Communication de Liliane Cheilan : Tensions et … · On est donc loin de tout manichéisme. Les...

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Colloque « L’enfant et le livre, l’enfant dans le livre. Tensions à l’œuvre » IUT La Roche sur Yon, 21-22 janvier 2010 Communication de Liliane Cheilan : Tensions et rapports de force dans Sa Majesté des mouches de William Golding et dans L’École emportée de Kazuo Umezu. Quelle(s) image(s) de l’enfance ?

Transcript of Communication de Liliane Cheilan : Tensions et … · On est donc loin de tout manichéisme. Les...

Colloque « L’enfant et le livre, l’enfant dans le livre. Tensions à l’œuvre »

IUT La Roche sur Yon, 21-22 janvier 2010

Communication de Liliane Cheilan :

Tensions et rapports de force

dans Sa Majesté des mouches de William Golding

et dans L’École emportée de Kazuo Umezu.

Quelle(s) image(s) de l’enfance ?

L’École emportée

de Kazuo Umezu

Sa Majesté des Mouches

de William Golding

1. Sa Majesté des Mouches et L’École emportée

Histoires

d’enfants

livrés à eux-

mêmes

Les personnages

Chez Golding, une trentaine d’enfants : des garçons âgés de six à douze ans provenant de différents collèges anglais, certains appartenant à des groupes constitués, les autres ne se connaissant pas au départ.

Chez Umezu, les élèves (garçons et filles) d’une même école primaire (environ 850 élèves). Au début de l’histoire les enseignants sont avec eux, mais ils sont rapidement éliminés.

Les héros sont tous des enfants très jeunes, les plus âgés n’ayant pas plus de douze ans.

Une rupture avec le monde d’avant

Chez Golding, dans un contexte de guerre, les enfants ont été

évacués en avion. L’avion est abattu projetant les enfants dans

une île avant de sombrer dans la mer. L’île comporte tout ce qui

est nécessaire à la survie naturelle.

Chez Umezu, l’école avec tous ses occupants est transportée

dans un monde inconnu et désertique. On apprendra plus tard

qu’elle a été déplacée dans un futur proche. Il y a un problème

de survie, les seules ressources alimentaires étant celles de

l’école.

« Il faudra se débrouiller tout seuls ! »

Chez Golding, au début, les enfants sont éparpillés dans l’île, chacun pour soi ou par tout petits groupes d’affinité. Les plus petits ont un peu peur parfois mais ils sont capables de jouer par moments comme si de rien n’était. Ils n’ont pas une idée claire de la situation. Les plus grands se sentiraient presque en vacances : « Cette île est à nous. Elle est vraiment sympa. On s’amusera tant que les grandes personnes ne seront pas venues nous chercher » (Ralph).

Chez Umezu, les enfants ont affaire tout de suite à des séries d’épreuves qui menacent leur vie, contextes terrifiants où la plupart des enfants pleurent et réclament leurs parents. Ils réagissent par des mouvements de panique collective.

Au départ les enfants se comportent en enfants. Euphorie initiale dans Sa Majesté des Mouches, où la survie ne pose pas de problème. Angoisse et mouvements de panique dans L’École emportée où l’absence des parents accentue le sentiment d’insécurité causé par des situations terrifiantes.

Des rapports de force se dessinent

Ralph n’est pas le narrateur mais

l’histoire est la plupart du temps

racontée de son point de vue.

Il attire spontanément la sympathie

des autres : celles de Piggy, de

Simon, des jumeaux Éric et Sam,

de la plupart des enfants…

Il suscite des sentiments

ambivalents chez Jack, qui vont se

transformer en haine. Jack devient

le rival, l’ennemi de Ralph.

Deux clans opposés vont ainsi se

créer.

Shô est le narrateur en voix off, en alternance avec des séquences d’images sans narrateur intradiégétique.

Shô a un très grand charisme personnel : un groupe de fidèles à toute épreuve se forme rapidement autour de lui.

Des réactions de jalousie et des antagonismes lui créent cependant des ennemis, dont son ancien ami Ôtomo.

Shô aura à s’opposer à plusieurs groupes antagonistes, à partir du moment où la lutte pour la survie se fera plus aiguë.

Autour de Ralph Autour de Shô

Des moments privilégiés

Une scène au début de Sa Majesté des Mouches montre des relations fusionnelles entre trois personnages : Ralph, Jack et Simon, au moment où ils explorent l’île pour la première fois : « Les yeux brillants, la bouche entrouverte, triomphants, ils savouraient leur droit de conquérants. Le même sentiment les enivrait, les liait : ils étaient amis »

Dans L’École emportée, il s’agit d’une scène plus émouvante où chaque enfant d’un petit groupe revenant avec Shô d’une expédition à l’extérieur, franchit le seuil de l’école en criant « Je suis rentré ! » comme on le fait au Japon quand on rentre chez soi. Se rendant compte qu’ils pensent tous à un hypothétique retour chez eux, ils fondent en larmes, unis par la même émotion.

2. Sa Majesté des Mouches et L’École emportée :

utopies sociales ?

On

s’organise…

Un équilibre

menacé

L’émergence d’un chef

• L’émergence d’un chef ne nécessite pas qu’il existe au préalable un sentiment communautaire chez les enfants.

• Dans les deux fictions, on a au départ des chefs charismatiques plébiscités sur la base du capital de sympathie spontanée qu’ils suscitent.

La communication est un instrument de pouvoir

Ralph a trouvé une conque dont il se sert pour produire un son puissant qui attire les enfants. C’est avec la conque que s’organise ensuite la prise de parole.

Shô sait prendre la parole de façon convaincante devant des groupes importants.

Des élections entérinent le choix spontané

Les chefs plébiscités doivent être légitimés face à des rivaux : Jack pour Ralph, « la matrone » pour Shô.

On arrive ainsi à un état de stabilité provisoire.

La gestion du pouvoir

Délégations de compétences dans L’École emportée

Shô constitue une cellule exécutive où chacun est en charge d’un secteur vital en fonction de ses compétences propres.

Shô sait donner des responsabilités à ceux qui l’entourent.

Une autorité mal étayée dans Sa Majesté des mouches

Ralph se montre incapable d’écouter réellement les autres (notamment Piggy ou Simon).

Il donne des tâches ponctuelles (ramasser du bois, puiser de l’eau, surveiller le feu) sans offrir de vraies responsabilités.

Ralph n’a pas de prise réelle sur les événements parce qu’il considère le séjour dans l’île comme un moment provisoire, en attendant un sauvetage de la part des adultes.

3. L’irruption de la violence

La peur

La lutte pour survivre

La violence naît avec la peur

Chez Golding, la peur commence chez les petits qui ont vu ou

cru voir « une espèce de serpent », « une grosse bêbête ». La

peur gagne ensuite insidieusement : chacun dans son coin

laisse parler chez lui la peur du noir, la peur des monstres, la

peur des choses irrationnelles. Ralph fait appel à la raison : « Il

ne peut pas y avoir de telles bêbêtes » mais Jack est plus

rassurant : « S’il y en avait une, on la tuerait ».

Chez Umezu (genre manga d’horreur oblige), ce sont les

événements terrifiants se succédant à un rythme effréné qui

provoquent la peur. Shô aura de plus en plus de mal à réfréner

et canaliser les mouvements de panique et les terreurs…

Clans et tribus

La peur qui grandit confère à Jack un rôle déterminant. Il rassemble autour de lui tous ceux, de plus en plus nombreux, qui ne font plus confiance à Ralph et veulent se rassurer dans l’action.

La transformation des chasseurs en guerriers s’accompagne de rites : peinture des corps, offrandes aux puissances obscures (la tête de truie fichée au sol devient « le seigneur des mouches »). De chef des chasseurs Jack devient grand prêtre. Le rite respecté canalise la peur du groupe dans une action symbolique rassurante. On a ainsi une tribu fondée sur la violence mais rigoureusement régie par des règlements et des rites : une organisation sociale qui fonctionne.

Dans L’École emportée, les groupes violents se multiplient autour de plusieurs chefs auto proclamés dans l’action pour survivre (se protéger des créatures monstrueuses, des épidémies et surtout se nourrir). On a ici plutôt des bandes violentes et anarchiques sans véritable organisation tribale.

Régressions à l’état sauvage

Chez Golding, pour tuer la bête qui fait peur, les chasseurs sont devenus des guerriers. Une fois les instincts primaires débridés, il n’y a plus de limites. On passe de la violence de la mise à mort du gibier à celle de la guerre sans merci au clan opposé. On ne fait plus de différence entre les proies. Simon sera mis à mort, Piggy écrasé sous un rocher. Ralph lui-même sera traqué pour être tué.

Dans L’École emportée, la situation de départ est configurée pour que se déclenchent tous les mouvements violents et individualistes de lutte pour survivre. Umezu va très loin dans la description de la violence généralisée : scènes atroces de tueries, d’enfants sacrifiés, épisode de cannibalisme…

On est loin de la robinsonnade et des utopies éducatives proposant des modèles de sociétés idéales dans le cadre d’une refondation dans l’île déserte.

4. Sa Majesté des Mouches et L’École emportée

Quelle image de

l’enfance ?

Anti-robinsonnades, anti-utopies

L’enfance n’est pas ici un moyen d’accès aux jeunes lecteurs pour illustrer un

modèle quelconque de société et Rousseau n’y trouverait pas son compte pour

son Émile. Opposer Ralph le beau, le raisonnable, le démocrate à Jack le laid,

le violent, le dictateur – voire le fasciste – relèverait d’un manichéisme bien

simpliste et en tout cas absent du roman de Golding. Ralph est un anti-héros. Le

roman est celui de la prise de conscience de son échec.

Les romans insulaires évoqués par les héros de Sa Majesté des mouches

quand ils découvrent qu’ils sont seuls sur une île déserte représentent

l’antithèse du projet romanesque de Golding : loin de montrer de jeunes héros

civilisateurs et débrouillards refaisant le monde sur leur île, c’est la fin de

l’innocence et la noirceur du cœur humain qu’il s’attache à dépeindre.

Golding écrit : « L’après-guerre nous fit voir peu à peu ce que l’homme

pouvait faire à l’homme. […] C’était comme si je me lamentais sur

l’enfance perdue du monde. […] Le sujet de Sa Majesté des mouches est

le chagrin, le chagrin à l’état pur, le chagrin rien que lui ».

Enfance innocente et perverse

L’image de l’enfance de l’humanité dans Sa majesté des mouches et dans L’École emportée est bien loin de la vision de Rousseau : « Les hommes sont naturellement bons, c’est la société qui les pervertit ». Golding et Umezu, qui montrent jusqu’à quel degré de noirceur et de violence les enfants peuvent aller, ne se font aucune illusion sur la bonté supposée de l’homme naturel.

S’agissant de l’enfance considérée pour elle-même, c’est-à-dire concernant des êtres au premier stade de leur développement, on voit dans les deux fictions des figures d’enfants tels qu’on les imagine communément : naïfs et fragiles, attendrissants. Ils appartiennent au groupe des petits et sont pris en charge et réconfortés par les grands. On est là dans les bons sentiments, de ceux qu’on attend lorsqu’il est question d’enfants.

Les « grands » ont au maximum douze ans. Sont ainsi écartés du propos les problèmes spécifiques de l’adolescence mais les pulsions violentes n’en sont pas pour autant exclues. Elles conduisent aux pires extrémités.

On est donc loin de tout manichéisme. Les enfants sont des enfants : ni des anges ni des monstres, ils peuvent être l’un et l’autre.

Sa Majesté des mouches et L’École emportée :

deux formes de pessimisme…

Le dénouement des deux fictions est exactement inverse : les enfants vont retourner dans le monde civilisé chez Golding ; ils restent dans leur futur désolé chez Umezu. Mais le vrai pessimisme est chez Golding.

Dans Sa Majesté des mouches le retour au monde civilisé ne fait que déplacer les enfants dans un autre contexte de guerre, celle que se livrent les adultes. C’est bien l’humanité tout entière qui est viciée au départ et il n’y a pas d’abri dans un monde meilleur. Si l’arrivée inopinée des militaires sur l’île épargne à Ralph une mort inévitable, elle ne lui évite ni le chagrin ni la désillusion.

… Umezu au contraire termine sur l’image d’un groupe d’écoliers, ceux de l’école emportée, courant gaiement à travers la voûte céleste. Ils ont accepté de rester dans ce monde inhumain que leur ont légué les adultes qui les ont précédés. C’est un monde sinistre et déprimant mais parce qu’ils sont des enfants, ils y apportent l’espoir.

Fin du diaporama

Ce diaporama a été réalisé par Liliane Cheilan

sur un modèle de présentation Powerpoint de Brigitte Astruc