

solide 1 : plan_0 solide 2 : cyl2

Liaison composée en //

Classe

Instance

Lien d'héritage

Lien d'instanciation

Liaison cyl_2/plan_0 solide 1 : plan_0 solide 2 : cyl2

Liaison annulaire cyl_2/plan_0

Liaison rotule cyl_2/plan_0

Figure 6. Evolution de la représentation d’une liaison mécanique dans SyGMoPro

Un support pour la conception intégrée requiert une modélisation explicite du cycle de vie du produit, en particulier des étapes de fabrication, assemblage, maintenance et recyclage. Cette modélisation vise à tracer les hypothèses de travail que le concepteur a utilisées au cours de son processus de conception : le concepteur a effectué des choix de technologie de fabrication, de direction et de gamme d’assemblage, d’éléments technologiques en vue de la maintenance… que le support informatique mémorise dans le même formalisme que pour l’expresion des fonctions d’usage du produit.

Ce modèle se caractérise par l’utilisation d’un puissant outil de représentation de connaissances, le modèle Shood développé à l’INRIA Rhône Alpes [Nguyen, 93]. La modélisation des différentes vues sur le modèle produit (vue fonctionnelle, schéma cinématique, visualisation des liens de dépendance, modélisation CAO) et sur les connaissances techniques qui y sont associées constitue une part importante du travail en cours.

Page 34: Conception et interaction

3. Analyse critique comparative

Parmi les systèmes que nous avons décrits ci dessus, il apparait dans le premier et le dernier (systèmes dédiés à la mécanique) le souci de prendre en compte des démarches d’innovation et d’intégration : ces démarches conduisent à privilégier l’aspect “support” du modèle (langage métier, gestion de cohérence, dynamique du modèle produit, multi-représentation…) par rapport au raisonnement du système lui même. La place de l’utilisateur et les interfaces d’accès au modèle produit sont alors fondamentales. Dans les systèmes développés au LEG, le premier souci a été de privilégier une démarche d’optimisation du produit à structure donnée, ainsi qu’une maintenance aisée de la connaissance : l’expert du domaine ne devant pas nécessairement être aussi un expert informaticien. Ces systèmes sont donc basés sur un modèle figé et connu du produit, pour lequel on dispose des connaissances déductives. L’extensibilité des systèmes permet de prendre en compte des variantes du produit à concevoir (moteur ventilé ou non), mais l’innovation structurelle parait difficilement envisageable. Chaque paramètre ou attribut d’une classe définissant le produit, est lié aux autres par des méthodes qui sont typées (calcul, vérification, hypothèse, optimisation) et qui s’activent en fonction de l’avancement de la conception. Ces systèmes privilégient l’aspect “capitalisation de connaissances”, et traitent en partie des problèmes de multi-expertise. De plus, ils permettent d’envisager en parallèle plusieurs alternatives de conception, ce qui constitue une nécessité pour mettre en place des démarches de recherche orientées vers la solution optimale. Il est à noter que, dans le système Mécabor, la gestion de variantes en parallèle ne semblait pas nécessaire, l’objectif étant de trouver une solution acceptable, mais en aucun cas optimale. La gestion des alternatives n’est alors pas parallèle mais séquentielle et excusivement déclenchée lorsque l’une d’elles conduit à un échec. Une démarche similaire est suivie dans le projet SyGMoPro, la gestion parallèle des alternatives étant hors champ de notre recherche. Par contre, le partage de pièces ou de solutions partielles entre projets distincts de conception, la réutilisation qui peut l’accompagner et les processus analogiques de raisonnement nous semblent être des priorités d’études.

Nos études adressent au plan de la communication homme-machine deux problématiques distinctes et complémentaires : celle de l’interface entre système informatique de conception et utilisateur final, et celle de la communication des connaissances entre machine et expert du domaine.

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4. Vers un modèle pour décrire les connaissances de conception

Des études présentées ci dessus, nous avons donc dégagé un certain nombre de caratéristiques que devrait avoir un système d’aide à la conception. Ces points sont présentés maintenant en considérant le point de vue de l’utilisateur, et en mettant l’accent sur la communication homme machine. Dans un souci de structuration, nous reprendrons la classification de connaissances de conception proposée par Brown et Chandrasekaran (1984).

4.1. Modèle du produit

Le premier niveau de connaisances concernent celles que l’on détient sur le produit en cours de conception. Dans le système Mécabor, l’accès au modèle produit utilise d’une part le formalisme du dessin industriel, d’autre part le schéma hydraulique normalisé ; une visualisation 3D ne permet en effet pas à l’utilisateur d’appréhender convenablement les distances entre objets géométriques. Dans les systèmes paramétriques dédiés à la conception électrotechniques, l’accés au modèle est assuré via ses paramètres, dont une facette définit les nom et unité de l’utilisateur (voir figure 3).

Le modèle “produit”, dont nous ne discuterons pas ici les possibilités de répartition, doit pouvoir supporter les différentes connaissances sous tendues par un processus de conception intégrée : les connaissances de fabrication, d’assemblage, de contrôle qualité, de maintenance, de recyclage doivent pouvoir être décrites dans le même formalisme que celles liées à l’usage du produit. A cet égard, le modèle de SyGMoPro permet de décrire les fonctions de fabrication et d’assemblage en les associant aux éléments structurels du produit. Le modèle doit donc intégrer les différentes vues sur le produit à concevoir. Ces vues doivent permettre de présenter à l’utilisateur le produit au niveau de définition approprié à chaque étape de conception. Les choix anticipés par le concepteur pour chacune des étapes du cycle de vie, doivent être explicitement mémorisés. A titre d’exemple, le concepteur qui produit un plan d’ensemble de système mécanique a effectué des choix de chronologie d’assemblage qui ne sont pas mémorisés dans le modèle CAO. Cette intégration pose toutefois le problème des interfaces d’accès à ces informations : ces interfaces doivent permettre d’avoir des vues conformes aux standards ou normes tels APTE, FAST, …

Au plan de l’implantation informatique du modèle, la technologie “objet”, dans ses différentes facettes, est très prometteuse par ses aspects incrémental et modulaire. Toutefois l’atomisation des

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données, connaissances et procédures ne saurait masquer la complexité du monde à modéliser pour concevoir : une grande puissance d’expression au niveau des liens entre objets est donc nécessaire. Le support informatique doit permettre l’expression des liens entre ces différents aspects, et leur associer des comportements spécifiques : destruction automatique des instances “existentiellement” liées, répercussion des modifications d’un paramètre à ceux qui lui sont directement équivalents, affichage de l’aspect thermique, filtrage du produit etc... Pour gérer l’ensemble de ces points de vue du produit, l’utilisateur doit disposer de liens et de comportements intégralement supportés par le système informatique. A titre d’exemple, le lien de référence entre un élément structurel tel qu’un point de départ d’usinage, dont l’existence dans le cycle de vie est éphémère, et la première phase d’usinage a une sémantique existentielle particulière. Ces liens sont modélisables explicitement au sein du modèle Shood [Djeraba, 93]. Ils évitent la redondance des données et facilitent pour l’utilisateur le maintien de cohérence.

4.2. Les connaissances techniques du domaine

L’accès aux connaissances techniques incluses dans les codes adressent un autre niveau de compétence avec des exigences d’interface utilisateur particulières. Pour une entreprise, le coût d’un ingénieur qui soit à la fois expert dans le domaine de l’application et expert en informatique est très important. Le souci de maintenance et d’évolutivité des outils de conception nous conduit à proposer un modèle accessible au concepteur technologue. En effet, l’évolution fréquente des connaissances du domaine, leur adaptation à un problème particulier (calculs des roulements de pompe cryogénique par exemple) nécessitent la prise en main de l’outil par l’ingénieur technicien. L’expression des connaissances doit être possible dans le langage du technicien : nous souhaitons éviter à l’expert de faire appel à des expressions à syntaxe informatique contraignante telles que celle de SMECI : (S-get-value ‘masse-volumique (S-find-object ‘cuivre))… Le concepteur doit avoir accès aux informations au travers d’une interface qui lui soit propre : tant sur le plan de la langue (francais, anglais ...) que sur les terminologies (Leff, Le, Longueur efficace ...) ou sur les unités (mm, mètre, inch ...). La base de connaissances doit pouvoir être “auditée” à la façon des nouveaux outils qui apparaissent pour auditer les feuilles de calculs des tableurs, outils qui manquaient jusqu’à présent de “lisibilité”.

L’utilisation d’un système où plusieurs métiers doivent coexister, implique l’intervention de nombreux experts. Cette utilisation ne doit pas nécessiter la maîtrise complète du système et des connaissances qui y sont intégrées : l’ingénieur doit pouvoir ajouter une brique de

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connaissances de façon modulaire. Il doit disposer d’outils de navigation et de recherche d’informations.

4.3. Les connaissances stratégiques de résolution du problème

La prise en compte des contraintes industrielles nécessitent de pouvoir faire coexister dans le système des connaissances déductives ou stratégiques, issues d’experts différents et de comparer les résultats obtenus. L’utilisateur doit pouvoir fixer des contraintes particulières sur le produit qu’il conçoit pour s’adapter à des normes ou à des contraintes client ; parmi les études que nous avons conduites, citons le cas de la longueur d’une machine électrique imposée ou celui du bloc foré à encombrement total (avec ses appareils) limité pour le bateau de croisière Club Méditérannée. Il semble que les contraintes de l’utilisateur, qui traduit celles du client, doivent dans tous les cas être privilégiées.

Tout comme pour le point précédent, les démarches de l’entreprise doivent s’intégrer dans le système final, et notament pour ce qui concerne la connaissance déductive, les règles d’expertise : le couplage à des outils de CAO au cours de la résolution doit être possible, mais il faut aussi pouvoir intégrer les outils et méthodes existants : fonctions de calcul, procédures de résolution souvent écrites en FORTRAN ou en C [Escande, Bigeon, 94].

D’un point de vue de l’utilisateur, la présence dans le système de connaissances provenant de plusieurs métiers et de plusieurs experts est propice à la confrontation des démarches. Cet aspet multi-expertise est fortement couplé à la capitalisation des connaissances. Outre la capitalisation, la gestion de l’obsolescence des connaissances doit être étudiée.

Lorsqu’une session se déroule, compte tenu de l’existence d’une multi-expertise, l’utilisateur doit bénéficier d’une traçabilité du raisonnement aux fins d’explication. Il doit pouvoir intervenir au cours du raisonnement aussi bien pour aiguiller le système vers une solution qu’il sait plus prometteuse que pour éliminer une solution qui semble vouée à l’échec.

Les remarques précédentes nous conduisent à suggérer un pilotage par les données des applications. Le processus de conception sera modélisé au niveau des objets du projet en cours, décrit fonctionnellement et structurellement en incluant le modèle de paramètre ; ce niveau constitue le modèle produit. Au niveau des connaissances techniques, méthodes et règles de calcul et de détermination, elles devront être caractérisées et hiérachisées. Les stratégies de résolution du problème doivent permettre un pilotage par les données.

Page 38: Conception et interaction

Chaque “règle”, ou équation liant des paramètres, doit être vue comme une granule de connaissances dont l’exploitation doit être possible selon plusieurs rôles traduisant le contexte dans lequel elle peut être exploitée : hypothèse ou prédétermination, contrainte, calcul, vérification, optimisation. L’objectif est d’éviter une redondance d’équations réécrites en fonction du contexte de leur exploitation. Les règles doivent pouvoir être organisées en tâches indépendemment de l’origine de l’expertise. Le rendement d’une machine électrique peut être initialement “estimé”, pour permettre d’en déduire les valeurs d’intensité nécessaire, puis “calculé” lorsu’un calcul précis le permet : la valeur calculé aura alors un indice de confiance supérieur.

5. Conclusion

Nous avons, au travers de quelques études conduites au sein de nos laboratoires, comparé nos approches des systèmes informatiques dédiés à la conception de produits. Au delà de la diversité des outils et des approches utilisées dans les quatre systèmes de conception présentés se dégagent des points de rencontre qui nous semblent incontournables pour améliorer les outils existants. Nos objectifs restent la mise au point de systèmes assistant intelligemment les concepteurs pour une conception intégrée et éventuellement innovante. Deux axes d’études se dégagent : le premier a pour but d’identifier sous quel format l’information sur le produit, les connaissances techniques et stratégiques doivent être présentées à l’utilisateur. Il s’agit de définir quelles sont les vues pertinentes sur les données manipulées. Le second axe de recherches doit permettre au travers des expériences du premier, de définir des méthodologies permettant de prendre en compte ces “vues” dès la modélisation de l’application.

Remerciements

Ce travail a pu être mené à bien en partie grâce au cadre scientifique du GSIP, Groupement Scientifique Interdisciplinaire pour la Productique (GDR 905) et à l’aide de la région Rhône Alpes : nous tenons particulièrement à remercier ici ces deux institutions. Nous remercions également le groupement national PRIMECA pour son intérêt au travail conduit dans le cadre du projet SyGMoPro.

Bibliographie

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Page 41: Conception et interaction

Texte, schéma et image Triade de la communication en conception.

Mikhael Porada LAMI, Ecole Architecture Paris La Villette

RÉSUME : La mise en oeuvre d'un environnement informatique d'aide à la conception dans la phase de lecture du programme et de l'esquisse du projet architectural nécessite une analyse préalable des différents modes de représentations mis en oeuvre à cette étape de la conception. Nous considérons la schématisation informatique comme l'élément clé qui doit permettre de passer d'une manière transparente de la description textuelle au dessin architectural, ce qui fait appel à une typologie des schémas en conception, ainsi qu'à l'étude de leur inter-relation. L'environnement infographique d'aide à la conception devrait offrir au concepteur la possibilité d'utiliser tous les modes de représentation d'une manière ambivalente. Voyons comment la représentation de l'objet virtuel se fera à partir d'un modèle infographique de base et de sa visualisation à l'aide de schémas dynamiques hybrides.

MOTS-CLES : données programmatiques, schéma, schémas hybrides dynamiques, croquis, infographie.

1 Introduction

Les images en tant que média de communication sont de plus en plus présentes dans toutes les activités intellectuelles, mais souvent n'apportent aucune ou très peu d'informations complémentaires au discours référent. Il semble qu'un seuil qualitatif soit en train d'être actuellement franchi par les usagers de l'image numérique et une exigence de rigueur au niveau du traitement et de l'information qu'elle véhicule est-elle attendue. Ce constat est valable pour tous

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les médias, et s'étend aussi aux réseaux. De grands progrès techniques facilitent la circulation de l'information : augmentation de la capacité passante des réseaux, de la puissance des ordinateurs, de la compression/décompression en temps réel des données et leurs manipulations : standards d'échange plus performants et leur incorporation de facto dans les logiciels, logiciels de traitement d'image sophistiqués. Ainsi, les catégories philosophiques de la forme et du contenu recommencent à refaire surface. La forme est de plus en plus travaillée et peaufinée, aussi bien par des recherches précises dans le domaine de la modélisation, que par le développement des techniques de production et de traitement de l'image. Le contenu lui est laissé de côté au gré du bon vouloir de l'utilisateur.

Dans notre problématique de la communication dans le processus de conception informatisé, nous posons la question du pourquoi et du comment de l'utilisation des images numériques. Pourquoi utiliser l'image numérique en conception, à quels moments ? Quel objectif leur assigner par rapport à celui rempli par les images traditionnelles ? Comment une simple prolifération d'images produites grâce à la profusion des moyens techniques agit-elle sur le processus de conception de l'objet virtuel ? Qu'apporte de plus l'image numérique par rapport à l'image traditionnelle au niveau créatif ?

2 Modes de représentations

En tant que média de communication l'image numérique sous la forme de schéma joue un rôle de plus en plus important au sein du processus de conception. Le champ de notre recherche actuelle se porte sur la phase de conception allant de la lecture du programme architectural, sa décomposition/recomposition par le concepteur jusqu'à l'esquisse du projet. Nous étudions le rôle de la trilogie de communication : texte, schéma, image, ainsi que leurs inter-relations dans la représentation des données et des concepts.

Au niveau du programme architectural, différents modes de représentation des données utilisent cette trilogie avec un net avantage pour l'écrit par rapport aux tableaux, réseaux, diagrammes, cartes et dessins divers l'accompagnant.

Les figures I et II sont deux exemples de schéma qui accompagnent un chapitre d'un texte programmatique décrivant une activité donnée. Ces schémas sont destinés à apporter des informations complémentaires à celles décrites dans le texte.

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Figure I : exemple de schéma relationnel, circulations de personnes

La Figure I est un schéma "relationnel" de flux qui représente les circulations des personnes et des véhicules, entre différents lieux décrits dans ce chapitre du programme architectural. Il permet une lecture chronologique du cheminement attendu à travers des lieux désignés. La Figure II est un exemple de schéma "topologique" décrivant les relations spatiales exigées entre les divers lieux. Dans les deux cas, une légende accompagne le texte ; elle explique les codes graphiques utilisés pour décrire les mouvements ou les relations topologiques demandées entre différents lieux.

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Figure II : exemple de schéma "topologique", relations de proximité spatiales

Un tableau des surfaces complète cette description des activités par des précisions quantitatives : surfaces des locaux, nombres d'unités, etc., et des remarques qualitatives sur les lieux décrits.

Dans le processus de conception traditionnel la mise en espace des données programmatiques par le concepteur provoque une nette rupture dans la répartition des divers modes de représentation : le dessin devance le texte et le schéma. L'informatique n'impose pas, a priori, une telle rupture, bien au contraire, elle devrait permettre à tous ces modes de représentation d'être constamment présents dans une complémentarité rendant possible une description globale de l'objet virtuel. L'étude des rapports et des relations entre le dessin et les autres modes de représentation devrait permettre de préciser les caractéristiques de l'environnement informatique d'aide à conception de l'esquisse du projet [Porada S. ; Porada M. ; Peltier B., 93].

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3 Schéma et image

Où commence un schéma, où finit une image ?

Pour R. Estivals [Estivals, 83] la définition du schéma réside dans la question du degré d'iconicité. Toute expression graphique qui est comprise entre le signe et l'image est schéma. Ou plus précisément c'est en quittant le signe et en perdant la ressemblance iconique avec le représenté qu'une représentation figurative devient schéma. Le fondement du schéma est un code géométrique ; celui qu'on établit entre les signifiants : des formes, des couleurs, des surfaces. etc. , et un signifié. Il y a un moment où à force d'éliminer de l'information de ressemblance l'on passe de l'analogique au géométrique. A ce moment-là il n'est plus possible de comprendre directement, et il devient nécessaire de coder, de mettre une relation entre les formes géométriques et leur signification.

L'image recouvre le domaine figuratif, elle englobe tout ce qui est représentatif jusqu'à la limite du seuil de lisibilité, une fois ce seuil passé on est dans le domaine du schéma qui se prolonge jusqu'au signe. L'image sert à représenter ce qui est vu ou imaginé dans l'espace, le schéma sert à expliquer, à comprendre des choses, ou à exprimer quelque chose grâce à une économie d'iconicité.

Par contre dans la Sémiotique Graphique J. Bertin [Bertin J., 74] définit trois types de graphiques : diagrammes, réseaux et cartes. Parmi ces trois types les cartes ont un statut spécial étant, tantôt schéma, tantôt image. Quand elles montrent les montagnes, les cours d'eau, elles sont images, et sont schémas pour devenir une carte de métro. M. Cartier [Cartier M., 94] propose d'ajouter à la typologie de Bertin la "capsule", ou cartouche, qui est une sorte de schéma introduisant implicitement une manière de faire. L'exemple le plus répandu est celui des icônes des photocopieurs.

Pour X. Casanova [Casanova, 95] toute représentation graphique est schématique, car elle est le résultat de la perception, qui de par sa nature est schématique. L'oeil ne perçoit la "réalité" qu'à travers une projection géométrique de celle-ci point par point sur la rétine, d'où une perception limitée et schématique des choses. Il attire aussi l'attention sur l'importance du problème de l'échelle qui peut transformer une représentation figurative en une représentation abstraite par simple jeu de changement de rapport. D'où, une définition iconique de la schématisation proposée qui serait "la

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dégradation progressive de l'isomorphie liant l'objet à sa représentation". Cette dernière définition montre bien la complexité du problème existant entre la schématisation d'un objet réel et celle d'un objet de conception, donc virtuel.

Si l'on suit F. Richedeau [Richedeau, 95] qui délimite le champ d'investigation d'une future typologie des schémas en excluant de celle-ci "l'étude des signes, tels : lettres, signes mathématiques, idéogrammes, pictogrammes, etc., qui résultent d'une schématisation élémentaire" et relèvent "d'avantage d'une sémiotique que de la schématique", on arrive à une proposition comprenant deux classes de schémas suivant leur nature : structurelle et fonctionnelle.

Ainsi, se pose la question de l'étude des schémas de natures différentes qui peuvent être classés non seulement suivant le type de leur structure, mais surtout suivant l'objectif de leur utilisation dans un champ d'activité précis. Nous proposons les trois catégories de schémas suivantes :

- schémas de perception ; - schémas de communication ; - schémas de conception.

La première catégorie touche au schéma qui essaye de décrire l'objet réel tel que perçu. La seconde fait partie de tous les schémas qui par un processus de simplification et de traitement de l'information à travers des symboles figuratifs et culturellement codifiés font véhiculer un message précis : carte du métro, direction vers des toilettes, etc. Enfin, la troisième catégorie, est en rapport avec l'objet virtuel et présente des caractéristiques particulières liées à l'explicitation du concept à un moment donné du processus de conception. Les schémas de cette dernière catégorie seraient appelés à jouer un rôle important, aussi bien dans les systèmes informatiques d'aide à la conception en servant de liaison entre les représentations textuelles et les représentations graphiques de l'objet virtuel, que pour l'interrogation d'informations pertinentes existant sur réseaux. Ils permettraient ainsi de servir de base à l'élaboration d'une approche d' évaluation des solutions graphiques par rapport aux données programmatiques de départ. [Figure III]

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Texte aaaaaaaaa bbbbbbbb ccccccccc wwwwwww…

Tableau

aaa bbbbbb bbb ccccccc wwwww

III - Mise en schéma

IV - Mise en espace

II - Décomposition - recomposition du programme

Schéma "topologique"Schémas relationnels

Graphique

Texte structuré

Croquis-Schéma Ronchamp le Corbusier

Schéma de flux

"Voir le tableau" J. Bertin

Schéma architectural

I - Lecture du programme

Esquisse Ronchamp le Corbusier

Figure III : schéma des transformations de l'information dans les différents modes de représentation allant de la lecture du programme à l'esquisse du projet

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4 Le chaînon informatique manquant

Les aides informatiques existantes de mise en schéma peuvent être divisées actuellement en trois classes de logiciels :

• ceux qui permettent la mise en schéma automatique, après un traitement, à partir d'un tableau de données (tableurs du marché et qui concernent uniquement les tableaux bi-dimensionnels).

• ceux d'aide à la décision qui traitent de la mise en schéma d'un processus d'activités qui se développent dans le temps, du type Pert.

• enfin, ceux qui à travers une "mise en idées" permettent la mise en schéma de structures arborescentes généralement textuelles.

La conception architecturale et urbaine concerne la mise en espace à travers une synthèse graphique aussi bien des données programmatiques bi-dimensionnelles que des concepts multidimensionnels du concepteur. Comment se fait le passage dans le cas de la lecture du programme, d'un schéma bi-dimensionnel des données programmatiques à un schéma tridimensionnel spatial ? Un tel passage est vu comme la clé de voûte de la mise en espace des données du projet dans un environnement informatique d'aide à la conception.

Les schémas en conception sont rarement de nature homogène, ils utilisent tous les modes de représentation disponibles avec pour seul objectif de faire avancer le processus, de mieux communiquer l'état d'explicitation de l'objet virtuel à une étape donnée de la conception. . Le croquis-schéma architectural lui aussi oscille entre la représentation figurative et la représentation graphique codifiée de façon particulière personnelle par chaque concepteur. [Figure IV]

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Figure IV : croquis -schémat d'architecte, Tadao Ando

De tels croquis schématiques produits dans le cadre de l'environnement informatique d'aide à la conception seraient des schémas informatiques dynamiques hybrides [Porada M., 94], où différents modes de représentation issus d'un même modèle informatique viendraient se compléter d'une manière dynamique et active.

Les codes de représentation qui nous intéressent sont les codes particuliers de ressemblance et d'abstraction qui coexistent souvent dans les premiers croquis. Ils sont signifiants surtout pour le concepteur et leur lecture par les tiers se fait grâce aux textes accompagnateurs ou aux explications orales.

Le projet architectural au cours de son élaboration dans un environnement informatique peut être également aussi bien présenté à l'aide de différents schémas, tableaux, que par un dessin où un texte, à partir duquel peuvent s'assembler différents croquis-schémas architecturaux. Pour agir en tant qu'aide efficace à la conception à un moment donné, chaque type de représentation demandé à l'ordinateur doit être préalablement analysé et sa formalisation être adéquate. Pour se faire à partir d'un modèle informatique de base, il faut définir la structure de ce modèle de façon particulière afin que

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le programme puisse à partir de certains critères établir la différence entre les représentations demandées.

Au niveau du croquis-schéma architectural ou "crobart", qu'il soit informatique ou non, on se trouve en présence de relations de ressemblances fondées sur les différents rapports entre le "représentant, représenté et le référent" [Boudon Ph., 88� ou :

• la relation de figuration de ressemblance se fait à l'aide de signes iconiques ;

• la relation de figuration non ressemblante est codée à l'aide de symboles non iconiques ;

• le code de ressemblance est métaphorique, lorsqu'une forme donnée associe dans l'imaginaire du concepteur une forme quelconque et une certaine forme de conception qui est à la fois analogique et imaginaire, et qui de toutes façons est hors fonction réelle du schéma produit.

• la relation de logique codée, où certaines couleurs , textures, formes sont fixées a priori, signifie quelque chose de déterminé à l'avance ; on est alors dans un croquis schéma particulier, par exemple fonctionnel.

M. Conan [Conan M., 90] note que toutes ces relations sont des figurations ambivalentes où symboles et icônes, traits et formes interagissent et s'interpellent pour former le crobart. Ce dernier est souvent globalement ou partiellement un "emblème", ou crobart accompagné d'un texte, "support de notations emblématiques" qui est "un instrument au service de l'articulation de la pensée discursive et de la pensée visuelle"

5 Prélude à une schématisation informatique dynamique hybride - SHID

Un essai de création d'un prototype d'environnement infographique de schématisation est en cours d'élaboration au LAMI. Il s'appuie sur une étude comparative qui a aussi été entreprise entre deux échelles d'iconicité : celle d'iconicité décroissante proposée par Abraham Moles [Moles A., 68] et celle d'iconicité croissante proposée par S. Porada [Porada S., 94] ; cette comparaison nous a permis de définir une approche pour l'élaboration d'une typologie des schémas en conception. L'échelle d'iconicité décroissante part de l'objet existant pour arriver au signe abstrait en décrivant toutes les formes de schématisation possibles de cet objet. On a d'un côté un objet existant et une certaine typologie de représentation de cet

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objet pour décrire ses divers modes de représentation ; de l'autre côté, on est en présence d'une échelle d'iconicité appropriée pour la conception, c'est-à-dire à iconicité croissante. Il y a un programme, des idées, un parti, que l'on souhaiterait voir se transformer en un objet spatial avec des caractéristiques précises. Il faut bien marquer la différence entre ces deux démarches, car elles font appel à des approches et des représentations différentes.

Nous allons essayer d'introduire sur l'échelle d'iconicité croissante la notion d'espace de conception, modèle et schéma. Si on veut construire quelque chose, on a un projet de départ ; par exemple pour produire un objet répondant à un programme précis. L'objet n'existant pas puisqu'on n'en a que l'objectif, la description sommaire des besoins, les images référentes, etc., mais au fur et à mesure qu'on avance dans la définition de l'objet virtuel par schémas et croquis interposés, on progresse dans l'échelle d'iconicité croissante pour arriver à l'esquisse, qui est la première étape d'une représentation figurative graphique du futur objet. C'est justement sur la pertinence de la relation entre le schéma, le croquis et l'image que va s'évaluer l'apport de la communication de l'image numérique en conception.

Références

[Bertin,74], Bertin Jacques. 1974, Sémiologie graphique, Mouton, Gauthier-Villars, Paris.

[Boudon,88], Boudon Philippe, 1988, Figures de la conception architecturale, Dunod.

[Cartier,94], Cartier Michel, 1994, La schématisation de l'information, Université du Québec à Montréal.

[Casanova, 95], Casanova Xavier, Toute représentation est schématique, in les dossiers de la revue de Bibliologie, Schéma et Schématisation, à paraître.

[Conan,90], Conan Michel, 1990, Concevoir un projet d'architecture, L'Harmattan, p 105.

[Estivals, 83], Robert Estivals et Jean-Charles Gaudy, 1983, L'évolution des plans de Paris, Société de Bibliologie et de Schématisation, Paris

[Moles, 68], Moles Abraham, 1968, Échelle d'iconicité décroissante, théorie informationnelle du schéma, in Schéma et Schématisation, vol. 1, n° 1, SBS.

[Porada, 94], Porada Sabine, 1994, Échelle des représentations en conception architecturale, in Art et Science de la Conception , Bulletin du LAMI n°4 et 5.

Page 52: Conception et interaction

[Porada M, 94], Porada Mikhael , 1994, Architectural briefing data représentation in a sketch simulation computer environnement, in ECAADE Virtual Studio proceedings, ABACUS, University of Strathclyde, Glasgow.

[Porada S, Porada M, Peltier B, 93], Porada Sabine, Porada Mikhael, Peltier Bernard, 1993, L'image numérique comme instrument d'aide à la création architecturale, Rapport de recherche PCA, METT.

[Richedeau, 95], Richedeau François, Essai d'une typologie des schémas, in les dossiers de la revue de Bibliologie, Schéma et Schématisation, à paraître.

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Communication et conception Le dilemme du savoir - ignorance

Khaldoun Zreik Université de Caen

Résumé : Aujourd'hui la crédibilité de toute démarche consistant à définir une méthodologie d'aide à la conception ou d'aide à la prise de décisions est étroitement dépendante des protocoles de communication qu'elle engendre. Dans cette note de réflexion nous exposons d'une manière informelle les corrélations entre la conception et la communication d'une part et l'impact des changements technologiques sur la perception et la compréhension de ces processus. Cette contribution devrait être considérée comme une note de réflexion dans la continuité d'un projet de recherche méthodologique que nous menons sur l'emprise des technologies de l'information sur l'activité de conception.

Mots-clés : Communication, Conception assistée, Technologie de l'information.

1 Introduction

Par conception nous entendons tout oeuvre immatériel ou physique (virtuel ou réel) projeté par une personne ou une communauté dont le niveau de savoir lui fait croire au moment d'une délibération que cet oeuvre est originale.

Cette notion d'auto-évaluation dissimule celle d'intra-communication qui intégre implicitement celle de liberté et qui ne peut être dissociée de tout acte de conception.

Le domaine des connaissances sollicitées en conception est vague et volumineux. Il couvre l'ensemble d'informations qui sont dites, qui

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sont échangées ainsi que celles qui sont mimées. Aujourd'hui on ne considére que la partie écrite ou codée des informations dites.

Certes, en ne retenant que les informations échangées verbalement et par écrit, on pourrait espérer réduire la complexité des systèmes de traitements de connaissances en général. Cependant, cette complexité réduite restera fortement pesante dans un cadre de systèmes d'aide à la conception.

Ainsi, nous discernons deux types d'approche d'usage des nouvelles technologies de l'information dans un contexte complexe tel que la conception.

Le premier utilise ces technologies pour rendre intelligible les processus cognitifs de conception.

Le deuxième, conscient de cette complexité, veut optimiser les processus de conception en définissant des limites conceptuelles permettant de meilleurs usages des technologies de l'information.

Pour notre projet, nous optons pour l'esprit d'accompagnement que relève ce deuxième type d'approche. C'est pourquoi nous n'évoquerons pas les frontières ni les passerelles cognitifs entre et intra conception, communication et décision.

D'ailleurs ces trois dernières variantes sont très sensibles aux changements technologiques. Par la suite nous considérons ce fait (cet enchevêtrement) comme une contrainte forte à respecter dans toute démarche méthodologique ou systémique d'aide à la conception ou d'aide à la prise de décision.

Pour élaborer nos analyses nous admettons les hypothèses suivantes:

1. Admettre qu'il n'est plus concevable de prétendre pouvoir prévoir - à priori - l'ensemble de connaissances sollicité dans une activité de conception.

2. Mettre en doute certaines tendances qui pensent ou qui veulent faire croire que l'augmentation de la quantité d'informations (abstraites) améliore le rendement de leur usage.

3. Accepter l'absence d'une méthode exhaustive permettant de sélectionner, dans un ensemble d'informations abstraites, la part de connaissance à intégrer ou à ignorer dans un processus.

2 Une dimension artisanale de la Conception

Un acte de conception est souvent partagé entre deux univers souvent contrastés, la créativité et la technicité, qui ne cessent d'interférer de façon aléatoire et souvent implicite. Durant ces interférences s'instaure un dialogue entre deux univers de connaissances, celui du savoir-faire théorique et méthodologique

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d'une part et celui du savoir-faire expérimental et pratique d'autre part. Ce dialogue est tantôt régi par des exigences esthétiques, éthiques, réglementaires ou techniques, tantôt par des paramètres intuitifs et approximatifs. Dans cette optique restrictive nous pouvons considérer que le résultat final (objet conçu) représente une série complexe de compromis entre précision, approximation et méconnaissances.

Aussi, un compromis est-il relatif à une communauté de conception dont chaque élément (acteur) est tributaire de trois variantes relatives au contexte du projet qui sont : le temps, l'environnement (espace de conception) et la communauté des concepteurs/décideurs.

Les rapports entre conception et technologie de l'information seront perçues par la suite en tant que phénomène "socio-organisationnel" protestataire de nouvelles approches de gestion, d'acquisition et de communication des connaissances en conception. Par ceci, nous entendons montrer que les problèmes liés à l'informatisation des activités de conception ne sont pas tous d'ordre technique, méthodologique ou conceptuel. Aussi, nous retenons le fait qu'un concepteur aussi scientifique ou technologiste qu'il soit resterait otage de son image d'innovateur et se distinguerait par son savoir artisanal.

3 La métamorphose de la notion de conception

Autrefois concevoir était le domaine des créateurs, des inventeurs et des philosophes [Orel, Zreik, 92]. Naguère, l'activité de conception s'est répandue tout en restant très élitiste s'ouvrant légérement à une population restreinte de scientifiques et de professionnels. Les concepteurs concevaient eux-mêmes leurs outils ou produits et avaient contribuer indirectement à créer de nouveaux marchés. De la sorte, la conception a pu préserver son univers tout en ôtant graduellement l'inertie contre le changement (ainsi est banalisé l'intellect).

Aujourd'hui, les mutations économiques et technologiques sont entrain de changer complètement le paysage du métier de la conception. Les évolutions spectaculaires des nouveaux outils et marchés de la conception s'imposent. Les concepteurs à leur tour se trouvent obliger de suivre ces changements qui les perçoivent tantôt comme des stimulants et tantôt comme des contraintes. Ces visions conflictuelles proviennent des paradoxes et des relations controversés qu'exercent entre eux le domaine de la conception de produits nouveaux et celui de la nouvelle technologie en tant que nouvel acteur de la conception.

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Dorénavant, concevoir n'est plus l'œuvre ni le patrimoine du simple concepteur architecte ou ingénieur. C'est une activité collective qui est de plus en plus contraignante et de moins en moins individuelle. Administrateur, automaticien, gestionnaire, informaticien, maître d'œuvre, maître d'ouvrage, psychologue, sociologue, styliste, ... tous sont aussi impliqués dans un acte de conception et à des degrés variés, selon la nature et le type de projet traité.

Ce faisant, nous constatons l'émergence de nouveaux problèmes liés à la nature et à la forme de communication entre les acteurs de conception : quand ? où ? qui ? comment ? pourquoi ? Dans leur forme ces questions semblent être très classiques mais, au fond, elles ne le sont nullement. Ceci s'explique par le fait que l'espace de travail, ainsi que les moyens et les formations des concepteurs ou des acteurs de la conception, sont tous en plein mouvement.

Aussi, nous pouvons observer que la pratique de la conception dans beaucoup de domaines témoigne de nombreux changements qui pourraient faciliter la réorganisation de cette activité :

- l'extension de la pratique de la conception à de nombreux secteurs de productions matérielles (équipements, matériaux, machines, etc.) ou intellectuelles (méthodologie, méthodes, enquêtes, concepts, démarche de présentation, démarche de sensibilisation, organisation, communication, formation, etc.) ;

- l'apparition des technologies de la conception fait, à son tour, émerger une nouvelle communauté spécialisée de concepteurs (chercheur, ingénieur, organisateur, ergonome, psychologue, sociologue, anthropologue, etc.).

- l'assimilation du concept du travail en groupe.

Pendant ce temps, l'activité de conception prend une nouvelle tournure. Désormais la finalité partagée , la responsabilité répartie et les compétences distribuées imposent toutes un processus de prise de décision collective de type coopératif. C'est à dire que la décision qui a été prise collectivement faisait partie d'un ensemble de décisions conçues et élaborées d'une façon coopérative.

Cette notion est perçue, acceptée et développée davantage dans le domaine de la conception de logiciel et plus particulièrement dans les travaux de recherche en Intelligence Artificielle Distribuée. Bien que cette vision peut paraître réductrice dans certains domaines d'application, elle met en évidence la dominance et le rôle clé que détient la communication dans une activité de conception.

4 Une vision communicative

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L'activité de conception comprend par définition une nouveauté ou une création [Guilford , 73]. Ce premier et coutumier postulat rappel que l'ensemble des informations et de connaissances relatives à cette activité ne peut pas être prévu ni complet à l'avance. Ainsi, prend forme un deuxième postulat signalant que le domaine des connaissances en conception est dynamique, et qu'il évolue avec les processus de conception [Zreik, 91]. Cette évolution se fait grâce à un jeu de communications (par interactions le plus souvent) entre sources de connaissances et sources d'informations parfois.

En considérant tout acte intellectuel, en vue d'une création, comme un acte de conception il n'est plus envisageable de séparer la conception de la communication. Tenant compte des impacts de changements technologiques incessants, ces deux activités deviennent fortement interconnectées et entremêlées.

De la sorte, la priorité est davantage attribuée à toute démarche avertie des dimensions cognitives de la connaissance et plus particulièrement celles relatives à sa communication2.

Au royaume de la communication, nul ne peut récuser la suprématie du savoir et la domination de l'information.

Théoriquement l'information est une entité immatérielle difficilement mesurable et qui pourrait être, la plupart du temps, abordable par tout le monde. Pourtant, c'est à travers des critères quantitatifs que l'on peut reconnaître un savant (qui sait beaucoup de choses) d'un ignorant (qui sait peu de choses).

Cette perception quantitative de l'information n'est pas absolue. Souvent dans la pratique on assimile le trop au peu. On ne s'intéresse pas aux phénomènes dont on sait trop de choses, et on se méfie des experts qui connaissent trop de choses. Ici ce sont les critères qualitatifs implicites et déguisés qui prédominent. En effet, la cotation quantitativement de l'information n'a plus de sens. Ce n'est qu'une manie pour témoigner le résultat d'un processus d'évaluation qualitative.

Cette relation confuse entre les processus d'évaluation et de qualification de l'information nous mène à élaborer et à considérer un troisième postulat. Ce dernier divulgue qu'il ne suffit pas de repérer ou d'acquérir une information supplémentaire pour qu'elle soit utile ou pour qu'elle puisse participer à la constitution d'une connaissance. Les nouvelles technologies de traitement de l'information ont accentué et ont mis en relief ce fait.

2Cet article ne prétend pas reprendre la traditionnelle comparaison entre l'acte de communiquer et celui d'informer. Ce n'est qu'un faux débat de mots tâchant d'échapper au véritable problème qui est la communication

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Il nous est bien évident que tout au long d'un processus de communication des connaissances ou des informations pourraient être mises en évidences, d'autres occultées, délaissées, développées, fusionnées, etc. Par conséquent nous considérons que l'émergence et la validité d'une connaissance ou d'une information dans une activité de conception sont étroitement dépendantes des protocoles de sa communication.

5 Le trop d'information

Dans l'univers ou les univers des technologies de l'information, la nuance entre information et connaissance a tendance à disparaître. Brutalement, une connaissance n'est qu'une sorte d'information (des données) a finalité plus ou moins définie (assez structurée).

Partant du fait que l'univers de la connaissance est illimité et qu'il faudrait disposer du maximum d'information "adéquate" sur un sujet avant de l'aborder, la dimension quantitative de l'information s'est implicitement et facilement imposée.

Les systèmes sont de plus en plus ouverts et à vocation d'être évolutifs. En principe ils devraient accepter et assister toute opération d'ajout, de modification ou de suppression d'information. En pratique -en dehors des applications de type base de données proprement dit- un problème de fonctionnement d'un système d'information est souvent interprété par un manque d'information. Jusqu'à présent ce problème est traité par l'ajout de nouvelles informations d'une part et l'application de quelques formalités contextuelles ou syntaxiques de gestion de leur cohérence d'autre part.

Naturellement, ce sont les problèmes d'acquisition et de représentation multiples des connaissances (d'informations) qui monopolisent la priorité des travaux de recherche.

Néanmoins, l'exhaustivité et le nombre de ces travaux laissent planer quelques doutes. Pourquoi n'a-t-on jamais osé aborder le problème du "trop d'information". Il est pourtant usuel de songer au problème du "trop" quand on traite celui du "peu".

Est ce encore raisonnable de faire croire que la défaillance d'un système d'information serait perpétuellement un problème de manque d'information.

Ce dernier postulat d'actualité - qui pourrait paraître marginal - est fondamentalement perturbateur. En l'admettant nous remettons en cause notre perception du problème du manque d'information.

Page 59: Conception et interaction

En effet une information de trop peut générer les mêmes effets qu'une information de moins. De même une information de trop, délaissée par sa passivité pour un laps de temps, pourrait mutiler tout un ensemble d'information.

Certes, de nombreux travaux de recherche proposent d'optimiser l'usage (temps et espace) et la gestion de la cohérence des informations traitées. Mais la majorité de ces travaux laissent à la charge de l'utilisateur de choisir l'information qui serait "sémantiquement" la plus adéquate .

Effectivement, le problème de "trop d'information" n'est pas absolu, bien au contraire, il est très relatif. Il relève du contexte traité (temps, situation, acteurs).

Il est important de rappeler qu'une information de trop peut être ajoutée involontairement ou volontairement (cas des jeux d'illusion par exemple).

Seulement les informations ajoutées involontairement seront considérées par la suite.

Dans un cadre de conception nous distinguons deux types de "trop d'information":

- l'information bruitée, telle qu'une information inutile, ou celle perturbant l'équilibre d'un ensemble d'informations, ou celle dont la présence peut générer des fausses informations,

- l'information inabordable ou le "fantôme perpétuel". Ce type d'information est assez répandu dans les travaux de recherche scientifiques. La connaissance est ressentie comme étant incomplète et qu'il y aurait toujours une autre information quelque part la complétant ou la remettant en cause, et ceci sans cesse.

Ce phénomène se traduit le plus souvent par les soucis et les doutes persévérants accompagnant toute action devant être innovante ou originale.

C'est pourquoi la recherche de l'information emprunte une place de plus en plus importante pour devenir un métier en soi qui précède et qui domine toute action de conception.

Semer le doute est aussi une source d'innovation mais jusqu'à un certain seuil au-delà duquel il disperse le concepteur et nuit ainsi à la qualité des résultats. Ce dernier postulat est d'emblée amplifié avec l'arrivée des nouveaux moyens de communication favorisant et élargissant sensiblement les champs de la recherche d'information.

6 Le concept d'autosatisfaction

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L'énigme du "trop d'information" est nettement plus importante dans un espace de création - qu'il soit scientifique, technique ou artistique - où l'homme prétend encore en être le maître. Nul ne peut contester la vitalité de l'autosatisfaction en tant que stimulant d'une part et en tant que référant substantielle d'évaluation continue d'un acte créative d'autre part.

Malgré son apparence, l'autosatisfaction reste un emblème très complexe qui est avant tout plus subjectif et personnel que social. Auparavant l'ensemble des concepteurs se prêtait à des post-évaluations faites par autrui, mais dès à présent ils sont soumis en plus à des pré-évaluations et intra-évaluations faites par eux-mêmes avant et tout au long des processus de conception.

Les mécanismes permettant de choisir l'ensemble d'informations approprié (ni peu, ni trop) et de définir les stratégies d'évaluations adéquates (pré, intra, post) sont fortement régis par les processus de communication employés.

Il est infiniment facile de critiquer et mettre en cause toute approche proposant de traiter les problèmes d'enchevêtrement entre les processus de communication et de prise de décision (d'évaluations) dans un acte de conception. Cependant, nous n'invitons pas à souscrire à une approche donnée ni à y mettre fin. L'objectif étant d'attirer l'attention sur le caractère primordial et négligé de ce problème de "trop d'information". Comme nous l'avons déjà signalé, nous sommes ardemment convaincus que le "trop d'information" peut être incontestablement plus périlleux que le "peu d'information".

L'expérience montre qu'il est plus commode de constater un manque d'information et d'en ajouter que de s'apercevoir d'en avoir trop et de se raccommoder.

A ce propos nous privilégions une approche primaire a vocation pédagogique (autodidacte) qui consiste à entreprendre une activité de conception avec un ensemble d'informations réclamé et confirmé par une communauté de concepteurs. Ce principe se concorde davantage avec ceux des paradigmes d'apprentissage en général et en particulier avec ceux d'acquisition et d'apprentissage interactifs de connaissances en intelligence artificielle.

Dans cette perspective, la communication et l'information doivent être sollicitées et consenties explicitement par les concepteurs. Ces derniers, conscients de cette nécessité de coopération, doivent assumer leur part de responsabilité, notamment dans les premières phases de conception où la compréhension et la prise en compte des informations communiquées sont relativement hypothétiques.

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Bien évidemment nous ne cherchons pas à isoler les concepteurs de toutes sources d'information, ni à les priver de la puissance et de la richesse des offres technologiques. Bien au contraire, l'apparition des réseaux de communication, la facilité d'accès à de multiples bases de données, serveurs, etc., privilégient notre approche.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que trop de réseaux pourrait générer trop d'informations et faire perdre beaucoup de temps. Or, la discipline et l'auto-management (responsabilité du concepteur) demeurent les seules solutions abordables à court terme.

Ces réflexions et ces critiques éparpillées visent à mettre en exergue le fait que: nous vivons une époque où les notions de savoir et d'ignorance sont en train d'être changées. Aujourd'hui l'accès à l'information est prioritaire à son acquisition réelle (par une personne).

En effet, on peut constater que ce type de problème nous échappe souvent. Ceci peut être expliqué par les importants efforts et exercices d'abstraction que nos démarches de conception des systèmes d'aide à la conception nous infligent .

7 Le temps

Comment explique-t-on cette perplexité accablante nous défiant devant ce phénomène usuel, qui est la communication. Ce phénomène dont la pratique à tout moment par tout être vivant ne laisse personne douter de sa simplicité, de sa subjectivité et de sa flexibilité.

Serait-il soutenable de prétendre que l'explication de cette simplicité est une tâche complexe? Serait-il de notre sort de défier cette complexité ? ... ces interrogations seraient-elles génératrices de "trop d'informations" ?

Dans un projet de conception communiquer est un paradigme d'évolution, de changement et de surprise. Communiquer peut consister à créer, vivre, partager, procurer, monopoliser, transférer ou imposer une relation à forte valeur spatio-temporelle.

Nous communiquons dans un espace réel ou virtuel pendant un temps plus ou moins identifiable et qui peut être mesurable ou pas. Dans un processus de communication, les notions detemps et d'espace s'alternent. Elles sont le plus souvent confondues. C'est dans un espace de communication que le mystère et la suprématie du raisonnement spatio-temporel prédominent.

Les nouveaux moyens de télécommunication ont réduit - dans un processus de communication - l'effet de l'espace en faveur du temps.

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Ce dernier intègre désormais une notion d'espace. Il a même contribué à transmuter la notion d'espace physique absolue (les collecticiels, les téléconférences, les réseaux internet, etc.). Désormais la gestion d'une espace de communication est en grande partie une affaire d'administration et de coordination des temps des communications.

On peut donc parler de l'espace temps et du temps qui est une entité physique abstraite mesurée en secondes. Cependant l'espace temps reste et demeure une notion extrêmement floue et complexe.

Il est à rappeler que lorsqu'on a appris à gérer son temps on avait admis tacitement que c'était un phénomène complexe que l'on ne le maîtrisait pas. Afin d'y parvenir on s'est donné quelques conventions permettant de percevoir et de traiter le temps dans différents contextes. Aujourd'hui, la complexité de ce phénomène s'est accrue. Notre perception du temps est en train de changer. Les règles que nous avons apprises ne sont plus universelles. Les procédures de planifications traditionnelles ne peuvent plus faire face aux nouvelles dimensions du temps.

Aujourd'hui, même les perversions commerciales n'osent plus prétendre pouvoir modéliser ou gérer le temps de communication.

Comment perçoit-on l'information temps? Est-il nécessaire de gérer le temps ? Que faudrait-il savoir sur ce temps dans un contexte de

conception ?

Dans les nouvelles procédures de communications le temps n'est plus séquentiel et les frontières entre le passé, le futur et le présent sont de plus en plus discutables. A force de trop vouloir croire gagner du temps, notre temps devient de plus en plus contraignant et de moins en moins maîtrisable. Par conséquent les délais de conception sont encore plus courts et les acteurs sont plus nombreux. Cependant les problèmes de gestion de la communication dans une activité de conception deviennent incontournables.

A part le temps qui court que sommes-nous capable de savoir aujourd'hui sur l'évolution, le changement ou la mutilation de la perception du temps dans un acte de conception.

La démarche classique consiste à ne retenir que ce temps chronique dont on sait peu pour le rendre intelligible et incorporable à un protocole de communication souvent prédéfini.

Dans cette perspective le protocole de communication est réduit à une procédure de planification dans un monde fermé (déterministe) qui ne correspond pas à une démarche de conception.

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Ne serait-il pas "trop", de vouloir proposer des outils de modélisation et de gestion de la notion du temps dans un espace réel où la définition de cette notion est en pleine mutation. N'est-ce pas "trop d'information" ? Ne serait-il pas plus raisonnable que l'incorporation du temps (mal définie) soit ignorée par l'environnement d'aide à la conception et laisser à la charge des concepteurs ?.

8 Visions fonctionnelles de l'assistance à la conception

Ces dernières décennies ont donné lieu à différentes approches d'adaptation, de développement et d'usage des techniques avancées en informatique pour l'aide à la conception . Deux points de vue complémentaires ont été abordés, celui relevant du domaine de l'ingénierie de la conception et celui provenant du domaine propre de la conception et de la création (le point de vue de l'innovation) [Heath, 89]. Ce faisant, plusieurs démarches d'interprétation et de perception de la nature et des dimensions de l'activité de conception ont été proposées. Elles sont étroitement liées aux contextes des différents projets traités ; il s'agit des acteurs concernés, des caractéristiques des situations contemplées et des périodes où les études ont lieu.

En parcourant chronologiquement les travaux de recherche en informatique et conception nous pouvons constater que plusieurs options d'aide à la conception ont été directement ou indirectement proposées.

Concevoir c'est calculer

Impressionnées par la puissance calculatrice des machines, les premières options d'aide à la conception se sont focalisées sur le rôle des calculs dans les processus de conception. Cette vision relativement réductrice et son insuffisance à assurer une véritable assistance à la conception sont rapidement apparues et la nécessité d'explorer de nouvelles approches s'est facilement imposée.

Concevoir c'est modéliser

La révision du concept d'aide à la conception et l'intégration des techniques de visualisation et de gestion des bases de données ont remis en évidence les problèmes de modélisation. Ceux-ci ont été repris dans un contexte restreint et limité par les capacités des outils de traitement de l'information. Ainsi, la qualité des systèmes d'aide à la conception était fortement dépendante de la qualité du modèle

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retenu et de son adéquation avec l'environnement informatique adopté.

Concevoir c'est résoudre

Ce concept d'environnement d'aide à la conception a permis de revoir le rôle de l'outil informatique pour lui affecter explicitement la tâche de résolution de problèmes de conception. Désormais la démarche de résolution tient compte des données et des critères correspondant aux différentes phases et aux acteurs du projet de conception. Cette approche qui se veut globale devrait assurer la gestion des conflits et des interactions entre les différents modules qui sont impliqués dans un projet de conception.

Concevoir c'est représenter

Les difficultés liées à la mise en œuvre d'une option d'assistance à la conception nécessitent aussi bien des méthodes de raisonnements détaillées qu'approximatives. Ces dernières sollicitent de nombreux types de connaissances qui peuvent être de nature algorithmique, heuristique, intuitive, incertaine, imprécise, etc. Afin de parvenir à intégrer la partie nécessaire et apparemment visible de ces connaissances, l'introduction de nouveaux paradigmes de représentations de connaissances en conception demeure prioritaire.

Concevoir c'est apprendre

Savoir représenter des connaissances s'est avéré nécessaire mais pas suffisant pour pouvoir les utiliser ou pour déceler tous les liens sémantiques qu'elles entretiennent entre elles. Ainsi, le besoin d'intégrer des mécanismes d'apprentissage de nouvelles connaissances à partir et sur les connaissances existantes, occupe une place assez importante dans les systèmes d'aide à la conception [Carbonell & al, 84].

Concevoir c'est acquérir

La majorité des approches d'apprentissage considère que le domaine traité est complètement représenté, c'est-à-dire que les connaissances existent mais qu'elles sont mal structurées ou mal exploitées. Ces mécanismes permettent d'expliciter la partie implicite des connaissances sur le domaine traité. Mais dans un contexte de conception il arrive rarement que toutes les connaissances sur le domaine soient disponibles. Dans ce cas de figure, et quelle que soit l'efficacité de la démarche d'apprentissage proposée, il n'est pas

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possible d'apprendre une nouvelle connaissance sans une démarche d'acquisition ultérieure. L'acquisition des connaissances se pratique dès le début de l'informatique mais sous des formes variées [Hart, 86]. Cette fois-ci il s'agit d'aller au plus prés des ressources très spécialisées, dans des moments et des situations très spécifiques, qui peuvent d'ailleurs conduire à l'échec toute démarche de conception. Dans ce type de situation l'adoption d'un mécanisme opportuniste d'aide à l'acquisition de connaissances tout au long des processus de conception est indispensable.

Concevoir c'est communiquer

Au cours d'un processus de conception, différentes cultures et discours professionnels, scientifiques et technologiques sont sollicités. Ceci nous amène à penser que la conception peut être le langage le plus puissant au travers duquel des industriels, des universitaires et des artistes communiquent.

Aujourd'hui, il n'est plus envisageable de spécifier ou de développer un système d'aide à la conception ou d'aide à la prise de décisions en conception, avant de détecter et de définir les stratégies de communication à faire prendre en compte par ce système.

A ce stade nous pourrions distinguer plusieurs niveaux de communication à prendre en compte dans un contexte de système d'aide à la conception, tels que les niveaux historique, scientifique, technique et interindividuel.

Le niveau historique représente toute une culture de communication qui est déjà acquise et imposée par une tradition technico-scientifique ; ceci peut être une sorte de règle de fonctionnement ; il peut s'agir également d'un ensemble de formes et de protocoles prédéfinies (souvent implicites) des relations de coopération entre concepteurs, scientifiques, industriels, utilisateurs, etc.

Au niveau scientifique, nous retrouvons toute démarche de conception multidisciplinaire ou multidimensionnelle impliquant la participation de plusieurs corps scientifiques aux processus de conception.

En somme, chaque fonction citée ci-dessus représente en soi un domaine de connaissance et de savoir tout entier. Il n'est donc pas concevable de doter un environnement d'aide à la conception de l'ensemble de ces connaissances. Par ailleurs nous ne disposons

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d'aucune méthode nous permettant de sélectionner la part de connaissance à intégrer en priorité ou à ignorer[Zreik, 92]. Or, une fois de plus nous voyons altérer la perception de la notion du savoir et celle d'ignorance dans le cadre d'un environnement d'aide à la conception.

9 Conclusion

La dimension communicative de la conception peut être justifiée de maintes façons, mais toute démarche prétendant l'analyser ou l'expliquer reste encore en suspens et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, le problème de la définition du rôle de la communication dans un processus d'aide à la conception est relativement récent et très peu exploré. Jusqu'à très récemment on s'intéressait à énumérer et à situer les contributions de chaque acteur impliqué dans un processus de conception sans tenir compte des protocoles et des stratégies de communication mis en œuvre entre eux. Deuxièmement, l'arrivée même tardive du concept de l'ingénierie simultanée propose de prendre en compte et de traiter les processus de production dès les premières phases de conception ; ceci oblige à tenir compte de nouveaux acteurs, éléments, procédés, etc., et par conséquent impose une nouvelle manière de voir, de comprendre et de communiquer la conception. Enfin, nous pouvons évoquer les problèmes d'identification des relations entre la conception, les sciences et les technologies dont la définition fait encore l'objet de multiples débats.

A présent, et jusqu'à nouvel ordre, la majorité des situations de compromis est assumée par les hommes entre eux, avec ou sans l'aide d'outils informatiques. Tel est le cas de la plupart des décisions prises dans des circonstances risquées.

Les nouveaux environnements d'aide à la conception ont introduit de nouveaux protocoles de communication entre les supports ou les médias impliqués dans un tel processus.

Maintenant, l’offre technologique, qui est très riche et variée, est également en pleine évolution. Ce fait doit entraîner une amélioration sensible de la qualité des systèmes d’aide à la conception qui en dépendent directement.

La maîtrise des apports de ces technologies permet d’optimiser leur usage et de les rendre très efficaces pour certains types d’applications. Beaucoup de spécialistes sont capables

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actuellement de spécifier les caractéristiques de ces applications. Il n’est plus maintenant admissible d’attribuer toute défaillance d’un système informatique seulement aux performances de ses outils. Il est bien clair que tous les acteurs (concepteurs, informaticiens, utilisateurs, etc.) se partagent cette responsabilité.

En conclusion, nous approuvons toute démarche admettant de personnaliser l'environnement de conception d'une part et de responsabiliser son utilisateur d'autre part. Ces deux approches sont totalement complémentaires et indissociables. L'efficacité d'une telle démarche est fondamentalement dépendante de la communication homme - machine.

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Références

[Carbonell & al, 84] Carbonell J. G., Michalsky R. S., Mitchell T. M., An overview of machine learning, Machine Learning: an Artificial Intelligence Approach, Spring-Verlag,1984.

[Guilford , 73] J.P Guilford, “La créativité”, La créativité par Beaudot A., ed. Dunod, 1973, pp. 10-28.

[Hart, 86] Hart A., 1986, Knowledge Acquisition for Expert System. Chapter 4, pp. 39-48. Kogan Page Ltd- U.K

[Heath, 89] Heath T., 1989, Social Aspects of Creativity and their Impact on Creativity Modeling”, Preprints of International Round-Table Conference, Modeling Creativity and Knowledge-Based, Creative Design, 11-14 December, Heron Island , 1989, pp. 1-12.

[Orel, Zreik, 92]. T. Orel, K. Zreik Conception: quelques repères historiques. Revue. internationale Sciences et Techniques de la Conception. Vol 1, N° 1, Février 1992.

[Zreik, 91] K. Zreik. Taxonomie des connaissances impliquées dans un acte de conception. in Vers une nouvelle génération des systèmes d'aide à la conception , ed. Europia, 1993.

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L'interaction en conception

Françoise ADREIT GRASCE, CNRS 935 Université d'Aix-Marseille III

Philippe MAURAN IRIT, INPT/ENSEEIHT Toulouse

RESUME : Cet article considère la conception dans une perspective systémique. La première section présente cette approche et la situe par rapport à l'approche analytique. Dans le cadre de cette approche, nous nous intéressons plus particulièrement à la notion d'interaction, qui apparaît centrale, aussi bien au regard de la compréhension, de la modélisation des phénomènes que de l'élaboration, de la composition, de nouveaux systèmes (section 2). La section 3 précise l'apport que peut fournir l'ordinateur à une démarche de conception s'appuyant sur la modélisation systémique. Enfin, la section 4 propose d'appliquer la réflexion précédente à la conception d'applications interactives.

MOTS-CLES. Application interactive, Communication, Complexité, Conception, Interaction,, Interface homme-machine, Systémique.

1. Introduction : Une modélisation systémique de la conception

Parmi les phénomènes auxquels s'applique la modélisation, la conception s'attache plus spécifiquement aux phénomènes artificiels, caractérisés par la recherche d'une adaptation à leur environnement pour servir un but, une finalité donnée [Simon, 1981]. Les « Sciences de l'Artificiel » se démarquent ainsi des Sciences

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naturelles en ce que leurs objets semblent guidés par des relations de contingence à un environnement alors que les objets des Sciences naturelles sont régis par des relations de nécessité, d'obéissance à des lois naturelles. Dans ce dernier cas, la modélisation s'attache à produire un modèle du phénomène naturel tel qu'il est perçu.

Face à un phénomène (perçu ou conçu), au sein duquel on se propose d'intervenir, deux approches sont classiquement distinguées :

• soit l'on décompose le phénomène, en éléments plus simples, présumés plus compréhensibles, que l’on appréhende séparément ;

• soit l'on construit un modèle du phénomène, mettant en valeur les interactions qui le composent.

La première approche est analytique : elle consiste à analyser le phénomène, et à en isoler les parties organiques le composant. Elle se prête à la description des phénomènes perçus compliqués, et donc décomposables.

La seconde est systémique et se prête à la représentation des phénomènes complexes, « enchevêtrés », qui ne peuvent être appréhendés qu'au travers de leurs interactions. L’appréhension du phénomène passe ainsi par la conception de modèles qui rendent compte de ce que fait le phénomène plutôt que de ce dont il est fait.

C'est cette seconde problématique de la modélisation que l'on se propose de privilégier ici pour rendre compte des phénomènes complexes d'interaction en conception [Le Moigne, 1990a, 1994]. Dans ce cadre, nous considérons la conception elle-même comme un phénomène complexe : « Nous concevrons la conception comme un acte complexe, produisant un résultat (le modèle) complexe » [Le Moigne, 1990b].

En section 2, nous nous intéressons plus particulièrement à la notion d'interaction, qui apparaît centrale, aussi bien au regard de la compréhension, de la modélisation des phénomènes que de l'élaboration, de la composition, de nouveaux systèmes. La section 3 précise l'apport que peut fournir l'ordinateur à une démarche de conception s'appuyant sur la modélisation systémique. Enfin, la section 4 propose d'appliquer la réflexion précédente à la conception d'applications interactives.

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2. L'interaction dans une modélisation systémique de la conception

2.1 L'interaction, moteur de la modélisation systémique

La modélisation systémique met en avant le concept d'Action : un phénomène est perçu comme un complexe d'actions. Cette action est réciproque : le phénomène est soumis aux actions des phénomènes sur lesquels lui-même agit. Elle est donc interaction.

La notion d'interaction constitue le moteur de la modélisation systémique : « Il n'y a pas de principe systémique antérieur et extérieur aux interactions entre éléments » [Morin, 1977 : p. 103].

Nous considérons trois acteurs en interaction (figure 1) : le phénomène, le concepteur et l’environnement organisationnel dans lequel sont immergés le phénomène et le concepteur3.

Phénomène

Environnement

Concepteur

INTERACTION

Figure 1 : Interactions en conception

Chaque action de l’un agit sur les deux autres. Par exemple, le concepteur agit sur le phénomène et sur l’environnement. Et chacun est soumis aux actions des deux autres. Mais également, chacun est soumis à ses propres actions : chacune de ses actions rétro-agit sur l'acteur.

3 Dans notre propos, nous considèrerons un concepteur ou un groupe de concepteurs mais sans nous intéresser aux interactions suscitées par le groupe de concepteurs.

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Une action et ses effets doivent être considérés dans la globalité de l'interaction, c'est-à-dire qu'un acteur n'agit pas sur les deux autres et sur lui-même pris isolément mais associés par l'interaction. Par exemple, le concepteur agit sur le phénomène immergé dans l'environnement : ses actions, comme ses effets, seront sans doute différents dans un environnement différent.

Ainsi, chaque acteur (phénomène/ concepteur/ environnement) est en interaction avec le système formé par le phénomène, le concepteur et l'environnement en interaction.

Ces interactions sont transformatrices : chacun des acteurs en interaction est transformé par l'interaction. Par exemple, un concepteur acquiert, au fil des interactions, une expérience à la fois sur le phénomène, sur l'environnement, sur lui-même, et sur la conception. En se transformant, chacun des acteurs transforme l'interaction : le concepteur n'a pas le même rapport avec le phénomène en début et en fin de conception.

Ces interactions sont finalisées : chaque acteur en interaction construit les actions qu'il entreprend (et donc les interactions) en fonction de ses finalités. Ainsi, le concepteur conçoit un modèle en fonction de ses finalités. Ces interactions sont aussi finalisantes : elles transforment les finalités des acteurs en interaction. Ainsi, les finalités initiales du concepteur sont transformées au fil de ses interactions avec le phénomène, l'environnement et avec lui-même.

2.2. L'interaction, constructeur de systèmes

Le phénomène, le concepteur et l'environnement sont, nous venons de le voir, transformés par l'interaction et leur transformation transforme elle-même l'interaction. L'interaction entraîne ainsi une « imprégnation » réciproque à la fois de chacun des acteurs et de l'interaction.

Dès lors, il n'y a pas de frontière précise, de séparation nette : si chaque acteur en interaction garde son identité (le concepteur reste le concepteur, le phénomène reste le phénomène, et l'environnement reste l'environnement), chacun se transforme en fonction des interactions. Par exemple, le concepteur reste concepteur, mais un concepteur imprégné de ses interactions.

Ainsi, l'interaction lie les acteurs, faisant ainsi émerger un système global, enchevêtrement des acteurs en interaction (figure 2).

« Le système surgit, comme objet nouveau, objet organisé ou système, dont l'explication ne peut plus être trouvée uniquement dans la nature de ses constituants élémentaires, mais se trouve aussi dans sa nature organisationnelle et systémique, qui elle-même transforme les caractères des composants » [Morin, 1977].

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Phénomène

Environnement

Concepteur

INTERACTION

Figure 2 : L'interaction fait émerger un nouveau système

L'étude du système global ne peut donc se réduire à l'étude de

chacun des acteurs de l'interaction, pris séparemment : elle passe par l'étude de l'interaction entre les acteurs.

Le modèle (du phénomène) est une image, une forme stabilisée et tangible du système. [Mer et al, 1995] montre que cette image est un vecteur de communication et de coordination, plus généralement d'interaction, entre les acteurs de la conception, permettant d'intégrer les différents points de vue et de construire une nouvelle image du système.

2.3. L'interaction, phénomène complexe

Nous considérons l'interaction en conception comme un phénomène complexe, constructeur du système global et transformateur des acteurs en interaction.

L'interaction est un processus dynamique et continu dans lequel le système global et les acteurs en interaction sont à la fois processeurs et résultats : le système global et les acteurs en interaction interagissent et sont transformés, « modelés » par l'interaction. Ce processus passe par des phases de stabilisation au cours desquelles peut être établi un modèle, une forme tangible du phénomène.

Ce processus d'interaction est finalisé : il s'agit de construire un système (dont la forme tangible sera le modèle du phénomène). Cette finalité (et donc le modèle) est une fonction complexe des finalités des acteurs en interaction.

Ce phénomène complexe d'interaction est lui-même en interaction avec d'autres phénomènes, faisant ainsi émerger un nouveau système : « Le tout fait partie d'un plus grand tout » [Morin, 1977] (figure 3).

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Figure 3 : Le tout fait partie d'un plus grand tout

3. L'ordinateur dans le processus de conception

Les sections précédentes ont présenté les éléments essentiels pour aborder la conception selon un point de vue systémique, centré sur l'interaction. Nous nous intéressons dans cette section à l'introduction de l'ordinateur dans le processus de conception par l'intermédiaire d'applications interactives de conception assistée par ordinateur (CAO).

L'ordinateur est conçu comme un assistant du concepteur utilisant ses capacités de mémorisation (conservation et restitution d'information), de calcul (simulation) et de communication (notamment dans le cas de conceptions coopératives) par l'intermédiaire d'outils comme les bases de connaissances, les systèmes experts ou les outils de vérification de cohérence [Boissier, Alhajjar, 1994] [Galarreta, Trousse, 1994]. L'application interactive de conception joue dans le processus de conception un rôle d'assistance, de support cognitif, toute l'activité cognitive incombant au concepteur.

3.1. Les transformations

L'utilisation de l'ordinateur en conception introduit un nouvel interacteur, l'ordinateur, et donc transforme l'interaction (voir supra). L'activité du concepteur se transforme : il s'agit maintenant de concevoir à l'aide de l'ordinateur et, plus spécifiquement, d'une application interactive de CAO. L'ordinateur ne se borne pas à une simulation de l'environnement et les actions physiques : il transforme l'activité. La virtualisation permet d'utiliser les acquis du génie logiciel : réutilisation, généricité (etc.) et … virtualisation. « Le processus de

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virtualisation est ainsi récursif et a priori sans fin : les objets proposés par l'environnement virtuel, lorsqu'ils deviennent usuels, acquièrent en quelque sorte le poids des choses concrètes. Ce qui était méta-réflexion (réflexion sur des objets eux-mêmes objets de réflexion) devient maintenant réflexion sur la pratique courante » [Adreit et al, 1993].

L'application interactive elle-même doit se transformer au cours du temps, s'« imprégner » de l'interaction, du concepteur, du phénomène et de l'environnement. Cette transformation peut être réalisée en partie (de manière très limitée actuellement) par l'application elle-même4. Elle peut être réalisée par un acteur humain mettant à jour les différentes ressources dont dispose l'application (le modèle de l'utilisateur-concepteur, du domaine, de la tâche… [Caelen, 1994] [IHM, 1993]) ou au travers des différentes versions successives de l'application.

Dans cette perspective, un atout extraordinaire de l'ordinateur est sa souplesse, sa plasticité, qui lui permet d'intégrer les transformations progressives, indépendantes de l'automatisation (par exemple, l'évolution du domaine de l'édition de texte, indépendamment de l'automatisation de l'outil) et les transformations suscitées par son introduction dans le processus de conception (voir par exemple les transformations qu'ont connues les traitements de texte depuis les simples simulations de la machine à écrire jusqu'aux logiciels actuels de PAO) [Adreit et al, 1993].

3.2. Le rôle de l'ordinateur

[Boudon, 1994] compare le rôle que joue l'ordinateur dans le processus de conception à celui que joue le traitement de texte dans le processus d'écriture : « le traitement de texte ne fait pas de littérature mais il peut aider considérablement l'écrivain ». De la même façon, l'application interactive de CAO ne fait pas de conception mais peut aider le concepteur.

Elle peut s'intégrer au système de représentation. Elle intervient de façon duale dans la mise en symboles du réel perçu (définition d’objets de conception et gestion de ces objets) et dans la concrétisation d’abstractions (visualisation ou, plus généralement, concrétisation des objets, des actions, des processus, de conception) [Adreit et al, 1993] (figure 4).

4 Les interfaces « adaptatives » proposent dans ce sens une adaptation principalement « cosmétique » de l'interaction homme-ordinateur [Coutaz, 1990].

Page 76: Conception et interaction

Le concepteur L'application interactive de conception

concrétisation

mise en symboles

Figure 4 : L'application intervient de façon duale dans la représentation

Elle définit un ensemble de symboles sémantiquement interprétables et impose une grammaire qui conditionne la conception de l'activité. Le système de représentation joue donc un rôle déterminant dans le processus de conception.

Elle peut être un assistant pour le concepteur. Elle peut fournir un environnement qui assiste la conception elle-même, indépendamment de son objet : un « espace de conception » [Boudon, 1994] ou « cyberspace, lieu d'émergence et de métamorphose des mondes virtuels » [Levy, 1993 : p. 24]. Cet environnement doit proposer des objets pertinents pour la conception, des actions sur ces objets, des règles qui permettent d'utiliser convenablement ces objets ; il doit proposer aussi une méthode qui permette au concepteur de concevoir la multiplicité des points de vue, de passer d'un point de vue à l'autre, d'accéder à un méta point de vue [Morin, 1977].

Cet environnement pilote l'activité du concepteur qui consiste en une « manipulation réglée de symboles » [Levy, 1987 : p. 23]. [Rochfeld, 1994] propose d'assouplir la notion classique de règle en définissant des « espaces de cohérence » à l'intérieur desquels certaines règles ne s'imposent pas comme des contraintes, contraignant l'activité du concepteur, mais sont des indicateurs pour le pilotage de l'activité.

Elle peut fournir un support précieux à l'interaction. Elle est un medium de communication entre les acteurs de la conception [Mer et al, 1995] : entre le concepteur et ses interlocuteurs, et entre concepteurs dans le cadre d'une conception collective5. Elle est medium de communication dans le temps, restituant des symboles préalablement mémorisés, et dans l’espace, réalisant une « mise en

5Cette dernière perspective ouvre la voie à de nouvelles investigations : par exemple, comment se déroule un processus collectif de conception ? qu'entend-on alors par système de représentation ou par espace de conception collectif ? …

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présence » d'un ensemble d'acteurs, leur intégration dans un processus de coopération hommes-machines.

L'application interactive de conception ne se réduit pas à un dispositif technique permettant d'échanger des messages. Elle doit être « espace de communication » et supporter la complexité de la communication. « Communiquer revient à construire ensemble un monde de significations, à partager un contexte, une situation, le sens d'une situation et pouvoir modifier le sens de cette situation. Communiquer, c'est agir sur un monde de significations partagées » [Lévy, 1993 : p. 31]. Cet espace de communication est à la fois processeur et résultat de la communication : il supporte la communication et il est transformé par la communication.

4. La conception d'applications interactives

De façon duale à la réflexion sur l'introduction de l'ordinateur dans le processus de conception, se pose le problème du processus de conception d'une application interactive, supportant l'interaction entre l'homme et l'ordinateur.

4.1. Les phases de la conception d'applications interactives

On distingue classiquement quatre phases dans le processus de conception d'une application interactive [IHM, 1993] :

• la modélisation de la tâche de l'utilisateur, • la spécification, • la réalisation, • l'évaluation. Dans ce processus, [Coutaz, 1995] distingue deux « espaces » :

l'espace de conception de l'interface homme-machine qui fait appel à des ergonomes, et l'espace logiciel, domaine des informaticiens. Le processus souffre du manque d'interaction entre les deux espaces [Coutaz, 1995], le premier couvrant les phases en amont et en aval du processus (modélisation de la tâche, une partie de la spécification, et l'évaluation), le second couvrant une partie de la spécification et la réalisation.

Le processus est ainsi découpé séquentiellement suivant les quatre phases (les retours en arrière sont très limités), séparant l'interaction homme-machine de l'application (l'une des règles importantes est de « séparer la conception de l'interface de la conception de l'application » [Meinadier, 1991]).

Cette séparation est illustrée par les modèles utilisés qui décomposent l'application interactive en trois éléments : l'homme, l'application et l'interface [Coutaz, 1990] (figure 5). L'interface gère

Page 78: Conception et interaction

l'interaction entre l'homme et l'application. Elle est conçue comme un élément séparé et séparateur, communicant d'une part avec l'homme, d'autre part avec l'application, suivant des protocoles précis. Elle-même est décomposée en éléments spécialisés.

L'utilisateur

L'application informatique

I N T E R F A C E

Protocole Protocole

Figure 5: Décomposition d'une application interactive

L'interaction dans le processus de conception d'une application interactive apparaît davantage comme un « effet de bord » que l'expérimentation fait surgir et amène à résoudre, de manière ad hoc.

4.2. Eléments pour la modélisation d'applications interactives

Nous proposons d'aborder la conception d'une application interactive par une modélisation systémique, privilégiant l'interaction entre le(s) concepteur(s), l'environnement et le phénomène. Nous appelons « Système Homme-Ordinateur » (SHO) le système émergeant de cette interaction.

Dans cette perspective, non seulement chacune des phases du processus de conception (cf 4.1) privilégie l'interaction entre les différents acteurs mais également les différentes phases sont enchevêtrées par l'interaction des acteurs. Par exemple, les informaticiens ne sont pas cloisonnés dans la phase de réalisation : ils participent aux différentes phases, venant se fondre progressivement, par le jeu des interactions, à l'équipe de concepteurs-ergonomes qui peut être mise en place initialement.

Cette perspective souligne le rôle actif que joue chacun des acteurs dans le processus de conception. Le processus n'est pas « mené » seulement par le concepteur : le phénomène (et donc l'utilisateur) et l'environnement participent activement à la construction du SHO. Ainsi, on ne s'interroge plus sur la logique tantôt de fonctionnement, tantôt d'utilisation du système [Coutaz, 1990] : le SHO émerge d'un équilibre entre concepteur (logique de fonctionnement), phénomène (logique d'utilisation) et environnement.

La nécessité de la participation active du phénomène et de l'environnement est soulignée par la réalisation actuelle, très tôt dans

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le processus de conception, de prototypes permettant à l'utilisateur in situ d'interagir avec le concepteur. Le prototype constitue dans ce cadre un vecteur d'interaction (cf 2.2). Il est aussi vecteur d'interaction entre les concepteurs, paliant ainsi l'absence de support commun entre ergonomes et informaticiens que souligne [Coutaz, 1995].

Cette perspective souligne également la transformation des acteurs (à la fois processeurs et résultats). Ainsi, de l'interaction entre l'utilisateur et le prototype résultent à la fois la transformation du prototype et la transformation de l'utilisateur (qui « s'imprègne » du prototype). Mais également, l'environnement et le concepteur sont transformés et vont eux aussi transformer le prototype.

Ainsi, la modélisation systémique paraît adaptée à rendre compte des évolutions actuelles du processus de conception des applications interactives, encouragées par l'expérimentation, favorisant la constitution d'équipes pluridisciplinaires et la réalisation de prototypes.

Si l'on se tourne vers l'objet même de cette conception, le SHO, l'interaction (ici entre l'homme et l'ordinateur) joue également un rôle central, ce qui incline à recourir au même cadre de modélisation. Cependant, dans ce cas, les aspects dynamiques, le processus d'interaction, sont peu considérés : les modèles actuels sont centrés sur le résultat. Ainsi, il est significatif que si les outils logiciels actuels permettent une évolution de l'application interactive, cette évolution se fait par l'intermédiaire de la notion de « modèle » (ou ressource) paramétrant certains aspects de l'interaction, et reste limitée à des aspects « cosmétiques » (comme la forme des icônes ou la taille des fenêtres). Dans cette optique, une modélisation systémique peut constituer une approche prometteuse pour la modélisation de l'interaction homme-machine. De surcroît, le choix de cette approche aurait le mérite de se situer dans la continuité de l'approche choisie pour rendre compte du processus de conception.

5. Conclusion

Nous proposons d'aborder la conception par une modélisation systémique, centrée sur l'interaction. Nous présentons un ensemble d'idées dans l'optique d'une vision alternative de la conception et du couplage de la conception et de l'ordinateur. Nous considérons d'une part l'introduction de l'ordinateur dans le processus de conception, et, d'autre part, le processus de conception d'une application interactive. Dans ce dernier cas, considérant une application interactive comme le support de l'interaction homme-

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ordinateur, nous suggérons d'utiliser la modélisation systémique pour représenter l'objet même du processus de conception.

Remerciements

Nous remercions Brigitte Trousse dont la relecture nous a permis d'expliciter et d'éclaicir plusieurs points importants du texte.

Références

[Adreit et al, 1993] F. Adreit, C. Boksenbaum, Ph. Mauran : "Le sens, essence des sens", Actes de la conférence "Computer Science, Communication and Society: A technical and Cultural Challenge", Neuchâtel, Septembre 1993.

[Boissier, Alhajjar, 1994] D. Boissier, J. Alhajjar : "Résolution de problèmes en CAO technique", L'organisation de la conception, Europ'IA éd., 1994.

[Boudon, 1994] Ph. Boudon : "Conception de l'objet et du projet", Séminaire "Ingénierie Systémique : De la Conception Orientée Objet à la Conception Orientée Projet", Aix-en-Provence, 1994.

[Caelen, 1994] J. Caelen : "Interface multimodale en conception", L'organisation de la conception, Europ'IA éd., 1994, p. 229-245.

[Coutaz, 1990] J. Coutaz : "Interface homme-ordinateur, conception et réalisation", Dunod 1990.

[Coutaz, 1995] J. Coutaz : "Interaction homme-machine : points d'ancrage entre ergonomie et génie logiciel", Actes du congrès 01Design'95 "Aspects Communicatifs en Conception", 4ème Table Ronde Francophone sur la Conception, Autrans, 1995.

[Galarreta, Trousse, 1994] D. Galarreta, B. Trousse : "La coopération d'activités dans les organisations complexes", L'organisation de la conception, Europ'IA éd., 1994, p. 83-97.

[IHM, 1993] Collectif IHM'93, Comptes rendus des ateliers des 5e journées sur l'Ingénierie des Interfaces Homme-Machine, Lyon, 1993.

[Le Moigne, 1990a] J-L. Le Moigne : "La modélisation de systèmes complexes", Dunod, 1990.

[Le Moigne, 1990b] J-L. Le Moigne : "Conception de la complexité et complexité de la conception", Revue internationale de systémique, Vol. 4, n° 2, 1990, pp. 295-318.

[Le Moigne, 1994] J-L. Le Moigne : "Théorie du système général. Théorie de la modélisation", PUF, 1977, 4ème éd. mise à jour 1994.

Page 81: Conception et interaction

[Lévy, 1987] P. Lévy : "La machine univers. Création, cognition et culture informatique", coll. Sciences et société, éd. La découverte, 1987.

[Lévy, 1993] P. Lévy : "Des mondes virtuels pour l'intelligence collective : intelligence artificielle ou intelligence collective ?", Actes de la conférence "Computer Science, Communication and Society: A technical and Cultural Challenge", Neuchâtel, Septembre 1993.

[Meinadier, 1991] J-P. Meinadier : "L'interface utilisateur. Pour une informatique plus conviviale", Dunod, Informatique et stratégie, 1991.

[Mer et al, 1995] S. Mer, A. Jeantet, S. Tichkiewitch : "Les Objets Intermédiaires de la conception : Modélisation et Coordination", Actes du congrès 01Design'95 "Aspects Communicatifs en Conception", 4ème Table Ronde Francophone sur la Conception, Autrans, 1995.

[Morin, 1977] E. Morin : "La méthode. La Nature de la Nature", éd. du Seuil, coll. Points Essais, 1977.

[Rochfeld, 1994] A. Rochfeld : "La méthode OOM", Séminaire "Ingénierie Systémique : De la Conception Orientée Objet à la Conception Orientée Projet", Aix-en-Provence, 1994.

[Simon, 1981] H. A. Simon : "The Sciences of the Artificial", MIT Press., 2d ed., 1981, traduction française, "Sciences des systèmes, Sciences de l'artificiel", éd. Dunod, 1991.

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Communication expérimentateur-machine sur une expérience psychologique Application de l'argumentation à la communication homme-machine

Yannick JULLIEN GREYC, Université de Caen

RESUME. Psychild est un système explicite et évolutif qui a été conçu dans l'optique de servir de base de communication entre des expérimentateurs et le système Compèrobot. A cet effet, il met en oeuvre trois principes : l'explicitation des connaissances, la possibilité d'argumentation et l'adéquation de l'interface par le ré-emploi des outils existants. Cet article décrit ces principes, en quoi ils sont importants pour la communication homme-machine et montre comment ils sont intégrés dans Psychild pour former une base cohérente à la communication. Il montre comment cette base conçue pour la mise au point d'un environnement expérimental psychologique peut être étendue à la tâche de conception en général.

MOTS-CLES. Communication Homme-Machine, Argumentation, Systèmes Multi-agents, Modèles de comportements, Architecture de Modèles.

1. Introduction

Le projet Compèrobot de dialogue enfant-machine dans des expériences de psychologie expérimentale, doit proposer une interface pour les enfants, une pour les compères et une pour les psychologues expérimentateurs. Il est désormais reconnu que la communication homme-machine nécessite une adéquation de

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l'interface avec la tâche et le type d'utilisateur [Nicolle, 93]. Dans cette optique, les interfaces ont été développées sur la base d'une réutilisation des outils existants dans les différentes parties déjà développées pour le projet. Les interfaces sont construites à l'aide d'un système multi-agents conçu pour la communication par l'emploi de l'argumentation. Suite à sa définition en 2.1, un principe d'argumentation est exposé en décrivant ses différentes phases et fondations (2.2). Ce principe est appliqué dans un système multi-agents générique conçu pour la communication (3.3) grâce au concept de Modèle (3.1.) et au principe de hiérarchie d'états (3.2). Les modules de communication en eux-mêmes réutilisent une composition des outils de communication développés (4.1), garantissant l'adéquation à la tâche, et mettent en oeuvre une argumentation avec les expérimentateurs (4.2.). Cette argumentation est étendue à la tâche de conception en général (5) en permettant la coopération entre la machine et un concepteur sur des points de vue divergents.

2. Communiquer : l'argumentation comme raisonnement

La plupart des systèmes de communication homme-machine sont basés sur le principe de réaction par raisonnement logique. C'est à dire que le système va raisonner sur une sollicitation de l'utilisateur afin de lui répondre. Il commencera par analyser la requête puis en déduira ce qu'il faut faire pour y répondre et enfin mettra en forme sa réponse sous la forme d'une action ou d'un message. Cette conception de la communication repose sur une considération servile de la machine qui dispose de la connaissance. De ce fait la communication est monolatérale : la machine ne fait que répondre directement aux requêtes et ce qu'elle énonce est la réponse adéquate. Mais ce mode de fonctionnement ne convient pas à toutes les formes de communication. Bien des fois, les connaissances qu'on doit transmettre ne constituent pas en elles-mêmes des vérités absolues. Il faut pouvoir alors les défendre et les justifier. Il ne suffit pas de dire, il faut convaincre. En particulier, la conception d'un produit est rarement une tâche monothéiste : la réalisation doit satisfaire des points de vue techniques et économiques divers et parfois contradictoires. Il faut pouvoir prendre en compte les différents points de vue et résoudre les conflits.

De fait, un système de communication homme-machine servant pour la réservation de places de train n'a pas besoin de défendre ses réponses mais pour réaliser des machines collaborant avec l'homme sur des tâches complexes, des désaccords peuvent apparaître sur les prises de position de chacun. C'est pourquoi, l'interaction va au-delà

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de la simple réponse : il faut la justifier et savoir prendre en compte des points de vue différents. La situation de Compèrobot est exemplaire de ce point de vue. C'est un système capable de jouer le rôle d'un Compère humain dans le cadre d'expériences psychologiques. Nous l'avons voulu doté de capacités d'apprentissage afin qu'il puisse améliorer son rôle de Compère. De ce fait, il doit être capable d'étudier les corpus résultant de ses interactions au cours des expériences et de formuler des hypothèses sur le comportement du sujet de l'expérience et de son comportement de compère en réponse. C'est pourquoi entre autres, il a été développé un module de communication avec les expérimentateurs afin que le système puisse présenter le résultat de ces études et en discuter puisque c'est aussi en partie le travail des psychologues. La communication est alors basée sur une coopération certes mais surtout sur l'exposé de points de vue divergents. A cet effet, elle repose sur un principe bilatéral d'argumentation dont il sera d'abord donné une définition pour ensuite être explicité dans son fonctionnement.

2.1. L'argumentation

Le premier auteur qui ait développé une conception systématique de l'argumentation est Aristote, au sein de deux ouvrages, marquant déjà la dualité entre le raisonnement et la démarche sociale de l'argumentation. Il l'a d'abord considérée essentiellement sous l'angle du raisonnement dans les Topiques (l'ouvrage contient une théorie du "raisonnement dialectique"). Dans la Rhétorique il s'est attaché aux aspects relatifs à la persuasion de l'auditoire. L'argumentation apparaît ainsi comme l'association ou la coordination d'une procédure rationnelle et d'une démarche sociale. C'est cet aspect social qui fait de l'argumentation un moyen incontournable de communication de certains systèmes coopératifs, notamment des systèmes de conception distribuée. Cette forme de discussion ne délaisse pas pour autant le raisonnement puisqu'elle part de prémisses et aboutit à des conclusions qui en découlent nécessairement. Mais l'argumentation apparaît comme nécessaire dès qu'on ne considère plus la machine comme devant dire le vrai passivement. Même les systèmes les plus frustres gagneraient à pouvoir justifier leurs actions par leurs faiblesses ou capacités.

L'argumentation peut être définie de différentes manières. Nous adopterons donc la définition suivante inspirée de [Oléron, 87 : 4-5] : démarche par laquelle une personne, un acteur ou un groupe entreprend d'amener un auditoire à adopter une position par le recours à des présentations ou assertions, arguments qui visent à en montrer la validité ou le bien-fondé.

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Cette définition fait ressortir trois caractéristiques de base de l'argumentation sur lesquelles nous reviendrons plus en détail en 2.2 : - L'argumentation fait intervenir plusieurs personnes : celles qui la

produisent, celles qui la reçoivent, éventuellement un public ou des témoins. C'est un phénomène social. D'un point de vue de conception, il faut clairement définir qui peut argumenter et quand l'argumentation est nécessaire. Pour un système de conception distribuée, il s'agira des différents acteurs impliqués dans la conception d'un produit : les concepteurs, les fabricants, les clients ou les systèmes experts de conception. La communication par argumentation n'en est pas pour autant toujours adéquate et un des objectifs psychologiques de l'expérience Compèrobot est de définir pour la communication homme-machine une nomenclature des interfaces à employer en fonction du type de tâche à réaliser et du type d'utilisateur. Compèrobot constitue en effet un système dont le comportement peut varier et être affiné en fonction de l'expérience psychologique à effectuer. Il constitue donc un outil utile dans cette optique d'étude de l'adéquation des interfaces en mettant en oeuvre le type reposant sur l'argumentation.

- L'argumentation n'est pas un exercice spéculatif, comme le seraient par exemple la description d'un objet, la narration d'un événement (encore qu'on puisse douter qu'il existe jamais d'actions, même verbales, purement gratuites). C'est une démarche pour laquelle une des personnes vise à exercer une influence sur l'autre. A cet effet il convient donc de décider du sujet de l'argumentation, de la thèse qui sera défendue et de l'acteur qui prendra l'initiative de l'argumentation. En conception, il s'agit principalement de concilier les différentes contraintes induites par les différents acteurs participant à la conception du produit.

- L'argumentation fait intervenir des justifications, des éléments de preuve en faveur de la thèse défendue, qui n'est pas imposée par la force. C'est une procédure qui comporte des éléments rationnels. Elle nécessite la mise en forme de ces justifications, de raisonner sur l'importance relative et l'impact de ceux-ci ce qui entraîne souvent une planification du déroulement de l'argumentation.

Ces considérations définissent un cadre général de déroulement de l'argumentation, cadre que nous allons maintenant décrire plus précisément.

2.2. Principe d'argumentation

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La définition donnée dans la section antérieure a mis en évidence les trois points caractérisant l'argumentation. Ceux-ci ont deux conséquences pour la mise en oeuvre de l'argumentation dans une perspective de communication homme-machine : l'emploi de l'argumentation est un choix conceptuel et sa mise en oeuvre est contrainte par sa définition même.

Premièrement, un choix est à effectuer dans la décision même de la mise en oeuvre. L'argumentation étant intentionnelle, il faut définir précisément sa raison d'être et ses acteurs. Pour un système informatique, on peut envisager l'introduction de l'argumentation à trois niveaux : en interne, en communication avec des utilisateurs et pour la communication des utilisateurs entre eux via la machine.

En interne, on peut concevoir les différents modules d'un système comme des agents autonomes communicants entre eux et formant donc une communauté sociale (conception multi-agents). Au sein de cette société, il peut arriver que les agents soient en désaccord : soit qu'ils agissent de manière contradictoire, soit qu'ils tentent de s'influencer mutuellement pour que l'autre fasse une action pour l'un. L'argumentation apparaît alors comme un moyen de résoudre les contradictions d'un système multi-agents ou de permettre l'émergence de contrats d'association entre agents. Les acteurs de l'argumentation sont alors des agents, le sujet de l'argumentation est un conflit nécessitant la justification des actions de chacun ou l'établissement d'un contrat nécessitant la justification des compétences du contractant ou la justification de la demande de service. Un témoin peut être un contrôleur et les arguments ou le raisonnement dépendent de la fiabilité des règles des agents incriminés et des données sur lesquelles elles reposent. Le système Magica décrit en 3 donne un exemple de communauté d'agents mettant en oeuvre ce principe d'argumentation pour résoudre ses conflits.

Au niveau de la communication avec des utilisateurs, le principe d'argumentation est surtout utile pour les systèmes coopérant avec un utilisateur sur une tâche complexe. Le système peut avoir son propre point de vue à défendre, il doit comprendre les arguments de l'utilisateur et l'argumentation peut servir pour la mise en commun des connaissances de chacun. Les acteurs sont alors le système dans sa globalité et les différents utilisateurs humains. Le sujet de l'argumentation dépend de la tâche de même que les justifications. Ces fonctionnalités doivent être précisées dès le début de la conception du système.

L'argumentation entre utilisateurs via la machine peut être vue comme une extension des deux précédents cas en considérant chaque utilisateur comme un agent ou comme étant représenté par un agent. L'intérêt d'introduire une argumentation entre utilisateurs

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contrainte par le système informatique est double. Premièrement, cette argumentation peut alors être asynchrone et ne nécessite pas la présence en même temps des différents acteurs de l'argumentation en connexion avec le système. Un simple courrier électronique pourrait remplir cette fonction mais il n'introduit pas une méthodologie comme expliqué en 5. L'argumentation proposée est plus structurée et organise la succession d'arguments et contre-arguments. Le système peut conserver trace de cette succession et en faciliter la perception par les utilisateurs. Deuxièmement, cette trace puisqu'elle est exprimée selon le protocole d'argumentation du système, lui permet de répercuter directement l'issue de l'argumentation sur le produit en cours de conception. Le système est alors non seulement le vecteur de communication des utilisateurs mais aussi l'outil de conception qui dispose du modèle du produit. Les utilisateurs à l'issue de l'argumentation, n'ont plus alors à en répercuter l'issue sur le modèle du produit, le système peut le faire à leur place puisque l'argumentation a été controlée par le biais d'un protocole qu'il sait traiter.

La deuxième conséquence des principes de l'argumentation décrits en 2.1. est qu'ils définissent des contraintes sur le déroulement d'une argumentation, ce qui permet de le structurer. Deux types d'argumentation peuvent être distingués. Elle peut être "monolatérale", c'est à dire que le locuteur argumente sans avoir de retour immédiat de la part de ceux qui la reçoivent. Elle peut s'effectuer dans les deux sens et les interlocuteurs peuvent contre-argumenter jusqu'à ce que l'un ait réussi à convaincre les autres. Le premier type s'applique souvent quand les acteurs en conception ne sont pas présents en même temps en connexion avec le système informatique. Le second s'applique au contraire dans le cadre d'une conception interactive où chaque utilisateur réagit aux actions des autres soit en temps réel, soit de manière asynchrone.

2.2.1. Algorithme d'argumentation multilatéral

Une première proposition permet de définir l'algorithme général du principe d'argumentation "multilatéral" comme étant le suivant :

- Phase préalable + initiative : qui et quand déclencher une argumentation + détermination du sujet de l'argumentation + inventaire des divergences et des arguments non partagés + évaluation de l'importance des divergences et des

arguments

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- Boucle d'argumentation jusqu'à concession de l'un des participants

+ proposition de l'argument le plus important non encore énoncé

+ écoute de la contre-proposition + résolution de la contre-proposition

- Phase post-argumentative + assimilation des arguments présentés par les différents partis

La phase préalable permet de définir les conditions de l'argumentation. Premièrement, il faut savoir décider quand une argumentation est nécessaire. Au niveau des agents, elle est nécessaire en cas de conflit d'action entre les agents. Les conflits dans Magica sont détectés grâce à la structure des groupes d'opposition décrite en 3.2., les agents prennent l'initiative d'argumenter entre eux pour résoudre les conflits qu'ils détectent. Au niveau de l'interface avec les expérimentateurs, ou plus généralement avec un utilisateur, l'initiative d'une argumentation peut être prise par la machine quand on tente de lui imposer une conduite qui entre en contradiction avec des éléments de conduite qu'elle possède déjà ou quand on lui demande de ne pas valider une hypothèse qu'elle a émise par apprentissage. Deuxièmement, il faut déterminer le sujet de l'argumentation, c'est à dire le point de vue que chacun va tenter de soutenir. Il dépend directement de l'initiative de l'argumentation. Au niveau d'un agent ce sera sa règle de comportement ou sa procédure d'action. Au niveau de l'interface utilisateur, il s'agit bien sûr du point de divergence et l'aspect de ce point qu'on souhaite soutenir. L'inventaire va permettre de déterminer quels arguments vont permettre de soutenir le point de vue adopté. Au niveau des agents, ce sera un niveau de confiance en la règle et les données qui l'instancient. Ce niveau traduit en fait l'origine de la composante (voir 3.1.3.). Au niveau de l'interface utilisateur, du point de vue de la machine, il s'agira d'exposer les règles et sources mises en jeu par l'objet à défendre que l'utilisateur validera ou invalidera. Du point de vue de l'utilisateur, il s'agit bien sûr de ses propres arguments, qu'il devra mettre en oeuvre et formuler pour convaincre la machine. L'évaluation consiste à déterminer la pertinence et l'importance des arguments à présenter. Pour les agents il s'agit du niveau de confiance et de la prédominance de la règle sur ses données. Pour l'interface il s'agit des règles et bien souvent du mode d'apprentissage mis en question (4.2.3.).

La boucle d'argumentation consiste en une succession d'énonciations d'arguments et de contre-arguments. Elle dure jusqu'à ce que l'un ait réussi à convaincre les autres ou que chacun ait

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épuisé sa pile d'arguments. Plus précisément, celui qui a pris l'initiative commence par énoncer un argument en faveur de sa thèse. Les autres le reçoivent et réagissent en conséquence. A partir de cet instant, du point de vue de l'acteur incriminé, un cycle de boucle consiste en recevoir un argument opposé, à l'analyser et alors en fonction du résultat de cette analyse et de sa confrontation avec ses propres arguments, soit à concéder que l'autre a raison soit à énoncer un contre argument et à attendre sa réponse.

Une fois l'argumentation achevée, chacun assimile ce qui s'est dit. Ceux qui ont concédé vont, bien sur, réviser leur jugement en adoptant le point de vue de l'autre. Mais même ceux qui n'ont pas concédé voient leur jugement altéré par les contre-arguments énoncés, qu'ils doivent intégrer comme données supplémentaires soit pour confirmer leur thèse, soit comme données d'antithèse qui affinent leur jugement. Chacun sort modifié d'une phase d'argumentation. Ainsi en conception, il arrive bien souvent qu'une confrontation entre un acteur et quelqu'un d'un autre domaine fasse évoluer la conception du premier sur son propre domaine. De même pour l'énonciateur d'une thèse, le fait d'énoncer et donc d'avoir évalué ses arguments, entraîne au minimum une réorganisation de ceux-ci. Dans le cas de l'argumentation multilatérale, ce phénomène se cumule avec la concession (2.2.3.). L'argumentation mono-latérale s'appuiera sur ce seul phénomène de réorganisation. Au niveau des agents cela se traduit par une phase d'apprentissage spécifique qui entraîne, soit la disparition pure et simple de certains agents en cas de concession forte, soit la fusion des agents : celui ayant convaincu les autres reprenant certaines règles de ceux qui ont concédé, soit l'altération des règles des agents en fonction du degré de concession. Au niveau de l'interface avec les expérimentateurs, si le système concède, selon le cas, il peut laisser faire l'action que voulait effectuer l'expérimentateur même si elle remet en cause son autonomie, il peut détruire ou modifier des hypothèses issues de l'apprentissage en fonction des arguments énoncés ou des hypothèses énoncées d'autres acteurs participants à la conception du produit. Ce dernier cas se traduit par l'ajout ou le retrait et la modification des agents au niveau de leurs règles ou procédures (4.2.3.). Si l'utilisateur concède, le système assimile les arguments apportés par celui-ci en les incluant au niveau des agents. On voit donc que l'argumentation ne s'appuie pas sur la notion de vrai ou de faux comme le raisonnement logique et va au-delà de celui-ci en y associant un aspect social de communication qui fait souvent défaut aux interfaces de communication actuelle. L'argumentation n'est donc pas une simple explication car d'une part elle repose sur un mécanisme de raisonnement déterminant sa validité et d'autre part

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elle entraîne une remise en cause des connaissances et croyances de tous les acteurs incriminés.

2.2.2. Algorithme d'argumentation monolatéral

L'argumentation monolatérale est une version simplifiée de la précédente. Elle peut être comparée à une démonstration mais le but recherché n'est pas de montrer mais de convaincre. C'est la volonté de vouloir transmettre un jugement argumenté qui est à l'initiative d'une telle argumentation. L'inventaire et l'évaluation des arguments restent les mêmes. La boucle se réduit à l'enchaînement des propositions d'arguments selon un ordre planifié durant la phase d'évaluation. Cet ordre est celui pour lequel les arguments ont le plus d'impact en créant des liens entre eux de renforcement réciproque. La phase post-argumentative est nulle s'il n'y a pas de retour de la part du public ou peut être réduite à une restructuration interne des arguments puisque les énoncer a nécessité de les mettre en forme, ce qui est une forme d'évolution. L'algorithme est alors le suivant :

- Phase préalable + initiative et détermination du sujet de l'argumentation + inventaire des arguments en faveur du sujet + évaluation de l'importance de ces arguments

+ planification du déroulement de l'argumentation : ordre des arguments

- Boucle d'argumentation jusqu'a épuisement du plan + proposition de l'argument suivant dans l'ordre du plan

- Phase post-argumentative + assimilation des arguments présentés par les différents partis s'il y

en a + restructuration de sa mémoire en fonction de la mise en forme

des arguments

Ce type d'argumentation peut être ainsi vu comme une forme de préparation interne à une argumentation multilatérale ultérieure.

2.2.3. Les formes de concessions

En fait, l'intérêt de l'argumentation réside dans la phase post-argumentative, c'est à dire dans la concession ou non des auditeurs et ses conséquences. Dans tous les cas, une argumentation a au moins pour conséquence une réorganisation des connaissances des participants. On dira qu'un acteur concède quand il admet que la thèse que soutient l'argumentation d'un autre acteur, est vraie. Il y a

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bien sur des degrés dans la concession, on peut en distinguer trois, les deux premières nécessitant une modification profonde de l'entendement : - la concession générale forte : l'acteur est convaincu que la thèse

soutenue est véridique dans l'absolu. Il l'adopte comme étant désormais une de ses thèses et s'il défendait l'antithèse, il l'éradique de ses croyances,

- la concession générale faible : l'acteur croit que la thèse soutenue est véridique et l'adopte comme vraie jusqu'à preuve du contraire,

- la concession sur cas : l'acteur croit que la thèse soutenue est véridique dans le cas particulier énoncé, il modifie en conséquence ses croyances pour en tenir compte mais ne remet pas en cause ses idées préalables sur le domaine en général.

La détermination du type de concession nécessite une phase de raisonnement qui mettra en opposition les arguments en faveur et en défaveur de la thèse et nécessitera une évaluation de leur pertinence respective. Cette évaluation est différente de celle de l'énonciateur puisque celui-ci n'évalue que ses croyances tandis que l'évaluation post-argumentative repose sur une mise en opposition. L'architecture MAGICA met en oeuvre ces principes de concession et leurs résultantes en terme de réorganisation des connaissances.

3. Magica un modèle multi-agents décisionnel et communicatif

MAGICA est un modèle de système multi-agents utilisant l'argumentation pour communiquer et maintenir sa cohérence interne. La volonté de le doter de possibilités d'évolution et d'explicitation a présidé à sa conception décrite en 3.1. Ces capacités en font une structure orientée pour la communication Homme-Machine et particulièrement selon le mode de l'argumentation grâce notamment à la notion de groupes d'opposition comme expliqué en 3.2. La coordination de modèles Magica définit la structure de communication Homme-Machine décrite en 3.3. Le module de décision Psychild dans le projet Compèrobot dont l'interface avec les expérimentateurs est décrite en 4., est ainsi composé de cinq structures Magica qui lui confèrent ses spécificités.

3.1. Magica : une structure de Modèle pour la communication

Magica est un Modèle d'Agent, Générique Interprétable et Cohérent par Argumentation. Un agent y est vu comme une structure

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de décision représentative d'un point de vue qu'il modélise. Ainsi dans Psychild, le modèle de l'enfant, le modèle de l'expérimentateur ou celui de la machine sont des agents Magica. En conception, chaque client, fabricant ou concepteur pourrait être représenté par un tel agent. De même, les systèmes experts d'aide à la conception dans les différents domaines, pourraient être construits selon ce modèle d'agent. Une structure Magica est constituée de systèmes multi-acteurs rassemblés sous la notion de modèle. En fait, un agent Magica est l'alliance de la structure de décision multi-acteurs utilisant un modèle et de ce modèle.

3.1.1. Notion et structure d'agent

La structure d'agent a été conçue de manière à être évolutive et explicable pour faciliter la communication avec les expérimentateurs. Un agent est constitué de deux groupes d'acteurs et d'une hiérarchie d'états. La hiérarchie d'états représente le contenu de l'agent, ce qu'il formalise, c'est le modèle. Le premier groupe d'acteurs dit d'analyse ou d'entrée va rechercher les indices dans les entrées de l'agent pour actualiser la hiérarchie. Le second groupe dit d'action ou de sortie est capable de scruter cette hiérarchie pour décider d'effectuer des actions ou pour la présenter, l'expliquer.

La structure d'une hiérarchie qui est complexe car basée sur des objets dotés de valeurs par défaut et de réflexes, est décrite comme topique en 3.2. La structure et les deux types d'acteurs sont décrits dans le modèle des modèles. Cette caractéristique permet au modèle de créer de nouveaux acteurs, d'ajouter ou de retirer des états à une hiérarchie. On peut ainsi regrouper des acteurs procéduraux afin de constituer un acteur déclaratif en ajoutant de nouveaux cas d'analyse ou au contraire simplifier un acteur d'analyse donnant toujours le même résultat réactif en un acteur procédural plus rapide d'exécution.

Le système multi-acteurs hérite du principe d'argumentation décrit dans le modèle de la machine. Au niveau des acteurs, ce principe est employé quand ceux-ci aboutissent à des orientations contradictoires (voir 3.1.3.). Ils vont alors argumenter entre eux sur les raisons de leurs décisions ce qui entraînera une restructuration du système multi-acteurs par une forme d'apprentissage. A un niveau plus général ce principe est employé par les agents de communication avec les expérimentateurs au cours de leur interaction avec ceux-ci comme décrit dans la partie 4.2. Enfin on peut l'envisager comme mode de communication entre acteurs Magica eux-mêmes puisque ceux-ci sont représentatifs d'un point de vue qu'ils modélisent (comme celui de l'utilisateur ou de la machine).

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Ce sont ces capacités d'évolution, d'argumentation et de description qui sont primordiales pour la communication. La capacité d'évolution participe à l'adaptabilité, celle d'argumentation à la communication des points de vue et celle de description à l'explicitation. Elles reposent sur le système multi-acteurs décrit ci-dessous.

3.1.2. Le système multi-acteurs

Les acteurs d'un agent sont de deux types basés sur l'opposition procédural/déclaratif. Ils ont pour base commune leur mécanisme de traitement des messages. Chaque fois qu'un acteur reçoit un message ou qu'il est activé directement, il scrute sa boîte aux lettres en commençant par les messages les plus récents. Dès que l'un d'eux correspond avec sa phase, il l'applique sur la règle comportementale associée à cette phase, les autres messages sont ignorés. La phase correspond à l'état d'attente ou de fonctionnement de l'acteur. Chaque phase est associée à une règle comportementale qui définit l'action de l'acteur en fonction de la situation présente. Si aucun message n'est appliqué et si l'acteur a été directement activé, il applique alors la méthode associée à son type.

L'acteur le plus simple est le procédural : quand il reçoit un message dans sa boîte aux lettres, il y applique une fonction déterminée. Le second type d'acteurs dit déclaratif fonctionne comme un mini moteur d'inférence. Il emmagasine des messages d'information jusqu'à la réception du message particulier déclenchant l'analyse. Il applique alors sa base de règles sur les informations dont il dispose. L'une des règles de comportement concerne plus particulièrement l'argumentation entre acteurs, elle est décrite en détail en 3.1.3.

3.1.3. L'argumentation dans une société d'acteurs

Comme toute société, une société d'acteur n'est pas uniforme et des divergences peuvent apparaître. Les systèmes multi-acteurs classiques quand ils résolvent leurs problèmes de cohérence, le font de manière fruste par la loi du plus fort ou par un système d'enchères. Le point de vue adopté ici est que cette tâche est en grande partie du ressort des acteurs et peut se résoudre par le principe d'argumentation.

L'argumentation dans une société d'acteurs reprend les étapes du principe d'argumentation décrit en 2. On peut alors envisager deux types d'argumentation : une simple correspondant à l'argumentation monolatérale et une dynamique correspondant à celle multilatérale. Dans tous les cas, l'initiative d'une argumentation revient à celui qui détecte une incohérence. Dans notre système, ce

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rôle échoit aux acteurs eux-mêmes. Ceux-ci se chargent ensuite de la résoudre par argumentation. La détection des incohérences repose sur les groupes d'opposition décrits en 3.2. Une fois une incohérence détectée, les acteurs incriminés ont alors le choix entre les deux types d'argumentation.

L'argumentation simple se rapproche de celle monolatérale dans le sens où chaque acteur prend l'initiative de convaincre les autres sans attendre de leur part des contre-propositions. Le déroulement de l'argumentation simple est le suivant. Quand un acteur a effectué une action, il passe en phase d'attente d'une possible incohérence. Quand tous les acteurs d'un modèle ont agi, chacun va vérifier la cohérence du groupe d'opposition sur lequel il a agi. S'il détecte une incohérence, le groupe lui permet de déterminer les autres acteurs agissant en contradiction. Chaque acteur va alors mettre en forme son argumentation et l'envoyer à chacun des autres acteurs incriminés et se met en phase de réception d'un message d'argumentation. A la réception d'un tel message, un acteur va en comparer l'argumentation avec la sienne et en déterminer son type de concession. Il communique celui-ci aux autres agents. Chacun connaissant son type de concession et celui des autres, peut déterminer lequel a le moins concédé. Celui-ci voit son action validée. En cas d'égalité de moindre concession, l'argumentation a abouti à un échec et correspond à une situation où chacun reste sur ses positions. L'un est alors choisi au hasard mais le signale à l'apprentissage qui évaluera les conséquences de ce choix.

Les arguments des acteurs sont principalement leur origine et celle de leurs connaissances. Ainsi, un acteur procédural a pour argument le fait qu'il est procédural et donc exécutif, il correspond à un savoir faire et a donc un niveau de confiance a priori supérieur à un acteur déclaratif. Son deuxième argument est son origine : a-t-il été créé par les expérimentateurs, les concepteurs, par procéduralisation / généralisation ou par apprentissage. L'ordre de cette liste traduit un degré décroissant de confiance. Enfin les arguments suivants sont le nombre de données nécessaire à sa décision et leur origine qui peut être dans un ordre décroissant de confiance : un fait (i.e. une consigne de l'utilisateur ou une valeur historique absolue), un état d'une hiérarchie ou le résultat de l'action d'un autre acteur. A sa création, un acteur procédural se voit en effet attribué automatiquement la liste des données appelées par sa procédure d'action. Un acteur déclaratif aura les mêmes arguments sauf qu'il emploiera les données nécessitées par la règle du moteur d'inférence incriminée par la contradiction source de l'argumentation.

L'argumentation multilatérale fonctionne selon le même principe que pour une argumentation entre humains. Les acteurs argumentent entre eux selon le principe décrit en 2.2.1 par envoie de

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messages et passent de phases en phases selon l'orientation que prend l'argumentation. L'avantage de cette méthode est de permettre un raffinement du traitement de l'argumentation en multipliant les possibilités d'orientations et une individualisation de son traitement. Lorsque le système ne nécessite pas un tel raffinement, les acteurs effectuant peu de taches complexes, cette méthode n'a pas à être développée. Elle le sera au niveau des agents Magica eux-mêmes.

Lors de la phase post-argumentative, le type de concession d'un acteur va déterminer la manière dont sa structure va être modifiée. En cas de concession forte, l'acteur s'il est procédural se suicide, s'il est déclaratif, il élimine la règle incriminée. Si l'acteur concède de manière générale faible, son niveau de confiance du à son origine se trouve diminué : s'il s'agit d'un acteur procédural, c'est le niveau de l'acteur lui-même qui est diminué, pour un acteur déclaratif c'est celui de la règle incriminée. L'acteur dans tous les cas le signale à l'apprentissage qui évaluera le résultat de l'action de l'acteur qui sera choisi pour augmenter ou non son niveau de confiance. Dans le cas d'une concession sur cas, les acteurs seront fusionnés pour former par conceptualisation un nouvel acteur déclaratif qui aura pour règles celles adaptées suite à l'argumentation des anciens acteurs ou une traduction de leurs procédures d'action si ceux-ci sont procéduraux. Enfin si l'acteur ne concède pas, il n'est pas directement modifié mais peut l'être par apprentissage selon la concession des autres acteurs incriminés dans l'argumentation. Celle-ci est initialisée grâce aux topiques de groupes d'opposition tel qu'il est décrit dans la partie suivante.

3.2. Topique des groupes d'opposition

La hiérarchie d'état d'un modèle est basée sur la notion de groupes d'opposition. Un groupe d'opposition est un ensemble d'états représentant des concepts contradictoires. Ainsi un groupe en rapport avec des formes géométriques pourrait comporter les états s'excluant mutuellement "carré","triangle","cercle"... Un état est une structure objet comportant des champs de renseignement sur le concept que représente l'état et ce qu'on peut en faire. Cette structure permet l'adjonction de valeurs par défaut aux champs et d'actions réflexes suite à une manipulation de ceux-ci tel que par exemple le recalcul automatique de la valeur d'un champ lié à d'autres.

Chaque groupe est nommé à l'aide d'un état de niveau supérieur déterminant qui appartient au groupe et quel autre groupe est déterminé par le premier. Par exemple, nous avons l'état "forme" désignant le groupe au sein duquel figure les états précédemment

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cités. Un état sert donc aussi d'étiquette grâce un champ détenant la liste des états du groupe qu'il dénomme et l'état auquel ce groupe participe. Ce lien de nommage permet de catégoriser le groupe d'opposition en lui associant des mots clés de classification dans un champ.

La hiérarchie est structurée en arborescence grâce à deux liens représentés par des champs : celui de nommage précédemment décrit et celui de détermination. Le lien de détermination permet de décrire quels groupes d'opposition participent à la détermination de l'état valide d'un autre groupe. Dans notre exemple, le groupe "forme" participe à la détermination du groupe "pièce à déplacer" comportant les états "petit carré", "grand triangle", "cercle noir" de même que le serait le groupe "taille" ou "couleur". En effet les différents états d'un groupe représentent des notions qui s'opposent. De ce fait, il ne peut y avoir à un instant donné qu'un seul état valide dans un groupe. Ce principe est assuré de la manière suivante.

Les groupes d'opposition sont de deux types. Il y a ceux d'opposition stricte au sein desquels il ne peut y avoir qu'un seul état valide à la fois. La validation d'un état entraîne par réflexe la dévalidation de tous les autres états du groupe. Cette forme de groupe sert dans les processus de décision. Le second type n'est pas doté de ce réflexe bien que les différents états qui le composent soient contradictoires. Il sert à détecter les contradictions de raisonnement du système. En effet les actions des acteurs du système Psychild activent un état d'un groupe. Les acteurs étant classifiés selon une structure similaire aux hiérarchies, il est facile de construire automatiquement les groupes d'oppositions correspondants aux actions des acteurs. Ces groupes sont du type non strict. De ce fait une fois que tous les acteurs ont agi, ils n'ont plus qu'à scruter les groupes d'opposition pour observer les contradictions. Si l'un d'entre eux a plus d'un état actif pour le même groupe d'opposition, c'est qu'il y a contradiction. Comme l'activation d'un état mémorise automatiquement l'acteur ayant agi et la règle ou procédure incriminée, les agents peuvent donc retrouver les autres acteurs en contradiction et initialiser une argumentation.

Cette structure de hiérarchie est à rapprocher de la notion de topologie dans la conception de la phonologie de Coursil [Coursil, 94]. On peut ainsi faire une analogie entre les groupes d'opposition et les différents phonèmes et entre les états de nommage et les paradigmes phonologiques. La différence est qu'une hiérarchie est à plusieurs emboîtements alors que la phonologie n'a qu'un niveau.

Les états d'un groupe se différencient par les groupes qui participent à la détermination du groupe. Ainsi, "petit carré" se différencie de "grand carré" par le groupe d'étiquette "taille" qui participe à la détermination du groupe "pièce à déplacer" selon que

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ce groupe a pour état valide "petit" ou "grand". Un groupe d'opposition est appelé une topique en phonologie dans le sens ou il forme un groupe cohérent, complet et fermé. L'esprit en est respecté dans les groupes d'opposition dans le sens ou une topique est complète, c'est à dire que l'introduction d'un nouvel élément remet en cause l'ensemble de la topique et nécessite au moins l'ajout d'un paradigme. De même l'ajout d'un élément à un groupe d'opposition nécessite l'ajout d'un nouveau groupe déterminatif qui permettra de différencier le nouvel élément de ceux qui sont déjà présents. L'ajout de ce groupe remet en cause la méthode de détermination de l'état valide (chez les acteurs) et entraîne donc une redéfinition du groupe topique. La topique de groupe définit donc une structure cohérente pour la description de connaissances comme pour celle d'une société d'acteurs.

3.3. Une interface de communication Homme-Machine générique

Le rôle de Psychild au sein de Compèrobot a déterminé une structuration en modèles du module de décision. La structure de Psychild peut être généralisée en une architecture générique pour un système de communication Homme-Machine. Un tel système y est considéré comme un ensemble coordonné d'agents au sens agents Magica. En général, on a un ou plusieurs agents liés à la tâche elle-même pour lequel le système a été conçu. Si on considère le système comme communiquant avec un utilisateur, on aura au moins un agent représentatif de l'utilisateur et un de la machine. Le premier est une représentation de ce qu'on peut détecter chez l'utilisateur et qui est intéressant vis à vis de la tâche à réaliser. Il permet de déterminer le profil de sujet avec qui le système dialogue. L'agent modélisant la machine décrit ses capacités et ses comportements en réaction aux injonctions de l'utilisateur. Cet agent utilise les données du premier pour déterminer le comportement interactif du système. Afin d'avoir le meilleur comportement adaptatif, on peut envisager de doter le système de capacités d'apprentissage pour que les agents et leurs rapports entre eux puissent évoluer par expérience. Ceci nécessite un agent modélisant l'évolution des agents chargé de l'apprentissage. Enfin pour que celui-ci puisse agir sur les deux premiers, il fallait qu'il en connaisse la structure, il a donc été décidé que celle-ci soit réifiée dans un agent modèle des modèles décrivant la structure d'un modèle et comment l'instancier ou le sauvegarder. La structuration en agents modèles d'un système de communication en nécessite donc au moins quatre : un de l'utilisateur, un de la machine, un d'évolution des modèles et un des modèles.

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4. Application à Compèrobot : propédeutique d'une réutilisation

Le système d'agents et le principe d'argumentation ont été appliqués au projet Compèrobot par l'intermédiaire de Psychild. La section 4.1. décrit les objectifs du projet Compèrobot et la manière dont Psychild y est intégré et quel y est son rôle. Il propose une interface de communication avec les expérimentateurs basée sur le principe de réemploi et sur le principe d'argumentation décrit en 4.2.

4.1. Psychild 2 et le projet Compèrobot

Le projet Compèrobot est issu d'une collaboration pluridisciplinaire entre psychologues, linguistes et informaticiens en IA. L'objectif du projet est de réaliser un système capable de remplacer un compère humain dans des expériences psychologiques comme le définit [Vivier, 92].

Psychild est l'un des modules composant le système Compèrobot.L'objectif initial de Psychild était de renforcer l'adéquation du comportement de compère du système à celui de l'enfant. Il n'existait jusqu'alors qu'un module de tactiques de réponses à court terme (système CEDRE [Andrès, 95]) : le système n'avait pas de vision globale du comportement de l'enfant et se contentait de réagir au coup par coup, ce qui pouvait l'amener dans des situations d'impasse dialogique. Pour y remédier, il a été développé un niveau stratégique de décision qui contraint l'enchaînement des tactiques selon une stratégie dialogique à long terme, en fonction des conditions de l'expérience et du sujet de celle-ci. Afin d'améliorer l'adéquation, il fallait que le système puisse s'améliorer au fil des expériences menées. Doté de capacités d'apprentissage, le système devenait en partie autonome. Ce niveau stratégique comporte des modèles de comportement de compère et comme ceux-ci dépendent du type d'expérience envisagée pour la session, il devient un intermédiaire privilégié pour le paramétrage du système en vue de l'expérience. Il doit donc dans sa structure même permettre ce paramétrage. Enfin comme il est doté de capacités d'apprentissage, il devient un outil d'étude des corpus intéressant qui doit pouvoir communiquer ses résultats aux expérimentateurs. C'est ainsi un outil coopératif d'analyse des corpus en association avec les psychologues. Psychild est alors un système coopératif d'aide à la conception de théories sur l'interaction sujet-machine.

4.2. Une interface expérimentateur-machine pour Compèrobot

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Psychild, par son rôle explicité en 4.1. nécessite un module de communication avec les expérimentateurs. Deux raisons ont présidé à son élaboration. Premièrement, la nécessité de pouvoir définir les conditions de l'expérience a amené à définir une interface avec les expérimentateurs permettant de changer les "paramètres" de l'expérience sans avoir à manipuler directement le système. Cette forme de communication étant directement liée à la tâche de Compèrobot, elle est l'occasion de l'application du principe d'adéquation de l'interface communicante à la tâche et à l'utilisateur. La réutilisation des outils existants dans Compèrobot permet de satisfaire ce critère. La section 4.2.2. montre comment le paramétrage du comportement est réalisé.

De plus, la machine disposant de capacités d'apprentissage, constitue un outil d'étude des corpus résultants des expériences. Elle doit pouvoir communiquer ses résultats aux psychologues et doit donc être capable d'argumenter cette étude. Cette nécessité est une opportunité d'application directe du principe d'argumentation et sa mise en oeuvre est explicité en 4.2.3.

4.2.1. Psychild : une instance de Magica

Le rôle de Psychild et l'interface avec les expérimentateurs qu'il nécessite est rempli par une structure qui est l'application directe de l'interface générique reposant sur Magica. Ceci nécessite donc à la fois un modèle du sujet et un de la machine. Le premier est une représentation des caractéristiques du sujet intéressantes pour l'expérience. Il permet de déterminer le profil de sujet avec qui le système dialogue. Le modèle de la machine décrit les capacités de la machine et ses comportements de compère. En tant que module de décision, il agit sur les tactiques en fonction de ce qui a été détecté chez le sujet et représenté dans son modèle. Il communique avec les expérimentateurs en ce qui concerne la définition des expérimentations et l'étude des corpus par l'intermédiaire du modèle de l'expérimentateur. Pour récapituler, il y a donc cinq agents-modèles dans Psychild : un du sujet, un de l'expérimentateur, un de la machine, un d'évolution des modèles et enfin un des modèles.

4.2.2. Interface de définition du comportement du Compère

Le rôle de Psychild nécessite de pouvoir définir le comportement du compère : tuteur, compère ou expérimentateur avec toutes les nuances possibles entre ces stéréotypes. Cette définition est facilitée par la structure des modèles. En effet, un modèle dispose d'acteurs d'explication, de visualisation et de paramétrage. De ce fait, ce sur quoi peut porter le paramétrage est clairement référencé et peut être facilement explicité. En effet la structure de hiérarchie associée

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à la notion de nommage avec mots clés permet de retrouver rapidement les acteurs qui déterminent un type de comportement. Il suffit de préciser la notion qu'on cherche à paramètrer sous forme de mots clés pour que des acteurs de recherche, connaissant la structure du système multi-acteurs par le modèle des modèles, puissent aller rechercher les acteurs ou états concernés dans le modèle. Des acteurs d'affichage peuvent alors facilement présenter leur contenu de manière intelligible même à quelqu'un qui ne connaît pas le fonctionnement du système. De plus, la structure du système étant explicitement décrite, les modifications effectuées par l'utilisateur au niveau de l'interface peuvent être traduites au niveau du modèle. Le fonctionnement du système apparaît donc à l'utilisateur comme complètement transparent. L'utilisateur se borne à préciser les données qu'il veut modifier, le système les lui présente en langage naturel sous la forme de règles ou de faits et il est capable de retraduire les modifications de l'utilisateur au niveau de la structure informatique. C'est en ce sens que le système multi-acteurs est une base pour la communication puisque ce qu'il représente peut être traduit et manipulé clairement par l'expérimentateur. Ce n'est plus seulement l'interface de communication qui effectue le travail de traduction, mais ce travail a été prévu à la base même du système.

Comme les acteurs de visualisation et de recherche sont des acteurs de sortie, le système peut réagir au paramétrage. C'est à dire que le système peut tester en même temps qu'on paramètre son comportement, l'effet de ces restrictions sur les acteurs qui peuvent s'appliquer et donc sur les tactiques qui s'exécuteront. Le système comportant une certaine autonomie (comme nous le montrerons dans le paragraphe suivant), il est ainsi capable de formuler des réserves sur tel paramétrage en montrant qu'il pourrait gêner telle action à vocation d'apprentissage qu'il avait envisagé d'exercer durant l'expérience. Ces réserves seront sujettes à argumentation comme décrit en 4.2.2.

De même en conception, un premier utilisateur va concevoir une partie du produit sur le système d'aide à la conception construit sur une instance de Magica. Il va justifier ses choix par des arguments qui seront associés à la partie du produit concernée grâce au système de classification des topiques. Un autre utilisateur reprend par la suite cette partie du produit et la complète en la modifiant selon ses propres spécifications. Le système peut alors rechercher les arguments justifiant les choix préalables par les topiques et analyser les modifications pour détecter d'éventuels conflits. Le système sachant ce qu'on ne peut modifier sans conflit et pourquoi il y a conflit peut utiliser ses arguments et peut déclencher alors une argumentation pour soutenir le projet initial contre la modification. Une fois les conflits résolus, le système intégrera les nouveaux

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arguments qui ont présidé à l'amélioration du produit. Cette démarche de communication pour un système d'aide à la conception introduit une systématisation dans l'activité de conception qui sera décrite en 5.

4.2.3. L'argumentation appliquée à la validation de l'apprentissage

Compèrobot est capable de modifier son comportement par apprentissage, de formuler et tester des hypothèses et donc d'effectuer une étude des rapports entre les comportements de l'enfant et ceux du compère. Ceci peut entrer en conflit avec le désir de contrôle des expérimentateurs d'où l'interaction à propos du paramétrage du comportement. De plus, le système est capable d'analyser les historiques pour effectuer des recoupements et élaborer des théories sur les comportements notamment des attentes prédictives sur les réactions du sujet enfant. Nous avons donc instauré un mode de communication entre le système et la machine pour pouvoir nommer les hypothèses de la machine, déterminer conjointement de leur intérêt, et décider conjointement de changer le paramétrage afin de les prendre en compte en mettant en oeuvre le principe d'argumentation. L'argumentation issue d'un problème de paramétrage ne se différencie guère de l'argumentation sur l'étude commune des corpus. C'est pourquoi nous décrirons de manière commune ces deux modes. Les différences sont qu'en cas de réaction au paramétrage, le domaine de l'argumentation est réduit aux données issues de l'apprentissage concernées par le paramétrage et que l'expérimentateur garde la maîtrise de la décision finale de concession du système.

Il y a deux types d'apprentissage dans le système Psychild. Le premier concerne la conceptualisation / généralisation. Il se traduit par des regroupements d'acteurs en un nouvel acteur déclaratif ou en la procéduralisation d'un acteur déclaratif. Il sert au fonctionnement interne du système et est la résultante d'une argumentation entre acteurs due à un problème de cohérence suite à l'apprentissage. Cette forme n'est pas sujette à discussion avec les expérimentateurs. L'autre type d'apprentissage est effectué après une séance d'expérimentation et il génère de nouvelles hypothèses de comportement. Celles-ci se traduisent en règles pour les acteurs. Cette modification du comportement doit être discutée avec les expérimentateurs. A cet effet, l'apprentissage mémorise les acteurs modifiés ou créés. Lors de la session de discussion avec les expérimentateurs, ceux-ci peuvent rejeter l'apprentissage. Toutes les hypothèses issues de celui-ci sont alors sauvegardées pour être représentées lors d'une autre session d'étude. Elles ne seront pas utilisées lors de la session d'expérimentation suivante. Sinon le système regroupe les règles par thèmes et méthodes de recherche. Le thème

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recense les groupes d'opposition auxquels appartient l'acteur porteur de la règle. La méthode de recherche est celle d'apprentissage qui a généré la règle, elle est décrite dans le modèle d'évolution des modèles. Le système va alors présenter le thème et donc le contexte des règles qui vont suivre. Une hypothèse est alors présentée. Si l'expérimentateur l'accepte, elle est intégrée au système avec un niveau de confiance "expérimentateur" et le système passe à la règle suivante. Sinon le système va argumenter en commençant par justifier l'origine de l'hypothèse, c'est à dire la méthode d'apprentissage utilisée et les données qu'elle a employées. Deux cas peuvent se présenter :

- L'expérimentateur rejette la règle, l'argumentation continue jusqu'à épuisement des arguments, la règle est alors supprimée. - L'expérimentateur concède. Soit il laisse la règle telle qu'elle et on revient au cas de l'acceptation directe. Soit il désire la modifier ce qui est possible puisqu'elle est présentée de manière intelligible. Les modifications sont alors retraduites en code et la règle modifiée insérée dans le système.

Quel que soit le résultat de l'argumentation, la structure du système s'en trouve modifiée puisque les acteurs concernés migrent dans l'organisation de la société d'acteurs. En effet, les acteurs issus de l'apprentissage sont au départ classifiés dans des groupes spécifiques à l'apprentissage. Le fait d'avoir été exposés les transfère dans la structure normale des cinq modèles. Ils peuvent alors y être employés alors que ceux dans les groupes d'apprentissage ne sont jamais utilisés en session d'expérimentation psychologique. Le degré d'acceptation des expérimentateurs détermine alors le niveau de confiance qui leur est accrédité. Actuellement le système n'est pas encore capable de prendre en compte les arguments des expérimentateurs. Mais la structure Magica, avec son système de codage et décodage pour la présentation, en laisse l'opportunité.

Cette argumentation appliquée à la validation de l'apprentissage peut être étendue au cas de la conception. Deux situations peuvent se présenter. Dans la première, un système expert conçu comme une instance Magica, a réalisé une esquisse du produit et l'utilisateur veut l'affiner. Le système a produit des spécifications sur le modèle du produit qui entrent en contradiction avec des spécifications de l'utilisateur. Ce cas est alors similaire à celui du paramétrage et est résolu de la même manière par le principe d'argumentation introduit dans Magica. La seconde situation se produit quand un utilisateur veut modifier une partie du produit déjà conçue par un autre utilisateur. Il faut que celui-ci ait précisé les raisons qui ont présidé à son choix lors de la conception. Le système peut alors les classifier puis les retrouver et endosser alors le rôle de cet utilisateur pour argumenter à partir des informations données par celui-ci. Ces

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informations sont alors considérées comme les hypothèses issues de l'apprentissage par l'étude des corpus. L'argumentation mise en oeuvre est alors la même que celle sur l'étude commune des corpus.

Enfin, la méthode d'exposition des résultats de l'apprentissage par argumentation peut facilement être envisagée pour la mise au point d'un système d'aide à la conception. Ce système aurait des capacités d'observation des actions de l'utilisateur pendant la conception qui lui permettent de générer par apprentissage des tactiques d'aide. Ces tactiques peuvent alors être discutées avec le concepteur par la méthode argumentative précédemment expliquée. On peut donc envisager l'élaboration de ce type de logiciels experts par une méthode mixte d'apprentissage-argumentation.

5. Argumentation et conception

Le principe d'argumentation qui a été développé pour Psychild peut être étendu à la communication en conception. En effet, d'une part, l'argumentation est un moyen de résoudre des conflits et d'autre part, elle a pour vocation de convaincre. Deux domaines de la conception sont concernés pour la résolution de conflits. Premièrement, les systèmes de conception distribuée tentent de concilier les représentations des différents domaines concernés par la conception du produit. [Baht & al, 93] a montré l’intérêt et la faisabilité d’un tel système de conception basé sur une architecture distribuée. L'un des problèmes fondamentaux en conception est la multi-représentation du produit. Ainsi un produit ne sera pas présenté de la même manière aux ingénieurs (plans) et aux commerciaux (coûts). L'argumentation peut à ce titre faciliter la coopération entre les différents points de vue en permettant la justification interactive des solutions adoptées, en permettant d'atteindre le meilleur compromis par ses concessions et en le répercutant directement sur le modèle du produit. Cette communication par argumentation entre utilisateurs via la machine a été décrite lors de la présentation du principe d'argumentation en 2.2. Deuxièmement, l'argumentation apparaît comme un mode de communication approprié pour un système d'aide à la conception. En effet, le système y prend des décisions qu'il doit pouvoir justifier à l'utilisateur. Même si l'utilisateur ne voit pas d'objection, il peut être désireux de comprendre l'origine du choix effectué par la machine. L'argumentation est alors monolatérale. S'il est en désaccord, l'argumentation bi-latérale va permettre de résoudre le conflit et va permettre aussi bien à l'utilisateur d'évoluer (ce qui est un des buts d'un système d'aide) et l'argumentation a alors une vertu pédagogique, qu'à la machine

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d'enrichir ses connaissances si elle dispose d'un mécanisme d'apprentissage associé (comme par exemple dans Magica). Cette application a été développée en 4.2.3.

L'argumentation a pour vocation de convaincre, les différents acteurs de la conception ne peuvent plus prendre de décision pour elle-même, il faut que celle-ci soit motivée. De ce point de vue, l'argumentation entraîne une méthodologie dans l'activité de conception et dans la communication entre ses acteurs. Cette communication s'en trouve facilitée et prépare à la présentation finale du produit. De plus, elle est contrôlée par le système et celui-ci peut alors l'assimiler. La structuration de l’espace de travail commun qui en résulte rejoint la conception de [Maher & al, 93].

Le système Magica présenté dans cet article est adapté pour l'emploi de l'argumentation dans ces situations. Un système d'aide à la conception sera construit sur les modèles de l'architecture Magica pour prendre en compte aussi bien les besoins en apprentissage qu'en communication. La résolution du problème de la représentation multi-points de vue est facilitée par l'adoption de l'architecture Magica grâce à sa conception multi-agents et son système de classification par topiques. Enfin, la communication entre concepteurs peut être renforcée par l'introduction du cadre méthodologique de l'argumentation en représentant chacun d'entre eux par un agent Magica servant d'interface.

6. Conclusion

Psychild propose une meilleure adéquation du comportement et des modes de présentation des systèmes informatiques à la tâche à réaliser et aux utilisateurs. A cet effet, il repose sur un système multi-acteurs qui a été conçu comme base pour la communication. Cet article a décrit deux des principes qui permettent de réaliser cette communication : l'argumentation et son application à une société d'agents, et la topique de groupes d'opposition définissant une structure de description des connaissances. Ce système multi-acteurs a été appliqué au projet Compèrobot et intégré dans une optique de réutilisation des outils existants. Ces principes sont adaptés pour la communication en conception aussi bien entre un concepteur et un système d'aide informatique par la résolution de conflits qu'entre concepteurs pour un système de conception distribuée en introduisant une structuration de l'espace de travail partagé. A ce titre, l'architecture Magica constitue une première étape dans notre objectif d'établir une typologie des interfaces de communication Homme-machine en adéquation avec la tâche et les utilisateurs.

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Références

[Andrès, 95] Etude des stratégies de prise de décision d'une machine dans le contexte d'un dialogue enfant-machine. M. Andrès, Thèse de l'université de Caen à paraître.

[Aristote, 67] Topiques, Les belles-Lettres.

[Aristote, 67] Rhétorique, Les Belles-Lettres.

[Bhat & al, 93] Communication in Cooperative Building Design. R.R. Bhat, J. Gauchel, S. Van Wyk, in Proceedings of CAAD Futures ‘93, Elsevier Science Publishers

[Maher & al, 93] Synchronous Support and Emergence in Collaborative CAAD. M.L. Maher, J.S. Gero, M. Saad, in Proceedings of CAAD Futures ‘93, Elsevier Science Publishers

[Coursil, 94] Essai d'intelligence artificielle et de linguistique générale J. Coursil, Rapport d'habilitation à diriger des recherches de l'université de Caen.

[Nicolle, 93] Towards a natural language dialogue with machines. A.Nicolle, in Proceedings of the second european congress on systems science

[Oléron, 87] L'argumentation. P. Oléron, collection Que sais-je ? Presses universitaires de France.

[Vivier, 92] Faire et dire ce qu'il faut pour... J. Vivier, Diplome d'habilitation à diriger des recherches de l'université de Caen.

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La conception en design Etude des formes de collaboration et de communication dans la conception design des objets nouveaux

Sophie Dubuisson Centre de Sociologie de l’Innovation Ecole des Mines de Paris

RESUME. Le travail de conception engage la participation de plusieurs acteurs qui produisent chacun des représentations des usagers et des objets qui leurs sont propres. Parmi eux, les designers constituent une catégorie professionnelle encore mal connue des chercheurs autant que des industriels. Une étude ethnographique du travail de plusieurs designers industriels nous a permis d’identifier le contenu de la production du travail de design et de saisir, à travers le discours et les pratiques, le régime d’existence que la profession accorde aux objets industriels. Nous verrons alors dans quelles conditions la qualification de ces objets est, pour les designers, le moyen d’expliciter leur intervention, dans le cadre de leurs échanges avec leurs interlocuteurs, et, comment les productions intermédiaires que sont les dessins et les maquettes constituent les bases de travail sur lesquelles la communication et la collaboration avec ces autres acteurs s’instaurent.

MOTS-CLES. Conception, design industriel, sociologie, ethnographie, collaboration, produits industriels.

Introduction

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Depuis quelques années déjà, la sociologie s’est emparée du thème

de l’innovation, pour en faire l’un de ses objets de recherche. On sait maintenant qu’en questionnant des objets ou des techniques déjà stabilisés et efficients, on est confronté à des “imbroglios socio-technico-économiques”6 beaucoup trop complexes à étudier. Les nombreux travaux du Centre de Sociologie de l’Innovation de l’Ecole des Mines de Paris [voir notamment Callon, 1990 ; Akrich et al, 1988], ont su montrer qu’il fallait suivre la construction progressive de l’objet et, en même temps, celle du réseau d’acteurs définissant son espace de circulation. Ces recherches ont permis de mettre en lumière trois réalités caractérisant la conception. D’abord, un objet technique ne parvient du concepteur à l’usager qu’en passant de mains en mains au travers d’une grande diversité d’acteurs, ce qui rompt avec l’idéal classique de l’innovateur-héros, portant de bout en bout son projet, sans que celui-ci ne subisse aucune modification ou redéfinition. Ensuite, le suivi du projet dans l’espace et dans le temps met en lumière une chaîne d’objets et d’acteurs qui n’est pas fixée a priori mais qui est, au contraire, largement évolutive, au gré de la progression du projet, des rapports de force des acteurs de la conception et de la définition des problèmes rencontrés. Enfin, au fur et à mesure que ce réseau se construit, le contenu et la forme de l’objet ou de l’innovation se modifient, redéfinissant l’identité et les propriétés de celui-ci ou de celle-ci.

Les designers appartiennent à cette diversité d’acteurs travaillant à la conception des objets industriels [Domergue, 1993 ; Walsh et al., 1992], pourtant ils sont encore bien mal (re-)connus et des milieux de la recherche et de ceux de l’industrie. Ils souffrent, notamment, d’être fréquemment associés à un monde de l’esthétique, de l’apparence, de l’habillage, du camouflage ou de la fabrication de leurre, qui s’opposerait en tous points au monde, plus austère et exigeant, voué à la production de propriétés authentiques, des réalités industrielles. Il ne s’agit pas, ici, de réhabiliter le nom et la vocation des designers industriels, mais plus objectivement de s’intéresser aux formes de leur travail et à leur articulation avec d’autres modes de conception, pour saisir ce qui fonde l’identité et l’autonomie de ce champ professionnel. Il nous semble pertinent d’étudier cette catégorie de concepteurs, au moins pour trois raisons. D’abord, parce qu’il n’existe pas, dans la conception, de moment instituant leur intervention, comme cela existe par exemple pour les publicitaires [Hennion et al., 1987] : les designers se trouvent souvent dans une situation où ils doivent bousculer les habitudes et les enchaînements traditionnels de la conception, en

6 Pour reprendre l’expression de M-C Mahias dans [Mahias, 1992].

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modifiant les procédures et les façons de faire. Ensuite, puisqu’ils situent leur travail à l’intersection de plusieurs modalités d’interventions sur l’objet, ils sont contraints de composer avec des acteurs nombreux et très différents, et donc de définir un mode de communication opératoire avec eux. Enfin, le manque de reconnaissance dont ils sont crédités, les amène à justifier sans cesse ce qu’ils peuvent apporter, et à expliciter, par le discours, un point de vue original sur l’objet.

A partir d’une étude sociologique et ethnographique réalisée dans trois agences de design7 présentant des modes d’organisation différents -un designer “free-lance”, une agence de design de taille moyenne, un service intégré d’un constructeur automobile- nous avons pu identifier le contenu du travail de conception en design industriel. Dans un premier temps, nous montrerons que les designers construisent une représentation de l’objet et de son usager qui est soutenue par la définition d’un régime d’existence des produits industriels. On verra, alors, que la qualification de ces objets devient le support de la communication des designers, entre eux et avec leurs partenaires. Dans un second temps, nous mettrons en évidence les modes d’organisation supportant leur activité et amenant les designers à saisir les objets dans leur globalité et intervenir, en collaboration avec d’autres acteurs, sur la définition d’un grand nombre de dimensions des objets. Les productions visuelles, du dessin à la maquette, deviennent alors les bases sur lesquelles s’établit cette collaboration.

Qualification des objets et définition de leur mode d’existence

Le travail de représentation

On trouve souvent chez les industriels l’idée que les designers seraient capables, peut-être comme les responsables du marketing, de fournir une représentation , enfin précise et loyale, de la demande. Si l’on se donne pour projet de saisir ce que le travail de conception engage, il est nécessaire de rompre avec une telle vision. Qu’il s’agisse du designer ou du responsable marketing, il n’y a pas un acteur plus à même que les autres pour identifier exactement la demande d’un

7 Pour une présentation plus complète on se reportera à [Dubuisson et al., 1994]. La matériau ayant servi de base à l’analyse regrope à la fois des entretiens longs et non directifs, ainsi que du travail d’observation de pratiques, de réunions et de discussions de travail.

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produit donné. Il faut au contraire comprendre que concevoir c’est mettre bout à bout, et faire travailler ensemble, différents types de collectifs, intéressés par des questions variées, mobilisant des outils, des méthodes, des dispositifs différents, caractérisés par des compétences nombreuses. La conception s’apparente alors à une longue chaîne de traduction le long de laquelle les apports des différents acteurs se télescopent, se bousculent et parfois s’alignent : finalement le travail de conception est à redistribuer autour de tous ces acteurs, du producteur à l’utilisateur [Mangematin et al., 1991]. Dans ce cadre, on voit que chacun définit une représentation de l’objet et de l’utilisateur, sur la base de laquelle il va travailler. Il n’y a pas une demande vraie ou un véritable utilisateur qu’il faut dévoiler, mais au contraire une série de représentations établies par les concepteurs et qui, associées de façon complémentaire ou redondante, permettent de construire la figure d’un utilisateur, et de l’inscrire déjà, en creux, dans l’objet [Le Goaziou, 1990, 1991]. Les designers eux aussi se donnent une représentation de l’utilisateur de l’objet qu’ils conçoivent, et c’est sur la base de cette représentation qu’ils travaillent. Chaque acteur a ses propres outils pour construire cette représentation. Quels sont alors les outils propres aux designers ? Vraisemblablement, ceux-ci ne disposent pas de techniques aussi codifiées que leurs collègues du marketing. Parfois, les designers ont besoin de réaliser des enquêtes qui s’apparentent à des études de marché ou cherchent à en imiter la caractère systématique et représentatif. Ils repèrent, alors, des porte-parole des acteurs pertinents de la sphère d’utilisation de l’objet et les interrogent directement. Malgré tout, ce type de démarche reste assez rare. Souvent, les designers font de leur client le porte-parole privilégié du consommateur et s’en remettent à sa connaissance du marché.

Mais les designers mobilisent également d’autres moyens de représentation de l’utilisateur. Notamment, dans certaines circonstances, autour de la réflexion de détails de formes, les designers en viennent à manipuler leurs propres maquettes pour en tester les aspects anthropométriques. Ils expliquent alors «qu’on est tous un peu usager des objets»8 et, qu’à ce titre, le bon sens peut être une ressource tout à fait valable pour un designer, puisqu’elle l’est pour Monsieur-Tout-le-Monde.

Par ailleurs dans des phases d’explicitation ou de justification de choix avec le client, ils font également valoir un autre mode de représentation des utilisateurs, basé sur l’existence de régularités des comportements, autant de consommation que d’utilisation, identifiées

8 L’usage des guillemets («…») renvoie à des extraits d’entretiens réalisés auprès de designers.

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et reconnues parce qu’elles sont socialement construites. Au travers de locutions du type : «tout le monde sait que» ou encore «c’est bien connu que», les designers désignent une forme de connaissance commune socialement partagée, qui permet de s’entendre sur des principes qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter. En même temps, ces modes de représentation renvoient à une certaine expérience des objets que les designers mettent en avant lorsqu’ils font valoir leur point de vue et négocient celui-ci.

La construction d’un mode d’existence particulier des objets industriels

Les designers que nous avons interrogés expliquaient volontiers dans quel état d’esprit les industriels formulaient leur demande à leur égard. Selon eux, ceux-ci se trouvent soit dans une situation de produit nouveau, et il s’agit alors de fixer les options en termes de design du produit, soit dans une situation où la vente du produit, pour des raisons diverses, s’essouffle, et les designers sont alors chargés de trouver des solutions par le design. On voit, à travers cette lecture des demandes des industriels, qui nous est donnée par les designers, que ces derniers interprètent et définissent des situations marchandes, en accord avec la vision classique de l’économie. Les firmes produisent des objets en grande série que le marché soumet à la demande, dans la concurrence les uns avec les autres.

Ce cadre quasi-conceptuel leur sert de référence initiale pour dessiner les contours de leur intervention dans la conception des objets industriels. Les acteurs de la demande sont atomisés, nombreux et de composition hétéroclite. Pour les designers, les dispositifs de distribution marchande construisent la mise en concurrence des différents produits, de sorte qu’il est difficile, pour le consommateur d’établir des éléments de repères pour juger de la qualité des objets qu’il se procure. Les designers identifient, dans un premier temps, l’usager comme un acheteur, c’est-à-dire un individu qui opère des sélections, sur la base de critères d’évaluations qui lui sont propres mais, également dont la situation de distribution marchande permet la construction. La référence-clé de ces situations est, pour les designers que nous avons rencontrés, l’étalage ou le rayonnage des magasins qui offrent un accès aux objets, limité à une contemplation et une manipulation sommaire.

Dans un deuxième temps, les designers accordent à ce même usager le statut d’un «jouisseur», en référence au droit, puisque le consommateur est par l’achat en mesure de disposer de la propriété de l’objet, mais aussi en référence à une forme d’existence symbolique de l’objet, puisque les designers reconnaissent aux usagers la faculté

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d’aimer les objets pour ce qu’ils représentent en termes de statut social et de significations.

Il s’agit donc, pour les équipes de designers, de faire en sorte que l’objet se distingue des autres, ou si l’on exprime ce point dans dans des termes économiques, de construire les éléments de la différenciation des produits. Mais, là où s’autonomise et se définit l’intervention des designers, c’est que ces éléments de distinction doivent être accessibles aux sens, lors d’une mise à l’épreuve des objets qui peut s’opérer indépendamment de leur fonctionnement. Autrement dit, la vue ou le toucher d’un objet doivent pouvoir susciter suffisamment de réactions de la part du consommateur pour que celui-ci soit en mesure d’opérer un jugement. Les designers définissent le contenu de leur travail comme la production d’objets «de caractère», «marqués», «différents», «qui ont une âme». Il s’agit alors pour eux de travailler sur les formes, les matières et les couleurs pour conférer une présence à l’objet et lui accorder un moyen de se distinguer dans la concurrence.

Pour autant, on ne peut assimiler ce travail sur le visuel, à une recherche purement esthétique. Le principe fondateur du design est autre. Il s’exprime plutôt dans la recherche d’une idée, d’un concept, qu’il s’agisse d’une fonctionnalité ou d’une signification, que l’objet serait chargé d’évoquer : ou plus exactement, que le design chercherait à lui faire évoquer. On a bien là l’essence du travail des designers et en même temps le contenu de ce qu’ils valorisent auprès des autres intervenants dans la conception : la capacité, mieux qu’aucun autre, à «faire dire» à l’objet ce que l’on veut qu’il dise. Les expressions langagières des designers traduisent alors cette performativité et capacité d’expression qu’ils accordent aux objets : ceux-ci «se racontent», «expriment quelque chose», «parlent», ou sous une forme plus passive «se lisent», «apportent des niveaux de lecture». Les designers mettent en avant un certain savoir-faire qu’ils définissent comme «une expérience des objets» et qui leur permet de maîtriser les formes d’expression rendues possibles par les choix appropriés des formes, des matériaux et des couleurs. Ils mobilisent des codes qui agissent comme des standards, construisant la signification choisie des objets “designés”. Nous donnons en exemple, cet extrait d’entretien :

«C’est un exemple qui montre comment on peut apprécier la qualité d’un produit, notamment sur les machines à laver françaises et allemandes. Sur les machines françaises, le constructeur avait fait des pièces en métal, résistantes mais fines. C’était en quelque sorte des enjoliveurs de 5/10ème d’épaisseur. Les allemands, eux, avaient mis du plastique, épais avec des arrondis. On a tous l’expérience vécue des choses, des objets. Et, le métal français de ces machines à laver n’était pas rigidifié. Or, on

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sait qu’une grande surface sans pli aux bords, peut se gauchir, peut présenter une surface de mauvaise planéité. Cette pièce métallique qui aurait dû conférer de la qualité à l’objet n’y réussissait pas.»

Cet exemple souligne deux points qui nous paraissent importants. Le premier, fonde la légitimité et l’autorité du savoir-faire des designers, telle qu’elle est exprimée par eux-mêmes, lorsqu’ils communiquent avec leurs partenaires chez l’industriel client. On voit, dans le discours de ce designer à quel point ses connaissances des codes des matières sont mobilisées comme des construits sociaux sur lesquels tout le monde s’accorde, ce qui limite leur remise en cause. Le deuxième point est au moins aussi important pour comprendre le mode de relation et de communication que les designers entretiennent avec les autres acteurs : il ne suffit pas à un objet d’être doté de propriétés physiques intrinsèques -la machine française était effectivement aussi solide que l’allemande- pour garantir à celles-ci qu’elles seront perçues et attribuées à l’objet. Il faut un travail supplémentaire sur les objets, que le designer prend en charge, pour que ceux-ci donnent à voir les propriétés qu’on souhaite leur voir attribuer. La boucle est bouclée et instaure un régime de communication avec les autres acteurs construit sur ces deux mécanismes : la maîtrise d’un savoir-faire propre et identifiable d’une part, basé d’autre part sur des principes socialement construits, donc à la fois universellement admis mais soumis à des évolutions, dont les designers sont les interprètes légitimes. Et ce sont les activités langagières qui traduisent ces formes de représentations emboîtées de l’objet et de l’usager auquel on le destine.

Il nous reste alors à examiner le contenu du langage utilisé par les designers pour dialoguer avec leurs partenaires, en gardant à l’idée que ce discours reflète le mode d’existence qu’ils accordent aux objets industriels.

La qualification comme langage de communication adopté par les designers

Comme les autres acteurs des processus de conception des objets industriels, les designers ont besoin, lors de certaines phases, d’expliciter le contenu ou le résultat de leur travail sur les objets, à la fois auprès de leurs pairs et auprès de leurs interlocuteurs. Il nous paraît donc important de comprendre les modes de fonctionnement et les ressorts de ce discours.

Les designers décrivent assez peu leurs objets, lorsqu’ils les présentent à un tiers, qu’il s’agisse d’un autre designer, de leur client, ou d’un observateur, la description n’est de toute évidence par leur registre de discours. Celui-ci semble au contraire se déployer dans le

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registre de la qualification9 des objets. Le propre des designers est en effet de faire proliférer des séries des qualificatifs pour définir les objets qui les entourent ou ceux qu’ils conçoivent. Ils utilisent des traits de caractères, choisis méticuleusement pour rendre compte des expressions et significations des objets. Ainsi un designer qualifiait de « tendres et maternels» des produits destinés à la petite enfance, dont la douceur des formes et des couleurs devait rappeler l’attention qu’une mère porte à son bébé. Un autre qualifiait de «rigolote» une voiture dont les formes rebondies étaient censées contraster avec le sérieux affiché des autres automobiles. L’usage de ces qualificatifs10, accrochant des traits de caractères aux objets qui nous entourent, s’accompagne chez les designers d’un discours chargé de souligner les propriétés du produit qu’ils ont voulu mettre en avant. On trouve alors une qualification des objets précédées de locutions du type : «avoir l’air de», «donner l’impression», «sembler», «être comme», «ressembler à», soulignant moins certaines propriétés intrinsèques de l’objet que les caractéristiques qu’il offre à la perception.

Il est vrai que ces expressions langagières, largement utilisées par les designers, ont contribué à construire cette image d’embelliseurs dont sont crédités les designers, et qui les tient pour des “truqueurs” capables de leurrer le consommateur en concevant des objets qui ne tiendraient pas les promesses qu’ils affichent.

Si l’on se donne la peine de prendre au sérieux11 le travail de cette profession, on comprend assez vite que ce langage n’est pas symptomatique de la fonction d’illusionniste des designers, mais révèle plutôt le mode d’existence qu’ils accordent aux objets. Dans un cadre coopératif associant plusieurs acteurs, chacun tente de faire valoir son propre point de vue et définit l’objet, selon ses propres catégories. Les designers font de même. Mais le registre sur lequel ils s’expriment

9 Ce terme de qualification est emprunté aux travaux de N. Dodier [Dodier, 1993] et de Chateauraynaud et Bessy [Chateauraynaud et al., 1992] qui analysent différentes sortes de prises qu’offrent les objets pour ceux qui s’en saisissent, notamment dans le cas d’expertises (commissaires priseurs et médecins).

10 Il existe de nombreux exemples de ces qualifications dans le discours des designers rencontrés. On peut citer, parmi ceux que l’on rencontre le plus souvent, entre autres : «médiatique», «prétentieux», «aggressif», «dynamique», «masculin», etc.

11 Nous entendons par là : soumettre l’activité, les pratiques et le langage des designers à l’observation objective que nécessite le travail d’ethnographie. C’est-à-dire, en référence auw travaux de sociologie des sciences s’inscrivant dans le cadre du programme fort des écoles de Bath et d’Edimbourg, nous ne préjugeons pas du caractère “vrai” ou “faux”, valide ou non des pratiques soumises à l’observation. Voir [Bloor , 1976].

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valorise les mises en correspondance entre l’objet lui-même et le projet que les designers ont porté sur lui. Le discours des designers explicite auprès de leurs interlocuteurs la construction de ces références que les formes, les matériaux et les couleurs choisies opèrent. Il ne s’agit donc nullement de la production de leurres, mais cela témoigne de la vision positive que les designers ont des objets. Pour eux, les objets ne sont pas seulement des corps emplis de techniques et de fonctionnalité, ils ne sont pas non plus seulement des produits soumis aux lois de préférence des individus économiques ; ils sont surtout des objets qui, une fois mis à l’épreuve des sens, révèlent des idées, des lieux, des usages, des symboles, des concepts dont ils sont porteurs. Dans le cours des processus de conception industriels, les designers défendent l’idée que les objets, pour exister sur les marchés, doivent aussi être pensés de cette manière-là. Il ne s’agit plus de tromperie mais d’une construction positive de l’apparence : le sens de l’objet passe et s’inscrit dans toutes ses dimensions sensibles, et les designers sont les opérateurs de cette inscription.

Quels sont alors les différents ressorts du discours de communication révèlant les multiples régimes d’existence des objets, et les univers de références mobilisés dans leur travail de conception ? Pour les designers, les objets peuvent mettre en avant des propriétés physiques (comme le montrait l’exemple des machines à laver) ou le mode de fonctionnement12. Le registre du discours est alors celui de l’évocation ou de la suggestion. Parfois, les designers cherchent à jouer sur la ressemblance pour évoquer des univers entiers auxquels renvoie l’apparence physique des objets mais aussi la façon dont ils peuvent être utilisés.

«On peut jouer sur le lissé, le brillant, la satiné, le granité. Tout ça porte des significations. Et, puis il y a des secteurs de référence. On sait que le matériel photo indubitablement emprunte à la satisfaction de l’armement parce qu’on sait que l’armement est de grande qualité et d’une grande satisfaction technique, d’une grande fiabilité. On fait lire de la qualité.»

Ce discours révèle à quel point les options des designers ne sont jamais gratuites, ici la référence à l’armement dans la matériel photographique permet de récupérer toutes les propriétés qui sont celles de cette catégorie d’objets (la précision, la fiabilité, la technicité), mais renvoie aussi à la manipulation (viser, armer,

12 Le mouvement du fonctionnalisme en design et en architecture défendait ce principe, avec le slogan, maintenant bien connu : “form follows function”.

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recharger). Les détails formels, mis à l’épreuve par les sens13, deviennent des éléments signifiants, et déplient des univers entiers d’usages, de symboles et de propriétés physiques auxquels renvoie la qualification.

La référence se fait parfois par rapport à des lieux ; il faut alors charger les objets de l’atmosphère que l’on retrouve dans ces endroits.

«Quand on a réfléchi autour du mobilier de bureau, Paul, lui, voyait un espace à organiser. Moi, je voyais plutôt autre chose. Je trouve que ce qui manque toujours dans les bureaux, c’est une salle de réflexion, une salle de concentration. Une salle où l’on se met parce que l’on sait qu’on ne sera pas dérangé, ni par les autres, ni par le téléphone. Pour moi, cet espace c’est la Bibliothèque Nationale. Donc le concept qu’il faudra mettre dans les objets ce sera la Bibliothèque Nationale. On va dessiner des objets qui fassent référence à ces lieux mémoires.»

Enfin, la référence se fait parfois directement par la ressemblance physique des objets entre eux14 ou avec d’autres objets. Ce qui permet de passer directement, par analogie, de l’objet lui-même au symbolisme que les designers ont voulu lui faire évoquer.

«Ma cafetière préférée, c’est celle qui est en forme de sablier, parce qu’elle évoque le temps de la pause café qui s’écoule lentement. Et, le rasoir que je préfère, c’est celui qui est en forme de tube de crème : c’est vraiment l’objet qui rend beau.»

Cette construction d’une vision positive de l’apparence des objet développe et défend une conception élargie de l’usage d’un objet, englobant, à côté d’autres formes d’usage plus connues des processus de conception (performance technique, fonctionalité, etc.) des usages liés à des modes d’existence particuliers des objets. Ceux-ci peuvent exister comme des symboles ou des signes, des objets de décoration ou des éléments constitutifs du statut social des usagers. Les designers procèdent comme ils voudraient voir les usagers des objets

13 On pense communément à la vue, mais les designers travaillent aussi sur les sensations produites par les bruits (le bruit que fait une portière en claquant est soumis à de nombreux tests en design automobile), les touchers (les tissus et les plastiques peuvent être choisis en fonction des touchers qu’ils procurent), le rapport kinesthésique (rapport du corps tout entier à la forme), enfin moins fréquemment les goûts et les odeurs (pour les produits pour la petite enfance, par exemple).

14 Les designers parlent souvent de «familles d’objets», ils décrètent alors que l’appartenance à une même famille doit passer par la ressemblance physique des objets entre eux.

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procéder, par association d’idées. Lors de l’épreuve de justification qu’impose la communication et la présentation de leur travail au client, ils ont recours à des formules du type : «nous avons voulu penser à», «nous voulons que l’objet évoque…» ou bien «il faut faire référence à», cherchant par là à faire la démonstration du rapport que la réalité physique et la présence de l’objet tracent entre l’objet lui-même et le projet qu’on a porté sur lui.

Pour comprendre comment se construit ce projet, il est nécessaire de porter attention à l’organisation du travail et aux collaborations avec d’autres catégories professionnelles.

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L’instauration de modes de collaboration avec d’autres acteurs autour de l’objet industriel

La prise en charge de l’objet «dans sa globalité»: ce qui fonde la collaboration

C’est en saisissant les modalités de construction du «concept» de l’objet que l’on voit que le travail sur les formes et les tons ne relève ni d’un régime de l’esthétisme, que serait la recherche d’une beauté canonique ou artistique, ni d’un régime de l’embellissement superficiel.

Les designers rencontrés expliquaient que les industriels ont une représentation du design qui restreint celui-ci à la fabrication d’un bel emballage, d’une «peau» pour leurs produits. Autrement dit, sur la base d’un objet dont les dimensions techniques, fonctionnelles et marchandes ont déjà été complètement figées par l’industriel, le designer serait chargé d’imaginer un “look”, une enveloppe, une coquille, pour faire en sorte que le produit se vende mieux. Si le designer s’inscrit en faux par rapport à ce type de demande, c’est moins parce qu’il ne se satisfait pas de cette position qui le fait passer, dans le processus de conception, après tous les autres, que parce qu’il n’arrive pas, dans ces conditions, à établir les repères de sa propre activité.

Si l’on s’arrête sur le mot d’ordre lancé par la majorité des designers que nous avons rencontrés («il faut prendre l’objet dans sa globalité»), on peut rapidement faire fausse route et penser que le designer fonctionne sur le principe d’une vision superficielle des produits. L’observation des pratiques et des discours nous révèle une réalité qui est tout autre. La globalité (de l’objet( à prendre en compte passe par l’examen minutieux de tous les détails qui font que l’objet circule dans divers types d’espaces (marchand, technique, symbolique, social, etc.). Les designers doivent aussi comprendre sur quels principes techniques il fonctionne, à quel public il est destiné, de quelle façon il peut être fabriqué, à quel coût et pour quel prix de vente, quel rôle il a dans la gamme. Une étape préalable doit permettre de trouver à ces ensembles de questions, des réponses nécessaires à la définition du projet que les designers portent sur l’objet.

Dans le cas des produits nouveaux, par exemple, les designers sont associés à ces moments de négociation où sont établies les caractéristiques des produits, ils apprécient alors de pouvoir mettre en cohérence les idées qu’ils ont eux-mêmes sur l’objet et celles de l’industriel, alors même que leur champ de compétences n’est pas le même. Même lorsque le produit existe déjà, quand il a déjà un marché

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et des principes techniques, la conception design nécessite un réexamen approfondi de ces réalités déjà figées. Les débats doivent être rouverts pour que soient renégociées la plupart des caractéristiques. Dans cette optique le projet ou le concept de l’objet, tels que le définissent les designers, n’est pas une idée que l’on projetterait directement sur un objet déjà pensé, il peut, au contraire, redéfinir certains de ses aspects. Et cette redéfinition mutuelle des choix techniques, fonctionnels, marchands et design passe par des modalités de travail coordonnant les activités et les productions de différents acteurs.

Le cas de la division de design d’un constructeur automobile nous livre un exemple relativement éclairant. Ce département regroupe plusieurs services, dont l’un est plus spécialement dédié à la recherche et à l’élaboration des scénarios de gamme, plus de cinq ans avant la sortie des véhicules. Il s’agit d’une réflexion très en amont qui doit faire le tour de toutes les questions qui concernent de près ou de loin l’automobile. Voici comment un designer de cette division explique en quoi consiste le travail de design sur les véhicules si tôt avant leur sortie :

«Pour l’adapter à l’homme. Le designer est à la fois dans une position distante et dans une position proche. Il y a l’ergonomie, le confort et l’exigence intellectuelle. Et puis, il y a l’esthétique, on ne veut pas d’agression visuelle, c’est comme l’inconfort et l’insécurité, il faut y faire attention. Il faut travailler au niveau du global, pour imaginer des solution techniques et des solutions de sécurité. Il faut aussi que l’homme ait le sourire en prenant sa voiture le matin. Parce qu’il faut faire plaisir aux yeux par l’esthétique, aux fesses par le confort, et au cœur, parce qu’il faut pouvoir rester en vie. Et puis une auto ça change, ça pollue. Il faut réfléchir là-dessus, il faut avoir de nouvelles réflexions : des réflexions globales. Il faut réfléchir sur l’homme et son environnement. Avoir une approche globale… et du détail en même temps : il faut penser à l’ouverture des portes, l’accessibilité. Il faut penser aux autres voitures qu’on voit dans la rue, quand on fait la nôtre.»

Mieux qu’un sociologue des techniques, le designer, par les méandres de son discours, est parvenu à tracer le réseau de tous les éléments qu’agrège l’objet automobile. Il n’a pas la prétention de prendre en charge la totalité de ces questions et beaucoup ne sont pas de sa compétence, mais le projet qui doit voir le jour ne peut pas laisser de côté le fait que les voitures sont des objets qui “circulent” dans des sphères aussi variées que celles de l’environnement, des problèmes d’énergie, de la vie familiale, de la santé privée et collective, de la concurrence des marchés, etc. Saisir l’objet dans sa

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globalité correspond moins à la prétention des designers d’investir des champs de compétences de plus en plus grands, qu’à la volonté de faire appel aux productions de ces autres champs dans le cadre de leur propre activité. Même si les modes de travail du service de design de ce constructeur sont particuliers, on trouve malgré tout, dans le fonctionnement des agences de design que nous avons étudiées, l’ambition de chercher à définir ou redéfinir avec le client certaines dimensions des objets dont ils ont en charge la conception et qui ne font pas traditionnellement partie du champ d’intervention des designers. On a vu, notamment, à travers un projet de conception de mobilier scolaire, l’équipe des designers identifier différents porte-parole (allant des ergonomes, aux associations de parents d’éleves, en passant par les enseignants et les élèves eux-mêmes) pour tisser une partie du réseau de l’univers scolaire et repérer les différentes représentations, au sens politique mais aussi symbolique, qui s’y font valoir. Des aspects aussi différents que le statut social de la tâche de l’enseignant, les dimensions anthropométriques du mobilier, l’évolution du système de représentation de l’école, la violence scolaire, les changements des méthodes pédagogiques ont été examinés.

Une organisation du travail construisant les espaces de collaboration avec d’autres champs professionnels de la conception

Cette prise en compte d’une «globalité» de l’objet engage des modes de collaboration avec d’autres acteurs intervenant dans sa conception. Même s’il n’existe pas de procédures à suivre guidant la conduite des projets chez les designers que nous avons rencontrés dans les agences, on peut malgré tout identifier un canevas d’actions permettant de tracer une organisation du travail qui caractérise son déroulement.

Une fois le contrat signé, associant un industriel demandeur avec une agence de design sous-traitante dans la réalisation d’un produit industriel, l’équipe chargée du projet ou le designer, s’il est free-lance, s’engage dans une longue phase qui consiste à rencontrer le client et prendre contact avec ses propres méthodes de fonctionnement. Souvent les designers se déplacent et vont dans les locaux administratifs et productifs de leur client, parfois même, et c’était la solution adoptée par le designer free-lance, s’installent chez lui. L’objectif de cette organisation est de «s’imprégner de la culture du client». Derrière le terme de culture, les designers entendent à la fois les modes d’organisation, l’historique, la stratégie (marchande mais aussi technique), les savoir-faire, les procédés de production et les ambitions de l’entreprise. Ainsi, certains choix formels pourront être justifiés aussi bien par les procédés de fabrication utilisés dans l’entreprise que, par exemple, par l’identité de la marque. Au niveau des modes de travail,

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cela suppose de fréquentes réunions avec le client au cours desquelles seront négociés des aspects de formes, des choix de matériaux ou de couleurs lorsqu’ils engagent d’autres organisations, productives ou bien de distribution, ou encore marchandes. C’est notamment dans le cadre de ces collaborations que se construiront les représentations du marché, de l’objet, de l’identité du public visé, mobilisées ensuite par les designers. Ils ont besoin pour ce faire des compétences de leur client dans ces domaines, et les espaces de collaboration entre les designers et leur client concourrent à la définition de ces représentations.

«Quand on a fait le téléphone, il était inconcevable de faire un téléphone trop moderne. Il faut plaire à tout le monde. Au départ quand on a réfléchi sur l’idée d’un téléphone, on a sorti des choses intéressantes, beaucoup plus intéressantes que ça, mais il faut avoir une autre vision. Là, c’est réussi, il a une ligne contemporaine, on ne peut pas faire un objet plus traditionnel, le combiné est plein, il est lisse, il n’y a pas d’aspérité, pas de personnalité non plus, mais il faut qu’il plaise par sa forme, par sa ligne. Il doit séduire par son équilibre. Il n’y a pas de défaut. Bon, naturellement, si on devait le vendre chez Soho15 ce serait une catastrophe ! Cette question du positionnement est indispensable, on ne peut pas faire ce métier sans se poser ce problème. Il y a quand même la question de savoir où on va emmener le client. Dans le cas du téléphone, l’entreprise n’avait pas de culture de l’objet, ils n’allaient pas au musée tous les jours ! Et puis, il y a aussi, qu’il y en aura des milliers en vente, il y a plusieurs entreprises associées, une usine qui ne tourne que sur ce poste.»

On voit bien à travers cet exemple, que la définition même du projet de ce que sera ce téléphone, se définit dans un espace de collaboration qui mêle les catégories (technique, marché, fonction) et engage des échanges de compétences. La réussite de l’objet qui a l’air d’une rationalisation a posteriori, n’a rien de la confrontation d’une demande exprimée clairement par le client qui contraint le designer à appliquer point par point celle-ci. Au contraire, les objectifs autour de l’objet se définissent aux confins des différentes formes de savoir et de savoir-faire, entre celles de l’industriel sur les procédés techniques et sur les mécanismes de marché et celles des designers sur les codes des formes et des couleurs.

En suivant le nombre et la nature des intervenants, on voit à quel point la forme même de la collaboration conditionne la définition du

15 Chaîne de magasins distribuant des gadgets et des objets fantaisie.

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projet. D’une entreprise à l’autre, les interlocuteurs des designers varient, parfois il s’agit d’un responsable des études ou des produits nouveaux, parfois il s’agit d’un responsable du marketing, parfois, encore, c’est le chef d’entreprise lui-même qui suit le projet : ces configurations tracent des situations de collaboration qui n’insistent pas sur les mêmes dimensions des produits. De la même façon, entre les projets qui associaient un unique acteur de l’entreprise à un designer, et ceux qui faisaient intervenir différents interlocuteurs au fur et à mesure de l’avancement de la conception design (le chef des produits, puis un ingénieur des études, puis un technicien des méthodes), on peut suivre des modalités de co-définition totalement différentes16. Dans cette optique, on ne peut voir le processus de conception autrement que comme un processus de collaboration et de co-définition des objets.

Dans le service de design du constructeur automobile, il existe une organisation du travail qui dessine des espaces de coopération entre les différents acteurs. Ainsi, lors des phases préparatoires où les scénarios de gammes sont définis, différents services sont amenés à travailler ensemble, dans le cadre de réunions qui instaurent officiellement cette collaboration entre le service du design, celui des produits et celui des études. C’est autour d’une table que sont définis, négociés, et arrêtés les points qui fixeront, par une note écrite (la note d’intention), les lignes de la prochaine gamme. Ainsi, le cahier des charges qu’on a l’habitude de décrire comme un document préalable au travail de design et qui définit son univers de contraintes prend plus véritablement l’aspect d’un premier aboutissement d’un ensemble d’activités différentes qui s’entendent sur une série de points17.

«S’il y a quelque chose qui est mal défini ou qui pose problème, le designer peut faire remonter le cahier des

16 Notamment, nous avons suivi la procédure collaborative dans le cas de la conception d’un produit qui associait les designers et le chef de l’entreprise, celui-ci faisait intervenir des variables aussi différentes que le savoir-faire technique de l’entreprise, son histoire et sa stratégie. De façon très différente, le projet de conception d’un produit traditionnel pour une grande entreprise du service public s’est déroulé de façon très différente. La conception a été gérée sur un mode administratif : l’agence a été selectionnée sur appel d’offre, un cahier des charges très précis a été établi presqu’unilatéralement, les problèmes ont été examinés les uns après les autres, et en les distingant fortement les uns des autres.

17 C’est aussi vrai dans le cadre des agences, souvent le cahier des charges n’est pas établi (ou il l’est sous une forme très succinte) avant le début du projet. Il se définit chemin faisant sur un mode coopératif entre les designers et l’interlocuteur industriel, qu’il s’agisse d’un ingénieur ou d’un responsable marketing.

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charges, pour qu’il soit rediscuté. Si, au delà de la technique, on a des prestations perdues, au niveau de l’usage ou de l’esthétique, on peut faire remonter le projet. Chaque point qui pose problème peut être rediscuté.»

Plus tard, lorsque le projet est plus avancé et qu’une autre division du design prend le relais pour dessiner le véhicule, l’officialisation de la coopération se réalise par la présence quasi-constante d’ingénieurs et de techniciens du bureau des études parmi les designers pour valider, vérifier ou éventuellement redéfinir les options techniques du véhicule remises en cause par les choix en matière de design.

«Soixante-dix techniciens sont là en permanence à suivre les projets. Dès que le maquettiste change une forme, les techniciens interviennent pour voir la faisabilité technique, c’est immédiat. C’est tout de suite vérifié par les techniciens. La faisabilité n’est pas de notre compétence, elle est de celle du bureau d’études.»

On voit, à travers cet exemple, que les autres compétences, ici celles du bureau d’études, sont instrumentalisées par les designers. D’autres formes de collaborations donnent lieu à une appropriation de savoir et de connaissances développées par d’autres équipes.

«Les gens de quoi ont-il besoin ? Ils ne le disent pas. Mais si on réfléchit, les gens passent plus de trois heures par jour dans des embouteillages, ils sont enfermés dans des bocaux. C’est évident qu’ils ont besoin d’espace, d’un habitacle lumineux. C’est comme la fonctionnalité des sièges, les couples avec des enfants ont toujours du mal à passer à l’arrière pour installer leurs enfants, on a donc revu la fonctionnalité des sièges. C’est comme le rehausseur de siège [du modèle R]. On sait que quand les gens passent d’une voiture plus petite [au modèle R], c’est évident, c’est parce qu’ils ont des enfants, donc on met un rehausseur de siège incorporé dans la voiture.»

Ces connaissances qui semblent tellement implicites et que ce designer met sous le signe de l’évidence, sont en fait les résultats des travaux des départements du marketing, de l’ergonomie ou des produits, qui, pour les établir, ont réalisé des études, croisé des statistiques, construit ces savoirs. Le fait, pour les designers, de collaborer étroitement avec ces autres acteurs, les amène à mobiliser ces connaissances comme des repères pour leur propre activité, soit en les instrumentalisant, soit en se les appropriant. Cet échange n’est possible que parce que la coopération est étroite (réunions, co-présence dans les services) et institutionnalisée, c’est à dire que l’organisation l’instaure comme mode de fonctionnement.

Les productions intermédiaires comme support de la collaboration

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Qu’elles s’engagent dans le cadre de réunions officielles ou de rencontres plus informelles, ces collaborations se produisent autour des productions intermédiaires des designers que sont les croquis, les dessins et les maquettes.

Très imprégnés d’une culture artistique, dont ils empruntent les techniques, les designers chargent les dessins d’un pouvoir et d’une force de représentation qu’ils jugent indispensables à l’explicitation de leur point de vue sur l’objet.

Dans la salle de réunion de l’agence que nous avons étudiée, se trouve un tableau blanc qu’utilisent les designers tour à tour lorsqu’ils veulent faire valoir leur idée de l’objet à concevoir, lors des réunions de “brainstorming”. Par un croquis griffonné à la hâte, ils parviennent ainsi à accrocher l’attention de leurs collègues, en minimisant le discours qu’ils portent autour de l’objet. Dans le service de design du constructeur automobile, on observe une façon de procéder relativement semblable.

«On a des revues de dessins, on leur [les designers de l’équipe] dit, allez on [les responsables du service de design] arrive, ils nous mettent tous leurs dessins sur les murs et nous on regarde et on dit ce qu’on en pense. Chaque designer nous présente sa vision de la voiture future.»

Par son coup de crayon, chaque designer exprime son idée auprès du supérieur hiérarchique que l’organisation charge de faire juge. Les auteurs des dessins ne présentent pas leur projets, celui-ci est censé être auto-expressif, ou bien comme le dit ce designer : “sinon, ça veut dire que nos idées ne sont pas claires”. Tous les designers que nous avons rencontrés s’accordaient pour dire que la maîtrise du dessin est une qualité première du designer. La force de ce moyen d’expression semble résider, au yeux de la plupart d’entre eux dans l’absence d’équivoque ou d’ambiguïté que son interprétation suscite.

«Si je lis un papier et mon collègue lit ce même papier, on va avoir deux interprétations différentes. Pareil, s’il illustre un cahier des charges, et si moi, j’illustre ce même cahier des charges, on va avoir deux réponses différentes. En revanche, pour chacun de nos dessins, vous prenez cinquante personnes, ils comprendront tous la même chose. On a un véritable pouvoir de communication par le dessin. Par exemple, on peut être une dizaine autour d’une table à discuter de quelque chose, on n’arrivera pas à se comprendre, à trouver de quoi il s’agit. Par contre, si je fais un dessin et que je leur dis : c’est ça ma solution. Là, on pourra discuter, oui, c’est ça, ou non, ce n’est pas ça, et je vais refaire un dessin.»

Les designers s’accordent sur le pouvoir qu’ils donnent au dessin, et ils instaurent sur cette base des méthodes de travail qui fonctionnent

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d’abord entre eux mais aussi avec les interlocuteurs extérieurs à leur champ professionnel.

Dans les relations avec le client, les productions intermédiaires, qu’il s’agisse de dessins ou de maquettes, permettent aux designers d’exposer leurs solutions. On observe alors ensuite la collaboration qui se cristallise autour de l’objet-support et les décisions, résultant des négociations, s’inscrivent peu à peu dans le produit qui prend forme.

«On fait d’abord des dessins bien léchés, parce qu’une maquette, c’est long à faire, et puis les plans c’est difficile à lire. Ensuite on passe à la maquette.»

Nous avons suivi le projet de la conception d’un fer à repasser. Il s’agissait d’un produit nouveau, à la fois pour l’industriel, qui n’avait jamais fabriqué de fer jusqu’alors mais qui est spécialisé dans la génération de vapeur, et pour l’agence, également, puisqu’aucun designer n’avait jamais “designé” un tel objet. Après de longues discussions avec le client, les designers se sont forgés une représentation de la demande du client mais aussi de celle des utilisateurs potentiels de l’objet. En accord avec l’industriel, les designers prennent le parti d’une certaine originalité dans les formes de l’objet. La phase de “recherche créative” s’engage et deux designers proposent une série de dessins. L’équipe de l’agence se réunit, une première fois entre elle, et sélectionne les dessins qui seront présentés au client. Lors de la réunion prévue à cet effet, designers et interlocuteurs industriels se rencontrent à nouveau et négocient sur la base de cinq dessins proposés, pour parvenir à un accord de forme inspiré de trois d’entre eux. Comme nous l’avons montré plus haut, à ce stade justifications techniques, marchandes, commerciales, fonctionnelles, esthétiques, symboliques se mêlent les unes aux autres, sans qu’il soit possible de séparer chacun des arguments. Et, dans l’épreuve de justification, les designers passent sans cesse d’un registre à un autre.

«Dans ce fer, il y a un rapport à la culture du designer, de l’agence. Ce fer a été pensé comme le fer le plus puissant du marché. Il fallait trouver la forme de la locomotive, de la Stream Line de Raymond Loewy. C’est un fer faisant référence à un passé. En plus, il y a des designers de chez nous qui ont travaillé chez Loewy. Il a l’air résolument moderne. Ce n’est pas un fer qu’un célibataire va utiliser pour repasser rapidement sa chemise, c’est du haut de gamme, fait pour des gens expérimentés. Ce fer va se situer dans les gammes de produits chers. Il donne une image, celle d’une femme relativement soucieuse de son repassage.”

Les dessins dont les jeux d’ombres soulignent les effets de volume, permettent aux designers de rendre présent l’objet au moment de la

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discussion qui s’engage avec le client. On passe alors d’une représentation telle qu’elle pouvait être couchée dans les plans, dans le cahier des charges ou le contrat, à une véritable présentation qui fait que l’objet est déjà là, sous une forme visible, au moment où l’on décide de ce qu’il sera. Ensuite, c’est la maquette qui joue ce rôle, une fois que certaines options sont plus arrêtées, parce qu’elle engage des frais de fabrication plus importants. Les designers font alors une nouvelle fois valoir leur vision positive de l’apparence qui ne délivre pas un accès limité à l’objet, tel que le permet une représentation, mais qui donne une véritable existence à l’objet, passant par un travail de présentation. C’est-à-dire que les différentes productions, croquis, dessins et maquettes mettent en scène l’objet devant le client, par un travail sur les ombrés pour les dessins et sur les aspects pour les maquettes.

Les objets de présentation intermédiaire servent de base de communication entre les designers et avec le client, parce qu’ils sont nécessaires aux designers pour justifier leur point de vue, ils définissent l’espace dans lequel va se réaliser la collaboration, celui de l’objet, et inscrivent les résultats de celle-ci dans la réalité matérielle du produit. Yves Dubreil chargé du projet Twingo chez Renault explique volontiers que lorsque les acteurs des différentes spécialisations se rencontraient aux différentes étapes d’avancement du projet, les objets tenaient lieu de support rendant possible la coopération et la construction ensemble du produit, parce qu’ils jouent le rôle de modes de coordination (au sens où ils permettaient l’accord) entre les acteurs18. Mais il est important de comprendre que ces objets n’auront pas la même vocation pour toutes les spécialisations, certaines maquettes servent à valider la fonctionalité, d’autres la résistance, d’autres la pénétration dans l’air. Les maquettes permettent des mises à l’épreuve, en situations paramétrées, des propriétés de l’objet que l’on veut tester. Pour les designers, les maquettes comme les produits terminés, sont mises à l’épreuve des sens et l’on teste les impressions et perceptions qu’elles suscitent.19. On retrouve ici la construction de la vision positive de l’apparence qui caractérise le champ professionnel :

18 «Dans les bureaux d’études de carrosserie, on voit des petites maquettes en carton : on communique mieux par les objets physiques. Des services différents s’invectivent avec des bouts de papier, mais c’est rarement le cas devant la réalité matérielle : les objets dissolvent les oppositions doctrinaires. Le meilleur langage pour faire échanger des métiers différents, c’est celui des objets.» Yves Dubreil, cité par Christophe Midler in [Midler, 1993], p. 41.

19 A ce propos, les designers du constructeur définissaient leur apport comme la production d’une qualité perçue, à côté des autres formes de qualité développées par les autres services.

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on ne discute que sur ce qui se voit. Ces productions intermédiaires sont de véritables étapes de l’objet qui cristallisent dans des formes accessibles aux sens, les résultats des différents processus de négociation et de collaboration avec les interlocuteurs des designers.

Dans le cours même du travail de collaboration, on voit les objets se modifier. Les dessins d’abord qui sont repris lors des réunions, sont parfois modifiés d’un coup de crayon, on prend une partie d’un dessin et on la colle sur un autre. Les maquettes ensuite évoluent au fur et à mesure que s’inscrivent dans leur réalité physique les changements et modifications, résultant des accords auxquels parviennent les acteurs, jusqu’à l’objet abouti, la maquette qui servira de moule ou permettant d’effectuer le relevé de points numériques, pour faire les premiers prototypages.

Conclusion

Nous avons voulu montrer, ici que la représentation courante qui fait

des designers des “embellisseurs de dernières minutes”20 se révélait symptomatique du manque de sérieux dont cette profession est créditée traditionnellement, autant dans les milieux de la recherche que dans ceux de l’industrie. Au contraire, l’examen des discours et des pratiques qui leurs sont associées met en lumière un travail assez systématique pour prendre en compte les nombreuses dimensions de l’objet, et qui alimente la définition des choix formels adoptés par les designers. Ce travail permet ainsi à ces acteurs, de construire, avec d’autres acteurs, un projet à la fois symbolique, esthétique, fonctionnel, commercial et technique qui sera inscrit dans les formes, les couleurs et les matériaux composant l’objet. C’est une fois mis à l’épreuve des sens, que ce projet, ou concept devra prendre sens pour son utilisateur.

Nous avons repéré que les formes de communication des designers avec les interlocuteurs passaient par une qualification de l’objet qui a pour but de souligner, plus que de révéler (puisque l’épreuve sensible est appliquée à cette tâche) les significations, les ambitions, les références dont il est porteur. La construction de ce projet se réalise dans le cadre d’une collaboration plus ou moins étroite entre les designers et d’autres acteurs de la conception des produits industriels.

20 Selon l’expression employée par M. Champenois dans Le Monde du 17 septembre 1994.

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Les productions intermédiaires des designers, comme les dessins ou les maquettes, rendent visible l’objet qui sera fabriqué. Ils représentent alors les supports de ces collaborations dans la mesure où ils permettent une inscription, à travers les modifications de formes, des différents choix opérés lors de ces négociations. En suivant l’objet, de son épreuve dessin à la maquette mousse ou bois, on peut voir le projet se transformer jusqu’à incorporer toutes les décisions qui auront été prises dans les espaces de collaboration de la conception. On saisit ainsi la dimension fortement interactive et coopérative de tout processus de conception.

Cependant, nous avons donné une image relativement pacifiée d’une profession qui connaît encore de grands troubles de légitimité. Comme nous l’avons souligné en introduction, les designers ne sont pas reconnus unanimement dans les milieux industriels, même si de plus en plus de firmes prennent en compte les dimensions design de leurs produits. Il est certain que les designers naviguent entre deux eaux, dont ils n’ont de cesse de s’alimenter, deux mondes qu’ils perturbent autant qu’ils les renouvellent. Nous avons vu que le poids donné au dessin, à la construction des apparences, conduisaient les designers à adopter et revendiquer des techniques de travail empruntées aux artistes. Chez le constructeur par exemple, les designers disposent d’un ensemble de technologies, comme la conception assistée par ordinateur, leur permettant de trouver les formes des véhicules, pourtant certains d’entre eux préfèrent travailler «à la main» en dessinant ou en modelant eux-mêmes les maquettes :

«L’aspect artistique dans le design est important, on travaille de manière artistique. Quand on dit aux gens qu’on est designer automobile, les gens imaginent qu’on fait tout sur ordinateur. Ils pensent qu’un designer automobile fait des plans, des dessins très nets, qu’il travaille avec sa règle en T, son calque et son Rotring sur sa planche à dessin, ou sur le clavier de son ordinateur, pour faire des images de synthèses. On a ces technologies, mais la majeure partie de notre travail est faite à la main. On est devant une feuille blanche. Après on travaille en volume. Il y a un aspect artisanal. A côté, on a un système de relevé de points laser. Mais d’abord on travaille à la main. C’est un des aspects de notre métier que j’aime beaucoup : c’est le côté artistique. On est là avec nos crayons et notre bombe de fixatif. On fait des petits croquis et des dessins finalisés.»

A l’origine du malaise des designers on trouve un paradoxe : comment tenir à la fois le projet de concevoir un objet qui a vocation à être reproduit parfois à des millions d’exemplaires et celui de se référer à des méthodes de travail et une communauté de pairs qui

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fonctionne sur le registre artistique de la pièce unique ? Et ce dilemme les saisit dans les moments d’épreuves. Il suffit qu’un effet de retour par exemple, leur fasse savoir que l’objet n’a pas été «perçu» conformément au projet qu’ils ont porté sur lui, pour qu’ils se rendent compte que, comme pour les productions artistiques, leurs objets sont soumis à de nombreuses interprétations, dont certaines d’entre elles ne correspondent pas au projet de l’auteur. Cela relativise alors d’autant plus ce mode de collaboration qui utilise comme support des objets dont la fonction est de donner à voir et à percevoir21. Mais, on trouve bien là, en tout état de cause, les particularismes d’une profession que sa situation à l’interface de champs bien établis oblige à de nombreuses compromis.

Bibliographie

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21 Chez le constructeur, il existe, par exemple, une épreuve qui permet au service de design de présenter son projet au PDG. Pour ce faire, une maquette a l’échelle un est construite et posée sur une plate-forme tournante. Le but de l’opération consiste à identifier les impressions que donne le véhicule et en fournir une qualification (racée, sportive, ludique, etc.) qui doit correspondre au projet défini dans la note d’intention de départ.

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De la conception interactive à la conception apprenante

Joëlle Forest, Jean-Pierre Micaelli URA CNRS 945 Économie des Changements Technologiques, Lyon

Résumé. L'organisation séquentielle et hiérarchisée de la conception tend à être abandonnée au profit d'une forme simultanée et réseau jugée plus réactive. Toutefois, si l'interactivité est une condition nécessaire pour avoir une organisation de la conception efficace, elle n'est pas suffisante. Une conception efficace suppose aussi la mise en œuvre d'un véritable apprentissage organisationnel, susceptible d'aboutir à la constitution et à l'utilisation, par les concepteurs, d'une connaissance collective pérenne. Le problème qui se pose alors est de trouver un principe d'organisation qui combine les exigences, contradictoires, d'une conception interactive avec celles d'une conception apprenante.

MOTS-CLÉS : Apprentissage, Conception, Coopération, Interactivité, Organisation, Traçabilité.

Introduction

Les entreprises cherchent à accroître l'efficacité de la conception. Pour ce faire, elles utilisent de nouveaux outils (CAO, GDT, collecticiels…) et mettent en œuvre de nouvelles formes d'organisation de la conception (ingénierie simultanée, ingénierie concourante…). Ces formes abandonnent l'organisation séquentielle et hiérarchisée au profit d'une forme simultanée et réseau jugée plus réactive. Cette dernière assure ainsi le chevauchement des étapes de conception, donc un raccourcissement des délais des projets de conception. Elle assure aussi la constitution de liens nombreux, denses, entre concepteurs. De tels liens assurent une propagation, un

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traitement, une remise à jour rapides de l'information, et autorisent de ce fait, pour le concepteur individuel, un apprentissage accéléré. Au contraire des organisations traditionnelles qui mettent l'accent sur la spécialisation et la division des tâches, la conception interactive met en avant la capacité des concepteurs à coopérer (Perrin et al., 1995), à construire des représentations partagées ou communes, à interagir.

Toutefois, un groupe de concepteurs doit être non seulement capable d'interagir, mais aussi capable de constituer une connaissance collective pérenne, réutilisable dans le cadre de différents projets de conception, c'est-à-dire une mémoire collective ("memory is to be identified by asking what persists over time that can be created and modified by the system" (Newell et al., 1988:111)). Une telle mémoire repose sur la trace des résultats obtenus, des solutions retenues, des concepteurs responsables de tel ou tel résultat, des procédures suivies pour aboutir à tel ou tel résultat. Une fois constituée, cette mémoire collective peut ensuite être transmise à tous les concepteurs, être acquises par eux, et changer les façons dont ils opèrent. Le cycle par lequel un comportement individuel ou collectif est tracé, mémorisé, synthétisé au niveau d'une organisation et ultérieurement exploité, est appelé "apprentissage organisationnel" (Argyris, Schön, 1978).

Le problème que pose la mise en œuvre d'un apprentissage organisationel est de trouver un principe d'organisation qui combine les exigences, contradictoires, d'une conception interactive et d'une conception apprenante. La conception interactive favorise en effet l'apprentissage individuel dans l'interaction, donc une certaine opacité du processus de conception, alors que la conception apprenante favorise au contraire une explicitation des procédures de conception.

1. La conception, de quoi parle-t-on ?

La conception peut être définie comme une procédure qui cherche à expliciter et à répondre à un besoin au moyen "d'objets intermédiaires" (Vinck, Jeantet, 1994) successifs : cahiers des charges, ébauches, maquettes, prototypes, etc.

Une telle définition est insuffisante. La conception suppose des décisions allant de la seconde (tracer le trait d'une ébauche) à plusieurs années (passer du concept d'un avion à la certification du prototype). Selon l'échelle temporelle retenue, les compétences et les capacités mnésiques utilisées ne sont pas les mêmes (Card, Simon, 1985).

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Tracer un trait peut être un acte réflexe qui n'implique pas d'effort cognitif explicite.

Réaliser une ébauche suppose un effort cognitif explicite, tant individuel que collectif. Ainsi, par exemple, le concepteur qui élabore une ébauche focalisera son attention tantôt sur le détail, tantôt sur la structure globale. La réalisation d'une ébauche dans le cadre d'un groupe de concepteurs vise à obtenir un consensus, une représentation partagée. Pour ce faire, tout concepteur interviendra sur la construction de l'ébauche.

Dans les deux cas, l'ébauche agit comme une mémoire de long terme qui permet de stocker de l'information et, sur la base de ce qu'elle restitue, de réaliser des inférences (Simon, 1995).

Pour la clarté de l'analyse, il est préférable d'appréhender la conception à différents niveaux temporels. Nous distinguerons ainsi (CADC, 1995) :

1 - l'acte de conception unitaire, ou acte visant à réagir à un état donné des ressources et des évaluateurs, afin d'en faire changer l'état,

2 - l'étape du processus de conception, ou séquence d'actes de conception unitaires qui visent à élaborer, à informer ou à résoudre un problème,

3 - le processus de conception, ou séquence d'étapes du processus de conception permettant de passer, pour une étape de conception donnée, de l'élaboration d'un problème à sa solution,

4 - l'étape de conception, ou organisation d'un processus de conception qui aboutit au concept, aux fonctions, aux solutions globales ou détaillées,

5 - l'activité de conception, ou métiers et procédures spécifiques requis pour réaliser une solution susceptible de répondre à un besoin latent ou réel,

6 - le projet de conception, ou réalisation collective d'un artefact commercialement ciblé, organisée dans le temps (Midler, 1993), et activant l'activité de conception.

L'échelle temporelle de chacun de ces niveaux peut être de l'ordre de l'année (niveaux 5 et 6), du mois (niveau 4), du mois ou de la semaine (niveaux 4 et 3), de la journée ou de la minute (niveaux 2 et 1), voire même de la seconde (niveau 1). Du fait de telles différences d'échelle, les modalités suivies pour la réalisation de chacun de ces niveaux diffèrent aussi. Ainsi, si les niveaux inférieurs (niveaux 1 et 2) peuvent être réalisés par un concepteur individuel, il n'en est pas de même pour les niveaux supérieurs, qui supposent plusieurs concepteurs. Or, dès qu'intervient un groupe d'individus, trois questions se posent : Comment ses membres se coordonnent-ils ? Comment peuvent-ils coopérer ? Peuvent-ils apprendre ensemble de sorte à mieux se coordonner et à mieux coopérer ?

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2. Coopération et coordination en conception

Toute conception collective est coordonnée par les objectifs posés au groupe de concepteurs. Ces derniers se référeront à de tels objectifs pour définir leur action, orienter leur recherche d'informations, évaluer la performance de leurs solutions.

Toutefois, des modes de coordination plus formels peuvent exister. De tels modes visent non seulement à informer les concepteurs des objectifs, mais aussi à assurer la coordination de leurs tâches, de leurs agendas. Ce dernier mode de coordination passe par une organisation, c'est à dire une entité conçue, un "artefact", (Simon, 1991), qui s'appréhende à travers l'existence :

1 - d'une hiérarchie le long de laquelle des ordres sont déclinés, 2 - d'un superviseur qui fixe les contraintes, propage, et avertit les

concepteurs en cas de dérive sur les contraintes, 3 - d'une normalisation des canaux d'informations et des

informations utilisés par les concepteurs. Selon la modalité de coordination retenue, il est alors possible de

distinguer trois types de conception collective : 1 - la co-conception pure, 2 - la co-conception supervisée, 3 - la conception distribuée. Dans le cas de la co-conception pure, les objectifs ne peuvent

être partitionnés ou assignés à un concepteur particulier. C'est sur la base de ces seuls objectifs que les concepteurs se coordonneront. Enfin, l'évaluation de la solution repose sur un accord non contraint obtenu entre co-concepteurs.

Dans le cas de la co-conception supervisée, les objectifs ne peuvent être partitionnés ou assignés à un concepteur particulier, mais il existe un superviseur qui évalue la solution, sa nature, son délai. La solution sur laquelle les concepteurs pourraient s'accorder est donc contrainte. De plus, les concepteurs doivent utiliser des canaux d'informations et des informations normalisés.

Dans le cas de la conception distribuée, les objectifs de conception peuvent être partitionnés, assignés à un concepteur particulier, et l'évaluation de la solution passe par un superviseur. La conception distribuée permet à des concepteurs spécialisés de travailler au sein d'une hiérarchie, de travailler en parallèle, sans même qu'ils aient à coopérer. La conception distribuée suppose une division des tâches et une forte normalisation des canaux d'information et des informations.

Le principe d'une conception interactive consiste à créer une organisation qui se rapproche de la co-conception supervisée, voire, idéalement, de la co-conception pure. Pour ce faire, la conception coopérative met en avant un principe de coopération et non plus

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seulement un principe de coordination défini d'après le respect des ordres, l'information du superviseur et le strict respect de ses consignes, l'utilisation exclusive des canaux d'information et des informations normalisés. Ainsi, défini en 1975 par Grice, un tel "principe de coopération" s'exprime de la façon suivante : "faites en sorte que votre contribution à la conversation corresponde, au niveau où elle intervient, à ce que l'on attend de vous, conformément au but ou à l'orientation de l'échange linguistique dans lequel vous êtes engagé". De ce principe, Grice tire quatre "maximes" que doit mettre en œuvre le concepteur coopératif.

"Maxime de qualité : Essayez de faire en sorte que votre contribution soit vraie, à savoir :

(i) Ne dites pas ce que vous croyez faux. (ii) Ne dites pas ce pour quoi vous manquez de justification

(adéquate). Maxime de quantité : (i) Faites en sorte que votre contribution soit aussi informative que

ce qui est requis… (ii) Ne faites pas en sorte que votre contribution soit plus

informative que ce qui est requis. Maxime de manière : Soyez perspicace, à savoir : (i) Évitez les expressions obscures. (ii) Évitez l'ambiguïté. (iii) Soyez bref… (iv) Soyez ordonné. Maxime de relation : Soyez pertinent" (Sadek, 1994:105).

3. Conception et apprentissage individuel dans l'interaction

La mise en œuvre d'une conception interactive, donc d'un principe de coopération plus que d'un principe de coordination, s'explique par la nature de la conception. Toute conception implique un apprentissage par lequel le concepteur appréhende mieux les solutions et le besoin auquel il doit répondre (Simon, 1995). Les objectifs et les alternatives d'un problème de conception ne sont jamais intégralement donnés. A mesure que le concepteur met en œuvre un processus de conception, le problème qui lui est posé et les solutions émergent de façon progressive. Or, aucun concepteur n'est omniscient et ne peut réaliser seul, de façon instantanée, un artefact. Tout concepteur a besoin d'un support externe, qui peut être un objet (dessin, prototype…) ou une personne à qui il demande un conseil, un renseignement, etc. Ce qui est acquis par le concepteur dans l'interaction est appelé "apprentissage individuel dans l'interaction".

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Parler d'apprentissage individuel dans l'interaction signifie que le concepteur ne peut se contenter d'utiliser ses seules ressources cognitives internes (représentations des connaissances, procédures). Il cherchera les informations ou les connaissances manquantes, quoique nécessaires, en exploitant ou en créant un réseau de compétences externes. Ce qui importe alors au concepteur, c'est l'étendue, la densité d'un tel réseau, la qualité et la rapidité des interactions entre parties prenantes à la conception : les services de fabrication, les clients, les utilisateurs, les sous-traitants, les fournisseurs, les centres techniques, les laboratoires de recherche, les organismes de certification, etc. (Karlson, 1994).

Le mode de relation priviligié du concepteur à ses informateurs n'est pas une relation marchande de transfert d'un bien. Le plus souvent, il s'agit d'une relation de service par laquelle le concepteur traduit sa demande à son interlocuteur, qui essaye de la comprendre afin de fournir à ce premier l'information demandée ou de lui faire partager sa connaissance. L'apprentissage individuel se manifestera par la capacité du concepteur à bien traduire ses intentions, à s'informer auprès du bon interlocuteur, à acquérir sa confiance, à mettre en œuvre un principe de coopération.

L'apprentissage individuel dans l'interaction est régi par le principe "d'économie cognitive" ("cognitive economy" (Rescher, 1989)) ou la mise en balance des coûts et bénéfices de toute acquisition et de tout traitement de toute connaissance supplémentaire. Même s'il apprend, le concepteur ne doutera pas de l'efficacité des solutions proposées par ses interlocuteurs, traduira ses besoins et évaluera les solutions en termes de performances moyennes, ou modales, et non en termes de performances extrêmes ou de fonctionnement dégradé, ne demandera pas à tous ses interlocuteurs de proposer des solutions innovantes. Le doute méthodique, la nouveauté radicale, les raisonnements envisageant toutes les conditions d'usage, sont trop coûteux d'un point de vue cognitif.

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4. L'apprentissage individuel, condition de l'apprentissage organisationnel qui permet d'améliorer la coopération

L'apprentissage individuel dans l'interaction suppose en partie la coopération. Toutefois, rien ne dit que l'organisation dans laquelle s'inscrit le concepteur soit performante du point de vue de la coopération. Ainsi, l'une des façons d'améliorer la coopération passe par l'apprentissage organisationnel. Pour qu'il y ait un apprentissage organisationnel, il faut qu'il y ait un apprentissage individuel émergeant de l'interaction, et que les nouvelles connaissances se répercutent au niveau du comportement :

1 - de l'individu, par l'acquisition de nouvelles représentation des connaissances,

2 - de l'individu dans l'interaction, par l'acquisition et la mise en oeuvre d'un principe de coopération,

3 - du groupe, par de nouvelles méthodes d'organisation. Quoiqu'il en soit, un changement ne se transforme en

apprentissage organisationnel que dans la mesure où il est mémorisé dans une mémoire de long-terme et les événements ont été tracés. Sans une telle trace, l'organisation ne peut apprendre. Deux types de traces méritent d'être distinguées (Forest, 1995) :

1 - une trace du processus : Comment ? 2 - une trace du résultat : Pourquoi ? Qui ? Quand ? La trace du processus permet la constitution de

métaconnaissances et de connaissances opérationnelles, utiles aux bas niveaux d'appréhension de la conception (niveaux 1 et 2). Grâce à une telle trace, le concepteur ou le groupe de concepteur sait comment arriver à tel résultat positif ou, a contrario, comment éviter tel résultat négatif. Les sources d'une telle trace peuvent être :

1 - verbales, ce qui suppose de demander au concepteur en temps réel ce qu'il fait, et d'inscrire sur un recueil ses dires,

2 - vidéo, ce qui suppose d'observer les comportements d'un groupe de co-concepteurs, et reconstituer ensuite les séquences de décision (Minneman, Leifer, 1993),

3 - informatiques, ce qui suppose une trace de type système expert (chemin parcouru pour résoudre un problème), un graphe des informations échangées entre concepteurs, une trace des bases de données appelées au cours du processus de conception (Blessing, 1994).

La trace des résultats intéresse les niveaux supérieurs d'appréhension de la conception. Une telle trace comprend :

1 - l'identification des actions menées à terme, suspendues ou abandonnées,

2 - un stock d'objets intermédiaires,

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3 - des bilans des efforts réalisés le long du projet de conception : budgets, nombre d'heures, nombre de concepteurs, variété des compétences requises, temps d'accès aux compétences requises, etc.

Ces différentes traces peuvent servir à un diagnostic stratégique ou tactique qui devrait être préalable à tout projet de conception.

La trace des actions menées à terme, suspendues ou abandonnées permet d'apprécier de façon rétrospective quelle solution est retenue ou exclue de façon systématique par les concepteurs, ce qui permet d'apprécier le contenu de leur métier, et de renforcer ce dernier.

La trace que constitue les objets intermédiaires, supports d'une représentation commune d'un problème ou d'une solution, permet d'identifier dans de futurs projets de conception les points nodaux sur lesquels il y a un problème entre concepteurs, ou les solutions qui peuvent être réutilisées car consensuelles.

Enfin, la trace des efforts permet d'indiquer les étapes du projet de conception les plus intenses, de mesurer les surcoûts de rattrapage ou des étapes aval lorsque les étapes amont ont été négligées. Cette trace peut servir à la définition de la tactique à adopter pour de futurs projets de conception.

Ces trois traces s'incorporent dans les mémoires de long-terme de l'organisation, que ce soient des documents, techniques ou comptables, ou des objets tangibles. Cette mémoire de long-terme est accessible, transmissible, utilisable par les concepteurs individuels impliqués dans les différents projets de conception dans lesquels l'organisation est impliquée.

Conclusion

L'interactivité est une condition nécessaire pour avoir une organisation de la conception plus efficace. Toutefois, une telle qualité est requise pour les bas niveaux d'appréhension de la conception. Pour avoir une conception plus efficace, les entreprises doivent aussi mettre en œuvre un processus d'apprentissage organisationnel afin de rendre leur conception apprenante.

La mise en œuvre d'un apprentissage organisationnel suppose de constituer, de mémoriser, de synthétiser et d'utiliser une trace. Or, une trace de qualité suppose de collecter des données, nombreuses et hétérogènes, qui proviennent des bas niveaux de conception. Le problème qui se pose alors à l'organisateur de la conception, est de trouver un compromis entre les exigences de la conception interactive, qui favorise la densification des liens entre concepteurs et donc une relative opacité de la conception, et une conception

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apprenante, qui favorise la constitution d'une mémoire de long terme exploitable au cours du temps par l'organisation dans son ensemble, et donc l'explicitation des résultats, et surtout des procédures de conception suivies.

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Conception de dessins et C.H.M. améliorer l'interaction orale au niveau

linguistique

Jean-Yves Antoine

Institut de la Communication Parlée, INPG - U. Stendhal - URA CNRS 46 avenue Félix Viallet, F-38031 Grenoble Cedex

Laboratoire CLIPS-IMAG, Université Joseph Fourier - INPG Email : [email protected]

RESUME — La conception de dessins assistée par ordinateur nécessite une forte interaction entre la machine et son utilisateur. Un tel échange ne peut être atteint qu'en autorisant une expression relativement libre du locuteur. Or, le langage parlé se traduit par une diversité structurelle qui empêche les systèmes de dialogue oral personne-machine actuels de dépasser le stade des langages contraints. Nous proposons dans cet article une approche novatrice pour la compréhension automatique de la parole spontanée. Celle-ci repose sur l'emploi précoce d'un analyseur sémantique doté de fortes capacités structurelles, ainsi que sur une inversion des rapports coopératifs entre syntaxe et sémantique. Une évaluation, effectuée sur un corpus de dialogue collaboratif dans une tâche de conception de plans architecturaux, démontre les avantages de cette revalorisation de la sémantique. MOTS-CLES — Dialogue oral personne-machine; Conception de dessin assistée par ordinateur; Analyse linguistique de la parole; Microsémantique; Coopération syntaxe-sémantique.

1. Introduction Les travaux décrits dans cet article s'intègrent dans le projet ICPlan,

qui concerne la réalisation d'un système de dialogue oral personne-machine pour la conception de dessins (plans architecturaux, par exemple) assistée par ordinateur. Dans la perspective d'une aide informatique réellement efficace, il est important que le système dispose de capacités interactionnelles et transactionnelles élevées. Cette remarque, qui concerne en premier lieu les traitements pragmatiques mis en oeuvre par le système (gestion du dialogue), reste d'importance pour les niveaux d'analyse inférieurs. Ainsi, la recherche d'une meilleure collaboration entre la machine et l'utilisateur impose que ce dernier ait la possibilité de s'exprimer de la

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manière la plus libre possible. En effet, plusieurs études ont montré qu'un dialogue contraint par la machine se traduit par une faible interactivité communicationnelle [Spérandio, Letang 86]. En particulier, Spérandio a indiqué que le dialogue personne-machine se caractérise généralement par une réduction sensible du nombre des échanges par rapport à une conversation humaine. Or, cette interactivité est essentielle à la bonne conduite des activités collaboratives de conception.

On peut distinguer deux origines à cette altération du dialogue. En premier lieu, les productions langagières des systèmes actuels présentent un caractère artificiel (réponses stéréotypées, synthèse monocorde) qui induit chez l'utilisateur un comportement sortant de l'ordinaire. Parallèlement, un second facteur de limitation résulte des contraintes d'élocution qui sont imposées à ce dernier. En effet, les capacités d'analyse des systèmes actuels sont encore insuffisantes pour autoriser une compréhension de la parole spontanée. Par exemple, le système SATIC de construction automatique de comptes-rendus chirurgicaux [Brunessaux et al. 90] ne permet qu'un langage opératif restreint22. De même, le langage compris par les systèmes ICPlan [Bourguet 92] ou Partner [Morin, Pierrel 87] reste assez artificiel. Ces limitations proviennent principalement des difficultés qu'éprouvent les méthodes d'analyse linguistiques actuelles face à la grande diversité structurelle des énoncés oraux spontanés. En réponse à ce problème, nous proposons une stratégie novatrice de coopération entre analyses syntaxique et sémantique, au bénéfice de cette dernière. Notre démarche vise à replacer l'analyse linguistique dans le seul cadre pertinent du point de vue de la communication personne-machine : la compréhension des productions langagières de l'utilisateur. Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous allons présenter l'interface personne-machine ICPlan, qui constitue le domaine applicatif de cette recherche.

2. ICPlan ICPlan [Bourget 92] est un logiciel d'aide à la conception de plans

architecturaux qui a été développé à l'Institut de la Communication Parlée. Ce système met en place une interface personne-machine multimodale qui autorise un dialogue coopératif. Il offre des outils graphiques pour la conception de dessins et un savoir en matière d'architecture pour vérifier la cohérence des plans, inférer les intentions du concepteur et lui fournir de l'aide. L'application est du

22 Voici un exemple de dialogue avec SATIC (C = chirurgien, S = système) : C: début SATIC; diagnostic GEU ampulaire gauche S: confirmation diagnostic grossesse extra-utérine localisation ampulaire gauche C: OK; traitement

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type dirigé par la tâche. Enfin, l'interface multimodale propose les modalités d'expression suivantes : le geste, la parole et langue naturelle écrite en entrée, la vision et la parole de synthèse en sortie. La tâche de l'utilisateur correspond, par exemple, à la construction d'un bâtiment ou encore à la modification de l'ameublement d'une pièce. Elle est analysée comme une succession de scénarios qui correspondent par exemple à la construction d'un mur ou encore à la création d'objets dans une pièce. La figure 1 présente un plan meublé ainsi réalisé.

Figure 1 : un exemple de plan meublé dessiné sous ICPlan D'un point de vue linguistique, ICPlan traite des énoncés, qui tant à l'écrit qu'à l'oral, restent très rudimentaires. Notre recherche vise ainsi à améliorer les capacités langagières de ce système, dans l'espoir d'améliorer l'interaction entre l'utilisateur et la machine.

3. Le langage parlé et son analyse automatique Nous allons revenir sur la question de l'analyse linguistique de la

parole spontanée, pour des dialogues finalisés correspondant à l'application ICPlan. Afin de prendre la mesure des difficultés que représente cette tâche, nous allons effectuer dans un premier temps une caractérisation de notre objet d'étude, le langage oral.

3.1. Un langage complexe et varié Les méthodes d'analyse linguistique utilisées dans les systèmes de

compréhension de la parole reposent souvent sur des méthodes élaborées pour le traitement du langage écrit. Or, la parole s'éloigne sur bien des points de l'écrit [Gadet 89; Blanche-Benveniste et al. 90]. Ainsi, deux caractéristiques principales peuvent être dégagées, quant à la structure des énoncés oraux :

complexité structurelle — si le langage parlé se traduit par une simplification structurelle vis à vis de l'écrit [Poole, Field 76], celle-ci reste elative. La complexité structurelle des énoncés oraux est en effet bien plus proche de celle des phrases écrites que du simple schéma sujet-verbe-objet généralement employé en dialogue personne-machine. Les traitements linguistiques doivent donc présenter des capacités structurelles élevées pour permettre une interaction orale satisfaisante.

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diversité structurelle — contrairement à l'écrit, qui suit assez fidèlement les standards grammaticaux issus d'une pratique sociale de la langue, la parole frappe immédiatement l'observateur par sa variété d'expression. En effet, les énoncés oraux prennent une grande liberté par rapport à la syntaxe de l'écrit, tout en restant totalement cohérents. D'un point de vue communicationnel, la notion de norme grammaticale n'est donc pas pertinente, et seule importe le critère de vraissemblance sémantique. Les constructions orales inattendues (mais cohérentes) doivent donc pouvoir être traitées sans problème. A première vue, on pourrait penser que cette diversité nuit à la qualité de l'interaction personne-machine, et qu'il convient de favoriser un langage contraint. Ce serait cependant ignorer l'origine de cette hétérogénéité. En effet, s'il existe un système langagier de l'oral qui met en jeu des constructions régulières spécifiques à ce mode d'expression23, la principale source de diversité structurelle provient du caractère spontané de la parole. On citera par exemple les procédés suivants, qui relèvent tous de la dynamicité de la production orale :

hésitations : "euh" répétitions : "une table qu'on va placer qu'on va placer

ici" reprises : "tu places une porte une double porte en bas

" corrections : "...à gauche non pas tout à fait à gauche" incises : "on revient à la pièce voilà et on repart" élisions : "la ligne va partir du milieu du bas [du] carré

6"

Or, ces constructions sont intimement liées au déroulement de la tâche et de l'interaction. Elles correspondent en effet, soit à la recherche progressive d'une verbalisation adéquate pour exprimer le message désiré (temps de réflexion sur l'hésitation et la répétition, précision par enrichissement lexical sur la reprise), soit à l'interaction elle-même (comportement inattendu de l'allocutaire dans le cas de la correction, ou au contraire confirmation dans celui de l'incise).

23 On citera par exemple les constructions suivantes:

interrogation à intonation : je dessine le salon où ? négation avec chute du ne : on (ne) détruis pas les cercles.

Ces constructions présentent des structures régulières que peuvent décrire les méthodes syntaxiques développées pour le langage écrit.

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Tableau 1: fréquence d'apparition de certaines constructions dans un corpus de dialogue finalisé en situation de travail collaboratif [Antoine 94, p. 84-90]

construction exemple fréquence antéposition à gauche dessine une table 28,0 % ellipses à gauche une fenêtre à droite aussi 19,5 % répétition, reprise tu places une porte une double porte au milieu 13,6 % juxtaposition, énumération même chose avec les carrés 6, 3, 9, 1 10,0 % incise on revient au carré voilà c'est bon et on trace 2,8 % élision, apposition la ligne part du milieu du côté droit carré 6 1,8 % Ainsi, ces constructions spontanées sont essentielles à la conduite

de l'interaction et à la mise en place d'un travail collaboratif efficace entre l'utilisateur et la machine. C'est pourquoi nous devons viser la réalisation de systèmes de dialogue oral personne-machine qui tiennent compte à la fois de la diversité et de la complexité du langage parlé. Cette nécessité est d'autant plus impérieuse que ces phénomènes concernent un grand nombre d'énoncés (tableau 1).

3.2. Insuffisances des méthodes d'analyse de la parole spontanée Deux approches sont généralement distinguées en compréhension

automatique de la parole [De Mori 94]. D'un côté, certains systèmes transposent à l'oral les méthodes d'analyse syntaxique qui ont été développées en Traitement Automatique des Langues Naturelles (TALN par la suite). L'intérêt de cette démarche réside dans la finesse des traitements mis en place : ils procèdent en effet à une analyse exhaustive de la structure des phrases. Si ces techniques présentent désormais une couverture linguistique très étendue, elles tendent à se décomposer rapidement face aux nombreux inattendus de la parole spontanée. Certains systèmes de dialogue oral personne-machine adoptent néanmoins cette démarche, et tentent de surmonter les écarts à la norme à l'aide de mécanismes de correction additionnels [Issar, Ward 93; Dowding et al. 93]. Néanmoins, ces méthodes ne peuvent décrire que les variations d'expression les plus répandues, et restent insuffisantes pour une application à la parole spontanée.

A l'opposé, certains systèmes ignorent délibérément toute information syntaxique afin de conserver en toutes circonstances une bonne robustesse d'analyse [Seneff 92; Clementino, Fissore 93]. Ils mettent en place des traitements sélectifs qui se contentent de détecter quelques îlots informatifs dans l'énoncé afin de remplir des schémas sémantiques prédéfinis sensés décrire le message véhiculé.

(1) Quels sont les horaires de trains au départ de Lyon pour Prague ?

Par exemple, l'analyse de l'énoncé (1) conduit à l'instanciation du schéma sémantique suivant :

requête [ type = horaire [ départ = Lyon

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[ arrivée = Prague

Cette analyse partielle permet de s'affranchir des problèmes posés par de nombreux inattendus oraux. Elle a en particulier donné des résultats très satisfaisants dans le cadre des dialogues informatifs (accès à une base de donnée ou de réservation aérienne), ce qui conduit certains à affirmer qu'elle constitue une réponse idéale à la question de la compréhension automatique de la parole spontanée. Or, il est très douteux que l'on puisse appliquer ces méthodes sélectives aux dialogues opératifs que l'on rencontre dans les tâches de conception. En effet, cette approche néglige totalement deux aspects essentiels de la communication orale : sa richesse informative et sa co-construction au cours du dialogue.

Ainsi, lorsqu'il présente les mécanismes sélectifs de compréhension automatique qui sont implantés dans son système DIALORS de réservation SNCF, Luzzati affirme [Luzzati 89, p. 271] :

"Tout repose sur un postulat : un quart du lexique suffit pour accéder au sens"

En réduisant ainsi les énoncés oraux à un ensemble minimal de mots-clés, l'approche sélective néglige à grands risques la complexité structurelle du langage parlé. Ainsi, Luzzati reconnaît qu'en négligeant certains marqueurs de structuration du discours, DIALORS intervertit parfois gare d'arrivée et gare de départ [Luzzati 89, p. 306]. L'autre critique qui peut être adressée à ces méthodes concerne le caractère prédifini des schémas sémantiques qui gouvernent la compréhension des énoncés. En effet, la finalité de cette approche n'est pas de comprendre l'utilisateur, mais simplement d'assigner à ses paroles un sens qui corresponde aux attendus arbitraires de la machine. Sabah [Sabah 89] note ainsi qu'un système sélectif...

"...ne se demande pas quel est le sens correct du mot, mais est-ce que ce mot peut remplir le rôle que je veux lui voir jouer"

Il est aisé d'imaginer les travers de cet arbitraire : si l'utilisateur s'écarte des schémas de compréhension utilisés par le système, la communication est impossible. Ainsi, les approches sélectives ont le grand mérite de mettre en avant le rôle de la sémantique dans le processus d'analyse linguistique. Elles pêchent néanmoins en négligeant l'aspect de co-construction du dialogue par les deux partenaires qui interagissent. C'est pourquoi nous proposons un dépassement de cette démarche, qui permettent une prise en compte de la diversité du langage oral sans négliger sa richesse et sa nature spontanée.

4. Une approche coopérative novatrice Notre expérience de locuteurs nous enseigne quotidiennement

que les constructions propres à la parole spontanée, bien que

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réputées agrammaticales, restent parfaitement compréhensibles. Partant de ce constat d'évidence, il nous est paru opportun de remettre en cause le schéma coopératif classiquement envisagé en TALN. Dans cette approche, les traitements syntaxiques sont en effet impliqués en premier au cours de l'analyse linguistique. Les processus sémantiques effectuent ensuite une post-vérification de la cohérence des hypothèses syntaxiques produites. Cette approche ne peut bien sûr pas traiter les énoncés présentant une structure grammaticale inattendue. Aussi proposons-nous une nouvelle forme d'interaction entre syntaxe et sémantique, au bénéfice de cette dernière composante.

La figure 2 illustre le niveau d'analyse linguistique du système MICRO, qui constitue la composante de compréhension orale d'ICPlan. Il met en jeu deux analyseurs concurrents, qui manipulent respectivement des connaissances syntaxiques et sémantiques afin de construire en parallèle deux structures relationnelles de l'énoncé. Cette coopération gère uniquement l'étape d'analyse structurelle du système qui correspond à la phase d'extraction des relations entre les éléments de l'énoncé. Il n'est donc pas question d'interprétation à ce niveau. En conséquence, l'intervention de la composante sémantique dans le système MICRO est beaucoup plus précoce que dans les approches traditionnelles. Cette démarche est totalement justifiée si l'on replace l'analyse linguistique dans le cadre communicationnel, qui privilégie le processus de compréhension à la vérification de la bonne formation des énoncés.

Sémantique

structurestructuresyntaxique sémantique

prédictions

Fusion

hypothèses lexicales

AccèsLexical

Syntaxe

INTERPRETATION DIALOGUE

PROSODIERECONNAISSANCE

Figure 2 : coopération syntaxe-sémantique dans le système MICRO Dans cet optique, la stratégie coopérative accorde un rôle

prééminent à l'analyse sémantique, qui seule a la capacité d'influer sur l'accès lexical par l'intermédiaire de contraintes prédicitives. Cette tâche étant traditionnellement dévolue à l'analyse syntaxique, l'objectif central de notre recherche a consisté à réaliser un analyseur

Page 148: Conception et interaction

sémantique doté de capacités structurelles élevées. Nous allons désormais entrer dans des considérations plus techniques d'implémentation. Dans un premier temps, nous allons présenter l'analyseur sémantique réalisé. Nous reviendrons ensuite sur la description de la stratégie coopérative, qui limite l'intervention de la syntaxe au filtrage des hypothèses sémantiques, suivant des critères facultatifs de normalisation. Nous montrerons enfin l'intérêt de cette inversion des rôles pour la compréhension des énoncés oraux spontanés.

5. L'analyseur sémantique du système MICRO A chaque construction inattendue, les traitements syntaxiques se

trouvent dans une impasse. Dans notre approche, l'analyse sémantique doit alors poursuivre seule et construire une structure relationnelle aussi détaillée que possible. L'analyseur qui a été développé a ainsi la capacité d'extraire, sans aide de la syntaxe, l'ensemble des relations de sens internes à l'énoncé.

5.1. Structure sémantique L'analyseur sémantique élabore une structure qui décrit sous forme

arborescente les relations de sens qui existent entre les lexèmes24 de l'énoncé. Nous catégorisons ces relations par un ensemble de 15 cas sémantiques (figure 2), tout en nous démarquant sensiblement des grammaires casuelles classiques [Fillmore 68].

Tableau 2 : fréquence d'apparition des cas sémantiques dans deux corpus de dialogue oral finalisé en situation de travail collaboratif. Corpus 1 : dessin de plans architecturaux. Corpus 2 : dessin général. Les mots connectés par le cas décrit sont présentés en italique. Les prépositions qui introduisent le cas sémantique concerné sont soulignées.

Cas sémantique exemple Corpus 1 Corpus 2 DET Déterminant Je déplace le salon près de la cuisine 89,2 % 92,8 % AGT Agent Je déplace le salon près de la cuisine 79,8 % 75,8 % ATT Attribut Efface le balcon sud 75,7 % 41,9 % OBJ Objet Place une fenêtre en face de la cheminée 63,5 % 55,6 % OWN Meronomie Le sol de la cuisine sera carrelé 25,7 % 39, 1% MOD Modalité Je veux dessiner une nouvelle pièce 27,0% 30,4 % LOC Locatif Place une fenêtre en face de la cheminée 58,1 % 18,8 % DES Destination Déplace l'escalier vers l'arrière 5,6 % 14,0 % INS Instrument Détruis le balcon avec la gomme 4,7% 6,3 % DAT Datif Ajoute une nouvelle fenêtre à la chambre 2,7 % 5,2 % TPS Temporel Ensuite, tu Sauves 4,1 % 3,6 % SCE Source Déplace la table depuis le salon 2,1 % 1,3 % QTE Quantité Il y a deux étages 1,4 % 0,8 % BUT But Déplace l'escalier pour faire de la place 0, 2 % 0,6 % COO Coordination Déplace la table et les chaises non recensé

24 lexème : entité sémantique correspondant à une entrée lexicale.

Page 149: Conception et interaction

Tous les mots de l'énoncé sont alors intégrés progressivement dans une structure sémantique, où ils sont rattachés deux à deux suivant des relations étiquetées par ces différents cas. A titre d'exemple, la figure 3 représente la structure sémantique de l'énoncé (2) :

(2) On dessine une chaise dans le salon

Celle-ci est dominée par le prédicat (PRED) verbal dessiner qui régit un Objet (chaise) et un Locatif (salon), qui est introduit par un ligateur (LIGAT), en l'occurrence la préposition dans.

LOCLIGAT PRED' dans'PRED 'salon'DET PRED ' le'

PRED ' dessiner'

OBJ DET PRED 'une'PRED ' chaise'

AGT PRED 'on'

LNMM

OQPP

LNM

OQP

L

N

MMMMMMM

O

Q

PPPPPPP

Figure 3 : Structure sémantique de l'énoncé (2) Afin de contraindre dynamiquement l'étape d'accès lexical, qui doit gérer la forte combinatoire induite par la reconnaissance automatique de la parole, les traitements sémantiques reposent sur un mécanisme prédicitif d'amorçage.

5.2. Amorçage sémantique L'amorçage sémantique peut-être assimilé à un processus cognitif

suivant lequel les mots déjà reconnus en appellent d'autres selon des associations de sens. Nous distinguons deux processus d'amorçage qui sont respectivement qualifiés d'amorçage relationnel et d'amorçage isotopique.

5.2.1. Amorçage relationnel Ce processus correspond à la recherche des relations sémantiques

proprement dites entre les lexèmes de l'énoncé. Cette caractérisation repose sur l'utilisation de structures prédicatives qui décrivent les relations de dominance qu'un prédicat lexical est susceptible de partager avec les autres mots de l'énoncé. Pour cela, on associe à chaque unité lexicale une structure qui précise la liste des arguments régis par ce dernier, ainsi que les cas sémantiques qui leur correspond. On attache ainsi la structure prédicative suivant au verbe dessiner : [ dessiner [ AGT /élément/ + /animé/ ] [ OBJ /élément/ + /concret/ ] [ (LOC) /propriété/ + /élément/ + /lieu/ ] ]

Page 150: Conception et interaction

Sur cet exemple, on distingue deux arguments obligatoires (Agent et Objet) et un argument facultatif (Locatif, entre parenthèses) qui correspond à un complément circonstanciel.

L'amorçage relationnel intervient à chaque nouveau lexème. Sa tâche consiste à rechercher les mots qui satisfont les arguments des structures prédicatives des lexèmes déjà analysés. Les candidats retenus correspondent alors aux mots amorcés, qui sont susceptibles d'apparaître dans la suite de l'énoncé. Ces amorcés servent de contraintes prédictives au processus d'accès lexical. En confrontant cette information avec les hypothèses émises par l'étape de reconnaissance automatique de la parole, l'accès lexical peut alors caractériser le mot suivant25. Ce dernier est alors inséré dans la structure sémantique de l'énoncé, et un nouvel amorçage est réalisé.

5.2.2. Amorçage isotopique Ce processus permet une focalisation de l'amorçage relationnel

sur les lexèmes qui sont compatibles avec le contexte sémantique courant. En effet, tout dialogue se développe dans un domaine sémantique qui évolue lentement, sauf en cas de rupture manifeste. La prise en compte de cette information contextuelle permet ainsi de limiter dynamiquement l'analyse sur un sous-ensemble du lexique sémantique26. Dans le cadre de notre application, nous avons déterminé deux champs sémantiques sur lesquels la communication se focalise alternativement. Ce sont le domaine de la tâche (concepts graphiques et architecturaux) et le domaine épistémique (concepts liés à l'ordinateur). De même que l'amorçage relationnel, ce processus d'adaptation contextuelle est mis en oeuvre par la propagation d'activations dans un réseau associatif.

5.3. Réseau sémantique La figure 4 décrit l'architecture de l'analyseur sémantique du

système MICRO. Celui-ci est réalisé sous la forme d'un réseau associatif multicouche, qui est obtenu par la compilation du lexique sémantique de l'application, et non pas par apprentissage automatique. Pour chaque lexème, ce lexique sémantique décrit sous forme factorisée :

• le champ isotopique auquel appartient le lexème

25 L'accès lexical propose généralement plusieurs hypothèses lexicales, qui

induisent autant d'analyses parallèles au niveau structurel. 26 Le lexique utilisé par l'analyseur sera qualifié tout au long de cet article

de lexique sémantique, afin de différencier ce dernier des lexiques usuels qui décrivent les caractéristiques morpholosyntaxiques des items lexicaux. Le lexique sémantique décrit au contraire les relations de sens entre les lexèmes reconnus par l'application, sans aucune référence morphosyntaxique.

Page 151: Conception et interaction

• les relations sémantiques qu'il partage avec les autres éléments du lexique sémantique

Ainsi, la phase de compilation assigne un rôle bien déterminé à chaque couche du réseau et spécifie de manière déterministe la valeur des poids synaptiques entre les cellules.

AGT

OBJ

but

lexèmesamorcésd'amorçage

lexèmes

cellulesstructurelles

ligateurscoordination

domaines sémantiques

couchesd'entrée

sous-couchescasuelles

couchede sortie

couchecontextuelle

coucheisotopique

amorçagerépartitioncasuelle

récupérationdes activités

amorçage relationnelamorçage isotopique

focalisationcalcul del'isotopie

1 2 3 4 5 6

lexèmes d'amorçage lexèmes amorcées

Figure 4 : architecture de l'analyseur sémantique du système MICRO.

Les activités en entrée du réseau représentent la force d'amorçage des lexèmes déjà analysés (une cellule = un lexème). Ces activités sont réduites au cours de l'analyse par un mécanisme d'oubli temporel. L'activation est alors propagée à travers le réseau jusqu'à la couche de sortie, où les cellules les plus actives correspondent aux mots amorcés. La propagation des activités correspond à la succession des processus d'amorçage isotopique puis relationnel.

Amorçage isotopique : l'amorçage isotopoique concerne les trois premières couches du réseau. Il effectue une pondération des activités d'entrées en fonction du contexte sémantique, qui est modélisé par la seconde couche où chaque cellule représente un champ sémantique spécifique.

Amorçage relationnel : ce processus détermine la liste des lexèmes amorcés. Il fournit pour chaque amorcé la liste des amorceurs et des cas d'amorçage qui lui correspondent. Pour ce faire, l'amorçage relationnel est réalisé en parallèle sur plusieurs sous-réseaux casuels

Page 152: Conception et interaction

(un réseau par cas défini). Cette répartition casuelle permet de désactiver au fur et à mesure de l'analyse les arguments des lexèmes qui viennent d'être satisfaits.

Le réseau sémantique comporte en outre une couche additionnelle de cellules qui concernent le traitement des coordinations et des prépositions. Celles-ci ont en effet un rôle particulier dans le processus d'analyse structurelle qui dirige l'amorçage.

5.4. Analyse structurelle sémantique L'analyse structurelle a deux tâches principales. Tout d'abord, elle se charge d'élaborer la structure sémantique de l'énoncé à partir des propositions de l'accès lexical et de l'amorçage sémantique. Cette construction est effectuée en respectant les trois principes suivants :

• chaque cas d'une structure prédicative ne peut être réalisée que par un seul élément,

• on ne peut coordonner que des éléments de même cas. • on ne peut affecter qu'un seul rôle à un élément donné.

Ensuite, elle contrôle l'adaptation de l'amorçage au cours de l'analyse. Généralement, cette activité consiste à rafraîchir les poids synaptiques du réseau. Certaines situations nécessitent néanmoins l'intervention de traitements additionnels. Le rôle de l'analyse structurelle est alors de modifier le comportement du réseau pour gérer ces cas particuliers que nous allons étudier.

Amorçage arrière - le mécanisme d'amorçage associe le lexème courant à un mot qui a été précédemment analysé. Or, il arrive souvent que l'amorceur correspondant soit situé après le mot courant. C'est en particulier le cas des déterminants et des adjectifs antéposés. Cette situation est gérée par la mise en place d'une pile d'attente d'amorçage arrière : dans un premier temps, on met en mémoire tout lexème qui est susceptible d'être rattaché à un mot ultérieur. A chaque nouveau mot, on essaie ainsi de dépiler les lexème en attente pour les rattacher — en arrière — au mot courant

Ligateurs - les ligateurs (prépositions) marquent généralement le cas du complément qu'elles introduisent. L'analyse structurelle utilise cette information pour focaliser l'amorçage sur les seules relations compatibles avec la préposition concernée (par exemple, Locatif et Destinatif pour sur). Chaque préposition est attachée à une cellule de la couche structurelle. Celle-ci sert à inhiber le fonctionnement des sous-réseaux casuels qui sont incompatibles avec le ligateur.

Coordination - MICRO ne traite que les coordinations qui jouent un rôle de connecteur logique (et, ou, ainsi que, non). La coordination se manifeste alors comme le rappel d'une des relations d'amorçage déjà analysées dans l'énoncé. L'analyse structurelle traite cette construction en mémorisant toutes les relations sémantiques

Page 153: Conception et interaction

caractérisées. Lorsque survient un coordonnant, l'amorçage sémantique est alors limité aux seules relations mémorisées.

Juxtaposition - Ce procédé linguistique concerne aussi bien les énumérations (énoncé 3) que des phénomènes dus au caractère spontané de la parole (reprise dans le cas de l'exemple 4) :

(3) Colorie en bleu les carrés 1, 3, 6, 7. (4) Dessine une porte une double porte.

Nous traitons cette construction de la même manière que la coordination, à la différence qu'aucun coordonnant n'intervient dans le cas de la juxtaposition.

5.5. Couverture linguistique Ainsi, l'analyseur sémantique du système MICRO se résume à un

processus global d'amorçage auquel sont adjoints les quatre mécanismes particuliers décrits précédemment. Cette modélisation suffit à atteindre une large couverture linguistique, qui satisfait en particulier les besoins d'un dialogue oral personne-machine finalisé. En particuliier, l'analyseur sémantique a la capacité de traiter de manière détailllée les constructions régulières suivantes :

Interrogative inversion : le déplace-t-on ? est-ce-que est-ce-que on le déplace ? intonation on le déplace ? questions introduites on le déplace - où ? Assertive négation on (ne) le déplace pas passivation il a été déplacé antéposition en bas tu traces un carré énumération colorie les carrés 1, 3, 6, 7 verbe modal + infinitive je veux tracer un mur Enchâssement gérondif dessine le en dupliquant subordonnées zoome pour que je voie

Ces résultats montrent qu'il est parfaitement envisageable de confier à l'analyse sémantique les traitements structurels qui sont traditionnellement à la charge de la syntaxe. L'intérêt de cette approche apparaît clairement lorsqu'on s'intéresse à la parole spontanée. En effet, puisqu'il ne considère aucun critère de bonne formation, l'analyseur sémantique est capable de traiter la structure d'énoncés oraux qui mettent en péril les méthodes adaptées de l'écrit. Les constructions suivantes sont ainsi correctement analysées :

• hésitations • répétitions, reprises (juxtapositions) • corrections • incises de marqueurs pragmatiques

Page 154: Conception et interaction

• énoncés inachevés • élisions de mots grammaticaux • certaines ellipses

L'analyseur réalisé couvre ainsi une grande majorité de constructions orales rencontrées en situation de dialogue personne - machine.

6. Coopération syntaxe - sémantique Contrairement aux traitements syntaxiques, l'analyse sémantique

ignore l'ordonnancement linéaire des mots dans l'énoncé. Quelles que soient leurs positions, deux lexèmes sont toujours susceptibles de s'appeler par une relation sémantique. Cette caractéristique, qui permet par de traiter les inversions et les antépositions, induit néanmoins un risque de forte combinatoire. C'est pourquoi nous ne pouvons ignorer l'apport de la syntaxe. Nous avons donc défini une stratégie de coopération où l'analyseur syntaxique est utilisé pour filtrer les hypothèses sémantiques.

6.1. Analyse syntaxique Le module syntaxique du système MICRO est adapté de LN2_3, un

analyseur à grammaire lexicale fonctionnelle (LFG par la suite) qui a été développé au laboratoire DIAM (INSERM) [Zweigenbaum 91]. Cette adaptation n'ayant pas nécessité de modifications majeures, nous ne décrirons pas cet analyseur qui suit très fidèlement le formalisme défini dans [Kaplan 82].

La finalité des grammaires lexicales-fonctionnelles est de construire une structure fonctionnelle (f-structure) qui décrive les relations de surface de l'énoncé. Ainsi, la figure 5 représente la structure fonctionnelle de l'énoncé (2) présenté précedemment. Il s'agit d'une structure arborescente où les relations sont étiquetées à l'aide d'un ensemble de fonctions syntaxiques qui sont définies comme suit :

SUJ fonction du sujet OBJ fonction de l'objet OBLx complément de rection introduit par la préposition x ADT adjoint : complément circonstanciel, adjectif attribut COMP proposition complétive : subordonnée THEME fonction du pronom relatif dans la subordonnée

La comparaison des figures 2 et 5 suggère l'existence de fortes correspondances entre les structures fonctionnelles et sémantiques.

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ADT

PRED ' dans <((↑SUJ ))(↑OBJ) >

OBJ

DEF +

NUM sg

GEN m

PRED ' salon '

PRED ' dessiner < (↑SUJ)(↑OBJ) >

MODE, TPS indicatif, présent

OBJ

DEF -

NUM sg

GEN f

PRED ' chaise '

SUJ

PERS 3

DEF -

NUM sg

GEN m

PRED ' pro '

Figure 5 : structure fonctionnelle de l'énoncé (2) C'est donc sur la comparaison des structures élaborées en parallèle par les deux analyseurs que portera la coopération.

6.2. Stratégie coopérative La coopération syntaxe-sémantique consiste ainsi à fusionner les

structures syntaxiques et sémantiques. Afin de comparer les structures élaborées par la syntaxe et la sémantique, il importe de définir des matrices de correspondance qui décrivent les compatibilités entre cas sémantiques et fonctions grammaticales. Pour cela, nous avons défini des schémas lexicaux de compatibilité. Ceux-ci décrivent les correspondances entre les cas sémantiques et les fonctions grammaticales qui sont gouvernés par chaque entrée lexicale. A titre illustratif, voici le schéma de compatibilité syntaxe-sémantique qui correspond au verbe dessiner :

dessiner AGTSUJ,OBLag

OBJOBJ,SUJ

LNM

OQPLNM

OQP

Page 156: Conception et interaction

Dans cet exemple, la structure prédicative du verbe comprend une relation d'Agence et un Objet. Le schéma de compatibilité qui est défini précise alors que l'Agent correspond, au niveau de la structure fonctionnelle de surface, soit à un sujet (voie active), soit à un complément d'agent (passif). De même, l'Objet doit correspondre soit au complément d'objet direct du verbe, soit au sujet dans le cas d'une construction passivée.

La stratégie de coopération consiste alors, pour tout nouveau mot, à comparer les structures produites par les deux analyseurs. Cette vérification s'effectue suivant l'algorithme suivant :

• proposition — à chaque nouveau mot, les deux analyseurs linguistiques proposent la liste des structures partielles qui leur paraissent cohérentes.

• vérification — le module responsable de la fusion compare alors les hypothèses élaborées en parallèle. La stratégie coopérative consiste à rejeter toute structure sémantique qui n'est pas compatible avec au moins une des structures fonctionnelles hypothétiques. En cas de conflit total, la stratégie coopérative conserve l'ensemble des hypothèses proposées par l'analyseur sémantique, en vertu de la priorité qu'il lui est accordée. Les hypothèses syntaxiques sont alors intégralement rejetées : l'énoncé est "agrammatical".

• filtrage — Le module responsable de la fusion retourne ensuite les structures filtrées aux analyseurs linguistiques. L'analyse se poursuivra à partir de ces seules hypothèses. Si aucune hypothèse syntaxique n'a été conservée, la LFG est mise sous silence jusqu'à nouvel ordre, et la sémantique poursuit seule.

La fusion de structures permet ainsi une réduction sensible de la combinatoire de recherche, puisqu'on ne conserve que les hypothèses sémantiques compatibles avec la syntaxe. En cas d'inattendus, l'analyseur syntaxique est donc désamorcé et la sémantique poursuit seule le traitement de l'énoncé (figure 6). Or, nous avons vu que notre analyseur sémantique avait la capacité d'extraire seul la structure relationnelle des énoncés oraux spontanés.

Sémantique

structurestructuresyntaxique sémantique

prédictions

Fusion

hypothèses lexicales

AccèsLexical

Syntaxe

INTERPRETATION DIALOGUE

PROSODIERECONNAISSANCE Figure 6 : traitement des constructions inattendues par MICRO

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C'est pourquoi la stratégie de coopération syntaxe-sémantique mise en place dans le système MICRO permet une analyse relativement robuste de la parole spontanée, tout en limitant les risques d'explosion combinatoire. C'est ce que montre l'étude quantitative qui suit.

7. RESULTATS Afin d'étudier la robustesse de la combinatoire de l'analyse

linguistique réalisée dans le système MICRO, nous avons effectué une analyse sur un large corpus qui a été enregistré et transcrit à l'Institut de la Communication Parlée [Ozkan 94]. Il correspond à une expérience de travail collaboratif qui était destinée à étudier les procédés de description de configurations spatiales employées par l'utilisateur d'un système de dessin. Un instructeur et un manipulateur étaient placés dans deux pièces séparées, face à des terminaux qui permettaient un contrôle parallèle de l'avancée de la tâche. Les modes de communication autorisés étaient la parole et le geste (souris). Cette expérience comportait trois tâches succesives :

1) au tracé de figures abstraites composées de carrés reliés par des traits [Levelt 82].

2) au tracé des plans architecturaux meublés 3) à la commande d'un robot parcourant les plans réalisés.

Les analyses effectuées correspondent au traitement de 417 énoncés monopropositionnels transcrits intégralement sous forme écrite.

7.1. Robustesse Dans cette étude, nous considérons comme valide toute analyse

conduisant au moins à l'élaboration d'une structure relationnelle correcte. Le tableau 3 permet une comparaison de la robustesse des analyseurs syntaxique et sémantique.

Tableau 3 : robustesse des analyseurs syntaxique et sémantique en fonctionnement séparé. Analyse menée sur 417 énoncés extraits des trois phases d'expérimentation du corpus Levelt.

phase d'expérimentation Syntaxe (LFG) Sémantique phase 1 (dessin de figures géométriques) 40,1 % 85,3 % phase 2 (dessin de plans meublés) 32,2 % 74,4 % phase 3 (déplacement dans plan) 49,5 % 82,6 % Total 40,5 % 82,0 %

On remarque ainsi la différence très sensible de robustesse entre les deux analyses. En effet, la sémantique présente un taux global de réussite deux fois supérieur à celui de la syntaxe. Il est certes possible d'améliorer quelque peu les performances de la syntaxe. En effet, LN2_3 utilise une grammaire de l'écrit qui peut être adaptée au traitement des constructions orales les plus régulières. Néanmoins, ces résultats indiquent clairement l'intérêt d'une approche sémantique structurelle dans le cadre de dialogues oraux spontanés et finalisés.

Page 158: Conception et interaction

loc 1loc 2

loc 3loc 4 loc 5 loc 6

0%

25%

50%

75%

100%

SyntaxeSémantique

Figure 7: variation de la robustesse d'analyse en fonction des locuteurs

L'étude de la variabilité interindividuelle de la robustesse d'analyse confirme ce constat. La comparaison des performances des deux analyseurs pour les six locuteurs indique en effet que la syntaxe est nettement plus sensible au mode d'expression du locuteur (figure 7). Ainsi, la robustesse syntaxique varie de 17,6 % pour le locuteur 4 à 74,2% pour le premier locuteur. A l'opposé, l'analyse sémantique subit peu cette influence, ce qui permet de conserver une bonne robustesse en toutes circonstances. On notera enfin que près d'un énoncé sur cinq pose encore problème à l'analyse sémantique. En effet, celle-ci rencontre encore de nombreuses difficultés à traiter les énoncés comportant des ellipses ou des incises très étendues, dont l'analyse nécessite l'intervention de connaissances pragmatiques. On remarquera toutefois que ces résultats s'appliquent à une parole complètement libre. Dans cette situation non contrainte, ces résultats peuvent déjà être considérés comme très encourageants.

7.2. Combinatoire Une bonne robustesse d'analyse n'a d'intérêt que si elle

s'accompagne d'une combinatoire de recherche modérée. C'est pour atteindre ce second objectif que nous avons mis en place une stratégie de coopération syntaxe-sémantique. Deux facteurs de branchements doivent être considérés ici. Ils concernent la combinatoire descendante induite par l'amorçage sémantique (contraintes sur l'accès lexical), ainsi que la combinatoire structurelle (ascendante) des deux analyseurs linguistiques.

7.2.1. Combinatoire lexicale Cette étude concerne le pouvoir de focalisation de l'analyse

sémantique sur une partie du lexique sémantique de l'application. Elle consiste à comptabiliser le nombre de lexèmes amorcés à chaque analyse ramené à la taille du lexique sémantique (tableau

Page 159: Conception et interaction

4). La sémantique permet une limitation assez sensible de la combinatoire, puisque l'amorçage contraint en moyenne l'accès lexical à n'explorer qu'un cinquième du lexique sémantique complet.

Tableau 4 : combinatoire de recherche induite par l'amorçage lexical. type d'énoncé grammatical agrammatical Total nombre de lexèmes amorcés / 22,2% 19,9 % 20,9% taille du lexique sémantique27

On remarquera que cette capacité de focalisation est indépendante de la forme grammaticale de l'énoncé analysé, puisque les constructions inattendues n'entraînent aucune modification sensible de la combinatoire. Ces observations confirment l'importance de la sémantique dans les tâches de restriction de cooccurrences lexicales.

7.2.2. Combinatoire structurelle Si le processus d'amorçage permet une réduction très sensible de

l'espace de recherche lexicale, cette propriété ne va pas forcément de pair avec une combinatoire structurelle réduite. En particulier, la sémantique ne considère aucun critère d'ordonnancement linéaire, ce qui peut conduire à un développement très important du nombre d'analyses parallèles. C'est à ce niveau qu'intervient utilement la coopération avec la syntaxe. Pour étudier l'influence de cette dernière, nous avons effectué plusieurs analyses, en distinguant à chaque fois le comportement des deux analyseurs séparés, puis celui du groupe linguistique en situation de coopération. Afin de pouvoir comparer les différentes analyses, nous n'avons considéré que des énoncés grammaticaux.

Tableau 5 : combinatoire structurelle et coopération syntaxe - sémantique.

Critère d'évaluation syntaxe sémantique coopération nb moyen d'analyses en fin d'énoncé 1,73 8,91 1,73 nb moyen d'analyses / longueur de l'énoncé28 0,21 0,85 0,21 Le tableau 5 traduit clairement le meilleur pouvoir structurel de la

syntaxe, qui se traduit par une combinatoire nettement plus réduite que celle de la sémantique. L'influence de la syntaxe se retrouve dans le fonctionnement coopératif, qui présente exactement le même taux combinatoire. Celui-ci aurait été bien évidemment plus élevé si nous avions tenu compte des constructions inattendues. C'est à ce niveau seulement qu'intervient le plus utilement l'analyse sémantique.

27 Le lexique sémantique regroupe actuellement 200 lexèmes. 28 longueur de l'énoncé : nombre de lexèmes que comporte l'énoncé. Les

lexèmes qui ont une forme morphologique complexe (oeil de boeuf par exemple) ne correspondent à chaque fois qu'à une seule entité.

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La coopération syntaxe-sémantique permet donc une réduction sensible de la combinatoire de recherche, sans laquelle il ne serait pas possible d'espérer un fonctionnement satisfaisant du niveau d'analyse linguistique. La prise en compte de l'information syntaxique, qui ne correspond qu'à un critère facultatif de normativité sociolinguistique, permet ainsi de limiter le nombre de structures sémantiques cohérentes avant que n'entrent en jeu les traitements interprétatifs.

CONCLUSION La reconnaissance et la compréhension automatique de la parole

sont des sujets de recherche qui n'ont reçu, pour l'instant, que des réponses partielles. C'est pourquoi les systèmes de dialogue oral personne-machine actuels ne permettent à l'utilisateur qu'une élocution très contrainte. Dans cet article, nous avons proposé une démarche qui vise une analyse détaillée de la parole spontanée, afin d'améliorer les capacités d'interaction communicationnelle de tels systèmes dans des tâches opératives de conception de dessin. Cette approche novatrice repose sur la mise en avant d'une analyse sémantique à fort pouvoir structurel dans une stratégie de coopération syntaxe-sémantique. Cette modélisation a démontré des capacités d'analyse intéressantes qui laissent à penser qu'un traitement détaillé de la structure des énoncés oraux spontanés est parfaitement envisageable. La validation de cette approche ne peut cependant se passer de la prise en compte du niveau d'interprétation pragmatique, qui prend tout son sens dans le cas de dialogues finalisés. C'est vers cette intégration entre analyse structurelle et interprétation que se dirigent désormais nos recherches.

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Page 163: Conception et interaction

Langue et geste pour le dialogue homme-machine finalisé

Nadia Bellalem & Laurent Romary CRIN-CNRS & INRIA Lorraine

RÉSUME. Nous présentons, dans cet article, une étude visant à intégrer le geste dans la communication homme-machine. Plus précisément, notre travail est centré sur le geste effectué dans le cadre de la référence aux objets (c'est le geste qui montre les objets dont on parle) ; ce dernier intervient donc en tant que complément d'une entrée langagière. Ainsi, nous montrons la nécessite d'une analyse approfondie du geste allant du signal issu du capteur de geste jusqu’à l'identification des objets visés, pour assurer la compréhension du message global parole+geste. Cette analyse se décompose en deux étapes. La première dite syntaxico-sémantique s'appuie sur la forme de la trajectoire pour repérer les parties significatives du signal auxquelles on associe une sémantique d'action de désignation. La seconde concerne l'interprétation du geste en contexte. Il s'agit là de prendre en compte d'une part l'application (notamment la scène visualisée) et ses caractéristiques ; d'autre part le dialogue oral et les caractéristiques instructionnelles de la référence langagière qui accompagne le geste analysé.

MOTS CLÉS. dialogue homme-machine, geste de désignation, reconnaissance du geste, interprétation du geste, déixis, référence aux objets.

1. Introduction

L'usage de la parole seule, à l'exclusion de tout autre mode de communication, peut sembler parfois inadapté lorsqu'il s'agit de piloter une application à caractère fortement visuel, dans le cadre d'une interface graphique par exemple. En effet, l’accès aux objets

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par la langue impose de recourir à des expressions plus ou moins complexes. Dans ce cadre, le calcul de la référence fait l'objet de nombreux travaux, qui tentent d'identifier, en particulier, les mécanismes qui sous-tendent l'utilisation des différentes prépositions spatiales (à droite, sur, à côté, derrière, etc.) [Pribbenow, 93 ; Schang, Romary 94].

L'autre possibilité de faire référence aux objets du discours est d'utiliser, en association avec des expressions langagières à valeur déictiques, le geste de désignation qui présente l'avantage d'effectuer un accès direct et rapide aux objets [Wahlster, 91]. En fait, on se rapproche là de la situation de communication homme-homme où l'on montre du doigt les objets dont on parle.

Ces deux aspects de la référence aux objets sont complémentaires et doivent être pris en compte dans la conception de systèmes de dialogue, d'autant que des expériences de type magicien d'Oz [Mignot and al, 93] ont montré que les sujets y font largement appel.

Dans cette optique, nous nous intéressons au geste de désignation29, considérant qu'il participe à la visée communicative au sein d'un dialogue homme-machine. Nous présentons à cet effet, une étude des indices linguistiques qui se prêtent à l'association avec le geste de désignation, puis une étude du geste explicitant les différentes étapes nécessaires à sa compréhension dans le cadre du dialogue.

2. Expressions langagières et désignation

2.1 Quelles expressions référentielles ?

La vision classique de la référence aux objets30 permet de répertorier les marqueurs linguistiques susceptibles de prendre une valeur déictique pour construire des syntagmes nominaux démonstratifs [Cosnier and al, 82] :

- les adjectifs démonstratifs (ce, cette, cet, ces), éventuellement accompagnés d'une marque déictique (ce N-ci, ce N-là) ;

29 Nous ne considérons pas les autres usages du geste (ergotique,

épistémique) tel que mis en évidence par [Cadoz, 94] par exemple. 30 En situation de dialogue homme-machine finalisé, nous

opposons cette notion à la référence aux actions. Le terme "objet" correspond aux entités manipulées dans le cadre d'une tâche particulière sans qu'à ce stade il ne soit nécessaire d'introduire une ontologie précise.

Page 165: Conception et interaction

- le pronom démonstratif (ça) ; - les déictiques purs notamment ici et là. Il peut sembler étrange de ne retenir que ces marqueurs, alors que

l'intuition laisse penser que le geste peut en accompagner un certain nombre d'autres. Sans entrer dans le détail d'une telle discussion, nous pouvons donner quelques éléments propres à alimenter la réflexion sur le sujet. En premier lieu, descriptions définies et indéfinies se rencontrent effectivement dans des situations de dialogue où un geste de désignation semble participer à leur interprétation. Il ne s'agit pourtant pas d'une réelle coréférentialité entre parole et geste, mais plutôt d'une focalisation sur un nouvel espace d'interprétation, au sein duquel le groupe nominal va pouvoir être interprété. L'un des arguments à l'appui de cette idée est par exemple la présence d'une indication préalable de focalisation concomitant au déclenchement du geste (Là/regarde, un chat/le chat !). Il est clair que dans le cadre d'une analyse contextuelle des expressions référentielles, nous ne pourrons nous permettre de négliger complètement ces cas, même s'ils ne semblent pas devoir être très fréquents dans le cadre d'un dialogue homme-machine. Un deuxième type d'expressions est plus facile à rejeter pour nous : les pronoms (e.g. il/elle). Ces expressions ne semblent pas pouvoir être accompagnées d'un geste, en dehors de leurs formes marquées (lui/elle) (Kleiber, 92). Même dans ce cas, la présence d'un sème du type /humain/ (C'est lui le coupable versus *C'est lui le fauteuil que je veux déplacer) ne nous donne aucun remords à laisser ces expressions de côté.

2.2 Interprétation de ces expressions

Pour pouvoir être interprétés, les indices linguistiques que nous avons retenus doivent être associés à un élément de focalisation qui, dans le cadre qui nous intéresse, peut être ramené au seul geste de désignation. Le syntagme nominal apporte lui une indication de nombre et de catégorie concernant les objets candidats à la référence. Dans un premier temps, nous pouvons faire les observations suivantes :

- les groupes nominaux démonstratifs ce N/cet N/cette N, indiquent que la référence gestuelle porte sur un objet unique de type 'N',

exemple : Ferme cette fenêtre (plus un geste montrant la fenêtre) - le groupe nominal démonstratif ces N, indique que la référence

gestuelle porte sur un groupe d'objets de même type 'N' en nombre indéfini,

- le groupe nominal démonstratif ces x N où x est un adjectif numéral, indique que la référence gestuelle porte sur x objets de type 'N',

Page 166: Conception et interaction

- le pronom démonstratif ça indique simplement qu'il existe une référence gestuelle associée sans préciser le type ou le nombre d'objets visés,

- les déictiques ici et là indiquent que la référence porte sur un lieu. Une étude plus fine de ces indices [Corblin, 87 ; Romary, 93 ; Gaiffe

et al, 94] montrent qu'ils marquent en réalité l'insertion du réfèrent dans un contexte réduit et structuré où celui-ci se différencie d'autres entités possédant des propriétés communes. Ce point sert de base à la définition d'une méthodologie pour l’étude du geste de désignation qui vise à mettre en évidence un certain nombre d'indices contrastifs.

Ainsi, le geste de désignation peut se définir comme étant le

mouvement de la main dont le rôle est de guider le regard de l'interlocuteur vers une région particulière de l'espace visuel partagé. Son rôle est donc de focaliser l'attention de l'interlocuteur vers une région pour y isoler des objets ou un lieu du reste de la scène. Le canal verbal fournit un cadre pour l’interprétation de la référence. Il permet notamment dans le cas du geste de désignation de catégoriser les objets appartenant au sous-espace contrasté par le geste. C'est cette complémentarité qui permet de résoudre la référence langue+geste.

Afin de préciser cette vision contrastive de l'analyse co-référentielle

d'un couple [expression référentielle + geste], regardons rapidement ce qui ce passe dans le cas d'un groupe nominal démonstratif en "ce N". Nous avons montré [Gaiffe et al 94], à la suite de F. Corblin notamment [87], qu'une telle expression marque un contraste intra-catégoriel, c'est à dire où un élément de type 'N' se distingue d'autres éléments du même type de part sa présence en situation focale. Dans le cadre d'un accès à une présentation graphique de la tâche à l'aide d'une telle expression, ce principe d'opposition peut s'assimiler à un filtrage de l'espace de représentation de sorte que seuls des objets de type 'N' ne sont considérés, tout autre élément se trouvant opacifié à cette étape de l'interprétation. Dès lors, l'analyse de la trajectoire de désignation s'effectue sur la base du niveau d'échelle imposé par le filtrage en 'N'. En d'autres termes, la granularité recherchée pour l'interprétation du geste correspond au minimum nécessaire pour pouvoir différencier correctement un élément du type 'N' des autres éléments de la même catégorie. L'interprétation finale correspond alors à l'élément le plus focal, étant données les singularités (cf. infra - 3.2.1) rencontrées sur la trajectoire gestuelle.

Ainsi, dans le cadre de l'aménagement intérieur d'un appartement, la précision recherchée pour l'interprétation de [cette pièce + geste] (e.g. mets un fauteuil dans cette pièce)sera bien

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moindre que celle requise pour [ce fauteuil + geste] (e.g. mets ce fauteuil en face de la cheminée).

3. Analyse du geste de désignation

L'exploitation du geste dans le dialogue nécessite une étude approfondie allant de l'analyse du signal gestuel -issu du dispositif qui a servi à le capturer (souris, gant numérique, stylo, etc.)- jusqu’à l'identification des objets mis en évidence par la désignation. Nous avons déjà présenté [Bellalem & Romary 1993], l'étude menée pour extraire un certain nombre d'indices pertinents à partir des trajectoires obtenues d'une part à l'aide d'une souris31 et d'autre part à l'aide d'un gant de désignation, ce dernier dispositif posant de nombreux problèmes de mise en œuvre. Nous ne reviendrons pas ici sur cette étude, qui reposait sur un certain nombre de techniques classiques de reconnaissance des formes (approximation des trajectoires à l'aide de splines, critères de segmentation), mais, comme nous le verrons dans le paragraphe 3.2.2, nous pouvons mentionner qu'elle nous a fourni l'assurance d'avoir des informations d'une bonne fiabilité en préalable aux étapes d'analyse que nous présentons dans cet article.

De fait, l'objectif que nous nous fixons ici est de définir les moyens qu'il faut mettre en œuvre pour véritablement comprendre la trajectoire d'un geste, c'est à dire de pouvoir lui donner une signification relativement à la tâche de conception sur laquelle porte le dialogue. Il faut donc l’interpréter par rapport à la scène sur laquelle il intervient et par rapport au message verbal qui l'accompagne en tenant compte du contexte du dialogue, à savoir les éventuels effets de focalisation résultant des énoncés antérieurs du locuteur. Nous proposons dans ce qui suit de centrer notre analyse sur une tâche particulière qui d'une part semble bien se prêter à l'usage du geste de désignation et d'autre part présente des caractères génériques par rapport à l'activité de conception sur ordinateur. Nous essayerons par ailleurs d'expliciter les différentes étapes menant à la compréhension du message langue+geste.

31 La souris est alors considérée comme ayant un comportement

totalement neutre vis à vis de l'interface graphique. En particulier, tout déplacement de celle-ci est potentiellement interprétable comme un geste. Parallèlement, nous avons considéré dans le cadre des tests que nous avons conduits, que l'usage d'un bouton ne faisait qu'apporter des indices de segmentation pour l'analyse de la trajectoire.

Page 168: Conception et interaction

3.1. Application choisie

Nous nous appuierons sur une application de type "aménagement d’intérieur"32, pour laquelle la tâche consiste à manipuler des objets graphiques visualisés sur une scène. Les énoncés verbaux sont essentiellement des énoncés de positionnement d'objets qui ont la forme suivante33 :

action sur un ensemble d'objets.

où l'ensemble d'objets est le résultat de l'interprétation d'un acte

de référence. Plus particulièrement, et afin de mettre en évidence les différents

paramètres susceptibles d'intervenir dans l'interprétation du geste dans un tel cadre, nous centrerons notre analyse sur un exemple particulier de trajectoire de désignation, illustré par la figure 134, en accompagnant du message verbal Déplace ces deux fauteuils ici.

32 Ce type de tâche est à rapprocher de l'expérience menée à

l'EdCAAD à Edinburgh [Neilson & Lee 94] qui portait sur l'analyse de dialogues homme-homme multimodaux pour l'agencement d'une cuisine. Nous partageons par ailleurs un certain nombre de points de vue avec ces auteurs, notamment en ce qui concerne l'interaction entre langage et geste.

33 Nous n'abordons pas en particulier tout ce qui touche à la gestion du dialogue, pour nous limiter exclusivement aux énoncés reliés à la tâche de conception, tout en sachant qu'une analyse des phénomènes référentiels dans un dialogue homme-machine ne peut occulter complétement cet aspect. A titre d'exemple, l'étude d'une suite d'énoncés telle que :

Locuteur Magicien installez le canapé face à la

cheminée

lequel ? le plus petit

permet de mieux appréhender les phénomènes de contextualisation par exemple (cf. [Romary 94])

34 Schéma d'aménagement de salon emprunté à l'expérience Magicien d'Oz réalisée au CERMA en collaboration avec le CRIN [Mignot and al 93].

Page 169: Conception et interaction

Figure 1 : Geste désignation pour une tâche d’aménagement de

salon

3.2. Analyse syntaxico-sémantique du geste

La première étape de la compréhension du geste dans le cadre de la référence consiste à analyser le signal gestuel indépendamment de la scène sur laquelle il intervient, le but étant la détection des parties significatives du signal. Il faut en effet noter que le signal gestuel issu du capteur est un flux de données correspondant à tout le mouvement de la main, c’est-à-dire qu'il comprend la phase de rapprochement de l’écran, les désignations effectives relatives au message verbal émis, et la phase d’éloignement de la main35. Il est clair que seules les portions de signal correspondant aux désignations effectives sont importantes puisqu'elles concentrent toute la signification du geste. Le problème est de pouvoir les différencier du reste du signal. Par ailleurs, comme le geste de désignation a pour but de contraster un sous-espace de l'espace visuel, il doit comporter

35 Ceci dans le cas où l'on utilise un gant de désignation du type

Dataglove. Les difficultés inhérentes à ce dispositif font que nos tests se sont portés essentiellement sur des trajectoires obtenues à l'aide d'une souris, sachant que nos résultats sont tout à fait concevables dans le cadre de dispositifs tels que des tablettes graphiques par exemple.

Page 170: Conception et interaction

dans son expression des indices contrastifs. Ces derniers correspondent aux parties significatives du signal gestuel.

Dans ce contexte, nous proposons un modèle de ces indices

contrastifs – que nous nommerons singularités – qui permet d'une part, de prendre en compte des formes diverses comme des désignations potentielles et d'autre part, qui assure la gestion d'éventuelles ambiguïtés.

3.2.1. Notion de singularité

La partie significative d'un geste est caractérisée : - du point de vue de l'expression du geste, par une forme

particulière que nous appelons singularité ; - du point de vue du sens, par la possibilité de lui associer une

sémantique d'action de désignation. Une singularité s'observe relativement à une propriété de la

trajectoire (par exemple la courbure), et relativement à un segment de trajectoire, stable pour la propriété considérée. C'est un événement local. L'examen complet d'un geste doit porter sur toutes ses propriétés et sur la totalité du signal ; la sémantique globale du geste est établie par association/regroupement des singularités détectées. En fait, la notion de singularité permet de mettre en relation la forme du geste et sa signification.

L’idée proposée est de construire une représentation symbolique

de la forme du geste à partir de laquelle on recherchera les singularités en prenant comme hypothèse de travail, que toute singularité n'est pas accidentelle mais provient de l'intention de l'utilisateur de signifier quelque chose : en particulier, de désigner. Le cas des singularités réellement accidentelles (i.e. qui ne signifient rien pour l'utilisateur) seront éliminées au moment de l’interprétation du geste soit parce qu'aucune expression langagière ne les accompagnent, soit parce qu'aucun objet ne peut leur être associé.

D'une façon générale, on peut distinguer trois types de singularités : a - singularité ponctuelle : Elles sont relatives à un point donné de la trajectoire décrite par le

geste. Il s'agit d'un point marquant une rupture d'homogénéité avec son voisinage, c'est à dire qui présente une discontinuité sur au moins l'une des propriétés associées à la trajectoire.

Une singularité ponctuelle dans le geste a pour objectif de mettre

en évidence un point particulier de l'espace de désignation. Par

Page 171: Conception et interaction

conséquent, la sémantique qu'on lui attribue est la désignation de l'objet ou du lieu en relation spatiale avec le point visé.

b - singularité de trajectoire simple : Une singularité de trajectoire simple correspond à un segment de

trajectoire non homogène avec les deux segments adjacents, relativement à un ensemble de propriétés. Ces derniers étant homogènes entre eux relativement au même ensemble de propriétés. Une boucle entourée de deux droites est une exemple de singularité de trajectoire relativement à la courbure.

c - singularité de trajectoire répétitive : Ces singularités correspondent à une alternance de singularités

ponctuelles homogènes entre elles par rapport à un ensemble de propriétés et de segments de trajectoire également homogènes entre eux. De l’agrégation de ces éléments résulte une singularité de trajectoire répétitive. Le zigzag effectué pour la désignation d'une région est une illustration de ce type de singularité.

D’une façon générale, une singularité est détectée sur un élément

de trajectoire (point ou segment) relativement à une propriété P, si on observe un changement de la propriété P sur cet élément et une stabilité de P sur les éléments adjacents.

Cette définition est illustrée par le graphe temporel de la figure 2.

Figure 2 : Représentation temporelle des variations de la propriété P

3.2.2. Analyse syntaxique du geste

Il s'agit d'une modélisation de la trajectoire du geste c’est-à-dire de la construction d'une représentation de la forme du geste. Différentes propriétés permettent de construire cette modélisation. On peut citer :

a - la courbure : L'étude du tracé de la courbure associée à chaque point de la

trajectoire du geste permet de repérer les variations de la forme : une droite, une courbe, un point de rebroussement, un point d'inflexion.

b - la vitesse de déplacement pendant la production du geste :

Page 172: Conception et interaction

Son étude permet d'une part, de cerner avec plus de précision les phases de rapprochement ou d'éloignement qui peuvent être plus rapides que les phases de désignations effectives ; d'autre part de détecter les points d'arrêt observés par l'utilisateur au moment de la production de son geste qui peuvent représenter une désignation ou correspondre à une hésitation.

c - les points de recoupement dans la trajectoire du geste : Ces indications sont essentielles pour la détection des boucles

présentes dans le geste qui, sans ambiguïtés, délimitent une région de la scène.

d - l'angle de courbure : Il permet de rechercher les portions de trajectoire qui délimitent

une région sans que celle-ci soit complètement entourée. e - les indices spécifiques au capteur : Il s'agit particulièrement des événements associés aux boutons de

la souris tels que la pression, le relâchement d'un bouton. En effet, la présence d'un clic souris dans une trajectoire doit être considérée comme une singularité ponctuelle dont le but est la mise en évidence d'un point particulier de la scène.

3.2.3. Analyse sémantique

L'examen des différentes propriétés de la trajectoire gestuelle a permis d'obtenir, pour un même geste, différentes singularités, et ceci en fonction des propriétés considérées. Se pose alors le problème de l’intégration de toutes ces connaissances pour proposer une sémantique globale du geste.

L'analyse sémantique consiste à reconnaître dans la modélisation

du geste les singularités et à construire pour un geste la sémantique globale qui n'est autre que l'association des singularités.

Plusieurs cas sont à considérer : 1- Le cas des singularités disjointes pour lesquelles on n'observe

aucun chevauchement entre des singularités de différents types ; le sens global est déterminé en considérant tour à tour les singularités : les singularités ponctuelles pour la désignation d’un point plus ou moins précis et les singularités de trajectoire pour la désignation de régions (voir figure 3).

Page 173: Conception et interaction

Figure 3 : Association de singularité disjointes

2- L’association d’une singularité ponctuelle et d’une singularité de

trajectoire, dont un exemple pourrait être un point d’arrêt à l’intérieur d’une boucle. Il est difficile à ce stade de l’analyse de privilégier une hypothèse par rapport à l’autre. Ce cas peut être géré en conservant deux possibilités de sens pour le geste : la désignation de la région délimitée par la singularité de trajectoire et la désignation du point correspondant à la singularité ponctuelle (voir figure 4).

Figure 4 : Association d’une singularité ponctuelle et d’une singularité de trajectoire

3- L’association de deux singularités de trajectoire dont un exemple

pourrait être l’existence d’une boucle dans le geste parallèlement à une pression continue sur un bouton de la souris. Là encore, on ne peut pas établir quelle singularité de trajectoire représente effectivement la désignation sauf s’il y a une juxtaposition parfaite entre elles. Dans ce dernier cas l’utilisateur, en maintenant le bouton de la souris enfoncé pendant l’entourage, veut mettre l’accent sur cette partie du geste (voir figure 5).

Page 174: Conception et interaction

Figure 5 : Association de deux singularités de trajectoire

3.2.4. Un exemple

La modélisation syntaxique de notre exemple de geste permet de décrire la forme générale. Cette dernière s’exprime en terme élémentaire de forme : droite, courbe et point de rebroussement comme illustrée par la figure 6.

Figure 6 : Analyse syntaxique du geste de désignation

Ce qui permet de dégager, pour l'exemple proposé, deux

hypothèses de sémantiques pour le geste effectué par association des singularités ponctuelles et des singularités de trajectoire. La première prend en compte les singularités ponctuelles survenant aux limites de la singularité de trajectoire, la seconde privilégie l’entourage semi-fermé (cf. figure 7). L’ambiguïté pourra être levée dans la phase d’interprétation.

Page 175: Conception et interaction

Figure 7 : Analyse sémantique du geste de désignation

3.3. Interprétation du geste en contexte

La seconde étape de compréhension du geste est l’interprétation dans le contexte où il a été produit. Ce qui signifie qu'il faut considérer d'une part les objets de la scène sur laquelle le geste intervient, d'autre part qu'il faut prendre en compte le message verbal qui l'accompagne.

3.3.1. Interprétation dans le contexte de l'application

Ce processus d’interprétation du geste en contexte nous conduit à modéliser l'espace visuel pour prendre en compte non seulement la répartition des objets dans l'espace mais, également, les relations entre les objets (spatiale, fonctionnelle) qui peuvent varier suivant les visualisations considérées (2D, 3D). Le but à atteindre est la construction d’une représentation se rapprochant de ce que perçoit un interlocuteur humain. Cette représentation doit prendre en compte les relations spatiales telles que la proximité ou encore la superposition des objets dans la scène auxquelles s’ajoutent les relations particulières traduisant la composition d’un objet (la salle à manger de notre exemple est composée de la table et des chaises).

Page 176: Conception et interaction

Par ailleurs, il convient de pouvoir gérer les ambiguïtés d’interprétation dues soit à l’imprécision du geste, soit à l'existence de relations spatiales ou fonctionnelles entre les objets candidats à la sélection, ou encore à l'apparition de difficultés à départager les candidats. Une solution possible est la mise en place de mécanismes permettant de construire un ensemble d’hypothèses d’objets candidats suffisamment large pour lesquels on définit une priorité traduisant qu’un objet a plus de chance d’avoir été désigné par le geste qu’un autre. Cet ensemble d’objets sera ensuite filtré par les informations langagières et les objets en surplus seront éliminés.

3.3.2. Interprétation dans le contexte du dialogue

A ce stade, nous pouvons mentionner le rôle que peut avoir le contexte de dialogue proprement dit dans le processus d'interprétation. Jusqu'à présent, nous avons fait l'hypothèse que l'analyse de la trajectoire gestuelle s'effectuait relativement à l'ensemble de l'espace graphique présenté à l'utilisateur. Pourtant, il apparaît que dans de nombreux cas il est nécessaire de considérer des sous-espaces de référence particuliers dont les éléments qu'ils contiennent seront seuls l'objet de l'opération de discrimination associée à l'analyse d'une expression référentielle associée à un geste. De tels sous-espaces vont en général correspondre à des zones d'activité stables à une étape donnée du dialogue et qui peuvent être détectées à l'aide de différents indices : expressions référentielles utilisées dans les énoncés précédents, marques explicites d'un nouvel espace (par exemple : Maintenant, on aménage le salon), marques de continuité, structure de la tâche en général (découpage d'un appartement en pièces, regroupement perceptuel d'objets etc.). Dans l'exemple que nous avons choisi pour illustrer cet article, nous supposerons qu'il a déjà été tenu compte de tels phénomènes de focalisation, notamment pour décrire la structure des objets fournie à l'interprétation.

3.3.3. Stratégie d'interprétation

Comme nous l'avons vu, l’interprétation du geste en contexte permet d'effectuer le lien entre ce qui est visuellement perçu (la scène et le geste) et ce qui est perçu auditivement du point de vue d'un interlocuteur humain. Il semble intéressant de savoir dans le cas d’un traitement automatique dans quel ordre s'effectue cette prise en compte et dans quelles situations. De façon simplifiée, il est possible de dégager deux grandes stratégies correspondant à des configurations particulières de l'espace de présentation graphique :

a. une stratégie privilégiant le geste. Typiquement, il s'agira d'une tâche, ou d'une étape particulière au cours d'une tâche, pour

Page 177: Conception et interaction

laquelle les objets sont globalement de type homogène et donc pour laquelle le filtrage par la langue n'est pas déterminant. C'est par exemple ce que l'on rencontre dans ICPDraw où n'apparaissent que des figures géométriques [Caelen et al, 91]. Il est à noter que de telles tâches relativement simples facilitent l'emploi du déictique "décatégorisé" ça, opposition à des expressions démonstratives plus complexes.

b. une stratégie privilégiant l'expression référentielle. Celle-ci pourra être déclenchée lorsque l'espace de visualisation devient complexe de par le nombre important d'objets présentés, en association avec une grande variété de catégories. L'expression référentielle, par le filtrage qu'elle permet, va alors conduire à une simplification conceptuelle de la représentation pour ne sélectionner que les objets pertinents vis à vis du geste.

3.3.4. Retour à l'exemple

Pour chaque scène visualisée dans l'application, il est nécessaire de construire une représentation de ce que perçoit visuellement l'utilisateur. Il semble judicieux de rendre compte de la répartition des objets dans la scène , c'est ce qui est traduit par la figure 8 ou l'on tient compte de la superposition des objets. Ainsi, la scène peut s’appréhender de la manière suivante :

- la scène se compose de deux groupes d’objets distincts le salon et le canapé situé en dehors des limites de la pièce ;

- le salon comprend d’une part une salle à manger, d’autre part un tapis sur lequel se trouvent deux fauteuils et un poste de télévision.

Figure 8 : Représentation de la répartition spatiale des objets dans la scène

Une stratégie d’interprétation possible pour le geste consisterait à

repérer le nombre de syntagmes nominaux à valeur déictique pour

Page 178: Conception et interaction

éliminer les hypothèses de sémantique du geste non adéquates, puis ensuite à interpréter le geste en fonction de la scène.

Dans notre exemple, le message verbal Déplace ces deux fauteuils ici contenant un groupe nominal démonstratif et un déictique permet de conclure que le geste associé doit comporter au plus deux désignations. Ceci permet d’éliminer l’hypothèse 1 qui en contient 3 (voir figure 9.a).

La mise en relation de l’hypothèse de geste numéro 2 avec

l'univers des objets conduit au résultat suivant (voir figure 9b) : - la 1ère désignation permet de sélectionner les objets : {fauteuil1,

fauteuil2, tapis} ; - la 2ème désignation ne correspond à aucun objet, mais permet

de sélectionner le lieu. L’étude du groupe nominal démonstratif indique que les objets à

prendre en compte, pour la première désignation, sont au nombre de deux et que ce sont des fauteuils. Ce qui correspond à la sélection des deux objets de type "fauteuil". Le déictique "ici" fait référence à un lieu, ce qui correspond à la sélection de la seconde désignation. Les objets étant complètement identifiés, la requête de l'utilisateur peut être exécutée.

Figure 9a : Objets contrastés par le geste selon l'hypothèse 1

Page 179: Conception et interaction

Figure 9b : Objets contrastés par le geste selon l'hypothèse 2

4. Conclusion

L'analyse que nous avons présentée ici n'est qu'une étape vers un modèle plus complet du geste dans une perspective de communication homme-machine. Elle s'inscrit dans le cadre de travaux plus généraux sur la référence, ce qui explique l'hypothèse faite a priori d'un geste dont la visée est essentiellement sémiotique en accompagnement de groupes nominaux énoncés par l'utilisateur. Par ailleurs, bien que les différentes étapes proposées pour l'analyse d'un geste aient conduit à des implémentations destinées à valider nos hypothèses, nous restons attachés à l'idée qu'il n'est pas sain que le développement technologique prenne le pas sur une certaine distanciation qui elle seule permettra de dégager de véritables modèles de la communication multimodale. Inversement, tout comme il apparaît impossible d'aborder les phénomènes de langue sans les lier à un moment ou à un autre aux circonstances d'élocution, c'est à dire là où l'interprétation va véritablement pouvoir s'opérer, il est essentiel de situer toute analyse du geste de désignation dans une tâche particulière, ou au moins dans une classe générique de tâche, de sorte à mettre en évidence des ensembles cohérents de phénomènes. A ce titre, les tâches de conception, qui sont étroitement liées à un domaine spécifique, sont de tout premier ordre pour servir de base à la mise en œuvre de véritables systèmes de dialogue où langue et geste apportent plus de souplesse à la

Page 180: Conception et interaction

communication entre la machine et l'utilisateur, ce dernier pouvant ainsi consacrer toute son attention à l'activité de conception elle-même. Dans ce cadre, il reste malgré tout encore beaucoup de chemin à parcourir pour intégrer tous les paramètres qui interviennent dans l'interprétation d'un énoncé, qu'il s'agisse de caractéristiques perceptives, fonctionnelles et bien sûr linguistiques.

Bibliographie

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Page 182: Conception et interaction

Étude de marqueurs dialogiques dans un corpus de conception

Nathalie Colineau, Jean Caelen CLIPS - équipe GEOD Université Joseph Fourier B.P. 53 38041 GRENOBLE Cedex 9 - FRANCE

RESUME. Le travail de conception nécessite lorsqu’il met en relation un homme et une machine, un fort degré d’interaction, et demande à ce que la machine puisse intelligemment assister l’homme dans sa tâche. Il est important que la machine soit capable d’interagir au mieux avec son interlocuteur. L’analyse du processus de compréhension des actes de dialogue peut s’appuyer sur une recherche d’éléments pertinents permettant d’associer un énoncé à une action. Ces marques dans le discours ont principalement une fonction de guidage de l’interprétation et donnent des indications sur les processus inférentiels à mener pour l’interprétation des énoncés.

MOTS-CLES. dialogue personne-machine finalisé, acte de dialogue, compréhension, composante illocutoire, marqueurs, multimodalité.

Introduction

Le dialogue personne-machine pose l'enjeu d'intégrer la machine dans le processus de communication humaine, en la plaçant face à un locuteur humain en tant que partenaire actif. En ce sens la machine se doit de comprendre le dialogue auquel elle prend part, c’est-à-dire être capable de comprendre, tout comme de produire, des énoncés. Dans une tâche de conception les deux partenaires pour réaliser l’objectif qu’ils construisent en commun, devront coordonner leurs actions par l’intermédiaire du dialogue. Celui-ci se présente ainsi comme un moyen de structurer l’activité de

Page 183: Conception et interaction

conception. Mais il se présente aussi comme une forme de conception, où chaque acte de dialogue est en quelque sorte un acte de conception particulier. Le concepteur dans sa tâche modélise son objet en y apportant de constantes modifications rendant les stratégies de planification peu prédictibles. Le dialogue fonctionne de même, il se construit par transformations progressives, chaque acte de dialogue réalisé est en partie déterminé par l’énonciation précédente et contraint d’une certaine manière l’acte de dialogue suivant. Ici la connaissance du but reste longtemps incertaine et demande à être éclaircie au fur et à mesure de l'avancée de la tâche. L'acte de dialogue contient donc une richesse qui gouverne le tour de parole suivant et le détermine tout autant que le plan d'action en cours — qui reste souvent implicite d'ailleurs.

On peut donc considérer la tâche de conception proprement dite et le dialogue permettant d’exprimer cette tâche comme deux actes de conception qui s’entremêlent.

Notre étude est consacrée aux marques présentes à la surface des énoncés et dans la situation d’énonciation, manifestant la construction du dialogue. Il s’agit de déterminer les indices utiles à la compréhension d’un dialogue et aux modes d’interactions de ces indices entre eux. Pour cela nous étudions les opérations discursives communes au processus de compréhension et de production des énoncés. Elles présentent des éléments se complétant les uns les autres et s’éclairant rétrospectivement.

Nous présenterons ici certains des réseaux de marqueurs identifiés.

La situation d'expérimentation

Nous avons étudié des dialogues entre locuteurs placés en situation de conception de figures ou de dessins qui s'aidaient d'une machine dans leur tâche. Ce corpus est le résultat d’un travail mené par [Ozkan, 94], il a permis d’observer une situation de travail où sont imbriqués des actes langagiers et non langagiers.

Le but est de créer un dialogue propre à la coopération et riche en interactions, de manière à observer comment les deux interlocuteurs allaient négocier leurs échanges, et atteindre leur but commun (la scène à représenter).

L'expérience proprement dite s'est déroulée sur un logiciel de dessin, où deux interlocuteurs devaient dessiner ensemble un dessin représentant une scène simple. Les locuteurs n'étaient pas dans la même pièce mais communiquaient entre eux grâce à des micros et partageaient les mêmes informations sur leur écran (c'est-à-dire que les actions exécutées par l'un étaient visibles par l'autre et vice versa).

Page 184: Conception et interaction

L’instructeur avait sous les yeux la scène à représenter alors que le manipulateur ignorait ce qu’il devait dessiner ; de plus l'instructeur était novice tandis que le manipulateur était expert.

Une figure descriptive de l’expérience et un extrait de dialogue sont donnés en annexe 1.

Un dialogue n’est pas une simple juxtaposition d’énoncés, un

assemblage pêle-mêle sans logique. Il possède une unité qui peut être caractérisée de 3 façons différentes [Caron, 89] et par des moyens linguistiques (indices spécifiques) et extra-linguistiques définis :

- sur le plan structurel, en tant que totalité, le discours constitue un ensemble dont l’organisation est perceptible au sens où il est possible d’en établir un résumé, d’en dégager les grandes idées, d’en proposer un plan [Roulet, 80].

- sur le plan thématique, en tant que processus se développant dans le temps, le dialogue manifeste une construction progressive qui s’effectue à chaque tour de parole ; construction qui prend ancrage dans ce qui précède et qui jette les bases de ce qui suit36.

- sur le plan actionnel, en tant qu’activité orientée vers une finalité, le dialogue amène au fur et à mesure les partenaires de l’interaction à progresser vers un but qui signe l’accord (ou le désaccord) entre les locuteurs [Vernant, 94].

Ce qui semble à présent admis, c’est que ces différents aspects qui

font l’unité d’un dialogue sont repérables et peuvent être étudiés ; il existe des marques linguistiques et extra-linguistiques dont la fonction est justement de rendre accessible ces différents plans dialogiques. Autrement dit, toute l’activité de sélection et d’organisation de ces marques est contrôlée par des moyens linguistiques. D’ailleurs des expériences effectuées en psycholinguistique [Caron, 84] tendent à démontrer que la lecture de ces marques n’est pas neutre mais qu’au contraire, elle oriente une forme de compréhension en induisant une interprétation plutôt qu’une autre.

36 On a ici en quelque sorte un effet rétroactif de l’acte de

dialogue attendu sur l’acte de dialogue produit. En effet si un acte x contraint de part des règles d’enchaînement dialogique l’acte x’ qui le suit, à son tour l’acte x’ impose des effets rétroactifs sur l’interprétation à donner de l’acte x. Selon la réponse qu’on apporte à un acte, on privilégie une interprétation.

Page 185: Conception et interaction

Il est donc envisageable d’étudier les différents plans dialogiques par l’intermédiaire de ces marques. Nous en proposons une analyse à travers l’étude de trois réseaux d’indices.

Le processus de compréhension-production

Un modèle de compréhension des énoncés langagiers et un modèle de leur production, sans coïncider exactement, doivent nécessairement comporter certains éléments en commun [Caron, 89], et qui plus est, ils doivent comporter des éléments qui se complètent les uns les autres. Un énoncé, en répondant à une production précédente, emprunte nécessairement à celle-ci les éléments de sa formation et réciproquement en fournit à la suivante.

Ainsi le processus de compréhension-production se pose à la fois : - comme un processus permettant d’établir un lien entre les

différentes productions et devant s'appuyer sur les éléments communs de ces productions ;

- comme un processus orientant la suite de l’interaction donc agissant sur les productions suivantes en fonction de l’interprétation faite [Brassac, 94].

La construction d’un dialogue cohérent repose sur une prise en compte de l’intention du locuteur mais aussi sur l’interprétation par l’allocutaire des actes de dialogue produits.

“[...] la production d'un discours s'effectue en fonction des

procédures de compréhension qui seront celles de l'auditeur ; et inversement, la compréhension consiste à identifier l'intention du locuteur en reconstituant (partiellement au moins) les opérations par où a été produit l'énoncé. Les deux systèmes d'opérations sont donc étroitement solidaires.” [Caron, 89]

L’interaction verbale comme non verbale (manipulation d’objets)

se construit donc à chaque tour de parole et une manière de suivre cette interaction dynamiquement est de s’intéresser aux marques de cette transformation progressive du dialogue. Cette progression se manifeste aussi à travers l’avancement de la tâche. Ces marques jouent un rôle déterminant, orientant la façon dont les informations vont être traitées par l’auditeur et intégrées dans la représentation discursive.

Une étude de marqueurs

Notre étude de corpus a permis :

Page 186: Conception et interaction

- de définir les actes de dialogue intéressants37, c’est-à-dire déterminer les types d'acte illocutoire qu’il est possible de rencontrer. Un acte de dialogue se conçoit comme un acte de discours au sens où Vanderveken [Vanderveken, 88] le définit, sur lequel on applique des éléments contextuels donnés par l’énonciation précédente et des contraintes rétroactives d’interprétation imposées par les effets attendus sur l’acte de dialogue suivant38.

Notre corpus présente entre autre des actes directifs (demandes d’action ou d’information), des actes assertifs (des réponses, etc.) et des exécutions d’action (manipulation souris), mais peu de commissifs (promesse, offre, etc.), ou d’expressifs.

- de déterminer les différentes modalités énonciatives39 associées aux actes illocutoires. Il n’existe pas de relation biunivoque entre un acte illocutoire et sa réalisation linguistique. Par exemple une requête a plusieurs manières d’être réalisée linguistiquement. (1) “mets le rond à droite” (2) “est-ce que tu peux mettre le rond à droite ?” (3) “je voudrais que tu mettes le rond à droite” Réciproquement un même énoncé peut correspondre à des actes illocutoires différents. (4) “je prends quel rond ?” “le petit” On a une réponse à une question introduite. (5) “je prends le petit rond ?” “le petit” On a ici une confirmation à une demande de confirmation.

Dans cet acte d’appropriation de la langue, que le locuteur effectue pour chacune de ses énonciations, il s’agit de savoir ce qui est accompli par l’emploi de certaines formes linguistiques, c’est-à-dire comprendre ce que le locuteur fait ou veut faire en produisant un acte illocutoire. En effet le choix de certaines modalités énonciatives plutôt que d’autres constitue autant de renseignements et d’indices permettant de caractériser à la fois le type d’activité du locuteur, ainsi que son comportement dialogique.

“Outre l’intention générale de communiquer, le locuteur a aussi

l’intention de communiquer sur un certain mode (interrogatif, injonctif, informatif, etc.) et cette intention, tout comme l’intention

37 Pour un exposé détaillé des actes ainsi que des modalités

énonciatives retenues, se reporter à [Colineau, 94]. 38 Acte de dialogue --> [x][acte de discours][y] où x est un ensemble d’éléments contextuels et où y représente les

effets attendus sur l’énoncé suivant. 39 C’est-à-dire de déterminer les formes particulières d’énonciation

d’un acte.

Page 187: Conception et interaction

générale de communiquer est exprimée et fait partie du sens de l’énoncé” [Récanati, 81 : 42].

Les interfaces personne-machine multimodales dans lesquelles

nous nous situons40 offrent à l’utilisateur plusieurs modes d’interaction (parole, geste, etc.) qui vont accroître son pouvoir d’expression et de manipulation, nous obligeant à prendre en considération des énoncés de plus en plus complexes.

C’est en cela qu’il est intéressant de prendre en considération autant l’action réalisée que le moyen utilisé pour son accomplissement.

Comme nous avons pu le souligner, un acte illocutoire présente diverses manières de se réaliser ; c’est pourquoi il est intéressant de caractériser et d’utiliser les marques de surface et profondes (structurelles notamment) qui déterminent l’acte accompli par une énonciation donnée. Les marqueurs sont de nature linguistique (structure syntaxique de l’énoncé, item lexical, marque morphologique, etc.), de nature situationnelle (espace commun de travail), de nature prosodique (intonation, pause), et de nature actionnelle (geste de déplacement et clic souris).

Toutes ces informations constituent des indices donnés par le locuteur à l’intention de l’allocutaire qui font partie d’un ensemble formant un système organisé d’indices se complétant ou bien se consolidant conjointement. Ces diverses marques interviennent à des niveaux différents dans le dialogue (connexité des échanges, cohésion sur le plan thématique, indice illocutoire)

Indices plutôt qu’instructions

Les marqueurs sont des indices fournis par le locuteur et utilisés par l’allocutaire pour mener ses inférences [Vignaux, 88 ; Revaz, 88 ; Adam, 90] plutôt que des instructions de traitement données par le locuteur et commandant le traitement que l’auditeur aura à effectuer [Caron, 84 et 89] (Ducrot dans [Moeschler & Reboul, 94]). En effet, la signification d’un énoncé n’est pas de nature procédurale (on ne peut la déterminer a priori) et la lecture de ces indices ne s’apparente pas à l’exécution d’une procédure. Nous avons des indices plutôt que des instructions et le processus d’interprétation résulte d’une mise en relation que l’allocutaire effectue entre les indices, en fonction de la situation énonciative. Cette notion d’indice diffère de la notion de saillance qu’on trouve chez Sperber, dans la mesure où un énoncé ne présente pas un ensemble de marques dont certaines, en fonction du contexte, seraient plus prégnantes ;

40 [Caelen, 94].

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mais au contraire ne présente que des marques pertinentes. Un indice est présent dans un énoncé ou il ne l’est pas, mais dans la mesure où il l’est, alors il est pertinent pour l’analyse. La notion de saillance n’est pas pertinente pour nous.

La mécanique interlocutive est une mécanique ouverte pour reprendre le mot de [Charaudeau, 84], dans laquelle l’allocutaire intervient pour identifier le but communicatif du locuteur. Ainsi les indices donnent des éléments de lecture, guident les choix à faire, mais l’interprétation qui sera faite est dépendante de l’allocutaire. Car même si l’allocutaire se sert des marques qui jalonnent les énoncés, il reste une part d’incertitude quant à la mise en relation effective de ces marques lors de l’interprétation.

D’ailleurs les cas d’incompréhension entre locuteurs tendraient à montrer que la reconnaissance et la sélection des indices ne sont pas automatiques ; mais que les contraintes portant sur l’interprétation peuvent amener à plusieurs conclusions (ou réponses) possibles. Un acte illocutoire peut être compris différemment par deux personnes, bien qu’elles aient à leur disposition les mêmes indices [Diller, 84]. Par exemple : (6) “Pourquoi est-ce que tu ne prends pas le rond ?” - soit on interprète une question et la réponse sera une explication. (7) “parce que je vais d’abord prendre le triangle” - soit c’est un reproche et la réponse sera une justification. (8) “je n’y arrive pas” - ou bien cela peut être une offre et la réponse sera une acceptation ou un refus. (9) “je vais le faire” “non, je vais procéder autrement”

Les effets attendus ne correspondent pas toujours aux effets obtenus. Et c’est bien là toute la difficulté de la dimension perlocutoire qui dépend en grande partie de l’interprétation menée par l’allocutaire au moment du processus de compréhension. Si l’on reprend (6), selon les contraintes interprétatives retenues par l’allocutaire, l’évaluation des marques présentes dans l’énoncé du locuteur n’aura pas la même valeur dialogique et conduira à l’une ou l’autre des réponses. Si le locuteur veut obtenir de l’allocutaire un certain comportement (et notamment la bonne interprétation de l’énoncé), il devra non seulement fournir à celui-ci les éléments pertinents pour l’analyse de l’énoncé produit, mais aussi tenir compte des moyens dont l’allocutaire disposent pour l’interprétation (sa connaissance du contexte d’énonciation).

C’est pourquoi nous parlerons d’indices, qui bien sûr orientent la lecture d’un acte (livre un mode d’emploi des éléments) et influencent l’allocutaire dans sa compréhension, mais qui en aucun cas ne lui commandent un traitement à effectuer, que seul il choisira de faire.

Page 189: Conception et interaction

Quelles sont ces marques ?

Notre analyse est une analyse de discours, aussi les énoncés étudiés ne peuvent être correctement interprétés qu’en tenant compte à la fois du contexte discursif (c’est-à-dire de ce qui constitue la mémoire discursive du dialogue) et du contexte d’énonciation (c’est-à-dire de la situation de dialogue).

Les marques linguistiques à elles seules ne sont pas suffisantes pour indiquer ce qui est effectivement accompli dans une situation de communication.

“L’acte lui-même ne doit pas être confondu avec la phrase (ou

l’expression linguistique quelle qu’elle soit) utilisé dans son accomplissement” [Armengaud, 85 : 78].

Les énoncés bien que primitivement marqués pour certains actes -

on peut citer l’exemple de l’impératif qui marque l’ordre - servent en réalité à réaliser des actes tout autres.

“Il semble a priori impossible d’établir un lien consistant entre les

marqueurs primitifs et les actes effectifs” [Anscombre, 81 : 82] Les marqueurs ne sont pas uniquement des indices linguistiques,

mais aussi des indices prosodiques, des indices extra-linguistiques et des indices appartenant au domaine de la tâche pour toutes les actions souris. En effet, l'étude des actes langagiers et non langagiers, demande de prendre en compte certains indices propres à l’avancement de la tâche qui sont reliés à la structure du dialogue.

a) les marqueurs linguistiques

Ils sont de différents types et marquent directement ou indirectement l’acte auquel ils sont reliés.

morphologiques syntaxiques lexicaux

le temps, l’aspect, mode du verbe, etc.

la forme de l’énoncé : soit impérative, soit assertive, soit interrogative, soit elliptique, etc.

soit un item lexical (mot grammatical, lexical, connecteur, etc.) soit une expression

Pour prendre quelques exemples :

(10) “est-ce que je prends le petit rond ?” On trouvera un indice syntaxique direct qui est la forme

interrogative marquant la question introduite, ensuite on aura un

Page 190: Conception et interaction

indice lexical qui est la particule interrogative “est-ce que”. La forme référentielle “le petit rond” renvoie au contexte d’énonciation pour identification de l’objet. (11) “maintenant prends le petit rond”

Ici on aura un indice syntaxique direct qui est la forme impérative marquant une requête, ensuite on aura un indice morphologique qui est le mode du verbe. “maintenant” est noté en tant qu’indice lexical de début d’échange, on pose un but, etc.

b) les marqueurs prosodiques

Dans un premier temps, nous nous limitons à une indication globale d’intonation, mais des études actuellement menées au sein de l’équipe41 devraient augmenter la contribution de la prosodie, en prenant en compte des critères plus fins tels que la valeur du F0, la durée et l’intensité du signal de parole.

c) les marqueurs situationnels

Ils regroupent la contribution assez large du contexte à l’interprétation des actes.

phases du dialogue règles d’enchaînement

préférentiel début/fin de dialogue échange principal/sous échange

question/réponse ordre/exécution offre/acceptation, etc.

Le contexte discursif d’une part et le contexte d’énonciation

d’autre part déterminent voire imposent des enchaînements plutôt que d’autres ; ceci repose sur le fait que tout comportement entraîne un autre comportement, qu’une action demande une réaction, etc.

C’est pourquoi il est tenu compte de la situation, indispensable pour mener notre analyse.

41 Groupe d’Etude de l’Oral et du Dialogue du CLIPS.

Page 191: Conception et interaction

d) les marqueurs du geste Le geste lui aussi est marqué et dans la plupart des cas on peut

associer une action souris à une action primitive.

la prise le déplacé le lâché la désignation clic souris clic souris

maintenue avec déplacement

déclic souris geste d’ostention avec la souris

Plus loin, nous verrons comment ces divers types de marques

concourent à des niveaux différents, à marquer l’acte et à en donner une interprétation.

Où interviennent ces marqueurs ?

Les marques forment plusieurs systèmes organisés d’indices se complétant ou bien se consolidant les uns les autres.

“Tout énoncé est porteur de traces” [Vignaux, 88] Mais ces indices n’interviennent pas tous au même niveau, ni pour

les mêmes raisons. Aussi nous avons cherché à déterminer dans quel type de réseaux telle ou telle marque intervenait, et avec quelle fonction.

C’est une idée présente en effet chez de nombreux auteurs [Vignaux, 88 ; Revaz, 88, Caron, 84 et 89], que la surface des textes ou la forme des énoncés soit porteuse d’indices et doive être examinée afin de mettre à jour les opérations discursives, en particulier les opérations de “marquage” de l’acte, de connexion et de cohésion.

“C’est à partir des marques linguistiques que l’auditeur établit (et

que le locuteur indique) comment les éléments doivent être reliés entre eux.” [Caron, 89]

Ces marques linguistiques structurent les énoncés, en soulignent

l’organisation, c’est-à-dire : - mettent en relief les différents niveaux de structuration du dialogue par un processus de balisage, ainsi que l’unité du discours dans cet équilibre constant entre continuité thématique et progression rhématique ; - rendent manifeste l’action sous-jacente à tout énoncé, l’avancement de la tâche à travers le dialogue.

C’est ainsi que nous distinguons un réseau d’indices permettant d’établir l’acte effectué, un réseau d’indices permettant de suivre la

Page 192: Conception et interaction

construction du dialogue en rapport avec la tâche à exécuter et enfin, un réseau d’indices indiquant l’avancée thématique tout au long du dialogue.

Nous avons présenté les marques pertinentes et en quoi elles

pouvaient être utiles à la compréhension des actes de dialogue, il nous faut aborder le type d’analyse menée.

Une double démarche

Pour mener notre étude sur les marques présentes dans les productions linguistiques deux démarches s’offrent à nous : - mener une analyse ascendante en opérant un filtrage sur les énoncés pour recueillir les indices pertinents, - partir de modèles d’acte illocutoire (analyse descendante) et par un processus de mise en correspondance identifier le modèle le plus proche de l’énoncé produit.

Le filtrage d’indices

L'analyse du processus de compréhension des actes de dialogue va consister à rechercher des éléments pertinents permettant d’associer un énoncé à une action.

La démarche s’articule en deux temps ; tout d’abord procéder à une recherche d’indices. Cette recherche doit contribuer à une meilleure compréhension du fonctionnement d’un acte langagier en repérant de manière systématique, les marques nécessaires et suffisantes à l’étiquetage par une action d’un énoncé.

Les études de corpus menées42, déterminent d’une part les indices présents selon le type des énoncés et d’autre part leur fonction au sein de l’énoncé. Par exemple : - Le mode impératif est un indice qui apparaît uniquement dans les demandes de faire de type commande, sa fonction est de marquer un acte de “faire faire” de manière directe. - La particule “est-ce que” est souvent présente dans les questions oui-non et les questions oui-non indirectes, rarement dans les questions introduites, mais sa fonction n’est pas toujours d’introduire une “vraie” question43.

42 Pour de premiers résultats se reporter à [Colineau, 94]. 43 Pour le concept de “vraie” question se reporter à [Diller, 84 : 89].

Il s’agit d’opérer une distinction entre la question demande

Page 193: Conception et interaction

- Le “clic souris” est souvent un indice de début d’action, confirmé par un déplacement de la souris et dont on peut évaluer approximativement la fin avec le déclic.

Ainsi à partir d’une analyse syntaxico-sémantique de l’énoncé, sont identifiés les indices linguistiques de surface sur lesquels opérer le filtrage et combinés ensemble ceux qui sont liés. Ces indices selon leur nature et leur fonction interviendront soit pour marquer la structure dialogique, ou bien pour marquer les relations thématiques ou encore pour spécifier l’acte illocutoire produit.

Ensuite, étant donné un ensemble d’indices défini, on peut mettre

en place un processus d’association tel qu’à une chaîne d’indices corresponde un type d’acte.

recherche association

énoncé ------------> ensemble d'indices ---------------> action(s) La recherche d’indices puis l’association doivent être menées pour

chacun des réseaux (réseau des marques thématiques, réseau des marques structurelles et réseau des marques illocutoires), afin qu’en dernière analyse, leurs informations respectives soient mises en commun (il faut veiller à ne pas avoir d’interprétations contradictoires).

Une grille d’analyse

Pour l’étiquetage de nos corpus, une grille d’analyse a été établi, permettant de répertorier pour chaque énoncé, l’ensemble des marques présentes qu’elles soient linguistiques, prosodiques ou situationnelles, et permettant de noter la fonction de ces marques dans le dialogue. Il s’agit d’établir si elles ont pour fonction de marquer l’acte réalisé, ou bien d’indiquer un type d’enchaînement particulier relatif à la tâche en cours, ou encore de marquer une progression thématique.

(12) “maintenant il faut prendre un triangle” Dans cet énoncé, “maintenant” figure parmi les marqueurs qui seront relevés. C’est un marqueur linguistique qui intervient dans le réseau des indices marquant la structure du dialogue, il a pour fonction d’indiquer un nouveau sous-échange et signale qu’une nouvelle tâche se commence.

Dans cette grille nous notons le type d’acte qui est effectué en terme de “faire”, nous nous appuyons ici sur les modalités définies par d’information et l’acte indirect formulé à l’aide d’une question qui est une demande de faire.

Page 194: Conception et interaction

Greimas. Est-ce qu’il s’agit d’un “Faire Faire” (on demande à l’autre d’exécuter une action), d’un “Faire Faire Savoir” (on questionne l’autre), d’un “Faire Savoir” (on demande à l’autre de confirmer ou d’infirmer une information), d’un “Faire Croire” (on donne une information à l’autre), ou d’un “Faire” (on exécute une action). En (12) il s’agit d’un Faire-Faire, le locuteur demande indirectement (tournure impersonnelle) à l’allocutaire de prendre un triangle.

Un acte illocutoire pouvant prendre diverses formes linguistiques, on note la modalité énonciative employée, c’est-à-dire le type d’expression linguistique utilisé pour réaliser l’acte langagier. En (12) le locuteur n’a pas employé d’impératif pour sa requête (marque linguistique directe), mais a utilisé une formule en “falloir” plus impersonnelle, qui figure parmi les types de modalité possibles d’un Faire-Faire.

Dans cette grille d’analyse, nous nous intéressons enfin au degré de force illocutoire donné aux énoncés pour établir une graduation entre les différentes formes de réalisation d’une même force illocutoire. Pour reprendre (12), le degré de force illocutoire qui lui sera attribué sera différent de ceux donnés aux énoncés suivants : (13) “maintenant prends un triangle” (14) “maintenant est-ce que tu peux prendre un triangle ?”

Selon la formulation utilisée, le locuteur ne s’investit pas de la même manière et engage l’allocutaire de façon différente.

La difficulté pour remplir ce type de grille est d’une part de typer

les marqueurs relevés et d’autre part de déterminer où ils interviennent exactement. Il est nécessaire pour ne pas faire un relevé de chaque marque isolément, de regrouper celles-ci en classes de marqueurs dédiées à certaines fonctions spécifiques. Par exemple établir une classe des marqueurs de la confirmation regroupant des expressions telles que “voilà ouais”, “très bien”, “celui-ci ouais”, etc.

Dans certains cas, on va pouvoir associer un indice spécifique à un type de repérage. Mais la plupart du temps, on ne peut établir de correspondance biunivoque entre un indice et une fonction de marquage. Par exemple “alors” peut marquer une étape dans l’enchaînement du dialogue dans “alors là tu prends le triangle”, ou bien jouer un rôle d’articulateur entre deux énoncés dans “ben là on a un premier dessin alors il faut que tu prennes le triangle”.

Bien souvent une fonction est assurée par des marques qui œuvrent dans plusieurs sous-systèmes. Par exemple : “et” qu’on peut qualifier d’organisateur additif pour reprendre la terminologie de [Adam, 90], va tantôt fonctionner comme marqueur de relais tantôt comme marqueur de clôture.

Page 195: Conception et interaction

Les indices dans leurs multiples emplois discursifs sont donc nécessairement polysémiques et plurifonctionnels. Un exemple d’analyse d’un énoncé est proposé en annexe 2.

Actuellement l’étiquetage des énoncés et le remplissage de la grille sont réalisés manuellement. C’est une analyse préalable avant l’automatisation de la détermination des actes illocutoires. Cette grille permet de déterminer : - les marques pertinentes ; - les fonctions que peuvent remplir ces marques ; - les actes illocutoires dans lesquels, elles apparaissent.

Par analyse croisée des données, on sera en mesure de déterminer qu’une marque x, intervient dans un acte y avec la fonction w. Ces informations seront exploitées dans l’automatisation de l’analyse.

Elaboration de modèles

A l’aide des informations recueillies dans la grille d’analyse, il est possible d’identifier les marques présentes dans chacun des actes illocutoires et donc d’élaborer un modèle de ces actes. Par modèle nous entendons une structure complète d’indices.

L’intérêt de travailler avec des modèles d'acte est de pouvoir identifier un acte illocutoire quel que soient les marques présentes. Par exemple : (15) “Je prends le petit rond ?” (16a) “oui” (16b) “oui le petit” (16c) “le petit rond”

On constate qu’il existe énormément de variantes dans la réalisation d’une même modalité énonciative pour un acte, aussi il est utile voire indispensable de s’affranchir de ce problème. En (16) la confirmation n’est pas nécessairement marquée par un adverbe de confirmation ; d’où l’intérêt de disposer d’une structure complète de tous les indices possibles pour chaque acte illocutoire (les modèles d'acte)44.

Un modèle d'acte illocutoire est un élément décrivant une catégorie d’individus, en l’occurrence ici une série d’énoncés. Pour déterminer le modèle d'acte illocutoire auquel se rapporte un énoncé donné, on s’appuiera sur le degré de similitude entre le modèle et l’énoncé (c’est-à-dire sur le nombre d’indices qu’ils ont en commun et sur la probabilité qu’ont chacun de ces indices a occuper une fonction dans le modèle d'acte).

Ainsi nos modèles d'acte illocutoire possèdent les caractéristiques pertinentes de tous les énoncés qu’ils représentent. Le modèle est le

44 Certaines réalisations linguistiques étant plus fréquentes que

d’autres, un coefficient d’occurrence est associé à chaque indice.

Page 196: Conception et interaction

résultat d’une construction synthétique faite à partir d’informations relevées dans les corpus.

Le modèle d'acte tel que nous l’entendons est proche de la notion de prototype défini comme suit :

“Le prototype peut ainsi apparaître comme l’objet qui possède le

plus grand nombre de propriétés typiques et donc celui qui a des relations de similitudes les plus nombreuses avec les autres membres de la catégorie.” [Moeschler & Reboul, 94 : 388]

Des études montrent que l’homme se sert dans ses raisonnements

de prototypes, qu’il prend en compte des structures globales dans ses décisions. On le constate en linguistique textuelle [Adam, 92 : 30] :

“La connaissance des schémas prototypiques, plus ou moins

renforcée par des marques linguistiques de surface, vient faciliter les opérations de regroupement de l’information en cycles de traitements [...] De la même façon que le prototype de l’oiseau - généralement plutôt du moineau ou du canari - permet de distinguer une mésange, une chouette d’autres animaux, il semble exister un schéma prototypique de la séquence narrative [transposons pour nous, un prototype de chaque acte de dialogue] qui permet de distinguer cette dernière d’une séquence descriptive, argumentative ou autre [qui permet de distinguer tous les actes entre eux]. C’est le schéma ou image mentale du prototype-objet abstrait, construit à partir de propriétés typiques de la catégorie, qui permet la reconnaissance ultérieure de tel ou tel exemple comme plus ou moins prototypique.”

Notre idée rejoint donc celle que J-M.Adam développe pour

l’analyse textuelle, nous postulons qu’il doit exister un modèle de chaque acte illocutoire qui aide l’allocutaire dans son interprétation ; car certaines marques ne sont pas toujours présentes dans les énoncés et cela n’entrave pas pour autant la compréhension. Le modèle d'acte est une référence dont on s’éloigne plus ou moins. Pour chaque mise en correspondance il n’y a pas un ajustement parfait, car on a d’une part un énoncé particulier et de l’autre un modèle d'acte, qui a priori ne coïncide avec aucun énoncé réel puisqu’il regroupe les propriétés de tous. Le but est d’arriver à mettre en commun un maximum d’indices entre l’énoncé et un des modèles d'acte pour déterminer quel est l’acte de dialogue effectué.

Nous ne faisons pas l’hypothèse que les modèles d'acte sont ceux dont les sujets pourraient se servir dans leur processus de compréhension.

Page 197: Conception et interaction

Les deux démarches (recherche d’indices et modèles d’acte) se complètent l’une l’autre. Un filtrage de l’énoncé fournit les indices pertinents et pour chacun d’eux on regardera les fonctions susceptibles d'être remplies. Pour chaque indice, on s’intéressera aux fonctions les plus fréquemment occupées ; on regardera aussi l’acte illocutoire dans lequel cette fonction est remplie. Mais ce sera la combinaison d’une part des indices en présence et d’autre part des fonctions remplies qui détermineront l’acte illocutoire effectué. Les modèles d'acte interviennent ici dans la comparaison avec les combinaisons d’indices obtenues. On s’assure que la combinaison d’indices et de fonctions entrent dans le schéma d’un modèle d’acte.

Conclusion

Les dialogues présentent la caractéristique d’être fortement guidés par la tâche à réaliser, ainsi une analyse de la séquence des énoncés permet non seulement de participer activement et de manière dynamique au dialogue mais en plus de constituer le plan d’activité du sujet assisté dans sa tâche de conception.

Le relevé des indices présents dans les énoncés et le contexte d’énonciation, demande de prendre en considération la variété des productions langagières et d’en dégager une sorte d’invariant. En effet, une des difficultés de l’analyse réside dans la capacité pour la machine à identifier des actes illocutoires à partir d’énoncés peu marqués (ou non marqués primitivement). La robustessre d’un tel modèle repose en grande partie sur les modèles d’actes illocutoires construits. Aussi cela implique de ne pas se limiter à un corpus d’étude, mais de valider l’approche sur des corpus de tâche similaire.

Page 198: Conception et interaction

Annexe 1 : Situation d’expérimentation pour le recueil du corpus de dialogue

Palette Palette

Instructeur Manipulateur

Figure 1 : le contexte d’expérience45

Exemple de dialogue : I1 euh main’nant tu vas prendre un petit un p’tit carré I2 et le mettre en bas à gauche pour faire une maison pour euh M3 geste d’exécution I4 maintenant tu en prends un autre M5 geste de prise et de déplacement M6 avec un toit aussi ? I7 non non I8 tu prends que des petits carrés pour l’instant M9 d’accord M10 et j’le M11 geste de déplacement I12 tu l’mets à côté I13 voilà

45 Cette figure est extraite de [Ozkan, 94].

Page 199: Conception et interaction

I14 tu les M15 et il en faut combien en tout tu m’as dit ? I16 il en faut attends huit je crois I17 quatre et quatre ouais huit

Annexe 2 : exemple d’analyse d’un énoncé

L’intervention de I (l’instructeur) a été découpé en 3 énoncés ou actes de dialogue. Notre critère de découpage est de ne conserver qu’un but, qu’une visée par énoncé.

I1 ok I2 ben là on a un premier dessin I3 alors il faut que tu prennes la petite boule M4 oui Commentaires de la grille d’étiquetage Cet énoncé est un acte directif analysé comme un Faire Faire (FF) ;

le locuteur commande une action à l’allocutaire. La forme linguistique réalisée est la “Commande”, qui regroupe les formes impératives et les expressions en “falloir”. Le degré de force illocutoire est déterminé par des règles qui regardent si la modalité de l’acte (ici la commande) est plus ou moins marquée ; mais nous ne les exposons pas ici.

Nous répertorions les marques qui interviennent dans la détermination de l’acte illocutoire c’est-à-dire dans ce cas celles qui permettent de reconnaître qu’il s’agit d’un Faire Faire. L’expression verbale marque la commande et le contexte d’énonciation indique un début d’échange (on a une phase d’ouverture).

Nous nous intéressons également aux marques de connexion qui permettent de suivre la progression du dialogue. L’expression verbale indique qu’un but est posé. On constate que la progression de la tâche fait écho à la structure du dialogue. La marque “alors” est identifiée comme un articulateur entre 2 énoncés d’un même locuteur. Elle donne des indications sur l’interprétation à donner aux deux actes illocutoires46. Dans ce cas la relation est neutre, l’articulateur constitue un appui de discours47.

Enfin nous répertorions les marques qui interviennent dans la détermination de l’avancée thématique. Dans l’exemple le nouveau référent implique une progression rhématique. Il est donné par le

46 Il s’agit de savoir si la lecture des deux actes illocutoires se fait

séparément ou bien si l’interprétation est globale. 47 voir [Luzzati, 82].

Page 200: Conception et interaction

contexte d’énonciation, ce n’est pas “une petite boule” mais “la petite boule” de la palette de dessin.

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Interaction linguistique pour la conception coopérative de scènes graphiques

Claudie Faure1, Madeleine Arnold2 1URA CNRS 820, ENST-SIG. 2Lutèce'IA - École d'Architecture Paris-La Villette

RÉSUME : L'interaction linguistique est subordonnée à la tâche principale de conception de scènes graphiques. Les énoncés formulés permettent d'ordonner des actions qui réalisent les intentions de l'utilisateur, relatives à l'activité de conception. La machine doit donc interpréter les commandes linguistiques mais aussi les traduire en termes d'actions. Ces deux niveaux d'analyse impliquent le recours à plusieurs sources de connaissances, linguistiques et extra-linguistiques (état de la scène graphique et histoire de sa construction, domaine d'application). Cet article souligne la dépendance du linguistique au contexte spatio-visuel pour la production et l'interprétation des commandes en termes d'actions. Des exemples, issus des réalisations informatiques MOUTON et SCENO, illustrent certains des mécanismes constructifs qui permettent d'interpréter des énoncés incomplets.

MOTS-CLES : Interaction homme-machine. Commandes linguistiques. Conception graphique. Perception et dialogue.

1. Introduction48

48L'étude présentée dans ce texte a été en partie soutenue par le GDR Sciences Cognitives de Paris, projet ILS (Images-LangageS).

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Les nouvelles interfaces privilégient les signaux de la communication humaine pour l'interaction. Leur développement s'accompagne d'un effort pour étendre les capacités de traitement des machines en vue d'en faire des collaborateurs de l'utilisateur. Ce contexte d'interaction anthropomorphique et de collaboration constitue un cadre dans lequel la notion de communication doit être analysée afin qu'un apport effectif soit offert aux utilisateurs dans la réalisation de leurs tâches.

L'interaction linguistique participe à ce projet d'interfaces

anthropomorphiques. La difficulté de l'interaction est réduite pour l'utilisateur mais se déplace sur la conception d'interpréteurs fiables et rapides. Le langage naturel est généralement dégénéré en un dialecte dérivé pour assurer un compromis entre une communication peu contrainte et une interprétation efficace des énoncés de l'utilisateur. L'interaction entre l'utilisateur et la machine est subordonnée à une tâche principale, ici la conception de scènes graphiques. Les productions linguistiques de l'utilisateur permettent d'ordonner des actions qui réalisent ses intentions relatives à l'activité de conception. La machine doit donc interpréter les commandes linguistiques mais aussi les traduire en termes d'actions. Ces deux niveaux d'analyse implique le recours à plusieurs sources de connaissances.

Cet article souligne la dépendance du linguistique au contexte

spatio-visuel pour la production et l'interprétation des commandes en termes d'actions. Des exemples de réalisations informatiques illustreront certains des mécanismes constructifs qui permettent d'interpréter des énoncés incomplets. Ces mécanismes peuvent être internes à la machine ou ouvrir une forme de dialogue avec l'utilisateur.

2. Motivations de l'étude

Trois considérations nous ont amenées à nous intéresser aux langues en tant qu'instruments de conception de scènes graphiques. Une langue apparaît tout d'abord comme un langage de haut niveau, fortement sémantisé, qui rend l'interaction plus puissante et la facilite. Par son intermédiaire, l'utilisateur peut travailler sur les objets, les relations et les actions qui lui sont familiers, sans être contraint de descendre au niveau des primitives graphiques et de fournir des données numériques précises, [Lapré, Hudson, 87, p.127-128 ; Quintrand et al. 91, p.41-43 ; Gaildrat et al. 93, p.267 ; Arnold, Lebrun, 93, p.113]. En second lieu, les réalisations informatiques permettent

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d'étudier les changements provoqués lorsqu'une personne doit passer par une interface informatisée pour accomplir une activité, seule ou avec d'autres personnes, alors que la machine n'intervenait pas auparavant [Andersen, 90, p.43,58,361-370 ; Wood, 94]. Elles posent en particulier le problème de "l'écart", à conserver ou à atténuer le plus possible, entre les fonctionnements de l'utilisateur et de la machine [Rabardel, 93, p.107-108]. Un troisième point , auquel sera consacré l'essentiel de cet article, concerne la fonction de l'activité perceptive dans la conception et sa manifestation à travers les "représentations externes" [Rabardel, 93, p.102-104 ; Wood, 94, p.34]] que sont les énoncés linguistiques et les images à l'écran. En conception les images et les énoncés jouent un rôle actif dans l'élaboration du produit à construire [Wood, 94], ces deux types de présentation se complétant l'un l'autre [Neilson, Lee, 94 ]. Cependant la perception et l'action constituent des dimensions encore peu étudiées des processus de conception [D. Schön cité par Edmonds, 94, p.7] ; il en est de même de l'apport des représentations externes à l'action [Rabardel, 93 ; Wood, 94].

3. La tâche

La tâche consiste à construire des scènes graphiques à l'aide de commandes linguistiques. Les micro-mondes sur lesquels nous avons travaillé sont constitués de formes géométriques positionnées dans un espace 2D ou 3D fixe. Ils ont été définis en fonction de deux champs d'activité : l'élaboration de documents graphiques pour MOUTON et la conception architecturale pour SCENO. Dans les deux applications les énoncés servent essentiellement à positionner des formes dans la scène. Les positions sont relatives, mais aussi absolues pour MOUTON où l'écran a été divisé en neuf zones (à droite en haut, à droite en bas, etc.). Les énoncés linguistiques consistent en commandes telles que /Dessine un carré/ /Mets le à droite du triangle/ dans MOUTON alors que dans SCENO, elles ont une forme assertive comme par exemple : /La mairie est à droite de l'église/. Elles anticipent, au même titre que la forme impérative, la scène future, On notera que pour la machine la différence entre commande et description est négligeable. Pour elle, un énoncé assertif est interprété comme une commande : il définit un but qu'elle doit traduire en une action permettant d'atteindre celui-ci. Ainsi /La mairie est à droite de l'église/ revient à /Mets la mairie à droite de l'église/. Dans MOUTON les énoncés qui composent le dialogue portent la trace des réactions de l'utilisateur à ce qu'affiche la machine en réponse aux commandes. On a attaché une importance particulière à la construction dynamique de la scène à travers le dialogue qui prend

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en compte les retours visuels et les réactions aux retours visuels. Dans SCENO la scène est construite à travers une succession d'énoncés strictement assertifs. Dans cette application l'attention a plus particulièrement porté sur la structuration des connaissances linguistiques et sur le passage des représentations mentales imagées, associées aux expressions linguistiques, aux représentations infographiques.

4. Nature et fonction des commandes linguistiques

L'interaction linguistique attribue à la langue le rôle de médiatiser la pensée de l'utilisateur tout en étant subordonnée à la tâche de conception graphique à l'aide d'une interface homme-machine. La langue permet de modéliser qualitativement l'univers spatio-visuel de référence et de traiter directement les objets, les relations et les actions en utilisant les termes qui les désignent dans la langue du domaine d'application. Par son entremise le concepteur peut rendre compte des résultats de groupements perceptifs et de focalisations spatio-temporelles qui structurent dynamiquement son espace visuel. Elle est un moyen d'évaluer ce qui est vu et d'exprimer des intentions de correction. Elle pourrait être un outil d'apprentissage en ce sens qu'elle permettrait de définir des termes nouveaux à l'aide de termes déjà connus de la machine.

La langue est utilisée en situation et se limite ici à la catégorie des

"langages opératifs" ; elle est mise en œuvre dans un "dialogue opératif" [Falzon, 89 ; Luzzati, 93] dont le but est la réalisation d'une tâche dans un domaine d'activité déterminé. En conséquence elle subit l'influence à la fois de la forme d'expression dialogique, de la nature opérative de celle-ci, et des caractéristiques du domaine d'activité graphique où la dimension perceptive visuelle est fondamentale. Le vocabulaire et les structures syntaxiques d'une langue opérative constituent un sous-ensemble des possibilités offertes par la langue employée. A ce sous-ensemble s'ajoutent des termes et des schémas syntaxiques spécifiques. Les expressions linguistiques ont une signification unique ou un petit nombre de significations, qui ont été validées par l'usage [Falzon, 89, p.65-83]. Le dialogue se présente comme une négociation entre des interlocuteurs pour parvenir à un but ; il est dynamique en ce sens qu' "une intervention initiative appelle une intervention réactive" : "demande d'information et délivrance des renseignements", "demandes de précision, d'explication, de confirmation ou de reformulation" et réponses [Luzzati p.276, 280]. Si certains types de langages et de dialogues opératifs ont été étudiés (réservations de

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places d'avion et de train, renseignements téléphoniques, contrôle aérien, …) il n'en est pas de même de ceux qui sont liés à la conception de scènes graphiques. On signalera cependant les expérimentations menées par [Lapré, Hudson, 87] pour collecter le vocabulaire employée par des concepteurs en architecture et les observations faites par [Neilson, Lee, 94] sur l'interaction entre dialogue et dessin d'architecture. Ces deux derniers chercheurs remarquent que l'interprétation de l'image à l'aide de la langue est un phénomène peu connu surtout dans le cas du dialogue et d'un dialogue au cours duquel l'image évolue.

Une propriété fondamentale des langues dont il faut aussi tenir

compte, est leur "élasticité" [Greimas, Courtès, 79]. Le jeu entre dénominations et définitions est exemplaire de cette propriété. Dans une langue un même objet (au sens large) peut donner lieu à une formulation étendue ou bien condensée. Ainsi l'économie de l'interaction linguistique amènera à formuler une action complexe sous une forme condensée ("aligner") ou bien étendue (la suite des actions composantes élémentaires est explicitée).

5. Les intentions d'action

Dans le cas des commandes linguistiques, un but extra-linguistique est visé : l'évolution de la scène graphique. La vision future de la scène peut se décrire d'une manière très abstraite en exprimant les raisons qui motivent son évolution (éclairer cet espace, ménager des coins de repos, équilibrer le schéma ...). A ce niveau d'abstraction plusieurs réalisations de la scène peuvent satisfaire ces raisons et les actions à entreprendre ne sont pas encore précisées. Un système capable de construire une des réalisations acceptables à partir d'une raison exprimée devrait posséder des sommes de connaissances qu'il est difficile actuellement d'envisager de formaliser. Ces raisons peuvent être rapprochées des expressions linguistiques subjectives traitées par [Nakatani, Itoh, 94], elles expriment des impressions ou des sentiments mais sont limitées à des termes qualifiant des formes et des couleurs (couleur chaude, forme plus simple). On se limite aux intentions d'action qui se différencient des raisons par le fait qu'elles conduisent à des commandes exprimant les actions que le concepteur souhaite voir se réaliser sur l'écran, ce qui correspond à une élaboration assez avancée de sa pensée.

[Searle, 85] insiste sur le fait que les intentions de sens sont à la fois

une intention de représenter (des états mentaux) et de communiquer (une partie des représentations). Dans le cas des instructions, le

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destinataire devra exécuter les actions, prouvant que les intentions de représentation du destinateur ont été reconnues. Autrement dit : la machine a compris un énoncé quand elle est capable de faire ce que cet énoncé dit de faire [Winograd, 72]. Une correspondance doit donc être établie entre les expressions linguistiques et les référents infographiques (objets, relations, actions) ou plus exactement entre les expressions linguistiques et les identificateurs des référents infographiques. La correspondance s'étend à la syntaxe des énoncés linguistiques et des instructions informatiques. Il s'agit en fait en partie d'un problème de traduction d'un langage plus évolué dans un autre moins évolué, le langage formel permettant de manipuler les éléments graphiques. Une interaction sera d'autant moins contrainte que les capacités de traduction seront plus évoluées. Ce point est souligné par [Duermael et al., 94] pour lesquels l'énoncé est considéré comme la spécification d'un état final à atteindre et non plus comme l'appel à une fonction élémentaire de l'application. L'exécution d'une action ne relève plus du simple appariement entre énoncés et fonctions mais implique une planification de l'activité de la part du système. Nous insisterons sur les aspects relatifs au contexte dans lequel une commande linguistique est exprimée pour mettre en évidence le caractère constructif de la traduction des commandes linguistiques en fonctions infographiques.

6. La situation d'interaction

Par situation d'interaction, on entend tout ce qui constitue le contexte dans lequel une commande est émise et interprétée. [Suchman, 87] insiste sur la nature réactive des actions, dépendantes des circonstances dans lesquelles elles sont effectuées, par opposition au modèle de la planification qui se confond avec une théorie de l'action de type résolution de problème. L'activité de conception impose de privilégier une vision des actions comme réponses à des circonstances particulières et de rendre secondaire la planification aux objectifs prédéfinis. Le caractère situé de l'action implique donc que la signification des instructions pour l'action ne soit pas inhérente à l'instruction mais doive être recherchée par celui qui suit l'instruction en référence à la situation d'usage. L'interaction implique une vision partagée de cette situation par les acteurs. Dans le cas d'une interaction homme-machine, seules les composantes de la situation pouvant être représentées en machine sont partageables, ce qui, par rapport à une relation inter-humaine, reste très limitée.

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Dans l'étude présentée, la situation d'interaction fait intervenir un contexte linguistique et un contexte non-linguistique constitué par l'image affichée sur l'écran, positionnée verticalement devant l'utilisateur, les représentations mentales de l'utilisateur qui motivent les intentions d'action et qui ne seront accessibles que par l'intermédiaire de leur expression linguistique, les représentations internes de la machine qui permettent l'interprétation de ces commandes linguistiques en termes d'actions.

Cette interprétation des énoncés en termes d'actions entraîne la

nécessité de combiner la dimension linguistique à des connaissances statiques sur le monde représenté et sur le monde représentant (l'image) ainsi qu'à des connaissances dynamiques sur l'activité perceptive de l'utilisateur et sur l'historique des actions. On parlera alors d'interprétation des énoncés en situation.

7. Les retours visuels

L'image est une forme de communication qui laisse en général peu de place à l'interaction, les rôles de destinateur et de destinataire ne pouvant pas s'échanger. Les logiciels graphiques vont apporter cette dimension interactive à l'image. Elle peut être créée et transformée par le fait qu'elle est constituée d'un ensemble d'unités qui rendent possibles les opérations de composition et de décomposition. Les représentations mentales à l'origine de la création d'une image se voient transcrites dans une représentation externe au sujet pensant. Cette matérialisation transforme l'expérience que le sujet a de sa pensée, il doit alors établir un accord entre ses diverses formes de représentations (mentale et matérielle). Pour cela il peut réagir par des transformations et des ajustements portant sur l'une et l'autre de ces représentations. L'interaction peut être augmentée par un partage des tâches entre utilisateur et machine, celle-ci pouvant évaluer les conditions de possibilité des actions, la cohérence de la représentation en fonction de connaissances sur le domaine, et aussi choisir ou proposer des représentations matérielles.

L'interaction peut se faire par la manipulation directe et par des

langages de commande comme dans le cas étudié ici. La forme des commandes dépend du degré de contrainte sur le langage autorisé. Plus la contrainte est forte, plus la flexibilité des formes d'expression d'une instruction est faible. Quand cette contrainte se relâche, on donne à l'utilisateur la possibilité d'exprimer la même action de plusieurs manières, en fonction du contexte spatio-temporel dont l'image qui doit être modifiée fait partie.

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Les expressions constituant le dialogue réfèrent essentiellement à

ce que veut voir l'utilisateur (anticipation de configurations graphiques à créer ou à corriger) ou bien à ce qu'il voit (identification d'objets, de propriétés, de relations ; structuration ou évaluation du perçu). Le perçu va avoir une forte influence sur la forme des énoncés, qu'il s'agisse d'identifier des objets ou de préciser des attributs (de taille, de position ...). Par exemple, une expression comme /les carrés de droite/ indique que la structuration perceptive de l'image a fait apparaître un groupement de figures localisé "à droite", constitué ou comprenant des "carrés". De même, les adverbes de degré (moins, trop, le plus, …) font référence à l'information perçue, identifient un objet par l'une de ses propriétés spatio-visuelles (/le plus grand cercle/), et précisent sa position ou sa taille (/trop à droite/, /trop grand/). L'utilisateur peut exploiter le contexte spatio-visuel pour réaliser une économie dans la production de ses énoncés en les réduisant au nécessaire. Le degré de précision de la formulation n'a rien à voir avec son degré d'ambiguïté. Il peut y avoir ambiguïté quand il y a une mauvaise adéquation de l'énoncé et du contexte visuel (parler d'un carré quand il en existe plusieurs) ou, quand il est impossible pour la machine de voir la même chose que l'utilisateur (par exemple pour localiser les "carrés de gauche").

L'affichage du résultat de l'action ordonnée permet une

évaluation qui résulte d'une interaction de l'attente perceptive (qui est une forme de planification) et de l'activité perceptive sur l'image. L'évaluation peut conduire à deux situations d'insatisfaction. La première concerne les capacités de la machine à effectuer les actions désirées qui ont été exprimées par l'énoncé. Un énoncé peut être valide (conduire à une action) mais ne pas être efficace (ne pas conduire à l'action désirée par l'utilisateur) [Faure, 94]. Dans ce cas, l'utilisateur entreprend de réparer l'erreur en annulant la dernière commande et en tentant une autre formulation de ses intentions ou bien en pratiquant des ajustements. La seconde relève d'un défaut de planification chez le concepteur qui n'a pas pris en compte l'ensemble des conséquences des actions ordonnées. L'image en lui révélant ce qu'il n'a pas prévu va déclencher un retour sur le processus de conception alors que dans le premier cas il n'y a retour que sur l'expression des intentions qui, elles, restent inchangées.

8. Du linguistique au spatio-visuel

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La langue n'est pas utilisée dans une situation de communication verbale stricte mais dans une situation où elle sert à agir sur l'image. De ce fait, les énoncés sont interprétés en termes d'actions car ils visent à réaliser graphiquement une scène compatible avec l'intention exprimée.

Pour passer de l'énoncé linguistique à une action modifiant la

scène, la machine a un problème clé qui est celui de la référence. Elle doit trouver à quel élément infographique précis réfère les expressions qui composent l'énoncé. Pour elle, interpréter une commande revient à instancier chacune des variables du triplet : < action - objet (s) - position (s) >

L'instanciation nécessite de passer du générique au spécifique et

du qualitatif au quantitatif. En effet, les expressions linguistiques dénomment souvent des classes ("arbre", "entourer", "à droite", …) alors qu'une scène graphique est constituée d'individus localisés précisément. Ceux-ci ont en particulier une forme, une taille, une position et une orientation, cf. les variables visuelles de [Bertin, 70; 77], déterminées numériquement. Si l'utilisateur formule la commande /Mets l'arbre à droite de la maison/ au cours d'une session de dialogue, la machine devra établir les correspondances entre :

/mets/ et la procédure infographique déplacer, /l'arbre/ et la forme qui est le huitième exemplaire de la classe des

arbres et qui a pour nom arbre8, /la maison/ et la forme qui est la onzième de la classe des maisons

et qui a pour nom maison11, /à droite de/ et les coordonnées d'un point qui se trouve à droite

de la forme maison11. Aux quantificateurs indéterminés tels que /des/, /plusieurs/,

/quelques/, doivent être associés des valeurs numériques précises ou bien des mécanismes incrémentaux conditionnels. Ainsi lorsque l'utilisateur indique /Des maisons bordent le côté droit de la rue/, la procédure de positionnement qui réalise l'action /border/, commence à une extrêmité du bord et positionne des maisons une à une jusqu'à ce qu'il n'y ait plus assez de place pour en ajouter une.

………

Figure 1 : Positionnement des maisons au bord de la rue.

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Le passage du linguistique au spatio-visuel nécessite également de définir précisément deux paramètres importants de la mise en image : le degré de schématisation de la scène et le référentiel spatial. En effet, selon les situations, les expressions linguistiques renvoient à divers degrés de schématisation allant de représentations proches de la perception visuelle à des représentations de type cartographique [Herskovits, 86, p.100-105]. Ainsi une rue, selon le cas, sera figurée par un simple ruban, ou bien les trottoirs seront aussi indiqués en 2D, ou encore la rue sera représentée en 3D, bordée de bâtiments. Par ailleurs, pour les relations projectives telles que /à droite/, /en haut/, le point d'observation reste implicite. Par exemple, si l'utilisateur énonce /Dessine un arbre à droite de la maison/, s'agit-il de la droite de l'objet ou de celle de l'observateur face à l'écran ? Une orientation intrinsèque peut être donnée aux objets en se fondant sur des saillances perceptives ou sur l'usage (l'avant de la maison est sa façade) ou en recourant à une décision arbitraire. L'orientation extrinsèque est fixée par rapport à la personne devant l'écran ou par rapport à un observateur figurant dans la scène ou virtuel. Dans le cas de figures géométriques ne figurant pas un monde réel, le référentiel sera toujours celui de l'observateur face à l'écran.

Les mécanismes de passage du linguistique au visuel ne sont pas

les mêmes selon que les éléments infographiques existent ou non en mémoire. La recherche d'éléments existants repose sur des mécanismes établissant des correspondances entre les expressions linguistiques composant l'énoncé et les éléments infographiques mémorisées (procédures d'action, identificateurs d'objets et coordonnées de positions). La création de nouveaux éléments demandent que les prototypes graphiques correspondant aux expressions linguistiques soient définis préalablement à leur implémentation informatique. Il est aussi nécessaire de prévoir des degrés de tolérance ou des procédures d'ajustement qui permettent de rendre compte des variations des représentations graphiques associées aux formulations linguistiques. Les études sur les expressions linguistiques de la spatialité contribuent à la définition de ces prototypes [Herskovits, 86 ; Vandeloise, 86 ; Desclés, 90, p.273-313 ; Briffault, 92 …]. Mais elles se situent à la frontière du linguistique et du cognitif et restent dans les limites de la phrase. D'autres recherches devraient être entreprises dans l'esprit de celles de [Lapré, Hudson, 87] sur le vocabulaire qu'emploient les architectes en liaison avec les éléments graphiques qu'ils manipulent en situation de conception.

9. Coopération

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La coopération comme l'aide sont caractérisées par le fait que la machine facilite la réalisation de la tâche de l'utilisateur. La coopération se différencie de l'aide par un apport de la machine qui se fonde sur l'utilisation de connaissances. De plus, ces connaissances sont mises en œuvre par des mécanismes plus élaborés que le simple appariement des éléments de l'énoncé de commande aux connaissances statiques correspondantes, ces connaissances font l'objet de raisonnements et d'actualisation en situation.

La coopération est considérée au niveau de l'application comme

un partage des tâches entre l'utilisateur et la machine qui est rendu possible par des connaissances qui leur sont communes. Le niveau de l'interaction relève aussi de la coopération dans la mesure où améliorer la communication entre utilisateur et machine facilite la tâche. Dans une situation de communication, la forme des énoncés est affectée par ce que le destinateur sait, ou croit savoir, des connaissances du destinataire. Il tiendra compte notamment des capacités du destinataire à accepter que la même intention s'exprime de plusieurs manières, ou du fait qu'il n'est pas nécessaire d'expliciter l'ensemble des informations permettant la compréhension d'un énoncé. Cette économie dans l'expression linguistique est un premier niveau de coopération entre utilisateur et machine que nous avons plus particulièrement étudié à partir des "commandes incomplètes". Elles ne contiennent pas explicitement toute l'information nécessaire à l'action mais ces informations peuvent être reconstruites automatiquement en cours de session par le système qui dispose de l'historique des commandes et de diverses connaissances. La nature et la quantité de connaissances partagées par l'utilisateur et la machine vont donc déterminer le type de coopération possible au niveau de l'exécution de la tâche mais aussi de l'interaction linguistique.

10. Interaction coopérative

La coopération peut être interne ou externe. La première est transparente pour l'utilisateur, l'autre est extériorisée dans le dialogue. On trouve dans [Bourguet, 92 ; Caelen, 92] la proposition de plusieurs stratégies de dialogue qui ont essentiellement pour but d'aider l'utilisateur à préciser des informations qui manquent à ses énoncés de commande. L'interaction coopérative, conformément à la définition que nous avons donnée, implique des mécanismes de mise à jour et d'utilisation de connaissances de la part du système. La forme de dialogue n'est que la trace de ces mécanismes profonds. On propose de catégoriser les formes d'interaction coopérative en

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fonction des types de connaissances et des mécanismes qui permettent d'y accéder ou de les construire. Dans un premier temps, quatre classes d'interactions coopératives ont été isolées et ont donné lieu à des réalisations informatiques :

1. Utilisation d'information par défaut (information de position, de

taille des objets,...). / Dessine un carré/ -> le système dessine un carré au milieu de

l'écran. 2. Construction dynamique des informations, ce qui demande des

procédures adaptées soit de type perceptif (pour trouver /les carrés à droite du cercle/), soit des mécanismes de recherche de référents (cas des anaphores ou des ellipses).

/Dessine trois carrés à droite du cercle/ / Déplace les vers le haut/ /Efface les carrés qui sont à droite du cercle/.

3. Dialogue incrémental, ce qui correspond au fait que la machine sait ce qu'elle ne sait pas et provoque des méta-dialogues où elle cherche à construire un énoncé complet à partir de questions à l'utilisateur.

/Dessine/ -> # Quel objet ?# 4. Explication : la machine sait pourquoi elle ne peut pas effectuer

une action et le signale à l'utilisateur (/il n'y a pas d'objet de ce nom/, /je n'ai pas assez de place/).

/Dessine trois carrés au milieu/ /Efface le carré du milieu/ -> # Je trouve trop d'objets à l'endroit indiqué#

Pour 1 et 2, la coopération est interne, l'utilisateur n'y est sensible

que par le fait qu'il peut se permettre de ne pas spécifier l'ensemble des paramètres nécessaires aux fonctions infographiques. Pour 3, les capacités d'inférence de la machine ne lui permettent pas de construire une commande infographique complète. La limitation des mécanismes de construction des informations manquantes n'est pas due seulement à un problème de savoir faire, il repose aussi sur des critères ergonomiques : plus le système a de l'initiative, plus il devient difficile à contrôler et à comprendre pour l'utilisateur. Il est préférable de limiter la coopération interne à des cas typiques bien cernés et de laisser s'instaurer un dialogue incrémental dans des cas plus ambigus, l'effort de réparation des mauvaises initiatives de la machine étant très coûteux et très pénible. Pour 4, la réponse de la machine ne permet pas d'avancer dans la construction d'un énoncé complet mais incite l'utilisateur à reformuler ses intentions (peut-être mal interprétées) ou à les changer en fonction de ce qu'il vient d'expérimenter. Contrairement à [Bourguet, 92], l'utilisateur ne peut pas spécifier a priori une stratégie de dialogue (réactive, directive, coopérative, négociée ou intentionnelle). Les quatre classes

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d'interaction sont simultanément actives, la machine décide, suivant ses ressources disponibles et la commande qu'elle reçoit, comment elle peut poursuivre le dialogue.

D'autres fonctionnaliés pourraient être introduites pour augmenter

l'aspect coopératif, en particulier : - la vérification de la cohérence d'une scène, du respect des

contraintes a priori, - la prédiction, qui est une forme d'actualisation des

connaissances,- la proposition de solutions qui entre en jeu quand l'énoncé est trop vague ou quand la vérification a constaté une incohérence.

11. Description vs création

La machine met en jeu des mécanismes d'interprétation différents selon qu'il s'agit de créer une nouvelle scène en modifiant celle qui est visualisée ou de décrire ce qui est vu dans la scène. Dans les énoncés des commandes, on va retrouver la composante qui correspond à un ordre de création (/Mets le cercle à droite du carré/) et celle qui relève d'une description (/Efface les cercles qui sont à droite du carré/). Dans le cas de la création, la "droite du carré" spécifie une position cible, qui devrait être inoccupée. Dans le cas d'une description, la "droite du carré" est une position qui sert à identifier les objets à effacer en les discriminant des autres figures de même type présentes sur l'écran. Dans ces deux cas, le système doit faire correspondre à l'expression linguistique un lieu sur l'écran d'affichage.

Dans /Mets le cercle à droite/ il faut choisir un point dans une zone

(ici celle de droite) pour y placer un objet. Par contre dans /Efface les cercles à droite du carré/ il faut visiter une zone pour rechercher les objets.

On s'intéresse d'abord au positionnement d'un objet. Les

commandes linguistiques acceptées par nos systèmes expriment les relations spatiales et les positions de manière qualitative (/à droite de/, /entre/, /en haut/, /border/, /entourer/ ...). Les fonctions infographiques doivent disposer de paramètres à valeurs numériques, les coordonnées entre autres, pour réaliser le placement de l'objet ou son déplacement. Ces valeurs sont attribuées lors de l'interprétation des énoncés linguistiques qui sont incomplets du point de vue de cette précision numérique. On remarque que ces énoncés sont aussi incomplets du point de vue de l'ensemble des variables de position

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qui peuvent être exprimées linguistiquement. Par exemple, placer un objet en haut pourrait être précisé en disant qu'il s'agit d'en haut à droite, d'en haut à gauche ou d'en haut au centre. L'absence de précision signale en fait une forte contrainte sur le choix du lieu ainsi désigné. C'est en tenant compte des conventions de la communication graphique (ici on se dégage du monde des plasticiens pour voir le graphique comme un langage soumis à des conventions plus ou moins explicites) que l'on peut décider d'une position unique à partir d'énoncés dont l'interprétation "logique" ne conduit qu'à des ensembles de positions s'accordant à la description du lieu (être en haut).

Les règles de présentation des langages graphiques visent à créer

un ordre maximal, toutes variations par rapport à des situations singulières impliquent que le lecteur cherchera à donner un sens à ces écarts (différences de taille, de forme ...) [Bertin 77], à y percevoir une rhétoricité [Groupe µ 92]. Ces positions singulières sont des attracteurs lors de l'interprétation des énoncés linguistiques.

La position choisie dans la zone (en haut) devra s'accorder à la

variable explicitée (être en haut) et rester neutre par rapport à des variables non explicitées (à gauche, à droite), ce qui conduit à une position singulière : en haut, ni à gauche, ni à droite. Cette position n'est en fait pas complètement définie puisqu'il reste à fixer la valeur de la coordonnée sur l'axe orthogonal à celui qui porte la singularité (en haut, mais à qu'elle distance de la limite supérieure de l'écran ?). Un choix arbitraire et l'usage éventuel d'ajustement par des commandes permet un positionnement définitif. Cet ajustement se fait dans MOUTON par des commandes de type : /plus bas/ /moins/. Pour les scènes architecturales, où les objets sont figuratifs, SCENO dispose aussi de configurations singulières pour les positionnements par défaut : contiguïté entre bords, coïncidence entre centre de gravité et sommet, et entre sommet et sommet. Les ajustements sont réalisés à travers un dialogue où la machine demande à l'utilisateur de préciser une distance entre des bords, par exemple.

Pour ce qui est de la recherche d'objets appartenant à une zone

de l'écran, la localisation de cette zone peut se faire en attachant à chaque objet et à la surface d'affichage une partition de l'espace comme l'illustre la figure 2. Cette solution, quoique facilement réalisable informatiquement, n'est pas totalement satisfaisante.

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à droiteà gauche

au dessus

en dessous

Figure 2 : Les zones à droite/ à gauche/ au-dessus/ en-dessous du cercle.

Une autre solution consiste à définir la zone à partir des objets qui

vérifient la propriété d'appartenance à la zone. C'est le cas pour l'exemple de la figure 3, emprunté à [Herskovits, 86) et celui de la figure 4 où des objets à droite de X ne le sont plus (n'appartiennent plus à la zone "à droite de X") quand les configurations spatiales des objets visibles changent. Les objets "à droite de X" sont indiqués en gras dans ces figures. On retrouve la préférence pour la position singulière attractive occupée par B pour la figure 3.b. et des effets de structuration perceptive pour la figure 4.

X

A A

BX

a b

Figure 3 : Quel est l'objet à droite de X ?

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X

X

a

b

Figure 4 : Quels sont les objets à droite de X ?

La difficulté à formaliser une localisation de zone à partir d'une

configuration d'objets amène le plus souvent à adopter la solution de zones prédéfinies comme sur la figure 2. Dans MOUTON, on introduit une différence entre placer et rechercher des objets dans une zone. Le placement se fait en définissant des positions par défaut correspondant aux situations singulières, alors que la recherche tolère que les objets soient localisés dans un voisinage de ces positions singulières.

12. Recherche des informations manquantes

On s'intéresse ici aux informations manquantes qui obligent la machine à sortir des limites d'un énoncé donné pour interpréter celui-ci. Les langues, en effet, comportent des dispositifs d'économie [Faure, Arnold, 93] qui permettent à un locuteur de référer à des fragments antérieurs d'un discours (anaphore) et de sous-entendre certaines expressions d'un énoncé (ellipse). Un autre mécanisme qui nécessite souvent de dépasser le contexte de la phrase, est celui qui consiste à remplacer le nom spécifique d'un objet par le nom commun désignant sa classe ("le carré" à la place de "carré8" par exemple).

Pour rétablir ces types d'informations manquantes la machine peut

faire appel au contexte linguistique (historique du dialogue) ou/et au contexte situationnel (état de la scène vue par l'utilisateur, historique de la session). On peut faire en sorte que la machine "regarde" la scène affichée pour vérifier la présence de l'objet, c'est le cas de MOUTON. On peut aussi donner plus d'importance au contexte linguistique en explorant l'historique du dialogue pour savoir si un objet désigné a déjà été créé sur l'écran (c'est le cas dans SCENO ou dans le système de [Giunchiglia et al., 92] qui construit des scènes de bureau). Il ne faut pourtant pas trop négliger l'aspect visuel de la situation, cette négligence conduit [Giunchiglia et al., 92] à des

Page 219: Conception et interaction

exemples d'interaction tout à fait irréaliste pour un utilisateur qui regarderait la scène en construction (comme par exemple le fait de positionner A par rapport à B alors que A existe et que B n'existe pas).

Pour préciser les interactions entre perceptif et linguistique et les

mécanismes de résolution informatiques que mettent en jeu les informations manquantes nous prendrons les cas de l'anaphore et de l'ellipse. Ces deux phénomènes linguistiques sont des manifestations de l'attention portée par le locuteur aux contextes linguistique et situationnel [Francony, 93, p.85-108]. Ces deux mécanismes linguistiques révèlent en particulier la focalisation perceptive de l'utilisateur sur un objet ou une action. Par exemple, dans /Dessine un carré - Dessine un cercle - Efface les/, le pronom anaphorique "les" indique que l'attention de l'utilisateur est toujours fixée sur les deux formes qu'il vient de faire dessiner. Dans /Trois voitures roulent dans la rue. Un piéton marche sur le trottoir de droite/, on a affaire à une anaphore reposant sur une relation de partie à tout [Sabah, 89, p.221] qui manifeste une focalisation de l'attention sur la rue dans la scène affichée à l'écran. Dans /Des maisons bordent le côté droit de la rue. A gauche il y a trois immeubles/, l'ellipse de "rue" dans la seconde phrase (à gauche de la rue) signale que la focalisation n'a pas varié et qu'elle reste centrée sur la description de la rue. Dans /Déplace le triangle à droite … encore/ l'ellipse porte sur la proposition principale /Déplace le triangle à droite/ [id., p.239]. L'adverbe "encore" montre que l'attention demeure attachée à l'action de déplacement de l'objet formulée dans la commande précédente. Dans les exemples qui viennent d'être donnés, les référents des expressions anaphoriques et sous-entendues sont établies sans problème. Cependant rien ne dit, en l'absence d'études approfondies sur les traces linguistiques de la focalisation perceptive, que l'interprétation des anaphores et des ellipses dans des dialogues opératifs soulèverait peu de difficultés. En effet, à propos d'un dialogue entre un architecte et son client, [Neilson, Lee, 94, p.521] remarquent qu'il a été malaisé de distinguer si une expression anaphorique réfère à ce qui a été dit précédemment ou bien à ce qui est en train d'être dessiné.

On notera que nous n'abordons pas la question des anaphores et

des ellipses en linguistes. Nous cherchons à relever les formes anaphoriques et elliptiques les plus spontanées dans le cadre d'un langage de commande où les actions sont définies en termes de création, déplacement, modification de taille, effacement des objets graphiques. Dans le domaine des interfaces utilisateur-machine on s'accorde généralement sur une mise en mémoire des commandes pour résoudre les anaphores, la taille mémoire se limitant en général

Page 220: Conception et interaction

à la commande précédente. Nous procédons de même pour les ellipses. Nous prendrons deux exemples empruntés à MOUTON et à SCENO pour préciser les mécanismes de recherche des informations manquantes. Dans le premier cas, l'accent est mis sur l'historique de la session, dans le second sur celui du dialogue.

Dans MOUTON, pour la désignation d'objet(s), on a choisi de court-

circuiter la recherche des référents linguistiques et de passer directement de la commande incomplète à l'objet machine, et par suite à l'objet graphique. Une séquence de création d'objets mémorise ces objets dans une mémoire temporaire. Tant que les actions porteront sur ces objets, ils resteront dans cette mémoire. Ce qui permet par exemple : /Dessine un carré - Dessine un cercle - Déplace les vers la droite - plus - encore - moins - Efface les/. La focalisation sur ces objets mémorisés est défaite dès qu'une nouvelle séquence d'actions démarrant par une création commence aprés des commandes de modification ou de suppression. La mémoire est alors actualisée et la focalisation se porte sur de nouveaux objets. Ainsi, dans /Dessine un cercle/ /Dessine un carré/ /Déplace les vers la droite/ "les" englobe le cercle et le carré, puis /Dessine un triangle/ va déclencher une mise à jour de la pile qui ne contiendra plus que le triangle.

Pour traiter l'ellipse de "rue" dans la seconde phrase de /Des

maisons bordent le côté droit de la rue. A gauche il y a trois immeubles/, SCENO fait appel à l'utilisateur en se fondant sur l'historique du dialogue, limité à la phrase précédant la phrase courante. Il lui demande si l'objet manquant dans la seconde phrase est "maison" ou "rue" qui sont les premier et second objets de la première phrase.

13. Conclusions

Nos études visent à définir des langages opératifs construits à partir d'une langue pour permettre des interactions coopératives entre un utilisateur et une machine dans une activité de conception de scènes graphiques. Le langage opératif doit refléter les éléments les plus importants de l'activité qu'il sert. La conception de scènes graphiques est essentiellement un travail sur l'espace. Il ne suffit pas de choisir un vocabulaire spécialisé sur la spatialité, il faut aussi considérer que le contexte spatio-visuel influence fortement la forme des énoncés, la succession des actions, et que la langue ne traduit pas précisément cet espace visuel. Les mécanismes d'interprétation

Page 221: Conception et interaction

en termes d'actions et les formes de dialogue entre le concepteur et la machine font aussi partie de la définition des langages opératifs.

Si la machine ne sait traiter que des positions définies par des

coordonnées, des primitives graphiques, et des actions géométriques telles que la translation et la rotation, la langue d'interaction restera pauvre et proche du langage infographique. Au contraire, si elle peut faire des inférences de nature linguistique, créer ou manipuler directement des objets complexes, effectuer de façon transparente des actions complexes, sélectionner des positions définies qualitativement, le vocabulaire et la syntaxe pourront être de plus haut niveau et la communication devenir économique en ce sens que l'utilisateur pourra se permettre de ne pas tout expliciter, la machine étant capable d'inférer les connaissances manquantes en exploitant les connaissances partagées.

Quoique le linguistique offre une très grande puissance

d'expression, on peut penser que se limiter à ce seul mode d'interaction n'est pas le meilleur choix pour agir sur une scène graphique, en particulier pour désigner n'importe quel objet ou lieu de la scène. La complémentarité du geste de pointage serait alors très utile. On compense ce manque en permettant la numérotation des objets et par suite des commandes du type /Efface 4/ et par l'utilisation de commandes d'ajustement permettant de positionner un objet n'importe où sur l'écran, mais après plusieurs commandes si cette position n'est pas singulière. On peut signaler ici que les données d'expériences de [Neilson, Lee, 94] amènent à modérer l'enthousiasme pour la complémentarité simplificatrice du geste et du linguistique. Il semble que le geste de désignation ait une certaine autonomie par rapport à ce qui est exprimé linguistiquement, par exemple : ce qui est pointé n'étant pas forcément ce dont on parle.

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Page 224: Conception et interaction

Interaction Homme-Machine : Points d’ancrage entre ergonomie et génie logiciel

Joëlle Coutaz CLIPS-IMAG, BP 53, 38041 Grenoble Cedez 9 Tel. 76 51 48 54, fax : 76 44 66 75, email : [email protected]

RESUME. La conception des systèmes interactifs telle qu’on la pratique en ergonomie et les processus de développement du génie logiciel s’effectuent le plus souvent de manière disjointe. Et lorsque la collaboration existe, la communication entre les équipes partenaires souffre de l’absence de support commun : modèles, notations et outils partagés ou compatibles font défaut. Dans cet article, nous proposons d’étudier les points d’ancrage privilégiés entre les pratiques de l’ergonomie et les méthodes du génie logiciel.

MOTS-CLES. Conception d’interfaces homme-machine, processus de développement, génie logiciel, ergonomie.

Introduction La conception des systèmes interactifs telle qu’on la pratique en

ergonomie et les processus de développement du génie logiciel s’effectuent le plus souvent de manière disjointe. Et lorsque la collaboration existe, la communication entre les équipes partenaires souffre de l’absence de support commun : modèles, notations et outils partagés ou compatibles font défaut. Dans cet article, je propose d’étudier les points d’ancrage privilégiés entre les pratiques de l’ergonomie et les méthodes du génie logiciel. Nous verrons en conclusion que l’interopérabilité et la compatibilité des notations

Page 225: Conception et interaction

conditionnent le succès de la collaboration entre ergonomes et informaticiens.

Pour les besoins de l’exposé, j’utiliserai le modèle en V qui structure

de manière simple le processus de développement des logiciels. Je montrerai comment informaticiens et ergonomes peuvent collaborer au cours des étapes du modèle en V. Mais avant cela, j’aimerais dénoncer quelques écueils et tentations.

Ecueils et tentations La technologie des IHM s’est enrichie récemment d’outils de

développement efficaces. Parmi ces outils, nous relevons les générateurs d’interfaces, tels Interface Builder et XFaceMaker, qui permettent à moindre coût de créer des maquettes d’interface. Ces maquettes sont censées faire l’objet d’évaluations avec des utilisateurs représentatifs, d’être modifiées de manière itérative jusqu’à ce que les critères d’utilisabilité soient satisfaits.

Dans les faits, les moyens financiers et le temps dédiés à

l’Assurance Utilisabilité font souvent l’objet de coupures radicales. Les évaluateurs sont les développeurs avec leur biais mais aussi leur manque de formation : connaissent-ils les critères d’utilisabilité et savent-ils définir des protocoles expérimentaux ? Le plus souvent, le développeur fait appel à sa seule intuition et, fort des capacités de son générateur, croît concevoir une interface adaptée. C’est ce que j’appelle le syndrome de l’ABS. Ce dispositif, qui évite le blocage des roues du véhicule, procure une fausse impression de sécurité. De même, les générateurs d’interface ne font pas du développeur un spécialiste en ergonomie!

La première tentation est donc d’éliminer de l’équipe de

développement les ergonomes sous prétexte que l’on dispose d’un générateur d’interface. Le second danger est de croire que l’exploration sauvage des technologies nouvelles va permettre d’améliorer les interfaces. On évoque à grand coup publicitaire les Réalités Virtuelles, les systèmes multimédias mais aussi les interfaces multimodales. Si la puissance des machines, si les progrès des systèmes de reconnaissance et de synthèse permettent aujourd’hui d’augmenter les capacités sensori-motrices et représentationnelles des systèmes, il convient aussi de s’interroger sur leur adéquation aux besoins, aux objectifs et aux caractéristiques des utilisateurs. Certes, soyons ouverts à la créativité, imaginons de nouveaux paradigmes d’interaction, mais il faut en comprendre, voire prédire, l’apport et les

Page 226: Conception et interaction

limites. Sachons apprivoiser l’invention dans un cadre de développement.

Le modèle en V Le modèle en V [McDermit et al., 84] convient au développement

de systèmes dont la finalité est bien cernée. Pour les systèmes à risque, on adoptera le modèle en spirale [Boehm, 88] qui conduit, par itérations et incréments, de l’analyse à une solution satisfaisante. Ici, nous retenons le modèle en V pour sa simplicité mais aussi pour sa ressemblance avec certaines méthodes de développement déjà ancrées en ergonomie [Dowell, Long, 89].

La figure 1 montre la structuration du processus de développement

en étapes. La pente descendante du V couvre les étapes de réification progressive du système depuis la définition des besoins jusqu’à son incarnation logicielle. Sur la pente ascendante, à chacune des étapes de réification correspond un ensemble de tests qui permettent de vérifier et/ou de valider l’étape en regard du code produit. De manière générale, les tests sont effectués en séquence une fois le codage réalisé, mais ils doivent être spécifiés en même temps que leur correspondant dans la pente descendante. Parfois, certaines vérifications ou validations sont effectuées lors de la descente, avant même le codage. Le modèle en V autorise ainsi des retours arrière limités.

L’analyse des besoins permet d’établir, en relation avec le client,

les services requis du système et les contraintes de développement. Cette activité donne lieu à un cahier des charges qui sert de document contractuel entre le maître d’œuvre et le client.

La conception du système consiste à définir une solution matérielle

et logicielle qui répond à l’analyse des besoins et aux contraintes. Cette activité produit des spécifications externes. Dans le cas qui nous intéresse, ces spécifications décrivent l’interface utilisateur du système.

La conception globale constitue l’étape préliminaire orientée vers

la mise en œuvre logicielle : nous quittons l’espace de conception de l’IHM pour pénétrer dans l’espace logiciel réservé aux informaticiens. La conception globale donne lieu à un dossier d’architecture générale.

Page 227: Conception et interaction

Conception globale

Conception détaillée

Analyse des besoins

Tests d'intégration

Tests d'acceptation

Tests unitaires

Codage

Esp

ace

Logi

ciel

Esp

ace

IHM

Conception d'IHM

Evaluation ergonomique

Modèle de l'utilisateur Modèle de la tâche

Conception Test du Système

Figure 1 : Les étapes du modèle en V et l'ancrage de l'ergonomie dans le processus de développement

La conception détaillée décrit les choix algorithmiques, précise la

signature des procédures et des fonctions, définit les structures de données les plus pertinentes et spécifie les protocoles de communication. C’est le monde privilégié de l’analyste programmeur. Ici, l’ergonome n’a plus sa place! Il n’est plus consulté alors que des décisions logicielles dirigées par des considérations techniques peuvent avoir un impact néfaste ou imprévisible sur l’utilisabilité.

Puis intervient le codage dans un langage de programmation

avant d’entreprendre les tests unitaires. Ces derniers permettent de vérifier que les composants modulaires du système répondent chacun à leurs spécifications.

Les tests d'intégration servent à vérifier que les modules réalisés

indépendamment interagissent correctement.

Page 228: Conception et interaction

Les tests du système servent à vérifier que les éléments de la

solution exprimés dans le dossier de spécifications externes sont présents. Ici, nous pénétrons à nouveau dans un espace commun à l’ergonome et au développeur.

Enfin, les tests d’acceptation permettent de vérifier que les besoins

exprimés dans le cahier des charges sont couverts. C’est le dernier contrôle avant la livraison du produit.

Les points d’ancrage Nous avons identifié quatre points d’ancrage entre l’ergonomie et

le génie logiciel : la définition des besoins fonctionnels, l’établissement du plan qualité, les tests d’évaluation de l’utilisabilité, l’établissement des spécifications externes. Nous reprenons les trois premiers points.

Besoins fonctionnels et cahier des charges.

La structure du cahier des charges répond généralement à une

norme. Par exemple, la norme AFNOR regroupe à la fois la définition et la spécification des besoins. On entend par “définition des besoins” la présentation du “contexte” et une “description générale” du problème. La spécification est une “expression détaillée” du problème. Quelle que soit la norme adoptée, il faut distinguer les besoins fonctionnels c'est-à-dire les services attendus du système informatique, des besoins non fonctionnels et notamment les qualités requises et les contraintes.

En ergonomie, les besoins fonctionnels sont identifiés via des

méthodes aujourd’hui bien documentées. A ce titre, nous relevons Diane [Barthet, 88] et Muse [Whitefield et al., 91] (analyse du domaine, études de systèmes existants, interviews, etc.). Alors que ces méthodes centrent l’analyse sur l’utilisateur et sa tâche, les informaticiens ignorent la tâche pour ne modéliser que les services que le système devra rendre. Il convient de ne pas sauter les étapes : il faut au préalable représenter explicitement l’ensemble des tâches à réaliser, puis dans un second temps, identifier celles qui devront migrer vers le système. De même, les informaticiens ignorent les critères de fréquence d’une tâche, de complexité, de relations

Page 229: Conception et interaction

temporelles, c’est-à-dire autant d’enseignements que les représentations formelles informatiques tels SADT et OMT, devraient véhiculer.

Là, nous constatons une perte d’information entre les notations

utilisées par les ergonomes et celles adoptées par les informaticiens. Nous observons aussi une différence d’appréhension du problème lorsque l’ergonome raisonne en terme de tâche alors que les méthodes avancées de modélisation en génie logiciel prône le tout-objet. Comment dans ces conditions, transférer un modèle orienté tâche en une conception logicielle dirigée par les objets ?

Le plan qualité

Le plan qualité, qui fait généralement partie du cahier des

charges, régit les tests d’évaluation de la pente ascendante du V. Il précise la qualité requise, les métriques et les moyens de mesure. McCall fut le premier à caractériser la qualité en termes de facteurs et de critères [McCall, 77]. Parmi ces facteurs, nous relevons l’utilisabilité. D’après McCall, l'utilisabilité se mesure au moyen de deux critères : la facilité d'apprentissage et l'opérabilité. Il est clair que les pratiques de l'ergonomie cognitive ne peuvent se satisfaire de propriétés aussi générales.

En ergonomie, l’évaluation de l’utilisabilité s’appuie sur des

principes comme ceux de Smith et Mosier [Mosier, Smith, 86] dont l’exploitation nécessite expertise et art du compromis. Scapin [Scapin, 90] et Nielsen [Nielsen, 89] proposent des catalogues simplifiés plus accessibles. Toutefois ces règles, qui ne sont pas formalisées, laissent la place à l’interprétation [Whitefield et al., 91]. Elles ne sont pas transférables telles quelles au non spécialiste.

Pour répondre à la généralité de McCall et à l’absence de

formalisation en ergonomie, nous avons décliné la notion d’utilisabilité en un ensemble de propriétés précises, comme l’observabilité, l’honnêteté, la redondance, l’équivalence, etc. Ces propriétés sont pertinentes à la fois pour les tests d’ergonomie et la conception logicielle [Abowd et al., 92]. Nous avons déjà démontré leur intégration dans les modèles conceptuels d’architecture tel PAC-Amodeus [Nigay, Coutaz, 93]. Ces modèles, qui concernent l’étape de conception globale du système, jouent le rôle de charnière entre la conception ergonomique et la conception logicielle. Il est donc

Page 230: Conception et interaction

important qu’ils véhiculent les “bonnes propriétés”. Nous travaillons actuellement à l’exploitation de ces propriétés en évaluation.

L’évaluation de l’utilisabilité

Comme le montre la figure 1, l’évaluation ergonomique peut se

pratiquer de manière prédictive dès la remise des spécifications externes ou bien de manière expérimentale, voire dès la spécification des besoins. Dans les deux cas, génie informatique et ergonomie peuvent utilement collaborer.

Actuellement nous cherchons à appliquer nos propriétés à

l’évaluation prédictive. Par exemple, nous dirons que le principe d’observabilité est transgressé si, dans les spécifications de l’interface utilisateur, la précondition qui régit l’exécution d’une tâche ne peut s’exprimer en termes perceptibles par l’utilisateur. Ces mêmes propriétés peuvent également servir à structurer les évaluations expérimentales dont les plans de test peuvent être structurés selon les recommandations du génie logiciel : pour chaque critère, identifier le domaine de valeurs, les performances observées, le coût. Ici, il convient de considérer les coûts conatifs (ou effort de motivation), cognitifs et affectifs que le génie logiciel passe sous silence. On trouvera dans [Balbo, 94] des recommandations sur les méthodes d’évaluation à recruter en fonction du projet, de l’étape, des ressources, etc. Nous résumons ici les points essentiels.

La figure 2 présente de manière synthétique les dimensions de

notre espace de choix. Ces dimensions représentent cinq catégories de préoccupations : les moyens humains, les ressources matérielles, les connaissances requises, les facteurs situationnels, et la nature des résultats fournis.

Ressources matérielles

Moyens humains

Facteurs situationnelsConnaissances

Résultats

Figure 2 : Choix de méthodes d'évaluation ergonomique.

Les moyens humains désignent l’ensemble des acteurs impliqués

directement ou indirectement dans l’activité d’évaluation. Nous

Page 231: Conception et interaction

distinguons trois classes d’intervenants : les sujets, les évaluateurs spécialistes et une catégorie qui regroupe tous les autres acteurs (les développeurs, les concepteurs d’interface, les clients, les agents commerciaux, etc.). Les acteurs peuvent appartenir à l’organisation chargée du développement (il s'agit alors d'acteurs locaux), ou bien sont recrutés à l’extérieur. Cette distinction a de l’importance dans l’évaluation des coûts du recrutement. Les facteurs situationnels et notamment le type de projet, l’enveloppe budgétaire et le planning conditionneront l’origine et le nombre de sujets et de spécialistes qu'il sera possible de retenir. Pour la dernière catégorie d’acteurs (c’est-à-dire les intervenants autres que les sujets et les spécialistes), il est important de s’interroger sur leur niveau de culture en matière d’assurance qualité (au sens large du génie logiciel) mais aussi sur leur attitude vis-à-vis des principes de l’ergonomie. A fortes réticences doit correspondre, nous semble-t-il, une technique d’évaluation légère!

Les ressources matérielles recouvrent tous les moyens physiques

impliqués dans l’activité d’évaluation. Nous convenons de faire la distinction entre les ressources servant d'instruments de capture et les ressources matérielles faisant l’objet d'une évaluation. Les ressources matérielles pour la capture incluent les questionnaires et interviews, les régies vidéo (éventuellement portatives) ou laboratoires spécialisés, les ordinateurs. Toutes ces ressources peuvent être caractérisées par un coût mais aussi par la portée, la nature et le niveau d’abstraction des données qu’elles permettent de recueillir. Le génie logiciel a un rôle à jouer dans la capture automatique par ordinateur. En particulier, il conviendrait que les générateurs d'interfaces de demain incluent la possibilité de produire optionnellement un code capable de capturer le comportement de l'utilisateur. Ces données comportementales mémorisées dans un fichier au format normalisé permettraient une analyse semi-automatisée via des outils dédiés (qu'il reste à développer!).

Actuellement la capture par ordinateur permet d'enregistrer des

actions physiques de type clavier-souris et au mieux la manipulation d’objets simples dans le cadre de tâches élémentaires [Hammontree et al., 92]. Lorsque la manipulation d'objet est prise en compte, seuls sont repérables les objets prédéfinis des boîtes à outils (par exemple, les menus et les boutons de Motif). En conséquence, la capture automatique ne couvre que les phénomènes de bas niveau d’abstraction et de plus, pour un niveau d'abstraction donné, présentent des ruptures de portée : les actions physiques ne sont pas toutes repérées (en particulier les métacomportements verbaux et gestuels) et les objets manipulables ne sont pas tous observés (et

Page 232: Conception et interaction

notamment les objets construits à façon au-dessus des bibliothèques graphiques). Si l’objectif est une évaluation fiable, ces limitations exigent de pratiquer des tests complémentaires. Le projet NEIMO de notre équipe vise à combler ces lacunes [Salber, Coutaz, 93].

Les connaissances requises pour mettre en application une

méthode sont de deux sortes : les premières ont trait au coût cognitif d’accès à la méthode, la seconde concerne les descriptions nécessaires en entrée au bon fonctionnement de la méthode : modèle de l’utilisateur, modèle de la tâche, spécifications externes de l’interface, définition de scénarios, etc. Considérant le coût d’accès aux méthodes, toutes les approches heuristiques nécessitent une formation en ergonomie cognitive. Si l’évaluateur dont on dispose n’a pas cette compétence, il est sans doute préférable pour la fiabilité des résultats de s’orienter vers un modèle prédictif théorique par exemple le modèle Keystroke [Card et al., 83] (sous réserve que ce niveau d’abstraction soit suffisant pour l’étude) ; ou encore appliquer les recommandations de Nielsen qui permettent de pratiquer une “ingénierie de l’utilisabilité à faible coût” [Nielsen, 89] ou s’inspirer des questionnaires structurant des “cognitive walkthrough” [Lewis et al., 90]. L’intégration du savoir heuristique dans les générateurs d’interface limiterait les effets du syndrome de l’ABS.

Les résultats qu’une méthode d’évaluation est capable de fournir

se caractérisent selon le contenu, la qualité, et le support de restitution. Le contenu s’étudie selon deux volets orthogonaux : le niveau d’abstraction des informations (niveaux tâche, syntaxique, lexical et physique) et le type d’information (par exemple, le nombre d’erreurs et degré de gravité, nombre de recommandations transgressées, temps d’exécution et d’apprentissage, degré de satisfaction de l’utilisateur, traces, etc.). Sous l’en-tête “qualité” nous regroupons des critères généraux qui dénotent la robustesse des résultats de la méthode d’évaluation : sensibilité de l’information aux hypothèses (en particulier GOMS [Card et al., 83] est sensible à l’hypothèse du comportement expert), concision de l’information qui joue sur les temps d’analyse (comme contre-exemple, citons le manque de concision des enregistrements audiovisuels), inspectabilité de l’information qui permet au spécialiste de parcourir les résultats et de comprendre les phénomènes.

Le support de restitution est aussi un ingrédient important dans la

présentation des résultats. Nous distinguerons entre la présence et l’absence de support automatisé. Aujourd’hui, la plupart des outils informatisés assurent l’inspectabilité du recueil des données comportementales mais vont rarement au-delà de la détection

Page 233: Conception et interaction

automatique des problèmes. De plus, les problèmes détectés relèvent des niveaux d’abstraction les plus bas et s’appuient uniquement sur des informations quantitatives objectives. Le génie logiciel a là encore un rôle à jouer pour fournir les bons outils d’aide à l’analyse.

Conclusion En ergonomie comme en génie logiciel, il existe des pratiques, des

modèles, des méthodes et des notations qui correspondent à des besoins bien ciblés. Il convient donc de les respecter. Mais il convient aussi de dénoncer l’absence d’ouverture et d’identifier les points de rencontre. C’est l’objet de cet article. Une fois les points d’ancrage définis, il faut définir les moyens de communiquer. Les notations, qui servent de véhicule pour la pensée, sont toutes indiquées. Mais si l’on veut conserver les besoins d’expression et les pratiques de chaque discipline, ces notations doivent être compatibles, c’est-à-dire compréhensibles et transférables sans perte d’information : un cahier des charges intéressant pour une recherche pluridisciplinaire.

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Page 235: Conception et interaction

La documentation: une partie de l'activité de conception.

Catherine Deleuze-Dordron, André Bisseret & Jean-François Rouet

INRIA Rhône-Alpes 46 avenue F. Viallet F-38000 Grenoble e-mail: [email protected]

Résumé : Nous décrivons une étude de cas sur l'évaluation de la documentation dans les activités de conception avec réutilisation. Cette étude est intégrée dans le test d'un prototype d'environnement d'aide à la conception. Nos observations indiquent que la conception avec réutilisation fait appel à trois types de connaissances: du domaine d'application, des applications sources (d'où sont issus les composants réutilisables) et des connaissances de la méthodologie de réutilisation en général. De plus les outils de documentation intégrés à l'environnement sont beaucoup utilisés durant la conception. Les analyses de contenu de la documentation produite et les interviews d'experts mettent en avant le besoin de faire correspondre la forme de ces outils et les stratégies réelles des concepteurs. Nous suggérons quelques implications pour l'ergonomie des environnements d'aide à la conception.

Mots-clés : psychologie cognitive, conception avec réutilisation, facteurs humains, planification opportuniste; composants logiciels, documentation.

1. Introduction

Toute activité de conception implique l'utilisation et la production de documentation. L'architecte, l'ingénieur, le concepteur de logiciel utilisent des systèmes documentaires complexes. Dans le domaine de la conception de logiciel, le problème de la documentation tend à devenir central à mesure que se développent des méthodologies basées sur le travail coopératif et la réutilisation de composants existants. En particulier, le problème est de définir des environnements

Page 236: Conception et interaction

(bibliothèques, jeux d'outils...) permettant l'extraction, l'archivage puis la récupération et éventuellement l'adaptation des composants logiciels. Dans de tels environnements la description précise et effective des composants (interface, fonctionnalités, propriétés, etc.) est un élément clé de leur réutilisabilité.

L'objectif de notre étude est d'aborder les problèmes ergonomiques

et cognitifs relatifs à la production et l'utilisation de documentation "interne", c'est à dire l'ensemble des informations qui accompagnent la conception et la réutilisation de composants logiciels. Si la psychologie de la programmation a fait l'objet de nombreux travaux (voir p.ex. Detienne, 1989a), les données concernant la documentation sont à l'heure actuelle beaucoup plus rares. Il n'existe donc pas de modèle général qui permettrait de répondre aux questions de type: Quel est le rôle de la documentation dans le processus de conception? Quels types de documents sont néces-saires et à quelles étapes du processus?

Conception de logiciel et documentation. Comme pour les autres

tâches de conception, les problèmes de conception de logiciel sont mal définis et il peut exister pour un problème donné plusieurs solutions acceptables [Bisseret, 1987]. On admet que la conception de logiciel est caractérisée par une planification opportuniste, selon laquelle le concepteur est amené à réviser une stratégie initiale (ou "plan") en fonction d'événements contextuels et parfois fortuits [Guindon, 1990 ; Visser, 1987 ; Visser & Hoc, 1990]. Des auteurs ont montré que si les concepteurs experts utilisaient des stratégies des-cendantes (top-down) là où celles des novices étaient ascendantes (bottom-up), dès que le problème à résoudre devenait complexe les experts mettaient en oeuvre des stratégies ascendantes [Hoc, 1988].

Les caractères faiblement structuré et opportuniste de la démarche

incitent le concepteur à conserver des traces de son raisonnement sous forme de notes, de représentations graphiques, de schémas, etc. A ce besoin de documentation "pour soi" s'ajoute la nécessité de communiquer les solutions élaborées sous forme intelligible, et donc de documenter le logiciel en vue de son archivage et de sa réutilisation.

Il n'existe pas de système de normalisation de documentation

adopté par la communauté des concepteurs de logiciel. On trouve des systèmes de normes internes à des équipes locales, et dont seuls les membres sont familiers (sans pour autant les mettre toujours en pratique). Un problème commun à ces systèmes est que ces derniers

Page 237: Conception et interaction

ne reposent sur aucune analyse ergonomique des besoins réels des concepteurs et sont donc entachés d'un certain arbitraire.

Notre hypothèse de travail est qu'un système de normalisation doit

reposer sur une étude approfondie de l'activité concernée, en par-ticulier dans ses aspects cognitifs et ergonomiques. Avant d'envisager d'établir des normes de documentation, il faut donc étudier la façon dont les concepteurs experts produisent et utilisent de la do-cumentation au cours de leur activité et identifier les besoins et les contraintes sous-jacents.

2. Présentation générale de l'étude et méthode

Dans le cadre du projet Européen Esprit-SCALE (System Composition And Large Grain Component Reuse Support), nous avons collaboré à un projet de définition d'un environnement de conception avec réutilisation de micro-composants (environnement HoodNICE - ReuseNICE développé par Intecs Sistemi Spa) [D'Alessandro & al. 1993 ; 1994a ; 1994b]. Plus exactement il s'agit d'un jeu de deux environnements intégrés. HoodNICE supporte la conception de l'architecture et l'implémentation de systèmes logiciels avec plusieurs langages de programmation (C, C++, ADA, etc.). Il repose sur une méthodologie de conception hiérarchique (Hierarchical Object Oriented Design) [HOOD Technical Group, 1993]. HOOD est une méthode de conception descendante. Un système logiciel est composé d'un ensemble d'objets organisés hiérarchiquement. Sa conception est définie comme une succession d'étapes dans lesquelles un objet-parent est décomposé en plusieurs objets-fils. Les objets-fils fournissent collectivement la même fonctionnalité que le parent. L'environnement ReuseNICE est constitué d'une bibliothèque de composants logiciels réutilisables (CR) et d'un jeu d'outils permettant l'extraction, l'adaptation et la documentation de ces CR. La conception de nouveaux systèmes logiciels à partir de composants extraits de la bibliothèque s'appuie sur la méthode HOOD.

L’environnement est également équipé d’un outil de documenta-

tion (Reuse Notebook). Cet outil comporte trois champs d’information (textes libres) associés aux CR :

- La justification du choix d'inclure un CR dans une application ("Why included?"). Ce premier champ concerne chaque composant réutilisé comme une partie de la conception d'un nouveau composant-parent (champ local). Il permet au concepteur de noter pour quelles raisons il a décidé de réutiliser ce composant.

Page 238: Conception et interaction

- Le planning de réutilisation ("Reuse planning"). Ce second champ

concerne le composant-parent dans son ensemble. Il permet au concepteur de noter quel plan il prévoit dans le processus de réutilisation pour concevoir le composant-parent (modifications envisagées, etc.).

- Le statut du composant. Ce champ définit si le composant est

potentiellement réutilisable ou s'il a été effectivement réutilisé. Ce champ contient de l'information en langage naturel mais n'est pas sous contrôle de l'utilisateur dans la mesure où l'information est mise à jour automatiquement.

Au moment de notre étude un premier prototype était opérationnel

et en cours de test sur la base d'une série d'applications. Une première bibliothèque de composants avait été constituée à partir d'une application-source (dans le domaine des systèmes exécutifs temps réel -Hard Real Time Executive HRTE) et devait être utilisée pour développer une nouvelle application dans le même domaine (application-cible). L'ensemble de l'activité impliquait un groupe d'experts de l'environnement (groupe de support) et un groupe d'experts du domaine d'application.

Cette situation est intéressante pour notre problématique car elle permet d'étudier conjointement comment différents experts se re-présentent l'activité de conception-réutilisation, l'activité effective de l'équipe d'application et la production de documents au cours de cette activité (quels types de documents sont produits et à quel moment).

Notre étude a d'abord consisté à rassembler différents types de

données : - Observation d'une session de conception-réutilisation avec

enregistrement des dialogues et recueil d'incidents critiques; - Interviews auprès des experts (groupes de support et d'appli-

cation). Ces interviews ont été menés au début, au cours et à la fin du développement de l’application-cible.

- Compilation de documents techniques concernant l’environ-nement (description des outils et de la méthode ; manuel utilisateur) ainsi que les traces de l'activité des concepteurs (copies d' écrans du système de réutilisation). Nous avons ensuite procédé à une analyse de contenu de ces

différentes sources, afin de dégager les principales caractéristiques de l'activité concernée et les éventuels problèmes.

Page 239: Conception et interaction

3. Principaux résultats

Nous présentons dans une première section deux représentations de l'activité de réutilisation correspondant à des points de vues dis-tincts, puis en section 2 une analyse des expertises qui interviennent dans la conception avec réutilisation. Enfin, dans la section 3, nous nous attachons à l'utilisation d'outils de documentation comme une partie de l'activité de conception avec réutilisation.

(Pour une présentation plus détaillée, voir [Détienne, Rouet, Burkhardt, Chatel & Deleuze-Dordron, 1994 ; Rouet & Deleuze-Dordron, 1994].)

3.1. Représentations prescriptives et fonctionnelles de l’activité de réutilisation

La comparaison des interviews d'experts et l'observation de l'activité des opérateurs nous a permis de mettre en évidence deux types de représentations de l'activité de réutilisation.

Pour le concepteur de l'environnement la démarche de concep-tion avec réutilisation est hiérarchique descendante, et représente essentiellement un aménagement de la démarche "normale" de conception.

Pour l'utilisateur de l'environnement la démarche n'est pas stricte-ment descendante. Si elle implique bien une stratégie initiale des-cendante, elle donne lieu à de nombreux épisodes opportunistes au cours desquels l'utilisateur "saute" plusieurs paliers de décomposition du problème, ou bien révise des choix de conception sur-ordonnés. Par exemple la consultation d'une partie du code peut précéder le choix de réutiliser un composant de haut niveau. Nos observations font apparaître au cours de l'activité de conception avec réutilisation des stratégies opportunistes (p. ex., un expert du groupe application utilise une information de bas niveau pour prendre une décision de réutilisation de haut niveau). Et ceci en dépit du fait que l’environnement de réutilisation oriente l’utilisateur vers des stratégies descendantes.

On voit donc qu'il existe plusieurs représentations ; elles peuvent être à l'origine de problèmes dans l'ergonomie d'environnements d'aide à la conception.

3.2. Intervention de connaissances contextuelles en réutilisation

On différencie deux principales phases d'activités au cours de l'utilisation d'un tel environnement : une phase consiste à construire la bibliothèque, une autre à utiliser la bibliothèque (c'est à dire identifier et sélectionner les CR et adapter les CR à la nouvelle application). Par définition l'utilisation d'une bibliothèque de CR devrait éviter au

Page 240: Conception et interaction

concepteur de revenir aux applications antérieurement dévelop-pées. L'information attachée au composant doit suffire à identifier ses caractéristiques, et donc permettre de décider s'il peut être réutilisé. Or nos observations ont montré que des connaissances contextuelles (relatives aux applications-sources) étaient bien mises en oeuvre y compris lors de l'utilisation d'un bibliothèque de CR.

3.2.1 . Constitution de la bibliothèque.

Pour construire la bibliothèque, il faut sélectionner des composants à partir d'une application-source et les mettre en forme avant de les inclure dans la bibliothèque. Certaines de nos observations, indiquent que l'activité consistant à identifier les composants-candidats fait appel à trois types d'expertise:

– d'une part des connaissances dans le domaine de l'application source (quelles sont les fonctionnalités qui seront utiles à d'autres applications ?),

- d'autre part des connaissances de l'application source elle-même (quelles sont les particularités d'implémentation des fonc-tionnalités réutilisables ?).

– Enfin le concepteur doit être un expert dans les stratégies de réutilisation. (par ex., quel est le niveau d'abstraction optimal pour constituer un CR ?). Des décisions de ce type sont basées sur des règles qui ne sont pas totalement explicites dans les modèles de réutilisation proposés. Dans certains cas, la sélection de CR peut être intuitive ou arbitraire [Krueger, 1989].

3.2.2. Utilisation de la bibliothèque.

Lors de l'utilisation de la bibliothèque, nous avons également ob-servé que :

(a) La sélection des CR dans la bibliothèque est guidée par – des connaissances précises du domaine d’application

(caractéristiques de HRTE en général: similarité et différences avec d'autres applications du même domaine), mais aussi et surtout

– des connaissances de l'application-source (caractéristiques spécifiques du HRTE ayant servi à constituer la bibliothèque). Dans l'environnement étudié une seule application a servi pour constituer la bibliothèque. Les concepteurs sont impliqués tout au long du projet de conception avec réutilisation. Ils ont travaillé sur le dé-veloppement de l'application-source et de l'application-cible. Ils ont été impliqués dans l'extraction des CR. Dans ces conditions les concepteurs sont non seulement des experts du domaine mais ils ont aussi des connaissances sur le contenu de la bibliothèque de composants. Il est probable que des utilisateurs moins avertis (n'ayant pas de connaissances préalables de l'application-source)

Page 241: Conception et interaction

auraient besoin d'être guidés pour identifier et sélectionner des CR dans l'environnement actuel. Nous avons observé que les experts du groupe application ont utilisé lors de la première session de conception avec réutilisation de la documentation papier concernant l'application-source. C'est une indication de l'importance des connaissances de l'application-source dans le processus de conception avec réutilisation. Cela suggère aussi que la bibliothèque de CR n'inclut pas toutes les informations né-cessaires. (b) La méthode prescrite et les outils sont difficiles à mettre en

oeuvre. Nos observations nous conduisent à dire que ces opérations ne sont pas un aspect trivial de l'activité. Concrètement, pendant la première session de conception avec réutilisation, des difficultés sont apparues dans la manipulation de l'interface du système. Le groupe d'application a eu besoin d'assistance pour localiser et utiliser les fonctionnalités des outils. De même, nous avons noté des tentatives pour effectuer des opérations illégales ou inapropriées. Ceci suggère une inadéquation du "modèle d'activité" implémenté dans le jeu d'outils. (Nous avons aussi relevé des discussions entre le groupe d'application et de support sur la démarche à suivre. ) Enfin, le "Reuse Notebook" a été difficilement utilisé spontanément par les concepteurs qui prenaient, à la place, des notes sur papiers.

Il est important de noter que la session d'utilisation observée était la

toute première. Une partie des difficultés observées auraient pu être évitées par un effort de formation. Néanmoins, le fait que les experts du groupe application sollicitent l'aide de l'expert du groupe support indique que (a) connaître un jeu d'outils est important pour mettre en oeuvre avec succès un modèle de réutilisation et (b) une telle expertise n'est pas facilement disponible, bien que les utilisateurs soient des concepteurs experts.

3.3. Production d'information en langage naturel en conception-réutilisation

Deux types de données ont été utilisées : d'une part, nous avons effectué une analyse de contenu des documents produits comme une partie de la conception ; d'autre part, nous avons demandé à deux experts de commenter un échantillon de ces documents.

Analyse de contenu : l'analyse des "Reuse Notebook" a fait ap-

paraître que les attributs locaux sont peu utilisés et lorsqu'ils le sont, les informations consignées sont triviales, par exemple "(le composant réutilisé) fournit des fonctionalités qui doivent être implémentées dans le système à concevoir". Les attributs globaux sont utilisés pour

Page 242: Conception et interaction

consigner des informations de types différents. Certains énoncés reflè-tent une activité de planification effective, par exemple "avant de réutiliser l'objet x, il doit être adapté au nouvel environnement". Les énoncés analysés concernent aussi bien les composants-fils que le composant-parent. Ceci indique que des besoins d'information sur la planification apparaissent aux deux niveaux : global et local.

Interviews d'experts : Nous avons conduit deux interviews en paral-

lèle avec un expert du groupe support et un expert du groupe ap-plication. Nous avons utilisé la méthode des interviews semi-directifs. A partir des copies d'écran de fenêtres de documentation, nous avons construit une grille de questions semi-ouvertes.

L'expert du groupe support fournit des explications sur l'actuelle conception des outils de documentation basées sur la méthode de conception implémentée dans le jeu d'outils. L'expert du groupe application, lui, relate les difficultés rencontrées au cours de son ac-tivité. Par exemple, la nécessité d'avoir un champ de "reuse planning" attaché aux objets locaux aussi bien que globaux ; le besoin d'un champ de texte pour consigner les décisions finales. Son utilisation, pour archiver ces informations, d'un outil externe à l'environnement de réutilisation est justifiée par l'absence d'un tel outil dans l'environnement.

4. Discussion

Cette étude de cas a illustré plusieurs caractéristiques importantes de l'activité de conception avec réutilisation.

Que les concepteurs"-réutilisateurs" doivent être des experts dans le domaine d'application n'est évidemment pas une surprise.

Cependant nos observations indiquent que cette expertise s'ac-compagne de deux autres types de connaissances : une connais-sance de l'application-source d'où sont issus les composants d'une bibliothèque ainsi qu'une connaissance des règles et heuristiques sur quand et comment réutiliser les composants. le problème va s'agraver à mesure que la bibliothèque va se développer et recevoir des composants issus des nouvelles applications. En effet, l'environnement est conçu de sorte à ce que chaque nouvelle ap-plication développée alimente la bibliothèque en composants.

Nos observations sur les outils de documentation ont montré que les

concepteurs"-réutilisateurs" ont besoin de consigner des informations en langage naturel sur le processus de conception. La prise de note s'effectue à tous les niveaux dans l'architecture de l'application.

Page 243: Conception et interaction

Un autre point est qu'il s'avère important de fournir au niveau de l'interface d'un outil de documentation les labels appropriés pour les champs de textes libres. Les utilisateurs de l'outil ont eu besoin de noter certains types d'information. Cependant ils n'ont pas trouvé les champs correspondants. En revanche ils ont essayé de répondre aux "directives" suggérées par les noms des champs. Ce qui a été difficile voire parfois impossible. Par conséquent, les utilisateurs ont sous-utilisé les outils de documentation et ont cherché à l'extérieur d'autres champs pour consigner les types d'informations qui n'étaient pas explicitement supportés par l'environnement.

Sur la base de ces observations nous avons suggéré de remplacer les deux champs de documentation de réutilisation ("reuse do-cumentation") par un champ local de prise de notes ("local reuse logbook") pour chaque objet de bas niveau et un champ global de prise de notes ("global reuse logbook") pour l'objet-parent.

Enfin nos observations confirment qu’il est pertinent de construire

des environnements d'aide à la conception permettant de supporter des stratégies opportunistes chez les concepteurs. Il n'est pas trivial selon nous de souligner à nouveau ce point. En effet, la prescription d'une méthode a sûrement un effet positif dans le domaine de la formation. Cependant, lorsqu'il s'agit de fournir un outil à un concepteur pour l'aider dans sa tâche, cet outil doit pouvoir suppor-ter l'activité du concepteur plutôt que de la contraindre. Si l’utilisateur n’est pas familier avec la méthode utilisée ou si les étapes imposées par l’outil ne correspondent pas à la démarche du programmeur, il devra changer ses habitudes de développement et s’adapter à l’outil.

L'environnement que nous avons étudié est orienté par une mé-thode de conception descendante [D'Alessandro & Détienne, 1994b]. Néanmoins, il supporte maintenant, de par les fonctionnalités qu'il fournit, des déviations opportunistes. En effet, si le concepteur dévie des règles définies par la méthode, l'environnement autorise des inconsistances temporaires. C'est en phase finale de conception qu'une vérification de consistance (entre le produit final et la dé-finition HOOD d'un produit final) est effectuée. D'autre part, le concepteur a la possibilité lorsqu'il est engagé dans un niveau de décomposition donné d'accéder à un niveau inférieur (p. ex., un composant-fils dans la bibliothèque). De cette sorte il peut aban-donner momentanément un niveau de décomposition en cours pour se focaliser à un niveau de détail d'un sous-problème et revenir ensuite au niveau précédent. En résumé, la démarche de l'environ-nement étudié consiste à séparer le plus possible le résultat final de la conception (système structuré) de la façon de le concevoir

Page 244: Conception et interaction

(possibilité de déviations opportunistes dans une démarche hiérar-chique).

5. Perspectives

Nous poursuivons ces travaux par une étude expérimentale de la compréhension et l'utilisation de composants, documentés de dif-férentes façons. En particulier on cherche à savoir quels types d'in-formations sont réellement utiles au concepteur"-réutilisateur".

Une hypothèse intéressante est qu'une trace du raisonnement suivi

lors de la conception pourrait compléter utilement la description des caractéristiques de l'objet final. Cette hypothèse est aussi à la base d'un modèle prescriptif en matière de documentation. Selon Pierra [1991] si le lecteur d'un composant logiciel veut comprendre ce composant, il devra repasser par les mêmes étapes que celles qui ont été nécessaires à la conception du composant (p. ex., les assertions intermédiaires de preuves à l'intérieur d'un algorithme). Cet auteur suggère donc de garder sous forme de documentation, et ce pour la dernière solution adoptée, la représentation des étapes d'analyse intermédiaires. En d'autres termes, il faut conserver la trace du raisonnement du concepteur.

Une hypothèse équivalente est discutée par Letosky & Soloway

[1986]. Selon le modèle de Letovsky, comprendre un programme revient à identifier les buts (goals) du programme et les plans (c'est à dire les techniques de réalisation des buts) qui y sont représentés. Les auteurs distinguent la notion de plan de celle d'algorithme. Un plan peut être distribué dans le programme ("plan délocalisé") c'est à dire que des "modules" associés fonctionnellement sont éloignés dans le programme. Une expérimentation a permis d'illustrer cette hypothèse en montrant que les difficultés de compréhension sont parfois liées à une prise d'information trop locale. Pour ces auteurs la documentation doit donner des informations sur les plans en cours d’exécution par opposition à des informations sur l'état des entités. Ici encore, les auteurs suggèrent que comprendre un programme c'est retrouver le raisonnement de conception.

En effet, selon Soloway [Soloway, 1982 ; Soloway et Erhich, 1984], rai-

sonner en matière de conception, c'est, entres autres, planifier une solution au problème à résoudre (décomposer la solution en buts et organiser la façon d'atteindre ces buts (plans)). Pour cela, le concepteur fait appel à des schémas préexistants et les instancie par rapport à la situation en cours. Ces schémas concernent deux

Page 245: Conception et interaction

domaines de connaissances: le domaine du problème (des connaissances spécifiques au domaine) et le domaine de pro-grammation (des connaissances générales de programmation). L'activité de conception consiste à établir des liens entre les deux domaines. Cette théorie permet de modéliser les connaissances en jeu dans l'activité de conception, cependant elle n'explique pas comment le concepteur établit le lien entre ces deux domaines de connaissances pour produire une solution adaptée [Détienne, 1989] c'est à dire qu'elle ne définit pas précisément les modalités du rai-sonnement de conception.

Nous avons ici deux approches qui toutes les deux suggèrent de

fournir sous forme de documentation des informations relatives au raisonnement de conception. En revanche chacune définit un ni-veau différent de raisonnement : un niveau local (qui concerne l'al-gorithme) pour Pierra et un niveau global (qui concerne le plan d'exécution) pour Soloway & al.

Il reste encore nécessaire d'expliciter les modalités du raisonnement

de conception dans un modèle qui rende compte à la fois des connaissances manipulées et de la façon dont ces connaissances sont reliées entre elles et utilisées pour construire à partir de repré-sentations stables (schémas ou connaissances abstraites, en mémoire à long terme) des représentations transitoires (plans ou repré-sentations des solutions élaborées en mémoire de travail) [Détienne, 1990a]. Ce modèle devra aussi rendre compte des différents niveaux du raisonnement (local ou global). Cette démarche de modélisation est selon nous importante pour définir plus précisément quelles doivent être les traces du raisonnement de conception utiles à la compréhension d'un programme.

Une autre question est de savoir quelles sont les informations dont le

concepteur"-reutilisateur" a besoin pour prendre une décision de réutilisation (et intégrer le composant dans une nouvelle application) et sous quelles formes les lui présenter (p. ex., partie publique ou interface d'un composant logiciel, documentation des composants).

A notre connaissance, il n'y a pas à ce jour de système vraiment performant. Pour cela, il faudrait d'abord définir clairement un mo-dèle du processus de conception avec réutilisation. Dans un tel modèle il faut tenir compte non seulement des connaissances que possède l'expert et qu'il a potentiellement à sa disposition mais aussi des contraintes et des limites qui pèsent sur son activité. Lorsqu'il effectue une tâche de conception avec réutilisation, un expert se trouve dans un contexte caractérisé par des facteurs internes (p. ex., les connaissances de l'expert) et externes (p. ex., les outils dont il

Page 246: Conception et interaction

dispose). Dans ce contexte spécifique il construit une représentation de la tâche qui correspond à la façon dont il se représente l'activité de conception avec réutilisation et qui supporte la mise en oeuvre de ses stratégies de conception. Cette représentation est influencée par:

(a) la méthode de conception prescrite, (b) ses connaissances générales en programmation, sur les ap-

plications et sur l'environnement de conception, (c) les contraintes liées à la tâche (telle qu'elle est planifiée) et à la

situation (l'environnement de conception). Ce niveau tient compte des spécifications sur l'application à concevoir connues de l'expert.

Enfin, une autre contrainte qui intervient dans le choix des stratégies

de l'expert est liée à la mémoire de travail. En d'autres termes, toutes les connaissances potentielles de l'expert ne sont pas disponibles au moment où il exécute sa tâche. Ce qui revient à dire qu'il faut faire une différence entre les connaissances potentielles dont dispose l'expert et celles qui sont effectivement disponibles à un moment donné de l'activité. Un environnement adapté devrait être en mesure de mettre à la disposition de l'expert les connaissances auxquelles il n'a pas accès spontanément pendant l'exécution de sa tâche.

Il serait utile de définir à quels niveaux se situent les informations

dont l'expert a besoin dans la prise de décision de réutilisation. Si nous insistons sur l'importance de modéliser la tâche de conception, c'est que selon nous, le processus de documentation doit être défini en interaction avec un modèle de tâche. L'objectif d'un système de documentation intégré dans un environnement d'aide à la conception avec réutilisation est de fournir au concepteur"-réutilisa-teur" les bonnes informations au bon moment. Cela suppose donc de posséder un modèle adéquat du processus de conception.

L'étude que nous venons de présenter est un premier pas vers une

modélisation du processus de documentation à l'intérieur de l'activité de conception. Dès que cela était possible nous avons dégagé de nos observations des implications pour l'ergonomie des environ-nements interactifs. Cependant d'autres études sont nécessaires pour donner des recommandations générales relatives à un support effectif des activités de conception.

Remerciements

Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme européen Esprit-SCALE. Elle a également bénéficié des moyens de l'INRIA (UR Rhône-Alpes). Les auteurs remercient les concepteurs de la société Intecs sistemi (Pise, Italie) pour leur participation.

Page 247: Conception et interaction

Bibliographie

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Page 249: Conception et interaction

L’activité coopérative en conception technique Quelques règles

Patrick Girard, Jean-Claude Potier LISI / ENSMA B.P. 109 86960 FUTUROSCOPE CEDEX [email protected]

RESUME. La conception technique est un domaine complexe, faisant intervenir une multitude d’experts aux besoins et aux langages différents. De par sa nature, elle semble constituer un champ d’étude privilégié pour le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur qui, jusqu’à présent, se cantonne aux applications d’éditions coopératives ou de conférences assistées. Nous montrons dans ce travail que les diverses dimensions du travail coopératif sont concernées par les collecticiels de conception technique. A l’issue de cette réflexion, nous proposons trois règles pour la conception des collecticiels de conception technique, prenant en particulier en compte la place prépondérante du modèle technique.

MOTS-CLES. Conception Technique, Conception Assistée par Ordinateur (CAO) Travail Coopératif Assisté par Ordinateur (TCAO ou CSCW), Collecticiel.

1. Introduction

Page 250: Conception et interaction

Le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur (TCAO49) est un domaine de recherche et développement en pleine expansion. Né des progrès effectués durant les années 80, tant au plan matériel (ordinateurs personnels, réseaux, ...) qu’au plan logiciel (logiciels interactifs graphiques), il se situe au carrefour de nombreuses disciplines, allant de l’étude des aspects sociaux et comportementaux des participants à un travail de groupe (Sciences Humaines) aux aspects systèmes et réseaux de l’Informatique, en passant par les Interfaces Homme-Machine. Ses principaux domaines d’application actuels tournent autour de la coordination (organisation du travail, organisation de réunions, ...) et l’édition partagée.

La conception, et plus particulièrement la conception technique, bien que mentionnée parmi les thèmes possibles des collecticiels50 (logiciels coopératifs) par de nombreux auteurs [Grudin, 1994], demeure encore pratiquement inexplorée.

L’objectif de notre travail est de recenser les besoins spécifiques en

termes de travail coopératif requis par les applications de conception technique, et, à partir de leurs spécificités, d’établir quelques règles pour la conception de collecticiels dans ce domaine. Pour cela, quatre sections seront distinguées.

Dans la section 2 nous donnerons des définitions plus précises des termes utilisés dans le TCAO, et survolerons les domaines d’application et les raisons du non-développement de ce type d’applications.

Dans la section 3, nous présenterons le domaine de la conception technique, et approfondirons la notion centrale de modèle technique.

Puis, la section 4 nous permettra de recenser les besoins en matière de coopération au sein des activités de conception technique, en développant particulièrement les aspects spécifiques à la démarche de conception.

Enfin, nous établirons dans la section 5 trois règles générales concernant le TCAO en conception technique, susceptibles de servir de guide pour la réalisation d’applications coopératives dans ce domaine.

49 CSCW en anglais, pour Computer-Supported Cooperative Work.

50 Groupware en anglais. De préférence à synergiciel, nous adopterons le terme collecticiel, qui semble avoir recueilli les suffrages de la communauté française travaillant sur le sujet.

Page 251: Conception et interaction

2. Le travail coopératif assisté par ordinateur

Dans le courant des années 70, de nombreuses recherches portèrent sur “l’office automation”, expression difficilement traduisible, qui recouvre l’assistance aux groupes dans leurs problèmes d’organisation du travail, et qui a conduit, dans une démarche allant de l’organisation au système informatique, aux systèmes d’aide à la décision de groupe51 [Grudin, 1994]. L’avènement des ordinateurs personnels, mais aussi et surtout des réseaux locaux, a entraîné une démarche inverse, allant de l’application mono-utilisateur vers le groupe. A la rencontre de ces deux approches, est né le TCAO, dont nous donnons un aperçu plus précis ci-dessous.

2.1. Principales définitions

Plusieurs définitions du TCAO et du collecticiel se sont faites jours depuis 1984. Nous retiendrons ici une définition traduite du numéro spécial de IEEE COMPUTER de Mai 1994 [Palmer, Fields, 1994], que l’on peut écrire ainsi :

“Le TCAO concerne les systèmes qui intègrent le traitement de l’information et les activités de communication dans le dessein d’aider les utilisateurs à travailler ensemble au sein d’un groupe”52

Nous reprendrons plus particulièrement trois notions qui nous apparaissent fondamentales, la notion de groupe, la notion de communication, et celle de coordination [Kling, 1991].

2.1.1. La notion de groupe

La première notion que l’on rencontre dans toute définition du TCAO comme des collecticiels est celle du groupe. Prise dans son acception la plus large, la notion de groupe peut amener à considérer un service de gestion de fichiers, ou un système de gestion de bases de données, comme appartenant de plein droit au domaine du TCAO, puisque permettant à un groupe de travailler.

Il semble de plus en plus admis que la limite entre application multi-utilisateurs et collecticiel se situe autour de la notion de conscience de groupe53. Pour être qualifiée de collecticiel, une application doit permettre à ses utilisateurs d’avoir une certaine conscience de la présence du groupe, et, ce qui en découle logiquement, gérer au

51 GDSS en anglais, pour Group Decision-Support Systems 52 “A system that integrates information processing and communications

activities to help individuals work together as a group” 53 “group awareness” en anglais

Page 252: Conception et interaction

moins partiellement la communication entre les différents membres du groupe, appelés participants.

Une typologie des groupes [Palmer, Fields, 1994] peut être appliquée, identifiant les groupes fortement ou faiblement couplés (habitués ou non à travailler ensemble), et les groupes homogènes ou non (ayant la même expérience, le même langage, concernant le problème que le groupe cherche à résoudre).

2.1.2. La notion de communication

La conscience de groupe conduit naturellement à la notion de communication. Deux aspects de cette communication sont particulièrement importants en TCAO : la dimension spatiale, avec en particulier la distance séparant les participants, et la dimension temporelle, dans laquelle s’exerce la communication.

Pour des raisons essentiellement technologiques, les problèmes posés par l’éloignement des participants (ajout de liaisons audio-vidéo, utilisation de réseaux à hauts débits, ...) sont loin d’être négligeables. Le facteur temporel, quant à lui, est plus lourd de conséquences sur le fonctionnement même des collecticiels. Lorsque les messages sont échangés au cours d’une même session interactive, des problèmes de conflits de tous ordres se posent. Il s’agit alors du mode synchrone. En revanche, la communication différée (mode asynchrone) permet de limiter ces mêmes conflits, tout en générant de nouveaux problèmes de sécurité et d’intégrité par exemple.

Ces deux critères, espace et temps, ont été utilisés par Ellis [Ellis, 1991] pour proposer la première typologie des collecticiels, précisée ensuite pas Grudin [Grudin, 1994].

Séminaires interactifs

Aide à la décision

Courrier electronique

Temps

Espace

Synchrone

Asynchrone

Local Distant

Vidéo Conférences

Page 253: Conception et interaction

Figure 1 : Typologie des collecticiels

2.1.3. La notion de coordination

La seconde notion essentielle au TCAO, induite par la notion de groupe, est celle de coordination, qui donne au domaine sa dimension organisationnelle. La coordination peut se décliner à différents niveaux :

• au niveau des données : le collecticiel doit assurer la cohérence des informations manipulées, définissant pour cela la notion de contexte partagé, ou ensemble d’objets accessibles par le groupe des participants ;

• au niveau de l’interface homme-machine, que l’on a tendance d’ailleurs en TCAO à étendre à l’interface homme-machine-homme, pour lequel on identifie la notion de vue, qui correspond à une représentation du contexte partagé pour chaque participant ;

• au niveau du mode d’interaction, qui définit la manière selon laquelle est contrôlée l’interaction (à tour de rôle, au premier demandeur, etc.).

L’expression la plus commune de la coordination en TCAO correspond au mode selon lequel sont couplés les participants dans un collecticiel. Le couplage maximal est obtenu en appliquant strictement la notion de WYSIWIS54, partage intégral des vues entre participants. Tous les éléments de l’interaction sont alors partagés, et chaque utilisateur voit strictement ce que voient les autres. Cette notion, très utile en visioconférence ou en télé-enseignement, doit être adaptée pour permettre une coopération plus efficace [Stefik et al., 1987].

Pour permettre une modulation fine du concept de WYSIWIS, Karsenty [Karsenty, 1994] propose, dans le cadre de l’édition coopérative, un modèle pour décomposer en couches les éléments permettant d’interagir avec un document. Le modèle SLICE est représenté sur la figure 2. Ainsi, en allant du niveau abstrait au niveau concret, individualise-t-'il les couches suivantes :

• le document abstrait, représentation interne du document, • le représentation du document, graphique, • la manipulation directe du document, qui définit les objets

utilisés pour la manipulation directe (poignées, ...), • la représentation des vues, correspondant aux fenêtres,

54 What You See Is What I See, concept dérivé du célègre WYSIWYG, What You See Is What You Get.

Page 254: Conception et interaction

• la manipulation des vues, qui définit les objets (barres de défilement par exemple) utilisés pour manipuler les vues,

• la manipulation indirecte, pour les menus, boîtes de dialogue, etc.,

• et enfin la couche curseur, qui permet l'affichage du curseur associé aux mouvements de la souris.

CURSEURS

MANIPULATION INDIRECTE

MANIPULATION DES VUES

REPRESENTATION DES VUES

MANIPULATION DIRECTE

REPRESENTATION DU DOCUMENT

DOCUMENT ABSTRAIT

Figure 2 : Le modèle SLICE [Karsenty, 1994]

Construire un éditeur partagé revient alors, pour chaque couche du modèle SLICE, à se poser la question de son partage entre les participants ou de son instanciation pour chacun d’eux, permettant ainsi de moduler finement le couplage.

2.2. Le point de départ de notre étude

La démarche ayant conduit au TCAO est ancienne, et nombreux sont les résultats obtenus depuis maintenant dix ans. Les principaux domaines visés par les collecticiels tournent autour de la coordination (d’agendas, de projets, de conférences, ...), de la messagerie électronique et de l’édition partagée. Cependant, plusieurs études ont souligné le peu de réussite commerciale des systèmes développés.

Au-delà des aspects purement techniques qui ont pu limiter la diffusion des collecticiels, de nombreux auteurs s’accordent à penser que l’essentiel des problèmes est d’ordre social. Grudin relève ainsi huit défis de type social pour le concepteur de collecticiels [Grudin, 1994]. Trois d’entre eux nous intéresseront plus particulièrement par la suite :

1- Le problème de la masse critique des participants : les utilisateurs acceptant d’utiliser un collecticiel doivent être

Page 255: Conception et interaction

suffisamment nombreux pour permettre au système d’être opérationnel.

2- La violation des habitudes sociales : l’intrusion, la violation des “tabous sociaux”, sont souvent invoqués comme freins à l’utilisation des collecticiels.

3- Le traitement des cas exceptionnels : les collecticiels sont encore trop rigides, et ne laissent pas suffisamment de place aux exceptions et à l’improvisation.

Nous verrons à la section 5 comment certaines règles sont susceptibles de corriger ces défauts dans les collecticiels de conception technique ; avant cela, nous détaillerons dans la section suivante les points majeurs de la conception technique.

3. La conception technique

La conception technique regroupe toutes les activités qui consistent à prévoir, préparer, lancer puis superviser le processus permettant de réaliser un objet conforme à un cahier des charges défini entre plusieurs partenaires techniques, économiques et sociaux.

Dans cette section, nous décrirons plus en détail ce processus de conception puis, nous nous attarderons sur la notion de modèle.

3.1. Description du processus de conception

La modélisation d'un objet technique en Conception Assistée par Ordinateur55 (CAO) est un processus complexe et itératif qui se scinde en de multiples phases allant du prototypage jusqu'au lancement en présérie, en passant par la conception proprement dite, la fabrication des outillages, la gestion de production, la réalisation de la documentation, etc.

La figure 3 représente un exemple de processus d'élaboration d'un objet technique, mettant en évidence les principales étapes et les différentes rétro-actions possibles entre ces dernières, représentant ainsi le côté itératif de la conception technique :

• La première étape correspond à une phase de spécification où l'on précise, dans un cahier des charges, les exigences auxquelles l'objet technique doit répondre. Les critères utilisés doivent définir complètement et sans ambiguïté la fonctionnalité de l'objet à concevoir.

55 Nous limiterons notre acception de l’expression Conception Assitée par Ordinateur au domaine de la conception d’objets techniques, excluant par exemple la CAO architecturale, ou encore la CAO des circuits électroniques.

Page 256: Conception et interaction

• La seconde étape représente une phase d'avant-projet où l'on définit une représentation schématique de la cinématique permettant de décrire comment doit être immobilisé, ou comment doit se mouvoir cet objet. Elle permet d'analyser les divers schémas conceptuels possibles pour réaliser l’objet.

• La troisième étape représente la phase de conception proprement dite où, en utilisant autant que faire se peut des objets pré-existants (acquis ou résultant de conceptions antérieures), l’objet est réellement conçu.

Page 257: Conception et interaction

Rétro-actions

CAHIER DES CHARGES

• specification de l'objet

AVANT-PROJET

• maquette de l'objet

• analyse des mécanismes

• choix technologiques

CONCEPTION

• calcul de structure

• plans d'ensembles,de détails

• nomenclatures, notice d'utilisation

FABRICATION

• gammes d'usinages

• étude de phases, d'outillages

• choix des moyens de productions

CONTROLE QUALITE

• étude des dispersions

• suivi des conditions de production

Figure 3 : Cycle de conception d'un objet technique

• La quatrième étape représente une phase de fabrication. C’est à ce niveau que des vérifications concernant la faisabilité sont effectuées.

• La cinquième étape est une phase de contrôle de la qualité où l'on vérifie les conditions d'aptitude à l'emploi de l'objet qui vient

Page 258: Conception et interaction

d'être réalisé. Cette vérification consiste à effectuer des séries de mesures pour évaluer les dispersions provoquées par la production, et éventuellement y remédier.

Chacune de ces étapes est du ressort d’un expert qui exprime des règles de savoir-faire très différentes. Mais le passage d’une étape à la suivante requiert l’établissement d’un compromis de faisabilité acceptable par tous. La collaboration des différents experts est ainsi indispensable à la conception des objets techniques. Leur coordination optimale est un enjeu majeur de la maîtrise des coûts.

Compte-tenu de leur culture différente, la communication entre les experts n’est pas sans poser problème. Durant plusieurs décennies, le dessin technique s'est avéré être le meilleur moyen de communication et de partage d'information entre eux. Il correspondait en fait à un langage commun entre la conception, les méthodes, la fabrication et la gestion de production.

Les dessins, comme tout document écrit dans un langage, sont régis par un ensemble de règles syntaxiques, mais dont l'interprétation peut varier selon le domaine visé. Par exemple, la cotation d'un dessin peut être interprêtée différemment selon que l'on se place du coté bureau d'études (conception) ou bureau des méthodes (fabrication). Du point de vue de la conception, elle représente des exigences à prescrire pour le bon fonctionnement. Tandis que pour la fabrication, elle correspond aux imprécisions inévitables des procédés d'usinage.

3.2. Importance de la diversité des modèles

Les premiers systèmes informatisés de conception technique, dits de DAO (Dessin Assisté par Ordinateur), ont eu pour objet de faciliter la représentation des dessins. Progressivement, l'apparition de nombreuses applications dédiées à l'analyse des mécanismes, au calcul de structure ou à la simulation des procédés d'usinage, a amené à baser les systèmes de conception sur une démarche plus scientifique [Kays, Pierra, 1993], fondée sur des simulations à travers des "modèles" de l'objet. On appelle modèle d'un objet une représentation qui permet à un observateur de répondre à une certaine classe de questions qu'il se pose sur cet objet [Minsky, 1986].

Si l'on considère que les observateurs sont les experts d'un domaine particulier, on trouve autant de modèles différents que de phases distinctes intervenant dans le processus d'élaboration d'un objet. En effet, chaque expert considère l’objet technique selon son propre point de vue, auquel doit correspondre une représentation particulière qui peut éventuellement posséder plusieurs niveaux de détail différents (détaillé, éclaté, simplifié, etc.). Ceci implique que la plupart des objets techniques doivent disposer de multiples

Page 259: Conception et interaction

représentations pour lesquelles on doit pouvoir fixer à loisir le niveau de détail [Pierra, 1993].

Vue cinématique

Vue eléments finis

12

10

O 15

9

Dessin de détail

t

D

Durée de vie

Figure 4 : Multi-représentation d’un objet technique

Le modèle géométrique peut être considéré comme le pendant informatique du dessin technique, et à ce titre être accepté comme minimum commun. Aujourd’hui encore, les représentations géométriques, Constructive Solid Geometry (CSG) ou Boundary REPresentation (B-REP), sont celles qui caractérisent au premier abord la plupart des systèmes CAO dédiés au domaine de la conception mécanique (Système 2D, 3D surfacique, 3D volumique...).

Souvent dotés de propriétés mécaniques supplémentaires beaucoup plus générales, telles les "feature modeling", les systèmes CAO peuvent être orientés non seulement vers la conception (filetage, rainure, bossage...) [Weber, Schulte, 1992 ; Duan, Zhou, 1993], mais également vers la fabrication (tolérances, états de surface...) [Broonswort, Jansen, 1993], ou la simulation de procédés d'usinage (gammes d'usinage) [Karinthi, Nau, 1992 ; Chamberlain, Joneja, 1993].

La spécialisation de ces systèmes a imposé la recherche de solutions satisfaisantes pour l’échange des modèles d’objets. Au-delà de langages de description tels EXPRESS, la notion de bibliothèque

Page 260: Conception et interaction

d’objets techniques, susceptible de fédérer autour d’elle l’ensemble des systèmes permettant de concevoir un objet technique, semble la plus prometteuse.

Le projet CAD/LIB [Pierra, 1994], en cours de normalisation ISO56, fait une distinction nette entre la définition d'un objet et la description de ses représentations. Ces dernières y sont représentées à travers des hiérarchies de classes, dites classes de modèles fonctionnels, liées par un lien sémantique, appelé is_view_of, avec les classes de modèles généraux. Pour chaque catégorie de représentation, CAD/LIB permet de plus de disposer de plusieurs niveaux de détails. Enfin, au cours du processus de conception, le niveau de représentation peut être modifié sur simple requête de l'utilisateur. Une telle organisation semble être la clé de voûte pour la construction de systèmes susceptibles de supporter l’intégralité du cycle de conception.

L’existence de ces vues différentes sur un même objet a une conséquence importante sur le plan des interfaces homme-machine. Chaque expert manipule des concepts qui lui sont propres, avec des habitudes particulières. De ce fait, il s’exprime, selon le domaine couvert, dans une sorte de “dialecte” qui lui est propre. Il s'agit d'un langage orienté métier qui lui permet de se focaliser sur des caractéristiques bien spécifiques d'un objet.

La collaboration entre experts, décrite à la section précédente, passe par la communication au niveau de ces diverses représentations, et donc sur des langages d’interactions qui permettent de manipuler ces dernières.

Après avoir décrit sommairement le processus de la conception mécanique et le rôle central du modèle technique, nous établirons dans la section suivante les besoins en termes de travail coopératif des applications de conception technique.

4. Les besoins spécifiques de la conception technique

Nous examinerons dans cette section le type d’application coopérative requis par la conception technique, en nous appuyant sur la classification espace/temps, puis étudierons plus particulièrement les aspects de coordination et de communication.

4.1. Le type d’application coopérative

Comme nous l’avons vu en Section 3, la classification de Ellis [Ellis, 1991] permet de séparer les applications de TCAO selon deux axes,

56 International Standard Organization

Page 261: Conception et interaction

représentant l’espace et le temps. Où se situent les besoins en matière de conception technique ?

4.1.1. Synchrone/Asynchrone

Le domaine de l’édition coopérative est traditionnellement synchrone. Il correspond souvent à des applications où chaque utilisateur travaille sur une partie du document, la réservant à son usage exclusif.

GroupDesign [Karsenty, 1994], dans le domaine du dessin, va plus loin dans l’exploration de la notion de conscience de groupe en permettant d’appréhender la “position” dans le dessin des vues des autres utilisateurs.

TeleDesign [Shu, Flowers, 1994], offre des possibilités de “discussions assistées” autour d’un dessin en trois dimensions, qui ont permis d’étudier certains aspects de la communication et de la coordination sur lesquels nous reviendrons par la suite.

Ces deux exemples peuvent être repris en conception technique pour des phases de négociation sur le modèle commun aux différents utilisateurs, voire pour permettre une édition coopérative, par deux experts de même compétence, au cours d’une même phase. Ainsi, la rédaction de la documentation technique est un aspect pris en compte par Griffon [Decouchant et al., 1993].

Cet aspect synchrone est cependant totalement insuffisant en conception technique. La multiplicité des études nécessaires pour concevoir un objet technique complexe impose la prise en compte de communications de type asynchrone ; nous verrons, dans la section concernant la coordination, toutes les conséquences de ce mode de fonctionnement.

4.1.2. Local/Distant

La dimension spatiale correspond le plus souvent à un choix d’implémentation lié à des considérations technologiques. Ainsi, TeleDesign [Shu, Flowers, 1994] fonctionne-t-il fondamentalement en mode local, pour la simple raison qu’un canal de communication audio n’est pas disponible. Il est ainsi raisonnable de penser qu’au sein d’un bureau d’études d’une même entreprise, un collecticiel ne supportant pas de mode distant soit suffisant.

Cependant, de nombreux cas nécessitent la prise en compte de l’élément distance. Nous en donnerons ici deux exemples. Le premier concerne la relation donneur d’ordre / sous-traitant, qui constitue une des parts essentielles des échanges nécessaires au cours d’un projet de conception technique. Le sous-traitant a souvent besoin de précisions sur l’objet qu’il doit réaliser, voire de modifications, pour raison de faisabilité. Le deuxième exemple est celui de la phase de

Page 262: Conception et interaction

réalisation des projets de grande taille, particulièrement étudiée dans le projet EuroCoOp [Gronbaek et al., 1992 ; Gronbaek et al., 1993 ; Kyng, 1991]. L’utilisation de techniques telles que l’hypermédia ou la réalité augmentée permettant aux ingénieurs de dialoguer entre des sites très différents comme par exemple le bureau d’études et un pilier du pont en construction.

4.1.3. Les applications de conception technique et la classification espace/temps

Les besoins en matière de gestion d’espace et de temps, reportés sur le diagramme de Ellis sur la figure 5, couvrent en fait la totalité du spectre des collecticiels.

Temps

Espace

Synchrone

Asynchrone

Local Distant

Support local du cycle de conception (inter-étapes)

Conception coopérative (intra-étape)

Coordination globale de

l'activité du groupe

Relation Donneur d'ordre

/ Sous-Traitant

Espace de réalisation des collecticiels de

conception technique

Figure 5 : Espace de réalisation des collecticiels de conception technique

4.2. La coordination

Aborder le problème de la coordination dans les collecticiels peut se faire de deux manières distinctes : la première consiste à étudier l’organisation du travail coopératif, et les tâches qui en découlent (autrement dit, l’organisation sociale), la seconde consiste à centrer cette étude sur les données (soit le modèle technique dans notre cas). Nous consacrerons une section à chacune de ces deux approches, puis insisterons sur la notion d’hypothèse, particulière à la conception.

Page 263: Conception et interaction

4.2.1. Approche par l’organisation sociale

L’étude des aspects de coordination par l’intermédiaire de l’organisation sociale n’a rien de spécifique au domaine de la conception technique. Elle consiste à définir les rôles et devoirs de chaque participant, puis à établir les processus de gestion des conflits. Mais le travail le plus délicat concerne le suivi de l’avancement du projet, comme le note Gronbaek [Gronbaek et al., 1992] lorsqu’il établit, pour le projet EuroCoOp, que les plans changent trop rapidement pour être enregistrés sur ordinateur57.

Au plan humain, les expériences de Shu [Shu, Flowers, 1994] s’intéressent au mode de contrôle des entités partagées (télépointeur, par exemple [Ellis, 1991]). Elles établissent la préférence des utilisateurs pour un mode libre, par opposition à un mode “à tour de rôle”. Ceci peut s’expliquer par la propension de tout concepteur pour la liberté, par opposition aux contraintes.

4.2.2. Approche par le modèle

Le centre d’intérêt de la conception technique, que chaque expert participant manipule, est le modèle technique, ou tout au moins sa partie commune, le modèle géométrique. Une application de conception technique mono-utilisateur est garante de la consistance de ce modèle. Dans le domaine du TCAO, la conservation de cette consistance ne se pose pas dans les mêmes termes selon que l’on parle de collecticiel synchrone ou asynchrone.

Le modèle d’une application de conception technique n’est pas simplement un ensemble de primitives géométriques telles que des segments, des cercles, des cylindres ou des cubes... Les entités élémentaires qui le composent sont fortement couplées, ce qui impose des contraintes importantes sur les mécanismes de construction des objets. Les solutions les plus courantes en édition partagée, comme le verrouillage implicite [Newman-Wolfer et al., 1992] ne semblent pas suffisantes pour permettre une conservation de la cohérence du modèle. De même, les mécanismes “faire/défaire” (UNDO) méritent une attention toute particulière. L’approche préconisée par Prakash [Prakash, 1992] semble à ce titre prometteuse. Tous ces éléments militent en faveur d’une étude spécifique du domaine de la conception technique dans la dimension collecticiel synchrone.

Sur le plan du mode asynchrone, les problèmes apparaissent encore plus délicats : la conception d’un objet complexe suppose la

57 “Second, daily work tasks are event driven and plans change too rapidly for people to register them on a computer”

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collaboration de plusieurs experts, qui ne travaillent pas obligatoirement en même temps. La conception même du modèle géométrique commun précède beaucoup d’études. La notion de retardataire devient fondamentale, avec en particulier le problème de pouvoir expliciter, pour les nouveaux arrivants dans le processus de conception, la nature exacte du modèle en cours, et les choix élaborés. Des mécanismes tels que l’enregistrement de l’historique de conception peuvent être introduits dans ce contexte [Beaudouin-Lafon, Karsenty, 1992; Dourish et al., 1992 ; Manohar, Prakash, 1994].

Mais le problème le plus important lié à la conception technique est certainement celui de la gestion des modifications et de leurs conséquences sur le travail de groupe. La conception technique est un processus fondamentalement itératif, qui suppose des retours en arrière et des modifications. Lorsque la phase en cours est la création du modèle géométrique, une modification n’a pas de conséquence importante. Mais, lorsque plusieurs experts différents travaillent en même temps, la modification de ce modèle commun peut obliger tous les experts à de profonds changements. L’interactivité du processus de conception, fournie par le collecticiel, sera susceptible d’accroître et de favoriser les échanges. La contrepartie de cet avantage est que les modifications seront certainement plus fréquentes. L’analyse des conséquences de ces modifications, leur négociation, ainsi que la possibilité d’enchaîner des traitements consécutivement à ces changements constituent des points importants à étudier pour les futurs collecticiels de conception technique.

4.2.3. Spécificité de la conception : l’hypothèse

La grande spécificité de la conception réside dans la notion d’hypothèse et son exploration. Que se passerait-il si... ? Ne serait-il pas judicieux de... ?

Ce genre de questions, tout concepteur est enclin à se les poser. Dans le cadre de la conception technique, et en vertu de ce que nous avons établi ci-dessus, toute hypothèse sur le modèle géométrique est lourde de conséquences sur les études qui s’effectuent sur ce modèle. La gestion de ces hypothèses n’est donc pas simple. De plus, l’hypothèse se révèle souvent inintéressante, et un retour à la situation initiale s’impose alors.

Si l’usage d’un collecticiel encourage l’exploration de ces hypothèses, un mécanisme adapté doit permettre de faciliter la gestion de la cohérence, tout en autorisant le retour en arrière. Un mécanisme de type gestion de variantes peut ainsi être adapté, étant entendu qu’un des défis essentiels des collecticiels de conception technique sera de permettre de réutiliser dans les différentes variantes les études communes.

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4.3. La communication

Dans les collecticiels synchrones, les utilisateurs sont censés effectuer des tâches identiques sur des portions différentes du document, mais également communiquer pour coordonner leurs efforts. Une réelle coopération à l’échelle de l’entité graphique de base, telle que la pratique TeleDesign [Shu, Flowers, 1994] en conception architecturale d’intérieur, semble peu nécessaire en conception technique.

Cependant, la négociation et la coordination des modifications, ainsi que les relations de type donneur d’ordre / sous-traitant justifient le développement de certains types de communication.

4.3.1. Conférence versus aparté

Deux grands types de communication apparaissent nécessaires dans un collecticiel de conception technique.

La négociation et la coordination des modifications supposent un nombre important d’échanges entre tous les participants. Un mécanisme de type téléconférence est alors requis. Il doit permettre à chaque expert de faire part aux autres de ses problèmes, de diagnostiquer les modifications à envisager, d’évaluer leurs conséquences sur toutes les phases de projets, et au groupe de prendre une décision. On rentre ici dans le domaine des systèmes d’aide à la décision de groupe déjà évoqués précédemment [Palmer et al., 1994].

Dans un autre ordre d’idées, les relations donneurs d’ordre / sous-traitants peuvent nécessiter un dialogue bilatéral particulier, qualifié parfois d’aparté. A l’inverse du cas précédent, où des discussions générales sans support visuel, ou avec une seule vision globale de l’objet en cours de conception, peuvent suffire, la discussion technique entre deux experts nécessite la mise en oeuvre de mécanismes de communication très riches. Le partage de vues sur l’objet, et la présence de télépointeurs par exemple s’imposent.

4.3.2. Le niveau d’intégration

Le niveau d’intégration correspond à la nature du couplage coopératif entre les participants. Le concept du WYSIWIS est fondamental dans le domaine du TCAO, cependant la nature même des activités de conception technique impose une modulation importante de son application.

Ainsi, les tâches de coordination, ou de négociation globale, ne nécessitent qu’un faible couplage des vues de chaque participant. Si l’on se réfère au modèle SLICE [Karsenty, 1994], un couplage limité à la couche du document abstrait, c'est-à-dire en conception technique du modèle géométrique, peut s’avérer suffisant.

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En revanche, la gestion des apartés requiert un couplage plus important. Selon les degrés de précision demandés par la discussion en cours, le partage de certaines couches du modèle SLICE est nécessaire, et un niveau variable de couplage peut être envisagé.

4.3.3. Vues différentes

TeleDesign [Shu, Flowers, 1994] a exploré la notion de vues multiples d’un même objet ou scène. Les auteurs ont ainsi démontré la préférence des utilisateurs pour un système leur permettant de manipuler leur vue propre de la scène, même lors d’une discussion avec un autre utilisateur ne partageant pas la même vue.

En conception technique, ce problème est beaucoup plus crucial, et c'est précisément le problème que la multi-représentation présentée à la section 3.2 est à même de résoudre.. En effet, les vues d’un même modèle, employées par un thermicien, un cinématicien, et un dessinateur ne diffèrent pas seulement pas l’angle d’observation, mais surtout par la nature même de la visualisation [Pagendarm, Walter, 1993 ; Gerald-Yamasaki, 1993]. Ceci induit des conséquences particulièrement importante sur l'architecture même du système de conception qui doit permettre de projeter sur la vue exploitée par chaque catégorie d'experts les propositions effectuées à partir d'une autre vue. Le lien entre l'abstraction commune (ici le modèle géométrique) et chaque vue (ici chaque modèle spécialisé), est alors effectué par un processus chargé d'assurer les traductions bilatères.

5. Les règles

Après avoir recensé les besoins en matière de travail coopératif dans les applications de conception technique, nous tenterons dans la présente section de définir trois règles de conception des collecticiels de conception technique, en rapport avec les trois défis aux concepteurs de collecticiels (section 2.2) que nous avons extraits des huit propositions de Grudin [Grudin, 1994].

5.1. Rôle central du modèle

Les collecticiels de conception technique doivent être conçus autour d'un modèle structuré en étoile, dont le centre constitue le modèle commun (tout particulièrement le modèle géométrique) et chaque branche définit la vue d'une catégorie particulière d'experts. Chaque catégorie d'experts doit pouvoir explorer au niveau de sa vue et ne remonter au modèle commun que pour entériner la solution finale qu'il propose.

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Cette procédure permet de supporter le caractère imprévisible de l’activité de conception, permettant ainsi de répondre au troisième défi de Grudin.

5.2. Multiplicité des modes de coopération

Les collecticiels de conception technique doivent explorer tout le spectre espace/temps de la classification d’Ellis [Ellis, 1991].

Selon la phase en cours du processus de conception, les diverses combinaisons entre les modes synchrone/asynchrone et local/distant doivent être utilisées. Ceci permettra notamment de respecter les organisations, relevant ainsi le deuxième défi de Grudin.

5.3. Souplesse de coopération

Les collecticiels de conception technique doivent offrir une intégration extrêmement souple de la coopération.

Les utilisateurs doivent pouvoir s’isoler totalement, ou avoir la possibilité de concevoir ensemble. Le dialogue entre experts au langage différent (exemple de groupe non homogène) doit être facilité en permettant à chaque expert d'exprimer ses propositions dans sa propre vue, le système assurant la projection de ces propositions dans les vues des autres experts. Tous ces points permettre de répondre au premier défi de Grudin.

6. Conclusion

La conception technique apparaît comme un exemple privilégié pour le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur. La multiplicité des situations rencontrées au cours du processus de conception technique, alliée à des problèmes spécifiques liés à l’hétérogénéité des groupes concernés, imposent l’étude de solutions collecticielles nouvelles. Cependant, la nature même de la tâche principale, qui rend prépondérant le rôle du modèle géométrique commun, fournit un fil conducteur majeur pour la réalisation de ces applications. Les trois règles de conception des collecticiels de conception technique que nous proposons permettent d’exprimer cette multiplicité, tout en conservant une indispensable cohérence fondée sur la nature de la conception technique.

7. Références

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Les requis organisationnels et institutionnels pour développer la coopération au sein des activités de conception Jacques Perrin, Marie-Claire Villeval, Yveline Lecler Université Lumière Lyon 2 ECT, URA CNRS 945 RESUME. L'ingénierie concourante constitue une innovation organisationnelle récente dans le management des activités de conception. Cet article présente les principaux résulats d'un travail de recherche sur les conditions organisationnelles et institutionnelles à réunir pour diffuser une démarche d'ingénierie concourante Cette recherche s'appuie sur une série d'enquêtes réalisées dans des entreprises Françaises et Japonaises. MOTS CLES. Apprentissage, coopération, conception, ingénierie concourante, concurrent engineering, organisation, innovation, France, Japon.

Le Japon suscite beaucoup d'intérêt de la part des chercheurs tant en matière de système d'emploi que de modes d'organisation du travail et de la production. Mais comprendre la performance japonaise nécessite de s'intéresser davantage à l'amont des processus de production, c'est-à-dire aux activités de conception et, plus précisément, à la gestion des interactions entre conception et production. Suite à la publication des travaux de N. Rosenberg sur les modèles d'innovation ou sur la firme japonaise comme institution innovante, la recherche fondamentale comme première force

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d'impulsion de l'innovation commence à être remise en question au profit des activités de conception.

Depuis la fin des années 80, la démarche de concurrent engineering ou d'ingènierie concourante a fait son apparition dans le vocabulaire du management de la conception et aujourd'hui on ne compte plus les séminaires, les colloques, les associations qui ont en charge la diffusion de cette nouvellle démarche de conception. L'ingénierie concourante qui dans un premier temps avait pour objectif de faire coopérer les services de conception de produit et les départements de production afin de concevoir simultanément la conception du produit et de son processus de production met en avant la coopération comme principe de coordination.

Dans le cadre d'un contrat de recherche, le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a confié à ECT (Economie des Changements Technologiques) un travail de recherche sur le thème "L'ingénierie concourante comme résultat d'une organisation d'apprentissage à la coopération, comparaison France Japon". Cette recherche dont les principaux résultats font l'objet de cet article était basée sur l'hypothèse suivante : les difficultés rencontrées dans les pays industrialisés tels que la France pour concevoir de nouveaux produits de haute qualité, de faible coût et dans des délais courts semblent devoir être imputées à un sous-développement des rapports de coopération durant les activités de conception. Au Japon, les structures organisationnelles issues du passé (systèmes d'emploi, de formation, de rémunération, principes d'organisation du travail, système de sous-traitance,…..) constituent autant d'éléments permissifs d'une large circulation des salariés et des informations, tant à l'intérieur des organisations/entreprises que dans les relations avec les partenaires/fournisseurs. L'environnement structurel et institutionnel semble donc plus propice à la coopération et ce n'est sans doute pas un hasard si les pratiques d'ingénierie concourante n'ont pas nécessité la mise en oeuvre d'un apprentissage spécifique : l'apprentissage à la coopération. En revanche dans les pays occidentaux, la transformation de cet environnement semble être le point de passage obligé pour rendre possible un apprentissage à la coopération.

Ce travail de recherche sur l'ingénierie concourante a été

réalisée à partir d'enquêtes en entreprises. Au Japon, les enquêtes ont été réalisées en octobre 1993 dans cinq entreprises japonaises. Ces entreprises qui appartiennent à diverses industries : construction mécanique, électrique, transformation matière plastique, chimie, sont liées pour trois d'entre elles à l'industrie automobile. Ces enquêtes, qui ont permis de visiter des ateliers de production, des centres

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techniques, de rencontrer des responsables de différentes fonctions (production, ressources humaines, achats,…), ont été principalement menées auprès des services de conception et de développement de produit de ces entreprises. En France, les enquêtes ont été réalisées dans trois entreprises de la région Rhône-Alpes qui ont introduit le management par projet et une démarche d'ingénierie concourante ; ces entreprises appartiennent respectivement aux industries de la construction électrique, de la construction mécanique et de la transformation matière plastique. Les deux dernières entreprises sont fournisseurs des constructeurs automobile58.

Avant de présenter les résultats de notre travail de recherche en matière d'apprentissage à la coopération dans les activités de conception au Japon et en France, il nous faut rappeler les enjeux économiques et cognitifs de la coopération en conception.

Les enjeux économiques et cognitifs de la coopération en conception

Plusieurs études récentes menées dans diverses industries à l'échelle mondiale (Clark, Fujimoto, 1991 ; Stalk, Hout, 1992), ont montré que la compétition entre les firmes se jouait non seulement sur les aspects coûts, mais également sur leur capacité à diminuer les délais de développement de nouveaux produits, et à augmenter la qualité de ces produits. C'est la plupart du temps par leur capacité à introduire des innovations techniques et organisationnelles, notamment l'ingénierie concourante, que les entreprises réussissent à être plus compétitives que leurs concurrentes en matière de coût, délais, et qualité, rappelant ainsi que pour les entreprises l'innovation n'est pas en soi une fin mais un moyen .

58 Le temps disponible pour réaliser les entretiens dans les entreprises françaises étant plus important, la méthodologie d'enquête a été différente. Dans chaque entreprise un projet de nouveau produit a été choisi et tous les principaux acteurs de l'entreprise impliqués par le projet ont été rencontrés, que ces acteurs appartiennent au bureau d'étude, au service des essais, au bureau des méthodes, au service qualité, au service achat, à la production, que ces acteurs soient chef de projet, ingénieur d'étude, ou opérateur de chaîne de production ; la direction de l'entreprise et les responsables fonctionnels ont été également interrogés sur les transformations en cours concernant le management par projet et plus spécifiquement la démarche d'ingénierie concourante. En moyenne, c'est une cinquantaine de personnes que nous avons rencontrées et interviewées par entreprise.

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Coopération et compétitivité internationale

L'enquête de la Commission sur la productivité industrielle du MIT, qui avait pour. objectif de déterminer les causes de la perte de compétitivité des industries américaines à la fin des années 80, notamment par rapport au Japon, et qui donna lieu à la publication du rapport Made in America (Dertrouzos, Lester, Solow, 1990) a mis l'accent sur le rôle des innovations organisationnelles en matière de conception. Les auteurs du rapport constataient que "les Etats-Unis sont encore les meilleurs pour la recherche fondamentale"; pourtant les entreprises américaines "perdent de plus en plus de terrain sur leurs concurrents étrangers quand il s'agit d'exploiter commercialement les inventions et les découvertes". La première cause de ce paradoxe, identifiée par les auteurs du rapport est la conception de produit : "les entreprises américaines ont du mal à transformer nos inventions en produits" et les auteurs de rajouter "en produits simples, fiables et qu'on puisse fabriquer à grande échelle". Poursuivant leur diagnostic, les auteurs du rapport Made in America précisent: "un des obstacles à l'innovation technologique et à l'amélioration de la performance industrielle qui ressort de nos études de branches, c'est le sous-développement des rapports de coopération entre les individus et entre les organisations" impliqués dans les activités de conception et de développement de nouveaux produits. Le rapport "Improving engineering design, designing for competitive advantage" (1991) établi à la demande du National Research Council des Etats Unis, rappelle que le déclin de la compétition internationale de ce pays a été attribué à de nombreux facteurs mais que le rôle crucial de la qualité des activités de conception a été souvent ignoré. "La capacité à développer de nouveaux produits de haute qualité, de faible coût, qui correspondent aux demandes des utilisateurs est essentielle pour augmenter la compétitivité d'une nation".

Parallèlement aux études précédentes centrées sur des comparaisons internationales de compétitivité industrielle, le Ministère de la Défense américain a engagé un travail de réflexion sur les méthodes de conception des systèmes d'armes. Ayant souvent à faire face à des surcoûts et à des augmentations des délais de mise au point, ce ministère a proné la mise en oeuvre et la diffusion d'une nouvelle méthode de conception : concurrent engineering ou ingénierie concourante. L'ingénierie concourante a pour objectif d'intégrer dés le début de la conception tous les aspects (coût, qualité,…..) du cycle de vie du produit (conception, fabrication, utilisation, élimination). L'ingénierie concourante nécessite la mise en place, durant les activités de conception et de développement de produit, d'une coopération des principaux acteurs concernés par les

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différentes phases du cycle de vie d'un produit. Depuis deux à trois ans, les colloques et les publications sur le concurrent engineering se sont multipliés, de nouvelles associations professionnelles, ayant la diffusion du concurrent engineering comme objectif, ont vue le jour aux États-Unis et en Europe. Par contre, le Japon semble jusqu'à maintenant peu concerné par les efforts qui sont entrepris pour diffuser cette nouvelle méthode de développement de produit.

Dans le domaine du management du développement de nouveaux produits, l'ingénierie concourante constitue une innovation organisationnelle qui a pour objectif de faire coopérer les principaux acteurs impliqués par le cycle de vie du produit. Cette coopération nécessite de "mettre en réseaux" des acteurs qui détiennent des informations et des connaissances ; elle a aussi pour enjeu de mettre en réseaux des compétences qui permettront de produire de nouvelles connaissances.

La coopération comme mise en réseaux d'informations et de connaissances

L'ingénierie concourante est d'abord une innovation organisationnelle qui a l'intérêt par rapport à d'autres types d'innovation de pouvoir améliorer les performances de l'entreprise à la fois sur les trois piliers (coûts, qualité, délais) qui fondent sa compétitivité. En effet, la logique du déroulement des activités de conception et de développement de produit se fondant sur une succession de choix et de décisions qui sont de plus en plus détaillés , a pour conséquence que les choix les plus importants, ceux qui auront le plus d'impact en matière de coût, délais et qualité concernant le produit, sont pris dans les premières phases du processus de conception. L'objectif de l'ingénierie concourante élargie est d'associer le plus tôt possible la production , mais aussi les autres fonctions (marketing, qualité, service après vente, les sous-traitants..) aux choix opérés dans le processus de conception et de développement de produit, afin que les contraintes et les propositions des différentes fonctions soient prises en compte le plus tôt possible et qu'un compromis le plus satisfaisant possible puisse être élaboré.

La coopération comme mise en réseaux de compétences pour produire de nouvelles connaissances

Dans la démarche d'ingénierie concourante, la coopération ne vise pas seulement à mettre en réseaux des informations et des

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connaissances déjà présentes dans l'entreprise mais aussi à produire de nouvelles connaissances par la mise en réseaux de différentes compétences. Par des enquêtes réalisées dans des entreprises japonaises et françaises on a repéré trois types d'activités de conception différentes qui peuvent être l'occasion de production de nouvelles connaissances :

- les interactions entre les bureaux d'étude et les centres techniques d'essais et de contrôle, qui occupent une place importante dans le processus d'innovation, sont un des lieux où des compétences différentes sont mises en réseaux pour produire de nouvelles connaissances. Beaucoup de connaissances portant sur l'amélioration de la qualité de produits complexes tels que l'automobile, sont le résultat de procédures d'essais et de contrôles résultant de la mise en commun de compétences de bureau d'étude et d'essais. Les connaissances sur la compatibilité entre composants, sur l'origine de vibrations, de bruits sont des exemples de ce type de connaissance .

- D'une manière plus générale, en conception, toutes les opérations d'interfaces entre des métiers ou des acteurs différents peuvent être source de nouvelles connaissances, si les relations entre les métiers ne sont pas du type donneur d'ordre - sous-traitant, mais au contraire du type coopératif. Par exemple le technicien du bureau d'étude peut attendre la fin des études détaillées avant de contacter son homologue du service des méthodes ; il peut aussi coopérer plus tôt avec lui et trouver une solution différente qui prendra mieux en compte les contraintes de la production.

- La tendance que l'on a observée de faire coopérer les différents acteurs le plus en amont possible des études de conception permet d'envisager dés le début les différentes alternatives de conception : ce qui a pour conséquence de diminuer le coût des modifications et de réduire les délais de conception. C'est en fait une nouvelle compétence de définition et de résolution de problèmes qui est ainsi mise en oeuvre.

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Conception et apprentissage à la coopération au Japon et en France

L'ingénierie concourante constituant actuellement la principale démarche de conception qui mette en avant le principe de coopération pour organiser les activités de conception, on a choisi d'utiliser cette référence pour analyser et évaluer au Japon et en France les pratiques de coopération en conception. Les travaux d'enquête en entreprises réalisés dans le cadre de la présente recherche font ressortir une différence fondamentale entre le Japon et la France :

- au Japon, les pratiques d'ingénierie concourante s'inscrivent dans le cadre d'une coopération organique de caractère institutionnel ;

- en France, les pratiques d'ingénierie concourante nécessitent la mise en oeuvre d'un apprentissage à la coopération.

Au Japon les pratiques d'ingénierie concourante s'inscrivent dans une coopération organique

Le caractère organique de la coopération en conception au Japon veut signifier que la pratique de coopération est inscrite dans des règles propres aux entreprises japonaises (logique Kaizen, notamment) et plus généralement aux organisations japonaises (communications horizontales, décentralisation des résolutions de problèmes ) et que la coopération est rendue plus aisée par des pratiques spécifiques aux entreprises japonaises ( mobilité des salariés, confiance des salariés vis à vis des entreprises, perspectives à long terme des groupes industriels, rapport de partenariat entre clients et fournisseurs).

- La logique Kaizen (amélioration en continu des produits) en conception et en production semble bien fonctionner au Japon ; il existe un dialogue permanent entre conception et production. Le bon fonctionnement des groupes Kaizen en production permet de mieux prendre en compte les dysfonctionnements repérés par les opérateurs et qui sont plus difficilement pris en charge par les B.E. qui doivent gérer en priorité les nouveaux produits.

- Au Japon, toutes les organisations présentent des caractéristiques et des règles spécifiques qui construisent la coopération :

- une décentralisation des résolutions de problèmes jusqu'au plus bas niveau hiérarchique ;

- des communications horizontales ;

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- une organisation hiérarchique basée sur l'ancienneté et le mérite ;

- Il existe au sein des entreprises japonaises une mobilité des personnels qui favorise un brassage des savoirs, des itérations et confrontations favorisant la résolution rapide de problème. Cette mobilité est mise en oeuvre par deux dispositifs :

* Le dispositif de rotation des personnels au sein d'une même entreprise contribue à la construction d'attitudes coopératives entre les salariés impliqués dans les activités de conception. Cette mobilité permet aux concepteurs d'intégrer plus facilement et plus rapidement les contraintes des autres services fonctionnels.

* Les dispositifs de guest engineers (ingénieurs invités) et la pratique du shukko (prêts de personnels) permettent aux entreprises donneurs d'ordres et aux fournisseurs/sous-traitants d'intégrer les contraintes de leurs partenaires respectifs et favorisent le transfert de compétences au sein des réseaux d'entreprises qui se construisent autour de la conception et de la construction d'un même produit.

- La mobilité des salariés s'insère dans une perspective de non-menace sur l'emploi (pour les grandes entreprises) favorisant l'établissement de relations de confiance et donc le développement d'attitudes coopératives. Les salariés, se situant plus dans une logique de participation que dans une logique d'expert, sont plus aptes à coopérer notamment dans les processus de conception et à participer à des démarches d'ingénierie concourante.

- Le temps court des projets s'insère dans les perspectives à long terme des groupes industriels japonais. Les projets relatifs à un nouveau produit s'adossent à des stratégies d'investissements matériels et immatériels de plus longue échéance et non à une logique de recherche de profit à court terme. C'est l'interpénétration des stratégies bancaires, industrielles et commerciales de ces groupes industriels qui conduit à faire prédominer les vues à long terme.

- Les relations entre client et fournisseur/sous-traitant fonctionnent sur la notion de client principal ; ce type de relation façonne une relation privilégiée et symbiotique avec un seul client débouchant sur l'établissement de relations de longue durée.

Ces différents facteurs socio-économiques rappelés brièvement ci-dessus sont à l'origine d'un ensemble de règles et d'attitudes au sein des entreprises ("institutions" ou "constitutions sociales" d'entreprises) qui se sont construites au cours du temps. C'est sur la base de ces "constitutions sociales" que se structurent dans les organisations des routines d'action. Au Japon les "constitutions sociales" des entreprises ont favorisé l'émergence de routines de coopération, qui favorisent un apprentissage de nouvelles connaissances par interactions qui

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caractérisent le processus de conception et de développement de nouveaux produits.

En France, les pratiques d'ingénierie concourante nécessitent la mise en oeuvre d'un apprentissage à la coopération

En France, les "institutions" ou "constitutions sociales" d'entreprise ne favorisant pas l'émergence de routines de coopération, on observe - dans les entreprises qui ont fait le choix d'une démarche d'ingénierie concourante - différentes initiatives visant à mettre en oeuvre un apprentissage à la coopération et qui se traduisent par des réformes organisationnelles, d'importants programmes de formations, de nouvelles formes de contrat, la promotion de nouvelles valeurs ou de culture d'entreprise.

- Des réformes organisationnelles qui amènent à repenser la division du travail au sein de l'entreprise.

La tendance est à privilégier le découpage par produit qui peut conduire à regrouper dans les entreprises multiproduits, toutes les fonctions (marketing, conception, production, qualité, …) au sein de départements produits spécialisés, ou à organiser les bureaux d'étude par lignes de produit en renforçant les relations du bureau d'étude avec le service commercial. Ces restructurations peuvent conduire à repositionner d'une manière différente dans l'entreprise les activités du service méthode : spécialisation du service méthode par ligne de produit ou regroupement d'une partie des activités du service méthode au sein du bureau d'étude.

- Des investissements lourds en stage de formation à la gestion de projet et à la démarche d'ingénierie concourante.

Ces stages sont destinés aux personnels des bureaux d'étude, mais aussi aux personnels de production et aux différents services de l'entreprise. Les thèmes traités sont les méthodes et les outils de l'ingénierie concourante, mais plus fondamentalement leur objectif est de faire découvrir les avantages (pour l'entreprise et pour les personnels concernés ) à retirer de la mise en place de nouvelles méthodes de travail qui sont fondées sur la coopération entre les individus, les groupes et les services d'une même entreprise.

- De nouvelles formes de contrat entre les salariés et les entreprises. La "lettre de mission" (ou "contrat projet") établie et signée par la

direction d'entreprise et qui est adressée à tout chef de projet au début de sa mission est un exemple de nouveaux contrats qui lient les salariés et les entreprises. La lettre de mission fixe les objectifs à atteindre, précise les moyens mis à la disposition du projet, définit les obligations du chef de projet (devoir d'alerte en cas de difficultés rencontrées qui remettraient en cause les objectifs du projet). Parmi

Page 280: Conception et interaction

les obligations du chef de projet, figure sa responsabilité de constituer une équipe de projet, de mobiliser tous les acteurs (internes et externes à l'entreprise) concernés par le projet. Par rapport aux membres de l'équipe projet, le chef de projet doit s'assurer de l'engagement de chacun à la réussite du projet ; en contre partie le chef de projet s'engage à fournir à chaque membre du projet les informations et les supports (matériels, hiérarchiques) nécessaires à la réalisation de sa tâche.

Il existe, en fait, un contrat implicite entre le chef de projet et les membres de l'équipe projet. C'est pour rendre plus explicite les nouveaux types d'engagement des personnels impliqués dans des méthodes de travail du type de l'ingénierie concourante, que les entreprises sont amenées à mettre en place des chartes d'entreprise. Suivant les entreprises, les chartes ont des intitulés différents : Charte Innovation, Charte Projet, …. Les méthodes de mise en oeuvre sont également différentes : appel à une société de conseil, création d'une équipe projet pour la rédaction de la charte. Dans tous les cas, l'introduction de ces chartes dans l'entreprise et la présentation de ces chartes aux personnels donnent lieu à des publications de brochures et à des séminaires de formation.

Ces chartes qui visent à définir de nouvelles obligations, de nouveaux comportements pour les salariés des entreprises n'ont pas la valeur juridique des contrats de travail ou des conventions collectives, mais elles sont lourdes de conséquences sur la définition même du travail, sur les nouvelles capacités des individus qui sont de plus en plus mobilisées dans les systèmes productifs. On a proposé d'intituler "contrats de réseau" ces nouvelles formes de contrat (lettre de mission, charte d'entreprise,..) qui se diffusent dans les entreprises qui mettent en oeuvre des démarches du type d'ingénierie concourante. Ces contrats de réseau qui se situent entre le contrat de travail et la convention collective ont pour vocation de régler un réseau d'engagements et d'obligations mutuels, irréversibles durant le projet : engagement formel des cocontractants (direction de l'entreprise et chef de projet) vis à vis de la mise à disposition de moyens et d'un résultat, mais également engagement informel de l'équipe constituée par le mandaté. Ces réseaux d'engagements et d'obligations gérés par les contrats de réseau ont pour objectif de rendre possible la mise en réseaux d'informations et de compétences de résolution de problèmes détenues par des individus qui se situent par leurs métiers dans des services fonctionnels différents.

- De nouvelles formes de contrat entre entreprise donneur d'ordres et fournisseurs/sous-traitants

Dans une démarche d'ingénierie concourante, les rapports entre l'entreprise donneur d'ordres et les fournisseurs ne se limitent plus à la fourniture à un moment donné d'un composant ou d'un sous-

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ensemble à partir d'un cahier des charges. Ces nouveaux rapports entre clients et fournisseurs se traduisent par l'implication du fournisseur dans les activités de conception ; celui-ci réalise la conception du composant ou du sous-ensemble qu'il fabrique et il est de plus en plus associé aux phases amont de la conception du produit de son client. Ces nouveaux rapports clients/fournisseurs se concrétisent par de nombreux échanges d'informations et de multiples formes de coopération, de conseils, voire de formation en vue d'améliorer les performances du produit en termes de coûts, délais, qualité. La mise en réseau de l'entreprise donneur d'ordres et de ses principaux fournisseurs/sous-traitants que nécessite la démarche d'ingénierie concourante, tend à pérenniser leurs rapports et transforme les types de contrat qui les lient. Cette transformation des relations contractuelles est perceptible à travers le vocabulaire employé ; il n'est plus question de "donneur d'ordres" et de "sous-traitants" mais de "rapport de partenariat", d'"entreprise virtuelle".

- De nouvelles "valeurs", de nouvelles "cultures d'entreprise" C'est souvent à travers les chartes d'entreprises que sont édictées

les nouvelles valeurs et les nouvelles attitudes qui sont attendues de la part des salariés. Parmi les valeurs les plus mises en avant par ces chartes on trouve :

- "l'implication et l'investissement de chacun pour la réalisation des objectifs de l'entreprise",

- "la loyauté dans les rapports humains, et ceci à tous les niveaux, entre les hommes de l'entreprise, avec les partenaires et les consommateurs" ,

- "le respect des engagements et la fidélité à la parole donnée", - "chacun est tenu de reconnaître l'autre comme partenaire expert

dans le domaine d'activité qui lui est confié", - "chacun doit s'engager à apporter son savoir-faire et sa

compétence aux différentes étapes du projet".

Page 282: Conception et interaction

Conclusion : management par projet et ingénierie concourante

L'ingénierie concourante est une innovation organisationnelle qui s'appuie sur une nouvelle manière de diviser et de coordonner les différentes activités impliquées par la conception et le développement d'un nouveau produit. Ce changement organisationnel avait déjà été initié depuis quelques années par l'application dans le développement de nouveau produit, des techniques de management par projet. Par rapport à certains travaux actuels qui soulignent la nouveauté des techniques de management par projet, il n'est pas inutile de rappeler que ces techniques qui ont été mises au point dans le cadre des travaux de Recherche Opérationnelle avec pour objectif la gestion des projets importants ( projet Manhattan, débarquement en Normandie, ….) de la deuxième guerre mondiale, sont couramment utilisées depuis lors par les sociétés d'ingénierie qui ont la responsabilité de la conception et de la réalisation des projets d'investissement complexes. Il aura donc fallu près de cinquante ans pour que les techniques de management de projet puissent se diffuser dans les structures productives, pour que les nouvelles manières de concevoir la division du travail autour d'un projet puissent s'imposer au sein des organisations productives qui restent encore très marquées par les principes tayloriens de division du travail.

C'est principalement au niveau des principes de coordination que le management par projet et l'ingénierie concourante diffèrent. Dans le management par projet, la coordination est assurée par le chef de projet, par des procédures formalisées d'échanges d'informations entre les différents acteurs, par des réunions d'étapes fixées au début du projet. L'objectif du management par projet est de mettre en réseau des informations, des connaissances, et des objets intermédiaires à des moments précis prévus au début du projet.

L'ingénierie concourante tout en reprenant les moyens de coordination du management par projet, met en avant un autre principe de coordination : la coopération des acteurs entre eux. Cette coopération qui met en réseau des compétences, permet de créer de nouvelles connaissances et permet de créer au sein de l'organisation de nouvelles capacités de résolution de problèmes. Cette coopération est également nécessaire pour régler les conflits qui émergent, par la coexistence au sein des entreprises d'organisations par projet et d'organisations hiérarchiques, par la mise en réseau des informations et des compétences en dehors des structures hiérarchiques traditionnelles, par les rapports de pouvoir

Page 283: Conception et interaction

que suscite la création de nouvelles connaissances. Lorsque les institutions en place ne mettent pas en avant la coopération comme règle de l'action collective, l'ingénierie concourante ne peut se développer que par la mise en oeuvre d'un apprentissage à la coopération ; cette forme d'apprentissage ne pourra se maintenir et se renforcer que par la mise en place d'innovations institutionnelles.

Bibliographie (Aoki, Rosenberg, 87) La Firme Japonaise Comme Institution

Innovante". Round Table "Institution in new democracy society, search for new frontier", Tokyo, sept.Faculty of Economics ,

(Clark, Fujimoto, 91) Product Development Performance : Strategy, Organization, and Management in the World Auto Industry. Harvard Business School Press.

(Dertrouzos et al, 90) Made in America, Interéditions, Paris (Kline, Rosenberg, 86) An overview of innovation, in Landau,

Rosenberg, The Positive Sum,National Academy Press, Washington (National Research Council, 91) "Improving engineering design ,

designing for competitive advantage" (Stalk, Hout, 92) Vaincre le temps., Paris, Dunod

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Une expérience de conception distribuée59 Garro Olivier Laboratoire Sols, Solides, Structures, 1209 rue de la piscine, Domaine Universitaire, BP 53X 38041 Grenoble cedex. [email protected]

RESUME. L'objectif de ce papier est de présenter une expérience de conception basée sur un modèle distribué de conception. Ce modèle qui sera présenté dans une première partie, est ancré dans le paradigme connexioniste. Dans une seconde partie, nous présentons l'expérience de conception qui a été réalisée. Enfin nous donnons une première analyse de cette expérience.

MOTS-CLES. Conception distribuée, expérience de conception, Ingénierie Simultanée.

Introduction Depuis quelques années, sous la pression d'une compétition

internationale accrue, le monde de la conception a vu apparaître le concept de Concurrent Engineering. Cette approche, basée sur le parallélisme et permettant notamment de réduire les coûts et les durées de développement des produits, s'est progressivement

59Cette expérience s'est déroulée aux mois de mai, juin 1994, au CRAN, Centre de Recherche en Automatique de Nancy, les participants étant des membres de ce laboratoire.

Page 285: Conception et interaction

substituée à l'approche classique essentiellement séquentielle (figure 1).

Les avantages du Concurrent Engineering sont bien connus car

largement présentés dans la littérature (voir par exemple dans la communauté internationale [Sohlenius 92] et en France [Tichkiewitch 91]). En revanche les défauts inhérents à ce nouveau type de structure sont beaucoup moins diffusés.

Ces défauts proviennent de la sensibilité de la structure parallèle

au facteur humain. Dans l'approche classique, en effet, la responsabilité des différents intervenants se limite à leur propre activité. Au contraire, dans le Concurrent Engineering, cette responsabilité se dilue au travers du parallélisme des différentes interventions. Des facteurs humains comme des conflits peuvent d'une manière indirecte fortement influencer les résultats d'un projet. Ceci constitue un risque d'échec, et en tous cas, empêche une maîtrise des coûts et des délais.

Les méthodes et les théories classiques de la conception, comme

celles de gestion de projet s'intègrent mal au contexte actuel du Concurrent Engineering. Ces méthodes ont été conçues pour des cycles de conception séquentiels. Il est donc important de les faire évoluer vers la gestion du parallélisme en prenant en compte le facteur humain.

Nous avons développé un modèle de conception distribué

prenant en compte ces différents aspects et s'intégrant au concept du Concurrent Engineering. Ce modèle, déjà présenté dans d'autres papiers [Salaü 94, Garro 93] , a été validé par une expérience de conception que nous présentons dans la suite de ce papier.

Le Modèle de Conception Distribuée [Salaü 94] Le modèle utilisé, le Modèle de Conception Distribuée (MCD),

correspond à une théorie de conception de systèmes mécaniques inscrite dans le cadre du paradigme connexioniste [Farmer 90].

Nous définissons le MCD comme étant porté par un réseau de modules dans lequel chaque noeud possède un objectif local particulier et raisonne avec son langage propre. Ce modèle est pour l'instant restreint à trois modules: fonctionnel, structurel et fabrication; chacun d'entre eux possède son objectif local. Le système résultant, constitué en réseau, possède un objectif global: la conception du produit. L'hypothèse forte est que l'objectif global, différent des

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objectifs locaux de chaque module, émerge au fur et à mesure des échanges ou interactions entre chacun d'entre eux :

- L'objectif local du module fonctionnel est de défendre l'intérêt de l'utilisateur du produit. Pour cela il doit définir au mieux le besoin à remplir par le produit en fonction de la définition du problème par le client ou l'utilisateur.

- L'objectif local du module structurel est de choisir les composants qui, réunis, puissent conférer à la structure les meilleures performances.

- L'objectif local du module de fabrication est de réaliser un produit en utilisant au maximum le potentiel de fabrication de l'entreprise. Cet objectif déborde largement le rôle traditionnel du Bureau des Méthodes.

Dans la pratique, la fonction d'un module est remplie, soit par un

concepteur ou une équipe de concepteurs, soit par un ou plusieurs concepteurs et des machines. La figure 2 ci-dessous montre un diagramme de ces modules et souligne l'échange d'informations entre ceux-ci.

Il existe évidemment d'autres modules nécessaires à l'élaboration

de produits, comme par exemple le marketing, le design, la maintenance, etc..

Dans ce modèle la conception d'un produit est une construction

d'un sens commun entre différents modules à partir d'échange d'informations.

Un des avantages de ce modèle est sa grande souplesse qui lui

permet de s'adapter facilement aux différents métiers et obligations de conception. On peut par exemple facilement introduire un module recyclage qui ne s'intéresse qu'à l'aspect démontage du produit et à son recyclage au fur et à mesure que les autres modules l'élaborent. De même si l'aspect maintenance est important (gros systèmes) un module maintenance peut être rajouté. Pour ce projet nous nous limiterons à la configuration à trois modules.

Présentation de l'expérience Le cadre de l'expérience

Cette expérience est basée sur la technique des jeux de rôles. Un

jeu de rôle peut être défini comme un jeu dans lequel les participants incarnent un personnage, un système ou un objet à qui ils font remplir une mission. Cette technique est souvent employée pour des

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formations en économie. Les différents étudiants jouant par exemple le rôle d'un chef d'entreprise avec pour objectif de faire prospérer les entreprises qu'ils dirigent. Le contexte économique et les résultats des actions sont donnés par un animateur. Dans notre expérience, trois étudiants jouent le rôle des trois modules fonctionnel, structurel et fabrication.

Les participants à l'expérience ont été choisis en raison de leurs

connaissances techniques des problèmes de conception. La personne qui travaille dans le module fonctionnel est un étudiant en thèse formé aux problèmes d'analyse fonctionnelle. Le rôle du module structurel est tenu par un ingénieur mécanicien. Le module fabrication est joué par un agrégé en fabrication, spécialiste de ces problèmes et maîtrisant le matériel de l'atelier cible.

Le matériel de travail, distribué au début de l'expérience, est

constitué d'une fiche principale expliquant le déroulement de celle-ci (voir encadré) et d'une fiche propre à chacun des modules, décrivant leurs objectifs. Par ailleurs des fiches de communication et de raisonnement sont distribuées afin de tracer le déroulement de la conception.

L'objet à concevoir est un touret à meuler. Il est décrit sur la fiche

principale donnée à chacun des membres de l'expérience. Le rôle du client est joué par l'expérimentateur. Les moyens de production sont ceux de l'Atelier Inter-Universitaire

de Productique (l'AIP) de Nancy. Ils comprennent un centre d'usinage à 4 axes, un centre de tournage ainsi que des moyens classiques de production.

Le cadre de l'expérience est le suivant. Chacun des modules

fonctionne en autonomie parfaite. Chacun des modules essaye de remplir son objectif. Les objectifs décrits sur une fiche qui leur est transmise au début de l'expérience sont les suivants :

Objectif local du Module fonctionnel: Le module fonctionnel doit satisfaire au mieux les besoins du client.

En l'occurrence, l'animateur représente le client. Le module fonctionnel peut donc discuter librement avec l'animateur.

Le module fonctionnel doit définir l'ensemble du cahier des charges fonctionnel en spécifiant au mieux les fonctions. Ensuite il doit s'assurer que ces fonctions sont bien remplies. Il doit classer les

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fonctions par ordre d'importance et vérifier l'adéquation des coûts et de l'importance des fonctions...

Le module fonctionnel doit définir l'ensemble du cahier des charges fonctionnel en spécifiant au mieux les fonctions. Ensuite il doit s'assurer que ces fonctions sont bien remplies. Il doit classer les fonctions par ordre d'importance et vérifier l'adéquation des coûts et de l'importance des fonctions...

Objectif local du Module structurel: Le module structurel doit choisir les solutions les plus performantes

pour l'objet. Pour cela il doit faire les choix de composants, les chiffrer, valider

les solutions par des calculs techniques (RDM, roulements...), gérer des solutions alternatives et réaliser les dessins de définition (sommairement).

Objectif local du module de Fabrication : Utiliser au mieux les moyens techniques de l'AIP (centre d'usinage

et tour). Le travail à réaliser est de faire les choix de fabrication, de vérifier

la faisabilité des solutions proposées, de chiffrer et estimer les temps de réalisation et enfin de donner des gammes sommaires.

La communication se fait au moyen de fiches spécifiques

présentées sur la figure ci-dessous. Sur ces fiches chaque module s'identifie par son nom et indique un numéro de fiche qui atteste de la progression du travail. La fiche entrée/sortie est une fiche qui est diffusée à tous les autres modules et que l'animateur garde pour avoir une trace de l'expérience. Une deuxième fiche, la fiche de raisonnement est communiquée à l'animateur afin qu'il garde une trace des raisonnements techniques employés pour transformer les entrées en sorties.

Ces fiches décomposent donc le raisonnement en deux parties : les données (indiquées en entrée et en sortie) et les traitements que l'on doit retrouver dans la fiche raisonnement.

Déroulement de l'expérience

Page 289: Conception et interaction

Les trois participants au projet se sont trouvés tout au long de l'expérience dans des bureaux séparés et n'ont communiqué qu'au moyen de fiches.

L'expérience s'est déroulée sur 5 demi-journées. Elle a duré plus que prévu, aussi avons nous décidé de l'arrêter lorsque les premiers résultats ont été atteints.

A ce moment, le touret à meuler était pratiquement conçu. Une

demi-journée supplémentaire a été réservée à une discussion commune (l'animateur et les intervenants) sur les réactions de chacun vis-à-vis de l'expérience.

Les échanges réalisés au cours de l'expérience et pistés grâce aux

fiches d'entrée et sortie sont donnés figure 5. Sur cette figure, les bulles avec les numéros indiquent qu'un

message a été émis par le module dans la colonne duquel figure la bulle. Le numéro précise l'ordre des émissions, chaque module envoyant dans l'ordre ses fonctions (1, 2, 3, ...). L'axe vertical indique l’écoulement du temps en heures. La durée totale de l'expérience répartie sur les 5 demi-journées est de 16 heures. Les flèches proviennent des informations relevées dans la partie "entrée" des fiches entrées/sorties. Ce diagramme peut être exploité de diverses manières. Nous allons dans le paragraphe suivant essayer de présenter une analyse, d'une part de la forme globale des échanges, d'autre part des données transmises et des traitements.

Le principal résultat, qui constituait l'objectif de l'expérience est

néanmoins d'ores et déjà atteint, il s'agissait de vérifier qu'un tel réseau était capable de s'auto-organiser et de produire un objet.

Analyse La forme générale Il est intéressant de comparer la figure obtenue à partir des

échanges (figure 5) par rapport à une prévision théorique des interactions dans ce réseau [Garro 93]. La prévision, basée sur les outils de conception disponibles par les ingénieurs, est très ordonnée avec une forme en mosaïque. Au contraire la figure 5 possède une forme plus brownienne et semble donc plus réaliste. Les messages de fait sont plus nombreux et les tâches réalisées sont plus courtes.

(a) Chaque module a besoin de vérifier que l'autre a compris ou

d'interroger pour comprendre ce que l'autre veut dire. Au lieu d'un message on assiste à une succession de message.

Page 290: Conception et interaction

(b) Les tâches sont plus courtes : chaque tâche est fractionnée en petites actions et les interactions permettent de s'assurer que les différents modules convergent dans la même direction. En fait au travers de ce morcellement des tâches et de la multiplication de l'information, le réseau fait preuve de robustesse : il s'assure de la convergence de ses solutions.

Nous présentons dans la figure 6 l'évolution cumulative des

communications émises par chaque module. Sur la forme générale, on s'aperçoit que le module structurel communique à peu près deux fois plus que le fonctionnel et la fabrication. Quant à eux (fonctionnel et fabrication), ils ont la même évolution de communication. Par ailleurs, la figure 7 montre que le module structurel émet des informations pendant pratiquement tout la durée de la conception contrairement aux deux autres qui travaillent plus par période. Ces périodes d'ailleurs sont alternées : fontionnel de 2 à 5 puis fabrication de 4 à 9 puis à nouveau fonctionnel..

En fait, si l'on examine la figure 8 où nous avons classé a posteriori

les communications des modules pris deux par deux dans le réseau, on voit des oscillations qui représentent les activités des modules par couples. Les couples (Fonctionnel - Structurel) et (Fabrication - Structurel) ont respectivement 4 et 3 pics de communication, tandis que le couple (Fonctionnel - Fabrication) a un seul pic (faible). Ceci explique que le module structurel communique deux fois plus que les autres. Il communique aussi bien avec le fonctionnel qu'avec la fabrication qui eux ne communiquent que peu entre eux.

Pour montrer cela, nous avons sur la figure 9 symbolisé par une

épaisseur variable des traits les quantités de fiches échangées. On peut également constater sur la figure 8 que les pics (fonctionnel - structurel) alternent avec les pics (fabrication - structurel). Ce qui semble indiquer le rôle important de module structurel dans l'organisation du réseau notamment dans l'alternance des réflexions fonctionnel/fabrication.

Quelles sont les données communiquées? Les données très schématiquement peuvent être classées selon

l'arbre suivant.

Page 291: Conception et interaction

données

données techniques

autres (questions, ...)

propre au module

propre aux autres modules

(a) L'hypothèse que l'on peut faire est que les données non

techniques servent aux différents modules à se positionner socialement et à affirmer leur rôle dans le réseau. Ce sont ces données qui vont structurer le fonctionnement du réseau. Grâce à elles, des rôles vont être négociés entre les modules et des objectifs vont émerger.

(b) Les données techniques par contre servent à construire l'objet. Elles sont de deux types :

-Les données techniques propres au module Ce sont des informations qui participent à la construction de

l'objet. Ces informations sont nécessaires mais pas suffisantes. Généralement, ce sont les seuls mises en avant par le technicien.

- Les données techniques propres aux autres modules Ce sont des informations qui participent à la définition d'un sens

commun de l'objet à concevoir. Elles participent à une meilleure compréhension des modules entre eux.

Nous pouvons constater que les données techniques propres aux

modules contribuent pour environ 50% (figure 10) d'information qui participe à la conception du produit. Dans l'activité du réseau seulement la moitié des échanges a donc servi directement au produit; la seconde moitié sert au système de conception.

Ces explications un peu simplifiées montrent cependant bien que les données ne peuvent uniquement se limiter à des données techniques propres à chaque module et qu'un certain nombre d'informations informelles transitent pour maintenir la dynamique du réseau.

Ces résultats justifient un certain nombre d'actions de recherches menées actuellement en France dans le domaine de la conception avec une collaboration entre sciences "dures" et molles". On peut citer l'exemple du GSIP (Groupement Scientifique Interdisciplinaire pour la Productique et la Production Industrielle) à Grenoble avec la collaboration de l'équipe CI (Conception Intégrée) de 3S (sols, Solides, Structure) et le laboratoire CRISTO (sociologie industrielle) sur les problèmes de conception [Tichkiewitch 93]. Un autre exemple à Nancy est constitué par le GRIPIC (Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur les Processus Interactifs Complexes), conglomérat

Page 292: Conception et interaction

de plusieurs laboratoires dont le CRAN (Centre de recherche en Automatique de Nancy) et le GRC (Groupe de Recherche en Communication) sur les problèmes de conception distribuée.

Quels sont les traitements Type de traitement Les traitements réalisés sont de deux types : les traitements propres

à chaque module (locaux) et les traitements globaux. Pour les traitements locaux nous assistons pour le fonctionnel, le structurel et la fabrication à des traitements classiques : recherche de fonctions, définition des fonctions, recherche de solutions techniques, choix des composants à acheter et à sous-traiter, validation locale etc. Pour les traitements globaux, il faut assurer que le produit satisfait aux besoins du client et est conforme aux normes en vigueur.

Mais il est important de souligner que le réseau effectue globalement des traitements qui n'ont pas beaucoup de sens au sein de chaque module. Ceci a été mis en évidence lors de la réunion d'évaluation, lorsque tous les acteurs ont été unanimes pour dire que rien n'avait été réalisé en parallèle. Chacun des acteurs de l'expérience pensait qu'il avait travaillé seul dans son coin. Au contraire une analyse globale montre que des solutions aux différents problèmes ont pu être trouvées par les nombreux échanges entre les trois modules, très peu de recherche a été effectuée indépendamment dans chaque module. Ceci montre que les acteurs ont toujours eu une vision limitée du fonctionnement global. En effet, le réseau a produit l'objet demandé et on peut en suivant les échanges pister des prises de décisions à la fois distribuées et réalisées en parallèle à d'autres décisions. Ces prises de décisions sont transparentes pour chacun des modules. Nous allons maintenant en examiner un exemple.

Prise de décision Un bon exemple de prise de décision distribuée dans le réseau est

donné par le cas de l'équilibrage (figure 11). Sur les premières heures de l’expérience, quelques échanges entre

les deux modules fonctionnel et structurel portent sur un problème de parallélisme. En fait durant cet échange, les deux modules ne se comprennent pas, n’ayant pas tout à fait le même langage (ou les mêmes points de vue). A la 8 ème heure, le module structurel, comprenant autre chose (erreur de communication) transforme le problème. Le réseau se mobilise alors massivement pour résoudre ce nouveau problème, travaillant sans concertation de manière un peu

Page 293: Conception et interaction

anarchique. Après trois heures d’échanges intenses, une décision est prise, acceptée par tous. Cette prise de décision consacrée par le module structurel lors de l’émission de la fiche 24 est intéressante sous plusieurs aspects:

L'origine du problème est accidentel (erreur de

communication). Il n'aurait certainement pas été pris en compte par un concepteur seul. Cela souligne le rôle important du hasard dans la conception.

- La résolution de ce problème se produit en parallèle à d'autres actions. En effet le réseau ne traite pas uniquement du problème de l'équilibrage, il traite en même temps par exemple de tous les problèmes de protection de l'utilisateur du produit

- La résolution est effectivement distribuée puisque tous les modules participent à la résolution du problème d'équilibrage lié à la conception du produit. En conséquence, sans qu'il y ait concertation, va émerger une décision permettant de résoudre le problème de l'équilibrage.

Le plus remarquable est que les participants ne s'aperçoivent pas

du parallélisme et de la distribution. En effet lors de la réunion d'évaluation de l'expérience, ils ont été unanime pour dire qu'ils n'avaient pas travaillé en parallèle, mais de manière très traditionnelle.

Alternance d'ordre et de désordre Cette expérience est une bonne illustration du problème

d'alternance entre ordre et désordre en conception. En effet, dans le cas de l'équilibrage, la source du problème à résoudre, apparaît par hasard, suite à une erreur de communication, une sorte de mutation sur le sens du message. Cette première source de désordre, l’erreur, va nourrir un échange actif, lui même très désordonné, aboutissant à une solution acceptée par tous, c’est à dire symbole d’ordre. Notons que les participants perçoivent le désordre régnant, qu’ils jugent négativement, mais pas du tout l’ordre qui petit à petit apparaît sous forme d’un éclaircissement de problème.

Cette génération de désordre puis d'ordre peut être donnée par les courbes de Dupuy, où dans une première phase, on génère un grand nombre d'information, qui vont être organisées puis triées par la suite afin d'aboutir à une solution. Ces courbes permettent alors d'observer une convergence montrant la fin d'une conception [Soulé-Dupuy 93].

Sur la figure suivante, la deuxième courbe (messages sur l'équilibrage) montre ces deux aspects avec tout d'abord une phase

Page 294: Conception et interaction

de croissance puis une phase de décroissance, lorsque les choix se font petit à petit, réduisant l'ensemble des solutions.

La courbe enveloppe (Messages) indique que l'ensemble de la conception résulte d'une sommation de phases de croissance/décroissance, jusqu'à ce que l'ensemble des problèmes soit résolu. Ceci donne un résultat un peu hachuré, montrant les alternances d'ordre et de désordre régnant pendant la conception.

Conclusion Cette expérience a permis de montrer le fonctionnement pertinent

du MCD. Malgré des moyens de communication considérablement appauvris car limités à la seule expression écrite, le réseau a été capable de s'auto-organiser pour faire émerger des solutions en gérant un certain nombre de variantes. Cette expérience valide donc le Modèle de Conception Distribuée en montrant que des acteurs communiquant peuvent concevoir.

Un deuxième point important est lié à l'organisation et à la

structuration du réseau. L'analyse des communications montre l'organisation en deux couples travaillant en alternative, le couple structurel/fonctionnel et le couple structurel/fabrication. Cette organisation fait apparaître comme prépondérant le module structurel, qui du fait de son rôle de créateur de solutions se situe à une position charnière du processus de conception. Cette organisation est le résultat émergent (au même titre que l'objet à concevoir) de la structuration du réseau par la communication.

Le succès de cet expérience nous permet d'envisager une

méthodologie de conception basée sur le concept de distribution de la conception, ainsi qu'une méthode d'enseignement, permettant de dépasser la démarche séquentielle classique.

Bibliographie

C. Soulé-Dupuy, PJ Charrel, B. Rothenburger, Réseaux de neurones et exploitation des méta-connaissances d’un système d’information flexible, pp 93-102, AFCET 1er congrès Versailles, juin 93. Farmer J.D. A rosetta stone for connectionism, Physica, North-Holland edition, Elsevier Science Publishers B.V., 1990. Garro O. Brissaud D. Vers la conception intégrée de pièces de l'ameublement. 3 ème colloque PRIMECA, 24-26 Nov 93, Paris. Garro O., Salau I., Martin P. Distributed Design Theory and Methodology. Concurrent Engineering : Research and Applications. Vol 3, NB 1, March 95 pp 43-54.

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Activité iActivité i-1 Activité i+1

Activité i-1

Activité i

Activité i+1

Approche classique : Les activités s’enchaînent de manière séquentielle. Approche parallèle : Les activités se déroulent quasiment en même temps. Cela nécessite un accroissement de la communication.

Figure 1 : Comparaison entre l’enchaînement des tâches dans les deux concepts de conception.

Module fonctionnel

Module structurel

Module fabrication

...

Figure 2 : le concept du Modèle distribué de Conception

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EXPÉRIENCE DE CONCEPTION DISTRIBUÉE

Introduction Ceci est une expérience de conception distribuée. L'objectif global

est de concevoir un touret à meuler. Les objectifs de chacun des participants sont cependant différents. Ils sont indiqués sur les fiches individuelles. L'expérience durera tant que l'objet à concevoir ne sera pas complètement décrit. L'objet est complètement décrit lorsqu'il peut être réalisé ou partiellement réalisé et acheté.

Règles Le fonctionnement de l'expérience est le suivant: 1 Chacun des participants travaille dans un lieu différent des autres. 2 La communication se fait uniquement par papier selon le formulaire

ci-joint (fiche A). Dès qu'un des participants veut communiquer il remplit le papier et le remet à l'expérimentateur. C'est à la charge de l'expérimentateur de le dupliquer et de le transmettre aux deux autres participants. Ceux-ci peuvent ou non répondre selon la même procédure. Du texte, du dessin ou des formules de calcul peuvent être transmises par cette voie.

3 Les raisonnements produisant le résultat transcrit sur la fiche A sont obligatoirement décrits sur la seconde feuille (fiche B). Celle-ci devra être transmise en même temps que la A et l'expérimentateur la photocopiera avant de la rendre. Cette feuille n'est pas transmise aux autres participants.

Spécification sommaire de l'objet Le système doit permettre d'entraîner en rotation une meule à la

vitesse de 6000 tr/min, la puissance transmise étant de 600 W. L'objet est à réaliser en 1 exemplaire.

Le schéma de principe est le suivant (il peut éventuellement être remis en cause):

PoulieMeuleLiaison pivot

Support plan

La meule est complètement définie (diamètre extérieur = 200mm, diamètre intérieur = 60mm, largeur =30 mm) ainsi que les dimensions extérieures de la poulie d'entraînement (diamètre nominal = 100mm, largeur de la courroie dentée >10 mm).

Figure 3 : Fiche principale distribuée dans l'expérience.

Page 298: Conception et interaction

Figure 4 : Exemples de fiches

Page 299: Conception et interaction

Module Fonctionnel Module structurel Module de fabrication

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

40 414442 43

1

2

3

4 5

14

173031

3234

2021

1

2

3

57

8

1114

17

22

3736

38

1

2

3

9

12

13

1618

4

5

7 684

5b

6

12

1015

1018 11

2012

19

17

14 251515

2829

33

183519

1939

22

2426

6 79

89 10

132123

16

11

1627

Figure 5 :Les échanges au cours de la conception

Page 300: Conception et interaction

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16

Fonct.

Struct.

Fab.

x

2x

Temps (hrs)Figure 6 : Évolution cumulative des communications.

temps (hrs).

Contibution de chaquemodule

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16

Fab.

Struct.

Fonct.

Figure 7 : Contribution proportionnelle de chaque module

Page 301: Conception et interaction

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16

12345678

Temps (hrs).

Fonc./Struct.

Struct./Fab.

Fab./Fonc.

Figure 8 : Digramme des communications entre les modules pris

deux par deux

Module fonctionnel

Module structurel

Module fabrication

1 3

37

15

10

17

2

1214

Figure 9 : Schéma représentant la quantité de messages

échangées

Page 302: Conception et interaction

49%

24%

27%

Donnéestechniques propreau module

Donnéestechniques propreaux autresmodules

Données non-techniques

Figure 10 : L'importance des données échangées.

Page 303: Conception et interaction

Module Fonctionnel Module structurel Module de fabrication

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

14

17

22

1

12

4

4

1018 11

2012

19

24

1321

16

11

Figure 11 : Schéma de prise de décision: cas d'équilibrage

0

5

10

15

Mes

sage

s

0 5 10 15 20

Heures

Quantité de messages échangés

Messages sur l'équilibrage

Messages

Figure 12 : Courbe de génération de message pendant l'expérience

Page 304: Conception et interaction