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Sociologie du travail 54 (2012) 375–390 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com « Comment ? Vous n’avez pas de projet ? » : ethnographie du démarchage en matière de crédit à la consommation “You don’t have a project?”: A case study of marketing consumer credit Hélène Ducourant Centre lillois d’études et de recherche en économie et sociologie (Clersé), place Émile-Durkheim, cité scientifique, 59655 Villeneuve-d’Ascq, France Résumé Nombre de produits et de services sont proposés aux consommateurs sans que ces derniers n’aient indi- viduellement exprimé un intérêt préalable à un vendeur ou à une entreprise. L’article prend pour objet deux situations de prospection en matière de crédit revolving. À partir de matériaux collectés pendant un mois d’observation aux côtés des vendeurs de crédit, nous analysons les processus d’intéressement mis en œuvre par ces démarcheurs. Nous mettons en évidence les conditions organisationnelles, matérielles, techniques qui leur permettent, sinon de faire endosser le rôle de client au chaland, tout au moins de faire durer l’interaction. Au-delà, cette analyse de l’une des médiations du travail marchand relatif au crédit participe au dévoilement des carrières d’emprunteurs, qu’elles mènent ou non au surendettement. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Démarchage ; Prospection ; Crédit à la consommation ; Ethnographie ; Interactionnisme ; Client ; Crédit revolving Abstract Many a product and service is proposed to consumers who have not individually expressed any prior interest to a salesperson or a firm. Two situations of prospecting people for a revolving credit are presented. Based on data gathered during a month of observation in the company of salespersons who deal in this type of credit, the processes are analyzed that these persons use to arouse a potential buyer’s interest. Light is shed on the organizational, material and technical conditions that enable them to turn the latter into a customer or, at least, to make interactions with him/her last longer. This analysis of one form of mediation in the Adresse e-mail : [email protected] 0038-0296/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2012.06.001

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Sociologie du travail 54 (2012) 375–390

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

« Comment ? Vous n’avez pas de projet ? » :ethnographie du démarchage en matière de crédit à la

consommation

“You don’t have a project?”: A case study of marketing consumer credit

Hélène DucourantCentre lillois d’études et de recherche en économie et sociologie (Clersé), place Émile-Durkheim, cité scientifique,

59655 Villeneuve-d’Ascq, France

Résumé

Nombre de produits et de services sont proposés aux consommateurs sans que ces derniers n’aient indi-viduellement exprimé un intérêt préalable à un vendeur ou à une entreprise. L’article prend pour objet deuxsituations de prospection en matière de crédit revolving. À partir de matériaux collectés pendant un moisd’observation aux côtés des vendeurs de crédit, nous analysons les processus d’intéressement mis en œuvrepar ces démarcheurs. Nous mettons en évidence les conditions organisationnelles, matérielles, techniques quileur permettent, sinon de faire endosser le rôle de client au chaland, tout au moins de faire durer l’interaction.Au-delà, cette analyse de l’une des médiations du travail marchand relatif au crédit participe au dévoilementdes carrières d’emprunteurs, qu’elles mènent ou non au surendettement.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Démarchage ; Prospection ; Crédit à la consommation ; Ethnographie ; Interactionnisme ; Client ;Crédit revolving

Abstract

Many a product and service is proposed to consumers who have not individually expressed any priorinterest to a salesperson or a firm. Two situations of prospecting people for a revolving credit are presented.Based on data gathered during a month of observation in the company of salespersons who deal in this typeof credit, the processes are analyzed that these persons use to arouse a potential buyer’s interest. Light is shedon the organizational, material and technical conditions that enable them to turn the latter into a customeror, at least, to make interactions with him/her last longer. This analysis of one form of mediation in the

Adresse e-mail : [email protected]

0038-0296/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2012.06.001

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marketing of credit also sheds light on the situations of those who subscribe to loans, whether or not theyare over indebted.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Prospection; Consumer credit; Ethnography; Interactionism; Customer; Revolving credit

« Les appels entrants, c’est plus facile, le client vient vers toi, il a pris le temps de t’appeler.Alors que nous, le client est en train de faire une omelette, et nous, on veut lui caser6000 euros1. » (Téléopérateur dans un établissement de crédit à la consommation, équipeappels sortants)

Remplacement de fenêtres, bouteilles de vins, mutuelles santé, abonnements aux chaînes ducâble. . . Nombre de produits et de services sont proposés aux consommateurs sans que ces derniersn’aient individuellement exprimé un intérêt préalable aux vendeurs ou à leur entreprise2. Ayantdécroché leur combiné téléphonique, les voilà engagés dans une conversation avec un télévendeur.

L’article propose un éclairage de l’activité de démarchage — aussi appelée prospec-tion — initiée par les salariés d’un établissement de crédit à la consommation filiale d’un groupede grande distribution. Les démarcheurs/prospecteurs dont il sera question dans cet article opèrenten face-à-face en hypermarché, ou bien par téléphone depuis un centre d’appels.

Dans le premier cas, les vendeurs, qui travaillent dans les agences situées en galeries com-merciales d’hypermarchés, quittent plusieurs fois par jour l’agence pour présenter la « carte » del’établissement aux clients de l’hypermarché. Cette carte payante (sous la forme d’un abonnementannuel) est « multiservicielle » : elle matérialise différents services, principalement de fidélité, depaiement et de crédit. Les vendeurs se postent à l’entrée de l’hypermarché et interpellent lespassants.

Dans le second cas, l’activité de prospection est réalisée par des « conseillers » du centred’appels du même établissement de crédit. L’activité de ces vendeurs est spécifiquement dédiée aux« campagnes d’appels sortants », autrement dit à l’émission d’appels téléphoniques et non à leurréception. Les vendeurs entrent en contact avec des personnes dont les coordonnées proviennentde fichiers regroupant des individus en fonction de leurs caractéristiques communes au regardd’un élément qui intéresse l’établissement. La campagne observée était effectuée sur un fichierde clients qui étaient qualifiés de « dormants », d’« inactifs », et le fichier de « fichier froid » — ilse composait de détenteurs de la carte qui n’utilisaient jamais sa fonction de crédit. À chargealors pour les vendeurs de leur présenter le taux préférentiel dont ils peuvent exceptionnellementbénéficier s’ils acceptent immédiatement une opération de transfert d’argent (virement) depuisla réserve d’argent adossée à leur carte vers leur compte bancaire personnel (autrement dit, unetransaction de crédit revolving3).

1 Montant délibérément exagéré par le téléopérateur, mais théoriquement possible.2 Je remercie Bernard Convert, Antoine de Raymond, Thomas Desvenain, Alexandre Mallard, les organisatrices du

séminaire de Sociologie économique (SSE) et ses participants.3 Définition : également appelé crédit renouvelable, compte permanent, crédit permanent, réserve d’argent, prêt per-

sonnel permanent, crédit reconstituable, le crédit revolving consiste en une mise à disposition d’une somme d’argent quel’utilisateur emploie au gré de ses besoins, ne payant des intérêts que sur la partie de la somme qu’il utilise. L’argent ainsidépensé est réutilisable au fur et à mesure des remboursements. Il peut être remboursé à tout moment, en totalité ou enpartie.

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La sociologie du travail a mis en évidence l’étendue des contradictions et des contraintes pesantsur les épaules des salariés des services, et particulièrement sur ceux des centres d’appels (Amiech,2005 ; Buscatto, 2002 ; Calderon, 2006 ; Jeantet, 2003 ; Taylor et Bain, 1999). Elle éclaire le plussouvent l’impossible conciliation des injonctions, prescriptions, demandes des clients et de cellesde leur encadrement. Elle analyse aussi la difficile objectivation ou évaluation de leur activité :ainsi, sera mesuré le volume des ventes réalisées alors même que ces dernières sont dépendantesde nombre d’éléments qui sont extérieurs aux travailleurs tels que la conjoncture économique,ou encore la qualité des produits/services fournis par l’entreprise (Jaeger, 2002). Elle envisageenfin les conséquences pour l’identité du travailleur, le travail émotionnel requis, la facon dontl’activité professionnelle peut mener à l’épuisement (Chaker, 2003 ; Hochschild, 1983 ; Jeantet,2003).

L’activité de démarchage en matière de crédit à la consommation que nous avons observéen’échappe pas aux contraintes et contradictions analysées par la sociologie du travail, mais elleles actualise de facon spécifique. Ainsi, l’organisation prescrit à ses salariés de proposer et devendre son produit (de crédit), et indexe les primes individuelles aux résultats obtenus, alors quela souscription dudit produit dépend d’éléments extérieurs aux prospecteurs tels que le rapport autemps, à l’épargne, à la consommation des ménages, eux-mêmes liés au profil socio-économiquede ces derniers (Ducourant, 2009a) ou a minima, à l’état de leurs projets de consommation oude leurs dettes. Par ailleurs, une spécificité de l’activité de prospection réside dans le fait que lestravailleurs ne sont pas assaillis par les clients. . . bien au contraire, ces derniers ne leur ont riendemandé ! Comment, dans ces conditions, les prospecteurs parviennent-ils à réaliser leur activité ?

Éclairer cette question, qui se présente sous la forme d’un problème pratique pour ces tra-vailleurs et comme un cas d’analyse intéressant pour la sociologie du travail, révèle aussi un défithéorique pour la sociologie économique. En effet, si les « démarchés » n’ont rien « demandé »,cela veut dire qu’il n’y a pas de demande au sens économique du terme qui préexiste à l’interaction.Par rapport à la théorie économique qui voit l’échange comme la confrontation d’une offre etd’une demande qui préexistent à l’échange, les caractéristiques de la situation de prospectionprésentent d’emblée une critique assez forte. Tout comme Mark Granovetter (1974) montre quel’information qui s’échange dans les réseaux de relations interpersonnelles crée des opportunitésd’emploi et une demande qui n’existait pas (ou pas tout à fait) avant l’interaction, c’est dansl’échange conversationnel propre à la situation de démarchage que se créerait la demande.

Dès lors, l’article propose d’éclairer les logiques sous-jacentes aux interactions marchandesnon sollicitées et non souhaitées par l’un des deux participants. Dit autrement, il s’agit de décrireet d’expliquer l’échange conversationnel qui permet éventuellement de générer une demandeéconomique qui ne lui pré-existait pas.

Une première source d’inspiration réside dans les travaux relatifs à l’organisation des espacesmarchands (Cochoy, 2005 ; Debril et Dubuisson-Quellier, 2005 ; Du Gay, 2006 ; Licoppe, 2006).Ces travaux s’intéressent aux ressources et contraintes « spatiales », « écologiques » de la vente.En éclairant la facon dont les choix des consommateurs sont encadrés par l’organisation matériellede l’espace marchand, ils nous permettront d’expliquer non seulement le contexte des interactions,mais également la forme légitime des relations sociales dans un espace donné.

Une autre source réside dans les travaux relevant de l’interactionnisme symbolique (Goffman,1973, 1990). Ces derniers proposent une modélisation des relations sociales entre inconnus.« Perdre, entamer, respecter la face » — la sienne et celle de l’autre —, éviter les rupturesd’interaction, endosser un rôle, ou encore anticiper les attentes liées aux rôles identifiés, la socio-logie interactionniste a expliqué dans quelle mesure ces impératifs et enjeux règlent les relationssociales entre inconnus leur permettant de produire une représentation crédible de ce qu’ils sont.

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L’observation de ces interactions s’est déroulée en juin 2007, durant trente jours de présencedans les services en contact avec les clients d’un établissement de crédit. Double écoute4 dansun centre d’appels, présence au côté des vendeurs dans les hypermarchés et discussions infor-melles nous ont permis de constituer les matériaux présentés ci-dessous. Dans les hypermarchés,l’étiquette « stagiaire » était collée sur les vêtements de la sociologue, lui permettant de justifiersa présence lors des interactions avec les chalands/client-e-s/prospects.

Après avoir décrit quelques interactions observées et avoir dressé leur contexte organisation-nel (Section 1), nous montrerons dans quelle mesure l’espace que constitue l’hypermarché et« l’espace conversationnel » (Licoppe, 2006) offert par le média téléphonique ne facilitent pas lesinteractions de prospection. Ils peuvent néanmoins ouvrir à quelques ressources utiles aux pros-pecteurs pour convaincre (Section 2). Enfin, nous verrons comment le respect ou l’entame desfaces et des interactions commandent les tours de parole et font l’objet d’un maniement de la partdu prospecteur, maniement visant à transformer l’individu en prospect, puis en client (Section 3).

1. Description des interactions de prospection

Les prospecteurs sont face à un paradoxe. Il semble qu’il n’y ait de meilleur client poten-tiel pour l’établissement de crédit que celui rencontré durant les deux types de situations deprospection que nous décrivons ci-dessous : qui d’autre qu’un client de l’hypermarché peutêtre intéressé par une carte qui lui offre notamment des avantages, réductions et « facilitésde paiement » dans le magasin (Section 1.1) ? Qui d’autre qu’un individu déjà détenteur dela carte peut facilement s’engager dans une opération de crédit avec ce même établissement(Section 1.2) ? Pourtant, à cette relative « captivité » des individus (Cochoy, 2004), s’opposentles difficultés observées par la sociologue. Les rationalisations faites par ces prospecteurs desdifficultés qu’ils rencontrent suggèrent alors certaines des causes expliquant ces difficultés(Section 1.3).

1.1. Présenter la carte à l’entrée de l’hypermarché

« Pour le prospect, faut aller vers les gens qui sont dispo, on fait pas de la distribution detracts. On leur demande si on peut les interroger. » (Conseiller commercial en situation deprospection à l’entrée de l’hypermarché)

Plusieurs fois par jour, les conseillers commerciaux des agences de l’établissement situées dansles galeries marchandes des hypermarchés du groupe effectuent des opérations de prospection.Anciens employés du centre d’appels ayant manifesté le désir de « sortir du téléphone » (termesindigènes) ou éventuellement, de se rapprocher de leur domicile, leur activité consiste à présenter,à l’entrée de l’hypermarché, les caractéristiques de la carte aux clients du magasin, et idéalementà accompagner le chaland intéressé jusqu’à l’agence située dans la galerie marchande pour luifaire signer le contrat de souscription de la carte. Les conseillers insistent alors sur la nécessité decibler les clients disponibles — dans les faits, ceux qui n’ont pas le regard décidé, qui ne « roulent »pas trop vite, ne sont pas en trop grande « tribu ». « Les gens pressés, c’est même pas la peine »(conseiller). Comment cela se déroule-t-il ?

4 Une double écoute est un type d’observation dans laquelle l’enquêteur dispose d’un casque audio lui permettantd’écouter, au côté du téléopérateur, la conversation que ce dernier entretient par téléphone.

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Femmes seules, couples ou familles, les clients entrent dans l’hypermarché, se répartissantspontanément autour du caddie encore vide, poussé par l’un d’entre eux. Au moment où ilschoisissent leur orientation vers une zone du magasin, certains se concertent, tous ralentissent.Le conseiller commercial profite de cet instant pour s’adresser à l’un d’entre eux, et lui demandesi elle connaît ou possède la carte X. « Bonjour Madame, vous connaissez la carte X ? ». Àcette question du démarcheur, la personne sollicitée répond à peine, mais tend déjà la main quisaisira le prospectus de présentation de la carte. « Lisez le document tranquillement » enchaînele prospecteur. « Bonjour, vous connaissez la carte X ? », « Oui, oui, on l’a déjà ». Le caddie quiralentissait le temps de la réponse repart déjà de plus belle. Le conseiller réplique alors : « Eh bienen ce moment, nous la transformons gratuitement et pour un an, votre ancienne carte, en nouvellecarte bleue ! ». Le client, surpris, ne répond pas mais ralentit à nouveau et prend le prospectustendu par le conseiller.

Dans cette situation de démarchage en face-à-face, il s’agit donc « d’accrocher les gens dispo »pour paraphraser les conseillers. Armés de prospectus, les vendeurs entrent en contact avec desindividus pris en situation de clients de l’hypermarché et leur proposent un produit dérivé du motifde leur présence (faire les courses).

1.2. Prospection téléphonique sur fichier « froid » : de l’argent sur votre compte en quelquesclics

« Ils disent non pour se protéger, faut trouver un mot pour qu’ils se débloquent. » (Téléopé-rateur, équipe appels sortants)

Les vendeurs affiliés aux agences des galeries marchandes ne sont pas les seuls en chargede la prospection. Une équipe est spécifiquement dédiée à cette activité dans le centre d’appelsde l’établissement de crédit. Les appels téléphoniques observés aux côtés de ces téléopérateursavaient pour objectif d’inciter les individus à virer sur leur compte bancaire personnel tout oupartie du capital disponible sur la réserve d’argent matérialisée par leur carte de magasin. Le tauxdu crédit était quatre fois inférieur au taux habituel.

D’un point de vue purement technique, les opérations de crédit ainsi proposées sont très facilesà réaliser. Après l’accord verbal du client, le téléopérateur vire la somme choisie par celui-ci (dansla limite de la somme disponible) depuis sa réserve d’argent vers son compte personnel. À chargealors pour les vendeurs d’inciter les clients, ici, ceux dits « peu appétants au crédit » (termesindigènes) à utiliser leur réserve d’argent en leur proposant un taux particulièrement avantageux.Un serveur compose automatiquement les numéros de téléphone et dès qu’un individu décroche,l’appel est attribué à un téléopérateur qui n’est pas déjà en communication. Ce dernier voit alorsapparaître le dossier du client sur son écran d’ordinateur, il cerne rapidement s’il a affaire à unrépondeur (cas de figure très fréquents), dans ce cas il ne laisse pas de message et ne prête pasattention au dossier, il qualifie son appel de « répondeur » pour les statistiques de prise d’appels quiobjectivent son activité. Il est de nouveau disponible pour un nouvel appel. Si la personne appeléedécroche5, il s’empresse de lire le nom du client qui apparaît sur son écran de facon à l’interpellerpersonnellement. Il consulte le dossier présent à l’écran tout en commencant l’interaction commer-ciale, travaillant « sans filet » et sans script. Ces téléopérateurs dédiés à l’activité de prospection

5 Il s’agit fréquemment de femmes et de personnes sans activité professionnelle (retraités, chômeurs) la plupart desappels étant émis dans l’après-midi.

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(les hommes sont proportionnellement plus représentés que les femmes, contrairement aux autresservices de l’établissement) prennent en moyenne 200 appels par jour et travaillent en « horairesdécalés » (pas le matin). Leur trajectoire professionnelle et leur expérience du travail incitentà les diviser en deux catégories : les premiers sont jeunes et détenteurs de diplômes universi-taires qu’ils ne sont pas parvenus à valoriser véritablement, leur activité dans le centre d’appelsmobilisant des compétences sociales et non des qualifications particulières (Cousin, 2002). Ilssont satisfaits d’avoir (enfin) obtenu un CDI dans une grande entreprise quelle que soit l’activité.Les seconds sont moins diplômés, et détiennent plus d’ancienneté dans l’établissement. Pro-fessionnels de centre d’appels, ils occupent des postes plus rémunérateurs que ceux de leurscollègues (les primes de vente permettent aux meilleurs de doubler le salaire standard des autresemployés).

Les quelques extraits ci-dessous permettent d’appréhender ce que sont ces interactions deprospection médiatisées par le téléphone.

« Conseiller : Allô ?Cliente : Allô ?Conseiller : Madame Francois ?Cliente : Oui.Conseiller : Je suis Paul D., votre conseiller financier de la banque X, la banque de votrecarte X, la banque du groupe des hypermarchés Y.Cliente : Oui.Conseille : Madame, j’ai une très bonne nouvelle pour vous ! [ton enjoué]Cliente : Oui. [peu enjoué]Conseiller : Oui, une très bonne nouvelle et vous verrez que le mot n’est pas trop fort ![Attente de la réaction]Cliente : Ah oui ? [un peu curieuse]Conseiller : La réserve d’argent qui se trouve sur votre carte X, vous savez, vous la voyezsur votre relevé. . .

Client : Oui.Conseiller : Eh bien, cette réserve, on la facture d’habitude à 17,7 % à tous nos clients, maispour vous, comme on vous connaît depuis longtemps, Madame Francois, vous êtes clientedepuis longtemps, donc ca va être à 4,9 % [. . .]. »

Une première comparaison entre les descriptions de l’activité de prospection en hypermarché etau téléphone permet d’ores et déjà de pointer quelques éléments différenciant ces deux situations.Tout d’abord, le statut des démarchés n’est pas le même : alors que dans l’hypermarché ces dernierssont des clients, par téléphone, ils sont engagés dans une activité domestique lorsque le prospecteurles interpelle. Deuxièmement, leur engagement vis-à-vis de l’établissement de crédit n’est pas lemême dans les deux situations : les personnes contactées par téléphone sont déjà engagées vis-à-vis de l’établissement financier, possédant la carte permettant d’accéder notamment au service decrédit qu’ils n’utilisent pas (le service marketing a construit le fichier autour de ce critère), alorsque les clients du magasin ne le sont pas forcément. Enfin, l’équipement des conseillers n’estpas le même : en hypermarché, un prospectus soutient l’échange6, alors que par téléphone, seulel’énonciation de l’offre promotionnelle est supposée soutenir l’échange verbal.

6 On se trouve donc dans le cas opposé à celui de Roland Canu (2009) qui analyse les prospectus en tant qu’outils dansle processus de réflexion/décision. Leur absence est pourtant ici utilisé par les prospecteur pour aider les prospects à sedécider rapidement.

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1.3. Les rationalisations des professionnels de la prospection

Dans les deux types de situations observées, la sociologue a constaté les maigres résultats7

obtenus par les prospecteurs. Peu d’interactions se terminent par une vente ou même par unedémonstration d’intérêt de la part des personnes interpellées. Si les télé-prospecteurs enquêtésattribuaient le faible rendement de leur activité à la qualité du fichier des personnes appeléesmis à leur disposition lors de l’opération, les vendeurs des hypermarchés quant à eux insistaientvolontiers sur les difficultés inhérentes à leur activité de prospection, travail qu’ils n’apprécientguère. Pour reprendre l’expression de certains d’entre eux, il s’agit en effet, sans cesse, de « seprendre des râteaux » tant les clients de l’hypermarché se montrent peu réceptifs. Ce « manque dedisponibilité », « manque d’écoute » (termes des vendeurs) de la part des clients, s’explique seloneux par le fait que les clients de magasin sont pressés de commencer à effectuer leurs achats. Ilserait également difficile d’effectuer la prospection parce que les clients viennent chercher desbiens matériels et non immatériels, tels qu’une carte de paiement. « Les gens viennent acheter àmanger, et toi tu leur proposes une carte bleue (CB) » (conseiller). Enfin, la représentation desclients de la carte de paiement comme carte uniquement de crédit revolving inquièterait certainsclients et les pousserait à refuser le dialogue : « Le problème, c’est que les gens pensent que c’estdu crédit8 ». Si ces rationalisations d’acteurs éclairent les interactions décrites ci-dessus, commentles expliquer plus systématiquement ?

2. Les ressorts spatiaux et médiatiques de la prospection

La première analyse propose d’éclairer la facon dont l’espace de l’hypermarché ou le médiatéléphonique sur-déterminent ces deux situations de prospection.

2.1. Organisation de l’espace, médiatisation de la conversation

Selon Paul Du Gay (2006), l’imposition de la « technologie de vente » de libre service, audétriment du service personnalisé, a bénéficié de l’existence de logiques statutaires de classestypiques du service personnalisé des petits commerces. Dit autrement, le mépris des classespopulaires exercé par les commercants traditionnels a favorisé le développement des commercesen libre service. La circulation sans obligation d’achat, l’échange possible de l’article qui nedonnerait pas satisfaction (Péretz, 1992), et plus généralement, l’autonomisation de « la confron-tation du consommateur avec les biens » (Licoppe, 2006) sont décrits par les sociologues commeayant libéré les clients de nombre de rapports sociaux auparavant inhérents aux pratiques descourses. Il nous semble que ces éléments expliquent qu’à l’intérieur d’un hypermarché, touterelation commerciale interpersonnelle dont le client n’aurait pas eu l’initiative — telles que lesinteractions de prospection — est difficile. Si l’on compare à présent ces interactions avec cellesmédiatisées par le téléphone, on constate que la spécificité de ces dernières réside dans le fait

7 Bien entendu, il serait réducteur de vouloir mesurer l’efficacité de la prospection au nombre de souscriptions directe-ment issues de ces actions. Toutefois, pour les prospecteurs dont les primes sont directement liées aux ventes effectuées,il est pertinent de parler de « maigres résultats » à propos des campagnes observées.

8 Or, il ne s’agit pas seulement d’une carte de crédit, la carte est le support de nombreux services, visant particulière-ment à récompenser la « fidélité » du client à l’hypermarché. L’activité de crédit est de très loin la plus profitable pourl’établissement, et nombres d’autres services adossés à la carte peuvent être considérés comme autant de moyens de« capter » les clients (Cochoy, 2004) à qui l’on espère « faire crédit » un jour (Ducourant, 2010).

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que les individus sont saisis à leur domicile, qu’il n’y a pas un espace marchand pré-constituéqui donnerait le cadre interprétatif des interactions (Licoppe, 2006). Il semble que l’usagedomestique du téléphone prévalant pour nombre de ménages, l’appelé n’est pas davantage pré-disposé à accepter d’entrer dans un échange marchand de prospection que ne l’est le client del’hypermarché.

Ainsi, la description de l’« écologie » de ces deux situations a permis d’établir que dans les deuxcas, le « milieu » ne facilite pas l’activité de prospection. Toutefois, l’habitude, l’action répétée,les « trucs » qu’ils ont bricolés au cours du temps permettent aux prospecteurs — et parfois aussiaux personnes qu’ils interpellent — d’utiliser les maigres ressources offertes par l’espace ou lemédia pour parvenir à leurs fins.

2.2. Espace et média comme ressources

Quelles sont ces ressources et que peut-on dire de leurs ressorts ? En ce qui concerne laprospection en hypermarché, elles sont minces. On peut noter que les prospecteurs profitentd’abord du goulot d’engorgement et du ralentissement que constitue l’entrée de l’hypermarché,cet endroit spécifique où tous les clients ralentissent le temps de s’orienter. Ils tirent égalementavantage de la présence des clients « en public », sous le regard de leurs proches, qui empêche lesindividus de nier leur présence devant leur famille ou de refuser le tract.

Qu’en est-il du téléphone ? Nous nous attarderons sur ces interactions dont le média ouvredavantage de ressources. Trois ressources principales ont été identifiées.

2.2.1. Tirer partie de l’asymétrie inhérente à l’appel sur téléphone fixeToute conversation médiatisée par un téléphone fixe revêt une dimension asymétrique dans la

mesure où seulement l’un (l’appelant) connaît l’identité de l’autre (l’appelé). Nous avons observéque les entretiens téléphoniques de prospection commencent invariablement par l’interpellationdu client par son nom. Selon les prospecteurs interrogés, il s’agit là autant de personnaliserl’entretien que de vérifier à qui on a affaire, le virement d’argent ne pouvant être effectué que parle titulaire de la carte. À ces deux fonctions d’identification et de personnification s’ajoute encoreune troisième d’ordre interactionnel cette fois : il s’agit de commencer l’entretien commercial dela même facon qu’une conversation téléphonique d’ordre privé en tirant partie de cette absence depré-identification visuelle de la conversation pour l’appelé (Relieu, 2002), et ce faisant, d’engagerl’appelé à poursuivre la conversation avant que celui-ci n’assimile l’appelant à un téléprospecteurquelconque.

« [En aparté] Il ne faut pas se présenter avant d’avoir fait confirmer à la personne son nom,sinon, ca marchera pas [. . .]. L’avantage pour nous, c’est que quand on se présente, ca faitsérieux, en général, quand ta banque t’appelle, tu écoutes, donc, on profite de ca alors qu’enfait, on les appelle pour des virements ! » (Téléprospecteur, équipe appels sortants)

2.2.2. Encadrer la rationalité du prospectLa création de l’espace conversationnel marchand sans support (contrat, publicité. . .) sous

les yeux de l’appelé, sans pré-réflexion de la part de ce dernier relativement au service pro-posé, est une autre ressource — certes paradoxale — à disposition du conseiller, issue de lamédiatisation téléphonique. Elle lui permet d’encadrer la rationalité du consommateur (Kessouset Mallard, 2006). Il peut alors créer rhétoriquement « l’opportunité à saisir », le sentimentd’urgence, accompagné de l’idée d’une identité valorisante d’acteur rationnel capable de

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saisir l’opportunité lorsqu’elle se présente (Goffman, 1990). De petits mensonges peuventmême soutenir ce procédé. Il arrive que le démarcheur énonce qu’un nombre très limité declients peut bénéficier de l’offre et qu’elle doit être souscrite dans la journée/dans les troisjours. On peut aussi suggérer que si le client n’est pas intéressé, d’autres le seront. Parexemple :

« Conseiller : [. . .] Si vous n’en profitez pas dans les jours qui suivent, après, ca sera troptard !Cliente : Non, les travaux ne se font pas maintenant. . .

Conseiller : Pourtant, vous feriez des économies !Cliente [énervée] : Mais on n’a même pas encore le permis de construire ! »

2.2.3. Énoncer des arguments difficilement dicibles en face-à-faceEnfin, une troisième ressource construite autour de la médiation téléphonique consiste à tirer

partie de l’absence de face-à-face, qui permet au prospecteur d’énoncer des arguments difficile-ment dicibles autrement qu’à distance. Certains usages du crédit suggérés par les prospecteursconcernent en effet des usages peu avouables du crédit : celui des imprévoyants. Ils proposentpar exemple au client de payer ses impôts ou ses dettes ou encore d’anticiper la tuile, telle quele remplacement de l’électroménager qui « va flancher ». Ils peuvent aussi suggérer aux clientsque le virement pourrait servir à renflouer leur compte bancaire. Ci-dessous, c’est le financementd’un « imprévu » qui est proposé :

« [La cliente est un peu sourde, ce qui complique l’échange.]Conseiller : Ah, vous êtes une bonne cliente ![Il attend pour qu’elle acquiesce.]Cliente : Oui, c’est vrai [. . .].Conseiller : Eh bien le taux de la réserve, il est à 4,9 %, on a fait un effort pour vous remercier.Cliente : Je peux pas me permettre ! Je vous dis la vérité ! J’avais déjà demandé 21 000 euros,mais bon, j’étais refusée chez vous ! J’ai été obligée d’aller chez X [le nom d’un autreétablissement de crédit] ! Et maintenant, je rends 531 euros par mois. Donc, je peux pas mepermettre.Conseiller : Je comprends bien, c’est une question de budget. Sinon, pas de projet ?Cliente : Si, l’année prochaine, si.Conseiller : On a un service pour racheter les crédits des autres sociétés. Mais si aujourd’huion fait un virement de 900 euros, ca fait 30 euros par mois, ca rentre dans le budget.Cliente : C’est pour mon tout ?Conseiller : Non, c’est si vous voulez vous faire plaisir, ou faire face à un imprévu.Cliente : Ah, je vais en parler à mon mari.Conseiller (enjoué) : Je peux vous rappeler. Vous voyez, on n’ fait pas les choses à moitié,mais par quatre !Cliente : Ben, rappelez vers 13 heures 30. »

La simple énonciation par le conseiller de ces usages, ici l’imprévu, sur le ton de la banalité,place dès lors dans l’ordre de l’avouable et de la normalité les usages du crédit de type « soudure »,

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aidant éventuellement le prospect à garder la face s’il affronte des revers financiers ou s’il est dugenre à utiliser un crédit pour ces motifs9.

L’analyse de cette dernière ressource liée au téléphone (les arguments dicibles à distance sansatteinte à la face de l’appelé) introduit la dernière partie de l’article. Nous présentons de faconplus fine la facon dont la maîtrise des règles interactionnelles peut devenir une ressource bien plusimportante pour le prospecteur.

3. « Jouer avec les faces », compétences dans les interactions de prospection

Respecter la face de l’autre favorise-t-il l’interaction commerciale ? Le bon sens commandede répondre par l’affirmative. Pourtant, différents travaux ont montré que malmener quelquepeu le client peut être propice à la vente. Ainsi, à propos de la souscription de crédit, diverstravaux ont mis en évidence à quel point le client « n’est pas le roi ». Lors de la souscriptiond’un crédit immobilier, Pierre Bourdieu, Salah Bouhedja et Claire Givry ont montré commentles questions de l’acheteur potentiel se transforment en interrogatoire auquel l’acheteur doit lui-même se soumettre (Bourdieu et al., 1990). En ce qui concerne les crédits à la consommation cettefois, Jeanne Lazarus (2009) évoque « l’épreuve » que constitue la souscription de crédit. Nous(Ducourant, 2009a) avons montré que la vente de crédit revolving par téléphone repose à la foissur le fait que le candidat au crédit accepte de « s’en remettre » au « conseiller » et que « l’entamede la face du candidat au crédit » instille chez ce dernier le sentiment que le crédit finalementoctroyé est une faveur qui lui est accordée. . . faveur qu’il serait dommage de refuser. Mais qu’enest-il quand le chaland n’a pas eu l’initiative de la rencontre avec le professionnel ?

3.1. Prolonger la conversation téléphonique de prospection

Deux stratégies rhétoriques mises en œuvre par les prospecteurs ont été observées de faconrécurrente.

3.1.1. Interpréter les réponses des appelésPour prolonger la conversation, la première stratégie observée consiste pour le téléopérateur

à choisir d’interpréter certains propos de l’appelé « au pied de la lettre ». Nous avons vu dans lapremière partie de l’article, qu’à la présentation de l’offre de crédit par le prospecteur, l’appelérépondait le plus souvent qu’il n’en avait pas besoin. Ainsi, la raison avancée évoque seulementl’inadéquation entre cette dernière et la situation personnelle de l’appelé10. Cette euphémisationdu refus de l’offre fonctionne comme une facon de préserver l’interaction et les faces : le refusn’est pas prononcé mais suggéré et en même temps, l’appelé signifie qu’il souhaite mettre fin àla relation commerciale ; à charge pour le conseiller de rebondir.

Pour ce faire, il décide de ne pas interpréter le « je n’en ai pas besoin », ou ses variantes, nonpas comme des refus polis respectant la règle de préservation de la face, mais prend sciemmentces phrases au pied de la lettre. Il poursuit en imaginant des usages possibles de cet argent,des besoins jusqu’ici insoupconnés par l’appelé mais qui pourraient advenir maintenant qu’onlui ferait y penser. . . Dit autrement, l’agent se saisit de la potentialité signifiante contenue dans

9 On peut toutefois « perdre, entamer ou garder la face » dans une situation qui n’est pas le face-à-face. La voix, sontimbre, le débit, l’accent, etc, sont des éléments qui font partie de « la face ».10 En remplacant leur réponse par la raison de la donner — autrement dit ici, en ne répondant pas « non », mais « je n’en

ai pas besoin » — les appelés opèrent une élision qui permet d’euphémiser le refus.

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les propos de l’appelé qui lui est la plus favorable (Lacoste, 1995). Dès lors, l’interaction sepoursuit, le conseiller est parvenu (provisoirement) à éviter de devoir mettre fin à l’échangeconversationnel.

3.1.2. Injonction aux projetsLa seconde stratégie observée pour faire durer la conversation consiste à interroger l’appelé

sur ses projets.

« Conseiller : J’ai mis en place la possibilité de faire des virements pendant 12 mois à 4,9 %.Vous êtes intéressé ?Client : Non.Conseiller : Vous avez certainement des projets ?Client : Euh [. . .] »

« Pas de projet ? », « Vous avez certainement des projets. . . », « Pas le moindre projet ? », sontdes questions maintes fois entendues. Le contexte de l’énonciation n’exige pas sémantiquementque le prospecteur spécifie à quels types de projets il se réfère pour que la phrase soit compré-hensible. Toutefois, on percoit, à la difficulté des clients à répondre « non », à l’intonation de leurréponse où pointe parfois l’embarras ou le ton défensif — même si la retranscription écrite lelaisse peu apparaître —, qu’il fonctionne comme si les individus ne savent pas s’ils répondent àla question qui est la forme élidée de « Avez-vous des projets d’achats qui nécessitent le recoursau crédit à la consommation ? », ou bien à la question « Avez-vous des projets ? ». Le sens de laphrase apparaît à ce stade comme d’autant plus ambigu que, précédemment, le conseiller avaitchoisi d’interpréter « au pied de la lettre » le premier refus poli des prospects (« Je n’en ai pasbesoin »).

Selon John Gumperz (1989), de facon générale, participer aux interactions « bureaucratiques »nécessite des ressources culturelles et des compétences communicatives permettant de limiter lesmalentendus ou de jouer sur ces derniers. Ici, le problème se trouve accentué : les prospecteursprovoquent volontairement ces malentendus, si bien que pour l’appelé, parvenir à une interpréta-tion non imposée par l’autre de ce qui est en train de se jouer est une gageure. À ce stade, s’il nedésire pas poursuivre la conversation, il lui faut répondre négativement à la question des projets.En même temps, ce faisant, il devra accepter d’apparaître comme un individu sans projet, ce quientame sa face dans l’interaction ou entame l’interaction. Cette contradiction explique alors quece dernier rechigne parfois à répondre par la négative.

Sa réponse est ensuite volontairement interprétée par le prospecteur en fonction du cadred’interprétation qui sert le mieux ses intérêts : comme un signe que l’appelé a ou aura besoind’argent. Il peut alors poursuivre la conversation en (se) jouant de la facon dont l’appelé tentede préserver l’interaction et les faces. Mais le téléopérateur n’est pas le seul à jouer avec la face.Comparons ses deux stratégies à celles de ses collègues en hypermarché.

3.2. Tirer partie des micro-engagements des clients

En hypermarché, une pratique a été observée chez les prospecteurs : ils cherchent à tirer par-tie des « micro-engagements » qu’ils suscitent chez les passants pour leur faire l’article. Nousavons vu que les prospecteurs interpellaient les clients de l’hypermarché en leur demandant s’ils« connaissent » la carte (Section 1). On peut dire que cette question signifie plus que son contenusémantique : il s’agit surtout de demander implicitement la permission d’entrer en relation com-merciale/de prospection. Les observations répétées de ces interactions montrent que les individus

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répondant le plus volontiers aux amorces des prospecteurs sont ceux qui se déclarent déjà déten-teurs de la carte. Étant donné ce qu’on a dit ci-dessus du rôle des « technologies de vente de libreservice » sur les relations sociales dans cet univers marchand, on peut lier la forte propension desdétenteurs de carte à répondre au démarcheur au fait qu’ils anticipent qu’ils peuvent s’engagerdans l’interaction justement. . . parce qu’elle ne sera pas engageante. Ils peuvent participer à cettesituation de prospection parce qu’elle prendra fin de suite. D’ailleurs, si ces détenteurs de carteauto-déclarés ralentissent le rythme de leur caddie le temps de répondre au prospecteur, c’est pourrepartir de plus belle une fois la réponse produite, sans attendre d’autres répliques de la part duprospecteur.

Toutefois, en répondant à la question de la « connaissance de la carte » par une variante de« on l’a déjà », ces clients du magasin ne manifestent pas seulement leur désir de sortir de lasituation de prospection, ils « ratifient » en même temps leur reconnaissance de cette situationcommerciale. Cette ratification, ce micro-engagement est alors exploité par le prospecteur pourpoursuivre l’interaction en proposant à présent la nouvelle carte. La surprise pointe souvent chezcelui qui avait accepté de jouer le rôle du prospect-mauvais-candidat (car déjà détenteur de lacarte), manifestant qu’il n’avait pas anticipé qu’en répondant à la première question il s’engageaitdans une interaction commerciale. Il concède alors à participer à cette dernière mais poursuitson engagement avec désormais plus de précautions. Pourquoi ne peut-il échapper à la poursuitede l’interaction ? Parce que d’une part, rompre l’interaction à ce moment, c’est revenir sur lapremière ratification qu’il avait pourtant effectivement accordée, et d’autre part parce que romprel’interaction provoquerait probablement une perte de la face, la sienne ou celle du conseiller. Parexemple, si à ce stade il décide d’ignorer l’individu avec qui il vient pourtant d’échanger quelquesmots, et ce, souvent « en public » (devant sa famille par exemple, présente autour du caddie), unerupture d’interaction se produit avec perte des faces (pour le conseiller qui se sent nié, pour leprospect qui transgresse les règles de bienséance en public). Une facon classique de « poursuivreavec précautions » consiste à ne répondre aux questions du conseiller qu’en opinant de la tête,puis à tendre la main pour accepter le prospectus de l’offre. Agissant de la sorte, le prospectredéfinit la situation : il est engagé dans une interaction avec un distributeur de tracts et non avecun conseiller commercial.

La comparaison des stratégies déployées de part et d’autre nous a permis de saisir la facondont se spécifie le double jeu avec les contraintes écologiques et les faces. Dans les deux cas, cequi est visé, c’est la prolongation de l’échange verbal. Toutefois, cette prolongation contrainte ases limites. Voyons comment se clôturent de tels échanges.

3.3. Préserver les faces et l’interaction, des règles difficiles à suivre lors de la clôture deséchanges

Après cette prolongation forcée des échanges, comment se clôturent ces conversations ?Par téléphone et en face-à-face, la sortie de l’interaction n’est pas facile d’un point de vueinteractionnel. Tout d’abord, la facilité technique de l’opération de crédit — un seul « clic » dutéléopérateur — ne permet pas à nos interactants de prendre congé l’un de l’autre en faisant« comme si » l’appelé allait peut-être souscrire le crédit, il n’y a pas en effet d’envoi de contratau domicile de l’appelé. De plus, la clôture intervient régulièrement après que le prospecteur asuggéré des usages du crédit tels que ceux du crédit soudure (impôt, fin de mois, remboursementde crédit ou de découvert). . . En étant venu à sous-entendre qu’il souhaitait que le client rencontredes revers financiers, la clôture s’avère difficile.

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« Conseiller : Pas de projet ?Client : J’ai pas de projet, je vois pas ce que je pourrai en faire ! [un peu énervé]Conseiller : Des travaux ?Client : Non.Conseiller : De l’électroménager qui flanche ?Client : Non non.Conseiller : Eh bien, c’est tout ce que je vous souhaite. »

Les propositions d’usage « soudure » du crédit, lorsqu’elles sont réalisées et rejetées par le pros-pect, compliquent en effet pour le conseiller la sortie de l’interaction. Le recours utilisé consistealors souvent à énoncer une phrase type, impersonnelle, par laquelle le conseiller remercie leclient « pour sa confiance et sa fidélité11 ». Une autre facon de garder la face, en n’en restant pasà un échec d’un point de vue interactionnel consiste, lorsqu’un client n’a pas décliné catégori-quement l’offre, à proposer au prospect de le rappeler plus tard. La facon la plus aisée de clôturerl’interaction téléphonique sans entame de la face du prospecteur et sans rupture d’interactionrequiert la coopération des appelés. Ces derniers mettent parfois eux-mêmes en œuvre des stra-tégies rhétoriques permettant d’atténuer le refus de la proposition commerciale tout en sortant del’interaction. Ainsi, l’appelé peut dire qu’il en parlera à son conjoint. S’il s’agit d’un homme, ilpeut insister sur le fait que c’est sa femme qui s’occupe de la carte (la carte est associée aux coursesà l’hypermarché). S’il s’agit d’une femme, elle peut s’en sortir en prétextant que c’est son mari quis’occupe des projets de travaux. . . Dans ces cas, la complémentarité des rôles vendeurs/clientspropre aux transactions commerciales est rétablie (Traverso, 2001), chacun acceptant de jouersa partition (prospect éventuellement intéressé/vendeur qui fera peut-être la vente). Les faces etl’interaction sont préservées.

En face-à-face, la sortie de l’interaction est aussi un moment délicat. Après l’exploitation dela ratification de la situation de prospection par le client de l’hypermarché, il semble que lesconseillers, alors assignés au rôle de prospecteurs par les passants, ne disposent plus d’autresressources pour faire face à cette redéfinition de la situation et se préparent à sortir de l’interactionsans être parvenus à accomplir avec succès leur mission. Pour cela, ils terminent par une invitationà lire le prospectus. Cette facon d’achever l’interaction présente l’avantage de réinscrire le sens del’interaction de prospection dans une temporalité qui dépasse ce moment court de l’interaction. Latransformation de la carte en carte bleue implique désormais la réflexion et la prise de connaissanced’informations. De sorte que la fin d’une interaction qui ne mène ni à l’accompagnement duprospect à l’espace financier, ni même à éveiller son intérêt, ne signifie plus son échec, maisseulement la fin d’une première étape dans le chemin qui mène à la transaction commerciale12.La face du prospecteur est sauvée.

De facon plus générale, malgré la précaution des prospecteurs à n’interpeller que des personnesqui paraissent disponibles, à utiliser les « trucs » bricolés tel que l’usage de la première ratificationde la situation de prospection, il arrive que les clients de l’hypermarché refusent complètement

11 On peut noter qu’une telle phrase semble appartenir au registre du script qui régule de plus en plus les interactions ins-titutionnelles (Cameron, 2007). Pourtant selon les prospecteurs qui l’utilisent, elle ne correspondrait à aucune prescriptionde leur établissement ou hiérarchie.12 On peut ici faire un parallèle avec l’analyse de Emmanuel Kessous et Alexandre Mallard (2006) de l’envoi de

documentations à domicile proposé par les vendeurs de l’opérateur historique de téléphone. Les auteurs soulignent eneffet la multiplicité de ses fonctions dans la conversation : le faible degré d’engagement dans la situation des clients, leurvolonté d’abréger l’appel ou tout au contraire, le réel désir d’approfondir la proposition esquissée dans l’appel.

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l’interaction soit faisant comme s’ils ne les voyaient pas alors même que ces derniers sont pla-cés ostensiblement dans leur champ de vision, ou encore, en acceptant à peine de croiser leurregard — ce qui est mal vécu par ces derniers. On peut à présent expliquer pourquoi ces situationsde prospection sont peu appréciées des conseillers en hypermarchés. Particulièrement exposésdans ces situations à la perte de la face et aux ruptures d’interactions, disposant de peu de res-sources pour transformer les clients du magasin en prospects, et surtout pour transformer lescadres interprétatifs des situations et la distribution des rôles (être réduit à un distributeur de tractspar exemple), ils sont particulièrement vulnérables. Face à cette vulnérabilité, les conseillersréagissent différemment, oscillant alors entre le « on fait pas de la distribution de tracts » (conseil-ler), revendiquant ainsi une professionnalité dans les situations de prospection (la connaissancedes produits, le conseil) et/ou l’expédition au plus vite de cette tâche ingrate, permettant deretourner dans l’agence, cadre leur offrant davantage de ressources pour convaincre, plus de faci-lités à entrer en relation avec les clients du magasin : ces derniers sont cette fois à l’initiative deséchanges, et il est plus facile de réaliser des ventes et de remplir ses objectifs. À plusieurs reprises,les conseillers évoquaient, non sans crainte, le cas d’une autre agence, située dans la galerie d’unautre hypermarché où les conseillers sont amenés à effectuer de facon bien plus fréquente cesopérations de prospection.

4. Conclusion

Plus que tout autre type de crédit, le crédit revolving, aussi appelé « réserve d’argent », séparele moment de la souscription du crédit et le moment de ses usages, autrement dit le moment del’achat et celui des « besoins » (d’argent). Cette caractéristique s’accompagne d’une organisationde la concurrence sur ce segment du marché du crédit qui prend la forme d’une canalisationtoujours plus en amont des (besoins des) consommateurs (Trompette, 2008). Il s’agit, pour lesbanques et établissements de crédit, de parvenir à faire souscrire ce service aux consommateursle plus tôt possible. De cette facon, le jour où ils auront besoin d’argent, ils puiseront dans cetteréserve au lieu de recourir à une solution alternative. Par ailleurs, cette mise à disposition d’argentpourra provoquer son usage (Ducourant, 2009b).

Cette forme d’organisation du marché s’incarne dans des interactions entre des consomma-teurs et des agents d’établissements de crédit, notamment celles suscitées lors des campagnesde prospection. Dans cet article, nous avons décrit et analysé le processus d’« intéressement »mis en œuvre par les démarcheurs. La comparaison entre les deux situations (en face-à-face ouau téléphone) nous a également permis de montrer en quoi ce processus était déterminé par les« contraintes écologiques » propres à chacune des deux situations.

Des travaux récents portent sur la facon dont émergent et s’ajustent les propriétés des pro-duits financiers et « les besoins des consommateurs » lors des rencontres entre représentants desinstitutions financières et leurs clients [pour les États-Unis (Seabrooke, 2010), pour la Hongrie(Vargha, 2011)]. Ces recherches ambitionnent d’éclairer la crise financière en prenant pour objetles circonstances de la souscription des crédits hypothécaires. Pour notre part, il nous a sembléqu’analyser l’une des médiations du travail marchand en matière de crédit revolving participeau dévoilement d’un phénomène encore peu connu en France : la construction des « carrièresd’emprunteurs » (Lacan, 2010), qu’elles mènent ou non au surendettement.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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