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Comment maximiser le rendement futur des plantations en mariant amélioration génétique et biotechnologies André Rainville 1* et Jean Beaulieu 2,3 1 Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles, 2700, rue Einstein, Québec (Québec) G1P 3W8 2 Ressources naturelles Canada, Service canadien des forêts, Centre canadien sur la fibre de bois, 1055, rue du P.E.P.S., Québec (Québec) G1V 4C7 3 Chaire de recherche du Canada en génomique forestière et environnementale, Centre de recherche en biologie forestière, Université Laval, Québec (Québec) G1K 7P4 * [email protected] André Rainville est ingénieur forestier, détenteur d’une maîtrise en écologie et pédologie fores- tières avec spécialisation en amélioration génétique, de la Faculté de foresterie et de géomatique de l’Université Laval. Il est à l’emploi du ministère des Ressources naturelles depuis 28 ans, comme chercheur responsable des programmes d’amélioration génétique de l’épinette blanche et des feuillus nobles au Québec, et coresponsable d’un projet sur l’évaluation des gains réels de productivité associés au reboisement avec des plants génétiquement améliorés. Depuis 2008, il participe à plusieurs projets sur le thème des changements climatiques et visant à développer des mesures d’adaptation pour le Québec; parmi ceux-ci, mentionnons le développement de modèles de transfert de sources de semences, dont il nous parlera dans sa présentation, et la conception d’une stratégie québécoise de conservation des ressources génétiques forestières. Monsieur Rainville agit aussi comme conseiller expert et fait partie de divers comités provinciaux et canadiens en génétique forestière. Depuis 2004, il est directement impliqué, avec la DGPSPF et l’équipe de chercheurs sur les semences et plants de la DRF, dans le développement de la fores- terie clonale au Québec. Il est responsable de l’évaluation des clones d’épinette blanche produits par embryogenèse somatique. Il participe également, avec des collègues de l’Université Laval et du Service canadien des forêts, à des projets appliqués en génomique forestière. Sa présentation a d’ailleurs été réalisée avec M. Jean Beaulieu à titre de coauteur.

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Comment maximiser le rendement futur des plantations en mariant amélioration génétique et biotechnologies

André Rainville1* et Jean Beaulieu2,3

1 Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles, 2700, rue Einstein, Québec (Québec) G1P 3W82 Ressources naturelles Canada, Service canadien des forêts, Centre canadien sur la fibre de bois, 1055, rue du P.E.P.S.,

Québec (Québec) G1V 4C73 Chaire de recherche du Canada en génomique forestière et environnementale, Centre de recherche en biologie forestière,

Université Laval, Québec (Québec) G1K 7P4

* [email protected]

André Rainville est ingénieur forestier, détenteur d’une maîtrise en écologie et pédologie fores-tières avec spécialisation en amélioration génétique, de la Faculté de foresterie et de géo matique de l’Université Laval. Il est à l’emploi du ministère des Ressources naturelles depuis 28 ans, comme chercheur responsable des programmes d’amélioration génétique de l’épinette blanche et des feuillus nobles au Québec, et coresponsable d’un projet sur l’évaluation des gains réels de productivité associés au reboisement avec des plants génétiquement améliorés. Depuis 2008, il participe à plusieurs projets sur le thème des changements climatiques et visant à développer des mesures d’adaptation pour le Québec; parmi ceux-ci, mentionnons le développement de modèles de transfert de sources de semences, dont il nous parlera dans sa présentation, et la conception d’une stratégie québécoise de conservation des ressources génétiques forestières.

Monsieur Rainville agit aussi comme conseiller expert et fait partie de divers comités provinciaux et canadiens en génétique forestière. Depuis 2004, il est directement impliqué, avec la DGPSPF et l’équipe de chercheurs sur les semences et plants de la DRF, dans le développement de la fores-terie clonale au Québec. Il est responsable de l’évaluation des clones d’épinette blanche produits par embryogenèse somatique. Il participe également, avec des collègues de l’Université Laval et du Service canadien des forêts, à des projets appliqués en génomique forestière. Sa présentation a d’ailleurs été réalisée avec M. Jean Beaulieu à titre de coauteur.

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Les programmes de recherche en amélioration géné-tique des arbres forestiers sont en cours depuis plus de 40 ans au Québec ; ils sont basés sur un long processus de sélection et de reproduction d’arbres possédant les caractéristiques désirées. Leur objectif est d’aug-menter la productivité forestière, avec une constante préoccupation pour le maintien d’une grande diversité génétique afin d’assurer le développement durable des forêts. Chez l’épinette blanche par exemple, les gains attendus en volume marchand sont de 8 à 16 % pour les vergers de première génération et de 15 à 20 % pour ceux de seconde génération, par rapport à l’utilisation de semences récoltées en peuplements naturels (Rainville et al. 2003). Pour atteindre des rendements encore plus intéressants, le MRN consent également des efforts de recherche depuis plus de 30 ans au raffinement d’une méthode de reproduction végétative, l’embryogenèse somatique (ES). Certains travaux ont en effet démontré que l’utilisation des meilleurs clones produits par ES dans les programmes de reboisement permet d’augmenter le rendement en volume de 40 à 60 % par rapport à ce qui existe à l’état naturel (Sutton 2002). La mise à l’échelle opérationnelle de l’ES a débuté en 2004 à la pépinière de Saint-Modeste. Depuis 2007, la production a atteint un rythme de croisière de plus de 200 clones par année qui sont évalués en tests clonaux. L’ES, un produit de la biotechnologie, a contribué à réorienter le travail des améliorateurs et a déjà commencé à changer le quotidien de certains pépiniéristes, habitués à cultiver des plants issus de graines.

Un nouveau critère de sélection : la qualité du boisLes arbres composant les tests génétiques ont atteint un âge suffisant pour permettre le prélèvement de carottes de bois (15 à 20 ans). Il est donc maintenant possible pour les améliorateurs d’évaluer la qualité du bois de ces arbres qui avaient été sélectionnés pour leur forte croissance. De nouvelles méthodes d’évaluation rapides et non destructives sont également mises à l’épreuve. Par exemple, avec l’épinette blanche (EPB), un appareil nommé Hitman ST 300 mesure la vitesse de circulation d’une onde acoustique. Celle-ci étant fortement corrélée avec les mesures d’angle des microfibrilles et de rigidité (module d’élasticité), nous pourrons établir rapidement un classement relatif des arbres pour ces deux carac-tères (Lenz et al. 2013).

La sélection génomique : une méthode prédictive qui permettra de gagner du tempsL’amélioration génétique fait appel à un long processus de « sélection-croisement-testage ». Pour les princi-pales espèces de la forêt boréale, il peut s’écouler de 20 à 30 ans avant que du matériel amélioré ne devienne disponible pour le reboisement. D’après de récentes recherches sur l’EPB menées par une équipe québécoise, la sélection génomique (basée sur le profil génétique des individus) serait très efficace pour des caractères de croissance et de qualité du bois ; elle permettrait de prédire la valeur génétique d’un individu avec une préci-sion de presque 90 % comparée aux méthodes d’amé-lioration traditionnelles (Beaulieu et al. 2013). Comme elle permet d’identifier les arbres supérieurs en seulement 1 ou 2 ans, cette approche, combinée avec des méthodes

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de reproduction végétative comme l’ES, permettrait de produire des semis possédant une forte densité du bois en aussi peu que 4 ans, au lieu de 30 ans et plus avec le programme traditionnel d’amélioration et l’établissement de vergers à graines (Figure 1).

Sur la base de ces résultats, un nouveau projet s’amorce actuellement. Il réunit des universitaires québécois, trois utilisateurs potentiels de l’est du Canada et FPInnovations ; son objectif est d’accélérer les cycles d’amélioration pour rendre disponibles des plants de reboisement ayant une meilleure qualité du bois et une plus grande résistance aux maladies. Ces plants, produits par bouturage de pieds-mères issus d’ES, amélioreraient la compétitivité de notre industrie forestière sur les marchés.

En plus de servir à l’évaluation de la qualité du bois, la sélection génomique pourrait être orientée vers d’autres critères, et permettre ainsi de donner une nouvelle vocation spécialisée aux vergers à graines de première génération, qui sont de moins en moins utilisés. Par exemple, un verger pourrait être éclairci pour ne garder que les semenciers possédant les gènes associés au débourrement tardif des arbres, un caractère important dans le contexte des changements climatiques. Ces arbres seraient aussi moins susceptibles d’être atta-qués par la tordeuse des bourgeons de l’épinette en période épidémique.

Maximiser le rendement des plantations dans un contexte de changements climatiques : les nouveaux modèles de transfert comme outils d’aide à la décisionSous le nouveau régime forestier, les aires d’intensifi-cation de la production ligneuse (AIPL) sont destinées à la production prioritaire de matière ligneuse. L’étude de l’influence des facteurs climatiques, topographiques et édaphiques sur la croissance des arbres a permis de subdiviser le territoire québécois en fonction du poten-tiel de production des terres (Périé et al. 2012). Jusqu’à présent, tous considéraient le climat comme étant rela-tivement constant dans le temps, mais maintenant, les changements climatiques laissent entrevoir une augmen-tation de température de 4 °C d’ici la fin du siècle. C’est un changement comparable à celui auquel se sont adap-tées nos espèces forestières lorsqu’elles ont migré vers le nord il y a environ 18 000 ans. Cette fois, elles devront s’adapter rapidement et réaliser en 100 ans ce qui leur a pris jadis des millénaires! Pour maximiser le rendement des plantations dans les AIPL, il faut donc s’assurer que

Raccourcir le cycle d’amélioration

Programme d’amélioration traditionnnel : 36 ans

Programme d’amélioration accéléré : 28 ans

Sélection génomique : 10 ans

Sélection + croisement Testage Multiplication

8+ ans 8+ ans

4+ ans

20 ans

2 ans4+ ans 4+ ans

4+ ans

Adapté de Harfouche et al (2012)

20 ans

Figure 1. Gains de temps escomptés avec la sélection géno-mique pour la qualité du bois, par rapport aux programmes d’amélioration traditionnel et accéléré.

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les sources de semences utilisées aujourd’hui soient non seulement bien adaptées au climat actuel, mais égale-ment au climat qui prévaudra d’ici le milieu du siècle. Les tests génétiques mis en place depuis plus de 50 ans au Québec ont permis de développer des modèles pour prédire la croissance relative des provenances, par rapport à la source de semences locale, lorsqu’on les déplace sur un site de plantation donné ; la croissance est prédite en fonction des différences de climat entre le lieu d’origine des provenances et leur site de plantation (Rainville et al. soumis).

Bien qu’ils fassent abstraction de la fertilité du sol, les résultats démontrent qu’à court terme (période 2046-2065), l’EPB bénéficierait de l’amélioration des conditions climatiques dans les trois domaines bioclima-tiques, mais principalement dans la pessière (+22 %) et dans la sapinière (+13 %). À plus long terme (2081-2099), c’est dans la pessière que l’espèce y serait la plus productive (+27 % par rapport au présent). Le gain de rendement anticipé pour le futur dans la sapinière et dans la pessière pourrait même être augmenté par un choix avisé de la source utilisée (Figure  2). L’épinette noire (EPN), au contraire, connaîtrait une faible augmentation de rendement à court terme dans la sapinière (2 %) et dans la pessière (7 %). Durant la période 2081-2099 toutefois, le climat serait défavorable aux plantations d’EPN dans tous les domaines de la province. Les fortes pertes de rendement anticipées ne pourraient pas être compensées par le choix des sources de semences les mieux adaptées au climat futur.

Ces modèles de transfert sont actuellement utilisés pour réviser les territoires d’utilisation des vergers. Ils pour-raient également guider le déplacement des espèces pour faciliter leur adaptation future (migration assistée).

Les semences avec lesquelles vous produirez vos plants demain ne seront peut-être plus des mêmes espèces…!L’EPN, traditionnellement si importante pour l’indus-trie forestière du Québec, pourrait être graduellement remplacée dans les pépinières forestières par d’autres espèces qui deviendraient plus productives avec les changements climatiques! Les généticiens, les spécia-listes de la reproduction des arbres et les écologistes s’affairent déjà à mettre en place les éléments qui permettront d’opérer en douceur les changements qui faciliteront l’adaptation des forêts au climat de demain. Pour certaines espèces, ce pourrait être la création de banques de semences représentatives de plusieurs provenances. Pour d’autres, il s’agirait d’établir des plan-tations de conservation dans une plus grande variété de conditions climatiques, quitte à oser sortir des « zones de confort » habituelles. La production d’essences feuil-lues pourrait devenir plus importante dans les pépinières forestières… Les pépiniéristes représentent un maillon important de la sylviculture intensive au Québec; comme les améliorateurs, ils devront s’adapter à une nouvelle réalité : les changements climatiques.

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Figure 2 : Rendement anticipé pour la période 2081-2099 (exprimé en % par rapport à la source locale, soit le verger d’Estcourt) des plantations d’épinette blanche à Cabano, pour quatre sources de semences (verger à graines). Adapté de Rainville et al. (soumis).

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64°66°68°70°72°74°76°78°80°

50°

49°

48°

47°

46°

45°

¯

0 50 100Kilomètres

Domaine bioclimatiquePessière à mousses Sapinière à bouleau blancSapinière à bouleau jaune Érablière à bouleau jaune Érablière à tilleul Érablière à caryer cordiforme

Verger à grainesd’épinette blanche

Montréal

Trois-Rivières

Québec

Rivière-du-Loup

Rimouski

Gaspé

Robidoux

Estcourt

Verchères

Duchesnay

Cleveland

Cabano

-6,3 %

+11,8 %

-3,7 %

-2,7 %

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Références

Beaulieu, J., T. Doerksen, S. Clément, J. MacKay et J. Bousquet, 2013. Genomics-assisted selection for growth and wood traits in white spruce could be a reality in the near future. Forest Genetics 2013 CFGA-WFGA-IUFRO Joint Meeting. Whistler, Colombie-Britannique, 22 au 25 juillet 2013 (confé-rencier invité).

Harfouche,  A., R.  Meilan, M.  Kirst, M.  Morgante, W.  Boerjan, M.  Sabatti et G.  Scarascia Mugnozza, 2012. Accelerating the domestication of forest trees in a changing world. Trends in Plant Science 17: 64-72.

Lenz,  P., D.  Auty, A.  Achim, J.  Beaulieu et J.  MacKay, 2013. Genetic improvement of white spruce mechanical traits – early screening by means of acoustic velocity. Forests 4: 573-594.

Périé, C., L. Duchesne et M.-C. Lambert, 2012. Prédire la crois-sance potentielle des arbres au Québec à l’aide des caracté-ristiques cartographiables des peuplements et des stations. Gouvernement du Québec, ministère des Ressources natu-relles et de la Faune, Direction de la recherche forestière. Mémoire de recherche forestière n° 164. 44 p.http://www.mrn.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Perie-Catherine/Memoire164.pdf

Rainville, A. M. Desponts, R. Beaudoin, P. Périnet, M.-J. Mottet et M. Perron. 2003. L’amélioration des arbres au Québec  : un outil de performance industrielle et environnementale. Gouvernement du Québec, ministère des Ressources natu-relles, Direction de la recherche forestière. Note de recherche forestière no 127. 7 p.http://www.mrn.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Rainville-Andre/Note127.pdf

Rainville, A. J. Beaulieu, L. Langevin, T. Logan et M.-C. Lambert (soumis). Développement de modèles de transfert de sources de semences afin de prédire le rendement futur des plan-tations d’épinette blanche, d’épinette noire et de pin gris, sous l’effet des changements climatiques. Gouvernement du Québec, ministère des Ressources naturelles. Direction de la recherche forestière. Mémoire de recherche forestière.

Sutton, B., 2002. Commercial delivery of genetic improvement to conifer plantations using somatic embryogenesis. Ann. For. Sci. 59(5-6): 657-661.

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