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 2 ) Le préambule de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 « La divine Providence, en nous rappelant dan s nos Etats après une lon gue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n’avaient  point hésité à en modifier l ’exercice, suivant l a diff érence des temps  ; que c’est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l’ordre judiciaire a été établi et développé  par l es lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a r églé presque toutes les parties de l’administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n’avait surpassé la sagesse. -  Nous avons dû, à l’exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-  siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos  sujets pour une Charte constitutionnelle était l’expression d’un besoin réel  ; mais en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du  peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes s ages, pris dans l es premiers corps de l’Etat, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. -  En même temps que nous reconnaissions qu’une Constitution libre et monarchique devait remplir l’attente de l’Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu’instruits par l’expérience, ils seraient convaincus que l’autorité suprême peut seule donner aux institutions qu’elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu’ainsi lorsque la sagesse des rois s’accorde librement avec le vœu des peuples, une Charte constitutionnelle peut êt re de l ongue durée ; mais que, quand la vi olence arrache des concessions à la faiblesse d u gouvernement, la liberté publique n’est pas moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes des la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les  souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. -  Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de  Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à la fois des  preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l’autorité des rois.  En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que d e funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu’on pût les effacer de l’histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famill e, nous n’avons su répondre à l’amour dont nous recevons tant de témoignages, qu’en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le vœu le plus cher à notre cœur, c’est que tous les français vivent en frères, et que jamais aucun  souvenir amer ne t rouble la sécurité qui doit suivre l’acte solennel que nous leur accordons aujourd’hui. - Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l’Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d’en jurer le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations. - A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et  par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDE ET ACCORDONS. FAIT

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2 ) Le préambule de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814

« La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence,

nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous

nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste

de l’Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel duroyaume, nous l’avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que

l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n’avaient  point hésité à en modifier l’exercice, suivant la différence des temps ; que c’est ainsi que les

communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de

leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l’ordre judiciaire a été établi et développé 

 par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque

toutes les parties de l’administration publique par différentes ordonnances dont rien encore

n’avait surpassé la sagesse. -   Nous avons dû, à l’exemple des rois nos prédécesseurs,

apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que

ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-

siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l’expression d’un besoin réel ; mais en cédant à

ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du

 peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers

corps de l’Etat, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet 

important ouvrage. -   En même temps que nous reconnaissions qu’une Constitution libre et 

monarchique devait remplir l’attente de l’Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi

que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les

droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu’instruits par l’expérience,

ils seraient convaincus que l’autorité suprême peut seule donner aux institutions qu’elle

établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu’ainsilorsque la sagesse des rois s’accorde librement avec le vœu des peuples, une Charte

constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que, quand la violence arrache des

concessions à la faiblesse d u gouvernement, la liberté publique n’est pas moins en danger que

le trône même. Nous avons enfin cherché les principes des la Charte constitutionnelle dans le

caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu

dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les

souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. -

 Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de

  Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à la fois des

 preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l’autorité des rois.

 En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue,nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu’on pût les effacer del’histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous

retrouver au sein de la grande famille, nous n’avons su répondre à l’amour dont nous

recevons tant de témoignages, qu’en prononçant des paroles de paix et de consolation. Levœu le plus cher à notre cœur, c’est que tous les français vivent en frères, et que jamais aucun

souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l’acte solennel que nous leur accordonsaujourd’hui. - Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant 

l’Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservan t 

d’en jurer le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la

même balance les rois et les nations. - A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et 

  par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDE ET ACCORDONS. FAIT 

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CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à

toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit … »

a ) Les conditions de rédaction

« En ma qualité d’auteur du préambule, je souffrais plus que je puis le dire

da la façon dont il le lisait » écrit Beugnot dans ses mémoires publiées en 1866.C’est en effet ce personnage trouble qui a entièrement rédigé le texte dans

d’étranges conditions. Le 3 juin, en effet, le préambule n’était toujours pas

rédigé. Louis XVIII lui assigne cette mission en faisant uniquement savoir quele préambule devra dégager deux idées : d’une part il faut rattacher la Charte à la

tradition monarchique, d’autre part il faut écarter toute idée de contrat en

consacrant l’idée d’une concession royale.

Etant en outre directeur général de la police, Beugnot est trop accablé detravail pour rédiger le préambule. Il demande donc à un des sénateurs de la

commission, Fontanes, de le faire à sa place. Il croit avoir bien choisi son

homme puisque Fontanes (1757-1821) est écrivain et ami de Chateaubriand, bien qu’il ait été président du Corps législatif sous l’Empire. Mais le 3 juin à 10

heures du soir, le travail présenté par Fontanes est de très mauvaise qualité et

afflige Beugnot qui se sent totalement désemparé. Un général de police, Masson,

rassure et calme Beugnot en se faisant dicter par ce dernier un premier canevas

qu’il remanie seul pendant un quart d’heure. Puis pendant deux heures Beugnot

dicte à Masson la rédaction définitive du texte.Le lendemain matin, Beugnot a rendez-vous à dix heures chez le roi et

arrive en retard. Il propose à Louis XVIII de prendre connaissance du

préambule, ce que celui-ci refuse, prêtant une entière confiance à Beugnot. Le

roi découvrira donc le texte lors de sa lecture solennelle. Ces conditions derédaction et de relecture expliquent en partie les maladresses d’un texte politique

pourtant essentiel, puisque sensé opérer une rupture politique majeure dansl’histoire de France. La personnalité de l’auteur, Beugnot, expliquent également

en partie les bizarreries du préambule. Beugnot est en effet assez typique de sa

génération ; c’est-à-dire qu’il s’agit là d’un homme usé et désabusé par la suitedes régimes et des constitutions qu’il a connu. Né en 1761, il a été secr étaire deVoltaire, puis député de la législative en 1791-1792 avant d’être mis en prison

sous la Terreur. Durant tout le Directoire il demeure modestement officier

municipal à Bar-sur-Aude. Au lendemain du 18 brumaire an VIII, il est conseillé

de Lucien Bonaparte, alors ministre de l’intérieur, et se charge à ce titre de la

nomination des premiers préfets. Il est lui-même nommé préfet de la Seine-inférieure, poste qu’il occupe jusqu’en 1806. Nommé conseillé d’Etat en 1806, il

est chargé par l’Empereur d’or ganiser le royaume de Wesphalie destiné au plus

  jeune des Bonaparte, Jérôme, dont il devient le ministre des finances et ducommerce. Talleyrand le rappelle auprès de lui après l’abdication de Napoléon ;

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et aux vue de son zèle pour servir désormais la cause monarchique, Louis XVIII

le désigne commissaire du roi pour la rédaction de la Charte ainsi que ministrede la police du royaume le 13 mai 1814. Louis XVIII n’est pourtant pas dupe du

personnage, mais sait que la longue expérience de Beugnot en politique lui

  permet d’accommoder à peu près n’importe quel texte des idées qu’il faut ymettre. C’est la raison pour laquelle le roi, en refusant de lire le Préambule, dit

cyniquement à Beugnot, « je sais que vous êtes passés maître en ce point ».

Tout cela donne une phosphorescence particulière au préambule. Ce texten’est qu’un exercice de politicien blasé, d’un expert en idéologie politique,

accoutumé à forger des proclamations utilitaires. Beugnot a en effet rédigé le

Préambule suivant certaines intentions qui sont souvent empreintes de

maladresses.

b ) Les intentions du préambule

La première intention élémentaire du préambule est évidemment

d’affirmer la continuité dynastique ; ce qui, malgré la part de fiction, n’est pas

trop difficile étant donné le ralliement du pays à la personne de Louis XVIII. La

deuxième intention du préambule est beaucoup plus délicate et néanmoins

nécessaire : il s’agit de neutraliser l’intermède révolutionnaire et impérial, tâche

on ne peut plus malaisée du fait de l’ampleur des acquis politiques et juridiques

durant cette période.

* Affirmer la continuité dynastique

Le nom même de Louis XVIII est déjà une affirmation de cette continuité.C’est en principe sa 19

èmeannée de règne, datée de la mort du dauphin Louis

XVII en 1795 et non de la mort de son frère comme le voulait le Sénat. Tout

cela indique clairement que la loi de dévolution de la couronne est bien celle del’Ancien Régime alors que la Charte elle-même n’aborde pas cette question. La

puissance de Louis XVIII est donc en principe antérieure et supérieure à lacharte, qu’il octroi sans qu’on lui impose. 

Le préambule commence par une référence à la « divine Providence » ;  pour souligner qu’il s’agit bien de la restauration d’une monarchie de droit

divin. Il y a ici un refus clair de toute idée de pacte constitutionnel entre le roi etla nation. C’est une réponse directe à l’idée contractuelle du projet sénatorial. La

charte est octroyée (du latin auctorare, garantir), elle procède donc comme sousl’Ancien Régime de la libre auctoritas du monarque. Cette référence au droitdivin n’est pas archaïque mais n’est plus tellement crédible en 1814, notamment

parce que Bonaparte en a beaucoup usé dans sa volonté de trouver dans le passé

une légitimité à son pouvoir. Mais dès lors que l’on assiste à une restauration

monarchique, le préambule ne pouvait pas faire l’économie de cette référence audroit divin.

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  Le Préambule marque également sa volonté d’affirmer la continuité

dynastique de part la forme du texte, rédigé à la manière des anciennes Lettres

patentes (cf. la fin du texte). Certaines formules sont volontairement empruntesd’un parfum d’Ancien Régime (Nos Etats, nos peuples, notre Couronne, nos

sujets), ce qui fait dire au chancelier Dambray que la Charte serait une simpleordonnance de réformation du royaume. Mais cette terminologie d’Ancien

Régime, comme la référence au droit divin, est pour le moins maladroite puisque

Napoléon avait aussi multiplié ces références au passé monarchique après sonsacre en tant qu’Empereur.

* Neutraliser l’intermède :

C’est l’opération la plus périlleuse du préambule car la période 1789-1814

est une bousculade sans précédents de souvenirs aussi atroces que glorieux, et

dont il ne peut être que délicat d'évoquer le souvenir. Cet intermède est lourdd’un héritage positif (DDHC, Code civil, administration, justice etc.) qu’il est

difficile de désavouer ouvertement. D’où l’intention du préambule desimplement relativiser les apports de l’intermède. D’autre part la période 1789-

1814 laissant la France déchirée et divisée, le Préambule souhaite retisser la

cohésion nationale, notamment en garantissant la paix sociale : pour ce faire, le

texte tâche d’édulcorer les souvenirs. 

- Relativiser les apports 

Le texte le fait d’emblée en rappelant à contrario de l’Ancien Régime que

l’intermède fut un temps de guerres incessantes, puisque le premier souci de la

monarchie est de rétablir la paix (annoncée dès le début du préambule, il s’agit

du 1er

traité de Paris du 30 mai 1814). Ce rappel discret des années de guerresrévolutionnaires et impériales permet aussi d’atténuer l’assimilation dans les

esprits entre Restauration et défaite militaire de la France. D’ailleurs le texte ne

  peut pas faire l’économie de la pression internationale lorsqu’il par le de« remplir l’attente de l’Europe éclairée ».

Mais surtout, on tâche d’édulcorer les concessions politiques auxquelleson ne peut pas échapper, en les rattachant à des traditions plus anciennesd’Ancien Régime ; on s’efforce de banaliser les apports en leur trouvant unenracinement monarchique. Cette entreprise très largement artificielle (il s’agit

d’établir un mythe politique), s’inscrit résolument dans la très longue durée,

puisque le texte prétend « renouer la chaîne du temps » ou encore « réunir lestemps anciens et modernes ». En effet le préambule a même une tonalité

médiévale puisque sur les sept rois évoqués, quatre sont du Moyen Age. Ce

caractère médiéval présente l’intérêt de souligner que, par contraste, le régime

napoléonien manquait d’enracinement ; la vieille dynastie des bourbons,contrairement à l’Empereur, a les siècles en sa faveur. D’autre part, cette

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remontée dans le temps permet habilement de ne pas insister sur la monarchie

finissante du XVIIIème

siècle, cette monarchie dont les abus et les handicaps sont

encore présents dans toutes les mémoires ; en passant sous silence la monarchie

du dernier siècle, le préambule passe sous silence ce qui a motivé la Révolution.

Louis XVIII se réinstalle donc plus dans une vieille lignée qu’il n’essaye derecoller les morceaux de la monarchie finissante.L’écart chronologique le plus restreint dans le texte n’est pas inférieur à

un demi siècle, ce qui permet de noyer dans le temps - et donc dans l’oubli - la

période courte de 1789 à 1814. Cette prise de recul historique permet même, aucontraire, une subtile récupération, au profit de la monarchie, du mythe du

progrès popularisé par la philosophie des Lumières. Ce que le régime restauré

dispute au XVIIIème

  siècle, c’est donc sa composante anti-traditionnelle : lamonarchie aurait toujours fait preuve d’innovations, contrairement aux idées

reçues. Cette démarche vise bien entendu à rassurer les héritiers de la

Révolution et à donner une touche ou un semblant de modernité à laRestauration, dont la po  pulation craint qu’elle ne soit que le fait d’émigrés

n’ayant rien appris mais n’ayant rien oublié. Cette opération est bien sur délicate; mais d’une part l’évocation des autres monarchies européennes sous le

qualificatif « d’éclairées » rappelle qu’une dynastie traditionnelle est conciliableavec l’esprit des Lumières ; d’autre part, la présentation de l’histoire

monarchique comme une longue suite d’améliorations institutionnelles permet

d’intégrer les Lumières et les concessions que l’on est contraint de leur fairemalgré la volonté affichée d’affirmer une continuité dynastique. 

Cet idéal de progrès réalisé par l’ancienne monarchie se retrouve à traversle patronage tranquillement médiéval donné aux libertés publiques ; patronage

médiéval qui est à double détente. D’une part il y a référence à la monarchie de

la fin de la féodalité avec sa politique d’émancipation des villes, ce qui

correspond à un précédant historiquement établit. D’autre part il y a la référence

à la monarchie franque des temps reculés (carolingiens et mérovingiens),

référence avec laquelle le préambule de la Charte plonge dans le mythe

politique.La référence au mouvement communal permet d’évoquer une monarchie

concédant des libertés. C’est l’évocation du XIIème siècle et du règne de Louis VIle Gros (1108-1137) conférant aux villes des chartes de franchis qui les

protègent du carcan féodal. Ces villes, nous dit le préambule, ont été des foyersde liberté et d'autonomie grâce à la monarchie. C’est le rappel habile à l’origine

du mot même de Charte ; mot qui renvoie donc à l’octroi de libertés et non à un

traditionalisme autoritaire. Derrière ce rappel au mouvement communal, il y a lerappel d’une vieille complicité entre la dynastie capétienne et la vieille

bourgeoisie, les deux partageant naturellement des raisons de redouter l’excès

des prétentions aristocratiques ou ecclésiastiques. Il s’agit d’une complicité

historique et réelle : c’est la bourgeoisie des « bonnes villes » qui a soutenu lamonarchie contre les seigneurs féodaux ; c’est également elle qui a permis la

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victoire de Bouvines, remportée par Philippe Auguste en 1214. C’est également

de la bourgeoisie dont Louis XIV s’est aidé pour combattre les prétentions de la

vieille aristocratie, aigrie à l’image du duc de Saint-Simon. L’appel du pied à la

bourgeoisie est théoriquement habile car la destinée de la Restauration dépend

d’un mariage hypothétique entre la dynastie restaurée et la bourgeoisieprofiteuse des acquis révolutionnaires (cf. notamment les biens nationaux). Ce

que craignent la bourgeoisie et l’opinion publique de façon générale, ce sont les

prétentions des émigrés : l’orgueil aristocratique ne veut-il pas prendre sarevanche de 25 ans d’humiliations ? Il est donc opportun que le préambulerappelle la tradition d’alliance entre la roi et la bourgeoisie. Ce d’autant plus

d’ailleurs que la Révolution s’est en grande partie déclenchée sur une cassure de

cette alliance lorsque le 23 juin 1789 Louis XVI tranche en faveur du vote par

ordre, favorisant ainsi les ordres privilégiés ; ce jour là le roi avait mis

tragiquement fin à une longue tradition de bonnes relations que le préambule se

doit donc de remettre à l’honneur. Avec la référence aux racines franques (« assemblées des champs de mars

et de mai ») on assiste à un nouveau recul dans le temps jusqu’aux Vème

- Xème

 

siècles ; à ce moment, le préambule ne s’attache plus à une vérité historique

mais se réfugie dans le mythe politique. C’est le seul moyen trouvé par le

préambule pour faire croire que la chambre des députés de la Charte de 1814

serait en vérité un acquis de la monarchie depuis les origines. Alors que sur ce

  point la Restauration cède à l’héritage révolutionnaire, il s’agit de faire croire

que les assemblées guerrières des mérovingiens et carolingiens auraient été une

première émanation du peuple : les francs auraient eu leurs députés auprès du roipar l'entremise des champs de mars et de mai. Cette représentation de la nation,à l’époque médiévale, aurait naturellement évolué vers le Tiers Etat des Etats

Généraux, ancêtre directs de la représentation nationale de 1814. C’est tout de

même falsifier grossièrement l’histoire, les députés du tiers n’ayant qu’un droit

de doléance et non un pouvoir de voter la loi. Mais cette fantasmagorie politico-

historique ne doit pas surprendre et n’a sans doute pas surpris les français

cultivés : elle est à la mode depuis que les monarchomaques, relayés par les parlementaires jansénistes comme Le Paige, l’ont échafaudé de toutes pièces ; ce

mythe politique peut passer pour vrai car il est brandi en politique depuisplusieurs siècles. Beaucoup plus hardie en revanche est la justification apportée

 par le préambule à l’instauration d’une chambre des pairs par la Charte de 1814.

En effet cette seconde chambre ressemble à s’y méprendre au Sénatnapoléonien, avec ses membres nommés à vie par le chef de l’Etat. Louis XVIII

lui-même avait d’ailleurs promis qu’il conserverait le Sénat dans un système

  bicaméral. L’ancrage dans le passé lointain est opéré par le préambule par le

truchement de la référence aux pairs de France. La référence à l’ancienne pairie

française permet au moins de faire entendre habilement que la chambre des pairs

n'es’ pas calquée sur le modèle de l'envahisseur anglais, mais qu’il s’agit aucontraire d’une « institution vraiment nationale ». La chambre instituée en 1814

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par la Charte est pourtant une dénaturation flagrante de la pairie féodale et

médiévale. Celle -ci, à l’origine était composée des grands féodaux qui

pouvaient se réunir en cour des pairs pour connaître des causes impliquant l’un

d’entre eux. A partir de Philippe IV le Bel (1285-1314), le titre de pair est donné

par le roi à des princes, des ducs ou des évêques avec des prérogativesuniquement honorifiques, bien qu’ils disposaient du droit d’entrée au Parlementde Paris. La chambre des pairs de 1814 n’a de toute évidence rien à voir avec ce

  passé d’Ancien régime ; mais c’était le seul argument à opposer à ceux qui

feraient savoir les ressemblances soit avec la chambre des Lords anglaise soitavec le Sénat impérial.

Mais cette appropriation monarchique du mythe des origines franques

assure des avantages théoriques importants pour la Restauration. Elle a pourvertu de déloger Napoléon de deux terrains. D’une part il s’agit de pousser 

Napoléon du socle franc où il avait artificiellement grimpé en se faisant sacrer

empereur dans la lignée de Charlemagne. Il s’agit de rappeler, comme à

l’époque médiévale, que seuls les rois sont d’extraction carolingienne, et qu’eux

seuls par conséquence peuvent invoquer le vieux principe selon lequel ils sontempereur en leur royaume. D’autre part, il s’agit implicitement de faire savoir 

que si Napoléon n’est pas issu de la seule dynastie légitime qui soit, il ne peut

être qu’usurpateur  ; cela cadre assez bien avec l’idéologie ambiante prônée par

les légitimistes, à l’instar de Chateaubriand, qui n’ont de cesse de rappeler les

origines étrangères de Napoléon Bonaparte : c’est un moyen de disputer àl’ancien Empereur les faveurs de la fibre nationale, le chauvinisme étant le

propre de la période révolutionnaire et impériale. Cette volonté du préambuled’amoindrir la gloire nationale apportée par les conquêtes et innovations

napoléoniennes explique et justifie que le texte ait recours à Louis XIV : luiaussi a agrandi la France par des conquêtes ; lui aussi a légué à la postérité une

administration centralisée et moderne.

Mais en invoquant tant de gloires (celles de Louis XIV devant masquer

celles de Napoléon), le préambule, involontairement, crée un contraste cruel

avec le roi restauré ; Louis XVIII est en effet dans une situation de décrépitude politique que personne n'ignore, et dont le préambule de peut parler qu’avec le

recours à des euphémismes. Pour parler des 25 dernières années pitoyables ducomte de Provence, le texte rédigé par Beugnot se contente en effet de

mentionner « une longue absence » ou « notre absence ». Il y a là la volontéd’édulcorer le souvenir. 

- Edulcorer le souvenir  

Le préambule, de part son vocabulaire, entreprend d’édulcorer le souvenir 

au sens littéral du terme : il s’agit de le rendre plus doux (dulcis), moins

douloureux. En effet la dynastie est affaiblie par ses propres meurtrissures, par ledestin tragique de Louis XVI et de Louis XVII. Elle redoute les meurtrissures

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des deux dernières décennies qui ont déchiré le tissus social, notamment à partir

de la Terreur, coupant la France en deux. Or ces meurtrissures récentes sont

autant de dangers pour la paix civile à laquelle aspire la Restauration, qui veutentreprendre une œuvre de réconciliation nationale et éviter toute tentation de

représailles. C’est la raison pour laquelle le préambule utilise l’expression « etque jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre » la

promulgation de la Charte.

Pour édulcorer le souvenir, le préambule se montre extrêmement discret àl’égard des troubles des 25 dernières années. Quand le texte se risque à suggérer 

les malfaisances de l’intermède 1789-1814, il se contente de le faire de manière

allusive, en employant des expressions obliques (« les graves altérations »,

« funestes écarts »). Il n’empêche que le préambule annonce que la monarchie

restaurée n’est pas pour autant naïve ; en employant l’expression « instruits parl’expérience », le texte annonce que Louis XVIII saura faire preuve d’autorité 

dans l’exercice du pouvoir et justifie par là même la concentration des pouvoirs

entre les mains du roi que consacre la Charte de 1814.

Afin d’édulcorer les souvenirs qui divisent l’opinion publique française, le

préambule développe un souci : rassurer. C’est le retour à une rhétorique

  politique d’affectivité familiale, telle que la pratiquaient les rois de l’Ancien

Régime. D’ailleurs les légitimistes, jusqu’en 1824, tâcheront d’imposer (sans

succès) l’expression « Louis le désiré » pour qualifier Louis XVIII. Toute la fin

du préambule baigne dans cette sensiblerie qui prêche le retour à une véritable

fraternité, dont le nouveau pouvoir se veut le garant (« Heureux de nous

retrouver au sein de la grande famille, nous n’avons su répondre à l’amour dontnous recevons tant de témoignages, qu’en prononçant des paroles de paix et de

consolation »).

c ) Les maladresses du préambule

Certaines maladresses sont inévitables : elles sont imposées par laconjoncture. D’autres, en revanche, aur aient pu être évitées si le préambule avaitété mûri de davantage de réflexions.

* Les maladresses inévitables

L’objet du préambule est de sauver la face du nouveau pouvoir dont tout

le monde connaît le peu de gloire ; étant donné le contexte de l’arrivée au trône

de Louis XVIII, la mission est quasi impossible. De ce point de vue, les  justifications du préambule, à y regarder de plus près, semblent bien

hasardeuses.

Le fondement théorique et juridique de la Charte, d’après le préambule,

est celui de l’octroi. La Charte procéderait du propre mouvement du roi en la personne duquel l’autorité réside toute entière ; le roi exercerait librement cette

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autorité en octroyant le texte constitutionnel. Le préambule justifie tout cela du

point de vue du vieux droit divin : tenu au bien commun, Louis XVIIIconcéderait la constitution car dieu l’y obligerait et parce qu’elle serait

nécessaire au bonheur de ses sujets. Cette argumentation, viable sur le papier,

est pourtant totalement démentie par le contexte historique. Chacun sait que leroi a les mains liées et qu’il n’octroi la Charte que sous diverses pressions que le préambule ne peut passer sous silence. Ces pressions sont d’une part celles des

circonstances (« une charte est sollicitée par l’état actuel du royaume ») qui déjàremettent en cause la logique de l’octroi  : l’opinion sait qu’après plus de vingt

ans passé sous le régime de constitutions écrites le roi ne peut plus revenir au

  principe de la constitution coutumières. Ces pressions sont d’autre part cellesexercées par les alliés de l’Europe coalisée (« l’attente de l’Europe éclairée ») :

le jour de la promulgation de la Charte, ces alliés sont présents et attendent quele roi opère des concessions, notamment vers un régime de type anglais, c’est à

dire qu’il instaure un bicaméralisme. Enfin ces pressions sont celles de l’opinion

  publique française qui attend et exige de sérieuses garanties. C’est l’aspect le

 plus gênant pour le préambule car c’est là que se profile l’idée d’un pacte entre

le roi et la nation, cette notion de pacte renvoyant à toute une philosophie  politique que le préambule avait pourtant pour mission d’écarter radicalement

(« nous l’avons promise » dit le texte, en faisant allusion à la déclaration de

Saint-Ouen où le roi avait annoncé « une constitution libérale » ; le préambule

d’autre part fait allusion au « vœux de nos sujets »).Là surtout où la logique de l’octroi se trouve sérieusement discrédité, c’est

lorsque le préambule annonce in fine que le roi s’engage à prêter serment s ur laCharte au moment où il sera sacré. Peut-on logiquement s’engager sur ce qu’on

a soi-même octroyé ? C’est bien la preuve que la Charte n’est pas le produit de

la souveraineté royale mais qu’elle ravale Louis XVIII au rang de pouvoir 

constitué. Situation d’autant plus humiliante que le roi promet de s’engager à ce

serment divin devant un parterre de parjures, puisque « l’Assemblée qui nous

écoute » est composée d’anciens législateurs et sénateurs rompus à la pratique

de prêter serment aux constitutions pour s’en délier aussitôt. Ces anomalies du préambule sont somme toute excusables : elles tiennent

aux circonstances qui ont ramené Louis XVIII au pouvoir. Beaucoup plusproblématiques sont les anomalies du texte qui auraient dû être évitées, et qui

tiennent en grande partie aux maladresses du rédacteur, Beugnot.

* Les maladresses évitables

Une première maladresse aurait dû être évitée : l’emploi du mot

« peuple », qui revient à deux reprises dans le préambule. A s’en tenir à l’esprit

d’Ancien Régime, le texte devait lui substituer l’expression de « sujets ». Faire

allusion au peuple, c’est faire allusion involontairement à une forme desouveraineté qui est le propre de l’ère révolutionnaire. 

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Mais la grande maladresse du préambule réside dans la liste des rois

retenus par Beugnot. Trois sont du Moyen Age : Louis VI le Gros (1108-1137),

Louis IX (1226-1270) et Philippe IV le Bel (1285-1314). Un est du XVème

 

siècle, à savoir Louis XI (1461-1483). Deux sont du XVIème

siècle : Henri II

(1547-1559) et Charles IX (1560-1574). Et enfin il y a le XVII

ème

sièclereprésenté par Louis XIV (1643-1715).

Les trois premiers rois, les rois médiévaux, sont invoqués à propos du

mouvement communal. Il est vrai que c’est du règne de Louis VI que naissent

les chartes urbaines les plus intéressantes. Mais les deux autres rois sontbeaucoup moins impliqués dans cette affaire ; Saint-Louis s’est surtout

  préoccupé d’un contrôle budgétaire des villes ; quant à Philippe le Bel, il est

connu surtout pour les avoir présuré fiscalement, ce qui rend suspecte sa

présence dans le préambule.Les trois rois suivants sont évoqués à propos de l’ordre judiciaire : il s’agit

d’amoindrir l’apport révolutionnaire et consulaire en la matière. Mais les rois

retenus ont de quoi étonner. Henri II a établit en 1552 les présidiaux ; mais c’est

une mesure d’importance toute relative et personne n’ignore qu’il s’agissait devendre de nouveaux offices pour renflouer les caisses de l’Etat. Quant à Charles

IX, il est vrai que son Chancelier Michel de L’Hospital (1560-1573) a

promulgué plusieurs ordonnances pour assainir le fonctionnement de la justice,

mais le roi lui-même était alors mineur, et sa désignation nominale n’est pas des

plus heureuses. Quant à Louis XI, quel est son rapport avec la justice ? C’estévidemment Louis IX qu’il fallait invoquer pour la justice puisque son nom

demeure accolé à cette fonction pour l’imaginaire collectif. Tout cela dénote unecertaine négligence de la part du rédacteur du préambule. Exactitude historique

ou non, les rois cités devraient au moins présenter l’avantage de flatter la

mémoire collective ; or de ce point de vue le texte est on ne peut plus maladroit.

Sur les sept rois retenus, deux sont de tonalité assez neutre et oubliés des

français (Louis VI et Henri II). Quant aux cinq autres, ils sont pour l’opinion

publique de 1814 franchement antipathiques. En effet Philippe le Bel est le

premier roi connu a avoir abusé de sa puissance royale, notamment en matièrefinancière (il est le roi « faux monnayeur »). Louis XI a pour image dominante

d’avoir été un manœuvrier retors et maladroitement superstitieux, et qui plus estcapable d’une grande cruauté à l’égard de ses ennemis politiques. Charles IX,

quant à lui, est spontanément ressenti par l’opinion de 1814 comme le pire detous les rois puisqu’on lui fait endosser le massacre de la Saint Barthélemy en

1572. L’image de ce massacre a symbolisé sous la Révolution l’horreur du

despotisme monarchique ; la présence de Charles IX dans le préambule est unsommet dans la maladresse, surtout si l’on songe que le texte avait pour vocationde réconcilier les français, notamment en matière de religion. L’évocation de

Louis XIV pour l’œuvre de modernisation administrative est elle aussi on ne

peut plus maladroite ; il symbolise l’absolutisme et est lui aussi exposé aureproche de despotisme. Il est surtout connu en 1814 pour avoir révoqué l’Edit

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de Nantes en 1685. Ce roi a eu à peu près les défauts que l’on peut reprocher à

  Napoléon, qu’il s’agit pourtant d’oublier, à savoir un goût excessif de la

centralisation, une politique guerrière inconséquente longtemps glorieuse puis

finalement ruineuse pour le pays.

En bref, le bilan des rois retenus est négatif, ce qui n’a pas échappé àmadame de Staël qui, dans ses Souvenir sur la Révolution, écrira : « les

exemples étaient mal choisis, le seul nom de Louis XI suffit comme celui de

Néron ».

Ces maladresses étaient d’autant plus évitables que Beugnot disposait de

rois qu’il a oublié d’invoquer. A peu de frais, on aurait pu exhiber  une série de

capétiens plus convaincants. Madame de Staël cite parmi les rois aimés de son

époque : Charles V, Louis XII et Henri IV (en plus de Saint Louis, qui est le seul

bon roi du préambule). Pourquoi ? Parce que Charles V le Sage (1364-1380) fut

un roi avisé, dont le règne a été une pause bienfaisante dans la guerre de Centans. C'est le pacificateur dans un royaume troublé et son patronage aurait

habilement pu servir la cause de Louis XVIII. Louis XII (1498-1515),

surnommé « le père du peuple » était également présent à tous les esprits en

1814 ; c’est lui qui donne l’impulsion décisive à la rédaction des coutumes en

même temps qu’il réactive la réunion des Etats Généraux. D’ailleurs à la veille

de la Révolution, deux révolutionnaires, Barère et Guinguéné, ont publié

séparément des éloges de Louis XII. En 1790, un autre Révolutionnaire, Ronsin,

a composé et fait produire une tragédie intitulée « Louis XII, père du peuple ».

Mais c’est surtout Henri IV (1589-1610) qui manque cruellement à l’appel dansle préambule. Ce roi a en effet su tirer la monarchie d’une situation très difficile

après quarante ans de guerres civiles. Comme Louis XVIII, il n’a en outre tenu

réellement son pouvoir que quelques années après son avènement officiel.

D’autre part, Henri  IV a su rétablir l’autorité monarchique tout en sachant

pratiquer le pardon sur une grande échelle. Sa popularité est demeurée intacte à

travers toute la Révolution, puisque même les jacobins les plus extrêmes le

citaient avec admiration. Cette popularité était telle que Napoléon Bonaparte lacraignait et avait donné comme consigne à la police d’œuvrer pour une relative

censure de son souvenir. En 1814, Henri IV apparaît plus que jamais comme laréférence appropriée, d’ailleurs Louis XVIII et son entourage ne cessent de s’y

référer. Le souvenir de ce roi serait propre à rassurer tout le monde, et son

absence du préambule accompagnée de la présence de Charles IX discrédite

sérieusement la valeur du préambule.