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TRIBUNE 6 | La Lettre du Rhumatologue N o 374 - septembre 2011 Commentaires sur la mise au point de l’Afssaps (mars 2011) concernant la pratique d’infiltrations foraminales radioguidées de corticoïdes J.M. Berthelot* * Service de rhumatologie, CHU de Nantes. L’ Afssaps a adressé aux rhumatologues français une fiche datant de mars 2011 résumant les messages clés à retenir concernant le risque de paraplégie ou de tétra- plégie lié aux injections radioguidées de glucocorticoïdes au rachis lombaire ou cervical. Ces prises de position sont le fruit d’un travail de revue de la littérature et du partage d’avis d’experts français de plusieurs disciplines (9 rhumatologues, 3 radiologues, 2 médecins de pharmacovigilance et 1 anesthésiste, mais absence de neuro- logue, de rééducateur et de chirurgien du rachis) représentant la Société française de rhumatologie et la Société française de radiologie. La version intégrale de cette mise au point est téléchargeable sur le site de l’Afssaps : www.afssaps.fr > Infos de sécurité > Mises au point. Cette mise au point a été motivée par des publications internationales et des rapports français d’effets indésirables neurologiques graves (pouvant aller jusqu’au décès à l’étage cervical) lors d’injections foraminales de suspension de gluco- corticoïdes, quand bien même ces injections avaient été réalisées sous contrôle radiologique et/ou après injection de produits radio-opaques. Cette mise au point concerne presque exclusivement les infiltrations foraminales, même si les titres utilisés sont parfois ambigus (remplacement de “foraminal” par “radio- guidées”). Il est important de souligner que, même s’il est parfois fait allusion aux infiltrations péridurales de glucocorticoïdes par voie interépineuse, ce travail et les prises de position des experts portent avant tout sur les infiltrations forami- nales de glucocorticoïdes (ce qui n’est pas explicite dans les titres retenus, tant dans la fiche adressée aux rhumato- logues que dans la version intégrale du rapport, où le terme “radioguidées” remplace le terme “foraminal” : “Risque de paraplégie/tétraplégie lié aux injections radioguidées de gluco- corticoïdes au rachis lombaire ou cervical”). Il est seulement rappelé, dans le texte de la version intégrale − et comme cela est déjà mentionné dans une mise au point antérieure de l’Afssaps −, que des paraplégies ont aussi été rapportées à l’Afssaps après infiltrations épidurales inter- lamaires (2 cas) et articulaire postérieure à l’étage lombaire (1 cas, page 1 du rapport), mais que ces paraplégies n’avaient concerné que des patients préalablement opérés. Cela repré- sente un tiers des 8 cas de complications neurologiques graves à l’étage lombaire rapportés à l’Afssaps, les 5 autres cas étant survenus après injections foraminales (2 fois chez des patients déjà opérés et 3 fois chez des patients non opérés). Aucun cas de paraplégie n’aurait encore été rapporté à l’Afssaps après infiltration interépineuse à l’étage lombaire chez des patients non préalablement opérés, comme spécifié page 6 : “À l’étage lombaire non opéré, les accidents ont été rapportés avec des injections exclusivement foraminales”. Toutefois, dans la revue de la littérature internationale qui a été faite, sur les 10 cas d’atteintes neurologiques “avec déficit sensitivo-moteur” survenues dans les minutes ou les heures suivant une infiltration lombaire, 5 des 10 patients n’avaient pas été opérés, et 4 avaient seulement bénéficié d’une infiltration par voie interépineuse. N’ont pas été pris en compte, dans cette revue de la littérature, au moins 3 autres cas récemment publiés de paraplégies dans les suites presque immédiates d’infiltrations péridurales lombaires, une par voie interlamaire (1), mais chez un patient préalablement opéré, et l’autre par la voie du hiatus (2). Le troisième cas était plus “attendu”, car la paraplégie est survenue après injection péri- durale à hauteur de L1-L2 chez un patient précédemment opéré d’une sténose lombaire de L2 à S1 (3). La mise au point ne remet pas en question la possibilité de pratiquer des injections de suspension de glucocorticoïdes à l’étage lombaire sur des patients non encore opérés, et sous-entend seulement que, si des injections “radioguidées” (comprendre : “foraminales”) sont réalisées au rachis lombaire, elles doivent l’être sous contrôle d’imagerie (scanner ou scopie) [page 8]. Cette mise au point déconseille, si une infil- tration périradiculaire est envisagée à l’étage lombaire (donc chez un patient non encore opéré), de cathétériser le foramen

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Commentaires sur la mise au point de l’Afssaps (mars 2011) concernant la pratique d’infi ltrations foraminales radioguidées de corticoïdes

J.M. Berthelot*

* Service de rhumatologie, CHU de Nantes.

L’Afssaps a adressé aux rhumatologues français une fi che datant de mars 2011 résumant les messages clés à retenir concernant le risque de paraplégie ou de tétra-

plégie lié aux injections radioguidées de glucocorticoïdes au rachis lombaire ou cervical. Ces prises de position sont le fruit d’un travail de revue de la littérature et du partage d’avis d’experts français de plusieurs disciplines (9 rhumatologues, 3 radiologues, 2 médecins de pharmacovigilance et 1 anesthésiste, mais absence de neuro-logue, de rééducateur et de chirurgien du rachis) représentant la Société française de rhumatologie et la Société française de radiologie. La version intégrale de cette mise au point est téléchargeable sur le site de l’Afssaps : www.afssaps.fr > Infos de sécurité > Mises au point. Cette mise au point a été motivée par des publications internationales et des rapports français d’effets indésirables neurologiques graves (pouvant aller jusqu’au décès à l’étage cervical) lors d’injections foraminales de suspension de gluco-corticoïdes, quand bien même ces injections avaient été réalisées sous contrôle radiologique et/ou après injection de produits radio-opaques. Cette mise au point concerne presque exclusivement les infi ltrations foraminales, même si les titres utilisés sont parfois ambigus (remplacement de “foraminal” par “radio-guidées”). Il est important de souligner que, même s’il est parfois fait allusion aux infi ltrations péridurales de glucocorticoïdes par voie interépineuse, ce travail et les prises de position des experts portent avant tout sur les infi ltrations forami-nales de glucocorticoïdes (ce qui n’est pas explicite dans les titres retenus, tant dans la fi che adressée aux rhumato-logues que dans la version intégrale du rapport, où le terme “radioguidées” remplace le terme “foraminal” : “Risque de paraplégie/ tétraplégie lié aux injections radioguidées de gluco-corticoïdes au rachis lombaire ou cervical”).

Il est seulement rappelé, dans le texte de la version intégrale − et comme cela est déjà mentionné dans une mise au point antérieure de l’Afssaps −, que des paraplégies ont aussi été rapportées à l’Afssaps après infi ltrations épidurales inter-lamaires (2 cas) et articulaire postérieure à l’étage lombaire (1 cas, page 1 du rapport), mais que ces paraplégies n’avaient concerné que des patients préalablement opérés. Cela repré-sente un tiers des 8 cas de complications neurologiques graves à l’étage lombaire rapportés à l’Afssaps, les 5 autres cas étant survenus après injections foraminales (2 fois chez des patients déjà opérés et 3 fois chez des patients non opérés). Aucun cas de paraplégie n’aurait encore été rapporté à l’Afssaps après infi ltration interépineuse à l’étage lombaire chez des patients non préalablement opérés, comme spécifi é page 6 : “À l’étage lombaire non opéré, les accidents ont été rapportés avec des injections exclusivement foraminales”.Toutefois, dans la revue de la littérature internationale qui a été faite, sur les 10 cas d’atteintes neurologiques “avec défi cit sensitivo-moteur” survenues dans les minutes ou les heures suivant une infi ltration lombaire, 5 des 10 patients n’avaient pas été opérés, et 4 avaient seulement bénéfi cié d’une infi ltration par voie interépineuse. N’ont pas été pris en compte, dans cette revue de la littérature, au moins 3 autres cas récemment publiés de paraplégies dans les suites presque immédiates d’infi ltrations péridurales lombaires, une par voie inter lamaire (1), mais chez un patient préalablement opéré, et l’autre par la voie du hiatus (2). Le troisième cas était plus “attendu”, car la paraplégie est survenue après injection péri-durale à hauteur de L1-L2 chez un patient précédemment opéré d’une sténose lombaire de L2 à S1 (3).La mise au point ne remet pas en question la possibilité de pratiquer des injections de suspension de glucocorticoïdes à l’étage lombaire sur des patients non encore opérés, et sous-entend seulement que, si des injections “radioguidées” (comprendre : “foraminales”) sont réalisées au rachis lombaire, elles doivent l’être sous contrôle d’imagerie (scanner ou scopie) [page 8]. Cette mise au point déconseille, si une infi l-tration périradiculaire est envisagée à l’étage lombaire (donc chez un patient non encore opéré), de cathétériser le foramen

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lombaire et suggère de “pratiquer une aspiration lente à la recherche d’un refl ux sanguin, et d’injecter un produit de contraste à la recherche d’une anomalie vasculaire, tout en sachant que l’absence d’opacifi cation ne permet pas d’être certain de l’absence de piqûre artérielle”.

Principaux messages de cette mise au pointCette récente mise au point de l’Afssaps rappelle que :1. Les injections foraminales de suspension de glucocorticoïdes n’ont pas démontré leur supériorité par rapport aux injections par voie interépineuse (et/ou caudale), en particulier à l’étage lombaire. Compte tenu du surrisque évoqué pour les injec-tions foraminales de suspension de glucocorticoïdes, il ne devrait donc pas y avoir lieu d’envisager d’utiliser cette voie en première intention. 2. La mise au point reste malheureusement un peu équivoque quant à la possibilité ou non de recourir à une infi ltration fora-minale chez un patient n’ayant pas encore reçu d’infi ltration par voie interépineuse (ou caudale). En effet, il est précisé, sous l’intertitre “Indications des injec-tions cortisoniques radioguidées au rachis lombaire” que “les injections foraminales radioguidées ne doivent pas être réali-sées en première intention et s’adressent au traitement des lomboradiculalgies communes, rebelles au traitement médical (pouvant inclure des injections épidurales interépineuses) bien conduit et chez un patient informé des risques d’accidents neurologiques”. Que signifi ent en effet “en première intention” et “traitement médical bien conduit” ?3. Les injections cortisoniques radioguidées au rachis cervical “ne doivent être considérées que comme une alternative au traitement chirurgical, chez des patients bien informés des risques de complications neurologiques graves inhérents à cette pratique, et après évaluation individuelle du rapport bénéfi ce/ risque”. Il est mentionné (page 3) que, en France, au moins 1 cas d’infarctus médullaire avec tétraplégie et 3 cas d’infarctus cérébral (dont 2 d’évolution fatale) ont été rapportés après ce type de geste, alors que 1 seul de ces 4 patients avait été préalablement opéré : l’évaluation individuelle du rapport bénéfi ce/ risque va être bien diffi cile à expliquer aux patients avant pratique éventuelle d’injec-tions foraminales de dérivés glucocorticoïdes, surtout au rachis cervical, d’autant qu’il n’a pas été démontré que le recours à ces infi ltrations permettait d’éviter des inter-ventions chirurgicales, à l’étage tant cervical que lombaire. Des fi ches d’information dédiées à ces gestes gagneraient donc à être rédigées, compte tenu de la gravité des complications potentielles de ces gestes, surtout à l’étage cervical, et malgré leur rareté.

Cette dernière n’est pas facile à apprécier, du fait de la sous-notifi cation attendue pour ce type de complications. Dans une enquête menée en 2004 auprès de 1 340 membres de l’American Pain Society, l’analyse des 287 réponses obte-nues montre que les participants avaient souvenir d’au moins 78 complications graves après infi ltrations foraminales cervi-cales, dont 30 cas d’infarctus cérébral ou médullaire, ayant conduit au décès dans 13 cas (4). 4. Tous les cas de paraplégie ou de tétraplégie rapportés en France sont à ce jour survenus après l’usage d’Hydro-cortancyl® (y compris le cas de paraplégie après injection articulaire postérieure à l’étage lombaire chez un patient déjà opéré du rachis et 1 cas d’infarctus cérébral mortel après injec-tion radioguidée de C1-C2 pour une “névralgie d’Arnold”) [page 3]. Toutefois, l’autre molécule autorisée en France pour injections péridurales (cortivazol : Altim®) a aussi été à l’ origine d’une telle complication dans la littérature. La même prudence s’impose donc pour les voies foraminales, quelle que soit la suspension de glucocorticoïdes utilisée. 5. Le risque apparaissait plus élevé chez les patients préala-blement opérés (sous-entendu, du rachis, mais sans préciser si l’étage opéré correspondait toujours à l’étage ensuite infi ltré), ayant reçu une infi ltration lombaire par voie foraminale radio-guidée. Même si ces complications peuvent aussi survenir chez des patients non opérés antérieurement, la mise au point recommande d’éviter de réaliser une injection radio-guidée (foraminale) sur rachis opéré, tant à l’étage cervical que lombaire.Cette mise au point ne prend en revanche pas position préci-sément, chez les patients déjà opérés, sur le bien-fondé de la pratique d’autres types d’infi ltration (c’est-à-dire par voie interlamaire, caudale, voire articulaire postérieure) malgré la description de très rares cas de complications neurologiques graves à l’étage lombaire après ce type de geste. Il paraît toutefois bienvenu d’informer aussi ces patients quant à un risque probablement accru de complications neurologiques graves, dans ce contexte de rachis déjà opéré, bien que celui-ci paraisse très faible et inférieur aux risques d’une chirurgie.

Mécanismes suggérés pour expliquer ces complications neurologiques graves, qui semblent plus fréquentes sur rachis déjà opéré La mise au point considère que la brutalité de survenue des défi cits, immédiatement après l’injection, et les données des IRM, qui objectivent un aspect ischémique du cerveau ou de la moelle ou du cône terminal, permettent d’“affi rmer” que

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ces accidents sont d’origine artérielle (dissection, embolie gazeuse, compression de l’artère par le produit injecté, embole du dérivé cortisonique). Si on ne peut qu’être d’accord avec cette proposition quant à la pathogénie fi nale de l’infarctus, cela n’implique toutefois pas forcément que l’injection ait été faite dans tous les cas dans une artère, au moins pour les 2 derniers mécanismes supposés. En effet, même si l’existence chez certains patients d’une anomalie de vascularisation du cône terminal pourrait jouer un rôle décisif (vascularisation du cône dépendant trop exclu-sivement d’une artère radiculaire de Desproges-Gotteron, équivalent à l’étage lombaire de l’artère d’Adamkiewicz à l’étage dorso-lombaire [5]), plusieurs arguments développés ci-dessous rendent en effet plausible que l’ injection ait été initialement souvent faite dans des veines radiculaires.

Il n’est pas assez connu que les veines radiculaires sont artériolisées

Si les injections à l’origine des complications neurologiques graves ont bien étés faites dans une artère, il est surprenant qu’aucun retour sanguin n’ait été rapporté lors des aspirations préalables au geste. Il faudrait ensuite expliquer pourquoi les accidents neurologiques graves semblent plus fréquents sur rachis opérés : des atypies de vascularisation artérielle induites par la fi brose postopératoire sont suggérées dans la mise au point de l’Afssaps, mais cela reste spéculatif, d’ autant que, après chirurgie, les modifi cations de vascularisation concernent en général davantage les réseaux veineux que les réseaux artériels. Une explication alternative pourrait être que les injections compliquées d’accidents neurologiques ont été faites dans les veines radiculaires, les bolus de particules de glucocorti-coïdes en suspension ayant ensuite pu passer dans la circu-lation artérielle du fait de shunts entre ces 2 circulations. En effet, et à la différence des veines péridurales, les veines radiculaires sont physiologiquement “artériolisées” du fait de micro- anastomoses entre les artérioles et les veinules radiculaires (6, 7).Cette artériolisation des veines radiculaires rend sans doute compte des dizaines de cas de paraplégie déjà publiés, survenus spontanément du seul fait de la migration par le réseau vasculaire péridural d’emboles de nucléus, chez des patients n’ayant pas été opérés ou n’ayant pas reçu d’infi l-tration et ne présentant pas de malformations artério-veineuses ni de volumineuses hernies discales (8, 9). Il est en effet probable que ces migrations d’emboles de nucléus se fassent davantage à la faveur d’ectasies veineuses que du fait d’une brèche artérielle, aucun hématome n’ayant été

constaté chez ces patients (8, 9). L’artériolisation des veines radiculaires pourrait aussi expliquer pourquoi les tentatives, naïvement séduisantes, d’aller injecter un dérivé corticoïde au plus près de la racine (ou du ganglion spinal) ont induit bien plus de risques neurologiques que les infi ltrations inter-lamaires (le débit dans les veines péridurales postérieures est, lui, très lent). Comme le rationnel d’apporter une suspension de corticoïdes au plus près de la racine est par ailleurs fragile, il convient d’être d’autant plus prudent avant d’envisager une infi ltration par voie foraminale, dont l’effi cacité pourrait ne passer que par la somme de forts effets placebo et Hawthorne, même en restant à distance du sommet du foramen.

Quelle que soit la voie utilisée, il est sans doute préférable d’injecter lentement

Si l’hypothèse de bolus de dérivés corticoïdes est celle à privi-légier pour expliquer les accidents neurologiques graves, il semble bienvenu d’injecter lentement le produit. Une vitesse d’injection plus rapide lors des infi ltrations foraminales que lors des infi ltrations interlamaires et caudales pourrait être une autre raison du surcroît de complications neurologiques induites par les premières, même si cela ne pourra vraisem-blablement jamais être vérifi é.

Le mode d’action des péridurales reste très incertain : simples effets placebo et Hawthorne ?

Faut-il rappeler que les 2 études (réalisées par des anesthé-sistes entraînés et en double insu strict) ayant comparé, dans le contexte de sciatiques “communes”, des péridurales de corticoïdes à des péridurales de sérum physiologique et à un “needling” (simple insertion de l’aiguille dans l’espace inter-épineux sans aller jusqu’à l’espace péridural, avec ou sans injection de sérum physiologique) ont montré que l’amélio-ration était comparable dans tous les groupes (10, 11) ? Ce constat est à rapprocher des résultats inattendus des 2 études randomisées réalisées en parfait double insu ayant montré que l’effi cacité des vertébroplasties simulées (sans injection de ciment) était aussi bonne que celle des “vraies” verté-broplasties (12, 13), malgré des résultats en ouvert parfois “impressionnants” pour ces dernières.

Faut-il vraiment injecter des suspensions de glucocorticoïdes ?

Comme on peut supposer − même si cela reste aussi à démontrer − que les injections de sérum physiologique en péridural ne comportent que peu ou pas de risques, hormis de saignement, le remplacement ponctuel des injections de

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suspension de glucocorticoïdes par des injections de sérum physiologique pourrait donc se discuter, puisque leurs résul-tats sont comparables. Plusieurs arguments pourraient militer en faveur de cette proposition, dont :

➤ le fait que les injections par voie caudale comportent déjà un volume de sérum physiologique bien plus grand que celui des corticoïdes (14) ;

➤ les résultats d’une méta-analyse récente ayant conclu que l’effet des péridurales par voie interlamaire était proportionnel au volume de liquide injecté (15) ;

➤ la possibilité ainsi offerte d’avoir les mêmes résultats qu’avec les injections de corticoïdes, mais sans induire de risque accru de décompensation de diabète, ou d’autres complications systémiques des injections de corticoïdes, au moins chez des patients à risque pour celles-ci. L’Afssaps ne recommande toutefois pas cette pratique, qui pourrait être dévoyée (la tentation de réaliser des injections foraminales de sérum physiologique existe, y compris chez des sujets à risque, c’est-à-dire déjà opérés). La possibilité de remplacer les corticoïdes par du sérum physiologique mérite toutefois d’être discutée pour d’autres voies, en particulier si des patients déjà opérés réclament la pratique d’une infi ltration du rachis lombaire par voie interlamaire ou caudale.

Peut-on se contenter d’un simple “needling” pour minimiser encore plus les risques ?

Une autre solution, encore moins à risque a priori, pour-rait être de résumer certains gestes infi ltratifs à une simple “piqûre” en interépineux puisque, dans les 2 études rando-misées à l’étage lombaire et par voie interlamaire qui se sont servies de ce comparateur, cette simple piqûre a fait aussi bien que les injections de corticoïdes dans le traitement des radiculalgies lombaires (10-12). Le risque de telles pratiques (injection de sérum physiologique, ou simple “needling”) pourrait être en fait surtout de décrédibiliser le geste, une part de l’effet placebo (et Hawthorne) de celui-ci pouvant tenir à la croyance, tant du médecin que du patient, dans le rationnel d’une “infl ammation” de la racine à traiter. Le nombre de pathologies rachidiennes prises en charge par les rhumatologues s’en ressentirait peut-être.Pourtant, un net soulagement des radiculalgies pourrait sans doute aussi être obtenu, même en informant les patients qu’il n’a pas été injecté de glucocorticoïdes. En témoigne l’effi -cacité ressentie par les patients ayant recours à l’acupunc-ture, dont l’effet placebo est, par exemple, supérieur dans

l’ arthrose à l’effet placebo de tous les autres traitements (16). Le confi rment aussi les résultats récemment rapportés par une équipe de radiologues coréens qui, pour s’affranchir au plus des risques de complications neurologiques graves tout en continuant à pratiquer des infi ltrations “foraminales”, se sont contentés de placer une aiguille dans le foramen de patients souffrant de radiculalgies chroniques par sténose lombaire (sous contrôle TDM). L’état de ces patients a été nettement amélioré dans la majorité des cas (amélioration moyenne de 53 ± 33 %) [17]. Il est “piquant” de remarquer qu’à la surenchère thérapeutique succède donc en radiologie interventionnelle une telle sous-enchère, les 2 pouvant témoigner de la plus grande audace engendrée par l’impression de sécurité conférée, parfois à tort, par la visualisation du placement des aiguilles. En fait, l’imagerie n’est pas capable de visualiser les microvaisseaux, lesquels jouent sans doute un rôle capital tant dans la patho-génie des radiculalgies (sténoses lombaires ou discopathies) que dans celle des complications neurologiques graves (6). Il est probable que la réputation des péridurales n’aurait pas été autant affectée par ces complications neurologiques graves si leur pratique s’était limitée aux habitudes rhumatologiques des seules injections péridurales (voire interépineuses…) par voie interlamaire ou caudale.

ConclusionAu fi nal, la mise au point récente ne remet pas en question la pratique des péridurales lombaires par voie interlamaire ou caudale par les rhumatologues et ne requiert pas non plus qu’elles soient réalisées sous contrôle radiologique (ou échographique, pour les voies caudales). La prudence s’ impose toutefois chez les patients déjà opérés, qu’il faut avertir d’un risque sans doute accru, bien qu’encore très faible, de compli-cations neurologiques graves, s’ils souhaitent bénéfi cier d’une péridurale de corticoïdes, voire même d’une infi ltration arti-culaire postérieure. La mise au point de l’Afssaps attire surtout l’attention des radiologues et anesthésistes sur les risques encourus lors des injections foraminales, lesquelles doivent être radio guidées et effectuées seulement après que les patients ont été informés des risques neurologiques, très rares, mais parfois très graves, des injections foraminales de suspension de glucocorti-coïdes qui, en outre, n’ont pu démontrer leur supériorité par rapport aux injections interlamaires, en particulier à l’étage lombaire (18). ■

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