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Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017 Pages 135-171

ALEXANDRE, Agripa Faria (2016) L’écologie politique au Brésil. Rio de Janeiro, 2016. Paris, L’Harmattan, 138 p. (ISBN 978-2-343-09677-3)

Cet ouvrage émanant d’un sociologue se décompose en cinq chapitres. Les concepts fondamentaux de l’écologie politique constituent le premier, la sociologie brésilienne et la question écologique, le deuxième, le chapitre III est consacré au mouvement écologique brésilien, tandis que la démocratie et la politique brésilienne pour la durabilité occupe le chapitre IV, et que le cinquième chapitre porte sur le changement géopolitique, les changements climatiques et les nouvelles pratiques d’action de l’écologisme politique brésilien (2008-2015).

Ce travail traite d’un sujet intéressant dans un pays où les enjeux, débats, conflits sont nombreux autour des questions d’écologie et plus largement d’environnement, et où ces thématiques ont été discutées depuis plusieurs décennies déjà par les acteurs internationaux, lors de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 puis, à nouveau, lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable 2012 (Rio plus 20). La forêt amazonienne, ses usages, la déforestation, les populations autochtones… ont fait l’objet de très nombreux travaux et sont à l’origine de postures écologistes qu’on s’attend à voir présenter et développer de manière précise dans cet ouvrage. Or, les différentes conceptions

de l’écologie (écocentrée, anthropocentrée…) sont envisagées de façon assez confuse, sans aucune référence aux travaux américains et européens, sans tentative pourtant indispensable d’établir des équivalences entre ces différentes approches et les terminologies existantes. L’écologie politique demandait aussi définition. L’auteur traite le plus souvent de l’écologie dans la politique brésilienne (chapitres IV et V) mais, là encore, l’approche est succincte, le contexte politique et les acteurs insuffisamment présentés.

Globalement, les acteurs de l’écologie politique comme les grandes problématiques d’environnement sont évoqués trop rapidement, sans que soit discuté le statut des acteurs, sans que leurs postures soient envisagées et critiquées de façon approfondie. Or, l’auteur indique avoir enquêté auprès de 260 représentants d’ONG environnementales. Mais les informations obtenues sont diluées au fil du texte et les personnes interrogées ainsi que les types d’entretiens ne font pas l’objet de l’analyse que tout travail de recherche nécessite. La place de l’écologie dans la politique brésilienne, des années Lula et Rousseff notamment, est évoquée, mais de manière bien trop rapide. La question de la durabilité, à travers quelques exemples, aborde les « conflits » classiques entre écologie, protection des ressources et pressions économiques. Il aurait été intéressant de montrer, également avec des exemples, la difficulté de traiter de tels conflits dans un pays en développement, dont les attentes de la population diffèrent forcément de celles qu’on a dans les pays riches. L’importance des réseaux sociaux, dont le rôle en écologie politique paraît de plus en plus affirmé, aurait aussi demandé un développement plus important. Finalement, cet ouvrage n’éclaire guère sur l’écologie politique brésilienne, ce qu’on ne peut que regretter. Il apparaît comme un saupoudrage, une succession d’idées présentées sans recul et sans analyse critique. En outre, il souffre probablement d’une traduction déficiente qui contribue à accroître la confusion de l’ensemble.

Yvette VEYRETUniversité Paris Nanterre

Nanterre (France)

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ELOUNDOU, André Jules (2016) Les défis de la politique de régénération et d’aménagement forestiers au Cameroun. Paris, L’Harmattan, 204 p. (ISBN 978-2-343-09376-5)

L’auteur, André Jules Eloundou de l’Université de Maroua au Cameroun, nous propose la lecture d’un ouvrage compact. Il nous invite à la découverte des défis de la politique de régénération et d’aménagement forestiers au Cameroun ainsi que de l’œuvre accomplie depuis les premières actions de préservation de ce milieu forestier dans ses diversités, tout en replaçant l’ensemble des aménagements forestiers en fonction des évolutions politiques et des échanges internationaux.

L e d é v e l o p p e m e n t c o n t e x t u e l e t chronologique s’articule autour de cinq chapitres au sein desquels la diversité des milieux forestiers du Cameroun est exposée. Les rappels historiques de la période coloniale préparent la mise en exergue des politiques volontaristes contemporaines entreprises par les autorités camerounaises pour réglementer l’exploitation forestière. La mosaïque des acteurs et des organismes présents en fonction de leurs responsabilités territoriales annonce les dynamiques de la promotion de la forêt. Les intervenants administratifs sont présentés, ainsi que les organismes agissant pour le développement forestier avec les acteurs institutionnels qui intensifient les recherches

et l’enseignement sur la richesse du milieu forestier. La spécificité des mangroves, écosystème d’importance pour le Cameroun, est abordée ainsi que le reboisement et l’aménagement par l’intermédiaire des réserves forestières, le tout soutenu en corrélation avec les certifications et les cadres réglementaires. Ceux-ci encadrent la mise en application des directives et le respect des engagements des politiques afin que les forêts du Cameroun puissent être gérées de manière efficace, malgré les contraintes territoriales et humaines parfois lourdes avec lesquelles composent les intervenants.

Le contenu proposé par André Jules Eloundou met en évidence des temporalités longues de la forêt qui sont en diachronie avec les rythmes des sociétés contemporaines. Il met en relief l’importance de l’investissement des acteurs gouvernementaux dans l’expression des orientations pour prendre en considération les réalités vitales du milieu forestier et de ses potentialités. Il expose par le menu les actions des différents organismes et des administrations qui ont vu leurs rôles et leurs implications évoluer, s’affirmer et se densifier depuis trois décennies, et plus encore depuis 1994 avec l’instauration des premières directives nationales influencées par les mouvances internationales. Les photos et les tableaux présentent des faits concrets. Ils attestent de la qualité des projets de gestion des domaines forestiers ainsi que de la progression des superficies des réserves forestières et de leur diversification. En outre, les inquiétudes au sujet de la préservation de la biodiversité à laquelle est greffée l’évolution volontariste des coopérations internationales sont intégrées dans cette présentation. Celle-ci est effectuée par le détail des faits et des réalisations en mettant en avant ce qui a été accompli pour les forêts, les mangroves et les différentes réserves en relation étroite avec les populations locales.

Toutefois, il demeure, à notre sens, l’absence de perspectives de lecture du fait forestier qui mérite un regard à même de susciter un attrait plus large et une implication plus intense en

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adéquation avec les problématiques actuelles de la déforestation, du réchauffement climatique et du développement durable. Il est vrai qu’André Jules Eloundou présente brièvement des liens avec les orientations actuelles de l’Organisation des Nations unies(ONU) pour que la gestion des territoires forestiers soit durable. Par ailleurs, une extension en direction du programme de développement durable à l’horizon 2030 ainsi que l’analyse systémique de durabilité permettraient, selon notre lecture des orientations mondiales, d’ouvrir des axes d’une intégration renforcée de l’œuvre accomplie au Cameroun pour la gestion des territoires forestiers.

Néanmoins, en proposant une approche concise, cet ouvrage éclairera d’une manière pragmatique tous les lecteurs qui aspirent à comprendre la progression de la gestion et de l’aménagement des forêts, au Cameroun. Les exemples de d’application de la gestion forestière dans divers lieux du Cameroun, les progrès matérialisés, l’investissement des populations et la volonté d’encadrer dans les meilleures conditions toutes les actions entreprises attestent du travail qu’il reste à entreprendre. L’exposition pertinente des liens entre les actions gouvernementales, celles des organismes locaux, la recherche sous toutes ses formes et l’enseignement du fait forestier permet d’entrevoir des perspec-tives attrayantes de développement pour toute personne intéressée par les milieux forestiers. Quelque part, André Jules Eloundou incite le lecteur à se tourner en direction de la recherche en aménagement forestier pour que le Cameroun poursuive ses efforts afin que la forêt demeure durable.

Yannick BRUN-PICARDÉcole maternelle et primaire La Peyroua

Le Muy (France)

FARCY, Christine et HUYBENS, Nicole (dir.) (2016) Forêts, savoirs et motivations. Paris, L’Harmattan, 260 p. (ISBN 978-2-343-09986-6)

La recherche dans le domaine de la foresterie sociale s’est développée de manière importante depuis le début des années 1990. Cet ouvrage collectif contribue au corpus de connaissances et d’études de cas sur la gestion participative des forêts, les dimensions culturelles, symboliques et politiques de l’aménagement forestier, s’intéressant aussi à des problématiques incontournables du XXIe siècle, comme la protection de la biodiversité et l’adaptation aux changements climatiques.

Forêts, savoirs et motivations regroupe des communications présentées au colloque de l’Association de science régionale de langue française (ASRDLF) qui avait lieu à Mons, en Belgique, en 2013. Pour sa 50e édition, l’ASRDLF avait choisi d’aborder le thème du rôle de la culture, du patrimoine et des savoirs dans le développement des territoires. Une session spéciale intitulée Forêts et foresterie : savoirs et motivations accueillait 17 conférenciers qui présentent ici le résultat de recherches réalisées en France, en Belgique, en Suisse, en Angleterre, au Maroc, au Cameroun et au Québec.

Divisé en trois sections, l’ouvrage porte un regard croisé sur la gouvernance des forêts dans plusieurs régions du monde, mettant

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en jeu savoirs locaux et connaissances scientifiques, motivations des acteurs et systèmes de valeurs, mécanismes d’animation et techniques d’analyse multicritères, controverses socioenvironnementales et médiation. À travers leur expertise, les deux directrices de la publication, Nicole Huybens, éthicienne, et Christine Farcy, spécialiste en politique forestière, ont su donner à cet ouvrage une dimension stratégique qui offre, aux chercheurs, gestionnaires et praticiens, certaines clés pour mieux comprendre et relever les grands défis de la gouvernance des forêts à travers le monde.

La première partie, Savoirs profanes et représentations, aborde la forêt en tant qu’écosystème social et symbolique. Les différentes représentations sociales portées par les ruraux et les urbains, les propriétaires privés et publics, les détenteurs de savoirs traditionnels et les experts des sociétés technoscientif iques sont animées par des visions du monde qui influencent la gouvernance forestière. Cette section est riche d’une diversité d’expériences et de regards sur la forêt, les changements environnementaux et la gestion participative, que ce soit à travers les pratiques culturelles et culturales entourant l’arganier du Maroc (Aziz) ou la perception des changements climatiques par les Pygmées et les Bantous du Cameroun (Wilmart, Nke Ndih et Fracy). Étant donné la richesse des travaux réalisés au Québec sur les savoirs autochtones, on peut toutefois regretter qu’aucun chercheur québécois dans ce domaine n’ait contribué à l’ouvrage. On peut également critiquer l’emploi du terme savoirs profanes, qui laisse entendre un savoir non initié par opposition aux savoirs experts. Ce qualificatif a malheureusement une résonnance colonisatrice et paternaliste ne traduisant pas bien les efforts qui sont désormais consacrés à la reconnaissance de la contribution des savoirs locaux ou traditionnels pour mieux comprendre et résoudre les problématiques environnementales.

La deuxième section, qui se décline sous le thème Animation et territoire, permet d’analyser les motivations et les formes

d’engagements des acteurs. On y présente les résultats d’une recherche intéressante portant sur les motivations des habitants à participer à la foresterie locale dans les Alpes suisses et françaises. Le cadre théorique multidimensionnel proposé par Finger-Stich et Shannon (théorie des interactions sociales, sociologie des organisations, approche écosystémique, théorisation de la modernité, théorie de gestion des communs) permet d’analyser de manière transdisciplinaire les enjeux forestiers dans leurs dimensions multifonctionnelles et participatives. Cette section propose d’autres analyses nouvelles en ce qui concerne le défi de la mobilisation des connaissances entre chercheurs et praticiens ou acteurs du terrain. Le « jeu de territoire » appliqué à la région française du Vercors, tel que présenté par Lardon, Bouchaud et Cordonnier, est très porteur et innovant : un projet qui visait à faciliter les apprentissages sociaux en s’intéressant à la manière de traduire les connaissances scientifiques en savoirs pour l’action collective et la coconstruction d’une vision partagée de la forêt et du territoire.

La dernière section, Politique et gouvernance, comprend deux études de cas québécoises qui présentent d’ailleurs les seules recherches réalisées en Amérique. L’étude de Leclerc portant sur le rapport entre standardisation et différenciation dans la territorialité forestière est une illustration fort éloquente des mécanismes de gouvernance qui peuvent évoluer en parallèle et même en complémentarité pour donner au système souplesse et pertinence. On pourra regretter que l’actuel gouvernement Couillard ait démantelé les commissions régionales sur les ressources naturelles et le territoire qui servent ici à illustrer le propos. Dans le contexte de mouvance politique caractérisant la gestion des ressources naturelles au Québec, on comprend que les changements organisationnels précèdent parfois la diffusion des résultats scientifiques qui auraient pourtant pu éclairer les décisions politiques.

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Enfin, la dernière étude de cas analyse la dimension éthique qui s’exprime de manière plus ou moins explicite dans la problématique de la protection du caribou forestier au Québec. Huybens et Lord portent un regard éclairé et éclairant sur les enjeux de la prise de décision en matière de gestion des ressources naturelles, en insistant sur la distinction entre faits scientifiques et recommandations, entre le « vrai » et le « bien ». En guise de conclusion, les auteurs proposent les balises d’une éthique multicentrique pour décrire « la forêt souhaitée » où ils suggèrent de « remplacer la nostalgie d’un passé " idéal " (la forêt préindustrielle, par exemple) par l’idée d’un futur élaboré dans le dialogue ». Ainsi, inscrire « une humanité responsable dans les forêts de l’anthropocène » constitue le fil conducteur de l’ensemble des travaux présentés dans cet ouvrage collectif qui, finalement, fait œuvre de pédagogie de l’espoir. Au fil des différentes propositions, il se dégage que la non-acceptabilité sociale peut représenter une occasion constructive et novatrice et que les controverses socioenvironnementales entourant la gestion des forêts sont de nature à renforcer le dialogue des savoirs et la négociation de valeurs partagées. Un chantier de recherches en pleine évolution !

Marie SAINT-ARNAUDCentr’ERE et Institut des sciences de l’environnement

Université du Québec à Montréal Montréal (Canada)

CARRIÈRE, Jean-Paul, HAMDOUCH, Abdelillah et IATU, Corneliu (dir.) (2016) Développement durable des territoires. Paris, Economica, Anthropos, 234 p. (ISBN 978-2-7178-6882-1)

D’entrée de jeu, les auteurs soulignent que le développement territorial durable présente « un défi pour les décideurs et les théoriciens de l’aménagement du territoire et du développement local » (p. 13). Cette affirmation est tout à fait de mise et on le réalise en parcourant l’ensemble de l’ouvrage. Les auteurs ont réussi à réunir une brochette de spécialistes du développement territorial provenant de différents pays dans le monde. Cela permet du même coup de réaliser comment ce thème peut varier selon l’environnement économique et politique d’un pays, de même que selon l’échelle à laquelle on regarde le développement territorial durable.

Trois par ties distinctes caractérisent l’ouvrage. La première propose l’application du développement durable à l’échelle locale, que ce soit en France ou au Québec, avec deux excellents textes. Dans l’un, Pecqueur et Landel mettent de l’avant que, dans un monde globalisé, l’avantage différenciatif caractérise plusieurs produits ; et dans l’autre, Jean propose le développement territorial solidaire pour soutenir un développement rural durable. Cette partie

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est complétée par trois textes qui s’attardent au développement territorial à l’échelle des villes, petites et grandes. La seconde partie de l’ouvrage se concentre sur la gouvernance et l’organisation territoriale. Ici encore, des textes fort intéressants – en particulier celui de Pascariu et Tiganasu de la Roumanie qui sont à la recherche d’une organisation optimale – permettent de promouvoir et de valoriser la diversité ethnoculturelle en tant que source de créativité dans un esprit de développement territorial durable. La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse du développement territorial durable avec un accent sur le tourisme et la mise en valeur du paysage. On y fait mention de l’importance de la participation des acteurs tels les agriculteurs et les dirigeants des villes. Cette partie reflète, une fois de plus, la grande fourchette d’intervention que se sont donnée les auteurs avec la présentation de travaux de terrain en France et en Roumanie.

Étant donné son large spectre d’application du concept de développement territorial durable, cet ouvrage saura plaire à une multitude d’acteurs et de chercheurs provenant de divers horizons. Il faut toutefois souligner que, de ce fait, certains chapitres seront plus ou moins appréciés selon le niveau d’intervention du lecteur. Cependant, c’est un ouvrage que je recommande puisqu’il fournit un très bel éventail des diverses dimensions du développement territorial durable, ce qui permet une plus grande ouverture sur cette question de la part des acteurs concernés.

Rémy LAMBERTFaculté des sciences de l’agriculture et

de l’alimentation, Université Laval Québec (Canada)

DIALLO, Ibrahima Dâka et BARRY, Mamadou Aliou (2016) Le développement durable du tourisme en Guinée. Paris, L’Harmattan, 290 p. (ISBN 978-2-343-09087-0)

Ce livre aborde un thème important en sciences sociales, soit le rôle que peut jouer le tourisme comme moteur de développement dans les pays du Sud. De nombreuses études se sont penchées sur cette question, mais peu d’entre elles se sont attardées au cas de la Guinée, pays parmi les plus pauvres de la planète et largement méconnu en Occident. Le titre de l’ouvrage laissait donc présager une contribution opportune. Malheureusement, le livre nous laisse sur notre faim. Il est difficile de suivre les auteurs dans leurs nombreuses propositions, compte tenu du manque de rigueur dans l’écriture et de l’absence de sources crédibles pour appuyer leurs affirmations.

Le livre s’amorce sur un long résumé dont certains paragraphes sont repris textuellement dans l’introduction qui suit. On peut donc se questionner sur sa pertinence. Bien que les objectifs de l’ouvrage ne soient pas clairement énoncés, on comprend que les auteurs veulent proposer une « nouvelle approche pour [la Guinée], en vue de créer un environnement plus favorable au développement durable du tourisme » (p. 13). Dans le chapitre préliminaire (c’est ainsi qu’on le nomme), les auteurs

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présentent un historique assez pauvre du développement du tourisme dans le monde et tentent une définition de cette activité. On aurait pu ici renvoyer le lecteur à quelques auteurs-clés qui ont fait ce travail de façon admirable et plutôt concentrer ses énergies à nous présenter le contexte guinéen dans lequel s’insère le tourisme, un aspect abordé dans la seconde partie du chapitre. Bien que cet exposé soit peu documenté et par moments difficile à suivre en raison du manque de repères, c’est sans doute la partie la plus stimulante du livre.

Le chapitre I est consacré aux grands constats sur l’environnement touristique de la Guinée. Les auteurs y dévoilent quelques indicateurs socioéconomiques clés, dont certains sont basés sur des projections à partir du recensement officiel de 1996, il y a donc 20 ans. Comme le livre a été publié en 2016, il aurait été pertinent d’intégrer les nouvelles données du recensement de 2014. Les auteurs font usage de nombreuses statistiques, mais celles-ci ne sont jamais appuyées par des sources. Par ailleurs, pour faire bien comprendre la situation actuelle, il aurait été préférable de mettre ces chiffres davantage en contexte, par exemple en comparant certains indicateurs avec ceux des pays limitrophes ou de la région. Dans l’ensemble, le chapitre est plutôt décousu et les choix d’indicateurs sont discutables.

Le tourisme comme facteur de développement durable est abordé au chapitre II. Les auteurs commencent par évoquer « l’approche systémique » pour décrire leur démarche, sans toutefois expliquer ce qu’ils entendent par cela. On y va ensuite de généralités sur le développement durable et sur certaines formes de tourisme qui s’en accommodent. On évoque une « nouvelle approche pour la Guinée » en matière de développement touristique où le but ultime est « d’inscrire le tourisme parmi les premiers secteurs porteurs de croissance en Guinée » (p. 83), ambitieux projet considérant la situation actuelle du pays. Un peu plus loin, les auteurs déterminent six pôles touristiques qui méritent, selon eux, une attention particulière. Cela nous permet

d’apprécier le potentiel que recèle la Guinée en termes de développement touristique. Cependant, cette section aurait mérité des images et quelques cartes de qualité.

Le dernier chapitre ambitionne d’élaborer un nouveau plan stratégique pour le développement du tourisme en Guinée en tenant compte des éléments présentés en amont. À l’image des chapitres précédents, les auteurs nous promènent entre des généralités (par exemple sur le rôle des parties prenantes) et des listes spécifiques interminables et décontextualisées. Il est ainsi difficile d’adhérer à leur proposition.

Il ne fait aucun doute que Diallo et Barry, tous deux ayant travaillé pour le ministère du Tourisme, ont à cœur le développement du pays par le tourisme. Cependant, l’utilisation fréquente de phrases ou d’expressions emphatiques traduit un manque de regard critique sur cette industrie. À aucun moment n’est-il fait mention de doutes quant à la pertinence de cette industrie pour la Guinée ou encore des risques associés. De plus, l’ouvrage ne prend pas en compte des événements importants comme la crise de l’Ebola, née en Guinée à la fin de 2013, et ses impacts dévastateurs sur le développement du tourisme au pays (Loungou, 2015).

Sur le plan de la forme, le livre présente de nombreuses faiblesses qui agacent et en freinent la lecture : erreurs orthographiques, typographie inégale, erreurs de syntaxe, mise en page peu soignée, etc. Les figures et les tableaux sont souvent sans titre, sans source et ne sont pas expliqués, nous laissant trop souvent dans le flou. Par ailleurs, le livre ne contient qu’une seule carte (p. 9) et celle-ci est illisible.

« La République de Guinée n’est pas un pays touristique » (Raout, 2009 : 175). Les auteurs ont voulu nous montrer tout le contraire en insistant sur l’immense potentiel du pays en matière de tourisme national et international. Cependant, ils ne réussissent pas à nous convaincre, nous laissant plutôt l’impression d’une occasion manquée

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d’apprendre des erreurs passées afin de développer graduellement un tourisme respectueux du contexte guinéen. En somme, c’est un livre brouillon, tant dans sa forme que dans son contenu. Malgré tout, il sera peut-être d’un certain intérêt pour les chercheurs et les praticiens qui s’intéressent de près au développement du tourisme en Guinée. Sans plus.

Références

LOUNGOU, Serge (2015) L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Une mise en perspective des répercussions démo-géographiques, politiques et économiques. L’Espace Politique, no 26 [En ligne]. http://espacepolitique.revues.org/3467 DOI: 10.4000/espacepolitique.3467

RAOUT, Julien (2009) Au rythme du tourisme. Le monde transnational de la percussion guinéenne. Cahiers d’études africaines, vol. 193-194, p. 175-202.

Jonathan TARDIFUniversité York

Toronto (Canada)

THOMAS, Frédéric (dir.) (2013) Industries minières. Extraire à tout prix ? Paris, Éditions du Syllepse et Centre Tricontinental, 216 p. (ISBN 978-2-84950-385-0)

Ce numéro d’Alternatives Sud vient à point nommé face à l’extractivisme ambiant dans les pays du Sud. Avec l’augmentation de la demande mondiale en ressources naturelles, l’exploitation des richesses du sous-sol s’est généralisée dans les pays du Sud, suscitant moult inquiétudes quant à la conduite des opérations dans un contexte de paupérisation des communautés riveraines.

Certes, les travaux, les publications, les rapports sur la façon dont l’extraction est faite abondent, mais il manque des analyses pointues sur les impacts socioéconomiques et environnementaux de la gestion et la gouvernance minière. L’ouvrage décrit les enjeux et les conflits issus de l’exploitation minière dans quelques pays du Sud en mettant en exergue le paradigme de la malédiction des ressources.

Les articles de cet ouvrage ont été regroupés en trois sections réparties sur trois continents: l’Amérique, l’Afrique et l’Asie. La conclusion axée sur l’Initiative de transparence pour les industries extractives (ITIE) et la Banque mondiale (BM) soulève la question des jeux d’intérêts cachés, des solutions vieilles (BM et entreprises minières) et nouvelles

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(organisations de la société civile [OSC]) et de la bénédiction donnée par ces organismes internationaux qui financent l’extractivisme.

Si, d’entrée de jeu, l’extractivisme est bien défini, il subsiste des pierres d’achoppement quant à son élargissement aux ressources agricoles et forestières. Néanmoins, l’industrie minière et l’extraction pétrolière traduisent une mondialisation dans les pays du Sud où l’on constate que les emplois supposés s’ensuivre, non seulement sont de mauvaise qualité, mais ne satisfont pas nécessairement les attentes placées en eux.

En Amérique latine, l’ambivalence du progressisme et les conflits miniers sont plus exacerbés, l’extractivisme y conduisant à des impasses. Les axes développés dans cette section apportent des connaissances sur le modèle latino-américain présenté sous le prisme de l’extractivisme progressiste et de la reprimarisation de l’économie de ces pays.

Pour l’Afrique, la malédiction des ressources est illustrée par les cas de deux géants miniers : l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo (RDC). Si l’on peut regretter l’angle abordé de la gouvernance, le constat est clair que les lois minières des pays du Sud font la part belle aux investisseurs et que les conflits miniers sont étouffés. Ainsi, des gouvernements, des entreprises minières et des organismes financiers se réfugient sous le label de la transparence et de la bonne gouvernance pour démontrer leur bonne foi. Brandie comme permis d’exploiter par les gouvernements du Sud, cette transparence cache en réalité l’impunité, le spectre de la faim et de la misère qui se propage dans les chantiers miniers à cause des conditions de vie indécentes. La faible qualification des emplois (Marikana en Afrique du Sud) engendre des conflits armés pour le contrôle des richesses minières (Est de la RDC, Sierra Leone, Afghanistan, Birmanie) sous prétexte de corruption.

Pour les cas étudiés, l’ouvrage occulte malheureusement les exploitations minières artisanales à petite échelle (EMAPE) qui, dans le contexte environnemental du XXIe siècle,

sont toutes aussi dangereuses avec leurs incidences sociales : migrations intra et inter États mal organisées et déperdition scolaire dues à l’extractivisme, dont le contrôle échappe totalement aux États, qui ont tôt fait de considérer les territoires miniers comme des eldorados pour des populations croupissant dans la misère.

La partie sur l’Asie présente les modèles indonésien, philippin et afghan. Elle met l’accent sur les scandales géologiques, la question des indemnisations et la participation des populations et masses paysannes, par des consultations communautaires, aux prises avec des décisions sur l’exploration et l’exploitation de leur territoire. Elle soulève le paradoxe mines / agriculture et survie. L’Asie et les autres pays du Sud voient, dans le développement du secteur minier, à la fois de nombreuses opportunités économiques et une possible stratégie de renforcement de la souveraineté des gouvernements sur le territoire national. Toutefois, dans plusieurs pays, on observe une crispation nationale grandissante et une hostilité manifeste à l’égard de cette industrie. Les relations des communautés locales avec les gouvernements sont tendues et marquées par des tentatives de réappropriation de la ressource. L’extraction minière intensifie également les revendications des communautés locales qui en subissent les effets. Les peuples autochtones s’en trouvent étouffés et marginalisés.

En effet, les problèmes posés par les ressources minières, la radicalité ou l’exclusivité concédées par la loi aux entreprises minières, la configuration des territoires cédés légalement à l’extractivisme en termes de souveraineté et de limite écologique difficilement compensables ne peuvent qu’engendrer des chevauchements et des conflits : mines / forêts (RDC, Brésil, Bolivie), mines / aires protégées (Conga au Pérou, Yasuni en Équateur, Virunga en RDC), mines / exploitations agricoles / pêcheries (Philippines et Indonésie), mines / sites touristiques, toutes choses qui hypothèquent le développement supposé acquis par l’exploitation de ces ressources.

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Cet ouvrage a néanmoins le mérite de rejoindre bon nombre de publications et de recherches sur l’industrie minière et le développement durable, sur l’analyse du cycle de vie et la portée globale des enjeux.

Configuré pour extraire à tout prix et vite au profit rapide de dirigeants lointains et au détriment des communautés locales, l’extractivisme est-elle une opportunité, comme le clament les gouvernements du Sud ? On peut en douter ! L’ouvrage révèle à quel point ceux-ci ne semblent pas préparés pour faire face à l’arrivée massive des investisseurs dans l’extraction parce que les cadres législatifs conduisent plus à un pillage des ressources naturelles qu’au développement communautaire. Quelles solutions envisager ?

Les tentatives d’installation de la surveillance et du contrôle ont été évoquées et semblent se solder par des échecs. Ainsi en est-il de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), de l’ITIE, des études d’impact environnemental taillées sur mesure, des processus de consultation des populations mal conduits, du processus de Kimberley.

Certes, tel qu’il est rédigé, l’ouvrage amène le lecteur à répondre par lui-même à la question : faut-il extraire à tout prix ? Cependant, tout n’y est pas dit. Pourquoi n’avoir pas choisi des modèles apparemment appréciés comme ceux du Ghana ou du Brésil (scandale Petrobras) ? Il a manqué une iconographie illustrant le dilemme de l’extractivisme et de la conservation dans ces pays, le paradoxe de l’extractivisme triomphant avec ses conditions et ses conséquences locales moins heureuses. Ne faudrait-il pas s’arrêter, négocier avec les communautés riveraines avant toute relance des activités extractives ?

Mesmin TCHINDJANGDépartement de Géographie, Université de Yaoundé I

Yaoundé (Cameroun)

GAY, Jean-Christophe (2016) L’Homme et les limites. Paris, Economica, Anthropos, 236 p. (ISBN 978-2-7178-6866-1)

Posant ses regards sur le monde actuel, Paul Valéry annonçait, au lendemain d’une guerre et d’une crise économique sans précédent, que le temps du monde fini, désormais, commençait. Cette prophétie sonnait comme le bilan d’une modernité triomphante et cultivant l’ambition, a contrario de l’oracle de Delphes intimant à l’homme de reconnaître les limites de l’humaine condition, de les repousser toujours plus loin. Cet avertissement allait rencontrer un large écho dans les décennies suivantes. La finitude de notre planète et de ses ressources, constatée depuis par les images prises par l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace (NASA) (Cosgrove, 2001), est en effet devenue aujourd’hui l’un des arguments utilisés dans les revendications en faveur d’un développement plus durable.

Ayant pris la face de la terre pour objet d’étude (Suess, 1912-1918 ; Pinchemel et Pinchemel, 1997), la géographie s’est de longue date intéressée aux limites de ce monde. Limites et configuration des continents (Ritter, 1974), fronts et frontières (Foucher, 1988) ou découpage politique (Sigfried, 1964), pour ne prendre que ces exemples-là, allaient être

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envisagés sous toutes leurs coutures. À ces analyses particulières se sont ajoutées des tentatives pour raisonner systématiquement les connaissances sur ces phénomènes de discontinuité (Brunet, 1968 ; Hubert, 1993), qui seraient des éléments constitutifs de notre être et de notre monde.

L’ouvrage de Jean-Christophe Gay, animé d’une volonté « d’élargir le domaine de la géographie » (avant-propos), s’inscrit dans cette perspective en se donnant pour objet d’étude le processus de formation des limites qui bariolent la surface du globe, que l’auteur nomme tomogenèse. Spécialiste reconnu en la matière, ayant déjà à son actif un ouvrage portant sur les discontinuités spatiales (1995), Gay postule que « la société contemporaine est une société de la séparation et du franchissement au lieu de la continuité, de la fluidité et de la transparence prétendue » (p. 12). Ce postulat sous-tend l’organisation de l’ouvrage, divisé en quatre chapitres, suivi d’un épilogue, où sont successivement analysées, dans une perspective multiscalaire, les modalités contemporaines de cette séparation et de ce franchissement.

Le chapitre I traite de « la mise en limite de la vie quotidienne ». L’auteur s’y emploie à démontrer « que la partition spatiale a une place non négligeable dans notre imaginaire et nos conduites » (p. 23). S’ensuit une longue, mais pertinente, énumération de cette place dans nos expressions langagières (passer les bornes, raser les murs, prendre la porte), dans nos multiples activités quotidiennes (passer un poste de péage, présenter une carte d’identité à l’entrée d’un bar), dans la compartimentation croissante de nos espaces de vie (chambres, cases de stationnement, espaces réservés aux fumeurs), dans la pratique des codes de circulation (lignes d’arrêt, pointillés), dans la préservation corporelle (usage de préservatifs, régulation de la distance interpersonnelle) et dans l’aménagement des quartiers urbains (gated communities [enclaves résidentielles sécurisées], grilles, parcs, syndrome nimby [not in my backyard], [pas dans ma cour]). L’auteur

élargit encore son analyse en s’attardant au développement touristique (club, paquebot de croisière) et à l’évolution de la pratique des sports (zonage des aires de jeu, corridors de course, invention du filet de tennis) en tant que générateurs d’entités spatiales distinctes.

Le second chapitre, portant sur « les solutions de continuité », passe en revue les dispositifs sociaux, organisationnels et technologiques mis en œuvre, à l’échelle microgéographique, pour franchir les nombreux types de limites. L’auteur distingue, pour ce faire, trois grandes catégories de dispositifs : les dispositifs isolants, permettant de « mettre en contact des environnements différents que l’on veut ou qu’il est indispensable d’isoler l’un de l’autre » (p. 99) : paroi, mur, vêtements, grilles, verre (auquel l’auteur s’attarde plus particulièrement) ; les dispositifs contrôlant et filtrant, établis pour assurer une régulation des échanges et une surveillance des accès entre entités spatiales : notamment la surveillance vidéo, les portiques détectant le métal, les cartes d’accès, les systèmes de verrouillage, les passeports ; enfin, les dispositifs canalisants, capables d’orienter et de contenir les mouvements de masse : ponts, files d’attente, etc.

Ces multiples découpages répondent à des enjeux variés, qui font l’objet du troisième chapitre, intitulé Territoires à la découpe. Ainsi, ces découpages permettent entre autres de gagner, que ce soit des élections (découpage électoral) ou une plus-value (délimitation d’un territoire à appellation contrôlée) ; ils contribuent aussi à protéger, notamment des espèces rares ou menacées (établissement d’un parc naturel) ou la santé des citoyens (par la délimitation, par exemple, d’une zone de pollution où des normes restrictives s’appliquent) ; ils permettent également de rassembler (zones prioritaires d’éducation), d’exploiter (mer territoriale, espace aérien) et de voyager (lignes d’échanges commerciaux). Ainsi comprise, la tomogenèse revêt un caractère politique et socioéconomique fondamental.

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L’auteur met toutefois le lecteur en garde sur « les pensées discontinuistes », dans le quatrième chapitre, où il entend « démasquer les fausses limites et leurs effets sur notre discernement et remettre en cause quelques entités au-dessus de tout soupçon » (p. 181). Après d’autres auteurs, notamment Mark Monmonier (1993), Jean-Christophe Gay dénonce les dangers de manipulation liés à la production de cartes. Les limites induites par les procédés de projection, d’échelles, de généralisation et de discrétisation peuvent, dans leur fixité, traduire des réalités mouvantes par des expressions trompeuses. L’auteur s’attarde également à dénoncer l’arbitraire des limites continentales (notamment entre l’Europe et l’Asie) qui sont, avant tout, des « constructions intellectuelles et culturelles avançant masquées » (p. 187). L’insularité, symbole de l’entité distincte, est, elle aussi, examinée de manière à faire ressortir les multiples liens qui atténuent les limites des îles et des continents.

L’ouvrage se conclut par un épilogue où l’auteur introduit un ordre dans la diversité des phénomènes observés, en classant les limites selon trois postures élémentaires qui commandent la tomogenèse : l’organisation, la protection et l’appropriation. Il souhaite ainsi « proposer une grille de lecture inédite montrant la logique qui relie des dispositifs en apparence très dissemblables en les distribuant en quelques catégories raisonnées et claires » (p. 209). Les différentes limites prennent place dans l’une ou l’autre de ces postures (ou fonctions), ou bien dans des combinaisons de postures qui sont autant de clés de lecture et de compréhension des limites qui définissent la face de la terre. D’une lecture aisée, le livre de Jean-Christophe Gay enrichit une collection déjà riche de titres et de propos stimulant et renouvelant la discipline géographique, et n’en dissimulant plus la place parmi les sciences humaines et sociales les plus innovantes, ainsi que l’ambition d’offrir un regard autre et une réflexion originale sur notre condition humaine.

RéférencesBRUNET, Roger (1968) Les phénomènes

de discontinuité en géographie. Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique.

COSGROVE, Denis (2001) Apollo’s eye: A cartographic genealogy of the earth in the western imagination. Baltimore, Johns Hopkins University Press.

FOUCHER, Michel (1988) Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique. Paris, Fayard.

GAY, Jean-Christophe (1995) Les discontinuités spatiales. Paris, Economica.

HUBERT, Jean-Paul (1993) La discontinuité critique : essai sur les principes a priori de la géographie humaine. Paris, Publications de la Sorbonne.

MONMONIER, Mark (1993) Comment faire mentir les cartes, ou du mauvais usage de la géographie. Paris, Flammarion.

PINCHEMEL, Geneviève et PINCHEMEL, Philippe (1997) La face de la terre. Éléments de géographie. Paris, Armand Colin.

RITTER, Karl (1974) Introduction à la géographie générale comparée. Paris, Belles lettres.

SIEGFRIED, André (1964) Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République. Paris, Armand Colin.

SUESS, Eduard (1912-1918) La face de la terre. Paris, Armand Colin, 3 vol.

VALÉRY, Paul (1945) Regards sur le monde actuel. Paris, Gallimard.

Michel CÔTÉMRC de Nicolet-Yamaska

Nicolet (Canada)

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SORENSON, John (dir.) (2014) Critical animal studies. Thinking the unthinkable. Toronto, Canadian Scholars’ Press Inc., 384 p. (ISBN 978-1-55130-563-9)

Cet ouvrage regroupe une vingtaine de chapitres rédigés par des chercheurs provenant de différentes disciplines : études féministes, biologie, droit, arts visuels, études anglaises, science politique, sociologie, communication, littérature, études des jeunes, études culturelles et philosophie politique. Divisé en cinq sections, le livre aborde une diversité d’enjeux touchant au bien-être animal. Spécifiquement, il vise à analyser d’une manière critique l’exploitation des « animaux non humains » dans différents contextes sociaux et culturels. Parmi les sujets traités, on peut mentionner : les effets néfastes de la production laitière sur les vaches et les veaux, l’industrialisation massive de la production de volaille, les atteintes au bien-être animal, de même que le caractère douloureux de la captivité, notamment dans les zoos. On y traite aussi des droits des animaux, de la croissance du végétalisme intégral ou encore de la gestion des chiens errants en Inde. Le sociologue John Sorenson de l’Université Brock, le directeur de l’ouvrage, annonce clairement d’entrée de jeu les intentions du collectif en signalant que les auteurs des chapitres sont

des chercheurs engagés. Ces derniers ont recours à la recherche non pas pour faire avancer la science, mais plutôt pour contrer l’exploitation des animaux.

En analysant la manière dont l’industrialisation massive de l’agriculture et de l’élevage animal contribue à la détérioration de l’environnement – pensons aux énormes fermes laitières et aux mégaporcheries –, l’ouvrage peint un portrait très sombre notamment de la production de viande et de l’exploitation animale. Le rôle des universités, spécifiquement la recherche universitaire, est également mis en cause dans le système d’exploitation des animaux. Les textes visant à nous faire prendre conscience de l’ampleur des mauvais traitements que l’humain fait subir aux animaux – qui souffrent physiquement et émotivement – utilisent donc un ton très militant et radical d’un point de vue politique. Cette démarche engagée vise aussi à combiner les approches en termes d’économie politique et d’écoféminisme afin de fournir un portrait pluriel permettant à différents points de vue d’être mis en avant. Ayant recours à la notion de spécisme – c’est-à-dire la considération morale supérieure que les humains accordent à leur propre espèce, justifiant de ce fait l’exploitation d’autres animaux –, les auteurs adhèrent ainsi au principe selon lequel on doit reconnaître les animaux comme des êtres légaux. En ciblant le complexe industriel animal (animal industrial complex) comme étant responsable d’une forme d’exploitation qui n’a pas sa raison d’être dans nos sociétés contemporaines, ils visent à démontrer que les animaux sont des êtres légaux devant être traités comme tels. Un autre objectif poursuivi par l’ouvrage est de développer une perspective d’analyse et un point de vue normatif contribuant à la construction d’un nouveau champ d’études nommé Critical Animal Studies (CAS).

Les chapitres présentent une image pessimiste de la condition animale contemporaine. L’exploitation des animaux par les humains soulève des enjeux éthiques et écologiques dont les sociétés contemporaines doivent tenir compte. Ainsi, les effets délétères de

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la production animale sur l’environnement sont substantiels. D’ailleurs, la lecture de l’ensemble des chapitres du livre nous convainc rapidement que la production et la consommation de viande s’avèrent non durables, dans le sens environnemental du terme.

Comme en témoignent les bibliographies accompagnant les chapitres, l’étude des relations animaux-humains constitue un domaine de recherche en développement. Malheureusement, Critical Animal Studies. Thinking the Unthinkable ne fournit pas de conclusion générale pour nous laisser entrevoir des nouvelles pistes de recherche ou de recherche-action. De plus, en raison de leur forte perspective critique, on ne voit pas toujours très bien l’originalité des multiples recherches mises en commun dans l’ouvrage. Au cours des dernières années, plusieurs recherches en sciences humaines et sociales se sont intéressées aux relations humains-animaux, mais l’ouvrage ne se positionne pas clairement par rapport à celles-ci. Sur le plan de la forme, le travail d’édition est assez limité et l’ouvrage en souffre un peu. Par exemple, dans le chapitre sur l’industrie de transformation de la viande, on mentionne à plusieurs reprises que les femmes travaillant dans les abattoirs de Chicago au XIXe siècle subissaient du harcèlement sexuel. J’ai aussi relevé certaines omissions importantes quant aux recherches précédentes sur le sujet, notamment l’ouvrage de l’historien de l’environnement William Cronon, intitulé Nature’s Metropolis, sur le développement de Chicago en lien avec son arrière-pays. À cet égard, une autre lacune de l’ouvrage est l’absence d’une mise en perspective historique.

Pour terminer, en regroupant une série d’essais critiques sur la condition animale et la manière dont les humains exploitent les animaux, Critical Animal Studies. Thinking the Unthinkable revêt davantage la forme d’un manifeste que celle d’un ouvrage présentant des résultats de recherche. Le livre peut certes intéresser un public de géographes. Cela dit, la dimension spatiale est très peu

traitée. Or, compte tenu de l’importance de l’environnement et de la géographie physique pour le monde animal, il aurait été pertinent de mieux faire ressortir cette dimension.

RéférenceCRONON, William (1991) Nature’s metropolis:

Chicago and the Great West. New York, W. W. Norton & Company.

Claire POITRASINRS-Urbanisation Culture Société

Montréal (Canada)

LEFEBVRE, Jean-Pierre (2016) À la recherche de l’utopie perdue. Paris, L’Harmattan, 328 p. (ISBN 78-2-343-10006-7)

Le mot utopie m’est apparu une première fois lorsque j’étais étudiant à l’Université Laval, au tout début des années 1960. Certains lecteurs de journaux l’utilisaient en s’en prenant au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), dont Pierre Bourgeault venait de prendre la direction. On évoquait l’utopie de l’indépendance du Québec. Le mot référait à un rêve irréalisable ou à une réalité inaccessible, comme l’étoile de Brel à la même époque. Je n’ai pas tardé à apprendre que le mot tire son origine de Utopia, nom donné à une île imaginée par St-Thomas Moore où l’auteur fait régner une égalité parfaite entre

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les hommes. C’est pourquoi Marx qualifiera de « socialistes utopistes » les Fourier, Owen et autres Saint-Simon qui rêvaient à leur tour d’un monde dégagé des affres de la révolution industrielle en cours. Pour l’auteur de Das Kapital, l’allusion à un socialisme utopique s’expliquait par l’absence d’appui d’une théorie (matérialisme dialectique) permettant d’entrevoir l’avènement d’un socialisme qu’il qualifiait de scientifique.

Alors, qu’en est-il de cette utopie à laquelle Jean-Pierre Lefebvre, au soir de sa vie (il est né en 1934), consacre son dernier ouvrage ? Cet ancien militant du Parti communiste français (PCF) qui, comme beaucoup d’autres, a rompu en 1968 ses liens avec le parti qui fut déjà, de par son électorat, la première force politique de France, souhaite l’avènement d’un système économique basé sur l’autogestion. En pastichant le plus célèbre titre de Proust, l’auteur semble vouloir retrouver l’idéal véhiculé par ceux que Marx a vilipendés. Déjà auteur de plus d’une dizaine d’essais, de six romans et de trois recueils de poésie, celui qui, de 1974 à 1994, fut affecté à l’urbanisme opérationnel de la Seine Saint-Denis en tant que dirigeant d’une société d’aménagement a surtout publié (à compte d’auteur ?) chez l’Harmattan. Il a divisé son ouvrage en deux parties très distinctes. L’auteur ayant baigné dans l’urbanisme, la première partie s’intitule simplement Urbanisme.

Comme pour l’ensemble de l’ouvrage, cette partie se compose de courts textes dûment datés allant de 2015 à 2016. Les premiers, peu intéressants, sont des lettres ouvertes destinées à des élus locaux à qui l’auteur s’en prend pour éviter des démolitions d’édifices qui auraient une certaine valeur. L’intérêt ne tarde pas à venir quand il offre une confrontation entre deux des trois architectes qui ont grandement marqué le XXe siècle : Frank Llyord Wright et Le Corbusier. Oscar Niemeyer – avec qui l’auteur a pourtant beaucoup d’affinités idéologiques – ne se mérite qu’une brève mention. On savait que Le Corbusier voulait faire disparaître le

Marais, mais on apprend que ses idées de « grandeur » allaient encore beaucoup plus loin. Si j’ai pu visiter et admirer à deux reprises l’église de Ronchamp, je me réjouis que ses sympathies envers le régime de Vichy n’aient pas donné lieu à de sinistres et regrettables destructions tout au long de la rive droite.

Faut-il se surprendre alors de lire (p. 76) : « Aucune, aucune hésitation ! Jeunes architectes, étudiez surtout le libertaire Frank Lloyd plus que le pétainiste et démolisseur Le Corbusier : Broadacre City et Taliesin plus que les Cités radieuses… ». L’auteur ne cache pas son admiration pour les maisons horizontales d’Oak Park, 1 tout comme pour cet hôtel impérial de Tokyo ou pour la Miniatura en parpaing de Los Angeles. À ses yeux, avec Wright, on est loin de l’obsession de Le Corbusier à l’égard de… l’ordre et qui corsète la nature dans la Cité radieuse en la réduisant à la zone des distractions obligatoires.

Faut-il s’étonner que l’éditeur ait laissé Lefebvre citer une deuxième fois le milliardaire Warren Buffet 2 pour qui « [l]a lutte des classes existe bien ; mais c’est nous qui l’avons gagnée ». Selon Jean-Pierre Lefebvre, Bouygues n’en penserait pas moins (p. 99 et 116). Cette première partie se termine par un regret : le fait que les espoirs de mai 68 ne se soient pas concrétisés à la faveur de l’avènement d’une société délivrée du profit (beau programme !), une société responsable, économe, égalitaire, solidaire et cultivée. Utopie, vous dites ! Oui, mais sûrement pas perdue puisqu’elle n’a jamais existé. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’y revenir dans la seconde partie, coiffée d’un titre on ne peut plus simple : Société.

Avant de se rapporter à ses rêves de jeunesse, l’auteur offre à ses lecteurs de fort intéressantes réflexions sur des lectures, dont certaines ont fait couler beaucoup d’encre ces deux dernières années. Ainsi, ceux qui comme

1 J’ai pu visiter la maison où a résidé Wright dans cette banlieue cossue de Chicago.

2 No 2 fin 2016, après Bill Gates.

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moi n’ont pas la patience (ou le courage) nécessaire pour se prêter aux exigences d’un livre tel que Le capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty, apprécieront le résumé critique qu’en fait l’auteur. On lui sait gré d’avoir mis à profit sa formation d’ingénieur pour manœuvrer à travers les calculs du jeune économiste rapidement devenu la coqueluche d’une certaine gauche, de part et d’autre de l’Atlantique. Conservant toujours ses penchants pour la théorie marxiste, Lefebvre, après avoir louangé l’effort de mise en évidence des inégalités (inévitables) qu’engendre le capitalisme contemporain, estime que Piketty se condamne à la faiblesse de certaines de ses propositions. Ainsi, sa proposition d’un impôt progressif sur le patrimoine, pour empêcher la prolifération parasitaire de celui-ci, serait nécessaire, mais non suffisante (p. 121). La limite – qui lui apparaît évidente chez Piketty – serait « qu’il n’ose aller au bout de son raisonnement et de ses constats statistiques irréfutables ». Pour l’auteur, l’accumulation actuelle du patrimoine donne raison à Proudhon : la propriété c’est le vol, si on applique cette vision aux moyens de production et non aux biens de consommation. Ouf, nous sommes rassurés, car son modèle autogestionnaire (l’utopie de l’auteur) accepte qu’on soit propriétaire de sa maison et de sa voiture (même un véhicule utilitaire sport [VUS] ?).

En concevant un système socioéconomique fondé sur l’autogestion des moyens de production sans nationalisation de type soviétique conduisant à une très lourde bureaucratie, l’auteur envisage un marché libéré de ses contraintes oligarchiques, à savoir la publicité. Lucide, Lefebvre soulève une question sur laquelle je me suis penché au début de ma carrière (Joyal, 1979) : comment réussir à conserver un marché tout en supprimant la propriété privée des moyens de production ? (p. 123)

Les réflexions dans la même veine se poursuivent cette fois autour d’un livre récent, Le prix de l’inégalité, d’un autre auteur fétiche de la même gauche : le « nobelisé »

Joseph E. Stiglitz. Si ce dernier récuse Marx, aussi intéressant puisse-t-il être, il se voit ici reprocher son keynésianisme, ne voyant que l’intervention budgétaire comme porte de sortie à la stagnation. Or, pour Lefebvre, la solution est : « ni tout État, ni tout marché ». Il y aurait une troisième solution. Pas compliqué : « Il s’agirait d’inventer de toutes pièces un réseau serré de communes, de comités de quartier, dans les entreprises, avec sur tout le territoire national la même représentativité (p. 136)… Il conviendrait donc de construire de fond en comble les institutions démocratiques depuis la base (…) Briser la machine municipale à fabriquer des mandarins (…) les remplacer partout par des délégués gardant le contact avec la base (…) (p. 185). » Oui, comme on le voit, on tombe dans les « ya ka ! » : il n’y a qu’à faire ceci et cela. On est vraiment dans l’utopie impossible à retrouver.

Néanmoins, la grande érudition de l’auteur, mise au service de son idéal, donne à l’ensemble de ses textes une lecture aussi agréable qu’intéressante.

RéférencesJOYAL, André (1979) Les systèmes économiques :

capitalisme, socialisme, social-démocratie. Boucherville, Gaétan Morin Éditeur.

PIKETTY, Thomas (2013) Le capital au XXIe siècle. Paris, Éditions du Seuil.

STIGLITZ, Joseph E. (2014) Le prix de l’inégalité. Arles, Babel.

André JOYALCentre de recherche en développement territorial

Trois-Rivières (Canada)

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CASTONGUAY, Stéphane (2016) Le gouvernement des ressources naturelles. Sciences et territorialités de l’État québécois 1867-1939. Québec, Presses de l’Université Laval, 203 p. (ISBN 978-2-7637-2835-3)

En tant que politologue qui s’intéresse à la gouvernance forestière au Canada, j’ai été fortement intrigué par le titre du livre de Stéphane Castonguay, Le gouvernement des ressources naturelles. Bien entendu, la gouverne des ressources naturelles est depuis bien longtemps une fonction importante des gouvernements, au Québec. Mais conformément à la vieille dichotomie entre politics et policy, les études qui portent sur les ressources naturelles ont tendance à parler de « politiques publiques », de « régime » ou, plus récemment, de « gouvernance » des ressources naturelles. Conséquemment, le fait de parler de « gouvernement » des ressources naturelles avait de quoi surprendre. La lecture de l’introduction du livre permet de voir assez rapidement que ce titre reflète le choix de s’appuyer sur une perspective foucaldienne qui rejette, ou plutôt contourne, la distinction entre politics et policy pour se pencher sur le « gouvernement des conduites », la capacité de l’État à travers des pratiques concrètes de définir et normaliser les pratiques des individus. Plus précisément, comme il l’explique lui-même, l’auteur se penche sur les activités scientifiques de l’État québécois

comme moyen privilégié pour réguler les divers usages de la nature et asseoir le contrôle grandissant de l’État sur le territoire :

Ce livre examine les activités technoscientifiques de l’État québécois qui accompagnent le développement de secteurs économiques liés à l’exploitation des ressources naturelles pour en préciser le rôle dans le fonctionnement de l’appareil adminis t ra t i f . Loin d ’ê t re cantonnées dans les marges de l’appareil étatique où leur fonction se limiterait à la collecte de données, les activités technoscientifiques jouent un rôle moteur dans la modernisation des mécanismes d’intervention de l’État (p. 7).

L e r e g a r d p o r t é s u r l e s a c t i v i t é s technoscientifiques de l’État et leur importance dans le gouvernement des conduites permet plusieurs contributions à la connaissance. Tout d’abord, l’auteur se penche sur quatre grands secteurs de ressources naturelles, auxquels il consacre un chapitre chacun : le secteur minier, la foresterie, la chasse et pêche sportive et l’agriculture. D’un point de vue empirique, on pourrait déjà voir cela comme un tour de force important de documenter simultanément quatre secteurs différents de ressources naturelles. L’évolution des activités technoscientifiques de l’État dans chacun de ces secteurs est documentée de façon importante et finement, ce qui contribue sûrement à accroître notre connaissance de ces secteurs sur une période de plus de sept décennies.

Autrement, en accordant une importance aux activités scientifiques dans la construction de l’État québécois, ce livre ajoute sa voix à certains travaux historiens qui remettent en question l’idée reçu de la faiblesse de l’État avant la Révolution tranquille. Du point de vue adopté par l’auteur, les quatre secteurs de ressources naturelles suivent une trajectoire à peu près semblable, où la faible capacité scientifique de l’État québécois de la fin du XIXe siècle et la dépendance à des acteurs

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externes (les scientifiques du gouvernement fédéral dans le cas du secteur minier ; la surveillance exercée par les clubs privés de chasse et pêche, etc.) fait progressivement place à la construction d’une capacité scientifique et technique propre et de plus en plus importante, au fil du XXe siècle. Cela fait en sorte qu’après la lecture des chapitres sur les quatre secteurs, loin d’apparaître comme un État faible, l’État québécois d’avant la Révolution tranquille semble omniprésent à travers ses diverses actions concrètes sur les territoires.

Si cette façon d’aborder l’État par ses actions concrètes me semble très pertinente pour nuancer le regard sur l’État d’avant la Révolution tranquille, on peut se demander si ce point de vue n’aurait pas également sa pertinence pour mieux comprendre la trajectoire contemporaine dans les secteurs de ressources naturelles. Certains des secteurs observés font face à des bouleversements qui viennent interpeller l’État sur la légitimité de sa capacité technoscientifique en matière de ressources naturelles. À titre d’exemple, mentionnons la remise en question du principe de free mining par de nombreux groupes sociaux, ou encore la création d’instances de concertation locale dans le secteur forestier. Est-ce que ces tendances signifient un renouvellement du « gouvernement des conduites » comme Castonguay a pu l’observer au début du XXe siècle ? Il me semble à tout le moins que ce livre est une invitation à se donner une compréhension plus déconcentrée de l’État québécois, au-delà de ce qui passe dans la capitale, pour le saisir dans sa périphérie (les rapports avec les territoires). Ce changement d’approche me semble nécessaire pour mieux interpréter les trajectoires complexes des ressources naturelles, au Québec comme ailleurs au Canada.

Guy CHIASSONDépartement des sciences sociales Université du Québec en Outaouais

Gatineau (Canada)

GIRARD, Réjean et PERRON, Normand (2016) Le Nord-du-Québec. Québec, Presses de l’Université Laval, 182 p. (ISBN 978-2-7637-2862-9)

Ce livre est un condensé en 180 pages de Histoire du Nord-du-Québec comptant 558 pages et publiée en 2012 aux Presses de l’Université Laval (PUL) sous la direction de Réjean Girard, Réginald Auger, Vincent Colette, Denton David et Yves Labrèche.

Le premier chapitre brosse le tableau de l’environnement de ce vaste territoire situé au nord du 49e parallèle. Les auteurs y présentent sommairement l’histoire géologique de la région, les zones climatiques qui la caractérisent et les principales ressources qu’elle recèle.

Le deuxième chapitre porte sur l’occupation humaine du territoire jusqu’au XVIe siècle, période où les contacts avec les Européens étaient encore inexistants ou peu abondants.

Le troisième chapitre expose comment les différentes ressources du territoire ont été successivement valorisées dans les circuits du commerce international après l’arrivée d’explorateurs, entrepreneurs et commerçants d’origine européenne. L’horizon temporel va du XVIIe siècle au milieu du XXe. Pour cette période, les deux principales ressources ont été la fourrure et les produits minéraux.

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Le chapitre se termine par un examen des conditions d’existence des Cris et des Inuit ainsi que des modifications à leur mode de vie au cours de la période considérée.

Le quatrième chapitre est consacré à « l’épopée des villes minières et forestières ». En ce qui regarde la forêt, il n’y a que le sud de la région qui est concerné, car c’est la seule portion du territoire où l’on trouve une forêt exploitable. Pour ce qui est des mines, il n’y a eu jusqu’à présent « épopée des villes » que dans le sud du territoire encore une fois, étant donné que le réseau routier et ferroviaire n’a longtemps favorisé que cette partie du Québec. Plusieurs pages sont consacrées aux grands chantiers hydroélectriques du bassin versant de la baie James et aux contestations auxquelles ils ont donné lieu.

Le cinquième chapitre traite de l’entente signée en 1975 entre le Québec, les Cris et les Inuit, et des suites qu’elle a eues. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois a apporté des modifications majeures aux façons de faire des uns et des autres, dans la région. Entre autres, elle a permis au peuple cri et au peuple inuit d’accéder à des formes nouvelles d’autonomie gouvernementale et de jouer un rôle décisif dans la gestion de services importants comme le logement, la santé et l’éducation. Les deux peuples disposent désormais de leviers améliorant leur capacité à prendre des décisions susceptibles d’infléchir leur avenir collectif.

Le sixième et dernier chapitre fait un survol de la situation contemporaine. En 1987, à la faveur d’une retouche aux découpages administratifs existants, le Nord-du-Québec est institué comme région administrative. Il s’agit de la région la plus étendue, en même temps que la moins peuplée du Québec. L’architecture des juridictions est complexe. Plusieurs dispositifs institutionnels se conjuguent dans la gestion de l’espace régional : administration régionale Kativik chez les Inuit, territoire cri parfois désigné comme Eeyou Istchee chez les Cris, municipalités diverses chez les autres, lesquels sont souvent appelés Jamésiens, sans oublier la

transformation de l’une de ces municipalités, celle dénommée Baie-James, en gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James où Jamésiens et Cris sont partenaires. L’avenir, démographique et économique, réserve de nouvelles et imprévisibles évolutions. C’est en grande partie dans cette région que se déploie le Plan Nord mis de l’avant par certains premiers ministres du Québec.

Le livre fait partie du grand chantier des histoires régionales lancé par l’Institut québécois de recherche sur la culture et repris par le Centre urbanisation, culture, société, de l’Institut national de la recherche scientifique. Pour chaque région retenue, deux types de publication ont été réalisés, soit un ouvrage étoffé faisant la synthèse des connaissances sur la région suivi d’une « histoire en bref » présentant l’essentiel sous forme abrégée. La première des remarques qui suivent concerne le chantier dans son entier et les autres, le condensé rédigé par Réjean Girard et Normand Perron.

Dans le grand projet des histoires régionales, le découpage territorial a tantôt reflété les régions dites historiques et tantôt les régions dans leurs frontières administratives de la fin du XXe siècle. La tendance a été de préférer les découpages historiques aux découpages administratifs contemporains. Ainsi, pour ne donner que deux exemples parmi plusieurs autres, la région de Charlevoix a fait l’objet d’une histoire régionale séparée de celle de la région de Québec, et les Îles-de-la-Madeleine ont vu leur histoire racontée dans un ouvrage différent de l’Histoire de la Gaspésie. Pour le territoire dit du Nord-du-Québec, c’est le découpage administratif qui a été retenu, ce qui est légitime en soi. Il n’en reste pas moins que le principe du découpage historique se serait particulièrement bien appliqué dans ce cas étant donné, d’une part, que l’espace occupé par les Cris et celui occupé par les Inuit sont carrément distincts l’un de l’autre et auraient mérité chacun leur histoire régionale et que, d’autre part, la trajectoire suivie par la partie sud du territoire, comme cela est d’ailleurs rappelé plus d’une fois dans le livre,

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se rattache davantage à ce qui s’est passé dans les régions limitrophes de l’Abitibi-Témiscamingue pour la frange sud-ouest, et du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour la frange sud-est. Ni le condensé dont il est question ici ni l’ouvrage plus complet de 2012 n’offrent une discussion convaincante sur les raisons qui ont fait préférer le découpage administratif au découpage « historique ».

Les dernières remarques concernent le condensé. L’information qu’on y trouve est abondante et précise. La rédaction est soignée. L’iconographie est à point. Le texte est accessible à un grand public. Soulignons quelques défauts mineurs : la carte de la page 8, conçue pour être lue en grand format, est difficile à lire dans un format aussi petit que celui dans lequel elle est livrée ; quelques passages du livre (grèves, aux pages 98-102, manifestations culturelles et sportives, aux pages 163-165) reposent sur des énumérations brutes à partir desquelles les auteurs n’arrivent pas à dégager des lignes directrices ; l’expression camp minier utilisée à quelques reprises appartient au jargon de l’activité minière, mais n’apparaît pas des plus heureuses dans un texte destiné aux non-initiés.

Serge CÔTÉCentre de recherche sur le développement territorial

Université du Québec à Rimouski Rimouski (Canada)

CHICOT, Pierre-Yves (dir.) (2016) Mutations des communes. Quelle intercommunalité de projets ? Pour quel développement des territoires locaux ? Paris, L’Harmattan, 446 p. (ISBN 978-2-343-09846-3)

Deux débats récurrents unissent cet ouvrage épais (446 pages), fruit des actes d’un colloque éponyme organisé en 2014 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, par l’Université des Antilles. Ils traversent les quatre grandes parties qui le composent, dont les titres sont explicites : Intercommunalité et réforme de l’État, Les enjeux immédiats de l’intercommunalité, L’intercommunalité à l’épreuve des territoires, L’intercommunalité à l’épreuve de l’exercice des compétences locales. Le premier débat porte sur les nouvelles relations juridiques, économiques, partenariales, empreintes ou non de conflictualité, qui s’établissent entre les nouvelles structures intercommunales s’étant renforcées en France lors des réformes territoriales les plus récentes et les communes constituantes. L’intérêt de pouvoir préserver le « cadre communal » est abondamment discuté au cours des 26 communications publiées dans ces actes, avec son cortège d’ambiguïtés : par exemple, ce sont parfois les mêmes acteurs élus qui vantent l’importance de la commune comme seul lieu d’épanouissement de la démocratie locale pour résister à une intercommunalité qui effacerait les identités communales, mais qui s’appuient en même

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temps, à bas bruit, sur les intercommunalités dont ils dépendent pour y transférer des charges de service leur incombant par suite des multiples pressions des habitants qui fréquentent ou qui habitent ces communes.

Le second débat tente d’éclaircir les relations entre décentralisation et développement local, en soulignant la différence entre les potentialités d’une intercommunalité « communaliste » et celles d’une intercommunalité « communautariste », qualifiée par plusieurs auteurs dans cet ouvrage « d’intercommunalité de projets » et qui serait plus favorable à la mise en œuvre de politiques publiques locales de développement.

Cet ouvrage enrichit et conf irme les analyses de la « nouvel le économie institutionnelle » en rappelant que la qualité du développement local est fortement liée à celle des institutions territoriales, dont le rôle – c’est rappelé dans l’ouvrage – est de réduire les « incertitudes » du monde contemporain. Il rappelle aussi que les ressources sur lesquelles peuvent se bâtir des stratégies de territoire ne sont pas qu’économiques, mais aussi patrimoniales, sociales, culturelles. Diverses analyses des dynamiques locales, en France métropolitaine et en Guadeloupe, parcourent l ’ouvrage en montrant la nécessité, pour les acteurs locaux, d’articuler en permanence compétences, jeux d’acteurs, ressources humaines et finances publiques.

L’ouvrage fait la part belle aux disciplines juridiques, à l’origine du colloque dont il est issu, mais en ouvrant aussi aux sciences économiques et aux sciences de gestion pour aborder les relations qui s’instaurent aujourd’hui, à la faveur de la forte irruption de l’intercommunalité en France, entre collectivités et entre collectivités et État ou, plus fondamentalement encore, pour aborder les mutations de la décentralisation elle-même. En fait, l’expression du titre Mutation des communes permet aux auteurs d’aborder aussi les mutations de l’État dans son rôle juridique et administratif de coproduction des

réformes évoquées, en soulignant également son rôle dans la réorganisation du territoire national et son effacement au niveau local.

Plusieurs communications s’attardent sur la question de la pertinence des périmètres administratifs, sur les coûts réels de ce que certains nomment la « municipalisation intercommunale » – pour regretter le manque d’ambition de certaines initiatives de regroupement communal –, sur l’efficacité de l’aide de l’État aujourd’hui, en matière de dotations financières, en direction à la fois des communes et des intercommunalités.

La richesse de cet ouvrage tient enfin à deux autres apports : d’abord l’ouverture, en fin d’ouvrage, d’un débat qui apparaît, à nos yeux, fondamental pour l’avenir. Les rapports de force n’en sont peut-être plus, en France, à conceptualiser entre communes et intercommunalités, mais entre (nouvelles) régions (fusionnées), ce que certains appellent le « rang supérieur », et le « bloc local » (communes et intercommunalités), au sein d’une Europe qui privilégierait le couple métropoles-grandes régions pour mieux s’inscrire dans la mondialisation. L’autre apport est lié à l’insistance de trouver rapidement des modalités d’apprentissage de travail collectif, de manière horizontale et verticale. L’urgence est peut-être là plutôt que de chercher l’articulation idéale entre les niveaux de décision publique.

Un regret, cependant : il est très peu fait mention de la position d’un maire dans un cadre intercommunal renforcé. Or, le rôle de ce magistrat va forcément évoluer. Sera-t-il, par exemple, le garant d’une proximité citoyenne au sein d’une structure – l’intercommunalité –, d’essence fondamentalement économiciste et développementaliste ?

Dominique ROYOUXDépartement de géographie, Université de Poitiers

Poitiers (France)

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GARIÉPY, Michel et ROY-BAILLARGEON, Olivier (dir.) (2016) Gouvernance et planification collaborative. Cinq métropoles canadiennes. Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 284 p. (ISBN 978-2-7606-3556-2)

Réalisé sous la direction de Michel Gariépy et d’Olivier Roy-Baillargeon, cet ouvrage collectif se veut un portrait contemporain de la gouvernance métropolitaine au Canada, mettant en évidence les dynamiques de collaboration et de participation qui sous-tendent les démarches de planification. À la suite d’une introduction dans laquelle Gariépy et Roy-Baillargeon jettent les bases conceptuelles de la participation, de la gouvernance et de la planification territoriale, l’ouvrage propose sept chapitres dans lesquels des urbanistes, des aménagistes et des géographes posent leur regard sur six régions métropolitaines.

Le premier chapitre, s igné Gariépy et Roy-Baillargeon, analyse l’impact de la participation récurrente de certains groupes de la société civile aux exercices de consultation publique dans le Grand Montréal sur leur propension à faire, de la cohérence logique, verticale, horizontale et temporelle des plans et des actions proposés, un enjeu central de leur participation. Certes, les participants récurrents s’avèrent préoccupés par des considérations pragmatiques et

opérationnelles, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du fait que la concordance dans le régime québécois d’aménagement du territoire n’est pas tant garantie par le mécanisme de consultation publique que par l’analyse et l’émission des avis de conformité par les instances gouvernementales supérieures. Mais c’est plutôt la transformation du rôle joué par les participants récurrents qui ressort de ce chapitre : ces derniers sont appelés à devenir de véritables parties prenantes dont l’avis est sollicité aussi bien en amont qu’en aval des plans et des projets.

Dans le second chapitre, Florence Paulhiac Scherrer traite du processus d’élaboration et du contenu de la Stratégie nationale de mobilité durable du gouvernement du Québec. Elle s’interroge notamment sur l’ampleur de l’intégration du référentiel du « nouveau paradigme » de mobilité durable (que Todd Litman qualifierait de nouveau paradigme en planification des transports basé sur l’accessibilité aux services et aux activités [2013]). Cette analyse d’un projet de politique avorté illustre les limites de la portée des exercices de consultation publique et témoigne des réticences d’un gouvernement à agir en situation minoritaire.

Rédigé par Francis Roy et Guy Mercier, le troisième chapitre retrace le processus menant à l’adoption, en 2011, du premier Plan métropolitain d’aménagement et de développement de la Communauté urbaine de Québec, lequel succédait à l’échec de l’exercice d’élaboration d’un schéma métropolitain d’aménagement et de développement par la même instance. En plus d’expliquer la dynamique politique et les limites de la gouvernance métropolitaine à Québec, les auteurs démontrent comment l’imbrication du mandat, des compétences, de la composition et du système de votation des instances de planification métropolitaines dans ceux des paliers inférieurs est nécessaire au fonctionnement d’un système d’aménagement basé sur la règle de conformité.

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157Comptes rendus bibliographiques

Dans le chapitre IV, Mario Gauthier, Guy Chiasson et Lynda Gagnon analysent un exemple d’échec de différenciation dans l’action publique locale, soit les difficultés de réalisation des initiatives de revitalisation du centre-ville de Gatineau. Ils attribuent trois facteurs à cet échec : la démarche de consultation publique classique, « tardive », contrôlée par les experts de l’aménagement et plus propice à susciter la confrontation que la concertation ; le manque de leadership politique, empêchant de forger un consensus et de mobiliser les parties prenantes ; et la défaillance de la structure de mise en œuvre du projet, dont la responsabilité aurait dû être confiée à un organisme de développement, plus apte que le Service de l’urbanisme à assurer la réalisation des projets urbains, selon les auteurs.

Le chapitre V, signé Caroline Andrew, consiste en une évaluation de la capacité des processus de planification territoriale et de participation publique de la Ville d’Ottawa à incorporer les innovations démocratiques telles qu’entendues par Smith (2009), lesquelles bonifieraient la participation citoyenne dans les processus décisionnels. Il en ressort que les initiatives locales de participation publique organisées par la Direction de services communautaires et des services sociaux, en collaboration avec des groupes communautaires, respectent davantage les critères d’inclusivité, de contrôle populaire, de jugement réfléchi, de transparence, d’efficacité et de transférabilité que les processus de planification territoriale et ses composantes.

Dans le chapitre VI, Pierre Fillion dresse un portrait de la riche histoire de la région de Toronto en matière d’aménagement depuis la Seconde Guerre mondiale, retraçant au passage les grandes décisions d’aménagement et analysant leurs retombées sur la forme urbaine. Une approche scalaire de l’aménagement métropolitain permet à l’auteur d’expliquer l’absence de participation populaire aux exercices de consultation publique à l’échelle métropolitaine, lesquels sont davantage l’apanage des lobbies bien organisés et contrôlés par différentes catégories d’experts.

Quant au dernier chapitre, signé Ève Arcand et Emmanuel Brunet-Jailly, il est consacré aux relations conflictuelles entre le gouvernement provincial et les instances locales et régionales de Vancouver dans les dossiers d’aménagement et d’infrastructures de transport collectif, si communes dans les métropoles nord-américaines. Les faits relatés par les auteurs mettent notamment en exergue l’inévitable méfiance des gouvernements provinciaux à l’égard des instances métropolitaines lorsque celles-ci menacent de facto leur légitimité. Arcand et Brunet-Jailly soulignent également les conséquences du glissement vers la privatisation de la planification du transport public résultant de la prise de contrôle des instances de planification par le gouvernement provincial.

En conclusion, Roy-Baillargeon nous présente son compte rendu d’une discussion au cours de laquelle Franck Scherrer et Marie-Odile Trépanier approfondissent certains enjeux soulevés, dont la spatialisation du développement économique, l’inéquation entre les projections démographiques et la volonté de densification, la culture du projet urbain, le rôle du fonctionnaire et de l’aménageur dans les exercices de consultation, ainsi que les jeux de pouvoir dans la gouvernance et la planification métropolitaine, et ce, tout en offrant des perspectives comparatives nationales et internationales.

Au lieu d’offrir une approche et une démarche uni for misée appl iquée à l ’ensemble des cas à l ’étude, chaque chapitre propose une perspective singulière sur les dynamiques de collaboration dans la gouvernance métropolitaine, faisant de cet ouvrage un portrait à l’image des études urbaines au Canada, empreint de diversité. Compte tenu de la richesse de son contenu et de la variété des théories et des méthodes employées, l’ouvrage aurait cependant mérité une synthèse et une conclusion, en plus de la discussion entre Scherrer et Trépanier, laquelle soulève de nombreuses pistes d’enquête. La question de la cohérence entre les plans d’aménagement

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et les décisions politiques, effleurée par les auteurs en introduction, aurait notamment pu y être abordée, d’autant plus qu’elle est soulevée dans plusieurs chapitres, outre celui de Gariépy et Roy-Baillargeon, qui y est partiellement consacré. Un retour sur les méthodes et approches théoriques employées dans les études de cas aurait aussi bénéficié aux lecteurs. Néanmoins, les auteurs et leurs contributeurs remportent leur pari d’offrir un portrait actuel de la gouvernance métropolitaine au Canada, rendant cet ouvrage collectif indispensable aux spécialistes et aux étudiants des cycles supérieurs s’intéressant aux questions de planification, de participation et de politique urbaine.

Références

LITMAN, Todd (2013) The new transportation planning paradigm. ITE Journal, vol. 83, no 6, p. 20-28.

SMITH, Graham (2009) Democrat ic innovations: Designing institutions for citizen participation. Cambridge, Cambridge University Press.

Fanny R. TREMBLAY-RACICOTChaire In.SITU, UQAM

Montréal (Canada)

RAVALET, Emmanuel, VINCENT-GESLIN, Stéphanie, KAUFMANN, Vincent, VIRY, Gil et DUBOIS, Yann (2015) Grandes mobilités liées au travail. Perspective européenne. Paris, Economica, 200 p. (ISBN 978-2-7178-6818-0)

Les processus de métropolisation et de régionalisation, conjointement avec le développement de moyens de transport, ont facilité grandement les mobilités quotidiennes. Bien que l’amélioration des infrastructures de transport ait permis aux gens de mieux exploiter leur budget-temps (Zahavi et Ryan, 1980), le desserrement des activités a vite détérioré les conditions d’accès à l’emploi, particulièrement pour les ménages à plus faibles revenus (Orfeuil, 2004). La séparation entre lieux de résidence et lieux d’emploi et la mobilité qui y est associée sont souvent perçues comme un problème, notamment en raison des effets néfastes associés à une occupation étalée du territoire et à un usage généralisé de l’automobile. On cherche alors à diminuer les déplacements, que ce soit par la mise en place d’infrastructures plus efficaces de transport en commun ou en favorisant une occupation du sol plus dense et mixte (Calthorpe et Fulton, 2001).

Cet ouvrage porte un regard distinct sur le phénomène de la mobilité quotidienne liée au travail. Il aborde les grandes mobilités (celles

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159Comptes rendus bibliographiques

qui impliquent le franchissement de grandes distances pour des motifs professionnels, sans être toujours associées à un retour quotidien au domicile) comme une partie intégrale des modes de vie actuels. L’ouvrage présente une synthèse des résultats d’une vaste recherche qui a analysé les effets des grandes mobilités liées au travail sur des personnes de quatre pays européens (Allemagne, Espagne, France, Suisse) en utilisant une combinaison de méthodes mixtes et une approche longitudinale.

Les trois premiers chapitres du livre permettent au lecteur de se familiariser avec la recherche et le thème de la grande mobilité en contexte européen. On présente notamment un portrait global de la grande mobilité en Europe à partir de données collectées en 2007 et 2011 auprès des mêmes personnes. La grande mobilité apparaît souvent comme une manière de concilier vie professionnelle et vie familiale. La perception positive de la grande mobilité a tendance à changer avec le temps : perçue au début comme une opportunité (positif), à long terme, elle devient davantage une contrainte (négatif), à la limite, une nécessité, pour maintenir un certain mode de vie. La grande mobilité n’est pas une situation permanente. Les gens entrent et sortent de la grande mobilité en fonction du contexte économique, des projets professionnels et du contexte personnel dans lequel ils se trouvent.

Les trois chapitres suivants abordent le développement et l’exploitation des capacités de mobilité chez l’individu (motilité). Parfois développé dès l’enfance par des choix parentaux, ce potentiel de mobilité peut aussi se développer dans des expériences personnelles, lors de voyages ou de formations professionnelles. Dans les deux cas, la mise en application des compétences spatiales et sociales ainsi acquises dépendra en grande partie du niveau de stress que l’individu aura vécu lors de ces « expériences ». Les caractéristiques des territoires sont aussi susceptibles d’affecter la manière dont la personne sera en mesure d’exploiter ses compétences de mobilité, notamment sur le

plan de l’accès aux ressources. Toutefois, il semblerait que c’est surtout dans les contextes économiques difficiles que les gens sont poussés vers les grandes mobilités.

Les derniers chapitres de l’ouvrage sont concentrés sur les effets des grandes mobilités sur les gens. On constate que les grandes mobilités sont rarement compatibles avec la vie familiale. Il est ainsi courant que des femmes quittent la grande mobilité avec le projet de fonder une famille. Dans un ménage avec des enfants, la grande mobilité d’un des conjoints est souvent possible grâce à la faible mobilité de l’autre (souvent la femme), qui prend alors en charge les besoins quotidiens de la famille. Le sentiment d’injustice qui se crée peut parfois entraîner une séparation, ou alors la sortie de la grande mobilité. La manière dont celle-ci est vécue aura aussi un impact sur l’usage qui est fait des temps et espaces qui y sont associés. Lorsque la grande mobilité est vécue de manière positive, la personne sera en mesure d’exploiter ses compétences de mobilité pour développer de nouvelles habitudes et occasions de socialisation dans ces lieux et moments de mobilité, ce qui renforcera l’aspect positif de l’expérience. Mais si la grande mobilité est source de stress, le temps et la nouveauté des lieux ne feront qu’augmenter l’angoisse, amplifiant la pénibilité de l’expérience.

Cet ouvrage présente un riche portrait des grandes mobilités en contexte européen et de leurs impacts sur les personnes qui les vivent. Le choix d’une approche méthodologique mixte, combinant des données quantitatives et des entretiens, permet de bien illustrer les divers enjeux qui y sont associés. L’ouvrage a le grand mérite de démontrer que la grande mobilité ne doit pas être perçue comme un problème à résoudre, mais comme une réalité à laquelle de plus en plus de gens doivent adhérer, même si c’est de manière temporaire. Dans ce sens, il montre que la compréhension des grandes mobilités permet de mieux comprendre le contexte de mobilité généralisée dans lequel s’inscrivent les sociétés contemporaines.

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160 Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017

RéférencesCALTHORPE, Peter et FULTON, William

(2001) The regional city. Washington, Island Press.

ORFEUIL, Jean-Pierre (2004) Transports, pauvretés, exclusions : pouvoir bouger pour s’en sortir. La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube.

ZAHAVI, Yacov et RYAN, James M. (1980) Stability of travel components over time. Transportation Research Record, no 750, p. 19-26.

Paula NEGRON-POBLETEÉcole d’urbanisme et d’architecture de paysage,

Université de Montréal Montréal (Canada)

GEMENNE, François (dir.) (2015) Migrations internationales : un enjeu Nord-Sud ? Paris, Éditions Syllepse et Centre Tricontinental, 189 p. (ISBN 978-2-84950-450-5)

Cet ouvrage collectif part du constat de la distorsion existante entre la réalité des flux migratoires d’aujourd’hui et la perception que le grand public et les politiques ont des migrations et des migrants. Source de xénophobie et de racisme, cette distorsion est basée sur une alarmante méconnaissance de la réalité migratoire, en fonction de la

propension à s’appuyer sur des sondages d’opinion et non sur des études scientifiques. À travers les différents articles qui composent ce numéro spécial, Alternatives Sud a pour objectif de « réduire ce fossé entre réalités et perceptions » (p. 9) et de montrer que la migration est un droit fondamental et une évolution structurelle du monde.

Le contenu du numéro est divisé en quatre parties. La première partie privilégie des analyses transversales qui s’attaquent directement à différentes idées reçues sur la migration pour les critiquer, afin de contribuer à l’évolution d’une vision scientifique sur les circulations migratoires et de reconnaître les droits fondamentaux des migrants tout en faisant la promotion d’un débat migration-démocratie.

La deuxième partie se concentre sur l’Amérique latine, plus particulièrement sur le Brésil, le Mexique et la Bolivie. Entre autres, une étude portant sur un groupe de migrantes boliviennes ayant quitté la ville de Cochabamba pour Buenos Aires, en Argentine, montre que la migration de ces femmes réorganise, d’une certaine façon, les rapports hommes-femmes au sein du foyer d’origine. Cependant, la plupart des changements sont très limités et de caractère transitoire (Bastia, 2015).

La troisième partie est consacrée à l’Asie, avec trois articles sur la Chine, l’Inde et le Bangladesh. En lien avec la reconnaissance des droits fondamentaux des migrants, soulignons l’article sur l’exploitation des migrants internes en Chine, dans l’industrie de la construction. Cet article montre comment la sous-traitance est devenue un problème très grave dans cette industrie, lequel a eu comme conséquence une marchandisation de la main-d’œuvre dans les villages. La sous-traitance a eu pour conséquence de bafouer les droits de travailleurs migrants et elle a généré une culture de la violence, les travailleurs se voyant obligés de créer des troubles afin de défendre leurs droits (Ngai et Huilin, 2015).

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161Comptes rendus bibliographiques

Finalement, avec un article sur l’Afrique centrale et un autre sur le Sénégal, la quatrième partie du numéro s’intéresse à l’Afrique. Les thèmes abordés sont la relation entre migration et développement (Bazonzi, 2015) et la migration comme stratégie d’adaptation face aux variations environnementales (Tandian, 2015).

À une époque où le débat politique autour de la migration du sud vers le nord est crispé et instrumentalisé dans la plupart des pays du Nord, où l’opinion prend le pas sur la connaissance scientifique, ce numéro spécial d’Alternatives Sud apporte un éclairage sur la question migratoire à partir des réalités empiriques. Celles-ci aident à démonter les discours publics dominants en proposant un vrai débat démocratique sur les migrations en tant que phénomène structurel et droit fondamental, une réalité qui touche la plupart des régions du monde.

Guillermo CANDIZUniversité Laval

Québec (Canada)

GALLET, Gilles (2016) Pour une Russie européenne. Géopolitique de la Russie d’hier et d’aujourd’hui. Paris, L’Harmattan, 194 p. (ISBN 978-2-343-09530-1)

Voici un ouvrage ambitieux qui vise à mettre en perspective les cohérences de la géopolitique russe sur un siècle et demi,

et parfois plus longtemps encore. Ce n’est pas illégitime puisque l’auteur met en valeur des schémas de pensée souvent très constants du monde avoisinant. Plus stable encore, la permanence de points de fixation qui jalonnent l’immense frontière russe, envisagés dans des perspectives très stables malgré l’évolution des territoires concernés (la Pologne) et des contextes (les Caucases), voire la réinvention régulière de ces entités voisines (l’Ukraine, la côte Balte). Stables également la réalité des représentations comme des moyens consacrés à ces relations de voisinage : une Russie qui fait toujours peur par son gigantisme, mais peut parfois incarner la constance face à d’autres puissances plus volatiles, avec des armées souvent fragiles, mais toujours colossalement présentes.

Le propos est donc intéressant dans un monde qui cultive l’immédiateté et qui serait sous le coup d’une condamnation à la « fin de l’histoire ». Ce souci d’offrir un tel panorama est bienvenu pour donner une culture cohérente à nos étudiants et au grand public, à qui on présente souvent les événements dans chacun de ces théâtres de manière ponctuelle et très fruste.

Le large tableau proposé, tant chrono–logiquement (trois régimes) que spatialement, peut cependant laisser parfois dubitatif : parle-t-on de la même Europe dans les pays baltes et dans le Caucase ? En 1920 et aujourd’hui ? Cette volonté russophile (mais pourquoi pas ?) de tout ramener à un dessein aussi constant peut lasser à la longue et se révéler contreproductive en alimentant certains fantasmes récurrents vis-à-vis d’une Russie perçue comme menaçante en toutes circonstances : la page 145 le résume bien, mais contredit aussi ce discours sur les permanences de la politique russe en affirmant à juste titre que les missions de l’armée « ont considérablement évolué ». Surtout, c’est oublier que l’histoire des relations de la Russie avec les territoires européens voisins est faite aussi de beaucoup d’opportunisme et de réactions sous la contrainte d’une actualité urgente et non prévue…

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162 Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017

De plus, le propos vise à construire le portrait d’une « âme russe » qui laisse dubitatif, surtout quand ce portrait est cerné par des formules telles que « l’idée communiste est en effet assez proche de l’âme russe » (p. 26). Déjà en 1925, Porché se méfiait « des lieux communs, c’est-à-dire de ces traits généraux universellement admis, qui comportent une multitude d’exceptions. […] D’ailleurs, l’expression " âme slave " n’a rien de scientifique : c’est un cliché commode », avant de conclure que « le terme, dans son acception ordinaire, vise surtout les Russes ». Éternelle fascination pour une éternelle Russie, une catégorisation qui touche la Russie plus que la plupart des régions du monde… et pourquoi ne pas aussi réinventer les aires culturelles de la géo à papa ?

Cela n’empêche cependant pas de souscrire à la seconde idée qui termine la phrase citée en page 26 : « En Russie, capitalisme et communisme ont toujours eu un sens différent de celui que l’on entend ailleurs. » Mais encore faudrait-il se montrer plus précis que les deux pages qui suivent, puisque cela pourrait expliquer en partie quelques indéniables éléments de continuité de la géopolitique russe par-delà les éclipses temporaires et somme toute assez courtes des changements de régime, tout autant qu’une attitude constante face à certains territoires qui, pourtant, ont beaucoup changé. La Géorgie ou l’Ukraine illustrent bien ces mutations permanentes de territoires qui se construisent sous l’influence d’une géopolitique globale et de relations très changeantes avec Saint-Pétersbourg puis Moscou. La Crimée de 1852 n’a rien à voir avec celle de 2014…

Mais ma principale interrogation concerne l’échelle choisie. Si on affirme qu’il s’agit de montrer que cette Russie est profondément européenne (p. 11), ce dont je ne doute pas, ne faut-il pas alors envisager plus en détail les relations avec les puissances européennes, la Grande-Bretagne, relayée par les États-Unis, la France, l’Empire ottoman devenu République turque, l’Allemagne, tous des pays évoqués de manière incidente ? Ce sont

eux les interlocuteurs de la Russie, même si le débat a lieu sur un terrain tiers frontalier de la Russie. On peut se demander si ce ne sont pas ces pays qui, par leurs représentations plus encore que leur politique, construisent la réalité de cet Empire Russe (p. 40). À cette aune, il manque alors un espace majeur de confrontation : les Balkans, à peine évoqués (p. 41) dans un autre contexte et qui auraient mérité plus de place. Quid justement de la « slavitude », parfois invoquée depuis deux siècles ? On a plus souvent préféré la référence au religieux comme élément fédérateur. Cette dimension apparaît peu dans l’ouvrage.

Enfin, le propos nourri d’une empathie récurrente de l’auteur, qui vise à montrer la bienveillance – même si parfois un peu rude – de ce voisin encombrant, est parfois pollué par des formules à l’emporte-pièce plutôt mal venues : « On peut aussi s’interroger sur le sens de l’intégration au sein de la Fédération de Russie d’une série de républiques dont les cultures, les traditions, mais aussi la brutalité s’écartent de la norme commune » (p. 114).

Pour conclure sur un registre plus formel, dans un ouvrage qui s’adresse a priori à des non-spécialistes, on peut regretter l’absence de cartes détaillées sur les différents terrains abordés successivement. Cette tentative de synthèse sur un sujet difficile à embrasser dans sa totalité y aurait gagné en efficacité.

RéférencePORCHÉ, François (1925) Qu’est-ce que l’Âme

slave ? Paris, Chez Madame Lesage.

Dominique CROZATUMR 5281 ART-Dev, Département de Géographie,

Université Paul-Valéry-Montpellier Montpellier (France)

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163Comptes rendus bibliographiques

DABÈNE, Olivier (2016) L’Amérique latine à l’époque contemporaine. Paris, Armand Colin, 272 p. (ISBN 978-2-200-61312-9)

L’objectif de cette huitième édition proposée par Olivier Dabène est de rendre explicite les évolutions historiques sur les plans économique, politique, social et culturel de l’Amérique latine. La diversité des nations présentes impose à l’auteur une sélection des événements, des ruptures, des évolutions et des relations. Cette synthèse volontaire de ce qui semble être incontournable pour comprendre l’Amérique latine d’aujourd’hui met en exergue des données contextualisées afin d’aider à percevoir les ressorts de chaque période ainsi que les imbrications qui en résultent. Le lecteur a à sa disposition un outil proposant des tableaux synthétiques pour imager des réalités contextuelles et des chronologies lui permettant de comprendre les successions et les réorientations, voire les bouleversements ou les révolutions vécues par les populations.

L’auteur a construit son ouvrage autour de huit chapitres aux temporalités variables tout en s’efforçant de rendre l’ensemble de l’Amérique latine accessible dans sa pluralité. Le point de départ est l’entrée dans l’ère moderne de cette Amérique (1870-1914). La relative prospérité des territoires qui la composent de 1914 à 1930

prépare l’arrivée des populismes (1930-1950). Le bouleversement de la révolution cubaine (1950-1970) tient pour ainsi dire une place centrale pour la compréhension des soubresauts qui émergent par la suite donnant des années définies comme étant sombres (1968-1979). La progression parfois erratique vers la démocratie de marché (1979-1990) met l’accent sur les élans démocratiques. L’effervescence des années 1990-2001 met en exergue des antagonismes marqués aux niveaux sociétal, démocratique et politique. Enfin, la dernière période (2001-2015) présente une Amérique latine gouvernée par des partis de gauche.

Ce découpage fonctionnel en périodes permet l’appropriation des phases dans leurs spécificités en suivant chronologiquement les événements des faits marquants avec les implications des différentes personnalités, les influences politiques et idéologiques. Au fil des chapitres, avec des intensités variables en fonction des évolutions, sont exposées les maturations sociétales dynamisées par la rue ainsi que les accélérations qu’elles engendrent sous les poussées de nature révolutionnaire. La volonté à géométrie variable des décideurs de réformer les sociétés a autant de place que l’expression de la démocratisation des différentes nations, avec toutes les précautions dues aux oppositions de destination et de doctrine, tout en mettant à la disposition du lecteur des parties de traités ou d’accord.

Les formes de violence si présentes, parfois exprimées par des actions terroristes réprimées par l’entrée en action des armées qui fomentent des coups d’État aveugles et sanglants, sont autant d’événements historiques qui ont participé à la construction des pays de l’Amérique latine. Nombre de ces événements sont gangrénés par le clientélisme, la corruption, les manipulations ou les disparitions et enlèvements. Toutefois, malgré l’existence de cette violence latente, les engagements économiques, les réformes aux conséquences parfois destructrices, les orientations de développement servent

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164 Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017

de socle initial à la naissance d’organismes régionaux ainsi qu’aux accords internationaux ou bilatéraux, notamment avec les États-Unis. Bien entendu l’influence de l’ex-URSS pour le soutien aux révolutions, en particulier celle de Cuba, n’est pas ignorée, avec en toile de fond des prétendues démocraties. Les crises sociétales ne sont pas occultées au regard de l’évolution du pouvoir d’achat et de l’importance du volume des importations, source d’une fragilité économique. Elles sont mises en relief avec leurs conséquences sur les populations les plus précaires, qui ont souvent soutenu les mouvances idéologiques qu’elles rejettent aujourd’hui. En outre, le vecteur économique de l’exploitation des terres disponibles et les expansions légitimées par la rentabilité au détriment des travailleurs pauvres jalonnent ce déroulement historique où les influences, voire les ingérences de certains chefs d’État, sont brièvement exposées.

À titre personnel, et bien que cet ouvrage appartienne à la collection histoire, nous regrettons l’absence d’un chapitre de prospective construit sur les faits marquants de la dernière année contemporaine. Olivier Dabène aurait pu mettre en perspective les dynamiques émergentes sans nuire à la démarche historique. En effet, cette huitième édition aurait intégré les dépendances à la production pétrolière pour certains pays, les déséquilibres économiques qui trouvent une partie de leurs racines dans l’histoire nationale, les réalités sociétales avec les gouffres sociétaux opposés aux milliardaires, les déforestations et leurs conséquences pour les écosystèmes au regard des évolutions, sans omettre les impacts planétaires de ces facettes qui sont des phénomènes inscrits dans les mouvances historiques. Il est vrai que l’ouvrage est fixé sur un fil rouge constitué autour des aspects économiques et politiques, mais les interdépendances entre les orientations idéologiques, sociétales, géopolitiques et les enjeux immédiats pour tous les pays de l’Amérique latine auraient gagné en texture si l’on avait davantage fait ressortir les liens historiques entre les domaines. En outre, cela

aurait contribué à dessiner des structures transdisciplinaires pour ouvrir le champ historique en direction des domaines connexes, notamment par l’exemple des jeux olympiques ou celui des expressions identitaires avec les préservations archéologiques.

Cette huitième édition de L’Amérique latine à l’époque contemporaine a le mérite de mettre au jour des données récentes, dans son dernier chapitre, de nous informer sur des réalités environnementales et politiques pour lesquelles demeurent des zones d’ombre au sujet des actions des protagonistes. À partir de ces actions et du découpage chronologique, les lecteurs percevront les articulations, les agrégations, les mouvances et les tendances des politiques mises en œuvre pendant 150 ans dans l’ensemble territorial de l’Amérique latine. Les étudiants, les curieux et les enseignants trouveront dans ces pages des structurations intéressantes pour comprendre, expliquer et exposer une partie des évolutions historiques pour les domaines économique, commercial, politique et sociétal des nombreux pays constituant l’hétérogénéité de l’Amérique latine, tout en insistant sur les agrégations régionales recherchées et entretenues par les participants. Les tensions, les bouleversements, les orientations et les modes de fonctionnement seront plus accessibles dans leur globalité, ce qui aidera à percevoir les dynamiques spécifiques ayant participé à la production des réalités contemporaines.

Yannick BRUN-PICARDÉcole maternelle et primaire La Peyroua

Le Muy (France)

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165Comptes rendus bibliographiques

FOUGÈRE, Éric (dir.) (2016) Île, état du lieu. Paris, Téraèdre, 138 p. (ISBN 978-2-36085-079-2)

Après dix années, quatre numéros par an et quarante ouvrages collectifs, la revue Cultures et Sociétés met fin à son aventure avec ce dossier spécial sur la thématique de l’île. De plus, ce numéro nous fait voyager au-dessus de nombreux sujets : la question du genre, la saturation du spectacle sportif à l’ère de l’hypermédiatisation, la fondation de la culture peule autour de la vache, l’esprit rebelle de l’écrivaine Christiane Rochefort (1917-1998), le manque de considération de l’élite française à l’égard de sa chanson et, finalement, l’accompagnement difficile des personnes âgées lorsque vient le temps d’entrer dans un établissement d’hébergement. La diversité des thèmes abordés ainsi que la provenance variée des auteurs contribuent indubitablement à cette entreprise d’ouverture et de « dépliages » (p. 9) à laquelle la revue s’est vouée depuis sa création.

Dans ce dossier spécial, huit courts articles apportent, chacun à sa manière, une attention particulière à l’une des multiples dimensions de l’île. Trois thèmes ont particulièrement suscité notre intérêt dans la mesure où ils peuvent éclairer plusieurs préoccupations propres à la géographie : le lien entre représentations et matérialité, la question de la frontière et les flux migratoires.

Bien que l’île soit d’abord une situation géographique, elle est aussi une conscience d’habiter dans des terres entourées d’eau de tous côtés. Dans le sillage des études poststructurelles, les auteurs, chacun à sa manière, nous rappellent l’importance de s’attarder aux représentations qu’ont les insulaires d’eux-mêmes et de leur milieu. Nathalie Bernadie Tahir et François Taglioni (p. 44-49) ont démontré comment ces derniers ont tendance à produire un discours d’« exceptionnalité » fondé sur une représentation qui met en exergue la singularité de l’île par rapport à l’altérité qui l’entoure. L’insularisme, néologisme employé pour rendre compte de cette exceptionnalité, se répercute dans le domaine politique et devient de la sorte « performatif ». Les représentations prennent un caractère effectif dans la mesure où le discours sur la singularité de l’île se matérialise dans des « dérogations », cet « antimonde », où celle-ci accueille des activités fonctionnant selon des règles différentes du reste du monde, par exemple, l’évasion fiscale.

L’altérité dans la construction des identités constitue un autre thème majeur qui se dégage de la publication. En s’appuyant sur de nombreux exemples d’îles étant séparées en deux États distincts (Haïti et la République dominicaine), ce dossier permet de repenser la signification de la frontière. Trop souvent réduite à un discours qui met de l’avant son caractère antagoniste, on oublie qu’elle est aussi un espace d’échanges et de relations. Ce deuxième sujet trouve donc écho, lui aussi, dans un thème d’actualité autant pour la science que pour le politique : la frontière. Lorsque celle-ci est historiquement bien définie et reconnue par les différents groupes, elle peut jouer un rôle positif entre des constructions identitaires différenciées. En ce sens, Marie Redon (p. 52) écrit : « Dans ces îles divisées, la frontière joue donc un rôle de barrière tant protectrice que constitutive de l’identité du territoire qu’elle délimite. » Ce besoin d’altérité est rendu manifeste dans les différents exemples où des insulaires érigent, malgré la disponibilité réduite de l’espace, une zone interdite qui

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166 Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017

rend impossible la colonisation complète du territoire (Redon, p. 54). Ce phénomène observé sur certaines îles invite à repenser le rôle de l’autre et de l’altérité dans la constitution des sociétés humaines.

Le dernier thème majeur qui se dégage, selon nous, de la publication est la question des migrations. Cette question nous invite à réfléchir sur les processus par lesquels certaines îles, autrefois perçues comme des territoires d’exode, connaissent aujourd’hui un flux migratoire positif. Louis Brigand (p. 55-59) souligne que l’île est devenue le symbole d’une vie différente où d’autres façons d’exister dans le monde s’offrent à celui qui est « désenchanté » de sa vie telle qu’il se la représente. Une plus grande proximité sociale et des rapports différents au temps et à l’espace sont les principaux éléments qui inciteraient certains individus à quitter le continent pour migrer vers l’île. Dans cette perspective, l’attrait de celle-ci doit être pensé à une autre échelle géographique, celle d’un monde qui semble de moins en moins apte à répondre aux exigences proprement humaines d’une partie croissante de la population des pays développés.

Avec tous les dangers que cela comporte, l’île peut être comprise comme un microcosme qui amplifie les défis et les enjeux touchant notre planète à l’époque contemporaine. Ce dossier est très éclairant pour ceux qui s’intéressent à l’importance des représentations dans la production des différences et des territoires. Ensuite, ces textes permettent de repenser la complexité et l’importance de la frontière à l’ère de la mondialisation. Aussi, cette thématique de l’île a pu éclairer les multiples motivations qui président au choix d’une migration volontaire vers ces territoires autrefois marginalisés. En conclusion, l’esprit interdisciplinaire de la revue, son regard original et ses thématiques des plus variées vont indubitablement manquer au paysage intellectuel francophone.

Alex BRASSARDUniversité Laval

Québec (Canada)

ROBERT, Samuel et MELIN, Hélène (dir.) (2016) Habiter le littoral. Enjeux contemporains. Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 476 p. (ISBN 979-10-320-0084-7)

L’hétérogénéité des axes d’étude exposés dans cet ouvrage invite le lecteur à découvrir et à améliorer ses connaissances sur l’habitabilité des littoraux. Sous la direction de Samuel Robert et Hélène Melin, 54 auteurs alimentent 27 articles. Ces contributions proviennent des 26es journées de la Société d’écologie humaine (SEH), tenues à Marseille en octobre 2014 et intitulées : Habiter le littoral. Enjeux écologiques et humains contemporains. Les participants partaient du constat selon lequel les littoraux tendent à devenir de manière prégnante des enjeux économiques, sociaux, écologiques et politiques. Simultanément, ces lieux étaient conçus comment étant des zones de tensions et de conflits. L’objectif partagé par les intervenants était de rendre compte de l’habitabilité des espaces côtiers contemporains tout en mettant en relief les rapports entre les populations et le milieu littoral à travers l’acte « d’habiter ».

Densément illustré et étayé, l’ouvrage est structuré en cinq parties où sont imbriquées des lectures anthropologiques, juridiques, géographiques, psychologiques, historiques, sociologiques, biologiques, géomorphologiques et environnementales.

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167Comptes rendus bibliographiques

La première partie nous positionne entre nature et culture pour habiter un lieu singulier. La seconde aborde les différentes manières d’être habitant. La troisième, l’action d’habiter ensemble, la gouvernance et les jeux des acteurs. La quatrième s’attache à « habiter malgré tout », où le littoral est vécu comme un milieu à risque. La cinquième partie met en exergue les liens entre les sciences et les sociétés par les contributions des scientifiques pour un meilleur « habiter ». Nous avons accès à une pluralité de réalités. Celles-ci rendent accessibles les littoraux dans leur complexité, leur interdépendance, leur fragilité et leurs attraits.

La contextualisation de l’habitabilité des littoraux nous fait voyager du nord du Québec à la Nouvelle Calédonie en passant par la Guyane, avec une évasion vers l’Asie et le Japon. La diversité des littoraux est augmentée avec des regards portés sur l’île de Sien, la ville de Nantes, diverses parcelles du littoral méditerranéen et des particularités ivoiriennes ainsi que de l’Afrique de l’Ouest. Les thèmes nous immergent au cœur de domaines aussi différents que les calanques marseillaises, le patrimoine du littoral, les types de pêche, les paysages, une cité épiscopale, les modes d’appropriation en fonction des activités professionnelles ou les tensions de cohabitation. Bien entendu, les recompositions territoriales, les orientations écologiques de nettoyage ou d’aménagement, les conséquences des implantations anarchiques ne sont pas occultées. Il en est de même de la vulnérabilité des littoraux, que ce soit aux raz-de-marée, aux glissements de terrain, à l’érosion, aux risques sanitaires, aux capacités d’accueil ou à la pression qui en résulte. Les mouvances contemporaines, portées par le développement durable, de conscientisation des conséquences des excès d’anthropisation des littoraux mettent en relief les besoins d’une gestion intégrée, la nécessité de prendre en considération les populations, ainsi que la pertinence de l’emploi d’un indice synthétique de la qualité de vie en zone littorale afin d’entrevoir des solutions pérennes.

À titre personnel, nous regrettons que la notion d’interface soit employée de manière aussi frileuse alors que les littoraux, dès lors qu’ils sont des supports à des activités anthropiques, sont des interfaces, au-delà du seul contact terrestre et aquatique, où des acteurs agissent sur des parcelles en fonction de potentialités pour parvenir à des objectifs. Cela nous plonge au cœur du concept d’interface humanité / espaces terrestres. Par ailleurs, le contexte d’interdisciplinarité est à notre sens un frein à toute pratique réellement pluridisciplinaire, puisque les frontières souvent hermétiques des domaines scientifiques sont préservées. Nous préférons la transdisciplinarité. Celle-ci impose aux acteurs de déposer leurs certitudes pour œuvrer en synergie avec des sciences connexes sans pour cela partager des perspectives identiques d’analyse. Elle incite les actants, lors de l’étude d’un objet de recherche, à s’extraire des normalités méthodologiques d’une spécialité pour accepter et mettre en œuvre la différence. Cette dynamique serait plus affirmée avec une insistance sur la notion de durabilité, laquelle va bien plus loin que le développement durable. En outre, l’acte d’habiter implique une relation au monde, à la parcelle conquise ou acquise. Cette relation est la géographicité. Elle se devine par l’intermédiaire de la territorialité ponctuellement employée, mais la notion de géographicité n’est pas utilisée. L’absence de ces quatre concepts démontre que les géographes, pour le moins, demeurent soudés à des conceptions de la compréhension du monde pour lesquelles la compilation, le commentaire et l’exposition demeurent les outils d’une légitimité vectrice de scientificité. C’est-à-dire que malgré la clarté des articles, il manque, à notre sens, les dimensions projectives et de responsabilisation bien que le texte Habiter le littoral français en 2040 (p. 315-325) nous ouvre des potentialités d’ici deux décennies.

Aucun ouvrage ne peut rendre accessible une réalité dans sa totalité. Cette incomplétude est indissociable des sciences humaines, ce dont de nombreuses critiques devraient avoir conscience. Pour cet ouvrage, les auteurs, dans leur pluralité d’axes d’approche de l’habitabilité

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des littoraux, rendent plus explicites et accessibles les dynamiques qui façonnent ces parcelles tellement convoitées, quel que soit le type d’activité. Ils nous informent au sujet de l’empreinte anthropique laissée par nos sociétés dans ces lieux souvent fragiles. Ils utilisent le prisme de facettes spécifiques pouvant être retrouvées par similitude en tout point du globe. Le lecteur – étudiant, enseignant, curieux ou chercheur – trouvera des éléments pouvant être partagés avec un grand nombre de domaines des sciences humaines sur le thème de l’habitabilité des littoraux. Cet ouvrage contribue à une meilleure perception de la complexité des littoraux afin que l’anthropisation, consciente et responsabilisée, de ces interfaces participe à la préservation de la richesse de la nature tout en permettant l’expansion raisonnée des habitats.

Yannick BRUN-PICARDL’école maternelle et primaire La Peyroua

Le Muy (France)

MIOSSEC, Jean-Marie (2016) Le conteneur et la nouvelle géographie des océans et des rivages de la mer. Dans le sillage de la CMA CGM. Paris, L’Harmattan, 724 p. (ISBN 978-2-343-10207-8)

Amoureux de la mer, voyageur et lecteur infatigable, Jean-Marie Miossec n’était pas jusque-là un auteur actif sur la scène de la

géographie maritimiste. Mais il vient d’y faire une entrée remarquable avec son ouvrage voué à la conteneurisation, qui fait suite à celui d’Antoine Frémont, en 2007 (Le monde en boîtes). « Démonter un mécanisme », écrit l’auteur : en lui ouvrant ses portes, la Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA CGM) lui a donné l’occasion de voir de l’intérieur comment un nombre grandissant d’acteurs crée un monde polycentrique, et comment ces acteurs ont une vision complète et instantanée des évolutions du monde, contrairement aux États... Avec un sens de la synthèse et une créativité remarquables, l’auteur évoque, en quatre parties, la mondialisation-maritimisation, la CMA CGM, les littoraux portuarisés, enfin les villes-ports et les hinterlands. La profondeur historique concerne le long terme dans différentes civilisations, le XXe siècle (enfin une mise au point solide sur les origines du conteneur !) et bien évidemment l’histoire immédiate. La bibliographie n’oublie aucune publication d’importance. Le glossaire du transport maritime et un index des lieux et des auteurs en font un ouvrage pratique à utiliser malgré son volume imposant.

La première partie met « les nouvelles masses économiques du monde » en scène, autant d’un point de vue factuel que conceptuel. La notion d’imbalance (les pays champions de la boîte vide et ceux de la boîte pleine) peut servir de fil pour expliquer les évolutions, avec l’émergence de pays qui remplissent des boîtes et ceux qui les vident. Cette notion explique comment on est passé de la concentration horizontale des armateurs à des stratégies d’alliance. Il n’existe pas de navigation sans risque : l’auteur rend hommage aux gens de mer, qui l’assument sans frilosité à travers les époques et les cultures ; et si l’on voit des accidents spectaculaires, la navigation est néanmoins de plus en plus sûre. Remise à plat par la conférence de Montego Bay, en 1982, la géopolitique connaît aujourd’hui de nouvelles tensions avec l’affirmation de la Chine comme puissance maritime, à la fois commerciale et militaire.

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169Comptes rendus bibliographiques

La deuxième par t ie commence par l’enracinement puis le déracinement de Jacques R. Saadé, depuis le Liban en guerre jusqu’à Marseille. L’histoire de la réussite de la CMA CGM est contée : à Marseille, une équipe cosmopolite s’est rompue au métier d’armateur d’abord en Méditerranée, ensuite dans le Golfe arabique, puis en Chine à partir de 1986. À compter de 1992, à Shanghai, la Chine est méthodiquement quadrillée, à terre, par les agences de la CMA et, en mer, par les nombreuses déclinaisons de la French Asia Line. Une histoire en contraste absolu avec la plupart des autres armateurs français, dont la CGM reprise en 1996. La nouvelle entité CMA CGM ne transporte alors que 46 000 équivalents vingt pieds (EVP). Alliée à la poursuite de l’expansion en Océanie et dans le Pacifique, la croissance exceptionnelle de la conteneurisation a permis d’intégrer le corps malade de la CGM. La crise de 2008 a été surmontée par la réactivité et par l’entrée de nouveaux capitaux publics et privés. Le calme revenant, l’expansion peut se poursuivre : Nol est racheté et, en 2016, la capacité du groupe passe à 1,8 M EVP. Des clés pour le succès? L’organisation familiale du groupe, l’enracinement phocéen (avec la tour de Zaha Hadid en 2011, « nouvelle tour de Babel » où se côtoient 40 nationalités), la centralisation des décisions et une perception immédiate du monde dans toutes ses dimensions. Pour finir, une réflexion sur le « pays de terriens » qu’est la France évoque la zone économique exclusive (ZEE) du pays.

La troisième partie, Les roues de la fortune, fait une mise au point sur deux Rangées maritimes, des origines à nos jours, en commençant par la Chine, arrière-pays et avant-pays inclus, plus une explication sur le routage du Jules Verne. L’étude de la Northern Range expose des apports originaux par l’évocation des grands travaux, la réflexion sur les clusters villes-ports et la faiblesse de la compétitivité de Dunkerque et Le Havre. Puis vient une analyse des hubs mondiaux avec une approche statistique, prudente quant à son contenu, et convaincante grâce aux données de la CMA CGM. Les

hubs comme facteur de métropolisation et comme éléments structurants des arrière-pays sont examinés. Une typologie fondée sur la productivité (par port, par portique) et le mode d’organisation des hubs clôt le chapitre.

La quatrième partie enracine le présent dans l’histoire au long cours comme dans la prospective. Il est d’abord question des nouveaux entrants que sont les pays émergents, avant une carte-bilan qui montre l’intégration globale et générale des économies mondiales par la conteneurisation. Puis viennent les villes-ports, dans leur évolution morphologique, paysagère et fonctionnelle, avant d’être mises en scène dans leur capacité à structurer des régions urbaines. Cette partie scrute enfin les données géopolitiques, depuis les conceptions du XIXe siècle finissant jusqu’à nos jours.

La conclusion a des accents braudéliens lorsqu’elle évoque le rôle et la modernité de l’armateur, preneur de risques, et dont la prospérité, bien au-delà des outils informatiques qui servent à valider les choix, organiser les flux et contrôler les résultats, repose sur « une excellente appréciation géographique et géopolitique du monde, dans sa totalité, sans exclusion » (p. 641). Dans la tour de Marseille, les globes terrestres ne sont pas des éléments décoratifs. Les armateurs « sont guidés par la géographie du monde, mais ils sont eux-mêmes les vecteurs d’une nouvelle géographie » (p. 644). L’histoire immédiate donne l’avantage à la mer, même si la bataille du maritime se joue aussi à terre.

Pour parvenir à cette représentation et connaissance du monde, la méthode Miossec repose sur plusieurs piliers. Tout d’abord, une documentation gigantesque est archivée, classée et utilisée à bon escient. Elle donne une assise à toute une série de monographies, qui sera bien utile à l’examen de leur terrain d’études pour de nombreux chercheurs. Elle interprète finement les faits ; ainsi, si la Chine soutient le percement d’un canal au Nicaragua, c’est parce que les États-Unis conservent des droits d’intervention sur celui de Panama ; si les États-Unis ont refusé de

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170 Cahiers de géographie du Québec Volume 61, numéro 172, avril 2017

céder leurs ports atlantiques aux Émiriens, c’est moins pour justifier l’argument officiel de la sécurité que pour se plier aux règles de la mafia qui « gangrène » leurs ports. Ensuite, l’auteur injecte du professionnalisme maritime dans sa réflexion avec la relation privilégiée et transparente qu’il a pu établir avec la CMA CGM, relation qui ne repose pas sur quelques visites ou entretiens, mais sur une participation pluriannuelle à ses activités. Dans une troisième strate cognitive, il ne reste plus qu’à tirer les conséquences des deux premiers axes, c’est-à-dire à expliquer le monde contemporain avec, en outre, un excellent soutien cartographique.

On ne trouvera ici ni jargon, ni croquis usine à gaz, mais une terminologie adéquate, parfois même facétieuse, et immédiatement compréhensible. À un moment où les sirènes du protectionnisme jouent de leur séduction, l’ouvrage de Jean-Marie Miossec démontre comment, fondée sur le risque bien calculé, la conteneurisation permet un emmêlement du monde, avec bien plus de gagnants que de perdants.

Raymond WOESSNERInstitut de géographie, Université Paris-Sorbonne

Paris (France)

MARTY, Patrik (2016) L’eau de l’art contemporain. Une dynamique d’une esthétique écosophique. Paris, L’Harmattan, 286 p. (ISBN 978-2-343-09629-2)

Dresser un portrait de l’importance de l’eau dans l’art contemporain, c’est ce que le livre de Patrik Marty a fait avec brio. Une analyse en six tableaux où le rapport de l’artiste avec l’eau est exploré. L’eau dans l’expression artistique et esthétique des courants de l’art contemporain à travers des artistes emblématiques, dont Bill Viola. Les amateurs d’histoire de l’art apprécieront très certainement l’entrée en matière par une analyse fort intéressante de l’œuvre de Viola. En préface, Bernard Lafargue indique : « Bill Viola est l’artiste emblématique du courant de la spiritualité de l’eau. » Pour avoir suivi un peu l’artiste dans un certain nombre d’expositions, je suis à même d’apprécier le caractère très approfondi de l’analyse de Marty sur l’œuvre de Viola. C’est une entrée en matière d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de mieux comprendre le rapport de l’artiste avec l’eau et de cheminer par la suite dans les cinq tableaux qui suivront, à travers ce parcours à la fois temporel et spatial du rapport entre l’eau et l’art contemporain.

Dans ce parcours de près de 300 pages, l’auteur présente les œuvres d’artistes contemporains tels Pekka Kainuliainen, Susana Majuri,

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171Comptes rendus bibliographiques

Carlotta Brunetti, Daniel Buren, Charles Daudelin, Armand Vaillancourt, Basis Irland, Ichi Ikeda, Antti Laitinen, Jean Max Llorca et Zena Holloway, pour ne citer que ceux-ci, afin de brosser un tableau des différents rapports que peuvent entretenir les artistes avec l’eau. C’est aussi à travers des dimensions à la fois géographiques et géopolitiques qu’est présenté le rapport des artistes à l’eau dans leur œuvre. Le rapport de l’eau avec le territoire est aussi analysé.

Pour Marty, « [l]a problématique de l’Eau de l’Art réside dans cette interdépendance de la phénoménologie de nos différentes cultures avec l’eau, au travers de l’expression artistique, et donc à la lumière d’une esthétique écosophique » (p. 16). Ainsi, en introduisant les mythes et symboles de l’eau, Marty positionne l’eau dans sa valeur anthropologique et historique. C’est également à partir d’un regard sur l’eau dans l’histoire de l’art qu’il introduit le concept de l’eau écosophique en association avec le courant de l’écologie profonde (Deep Ecology) (Naess, 2008). Du nord au sud en passant par les milieux forestiers, les zones désertiques, les régions nordiques et le monde urbain, Marty présente différentes facettes de l’eau telles qu’abordées et examinées par les artistes. Ce livre montre comment ceux-ci rendent compte, dans leurs œuvres, à la fois de leur réalité et de leur approche intime dans la manière de traiter l’eau, et cela, en lien avec les pressions sociales, les avancées technologiques, son corolaire écologique et géopolitique, son esthétisme et, finalement, son pouvoir ludique et sensoriel.

C’est aussi le rapport de l’entité nature dans l’art contemporain que Marty a voulu faire ressortir. Dans son analyse, il présente les différents courants et modes d’expression artistique de l’art contemporain, que ce soit dans l’art performance le land art ou l’expression des plasticiens, des sculpteurs, des peintres et des artistes des arts visuels et du numérique. C’est à travers les dimensions éphémères et permanentes d’une œuvre que

l’auteur renforce le discours des artistes, tout comme le sien propre, pour la défense de la nature et la promotion d’une esthétique écosophique en art. Son livre est un regard géoartistique sur l’eau à travers le temps et l’espace. Les dimensions et les valeurs patrimoniales de l’eau y sont bien défendues.

Pour reprendre les mots de Marty, au chapitre III, section 3.5, « l’eau [est] marqueuse d’identité, marqueuse de mémoire ». Eh bien, il a su, dans son analyse, montrer le rôle et l’importance de l’expression artistique dans l’art contemporain en matière d’environnement et présenter un mouvement artistique qui milite pour la protection de la ressource « eau ». En terminant, je vous laisse sur un passage tiré du livre (p. 251) : « L’eau est devenue un des éléments fédérateurs, car si elle est la mémoire de ce monde passé, elle reste toujours notre devenir et le terreau de notre imagination, à condition de ne pas la considérer comme un simple produit négligeable et exploitable à souhait. »

RéférenceNAESS, Arne (2008) Écologie, communauté

et style de vie. Bellevaux, Éditions Dehors.

Alain A. VIAUDépartement de géomatique, Université Laval

Québec (Canada)

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